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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 novembre 1845
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétitions relatives à l’autorisation de construire une
maison sur un terrain militaire (Lesoinne), à
l’organisation des examens universitaires (de Haerne)
2) Projet d’adresse en
réponse au discours du trône. Discussion politique générale, question de
confiance gouvernementale, appel à l’unionisme et question des partis,
formation du nouveau gouvernement) (de Mérode, d’Anethan, Devaux, (+enseignement
moyen) Van de Weyer, Rogier, d’Elhoungne, Malou, Rogier (+formation prérogative royale), Van de Weyer)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 63) M. de Villegas fait l'appel nominal à
midi et un quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du
procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.
M. de Villegas présente l'analyse des
pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Henri de Behr réclame
l'intervention de la chambre pour obtenir l'autorisation de construire une
maison sur une propriété située dans la zone du fort de la citadelle de Liège.
»
M.
Lesoinne. - Je demanderai que la commission
des pétitions veuille bien faire un prompt rapport sur cette requête. Le
pétitionnaire s'est adressé à M. le ministre de la guerre pour obtenir
l'autorisation de bâtir une petite maison dans le rayon de la forteresse, et
probablement par un malentendu, on ne lui a pas accordé cette autorisation. Je
prierai la commission de vouloir demander à ce sujet des explications à M. le
ministre de la guerre.
- Le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt
rapport, est adopté.
________________
« Le sieur Wasson demande que le gouvernement mette en adjudication
l'exploitation des salles du restaurant dans les stations du chemin de fer, et
offre 3,000 fr. annuellement pour occuper la salle de restaurant dans la
station de Verviers. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les étudiants en droit de l'université de Louvain demandent que la
disposition qui a suspendu l'exécution de l'art. 51 de la loi sur
l'enseignement supérieur soit prorogée jusqu'après la révision de cette loi. »
M. de Haerne. -
Messieurs, la question soulevée dans la pétition dont il s'agit doit être
tranchée, je crois, le plus tôt possible dans l'intérêt des bonnes études. Il
n'y a qu'une voix, à cet égard, dans toutes les universités. Dans toutes les
universités, l'opinion s'est accréditée que la loi de 1835 sur l'enseignement
supérieur est inexécutable pour la partie du doctorat en droit ; et cependant,
l'année prochaine, la loi doit recevoir son exécution pour cette partie. Il en
résulte que quelques-uns des étudiants de cette faculté s'adonnent aux branches
qui sont désignées par la loi de 1835, que d'autres ne s'adonnent pas à toutes
ces branches, ce qui donne lieu à une véritable confusion, au détriment des
bonnes études.
Je demanderai donc que l'on fasse sur la pétition de Louvain, aussi bien
que sur les autres qui ont été adressées à la chambre sur le même sujet, le
plus prompt rapport. (Appuyé ! appuyé !)
Si M. le ministre de l'intérieur ne trouvait pas d'inconvénient à dire
son opinion sur ce point, je crois qu'il rendrait un véritable service.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions, avec demande
d'un prompt rapport.
PROJET D’ADRESSE EN REPONSE AU DISCOURS DU TRONE
Discussion générale
M. de Mérode. - M. le président, je voudrais pouvoir dire un
mot relativement à un fait personnel.
M. le président. - Il n'est pas dans les usages qu'on demande la
parole pour un fait personnel le lendemain du jour où le fait personnel a été
articulé. Cependant, si l'assemblée y consent, je vous accorderai la parole.
- La chambre, consultée, décide qu'elle entendra M. de Mérode.
M. de Mérode. - Dans la séance d'hier, pendant que j'étais hors
de cette chambre, un membre a dit que le Moniteur n'avait pas reproduit une
phrase de mon discours, phrase qui en aurait été retranchée comme de nature à
provoquer quelques susceptibilités.
Ce qui a pu donner lieu à la supposition que je viens de rectifier,
c'est qu'au moment où l'on m'interrompait avec un certain bruit confus, j'ai
répété des mots déjà prononcés, et que des paroles séparées de leurs précédents
ou de ce qui doit suivre, produisent souvent un malentendu.
Ma thèse, très brièvement expliquée, était purement et simplement
celle-ci : les qualifications de catholiques et de libéraux, appliquées pour
désigner des opinions contraires, sont essentiellement vicieuses. Elles ne sont
bonnes qu'à produire la confusion des idées, et tel ne doit pas être le but du
langage. Ce qui est en opposition plus ou moins formelle avec le sentiment
catholique, ce n'est pas une opinion politique libérale, mais une opinion
philosophique ou éclectique, c'est-à-dire une opinion que chacun se forme selon
ses vues propres sur les choses surnaturelles et invisibles, sur l'avenir
définitif de l'homme, ou aussi l'insouciance sur ces hautes questions.
Voilà ce qui est en opposition réelle avec le sentiment des Belges
attachés à la société religieuse, dont les successeurs de saint Pierre sont les
chefs, et ce sentiment catholique exclut si peu la tolérance civile parmi nous,
la fidélité à nos institutions libérales, que mes amis et moi repoussons de
toutes nos forces le système d'exclusion du pouvoir politique appliqué à nos
concitoyens, dont la philosophie ne serait pas la philosophie chrétienne
catholique. Il est vrai que nous ne voulons pas le subir d'avance nous-mêmes,
bien qu'on nous promette son prochain triomphe contre nous, sous le nom de
progrès de l'idée libérale.
Il y a longtemps qu'un auteur romain disait : Ubi solitudinem faciunt
pacem appellant.
M. le
président. - M. de Mérode, cela ne
concerne plus le fait personnel. Si je vous laissais continuer, on pourrait me
dire que je supporte de vous ce que je ne tolère pas d'autres membres.
M. de Mérode. - Du reste, messieurs, ainsi que j'ai
l'honneur de vous l'assurer, dans mon dernier discours je n'ai rien improvisé
ni rien changé au manuscrit que le Moniteur a reçu.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, avant de laisser continuer la discussion qui peut être
s'engagera sur un autre terrain, je dois deux mots de réponse à l'honorable M.
Delfosse.
Je ne répéterai pas, messieurs, les arguments qui ont été produits hier
par mes honorables collègues MM. les ministres des affaires étrangères et des
finances. J'ajouterai seulement, messieurs, quelques réflexions à celles qu'ils
vous ont présentées, avant d'aborder les deux griefs articulés par M. Delfosse,
à raison desquels j'ai principalement demande la parole.
L'honorable M. Delfosse vous a dit hier que le ministère ne pouvait vivre
qu'à la condition d'aller humblement mendier des suffrages.
M. Delfosse. - Je n'ai pas dit humblement.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Mendier ne me paraît ni très noble ni très digne. Le mot humblement
ne fait donc que compléter la phrase de l'honorable membre.
Quoi qu'il en soit, l'honorable M. Delfosse a pensé que le ministère ne
pouvait vivre qu'à la condition de mendier des suffrages. Je dis, messieurs, qu'il
me paraît au moins extraordinaire de voir adresser au ministère un semblable reproche,
en présence de la position si nette, si tranchée, si franche que le ministère
vient de prendre. Comment, messieurs, (page
64) au début de la discussion, c'est le ministère lui-même
qui pose la question de cabinet ; c'est le ministère lui-même qui déclare qu'il
a besoin, non pas d'un simple concours numérique, mais d'un concours
bienveillant ; c'est le ministère lui-même qui déclare que son existence est
attachée au témoignage de sympathie qu'il demande à la majorité ; et c'est en
présence d'une position aussi nette, alors que le ministère vous a fait
connaître que si cette déclaration n'est pas donnée, il se retirerait à l'instant,
qu'on vient dire qu'il ne peut vivre sans mendier des votes.
L'honorable
M. Delfosse, continuant la critique du ministère, a dit que le ministère actuel
ne pourrait pas faire cesser l'agitation qui régnait dans le pays, qu'au
contraire sa présence aux affaires était de nature à l'alimenter.
Messieurs,
cette opinion m'étonne également. Comment ! c'est à nous que l'on adresse le
reproche d'alimenter l'agitation dans le pays, d'alimenter l'irritation dans
les esprits (irritation, du reste, tant soit peu factice !) Et que
demandons-nous pourtant ? Nous demandons la fusion de toutes les opinions ;
nous nous adressons à tous les hommes modérés.
Et vous,
messieurs, que demandez-vous ? Vous voulez proscrire une opinion tout entière,
vous voulez déclarer cette opinion inhabile à gérer en quoique ce soit les
affaires de l'Etat ; vous voulez, en un mot, lui enlever toute action
quelconque dans la direction des affaires publiques ; c'est-à-dire que vous
voulez éterniser les divisions qui peuvent malheureusement exister, que vous
voulez laisser les partis en présence, au lieu d'en réunir les éléments
modérés. Et vous appelez cela faire de la conciliation, et vous croyez ce moyen
propre à calmer les esprits !
J'avoue,
messieurs, que je ne reconnais pas dans ce que soutient l'honorable membre,
cette logique si serrée à laquelle il nous a habitués.
J'aborde
maintenant les deux griefs, dont l'un regarde tous les membres du précédent
cabinet qui sont restés au pouvoir et dont l'autre est spécialement articulé
contre moi.
L'honorable
M. Delfosse a dit, après avoir parlé de M. le ministre de l'intérieur : « Je
vois ici à ses côtés deux hommes qui ont accepté la solidarité de tous les
actes, de toutes les déceptions du ministère précédent, deux hommes qui ont
joué un triste rôle dans cette affaire du jury d'examen qui a tant abaissé le
pouvoir. » M. Delfosse aurait dû dire, non qu'il voyait deux de ces hommes,
mais qu'il en voyait quatre, en mentionnant aussi M. le ministre de la guerre
et M. de Muelenaere.
Un
membre. - M. de Muelenaere n'était
pas ministre.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Il était membre du cabinet, par conséquent il a
accepté la responsabilité de tout ce qui s'est passé sous le cabinet de 1843,
comme il accepte, ainsi que M. d'Huart, la responsabilité de tous les actes du
ministère actuel.
Ainsi,
messieurs, parce que, lors de la discussion politique qui a eu lieu, le
ministère précédent a fait, comme il le devait, une déclaration de solidarité
pour tous les actes qui avaient été posés, l'honorable M. Delfosse pense que
tout le ministère aurait dû se retirer du moment qu'un de ses membres, pour des
raisons particulières que nous n'avons pas à juger, a cru devoir offrir sa
démission ! Mais, messieurs, quand cette déclaration de solidarité a été faite dans
cette chambre, quelle en a été la suite ? Un vote approbatif de 65 voix contre
25. Ainsi, après cette déclaration, loin de devoir nous retirer devant une manifestation
de la chambre, nous avions au contraire obtenu une manifestation en notre
faveur, et cette manifestation était votée non seulement par les voix qu'on
appelle catholiques, mais encore par une grande partie des voix qu'on appelle
libérales.
Messieurs, cette
déclaration devait-elle à tout jamais enchaîner l'avenir ? Parce que nous avions
été au ministère pendant deux ans avec M. Nothomb et que nous acceptions la
responsabilité de tous les actes auxquels le ministère avait concouru pendant
cette période, était-il nécessaire que nous sortions pas tous du ministère en
même temps que l'honorable M. Nothomb ? Je pense qu'une doctrine aussi absolue
ne peut pas être soutenue.
Cette
doctrine a été même combattue hier par l'honorable M. de Brouckere. Cet
honorable membre a déclaré que, d'après lui, mon honorable collègue des
affaires étrangères pouvait faire partie d'un nouveau cabinet, que son désir
était qu'il y entrait et qu'il avait exprimé ce désir à différentes reprises.
Ainsi l'honorable M. de Brouckere reconnaissait que la déclaration de
solidarité qui avait été faite n'était pas un motif d'exclusion pour tous les
anciens ministres.
Et, pour le
dire en passant, messieurs, ce que vous a dit hier l'honorable M. de Brouckere
a prouvé clairement, qu'il est partisan de ce qu'on appelle les ministères
mixtes ; car M. de Brouckere a déclaré positivement que si, d'après lui,
l'honorable M. Dechamps devait entrer au pouvoir, néanmoins il n'aurait pas
voulu appuyer un cabinet qui aurait été composé de six messieurs Dechamps ou de
six messieurs Malou. Par conséquent, dans l'opinion de l'honorable M. de Brouckere,
ce qui convenait à la situation, après la retraite du précédent cabinet,
c'était un ministère mixte dans lequel pouvaient honorablement figurer des
membres de l'ancien cabinet.
Nous avons
donc, messieurs, avant de nous décider, une seule chose à examiner : celle de
savoir si la composition de la chambre après les élections, nous permettait de
rester au pouvoir. Lorsque j'ai eu l'honneur de porter la première fois la
parole dans cette discussion, j'ai exprimé mon opinion sur le résultat général
des élections du 10 juin. Je ne reviendrais pas sur ce point, si l'honorable M.
Delfosse n'avait cherché à réfuter ce que j'avais dit à cet égard.
Voici comment
est exprimé l'honorable M. Delfosse : « M. le ministre de la justice nous
opposait aussi avant-hier sa réélection el celle de deux de ses collègues. M.
le ministre de la justice croit-il donc que Louvain, Ypres, Bastogne doivent
peser dans les destinées du pays autant que Bruxelles, Liège, Anvers ? M. le
ministre de la justice oublie-t-il qu'il n'est arrivé dans cette chambre qu'à
l'aide de toutes les influences du pouvoir ? Cependant, il sait mieux que
personne quelles sont ces influences et comment on en use. » Il résulte de
ces paroles que l'honorable M. Delfosse croit pouvoir faire une distinction
entre les élus de la nation : il ne considère comme véritables organes de
l'opinion publique que les seuls collèges électoraux qui envoient à la chambre
des candidats de l'opposition. Mais quelle est donc cette doctrine ? De quel
droit l'honorable membre vient-il, en quelque sorte, fractionner le corps
électoral ? De quel droit vient-il supposer que les électeurs de Louvain,
d'Ypres, de Bastogne, par exemple, émettent des suffrages moins librement et
moins consciencieusement que les électeurs de Liège, d'Anvers, de Bruxelles ?
Mais si l'honorable M. Delfosse reconnaît, avec raison, comme parfaitement
libres et consciencieux les électeurs qui l'ont appelé dans cette chambre, il
me permettra de réclamer la même appréciation en faveur des électeurs qui nous
ont, mes amis et moi, honorés de leur mandat.
Quant aux
influences dont a parlé l'honorable M. Delfosse, aucun parti ne les néglige ;
l'opposition, tout comme la majorité, cherche à employer les moyens légitimes
d'influence qui peuvent lui valoir des voix. Pourquoi donc faire à la majorité
un grief de ce qu'elle se soit aidée des influences propres à la faire
triompher ? L'opposition seule aurait-elle ce privilège ? Les membres de
l'opposition auraient-ils la prétention d'être seuls les représentants
véritables du pays ?
J'arrive
maintenant, messieurs, au grief qui m'est personnel. L'honorable M. Delfosse
nous a dit hier : « L'autre (c'était de moi qu'il s'agissait) n'a-t-il pas
poussé le scandale jusqu'à permettre, à ordonner peut-être à un de ses
subordonnés de mêler la justice aux luttes électorales ? » Voilà, messieurs,
l'accusation très grave que l'honorable M. Delfosse a cru devoir formuler hier
contre moi. Je proteste de la manière la plus formelle contre une telle
allégation, et je demande à la chambre la permission de lui faire connaître
très succinctement les faits ; la chambre jugera alors si l'accusation a la
moindre apparence de fondement.
Messieurs,
une plainte avait été faite contre l'éditeur d'un journal, à raison d'un
article qu'il avait publié. On ne dira sans doute pas, messieurs, que cette
plainte a été soufflée par le ministère, car si l'on se permettait cette
allégation, il y aurait dans la chambre un membre qui protesterait sans doute à
l'instant même contre une pareille supposition.
Une instruction
a été entamée sur cette plainte, et après l'audition de quelques témoins, le parquet
pensa qu'il y avait des motifs suffisants pour interroger un membre de cette
chambre du chef de sa participation présumée à l'article incriminé. M. le procureur
général près de la cour d'appel de Bruxelles m'adressa une lettre, par laquelle
il me priait de solliciter de la chambre l'autorisation nécessaire pour
poursuivre un de ses membres. Je soumis cette affaire au conseil, et nous fumes
d'avis, mes collègues et moi, que la session étant sur le point d'être close,
il n'y avait pas lieu de porter devant la chambre un débat irritant ; qu'après
la clôture de la session la justice pourrait avoir son cours, sans qu'il fût
nécessaire, messieurs, de vous demander l'autorisation de poursuivre un de vos
collègues.
Après la
clôture de la session, l'instruction fut reprise et, depuis cette époque, je
suis resté, comme je le devais, complétement étranger à la poursuite qui était
intentée. Cette poursuite a abouti à un renvoi devant la cour d'assises, et
l'on ne dira pas, sans doute, que c'est le ministère qui a fait alors élever la
fin de non-recevoir à l'aide de laquelle le débat a été étouffé.
Cette affaire
a donc été entamée, poursuivie et terminée sans que le ministère y intervînt le
moins du monde. Tout ce que j'ai fait, messieurs, c'est de m'abstenir ; j'ai
cru devoir le faire et en pareille circonstance j'agirais encore ainsi. A quel
reproche fondé, à quelle responsabilité ne s'exposerait pas M. le ministre de
la justice, s'il défendait à un procureur général de poursuivre sur la plainte
d'une administration ou d'un particulier ? En m'abstenant, j'ai proclamé
l'égalité de tous devant la loi, et c'est cette conduite que M. Delfosse croit
pouvoir qualifier de scandaleuse.
D'après
l'honorable membre j'aurais, dans cette circonstance, fait intervenir la
justice dans les luttes électorales. Mais à quelle fin, je vous prie ? Quel
résultat pouvait-on attendre des poursuites intentées ? Il ne fallait que le
plus vulgaire bon sens pour prévoir que ces poursuites seraient exploitées
contre le ministère. (Interruption.)
Il s'agit d'un fait qu'on reproche au ministère d'avoir posé en vue des
élections, je puis bien repousser cette supposition, en disant que le ministère
avait, au contraire, intérêt à ce que la poursuite n'eût pas heu.
