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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 20 septembre 1845
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment cérémonie d’hommage aux victimes des journées de septembre
2) Projet de loi accordant un
crédit supplémentaire au budget du département des travaux publics pour la continuation
des travaux de canalisation de la Campine (d’Hoffschmidt)
3) Projet de loi relatif à la
libre entrée et à la prohibition de certaines céréales, par suite de la maladie
de la pomme de terre (Osy, (+lutte contre l’indigence,
bureaux de bienfaisance), Desmet, Delfosse,
Malou, (+octrois communaux, dépôt de mendicité) Rodenbach, Eloy de Burdinne, (+
droits sur les bestiaux et octrois communaux) Lys, Verhaegen, Malou, (paupérisme,
droit sur le bétail) Castiau, (+octrois communaux) Van de Weyer, Osy, Verhaegen, Van de Weyer, de Theux, (emploi aux ouvriers désoeuvrés aux travaux des
routes et des chemins de fer) d’Hoffschmidt, Osy, de Theux, Osy,
Malou)
4) Projet de loi accordant un
crédit supplémentaire au budget du département des travaux publics pour la continuation
des travaux de canalisation de la Campine (Dubus (aîné))
5) Projet de loi relatif à la
libre entrée et à la prohibition de certaines céréales, par suite de la maladie
de la pomme de terre (Osy, Dechamps,
Osy, Lys, (+droits d’entrée sur le bétail)
Delfosse, Osy, Malou,
Van de Weyer, Verhaegen, Mercier, Rogier, Malou,
Rodenbach, Osy, (+droits d’entrée
sur le bétail) (Osy, Malou), (budget
du département de l’intérieur), (David, Malou,
David)
6) Déclaration d’option électorale
(Rogier)
7) Projet de loi accordant un
crédit supplémentaire au budget du département des travaux publics pour la continuation
des travaux de canalisation de la Campine. Canal de Zelzaete à la mer du Nord (Lejeune, d’Hoffschmidt)
8) Ajournement indéfini de la
chambre
(Annales parlementaires
de Belgique, session extraordinaire 1845)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 11) M. Huveners
procède à l’appel nominal à midi un quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal
de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. Huveners fait l’analyse des pièces
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Barez demande que les
œufs et les légumes de toute espèce soient prohibés à la sortie. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant les
denrées alimentaires.
________________
« Le sieur Houyet, administrateur gérant de la société des moulins à
vapeur de Bruxelles, demande qu’on rétablisse les droits d’entrée sur les objets
suivants : gruau ; orge mondé, perlé ; vermicelle. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant les
denrées alimentaires.
________________
« Le sieur Jean-Henri Kruse, capitaine de navire à Anvers, né à Damme
(Oldenbourg), demande la naturalisation ordinaire. »
« Le sieur Louis Vanderomme, brigadier des douanes à Oostvleteren, né
à Poperinghe, mais ayant perdu la qualité de Belge, demande la naturalisation
ordinaire avec exemption du droit d’enregistrement. »
« Le sieur Teunis Douwes, capitaine de navire marchand à Anvers, né à
Schiermonniskoog (Pays-Bas) ;
« Le sieur Guillaume Wagenaar, second d’un navire de commerce à Anvers,
né à Lemmer (Pays-Bas) ;
« Le sieur Urbain-Otto Petersen, capitaine de navire à Anvers, né à Morsum
(Danemark) ;
« Le sieur Henri Schruers, ancien militaire à Ryckevorsel, né à Venloo
;
« Le sieur Ocke-Frédéric Jepsen, second à bord d’un navire de commerce
à Anvers, né à Föhr (Daneark) ;
« Le sieur Harm-Henri Wagener, capitaine de navire à Anvers, né à Grossholen
(Hanovre) ;
« Le sieur Harke-Bruns Wegman, second à bord d’un navire de commerce
à Anvers, né à Emden (Hanovre) ;
« Le sieur Nicolas Nolting, capitaine de vaisseau à Anvers, né à Emdem
(Hanovre) ;
« Le sieur Wybrand de Ryk, capitaine de navire à Anvers, né à Wondsend
(Pays-Bas) ;
« demandent la naturalisation ordinaire. »
- Ces pétitions sont renvoyées à M. le ministre de la justice.
________________
M.
de Mérode
informe la chambre que des affaires de famille l’empêchent de se rendre immédiatement
aux séances de la chambre.
- Pris pour information.
________________
Par dépêche en date du 30 juillet, M. le ministre de l'intérieur adresse à
la chambre 95 exemplaires des exposés de situation administrative des provinces
pour 1845.
- La distribution en sera faite aux membres de la chambre.
________________
Le conseil central de salubrité publique adresse à la chambre 100 exemplaires
de son travail sur la maladie des pommes de terre.
- La distribution aux membres en est ordonnée, ainsi que le dépôt à la bibliothèque.
________________
M. Jobard fait hommage à la chambre de 100 exemplaires d’une brochure dont
les conclusions viennent d’être adoptées par le congrès de Reims : 1° la marque
d’origine obligatoire ; 2° la marque de qualité facultative ; 3° l’estampille
du détaillant obligatoire ; 4° le timbre de la cité et de l’Etat facultatif. »
- Même décision.
________________
Par 72 messages, en date du 10, du 12, du 13, du 14, du 15, du 16 et du 17
mai 1845, le sénat informe la chambre qu’il a adopté les projets de lois :
- accordant la grande naturalisation au sieur Pierre Behaghel ;
- concernant les concessions de péages ;
- allouant un crédit afin de terminer, par transaction, le procès existant
entre le gouvernement et les héritiers Dapsens ;
- tendant à combler une lacune que présente la loi du 21 juillet 1844, quant
aux droits sur les sucres ;
- appliquant le régime du canal de Terneuzen aux canaux d’Ostende à Bruges
et à Gand ;
- accordant la concession d’un chemin de fer de Louvain à la Sambre ;
- relatif à la régularisation de limites communales dans les provinces d’Anvers,
de la Flandre orientale et de Liége ;
- relatif à la construction d’un canal de navigation latéral à la Meuse ;
- autorisant le gouvernement à accorder la concession des chemins de fer de
Tournay à Jurbise et de Saint-Trond à Hasselt ;
- établissant un service de paquebots à vapeur entre la Belgique et l’Angleterre
;
- relatif à la concession d’un chemin de fer de la vallée de la Dendre, d’Ath
vers Termonde et Gand ;
- allouant un crédit au département e la guerre pour des dépenses antérieures
à l’exercice 1844 ;
- sur l’organisation d’armée ;
- accordant un nouveau délai aux anciens habitants des parties cédées du Limbourg
et du Luxembourg un nouveau délai pour obtenir la grande naturalisation ;
- ouvrant des crédits au budget de la dette publique de l’exercice 1845, pour
le payement de pensions supplémentaires aux officiers belges qui ont fait partie
de l’armée des Indes orientales.
- allouant des crédits destinés au payement de frais relatifs au Moniteur
;
- allouant un crédit supplémentaire au département de la guerre pour les dépenses
de l’exercice 1845 ;
- concernant les céréales ;
- allouant un crédit supplémentaire au département de l’intérieur, pour des
dépenses de 1844 ;
- ouvrant un crédit au département de l’intérieur, pour la réparation et l’appropriation
du palais de Liége ;
- autorisant la concession des chemins de fer de Liége à Namur, de Manage
à Mons et à la Sambre, et de Marchiennes-au-Pont à la frontière de France, et celle
du canal de Mons à la Sambre ;
- relatif à la concession de divers chemins de fer dans la Flandre occidentale
;
- portant régularisation du budget des voies et moyens de l’exercice 1843
;
- portant régularisation du budget de la dette publique de l’exercice 1843
;
- portant régularisation du budget des dépenses pour ordre de l’exercice 1843
;
- conférant la naturalisation ordinaire à divers individus.
- Pris pour notification.
________________
M. le
président.
– Un grand nombre de pièces restent à analyser ; mais elles sont de nature à être
renvoyées à la commission des pétitions.
Les sections n’ayant pas été réunies pour nommer leurs rapporteurs, il est
douteux que la commission des pétitions puisse s’occuper de l’examen de ces pièces
; je demande à la chambre la permission de le remettre à la session prochaine.
(Adhésion.)
_________________
M. le secrétaire va donner à la chambre communication d’une dépêche.
M. de Man d’Attenrode. -« M. le président,
« J’ai l’honneur de vous informer qu’à l’occasion du 15ème anniversaire
des Journées de Septembre 1830, un service funèbre sera célébré le 23 de ce
mois à 10 heures, dans l’église des SS. Michel et Gudule, en mémoire des
citoyens qui ont succombé pour la cause de l’indépendance nationale.
« Je vous prie, M. le président, de vouloir bien me faire connaître si
la chambre des représentants se propose d’assister en corps à cette cérémonie,
et si elle désire être accompagnée de l’escorte à laquelle la chambre a droit
aux termes du décret du 24 messidor an XII.
« Agréez, etc.
« Le ministre de l’intérieur, Sylvain Van de Weyer. »
M. le
président.
– La chambre a l’habitude d’assister à ces solennités quand elle est réunie.
Plusieurs membres. – On décidera cela lundi, s’il
y a lieu.
- M. Fallon, M. de Muelenaere, M. Donny et M. de la Coste, dont les pouvoirs
ont été vérifiés, et dont l’admission a été prononcée, sont invités à prêter le
serment prescrit par le décret du congrès.
Acte leur est donné de leur prestation de serment.
PROJET DE LOI RELATIF A LA CONTINUATION DES TRAVAUX DE CANALISATION DE LA
CAMPINE
M. le ministre des travaux publics (M.
d’Hoffschmidt). – Messieurs, le Roi nous a chargés de présenter à la chambre un projet
de loi ayant pour objet la demande d’un crédit supplémentaire pour la
continuation des travaux de canalisation de la Campine.
Voici l’exposé des motifs…
Plusieurs membres. – Il est distribué ; nous l’avons
lu.
Quelques membres. – Le projet !
M. le ministre des travaux publics (M.
d’Hoffschmidt). – Le projet est ainsi conçu :
« Article unique. Un crédit de neuf cent cinquante mille francs (950,000
fr.) est ouvert au département des travaux publics, pour la continuation des
travaux du canal de
« Cette dépense sera provisoirement couverte au moyen d’une émission
de bons du trésor de pareille somme, qui se fera au fur et à mesure des payements
à effectuer pour les travaux qui seront exécutés.
« Donné à Laeken, le 18 septembre 1845.
« Léopold.
« Par le Roi : Le ministre des travaux publics, C. d’Hoffschmidt,
« Le Ministre des finances, J. Malou. »
Je prie la chambre de décider que ce projet sera examiné par une commission
spéciale nommée par le bureau ; il pourrait être discuté après le projet sur
les denrées alimentaires.
M. le
président.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il
vient d’être donné lecture.
- La chambre, consultée, décide que ce projet sera examiné par une commission
nommée par le bureau.
M. le
président.
- Vu l’urgence, le bureau va s’occuper immédiatement de la composition de la commission.
- Les membres désignés sont MM. de Tornaco, Osy, Dubus (aîné), Kervyn, Lesoinne,
de Man d’Attenrode et Scheyven.
PROJET DE LOI RELATIF A LA LIBRE ENTREE ET A LA PROHIBITION DE CERTAINES
CEREALES
Discussion générale
M. de Theux, rapporteur. – Je ferai observer qu’une
erreur d’impression s’est glissée dans le rapport. Il faut lire que la deuxième
section au lieu de la première a proposé de permettre au gouvernement de
réduire et même de supprimer les droits à l’entrée du bétail.
M. Osy. – Je suis, à regret, obligé
de venir combattre le projet de loi dans presque toutes ses dispositions. Si j’étais
obligé de prendre souvent la parole, je vous prierais d’avoir beaucoup d’indulgence
; car nous nous occupons d’un objet très important ; et si nous faisions une
loi trop à la légère et sans y donner un temps convenable, nous pourrions
attirer sur le pays, d’ici à la prochaine récolte, les plus grands fléaux ;
j’userai donc de tous mes efforts et de mes faibles moyens pour vous convaincre
que ce que le gouvernement nous propose, et qui est sanctionné par la section
centrale sans restriction, n’est pas un remède au mal pour la situation
actuelle, et je vous prouverai que, comme au printemps dernier, on a plus en
vue de garantir les intérêts des propriétaires et des producteurs que ceux de
la grande majorité de la nation, le consommateur, et qui, cette fois, par le
manque de récolte de sa principale nourriture, se trouvera, jusqu’à la récolte
de 1846, dans les plus grands besoins. Ce ne seront pas les subsistances qui
manqueront, parce que nous pouvons les lui procurer si nous faisons une bonne
loi, mais des moyens de nous les procurer.
Il faut donc rassurer le consommateur de toute manière et lui prouver que,
si vous nous en donnez la latitude, nous pourrons procurer, et au plus bas taux
possible, tout ce qu’il lui faudra pour passer avec calme et résignation ce
moment d’épreuve.
Notre principale préoccupation doit être d’assurer pendant un an la nourriture
du pays, et si vous ne donnez pas au commerce toutes les sécurités sur
lesquelles nous insisterons, le commerce sera obligé d’agir avec la plus grande
réserve, tandis que, si vous lui assurez des garanties, il ne restera pas en
défaut, et encore une fois, il vous prouvera que le commerce belge a tous les
moyens de conjurer un grand mal, en mettant en évidence ses moyens, son
activité, ses connaissances.
Le commerce des céréales est la branche d’industrie la plus ingrate, parce
que tour à tour il est blâmé et critiqué par le producteur et le consommateur ;
et dans toutes les grandes commotions politiques, il y a eu des victimes et des
malheurs à déplorer. Je puis donc hardiment le dire, c’est un commerce de
dévouement ; et plus les prix des subsistances haussent, plus les pertes sont à
craindre.
Ainsi, sans sécurité par une loi il deviendra timide, et, d’après ce qui s’est
passé cette année à deux reprises différentes dans la dernière session, il a
parfaitement raison de se défier et de prendre toutes ses précautions. Si donc
il n’y a pas de garanties larges, vous pourrez vous trouver au printemps dans
les plus grands embarras.
Je dis au printemps, parce que nous passons l’hiver avec nos importations
qui ont déjà eu lieu et qui se feront encore, et ensuite pendant la fermeture de
la navigation, vous avez votre propre récolte, mais qui sera épuisée au mois d’avril
ou mai ; car je n’exagère pas en disant que la perte de la pomme de terre vous
occasionnera un besoin extraordinaire de près de 4,000,000 d’hectolitres de
céréales et autres comestibles ; et ne perdez pas de vue qu’en moyenne c’est
une quantité de 300 millions de kilogrammes, et pour vous les amener il faudra
1,500 navires de 200 tonneaux. C’est une quantité énorme ; et en capital il
faudra au moins 80,000,000 fr. Il faut donc que le commerce ait à déployer la
plus grande activité, et certainement aux prix actuels à l’étranger, les
chances de bénéfice sont si minimes, qu’il faut, non seulement, beaucoup
d’activité, mais un grand dévouement.
Cependant, je puis vous assurer qu’il ne restera pas en défaut, mais qu’il
lui faut des garantis par la loi que nous allons voter, et alors seulement nous
pourrons rassurer le pays si justement alarmé.
Je me réserve de vous présenter, avec mes honorables amis de la députation
d’Anvers, des amendements lorsque nous serons aux articles. Mais je vais avoir
l’honneur de vous les indiquer dès à présent parce que cela pourra faciliter la
discussion générale.
A l’article 1er, je demanderai formellement de reculer le terme de la libre
entrée au 1er septembre prochain.
(page 13) Nous avons déjà importé
cette année environ 700,000 hect. de froment, 120,000 hect. de seigle, 400,000
hect. d’orge, 60,000 hect. d’avoine, et je crois pouvoir vous assurer que le
chambre a déjà acheter à l’étranger, environ 250,000 hectolitres (principalement
froment et peu de seigle), qui j’espère, arriveront avant l’hiver.
Avec ces quantités et notre propre récolte, qui certainement, pour le froment
donnera un quart de moins que les autres années, nous pourrons traverser
tranquillement l’hiver ; mais, comme la perte de la pomme de terre, comme j’ai
eu l’honneur de vous le dire, augmentera nos besoins d’au moins 4 millions
d’hectolitres, il faudra les importer en céréales et farines. Si vous n’accordez
en garantie de libre importation que le 1er juin, on se bornera au printemps à
faire des achats dans le Danemark, le Mecklembourg et la Poméranie ; et, comme
la France et l’Angleterre auront aussi alors de grands besoins, nous devrons
acheter en concurrence avec ces grands consommateurs, car l’Angleterre a besoin
annuellement de 180 millions d’hectolitres calculés à raison de 4 3/4
hectolitres, si ces pays ont seulement un déficit d’un dixième à cause de la
maladie de la pomme de terre, ces deux pays devront importer de l’étranger au
moins 33 millions d’hectolitres et leurs besoins seront certainement beaucoup
plus grands. Donc il y a certitude que nous les trouverons sur les marchés
étrangers en concurrence avec nous pour faire des achats, et
Maintenant, pour pouvoir assurer les subsistances jusqu’à la récolte prochaine,
il faudra, pendant l’hiver, faire des achats à livrer lors de l’ouverture dans
des pays très éloignés, comme dans la mer Noire, la mer d’Azof et dans la mer
Blanche.
Tous ces grains, que nous devrons acheter d’avance, doivent venir principalement
par les grandes rivières de l’intérieur de
Je sais qu’on me répondra que, par la loi de 1834, les ports seront également
ouverts si le froment dépasse 20 fr., mais le commerce n’a pas de garantie
qu’il ne surgira pas dans notre session prochaine des propositions de protections
comme nous en avons vu deux dans la dernière session, et dont une, malheureusement,
a été adoptée par le parlement, et je puis même dire par le gouvernement, car
il est prouvé maintenant à toute évidence que la loi du sénat a été soufflée
par le gouvernement.
Heureusement, cette fois, le bon sens de la nation et la réprobation de la
généralité a été si forte, que le gouvernement a été obligé de reculer devant
sa propre œuvre et n’a pas osé publier une loi que nous avions tant combattue ;
il a dû abandonner la majorité et donner raison à la minorité, qu’on n’a pas
voulu écouter alors.
Ce n’est que le 5 septembre que le gouvernement s’est expliqué ; et ainsi
dans des moments déjà bien difficiles, et pendant 4 à 5 mois, il a tenu sur la tête
du commerce une menace permanente.
Cette fois-ci le commerce ne s’en est pas inquiété ; car il était persuadé
que le bon sens du pays finirait par éclairer le gouvernement et qu’il reculerait
devant son ouvrage.
Mais malheureusement c’est de l’histoire, et de pareils actes affaiblissent
le pouvoir, et il est fâcheux que le commerce et la nation doivent se défier du
gouvernement et du parlement.
Aujourd’hui, malheureusement, le cas se présente déjà et on ne fera pas de
commandes lointaines si vous ne donnez pas l’assurance de la libre entrée jusqu’au
1err septembre ; car quelle garantie avons-nous que, dans la session
prochaine, il ne surgira pas de nouveau au parlement et dans la sein de la
majorité, des propositions de n’admettre la libre entrée qu’à 22 ou même 24
francs ?
Si ce n’est pas votre intention, comme je veux bien le croire, et si vous
pensez que les froments, au mois de juin, dépasseront 20 francs et que la libre
entrée sera de fait, pourquoi ne pas accorder ce que nous demandons : une garantie
formelle, libre entrée jusqu’au 1er septembre ? Faites par une stipulation
formelle ce que vous croyez qui existera de fait. C’est la manière la plus
franche de donner du poids à vos paroles ; vous rassurerez la nation, et le
commerce pourra librement agir ; sans cela il pourra s’abstenir, et les conséquences
pourront retomber sur ceux qui ne veulent pas nous donner la satisfaction que
nous réclamons.
L’honorable rapporteur de la section centrale nous dit que le gouvernement
hollandais a aussi fixé le 1err juin, comme terme de libre entrée ;
je le prierai de lire avec attention le Moniteur du 17 de ce mois, page 2226,
et il y verra que le roi dit dans son arrêté du 14 septembre, article 2.
