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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 13 février 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment observations de la Cour des comptes sur le compte définitif
de l’année 1841
2) Projet de loi portant un
crédit spécial au budget du département de la guerre pour exécution de routes et de travaux de fortifications militaires
dans la Campine. Second vote des articles (A.
Dubus, d’Anethan, Dupont, de La Coste, d’Anethan, Dupont, Manilius, Lebeau, Dupont, Dubus
(aîné), Dupont, de Mérode, Dupont, de La Coste, Pirson, A. Dubus, Dubus
(aîné), Dupont, Dupont)
3) Projet de loi portant le
budget du département de la justice pour l’exercice 1846. Discussion générale.
Mise en œuvre et valeur normative du concordat de 1801 et liberté de nommer les
desservants du culte sans intervention de l’Etat (+droit pour le parlement de
ne pas honorer un jugement passé en force de chose jugée) (Lebeau, d’Anethan, de Haerne, Verhaegen, de Mérode, d’Anethan, de Haerne, Delehaye, Wallaert, Dubus (aîné), Lebeau, Dubus (aîné))
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Dumont.)
(page 637) M. Huveners procède à l'appel nominal à 1 heure et
un quart.
M. A. Dubus donne lecture du
procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners donne lecture d'une
lettre de la cour des comptes, par laquelle elle transmet à la chambre ses
observations sur le compte définitif de l'exercice 1841.
- Ces observations
seront imprimées et distribuées.
M. le président. - M. Vilain XIIII
m'a fait connaître qu'une indisposition l'empêchait d'assister à la séance.
PROJET DE LOI PORTANT
UN CREDIT SPECIAL AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE POUR EXECUTION DE
TRAVAUX MILITAIRES
Second vote des articles
Article premier
M. le président - La discussion est
ouverte sur l'article premier qui a été adopté comme amendement et qui est
ainsi conçu ;
« Art. 1er. Il est
ouvert au département de la guerre un crédit spécial de cent cinquante-trois
mille francs (153,000 fr.), pour être appliqué aux travaux d'achèvement des ouvrages
de fortification et de reconstruction à la forteresse d'Audenarde et de
démolition de ceux de Hasselt, ainsi qu'à payer pour moins-value des terrains
occupés par les ouvrages de cette dernière place, à remettre aux propriétaires
après la démolition. »
M. A. Dubus. - J’ai demandé la
parole pour faire une interpellation à M. le ministre de la guerre. Je regrette
qu'il ne soit pas ici pour y répondre ; du reste il en aura connaissance par le
Moniteur.
Je désire connaître
de M. le ministre quels seront pour la Campine les résultats du vote émis
avant-hier par la chambre. Je désire savoir si le génie militaire s'opposera
encore à la construction immédiate de la route d'Aerschot à Zammel par Hasselt.
L'allocation du
crédit demandé pour les ouvrages de défense à Aerschot a été, je pense,
simplement ajournée. Si des travaux militaires sont indispensables (page 651) à la défense du pays,
et si ces travaux de défense doivent permettre la construction de routes dans
la Campine, dans cette partie du pays si longtemps abandonnée, je prie le
gouvernement de s'occuper le plus tôt possible d'un système complet de défense,
comme l'ont demandé, il y a deux jours, quelques honorables membres de la
chambre.
Les sommes employées
à des travaux militaires en Campine ne seront pas perdues pour l'Etat ; je suis
persuadé que les routes dont la construction sera autorisée par le département
de la guerre feront élever à un tel point la valeur des bruyères, et en général
de toutes les terres, que l'Etat recouvrera, par la voie indirecte des impôts,
tous les frais de construction de forteresses.
Je
citerai un exemple à l'appui de cette assertion. Vous avez décidé, il y a une
année, la construction d'un canal reliant la ville de Turnhout au canal de la Campine.
La plus-value des propriétés rurales a été telle, par suite de ce travail qui
est loin d'être achevé, que, dans un seul bureau d'enregistrement du district,
il a été reçu au profit du trésor, pendant les huit derniers mois de l'année
dernière, une somme bien supérieure à celle de douze mois de l'année
précédente.