Aussi, messieurs, ce n'est pas au ministère qu'on pourrait
reprocher une manœuvre électorale dans cette affaire, mais bien aux personnes
qui ont exploité les poursuites en leur attribuant une origine qu'elles
n'avaient réellement pas. Quant au ministère, je le répète, il s'est abstenu,
et loin d'encourager la poursuite, il a refusé de demander à la chambre
l'autorisation de la commencer.
J'ai pensé,
messieurs, que je me devais à moi-même, que je devais à la magistrature de
protester contre ce qui avait été avancé par l'honorable M. Delfosse. Je n'ai
pas voulu laisser supposer que la magistrature qui a prononcé dans cette
affaire ait subi la moindre influence, que la magistrature se soit laissé
guider par des considérations de parti.
M. Delfosse. - Je demande
la parole.
M. Devaux. - Messieurs,
dès le début de la discussion j'avais désiré que le gouvernement voulût bien se
placer dans une position claire pour tous. Il me semble qu'il lui eût été
facile de le faire en répondant avec quelque précision aux trois questions que
je lui avais posées, questions devant lesquelles je ne devais pas le croire
embarrassé, car j'avais droit de penser qu'on avait dû les prévoir et les
examiner.
J'avais
demandé, messieurs, quelles étaient les raisons de la retraite de l'ancien
cabinet ; quelle différence il y avait entre la politique de l'ancien (page 65) cabinet et celle du cabinet
nouveau ; quelles étaient les conditions de la formation du cabinet nouveau,
et, par conséquent, de l'arrivée au pouvoir des divers ministres. Ces questions
étaient, je crois, fort claires pour MM. les ministres. Vous avez entendu les réponses.
Elles sont vagues pour tout le monde, obscures pour tout le monde. Certainement
ce n'est pas de là que peut sortir une position nette pour le cabinet.
Qu'a-t-on
répondu, en effet ? M. le ministre de la justice nous a appris que M. Nothomb
s'était retiré devant le résultat des élections ; que trois de ses collègues
n'ont pas désespéré, comme lui, du système qui avait été suivi jusqu'à ce jour
et que ce système pouvait être continué. Quant à des conditions précises de
l'entrée des ministres au pouvoir, il ne nous en a été indiqué aucune.
Les
conditions auxquelles on demande la conciliation des partis, on les a passées
complétement sous silence. Tout ce qu'on nous a dit, c'est qu'on voulait
gouverner avec les hommes modérés, c'est-à-dire, qu'on nous a dit ce qu'on nous
répète depuis quatre ans, ce que tout le monde veut, ce que tout le monde dira
et ce que tout le monde voudra. Car, messieurs, qui donc, dans cette chambre,
ne veut pas un pouvoir modéré ; qui donc ne veut pas un pouvoir conciliant ? Je
n'ai jamais entendu qu'une voix dans cette chambre, et c'était sans doute une
distraction ? je n'ai jamais entendu qu'une voix qui ait excité un ministère à
se faire des ennemis implacables, et cette voix est ralliée au ministère, c'est
même la voix la plus amie.
Pour opérer
une conciliation, pour être modéré, il ne suffit pas de le dire, il ne suffit
pas d'opérer un mélange quelconque d'opinions, dans un cabinet. Le système
qu'on veut continuer nous a toujours demandé grâce au nom de la modération.
C'est encore le même langage aujourd'hui. J'appelle modération, moi, non pas la
modération dans les moyens apparents, mais la modération dans les résultats,
dans les résultats non seulement du jour, mais encore du lendemain et du
surlendemain. Laisser la maladie emporter le malade pour lui épargner
l'amertume d'une potion qui lui répugne ou la douleur d'une opération qui lui
arracherait quelques cris, ce n'est pas de la sagesse ; laisser une ville
devenir tout entière la proie des flammes, faute de prendre dès le début de
l'incendie une mesure énergique qui isole le feu, ce n'est pas ce que j'appelle
de la modération, c'est de la faiblesse, c'est de l'imprévoyance. La
modération, encore une fois, je la veux, surtout dans les résultats et dans les
résultats durables.
Examinez les
résultats du système qu'on veut continuer ; qui, dans cette chambre, peut dire
que ce système, préconisé au nom de la modération, a servi les idées qu'on
appelle modérées ? Qui peut dire que ce ministère qu'on veut continuer, leur a
été utile ? Qui peut dire que ce ministère ait concilié quoi que ce soit dans
le pays et qu'il n'ait plus aigri que calmé ? Quelle est la modération la plus
haute qui puisse présider à la direction des affaires publiques ? Quelle est la
vue la plus élevée qui doive dominer la lutte des partis dans l'esprit des
hommes prévoyants et sérieux de toutes les opinions ? C'est d'éviter que,
quelles que soient les destinées des partis, de quelque côté que se porte pour
un jour ou pour longtemps la victoire, on n'arrive à ce résultat, qu'une des
deux opinions qui divisent le pays écrase l'autre, que l'une des deux soit à la
merci de l'autre. Il faut toujours tendre vers ce but, que l'opinion la plus
faible conserve assez de force pour être une barrière contre l'autre, contre les
écarts de l'autre.
En politique,
comme dans la guerre, la meilleure garantie de la modération des vainqueurs
résidera toujours dans les forces qui restent aux vaincus.
Or, cette
vérité, n'a-t-elle pas été complétement perdue de vue par le système suivi
depuis quatre ans ?
Messieurs,
quand on voyait clairement que les forces d'une des deux opinions
s'accroissaient de jour en jour ; quand tous les hommes, quelque peu
clairvoyants, ont pu reconnaître, les uns avec douleur, les autres, en s'en
réjouissant, que cette opinion devait arriver infailliblement aux affaires, et
que son avènement n'était plus qu'une question de temps, qu'un avenir très peu
éloigné devait résoudre ; de quoi une politique élevée, une politique de
pouvoir devait-elle se préoccuper au point de vue des idées modérées, au point
de vue des intérêts du pouvoir et de celui des deux partis qui s'affaiblissait
?
Etait-ce,
avant tout et pour tout, de prolonger quelque peu et à tout prix le court
intervalle qui devait aboutir à un événement inévitable ? Non, messieurs, ce
dont une politique prévoyante devait se préoccuper surtout, c'était de ce qui
arriverait après cet événement, de ce qui arriverait après l'avènement de
l'opinion libérale, de ce que deviendrait alors la position du pouvoir et celle
du parti catholique. Il fallait, dès aujourd'hui, dès longtemps, assurer dans
l'avenir et au pouvoir et à l'opinion catholique, je ne crains pas de le dire,
la part d'influence qu'il est désirable que l'un et l'autre conservent dans
l'avenir. Eh bien, ce but immense, ce but d'avenir, on l'a sacrifié pour un
intérêt momentané, pour un intérêt précaire, qu'on sait bien soi-même qu'on ne
pourra pas sauver.
Pour
maintenir une situation factice, que le pouvoir même sait être forcé, que le
pouvoir lui-même n'espère pas prolonger au-delà de quelques mois, puisque
l'espoir suprême du ministère serait de pouvoir se maintenir jusqu'aux
prochaines élections ; pour maintenir, dis-je, cette situation factice, on
sacrifice l'avenir, on déconsidère le pouvoir ; on laisse l'opinion publique
s'amoindrir, à la suite d'un pouvoir dans lequel elle n'a pas même confiance ;
on laisse cette opinion s'épuiser dans des luttes trop ardentes pour elle. On
voit ses hommes tomber les uns après les autres ; on voit ses défaites se
propager des grandes villes aux petites villes, et peu à peu des petites villes
aux villages, à tel point qu'on se demande ce qui restera d'elle, si cette
lutte se prolongeait encore pendant quelques années. On fait des ministères
pour quelques mois, des ministères sans portée, sans influence, ni sur l'une
des deux opinions ni sur l'autre, des ministères qui ne croient pas à
eux-mêmes, avec la perspective de changer de temps en temps d'expédient ; on
compose un ministère qu'on sait devoir tenir pendant quelques mois, avec la
perspective de faire dans quelques mois un autre ministère qui durera encore
pendant un semblable délai.
Le pouvoir et
ses adhérents ressemblent ainsi à une armée qui n'entre en campagne qu'avec le parti
pris de battre toujours en retraite ; il prend une position, mais avec la certitude
d'être battu et de devoir reculer jusqu'à une deuxième et une troisième où le
même sort l'attend.
On ne prévoit
pas que cette armée, toujours battue, exalte par ses défaites l'ardeur et les
prétentions de ses adversaires et qu'il est impossible qu'elle ne finisse pas
par la démoralisation et la débandade.
Et ainsi, on
commet la faute de s'exposer à devoir accepter les conditions de ses adversaires
le jour où l'on n'aura plus rien à opposer à leurs prétentions.
Je sais de
quel espoir on se berce ; il sera toujours temps de céder, dit-on ;
l'opposition sera toujours trop heureuse qu'on aille à elle.
Qu'en sait-on
? Que sait-on s'il n'y a pas déjà un temps déplorablement perdu ?
Le mouvement
est donné, il n'a pas besoin d'être excité, il n'a pas besoin d'être nourri, il
s'excite et se nourrit lui-même, il s'étend d'un point du pays à l'autre.
Croyez-moi, on ne l'arrêtera pas à jour fixe. Ce n'est pas lorsque le pouvoir
lui-même l'a imprudemment provoqué de tant de façons, qu'on parviendra à
l'arrêter le jour même où il se résoudra à prendre une autre position. On
demande quel est le danger qu'on court à attendre. On court le grand danger de
se rendre toujours plus faible, pour recevoir un jour la loi d'adversaires
toujours plus forts et dès lors, par une loi infaillible, des partis irrités
par la lutte, toujours plus exigeants. Messieurs, déjà aujourd'hui la position
relative des deux opinions n'est plus ce qu'elle était il y a quatre ans.
Pour qui, je
le demande, l'opinion catholique se trouve-t-elle encore dans la position
imposante où elle était en 1841 ? Pour qui l'opinion libérale, qui s'ignorait
presque à cette époque, en est-elle encore à sa position d'alors ?
Dans la lutte,
les exigences croissent inévitablement avec l'idée des forces. Je ne veux pas
parler pour, le moment, de certaines nuances dont on vous a effrayés ; mais
dans le reste même de l'opinion libérale, je dis qu'il n'y a pas une nuance de
cette opinion dont les exigences ne se soient accrues depuis 1841.
Tout ce que
l'opposition eût accepté en 1841, ne lui suffirait plus en 1845. Ce qu'elle
accepterait en 1843, qui répondra qu'elle l'acceptera encore en 1847'' qui
répondra que le programme du ministère libéral de 1817 pourra être encore celui
qui aurait suffi à un ministère libéral de 1845 ?
Messieurs, on
ne semble donc pas se douter qu'il y a dans le sein de l'opposition une foule
de questions encore en suspens, de questions qui peuvent se trancher dans son
sein du jour au lendemain, et que, si toutes les nuances de cette opinion en
acceptent aujourd'hui les solutions, quoi qu'on fasse, quelques mois plus tôt
ou plus tard, ces solutions finiront par être imposées au pouvoir, par passer
aux affaires. Il y a de ces questions que je ne voudrais pas même indiquer ici,
dans la crainte que, rien qu'en les indiquant à la tribune nationale, elles ne
fussent résolues.
Et l'on ne
risque rien d'attendre, l'on ne risque rien pour le pouvoir pour l'opinion
catholique de continuer la politique des délais ! Messieurs un temps précieux a
déjà été perdu. Oui, l'heure de l'avènement de l'opinion libérale la plus
favorable à ses adversaires et au pouvoir est déjà passée.
Si, depuis
plusieurs années, l'opinion libérale avait été au pouvoir, que serait-il arrivé
? Il serait arrivé que l'opinion catholique aurait passé dans la minorité, avec
tout le prestige des forces qu'elle possédait à cette époque ; il serait arrivé
que les libéraux, satisfaits de se trouver majorité reconnue, se seraient
attiédis dans leur lutte contre l'opinion catholique.il serait arrivé que
l'opinion libérale devenue pouvoir aurait été, par la nécessité de sa position
nouvelle, tenue à plus de ménagement que l'opinion libérale restée parti.
Il serait
arrivé que l'opinion catholique, au lieu de partager la triste solidarité des
ministères qui se sont succédé, aurait partagé cette faveur populaire à
laquelle, je le reconnais, l'opposition atteint facilement. Il serait arrivé
que plus d'un nom parlementaire qui a été englouti dans le naufrage électoral
aurait surnagé, peut-être par l'influence même de l'opinion libérale au
pouvoir.
Il serait
arrivé que l'opinion catholique de la majorité aurait été assez forte, assez
importante pour opposer une barrière à ses adversaires, pour les retenir dans
la modération, si cela eût été nécessaire.
Il serait
arrivé que l'opinion libérale aurait conservé une grande idée de la force de
ses adversaires.
Si même cette
mesure par laquelle on veut vous effrayer, par laquelle on veut obtenir de vous
une déclaration de confiance, si une dissolution avait été prononcée en 1841,
l'opinion catholique serait sortie des élections plus forte qu'elle n'est
aujourd'hui ; comme si une dissolution venait à être prononcée dans les
circonstances où nous sommes aujourd'hui, l'opinion catholique sortirait plus
forte des élections qu'elle ne sera dans quatre ans, avec le système qui nous
régit.
Et quelle eût
été la position du pouvoir ? Il serait resté influent dans l'opinion libérale,
il ne lui serait pas venu comme il lui viendra, comme un vaincu à bout de
résistance ; il lui serait venu comme un allié sympathique, comme un guide qui
allait la diriger, se mettre de bonne grâce à sa tête ; les libéraux, qui
n'avaient pas encore le secret de leurs forces, lui auraient attribué une
partie de leur position nouvelle, une partie de leur succès. Le pouvoir
acquérait une autorité immense dans l'opinion libérale ; il en dirigeait (page 66) en quelque sorte, l'éducation.
La confiance s'établissait entre eux et empêchait les exigences de s'accroître
outre mesure, L'opinion libérale savait que sa rivale était encore pleine de
force.
Le pouvoir
restait maître de se restreindre dans les nuances qui lui agréaient le plus.
Pour la composition des corps électifs, l'autorité du gouvernement eût été très
grande, l'opinion libérale eût entendu ses conseils avant d'arrêter ses choix.
C'est dans ces conditions favorables pour le pouvoir que se serait recrutée la
majorité du parlement et des corps électifs qui couvrent le pays.
Aujourd'hui,
c'est le contre-pied de tout cela qui arrive. L'opinion catholique a perdu le
prestige de sa puissance ; les libéraux ont appris à se passer du pouvoir, ils
ont appris à vaincre sans lui et contre lui. L'assistance du pouvoir, quand
elle leur arrivera, ne sera plus qu'un effet de la nécessité : ils ne
redouteront plus de voir passer le pouvoir dans d'autres rangs ; ils sauront
qu'il n'est venu de leur côté que parce que de l'autre tout était épuisé. Au
lieu de cette confiance, de cette sympathie qui s'établissait naturellement, on
provoque des défiances et des exigences, et c'est sous une bannière hostile au
pouvoir que se recrutent et la future majorité parlementaire et celle de tous
les corps électifs avec l'influence desquels il faudra gouverner le pays. Et
c'est là de la politique prudente ! c'est là de la politique favorable aux
idées modérées ! C'est pour cela qu'on veut continuer un système déjà tant de
fois condamné par les faits et qui a fini par se condamner lui-même dans la
personne de son représentant le plus intelligent.
Pouvait-on
conserver encore quelques illusions ? La fortune électorale n'avait-elle pas
assez maltraité l'opinion catholique ? Le pouvoir ne s'était-il pas assez
annulé, n'avait-il pas eu recours à assez d'expédients ? Tout n'était-il pas
épuisé ? Ne fallait-il pas enfin songer à donner au pouvoir une autorité réelle
sur le mouvement des esprits ?
Il restait
encore deux moyens sérieux à essayer. Le premier, le seul à l'efficacité duquel
je croie, était de créer un ministère libéral homogène, non pas un ministère
exagéré, exclusif, extravagant, mais un ministère homogène, comprenant les
conditions de modération et de sagesse de tout pouvoir raisonnable.
Il n'y a
jamais eu, dit-on, de ministère homogène en Belgique. Moi, je réponds que les
ministères homogènes ont été les plus fréquents en Belgique avant M. Nothomb.
Messieurs, ne
jouons pas sur les mots. Il s'agit ici des partis existants et non des partis
morts. Des partis ont existé dans le pays depuis quinze ans.
Dans les
premiers jours du congrès, quand M. Van de Weyer était ministre, quels étaient
les partis dans le pays ? Etaient-ce le parti catholique et le parti libéral ?
Non, c'étaient des patriotes et des orangistes ; il n'y a pas eu de ministère
mixte, M. Van de Weyer n'en aurait pas voulu.
Dans les
premières années de notre régime nouveau, quels furent ensuite les partis réels
? Etaient-ce les catholiques et les libéraux ? Était-ce pour l'opinion libérale
ou pour l'opinion catholique qu'on se combattait dans les chambres, qu'on se
combattait dans les élections ? Non, les partis réels étaient, d'un côté, le
parti qu'on a appelé juste milieu, gouvernemental, etc., composé de libéraux et
de catholiques qui défendaient certaines attributions du pouvoir, certains
principes de la politique extérieure, et, d'autre, part, l'opposition à ce
parti.
Avez-vous vu
alors se former un ministère mixte de ces deux partis ? Quand M. de Theux a
constitué son premier ministère, y a-t-il appelé des membres de l'opposition ?
Quand le cabinet de MM. Lebeau et Rogier s'est établi, les membres en ont-ils
été pris dans les deux opinions qui luttaient l'une contre l'autre à cette
époque ? Non ; ils ont formé un ministère homogène.
La deuxième
fois que l'honorable M. de Theux est entré au pouvoir, il a pris pour collègues
deux membres qui avaient figuré dans l'opposition ; mais, aussitôt entrés dans
le ministère, ils se sont rangés du côté de la majorité, ils n'ont pas cherché
à faire arriver au pouvoir les idées de l'opposition ; le ministère est resté
complétement homogène. Plus tard, une certaine incertitude s'est manifestée,
sous ce rapport, dans la composition du ministère, quand les anciens partis ont
commencé à se dissoudre. Nous avons eu une période d'incertitude, pendant
laquelle il serait difficile de dire si le ministère était mixte ou homogène.