« Nous nous réservons de proposer aux états généraux, non seulement d’établir
l’également la libre entrée jusqu’au 1er juin 1846 ou même jusqu’à
une époque plus éloignée, etc. »
Vous voyez, messieurs, qu’il n’y a rien de fixé en Hollande, comme le di la
section centrale, et je suis persuadé qu’à
La récolte de 1846 ne peut venir en abondance à nos marchés qu’au mois de
novembre ou décembre ; ainsi tout ce que nous aurons importé jusqu’au mois de septembre,
ne pourra pas nuire à l’agriculture.
Je demanderai aussi la libre entre des farines et moutures de toutes espèces,
et je ne puis consentir à en laisser la faculté au gouvernement. Car, avec
cette faculté, le commerce ne saurait à quoi s’en tenir et il n’y aurait pas
d’arrivages, et sans accuser le gouvernement même d’une pareille intention, on
pourrait favoriser des négociants au détriment de la libre concurrence, en faisant
seulement une confidence que, dans un temps donné, la libre entrée des farines
serait proclamée. La proposition de la section centrale est donc ce qu’il y a
de plus dangereux ; car, vous n’aurez pas d’importation, ou vous pouvez en
avoir sans libre concurrence et par des privilèges ; s’il y a peu d’importateurs,
on peut maintenir les prix élevés et c’est au détriment du consommateur. Je ne
veux même pas qu’il puisse y avoir le soupçon de favoritisme. Maintenant il me
reste à vous démontrer qu’il faut proclamer la libre entrée des farines, et que
cela ne pourra nuire ni à l’industrie des meuniers, ni aux moulins à vapeur.
En Angleterre, le droit d'entrée pour les farines du Canada n'est maintenant
que de 7 1/4 d. par baril de 90 kilog., soit 90 centimes.
Le droit pour celles des Etats-Unis est 10 sch. 10 d., soit 13 fr. 30 c.
Ainsi les 226,000 barils farines canadiennes, qui se trouvent aujourd'hui
dans les entrepôts d'Angleterre, sont acquis à la consommation.
Nous ne pourrons donc acheter que des farines des Etats-Unis, soit en les
faisant venir directement ou en les achetant dans les entrepôts anglais.
D'après les dernières nouvelles du 31 août, le prix des farines en Amérique
est de 4 5/8 dollars, soit environ 32 fr. par baril de 90 kilog. rendu en
Belgique en entrepôt. Ainsi, avec le droit actuel de 15 francs, il y a prohibition.
L'exportation annuelle des Etats-Unis s'élève, année commune, à 15 cent mille
barils, soit, à 90 kilog., 135,000,000 de kilog. En y ajoutant 1/3 pour déchet,
cette quantité représente en froment 180 millions de kilog., à 80 kilog. par
hectolitre, 2,250,000 hectolitres.
En supposant que nous puissions même en importer le 1/4, ce qui est très
invraisemblable, ce ne serait, en définitive, qu'une importation de 562,000 hectolitres,
ce qui certainement n'est pas d'une grande importance.
La grande objection qu'on me fera pour l'introduction des farines, c'est
qu'il ne faut pas contrarier l'industrie de la mouture. S’il était vrai que la mouture
dût en éprouver un certain préjudice, les intérêts de cette industrie ne
devraient-ils pas céder aujourd'hui devant les besoins impérieux de la consommation,
alors que l'agriculture s'est bien soumise à la libre entrée des céréales ?
Mais la considération devant laquelle le gouvernement et la section centrale
paraissent s'être arrêtés, est mal fondée ; car l'accroissement extraordinaire
de la consommation du pain doublera et triplera la consommation de la farine,
et dès à présent les moulins peuvent à peine y suffire. Déjà nos boulangers
doivent cuire plusieurs fois par jour ; que sera-ce quand il n'y aura plus de
pommes de terre ?
En tout cas, d'après mes informations, la mouture indigène moyennant 2 fr.
par 100 kil., serait suffisamment protégée, et je ne puis, dans cette circonstance,
lui accorder cette protection, parce que nos moulins, par la grande quantité de
céréales que nous devons introduire, auront assez d'occupation.
J'espère donc que, par ces considérations, vous accepterez mon amendement
pour l'introduction des farines à raison de 10 c. par 100 kil.
Ayant maintenant fini avec l'article premier, je me réserve de prendre la
parole sur les autres articles, et je me bornerai à vous indiquer quelles seront
mes propositions ; je les développerai au fur et à mesure que nous viendrons
aux articles.
Je proposerai : 1° un nouvel article 2, pour accorder la suppression du droit
de tonnage pour les navires dont le chargement se composera pour les 2/3 au
moins de pommes de terre ; 2° je combattrai de toutes mes forces la défense d'exportation,
parce que c'est la mesure la plus impolitique que vous puissiez décréter. Vous
voulez que l'étranger fournisse à vos besoins et vous lui fermez vos marchés ;
on sera donc en droit de prendre contre vous la même mesure, et cela dans un
moment où nous devons tâcher d'importer des pommes de terre, non seulement pour
la consommation, mais pour les semis de l'année prochaine et, en outre, nous
devons chercher d'autres farineux, comme pois, fèves, haricots, etc., chez nos
voisins, qui finiront par nous traiter comme nous les traitons. Nous avons
aussi besoin d'orge pour nos brasseries de bière, boisson du pauvre et de la
classe moyenne ; et si la Hollande en défendait l'exportation, vous verriez
encore cette boisson, consolatrice pour nos pauvres ouvriers, fortement renchérie,
et nourriture et boisson chère serait une calamité que je ne veux pas m'exposer
d'attirer sur le pays.
Quand vous êtes importeur vous êtes rarement exporteur, ainsi ne craignez
pas que vous exporterez beaucoup ; peut-être un peu par terre chez nus voisins.
Mais y a-t-il un mal que Furnes et Bruges, et en général nos Flandres et le
Hainaut, exportent leurs froments à raison de 24 ou 25 fr., quand les prix à
Anvers des froments étrangers ne sont qu'a 21 ou 22 fr. ? Le remplacement est
tout au profit de l'agriculture que, dans cette occasion, je veux mieux
protéger que ses défenseurs habituels.
A Lille, le froment est coté, au marché du 17 septembre, de 24 francs à 25
fr. 24, et au marché de Bruxelles d'hier le froment étranger, première qualité,
est coté seulement 11 à 12 florins courant de Brabant ; ainsi le prix le plus
élevé, 12 florins, fait 21 fr. 50 c.
Laissez donc au commerce à faire cette mutation, vendre cher et remplacer
à meilleur compte.
N'oubliez pas, messieurs, que la loi de 1834 défend l'exportation lorsque
le froment est à 24 fr. et le seigle à 17 fr. Ainsi si la hausse continue, nous
n'avons pas besoin de votre nouvelle défense, elle existera de fait. Ne parlons
pas de défense et n'alarmons pas nos voisins.
Ceci combat l'article 3 et je proposerai, en outre, la libre entrée du poisson
sec et de réduire de 2/3 les viandes et les salaisons, et je laisserai au
gouvernement (page 14) à examiner d’ici
à notre prochaine réunion s'il ne faudrait pas réduire le droit d'entrée sur le
bétail.
Vous me direz : La viande et le poisson sec ne sont pas la nourriture de
l'ouvrier, mais je vous dirai aussitôt : Si la classe moyenne peut se procurer à
meilleure marché la viande et le poisson sec, elle pourra varier sa nourriture
à des prix peu élevés, et plus on diminuera sa consommation de pain, pommes de
terre, riz et autres farineux de nécessité, plus le prix deviendra accessible
aux pauvres et aux ouvriers ; quant à l'intérêt des cultivateurs, des
engraisseurs et des bouchers, je puis vous assurer, messieurs, que la force des
choses qui maintiendra tous les comestibles quelconques à des prix élevés, les
protégera suffisamment.
La viande de porc salé paye à l'entrée un droit de 16 fr. par 100 kil., soit
huit centimes la livre, ce qui est prohibitif.
Le bœuf paye de 50 à 44 fr., ce qui porte le droit jusqu'à 22 c. la livre.
Ma proposition de réduction de 2/3 fera que le porc payera encore 2 c. par
1/2 kil.. et le bœuf jusque huit centimes.
Il me paraît que dans cette circonstance nous ne pouvons pas refuser ce soulagement
à la classe ouvrière et moyenne, d'autant plus que les pauvres paysans ne
pourront pas penser cet hiver à acheter de nouveaux élèves, car comment les
nourrir ?
J'accorderai au gouvernement les 2 millions qu'il nous demande, même sans
qu'il nous en indique l'emploi et c'est bien faire une abnégation de nous-mêmes
pour le bien-être public, quand nous ne connaissons pas encore le programme du
nouveau ministère et sans savoir s'il ne continuera pas la marche tortueuse de
l’ancien ministère, qui ne s'est retiré que devant la manifestation du 10 juin.
Pour ma part, je me réserve, à la session prochaine, pour avoir des
explications, mais je fais d'avance toutes mes réserves et la carte blanche que
je donne aujourd'hui est en vue du bien public.
Je veux croire que le nouveau ministère donnera satisfaction à l'opinion
publique ; je ne veux rien préjuger, mais il faut cependant que nous le sachions
à l'ouverture de notre prochaine réunion.
Je dois cependant engager le gouvernement à ne pas se mêler des affaires
commerciales comme l'ancien gouvernement l'a fait en 1816 et 1817 ; car le gouvernement
est un mauvais marchand, et ne pouvant lutter contre lui, tous nos négociants
se retireraient de la lutte et c'est alors que vous auriez à craindre la disette.
Pour le semis des pommes de terre, il peut y avoir une exception, mais encore
ne faudrait-il en faire venir que par un comité composé de négociants et des
membres de quelques administrations publiques.
J'ai vu à regret dans les tableaux fournis
par le gouvernement qu'il n'y a presque pas de renseignements de la province
d'Anvers. Je dois l'attribuer à ce que, depuis la formation du nouveau cabinet,
nous sommes privés de gouverneur. Si cependant une province devait en avoir,
c'est bien Anvers, pour que le gouvernement soit journellement instruit de ce
qui s'y passe et des nouvelles qu'on reçoit de l'étranger pour les subsistances
et des apparences pour nos approvisionnements. Voyant par le Moniteur que cette haute fonction n'a
encore été offerte à personne, j'engage le gouvernement de ne plus tarder à
remplir cette lacune administrative et de s'en occuper sans retard.
M. Desmet. - Messieurs,
je n'entrerai pas dans l'examen des points spéciaux, dont l'honorable M. Osy
vient d'occuper la chambre, mais je lui répondrai quelques mots relativement à
l'époque où cessera la libre entrée ainsi que l'interdiction de la sortie des
céréales. Je crois que l'époque fixée par le gouvernement, le 1er juin 1846,
est assez éloignée pour satisfaire aux besoins de la situation. Car si, au mois
de juin, on trouve que la mesure doit être continuée, il sera facile de le
faire. Mais si alors les arrivages n'ont pas eu lieu, je crains fort qu'il n'y
aurait plus moyen d'en obtenir : le battage se fait pendant l'hiver et les
commandes se feront en temps cette année. Mais si vous prolongiez à présent la
durée de cette mesure, vous jetteriez la panique parmi les fermiers qui
pourraient craindre de ne pouvoir vendre leur prochaine récolte. Cette année,
les céréales ont réussi partout, et cependant on en autorise la libre entrée
jusqu'au 1er juin comme on le fit en 1816 et 1817, alors que le grain avait
manqué complétement, car j'ai vu vendre le sac de seigle 30 fl., argent courant
de Hollande. Je crois donc, en ce qui me concerne, qu'il n'y a pas lieu
d'étendre la libre entrée et la prohibition de la sortie des céréales au-delà
du terme propose par le gouvernement. D'ailleurs, messieurs, d'ici à six
semaines nous revenons dans cette enceinte, et si, pendant la session
prochaine, on voyait l'utilité de prolonger le terme, nous le ferions.
Il faut prendre en considération que la partie de la population qui va le
plus souffrir du manque de pommes de terre, est celle qui habite les campagnes.
Elle va se trouver privée des moyens de faire quelque argent. Dans les Flambes,
les colzas ont manqué, les campagnards n'ont plus que les céréales pour faire
quelque argent et au lieu de les vendre, ils vont se trouver obligés de les
manger à défaut de pommes de terre. Les grands fermiers seuls pourront vendre
quelques grains. Quand l'argent manque dans la campagne, les habitants des
villes ne vont pas y porter leurs aumônes. Il semble que le projet du gouvernement
est suffisant, qu'on y prend tous les moyens nécessaires de faire attirer dans
le pays des denrées alimentaires en quantité suffisante et au meilleur marche
possible.
Jusqu'à présent la tranquillité n'a pas été troublée dans les campagnes ;
mais quand les approvisionnements qu'elles possèdent encore seront épuisés, si
on ne leur vient pas en aide, je ne sais comment elles pourront faire face aux
exigences de la mendicité, qui prendra un développement effrayant. Mais comme
l'argent ne manque pas dans le pays, on peut par des mesures sages éviter ce
danger. Ce serait, selon moi, de faire en sorte que chaque commune entretienne
ses pauvres ; comme on n'aura plus à craindre de voir les mendiants étrangers
venir absorber une partie des aumônes qui sont distribuent dans chaque commune,
et qui sont la propriété des pauvres de la commune, les secours leur
arriveront, et il leur sera possible, avec le subside qu'ils pourront obtenir
du gouvernement, de subvenir aux besoins des indigents de la commune.
Aujourd'hui le gouvernement ne peut disposer que d'une centaine de mille
francs ; quand il aura un ou deux millions à sa disposition, il pourra subsidier
les bureaux de bienfaisance de manière à empêcher la mendicité de se développer.
Mais j'aurais préféré que l'allocation demandée fût mise à la disposition du
ministre de la justice plutôt que du ministre de l'intérieur, le ministre de la
justice ayant dans ses attributions les bureaux de bienfaisance. Et je pense
que le meilleur usage qu'on fera du subside, c'est quand d sera mis à la
disposition des bureaux de bienfaisance.
De cette manière, on aura des moyens suffisants pour assurer la subsistance
des classes pauvres pendant l'hiver ; et la mendicité ne s'appesantira pas sur
les fermiers qui déjà souffrent de l'état actuel des choses. Je sais qu'il y a
des lois contre la mendicité ; mais au lieu de réprimer la mendicité, il faut
faire en sorte qu'elle ne soit pas une nécessité ; il faut faire en sorte que
tout le monde ait du travail et du pain. Pendant l'hiver, on peut, avec
avantage, faire les travaux qui sont en projet, soit par le gouvernement, soit
par les concessions, et tout ce qui est ouvrage de terrassement ; peut se faire
très-utilement pendant l'hiver. J'engage M. le ministre des travaux publics à
faire tout ce qui est en son pouvoir auprès des sociétés concessionnaires pour
les engager à commencer pendant l'hiver les travaux qui peuvent se faire dans
cette saison.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a des moyens suffisants dans la législation
pour arrêter la mendicité ; mais ce que le code pénal n'a pas prévu, c'est le
cas où la mendicité est une indispensable nécessité. La loi de vendémiaire an
II, qui est en quelque sorte le code de l'indigence, a commencé par indiquer
les moyens de secourir les indigents, le travail ; d'abord les grands travaux,
dont les ouvriers jeunes et de bonne constitution peuvent s'occuper, et ensuite
les travaux sédentaires.
Le gouvernement peut compter qu'il sera aidé par les particuliers, car il
y a beaucoup de zèle pour venir au secours de l'indigence. J'ai parcouru la Flandre,
j'ai vu que les vieillards étaient entretenus dans les maisons de charité pour
15 centimes par jour.
J'ai été témoin de cela dans la commune dont
l'honorable M. Rodenbach est bourgmestre ; on y loge, nourrit et soigne les
vieillards quand ils sont malades pour 15 centimes. Cette commune doit ce
charitable établissement à ces religieuses, qui font tant de bien dans tout le
pays, et qui se vouent avec tant de zèle à la classe indigente.
Si donc les communes veulent entretenir leurs pauvres, on peut être sûr de
passer l'hiver sans embarras. S'il n'en était pas ainsi, je ne sais ce qui adviendrait,
car dans une partie de la Flandre, dans le district d'Audenarde, il y a des
pauvres par milliers qui vont demander du pain. Les fermiers ne peuvent pas
continuer à leur donner l'aumône tous les jours. Mais si le gouvernement par
vient à faire en sorte qu'il n'y ait pas de mendicité étrangère, les subsides
qu'il pourra accorder, joints aux dons des particuliers et des communes, lui
permettront de pourvoir aux besoins des indigents.
M. Delfosse. - Messieurs, il y a six mois, l'abondance
régnait dans le pays. Le prix des denrées était modéré, le froment se vendait à
dix-huit francs, le seigle à onze. Les classes ouvrières pouvaient se procurer
du pain et des pommes de terre sans trop de difficulté, elles commençaient à
entrevoir une amélioration à leur sort, un terme à leurs souffrances.
Malheureusement un état de choses aussi satisfaisant, pour lequel nous aurions
dû tous adresser des actions de grâces à la Providence, était un sujet d'inquiétudes
pour quelques hommes, partisans aveugles des intérêts agricoles.
Ces hommes, dont je ne veux pas, dont je ne dois pas attaquer les intentions,
mais dont je déplore l'erreur, réclamaient avec instance des mesures législatives
dont l'effet immédiat devait être de faire hausser le prix du pain, et ils
parvinrent à les obtenir de la faiblesse du gouvernement, malgré les efforts
énergiques de l'opposition.
On vit alors un ministre, qui avait présenté un projet de loi dans l'intérêt
des consommateurs, déserter tout à coup leur cause et même se tourner contre
eux.
Mais plus tard, préoccupé de la hausse successive du prix des grains et des
craintes qui se manifestèrent bientôt pour la récolte, il crut prudent de ne
donner aucune suite aux mesures qu'il avait eu le tort d'approuver.
Ces craintes ne se sont que trop réalisées, et les circonstances dans lesquelles
nous nous trouvons sont d'une gravité telle que ceux-là même que nous
combattions il y a six mois sont obligés de se joindre à nous pour arrêter la
hausse et pour venir en aide aux classes ouvrières.
Le ministre qui est venu présenter le projet de loi que nous discutons, l'honorable
collègue qui s'est chargé du rapport, étaient au nombre de ceux qui voulaient
une protection plus forte pour l'agriculture, qui demandaient des droits
d'entrée, alors même que le prix du froment eût été a vingt-trois francs ! Je
les félicite de ce retour à de meilleurs sentiments, je les félicite d'avoir
accepté une mission que l'on peut qualifier d'expiatoire. L'événement est venu
leur donner une rude leçon. Espérons qu'elle portera ses fruits, espérons que
si un jour (et puisse-t-il ne pas être éloigné !) le ciel nous accorde encore
une récolte abondante, on ne fera plus d'efforts pour en neutraliser les
bienfaits.
Je voterai pour le projet de loi avec les modifications qui me paraîtront
utiles. J'adhère à la plupart des observations qui viennent d'être présentées
par l'honorable M. Osy. Je dois cependant repousser l'opinion qu'il a émise, en
ce qui concerne la prohibition a la sortie ; la prohibition à la sortie est
sans doute un mal dans les temps ordinaires, mais dans les circonstances (page 15) difficiles où le pays se
trouve, c'est une impérieuse nécessité. La responsabilité la plus grave
pèserait sur nous, nous aurions les regrets les plus amers si, après que nous
aurions laissé sortir les grains, il n'en restait plus assez pour nourrir nos
populations.
J'accorderai, sans la moindre hésitation, les
deux millions que le gouvernement nous demande. Je lui accorderais même une
somme plus forte s'il la demandait. Deux millions, c'est peu de chose pour
parer aux maux qui nous menacent, c'est tout au plus de quoi nourrir la
population pendant un demi-jour. Si le gouvernement ne demande pas davantage,
c'est probablement qu'il compte sur l'intervention des particuliers, dont
l'active bienfaisance ne manquera pas de seconder ses efforts.
Je n'ai pas besoin, je pense, de déclarer que mon vote ne doit pas être considéré
comme un acte d'adhésion à la formation du ministère, ni à sa politique, qui
n'est pas encore formulée, mais qui perce déjà à travers quelques actes. Nous
n'avons pas une bien grande confiance dans le ministère, je crois même que nous
n'en avons pas du tout. (On rit.)
