Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 novembre 1845
Sommaire
1) Projet d’adresse en
réponse au discours du trône. Discussion politique générale, question de
confiance gouvernement et appel à l’unionisme (+ formation du nouveau
gouvernement, notamment condition posée par Rogier de pouvoir dissoudre à
volonté la chambre) (d’Huart, Rogier,
Van de Weyer, Liedts, Rogier, Van de Weyer, Dumortier, Manilius, Liedts, Van de Weyer, d’Elhoungne, Dumortier, de Brouckere, de Theux, de Mérode, Devaux, Liedts, Malou, Rogier,
Dumortier, Van de Weyer, Devaux, Delfosse, Dechamps, Devaux, Van de Weyer, Dolez, Dumortier, de Mérode, Verhaegen, Malou, (+enseignement
moyen) Verhaegen)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 41) M. de Villegas fait l'appel nominal à
midi et un quart.
M. de Man
d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en
est adoptée.
M. de Villegas présente l'analyse des
pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Sinave demande un droit provisoire de sortie sur le
beurre. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
PROJET D’ADRESSE EN REPONSE AU DISCOURS DU TRONE
Discussion générale
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
La parole est à M. d'Huart, membre du cabinet.
M.
d’Huart, ministre d’Etat. - Après certaines
allusions qui ont été faites à la fin de la séance d'hier, je ne crois pas
pouvoir me dispenser de donner immédiatement à la chambre une explication en ce
qui me concerne relativement à ce qui s'est passé à l'époque de la retraite du
ministère précédent.
Lorsque, peu de jours après les élections du mois de juin dernier, je
fus appelé à Bruxelles, de haut lieu, on me fit connaître immédiatement que les
démissions de tous les ministres, données purement et simplement sans aucune
espèce de réserve, se trouvaient déposées, et on me pria de me charger de la
recomposition d'un nouveau cabinet.
D'abord, messieurs, je dois le dire, j'exprimai mes vifs regrets du
précédent qui venait d'être posé, c'est-à-dire que je n'approuvai pont les
démissions données ainsi en masse après quelques manifestations électorales ;
je croyais alors, comme je le crois encore aujourd'hui, qu'il faut se garder de
laisser s'établir dans le pays l'opinion qu'il peut dépendre de deux ou trois
collèges électoraux de renverser un ministère.
Quoi qu'il en soit, les démissions étant données et rendues publiques,
je pensai qu'il n'était pas conseillable de refuser toutes ces démissions
indistinctement, et j'exprimai nettement mon avis en ce sens.
Quant à la mission de recomposer une nouvelle administration, je fis
tous mes efforts pour en décliner l'honneur ; complétement étranger aux causes
de la situation politique du moment, persuadé d'un autre côté que le fardeau du
portefeuille de l'un des départements ministériels serait après fort peu de
temps au-dessus de mes forces physiques, il m'était permis d'agir ainsi.
Cependant, faisant taire ces considérations et n'écoutant que mon
dévouement au Roi et au pays, j'acceptai de rentrer activement aux affaires ;
mais, me défiant de moi-même et craignant mon insuffisance, je demandai avant
tout qu'un homme honoré et estimé de toutes les opinions se joignît à moi pour
constituer le cabinet ; vous n'ignorez pas, messieurs, que successivement trois
hommes, réunissant à un haut degré ces conditions, ont refusé les propositions
qui leur furent faites à cet égard.
Bien que ces refus, motivés par des considérations particulières en
dehors de la politique, ne me touchassent personnellement en aucune façon, je
les considérai comme une sorte d'avertissement de ne pas pousser au-delà mes
tentatives, et je déclinai alors formellement toute espèce de participation
dans la formation d'un ministère.
Tel est, messieurs pour ce qui me concerne, le résumé exact de ce qui
s'est passé en juin dernier. Je m'abstiendrai, pour des raisons de convenances
que vous apprécierez, d'y ajouter aucun développement.
Maintenant deux mots par rapport au ministère actuel.
Je n'ai pas hésité à m'associer intimement à sa politique, parce que les
hommes qui le composent présentent à mes yeux toutes les garanties de probité,
de capacité et de modération désirables pour la bonne gestion des grands
intérêts du pays.
Pour moi, messieurs, j'ai toujours été du nombre de ceux qui croient que
le seul système de gouvernement qui convient à la Belgique, est celui qui a
présidé à la fondation de sa nationalité, c'est-à-dire un système de modération
et de conciliation entre toutes les opinions, administrant avec impartialité et
équité, respectant également toutes les libertés constitutionnelles et assurant
l'ordre par l'exécution franche des lois.
Or, c'est dans ces vues, c'est avec la ferme intention de diriger ainsi
les affaires du pays, que le cabinet actuel se présente devant vous. Vous
jugerez, messieurs, si les actes qu'il a déjà posés sont conformes à ces
principes et si le caractère personnel de ses membres donne une valeur
suffisante à leurs déclarations positives pour l'avenir.
On a fait hier, à l'égard du ministère précédent, diverses questions qui
étaient de nature à amener dans les réponses l'examen des allures de ce
ministère. Or, nous, ministres, nous ne sommes pas appelés à défendre ni à
attaquer la marche gouvernementale ; pour nous, messieurs, il suffit que les
chambres et le pays sachent quelle est notre règle de conduite.
Qu'on nous dise que les idées de conciliation
qui ont été invoquées sur la formation de l'ancien ministère étaient les mêmes
que celles qu'invoque le ministère actuel pour justifier sa composition, soit,
nous voulons l'admettre ; mais nous nous pas à rechercher et nous ne voulons
pas rechercher comment l'application de ces idées, l'exécution du système de
conciliation admis alors en principe, ont été faites ; il nous suffit et il
doit suffire à tout homme dégagé de préventions, que nos intentions soient bien
constatées, et que l'on sache ainsi que l'impartialité la plus absolue, comme
le veut la Constitution, est et sera la règle invariable de la nouvelle
administration au milieu des prétentions divergentes qui pourraient s'agiter
autour d'elle.
M. Rogier. -
Messieurs, c'est sur l'incident qui a été soulevé hier, que j'ai réclamé la
parole à la fin de la séance. Je demande à reprendre cet incident ; je désire,
messieurs, qu'il ne reste pas la moindre équivoque dans vos esprits, ni
ailleurs, sur la portée de cet incident. Une fois l'incident terminé, la
chambre pourra reprendre ses débats, et ne plus sortir de son véritable ordre
du jour.
Messieurs, l'incident qui a été soulevé hier a pris un caractère si
sérieux, il a revêtu de telles proportions que je me manquerais à moi-même, que
je manquerais à mon opinion, à la royauté, que je manquerais surtout à la
vérité, si je ne prenais sur moi de rétablir les faits dans leur parfaite
sincérité.
Mais, je le déclare d'avance, je me garderai
bien de déplacer le véritable terrain de la discussion ; je vous prie de ne pas
oublier que le véritable objet en discussion, n'est pas de savoir si tel ou tel
individu, dans telle ou telle conversation particulière, a parlé de tels cas de
dissolution éventuelle. Là n'est pas, messieurs, la question que vous avez à
examiner ; la véritable question que vous avez à examiner est celle-ci :
« Le ministère qui se présente à vous, répond-il à la situation ?
Peut-on lui accorder a priori le vote de confiance qu'il réclame ? » Voilà,
messieurs, toute la question, qu'on ne le perde pas de vue j'aurai, pour ma
part, soin d'y revenir.
M. le ministre de l'intérieur, interrogé hier sur les causes de son
entrée au ministère, a dit, en termes exprès, qu'il était venu pour défendre la
royauté et empêcher qu'on ne l'obligeât à abdiquer virtuellement. Consulté,
dit-il, sur la formation du cabinet, M. Rogier a voulu qu'il lui fût confié un
pouvoir extraordinaire et exorbitant ; il a demandé le droit illimité de
dissoudre cette chambre, et en cela il a commis un crime politique.....
M. le ministre de
l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je demande la parole pour un instant.
Dans la chaleur de l'improvisation, il peut échapper certaines paroles
qui peuvent avoir un caractère d'amertume : ce qui n'est ni dans mes habitudes,
ni dans mes affections. Si le mot crime politique veut avoir quelque chose de
blessant pour l'honorable préopinant, je déclare qu'en l'employant, je n'avais
voulu que formuler la pensée constitutionnelle, la pensée de principe qui
m'animait, mais que je n'entendais nullement adresser un reproche qui blessât
l'honneur de mon honorable ami. Je retire donc volontiers cette expression,
mais je laisse subsister le principe dans son intégrité.
M. le président. - Je dois faire une observation. Lorsque, dans
la séance d'hier, M. le ministre de l'intérieur a pris la parole, et qu'il s'est
servi de l'expression crime politique, le bureau ne croyait pas que cette expression
s'appliquât à un membre de la chambre ; sans cela, j'aurais cru devoir relever
l'expression ; je n'ai su que l'expression s'adressait à un membre de cette
assemblée, que lorsque M. Rogier eut demandé la parole pour un fait personnel.
La parole est continuée à M. Rogier.
M. Rogier. - Je ne
viens pas occuper la chambre d'une expression échappée à l'honorable M. Van de
Weyer dans la chaleur de l'improvisation ; je n'ai pas attaché une grande
importance à l'expression de crime politique qui m'a paru légèrement outrée ;
j'en ai souri ; beaucoup de membres de la chambre l'ont accueillie de même ;
c'est donc du fait en lui-même, et non pas de l'expression plus ou moins
exagérée avec laquelle on l'a énoncé, que je veux m'occuper en ce moment.
J'ai répondu à l'assertion de M. le ministre de l'intérieur, à savoir
que, consulté sur la formation d'un cabinet, j'aurais exigé la dissolution de
la chambre dans tous les cas ; j'ai répondu à cette étrange assertion en termes
très explicites ; j'ai démontré toute l'exagération des allégations de M. le
ministre de l'intérieur ; je lui ai fait voir comment il avait été complétement
induit en erreur sur mon langage. Je m'attendais donc à ce que M. le ministre
de l'intérieur ne reviendrait pas à la charge, et qu'il ne retirerait pas
seulement tout ce qu'il pourrait y avoir d'exagéré dans certaines expressions,
mais qu'il retirerait ses allégations tout entières. Toutefois, il n'en est
rien. M. le ministre de l'intérieur, usant d'un stratagème oratoire dont nous
connaissions déjà l'usage, mais que nous aurions voulu voir abandonner avec
l'ancienne politique ; M. le ministre de l'intérieur est venu s'écrier : «
L'honorable M. Rogier confirme toutes mes assertions. » Nous nous comprenons
donc bien mal ; j'avais démenti de la manière la plus formelle ces assertions,
en ce qu'elles avaient de faux et d'exagéré, et M. le ministre de l'intérieur
vient dire à la chambre que je viens confirmer pleinement ces assertions.
Ce n'était pas assez. M. le ministre des affaires étrangères, qui
peut-être aurait dû garder un silence prudent dans cette occasion, qui n'aurait
pas dû peut-être m'entraîner à faire certaines révélations qui pourraient gêner
beaucoup le ministère ; M. le ministre des affaires étrangères est venu dire
lui aussi que j'avais demandé un blanc-seing pour entrer au ministère.
(page 42) Cela est faux, et
après l'interprétation qu'on a donnée à l'assertion, cela est odieux. Je n'ai
nullement eu la mission de former un cabinet. On dit que j'ai été consulté sur
la formation du cabinet, cela est complétement faux, je n'ai pas été consulté
sur la formation du cabinet ; j'ai eu certaines conversations avec quelques
personnages. Mais quelle était la condition première de ces conversations ?
C'est que ces conversations n'avaient rien d'officiel, rien qui ressemblât le
moins du monde à des ouvertures directes ; ces conversations étaient toutes
confidentielles ; de part et d'autre, on insistait sur le caractère purement
officieux de ces entretiens ; eh bien, dans une de ces conversations, il a été
échangé, sous le sceau du secret, certaines confidences ; j'ai pu m'expliquer
sur le cas de dissolution, sur certains autres points de la situation ; mes
interlocuteurs, de leur part, se sont aussi expliqués avec une certaine
franchise ; mais, à moins d'y être forcé par les nécessités de la discussion,
par le droit légitime de ma défense personnelle, je me garderai bien de suivre
les exemples qui ont été donnés, je me garderai bien, comme on l'a fait, de
tirer parti ici de conversations particulières et confidentielles, pour mieux
assurer une position dans laquelle on s'est si faussement fourvoyé.
Je n'ai pas été consulté, je n'ai donc pas eu de proposition à faire ;
encore moins ai-je eu des conditions à imposer à la royauté. Messieurs, je vous
l'ai dit hier en toute sincérité, si j'avais eu l'honneur d'être appelé par la
Couronne, si, éclairant la Couronne sur la véritable situation du pays, j'avais
émis en effet l'idée d'une dissolution éventuelle dans certains cas donnés ; si
alors S. M. m'avait fait les observations qui ont été produites avec un si
grand fracas dans la séance d'hier ; si S. M. m'avait seulement laissé
entrevoir l'idée qu'elle trouverait dans une telle proposition quelque chose
qui put porter la moindre atteinte à la prérogative, qui de vous, messieurs,
peut supposer qu'à l'instant même je n'eusse retiré cette proposition ? Si vous
ne m'accordez pas un royalisme aussi chevaleresque que le vôtre, accordez-moi
du moins du bon sens ; ne pensez pas que je fusse venu me heurter contre un
obstacle invincible ; voilà ce que je demande de votre justice.
Dirai-je, messieurs, toute ma pensée ? L'on a accepté une position fausse,
l'on éprouve de grandes difficultés à l'éclaircir, à la faire accepter surtout
de la part de ceux à qui on demandait hier leur concours. De part et d'autre,
dans le ministère, l'on a des raisons de méfiance mutuelle ; l'on hésite à
répondre à des questions précises, l'on se sent embarrassé sur ce terrain de la
sincérité dont j'ai tant de fois parlé dans mes conversations et plus tard ; on
soulève alors des incidents ; on vient effrayer la chambre par de grands mots ;
on espère peut-être que ces paroles ronflantes, prononcées dans cette chambre,
trouveront d'autres auditeurs plus augustes ; on espère ainsi conserver des
positions fortement compromises devant cette chambre et devant l'opinion
publique.
C'est, messieurs, un de ces expédients que j'appellerai désespérés ;
l'expédient soulevé dans la séance d'hier, je le répète, porte tous ces
caractères. J'ai pris note des conversations tout officieuses qu'elles étaient
; j'en ai pris note ; pourquoi ? parce que j'avais besoin de me mettre en garde
contre le retour de certaines manœuvres qui a une autre époque ne nous ont déjà
que trop desservi vis-à-vis de la Couronne.
Nous n'avons pas, nous, l'honneur d'approcher du Trône, n'ayant que peu
ou point de relations avec ceux qui l'entourent. Il arrive quelquefois que
certaines erreurs s'y propagent, que certains propos s'y répètent, que
certaines prétentions s'y révèlent comme exorbitantes. Il ne nous a pas été
donné jusqu'ici de détruire ces propos, ces préventions ; et voici ce qui
arrive. C'est d'abord une rumeur légère, un petit bruit rasant la terre ; et
tout à coup, dans cette enceinte avec grand bruit, on vient s'écrier : Vous ne
savez pas la grande nouvelle ? Mais tel homme politique est d'une humeur
intraitable, tel homme politique est d'une ambition colossale, tel homme
politique ne vise pas à moins qu'à enlever au Roi sa prérogative ; il pousse
l'orgueil politique jusqu'à vouloir imposer au Roi sa propre abdication. La
chambre s'émeut ; les grands citoyens se révèlent, les grands dévouements
débarquent de tous côtés ; on vient sauver la royauté ; les sauveurs de la
royauté se couronnent. Il faut avoir raison de pareilles tactiques ; elles sont
fausses, elles sont ridicules, elles sont odieuses.
Ainsi, messieurs, je proteste contre toutes les assertions de M. le
ministre de l'intérieur et contre les assertions de M. le ministre des affaires
étrangères. Je porte le défi, je demande pardon à M. le ministre de l'intérieur
de me servir d'une expression qu'il trouvera peut-être de mauvais ton ; je
porte le défi à M. le ministre de l'intérieur de dire à la chambre quel homme
politique j'ai chargé de dire à Sa Majesté que-, dans le cas où le pouvoir me
serait offert, je faisais de la faculté indéfinie de dissoudre les chambres, en
toute circonstance, la condition de mon acceptation. Je le défie de prouver que
j'aie été consulté sur la formation d'un ministère, ainsi qu'il l'a avancé hier
; je le défie de dire qu'il m'ait adressé des observations en temps opportun,
sur les assertions qu'il a émises hier, à savoir que j'aurais voulu forcer le
Roi à abdiquer.