Je crois,
quant à moi, que dans la situation actuelle, ce qui importe le plus, c'est
d'avoir un pouvoir influent sur l'opinion à laquelle appartient l'avenir du
pays, sur l'opinion qui voit, à chaque instant, ses rangs se renforcer dans le
sein de cette chambre, comme dans tous les corps électifs en général.
Or, il n'y a
pas de doute, que sous ce rapport, un ministère homogène, sera supérieur à tout
autre.
Il y avait
encore un parti à prendre dans lequel, à la vérité, je suis loin d'avoir, pour
ma part, une aussi grande confiance, mais qui aurait eu quelque chose de
sérieux et pouvait être essayé si on voulait à toute force un nouvel essai de
ministère mixte ; je ne m'engage pas à faire de l'opposition à tous les
ministères de coalition, mais je veux tout au moins, qu'un semblable ministère
soit composé d'hommes ayant de l'autorité dans chacun des deux partis et
surtout dans ce parti dont l'influence s'accroît de jour en jour dans le pays.
Je veux que ces hommes osent dire tout haut les conditions précises de la
conciliation qu'ils proposent aux partis ; je ne veux pas qu'ils croient que
tout est fini quand ils n'ont fait que se concilier entre eux-mêmes ?
Dans la
situation où se trouve le pays, est ce en continuant l'ancien système que vous pouvez
arriver à des résultats autres qui ceux qu'on a obtenus ? Est-ce pour donner au
pouvoir plus d'action sur l'opinion libérale qu'on a galvanisé les restes du
ministère précédent qui s'était lui-même décapité ? Est-ce pour rendre son
action plus forte qu'on y a ajouté M. Malou qui, même après son acceptation de
son gouvernement d'Anvers, trouvait pour défaut au ministère Nothomb que
l'opinion catholique n'y était pas assez représentée ? Est-ce pour voir une
influence puissante dans l'opinion libérale, que le seul libéral de la chambre
qui ait trouvé accès à cette combinaison, c'est M. d'Hoffschmidt qui, après
avoir combattu M. Nothomb, s'est rallié à lui dans ses plus mauvais jours ?
Est-ce enfin pour avoir une action certaine sur la même opinion qu'on a pris,
pour compléter le ministère, un homme étranger aux luttes parlementaires et à
tout ce qu'il y a d'actuel dans les efforts de l'opinion libérale ; un homme qui,
dans les fonctions qu'il occupait au loin, n'a pu obtenir dans les rangs
d'aucune opinion cette confiance que les partis n'accordent que lentement et
qu'aux hommes qui ont subi dans leurs rangs et avec elles les épreuves de la
bonne et de la mauvaise fortune ; un homme qui, en acceptant cette combinaison,
sans connaître ses collègues, sans s'enquérir de ce que pouvait, de ce que
voulait l'opposition et ses |représentants parlementaires, a paru ne pas plus
s'inquiéter de l'opinion libérale que si elle n'existait pas ?
Un pareil
ministère, après le 10 juin, ne semblait-il pas plutôt un gant jeté à l'opinion
libérale ?
Privé
d'action de ce côté, en aura-t-il même sur l'opinion opposée ?
Les hommes
qui représentent l'opinion catholique dans le cabinet, ne sont pas ceux qui en
possèdent toute la confiance.
L'honorable
M. Dechamps (je ne veux rien dire d'inutilement blessant ;, mais je veux,
cependant, exprimer ma pensée tout entière), après ce qui s'est passé, au sujet
de la question des jurys d'examen, l'honorable M. Dechamps n'est pas à l'abri
des défiances de son parti.
L'honorable
M. Malou, après ce qui s'est passé pour l'acceptation du gouvernement d'Anvers,
quelque hostile qu'il puisse, à juste titre, paraître au parti libéral, n'est
pas sans exciter des défiances, même dans le camp de ses amis politiques.
L'honorable
M. Van de Weyer n'a pas plus d'action sur l'opinion catholique. S'il n'a point
de passé parlementaire, il a des antécédents d'écrivain, qui ne sont pas faits
pour lui assurer une grande influence sur l'opinion catholique.
Je dis plus.
Je conçois que si l'honorable M. Van de Weyer faisait partie d'un ministère
libéral, d'un ministère s'appuyant principalement sur la gauche, je conçois,
dis-je, que l'opinion catholique ne serait pas humiliée, de sa présence aux
affaires. Mais l'opinion catholique soutenant l'honorable M. Van de Weyer à la
tête d'un ministère, qui ne peut vivre que sur cette opinion et dont par
conséquent elle doit accepter toute la solidarité, c'est là, après ce que M.
Van de Weyer a récemment écrit. une étrange humiliation pour un parti !
N'était-ce pas assez du rôle qu'on avait rempli sous le ministère de M. Nothomb
? Fallait-il quelque chose de plus poignant encore ?
Les membres
du cabinet ont assez fait pour exciter chacun la défiance d'un parti et aucun
n'a la confiance de l'autre parti.
L'honorable
M. Van de Weyer n'a pas la confiance du parti libéral ; mais il a assez fait
pour exciter les défiances du parti catholique.
Les
honorables MM. Malou et Dechamps ont assez fait pour exciter l'hostilité du
parti libéral ; mais ils n'ont pas la confiance du parti catholique.
Ainsi, c'est
en quelque sorte par les défiances et non par la confiance des deux partis
qu'on veut arriver à une conciliation !
Qu'arrivera-t-il
? Que le ministère sera sans autorité morale, sans action réelle, ni dans le
pays, ni dans les chambres. Il arrivera qu'à certaines nuances près, le fond
des choses restera ce qu'il était sous le cabinet de M. Nothomb. Comme on
votait pour le cabinet de M. Nothomb, on votera pour l'amendement du ministre,
mais avec bien des réserves ; si elles ne sont pas exprimées aujourd'hui, elles
le seront plus tard. On votera pour le ministère, en le déconsidérant, il y
aura action et réaction du ministère sur la majorité ; mais ce sera, comme sous
le ministère Nothomb, pour s'abaisser, pour s'amoindrir mutuellement.
En attendant,
l'avenir de l'opinion catholique s'assombrira ; l'avenir du pouvoir s'aggravera
de difficultés nouvelles. Les exigences de l'opposition, quelques efforts qu'on
fasse pour les contenir, iront croissant.
Tout ce qui
s'est passé, depuis que le ministère existe, prouve quelle a été la fausseté de
sa position, la nullité de son influence. Ainsi, jusqu'au jour où on lui a fait
des interpellations, plusieurs mois s'étaient écoulés ; eh bien, le ministère
conciliateur, modérateur n'avait pas encore osé dire à la nation un mot de sa
politique par laquelle il voulait tout concilier et cependant la lutte des
élections communales allait arriver. Il y avait au ministère des noms qui en
quelque sorte hurlaient de se trouver ensemble, et l'on n'avait pas osé dire
comment ils s'y trouvaient. On voulait la conciliation dans le pays, et l'on
tenait secrets les termes de la conciliation. On avait si peu de confiance dans
sa propre politique qu'on n'a pas osé en parler. Il a fallu, pour ainsi dire,
desserrer forcément la bouche au ministère. C'est par le silence qu'on voulait
rendre le pouvoir influent sur les opinions ; une belle occasion se présentait
de faire connaître cette politique et de la mettre à une première épreuve.
M. Van de
Weyer n'était pas membre du cabinet. Dans sa propre opinion, il doit trouver
que c'est une position bizarre que celui qui aspire à un rôle influent dans le
cabinet ne soit pas membre du parlement, qu'il ne puisse présenter un
amendement qu'en violant le règlement, en usurpant notre prérogative ; il doit
paraître bizarre à M. le ministre de l'intérieur lui-même qu'un homme qui aspire
à jouer un grand rôle dans un gouvernement représentatif, et, par conséquent, à
diriger la majorité des chambres, ne soit pas membre du parlement. Ce ne
pouvait être qu'une situation transitoire, dont on devait avoir hâte de sortir
le plus tôt possible.
(page 67) L'occasion se présentait. M.
le ministre de l'intérieur, qui aime à se rappeler ses antécédents de 1830,
avait été, en 1830, député de Bruxelles. C'est à Bruxelles que l'honorable M.
Van de Weyer a ses relations, le plus grand nombre de ses amis. C'est là aussi
que la plupart des hauts fonctionnaires de l'administration exercent leurs
droits électoraux. Bruxelles a, depuis quinze ans, élu 8 ou 10 ministres.
Presque jamais le collège électoral de Bruxelles n'a été sans représentants
dans le ministère. Jamais une seule fois Bruxelles n'avait repoussé un
ministre.
D'ailleurs,
il ne s'agissait pas d'un résultat bien difficile ; à plusieurs des candidats
soutenus par M. Nothomb, au 10 juin, il n'avait manqué qu'un petit nombre de
voix pour obtenir la majorité. Il ne s'agissait donc que de se concilier peu de
suffrages nouveaux pour inaugurer la politique de conciliation.
Dans ces
circonstances, l'honorable M. Van de Weyer va sans doute s'avancer hardiment
dans la lutte, déployer la bannière de sa conciliation nouvelle et réunir
autour d'elle les forces qu'elle doit nécessairement rallier ! Nullement ! Les
élections approchent ; on ne sait si M. le ministre de l'intérieur se porte
candidat. Le candidat de l'opposition est désigné. Le candidat ministériel, on
n'en parle pas. Seulement, deux ou trois jours avant l'élection, une lettre
signée des initiales du secrétaire général du ministère de l'intérieur, apprend
au public que M. le ministre de l'intérieur ne se porte pas candidat, mais
qu'il se laisse porter.
Il me semble
que cette distinction était digne de ne pas survivre au ministère qui venait de
tomber.
Je crois
qu'un homme sérieux ne doit pas chercher à échapper à la responsabilité d'un
échec en disant qu'il se laisse porter.
Un homme
sérieux, un homme du pouvoir, un premier ministre, dans une circonstance aussi
grave, doit savoir ce qu'il veut, doit savoir s'il est candidat ou s'il ne
l'est pas ; il ne doit l'être qu'avec le concours de sa propre volonté. Quand
on est premier ministre, quand on aspire à diriger les affaires de son pays, on
entre dans la lice de franc pied ; on ne s'y laisse pas porter.
Quel a été,
pour l'influence du ministère, le résultat des élections ? Le collège électoral
de Bruxelles compte, je crois, environ 4 mille électeurs. M. le ministre de
l'intérieur, inaugurant une politique nouvelle, a obtenu le huitième des voix,
500 voix. Il n'avait manqué que 80 voix à l'un des candidats de M. Nothomb, que
54 voix à l'autre ; et M. le ministre de l'intérieur ne parvient pas à se concilier
cet appoint, il n'a pour lui que le tiers des votants.
Messieurs,
une pareille circonstance, une pareille preuve d'influence, est à peu près
inouïe dans la carrière des ministres. Je crois, que c'est malheureusement le
symbole de l'influence que le cabinet actuel est destiné à exercer réellement
sur le pays.
Messieurs, je
sais qu'on fait une objection. Pour justifier le gouvernement, pour le
soustraire à l'effet moral de cet échec, on a dit que les catholiques n'avaient
pas voté pour M. le ministre de l'intérieur ; et il paraît, je ne sais pas si
c'est en son nom, mais il paraît que les amis de M. le ministre de l'intérieur
s'en glorifiaient. Il y aurait à savoir si l'opinion catholique qui, en effet,
n'est pas accourue en masse à l'élection de M. le ministre de l'intérieur, n'y
est point venue, parce que M. le ministre de l'intérieur ne l'a pas voulu ou
parce qu'il ne l'a pas obtenu.
S'il ne l'a
pas obtenu, c'est un échec de plus, et qui prouve que, dans ce cas-là, on a
échoué dans l'un parti comme dans d'autre, et que la politique de conciliation
n'a eu de prise réelle sur aucune des deux opinions. S'il n'a pas voulu, je
demanderai à M. le ministre de l'intérieur : Pourquoi ne l'avez-vous pas voulu
? Comment, lui, homme modéré, qui veut |a réunion de tous les hommes modérés,
qui veut tout concilier, il repousserait les voix de tout un parti ! Mais il
deviendrait donc bien exclusif ! Comment, lui qui accepte des collègues et
beaucoup de collègues de l'opinion catholique, il n'accepterait pas les voix
catholiques dans les élections ?
Comment ! Il
refuserait dans les comices électoraux les voix de ceux qu'il accepte pour
collègues dans le cabinet et de ceux qu'il désire pour appuis dans le
parlement.
Messieurs,
j'ai insisté sur ce fait électoral, parce qu'il est significatif, parce qu'il
caractérise la position du ministère et que, je le crois, dans d'autres pays il
aurait été décisif.
Le devoir de
M. le ministre de l'intérieur n'était pas de se laisser porter, ce n'était pas
de repousser telles voix ou telles autres ; le devoir de M. le ministre de
l'intérieur, c'était de se présenter hardiment à son ancien collège, et qui
jusqu'alors, je le répète, n'avait jamais refusé de nommer un ministre ;
c'était de lui dire quelle était sa politique et de voir quels hommes il
pouvait réunir autour de lui ; c'était, au moins, de ne pas succomber
ridiculement, de ne pas montrer par là tout le néant de l'influence du pouvoir.
Huit jours
après l'élection de Bruxelles, avaient lieu les élections communales. On en a
parlé dans cette chambre ; on a parlé du radicalisme ; on a dit qu'il s'était
établi dans trois hôtels de ville..Messieurs, je n'ai pas de renseignements
assez complets sur ce qui s'est passé dans cette circonstance.
J'ai consulté
plusieurs personnes ; j'ai vu que les avis ont partagés, et je reste encore
dans le doute de savoir quelle a été, sous plusieurs rapports, l'influence des
questions de personnes et celle des questions de principes.
Mais enfin,
je reconnais avec vous qu'il s'est opéré un mouvement même de ce côté.
Eh ! qu'y
a-t-il d'étonnant ? Oui, il y a quelques années, les radicaux étaient très
faibles en Belgique ; je crois qu'ils le sont encore ; mais vous semez le
radicalisme ; mais quand on voit sans cesse le pouvoir dans la déconsidération,
quand on ne peut montrer au pays qu'un pouvoir auquel il ne peut pas accorder
son estime, auquel ceux mêmes qui votent pour lui n'accordent pas en réalité
leur confiance, quand le mépris public s'amasse toujours à l'entour du
gouvernement, comment voulez-vous que l'opinion qui lui est la plus hostile ne
gagne pas du terrain ? Aux élections du 10 juin on avait répondu par un cabinet
plus catholique que le précédent ; il était naturel que les élections du 28
octobre prissent une couleur plus prononcée à leur tour.
Je dirai au
gouvernement : Quelle a été votre action dans cette lutte ? Où étiez-vous ? Je
ne parle pas de votre intervention directe. Mais quand un cabinet représente
quelque chose, il y a une opinion du pouvoir, une opinion qui correspond avec
le principe du pouvoir. Où était l'opinion du pouvoir dans la lutte électorale
? Où s'est-il agi de vous, de vos candidats ? Où étaient-ils ceux que vous
souteniez ? Vous n'oseriez pas le dire. Ils n'étaient nulle part dans les
grandes communes ; parce qu'aujourd'hui dans les villes, nous en sommes réduits
là, que le pouvoir ne compte plus pour rien, et que la lutte n'est même
quelquefois qu'entre les diverses nuances de ses adversaires. Quand les amis du
pouvoir y paraissent, ils sont cachés derrière l'un ou l'autre parti, derrière
même l'une ou l'autre nuance des adversaires du pouvoir ; et s'il fallait en
croire certains bruits, ce qu'on a appelé le radicalisme aurait eu, dans
certaines localités, le privilège d'obtenir le secours de certains adhérents du
gouvernement, et l'influence de celui-ci serait telle, serait si modératrice,
si conciliatrice, si conservatrice, qu'elle ne serait pas même parvenue à
empêcher cette fraction d'une opinion qui n'est rien si elle n'est
conservatrice, de se jeter dans les voies de la Gazette de France.
Aussi,
messieurs, qu'est-il arrivé ? Il est arrivé que pour les conseils communaux en
général comme pour le parlement, c'est dans des rangs hostiles au pouvoir que
ces corps électifs se sont recrutés. Et vous vous étonnez que le flot monte !
et, non contents qu'on se maintienne dans l'ordre légal, vous vous récriez,
parce qu'il ne conserve pas partout la même mesure ! quand il tend à couvrir
tout le pays, vous voudriez que partout il conservât toujours exactement même
niveau !
Ne voyez-vous
pas que les remèdes qu'on a apportés à cette situation n'ont pas été suffisants
? Ne voyez-vous pas qu'en les continuant, vous ne faites qu'augmenter le mal
dont vous vous plaignez ? Ne voyez-vous pas qu'il est temps qu'il y ait un
ministère influent, qu'il est temps que le pouvoir ait une autorité morale dans
le pays, qu'il obtienne autre chose que des votes matériels et en quelque sorte
arrachés ?
J'ai parlé du
pays. Parlons maintenant de la chambre et de l'influence qu'exerce le
gouvernement. Qu'avez-vous vu, dans la chambre ? Dès le début de la session,
tout le côté gauche dans les nominations a voté contre les candidats du
ministère ; c'est-à-dire que dès le premier jour de la session, même de la
session extraordinaire, le cabinet n'avait pas une voix de plus, je ne sais
même pas s'il n'en a pas eu moins, que le cabinet de M. Nothomb.
El quelle a
été, messieurs, son influence sur le côté catholique de la chambre ? Il y avait
un vice-président à nommer ; et les usages voulaient que cette vice-présidence
fût donnée à un membre du côté gauche. Eh bien ! M. le ministre de l'intérieur
n'a pas voulu ou n'a pas osé demander à I l'opposition quel était le candidat
par lequel elle voulait être représentée à la vice-présidence. Il y a porté
l'honorable M. Dolez, qui était absent et ! qui, par conséquent, ne pouvait pas
refuser. Qu'a-t-il obtenu de l'opinion catholique pour ce candidat ? Au premier
tour de scrutin il a obtenu 25 voix, et il a fallu un second scrutin où les
catholiques n'avaient qu'à choisir entre M. Dolez et le candidat de
l'opposition pour que le premier l'emportât.
La même
question s'est présentée dans la session nouvelle, et M. le ministre de
l'intérieur n'a plus osé présenter à la vice-présidence qu'un de nos honorables
collègues qui avait voté, dans le dernier vote politique du ministère Nothomb,
avec la majorité.