Mais nous remet tous l'expose de nos griefs à des temps plus opportuns.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs,
l'honorable préopinant vient de vous dire que le ministre qui a été chargé de
proposer les mesures sur lesquelles vous délibérez en ce moment avait été aussi
le rapporteur du projet qu'une grande majorité de cette chambre avait adopté à
la dernière session. Sans doute, messieurs ; et je ne vois dans ces actes rien
de contradictoire, rien que l'on puisse qualifier d'une sorte de mission
expiatoire.
Que voulait, messieurs, la majorité qui a voté la loi des céréales à la fin
de la dernière session ? Elle voulait, avec une entière bonne foi, après avoir
bien étudié cette grande question, établir une juste part pour tous les intérêts
qui s'y trouvent engagés. Que prouve maintenant la position nouvelle que
prennent cette majorité et moi-même qui fus alors rapporteur de la loi, sinon
que nous voulons parer à des circonstances nouvelles, à des circonstances que
personne alors ne pouvait prévoir.
Raisonner des faits qui se produisent aujourd'hui en vue d'une législation
permanente, ce n'est pas raisonner. La législation, en matière de subsistances,
ne peut pas dominer les événements. Lorsque des circonstances, comme celles qui
existent aujourd'hui, se produisent, quel que soit le système normal de la
législation, il doit fléchir devant les faits.
C'est cette nécessité que tout le monde subit aujourd'hui ; lorsque les circonstances
normales seront revenues, nous pourrons sans doute reprendre dans son ensemble
cette question des céréales.
Nous pourrons voir alors, non pas en nous plaçant au point de vue exclusif
du commerce, par exemple, au point de vue exclusif de tel autre intérêt, mais
en nous plaçant au point de vue où la chambre doit se placer, où le
gouvernement doit se placer ; nous chercherons à établir une juste pondération
de tous les intérêts qui luttent, chacun dans son sens, pour obtenir que la
question soit résolue en leur faveur exclusive. C'est là, j'espère, ce que la
chambre ne fera jamais, c'est là aussi ce à quoi le gouvernement ne s'associera
jamais.
La plupart des observations que vous avez entendues, messieurs, se rattachent
aux dispositions spéciales de la loi ; je crois, par ce motif, pouvoir en
ajourner l'examen. Qu'il me soit permis, néanmoins, de faire remarquer combien
l'honorable M. Osy s'est mépris en qualifiant, au début de son discours, les
dispositions proposées comme devant être encore une fois, disait-il, favorables
aux propriétaires et non pas aux consommateurs. Eh ! messieurs, est-il rien de
plus contraire à la vérité des choses que cette manière d'envisager le projet
de loi ? N'est-ce pas exclusivement sa sollicitude pour les consommateurs, pour
les classes pauvres, qui a inspiré le gouvernement et qui a inspiré le vote de
vos sections, le vote de votre section centrale ?
Je suis vraiment étonné, messieurs, qu'en
qualifiant ainsi le projet, l'honorable membre combatte la disposition de ce
projet qui doit avoir la plus grande influence sur le sort des consommateurs.
Il combat, au nom des consommateurs, la prohibition à la sortie ! Mais si les
grains étaient libres à la sortie, il arriverait immédiatement, dans l'état
actuel de nos relations, que le prix des céréales, sur le marché belge, serait
au taux du marché le plus élevé de tous ceux qui nous environnent. On a importé
en Belgique une quantité considérable de grains, et, messieurs, dans la
supposition qu'en Angleterre, par exemple, il y ait un déficit considérable sur
la récolte, peut-être dans l'espace de 15 jours ou trois semaines, verriez-vous
enlever du pays non seulement toutes les qualités importées, mais une quantité
au moins égale de grains produits dans le pays. La prohibition de la sortie est
donc véritablement une mesure de sollicitude pour les consommateurs.
M. Rodenbach. - Messieurs,
j'ai demandé la parole lorsque l'honorable député de Liège a paru jeter un
blâme sur la conduite parlementaire des vingt et un. Je dirai, messieurs, que
j'ai été un des 21, el lorsque nous avons fait notre proposition, le froment se
vendait en Belgique à 15 ou 10 fr. par hectolitre. Je vous le demande,
messieurs : dans un pays où les impôts sont considérables, dans un pays
éminemment agricole, dans un pays où l'industrie agricole est la première de
toutes les industries, ne pouvions-nous pas à cette époque demander une
protection de 10, 12 ou 15 p. c. en faveur de cette industrie, mère de toutes
les autres, ne pouvions-nous pas faire une semblable demande, alors que toutes
les autres industries jouissent d'une protection de 25 à 30 p. c. ? Nous avons
donc fait cette proposition lorsque le grain était à vil prix, mais nous avons
été les premiers à modifier noire opinion lorsque nous avons vu le prix des
céréales s'élever par suite des intempéries de la saison. Aujourd'hui, messieurs,
il ne s'agit plus de 15 francs ; hier, au marché de Bruxelles le froment s'est
vendu de 24 à 25 francs par hectolitre, et le seigle de 18 à 10 francs.
J'appuierai donc, messieurs (et je suis convaincu que tous les membres qui ont
signé la proposition des 21 agiront de même), j'appuierai de grand cœur les
mesures qui tendent à ce que les malheureux ouvriers mangent le pain à bon marché,
car c'est là ce que nous avons toujours voulu.
Puisque j'ai la parole, je dirai mon opinion sur les articles dont a parlé
l'honorable député d'Anvers. Il a omis notamment l'idée qu'il faudrait autoriser
la libre importation du bétail. Je lui dirai qu'il est très probable que si le
bétail pouvait entrer sans droits, le prix de la viande ne baisserait pas ; la
cherté de la viande tient à d'autres causes qu'aux droits d'entrée sur le
bétail. Ces causes, messieurs, je tâcherai de les indiquer d'une manière très
laconique. Dans les villes (et c'est là que la viande est chère), dans les villes,
il y a d'abord les droits d'octroi à payer ; ensuite, pour abattre le bétail,
il faut se rendre dans un abattoir public, où il faut encore une fois acquitter
une rétribution au bénéfice de la ville. De plus, on force les bouchers à se
réunir dans des halles où ils doivent louer des étaux excessivement chers.
Voilà donc un triple impôt qui pèse sur la viande ; mais ce n'est pas tout,
lorsque les bouchers sont réunis dans un même lieu, ils s'entendent pour fixer
les prix, et il en résulte on véritable monopole.
Il n'est, messieurs, rien de plus détestable que le système des octrois.
II y a même une ville dans les Flandres, la ville de Gand, où la mouture existe.
(Réclamations.) La mouture existe a Gand,
c'est un fait. A Paris, messieurs, le pain se vend à dix centimes de moins par
kilog. qu'à Bruxelles : cela ne tient évidemment qu'aux droits d'octroi, et
c'est là une chose qu'il serait de toute nécessité de réviser, surtout dans les
circonstances malheureuses où nous nous trouvons, car le manque de la récolte
des pommes de terre est le plus grand malheur qui put arriver au pays : il en
résultera une perte de 50 à 60 millions. Je voudrais donc que pour cette année
au moins les octrois fussent entièrement supprimés en ce qui concerne tous les
objets nécessaires à la nourriture du peuple. Jusqu'à présent, cependant,
malgré la détresse publique je n'ai pas encore entendu qu'une seule ville se
soit occupée de la question de la réduction des droits d'octroi. C'est là un
point sur lequel j'appelle toute l'attention du gouvernement ; il y a là pour
lui un grand devoir à remplir.
Je pense, messieurs, que le projet de loi qui nous est soumis, sera très
utile à toutes les classes ; mais je dois reconnaître qu'on n'a pas fait assez pour
les classes ouvrières et pour les campagnes. Je me plais à croire que dans quelques
mois on fera beaucoup plus. A l'article 5 on demande seulement deux millions ;
je crois que cette somme est beaucoup trop faible en présence de la perte de 50
à 60 millions que le pays a subie, el alors que les bureaux de bienfaisance
sont déjà ruinés en grande partie par les dépenses qu'ils doivent faire pour
les dépôts de mendicité, la plus détestable de toutes nos instituions. Il est
indispensable de changer au plus tôt la législation qui régit les dépôts de
mendicité dans la Flandre occidentale (et l'honorable M. de Muelenaere,
gouverneur de cette province, pourra le déclarer) le système actuel des dépôts
de mendicité ruine toutes les communes ; les communes ne peuvent plus faire
face à leurs besoins. Il n'y a plus de ressources pour soutenir les pauvres qui
se rendent dans les dépôts de mendicité ; que fera-t-on ? Est-ce que le
gouvernement payera l'entretien des familles qui sont forcées de s'enfermer par
centaines dans les dépôts de mendicité ? J'ai la conviction intime que dans
quelques mois nous serons forcés de voter des sommes beaucoup plus
considérables que celles qui nous sont demandées maintenant. Aussi, dans ma
section, le chiffre avait été porté à 4 millions, et si cette proposition est
reproduite devant la chambre, je la voterai très volontiers dans l'intérêt des
classes pauvres, demandât-on même six millions. (Interruption.} J'ai la conviction intime qu'avant quatre ou cinq mois
d'ici nous aurons voté cette somme.
Je dis, messieurs, qu'il faut entrer
largement dans le système des subsides. Le gouvernement devra accorder
plusieurs millions et les communes surveiller l’usage qui sera fait de ces
subsides par les bureaux de bienfaisance. Alors on pourra venu efficacement au
secours des ouvriers, surtout dans les campagnes, où les ouvriers des fermes
n'ont que 60 centimes par jour pour entretenir souvent leur femme et quatre ou
cinq enfants. Dans les temps ordinaires, ces malheureux nourrissent toute leur
famille avec des pommes de terre qu'ils se procurent pour quelques centimes,
mais maintenant cette ressource n'existe plus ; les 15 ou 16 millions de sacs
de pommes de terre que le pays consomme annuellement, n'existent plus. Il
faudra donc remplacer les pommes de terre par du pain, et, je le demande, que
fera-t-on avec 60 centimes par jour pour procurer du pain à toute une famille ?
Je dis, messieurs, que le pays est frappé de la plus grande détresse, et je
fais des vœux pour que le gouvernement cherche, par tous les moyens en son
pouvoir, à y porter remède.
J'attendrai la suite de la discussion pour présenter d'autres observations,
si je le trouve nécessaire.
M. Eloy de Burdinne. - Je ne comptais pas, messieurs, prendre la parole dans cette discussion
; je crois que la question à l'ordre du jour exige une prompte solution, parce
que les besoins des classes ouvrières réclament toute notre sollicitude, el
qu’il faut voter au plus tôt les mesures qui peuvent assurer leurs moyens de
subsistance. Je crois donc, messieurs, que les reproches adressés aux auteurs
du projet de loi sur les céréales sont intempestifs ; il ne s'agit pas en ce
moment d'une loi protectrice de l'agriculture ; il s'agit d'une loi en faveur
des consommateurs, et cette loi je l'appuie de toutes mes forces, je l'ai même
provoquée depuis un mois environ par une lettre adressée à M. le ministre de 1
intérieur. (M. le ministre de l'intérieur
fait un signe affirmatif.) J'ai même prié un honorable membre de se joindre
à moi pour réclamer du gouvernement la défense immédiate, el par arrêté, de la
sortie des grains. Je sais que cela ne plaira pas au commerce ; le commerce
doit gagner de l'argent ; il le prend où il le trouve ; c'est son métier. Je me
suis présenté chez M. le ministre de l'intérieur, à qui j'ai demandé (page 16) qu'immédiatement il frappât de
prohibition la sortie des grains ; je lui ai dit : « Prenez des dispositions
sous votre responsabilité ; la chambre en masse y applaudira. »
Croyez-moi, l'intention des signataires de la proposition qu'on a même qualifiée
de loi de famine n'était nullement une loi de famine ; mais bien une loi
protectrice d'une industrie qui a autant de droits que d'autres à la protection
du gouvernement.
Mais qu'on ne perde pas de vue que notre proposition était autant dans l'intérêt
du consommateur que du producteur. Peut-être, j'en conviens, n'était-elle pas à
l'avantage du commerce et de la navigation, à l'avantage de ceux qui spéculent
sur la misère publique. (Réclamations.)
Oui, messieurs, quand les grains ont-ils augmenté ? Quand ils étaient
emmagasinés chez les spéculateurs, alors que le cultivateur avait vendu ses
produits. Tant que les cultivateurs avaient à vendre, ils n'ont pas augmenté.
Je citerai un fait qui est arrivé à Namur.
Au marché de cette ville, le grain ne valait pas 20 fr. Qu'es !-il
arrivé ? | Trois compères se sont entendus : l'un a acheté à 18 fr. ; il a
revendu à 19 fr. à un autre, qui lui-même a revendu à 20 fr. à un troisième
compère. C'est ainsi qu'on est arrivé au prix moyen de 20 fr., et par suite à
la libre entrée.
Qui profite de cette hausse ? Le commerce et non l'agriculture.
Au surplus j'ai hâte de voir voter cette loi ; je ne m'étendrai pas davantage,
afin de n'en pas retarder l'adoption.
Je me bornerai à ajouter un autre fait à l'appui de ce que je viens de dire.
En 1817, le peuple avait besoin de
dispositions propres à faire baisser le prix des grains. On avait répandu le
bruit qu'il y avait des cultivateurs qui gardaient leurs grains, au lieu de les
envoyer au marché. Le gouvernement a nommé une commission qui a parcouru les
campagnes pour s'assurer du fait ; elle a reconnu qu'il était controuvé ; mais
elle a constaté qu'il y avait des spéculateurs qui avaient des greniers remplis
de grains et qui n'envoyaient rien au marché. Le gouvernement leur déclara
qu'il ne répondait de rien s'ils n'envoyaient pas leurs grains au marché ; ils
les y envoyèrent et immédiatement il y eut une baisse de 2 fr. C'était en juin
1818.
En France, il y a une loi qui entrave la spéculation, et le pain est à meilleur
marché qu'en Belgique. C'eût été l'effet de la proposition que nous avions
présentée.
M. Lys. - Peu de mois se sont
écoulés depuis le moment où le malencontreux projet du sénat, appuyé par le
gouvernement, vous était présenté, et déjà la famine frappe aux portes de la Belgique.
Le gouvernement se trouve réduit à chercher, dans des mesures extraordinaires,
les moyens de l'éviter.
A entendre le ministre de l'intérieur, au 5 mai dernier, il fallait prendre
des précautions pour éviter les hausses factices, et grâce à la sagesse du Roi,
qui n'a pas sanctionne ce projet de loi, déjà 55 millions de kilogrammes de
grains étrangers sont entrés dans le pays, et ont pu parer à la misère
publique, qui eût été déjà bien grande, si cette quantité n'avait pu entrer
libre de droit.
Ce n'étaient point des précautions qu'il fallait prendre pour empêcher l'entrée
des céréales, après un hiver aussi long et aussi dur, c'étaient des moyens de
la favoriser.
Ce que je viens de vous dire, messieurs, vous démontre que j'approuve les
mesures prises par le gouvernement, ainsi que les propositions qu'il vient vous
présenter aujourd'hui. Je regrette même qu'elles ne soient pas plus étendues.
La législature doit approuver des mesures urgentes, pour diminuer les tristes
résultats de la calamité dont nous sommes menacés ; vu notre situation, je
n'hésite pas à lui accorder le crédit qu'il demande ; ce n'est pas là un vote
de confiance, c'est un vote de nécessité.
La récolte des pommes de terre, pour ainsi dire entièrement manquée, nécessite
des mesures. Il faut éviter que cette disette continue pendant les années
suivantes, et, pour éviter un pareil fléau, le gouvernement doit nécessairement
fournir au pays les pommes de terre dont le pays aura besoin pour la plantation
de ce tubercule en 1846.
La libre concurrence du commerce ne suffit point. Le commerce achètera ce
qui peut lui donner un plus gros bénéfice, ce qui peut se revendre à bon marche.
Pour les plantations, le gouvernement seul peut procurer les qualités qui
conviennent le mieux à la nature de nos terres, les qualités qui peuvent le mieux
remplacer celles que nous avons perdues ; car, remarquez-le bien, messieurs,
arrivés au mois d'avril, peu ou point de pommes de terre seront conservées ;
vous ne pouvez même planter de la récolte de l'année, de crainte de perpétuer
le mal existant. D'ailleurs, la pomme de terre sera à un prix très élevé au
moment de la plantation. Il est dès lors de toute nécessité que le gouvernement
vienne au secours de nos malheureux cultivateurs.
Il faut pour cela les pourvoir des plantes qui leur seront nécessaires. L'Etat
doit prendre à charge de les leur procurer à bon marché. S'il en était autrement,
le mal actuel sévirait plus fortement en 1840 et 1847. La plantation des pommes
de terre diminuerait, et, par suite, le produit. Si un cultivateur devait
acheter des pommes de terre à un prix élevé, à 20 fr., par exemple, les 100 livres, il en résulterait
que la plantation d'un hectare pour les plantes seules, sans parler des engrais
et du labour, coûterait 180 francs ; car, pour planter un hectare de pommes de
terre, il en faut 900 livres. Quel serait le cultivateur qui pourrait faire une
pareille avance, sans savoir même si la qualité qu'il planterait serait propre
au terrain ou du goût des consommateurs ?
La plante doit être d'un dixième du produit. Supposant le produit à 20 millions
d'hectolitres, il faut deux millions d'hectolitres pour la plantation, quantité
bien considérable, et pour se la procurer, le gouvernement ne doit pas perdre
an seul moment.
Je suis aussi de l'avis de ceux qui voulaient continuer la libre entrée jusqu'au
1er septembre, et, en effet, tom le monde sait que la cherté des céréales se
fait souvent sentir aux mois de juin, juillet, août, parce que les cultivateurs
travaillent alors à la campagne et ne fréquentent pas les marchés.
Les grains du pays seront versés sur nos marchés pendant les mois d'hiver,
comme cela se fait ordinairement, pendant le temps où l'hiver empêche les
arrivages du Nord ; il n'y aura plus de grains dans le pays au mois de juin, et
c'est en ce moment que le grain étranger nous sera indispensable ; car alors,
je le répète, il n'existera plus de grains du pays ; on ne peut donc craindre
la concurrence des céréales étrangères, et une preuve qu'elles ne sont pas à
redouter, c'est qu'en ce moment, où vous avez tout le grain d'une récolte que
vous dites avoir été une bonne récolte ordinaire, il est entré dans le pays la
quantité considérable de 55 millions de kilogrammes, et, malgré cela, les prix
se sont élevés au taux considérable auquel ils sont aujourd'hui ; que deviendront
donc les populations au mois de juin et de juillet, si vous n'admettez plus de
grain étranger, alors que vous n'aurez plus de grains du pays ?.Mais,
direz-vous, le prix étant élevé, la libre entrée sera permise légalement ; mais
je vous répondrai : Ce n'est pas en un ou deux mois qu'on fait des commandes à
l'étranger et qu'on reçoit la marchandise ; vous aurez alors la famine et aucun
moyen d'y remédier ; vous aurez une belle récolte croissante, mais rien dans
les granges et dans les magasins ; en un mot, la famine au milieu de
l'abondance, mais abondance en expectative.
Je crois, messieurs, que j'ai démontré que l'entrée des grains étrangers
j devrait dès à présent être déclarée libre jusqu'au 1er septembre 1846.
D'après les discussions en sections et le rapport de la section centrale,
je ne présenterai point d'amendement, parce que je n'aurai point l'appui du
gouvernement ; je lui en laisse toute la responsabilité. J'appuierai néanmoins
toute proposition qui serait faite.
Je lui laisse pareille responsabilité pour ne pas comprendre dans la libre
entrée les farines.
Nous verrons donc le vermicelle, le macaroni et la semoule, que l'on ne voit
que sur la table du riche, libre d'entrée, et la farine, utile à tous, sera
repoussée.
Je vous avoue que je ne puis me faire raison d'une pareille disposition ;
vous ne refusez pas seulement la libre entrée des farines, mais vous en accordez
encore la libre sortie.
Vous avez peur de la disette, et vous refusez l'entrée libre de la farine,
vous avez peur de la disette, et tout en laissant exister des droits d'entrée
sur la farine, vous la laissez librement sortir.