Quant à M. le ministre des affaires étrangères, je l'engage fortement à
ne pas revenir sur ses assertions d'hier ; il a dit que j'avais eu, avec un
autre personnage que lui, des conversations ayant un caractère plus officiel.
Le personnage auquel il a fait allusion a eu soin de me dire, en m'abordant,
qu'il n'avait aucune espèce de mission vis-à-vis de moi. Non content de m'avoir
fait cette déclaration, il est revenu chez la personne devant laquelle cette
conversation avait eu lieu, pour rappeler qu'il n'avait eu aucune espèce de
mission de m'offrir un rôle quelconque dans la nouvelle combinaison
ministérielle. Voilà la vérité.
Je désire qu'en n'aille pas trop loin au fond
de ces conversations, je ne veux pas en user, je ne veux pas surtout en abuser
; je désire qu'on soit très modéré dans l'usage qu'on en fera. Voilà ce que
j'avais à dire. S'il reste encore quelque doute sur la portée des conversations
qui ont eu lieu, je supplie qu'on veuille bien m'interroger ; je suis prêt à
répondre de la manière la plus nette et en même temps la plus victorieuse. Vous
comprenez à quel point il importait à l'opinion à laquelle j'appartiens que de
pareilles allégations reçussent ici les démentis qu'elles méritaient ; il
importait que tous ces bruits qui avaient d'abord circulé sous le manteau, qui
ensuite avaient été révélés dans la presse du pays et de l'étranger, qui enfin
avaient fini par éclater dans cette enceinte ; il importait que tous ces bruits
vinssent à s'éclairer. Voilà ce que j'ai voulu faire ; voilà sur quel point
j'ai voulu arrêter voire attention. Je le répète, si des explications
ultérieures sont jugées nécessaires, je suis prêt à les donner. Car il ne faut
ici d'équivoque pour personne, il faut que les explications soient nettes et
claires, de manière à ne laisser aucun doute sur ce qui s'est passé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, vous me permettrez de vous exprimer mon profond
étonnement sur le revirement soudain qui s'est opéré depuis hier dans la
position de l'honorable préopinant et de ses amis. On vous présente aujourd'hui
comme un incident, comme une question imprévue le débat qui s'est élevé hier
devant vous. Mais, messieurs, cette question, loin d'être un incident, loin
d'avoir été une de ces tactiques oratoires, une de ces manœuvres insidieuses
qui répugnent autant à mon caractère qu'à celui de l'honorable préopinant, loin
d'avoir été soulevé pour la commodité de la cause, pour faciliter notre
position, constitue le fond même de la question que nous examinons. En effet,
qu'est-on venu faire ? Par l'organe de l'honorable M. Devaux une série
d'interrogations nous a été faite ; la première question adressée au ministre
de l'intérieur, se résume en ces mots : Pourquoi, étranger depuis 15 ans aux
luttes parlementaires, êtes-vous venu bénévolement d'outre-mer, pour former un
cabinet ? Quelle est donc la cause d'une détermination aussi soudaine ?
Cette cause, il était de mon devoir de la révéler ; il était de mon
devoir de vous initier à ce qui avait précédé mon arrivée. On vous a parlé du
désir de conserver des positions, d'ambitions personnelles, de complaisances
envers le premier des pouvoirs, afin de se bien placer dans son esprit. Ah !
messieurs, si ces indignes et ignobles calculs avaient quelque influence sur
mes actions ; s'il ne s'agissait que de se maintenir dans un poste élevé, je
n'avais qu'un mot à dire pour ne point paraître dans cette enceinte et pour
occuper, à l'heure qu'il est, une position d'autant plus belle que je l'avais
conquise et que je la remplissais avec honneur en représentant avec quelque
dignité, je pense, et le Roi et le pays. Certes, si je n'eusse été animé que
par l'ambition, c'est cette position que j'aurais conservée ; si je n'eusse été
guidé que par l'intérêt personnel et par ces misérables considérations dans
lesquelles l'honorable préopinant va chercher les motifs de ma conduite, ce
n'est pas sur ces bancs que je me trouverais, c'est à Londres que je serais
encore.
Qu'a-t-il
fallu pour que j'abandonnasse ce que d'autres peut-être auraient conservé à ma
place ? Il a fallu le sentiment d'un grand devoir à remplir. Ce devoir, pour
être rempli envers la royauté, diminue-t-il de valeur ? Est-ce parce que les
prérogatives royales se trouvent en cause que mon patriotisme pourrait être
révoqué en doute ? Eh bien, je le proclame hautement, toutes les fois que, dans
cette enceinte et ailleurs, les prérogatives de cette royauté qui a fondé notre
nationalité seront attaquées, je les défendrai avec la même énergie, le même
dévouement, et je défends ainsi nos institutions mêmes.
Un membre. -
On ne doit pas suspecter les intentions de la chambre !
M. Dumortier. - Il
faut supposer qu'on pourrait attaquer la royauté dans cette enceinte.
M. Manilius. - Nous
sommes tous dans les dispositions que vient d'exprimer M. le ministre de
l'intérieur.
M. le
président. - Quand il s'agit de
la composition d'un ministère nouveau, il faut bien qu'on parle des relations
qui ont pu exister entre le Roi et les personnes appelées à composer le
cabinet.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - On a cherché à dénaturer et mes paroles, et mes principes, et mes
sentiments ; on a parlé de mon dévouement à la royauté comme d'un moyen que
j'aurais employé pour conserver une haute position ; je me devais à moi-même de
repousser ces suppositions avec toute l'énergie de mon âme. Quant à l'autre
reproche d'avoir prêté à ces discussions le nom du Roi, je demanderai, eu
examinant le projet d'adresse, qui de nous a fait introduire
inconstitutionnellement la personne du Roi, isolée de ses ministres, dans les
débats.
M. d’Elhoungne. - Ce
n'est pas nous, c'est le sénat.
Un
membre. - Ce projet est l'œuvre de la commission nommée
par la majorité.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Vous voyez qu'il ne s'agit donc pas ici d'un incident, mais du fond
même de la question. L'honorable préopinant s'est placé dans une contradiction
perpétuelle non seulement avec ce qu'il a dit hier à la chambre, mais encore
avec ce qu'il a dit aujourd'hui. D'un côté, il déclare qu'il n'a pas été
consulté sur la formation du ministère, que les conversations ont été purement
particulières. Et cependant l'honorable membre y attache une importance telle,
qu'il s'est trouvé armé de toutes pièces quand cet incident imprévu est venu se
produire devant vous. Car nous l'avons vu tirer de sa poche ses notes écrites,
et écrites depuis longtemps, au sujet de ces conversations particulières, de
ces questions que l'on vous présente comme n'ayant aucune importance politique.
D'un autre côté, l'honorable préopinant, tout en semblant n'attacher
aucune valeur à ces conversations particulières, ajoute : Si j'avais pu croire
que la demande d'être muni du pouvoir illimité de dissoudre les chambres eût
été un obstacle à mon entrée au ministère, j'aurais éclairé la royauté ; (page 43) je lui aurais fait comprendre
que ce pouvoir n'avait pas le caractère qu'on veut lui donner.
Que résulte-t-il de ces paroles ? Eh ! messieurs, la preuve évidente que
ce pouvoir exorbitant avait été demandé.
M. Rogier. - A qui
?
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Ne mêlons pas à nos débats le nom des personnes qui doivent y rester
étrangères. J'ai posé à l'honorable membre cette simple question : Quel a été
l'obstacle de votre entrée au ministère ? J'ai répondu à cette autre question :
Quelle est la causer de votre avènement aux affaires et de la formation d'un
ministère nouveau ? J'ai révélé à la chambre des faits politiques qui n'ont pas
été contestés ; ils ont été démentis dans la forme ; mais ils subsistent pour
le fond. L'honorable membre, dans son discours d'hier, en a reconnu
l'exactitude ; cela me suffit. Il importe peu de savoir avec qui les
conversations particulières ont eu lieu. Il me suffit d'avoir appris, de la
bouche de l'honorable membre, que je n'ai pas été induit en erreur, ainsi qu'il
l'a prétendu. En effet, je lis dans son discours inséré au Moniteur, les
paroles suivantes : « Quant à la dissolution, je désirais simplement une
chose. » Vous le voyez, le principe de la dissolution avait été posé par
l'honorable membre. Je m'appuierai toujours sur ses propres paroles ; laissons
donc hors du débat les conversations particulières où ces prétentions se sont
produites.
« Mon intention était, et je l'ai déclaré, de n'entrer et de ne rester
dans une administration que du plein gré de la Couronne. Comme une opinion
contraire avait été soigneusement propagée et entretenue, je désirais que le
pays et les chambres ne doutassent pas de l'adhésion de la Couronne à la marche
du nouveau cabinet, en d'autres termes, ne doutassent pas de la confiance du
Roi dans ses ministres. »
Singulière doctrine ! Il fallait, pour que le
pays fût convaincu que le Roi, en nommant ses ministres, mettait en eux sa
confiance (s'il en était autrement, ce serait la position la plus étrange qui
se fût produite dans un pays constitutionnel) ; il fallait, indépendamment de
la nomination, qui est d'ordinaire le gage de la confiance du souverain, il
fallait que l'honorable préopinant fût encore muni d'un pouvoir illimité. « Là
était, à ses yeux, l'utilité principale de cette mesure tout éventuelle. »
C'est-à-dire que cette mesure ne devait pas être exécutée hic et nunc par
l'honorable membre, s'il était entré aux affaires, mais que muni de ce pouvoir,
avec cette arme entre les mains, il avait moyen de commander à la chambre. Il
voulait donc un moyen extra-légal de se maintenir aux affaires !
M. Dumortier. - Est-ce qu'on met un de nos collègues en accusation !
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer)., reprenant la lecture du discours de M. Rogier - « Mesure tout
éventuelle, et qui selon toute probabilité n'aurait pas reçu d'exécution. »
Sans doute, c'est qu'on comptait sur l'effet que l'on produirait sur
cette assemblée, par une menace d'exécution.
M. de Brouckere. -
Cela donne une haute idée de la dignité de cette assemblée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Etrange manière de gouverner constitutionnellement, que d'introduire
ces petits moyens d'intimidation morale. Investir un ministre, avant qu'il
n'ait exposé son système à la royauté, d'un droit aussi illimité, c'est un
principe nouveau que je combattrai de toutes mes facultés en bon et dévoué citoyen.
M. Rogier. -
Continuez la lecture.
M. le ministre des finances
(M. Malou). - Je crois que cela suffit.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - On m'indique un autre passage qui confirme celui dont j'ai déjà
donné lecture, qui est même plus explicite :
« Un ministère homogène, tel que je le comprenais, ne pouvait avoir la
prétention ridicule de concilier toutes les opinions. Il ne serait cependant
pas un ministère partial, encore moins un ministère réactionnaire.
« Il se serait donc présenté avec confiance devant le parlement tel
qu'il s'offrait à lui ; mais si, contre toute attente, il y rencontrait une
opposition systématique assez forte pour entraver sa marche, cette opposition
aurait dû ne pas ignorer que ce ministère se déciderait, de l'assentiment du
Trône (assentiment préalable dont l'honorable membre aurait été revêtu), à
faire un appel au pays ; elle aurait dû au moins ne pas nourrir la conviction
contraire, ainsi que cela s'était vu à une autre époque, au grand détriment des
travaux parlementaires et de l'ascendant du ministère. »
Je laisse à la chambre à juger entre l'honorable préopinant et moi. Ne
résulte-t-il pas évidemment de ce passage que l'honorable membre exigeait, en
réalité, comme condition sine qua non de son entrée au ministère, avant même
d'exposer ses principes, les mesures qu'il aurait présentées, le pouvoir
exorbitant de la dissolution ? Que voulait ainsi l'honorable membre : Assurer
la durée du ministère par des moyens que je déclare illégaux et
inconstitutionnels.
M. Devaux. - Je
demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il est donc évident qu'on ne nous a démenti que dans la forme, mais
que le fond subsiste dans toute son intégrité.
Si j'ai soulevé cette discussion que j'aurais désiré pouvoir éviter,
c'est parce que l'honorable M. Devaux, qui connaissait toutes ces
circonstances, qui connaissait l'obstacle à l'entrée de son ami aux affaires,
m'avait posé des questions sur la cause de mon avènement au ministère. Cette
cause j'aurais voulu ne pas avoir à vous l'exposer ; car j'aime à écarter de
nos débats ce qu'il y a de personnel, ce qu'il peut y avoir d'amer dans ces
explications.
M. le président. - La parole est à M. de Mérode.
M. Rogier. - Je
demande que l'on vide l'incident.
M. le président. - A la fin de la séance d'hier, M. Verhaegen a
déclaré que l'incident était terminé ; il avait paru avoir l'assentiment de ses
collègues.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - C'est la discussion de la motion faite par M. Devaux qui était
terminée.
M.
Delfosse. - Ceci est encore un
nouvel incident.
M. le président. - La parole est à M. Rogier pour un fait personnel.
M. Rogier. - Je ne
l'ai pas demandée pour un fait personnel.
M. le président (s'adressant à M.
Rogier). - M. de Mérode est inscrit avant vous pour parler sur la motion
d'ordre.
M. de Theux. - Je pense qu'il faut suivre l'ordre des inscriptions,
à moins qu'on ne demande la parole pour un fait personnel.
Si le débat s'ouvre sur un fait personnel, les personnes qui sont en
cause peuvent seules prendre la parole pour interrompre la discussion. Ainsi,
si M. Rogier prend la parole, un ministre pourra lui répondre. C'est un débat
entre le ministère et lui. Pour les autres membres qui demanderaient la parole
sur l'incident, on doit suivre l'ordre des inscriptions.
M. le président. - Il y a trois orateurs inscrits : MM. de Mérode,
Rogier et Dumortier.
M. de Mérode. - Je ne compte pas dire un mot sur l'incident
; je ne suis pas au courant des faits dont on vous entretient.
M. Devaux. - Je
tiens fort peu à prolonger l'incident qui, vous le voyez, n'est plus celui d'hier.
J'avais demandé des explications sur des questions auxquelles on a fait
des réponses évasives, que je me réserve d'examiner ; mais on a transporté la
discussion sur un autre terrain. J'avais demandé à M. le ministre de
l'intérieur quelles idées politiques il avait apportées dans le cabinet ; M. le
ministre de l'intérieur a transporté la discussion sur les idées politiques
qu'auraient apportées dans le cabinet certaines personnes, si elles avaient été
appelées par la Couronne à en faire partie. Ainsi nous ne discutons pas le
ministère qui est devant vous, mais celui qui serait devant vous si d'autres
hommes avaient été appelés à le former.
Je ne veux pas prolonger l'incident nouveau ; je désire que la
discussion se reporte sur son véritable terrain : la position du ministère qui
est devant nous.
Mais on a dit hier des choses si graves, si inusitées ; des principes si
extraordinaires ont été avancés par celui qui se pose comme le chef du cabinet,
qu'il est impossible de les laisser passer sans contradiction. Je crois que le
discours que vous avez entendu, hier, dans la bouche de M. le ministre de
l'intérieur est le fait le plus fâcheux qui se soit passé depuis qu'il existe
des ministères belges.
Dans toutes les luîtes précédentes, toutes les opinions avaient eu soin
de laisser en dehors de nos débats ce qui ne doit jamais y être mêlé. !
Dans le pays même, les opinions s'étaient respectueusement arrêtées
devant cette barrière ; la Couronne était restée intacte, était restée à l'abri
de toute discussion. Eh bien, qu'est-il arrivé ? Un ministre, qui se trouve
dans l'embarras à la première question qu'on lui adresse, question des plus
naturelles, des plus simples, ce ministre ne trouve d'autre moyen de se tirer
d'affaire, que de jeter imprudemment la Couronne au pied de votre tribune et au
milieu de tous les hasards d'une discussion orageuse. Ceci prouve que s'il n'y
a pas au ministère une idée politique de plus qu'il y a un an, il y a de plus
une aventureuse légèreté à laquelle ce premier pas du cabinet donne un
malheureux relief.