Pour la
nomination de la commission d'adresse, quelle a été l'action du ministère sur
l'opinion catholique ? Tous les candidats de l'ancienne majorité du temps de M.
Nothomb, ont été réélus, à l'exception d'un seul. Le ministère avait été bien
modéré ; il ne s'était avancé vers la gauche que pour proposer un seul nom dans
la commission de l'adresse, le nom de M. Dolez. Eh bien ! qu'est-il arrivé, les
membres de l'opposition qui étaient présents au moment du vote étaient au
nombre de 25, ils ont voté pour M. Dolez, et il n'a obtenu que 41 voix. Six
ministres tant à portefeuille, que sans portefeuille, ont pris part au vote ;
par conséquent, la force du ministère dans l'opinion catholique, quand elle a
agi spontanément, quand elle a agi par scrutin secret, a été de dix voix. Voilà
la force d'action du ministère sur l'ancienne majorité.
Est venu
ensuite le travail de cette commission d'adresse nommée par l'ancienne
majorité. Là encore, où est la preuve de l'action du ministère ? Le ministère y
avait des amis ; il y avait, au moins, un ami très chaud ; nous l'avons entendu
dans la dernière séance. Il a été nommé rapporteur, c'est vrai ; mais, d'après
son langage, messieurs, vous voyez que la commission n'a pas voulu de sa
rédaction ; vous voyez que la phrase significative a été changée par ses
collègues : vous voyez que l'honorable M. Dedecker voulait beaucoup plus pour le
ministère.
M. Dumortier. - Non ! non
!
M. Dedecker, rapporteur. - Je
demande la parole.
M. Devaux. - Alors je
ne comprendrais pas le langage de l'honorable M. Dedecker.
(page 68) M. Dumortier. - Le projet d'adresse a été voté à l'unanimité par
tous les membres.
M. Devaux. - Je conçois
très bien qu'il ait été voté à l'unanimité par tous les membres ; mais je dis
qu'il est impossible que l'honorable M. Dedecker, qui gourmandait hier ses amis
de ne pas vouloir appuyer le ministère avec plus d'ardeur, abandonné à
lui-même, ait rédigé l'adresse comme elle l'est. Il était très naturel que
l'honorable M. Dedecker voulût une autre phrase.
Il devait la
vouloir dans le sens de l'amendement ; or, l'unanimité de la commission n'a pas
voulu, cela prouve qu'il a dû y avoir délibération dans le sein de cette
commission. Il est impossible que l'honorable M. Dedecker ait laissé passer
cette phrase, qui représente si incomplètement sa pensée sans demander
davantage. Ce n'est donc pas par surprise qu'elle a passé, c'est une chose
délibérée, c'est-à-dire que la première réponse, la réponse spontanée de la
majorité, c'est de dire : « La confiance n'est pas née ; la confiance, vous ne
l'avez pas encore. »
Messieurs,
j'aurais voulu parler plus longuement des explications données par MM. les
ministres. D'abord, ces explications (et c'est encore une preuve du peu de
confiance que les ministres ont dans leur politique) ces explications auraient
dû se trouver, en d'autres termes assurément, mais auraient dû se trouver dans
le discours de la Couronne. Le ministère, il en était temps, devait se saisir
de cette occasion ; mais il a encore reculé. L'honorable ministre de
l'intérieur vous a dit que, dans d'autres Etats constitutionnels, il n'est pas
d'usage de faire entrer la politique générale du pays dans les communications
officielles du Trône et des chambres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Pas même chez nous.
M. Devaux. - La France
et les Etats-Unis ne seraient donc pas des Etats constitutionnels ! Pas même
chez nous, dit M. le ministre de l'intérieur. Vous avez donc la mémoire bien
courte ; lisez donc votre propre amendement, lisez l'amendement que vous avez
prononcé et dans lequel vous exprimez précisément ce que vous ne voulez pas que
contiennent les communications des chambres et du Trône. La doctrine que vous
souteniez au sénat, vous la reniez vous-même aujourd'hui.
Au reste,
messieurs, ces explications on aurait pu, tout au moins, nous les donner de
vive voix. Est-ce assez de nous dire : Voilà l'intitulé de quelques projets de
loi, que nous allons discuter, et cela doit vous satisfaire. MM. les ministres
ont-ils oublié que ce qui a causé la retraite de l'ancien cabinet, que ce qui
préoccupe tous les esprits, c'est encore autre chose que des projets de loi ;
que ce que nous exigeons du ministère, que ce que nous voulons connaître, c'est
encore autre chose que l'intitulé des lois que nous allons discuter. Ce que
nous voulons connaître, c'est l'esprit politique qui dirigera le ministère,
c'est l'esprit politique d'où dérivent non seulement les projets qu'il
présente, mais aussi ses amendements, mais l'opposition qu'il fait aux projets
présentés par d'autres ou l'appui qu'il y donne, mais tout le caractère de ses
rapports avec toute l'administration publique, avec les électeurs, avec le
clergé, avec l'instruction publique, avec toutes les affaires, toutes les
institutions, toutes les opinions du pays. Voilà ce que nous voulons savoir, et
voilà ce qu'on ne nous a pas fait connaître autrement qu'en nous disant qu'on
allait continuer le système des hommes modérés.
A la vérité,
l'honorable M. Dechamps est venu nous déclarer qu'il n'avait pas de sympathie
pour la loi du fractionnement. Je ne crois pas que, dans l'état actuel des
choses, cela puisse paraître une concession au parti libéral ; je crois que
tout le monde fera aisément son deuil de cette loi et que personne n'en sera
très affligé. Cela peut affliger l'amour-propre d'un parti ; mais on fera le
sacrifice d'amour-propre à un autre intérêt, M. Dechamps ne l'a-t-il pas dit
naïvement : le résultat de la loi du fractionnement n'a pas répondu à ce qu'en
attendaient ses auteurs.
Quant au jury
d'examen, tout ce que l'honorable M. Dechamps nous a dit, c'est qu'on
attendrait l'expiration des quatre années et puisqu'on tâcherait de s'arranger.
Ainsi, là encore, le moyen précis de conciliation est laissé dans le vague, est
remis à une autre époque. En ce qui concerne l'instruction moyenne, on nous
promet une loi sur celte matière. On prend un débris de l'ancienne loi auquel
on promet d'ajouter d'autres dispositions ; mais celle promesse, le cabinet
précèdent n'a pas reculé devant die.
M. Nothomb
nous avait promis cette loi sur l'enseignement moyen, et il n'aurait pas hésité
à dire qu'il acceptait le projet tel qu'il était, sauf à y faire des additions,
et quand même aujourd'hui on n'y changerait rien, je vous avoue, messieurs, que
je regarderais la concession comme très insignifiante. Le projet de loi sur
l'instruction primaire, moyenne et supérieure, formait un tout complet, sur lequel
on s'était fait des concessions mutuelles. Eh bien, ce projet, voté par
parties, a été entièrement bouleversé, el que reste-t-il maintenant pour
l'instruction moyenne ? La partie qui concerne cette instruction en est
extrêmement insignifiante, car elle se borne à 2 ou 3 articles dont il résulte
uniquement que le gouvernement dirigera trois collèges déterminés. Voilà,
messieurs, toute la loi.
En vérité, le
ministère ne se compromet pas beaucoup en avançant qu'il appuiera ce projet.
Il est vrai
qu'il a été dit qu'on veut étendre l'influence du gouvernement, mais si l'on
peut étendre celle influence d'une manière favorable, il est possible de
l'étendre aussi d'une manière défavorable à l'opinion libérale. Quand on a
abandonné l'instruction moyenne aux conseils communaux, comme le fait le projet
de 1834, on ne s'attendait pas à ce que les conseils communaux des villes
eussent la couleur politique qu'ils ont aujourd'hui. Les conseils communaux ou
les collèges qui sont restés sous la direction laïque appartiennent à l'opinion
libérale. Eh bien, messieurs, il y aurait telle disposition qui, tout en
élargissant l'action du gouvernement, serait très-peu favorable à l'opinion
libérale qui a plus de sympathie pour certaines administrations communales que
pour le gouvernement. On a vu certaines institutions passer entre les mains du
gouvernement, et dans lesquelles aujourd'hui le gouvernement n'est plus qu'un
prête-nom ; et, en réalité, ce n'est plus l'autorité laïque, mais l'autorité
spirituelle qui les dirige.
Messieurs,
j'ai à dire quelques mots de l'amendement, bien qu'il ne soit pas régulièrement
introduit et qu'il ne me semble pouvoir être mis aux voix qu'autant qu'un des
collègues de M. le ministre de l'intérieur veuille bien le présenter comme
membre de la chambre. Le gouvernement a l'initiative, mais c'est au moyen de
projets de loi apportés aux chambres en vertu d'un arrêté royal, et ce n'est
pas un ministre seul qui exerce cette initiative, c'est le Roi. (Interruption.) J'en fais l'observation,
je le dirai franchement, parce que, dans mon opinion, un ministre dirigeant
doit être membre du parlement ; et, lorsqu'il n'est pas membre du parlement, je
désire que le règlement lui rappelle sans cesse qu'il est dans une position
exceptionnelle.
Voilà,
messieurs, le but principal de mon observation, sans cela elle pourrait
paraître puérile. Il s'agit, du reste, d'une prérogative indirecte de la
chambre, à laquelle celle-ci peut attacher de l'importance ; elle n'est pas
absolue, il est vrai ; il peut y avoir des exceptions, mais il est bon que
l'exception soit rappelée et constatée.
Quoi qu'il en
soit, M. le ministre de l'intérieur nous présente un amendement qu'il n'a pas
présenté au sénat. Au sénat, il s'est contenté de murmures. Eh bien, messieurs,
un mot de M. le ministre de l'intérieur me donne quelque inquiétude. Est -ce
que nous sommes tenus de faire plus pour le ministère que le sénat ? Est-ce que
le ministère doit être plus humble au sénat que devant la chambre ? Dans un de
ses discours, M. le ministre de l'intérieur a déclaré que le sénat était, dans
son opinion, un corps au moins égal à la chambre des représentants. Je vous
avoue, messieurs, que le mot au moins m'a paru fort singulier et que je ne
voudrais pas que M. le ministre de l'intérieur prît l'habitude de ne pas nous
traiter avec les mêmes égards que le sénat, et de croire que nos droits sont
moindres que ceux de l'autre chambre. Je crois que le sénat n'est pas un
pouvoir au moins égal à la chambre des représentants, c'est-à-dire que la
chambre des représentants est un pouvoir peut-être inférieur au sénat. Je crois
qu'une chambre qui n'a pas, comme nous, l'initiative en matière de vote
d'impôts et du vote du contingent de l'armée, qui n'a pas, comme nous, le droit
d'accuser les ministres, que la Constitution ne nomme pas avant nous, mais
après nous, ne nous est supérieur en rien.
Messieurs,
l'amendement prouve que la lutte sourde commence déjà entre la majorité et le
ministère. Le discours du Trône demande la confiance ; la majorité répond
spontanément par la commission d'adresse et se tient sur la réserve ; elle
répond : « Parlons d'autre chose. »
Eh bien,
messieurs, que ce soit parce que la confiance n'est pas née ou qu'elle ne
naîtra pas, il est certain que cela signifie qu'elle nourrissait des défiances.
Il est évident aussi que ce ne sont pas quelques explications vagues du
ministère qui ont vaincu la majorité. Ce n'est pas parce que l'honorable M.
Dechamps a dit qu'il n'avait pas de sympathie pour la loi du fractionnement,
que ces défiances sont apaisées. Il y a déjà ici le commencement de cette lutte
qui existait sous le dernier ministère, et dont le résultat est toujours qu'il
faut que la majorité s'humilie devant le ministère, ou le ministère devant la
majorité.
Toute la
question, pour le vote d'aujourd'hui, est de savoir qui prendra l'initiative de
cette attitude, de la majorité on du ministère, sauf à alterner sans cesse les
rôles dans le cours de la session.
La confiance
qui hésite, messieurs, la confiance qui a des répugnances, qui hésite, qui a
besoin qu'on lui mette, en quelque sorte, le couteau sur la gorge, n'est pas de
celles avec lesquelles un ministère exerce un grand ascendant sur le pays.
Aussi,
qu'est-il arrivé dans la discussion ? Que le ministère n'a eu jusqu'ici pour
défenseurs que ces deux voix compatissantes, que ces deux voix généreuses qui
viennent toujours au secours des positions critiques et qu'on peut appeler les
amis du malheur. Ces deux voix viennent en aide au ministère, mais avec je ne
sais quel air de désespoir, de mécontentement de tout le monde ; car ce n'est
pas seulement à l'opposition qu'elles en veulent, mais elles en veulent encore
à la presse, aux électeurs, à la majorité elle-même.
Messieurs, je
le reconnais, le langage de M. le ministre de l'intérieur a été franc et digne,
quand il a annoncé qu'il lui fallait plus que le projet d'adresse ; mais
lorsqu’il a lu l'amendement, il a entendu des murmures sur ces bancs, et il
vous a dit que si la dernière phrase ne vous convenait pas, il la modifierait. Je
crois que M. le ministre n'a pas bien compris le sens de ces murmures ; les
termes de l'amendement devaient être plus explicites, dès le début ; les termes
de l'amendement, pour être francs comme le discours de M le ministre, devaient
être plus explicites et plus simples ; il suffisait de retourner la phrase du
discours du Trône et qu'on dit : « Nous avons confiance ou nous n'avons pas
confiance dans le ministère.» Voilà ce qu'on aurait dû se borner à demander.
Vous demandez
le concours aux actes qui sont annoncés dans le discours du Trône ; mais ce
concours n'a jamais été refusé à aucun de vos prédécesseurs ; ce concours, nous
l'offrons à tous les ministères ; nous ne faisons de la politique ; que dans
deux ou trois circonstances spéciales ; mais nous ne contrarions pas l'action
administrative du gouvernement ; la plupart des prédécesseurs de M. le ministre
de l'intérieur n'ont obtenu le vote d'une foule de lois importantes qu'à l'aide
même des voix de l'opposition.
Enfin, il fallait
poser le ministère seul devant la majorité ; mais le ministère a essayé de
confondre avec lui le système des ministères mixtes ; oui, vous demandez un
vote pour le principe des ministères mixtes. Or, on peut (page 69) être partisan des ministères mixtes et ne pas avoir
confiance dans le ministère actuel. Ainsi que je l'ai déjà expliqué, je ne
m'engage pas à faire de l'opposition à tous les ministères mixtes ; je doute
fort de leur succès ; mais, certainement, je ne les mettrais pas tous sur le
même rang que celui qui est devant nous.
Il y a dans
cette chambre des membres qui ne sont pas partisans des ministères homogènes,
mais qui croient que vous ne remplissez pas des conditions d'un ministère
mixte. En vous plaçant derrière un système, vous vous êtes mis dans une
position à porter atteinte à la prérogative royale.
Oui, messieurs,
l'amendement proposé par le ministère, est inconstitutionnel, il est attentatoire
à la prérogative royale ; et je m'étonne qu'il émane d'un homme venu de si loin
pour être le sauveur de cette prérogative ! Quoi, messieurs, vous diriez au Roi
: « Non seulement nous acceptons le ministère, mais nous vous défendons d'en
choisir un dans un autre système : nous circonscrivons tellement votre
prérogative, que si les circonstances devenaient telles, que la Couronne elle-même
crût indispensable d'appeler un ministère homogène aux affaires, elle ne le
pourrait sans venir en demander la permission à la chambre. »
Je dis que la
chambre n'a pas ce droit. Le droit de la chambre, c'est de s'expliquer devant
un ministère que la Couronne a choisi, de déclarer qu'elle lui refuse ou
accorde son concours ; mais on n'a pas le droit de limiter pour l'avenir la
prérogative de la royauté et de l'emprisonner dans tel ou tel système.
Le Roi a
l'initiative des ministères ; il a le droit de former le ministère que, dans sa
sagesse, il juge le plus propre à gérer les affaires du pays ; vous avez celui
de lui refuser votre concours, mais non d'enfermer la Couronne dans tel cercle
de combinaisons dont elle ne pourrait plus sortir.
En agissant
ainsi, vous violez la prérogative de la Couronne, et j'aurais voulu que le
dévouement chevaleresque de M. le ministre de l'intérieur se fût réveillé dans
cette occasion, et que ce ne fût pas lui, venu de si loin au secours des droits
de la Couronne, qui en fût le premier violateur.
J'ai raisonné
dans la supposition que cette partie de l'amendement s'applique aux ministères
mixtes. Si elle n'a pas cette portée, si ce n'est qu'un lieu commun sur la
nécessité des dispositions modérées et conciliantes du pouvoir, alors elle ne
dit absolument rien, car, encore une fois, il est de la nature des pouvoirs,
excepté dans les temps archi-révolutionnaires, d'être modérateurs et
conciliants. C'est toujours son devoir et, par conséquent, toutes les opinions
acceptent cela, et cela n'a plus de sens politique. Mais s'il s'agit d'un
système dans lequel on veut que les ministères soient exclusivement choisis, je
répète qu'on ne peut adopter cet amendement sans attenter à la prérogative
royale.
Messieurs, je
ne le rejette donc pas, parce qu'il parle de pouvoir conciliateur ; je ne le
rejette pas, parce qu'il n'exclut point les ministères mixtes. Je n'ai de
pleine confiance que dans l'efficacité et la stabilité d'un ministère homogène
; mais ce n'est pas parce qu'il est mixte que je repousse le ministère actuel,
mais parce qu'il ne remplit pas les conditions d'un ministère mixte ; mais je
rejette, d'autre part, l'amendement, parce qu'il est inconstitutionnel, et ce
motif devrait suffire à lui tout seul. Je le répète, nous voulons, tous que le
gouvernement soit animé d'un esprit modéré et conciliant ; mais nous différons
sur les moyens.
Messieurs, je
vous ai montré quelle était la nature de l'influence du pouvoir dans le pays et
dans les chambres. Est-ce pour prolonger quelque peu cette situation que nous
devrions fermer les yeux sur l'avenir ? que nous devrions nous dire : Allons
toujours ainsi, vivons au jour le jour, et l'avenir à la garde de Dieu ? C'est
là cependant le résumé de la politique qu'on nous propose de continuer. On ne
s'inquiète pas de ce que devient le pouvoir, de ce qu'il sera dans l'avenir ;
on ne s'inquiète point de ce que deviennent les opinions, de ce qu'elles seront
dans deux ans ; on ne s'inquiète pas de ce que peuvent devenir la faiblesse de
l'un et la force de l'autre ; de ce que peuvent devenir les prétentions de ses
adversaires ; on ne se demande pas si tout ce qu'on fait aujourd’hui ce n'est
pas de se rendre de plus en plus dures les conséquences de l'avènement d'une
opinion qu'on sait cependant devoir subir dans un avenir peu éloigné.