Le rapport se borne à nous entretenir de la proposition de la première section
de permettre au gouvernement de réduire et même de supprimer les droits à
l'entrée du bétail ; de la proposition de la quatrième section de permettre la
libre entrée du bétail, et de la sixième, qui appelle sur ce point, l'examen de
la section centrale.
Le rapporteur rectifie aujourd'hui ce qu'il a dit dans son rapport, concernant
la première section et l'attribue à la seconde ; il reste dès lors établi que
la question posée dans la première section, relative aux viandes salées et
ajournées par la majorité, n'a pas trouvé place dans ce rapport ; c'est là un
oubli qui ne peut pas être reproché au rapporteur de la section.
La première section n'a pas seulement examiné ce qui concernait la libre
entrée du bétail ; deux membres y ont proposé la libre entrée des viandes salées.
L'on sait, messieurs, que le porc salé est la seule viande à l'usage du peuple,
et la nourriture ordinaire du petit contribuable.
L'on sait que les petits cultivateurs, les petits ménages à la campagne,
qui nourrissaient et engraissaient un porc, ne pourront y pourvoir pendant cette
année.
On sait que les cultivateurs en général diminueront considérablement la quantité
de bestiaux à l'engrais.
Il en résultera que le prix de la viande salée augmentera considérablement,
et vous ne faites rien pour éviter cette hausse !
Vous faites même tout le contraire ; car, pendant que vous condamnez l'habitant
de la Belgique à ne manger que de la viande produite sur son sol, en ;
n'accordant pas la libre entrée, soit des bestiaux, soit au moins des viandes salées,
vous faites la même anomalie que pour le macaroni et la farine ; vous laissez
la libre sortie des bestiaux et des viandes salées et vous en prohibez l'entrée.
C'est encore là une conduite que je ne pourrais expliquer ; je ne présenterai
pas d'amendement, parce que je manquerais de l'appui du gouvernement ; je lui
en laisse toute la responsabilité.
Je répondrai, messieurs, à une observation faite par l'honorable M. Desmet
; les céréales, dit-il, ne manquent nulle part, il est inutile d'accorder un
terme plus long pour la libre entrée.
J'ai déjà démontré que le prix actuel des céréales ne justifie point l'avancé
de l'honorable membre, et, en effet, messieurs, malgré l'introduction de 55
millions de kilog. en blé étranger, le prix n'a cessé d'augmenter de jour en
jour.
J'ai démontré précédemment, et je ne veux pas vous fatiguer par des répétitions,
que les grains du pays seront absorbes au 1er juin, que vous auriez la famine
si vous n'aviez pas alors des grains étrangers.
L'honorable M. Rodenbach a parlé aussi de la suppression des droits des villes
sur les denrées ; mais comment voudrait-on aujourd'hui supprimer ces droits,
dans un moment où les villes auront de si grands besoins, quand, dans des temps
ordinaires, elles ont tant de peine à faire face à leurs (page 17) dépenses ? Laissez donc aux villes leurs ressources. Je
sais d'avance que la ville et le district que j'ai l'honneur de représenter,
sont disposés à faire les dépenses nécessaires pour venir au secours de la
classe ouvrière, si nombreuse dans cet arrondissement, et pour laquelle des
secours seront si nécessaires, déjà plusieurs particuliers de Verviers se sont
associés pour procurer du riz aux ouvriers, au prix coûtant ; leur exemple
sera, sans doute, suivi par les personnes fortunées de ce district, et je m'en
porte volontiers le garant.
L'honorable M. Eloy de Burdinne vient vous
dire que les grains n'ont haussé que par l'intervention du spéculateur, du négociant
; mais deux mots suffiront pour démontrer le contraire. C'est au commerce que nous
devons l'entrée des grains étrangers, car il a fallu les chercher, puisqu'il
n'en existait que peu ou point dans les entrepôts, que la hausse a continué
malgré l'entrée libre ; il faut donc attribuer à toute autre cause le renchérissement
des céréales.
M. Verhaegen. - Messieurs, je viens appuyer les
observations qui vous ont été soumises par mon honorable ami M. Delfosse, et
répondre quelques mots aux discours de MM. Malou, Desmet et Rodenbach.
Devant une calamité publique, imminente, je suis le premier à le proclamer,
il ne doit pas y avoir de partis ; amis et ennemis du gouvernement doivent se
donner la main, s'éclairer mutuellement et marcher tous dans la même voie ;
mais aussi il faut que ceux qui ont été dans l’erreur aient la bonne foi et la
franchise de venir le dira tout haut ; il faut qu'ils viennent promettre au
pays de ne plus récidiver.
Si, depuis six mois, au lieu de jeter les entraves et les incertitudes au
milieu des opérations commerciales, on leur eût laissé leur libre cours, nous
ne serions pas réduits en ce moment à prendre des mesures extrêmes. (Murmures.) Nous laissons à ceux qui murmurent
la responsabilité de leurs actes.
Messieurs, lorsqu'on a commis une erreur, il faut avoir le courage de la
reconnaître ; car l'aveu d'une erreur peut seul nous ramener dans la bonne voie
et éviter que les mêmes causes ne reproduisent les mêmes effets ; je suis d'autant
plus autorisé à m'en expliquer ainsi qu'il n'y a qu'un instant M. le ministre
des finances nous disait que la loi sur les céréales et même le projet des 21
n'avaient été présentes à la législature que dans des circonstances normales,
ce qui veut dire que si les mêmes circonstances venaient à se représenter un
jour, les 21 seraient autorisés à représenter leur œuvre. Or, c'est ce qu'il
nous importe de combattre, c'est sur ce point qu'il est essentiel de
tranquilliser les populations.
Quoi ! les circonstances étaient normales !... Quoi ! si les mêmes circonstances
venaient à se représenter, la proposition primitive sur les céréales pourrait
être reprise ! Je demanderai donc au gouvernement si la loi qui a été votée
n'est pas définitivement abandonnée ; car, jusqu'à présent, il n'y a pas eu de
veto formel.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Vous vous trompez,
lisez le rapport qui précède l'arrêté royal.
M. Verhaegen. - Il y a dans ce rapport une insinuation,
mais rien de plus ; constitutionnellement parlant il n'y a pas eu de refus de
sanction. (Bruit.)
Lorsque j'entends un ministre du Roi nous dire que la loi dont il s'agit
a été présentée dans des « circonstances normales, » ce que je traduis
par ces mots que, si les mêmes circonstances venaient à se reproduire, on
verrait surgir les mêmes propositions, j'ai le droit de lui demander si définitivement
le pouvoir exécutif refuse oui ou non sa sanction à la loi qui a été votée par
les deux chambres.
Quoi ! les circonstances étaient normales !... Quoi ! l'honorable M. Rodenbach
est venu nous dire que lorsque le projet des 21 s'est fait jour les grains
étaient à vil prix, et un autre honorable collègue a été jusqu'à affirmer
qu'une aggravation de droits ne pouvait exercer aucune influence sur le prix
des céréales ; que le pain serait toujours à aussi bon compte sous l'empire
d'un tarif élevé qu'en absence de tout droit ! ! Je n'ai pas le courage de
qualifier une pareille affirmation.
Les circonstances étaient normales ; les grains étaient à vil prix au moment
de la présentation des projets ! !... Mais l'honorable M. le ministre des
finances, dans le rapport qui précède l'arrêté royal du 5 septembre, a donné un
démenti formel à cette assertion.
Les grains étaient à vil prix... ; mais ne se rappelle-t-on pas que dans
le cours de la discussion mémorable sur la loi des céréales, discussion à
laquelle l'opposition a pris une grande et noble part, le prédécesseur de M. le
ministre de l'intérieur est venu déclarer à la chambre que la loi proposée
était indispensable et urgente parce qu'il entrait, tous les jours, des
quantités considérables de grains, que bientôt le prix aurait atteint le
maximum de 20 francs, et qu'alors il y aurait eu libre entrés ? Cette déclaration
est consignée dans le Moniteur, et aujourd'hui l'on viendra prétendre que les circonstances
étaient normales....
M. Rodenbach. - Vous
confondez les deux projets de loi.
M. Verhaegen. - Je ne confonds rien du tout ; je prie
l'honorable M. Rodenbach de ne pas m'interrompre ; il me répondra s'il le juge
à propos. Du reste, je ne confonds pas les deux projets, mais je confonds
peut-être les auteurs des deux projets.
Messieurs, je vous disais que le rapport de M. Malou qui précède l'arrêté
royal du 5 septembre donne un démenti aux assertions de M. le ministre des
finances. En effet, il résulte, à la dernière évidence, de ce rapport que les
circonstances, au moment de la présentation du projet de loi sur les céréales
étaient les mêmes ou à peu près les mêmes qu'aujourd'hui.
On lit dans cette pièce, curieuse sous plus d'un rapport, « qu'à la
suite d'un hiver rigoureux et prolongé, on ne pouvait pas compter sur une bonne
récolte. » Et cependant c'est à la suite de ce même hiver et sous l'empire de la
prévision d'une mauvaise récolte, qu'on a présenté et voté la loi qui devait avoir
pour résultat le renchérissement du prix des céréales et la restriction à l'entrée.
M. le ministre des finances ajoute ensuite que depuis le 1er janvier 1845,
plus de 44 millions de kilogrammes de froment ont été déclarés en consommation.
Cela prouve encore une fois jusqu'à quel point la majorité et le ministère
étaient de bonne foi quand ils soutenaient que le pays avait assez d'approvisionnements
pour sa consommation.
M. le ministre des finances dit enfin dans son rapport que, pour prévenir
le renchérissement des denrées, on a proposé de rendre, immédiatement libres à
l'entrée certaines denrées alimentaires. Ne résulte-t-il pas de là que les
droits à l'entrée exercent une influence sur le prix des denrées alimentaires ?
Et cependant, l'honorable M. Eloy de Burdinne a soutenu et ose encore soutenir
aujourd'hui qu'un tarif même élevé est parfaitement indiffèrent.
Lorsque les 21 ont fait leur proposition, il entrait donc dans leur intention
d'augmenter le prix des céréales, des denrées alimentaires, et par suite
d'amener le renchérissement du pain, comme l'a dit l'honorable M. Delfosse.
Mieux aurait valu, car enfin errare
humanum est, mieux aurait valu que les 21 fussent venus humblement et franchement
avouer leur erreur ; car en errant on peut être de bonne foi ; aussi je ne veux
récriminer contre j personne : laissant de côté toute question politique, je me
borne à faire un appel à mes adversaires comme à mes amis politiques, pour les
engager à réparer le mal fait, et à venir, par des mesures efficaces, au
secours des classes nécessiteuses.
Des
membres. - Oui : c'est ce que nous
ferons.
M. Verhaegen. - Mais en disant que vous voterez des mesures
efficaces, vous ne feriez pas mal de convenir que vous avez très mal fait en
proposant et faisant adopter un projet de loi qui va directement contre le but
que vous voulez atteindre aujourd'hui.
Messieurs, tout ce qui s'est passé à la fin de la dernière session a exercé
une influence fâcheuse sur le prix des céréales, et le gouvernement devait
prévoir cette influence ; le tableau comparatif des prix des denrées au commencement
de cette année (au cœur de l'hiver) et à l'époque où nous nous trouvons (à la
fin de l'été), alors que les approvisionnements sont les plus considérables,
démontre que le prix des grains a augmenté, en huit mois, de 18 à 22 p. c.,
celui du pain des diverses qualités, de 38 p. c. (taxe de janvier el septembre
1845), celui du riz, de 100 p. c. et au-delà, et celui des pommes de terre, de
3 à 400 p. c. Les autres denrées ont subi ou subiront sans aucun doute une
proportion analogue. Et que sera-ce en hiver, alors que les légumes, les œufs,
et d'autres substances alimentaires que l'ouvrier peut encore se procurer
aujourd’hui viendront à lui faire défaut ou dépasseront de beaucoup la mesure
de ses moyens, alors que le froid ou le manque d'ouvrage viendront ajouter à sa
détresse ?
Disons donc franchement qu'il y a eu des erreurs, qu'il y a eu des torts
de la part de la majorité et qu'il faut nous entendre pour les réparer.
Messieurs, comme mon honorable ami M. Delfosse, je voterai les diverses dispositions
du projet de loi, et en outre je donnerai les mains à toutes les améliorations
qui, par forme d'amendement, pourraient vous être présentées ; je voterai la
libre entrée des denrées alimentaires spécifiées dans le projet. J'avais
demandé, dans un section, qu'il y fût ajouté certaines substances qui ne
figurent pas dans le projet du gouvernement ; si des articles additionnels ne
sont pas présentés dans ce sens sur l’un ou l'autre banc, j'aurai l'occasion de
les présenter moi-même lorsque nous serons arrivés à la discussion des détails.
J'ai fait, en ce qui concerne le bétail, une proposition qu'on a désiré
voir ajourner à la session prochaine ; je reproduirai également cette
proposition qui me paraît avoir des chances d'être accueillie, du moins
partiellement, d'après les discours que je viens d'entendre ; car, soit dit
ouvertement, le grand principe qui me dirige, quant au projet de loi actuel,
c'est celui de faciliter, par tous les moyens qui sont en notre pouvoir,
l'arrivée de toutes les substances alimentaires quelconques.
Quant à la prohibition à la sortie, je partage encore l'avis de mon honorable
ami M. Delfosse, et je regrette de ne pas pouvoir m'associer à l'opinion de mon
honorable ami M. Osy.
Sans doute, il est un principe d'économie commerciale que les importations
doivent être en rapport avec les exportations, mais ce principe ne reçoit
application que dans les temps ordinaires et non dans les temps calamiteux,
dans les temps de détresse tels que ceux pour lesquels nous allons disposer ;
d'un autre côté, la production est toujours en rapport avec la consommation,
c'est la une autre vérité qu'on ne doit pas non plus perdre de vue, et qui est
de nature à exercer une grande influence.
Le gouvernement nous propose une allocation de 2 millions que je voterai
sous sa responsabilité, comme j'aurais voté une somme beaucoup plus considérable
; car je ne recule jamais quand il s'agit d'assurer la subsistance du peuple ;
mais que le gouvernement comprenne bien cette responsabilité, et surtout que,
dans des jours difficiles, il ne vienne pas la répudier.
Il est d'autres points dont je ne m'occuperai pas dans la discussion générale,
et que je réserve pour la discussion des articles.
Je voterai donc toute mesure qui tendra à faciliter l'entrée des substances
alimentaires el à empêcher la sortie de celles que nous avons sous la main ;
car il est bon de commencer par garder ce qu'on a.
Les entrepôts d'Angleterre, d'après les statistiques que nous connaissons,
ne renfermant pas assez de céréales pour la consommation de l'Angleterre elle-même,
et les entrepôts d'Amérique ne nous viendront pas non plus suffisamment en aide
; d'ailleurs, la concurrence qui pourra s'établir entre les divers pays, doit
nous inspirer des craintes sérieuses, et la responsabilité ; du maintien de la
sortie deviendrait énorme en pareille occurrence/
Encore une fois, c'est par ces motifs que j'appuie la proposition du gouvernement
(page 18) et toute autre mesure qui
pourrait tendre à rendre noire position meilleure encore.
Je dirai, comme mon honorable ami M.
Delfosse, qu'en appuyant les propositions du gouvernement et en lui accordant
la somme qu'il demande, je n'entends pas du tout lui donner une preuve de
confiance.
Comme M. Delfosse, je n'ai aucune confiance dans le ministère, et je me réserve,
lors de la session ordinaire, de dire à son égard toute ma pensée. Le moment
n'est pas favorable pour une discussion politique. L'opposition, en se bornant
à faire ses réserves, aura donné une preuve nouvelle de sa sollicitude pour la
chose publique et surtout pour le bien-être des classes nécessiteuses
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs, si je
suivais l'honorable préopinant dans toutes les observations qu'il vient de vous
présenter, je rouvrirais toute la discussion de la loi des céréales qui, à
plusieurs reprises et récemment encore, a occupé la chambre pendant plusieurs
jours. Quel serait le résultat de cette discussion, quel serait le bien qu'elle
pourrait produire pour le pays ? Y aurait-il un vote à la suite de ce débat ?
Nous ouvririons une discussion sans cause et sans effet.
Il faut, dit-on, avoir le courage d'avouer ses erreurs. Oui, sans doute ;
Mais il faut qu'il y ait des erreurs. C'est ce qui n'est pas.
En effet, prétendre que les principes généraux doivent être maintenus dans
toute espèce de circonstances, ce n'est pas tenir compte des faits, entrer dans
la vie réelle, mais se maintenir dans des abstractions. L'erreur devrait être
démontrée par l'honorable membre ; et pour cela il devrait recommencer toute la
discussion qui a eu lieu à la dernière session, rechercher quel est le système
qui convient au pays en matière de céréales. Cette question se reproduira
naturellement après que le pays sera rentré dans les circonstances normales
dont nous sommes sortis maintenant ; on verra quelle part il faut faire à
l'agriculture et au commerce, quels sont les intérêts dominants, quels sont les
moyens de concilier des intérêts en apparence contraires. Je crois qu'il est
impossible d'agiter cette question en ce moment avec quelque utilité. Il n'y a,
du reste, nulle contradiction à avoir établi dans la dernière discussion
certains principes et à en suspendre l'application aujourd'hui en présence de
faits que personne ne pouvait prévoir.
Et qu'on ne se méprenne pas sur la portée de ces paroles. Je dis que dans
d'autres circonstances, par la force même des choses, la question se reproduira
dans son ensemble et tous les intérêts en cause seront examinés, mais nous ne
pouvons le faire à l'occasion de la loi qui nous occupe. L'honorable membre a
dit que la loi votée l'année dernière restait comme un épouvantail ; cette loi,
messieurs, ne sera pas sanctionnée. Je m'étonne que l'honorable membre ait pu
en douter encore après avoir lu le rapport au Roi du 3 septembre ; voici ce qu'il
porte :
« Si Votre Majesté daignait approuver les arrêtés que nous avons l'honneur
de lui soumettre, il résulterait dès à présent de cette décision que les
modifications à la loi des céréales votées sous l'empire d'autres circonstances
ne seront pas revêtues de la sanction royale. »
Cette décision, dont il devait résulter que la loi ne sera pas
sanctionnée, a été prise.
Je crois, messieurs, qu'il est impossible de
rien trouver de plus explicite. Qu'il me soit permis, sans entrer dans la
discussion des articles, de faire une observation générale sur les nécessités
des circonstances actuelles. Les récoltes de beaucoup de produits ont assez
bien réussi ; la récolte des pommes de terre a manqué complétement dans
certaines contrées, et en grande partie dans d'autres. Quel doit être le but
des efforts du gouvernement et des chambres ? C'est d'avoir des denrées qui
remplacent la pomme de terre, de donner aux populations des moyens d'acquérir
ces denrées, de tacher de les maintenir à un taux modéré. Ici il ne faut pas se
faire illusion ; au point de vue de l'ensemble des intérêts du pays, il ne faut
pas chercher à faire en sorte que tous les produits soient au plus bas prix
possible ; ce serait substituer un malheur à un autre ; ce qu'on doit faire,
c'est que, par les mesures votées par les chambres, les actes du gouvernement
et les efforts patriotiques de tous les particuliers, on puisse avoir des
subsistances qui remplacent les pommes de terre en les maintenant à un prix
modéré ni trop haut ni trop bas ; si on faisait descendre actuellement toutes
les subsistances a un prix qui ne fût nullement rémunérateur pour
l’agriculture, on détruirait pour bien des années la principale richesse du
pays.
M. Castiau. - Je conçois,
messieurs, l'insistance de M. le ministre des finances. Il veut repousser
toutes les allusions aux opinions qu'il a exprimées dans cette enceinte sur la
question des céréales et la question des subsistances. Je le comprends ; il y a
là d'importuns souvenirs pour lui, el c'est avec raison qu'on lui a adressé à
satiété des reproches sur ses inconséquences et ses contradictions.
Qui, plus que M. le ministre, s'est montré hostile à toutes les mesures qui
avaient pour effet d'amener l'abaissement du prix des subsistances ? N'a-t-il pas
poussé la susceptibilité jusqu'à faire une guerre à outrance à son prédécesseur
pour un inoffensif arrêté qui autorisait, non pas l'introduction, mais le
transit du bétail, à son simple passage à travers le pays ?