Messieurs, ce n'est pas en cela seul qu'on a suivi une marche
extraordinaire. On a énoncé ici dans cette chambre des doctrines politiques en
désaccord formel avec la Constitution, des doctrines politiques qu'on dirait
importées non pas d'Angleterre, mais des gouvernements absolus.
On a parlé du droit de dissolution. Je n'ai pas à m'occuper en ce moment
des faits qui se sont passés, mais des doctrines de M. le ministre de
l'intérieur. Le droit de dissolution, messieurs, il paraît que c'est une
révolution, il paraît que c'est une mesure extrême ; il paraît que si une
opinion arrivait aux affaires et demandait la dissolution immédiate, cette opinion
aurait des exigences exorbitantes ; eh bien, ignore-t-on que ce droit, que M.
Rogier n'a pas réclamé, que ce droit est celui de toute opinion nouvelle qui
arrive au pouvoir ? Pourquoi ? Parque qu'il y a toujours dans une chambre des
hommes qui n'y sont arrivés qu'à l'aide des influences du pouvoir, et qu'un
ministère d'une opinion nouvelle a droit de ne pas avoir pour adversaires ceux
qui n'y sont arrivés que par l'influence du ministère précédent. Si les
adversaires du cabinet ont pu exercer l'action du pouvoir sur la composition de
la chambre son droit est le même.
L'influence morale du gouvernement, qui s'est exercée au profit de
l'opinion ancienne, doit aussi s'exercer au profit de la nouvelle opinion.
Messieurs, si la dissolution des chambres, à l'avènement d'un ministère
nouveau, était l'abdication du roi, dans l'histoire moderne de l'Angleterre,
bien des rois auraient abdiqué. Je ne sache pas, cependant, qu'il y ait des
monarques plus respectés que les rois et les reines d'Angleterre. En Angleterre,
plus d'une fois, quand un ministère nouveau est arrivé aux affaires et a trouvé
contre lui, au parlement, une majorité ou une minorité forte qu'il supposait n
y être arrivée que par l'influence gouvernementale de ses prédécesseurs, il n'a
pas hésité à réclamer, et a toujours obtenu l'usage du droit de dissolution.
Si j'ai bien compris M. le ministre de l'intérieur, il ne se récrie pas
contre toute demande de dissolution ; seulement, selon lui, la dissolution doit
nécessairement porter sur une question précise et sur une question d'affaires ;
ainsi M. le ministre de l'intérieur nous dira sans doute qu'en (page 44) Angleterre le dissentiment qui
a amené la dernière dissolution, portait sur la loi des sucres ; si donc on
veut la dissolution, M. le ministre de l'intérieur en admet la légalité pourvu
qu'il s'agisse de la question du sucre, ou de toute autre de même portée. Mais
la dissolution sur la question de savoir si le pays est libéral ou catholique,
sur la question de savoir si le pays veut que ses affaires soient dirigées dans
tel ou tel sens ; oh, c'est là que serait l'abdication, attendu que cette
direction appartient probablement à la Couronne seule.
Voilà, messieurs, la doctrine contre laquelle nous devons nous élever,
car si elle était admise, elle pourrait conduire extrêmement loin. Quoi, vous
trouvez naturel un appel au pays sur la question des sucres, sur la question
des pommes de terre peut-être, mais un appel au pays sur des questions
politiques, cela est impossible, ce serait l'abdication de la Couronne. Eh
bien, messieurs, si c'est là l'abdication de la Couronne, la Couronne belge a
déjà abdiqué, car déjà il y a eu en Belgique une dissolution fondée sur une
question politique, une dissolution longuement motivée et dont tous les motifs
étaient politiques.
Mais, messieurs, en admettant une semblable doctrine on va au-delà de
Charles X lui-même ; car Charles X, avant de faire son coup d'Etat, avait fait
un appel aux électeurs de France, sur une question politique, sur celle du
refus de concours de la chambre des députés.
Mais quelle serait donc la conséquence de la doctrine de M. le ministre
de l'intérieur ? Les électeurs ont une opinion officielle sur les questions
d'affaires, sur la question des sucres, mais ils n'ont pas d'opinion à émettre
Sur les questions politiques, sur la question de la direction à imprimer aux
affaires du pays ; pressez les conséquences de cette doctrine, qu'en
résulte-t-il ? Que si les électeurs ne peuvent pas être consultés sur ces
questions, vous n'avez pas vous-mêmes, vous leurs mandataires, le droit
d'émettre une opinion sur la direction politique du pouvoir. Dès lors vous
n'êtes plus ici que pour voter des lois et des impôts, c'est la doctrine des
absolutistes qui capitulent avec les institutions modernes. C'est à peu près le
retour des états généraux de l'ancien temps, avec cette différence cependant
que vous ne pourriez pas dire : « Point de redressement des griefs, point de
subsides. »
Voilà, messieurs, la conséquence naturelle du principe de M. le ministre
de 1 intérieur.
Ce que M. le ministre de l'intérieur condamne surtout, c'est moins la
demande d'une dissolution immédiate, que la demande d'une promesse de
dissolution pour un cas éventuel. M. Rogier s'est expliqué sur le fait, moi je
prends le fait comme s'il était exact, et je dis que j'ai quelque lieu de
m'étonner que M. le ministre de l'intérieur, qui vante sa modération et ses
vues conciliatrices, ne permette pas à un ministère de différer la dissolution
pour faire l'essai des dispositions des chambres à son égard.
Je ne sais pas si en faisant prévaloir cette doctrine il servirait
beaucoup, dans l'avenir, les intérêts de ceux dont il semble dans ce moment
vouloir se ménager l'appui.
Au reste, messieurs, tout ce que vous a dit M. le ministre de
l'intérieur sur la dissolution et la prétendue abdication, n'est qu'un plagiat
; ces principes, nous les avons déjà vus poindre plus timidement ; il n'y a
qu'un peu plus de hardiesse dans la forme aujourd'hui. Permettez-moi de vous
lire ce que vous disait M. Nothomb dans un de ses premiers discours politiques,
après son entrée au ministère...
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je ne le connaissais pas.
M. Devaux. - Il est
possible que vous ne le connaissiez pas, mais les bons esprits se rencontrent.
(On rit)
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je veux seulement repousser l’idée de plagiat.
M. Devaux. - Il ne
s'agit pas d'un plagiat littéraire ; il s'agit du fond des idées.
Voici, au reste, les paroles de M. Nothomb :
« Je comprends la dissolution à l'occasion d'un conflit sur la politique
extérieure, sur une question de haut intérêt public ; mais poser au pays une question
de parti, par une dissolution, lui demander si le gouvernement doit être
catholique ou libéral, c'était jeter les dés sur le sort de notre avenir
national, c'était compromettre la royauté.
« La Couronne s'était toujours placée au-dessus des partis dans une
haute position de neutralité et de conciliation. Le ministère précèdent venait
lui dire de consulter le pays pour connaître quel était le vainqueur devant
lequel elle devait, elle, abdiquer. Voilà la vérité tout entière et le ministère
gardera la gloire d'avoir sauvé nos institutions de ce péril. »
Ainsi, messieurs, l'abdication n'est pas de l'invention de l'honorable
ministre de l'intérieur, l'abdication date de plus loin ; seulement à cette
époque, c'était la demande de dissolution immédiate qui était le crime ;
aujourd'hui, au contraire, si un ministre, dans les intentions les plus
modérées, avait dit : « Je ne veux pas de la dissolution immédiate ; je veux
essayer auparavant de marcher avec les chambres telles qu'elles sont. » C'est
là ce que M. le ministre de l'intérieur trouverait de plus coupable.
Ainsi, messieurs, la conséquent de la doctrine de M. le ministre de
l'intérieur, c'est que cette opinion libérale dont il n'espère pas lui-même
retarder le progrès pendant plus de deux ans...
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je ne veux pas la retarder.
M. Devaux. - Eh
bien, cette opinion libérale, si elle inscrivait un jour dans son programme le
mot de dissolution, la conséquence de la doctrine de M. le ministre de
l'intérieur serait que la dissolution devrait être immédiate, qu'il ne faudrait
pas faire l'essai des chambres.
Le discours de l’honorable M. Rogier a été très explicite sur les faits
; l'honorable membre nous a dit tout ce qu'il pouvait nous communiquer ; car
après tout, que s'est-il passé ? Rien que l'on puisse appeler véritablement
sérieux : Des personnages officieux viennent dire : « Je n'ai aucune mission ;
mais causons ensemble ; voyons ce que vous pensez. » Eh ! bien, messieurs, je
trouve qu'à ces personnages on n'est pas tenu de répondre, surtout de répondre
sérieusement. Je trouve qu'il y a beaucoup de modération à ne pas leur dire : «
La Couronne ne vous a chargé d'aucune mission auprès de moi, je n'ai donc, en
aucune manière, à vous faire connaître toutes mes intentions et mes vues. » M.
Rogier s'est-il refusé à se concerter avec la Couronne ; à examiner les
scrupules de la Couronne ? Voilà toute la question. Eh bien, non, il n'a pas eu
l'honneur d'être admis en sa présence.
Supposez que M. Rogier eût répondu :
« Je suis prêt ; je suis prêt à entrer dans un ministère comme tant
d'autres, sans savoir pourquoi, sans savoir avec qui : je ne veux pas de
dissolution ; je ne veux pas de conditions. » Eh bien, qu'aurait-il pu arriver
dans le cas où ses services n'auraient pas été adoptés ? Qu'aujourd'hui on
serait venu nous dire : « Cet homme qui se montre si fier, cet homme, lorsque
le marché se présente, accepte toutes les conditions ; il ne diffère pas de
nous ; nous sommes tous les mêmes. »
Messieurs, dans la marche que l'on suit, il y a, à mon avis, de très
grands dangers. Le ministère précédent nous disait : « La dissolution immédiate
de la chambre, c'est l'abdication pour la royauté. » En d'autres circonstances
il a dit : « Admettre tel membre de la chambre au ministère, c'eût été
l'abdication de la royauté. » Aujourd'hui on vous dit : «Admettre telle
condition à la formation d'un ministère, c'est encore l'abdication de la
royauté. » II y a quelque chose de profondément dangereux dans cette espèce
d'incompatibilité, dans cette hostilité directe, entre la couronne et l'opinion
libérale dont on semble vouloir faire naître et propager l'idée. Eh bien, cette
opinion libérale dont vous désespérez de retarder les progrès, dont l'avènement
vous paraît infaillible dans un avenir prochain, n'êtes-vous pas effrayé,
vous-même, de mettre la Couronne dans une position telle à son égard, qu'elle
ne puisse plus lui céder, sans que sa dignité en souffre ?
Messieurs, il y a seize ans, dans un pays voisin, et je comprends toute
la différence des circonstances, je ne veux pas les assimiler, mais l'histoire
nous fournit toujours des enseignements utiles ; il y a seize ans, dans un pays
voisin, une opinion était en progrès évident pour tous les hommes clairvoyants.
Il était évident que le jour n'était pas loin où elle arriverait aux affaires.
Eh bien ! dans ce pays il se trouvait aussi des hommes qui tâchaient d'établir
une barrière entre elle et la couronne. Il se trouvait aussi de chevaleresques
dévouements qui tâchaient de faire comprendre à celle-ci qu'elle abdiquerait,
si elle cédait a cette opinion.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - C’était M. de Polignac.
M. Devaux. - Vos
doctrines ne sont pas si loin des siennes que vous le pensez, M. le ministre de
l'intérieur. M. de Polignac, vous venez de le nommer, que voulait-il ?
Lisez son livre, que soutient-il ? Il soutient que céder à l'adresse des
221, c'était abdiquer la couronne. Il le dit en termes formels.
Oui, cet homme honorable, cet homme au cœur généreux, mais cet homme
léger, cet homme sans intelligence politique, cet homme qui avait vu les
affaires de son pays de loin, au lieu de calmer des préventions là où elles
existaient, au lieu de détruire des idées inconciliables avec les intérêts
nouveaux, les a entretenues, les a caressées, a nourri l'idée que le roi devait
résister, que ce serait une humiliation pour lui d'accepter l'opinion nouvelle.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler ce qui est arrivé ; je n'ai pas
besoin de vous dire que ce n'est pas l'opinion nouvelle qui a dû céder.
Je le répète, je ne veux pas assimiler des circonstances qui ne se
ressemblent pas, qui n'ont pas la même gravité, mais cet exemple cependant
devrait faire réfléchir.
Messieurs, je dois le dire encore, c'est pour
la première fois que la chambre est amenée sur un pareil terrain. Elle y est
amenée avec une légèreté coupable, avec une légèreté inouïe, par un ministère
qui devrait débuter avec plus de prudence. Quand on parle au nom des hommes
modérés (et lorsque nous entrerons dans la discussion générale, nous
examinerons cette modération) ; quand on parle au nom des hommes modérés, on
devrait être plus prévoyant, on devrait réfléchir davantage à ces paroles. On
ne devrait pas venir compromettre ici ce qui doit rester sacré. Jamais nous
n'avons eu besoin qu'un défenseur nouveau arrivât à la prérogative royale pour
venir la défendre ici. Quand la prérogative royale a été contestée, elle a
trouvé des défenseurs dans ce parlement ; et il n'est pas vrai de dire que le
parlement soit tellement dépourvu d'hommes qui professent le respect à la
royauté et à ses droits, pour qu'un ministère doive se recruter en dehors de
lui.
M. le président. - On vient de faire indirectement au bureau le
reproche d'avoir laissé mettre la Couronne en cause dans la discussion. Je dois
faire remarquer que lorsqu'un ministère se forme et qu'un lui demande à quelles
conditions il est entre aux affaires, il est impossible de faire connaître ces
conditions, sans faire connaître en même temps les rapports qui se sont établis
entre le trône et les ministres. C'est ce qui se fait dans tous les pays
parlementaires, et ce qui s'est fait déjà dans celui-ci, el je ne crois pas
pouvoir rappeler à l'ordre pour certains tours de phrase dont l'orateur doit
être juge, lorsqu'il n'excède pas certaines mesures.
M. Devaux. -
M. le président se tromperait, s'il croyait que j'ai voulu lui faire le moindre
reproche.
M. le président. - J’avais cru le comprendre ainsi.
M. Devaux. - Non,
M. le président, je crois que quand un ministre veut compromettre la royauté,
vous essayeriez vainement de l'en empêcher.
(page 45) M. le ministre des finances
(M. Malou). - La chambre voudra bien se rappeler comment ce débat a été introduit
devant elle. A la séance d'hier, après l'exposé de nos principes qui vous avait
été présenté, l'honorable membre qui vient de se rasseoir, a posé au ministère
plusieurs questions. L'une de ces questions était celle de savoir pourquoi nous
étions entrés aux affaires. C'est ce pourquoi que nous vous avons dit ; et
c'est à l'occasion de cette question, sur laquelle l'honorable membre a tant
insisté, que la discussion (je n'appelle pas cela un incident), mais que la
discussion s'est portée sur la formation, sur les causes de la formation du
cabinet.
Messieurs, nous parlons ici d'une partie de nos institutions ; nous
parlons de la royauté ; et quand nous parlons de la royauté, quand nous
expliquons quelle est sa position, quels sont ses droits, quelles sont ses
prérogatives, nous sommes à tous égards dans le langage constitutionnel, nous
conservons à tous égards les convenances parlementaires.
Ainsi donc, messieurs, écartons de ce débat les dernières paroles de
l'honorable membre.
Il y a légèreté, il y a imprudence ; vous compromettez la Couronne.
Mais, messieurs, nous venons définir ici devant vous quelle est, selon moi, la
position que la Constitution a assignée à la royauté. La royauté fait partie de
nos institutions, et c'est à ce titre que nous venons discuter ici, que nous
avons le droit, que c'est même pour nous un devoir de discuter quelle est
l'étendue de ses prérogatives, et de discuter aussi si, dans les circonstances
qu'on a rappelées, ces prérogatives seraient restées intactes, si nous n'étions
pas venus ici.
Le droit de dissolution, dit-on, est donc une révolution ? Mais non,
messieurs, la dissolution a eu lieu, elle aura lieu peut-être encore un jour.
Mais de ce que le droit de dissolution est écrit dans la Constitution, de ce
qu'elle puisse avoir lieu, s'en suit-il que la Couronne puisse être mise en
demeure de se prononcer sur une dissolution en blanc ?