Cette politique qui ne voit que l'heure présente, je
ne puis lui donner mon appui, car ce n'est pas là de la modération, c'est de l'imprévoyance
aveugle. Cette modération-là peut, par une autre voie, mener les Etats aux
mêmes conséquences que de folles exagérations.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, j'ai à répondre à un discours
savamment élaboré, et présentant une foule de considérations
métaphysico-politiques et de détails historiques. Aussi, je ne me dissimule pas
qu'après quinze années d'interruption dans ma vie parlementaire, je me trouve
dans une position pleine de difficultés et d'embarras. Si je n'écoutais que mon
amour-propre, je n'accepterais point ce fardeau, dont je vous avoue que je sens
tout le poids, et je laisserais cette tâche à mes collègues qui, par leur
habitude de la tribune, réunissent toutes les conditions nécessaires pour
répondre immédiatement à l'honorable préopinant. Vous me permettrez donc,
messieurs, de faire un appel à toute votre indulgence ; et si, au milieu des
difficultés d'une réponse improvisée à un discours travaille avec autant de
soin dans l'ensemble que dans les détails, il m'échappait quelque expression
qui ne fût pas conforme à vos usages, je vous demande dès à présent de vouloir
bien me la pardonner.
Messieurs,
l'honorable préopinant, dans le discours que vous venez d'entendre, s'est
préoccupé, avec la plus vive et la plus tendre sollicitude, du sort de la
majorité catholique. Il ne semble inquiet que d'une chose, c'est de savoir ce
que vous deviendrez, MM. les députés de la majorité catholique. Et pour vous
rassurer, pour vous montrer combien peu dans son système il vous est hostile,
quel est le moyen nouveau, étrange, bizarre que l'honorable membre vous propose
? C'est, messieurs, de vous transformer, de majorité que vous êtes, en
minorité. Alors, vous dit l'honorable préopinant, vous aurez conquis une belle
position dans le pays. Devenez minorité, je vous en prie ; alors vous aurez
acquis une nouvelle force ; alors, l'opinion libérale pourra marcher d'accord
avec vous ; alors, vainqueurs que nous serons, vous verrez quelle est notre
générosité ; vous verrez avec quelle tendre merci vous serez traités par nous.
Quant à nous,
nous tenons un autre langage. Nous disons : Laissons le pays exprimer librement
son sentiment ; que ce sentiment se manifeste par l'élection populaire. Si ces
élections amènent dans cette chambre une majorité catholique, reconnaissons
qu'il est du devoir de l'opinion libérale, non pas de chercher à amoindrir
moralement, à déconsidérer cette majorité en la représentant comme hostile à
nos institutions ; mais de s'harmoniser avec elle, de lui demander si, en 1845,
comme en 1830, elle est encore animée de ces sentiments d'union qui ont présidé
à l'établissement de nos institutions.
Où donc gît
la difficulté ? Pourquoi l'opinion libérale et l'opinion catholique ne
s'entendraient-elles plus ? Y a-t-il à cela quelque obstacle dans les questions
que vous avez encore à résoudre ?
En 1830, les
deux partis étaient comme aujourd'hui, en présence, que dis-je, ils l'étaient
dès l828. L'honorable préopinant, tout en faisant de l'histoire, tout en jetant
sur le passé et principalement sur les discussions du congrès un coup d'œil
rétrospectif fort rapide, mais qui manque essentiellement de justesse, a perdu
complétement de vue, à ma grande surprise, une époque aussi importante de notre
histoire nationale.
Avant 1828,
quelle était la situation du pays ? Nous vivions sous un gouvernement qui,
sympathisant peu avec l'opinion catholique, s'appuyait, dans les provinces
méridionales, sur les libéraux pour arrêter le libre essor du catholicisme. Ce
gouvernement comptait sur les représentants des idées philosophiques pour
l'aider à diriger dans ce sens les affaires du pays.
En 1828, nous
pénétrâmes ce qu'il y avait au fond de ce système ; et dès lors, des hommes qui
font encore partie de cette chambre, des hommes dont l'honorable préopinant ne
peut aujourd'hui méconnaître le sincère patriotisme, se réunirent chez lui,
chez ses amis politiques et chez moi ; car, dès 1828, j'appartenais au parti de
l'union. Là, dans ces conciliabules qui nous exposaient aux poursuites du
pouvoir, les représentants des deux partis s'entendirent ; là (et plusieurs
représentants ici présents peuvent attester la fidélité de mes souvenirs) on
jeta les bases de cette union entre les catholiques et les libéraux, qui
servirent ensuite de fondement aux principes de notre Constitution.
Jusqu'en
1828, les catholiques ne réclamaient que certaines libertés qui seules étaient
précieuses à leurs yeux, ils ne s'associaient point encore aux libéraux qui
réclamaient d'autres garanties. Mais on reconnut bientôt de part et d'autre la
nécessité du système de coalition, de l'union, et il fut définitivement résolu
que les deux opinions réclameraient simultanément les mêmes libertés. Lorsque,
plus tard, les catholiques, libres du joug qui avait pesé sur eux, eurent
ressaisi toute leur liberté d'action, comment se conduisirent ils envers
l'opinion libérale ? L'abandonnèrent-ils comme ils l'auraient pu faire, alors
qu'ils n'étaient plus exposés aux poursuites du pouvoir ? Non, messieurs, ils
restèrent de bonne foi ; nous trouvâmes en eux des alliés sincères qui, après
la victoire comme pendant la lutte, s'associèrent franchement à nous pour
consolider les principes que nous avions invoqués ensemble dès 1828.
Ils auraient
pu, renonçant à ces principes, déserter de nos rangs, mais, et c'est un hommage
que l'histoire leur rendra, ils restèrent fidèles au pacte primitif. Pour la
première fois, on vit les catholiques, au sein d'une assemblée délibérante,
sûrs d'une majorité incontestable, s'associer à l'opinion libérale, et adopter
avec elle une Constitution qui garantit l'exercice de toutes les libertés. Et
l'on prétendrait aujourd'hui que toute conciliation est impossible avec eux,
qu'un abîme nous sépare, et que, pour reconnaître, sans doute, les services
qu'ils ont rendus, il faut les exclure de toute participation aux affaires, et
abandonner à tout jamais le système des administrations mixtes, auquel, quoi
qu'on en dise, tous les hommes politiques sont restés fidèles depuis quinze
ans.
J'ai rappelé
ces souvenirs pour replacer les faits sous leur aspect véritable, et pour
empêcher que l'histoire et les principes ne fussent dénaturés, au sein de cette
assemblée. Mais, laissons ces considérations historiques qui ne servent qu'à
distraire notre attention de la situation actuelle. On reconnaîtra que la
question ministérielle avait été nettement posée ; mais l'honorable préopinant
a cherché, avec son habileté ordinaire, à déplacer constamment la discussion, à
en changer le terrain, et à jeter ainsi de la confusion dans les idées.
On reproduit
sans cesse contre le ministère ces accusations vagues et générales, de n'avoir
pas donné d'explications suffisantes à la chambre et d'avoir reculé devant la
nécessité de développer son programme. Le ministère, nous a-t-on dit ensuite,
est composé d'hommes en qui nous pouvons avoir individuellement quelque
confiance, et, sous ce rapport, je me permets d'exprimer, en ce qui me
concerne, toute ma reconnaissance envers les orateurs qui ont rendu hommage à
mes antécédents et à mon caractère ; mais il ne s'agit pas ici de sympathie
personnelle, de confiance personnelle dans l'individu isolé de sa position
ministérielle ; il s'agit de savoir si cet homme, à qui vos témoignez tant
d'estime particulière, mérite ou non, comme homme politique représentant avec
ses collègues un système de gouvernement, la confiance politique de cette
chambre.
Mais vous
n'avez, dit-on, ni exposé votre programme, ni posé d'actes propres à inspirer
cette confiance. En ce qui concerne les actes, on dirait, en vérité, que,
depuis tantôt quatre mois que je suis au ministère, je me suis croisé les bras
et que le pays n'a pas été administré ! On dirait que les (page 70) honorables
préopinants ont fermé les yeux pour ne point voir, et se sont bouché les
oreilles pour ne point entendre.
Je vous ai dit
que mes principes, qui ne datent pas d'aujourd'hui, avaient déjà reçu, dans les
affaires, des applications dont vous seriez juges.
A cette
occasion, on m'a demandé, de nouveau, si nous étions la continuation du
ministère précédent, si nous représentons le système de M. Nothomb, ou si nous
inaugurions un système nouveau. D'abord, je ne me reconnais pas le droit de me
constituer juge des ministères passés ; je ne dois sous ce rapport à la
chambre, ni panégyrique, ni censure ; de ma part, l'éloge ou le blâme serait
d'une haute inconvenance. Mais il me sera permis de dire que je n'ai pas
attendu jusqu'aujourd'hui pour faire connaître par des actes comment je
comprenais le gouvernement.
Si la chambre
et le pays désirent à juste droit dans l'administration des affaires cette
haute moralité que l'honorable préopinant a toujours demandée, je crois en
avoir donné des gages suffisants dès mon entrée aux affaires. En effet, j'ai
voulu que l'administration de mon département fût dirigée d'après les règles
sévères de la plus stricte impartialité ; j'ai voulu qu'aucune affaire,
qu'aucune des nombreuses relations entre le ministre et les hauts
fonctionnaires de l'Etat, ne fût soustraite à la connaissance des bureaux. J'ai
voulu que le ministre ne fût pas exposé au soupçon d'agir par des motifs que
l'on prête toujours si volontiers au pouvoir ; j'ai voulu enfin que toutes les
nominations, toutes les faveurs à accorder fussent soumises à une instruction
régulière et administrative, sans crainte, sans mystère, sans acception de
personnes. Nous n'examinerons pas, dans les nominations, si les choix qu'on
nous propose sont de nature à répondre à des nécessités électorales ; s'il
s'agit de donner satisfaction à telle ou telle influence, ou de céder à telle
ou telle sollicitation. Non, messieurs, nous examinerons, au point de vue
gouvernemental, quels sont les hommes qui offrent au pouvoir le plus de
garanties de moralité, de probité, de capacité ; qui réunissent le plus de
titres, abstraction faite du parti auquel ils peuvent appartenir. Tels sont les
principes qui présideront à la direction des affaires, tant que j'aurai
l'honneur d'être au pouvoir.
J'ignore si
ces principes sont conformes aux précédents. Mais ce sont les seules conditions
que, de concert avec nos honorables collègues, j'accepte pour l'administration
du pays.
Autre
application utile de mes principes : J'ai senti la nécessité de rétablir
l'inspection générale des athénées, afin que l'action de l'Etat s'y fit sentir
d'une manière plus efficace, que son influence directe pût imprimer à
l'enseignement l'unité si nécessaire aux bonnes études. Cette mesure servira de
transition à la présentation de la loi sur l'enseignement moyen dont vous aurez
bientôt à examiner le projet.
L'homme qui
est investi de cette haute mission offre au pays, par son caractère, ses
antécédents et ses profondes études, une garantie dont les plus ombrageux ne
contesteront pas la valeur.
Les
universités de l'Etat paraissaient frappées d'une espèce de découragement.
On avait
accrédité le bruit que le gouvernement n'avait pas une bien vive sympathie pour
ces deux institutions auxquelles, disait-on, certaines opinions étaient
hostiles ; car il n'y a pas de moyen auquel on n'ait eu recours pour accuser le
gouvernement de rester soumis à des influences secrètes. ] J'ai combattu ces
dangereuses préventions ; j'ai ranimé le courage et le zèle des professeurs ;
j'ai animé d'une nouvelle vie nos deux universités, en y attachant des hommes
distingués qui, dans l'avenir, en assureront l'existence. Je puis dire que ces
corps savants sont dès à présent à l'abri de tout danger.
Enfin,
messieurs, j'ai voulu que dans les nominations de professeurs, les autorités
communales prissent une attention toute particulière à ne pas permettre que
l'éducation de la jeunesse fût livrée aux mains d'hommes qui, venant de pays
étrangers, ne connaîtraient ni nos institutions ni nos mœurs, et qui pourraient
diriger l'enseignement de la jeunesse dans un esprit hostile aux principes de
notre Constitution.
Je n'entrerai
pas dans de plus amples détails sur d'autres mesures. Il me suffit d'avoir
établi que, dans les actes que j'ai posés, j'ai fait une application prudente
de principes, dont je n'ai pas dévié.
A la bonne
heure, s'écriera-t-on ; mais quelles sont les conditions de la transaction qui
doit avoir eu lieu entre les divers membres du cabinet à leur entrée aux
affaires ?
On vient nous
faire un programme vague de modération, de conciliation, de sagesse,
d'impartialité ; mais il n'est pas de gouvernement qui ne fasse de semblables
protestations ; tout gouvernement est nécessairement impartial.
Je suis
heureux de trouver, dans la bouche de l'honorable préopinant, des paroles aussi
nettes, aussi précises ; car, lorsqu'au sein d'une autre assemblée, j'ai tenu
le même langage, lorsque j'ai déclaré que des ministres, tout en conservant
leurs opinions, devaient, dans la gestion des intérêts publics, prendre le
parti de n'être d'aucun parti, c'est-à-dire de se maintenir dans cette haute
position d'impartialité, sans laquelle il n'y a point de gouvernement, on a
semblé considérer cette doctrine comme extraordinaire et monstrueuse.
Je le répète,
je suis heureux de n'avoir fait qu'exprimer, sous une autre forme, la pensée
même de l'honorable préopinant. Cependant, à cette occasion, l'honorable
préopinant vous a fait une savante dissertation sur ce qui constitue à ses yeux
la véritable modération. La modération consiste, a-t-il dit, à faire en sorte
que l'une des deux opinions qui partagent le pays n'écrase pas l'autre ; et
c'est, ajoute-t-il, ce qu'on n'a pas fait. Mais, messieurs, ! c'est précisément
pour ne point nous placer dans cette nécessité dangereuse de faire dominer un
parti sur l'autre ; c'est précisément pour éviter que, dans notre pays
essentiellement calme et modéré, il n'y ait des vainqueurs et des vaincus ;
c'est, en un mot, pour amener un rapprochement entre les deux opinions que le
ministère, fidèle à toutes nos traditions, au système accueilli toujours avec
faveur dans cette chambre, s'est constitué sur les bases d'une modération, non
pas métaphysique, non pas abstraite, mais pratique, et s'appliquant aux hommes
et aux choses.
Les hommes
politiques qui représentent cette modération, ayant à administrer les affaires,
examinent quelles sont les mesures que réclament les besoins du pays, et
s'entendent sur les projets de loi qui doivent être soumis à vos délibérations.
Là, ils appliquent leurs principes de conciliation. Mais j'avoue que je ne
comprendrais pas l'avantage qu'il y aurait à discuter comme une question
académique le sens et la portée du mot modération in abstracto. La modération
d'un gouvernement se révèle dans ses actes ; et toutes les dissertations du
monde ne valent pas une loi sage et modérée qui vous est présentée.
En répondant
par ces idées, que le bon sens seul aurait indiquées à cette dissertation
métaphysique sur la modération ; en donnant à ce principe un corps dans la
série des projets de loi qui vous sont présentés, je réponds en même temps à
cette partie du discours de l'honorable préopinant, où il me reproche de
n'avoir pas formulé un programme. Il aurait fallu, suivant lui, que le ministre
de l'intérieur, sans se concerter avec qui que ce fût et sans considérer même
les principes de la formation du cabinet comme chose importante, fît à son
entrée en Belgique, le lendemain ou le surlendemain de son arrivée, un exposé
complet de toutes les questions qui pourraient se présenter devant cette
chambre ; il aurait fallu qu'à son débotté, pour ainsi dire, il arrivât avec
une série complète de projets de loi, avec des idées arrêtées sur toute chose.
De deux
choses l'une, ou ce programme eût présenté les mêmes généralités, les mêmes
banalités qui distinguent d'ordinaire cette espèce de documents ; et alors un
tel programme eût été indigne de moi ; jamais je n'y eusse apposé ma signature
; ou le programme eût été ce qu'il devait être, c'est-à-dire un concert commun
d'hommes politiques aussi sérieux que l'honorable préopinant (car il semble que
l'honorable préopinant veut être seul considéré comme un homme sérieux ),
d'hommes politiques, dis-je, qui, étudiant les besoins, la situation du pays,
conviennent d'y satisfaire par ensemble de mesures que le cabinet aurait à vous
présenter. Pour moi, je ne conçois pas, dans un gouvernement représentatif,
d'autre programme que celui-là.
Eh bien ! si
un pareil programme eût été formulé le jour de la formation du ministère, c'est
alors qu'eussent retenti de toutes parts ces accusations de légèreté que
l'honorable préopinant prodigue lui-même avec une étrange légèreté ; c'est
alors qu'on eût dit : il s'est rencontré un homme qui, étranger depuis quinze
ans aux affaires intérieures du pays, arrive du dehors et tire de sa poche une
vingtaine de projets de loi de sa façon, propres à satisfaire à tous les
intérêts moraux et matériels du pays ! Nous avons procédé avec un peu plus de
prudence el de maturité. C'est après avoir, pendant trois mois, examiné avec
mes collègues les mesures que les intérêts du pays réclament, que nous les
avons présentées, et que, d'accord sur tous ces points, nous pouvons déclarer
que le ministère est, lui aussi, un ministère homogène ; car l'homogénéité ne
consiste pas dans la réunion de cinq ou six hommes qui, appartenant à la même
opinion politique, forment une administration d'après ce seul principe, et
viennent vous dire : Nous sommes d'un même parti, donc nous sommes homogènes.