Quant aux doctrines de M. le ministre relatives aux taxes sur les céréales,
vous les connaissez, messieurs ; elles se sont produites à diverses reprises
dans cette enceinte et surtout à cette époque dont le souvenir lui paraît
aujourd’hui si importun. Ses doctrines, c'est que la législation actuelle sur
les céréales est insuffisante ; c'est qu'il y a lieu d'en renforcer les
dispositions par des aggravations de droit, et ce sont ces déplorables
doctrines qu'il était parvenu à faire triompher, il y a quelques mois, dans
cette enceinte ! Aujourd'hui il est oblige de reculer devant son œuvre et
d'abroger, comme ministre, des mesures qu'il avait fait adopter comme rapporteur.
Et quelle justification nous présente-t-il ? C'est qu'il faut tenir compte
des faits ; c'est que les circonstances ont changé.
Oui, les circonstances sont devenues plus urgentes ; mais certes elles étaient
assez graves à l'époque où M. le ministre voulait des augmentations aux tarifs
sur les céréales. La hausse déjà s'était prononcée ; le grain était arrivé de
16 à 18 fr. Des hausses nouvelles étaient annoncées ; on craignait que le prix
régulateur n'arrivât à 20 fr., et les partisans des lois sur les céréales le
craignaient tellement, que c'était là leur principal argument pour presser
l'adoption des aggravations qu'ils avaient proposées. C'est ce moment d'alarme
et d'anxiété que M. le rapporteur avait choisi pour faire triompher ses
doctrines sur la législation des céréales !
Et quel était alors le prix normal des céréales pour M. le ministre ? C'était
23, 24 fr. même, si je ne me trompe ; car il venait nous demander d'imposer des
droits sur les céréales, même quand elles arrivaient au taux exorbitant de 23
fr. Aujourd'hui le prix moyen n'est que de 22 fr., et cependant M. le ministre se hâte d'abandonner ses
vieilles doctrines de prohibition pour proclamer le principe le plus hostile à
ses convictions : la libre entrée des céréales. Est-ce donc à tort qu'on lui
reproche aujourd'hui ses inconséquences et ses contradictions ? je le demande.
Ces inconséquences et ces contradictions, je me serais bien gardé de les
lui rappeler ; je les lui aurais même pardonnées de bon cœur si, éclairé par les
événements, M. le ministre avait définitivement abandonné ses premières doctrines
sur les aggravations à la législation des céréales. Mais il persiste ; pour lui
ce n'est qu'un ajournement. Il est impatient de voir reparaître des circonstances
qui lui permissent de satisfaire ses idées prohibitionnistes. II vous l'a dit
en termes passablement clairs. Puisqu'il en est ainsi, nous devons nous élever
de toutes nos forces contre ces désastreuses tendances et nous empresser de les
étouffer.
J'irai plus loin même : maintenant que M. le rapporteur est devenu ministre,
il se présente ici comme l'organe du gouvernement ; ses opinions personnelles
prennent un nouveau caractère de gravité. Nous avons intérêt à savoir dès à
présent si l'opinion de M. le ministre des finances est partagée par tous ses
collègues et surtout par l'honorable ministre de l'intérieur.
Qu'il me soit donc permis de lui adresser une interpellation directe et formelle
sur ce point. Qu'il me permette de lui demander quelle est son opinion sur la
question des taxes sur les céréales, puisque M. le ministre des finances nous
annonce qu’il reprendra cette grande question des céréales et qu'il la reprendra
avec ses idées d’aggravation. Quelle sera alors l'attitude de l'honorable M.
Van de Weyer ?
En un mot, quelle est son opinion, quel est son programme sur la question
des céréales ? Qu'en pense-t-il lui qui, pendant quinze ans, a vu fonctionner
les lois admises en Angleterre où elles ont produit en partie toutes les
misères du paupérisme qui agitent ce pays et menacent sa sécurité. Aurait-il le
triste courage de déserter sur ce point les idées libérales et d'importer ici
des mesures qui menacent le plus fortement la paix publique en Angleterre ?
Sa réponse nous permettra d'apprécier ses doctrines et ses tendances sur
un problème plus important que toutes les questions ministérielles du monde, celui
des subsistances publiques et de l'alimentation des classes les plus nombreuses.
Déjà M. le ministre, je regrette de devoir le rappeler, nous a donné une
assez fâcheuse opinion de son respect pour la légalité. Le premier acte de son ministère,
c'est la violation de la loi ; le fameux arrêté du 5 septembre, c'est la
violation et la violation la plus flagrante de la constitution.
Je sympathise de tout cœur, sans doute, avec quelques-unes des dispositions
de cet arrêté ; mais il m'est impossible de ne pas protester, au nom des
principes et de nos droits, contre l'illégalité dont cet arrêté est entaché.
On veut la justifier, cette illégalité, en invoquant les circonstances. « Les
circonstances ! » mot vague et commode qui sert d'excuse habituelle a tous
les actes d'arbitraire.
Mais ces circonstances existaient plus impérieuses, plus menaçantes encore
il y a un mois. Dans le courant d'août, on n'avait pas à craindre seulement la
perte de la récolte des pommes de terre, on a eu pendant quelques jours les
craintes les plus vives sur la récolte des céréales elles-mêmes. Les pluies
tombaient en abondance et semblaient devoir nous ramener les malheurs et les
souffrances de cette année de sinistre mémoire, de l'année 1816. C'est alors
qu'il fallait agir et convoquer immédiatement les chambres. En prenant cette
mesure, le ministère eût fait preuve de sollicitude pour l'alimentation des
populations et pour les exigences de la légalité.
Eh bien, alors que les inquiétudes étaient les plus vives et les circonstances
si impérieuses, le ministère se renferme dans une impassible immobilité. Il ne
convoque pas les chambres ; il ne prend pas même le parti de refuser hautement
et franchement la sanction royale aux aggravations sur les céréales ; il laisse
planer cet épouvantail sur le commerce dont il paralyse ainsi les principales
spéculations pendant plusieurs semaines.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point. Quelque grave que puisse être une
question de légalité, nous sommes en présence d'une question bien autrement pressante,
une question de subsistances. Il nous faut rechercher et rechercher à l'instant
les moyens d'assurer la subsistance de nos populations el de détourner d'elles
toutes les misères, toutes les calamités de la disette et de la famine.
Et quels moyens propose le gouvernement pour détourner de notre pays de tels
malheurs ?
Des moyens insignifiants, sans portée, sans influence, et qui ne font, en
partie, que consacrer ce qui déjà existait.
(page 19) Oui, messieurs, ces
moyens annoncés avec tant d'étalage et pour l'adoption desquels on a cru devoir
violer et la loi et la Constitution, ces moyens ne sont, en définitive, sous plusieurs
rapports, que la reproduction du statu quo. Je vous en fais juges, messieurs.
Quelle est la plus importante des mesures adoptées par le ministère ? La
libre entrée des céréales. Mais à l'époque de la promulgation de l'arrêté royal
du 5 septembre, l'entrée des céréales n'était-elle pas libre en Belgique, par hasard
? Elle l'était, et elle l'était non pas en vertu de l'octroi ministériel, mais
de la loi de 1831 elle-même. On a donc fait beaucoup de bruit pour confirmer
purement et simplement le statu quo.
A cette mesure parfaitement inutile en fait, le ministère a joint la prohibition
de la sortie des pommes de terre et du sarrasin. A quoi bon ? Je vous le
demande. Prohiber la sortie des pommes de terre ! Mais pour en prohiber la
sortie, il aurait fallu qu'elles existassent, et chacun sait où en est la récolte
dans ce pays. Nulle part l'épidémie n'a sévi avec plus de violence ; loin de pouvoir
faire des largesses aux peuples voisins, nous étions de ce chef leurs
tributaires. L'exportation n'avait donc rien à faire ici, et nous n'avions rien
à en craindre.
L'exportation ! Mais c'est à peine si elle existe pour la Belgique, même
dans les années d'abondance. Un fait malheureusement établi jusqu'au dernier degré
d'évidence, c'est l'insuffisance de nos récoltes pour les subsistances de nos
populations. Et c'est en présence de cette insuffisance qu'on vient prendre l'initiative
des hostilités, ternir nos rapports avec les autres peuples et les provoquer à
des représailles par des mesures d'agression !
Mais que deviendrait la Belgique, si les autres peuples, répondant à nos
provocations, nous refusaient en ce moment les subsistances sans lesquelles une
partie de la population serait condamnée à mourir de faim ?
Ce n'était donc pas une politique d'antagonisme et de guerre qu'il fallait
proclamer en cette circonstance ; c'était une politique de sympathie, d'humanité
et de fraternité.
Loin de déclarer, à la face de l'Europe, que les peuples, au lieu de s'unir
et de s’entraider dans des époques de crise et de famine, doivent se nuire, se
repousser et s'affamer ; il aurait été plus digne de la Belgique et de son
gouvernement de proclamer, en ce cas, la loi d'une généreuse solidarité entre
tous les peuples. Les intérêts du pays eussent ici été d'accord avec ses sympathies.
Vous voyez donc bien, messieurs, que jusqu'ici les mesures adoptées par le
gouvernement sont sans efficacité, sans intérêt, sans utilité réelle, et que peut-être
même elles ne sont pas sans danger.
N'en sera-t-il pas de même du vote de confiance qu'il vient réclamer de nous
pour le crédit de deux millions qu'on lui accorde ? Il vient nous demander deux
millions. Pourquoi ? Qu'entend-il en faire ? Quels sont ses plans, ses projets,
son but ? Est-ce pour distribuer des subsides ou des primes ? Est-ce, au
contraire, pour faire des spéculations et des actes de commerce ? Nous l'ignorons
et, en ce moment sans doute, le ministère lui-même n'en sait pas davantage.
Quoi qu'il en soit, il réclame deux millions. C'est précisément, ainsi qu'on
vous la dit, de quoi fournir à la subsistance de toute la population pour un
demi-jour seulement.
Il ne faut donc pas se faire illusion et croire que les mesures
ministérielles feront disparaître, comme par enchantement, les menaces de
disette qui planent sur le pays en ce moment. Toutes les denrées alimentaires
ont subi une hausse exorbitante ; on vient d'en dérouler devint vous
l'effrayant tableau. Eh bien ! cette hausse se maintiendra ; malgré les
dispositions que nous allons voter, elle augmentera peut-être encore. Et alors,
je le demande, comment les classes ouvrières, comment les classes pauvres,
comment toutes les classes de la société qui ont à peine le nécessaire dans les
moments d'abondance, comment pourront-elles lutter et contre la cherté des
vivres et contre les besoins de toute nature qui vont les assaillir ?
Sera-ce à l'aide d'un accroissement de salaire ? Il serait vivement à désirer
sans doute que, pour traverser ce temps d'épreuve, les salaires pussent être
augmentés et mis en rapport avec le prix des subsistances. Mais il ne nous appartient
pas de fixer législativement, en ce moment, le taux des salaires. Loin
d'augmenter, peut-être, dans ce temps de crise, auront-ils à subir une réduction
nouvelle. Dans les moments de disette, quand le prix des subsistances est
élevé, la consommation se restreint, le travail en ressent le contrecoup, et
parfois il fait défaut à l'ouvrier qui lui demande vainement son dernier moyen
d'existence.
Heureusement nous avons en ce moment la ressource de ces grands travaux d'utilité
publique qui sollicitent de toutes parts l'activité des populations. C'est là
une grande ressource, je m'empresse de le reconnaître. Mais l'hiver viendra
avec ses rigueurs ; il viendra pour interrompre tous ces travaux dans le moment
où les besoins des classes ouvrières seront le plus pressants et où les
privations qu'elles ont à subir seront le plus dures et les plus douloureuses.
Quelle ressource leur restera donc ? La dernière des ressources, celle de
la bienfaisance publique, nous disait encore il n'y a qu'un instant l'un de nos
plus honorables collègues, M. Delfosse. La bienfaisance publique, c'est la charité
! Loin de moi d'en étouffer les élans généreux. Mais la charité, c'est l'aumône,
toujours l'aumône. L'aumône, je la comprends pour les classes malheureuses qui
n'ont pas d'autres ressources et qui sont réduites à la pénible nécessité de
demander le pain et l'existence à la bienfaisance publique et individuelle.
Mais l'aumône pour l'ouvrier intelligent et courageux, l'aumône pour l'ouvrier
qui se respecte et qui ne veut dépendre que de ses bras et de son travail,
l'aumône pour lui c'est la plus désolante de toutes les ressources ; c'est la honte,
c'est l'humiliation, c'est une sorte de dégradation sociale. Épargnons la-lui
donc cette honte, car il est donné à peu d'hommes de s'en relever. Oui,
messieurs, et c'est la une triste révélation à faire, l'expérience nous prouve
que quand une famille a été portée une fois sur les tables de la bienfaisance
publique, il lui est bien difficile, impossible presque de s'en faire rayer et
d'en revenir à la dignité, à l'indépendance du travail. Craignons donc,
messieurs, craignons de rejeter tout le fardeau, sur la charité publique et
privée, et de développer ainsi le paupérisme. C'est là en effet que réside le
germe de tous les malheurs, de tous les dangers qui peuvent menacer notre état
social.
Serait-il donc vrai, messieurs, qu'il n'y aurait pas d'autre moyen de venir
en aide aux classes ouvrières pendant la crise que nous allons traverser ? Le
problème est difficile, sans doute, mais ce serait douter de la providence des
peuples que de le croire sans solution.
Déjà l'on nous a parlé de la nécessité d'étendre au bétail la disposition
qui autorise la libre entrée des principales denrées alimentaires. J'adopte
avec empressement cette proposition. Il y a de l'inconséquence, en effet, à
frapper d'un droit prohibitif le bétail, quand on admet la libre entrée des
céréales. Les deux questions se fondent et se présentent devant vous avec un
caractère d'unité et d'indivisibilité. Tout se tient et se lie en matière de
subsistances. La cherté de la viande réagit sur le pain et la cherté des
céréales réagit à son tour sur la viande.
N'oubliez pas non plus, messieurs, que s'il est une partie des classes ouvrières
et des classes pauvres auxquelles la misère interdit l'usage de la viande, il
est des industries qui exigent un tel déploiement des forces musculaires, que
l'ouvrier ne pourrait y résister sans une nourriture plus substantielle. Je
vous citerai pour exemple l'industrie des mines, des usines métallurgiques, des
verreries. C'est donc frapper spécialement ces classes ouvrières dans leurs
moyens de subsistance, c'est frapper indirectement toutes les classes de la
population, que de maintenir les droits exorbitants qui grèvent en ce moment
l'un des aliments principaux de l'alimentation publique.
J'espère que sur ce point la chambre sera plus conséquente que le
ministère, et qu'au lieu de mutiler misérablement la grande et redoutable
question des subsistances, elle placera l'introduction du bétail sur la même
ligne que l'introduction dus céréales, el qu'elle leur accordera la même
faveur.
Un moyen plus décisif encore peut être pour venir en aide à la misère des
classes nécessiteuses, c'eût été de supprimer, de suspendre du moins toutes les
charges fiscales qui pèsent sur elles ; taxes sur le sel et les denrées alimentaires
; taxes sur les boissons, octrois communaux sur les liquides et les
subsistances. Toutes ces taxes, en effet, retombent surtout sur les classes ouvrières
et sur les familles les plus nombreuses, et qui ont le plus de besoins et le
moins de ressources.
Mais comment, s'est écrié un honorable député de Verviers, comment supprimer
toutes ces ressources quand l'Etat et les villes sont à la veille de devoir
s'imposer de nombreux et de lourds sacrifices ? Que l'honorable membre se
rassure : quand on demande la suspension des octrois et des taxes sur la consommation,
c'est à la condition de chercher ailleurs d'autres sources de revenus ; c'est à
la condition de remplacer les impôts les plus impopulaires par des taxes
modérées et équitables.
N'est-il pas arrivé à l'honorable membre lui-même de trouver qu’on
pouvait améliorer notre situation financière par de nouveaux impôts ? Et sans
passer en revue toutes les matières imposables que la richesse possède, je me
contenterai d'appeler pour la vingtième fois peut-être, l'attention du
gouvernement sur la nécessité d'établir aussi dans ce pays la taxe sur le
revenu. Cette fois, du moins, j'espère être appuyé dans ma réclamation par
l'honorable ministre de l'intérieur. Il a vu du près l’income-tax, et a pu en
apprécier et le mécanisme et l'équité. C'est l'une des créations les plus
élevées du grand homme d'Etat qui gouverne en ce moment l'Angleterre ; et c'est
par de tels actes qu'un ministre s'élève même dans l'estime de ses adversaires
et qu'il finit par conquérir la sympathie publique.
Mais les circonstances nous dominent et nous pressent, je le reconnais ;
elles ne nous permettraient pas aujourd’hui l'adoption d'un nouveau régime financier.
Je me contenterai donc, en terminant, de recommander au gouvernement le moyen
qui serait le moins onéreux à l'Etat, en même temps qu'il serait le plus utile
peut-être aux classes ouvrières.
Ce serait, non pas seulement d'autoriser les conseils communaux et les administrations
de bienfaisance, ce serait de les provoquer, de les pousser à acheter
successivement des denrées alimentaires et le combustible pour les revendre
ensuite aux classes ouvrières au prix coûtant ou à un taux inférieur. Pour cet
objet l'Etat devrait pouvoir, au besoin, leur faire des avances et, s'il y a
lieu, leur accorder des subsides.
Là, en effet, est l'une des causes principales du malaise des classes ouvrières.
Elles ont à peine le nécessaire, et le nécessaire presque toujours elles
doivent le payer beaucoup plus cher que sa valeur réelle. Condamnées à vivre au
jour le jour, elles doivent aussi faire leurs a quittions au jour le jour et
successivement par fractions insignifiantes. Et c'est ainsi qu'elles payent en
détail le double et parfois le triple de la valeur des objets qu'elles
consomment.
Ne serait-ce pas un immense bienfait que de les soustraire à ce tribut exorbitant
prélevé sur leur misère ?
Déjà des industriels ont pris à cet égard une généreuse initiative. Ils se
sont chargés d'acheter en gros des substances alimentaires qu'ils revendent en
détail el au prix coûtant a leurs ouvriers. Que les conseils communaux, que toutes
les administrations publiques suivent cet exemple, et l'on aura apport »,
au malaise des classes ouvrières, le plus grand soulagement peut-être qu'il
soit possible de leur donner dans ces jours de pénible épreuve.
Ces mesures adoptées, il ne faudra pas
s'endormir dans une fausse sécurité (page
20) et croire qu'il ne reste rien à faire. Les événements nous ont donné une
grande leçon. Puisse-t-elle porter ses fruits ! Tous les partisans des taxes
sur les céréales et M. Malou lui-même, j'espère, renonceront à leur projet
d'aggravations. Nous emporterons, tous, de cette session, quelque courte
qu'elle ait été, la pensée qu'il y a lieu de s'occuper plus activement que jamais
des moyens d'assurer les subsistances des populations, et surtout d'améliorer
la condition des classes inférieures. C'est vers ce but que sont dirigées, en
ce moment les préoccupations de l'esprit public. Il faut espérer que de ce
vaste travail intellectuel sortiront enfin des projets de réforme d'une
approbation immédiate ; en donnant aux classes populaires des preuves de la
sollicitude de la puissance publique, on écarte de la société les dangers qui
pourraient la menacer aux époques de malaise et de crise. Répandre le travail
et le bien-être au sein des populations, n'est-ce pas donner à l'ordre public
sa plus puissante garantie ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, dans la chaleureuse improvisation de l'honorable membre qui
vient de prendre la parole, plusieurs interpellations ont été adressées au ministre
de l'intérieur. Quelque dangereux qu'il soit en principe de répondre instantanément
sur des questions aussi graves que celles qu'il a soulevées, quelque désir que
j'ai même d’établir sous ce rapport des règles dont l'observation a été
reconnue utile, nécessaire dans toutes les assemblées délibérantes,
c'est-à-dire qu'en interpellant le pouvoir on lui donne 24 heures au moins pour
répondre à la chambre ou sans trop de précipitation ou s'en s'être concerté ;
je n'en répondrai pas moins immédiatement à la question qui m'a été faite, et
je dirai à l'honorable préopinant que c'est l'exemple même de l'Angleterre que
j'invoquerai pour le réfuter, car l'honorable préopinant n'ignore pas que sur
cette grave et importante question des céréales, les hommes d'Etat les plus
éminents de l'Angleterre sont partagés entre eux. Je ne dissimule pas que la
législation actuelle me paraît susceptible d'améliorations et de modifications.