Je désire donc
connaître quelles sont les intentions de M. le ministre de la guerre à l'égard
des routes réclamées depuis si longtemps par les habitants de la Campine.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Messieurs, il existe, comme la chambre le sait, un
arrêté royal qui décrète la construction d'une route d'Aerschot à Zammel. On a
reproché à M. le ministre de la guerre d'entraver de son autorité privée
l'exécution d'un arrêté royal. Il n'en est rien, et jamais cette intention n'a
été celle de l'honorable ministre de la guerre ni de ses collègues. L'arrêté
royal ordonnait la construction de la route, mais en même temps il subordonnait
cette construction à des prescriptions à indiquer par le département de la
guerre.
M. Manilius. - En ce qui
concerne le tracé.
M. le ministre de la
justice (M. d’Anethan). - Je vous demande pardon ; il ne s'agissait pas du
tracé ; il s'agissait de prescriptions à imposer par le département de la
guerre. Les termes sont généraux. M. le ministre de la guerre a pensé que la
prescription la plus sage était la construction d'une tête de pont à Aerschot.
La chambre s'est opposée à cette construction en rejetant le projet de loi qui
lui était présenté.
La question,
messieurs, se présentera maintenant de savoir quelles sont les autres
prescriptions à l'aide desquelles le département de la guerre voudra remplacer
celle qu'il n'a pu obtenir de la chambre. Mon honorable collègue, qui vient
d'entrer, vous fera probablement connaître les moyens qu'il va employer pour
parvenir à l'exécution de l'arrêté royal, en décrétant les mesures que l'intérêt
de la défense du pays réclame.
M.
le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, le gouvernement vous avait fait
une proposition qui levait toutes les difficultés relativement à l'exécution de
la roule de Zammel à Aerschot. Cette proposition n'a pas été admise. Dans cet
état de la question, je ne puis consentir, pour le moment, à la construction de
la route.
Je vous ferai
remarquer que c'est un grand intérêt, l'intérêt de la défense du pays, qui s'y
oppose ; mais je vous ferai remarquer aussi qu'il ne s'y oppose, selon moi, que
momentanément. Je ne renonce pas à l'espoir de voir la chambre adopter soit une
nouvelle proposition dans le genre de celle qui vous a déjà été soumise, soit
toute autre proposition qui pourra résulter d'un nouvel examen auquel je me
vois obligé de me livrer par suite même de la discussion et du vote de la
chambre.
M. de La Coste.
- Messieurs, je voterais contre ce qui reste du projet de loi, si j'y
appliquais rigoureusement les motifs qui ont été donnés pour en écarter une des
dispositions principales. Car, je l'avoue, je ne suis pas plus éclairé au sujet
de la nécessité de démolir les ouvrages existant à Hasselt pour les remplacer
par d'autres ou pour laisser cette place sans défense ; pas plus éclairé au
sujet de la nécessité de terminer les travaux de défense d'Audenarde, que vous
ne l'êtes quant à Aerschot.
Mais, messieurs, je
respecte la décision de la chambre, et elle ne me fera pas voter contre le
projet de loi, parce qu'étant disposé à voter pour le tout, je ne dois pas me
prononcer contre la partie.
Messieurs, je désire
que l'on ne conserve pas l'opinion que quelques membres semblent avoir conçue,
qu'il s'agissait de voter un million et demi pour que l'arrondissement de
Louvain eût deux lieues de pavé. Nous ne sommes pas habitués à des générosités
de cette espèce.
Je pense, messieurs,
et je crois qu'au besoin, M. le ministre de la guerre confirmerait cette
assertion, qu'indépendamment de la route dont il s'agit, le département de la
guerre était persuadé qu'il fallait à Aerschot des ouvrages de défense. Je
pense que la proposition du gouvernement était indépendante de la route dont il
s'agit, et que l'on a simplement cru pouvoir accélérer cette proposition pour
des motifs et par des sentiments dont, pour ma port, je suis bien loin de
blâmer le gouvernement, dont je le remercie et je le félicite.