Nos institutions, messieurs, supposent l'accord entre les ministres du
Roi et les chambres. Lorsqu'un dissentiment éclate entre le ministère et les
chambres, la plus haute prérogative de la royauté, c'est de prononcer sur ce
dissentiment ; c'est d'opter ; c'est de savoir si elle doit ou renvoyer le
ministère ou dissoudre les chambres. C'est là véritablement l'essence,
l'esprit, le vœu de nos institutions."
Ainsi donc, messieurs, et qu'on ne déplace pas encore cette question, il
ne s'agit pas de savoir si l'on pourra dissoudre pour la question des sucres,
pour la question des pommes de terre, pour des questions politiques ; il s'agit
de savoir si la Couronne ne doit pas conserver dans toutes les situations,
qu'elles soient administratives, qu'elles soient politiques, quelle qu'en soit
la nature, elle ne doit pas conserver, dis-je, jusqu'au jour où le dissentiment
éclate, le droit inaliénable d'opter entre la chambre et le cabinet.
C'est là toute la question et que la chambre me pardonne d’y insister.
Qu'arriverait-il, messieurs, de la royauté, de cette partie de nos
institutions, si l'option était faite a priori ? Je vais poser des hypothèses.
Un ministre arrive au pouvoir. Il y entre avec la faculté de dissoudre la
chambre, si, comme on l'a dit hier, une opposition systématique trop forte s'y
manifeste. Qu’arriverait-il, messieurs ? C'est que le ministère aurait devers
lui, aurait dans son portefeuille les prérogatives du Roi.
Ainsi, messieurs, lorsque mon honorable collègue a dit hier que c'était
une abdication virtuelle, a-t-il forcé les termes d’une telle situation ?
N'est-il pas vrai, messieurs, que si cette prérogative était aliénée d'avance,
que si le Roi ne pouvait pas dire sur cette question déterminée : Je dissoudrai
le ministère ou je dissoudrai la chambre, ce couronnement de nos institutions
aurait disparu ?
Remarquez bien encore, messieurs, que ce droit, tel qu'il était
revendiqué, n'est pas une mise en demeure à la royauté de se prononcer entre
deux systèmes. Ce n'est pas sur un programme que ce droit aurait été donné ; ce
n'est pas sur une situation, ce n'est pas même sur un système politique.
C'était un droit a priori. C’était le droit de dissoudre, pour telle question,
devant telle opposition systématique qui se fût manifestée dans l'une ou
l'autre chambre.
Ce que vous venez de dire, ajoute l'honorable membre, répondant à mon
collègue, c'est un plagiat de ce qui s'est passé avant vous.
Non, messieurs, il y a une immense différence entre ce qui était demandé
aujourd'hui et ce qui a été demandé en 1841. En 1841, il y avait une situation
: le ministère était parfaitement libre, parfaitement dans les théories
constitutionnelles, parfaitement dans son droit en demandant la dissolution,
parce que là, messieurs, la prérogative n'était pas un danger ; le Roi, au
contraire, était appelé à l'exercer ; il était appelé à opter entre le
ministère et la dissolution des chambres.
Remarquez bien, messieurs, qu'en retraçant ces événements, je ne
m'occupe que de la question de prérogative ; mais cette prérogative, qu'il me
soit permis de le rappeler, elle a été exercée ; et si ces événements ont donné
lieu à quelques débats, c'est parce qu'elle a été exercée d'une manière
contraire à l'opinion de quelques personnes.
Je n’hésite donc pas à le dire : dans la situation qui a déterminé mon
entrée aux affaires, il n'y a aucun plagiat ; c'est un fait entièrement nouveau
qui l’a amenée. Je crois qu'on peut fouiller les annales de tous les peuples constitutionnels
et qu'on n'y trouvera rien de semblable.
On cite l'Angleterre ; l'Angleterre, ce pays modèle des gouvernements
constitutionnels. Les dissolutions sont fréquentes en Angleterre ; elles le
sont aussi en France, parce que la loi électorale, parce que les conditions de
l'institution des parlements y sont différentes. Mais jamais en Angleterre on
n'a demandé une dissolution que dans une situation donnée ; jamais on n'a
demandé d'avance le pouvoir de dissoudre dans six mois, dans un an, sur tel incident
qui pourrait arriver dans le cours des événements.
Il s'en est fallu de bien peu, messieurs, que, rappelant les souvenirs
de la fin de la restauration, on ne qualifiât le ministère de ministère
Polignac. « Le ministère Polignac, nous dit-on, a fait plus que vous, il a du
moins dissous les chambres. »
Mais, messieurs, c'est étrangement déplacer la question. Nous sommes
entrés au pouvoir, pour empêcher, je le répète, que nos institutions ne fussent
viciées dans leur principe ; cela a été pour moi, je n'hésite pas à le dire, la
cause déterminante de mon entrée au pouvoir... (Murmures.) Oh ! j'expliquerai
cela plus au long, cela a été pour moi la cause déterminante de mon entrée aux
affaires ; et, puisque les interruptions m'appellent sur ce terrain, puisqu'on
parle de conversions désintéressées, qu'il me soit permis de dire à la chambre
quelques mots sur ce qui me concerne. Ces insinuations se reproduisent trop
souvent.
Messieurs, depuis que je siège dans cette enceinte, il est arrivé une
circonstance où sur la présentation d'un projet de loi que je considérais comme
important, j'ai donné ma démission le jour même où le projet a été présenté....
M. Dumortier. -
Comment ferez-vous quand ce projet de loi sera représenté ?
M. le président. - N'interrompez pas ; vous aurez le droit de répondre
?
M. le ministre des finances
(M. Malou). - Je n'ai pas, comme un honorable préopinant dans une autre
circonstance, donné ma démission 15 jours après le vote émis contre le
ministère. Plus tard, gouverneur d'une province, lorsque le Roi m'a fait
l'honneur de m'appeler dans son conseil, j'ai exigé qu'on me remplaçât
immédiatement et définitivement dans cette position ; pour le dire en passant,
c'était la veille du jour où nous sommes venus poser devant vous une question
de cabinet. Comme un honorable préopinant, encore autrefois, dans les mêmes
fonctions que moi, je n'ai pas laissé durer un intérim pendant deux ans pour
conserver derrière moi une position.
J'entends dire que je critique un collègue ; il me semble qu'il doit
m'être permis de me défendre ; car si j'ai bien entendu les paroles prononcées
hier par l'honorable M. Devaux, et je vais les relire, je suis rigoureusement
sur le terrain d'une défense personnelle.
Voici ce que l'honorable M. Devaux a dit hier :
« L'opinion libérale ne repousse pas les conversions sincères.
J'ajouterai toutefois qu'elle y aurait plus de foi, si elles éclataient dans
une position désintéressée et en dehors du pouvoir. »
C'est à ces paroles que j'ai voulu répondre.
M. de Garcia. - Vous étiez dans votre droit.
M. le ministre des finances
(M. Malou). - Je demande, du reste, pardon à la chambre de l'avoir occupée, pendant
quelques instants, de moi ; la véritable question politique n'est pas là ; elle
est où nous l'avons posée. Pourquoi le ministère a-t-il formé ? Y a-t-il dans
le ministère des garanties suffisantes d'impartialité, de justice et de force
pour le pouvoir ? Le ministère est-il composé selon le vœu et les intérêts du
pays ? Voilà quelle doit être la discussion générale, discussion que, pour le
dire en passant, nous attendons toujours.
M. Rogier. - M. le
ministre des finances vient de nous dire, en finissant, que le cabinet
attendait toujours la discussion générale. Je ferai remarquer qu'il n'a pas
dépendu de nous que cette discussion ne lût entamée dès hier à l'ouverture de
la séance. Si la discussion générale s'est trouvée retardée, à qui la faute ? A
MM. les ministres eux-mêmes qui sont venus placer cette discussion sur un
terrain entièrement nouveau et inattendu pour cette chambre.
On a demandé à MM. les ministres pourquoi ils étaient venus aux affaires
? Ces messieurs ont paru d'abord quelque peu surpris de la question ;
quelqu'embarras régnait sur leurs bancs, on semblait se consulter de part et
d'autre, on semblait ignorer pourquoi au juste on était venu aux affaires ; on
répondait (c'était l'honorable M. Malou), par des fins de non-recevoir, par des
raisons plus ou moins procédurières.
Au sénat, on avait demandé au ministère pourquoi il était venu ? Là, M.
le ministre des affaires étrangères avait déclaré hautement que le cabinet
s'était formé pour combattre le radicalisme qui levait la tête ; il se donnait
certainement là une magnifique et facile mission à remplir ; il pouvait
s'attendre à trouver dans l'autre enceinte la presque unanimité pour l'aider à
défendre avec lui un pareil programme.
Mais, messieurs, chacun de nous éprouve, à l'égard de certaines
personnes plus ou moins taxées d'exagération, ces grandes frayeurs qu'a
manifestées M. le ministre des affaires étrangères. D'ailleurs, ces frayeurs
sont d'autant plus surprenantes de sa part, qu'en fait d'opinions radicules, M.
le ministre des affaires étrangères sait à quoi s’en tenir ; il connaît un peu
la valeur de ces opinions jeunes, ardentes qu'il a lui-même défendues avec tant
de talent et de chaleur à une autre époque.
Mon Dieu, ne soyons pas trop sévères pour les idées jeunes ; nous avons
tous ou presque tous passé par là. Ne les évoquons pas aujourd'hui comme un
fantôme, ne les appelons pas à notre secours pour défendre notre position. Ce
fantôme, on ne l'a pas encore évoqué dans cette enceinte, je ne sais pas si
l’on y reviendra.
Au commencement de la séance d'hier, M. le ministre, de l'intérieur nous
a dit : « Nous sommes venus au pouvoir pour gouverner avec les opinions
modérées, pour rétablir l'union sur ses anciennes bases, etc. » Mais pas un mot
de la position qu'il a prise ensuite. Cette cause déterminante ne nous a été
révélée qu'en troisième lieu. C'est à la fin de la séance que le ministère est
venu nous dire le fin mot de sa composition, le secret de son animée aux
affaires. Il ne s'agissait plus du radicalisme, de l'union, il s'agissait de
bien autre chose ; il s'agissait de sauver la prérogative royale, d'empêcher
une abdication. Voilà la véritable cause de la formation du ministère.
(page 46) Le terrain était
superbe ; aussi M. le ministre des finances n'a-t-il pas manqué de s'y placer
aujourd'hui.
Je ne fais pas un reproche à M. le ministre de l'intérieur de tous ces
revirements ; mais je lui demanderai si cette cause de la formation du
ministère est bien la cause définitive, si nous n'aurons pas à examiner une
quatrième, une cinquième ou une sixième cause, suivant les besoins de la
discussion, suivant les nécessités du moment…
M. le ministre des finances
(M. Malou). - Il y a d'autres motifs, je vous les ferai connaître, quand nous
aborderons enfin la discussion générale.
M. Rogier. - J'en
demande pardon à l'honorable M. Matou qui m'interrompt, mais il a dit tout à
l'heure avec beaucoup de chaleur que là était la véritable question à débattre
; qu'il ne fallait pas se dissimuler que c'était sur ce terrain que devait
porter la discussion générale.
Eh bien, est-ce ainsi qu'il faut l'entendre ? Est-ce bien pour sauver la
prérogative royale que le ministère s'est formé ? C'est une magnifique entrée
aux affaires. A ce prix, je conçois toutes les conciliations du monde ; je
conçois la fusion des ministres de toutes les couleurs et de toutes les
convictions. Voilà un de ces grands dangers constitutionnels devant lesquels
tous les partis se taisent, pour lesquels on conçoit des ministères mixtes, des
ministères quelconques. Voilà les circonstances qui rendraient possible le
réveil de l'ancienne union ; contre un grand danger extérieur ou intérieur,
nous serons tous unis, et nous resterions toujours unis, sans avoir besoin de
chercher nos sauveurs à l'étranger.
Je le répète, si c'était la cause véritable de la formation du cabinet,
je comprendrais qu'il se fût composé au hasard d'éléments de toute espèce, au
risque de les voir se dissoudre, aussitôt que le danger serait passé.
Eh bien, messieurs, cette troisième cause de la formation du ministère,
je crois vous l'avoir démontré, est tout simplement un fantôme et rien qu'un
fantôme. Sur quoi donc repose cette cause ? Avez-vous vu un homme d'Etat, tout
puissant, qui soit venu s'adresser directement au Trône, pour lui faire la loi,
pour lui faire violence, qui soit venu profiter d'une situation mauvaise pour
exercer sur la Couronne un pouvoir despotique ? Où en sommes-nous donc, bon
Dieu ! Rien de semblable a-t-il eu lieu ? Que s'est-il donc passé ? Rappelez
donc vos souvenirs ! N'écoutez donc pas les mensonges qui ont pu être débités ?
Ecoutez plutôt les paroles d’un homme dont la bouche n'a jamais proféré de
mensonge. Je l'ai dit et je le répète, je n'ai pas été consulté le moins du
monde sur la formation du cabinet ; je défie qui que ce soit de rapporter une
seule parole qui se soit échangée entre la Couronne et moi : j'ai eu avec
quelques personnes des conversations particulières, des épanchements
réciproques, mais je n'ai pas fait et n'ai pas eu à faire, encore moins à
imposer des conditions.
Qu'on ne vienne donc pas dire que la prérogative royale était le moins
du monde menacée. Je maintiens tout ce que j'ai dit hier. J'ajoute que si j’avais
eu l'honneur d'être appelé par la Couronne, je me serais fait un devoir
d'examiner avec elle la situation du pays ; que j'aurais disserté avec elle sur
les moyens les plus efficaces d'y porter remède ; que j'aurais pu indiquer le
cas de la dissolution, mais que si ce moyen avait absolument répugné à S. M.,
je me serais empressé de rechercher avec elle un autre moyen.
Y a-t-il là le moins du monde un acte qui puisse ressembler de près ou
de loin à une attaque contre les prérogatives de la Couronne ? Jamais la
royauté a-t-elle été un seul instant en danger ? Que signifient de pareilles
terreurs ? Ce sont des moyens peu dignes du gouvernement ; c'est là de la
tactique de la plus petite espèce, à laquelle même le ministère précédent ne
nous avait pas habitués. J'espère maintenant que, sur ce point, la chambre sera
complétement édifiée. M. le ministre me reproche d'avoir tenu note des
conversations que j'avais eues ; mais à voir ce qui se passe, tout le monde
trouvera que bien m'en a pris d'avoir eu soin de conserver les paroles
échangées, de conserver présents mes souvenirs. Qui sait si, poussant à bout ce
système d'inventions, on ne serait pas venu m'opposer d'autres paroles,
d'autres prétentions empruntées à mes conversations privées ? Je l'ai dit hier,
aucun membre dans cette enceinte ne pourrait contester aucune des
particularités que j'ai rappelées. J'ajouterai que personne ailleurs n'oserait
le faire. M. le ministre des affaires étrangères a dit que ce que je rapportais
de mes conversations avec lui était de la dernière exactitude. Cependant, un
moment après, s'associant à l'erreur de M. le ministre de l'intérieur, il est
venu annoncer que j'avais imposé au Roi la condition d'avoir un blanc-seing
dans ma poche pour entrer au ministère. Voilà ce que s'est permis, M. le
ministre des affaires étrangères, lui que je pourrais clouer muet sur son banc,
si, à son exemple, je faisais sortir de notre entrevue certaines révélations
qui l'embarrasseraient beaucoup, beaucoup !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je demande la parole.
M. Rogier. - Ainsi,
messieurs, en ce moment je pense que la tactique est parfaitement découverte ;
l'on veut mettre en cause d'autres hommes que ceux qui se trouvent sur le banc
ministériel ; on n'y parviendra pas ; on n'y reviendra même plus, je crois.
Mais il y a encore dans cette tactique un autre but : on veut effrayer
une partie de cette chambre ; on veut agiter sur la tête de quelques membres
qui s’effrayent d'un appel au pays, on veut agiter sur leur tête la menace de
cet appel. « Prenez garde, leur dit-on, si vous ne nous accordez pas votre
confiance, il arrivera de la gauche un terrible dévastateur de vos rangs ; il
demandera à la Couronne le droit épouvantable de vous dissoudre, c'est-à-dire
de consulter vos propres concitoyens sur voire propre compte. Ce terrible
usurpateur de la prérogative royale, prenez-y garde, médite votre ruine ;
accordez-nous votre confiance aujourd'hui et toujours ; ne vous informez pas de
ce que nous sommes, de ce que nous voulons, de ce que nous ferons ; mais avec
le ministère sauvez vos positions personnelles ! » Voilà le langage qu'on ne
craint pas de tenir dans cette enceinte.