On a dans toute la discussion interprète les paroles de mon honorable collègue
M. le ministre des finances, comme s'il venait déclarer positivement à la
chambre qu'au retour d'une année normale il reproduirait textuellement la loi
dont la non-promulgation vient d'être décrétée. Messieurs, les paroles de mon
honorable collègue n'ont pas cette portée. Il vous a déclaré ce que tout homme
sage, ce que tout homme d'Etat doit déclarer, après qu'il a approfondi la
situation des choses ; il vous a annoncé que toute la question serait de
nouveau soumise à vos délibérations. Et la nécessité d'un pareil examen est
tellement sentie, qu'en parlant de l'étal actuel des choses, c'est-à-dire de la
loi qui gouverne les céréales en ce moment, l'honorable préopinant a reconnu
lui-même que cette loi était mauvaise à son sens. Eh bien ! lorsque la
discussion générale sur cette question aura lieu, l'honorable membre aura
occasion de développer ses théories, de les opposer aux principes posés par M.
le ministre des finances, et de cette manière la question sera envisagée sous
toutes ses faces et dans ses rapports avec les intérêts du pays.
Il n'y a donc pas ici d'engagement pris, d'engagement annoncé de reproduire
la loi qui n'a pas été promulguée et qui ne le sera point.
Je pense, messieurs, que l'honorable préopinant n’a pas adressé sérieusement
au gouvernement le reproche d'avoir tardé à prendre les mesures de précaution
consignées dans l'arrêté du 5 septembre. Le fait est que dans les premières
semaines après la formation du ministère, les renseignements qui lui parvenaient
sur la récolte des pommes de terre, quelles que fussent les inquiétudes vagues
qui régnassent dans les esprits, étaient tels, qu'un des agronomes les plus
distingues du pays m'écrivait, à la date du 5 août, qu'il n'y avait rien à
craindre sur les résultats, que lorsque les fanes étaient attaquées, les
tubercules ne l'étaient pas et qu'il y avait certitude même d'une récolte
normale et ordinaire. Dix jours après, des renseignements de même nature me
parvenaient encore. Mais quelques jours après, tant étaient rapides les progrès
et la maladie, les rapports étaient subitement changés.
C'est alors, messieurs, que le gouvernement, éclairé par ces rapports, s'est
adressé à tous les gouverneurs.il tous les hommes capables de lui transmettre des
renseignements, et qu'appréciant la gravité et l'étendue du mal, il a pris sous
sa propre responsabilité ces mesures dont la légalité n’est sans doute attaquée
ici que pour la forme ; car d'un autre côté l'honorable membre nous reproche de
ne pas avoir pris plus tôt ces mesures illégales.
M. Castiau. - Non, mais
de n'avoir pas plus tôt convoqué les chambres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il serait résulté de la convocation immédiate des chambres que nous aurions
communiqué à la représentation nationale les doutes qui régnaient dans tous les
esprits. Or, je le demande, un gouvernement a-t-il jamais convoqué la législature
pour venir déposer devant elle de simples doutes, ou des craintes ?
Du moment que ces doutes ont disparu, que la réalité a été constatée, des
mesures ont été arrêtées. Elles ont été prises, je le pense, courageusement,
comme l'a reconnu l'honorable M. Verhaegen. Car ce député a approuvé les
mesures qui ont été prises par le gouvernement.
Le jour même où le gouvernement du Roi, dépassant les pouvoirs dont il est
revêtu, a proposé l'adoption d'un acte illégal, il a reconnu, en même temps, la
nécessité de convoquer les chambres et de venir le lui soumettre. Je pense que,
sous ce rapport, il n'y a aucun reproche à nous adresser.
Une observation que l'honorable membre a faite également et à laquelle il
est, je pense, utile de répondre en quelques mots, c'est celle qui porte sur la
prohibition à la sortie des pommes de terre.
L'honorable membre pense que cette mesure était inutile et, qu'en tous cas,
elle était illusoire. Mais il ignore qu'à l'époque où l'arrêté du 7 septembre a
été publié, la récolte des pommes de terre blanches, des pommes de terre
hâtives était-il bonne et abondante, et qu'un des premiers devoirs du gouvernement
était d'empêcher la sortie de ces pommes de terre hâtives, seule nourriture que
le peuple ait encore jusqu'au mois d'octobre ou de novembre. Qu'aurait dit
l'honorable préopinant, si cette mesure n'eût pas été prise, et que des
spéculateurs étrangers, sachant que cette partie de la récolte avait réussi,
étaient venus nous l'enlever ? C'est alors qu'une grave responsabilité aurait
pesé sur le gouvernement Quant à la crainte que des gouvernements étrangers
n'usent de représailles. elle est chimérique. Il y a plus de six semaines que
cet arrêté a été pris, et jusqu'à présent il n'est venu dans la pensée d'aucun
gouvernement d'user de représailles.
Notre but a donc été atteint, et il l'a été non seulement pour les pommes
de terre, mais également pour le sarrasin ; car l'argument de l'honorable
préopinant peut s'appliquer aussi au sarrasin ; mais il s'est bien gardé de
reprocher au gouvernement d'en avoir prohibé la sortie. C'est que l'honorable
membre savait fort bien que d'immenses marchés avaient déjà été contractés avec
l'étranger et qu'il y avait les craintes les plus vives de voir sortir le
sarrasin du pays.
Je ne pense pas non plus, messieurs, que ce soit sérieusement que l'honorable
préopinant a demandé au gouvernement du Roi de supprimer les octrois des
villes. J'avoue que je ne suis pas prêt à accepter la responsabilité d'une
pareille mesure, et je crois que la chambre n'exigera pas de moi que j'entre
même dans la discussion et dans les détails de cette proposition incidente, qui
a été jetée plutôt que discutée dans l'éloquent discours de l'honorable
préopinant.
M. Castiau. - C'est une
proposition de votre prédécesseur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Ce serait une mesure bien inopportune que de supprimer les octrois des
villes, alors que celles-ci vont devoir s'imposer des sacrifices considérables
pour subvenir à l'alimentation de leurs habitants. Je crois que l'honorable
préopinant n'a pas assez réfléchi aux conséquences d'une semblable mesure.
Il a exprimé les meilleures intentions pour soulager les classes moyennes
; mais il est du devoir du gouvernement de ne pas se laisser entraîner par ces
élans de philanthropie, qui le porteraient à prendre des mesures directement
contraires au but qu'il se propose, qui finiraient précisément par nous enlever
les moyens que nous avons à notre disposition pour subvenir à l'alimentation du
peuple.
J'en dirai autant, messieurs, de la suppression des taxes que l'honorable
membre a nommées impopulaires. Je ne sache pas qu'une seule taxe soit populaire
jusqu'à présent et ce principe une fois admis entraînerait le gouvernement du
Roi plus loin que l'honorable préopinant ne voudrait aller lui-même.
Il est inutile, messieurs, de prolonger de beaucoup cette discussion, et
la parole ne m'a été donnée que pour répondre à l'interpellation de l'honorable
préopinant. Je saisirai cependant cette occasion pour dire un mot relativement à
la réserve faite par quelques membres qui ont déclaré que s'ils accordaient les
deux millions demandés, ce vote n'entraînait pas de leur part un vote de confiance
dans le ministère dont ils n'approuvaient ni la formation ni la politique. Les
honorables députés qui se sont exprimés de la sorte, c'est-à-dire qui ont senti
le besoin de ne pas poser la question sur le terrain politique, ces honorables
députés ont ainsi donné une preuve évidente qu'ils ont le sentiment des besoins
réels qu'éprouve en ce moment le pays. Les réserves qu'ils ont faites sont
l'expression de l'état normal de toute opposition et le gouvernement du Roi ne
lui demandera point d'y renoncer. Il est tout naturel qu'un ministère qui s'est
formé depuis la séparation des chambres, qui n'a point eu d'occasion régulière
d'exposer ses principes, soit tenu par l'opposition dans une espèce de
suspicion. J'irai même plus loin que l'honorable préopinant : je dirai que
c'est là l'accomplissement d'un devoir pour les membres de l'opposition.
L'occasion d'exercer leur droit de contrôle se présentera naturellement et
légitimement lorsqu'à l’ouverture de la session ordinaire le gouvernement du
Roi viendra, dans un discours de la couronne, développer aux chambres les mesures
qu'il se propose de prendre.
Si cependant les honorables membres auxquels
je réponds n'avaient point eu le sentiment des véritables besoins que le pays
éprouve en ce moment et s'ils avaient porté la discussion sur le terrain
politique, le gouvernement du Roi n'aurait point recule devant cette
discussion, mais nous pensons comme les honorables préopinants, que cette
discussion aurait été intempestive : elle aurait fait traîner en longueur
l'examen d'une loi que nous avons tous hâte de voir sanctionner, et lorsque les
chambres se sont réunies si promptement pour s'occuper de cette loi, ni
l'opposition, ni le ministère ne devaient être impatients de se livrer à des
débats qui auraient été stériles en ce moment. C'est assez dire, messieurs, que
nous reconnaissons à l'opposition le droit de se tenir dans cet état de réserve
dont nous ne chercherons pas à la faire sortir.
M. Osy. - Messieurs, il me reste quelques mots à
répondre à l'honorable ministre des finances. L'honorable ministre des finances
nous a dit que si nous ne défendions pas l'exportation des céréales, elles
pourraient nous être enlevées par suite des besoins qu'éprouvent les pays
voisins, mais l'honorable ministre des finances a perdu de vue qu'aux termes de
la loi de 1834, les céréales auraient été prohibées à la sortie sans qu'il fût
besoin d'une disposition nouvelle. J'aurais donc voulu qu'on ne parlât pas
d'une prohibition qui aura lieu de fait, afin de ne pas entraver les opérations
commerciales. Voilà sous quel rapport je ne suis pas d'accord avec les
honorables membres qui ont parlé tantôt.
L'honorable M. Eloy de Burdinne, que je
regrette de ne pas voir en ce moment dans cette enceinte, a accusé, encore
aujourd’hui, le commerce de spéculer sur la misère publique ; mais, comme j'ai
eu l'honneur de le dire, (page 21)
en présence de la loi du mois de mai le commerce a fait tout ce qu'il a pu pour
amener le plus de céréales possible en Belgique ; c'est lui qui a pourvu
jusqu'à présent à la subsistance du peuple ; on devrait donc lui adresser des
remerciements au lieu de l'accuser comme l'a fait l'honorable préopinant.
Je me réserve, messieurs, de prendre de nouveau la parole lorsque nous en
serons aux articles, pour développer les divers amendements que j'ai eu l'honneur
d'indiquer.
M. Verhaegen. - Messieurs, je dois répondre quelques mots à
ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur : l'honorable M. Van de
Weyer a reconnu que l'opposition use de son droit lorsqu'elle fait des
réserves, il a même consenti à ce qu'il lui en fût donné acte. Celte
reconnaissance doit nous suffire, et en nous abstenant pour le moment de toute
discussion politique, nous le répétons, nous croyons rendre un véritable
service au pays. Mais je ne suis pas d'accord avec M. le ministre quant aux
droits de l'opposition en matière d'interpellation que lui entend restreindre :
dans aucun pays du monde (et je n'admets aucune exception), lorsque la matière
est à l'ordre du jour le ministère ne peut se refuser à répondre immédiatement
aux interpellations. C'est surtout pour protester contre l'assertion de M. le
ministre de l'intérieur que j'ai pris la parole. Non, dans aucun pays du monde,
pas plus en Angleterre qu'ailleurs, le ministère ne peut se refuser à répondre
à une question sur un objet à l'ordre du jour ; il peut demander un délai
lorsqu'un membre du parlement vient l'interpeller sur un objet étranger à
l'ordre du jour ; alors, en Angleterre et ailleurs, usant du droit qu'il a, et
en même temps usant de prudence, il demande un délai de vingt-quatre heures
pour répondre ; mais, messieurs, lorsque l'objet se trouve à l'ordre du jour,
le ministère doit être prêt à discuter tout ce qui s'y rattache.
L'honorable M. Van de Weyer est donc dans l'erreur lorsqu'il prétend que
le ministère aurait pu ne pas répondre immédiatement aux interpellations qui lui
ont été adressées par l'honorable M. Castiau. D'ailleurs, dans l'espèce je ne
comprendrais pas pourquoi M. le ministre aurait besoin de 24 heures pour dire
s'il partage, oui ou non, l'opinion de son honorable collègue M. Malou.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - M. Malou n'a pas émis d'opinion.
M. Verhaegen. - L'honorable M. Malou n'a pas émis d'opinion
? Mais il en a émis deux, si pas trois ; car, si ce n'était pas, messieurs,
prendre inutilement voire temps, je déroulerais toutes les phases de la
discussion précédente. Je dirais quelle a été l'opinion première de l'honorable
M. Malou, quelle a été sa deuxième, sa troisième opinion, je dirais aussi
comment il est arrivé à mettre le sénat d'accord avec le ministère. Mais je ne
veux pas aborder ces détails dans une discussion si importante et en même temps
si urgente. Qu'il me soit permis seulement de dire à l'honorable M. Malou qu'il
avait, par exemple, une opinion bien arrêtée il y a trois mois, et de lui
demander s'il est encore de cette opinion aujourd'hui. Qu'il me soit permis, en
outre, de demander à son honorable collègue M. le ministre de l'intérieur, si
son opinion à lui est l'opinion de M. Malou d'aujourd'hui, ou bien l'opinion de
M. Malou d'il y a trois mois.
Certes, en Angleterre, les hommes d'Etat sont partagés sur la question qui
nous occupe, mais tout le monde connaît du moins l'opinion de sir Robert Peel ;
et, nous, nous ne pourrions connaître l'opinion de M. Van de Weyer ?
Les hommes d'Etat peuvent être partagés d'avis ; M. Malou peut avoir une
opinion, M. Van de Weyer peut en avoir une autre ; mais sans entrer dans la question
politique, sans demander au gouvernement son programme, il doit nous être
permis au moins de demander aux ministres qui sont devant nous compte de leur
opinion respective sur la question spéciale qui s’agite. Il nous importe de la
connaître, il importe surtout au pays de savoir à quoi s'en tenir. Il faut
tranquilliser le pays ; car la loi que nous sommes appelés à voter doit avoir
non seulement un effet matériel, mais aussi un effet moral ; je dirai même
qu'elle doit avoir surtout un effet moral. Il faut tranquilliser les populations,
et on ne peut pas atteindre ce but en parlant comme vient de le faire M. le
ministre des finances.
Je le répète, messieurs, c'est un effet moral
que nous avons surtout à attendre de la loi ; et, dès lors, mon honorable ami,
M. Castiau, avait le droit de faire ses interpellations à MM. les ministres, et
MM. les ministres ne pouvaient pas se dispenser d'y répondre.
En terminant, qu'il me soit permis de le dire, dans tout le discours de M.
le ministre de l'intérieur, je n'ai trouvé que des paroles et rien que des paroles,
je n'y ai trouvé aucune idée positive.
Je reprends donc l'interpellation de mon honorable ami M. Castiau, et je
viens demander à M. le ministre de l'intérieur de nous dire franchement, ; s'il
est oui ou non de l'avis de son collègue, M. le ministre des finances, sur la question
des céréales dont il s'agit aujourd'hui.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, en répondant à \ l'honorable préopinant, je vais avoir
l'honneur d'exprimer une opinion qui l'étonnera peut-être ; c'est que je suis complétement
de son avis ; le ministre, interpellé sur la question qui est à l'ordre du
jour, doit à la chambre et se doit à lui-même de répondre immédiatement,
attendu que ce ministre doit être suffisamment préparé pour satisfaire aux
interpellations de la chambre.
Mais je demande à l'honorable préopinant si la
question à l'ordre du jour est la question des céréales ; si c'est la question
de l'abolition des octrois ; si c'est celle de l'income-tax ; si c'est enfin
celle d'un système complet de taxes, de finances, sur lequel je viendrais improviser
une réponse, à la première interpellation qui me serait jetée dans un discours
également improvisé. Je crois qu'il y aurait, de ma part, peu de respect pour
la chambre, si je répondais à des interpellations de cette nature. La question
qui est actuellement soumise aux délibérations de cette assemblée, n'est pas
celle de savoir si la loi des céréales sera modifiée de telle ou telle manière,
si mes opinions sur ces modifications sont déjà arrêtées. Cette question n'est
pas à l'ordre du jour ; lorsque, plus tard, nous présenterons à la chambre
l'exposé complet des mesures qui seront soumises aux délibérations de la
législature, la représentation nationale saura quelle est, à cet égard, non pas
l'opinion du ministre de l'intérieur ou du ministre des finances, mais la pensée
du cabinet.
M. de Theux,
rapporteur. — Messieurs, proclamer la
liberté d'entrée des denrées alimentaires à des époques calamiteuses, en
interdire la sortie, ce sont là des mesures que les divers gouvernements qui se
sont succédé en Belgique n'ont jamais manqué de prendre, et que l'expérience a
toujours pleinement justifiées.
Ces mesures sont aussi l'objet principal du projet de loi du gouvernement,
projet qui a été adopté par toutes les sections et par la section centrale.
Il me suffira de remonter à une époque qui n'est pas trop éloignée de nous,
qui est encore présente au souvenir de plusieurs d'entre nous ; je veux parler
de l'époque de 1816 et de 1817. Alors aussi il y eut dans le pays une pénurie
de céréales qui produisit dans le pays les mêmes effets qu'y produit aujourd'hui
le manque de la récolte des pommes de terre.
Le gouvernement des Pays-Bas, quelque partisan qu'il fût de la liberté illimitée
du commerce, commença par prohiber la sortie du blé sarrasin et des pommes de
terre. Ces mesures furent insuffisantes : le commerce s'empara des céréales et
en fit de fortes exportations. Dès lors, le prix des blés s'éleva à un taux si
excessif, que le gouvernement fut forcé, dès le commencement de 1817, d'en
interdire l'exportation, et de faire opérer, pour son compte, des achats
considérables à l'étranger à des prix exorbitants, ce qui occasionna une grande
charge aux communes auxquelles le gouvernement envoya des dépôts de céréales.
Après une semblable expérience, il serait de la plus haute imprudence de
permettre la libre sortie des céréales, alors que le manque de la récolte des pommes
de terre est aujourd'hui notoirement constaté.
Des mesures semblables furent également prises en 1S30 par le gouvernement
provisoire, et elles sortirent leurs effets jusqu'en 1832. Au commencement de
1839, le gouvernement proposa des mesures analogues aux chambres qui les
adoptèrent ; ces mesures furent renouvelées à la fin de la même année.
Voilà donc des expériences nombreuses ; elles ont été pleinement justifiées,
car, par suite de l'interdiction de la sortie des céréales, le prix des blés a
successivement baissé, au lieu de continuer à s'élever progressivement, comme
il n'eût pas manqué de le faire, si la libre exportation eût été permise.
A propos d'une discussion aussi grave, dans l'intérêt du pays, je regrette
véritablement qu'on ait cru devoir s'occuper des discussions qui ont eu lieu
dans la session dernière et qui avaient pour objet de modifier la loi de 1834
sur les céréales. Les propositions qui furent soumises, à cette époque, soit au
sénat, soit à la chambre des représentants, avaient pour but de corriger les
défectuosités de la loi de 1834 et d'établir un régime plus régulier à l'égard
des céréales. Ces mesures étaient essentiellement distinctes de celles que l'on
prend à des époques calamiteuses.
Ainsi, messieurs, nonobstant que nous avions pris part comme membre de la
chambre, à la loi de 1834, nous avons, en 1839, à deux reprises différentes, proposé
une dérogation à cette loi en faveur des consommateurs, parce que des circonstances
spéciales, extraordinaires l'exigeaient. Telle était aussi la pensée qui
dirigeait les auteurs des amendements qui avaient été présentés, soit dans le
sein du sénat, soit dans cette chambre, au système général de la loi de 1834 ;
jamais il n'a été dans leur intention de pourvoir, par ces dispositions, à une
situation tout à fait extraordinaire comme celle où nous nous trouvons ; dans
des circonstances semblables, ce n'est que par des lois spéciales qu'on peut
faire face aux besoins du pays.