L'homogénéité
! Se trouve-t-elle chez les amis politiques de l'honorable préopinant ? Mais
n'avez-vous pas entendu un honorable membre opposer son programme au programme
du ministère. Je reconnais qu'il s'est placé dans une situation plus vraie que
les autres. En effet, lorsqu'un ministère se présente armé d'un ensemble de
mesures qui résument son système politique, l'opposition doit, si elle
considère cet ensemble comme incomplet, comme insuffisant, offrir en un
faisceau ses propres idées, ses propres projets, dont elle doit chercher à
démontrer la supériorité sur ceux du ministère. C'est ce qu'a fort bien compris
l'honorable M. Verhaegen. Il vous a placés nettement en face de deux systèmes ;
le sien et celui du gouvernement.
L'honorable
M. Verhaegen a demandé au cabinet s'il présenterait un projet de loi sur la
réforme électorale, s'il proposerait le retrait de la loi sur l'instruction
primaire, de la loi sur la nomination des bourgmestres, etc., etc. Je ne
répéterai pas l'énumération, elle est assez présente à vos esprits.
Messieurs, la
réponse à toutes ces questions se trouve dans le discours du Trône. Le
gouvernement, comme gouvernement, ne présentera cette année que les mesures qui
vous sont annoncées dans le discours de la Couronne. Aux yeux de l'honorable M.
Verhaegen, cela ne suffit point. Il veut plus ; il veut autre chose. Il vous
l'a dit, vous êtes en présence de deux systèmes.
Eh bien,
messieurs, puisqu'on parle tant d'homogénéité, je demanderai si le programme de
l'honorable M. Verhaegen, qu'il oppose au programme du ministère, programme sur
lequel l'honorable préopinant s'est bien gardé de s'expliquer ; je demanderai
si ce programme est l'expression de la pensée de cette partie (la gauche) de la
chambre. Je demanderai s'il y a homogénéité entre l'honorable M. Verhaegen el
l'honorable préopinant.
Je demanderai
si l'honorable M. Rogier, par exemple, qui dans ses discours d'hier et d'avant-hier
a déclaré que, s'il était aux affaires, il présenterait des mesures propres à
lui assurer l'appui de la droite, qui a déclaré que sa sagesse, sa modération,
son esprit de conciliation entraîneraient tous vos votes, je demanderai à
l'honorable M. Rogier s'il s'associe au programme de M. Verhaegen et si c'est
ainsi que l'honorable M. Rogier compte obtenir voire appui ?
Je désire que
l'opposition ait autant de franchise que j'en ai moi-même. Le programme du
ministère est posé ; il l'est dans le discours du Trône ; nous ne présenterons
d'autres mesures que celles-là. Si vous considérez ces (page 71) mesures comme insuffisantes, si vous déclarez, de concert,
avec l'honorable M. Verhaegen, qu'il faut plus, qu'il faut autre chose, qu'il
faut tout ce qu'il vous a demandé, dites si vous vous associez à son programme,
et je reconnaîtrai alors en vous cette homogénéité dont vous faites tant valoir
la nécessité.
Messieurs,
après l'expression de sa vive sollicitude pour le sort de l'opinion catholique,
l'honorable préopinant en a éprouvé une autre ; il s'est ému de la situation du
pouvoir, de son affaiblissement, de ses dangers ; et voulant probablement
fortifier le pouvoir et lui offrir, dans l'avenir, des moyens de force et de
stabilité, il vous a révélé quelles étaient les tendances dangereuses de
l'opinion qu'il représente.
Nous vivions
jusqu'à présent dans une singulière erreur. Nous pensions que l'honorable
préopinant dominait son parti ; nous pensions qu'il avait des opinions
gouvernementales ; nous pensions qu'il ne se laisserait jamais entraîner comme
un faible enfant qu'agite le moindre souffle de l'opinion ; nous pensions qu'il
ne serait jamais le jouet d'un parti avancé et qu'il saurait arrêter les
tendances dangereuses de son opinion. Eli bien ! messieurs, il n'en est rien ;
il est venu vous déclarer qu'il était faible et impuissant ; il est venu vous
dire : J'ai pu encore, en 1841, continuer mon rôle de modéré ; j'ai pu encore,
en 1841, contenir, non pas l'impatience d'arriver au pouvoir, mais la mise en
pratique des principes dangereux qui sont au fond de nos opinions. Mais, en
1845, je ne le puis plus ; mais, en 1847, je le pourrai bien moins encore.
Eh bien !
moi, messieurs, je réponds : Les opinions libérales, basées sur des principes
stables, ne changent pas ainsi au gré de la foule et de la presse. Les opinions
libérales ont encore une vigueur dont vous avez tort de désespérer, et celui
qui ne se sent pas la force de les contenir dans de justes bornes, n'est pas à
mes yeux un homme d'Etat capable de diriger les affaires de son pays.
Qu'on ne
vienne donc pas nous menacer ainsi en quelque sorte des tendances dangereuses
de nos propres opinions. Ces tendances, je ne les crains pas. Si elles
existent, je les condamne. Si elles se font jour, je les combats.
On vous a
parlé, messieurs, des élections de Bruxelles. On vous a parlé de l'avènement
aux affaires communales d'une certaine opinion qui n'eût pas fait ce progrès,
si le gouvernement n'eût pas été composé comme il l'est. Messieurs, ne nous
laissons pas abuser par ces grands mots. Nous connaissons tous le mot de
l'énigme ; nous savons comment cet avènement a été préparé. Nous savons qu'il
est le résultat de certaine transaction faite pour s'assurer une majorité
ailleurs. Si cette transaction n'eût pas eu lieu, si un pacte secret n'eût pas
été conclu entre les représentants des deux nuances, le radicalisme ne se
serait point élevé à cette hauteur, qui.semble aujourd'hui effrayer l'honorable
préopinant même.
Il est une
autre partie du discours de l'honorable membre (je reviendrai tout à l'heure
aux élections), que je ne puis laisser sans réponse. Il paraît soucieux de
l'avenir du pouvoir en Belgique ; il veut sa force ; il craint son
affaiblissement ; mais cette force ou cet affaiblissement ne consiste, à ses
yeux, que dans l'appel que ferait le pouvoir à certains représentants de
l'opinion libérale, ou dans l'oubli où ils seraient laissés.
Messieurs, on
dirait, en vérité, que l'opinion libérale n'est représentée, dans le pays, que
par l'honorable préopinant, et que, du moment où le pouvoir ne lui confie pas
la haute direction des affaires, la Belgique, est exposée aux plus grands
dangers. Mais de quel droit l'honorable préopinant se constitue-t-il, en
Belgique, le seul représentant de l'opinion libérale ? De quel droit veut-il
exercer une espèce de despotisme sur l'opinion à laquelle j'appartiens à autant
de titres que lui.
Messieurs, le pouvoir n'a aucune antipathie pour l'opinion
libérale. Avant-hier, au sein de la chambre, j'ai révélé des faits qui ont
fourni la preuve que le pouvoir ne recule pas devant cet appel, que le pouvoir
ne s'effrayerait pas de l'avènement de cette opinion aux affaires. En effet,
quelle est, dans la crise ministérielle, l'homme qui a été appelé d'abord par
la Couronne ? Est-ce un représentant de la droite ? N'est-ce pas un honorable
membre qui faisait partie du ministère homogène de 1840 ? N'est-ce pas ensuite
un honorable membre dont vous avez entendu la déclaration si nette, si précise
et si claire ? N'est-ce pas ensuite, messieurs, l'honorable M. Rogier lui-même
auquel la Couronne s'est adressée ?
M. Rogier. - Je demande
la parole pour un fait personnel.
Vous venez de
dire positivement, M. le ministre, que la Couronne s'est adressée à moi ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, n'équivoquons pas. Si les mots
d'appel fait par la Couronne donnent à l'honorable membre le droit de prendre
la parole pour un fait personnel, il aura la franchise, la sincérité de
déclarer que si, en réalité, comme je le reconnais moi-même, il n'a pas été en
contact direct avec la Couronne, il n'en a pas moins discuté ailleurs les
conditions probables de son avènement aux affaires.
M. Rogier. - Le fait
est complétement inexact. Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Au reste, messieurs, permettez-moi de vous faire
observer que pour le développement de ma pensée et pour établir le principe que
je tenais à constater devant vous, il n'était pas nécessaire que je l’étendisse
jusqu'à l'honorable membre. Je tenais à constater que la Couronne l'eût
adressée, pour la formation d'un ministère, non pas à cette partie de cette
chambre, mais successivement aux représentants de l'opinion libérale.
Que l'on ne
vienne donc pas, messieurs, se poser en quelque sorte en victime ; que l'on ne
croie pas que le libéralisme soit éloigné à tout jamais de la direction des
affaires, parce que tels ou tels noms propres n'ont pas été appelés. Dans le
jeu de nos institutions, messieurs, le pouvoir s'adresse à la majorité de cette
chambre. Le pouvoir a fait plus ; il a voulu montrer que dans sa pensée la
minorité de cette chambre pouvait s'associer à la majorité ; et c'est pour
montrer que les hommes dans l'honorable caractère desquels la royauté peut
avoir confiance, confiance qu'elle étendait aussi à l'honorable M. Rogier,
confiance que l'honorable M. Rogier ne cherche pas à s'aliéner, ne sont pas
antipathiques au pouvoir, que je suis entré dans ces développements.
Messieurs,
l'honorable M. Devaux, se présentant en juge suprême de la situation, et
prononçant en dernier ressort son verdict de condamnation, vous a dit qu'il
avait deux moyens sérieux de tirer le pays de la position difficile où il se
trouve. Le premier de ces moyens sérieux, c'est de créer un ministère libéral
modéré, homogène ; eh bien, messieurs, l'opinion libérale appelée par la
Couronne, et munie par elle de pleins pouvoirs, n'a pas formé un ministère
libéral modéré ; l'opinion libérale modérée, représentée par des membres dont
j'honore le caractère, mue par des considérations que je respecte, des raisons
que j'apprécie, n'a pas accepté ce mandat.
La Couronne
se trouvait donc placée dans la nécessité ou de recourir à l'opinion libérale
qui n'est point modérée, ou bien de constituer un cabinet qui, réunissant les
éléments modérés de chacune des deux fractions de cette chambre, pût arriver
devant vous avec une homogénéité, non de personnes, mais de principes, sur les
questions dont la solution importe au pays.
La première
condition de tout gouvernement, c'est de faire d'abord les affaires du pays et
de sortir de ces abstractions, de ces théories vagues et insaisissables avec
lesquelles rien ne se décide, rien ne se fait.
Mais, vous
dit-on, le pouvoir en constituant ainsi le cabinet a placé ses ministres dans
une si fausse position qu'ils n'ont l'appui ni de l'opinion libérale à laquelle
appartiennent certains de ses membres, ni de l'opinion catholique à laquelle
appartiennent certains autres membres du cabinet.
Messieurs,
ceux qui font ces objections ont une logique tout à fait à part, une logique
qui s'écarte des règles ordinaires qui servent à la conduite des hommes en
général. L'honorable membre et quelques-uns de ses collègues vous ont dit, en
parlant des ministres qui représentent l'élément libéral dans le cabinet, vous
ont dit : « Nous reconnaissons que ces hommes n'ont point dévié de leur passé,
qu'ils appartiennent franchement et honorablement à l'opinion qu'ils ont
toujours professée, mais ces ministres auront-ils la force nécessaire pour faire
prévaloir leur opinion au sein du cabinet ? Ces ministres exercent-ils assez d'influence
sur leurs collègues pour jouer ce rôle ? Nous en doutons, ajoutent-ils, nous
avons, à cet égard, des craintes telles que, tout en honorant le caractère et
les principes de ces ministres, tout en reconnaissant qu'ils sont fidèles à leurs
principes, nous croyons que leur action sera paralysée.
M. Verhaegen. - J'ai parlé
au singulier.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Si mon pluriel paraît singulier à l'honorable
membre, il n'est pas antiparlementaire.
Je demande pardon
à l'assemblée d'être sorti un instant de la gravité de ces débats ; mais lorsqu’on
est interrompu il est bien difficile de commander toujours à sa parole, de lui
conserver constamment cette dignité dont je désire ne point m'écarter. Je vous
demande pardon, messieurs, de la mauvaise plaisanterie que je me suis permise.
Messieurs, si
ces honorables membres sont pénétrés de cette conviction que nous ne sommes ni
assez forts, ni assez influents pour constituer nos opinions à l'état d'actes
pratiques (car c'est ainsi que j'entends la force et l'influence d'une
opinion), quelles devraient être, dans les règles ordinaires d'une bonne
logique, les conséquences d'une conviction pareille ? C'est, messieurs, que les
honorables membres devraient s'empresser de nous offrir l'appui de leur main
bienveillante et nous donner ainsi la force qui nous manque. Si je suis faible,
rendez-moi fort ; si je n'ai point d'influence, venez moi en aide.
Mais je ne
sais par quel désordre dans les idées, on se conduit tout autrement. On nous
dit : Vous êtes libéral, nous le reconnaissons ; vous êtes fidèle à vos
principes, d'accord ; mais vous n'avez pas assez d'influence, et nous ne vous
donnerons point ce qui vous manque ; tout libéral que vous êtes, et quoique
vous ayez ma confiance, je ne vous donnerai point mon appui, bien que je vous
enlève ainsi la force, que je vous reproche de ne pas avoir.
Messieurs, je
pense que ces considérations toutes simples, dépourvues de ce caractère de
théorie spéculative dans lequel l'honorable membre aime à s'envelopper, parce
qu'il y déploie un talent remarquable ; je pense, dis-je, que ces idées toutes
pratiques suffiront pour rassurer l'honorable membre et pour calmer les
craintes bien profondes qu'il a conçues et sur l'avenir de l'opinion
catholique, et sur l'avenir de l'opinion libérale, et même sur l'avenir du
pouvoir.
Le pouvoir,
messieurs, n'est point, à mes yeux, exposé à de bien grands dangers ; et ceux
que l'honorable préopinant vous présente sous des couleurs si sombres, et avec
ce ton de profonde conviction qui ébranlerait peut-être ailleurs des esprits
moins forts que les vôtres, à envisager les choses sous leur véritable jour ;
ces dangers, le pouvoir en Belgique peut aisément les combattre. Il faut le
reconnaître, depuis 15 années le pouvoir est demeuré religieux observateur des
principes du gouvernement constitutionnel.
Jamais le
pouvoir ne s'est associé aux luttes des partis, pour transformer une majorité
en minorité ni une minorité en majorité. Si le pouvoir, messieurs, s'était
prêté en Belgique à ces manœuvres odieuses, c'est alors qu'il serait exposé à
des dangers réels ; mais il a constamment respecté l'expression de la majorité
du pays et laissé au jeu de nos institutions une libre et franche allure. Le
pouvoir s'est montré bien plus strict observateur de (page 72) nos institutions que l'honorable membre qui, dans
l'intérêt de la majorité, la prie de vouloir bien se réduire humblement à
l'état de minorité.
Messieurs,
les honorables membres inquiets de l'appui que je pourrais recevoir du côté
gauche, ont en même temps exprimé de vives inquiétudes sur l'appui que pourrait
me donner le côté droit. « M. Van de Weyer, dit-on, n'exerçant point d'action
sur l'opinion libérale, n'en exercera pas plus sur l'opinion catholique ; il y
a entre M. Van de Weyer et cette opinion un abîme infranchissable, et sortant,
quoique par des allusions indirectes, des habitudes dont on ne devrait jamais
s'écarter dans cette chambre, on a fait allusion à ce qui établirait entre
l'opinion catholique et moi cette espèce de rupture, cette espèce d'éloignement
que l'on se flatte de créer. Messieurs, j'ai toujours accepté nettement et
franchement ma position, et vis-à-vis de l'opinion libérale et vis-à-vis de
l'opinion catholique. C'est précisément pour que cette position fût nettement
dessinée que nous avons demandé à la chambre, composée de deux éléments, de
déclarer si les hommes qui se présentent devant vous de toutes pièces, avec
leur passé, avec leur présent, méritent la confiance des deux parties de cette
chambre Pour moi, messieurs, professant des opinions libérales, mais m'étant en
même temps imposé toujours pour règle d'admettre la conciliation, c'est-à-dire,
restant fidèle aux principes de l'union dont je ne me suis jamais écarté, je
suis venu vous demander si un homme qui représentait ces idées, en 1828, en
1830, comme il les représente en 1845, est un homme que l'opinion libérale peut
ne point admettre et que l'opinion catholique doit repousser.
Vous aurez,
messieurs, à vous prononcer sur ce point ; vous connaissez les hommes qui sont
devant vous. Ils n'affaiblissent point leurs opinions, ils ne les dissimulent
point, ils ne les cachent point, ils n'ont rien à cacher.
Prononcez,
messieurs, et jugez si les hommes qui ont cette allure franche et nette ne vous
offrent pas les garanties que vous désirez dans les ministres appelés à diriger
les affaires du pays. Nous ne dissimulons point que notre amendement a cette
signification, et vous aurez à décider si le ministère peut ou non compter sur
votre appui. Prononcez-vous, messieurs, sans craindre cette espèce de
déconsidération dont vous a menacés en quelque sorte l'honorable préopinant.
Quoi,
messieurs, un vote de confiance en faveur d'un homme qui, fidèle aux principes
qui ont servi de base à notre indépendante, nous frapperait de déconsidération
aux yeux du pays ! N'en croyez rien, messieurs, ne vous laissez point intimider
par ces menaces ; pénétrez-vous de cette pensée qu'aujourd'hui comme en 1830,
nous pouvons, quelles que soient nos opinions théoriques, philosophiques ou
religieuses, nous entendre pour la bonne administration du pays, et c'est de
cela qu'il s'agit.
Je ne
reconnais à personne dans cette enceinte le droit de me demander quelles sont
mes opinions philosophiques : vous n'avez pas à en connaître. Demandez-moi
quelles sont les mesures que nous vous soumettrons ; demandez-moi, si pour ces
mesures, je me suis entendu avec mes collègues, si je suis d'accord avec eux
sur les principes qui doivent leur servir de base ; là est votre mandat, et
c'est dans ce mandat que je prie la chambre de se renfermer.
On a dit,
messieurs, que le ministère, en entrant aux affaires, avait en quelque sorte
dissimulé le principe de son existence et qu'il avait brillé par son silence.
J'ai déjà eu
l'honneur de dire que si, à mon entrée au ministère, j'avais parlé au moyen
d'un programme, j'eusse commis précisément cette faute de légèreté que
l'honorable préopinant me reproche.