On semble dire : « Défiez-vous d'un appel au pays ; vous qui
probablement tenez à vos places dans le parlement, votez pour nous, nous vous y
maintiendrons.» Mis à prendre les choses à ce point de vue l'égoïsme et
d'intérêt personnel, je demanderai : Qu'est-ce que les bancs qui nous sont
opposés ont gagné à appuyer la politique mixte depuis quatre ans ?
Qu’aurez-vous gagné, membres de la droite ? Le double ministère mixte de M.
Nothomb, vous l'aviez soutenu avec abnégation ; mais enfin, la déconsidération
qui a poursuivi, l'impopularité qui a frappé ce système, cette déconsidération,
cette impopularité, votre parti y a-t-il complétement échappé ? Pour décimer
vos j rangs, a-t-il fallu une dissolution ?
Rappelez-vous donc ce qui est arrivé : Après le renversement du
ministère de 1840, de ce ministère libéral, impartial, franchement
constitutionnel ; deux ans après sa retraite, que dis-je ! deux ans, quelques
mois après sa chute, les électeurs décimaient vos propres rangs. Rappelez-vous
quels noms honorables siégeaient sur ces bancs, et qui en ont disparu.
Rappelez-vous l'importance des hommes qui soit tombés victimes de leur
dévouement à ce système mixte, à ce système menteur qu'on veut inaugurer une
troisième fois aujourd'hui.
Songez, d'un autre côté, que les hommes de la gauche sont restés tous
debout ; que nos rangs se sont agrandis, et que, confiants, nous, dans le
jugement équitable du pays, nous avons la conviction qu'ils s'agrandiront
encore.
Sous quel régime vivons-nous donc, sous quel gouvernement sommes-nous
tombés, si le seul fait de désirer l'appel au pays est considéré comme un crime
d'Etat ?
Sont-ce là des doctrines dignes, je ne dirai pas de 1845, dignes de
1830, mais dignes de 1828 ?
M. le ministre de l'intérieur a dit hier que ses opinions politiques remontaient
au-delà de 1830. Je puis remonter plus haut que lui ; dans ma carrière
politique, je puis remonter au-delà de 1828. Je dis que dès 1825, et avant que
M. le ministre de l'intérieur entrât : dans les rangs de l'opposition, on y
aurait été révolté des principes, des doctrines qu'il est venu proclamer ici et
qui reviennent à peu près à dire à la chambre : Défiez-vous du pays ; vous
n'avez que mal et blessures à en attendre, votez pour nous, non pour faire
triompher votre opinion, non pour assurer l'existence de vos principes, mais
votez pour nous simplement, grossièrement pour conserver vos sièges dans cette
enceinte, qui sait ? peut-être pour toucher vos indemnités mensuelles ! (Exclamations.)
M.
le président. - J'engage l'orateur à retirer
une pareille expression ; il est impossible d'attribuer une pensée aussi
inconvenante à un ministre.
M. Rogier. - Je
pense que mon langage s'explique lui-même ; c'est une manière toute figurée d'exprimer
ma pensée qui m'est échappée dans la chaleur de l'improvisation ; je ne veux pas
blesser mes collègues ; mais faire sentir jusqu'où le système qu'on met en avant
pourrait faire descendre la chambre dans l'opinion publique. C'est pour engager
la chambre à ne pas s'exposer à un pareil résultat que j'ai poussé mes suppositions
si loin.
Ainsi, messieurs, prenez-y bien garde : on veut vous effrayer au moyen
d'un fantôme. Cet homme politique qu'on présente comme votre implacable
adversaire, voulait aussi gouverner avec la chambre telle qu'elle est
constituée ; il avait un programme qui aurait obtenu, je l'espère, avec
l'adhésion sympathique de tous les membres qui siègent de ce côté où je siège,
le concours d'une forte partie de vos bancs.
Nous ne voulons pas dire par là que nous aurions la prétention, comme on
vous l'annonce, d'attirer à nous tous les hommes modérés. Est-ce que tout ce
qui ne sera pas ministériel, par hasard, devra être rangé parmi les exagérés ?
Est-ce que tous ceux qui voteront contre l'amendement de M. le ministre
de l’intérieur seront des exagérés, peut-être des radicaux ? Est-ce ainsi qu'on
l'entend ? Je suppose, que l'honorable et ancien ministre des affaires
étrangères n'a pas été exclu du cabinet à cause d'opinions exagérées. Je suppose
que si l'honorable M. de Theux avait été appelé auprès de la Couronne pour
venir à son secours, il s'y serait précipité pour un tel service, avec autant
de dévouement que qui que ce soit dans cette enceinte.
Eh bien, si cet honorable membre réservait sa confiance, subordonnait
son concours à certaines conditions, serait-il par cela même un exagéré ?
Si tel ou tel membre d'un autre banc que les nôtres ne vote pas pour le
ministère, allez-vous le ranger dans les exagérés ? Ne peut-on plus être
indépendant qu'à la condition de passer à l'état de révolte ?
Nous resterons dans l'opposition, nous y resterons modérés malgré toutes
les calomnies parlementaires ou extra-parlementaires dont on cherchera à
s'armer contre nous. Nous resterons modérés, parce que nous puisons notre
modération dans notre force, nous resterons modérés pour rester conséquents
avec nous-mêmes, et nous souhaitons qu'à ce point de vue les ministres actuels
soient aussi modérés que nous.
En terminant, messieurs, je vous dirai donc :
Avant de voter, faites trêve d'abord à ces frayeurs qu'on a voulu susciter dans
vos rangs ; votez ensuite en âme et conscience, et ne donnez pas à croire qu'il
y aurait dans votre voie autre chose que le sentiment d'une parfaite justice
vis-à-vis du ministère. Songez au passé ! Songez à l'avenir !
M. le
président. - M. Dumortier a
demandé la parole pour une motion d'ordre. Mais avant de la lui accorder, je
dois la donner à M. Je ministre de l'intérieur qui l'a également demandée.
M. Dumortier. - Ma
motion d'ordre a pour but de mettre fin à ces débats. Si M. le ministre a la
parole, M. Rogier voudra lui répondre.
M. le
président. - (s’adressant à M.
Dumoriior). -— Vous aurez la parole immédiatement après M. le ministre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je ne prolongerai pas inutilement ce débat. Vous avez les pièces
sous les yeux. Le discours de l’honorable préopinant a été imprimé au Moniteur.
Sa pensée politique y est clairement développée. C est avec un sentiment
profond de regret qu'en présence d'idées aussi clairement exprimées, j'ai
entendu sortir de la bouche de l'honorable préopinant les mots de calomnie
parlementaire.
De la calomnie ! En présence de faits pareils, est-il permis de
qualifier ainsi le langage que j'ai tenu devant vous ?
De la calomnie ! Mais l'honorable M. Devaux a confirmé toutes mes
assertions ; mais il tient pour vrai tout ce que j'ai dit.
M. Devaux. - M. le
ministre est dans l'erreur sur ce fait.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - J'accepte purement et simplement le langage de l'honorable
préopinant inséré par lui au Moniteur. Eh bien, en présence de ce langage, je
ne souffrirai point que l'on qualifie mes paroles de calomnie parlementaire.
Si l'honorable préopinant, je le répète, n'eût pas fait au pouvoir les
conditions dont j'ai parlé, il serait à ma place, et je serais à Londres. (Interruption.)
Ces interruptions ne m'empêcheront pas de suivre le fil de ma pensée. 15
années d'interruption dans la vie parlementaire, ne m'ont pas ôté l'empire que
j'ai sur moi-même et la direction de ma parole.
On vous a parlé de la légèreté inconcevable avec laquelle M. le ministre
de l'intérieur est venu jeter la royauté au sein de cette assemblée ; et dans
la même phrase où ce reproche, peu fondé, m'est adressé, on place la royauté
dans une espèce d'hostilité avec une opinion considérable du pays. On me dit :
Vous avez cherché à prolonger entre la royauté et l'opinion libérale, une
incompatibilité qui pourrait être fatale au pays.
M. Devaux. - Je
vous ai reproché de vouloir établir cette incompatibilité.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il
m'appartient, non pas seulement comme ministre, mais comme citoyen, de
repousser ce reproche de toutes mes forces. La royauté chercherait à prolonger
une incompatibilité entre elle et l'opinion libérale !
M. Devaux. - Il
m'est impossible de laisser continuer M. le ministre sur ce ton. Je n'ai fait
aucun reproche à la royauté.
M. le président. (s'adressant à M. Devaux). - Laissez continuer.
Vous ne pouvez avoir la parole que pour un rappel au règlement.
M. Delfosse. M. le
ministre a interrompu tantôt M. Rogier. Il peut en être de même maintenant. M.
Devaux peut interrompre le discours du ministre pour rectifier un fait.
M. le président. - Sans doute, si M. le ministre y consent.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je demande que la parole me soit maintenue.
M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre de
l'intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - L'honorable préopinant, qui appartient à l'opinion libérale, n'est
pas le seul qui, dans les circonstances extraordinaires où le pouvoir s'est
trouvé, ait été appelé par la Couronne, pour former un ministère. Il y a dans
celle enceinte un des hommes les plus honorables de cette opinion, qui avait
reçu du Roi une mission complète, sans réticence, pleine et entière, de former
un cabinet.
M.
Dolez. - Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il importait que la chambre et le pays sussent que cette mission
avait été donnée à ce digne représentant de l'opinion libérale. Vous faut-il
une preuve plus évidente que cette prétendue incompatibilité entre la Couronne
et cette opinion n'existe point en réalité ?
Car qu'est-ce donc que je représente devant vous ? N'est-ce pas
l'opinion libérale ? Ne vous l'ai-je pas déclaré de la manière la plus franche
et la plus précise ?
N'ai-je pas expliqué comment ces principes libéraux recevraient leur
application dans la direction des affaires ?
L'honorable préopinant, toujours en contradiction avec lui-même, vous
parle du système menteur des ministères mixtes ; puis il dit à la droite : Je
voulais aussi gouverner avec vous ? Qu'est-ce à dire ? Comment interpréter ce
langage ? C'est-à-dire, que l'honorable préopinant entendait sans doute
gouverner avec tant d'impartialité, de justice, de modération, que la droite
catholique lui accorderait son appui, tout libéral qu'il est.
Eh bien, c'est précisément là le principe, la base d'un ministère mixte
; car si l'honorable membre comptait sur sa modération pour obtenir votre
concours, quel était donc l'obstacle à ce qu'un membre de la droite figurât
dans le ministère avec lui ? Quoi ! on vous promet des mesures que la droite
pourrait accepter. Quoi ! on vous laisse entrevoir la possibilité de s'entendre
avec soixante personnes ; et l'on reculerait devant la nécessite de s'entendre
avec deux de ces soixante personnes ! Vous reconnaissez la force de la majorité
mixte, vous déclarez que votre programme eût été appuyé par la droite, et vous
repousseriez, dans la formation du cabinet, deux membres pour l'y représenter !
Singulière manière d'inspirer de la confiance à la droite que de lui
dire : Je reconnais le principe de la conciliation, de la modération de mesures
que vous puissiez accepter ; et pour vous donner une preuve, un gage de cette
conciliation, je ne veux personne d'entre vous dans mon cabinet !
Je ne reviendrai pas sur la question de principe qu'a soulevée
l'honorable M. Devaux, relativement à la dissolution. Mon honorable collègue M.
le ministre des finances a suffisamment répondu aux subtilités sophistiques de
l'honorable préopinant.
Les dissolutions dans d'autres gouvernements se reproduisent plus
souvent que chez nous. Pourquoi ? On vous a dit que nos institutions n'étaient
pas les mêmes ; mais, grâce aux interruptions constantes, on n'a pas développé
cette pensée.
Pourquoi la dissolution serait-elle, ici, dans certaines circonstances
données, un véritable coup d'Etat ? Parce que, chez nous, les chambres se
renouvellent tous les deux ans, par moitié ; parce que le pays a la faculté de
se prononcer ainsi tous les deux ans. Par cela seul, la nécessité de dissoudre
les chambres ne se produit pas aussi souvent qu'en Angleterre et en France.
Les hommes politiques modérés, en présence d'institutions pareilles, en
présence du renouvellement de la chambre par moitié, devraient savoir attendre
que le pays se prononçât ; il en a le moyen légal tous les deux ans ; et la
dissolution est à mes yeux, en Belgique, un remède tellement grave que ce n'est
qu'à la dernière extrémité que l'on doit y recourir chez nous.
On vous a dit et répété que la question que nous avons soulevée était
une tactique parlementaire, que nous avions voulu effrayer la majorité, que
nous avons fait un appel à toutes les basses passions qui peuvent germer dans
le cœur humain, que nous vous avions demandé un vote aveugle ; on a presque dit
stupide ; car on a dit grossier. (Dénégations
de la part de M. Rogier.)
Ce mot a été prononcé.
Ce n'est pas un vote pareil que nous vous demandons. Nous nous
présentons avec un système politique complet, avec un ensemble de mesures, que
nous aurons à vous développer ; nous vous avons dit quels principes ont présidé
à la formation du cabinet. Vous aurez à vous prononcer sur chacune de ces
questions de ces principes. Ce n'est qu'après cette discussion que vous voterez
avec cette indépendance, cette liberté que je ne demande à personne d'aliéner
ici.
Permettez-moi, en terminant, de répondre è ce mot
d' « étranger » que l'on a prononcé ici.
On a dit que dans la position politique où le pays s'est trouvé, si la
Couronne eût été menacée, si ses prérogatives eussent été exposées à de graves
dangers, ce n'est pas à l'étranger qu'on aurait eu besoin de leur chercher un
défenseur. Et depuis quand suis-je étranger ? N'ai-je pas, en représentant à
l'étranger la Belgique et la royauté, conservé la qualité de Belge ? Que
signifient donc ces épithètes odieuses ?
M. Rogier. - J'ai
dit qu'on aurait trouvé dans le pays des hommes prêts à sauver la royauté.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je
prie la chambre de faire un appel à ses sentiments de patriotique sympathie, et
de dire, si lorsque des mots pareils sont prononcés en ma présence, je dois
accepter le reproche d'être resté étranger à mon pays, parce que j'ai représenté
honorablement à l'étranger sa royauté et son indépendance.
Résumons toute cette discussion, ou plutôt terminons-la. La chambre est,
je crois suffisamment éclairée. La chambre ayant aujourd'hui le discours de l'honorable
M. Rogier sous les yeux, appréciera les motifs politiques qui ont éloigné
l'honorable membre de toute combinaison ministérielle.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je demande pardon à la chambre de prolonger ce débat qui
déjà peut-être a duré trop longtemps.
Mais tout à l'heure l'honorable M. Rogier m'a fait intervenir personnellement
dans cette discussion. La chambre comprendra que je lui dois quelques mois d'explication.
Messieurs, j'avais eu soin hier de vous déclarer que mon honorable
collègue, le ministre de l'intérieur, n'avait pas fait allusion à un entretien
tout confidentiel que le hasard seul avait produit, et que j'avais eu avant la
formation du ministère, avec l'honorable M. Rogier. Par cela même que cet
entretien avait un caractère officieux, je n'en ai jamais rien révélé à
personne. Je n'ai pas même pris soin de tenir des notes sur ce qui aurait pu
être dit entre l'honorable membre et moi, parce que je n'avais attaché à cette
conversation aucun caractère politique, et que mon intention n'était pas, comme
on a semblé l'insinuer, de m'en faire une arme, ni pour me défendre, ni pour
attaquer.
J'ai dit hier, cependant, que les idées que M. Rogier avait émises dans
cette conversation étaient, en général, conformes à celles qu'il a reproduites
dans les notes dont il a cru devoir donner connaissance à l'assemblée.
J'irai plus loin, messieurs, c'est que je n'ai pas même souvenir que,
dans cet entretien, la question de dissolution ail le moins du monde été agitée
entre nous.
Du reste, il importe très peu de savoir quelle est la source à laquelle
nous avons puise le fait qui a été signalé ; l'important est que ce fait n'a
pas été réellement désavoué.