La preuve que notre intention ne fut jamais d'amener le renchérissement des
denrées alimentaires, c'est la manière dont nous nous sommes exprimé dans la
séance du 5 mai dernier ; nous disions :
« Quelle a été la moyenne du prix des céréales en France pendant la période
de 1835 à 1844 ? Le prix du froment a été de 18 francs 97 centimes. Or, messieurs,
la proposition que nous avons faite n'était que l'établissement en Belgique du
système qui régit la France ; de sorte, que la moyenne de 18 fr. 97 c, soit 19
fr., est celle que nous avons voulu atteindre. Ici, remarquez-le bien, c'est la
moyenne des quatre zones. Quant à la troisième zone, celle qui comprend le
département du Nord, le prix a été de 18 72. Ainsi la différence entre le prix
de la troisième zone et la moyenne des quatre zones n'est que de 25 c. par
hectolitre. Vous voyez donc que notre proposition n'a, en ce qui concerne le
froment et le seigle, rien d'exorbitant. »
Ainsi, messieurs, la moyenne que nous voulions atteindre était de 19 fr.,
et non de 22 à 24 francs, comme l'a prétendu un honorable préopinant. Nous serions
le premier à repousser un système qui tendrait à amener le prix normal du
froment à 22 ou à 24francs.
.Nous ne reviendrons pas sur le motif qui avait provoqué cette proposition
; nous étions en présence des opérations qui avaient été faites en 1844 contre
l'esprit de la loi de 1834, opérations dans lesquelles on avait même éludé le
texte.
Il est inutile, du reste, de s'appesantir sur cette proposition, puisqu'elle
n'a pas été discutée dans celte enceinte. La proposition qui a été adoptée par
les chambres est celle qui était émanée du sénat, et qui consacrait purement
des mesures temporaires et relatives aux circonstances.
(page 22) L'on a dit que la proposition
que les chambres ont adoptée et qu'on a aujourd'hui critiquée avec beaucoup de
légèreté, me semble-t-il, était tout à fait intempestive. Cette assertion me
paraît dénuée de tout fondement. En effet, la récolte des pommes de terre ne
manque presque jamais en Belgique ; mais je tiens pour certain que si cette
année la récolte des pommes de terre eût été aussi abondante qu'elle l’est dans
les aimées communes, le prix du froment serait tombé à 14 ou 15 francs, et
alors, messieurs, vous auriez eu une situation tout opposée à celle que nous avons
aujourd'hui.
Aujourd'hui, nous sommes le premier à déplorer la cherté des vivres. Mais
à quoi faut-il attribuer cette cherté ? Est-ce à la discussion d'une loi qui
n'a pas été sanctionnée ? Nullement, cette cherté ne doit être attribuée qu'à
l'influence de la saison, ou peut-être à d'autres causes, s'il faut en croire
les naturalistes qui se sont occupés de la question ; mais dans tous les cas,
la maladie des pommes de terre n'est pas plus la conséquence de la loi qui a
été votée par les deux chambres, que la saison pluvieuse de 1816 n'était la suite
de la législation qui régissait les céréales sous le gouvernement des Pays-Bas.
Il serait aussi absurde d'attribuer la situation actuelle à la proposition
qui a été votée par les deux chambres, qu'il l'eût été d'imputer au gouvernement
des Pays-Bas les pluies abondantes de l'année 1816.
Il est vrai qu'on a dit qu'à l'époque de la discussion de cette proposition,
il y avait commencement de hausse sur les blés. Aussi, n’a-t-on pas eu pour but
d'amener une hausse, mais d'empêcher qu'au moyen d'une hausse factice, on
n'amenât dans le pays une quantité exorbitante de blés étrangers ; que, la
récolte venant à réussir, il n'y eût plus tard un avilissement extraordinaire
dans le prix des blés ; que la situation déjà pénible du cultivateur n'empirât
encore, et que l'abaissement da prix des propriétés foncières ne continuât à
faire des progrès, au détriment, non seulement de l'agriculture, mais encore du
commerce et de l'industrie, car en définitive la prospérité de ces trois
branches de notre richesse se lie intimement, et ne peut être séparée qu'au
grand préjudice du pays.
Nous savons que toute proposition relative au règlement du commerce des céréales
trouvera toujours de nombreux adversaires dans le haut commerce. Et en effet,
toute loi de cette nature apporte des entraves au commerce, diminue ses bénéfices
; car plus il y a liberté, plus les opérations commerciales tout nombreuses, et
plus il y a bénéfice pour le haut commerce.
Ce sont là des vérités triviales ; nous sommes loin de trouver mauvais que
le commerce réalise des bénéfices légitimes, mais nous pensons que l'intérêt
agricole, l'intérêt alimentaire doivent l'emporter sur cet intérêt-là quand ils
se trouvent en opposition. Dans ce moment encore, c'est au nom du commerce que
l'on critique l'interdiction de la sortie des subsistances, maigre l'expérience
fâcheuse que l'on fit en 1816 de la libre sortie, et l'expérience avantageuse
de l'arrêté du gouvernement provisoire en 1830 qui a interdit la sortie, mesure
que les lois de 1839 ont renouvelée avec le même avantage.
Il a été fait quelques
observations de détail relativement au rapport, nous croyons que ce n'est pas
le moment de les rencontrer ; la discussion des articles nous en fournira une
meilleure occasion.
Une autre question très-importante a été soulevée, c'est relativement au
bétail. Comme elle se représentera aux articles premier et 5, je pense qu'il vaut
mieux réserver les observations que j'ai a faire pour le cas où une proposition
serait faite, et ne pas les confondre dans la discussion générale.
Je bornerai là nies observations, car la discussion générale a déjà été assez
étendue, et beaucoup d'observations pourront se produire plus utilement dans la
discussion des articles.
M. le ministre
des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). -
Plusieurs honorables membres ont engagé le gouvernement à prendre les mesures
nécessaires, pour donner du travail aux classes laborieuses pendant cet hiver.
Avant d'aborder la discussion des articles, je pense qu'il ne sera pas inutile
de donner quelques explications à cet égard.
Je crois pouvoir annoncer que, pendant l'hiver, il y aura beaucoup plus de
travaux pour la construction de voies de communication qu'à aucune autre époque.
Ces travaux consisteront en construction de routes nouvelles et de quelques
canaux, en travaux à exécuter aux chemins de fer de l'Etat et, je l'espère, aux
chemins de fer concédés à la fin de la session dernière.
Quant aux routes de l'Etat, vous le savez, déjà un grand nombre sont en cours
d'exécution, et j'ai pris des mesures pour que les entrepreneurs soient amenés
à faire travailler pendant l'hiver. Indépendamment de ces routes, il en est qui
sont en instruction, c'est-à-dire, dont les projets sont entre les mains, soit
des ingénieurs, soit des administrations provinciales, soit du conseil des
ponts et chaussées. J'ai engagé ces administrations et ces ingénieurs à me
faire parvenir le plus promptement possible ces projets, et j'en hâterai
l'examen autant qu’il dépendra de moi.
J'ai lieu de croire que la plupart de ces routes nouvelles pourront incessamment
être mises en adjudication. Il y aura ainsi pour l'hiver prochain tant en
routes de l’Etat, qu'en routes provinciales ou concédées pour plus de huit millions
de francs de travaux adjugés. Les routes nouvelles qui seront mises en
adjudication s’élèveront à environ 1,500,000 fr. Vous comprendrez, messieurs,
que ce n'est pas avec les ressources ordinaires du budget qu'on pourra faire
immédiatement face à ces dépenses. Aussi, je serai amené à demander une
augmentation assez considérable au budget de l'exercice prochain pour
construction de routes nouvelles ; mais je suis intimement convaincu, qu’à cause
des circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons, à cause
de l'utilité des travaux qui seront entrepris, la chambre sera disposée à accorder
cette augmentation.
A ces travaux viendra s'ajouter l'entretien des voies de communication ;
vous savez que l'entretien seul des routes ordinaires s'élève à une somme de 1,800,000
fr. annuellement. Le chemin de fer de l'Etat viendra aussi apporter son
concours aux ouvrages à faire pendant l'hiver.
A la fin de la session dernière, une somme considérable a été votée pour
l'établissement des doubles voies ; les travaux seront poussés avec la plus grande
activité pendant l'hiver. Sous peu, l'adjudication des rails aura lieu et les
terrassements seront poussés avec vigueur sur les routes où une seconde voie
doit être établie. A la tranchée de Cumptich 400 ouvriers seront constamment occupés
pendant tout l'hiver. Enfin, j'ai l'espoir que sur plusieurs des lignes concédées
à la fin de la session dernière, les travaux vont être incessamment commencés. Vous
savez que, d'après les cahiers des charges, les concessionnaires avaient les uns
six mois, les autres une année pour présenter le tracé définitif à l'approbation
du gouvernement. Pour plusieurs des compagnies, ce délai expire seulement à la
fin de novembre prochain. Je les ai engagées à hâter la présentation de leurs
projets définitifs et leur ai exprimé le vif désir du gouvernement qu'elles
commencent immédiatement leurs travaux. Je dois dire que jusqu'à présent les
rapports que j'ai eus avec les directeurs de ces compagnies ont été des plus
favorables. Ces messieurs ont mis un grand empressement et une louable activité
à hâter l'exécution de leurs projets, et la plupart m'ont assuré que leurs
compagnies seraient à même de commencer incessamment l'exécution de leurs
chemins de fer. Vous voyez donc, messieurs, que la série de travaux que nous
aurons pour l'hiver prochain est considérable, et la chambre peut être
convaincue que je ne perdrai pas de vue cet objet important. (Très bien !)
- La discussion générale est close.
M. le ministre des finances (M.
Malou) déclare qu'il se rallie au projet de la section centrale.
Discussion des articles
Article premier
« Art. 1er. Jusqu'au 1er juin 1846, continueront d'être libres à l'entrée
:
« Le froment,
« Le seigle,
« L'orge,
« Le sarrasin,
« Le maïs,
« Les fèves et vesces,
« Les pois,
« L'avoine,
« Les gruaux,
« Les fécules de pommes de terre et d'autres substances amilacées,
« Le vermicelle, macaroni et semoule,
« Les pommes de terre,
« Le riz.
« Le gouvernement pourra, en outre, accorder, pour le même terme, la remise
totale ou partielle des droits d'entrée sur les farines.
« Il sera perçu sur ces objets un droit de
balance de 10 centimes par 1,000 kilogrammes.»
M. le président. - Si personne ne demande la parole sur
l'ensemble de l'article, je proposerai de discuter séparément les divers
amendements présentés.
Le premier est relatif au terme : M. Osy propose le 1er septembre au lieu
du 1er juin.
M. Osy. - J'ai dit déjà les principales raisons pour
lesquelles j'ai demandé cette prolongation de la mesure. D'après toutes les
données que j'ai recueillies, il est évident que les grands arrivages ne
pourront pas avoir lieu avant le terme proposé par le gouvernement. Les achats
doivent se faire dans la mer Noire, la mer d'Azof et la mer Blanche ; les
rivières en Russie sont gelées jusqu'au mois de mai, les expéditions ne
pourront pas se faire avant le mois de juin.
Je pense que, dans l'intérêt des consommateurs,
il est indispensable de fixer le terme que je propose.
On me répond que la loi de 1834 qui subsiste permet l'introduction libre
si le grain monte à 20 francs ; cela est vrai, mais il est toujours à craindre,
surtout d'après les paroles que vient de prononcer M. le ministre des finances,
de voir se reproduire une proposition relative aux céréales comme celle qui fut
faite l'année dernière. Alors comment voulez-vous que le commerce s'engage dans
des opérations ?
M. de Theux,
rapporteur. - Je pensais que M. le
ministre de l'intérieur donnerait.à la chambre les explications qu'il a
présentées à la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Elles sont imprimées dans le rapport.
M. de Theux. - Je présenterai à la chambre une nouvelle
observation. A d'autres époques, nous avons proposé un terme plus reculé, mais
alors l'état des récoltes était connu, non seulement en Belgique, mais aussi en
ce qui concerne les pays étrangers. Maintenant, nous manquons absolument de
données sur les récoltes des pays étrangers.
Il suffit de commencer dès à présent à
laisser l'entrée libre jusqu'au 1er juin, attendu que nous sommes près de
l'époque de l'ouverture de la session ordinaire. Quand nous connaîtrons l'état
des récoltes à l'étranger, nous n'hésiterons pas à fixer un terme plus reculé à
la loi si le gouvernement le propose. Il sera aussi temps de prendre cette mesure
en novembre ou décembre qu'aujourd'hui, puisque l'honorable membre vient de
nous dire que les importations ne se feraient qu'au printemps.
Je ferai remarquer que si nous fixions maintenant dans la loi l'époque du
1er septembre, nous pourrions être obligés de restreindre la durée de la loi,
ce qui nous ferait encourir, de la part du commerce, le reproche de l'avoir
engagé dans des opérations qui lui seraient préjudiciables. Je crois que, dans
(page 23) l'intérêt du commerce et
de l'agriculture, mieux vaut ne fixer maintenant que l'époque strictement
nécessaire, sauf à la proroger dans quelques mois, si les renseignements reçus
de l'étranger nous en démontrent la nécessité.
M. Osy. - Je dois combattre l'opinion de l'honorable
M. de Theux. Il est vrai que, pendant l'hiver, les ports de mer ne peuvent pas
expédier ; mais on fait alors des achats à livrer à l'ouverture de la
navigation. Si, en décembre ou en janvier, vous permettez la libre entrée
jusqu'au 1er septembre, nous serons en arrière de tous nos voisins ; la
Hollande pourra acheter bien longtemps avant nous.
L'honorable M. de Theux dit que nous ne connaissons pas les résultats de
la récolte, que la récolte des céréales paraissait devoir être une récolte ordinaire
; mais la perte de la récolte des pommes de terre nécessite l'importation de 4
millions d'hectolitres de céréales ou de farines. Voilà ce que personne ne
conteste. C'est une quantité considérable. Si vous ne donnez pas au commerce la
garantie qu'il pourra faire les achats d'avance, rien ne se fera ; le commerce
n'achètera pas, et lorsque nous aurons consommé la récolte de 1845, les besoins
se feront sentir. Vous regretterez alors de ne pas avoir adopté mon amendement,
que je présente autant dans l'intérêt du consommateur que dans l'intérêt du
commerce.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - La proposition du
gouvernement, que la section centrale a adoptée, laisse dès à présent au
commerce la certitude de pouvoir se livrer en toute liberté, pendant dix mois,
a toutes les opérations qu'il voudra. Faut-il aller au-delà en ce moment ?
Voilà la question. L'honorable préopinant paraît supposer qu'en juin fatalement
le régime de 1834 ou un autre régime sera rétabli. Il n'en est pas ainsi. La
législature déride en ce moment que d'ici à dix mois il y aura liberté
d'importation. De toutes les explications qui ont été données il résulte que,
si cela est reconnu nécessaire, ou pourra prolonger ce terme.
Quelles que soient les interruptions que puissent causer au commerce les
gelées tardives des rivières du Nord, il est évident qu'avec un terme de dix mois
ou peut faire des opérations très étendues dans tous les grands marchés de céréales.
Il ne faut pas trop se préoccuper de la timidité du, commerce. Voyez en effet
ce qui s'est passé : lors de la discussion dont on a parlé plusieurs fois on
avait déclaré que le commerce ne pourrait rien tirer des pays étrangers. La
libre entrée arrive par l'effet naturel de la loi de 1834 et en dix jours on
fait sortir de l'entrepôt d'Anvers dix millions de kilog. ; dans l'espace d'un
mois on fait entrer dans la consommation 44 millions de kilog. au-delà de la
moyenne des importations de toute une année. Pendant le mois d'août, on
introduit encore dix millions de kilog. On avait dit cependant qu'il n'y avait
pas un hectolitre à acheter, que le commerce avait tellement peur du régime de
1834 qu'il n'osait absolument rien faire.
Ce que le commerce a fait (et je l'en remercie) sous le régime de la loi
de 1834, ne pourra-t-il pas le faire, et bien plus encore, lorsqu'il aura devant
lui dix mois d'entière sécurité pour toutes les importations qu'il voudra faire
en Belgique ?
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement de M. Osy, relatif
au terme de la libre entrée ; voici le résultat du vote :
Nombre des votants, 80.
18 membres votent pour l'adoption.
62 votent contre.
La chambre n'adopte pas.
Ont voté pour l'adoption : MM. Osy, Rogier, Savart, Verhaegen, Veydt, Anspach,
Castiau, David, de Bonne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, Devaux, Fleussu,
Lesoinne, Loos, Lys et Manilius.
Ont voté contre : MM. Pirmez, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Simons,
Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Vilain
XIIII, Wallaert. Zoude, Biebuyck. Brabant, Clep, Coppieters, de Baillet, de
Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega,
de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Muelenaere, de Renesse,
de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco,
de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric),
Dubus (Bernard), Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot,
Huveners, Kervyn, Lange, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Mast de Vries,
Mercier, Orban et Orts.
PROJET DE LOI RELATIF A LA CONTINUATION DES TRAVAUX DE CANALISATION DE LA
CAMPINE
M. Dubus (aîné). -
Dans votre séance de ce jour, le gouvernement vous a demandé un crédit de 950.000
fr. pour la continuation du canal de la Campine décrète par les lois des 29
septembre 1842 et 10 février 1843. Vous avez renvoyé l'examen de ce projet de
loi à une commission spéciale dont |'ai l'honneur de vous présenter le rapport.
Il ne s'agit que de l'exécution de lois que vous avez déjà volées.
Le canal de Bocholt à Herenthals a été décrété par la législature ; il doit
s'exécuter en deux sections.
La dépense en avait été estimée :
pour la première section à 1,730,000 fr.
pour la seconde à 2,220,000.
Total : 3,920,000.
Mais la législature n'a pas voté toutes les sommes nécessaires pour l'exécution
de cet ouvrage d'utilité publique.
Une première loi a alloué un crédit de 1,750,000 fr. pour l'exécution de
la première section ; une seconde a alloué un crédit de 1,110,000 fr. Vous avez
renvoyé au moment où les progrès des travaux l'auraient rendu nécessaire à voter,
les crédits indispensables pour l'achèvement des travaux ; ce moment est arrivé
; les deux crédits que vous avez votés sont complétement épuisés, et si les
chambres ne votaient pas, dès cette session extraordinaire, le crédit demandé,
il y aurait nécessité pour le gouvernement de suspendre les travaux dans un
moment où vous l'engagez à faire exécuter le plus de travaux possible, afin
d'occuper la classe ouvrière et de lui assurer ainsi les moyens de se procurer
des aliments qui sont maintenant à un prix élevé.
La somme qui avait été prévue devoir être nécessaire pour achever les travaux
est de 1,110,000 fr. Le gouvernement ne demande que 900,000 fr. parce que les
adjudications ont présenté un rabais assez considérable.
D'un autre côté, quelques travaux qu'on ne prévoyait pas ont été nécessaires.
En résultat, une somme de 950,000 fr. suffira, mais est nécessaire pour achever
le travail. Votre commission, à l'unanimité, a été d'avis de voter ce crédit de
950,000 fr. et d'adopter le projet de loi.
- La chambre décide que ce projet est mis à la suite de l'ordre du jour.
Discussion des articles
Article premier
M. le président. - Un second amendement présenté à l'article
premier par l'honorable M. Osy, consiste à ajouter aux objets qui y sont
énumérés : « le poisson sec. »
La parole est à M. Osy pour développer son amendement.
M. Osy. - Je crois avoir suffisamment développé cet
amendement. Le poisson sec est la nourriture de la classe moyenne, et quand
celle-ci aura cette nourriture à bon marché, elle consommera moins de pommes de
terre, ce qui sera un bienfait pour la classe pauvre.
M. le président. - Un troisième amendement de M. Osy consiste
à substituera la faculté laissée au gouvernement d'accorder la remise totale ou
partielle des droits d'entrée sur les farines, l'établissement d'un droit de 10
centimes par 100 kil. sur les farines et moutures.
M. Osy. - Je vous ai également développé cet
amendement. Comme les importations des céréales sont beaucoup plus
considérables cette année que les autres, il ne peut résulter de ma proposition
aucun inconvénient pour l'industrie des meuniers et des moulins à vapeur ;
l'occupation ne leur manquera pas.