Il y avait,
dit l'honorable préopinant, une occasion naturelle pour le ministre de
l'intérieur de faire connaître sa pensée politique, c'était de se présenter aux
électeurs, c'est-à-dire en d'autres termes, de constituer les électeurs de
Bruxelles juges d'une question que la chambre seule, à mes yeux, a le droit de
décider. Non, messieurs, je ne devais point, après quinze années d'absence, me
présenter aux seuls électeurs de Bruxelles. Mon devoir était de me présenter
devant vous ; c'est vous qui êtes les juges-nés de la politique des ministres,
c'est à vous qu'il appartient de décider de leur sort ; et je le répète,
j'aurais à bon droit encouru le reproche de légèreté qu'en m'a fait, si j'avais
fait un appel à une fraction du pays.
Et ici je
dirai toute ma pensée. Ce n'est pas seulement mon respect profond pour nos
institutions qui a dicté ma conduite ; ce n'est pas seulement parce que je
considère la chambre seule comme juge de la formation des ministères que je ne
me suis pas présenté devant les électeurs de Bruxelles ; mais une autre raison
tout aussi grave a motivé ma détermination. L'honorable préopinant sait fort
bien comment se font quelquefois les élections. J'aurais dû, pour réussir,
soumettre mon programme à quelques hommes, que j'honore, mais que, dans les
circonstances particulières où je me trouvais, je ne pouvais constituer juges
de la politique du ministère. C'est alors que j'aurais abaissé, à vos yeux, le
pouvoir que je représente (Interruption).
J'entends murmurer quelques paroles, je ne recule point devant la vérité et la
réalité des faits.
On a trouvé
dans la position que j'ai prise quelque chose de louche et d'équivoque. De deux
choses l'une, m'a-t-on dit, ou le ministre de l'intérieur devait se présenter
franchement, ouvertement aux électeurs, ou il ne devait pas timidement s'y
laisser porter.
Je vous ai
déjà dit, messieurs, pourquoi je ne me suis pas porté candidat à la députation.
Mais, je le déclare en même temps, jamais je n'ai donné mission à personne de
me porter quasi clandestinement. Mais j'ajouterai qu'un grand nombre d'anciens
amis, de ces amis sur l'affection desquels je puis compter en toute
circonstance, me tinrent ce langage : « Que vous vous portiez ou non, nous
voulons vous donner une preuve de sympathie ; nous voulons témoigner que nous
avons toujours en vous la même confiance. Notre voix, vous l'aurez, quelle que
soit la détermination que vous preniez. »
Messieurs,
que devais-je faire dans cette circonstance ? Devais-je repousser ces
témoignages d'affection de mes concitoyens ? Devais-je les repousser, parce que
je m'exposais à être placé dans l'attitude d'un homme qui éprouve un échec ?
Devais-je refouler en quelque sorte les sentiments d'estime qui s'exprimaient
d'une manière si vive ? Non messieurs, je fais peu de cas des dehors et des
apparences ; il m'importe peu qu'on veuille vous faire considérer la
manifestation spontanée des 800 électeurs comme un échec pour moi ; ce que je
tiens à cœur, c'est de conserver ces amitiés dans le corps électoral de
Bruxelles, amitiés auxquelles j'aurai recours, quand je solliciterai un mandat,
après avoir reçu ce qu'on est convenu d'appeler le baptême parlementaire.
Oui,
messieurs, lorsque vous aurez décidé que la formation du cabinet, avec les
éléments dont il se compose, est l'expression de la majorité ; lorsque j'aurai
reçu de vos mains, pour ainsi dire, la consécration de ce système ; lorsque la
chambre aura déclaré que des libéraux peuvent siéger à côte des catholiques
dans le cabinet, je pourrai, avec un titre parlementaire à la main, faire un
appel aux électeurs ; je le pourrai, avec cette franchise et cette loyauté dont
j'entends ne jamais m'écarter, ni ici, ni ailleurs.
Messieurs, ce
serait prolonger indéfiniment les débats que d'entrer dans tous les détails où
l'honorable préopinant semble se complaire, relativement à la composition de la
commission d'adresse, et des autres commissions, commissions où le ministère,
selon lui, n'a pas obtenu ou n'a pas voulu obtenir la majorité.
Messieurs,
toutes ces questions, dans le grave débat qui nous occupe, semblent bien
misérables.
La commission
vous a proposé un projet d'adresse ; ce projet nous a paru insuffisant. On nous
reproche de n'avoir pas cherché à exercer de l'influence sur la commission
d'adresse ; on nous reproche de lui | avoir laissé son indépendance et son
libre jugement. Quoi ! on aurait voulu que nous fussions allés mendier l'appui
isolé de chaque membre de la commission, pour nous préparer un projet d'adresse
favorable ! Je crois que la marche que nous avons suivie est bien plus digne
d'un gouvernement qui se respecte : la commission a agi dans sa force et son
indépendance ; elle a accompli sa tâche en dehors de toute influence du
gouvernement. De notre côte, le ministère sans hostilité aucune contre la
commission, a déclaré que son projet nous plaçait dans une position que nous ne
pouvions accepter.
Et à
l'occasion de l'amendement que nous avons proposé, on vous soulève tout à coup
une question bien grave. L'amendement, vous dit-on, est inconstitutionnel ! Il
est inconstitutionnel d'abord, parce qu'il a été présenté par le ministre de
l'intérieur qui n'est pas membre de cette chambre, et en second lieu, parce
qu'il limite l'action du pouvoir royal.
Messieurs, je
ne discuterai pas la force du premier argument. Je renoncerais volontiers à
l'honneur d'avoir présenté, en qualité de ministre de l'intérieur, l'amendement
en question, et comme je ne me pose pas ici en président du conseil,
subordonnant mes collègues à mon action personnelle, je m'empresserais de les
prier d'introduire cet amendement sous une forme parlementaire régulière et
satisfaisante. Mais je n'adopte pas la doctrine de l'honorable préopinant ; je
crois qu'appelé aux affaires par la confiance de la Couronne, je puis, au sein
de cette assemblée, et sans en faire partie, présenter, comme ministre, des
amendements à tout ce qui peut faire l'objet de vos délibérations. Je pourrais
encore invoquer les précédents de cette chambre...
Une voix. - M. le ministre
de la guerre actuel, M. le baron Evain, M. Leclercq !
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, dans toute assemblée délibérante il y
a des règles qu'elle s'est posées à elle-même, il y a des précédents qu'elle a
établis, précédents qui doivent faire loi et autorité, si vous ne voulez pas
voir livrer vos délibérations à une anarchie complète...
Des
membres. - C'est très
vrai.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je fais un appel à ces précédents, et je vous
demande, messieurs, si l'objection de l'honorable préopinant est fondée. Ce
n'est pas à moi de prononcer ; c'est une question dont la chambre seule est
juge.
Une seconde
objection bien plus sérieuse, bien plus grave, c'est celte de
l'inconstitutionnalité. Quoi ! dit-on, vous vous posez comme le défenseur de la
prérogative royale, et vous venez y porter atteinte par un amendement qui
limite l'action de ce pouvoir, sur la formation même des ministères, en ce sens
que la chambre déclarerait en quelque sorte, à la Couronne, qu'elle ne peut
former ces ministères en dehors de tel ou tel système politique.
Messieurs,
c'est là une subtilité métaphysique, une de ces propositions sophistiques à
l'aide desquelles on jette la perturbation dans les esprits.
Eh quoi ! la
Couronne s'adresse à vous, et vous dit : « Mon ministère compose d'éléments de
conciliation vous présente les mesures que réclament nos intérêts, et j'espère
qu'il obtiendra voire confiance et votre loyal concours ; « vous répondrez, si
vous adoptez notre amendement, que la chambre, toujours fidèle à ce même esprit
de conciliation, prêtera au ministère un concours bienveillant ; et vous croyez
que l'expression de cette pensée limiterait l'action de la Couronne, lui
imposerait l'obligation de former un ministère composé d'éléments déterminés,
en sorte que la Couronne serait liée au point de ne pouvoir faire un choix en
dehors de cette nuance !
Je considère
la Couronne comme si peu liée que, même après l'adoption de l'amendement, la
Couronne n'en serait pas moins libre de prendre soit (page 73) un cabinet homogène, soit un cabinet composé d'autres
éléments qui répondraient mieux à la situation.
Messieurs, je
pense que l'assemblée ne partagera pas les doctrines qui vous ont été exposées
relativement à la forme et au fond du discours du Trône. Il aurait fallu,
suivant l'honorable préopinant, que le discours du Trône exposât toute la
situation politique du pays, de manière à permettre, dès les premiers jours, de
poser la question abstraite et générale sur la couleur politique du cabinet.
Nous avons
pensé, au contraire, que le discours de la Couronne, aujourd'hui comme en 1841,
comme à toutes les époques d'ouverture des chambres, ne devait contenir que
l'exposé simple et précis des projets de loi dont on se proposait de saisir la
législature pendant la session. Ce serait abaisser le pouvoir royal que de le
mêler à ces discussions de parti. Ces luttes ont eu lieu plus tard et dans la
discussion même de l'adresse, lorsque l'opposition, n'acceptant pas le
programme ministériel, pose une série de questions sur lesquelles on demande au
pouvoir de s'expliquer.
Or, quelles
sont les questions qui nous ont été faites ? A laquelle de ces questions
n'avons-nous pas répondu ? Vous auriez, dit-on, dû faire connaître votre
principe. Il y a quatre jours que nous ne faisons que cela, que nous
développons les idées qui ont présidé à la formation du ministère.
Puis, on
change tout à coup le terrain, et l'on s'écrie : Quelles seront les relations
du gouvernement avec le clergé ? On a pensé que c'était là nous placer sur une
pente dangereuse et glissante. On a dit : Vous n'ignorez pas que la cause de
l'agitation qui règne dans le pays gît dans les empiétements du clergé ; vous
n'ignorez pas que le pouvoir civil est soumis au pouvoir ecclésiastique ;
comment arrêterez-vous ces empiétements ?
Messieurs,
quand on se plaint d'empiétements du clergé, ne serait-ce pas par hasard le jeu
naturel et régulier des institutions dont on regretterait la nature, sans oser
l'avouer ? N'ai-je pas entendu hier, à l'occasion de l'interpellation de
l'honorable M. Dedecker, qui vous demandait si nous ne jouissions point de la
liberté de conscience, de la liberté de la presse, de la liberté d'enseignement
; n'ai-je pas entendu, au moment où il parlait de cette dernière liberté, un
membre s'écrier à gauche : Hélas, oui !
M. d’Elhoungne. - Cette
exclamation ne s'adressait pas à vous, M. le ministre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je le demande, s'agit-il de conserver notre
Constitution ou de la modifier ? Si l'on veut la modifier, que l'on s'explique.
M. d’Elhoungne. - Je demande
si c'est à moi que cela s'adresse, car dans ce cas je demande la parole pour un
fait personnel.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je ne sais quelle voix de ce côté a fait
entendre cette exclamation, mais ces paroles ont été pour moi une révélation
soudaine. Veut-on, je le répète, le maintien de la Constitution ou en veut-on
la modification ? Si on veut la modification de la Constitution, qu'on le
déclare ; mais quant à nous, ministres du Roi, c'est dans les principes et les
limites des lois établies que nous devons agir ; c'est la Constitution que nous
devons faire respecter. Si la liberté de l'enseignement a des inconvénients, la
liberté de la presse n'a-t-elle pas les siens, ainsi que la liberté
d'association ?
Si donc le
mouvement de ces institutions nouvelles est encore accompagné de quelques
tiraillements, faut-il pour cela les saper dans leur base ? Ne serait-ce pas
ressembler à ces enfants qui, plantant une branche d'arbre le soir, vont tous
les matins l'arracher pour voir si elle prend racine, et si de nouvelles
transplantations ne feraient pas porter des fruits à ce frêle arbrisseau ?
Le
législateur n'a pas ces impatiences juvéniles. Que, si l'on veut modifier nos
institutions, on ajoute donc cette pensée au programme qu'on vous est venu lire
(Applaudissements).
Une voix. - C'est la droite
qui applaudit.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je suis désolé de voir que lorsque je parle du
maintien de la Constitution et des libertés qu'elle consacre, les
applaudissements de la gauche ne viennent pas se joindre à ceux de la droite.
M. Delfosse. - Nous
voulons tous le maintien de la Constitution.
M. d’Elhoungne. - Il ne vous
appartient pas de supposer que nous voulons la changer.
M. Rogier. - N'insultez
pas le parti auquel vous dites appartenir. (Agitation.)
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Nous voulons tous le maintien de la
Constitution. Voilà qui est bien entendu. La question est décidée. Mais quand
on parle d'empiétements du clergé, il faut s'expliquer, il faut savoir si l'on
ne représente pas comme tels l'usage même de nos libertés. Si c'est cela, nous
n'avons pas à nous en plaindre. Si c'était autre chose, s'il existait dans le
cierge la pensée de vouloir usurper les prérogatives du pouvoir civil ; si le
clergé nourrissait la pensée de subordonner le pouvoir au pouvoir religieux, je
n'ai pas besoin de vous le dire, ce n'est pas moi seul qui résisterait : je
suis convaincu qu'il, y a sur les bancs de la droite des hommes qui, soumis au
clergé, soumis, je me sers à dessein de cette expression, au pouvoir religieux
en matière de foi, seraient les premiers à s'associer à moi, pour arrêter les
empiétements de ce pouvoir en matière civile et politique. (Oui, oui.) Je ne pense pas me tromper en
exprimant avec conviction cette pensée devant vous.
Plusieurs voix. - Non ! Non
!
M. de Garcia. - Je demande
la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - La chambre est aussi bien convaincue que,
pénétrés de nos devoirs comme représentants du pouvoir civil, nous nous
opposerions de toutes nos forces à de dangereuses usurpations.
Après avoir
répondu à ces questions générales, il me reste à rencontrer quelques points de
détail que l'honorable préopinant c traités en passant.
Le ministère,
dit-il, n'a en définitive proposé de question un peu importante que celle de
l'enseignement moyen.
Messieurs, à
notre entrée au ministère, qu'ai-je entendu ? Quels sont les doutes et les
craintes qui se sont manifestés ?
II y a, vous
a-t-on dit, une question sur laquelle le ministre de l'intérieur n'osera pas
appeler l'attention de la chambre. Son silence même est assez significatif, il
ne présente point de projet de loi sur l’enseignement ; et comme les gros mots
ne nous coûtent guerre, on m'accusait déjà de faiblesse et de lâcheté.
Lorsque, au
grand étonnement de ceux qui avaient exprimé ces doutes et ces craintes, le
discours du Trône a révélé notre intention, qu'est-on venu dire ? On a changé
de langage pour atténuer l'effet de cette promesse. Votre prédécesseur,
s'est-on écrié, aurait pu présenter ce projet de loi avec autant d'assurance et
autant de chances de succès que vous. Mais quels sont les principes de votre
projet ? Messieurs, nous n'avons pas plus reculé devant cette question que
devant les autres. Nous nous sommes franchement expliqués à cet égard par
l'organe de M. le ministre des affaires étrangères.
Vous avez
entendu mon honorable collègue vous déclarer que si l'on prend pour base le
projet de 1834, on reconnaît aussi que l'expérience a démontré la nécessité de
plusieurs développements, et l'action de l'Etat doit être régularisée et par
conséquent renforcée. L'honorable membre a cru voir dans l'expression de cette
pensée une nouvelle arrière-pensée. Vous en serez juges ; le projet vous sera
soumis. Vous n'attendez pas que je donne par anticipation l'exposé des
principes de la loi ; ils sont tels que les craintes de l'honorable préopinant
seront tout à fait calmées.
A cette
occasion, je suis bien aise de rappeler qu'il s'est élevé un incident à peu
près semblable eu 1841, et que l'honorable M. Rogier, interpellé comme je le
suis aujourd'hui, répondit en ces termes :
« Un projet
de loi nous a été soumis dans le but d'agrandir l'enseignement moyen et
primaire. Ce projet de loi qui a été présenté à la chambre, alors que
j'occupais pour la première fois le ministère, ce projet de loi doit offrir à
tous les hommes modérés, raisonnables, des garanties suffisantes. Ce projet de
loi forme la base de la politique du gouvernement, en matière d'instruction
publique. Quand il viendra à être discuté, nous aurons l'occasion de nous
expliquer ; c'est alors que nous verrous dans quelle mesure il faut faire la
part du gouvernement et la part de la liberté d'instruction. Si ce projet donne
lieu à des modifications raisonnables, nous accepterons ces modifications. Si
l'on nous démontre qu'il renferme des dispositions contraires à la
Constitution, contraires aux mœurs du peuple belge, nous nous empresserons de
consentir à la suppression de ces dispositions. Jamais l'éducation religieuse
ne sera négligée dans les mesures à prendre par le gouvernement à l'égard de
l'enseignement primaire moyen. Le principe rappelé dans notre programme est
consacré par le projet de loi soumis à la chambre, et à la rédaction duquel ont
coopéré les hommes honorables des deux opinions. »
Je tenterais
vainement de m'exprimer d'une manière plus nette, plus explicite, et d'énoncer
en termes plus élégants les sentiments qui m'animent.
Je vous
demande pardon d'abuser de votre patience, mais il reste un dernier point que
je ne puis, avant de terminer, laisser sans réponse.
L'honorable
préopinant nous a demandé pourquoi nous nous montrons plus exigeants envers la
chambre qu'envers le sénat ; pourquoi, au sénat, nous avons laissé passer la
phrase telle qu'elle avait été rédigée par la commission ; et pourquoi, au sein
de cette chambre, nous proposons un amendement.
Qu'il me soit
permis de répondre en même temps un mot à l'honorable préopinant sur ce que
j'ai dit relativement à l'importance politique du sénat, et au rôle qu'il doit
jouer dans nos institutions.
En disant que
le sénat devait avoir une position au moins égale à celle de la chambre des
représentants, je n'ai pas entendu attacher aux mots au moins une portée telle
que le sénat fût à mes yeux investi de droits politiques égaux à ceux de la
chambre. Lorsque j'ai demandé que le sénat se prononçât sur la composition du
ministère, je l'ai fait en réponse au discours d'un honorable sénateur qui, ne
voulant pas prolonger la discussion politique, nous renvoyait devant cette
chambre. C'est alors que j'ai déclaré au sénat que cette assemblée, émanant de
l'élection populaire, avait le droit d'être saisie de la discussion politique
aussi bien que cette chambre. Je n'ai pas entendu placer le sénat au-dessus des
députés ; ma seule pensée a été qu'il pouvait au même titre que les députés se
prononcer sur le principe de la formation d'un ministère.