L'honorable M. Rogier aurait pu hier, s'il avait été doué de moins de
franchise, nous dire qu'il n'avait pas à répondre à des questions qui avaient
pu être agitées dans des pourparlers non officiels. Il ne l'a pas fait. Il vous
a donné immédiatement connaissance de ce qui s'était passé dans ces entretiens.
Eh bien ! j'ai pu dire, et la discussion actuelle en est une preuve, qu'il
avait pleinement confirmé ce que M. le ministre de l'intérieur avait avoué
devant vous.
Il y a plus, messieurs ; le discours de l'honorable M. Devaux a élevé la
prétention de M. Rogier à l’état de théorie. Pour les ministres, messieurs, il
suffisait de savoir d'une manière certaine que cette condition devait être
posée pour la formation d'un autre ministère. Regardant cette condition comme
inconstitutionnelle, comme violant une prérogative delà Couronne, comme une (page 48) offense envers la majorité,
notre devoir impérieux était d'accepter la mission qu'où vous offrait, afin
d'empêcher que cette prétention ne prévalût.
On a eu soin, messieurs, de ne pas nous suivre sur le terrain réel où ce
débat si grave a été engagé.
L'honorable M. Rogier vous a déclaré, et son discours est publié au
Moniteur, qu'il aurait demandé l'assentiment préalable de la royauté à une
dissolution, si une scission entre les chambres et le ministère rendait cette
dissolution nécessaire. Eh bien, tout le débat repose sur cette question.
L'honorable M. Devaux, rappelant ce qui s'était passé en 1841, a
confondu complétement toutes les questions. Lorsque l'honorable M. Nothomb, et
je vous le disais hier, vous a déclaré, en 1841, qu'il était entré aux affaires
pour empêcher la dissolution, cette dissolution avait été demandée d'une
manière constitutionnelle et régulière. Elle avait été demandée par le
ministère qui se trouvait en présence d'une majorité hostile dans le sénat. Ce
ministère demandait à la Couronne de prononcer sur ce dissentiment, de
prononcer sur son maintien aux affaires, ou bien sur l'opportunité ou le danger
d'une dissolution. La Couronne, usant de sa haute prérogative, s'est prononcée
contre la dissolution, et le ministère s'est retiré. Est-ce ce droit que l'on
veut désormais lui contester ?
Mais la question en 1845 n'est pas la même. On demandait la garantie
préalable que la dissolution ne serait pas refusée dans le cas où le ministère
l'aurait demandée, non pas seulement sur une question spéciale d'affaires, non
pas seulement sur une question politique, mais sur une question quelconque. Eh
bien, là était le danger. Nous avons considéré une condition ainsi posée comme
un obstacle à la foi malien de ce ministère, et notre devoir était d'empêcher
qu'un tel fait ne lui posé.
Messieurs, j'ai été étonné de certaines insinuations que l'honorable
membre a cru pouvoir se permettre à mon égard. Je croyais, après ce qui s'était
passé, qu'il aurait rendu plus de justice à mes intentions.
Il vous disait tout à l'heure qu'on avait voulu le mettre en suspicion
vis-à-vis d'une partie de cette chambre, en disant : Défiez-vous de cet homme.
M. Devaux a insinué qu'on avait voulu poser une question d'incompatibilité
entre la royauté et une opinion. Cependant, messieurs, l'honorable membre le
sait aussi bien que moi, il n'a pas dépendu de moi, qu'un ministère fût formé,
dans lequel l'honorable membre serait entre. Il sait très bien que j'ai
poursuivi ce but par bien des efforts. Il sait très bien que je n'ignorais pas
que cette combinaison ministérielle ne pouvait avoir lieu qu'à la condition de
mon exclusion.
Eh bien ! la position digne cl désintéressée que j'ai prise, je croyais
qu'on aurait eu assez de sentiment de justice pour la reconnaître.
Bien loin de dire à mes amis : Défiez-vous de
cet homme, c'était cet homme que j'aurais voulu voir siéger à la place même que
j'occupe, parce que, mû par un esprit de sincère conciliation, j'avais pensé
que la formation d'un ministère de transaction dont il aurait été le chef, eut
amené une conciliation plus large entre les partis. C'a été un rêve peut-être,
mais c'était le rêve d'un homme honnête, et qui avait un but plus élevé qu'un
intérêt d'ambition personnelle.
Messieurs, je ne crains pas les investigations sur la position que j'ai
prise ; je n'ai rien à cacher de ce que j'ai fait, de ce que j'ai pu dire, et
je ne redoute aucune espèce de révélation.
M. Devaux (pour un
fait personnel.) - Messieurs, je pense que M. le ministre de l'intérieur
reconnaîtra lui-même qu'il s'est trompé en m'attribuant des paroles que je n'ai
pas prononcées.
Je n'ai pas dit que la royauté était en hostilité avec l'opinion
libérale ; je n'ai rien dit de semblable. Je puis attester de longs antécédents
depuis quinze années que je siège dans cette chambre. J'en pourrais attester
d'autres encore ; car je ne me suis pas borné à énoncer mes opinions dans cette
chambre, je les ai énoncées dans la presse.
Ces opinions, messieurs, je n'ai jamais eu à les désavouer ; elles ne
m'ont jamais embarrassé.
Messieurs, il ne m'est jamais arrivé de compromettra la Couronne dans un
débat politique. J'ai fait de l'opposition, et de l'opposition assez vive ;
mais tout le monde me rendra ce témoignage que jamais je n'ai été au-delà des
ministères, que toujours j'ai respecté ce qui devait être respecté.
Eh bien ! c'était précisément le reproche que j'adressais au ministère.
J'espère que cette fois M. le ministre de l'intérieur comprendra ma pensée. Je
disais au ministère qui allègue toujours cette incompatibilité entre l'opinion
libérale et la prérogative royale, tantôt pour une condition, tantôt pour une
autre, tantôt pour une dissolution immédiate, tantôt pour une dissolution
éventuelle, qu'il tendait à ce but d'établir dans l'opinion publique l'idée
d'une hostilité entre la Couronne et l'opinion libérale, et je vous ai exposé
alors quel était le danger. Je vous ai dit qu'il en était arrivé ainsi en
France, et quoique j'aie eu soin d'ajouter que je ne prévoyais pas les mêmes
conséquences, j'ai dit que cette imprudence pouvait donner lieu à des résultats
graves. Il y a très loin de là aux paroles que m'a prêtées M. le ministre de
l'intérieur.
Toujours j'ai respecté la Couronne. Jamais je ne suis sorti des règles
constitutionnelles. Toujours, soit dans la presse soit ailleurs, j'ai exercé
mon influence dans ce sens que la Couronne restât complétement dégagée. Et,
messieurs, c'est une chose remarquable ; depuis quatre ans que l'opposition a
été si vive, lisez la presse sérieuse, rappelez-vous nos débats ; (il faut ne
pas y avoir assisté pour ne pas le savoir ;) malgré toute la vivacité de nos
luttes, toujours la Couronne est restée étrangère aux attaques de l'opposition.
Je n'en réclame pas une part trop grande, mais j'ai ma part à réclamer dans la
direction de tes débats. On devrait rendre grâce à l'opposition de cette
sagesse. Au lieu de cela, au nom d'un dévouement chevaleresque à la Couronne on
vient exciter en quelque sorte l'opposition de diriger ses hostilités contre
elle.
Nous ne suivrons pas le ministère dans cette
voie imprudente, nous avons eu quelquefois à défendre les prérogatives de la
Couronne, et nous l'avons fait sans vanter notre dévouement et sans avoir
l'assistance de M. le ministre de l'intérieur. Toutes les fois que ces
prérogatives ont été menacées, nous les avons défendues avec énergie. Si dans la
Constitution, si dans les lois organiques la Couronne a conservé des
prérogatives raisonnables, il y a des hommes dans l'opposition qui, je puis le
dire, y sont pour quelque chose, et ont su accomplir cette tâche sans que M. le
ministre de l'intérieur vînt leur apporter le secours de son appui.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Lorsque les paroles de l'honorable préopinant ont frappé pour la
première fois mon oreille, j'ai pensé en effet qu'il pouvait en résulter une
insinuation, un reproche indirect fait à la Couronne, de favoriser tout ce qui
contribuerait à établir entre elle et l'opinion libérale une espèce
d'incompatibilité politique. Ce n'est pas moi qui ai inventé ou créé les mots
d'incompatibilité entre la royauté et cette opinion.
Du reste, j'accepte l'explication que
l'honorable membre vient de nous donner Je reconnais avec empressement qu'il
s'est toujours montré fidèle aux principes de nos institutions. C'est
précisément parce tels sont ses antécédents que ma surprise a été d'autant plus
grande d'entendre sortir de sa bouche des paroles qui auraient pu prêter à une
interprétation pareille.
A cette occasion j'ai dit aussi que cette incompatibilité était si peu
réelle, que la Couronne s'était adressée pour la formation d'un cabinet, à des
représentants considérables de l'opinion libérale. Car enfin cette opinion
n'est pas représentée au sein de la chambre par les deux honorables préopinants
seuls.
M.
Dolez. - Messieurs, je n'ai point demandé la parole
pour prendre part à ces regrettables débats qui nous occupent depuis hier ; je
l'ai demandée parce qu'on a fait allusion à des faits qui me sont personnels et
qui, bien qu'ils se soient passés en dehors de cette chambre, ont cependant un
caractère public. Je dois à la chambre l'exposé fidèle et sincère de ces faits.
Il est vrai que le Roi m'a fait l'honneur de me mander auprès de lui
lors de la dissolution de l'ancien cabinet. S. M. me rappela que j'avais pris une
part active aux attaques de l'opposition qui avait combattu le cabinet qui se retirait,
et qu'en conséquence c'était pour moi une sorte de devoir de me mettre à la
disposition de la Couronne pour former un cabinet nouveau.
S. M. me fit connaître que tous les membres du ministère avaient donné
leur démission ; que l'une de ces démissions était irrévocable ; que, quant aux
autres, S. M. daignait me laisser l'option ou de conserver dans la composition
du cabinet une partie des ministres démissionnaires ou de le former d'éléments
entièrement nouveaux. Plus d'un motif me commandait de ne point me charger de
la haute mission que S. M. daignait m'offrir, et la chambre comprendra qu'il
m'eût suffi d'invoquer celui de mon insuffisance personnelle. (Nombreuses dénégations.) Mais,
messieurs, il en était un autre qui avait encore, si c'était possible, un
caractère plus absolu ; cet autre motif se trouvait dans ma position
personnelle, dans mes obligations de chef de famille qui ne me permettent pas
de renoncer à mes travaux du barreau. Je dus donc décliner complétement
l'honneur qui m'était offert et faire connaître à S M., tout en lui exprimant
une profonde reconnaissance, ma ferme résolution de ne pas entrer dans la vie
politique plus avant que ne le comporte le mandat de simple député. S. M.
daigna apprécier les motifs de ma détermination.
J'ajouterai, messieurs, que la confiance dont S. M. venait de m'honorer,
m'imposait le devoir de saisir cette occasion de lui faire connaître quelle
était ma pensée sur la situation du pays, et je n'ai point fait défaut à
l'accomplissement de ce devoir.
Là, messieurs, doivent se borner, je pense, les explications que j'avais
à donner à la chambre. Elle me permettra, cependant, d'ajouter quelques mots
sur la conduite que j'ai tenue dans celle circonstance. On m'a blâmé de mon
abstention d'accepter le mandat élevé qui m'était offert.
Ou a prétendu qu'un député qui prenait une part plus ou moins active à
l'opposition parlementaire, contractait par cela même l'obligation de prendre
le pouvoir en mains si la confiance royale voulait l'en investir. Je crois
fermement que c'est là une doctrine mal fondée, je dirai même une doctrine
dangereuse pour l'indépendance parlementaire. Sans doute il est désirable qu'il
y ait parmi nous des hommes mus par l'honorable ambition de diriger les
affaires du pays, mais je pense que, d'autre part, le parlement ne serait pas
complet s'il ne s'y trouvait pas en même temps des hommes qui n'aspirent pointa
une si haute mission.
Pour que l'indépendance de l'opposition soit à l'abri des soupçons qui
pourraient parfois s'élever, pour que personne ne s'imagine qu'elle ne combat
le ministère que parce qu'elle aspire, dans des vues d'intérêt personnel, à lui
succéder ; il importe qu'il y ait au sein des chambres des hommes qui veulent
rester étrangers au pouvoir.
Eh bien ! lorsqu'il y a bientôt dix ans je
fus appelé à siéger dans cette chambre, je n'y entrai qu'avec la résolution de
borner mon ambition à me rendre digne du mandat de député et à me placer dans
cette fraction du parlement qui doit rester en dehors du pouvoir. Je n'ai pas
cru pour cela que ma liberté de vote et d'action pût se trouver entravée, et
toujours j'en ai franchement usé, suivant les inspirations de ma conscience.
Certes en agissant ainsi, je n'ai point contracté l'obligation d'accepter un
jour le pouvoir, et je n’ai pas non plus, en le refusant, altéré pour l'avenir
la moindre partie de ma liberté d'action, de mon indépendance.
Je crois donc, messieurs, en cette occasion ne pas avoir manqué à ce que
je devais à l'opinion à laquelle j'appartiens, non plus qu'aux conséquences du
mandat dont m'honore depuis longtemps la capitale de l'une de nos principales
provinces.
(page 49) M. Dumortier. - Messieurs, je dois d'abord
déclarer que j'ai vu avec une peine bien vive les débats qui ont eu lieu dans
la séance d'hier et dans celle d'aujourd'hui, car ces débats m'ont rappelé ce
qui s'était passé dans cette enceinte depuis quatre années, et ce que, pendant
quatre années, nous avons déploré. Pendant quatre années, messieurs, nous avons
vu M. le ministre de l'intérieur jeter la droite à la tête de la gauche et la
gauche à la tête de la droite, et aujourd'hui nous avons vu M. le ministre de
l'intérieur jeter la gauche à la tête de la droite et la droite à la tête de la
gauche.
Les moyens sont, d'ailleurs, les mêmes ; les moyens sont identiquement
les mêmes. Que disait l'ancien ministre de l'intérieur ? L'honorable H. Nothomb
disait à ses prédécesseurs : « Vous avez voulu la dissolution ; vous avez voulu
décimer la chambre, je vous en ai empêchés, et ce n'est que pour cela que vous
m'attaquez.» Que vient dire l'honorable M. Van de Weyer ? «Vous avez voulu la
dissolution ; vous avez voulu décimer la chambre, et c'est uniquement parce que
vous n'avez pas réussi, que vous m'attaquez. »
Eh bien, messieurs, qu'est-il résulté de ces discussions si vives ?
C'est que l'irritation n'a pas cessé d'exister pendant quatre ans dans le pays,
et cette irritation n'a eu qu'un seul résultat, c'est d'avoir existé aux dépens
des hommes que le gouvernement voulait maintenir dans la chambre.
Je dois, messieurs, déplorer du fond de mon cœur tout ce qui s'est passé
dans la séance d'hier. Lorsque M. Nothomb venait reprocher aux membres du
cabinet précédent d'avoir demandé la dissolution, au moins il parlait sur un
acte positif, sur une demande officielle ; aujourd'hui, au contraire, on parle
sur des conversations confidentielles, sur des conversations à l'égard
desquelles, l'honorable membre auquel on fait allusion, a donné des
explications sans qu'on ait voulu les admettre. La défense du ministère est
devenue un acte d'accusation contre un membre de cette chambre, et par là on a
perdu de vue l'objet réel de la discussion, la question de confiance ou de non
confiance dans le cabinet.
Je désire, messieurs, que ces débats se terminent, parce que je tiens
avant tout à la paix publique et que la paix publique ne peut que souffrir
beaucoup de pareils débats. Je demande donc que la chambre reprenne son ordre
du jour et que cette discussion incidente soit abandonnée.
M. le
président. - L'incident est
terminé.
La parole est à M. de Mérode, dans la discussion générale.
M. de Mérode. - Messieurs, bien que je ne puisse dire aujourd'hui
si le cabinet actuel aura plus tard ou non ma confiance, j'accepterai sans
peine la phrase bienveillante qu'il désire voir ajouter à l'adresse proposée
par notre commission.