Je vous ai dit également qu'il était impossible que l'on introduisît en Belgique
une très grande quantité de farines, et que. lors même qu'on y introduirait le
quart de tout ce qu'exportent les Etats-Unis, nous n'en recevrions que 500,000
hectolitres.
Je crois donc que, dans l'intérêt de la classe ouvrière, vous devez adopter
mon amendement.
M
le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, nous devons combattre l'amendement proposé par
l'honorable baron Osy.
Le but général de la loi est de venir au secours des classes ouvrières. Mais
comme on vous l'a déjà dit dans la discussion, on peut venir au secours des
classes ouvrières de deux manières : c'est en amenant un approvisionnement plus
complet des denrées alimentaires dans le pays, nuis c'est surtout en leur procurant
le travail. Or, il y aurait une véritable contradiction si, sous le prétexte
d'approvisionner le pays, vous frappiez, en permettant la libre entrée des
farines, une industrie très importante, une industrie qui donne chaque jour du
travail à un grand nombre d'ouvriers. Vous savez qu'il ne s'agit pas seulement
ici des grands établissements de moulins à vapeur, mais des moulins que chaque
commune renferma et à la prospérité desquels le sort de tant de familles se trouve
attaché.
Ainsi nous irions à rencontre du but que nous voulons atteindre et qui est
de venir au secours des classes ouvrières, si nous frappions, comme on le propose,
une branche importante du travail national.
Cette mesure ne serait utile que si nous avions réellement à craindre que
les importations de céréales étrangères fussent insuffisantes. Or ce danger n'existe
pas. En effet, nous avons une recolle bonne, une recolle ordinaire, et vous
savez qu'une récolte ordinaire en Belgique correspond à peu près à la consommation
normale du pays.
Il ne faut pas perdre de vue non plus que cette année, à cause de la libre
entrée qui existe depuis plusieurs mois, une grande importation de céréales,
une importation de 55 millions de kilog. de froment et de 9 millions de kilog.
de seigle a eu lieu.
Vous savez que l'importation ordinaire n'est que d'environ 25 à 30 millions
de kilog. L'importation pendant les huit premiers mois de cette année, dépasse
donc, pour le froment seul, de 25 millions de kilogr. les importations des
autres années.
Vous savez aussi, messieurs, qu'il y a encore
en magasin des grains de 1844, et qu'il ne s'agit que de couvrir le déficit
causé par le manque de récolte des pommes de terre.
La Hollande, dont la législation est favorable à la liberté commerciale,
a maintenu un droit assez élevé sur les farines, une partie de l'ancien droit de
5 fl. par 100 kil. ; et cependant, messieurs, vous savez que la législation en
Hollande, dominée par les besoins presque exclusifs du commerce, ne consacrerait
pas, dans un moment pareil, un système que M. le baron Osy considère comme
préjudiciable à l'intérêt commercial. (La
clôture !)
M. Osy. - L’honorable ministre des affaires
étrangères nous dit que la Hollande a maintenu le droit sur les farines. Cela
n'est pas exact ; la Hollande a réduit ce droit de 20 à 5 fl. Je crois que nous
devons aussi (page 24) voter une
réduction et que nous ne pouvons maintenir le droit de 15 francs qui est réellement
prohibitif.
M. Lys. - M. le ministre des affaires étrangères vient de vous dire que nous
ne devons pas prendre de mesure contraire à la classe ouvrière, et que ce
serait lui nuire que de permettre l'entrée libre des farines. Mais je répondrai
à M. le ministre que les ouvriers qui travaillent aux moulins ne forment pas le
millième de la classe ouvrière. Dès lors l'argument qu'il a fait valoir ne peut
être pris en considération. M. le ministre a ajouté que l'on ne devait pas craindre
de manquer de céréales, que l'on avait déjà importé cette année 55 millions de kilog.
de froment, tandis que les importations normales étaient de 25 millions de
kilog. Mais ne voit-on pas que malgré cette forte importation, les prix augmentent
tous les jours ? Attendra-t-on donc, pour permettre la libre entrée des
farines, que ces prix soient tellement, élevés que la classe ouvrière ne puisse
plus fournir à sa subsistance ?
- L'amendement de M. Osy est mis aux voix. Il n'est pas adopté.
M. Delfosse. - Je propose d’ajouter au paragraphe nouveau
introduit par la section centrale les mots suivants : « sur le bétail et
sur toute denrée alimentaire non désignée au présent article.
Je désire que le gouvernement ait la faculté de réduire et même de supprimer
les droits d'entrée qui frappent le bétail et toutes les substances alimentaires
dont il n’est pas fait mention à l'article premier.
Le gouvernement usera ou n'usera pas de cette faculté ; il se réglera d'après
les circonstances et sous sa responsabilité. Je ne pense pas qu'il y ait le
moindre danger à lui conférer ce pouvoir, et il peut se présenter des cas où il
serait extrêmement fâcheux qu'il n'en fût pas investi.
- L’amendement de M. Delfosse est mis aux voix et adopté.
M. le président. - M.
Osy propose un article 2 nouveau ainsi conçu :
« Les navires dont les chargements se composeront de deux tiers en pommes
de terre, seront exemptes du droit de tonnage jusqu'au 1er juin 1846. »
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Je crois qu'en principe nous pouvons accepter cet amendement, mais
qu'il faut borner l'exemption a la quotité du tonnage représentée par le
chargement de pommes de terre. Ainsi, si l'on introduit les trois quarts du
chargement en pommes de terre, on aura exemption des trois quarts du tonnage.
Si l'on introduit un chargement entier, on aura l’exemption de la totalité des
droits de tonnage.
Je pense aussi qu’il faudrait ajouter aux mots « pommes de terre, »
ceux-ci : « de bonne qualité et pour la consommation. »
M. le
président. - L'amendement serait
donc ainsi conçu :
« Les navires dont les chargements se composeront des deux tiers de pommes
de terre de bonne qualité et destinées à la consommation seront exemptés du
droit de tonnage jusqu'au 1er juillet 1846. »
M. le ministre de
l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je ne
sais si les mots de bonne qualité ne sont pas de trop. On pourra soulever des
contestations continuelles à cet égard.
C'est le négociant seul qui est juge de la qualité des pommes de terre qu'il
importe, et l'on pourrait donner lieu à de graves difficultés si l'on faisait
intervenir la douane dans l'appréciation de cette qualité.
M. Verhaegen. - Je crois que M. le ministre des finances a
eu raison de proposer une légère addition ; son but a été sans doute de ne pas
accorder l'exemption aux pommes de terre destinées à la distillation ;
l'exemption ne doit en effet être accordée qu'aux pommes de terre destinées à
la consommation et dès lors il faut exiger qu'elles soient de bonne qualité.
M. Mercier. - Je
dois faire observer à l'honorable M. Verhaegen qu'il serait impossible de
connaître la destination des pommes de terre importées Je crois que la pensée
de l'auteur de l'amendement est que les pommes de terre doivent être déclarées
en consommation. Alors on en fera tel usage qu'on jugera convenable, on les
emploiera soit pour la plantation, soit pour la consommation, soit pour la
distillation. Il n'y a aucun moyen de s'assurer qu'elles seront exclusivement
livrées à la consommation.
M. le président. - L'amendement serait ainsi conçu :
« Les navires dont les chargements se composeront des 2/3 en pommes de terre
de bonne qualité déclarées en consommation, seront exemples du droit de tonnage
jusqu'au 1er juin 1846. »
M. Rogier. - M. le
ministre de l'intérieur a fait observer avec beaucoup de raison que les
expressions « de bonne qualité » ne pouvaient pas être insérées
dans la loi, que le négociant était juge de la qualité des produits importés
par lui. Si vous faites intervenir la douane dans l'appréciation de la qualité
des pommes de terre, vous pouvez, messieurs, paralyser les opérations que vous
avez l'intention de favoriser. Il n'est pas vraisemblable, d'ailleurs, qu'un
négociant s'avise d'importer des pommes de terre de mauvaise qualité, dans la
perspective de jouir de l'exemption d'un tiers du droit de tonnage. Or, si les
pommes de terre arrivent dans un mauvais état, sans qu'il y ait faute du
négociant (et comme je viens de le dire, cette faute n'est pas à supposer),
voilà ce négociant qui aura souffert deux fois, d'abord dans la mauvaise
qualité des produits qu'il a payes comme bons et ensuite dans la non-exemption
du droit de tonnage. Ainsi, messieurs, si vous voulez accorder une faveur à
l'importation des pommes de terre, il faut retrancher les mots : « de
bonne qualité, » et soyez bien persuadés que le commerce ne s'avisera pas
d'importer des pommes de terre de mauvaise qualité, car son but est de vendre ;
s'il impôrte des produits de mauvaise qualité, il ne vendra pas. Ce serait donc
là une mauvaise opération, et il n'est pas à craindre que le commerce la fasse.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - J'ai cherché,
messieurs, la rédaction qui put le mieux rendre votre pensée commune à tous. Ce
que nous voulons c'est de favoriser au moyen d'une prime indirecte,
l'importation des pommes de terre qui pourront être livrées à la consommation.
Quant aux moyens d'atteindre le but, qu'il me soit permis de citer un précédent
qui a été posé en France. En 1816 et en 1817, on a accordé des primes directes,
mais toujours on a eu soin de dire que la marchandise, pour avoir droit à la
prime, devait être reconnue de bonne qualité. Je conviens, messieurs, qu'il est
peu probable que, dans l'espoir d'un léger bénéfice, l'on cherche à introduire
dans le pays des pommes de terre de mauvaise qualité ; cependant il ne m'est
pas démontré qu'il soit inutile que le gouvernement ait la faculté de refuser
la remise des droits si l'on tentait de profiler de la faveur accordée par la
législature, pour introduire des pommes de terre qui ne seraient pas propres à
être livrées à la consommation.
Ne pourrait-on pas dire, messieurs : « Il
sera accordé jusqu'au 1er juin 1840, remise des droits de tonnage à
l'importation des pommes de terre reconnues de bonne qualité et déclarées en
consommation. »
Je tiens assez, messieurs, à ce que ces dispositions se trouvent dans la
loi. C'est un avertissement donné par la loi que si l'on cherchait à gagner indûment
la prime (car c'est une véritable prime), elle pourrait être refusée. Je ne
crains pas plus les difficultés dans ces circonstances que dans toutes les autres
où, lorsqu'une cargaison arrive, l'administration l'examine pour constater
quels sont les articles dont elle se compose et déterminer dans quelle
catégorie chacun d'eux doit être placé en ce qui concerne le payement des
droits.
M. Rodenbach. - La rédaction que vient de présenter M. le ministre des finances me
paraît bonne, et d'autant plus nécessaire que déjà il nous est arrivé de
Hollande de mauvaises pommes de terre. L'honorable député d'Anvers doit en
savoir quelque chose, car c'est à Anvers que l'importation a eu lieu II est
également arrivé de l'étranger des céréales de très mauvaise qualité, des
grains gâtés, qui ont été vendus sur nos marchés et dont on a fait du pain, au
grand détriment de la santé publique. La rédaction de M. le ministre des
finances est donc indispensable. Peut-être même si la faveur eût été plus
considérable, aurait-on pu exiger que les pommes de terre fussent vendues
publiquement aussitôt après leur importation. On aurait empêché ainsi les
détenteurs de garder les pommes de terre le plus longtemps possible afin d'en
obtenir le prix le plus élevé ; mais la faveur accordée n'est pas assez forte
pour imposer cette condition' aux importateurs.
M. Osy. - Messieurs, tout en acceptant l'amendement
proposé par M. le ministre de l'intérieur, je dois faire une objection contre
la rédaction de M. le ministre des finances. Les petits caboteurs qui
arriveront d'Ecosse, d'Irlande, de Brème, etc., ne peuvent pas charger tout
leur navire de pommes de terre qui forment un produit trop pondéreux ; ils
devront y ajouter des marchandises plus légères. J'avais demandé que lorsque la
cargaison se composerait pour les 2/3 de pommes de terre tout le navire fût
exempt du droit de tonnage. Ce sont des navires de 150 ou de 200 tonneaux tout
au plus ; un navire de 150 tonneaux aurait 100 tonneaux de pommes de terre et
jouirait de ce chef d'une prime de 300 fr. Je crois que cette faveur n'est pas
nécessaire et que nous devons nous en tenir à la première rédaction.
- L'amendement, tel qu'il est rédigé par M. le ministre des finances, est
mis aux voix el adopté. Il est ainsi conçu :
« Il sera accordé jusqu'au 1er juin 1846 remise des droits de tonnage à l'importation
des pommes de terre reconnues de bonne qualité et déclarées en consommation. »
- Cette disposition formera l'article 2 du projet.
Article 3
« Art. 2. (Art. 3 nouveau). Jusqu'au
1er juin 1846, continueront d'être prohibés à la sortie :
« Le sarrasin,
« Les pommes de terre. »
- Adopté.
Article 4
« Art. 3. (Art. 4 nouveau). Sont prohibés à la sortie jusqu'à l'époque indiquée
à l'article précèdent :
« Le froment,
« Le seigle,
« L'avoine,
« Les fécules de pommes de terre,
« Les pois, les feves, les vesces,
« Les gruaux de toute espèce. »
M. Osy a proposé une disposition additionnelle ainsi conçue : « Le droit
d'entrée sur les viandes et salaisons est réduit des deux tiers du droit actuellement
en vigueur, et ce, jusqu'au 1er juin 1846. »
M. Osy. - Messieurs, le droit actuel est tout à fait
prohibitif. La viande de porc paye aujourd'hui 16 fr. par 100 kilog., ce qui
fait 8 centimes par demi-kilog. Je propose de réduire ce droit à 2 centimes ;
le bœuf sale paye 44 fr. par 100 kilog., 22 centimes par demi-kilog. Je demande
qu'on réduise ce droit à 8 centimes. C'est là un comestible très avantageux aux
classes moyennes, el je crois qu'il est convenable d'accorder cette réduction.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Tout à l'heure la
chambre a adopté un amendement de l'honorable M. Delfosse, qui autorise le gouvernement
à supprimer le droit sur le bétail et sur toutes les autres denrées
alimentaires. Il me semble, dès lors, que l'amendement de l'honorable M. Osy
est, en quelque sorte, devenu sans objet. Si la nécessité de ces mesures était
reconnue, le gouvernement pourrait les prendre.
- L'amendement de M. Osy est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
(page 25) L'article est ensuite
adopté tel qu'il est proposé par la section centrale d'accord avec le gouvernement.
Article 5
« Art. 4. (Art. 5 nouveau). Le gouvernement pourra interdire, en outre,
la sortie des farines, sons et moutures de toute espèce, du pain et du biscuit.
« Il pourra faire cesser, en tout ou en partie, les effets des articles 2
et 3 et des prohibitions qui seraient établies en vertu du présent article. »
- Adopté.
Article 6
« Art. 5 (Art. 6 nouveau). Il est ouvert au budget du minist6re de l'intérieur
(exercice 1845) un crédit supplémentaire de deux millions pour mesures
relatives aux subsistances.
« Ce crédit formera l'article unique du chapitre XXIII de ce budget.
« Il sera fait aux chambres, avant le 31 décembre 1846, un rapport spécial
sur les mesures adoptées et sur les dépenses faites en vertu de la présente
loi. »
- Adopté.
« Art. 6 (Art. 7 nouveau). La présente loi sera obligatoire le lendemain
de sa publication. »
- Adopté.
M. David. - Je demande à pouvoir faire maintenant les
observations que je voulais présenter à l'article premier.
En parcourant le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif
aux denrées alimentaires, je n'y vois pas un mot concernant une pétition qui a
été adressée par la société des moulins à vapeur de Bruxelles. Je demanderai à
M. le ministre des finances s'il a examiné cette pétition, et s'il est dans
l'intention d'y faire droit. Je renoncerai volontiers à présenter les
observations que j'ai à faire sur cette question, si M. le ministre déclare qu'il
est dans l'intention de prendre la pétition en considération.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - J'ai, en effet, reçu une pétition de la société des scieries et
moulins à riz de Molenbeek. Cette société demandait qu'on maintint sur le riz
en paille un droit différentiel, et qu'on lui avançât une somme de deux
millions, précisément égale à celle que nous demandons par le projet de loi. Il
nous a paru que celte pétition ne pouvait pas être accueillie par le
gouvernement, et c'est pour ce motif que nous n'en avons pas parlé.
M. David. — Je ne veux pas qu'on dispose en faveur de
cette société des deux millions qu'on demande pour secourir le pays. La société
se borne à solliciter un prêt momentané de deux millions ; le gouvernement peut
accueillir cette demande sans la moindre difficulté. (Aux voix ! aux voix !)
VOTE SUR L’ENSEMBLE DU PROJET
- La chambre décide qu'elle votera d'urgence sur le projet de loi.
Elle confirme successivement les divers amendements qui ont été introduits,
lors du premier vote, dans le projet de loi.
Il est procède par appel nominal au vote sur l'ensemble du projet de loi.
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 85 membres qui ont répondu
à l'appel. Il sera transmis au sénat.
Ont pris part au vote : MM. Anspach, Biebuyck, Brabant, Castiau, Clep, Coppieters,
d'Anethan, David, de Baillet, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de
Corswarem, Dedecker, de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man
d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Muelenaere, de Renesse, de Roo,
de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco,
Devaux, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dubus
(Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne,
Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune,
Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier,
Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart, Scheyven, Sigart,
Simons, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Verwilghen,
Veydt, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.
DECLARATION D’OPTION ELECTORALE
M. le président. donne lecture d'une lettre par laquelle M.
Rogier, nommé représentant par le collège électoral de Bruxelles et par celui
d'Anvers, déclare opter pour ce dernier collège.
Il est donné acte à M. Rogier de cette déclaration qui sera notifiée à M.
le ministre de l'intérieur et qui sera insérée au procès-verbal.
PROJET DE LOI RELATIF A LA CONTINUATION DES TRAVAUX DE CANALISATION DE LA
CAMPINE
Discussion générale
M. le
président. - L'article unique du
projet de loi est ainsi conçu :
« Article unique. Un crédit de neuf cent cinquante mille francs (950,000
fr.) est ouvert au département des travaux publics, pour la continuation des
travaux du canal de la Campine, décrété par les lois du 29 septembre 1842 et du
10 février 1843.
« Cette dépense sera provisoirement couverte au moyen d'une émission de bons
du trésor de pareille somme, qui se fera au fur et à mesure des payements à
effectuer pour les travaux qui seront exécutés.»
- La discussion générale, qui se confond avec la discussion de l'article
unique, est ouverte.
La parole est à M. Lejeune.
M. Lejeune. - Messieurs,
j'approuverais dans toutes les circonstances le projet de loi soumis à vos
délibérations ; c'est vous dire que je ne m'y opposerai pas aujourd'hui que le
pays subit une épreuve difficile.
Toutes les mesures qui ont pour objet de donner du travail à la classe ouvrière,
adouciront la situation fâcheuse que va faire au pays le haut prix des
subsistances.
Donner du travail, c'est le
complément de la loi que nous venons de voter ; c'est la partie essentielle de
la tâche que le gouvernement et les chambres ont à remplir.
A cette occasion, j'appellerai l'attention de M. le ministre des travaux
publics sur l'exécution du canal de Zelzaete ; je l'engage à presser la
confection des plans définitifs. Si les travaux de creusement pouvaient avoir
lieu pendant l'hiver, on soulagerait efficacement une partie du pays où la
maladie des pommes de terre a exercé les plus grands ravages, où la récolte de
ce tubercule, qui y est toujours si abondante, est presque totalement perdue.
M. le ministre
des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). -
Messieurs, le canal de Zelzaete, dont vient de parler l'honorable préopinant, a
déjà attiré mon attention ; toutefois, les travaux à exécuter à ce canal ne
pourront être activement repris avant que l'écluse de mer ne soit totalement
construite. Du reste, s'il est possible de faire exécuter des travaux partiels,
je m'empresserai de les ordonner.
Vote sur l’article unique et l’ensemble du projet
Personne ne demandant plus la parole, il est procédé au vote, par appel nominal,
sur l'article unique du projet de loi.
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 73 membres qui ont pris part
au vote. Il sera transmis au sénat.
AJOURNEMENT INDEFINI DE LA CHAMBRE
Rien n'est plus à l'ordre du jour. La chambre s'ajourne indéfiniment.
- La séance est levée à cinq heures.