Un
membre. - Vous avez dit : au moins.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Dans des questions aussi graves, aussi
sérieuses, permettez à l'improvisation d'employer parfois des mots que ne
légitiment pas les strictes doctrines, mots auxquels je n'attache pas une
signification politique. Je n'entends pas être lié sacramentellement par un
adjectif ou un adverbe.
Mais
sommes-nous en réalité plus exigeants à la chambre qu'au sénat ? Je déclare
qu'en présentant noire amendement, nous restons fidèles au principe posé au
sénat. En effet, j'ai demandé au sénat, de la manière la plus positive, la plus
catégorique « si la phrase formulée dans son projet d'adresse contenait
l'expression d'un blâme sur le principe de la formation du ministère. »
(page 74) De toutes parts, et non pas
sur quelques bancs isolés, les sénateurs ont rassuré le ministère et ont
déclaré que telle n'était pas leur pensée. S'il y eût eu au sénat une voix
dissidente, s'il y eût eu un seul membre disposé à combattre ce principe, ce
membre eût pris la parole, et sa déclaration eût renouvelé la discussion.
Qu'eût fait
alors le ministère ? Il eût persisté dans sa résolution première, il eût
demandé au sénat de formuler, d'une manière positive, l'assentiment général qui
lui était donné, mais dont l'expression a peut-être été dénaturée par la
presse.
Le ministère
a voulu n'être pas exposé ici au même danger. Il a reconnu que l'assentiment
des assemblées devait se formuler d'une manière saisissable et tangible. De là,
notre amendement. Qu'on dise encore, d'après ces explications, si nous avons
été humbles devant une assemblée, exigeants devant l'autre.
On fait
encore un reproche à cet amendement déjà frappé d'inconstitutionnalité, c'est
de ne pas être assez franc, assez sincère. Vous auriez dû, nous dit-on, nous
demander nettement notre confiance. L'homogénéité disparaît encore dans ce
reproche. L'honorable M. Devaux, et plusieurs autres honorables membres de
cette assemblée, ont reconnu que la question de confiance était posée d'une
manière nette et franche, et que de votre réponse dépendait l'existence du
ministère. C'est tout ce que nous voulons. Il ne s'agit pas de la rédaction de
l'amendement. Les mots me sont indifférents, c'est au fond que je tiens.
Apres avoir
répondu ainsi à toutes les objections de l'honorable membre, pourra-t-on nous
dire que le ministère sera réduit, pour prolonger encore son existence à
mendier des votes ? Nous ne voulons point de cette position équivoque et peu
digne ; il importe que la question ministérielle ne soit point discutée tous
les jours. Pouvons-nous compter sur votre appui, sur votre concours
bienveillant ? Voilà ce qu'il s'agit de déclarer.
Le ministère
est-il composé de manière à pouvoir compter sur une majorité suffisante, sur
une majorité mixte, sur une majorité d'hommes modérés de la droite et de la
gauche ? Prononcez, messieurs ; nous ne voulons pas être condamnés à n'avoir
votre confiance que sous bénéfice d'inventaire, à n'avoir souvent qu'un
concours malveillant, ainsi que cela s'est déjà vu.
La question est posée avec honneur et dignité, nous
n'avons pas recours à de honteux subterfuges, à de misérables faux-fuyants ; et
nous comptons sur un vote décisif, qui formulera ou votre refus d'adhésion au ministère,
ou votre concours bienveillant.
M. d’Elhoungne. - Je demande
la parole pour un fait personnel. J'ai été prévenu, par plusieurs de mes
honorables collègues, que M. le ministre de l'intérieur avait fait allusion à
quelques mots d'une conversation particulière que j'avais avec M. Devaux, et
dans laquelle j'ai dit, « hélas, oui ! » pendant que l'honorable M.
Dedecker parlait de la liberté d'enseignement. Je désire n'expliquer là-dessus.
M. le président. - Il est
désirable qu'il ne s'établisse pas le précédent qu'on peut avoir la parole pour
un fait personnel, en raison de conversations particulières.
M. d’Elhoungne. - Sans doute,
M. le président ; mais je ne puis laisser planer sur les bancs de la gauche, où
j'ai l'honneur de siéger, le soupçon qu'on y formerait des vœux pour la destruction
d'une de nos libertés constitutionnelles. Puisqu'on a fait allusion à mes
paroles, on doit me laisser les expliquer à la chambre. (Parlez ! parlez !)
M. le
ministre de l'intérieur a ramassé (je l'ai appris par mes collègues ; car je
n'en savais rien) un lambeau d'une conversation particulière que j'avais avec
l'honorable M. Devaux, pendant le discours de M. Dedecker. Au moment où cet
honorable membre entretenait la chambre de la liberté de l'enseignement,
j'aurais dit : Hélas, oui ! II m'est facile de repousser les reproches que l'on
a basés sur ces paroles.
Si M. le ministre de l'intérieur avait assisté aux débats
qui ont eu lieu, dans l'avant-dernière session, au sujet de la loi sur le jury
d'examen, il saurait que personne n'a mis plus de franchise (et je suis presque
honteux de me servir de ce mot qui est si usé depuis quatre jours). (Interruption.) Je dis que personne n'a fait
des déclarations plus sincères et plus nettes que moi au sujet de la liberté
d'enseignement. (C'est vrai !)
J'en appelle,
avec confiance, aux souvenirs de toute la chambre ; et je crois dès lors
superflu de protester contre l'accusation de M. le ministre.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs, voici comment les choses se sont passées.
Hier, au
moment où l'honorable M. Dedecker disait : Vous jouissez de telles libertés
constitutionnelles, de la liberté de la presse ; lorsque l'honorable membre a
prononcé les mots : Vous jouissez de la liberté d'enseignement, une voix très
distincte nous est arrivée de ce côté, prononçant les mots : « Hélas !
oui. »
Je rétablis
ce fait pour que la chambre ne croie pas que nous avons recueilli un lambeau de
conversation particulière. (Interruption.)
Personne plus que moi ne rend hommage à la loyauté,
à la franchise de l'honorable M. d'Elhoungne. S'il m'avait laissé poursuivre, je
lui aurais dit que si je faisais cette observation, c'était pour déclarer combien
j'admettais volontiers l'explication qu'il venait de donner. Mais je devais me
justifier et justifier mes collègues du reproche d'avoir recueilli un lambeau
de conversation particulière, et déclarer que ces mots étaient parvenus à nos
oreilles à l'état d'interruption.
Je conviens
qu'il est assez difficile de distinguer les interruptions des conversations
particulières, parce que pendant nos discours les interruptions se succèdent
avec une telle rapidité qu'il est difficile de reconnaître les mots qui ne sont
que de la conversation.
M. Rogier. (pour un
fait personnel). - J'ai beaucoup de regret, messieurs, pour diverses raisons,
d'avoir encore à occuper la chambre d'une question personnelle. Mais j'y suis
de nouveau provoqué.
M. le
ministre de l'intérieur, malgré mes démentis réitérés, malgré mes démentis les
plus positifs, vient encore de dire que j'aurais été chargé par la Couronne de
la formation d'un nouveau cabinet. Je dois donc répéter que ce fait est
complétement inexact. Faut-il apporter, à l'appui de mes assertions, des
preuves matérielles ?
Je m'étonne
vraiment, messieurs, de cette insistance que je ne puis qualifier.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Non, je n'y mets pas d'insistance ; j'accepte
votre déclaration.
M. Rogier. - Permettez
; je ne puis, à mon tour, accepter la vôtre. Vous avez voulu tirer un trop
grand parti de votre accusation contre moi.
M. le
ministre de l'intérieur est venu vous dire : Je suis entré au ministère pour
sauver la Couronne d'une abdication.
Cette
accusation, messieurs, m'était nominativement adressée, elle était absurde.
Vous l'avez jugée telle. M. le ministre vient de répéter que la formation d'un
ministère m'avait été offerte. Je réponds à cette nouvelle allégation par la
dénégation la plus formelle ; et, à moins que M. le ministre ne soit saisi de
cet esprit de vertige et d'erreur qui quelquefois pèse sur les hommes,
d'ailleurs les mieux organisés, quand ils approchent du pouvoir, il ne lui sera
plus loyalement possible de soutenir de pareilles assertions, assertions
mensongères ou entièrement fausses..
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je demanderai à M. le président de ne pas
permettre qu'on se serve, au sein de cette assemblée, de mots qu'elle ne doit
pas tolérer.
M. le président. - Je prie
l'orateur de mettre de la modération dans ses paroles. Il n'est pas convenable
d'adresser cette espèce d'option à M. le ministre de l'intérieur.
M. Rogier. - M. le
ministre de l'intérieur, qui n'aime pas à être interrompu, ne manque jamais de
m'interrompre. Je tâcherai, à son exemple, de conserver la direction de ma
pensée.
Je répète que
l'assertion de M. le ministre de l'intérieur est ou mensongère...
M. le président. - Mais, M.
Rogier, je ne puis permettre de telles expressions.
M. Rogier. - A voir
l'insistance de M. le ministre de l'intérieur, après mes déclarations si nettes
et si précises, je crois qu'il doit m'être permis d'employer ces expressions.
Cette assertion
est donc ou mensongère ou basée sur une erreur. J'admets celte dernière hypothèse.
Je me fais fort de démontrer à M. le ministre de l'intérieur, par des dates,
par des confrontations de personnes, par toutes les preuves qu'il me demandera,
qu'il a été complétement induit en erreur, si on lui a dit que j'avais reçu
l'offre de former un ministère ou que seulement j'aie été consulté sur la
formation par la Couronne. Ceci est-il clair et positif ? Est-il possible,
après cela, que M. le ministre de l'intérieur, pour peu qu'il tienne à sa
réputation de loyauté, que je me plais à lui reconnaître, vienne encore persister
dans de pareilles assertions ?
J'ai fait
allusion à des conversations que j'ai eues avec divers personnages. L'un de ces
personnages s'est lui-même fait connaître ; c'est l'honorable M. Dechamps. Cet
honorable membre vous a dit qu'il n'y avait eu rien d'arrêté, rien d'officiel
dans notre conversation. Persiste-t-il dans son dire ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Certainement.
M. Rogier. - Il vous a
dit qu'il n'avait aucune espèce de mission auprès de moi. Cela est-il exact ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Parfaitement exact.
M. Rogier. -
L'honorable M. Dechamps déclare que cela est parfaitement exact. Je prends acte
de sa déclaration.
La seconde
personne avec laquelle j'ai eu une conversation, n'est pas ministre, mais
approche de très près la Couronne. Cette personne, avec laquelle je me suis
rencontré chez un tiers, m'a fait tout d'abord celte déclaration : Je n'ai
aucune espèce de mission près de vous ; je n'ai rien à vous offrir ; je n'ai
pas de paroles à vous apporter de la part du Trône. Je lui dis : Cela étant, il
est entendu que nous allons nous borner à causer ensemble, sans diplomatie
aucune, et sans que nos paroles nous engagent. Il me répondit : Sans doute,
puisque je n'ai aucune espèce de mission près de vous. La conversation s'est
engagée ; elle a duré deux heures ; j'en ai rendu compte, dans une lettre
particulière, à un de mes amis. Cette lettre m'est revenue, la voici ; elle
porte la date du 27 juillet ; je l'ai écrite le lendemain de ma conversation
avec ce second personnage. C'était donc le 26 juillet, au soir, que je
m'entretenais avec lui. Or, la formation du cabinet a été annoncée dans le
Moniteur du 30 juillet. Peut-on supposer que le 26 juillet les négociations ne
fussent pas déjà entamées avec M. le ministre de l'intérieur, et qu'il ait pu
résulter de cet entretien que M. Van de Weyer dût arriver à toute voile
d'Angleterre pour sauver la royauté ? Mais, messieurs, vous ne le croyez pas ;
M. Van de Weyer ne le croit plus maintenant lui-même.
Messieurs, si
je devais vous dire ce qui s'est passé dans cette conversation, je ne pourrais que
vous répétez les notes que je vous ai lues. Mais cette conversation qui n'avait
aucune espèce de caractère officiel, m'adressant à un interlocuteur qui me
disait n'avoir aucune mission près de moi, qui se défendait même d'en avoir aucune,
on a parlé de dissolution, on a parlé de catholiques, on a parlé de libéraux,
de ministères mixtes, de ministères homogènes.
(page 75) Mais je n'ai rien proposé ni
rien imposé. Je n'ai été ni absolu, ni extrême dans mes opinions.
Je ne sais
donc sur quoi repose le genre d'attaques que l'on se permet contre moi.
Dans cette
enceinte, dans la presse ministérielle...
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il n'y a pas de presse ministérielle.
M. Rogier. - Dans la
presse qui vous soutient, on exploite cette fantasmagorie non seulement contre
moi, mais contre toute l'opinion dont je fais partie, et c'est cette opinion
qu'ici surtout je veux défendre.
A-t-on le but
de diviser à tout jamais la royauté avec l'opinion libérale ? Si c'est là le
but, qu'on le dise !
Il ne s'agit
pas au surplus ici d'examiner, au point de vue constitutionnel, si j'avais oui
ou non le droit de proposer ou d'imposer telle ou telle condition ; je n'ai
voulu combattre qu'un fait faux en lui-même, c'est au fait que je me suis
attaché, me réservant d'ailleurs de présenter, le cas échéant, telles
conditions que je croirai nécessaires, sauf, bien entendu le droit de la
Couronne, sauf le droit de la Couronne d'accepter ou de refuser ces conditions,
sauf aussi à moi de les modifier selon les convenances de la Couronne lorsque
ma conscience et mes devoirs politiques pourront se concilier avec les égards
dus ai Trône.
Qu'on ne
croie donc pas, messieurs, que je sois venu ici vous rendre témoins d'un
revirement d'opinion ; le droit qu'a tout homme politique de mettre des
conditions à son entrée au pouvoir, je le maintiens. Mais entre faire une
proposition et en imposer l'acceptation, il y aurait toujours une immense
différence.
On a fait
allusion à un autre membre du cabinet de 1840, qui aurait été appelé auprès de
la Couronne. Je regrette beaucoup que cet honorable membre (c'était l'honorable
M. Leclercq, je pense) ne se trouve plus parmi nous. Je le regrette d'autant
plus que j'ai des raisons de croire que son opinion était parfaitement conforme
à la mienne sur la situation. Mais je n'ai point ici à parler en son nom ; tout
ce que je sais positivement, c'est que cet honorable représentant de l'opinion
libérale n'a pas reçu la mission de former un cabinet.
Plusieurs voix. (au banc ministériel)
- C'est une erreur.
M. Rogier. - Je
regrette beaucoup que l'honorable M. Leclercq ne se trouve pas ici pour
s'expliquer.
M. d’Huart. - J'ai donné
des explications à cet égard.
M. Rogier. - On a dit
que l'honorable M. Dolez avait reçu des pleins pouvoirs. Je demanderai si la
position était la même pour l'honorable M. Leclercq.
M. d’Huart. - Exactement
la même.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Il a refusé pour des motifs personnels.
M. Rogier. - La réponse qu'on vient de me faire sera connue de
M. Leclercq. Malgré les dénégations, je persiste à maintenir qu'il n'a pas été
chargé par la Couronne de la formation d'un cabinet.
Messieurs, je
ne dis plus qu'un mot. Je ne sais pas si M. le ministre de l'intérieur se
propose de me répondre dès aujourd'hui ; mais afin qu'il ne s'engage pas plus
avant, je lui offre de me mettre en rapport avec la personne à laquelle il a
fait allusion, et j'établis en fait que ce personnage confirmera mes dires. Il
n'existe pas d'ailleurs d'autre conversation sur ces affaires que celle qui a
eu lieu avec M. Dechamps, et celle du 26 juillet au soir avec ce personnage.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, je ne m'attendais pas à voir se
renouveler, à l'occasion de la réponse que j'ai faite à l'honorable M. Devaux,
la discussion sur l'incident. Je croyais cet incident suffisamment éclairci. Cependant
l'honorable membre, animé de sentiments dont je reconnais toute la force et toute
la moralité, cherche à repousser de toutes les facultés de son âme, une accusation
à laquelle il est très naturel qu'il cherche à se soustraire. Il me suffit,
messieurs, que l'honorable M. Rogier me déclare qu'il y a eu un malentendu,
pour que j'accepte la proposition qu'il vient de me faire de s'entendre avec le
personnage qui, agissant avec la plus parfaite sincérité, a eu avec l'honorable
M. Rogier des conversations, non pas seulement particulières...
M. Rogier. - Une conversation
particulière le 26 juillet au soir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - J'accepte la proposition de M. Rogier, et suis
surpris de voir maintenant la vivacité nouvelle avec laquelle l'honorable
membre repousse mes allégations sur cette question. J'en suis d'autant plus
surpris que le premier jour où elles ont été produites, l'honorable membre
semblait s'y être attendu et se trouvait préparé à y répondre.
M. Rogier. - Voilà
encore des insinuations.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - L'incident est vidé. L'honorable membre a lu les
notes à l'aide desquelles il repoussait mes allégations ; ces notes ont été
imprimées, elles se trouvent insérées au Moniteur ; je pourrais me contenter de
résumer, messieurs, cette discussion et, pour la clore, de renvoyer au Moniteur
; mais j'accepte, et j'accepte avec toute confiance en l'honneur, la loyauté et
la droiture de.M. Rogier, les explications qui pourront avoir lieu.
Si,
messieurs, j'ai été induit en erreur, je viendrai, au sein de cette assemblée,
le reconnaître ouvertement et franchement. Je ne laisserai pas planer sur le
caractère d'un homme que j'aime et que j'estime les reproches que j'ai cru
devoir lui adresser.
Il s'agit des
prérogatives de la Couronne, de sa liberté d'action. Que les explications aient
lieu le plus tôt possible. S'il existe un malentendu, il sera éclairci.
L’honorable membre sait depuis longtemps que je n'ai point l’habitude
d'employer des moyens mensongers ; que le mensonge répugne à mon âme aussi bien
qu'à la sienne, et que je ne croirais nullement m'humilier si, au sein de la
représentation nationale, je devais retirer des paroles dont les faits ne
justifieraient pas l'emploi. J'accepte donc la proposition de l'honorable M.
Rogier.
- La séance
est levée à 4 heures 3/4.