Depuis quinze ans je ne me suis montré opposant qu'à un seul ministère,
et si cette habitude a souffert une exception, ce n'est qu'à cause d'intentions
bien connues chez quelques ministres et quelques-uns de leurs amis, de pousser
le gouvernement dans le système exclusif qui ferait des Belges deux catégories,
l'une destinée à exercer le pouvoir, l'autre dévouée purement à le subir comme
incapable d'y être associée. En ma qualité de représentant, je ne me crois pas
le droit de refuser mon concours aux ministres du roi, si quelques circonstances
graves et toutes spéciales ne m'obligent impérieusement à combattre leurs
tendances, à les arrêter dans une voie funeste.
Toutefois, si je m'éloigne autant que possible de l'opposition hostile à
l'existence même d'un ministère, je ne suis pas plus complaisant pour
l'adoption des projets de loi qui me semblent défectueux ou mauvais. Je
n'admets pas l'ancienne méthode anglaise qui considère les lois non par leur
valeur propre, mais par un esprit de bienveillance ou de contradiction envers
les dépositaires du pouvoir. Ceux-ci, d'autre part, doivent, selon moi, éviter
aussi d'éprouver légèrement la représentation nationale par des offres de
démission si telle ou telle loi n'est point adoptée par elle. C'est là gêner la
conscience, détruire la liberté des votes, en exigeant du député l'adoption
d'une mesure qui lui semble fausse, par la crainte d'une perturbation
gouvernementale presque toujours nuisible à 1 intérêt du pays.
J'ai été quelque peu surpris, messieurs, d'entendre demander pourquoi le
ministère était modifié, puisqu'à cette question la réponse était faite, depuis
longtemps, par tout ce qui a été dû pendant la session dernière et même pendant
la précédente. Que de fois nous a-t-on répété, en effet, qu'un homme dont
chacun reconnaissait la capacité, la puissance de travail et de discussion,
était la cause essentielle d'un mécontentement, d'ailleurs fort obscurément
défini.
M. le ministre de l'intérieur précédent manquait, disait-on, de franchise,
de dignité, procédait par l'hésitation, les concessions contradictoires, la
déception même. De là, sans doute, cette fuite si peu digne, vraiment, dans sa
malheureuse précipitation, que rien ne motivait et qui n'était propre qu'à
réduire au rôle le plus humble le pouvoir royal, comme les révélations qu'on nous
a fournies hier nous l'ont prouvé, fuite impolitique au plus haut degré à
laquelle s'est résolu le ministre dont je parle, pensant, du moins j'aime à le
croire, qu'il fallait, non chercher un poste tranquille, mais sacrifier au plus
vite une existence ministérielle à l'irritation, vraie ou prétendue, dont on la
signalait comme le principal et presque exclusif mobile.
Messieurs, relisez les discours de l'opposition pendant la session
dernière, relisez les journaux de la même couleur et vous verrez que la
retraite de M. Nothomb devait être le meilleur remède pour calmer les esprits
irrités, que cette retraite devait amener presque sans faute l'amicale
fraternité des partis.
Si ces assurances étaient vraies, quelle raison y a-t-il de s'informer
aujourd'hui des motifs de la modification du cabinet, à moins que, comme je
l'ai déclaré plusieurs fois pendant les deux sessions dernières, ces assurances
ne fussent vaines, ne fussent qu'un moyen d'arriver à tout autre but que la
retraite si vivement sollicitée ?
Quant aux dissolutions dont on vient de vous entretenir avec tant
d'amour, il est certain que l'élection multipliée à outrance produit le même
mal que tous les excès. Les élections, aujourd'hui, n'ont plus le même
caractère que dans ce que j'appellerai notre époque primitive. Alors le
candidat se présentait simplement avec ses titres à la préférence des
commettants ; il ne s'agissait point d'intrigues, de transports organisés à
grands frais, de repas donnés avec profusion.
Aujourd'hui, le fermier de plusieurs propriétaires différents, le
fournisseur de pratiques diverses, est harcelé en tout sens pour obtenir son
vote. L'élection est une crise, un tourment pour un grand nombre de ceux qui
sont appelés à y prendre part. Elle doit donc être aussi ménagée que possible,
et ceux qui prônent constamment les dissolutions ne parlent point en faveur des
citoyens paisibles qui, certes, verraient avec regret cette mesure. Lorsque je
faisais partie d'un ministère qui recourut à elle sans nécessité, sans utilité,
contre le parti du mouvement, elle eut lieu pendant mon absence forcée ; car
j'ai toujours eu la plus vive répugnance pour ces remue-ménages, quel que fût
leur but. Tous les deux ans, on vous l'a dit, la chambre des représentants se
renouvelle par moitié. N'est-ce pas un mouvement électoral assez piquant ? Et,
le réitérer sans cesse, c'est lasser le zèle des amis de l'ordre, c'est user
les institutions, c'est les détruire par la fatigue et l'ennui.
En France, les collèges électoraux sont composés de contribuables, qui
payent deux cents francs d'impôts.
En Angleterre, les mœurs ne ressemblent point aux nôtres ; qu'on cesse
donc d'invoquer pour la Belgique les dissolutions qui peuvent convenir à ces
deux pays, mais qui n'apporteraient ici que la ruine de notre avenir constitutionnel.
Messieurs, au début de cette session, je viens m'élever de nouveau
contre des termes excessivement impropres, contre des qualifications qui ne
sortiront jamais de ma bouche, celles de catholiques et de libéraux. Le mot
libéral ne doit être appliqué que selon sa signification honorable et vraie
désignant l'ami de la liberté, de la justice, de la générosité, de l'humanité.
Or, le sentiment catholique s'est toujours montré, dans cette enceinte et dans
le pays, favorable aux idées de liberté, de justice, d'humanité ; il a
constamment repoussé toute oppression. Il est donc essentiellement libéral ; et
s'il est en opposition avec une autre opinion, ce n'est point avec une opinion
plus juste, plus généreuse, plus humaine, plus libérale, en un mot, mais avec
une opinion qui a d'autres vues sur nos devoirs, sur le bien et le mal,
d'autres idées sur notre origine, notre nature, notre avenir dans un autre
monde. Rien de pis que la confusion des termes destinés à formuler des
distinctions de si haute importance. Et j'ai regretté d'entendre, hier encore,
M. le ministre des affaires étrangères employer les qualifications si peu
logiques de catholiques et de libéraux.
Chacun doit accepter franchement le nom qui
convient à son système sur les rapports surnaturels de l'homme. Le
christianisme est aussi libéral que le rationalisme ; car il ordonne de
considérer son prochain, c'est-à-dire ses semblables, comme soi-même, de ne
point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait. Ce
principe étant la base de la foi politique, je pense de mériter le titre de
libéral tout comme le rationaliste ou l'éclectique, quand il respecte les
droits et la liberté des autres hommes.
Messieurs, nous entrons dans une année calamiteuse. Quel sera le plus
libéral parmi les citoyens belges, aux yeux du bon sens ? Sera-ce celui qui
fréquentera davantage ou la loge maçonnique ou l'église, ou qui fera le plus
d'opposition politique ? Non sans doute ! Le plus libéral sera celui qui, selon
ses moyens, procurera pour les besoins de la multitude le plus de substances
alimentaires et pourvoira le plus activement, le plus généreusement aux besoins
de ses frères, dont une récolte importante perdue compromet l'existence. Tel
sera le plus libéral, fut-il chaque jour au pied des autels, ou tournât-il
chaque matin ses regards vers le grand-orient.
M. Verhaegen. - J'étais inscrit pour parler sur l'incident,
mais puisqu'il n'y a plus d'incident je parlerai sur le fond ; seulement je réclamerai
l'indulgence de la chambre, parce que je ne m'attendais pas à prendre
aujourd'hui la parole sur l'ensemble de l'adresse.
Messieurs, les rapports qui s'établissent entre la Couronne et la
représentation nationale au sujet du discours du Trône, commandent une
discussion franche et loyale. Je crois donc qu'il est de mon devoir de dire
toute ma pensée, tant sur le cabinet, considère comme être moral, que sur les
membres qui le composent.
Si je considère le cabinet actuel dans son ensemble, je suis obligé de
dire qu'il ne se présente tout d'abord que comme la continuation du cabine
précédent, et qu'à défaut d'explications nettes et catégoriques sur la marche
qu'on se propose de suivre, on provoque l'ancienne opposition à reprendre
immédiatement son rôle.
Nous, messieurs, qui, quoi qu'on en ait dit en maintes circonstances,
n'aimons pas à faire une opposition systématique, nous désirions connaître le
terrain sur lequel on veut nous conduire, nous désirions pouvoir apprécier les
actes du cabinet avant de nous prononcer sur la question de confiance. Ce désir
se trouve imprudemment contrarié ; on veut nous forcera accorder aveuglement
nos sympathies à un ministère qui se dit nouveau avant même qu'il n'ait posé
aucun acte.
Obliges malgré nous de dire immédiatement notre pensée sur le cabinet
nouveau, nous devons dire que puisqu'il ne se présente que comme la
continuation du cabinet précèdent, il nous importe de connaître les causes de
la retraite de ce dernier.
(page 50) L'honorable
préopinant, M. le comte de Mérode, vient de prétendre que la guerre faite au
cabinet précédent n'était qu'une guerre de personnes, qu'on ne voulait voir
disparaître, du banc ministériel, que M. Nothomb, M. Nothomb, qui est loin
d'ici et qui ne peut pas répondre en ce montent aux observations qui le
concernent ; l'honorable membre a ajouté que M. Nothomb étant tombé la guerre
était venue à cesser et qu'il ne s'agissait plus que de pourvoir au seul
remplacement de M. le ministre de l'intérieur de 1840, par M. Van de Weyer, par
exemple.
Eh ! messieurs, on fait bon marché de certains autres membres du cabinet
de 1841 ! Nous voyons non loin de nous, siégeant sur les bancs du centre, les
honorables MM. Goblet et Mercier, qui, faisant partie du cabinet Nothomb, ont
aussi disparu du banc ministériel, et on ne daigne pas même s'occuper d'eux.
Quelle est, après tout, la conséquence de l'assertion du comte de Mérode
? C'est que l'honorable M. Nothomb avait le droit de nous dire comme il l'a
insinué souvent : le cabinet, c'est moi.
Le cabinet Nothomb représentait un principe ; ce principe nous l'avons
combattu avec opiniâtreté, et pour nous la chute du premier ministre a été la
chute du principe.
Le corps électoral, aux mois de juin et d'octobre, a approuvé nôtre
conduite, et les insinuations que, dans une autre enceinte, M. le ministre des
affaires étrangères s'est permises contre ce corps que la Constitution
reconnaît comme souverain, sont, sinon dangereuses, au moins très inconvenantes
; nous n'avons pas à disculper ceux dont nous tenons notre mandat, mais nous
pouvons dire, sans sortir des bornes parlementaires, que si dans certaines
localités les élections ont eu une couleur plus tranchée qu'elles n'avaient eu
précédemment, c'est à la conduite du gouvernement qu'il faut attribuer ce
résultat.
Messieurs, si l'honorable M. Van de Weyer pouvait nous dire comme
l'insinuait naguère M. Nothomb : « Le ministère, c'est moi, » oh ! je
n'exprimerais pas sur le cabinet l'opinion que j'ai émise au début de mon
discours. Ainsi je suis amené à traiter une question de personne.
Je passe sous silence les noms des collègues de M. le ministre de
l'intérieur, car nous les connaissons depuis longtemps, et maintes fois nous
avons dit sur leur compte ce que nous avions à dire. Je m'occupe tout de suite
et exclusivement de l'honorable M. Van de Weyer.
L'honorable M. Van de Weyer, personnellement, m'inspire une confiance
entière. Il est attaché, dit-il, aux principes libéraux, et il invoque le
témoignage de ses anciens amis politiques :
Les opinions de M. le ministre de l'intérieur ont été et sont encore,
j’aime à le croire, en tous points, conformes aux nôtres ; elles sont peut-être
même, à certains égards, plus avancées que les nôtres, et, pour mon compte, je
trouverais dans ces opinions des garanties contre des tendances que je n'ai
cessé de combattre dans cette enceinte. Les besoins du XVIIIème siècle ont
amené des principes philosophiques, dont l'honorable M. Van de Weyer s'est
toujours montré l'apôtre ; et, comme les mêmes causes produisent ordinairement
les mêmes effets, M. le ministre de l'intérieur, mieux que tout autre, pourrait
nous aider à arrêter les empiétements incessants du clergé.
Les opinions de l'honorable M. Van de Weyer se sont manifestées
d'ailleurs par des actes et par des écrits, et dès lors toute la question se
réduit au point de savoir si l'influence de M. le ministre de l'intérieur sera
assez forte pour faire taire les scrupules de ses collègues et amener à bonne
fin les projets qu'il paraît avoir conçus.
Messieurs, j'avais pensé que le projet d'adresse, proposé à l'unanimité
par la commission, était de nature à conserver intacts les droits de tous.
Quant à moi, voyant sur les bancs ministériels l'honorable M. Van de Weyer avec
les principes que je lui connais, me rappelant son passé, et attendant ses
actes pour me fixer sur son présent et sur son avenir, j'aurais désiré rester
pour le moment dans une attitude de réserve et voler le projet d'adresse de la
commission. Cette attitude aurait pu convenir peut-être aussi à certains
membres de la droite, qui, comme nous, n'aiment pas à se prononcer à la légère
sur le compte d'un ministère, quoique leur but soit différent du nôtre ; mais
on ne nous a pas permis de suivre cette marche ; elle ne convenait pas à tous
les membres du cabinet.
Messieurs, vous vous rappelez tous que, lors de la session
extraordinaire, l'honorable ministre de l'intérieur disait à l'opposition qui
faisait ses réserves : Vous avez raison d'agir ainsi. Vous connaissez mon
passé, il doit vous répondre de mon avenir ; mais cela ne suffit pas, vous
devez attendre mes actes. Ces actes vous prouveront que je suis et que je serai
toujours ce que j'ai été depuis un quart de siècle.
Le ministère a tenu la même conduite au sénat ; il y a déclaré que si le
dernier paragraphe du projet d'adresse de la commission du sénat n'impliquait
aucune idée de blâme pour le cabinet, n'indiquait qu'une attitude de réserve,
il se contenterait de la rédaction sans proposer aucun changement.
Pourquoi le ministère croit-il devoir agir autrement dans cette chambre
? S'il s'était contenté de prendre ici la position qu'il avait prise au sénat,
je crois que le projet d'adresse, tel qu'il a été formulé par la commission,
aurait déjà été voté, tous droits restant saufs ; mais on a cru devoir proposer
un amendement dont l'adoption impliquerait, de la part de la chambre,
l'approbation instantanée de la politique du cabinet, alors que cette politique
ne s'est encore révélée par aucun acte.
Comme je le disais tout à l'heure, l'honorable M. Van de Weyer, personnellement,
pourrait offrir à l'opinion libérale des garanties ; mais, je le répète, sera-t-il
assez influent dans le cabinet pour y faire prévaloir ses principes ?
Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur se trouve en présence de
collègues dont plusieurs se font honneur d'appartenir à l'opinion qui n'est pas
la sienne. Aura-t-il assez de force pour les traîner à sa suite ?
On a parlé beaucoup de dissolution ; mais quels que soient les fantômes
que l'on se soit créés à cet égard, il faudra bien convenir que le seul moyen
de salut pour un ministre qui ne sort pas des rangs de la majorité
parlementaire et qui a des adversaires politiques pour collègues, c'est la
dissolution. On s'effraye, d'ailleurs, à tort de cette mesure que la
Constitution a écrite formellement dans un de ses articles, et qui n'est, après
tout, qu'une condition mise à l'acceptation d'un portefeuille, dans l'hypothèse
prévue et que la Couronne est libre d'admettre ou de ne pas admettre. Certes,
lorsque la Couronne fait à un membre de cette assemblée l'honneur de lui
proposer d'entrer dans son conseil, ce membre a le droit de lui dire : « Voici
les conditions de mon avènement aux affaires ; si elles sont acceptées, j'entre
dans le cabinet ; sinon, j'en demeure éloigné. » Quand on accepte la mission de
former un cabinet, on la stipule, non pas seulement pour soi, mais encore et
surtout pour l'opinion à laquelle on appartient, et' l'on est obligé de prendre
ses précautions.
Les précédents faisaient un devoir à l'opinion libérale de stipuler les
conditions de son avènement au pouvoir ; elle eût commis une grande imprudence
si elle avait agi autrement, et ici je me plais à rendre hommage à la conduite
que nos amis politiques ont tenue dans l'occurrence. N'avons-nous pas été
témoins de l'opposition mesquine et systématique que le ministère de 1840 a
rencontrée dans cette enceinte, opposition qui allait chercher des moyens
d'attaque jusque dans un projet de loi sur les foins ?
Messieurs, il en est de cette condition de dissolution comme de toute
autre.
La Couronne. prétend-on, abdique quand elle consent à une condition de
dissolution. Mais si un homme politique quelconque faisait de son entrée au
pouvoir la condition de la présentation d'un projet de loi sur l'instruction
moyenne, par exemple, basé sur tels principes et disait : «Sire, je puis
accepter le mandat que vous m'offrez, à la condition de la présentation de tel
projet de loi, » y aurait-il là quelque chose de contraire aux égards que l'on
doit à la royauté ? Y aurait-il là atteinte aux prérogatives de la Couronne ?
N'est-ce pas, au contraire, une proposition qu'il est libre au Roi d'accepter
ou de répudier ? S'il en est ainsi d'une condition ordinaire, pourquoi en
serait-il autrement de la condition de dissolution ?
On a parlé de ce qui s'est passé dans des pays voisins : mais,
messieurs, mieux que tout autre, l'honorable M. Van de Weyer doit savoir ce qui
se passe en Angleterre. Là, quoi qu'il en ait dit, la dissolution est une des
conditions que les hommes politiques attachent à leur entrée au pouvoir. En
voulez-vous des exemples ? quand le ministère de coalition fut renvoyé par
Georges III, M. Pitt n'accepta la mission que lui confia le roi qu'avec la
condition de la dissolution ; lorsqu’en 1835, Guillaume IV, profitant de
l'entrée à la chambre des pairs de lord Althorp, son premier ministre à la
chambre des communes, pour se débarrasser du cabinet whig qui avait cependant
la majorité dans le parlement, il appela sir Robert Peel qui ne lui promit son
concours qu'à la condition de la dissolution, et sir Robert Peel fit emploi de
cette mesure, après avoir annoncé à la chambre que si elle se prononçait contre
lui, il devrait faire un appel au peuple.
Mais les exigences politiques vont bien plus loin en Angleterre que
partout ailleurs. Là, il ne s'agit pas seulement d'imposer pour condition à la
royauté la dissolution de la chambre, mais même de demander le renvoi de
certaines personnes qui approchent du Trône. N’a-t-on pas vu sir Robert Peel,
lors de son deuxième avènement, pour se débarrasser d'une camarilla qui gênait
ses allures, exiger le renvoi de plusieurs dames d'honneur de la reine Victoria
? Et personne n'a prétendu, en Angleterre, que ce fût là une violation faite à
la royauté.
L'honorable M. Van de Weyer, si scrupuleux sur le chapitre des
dissolutions, n'a-t-il donc stipulé aucune condition quelconque ? Placé en face
de collègues qui n'appartiennent pas à son opinion, car lui, il vous le déclare
franchement, il appartient à l'opinion libérale, et deux de ses collègues
déclarent se faire honneur d'appartenir à l'opinion contraire ; quel sera son
rôle ? Quelle sera sa force dans le cabinet ? Quels seront ses moyens
d'influence ?
Si M. Van de Weyer n'a pas stipulé de conditions, sera-ce dans sa
position personnelle vis-à-vis de la Couronne que je pourrai trouver une
garantie ? Serait-il vrai, qu'arrivé d'outre-mer pour sauver la royauté (c'est
lui qui l'a déclaré), cette royauté n'aurait rien à lui refuser, et que la
condition de dissolution non stipulée serait sous-entendue ? Si, arrivant en
quelque sorte malgré lui, abandonnant une position fort belle, beaucoup plus
agréable que celle qu'il occupe...
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Personne n'en doute.
M. Verhaegen. - Sa position serait-elle telle qu'assuré du concours
de la Couronne à laquelle, d'après lui, il a rendu un si éminent service, il
pourrait faire la loi à tous ses collègues en leur disant : « Si vous ne
partagez pas mon opinion dans telle et telle circonstance, je me retire, dès
lors le ministère est en dislocation et la Couronne est de nouveau
perdue. »
Messieurs, ne perdez pas de vue que le terrain sur lequel nous sommes en
ce moment placés, c'est celui choisi par M. Van de Weyer. Déjà j'avais entendu
dans la bouche de plusieurs de mes amis des insinuations qui étaient de nature
à me tranquilliser. Car M. le ministre de l'intérieur a parmi nos amis
politiques des partisans nombreux. Quelques-uns d'entre eux ont même regretté
de n'avoir pas pu, dans une circonstance solennelle, lui donner une marque
éclatante de leur sympathie, et je comprends leurs regrets. Ces insinuations
allaient jusqu'à faire supposer que M. Van de Weyer (page 51) d'après sa position vis-à-vis du chef de l'Etat, avait en mains
les moyens nécessaires pour résister à ses cinq collègues et faire prévaloir ses
opinions personnelles.
Quand M. le ministre de l'intérieur nous a dit hier qu'il était venu en
Belgique pour sauver la royauté, je me suis dit aussitôt que les insinuations
dont je viens de parler n'étaient pas sans fondement ; en effet, un homme qui
tient en main les destinées du pays, l'homme indispensable, puisque ni dans la
chambre ni hors de la chambre, on n'a trouvé personne capable de remplir
semblable mission ; un homme qui abandonne une belle position à Londres pour se
jeter dans le brouhaha des affaires dans le seul but d'être utile au prince,
envers lequel il est lié par un sentiment de reconnaissance, n'a-t-il pas droit
à des égards et ne peut-il pas compter sur un concours qu'on refuserait à
d'autres ? La position spéciale de M. Van de Weyer, dans le cabinet, de M. Van
de Weyer dont je connais le passé, pourrait donc bien aussi me rassurer sur son
avenir.
Mais je dois à mes amis de dire pourquoi je puis placer ma confiance en
l'honorable M.Van de Weyer personnellement. M. Van de Weyer a, comme je l'ai
dit, des opinions qui sont conformes aux nôtres, qui sont peut-être à certains
égards plus avancées que les nôtres, et ces opinions se sont manifestées et par
des actes et par des écrits.
Ainsi pourrais-je refuser ma confiance à un
homme qui a publiquement énoncée l'opinion qu'il faut exercer une surveillance
de tous les instants sur les jésuites dont les établissements sont dangereux
pour le bien public ? Mais que diront de cette opinion les honorables MM. Malou
et Dechamps ?
Pourrais-je refuser ma confiance à l'homme qui pense tout haut qu'il
faut soustraire le pays à l'avenir de l'obéissance passive qu'on lui prépare
avec tant de soin ? Si M. Van de Weyer fait prévaloir cette opinion au sein du
conseil, loin de lui faire une opposition, je lui accorderai mes sympathies et
j'appuierai sa politique ; mais je crains, car que diront les honorables MM.
Dechamps et Malou ?...
M. le ministre des finances
(M. Malou). - Nous les appuierons.
M. Verhaegen. - Nous aurons fait alors une conquête et nous
devrons, à l'avènement de M. le ministre de l'intérieur, la conversion de MM. Dechamps
et Malou.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Je n'ai jamais voulu soumettre le pays à une obéissance passive, et
cependant on vient dire que je suis converti parce que je ne veux pas imposer
au pays l'obéissance passive !
Je ne puis pas laisser passer cela.
M. Verhaegen. - Pourrais-je refuser ma confiance à M. le ministre
de l'intérieur, qui a dit et écrit qu'il faut soustraire la nomination du jury
à la tendre merci de la majorité catholique ? Si ces opinions, manifestées dans
des circonstances solennelles, restent les opinions de M. le ministre de
l'intérieur, je le déclare tout haut, il aura mon adhésion et mon concours.
Mais, encore une fois, que diront les honorables MM. Dechamps et Malou, que
dira la majorité de cette chambre ?
Indépendamment de ces opinions ainsi manifestées, il y a un acte bien
significatif ; celui qui a été pose dans la séance de ce jour : M. le ministre
de l'intérieur est partisan au plus haut degré, il nous l'a dit, de la
prérogative royale, et il a fait une rude guerre à ceux qu'à tort il accusait
d'y avoir porté atteinte ; eh bien, la question du jury d'examen se résumait
précisément dans une question de prérogative royale ; et nous, à qui on reproche
de toucher aux droits de la Couronne, de faire bon marché de la prérogative
royale, c'est nous qui, dans cette circonstance, les avons défendus contre MM.
Malou et Dechamps et contre la majorité de cette assemblée ; et il s'est même
passé, à cet égard, quelque chose de très significatif, qu'il ne sera pas hors
de propos de rappeler.
A l'époque de la discussion de la loi sur le jury d'examen, l'honorable
M. Dechamps était encore assis sur le même banc qu'il occupe aujourd'hui. Il
avait pris part avec ses collègues à l'élaboration du projet, et ce n'est que
lorsqu'il a vu surgir l'opposition au sein de ses amis, qu'il a donné sa
démission comme ministre, et qu'au moment de la discussion du projet il a fait
volte-face, il a fait une promenade du banc d'en bas au banc d'en haut, pour
revenir ensuite au banc d'en bas et y reprendre son portefeuille lorsque le
projet, entièrement défiguré par la droite, avait reçu l'assentiment de la
majorité.
Il sera bien difficile à l'honorable M. Van de Weyer, dont les principes
en matière d'instruction sont connus, de s'entendre avec ses collègues sur un
projet aussi important.
.Maintenant l'honorable M. Van de Weyer fléchira-t-il devant les
exigences connues de MM. Malou et Dechamps, ou bien, lui, partisan de la
prérogative royale, présentera-t-il un projet qui rende à la Couronne, ce que,
d'accord avec les auteurs du projet primitif, nous membres de l'opposition,
voulions lui accorder ? En d'autres termes, sera-t-il assez fort pour
soustraire à la tendre merci de la majorité catholique la nomination des
membres des jurys d'examen ? Car c'est là son opinion.
Nous connaissons encore les opinions de M. le ministre de l'intérieur,
en matière de franchises communales, car M. le ministre est libéral, libéral au
premier degré, et l'homme qui professe franchement des opinions libérales doit
tenir à l'une, des libertés les plus chères au pays.
Les opinions de M. Van de Weyer, en matière de franchises communales, ne
peuvent donc être que conformes aux nôtres ; eh bien, cependant on a fait bon
marché de nos franchises communales. Vous savez, messieurs, comment on a obtenu
la nomination du bourgmestre hors du conseil. L'honorable M. Van de Weyer
approuve-t-il cette mesure ou proposera-t-il le retrait d'une loi qu'on
appelle, à juste titre, une loi réactionnaire ? Sans prendre cet engagement, il
ne peut être franchement libéral.
Les lois sur les fraudes électorales, de triste mémoire, sont encore
présentes à votre souvenir ; vous savez de quelle manière on a porté atteinte
aux dispositions de la loi électorale favorables à notre opinion, et vous savez
aussi comment, d'un autre côté, on est resté en défaut de répondre à certains
besoins de l'époque.
L'honorable M. Van de Weyer, s'il est libéral, doit nous promettre la
révision de cette partie de la législation, car tout le monde est d'accord que
la loi électorale exige certaines réformes ; les proposera-t-il ? Que fera-t-il
en présence de ses collègues qui sont d'une opinion tout à fait contraire ?
Quant à la loi d'enseignement moyen, dont il est parlé dans le discours
du Trône, nous connaissons encore les opinions de M. le ministre de
l'intérieur. Elles ne sont, elles ne peuvent être que les nôtres ; car, encore
une fois, M. le ministre de l'intérieur se proclame libéral, libéral par
excellence ; M. Van de Weyer qui, en matière d'instruction, est plus compétent
qu'aucun membre du cabinet, que fera-t-il pour l'organisation de l'enseignement
moyen annoncée dans le discours du Trône ?
Messieurs, je regrette, je le dis franchement, que l'honorable M. Van de
Weyer ne soit pas arrivé en Belgique quelques années plus tôt avec les opinions
dont il se vante et que j'aime à lui reconnaître. Il aurait évité sans doute
tout le mal fait dans l'intervalle ; alors le projet de 1834 eût pu répondre
aux besoins, tandis qu'aujourd'hui il est devenu insuffisant à plus d'un titre.
Savez-vous combien il nous reste d'établissements d'instruction moyenne
indépendants ? Dix-huit à vingt, tout au plus. Les collèges communaux ont été
successivement escamotés au profit du clergé ; nos avertissements n'ont pas
fait défaut au gouvernement, mais le gouvernement est resté sourd et
l'absorption est devenue un fait accompli ; que fera M. le ministre de
l'intérieur pour reconstituer l’enseignement moyen indépendant sur un pied respectable
? Reprendra-t-il le projet de loi, qu'il nous offrira comme une fiche de
consolation, tout insuffisant qu'il est dans les circonstances actuelles, ou,
dans des vues de conciliation, sera-t-il même obligé de la modifier ? Encore
une fois, si ses opinions restent franchement libérales, il doit faire plus
qu'en 1834 ; à de grands maux, il faut de grands et prompts remèdes.
Enfin, quant à la loi sur l'instruction primaire, la plus mauvaise de
toutes, puisqu'elle livre aux mains du clergé, sans contrôle sérieux de
l'autorité civile, l'instruction primaire tout critère, quelle sera la conduite
de M. le ministre de l'intérieur ? Quelle exécution y donnera-t-il ? Cette loi,
comme je viens de le dire, la plus mauvaise de toutes, a été repoussée par deux
de mes honorables amis et par moi. Si elle a été appuyée par d'autres amis qui
se sont joints à la droite par esprit de conciliation, c'est parce qu'ils
espéraient dans l'exécution de l'impartialité, de la sincérité, de la franchise
; mais l'exécution n'a pas répondu à leurs prévisions ; elle a été marquée au
coin de la partialité et de l'esprit de parti, et l'instruction primaire est
complétement perdue pour notre opinion. Que fera M. le ministre de l'intérieur
? Sa position dans le cabinet lui permettra-t-elle de nous rendre la justice
qui nous est due ?
Je m'arrête, messieurs, pour ne pas prolonger cette discussion. Je
pourrais citer plusieurs autres lois encore, mais j'en ai cité assez, je pense,
pour faire pressentir à l'honorable ministre de l'intérieur, se disant libéral,
franchement libéral, et que nous reconnaissons pour tel, quels sont ses devoirs
vis-à-vis de l'opinion à laquelle il appartient.
Les opinions de M. Van de Weyer sont sincères, je ne fais aucun doute à
cet égard ; elles sont franches ; elles sont bien arrêtées ; mais pourra-t-il
les faire prévaloir dans le cabinet ? C'est de ses actes futurs que résultera,
pour nous, la solution de ces questions.
C'est parce que nous ne voulons pas faire une opposition systématique à
l'honorable M. Van de Weyer, que nous croyons pouvoir prendre, dans cette
enceinte, le parti qu'a pris le sénat, nonobstant les tentatives contraires du
cabinet.
M. Van de Weyer, vous ne pouvez pas trouver mauvais que l'opinion
libérale fasse ses réserves. Que demande, après tout, l'opinion libérale ? Elle
demande, et probablement une autre opinion le demandera aussi, dans un intérêt
contraire, à la vérité, l'occasion de juger le cabinet eu connaissance de cause
; pourquoi vous y refuser ?
Si vos actes répondent à vos paroles, vous aurez notre adhésion pleine
et entière, franche et désintéressée. Si vous faites retirer ces lois
réactionnaires dont nous avons à nous plaindre, ces lois attentatoires à nos
libertés ; si voire administration enfin répond aux principes libéraux que vous
avouez sans réserve, vous aurez l'approbation de tous nos amis et nos
sympathies vous sont acquises.
Nous faisons nos réserves ; car, encore une fois, nous le répétons, nous
attendons des actes ; c'est dans ce sens que je voterai contre l'amendement du
ministère et que je donnerai mon adhésion à l'adresse telle qu'elle a été
rédigée par la commission à l'unanimité des membres qui avaient été appelés à
celle œuvre par la chambre tout entière.
M. le président. - Il n'y a plus aucun orateur inscrit.
Quelques
membres. - Alors, prononçons la clôture
de la discussion générale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Ce serait étrangler la discussion que de ne pas nous permettre
d'entrer dans les développements que nous avons à donner. Nous nous réservons
le droit de répondre à l’honorable préopinant.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à quatre heures.