Mais, messieurs, s'il
est vrai que le point d'Aerschot ait besoin, dans l'intérêt de la défense du
pays, d'être fortifié indépendamment de la construction de la route, alors il
me semble que la conduite la plus naturelle de la part du département de la
guerre serait de lever son opposition. Après cela, messieurs, dans un temps
opportun, on vous ferait une proposition ; on l'appuierait de preuves et de
détails qui ont pu manquer ; et c'est peut-être ce qui a nui au succès de la
loi, aussi bien que le silence de quelques ministres qui étaient en meilleure
position que moi pour faire valoir les motifs que j'ai développés en faveur du
projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je demande la
parole.
M. de La Coste.
- Messieurs, je n'adresse pas cette observation à l'honorable ministre de la
justice. Car en vérité, je ne sais ce que la justice aurait de commun avec des
fortifications. Je l'adresse plutôt aux ministres qui ont une influence tout à
fait politique sur le cabinet. Je pense que quand un projet de loi a été adopté
par le cabinet, les ministres sont solidaires de ce projet et que, s'il
présente un côté politique, c'est surtout aux ministres qui ont la plus grande
influence politique dans le cabinet à en prendre la défense.
Au reste, ceci est
une observation purement incidente. Le motif pour lequel j'ai pris la parole, a
été de faire valoir cette considération que, dans la position où le département
de la guerre s’est trouvé placé, la marche la plus régulière pour lui, la plus
favorable à ses vues, est de lever une interdiction que tous les orateurs de la
chambre, excepté l'honorable M. Pirson, ont combattue. Après cela, en temps
utile, quand la question sera suffisamment mûrie, le gouvernement la
représentera, s'il le juge encore nécessaire, appuyée de tous les documents qui
ont manqué. Alors même la route exécutée sera un motif de plus pour que la
chambre adopte la proposition que lui fera le gouvernement.
M. le ministre de la
justice (M. d’Anethan). - Messieurs, j'avais demandé la parole, parce que j'avais
pensé, d'après quelques paroles prononcées l'année dernière par l'honorable M.
de la Coste que c'était à moi qu'il avait fait allusion, en blâmant le silence
des membres du cabinet.
Messieurs, le projet qui vous a été soumis
avait été délibéré en conseil comme tous les autres projets de loi. Mais il
entrait particulièrement dans les attributions de M. le ministre de la guerre
de le défendre, et il me semble que les détails dans lesquels mon honorable
collègue est entré, les arguments qu'il a fait valoir, n'ont rien laissé à
désirer, qu'il n'était pas nécessaire, pour que la loi fût complétement
défendue, qu'aucun de ses collègues vînt se joindre à lui dans cette
discussion.
M.
le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, mon intention n'est pas de
rentrer dans la discussion du fond. Je désire seulement faire observer à la
chambre que différents intérêts sont ici en présence. Il s'agit d'abord et
avant tout de l'intérêt de la défense du pays ; en second lieu vient l'intérêt
d'une localité ; en troisième lieu se présente un intérêt momentané, qui est
celui du travail à procurer à la classe ouvrière ; enfin il importe de donner
suite à un arrêté royal. Messieurs, ces différents intérêts n'ont pas été
perdus de vue jusqu'ici ; ils continueront à être pris en sérieuse
considération. Je viens de promettre de me livrer à un nouvel examen de la
question. Cet examen sera immédiat, et j'espère qu'il aura pour résultat de me
permettre de soumettre, dans un bref délai, une proposition à la chambre.
M. Manilius. - Il est vraiment
regrettable, messieurs, que nous soyons en quelque sorte obligés de rouvrir la
discussion sur une question à laquelle M. le ministre de la guerre semble ne
plus pouvoir tenir. Je ne pense pas, en effet, qu'il peut songer encore à
défendre le projet d'établir une forteresse à Aerschot ; je crois qu'il ferait
bien d'abandonner ce point à la solution qui résulte du vote émis par la
chambre, dans une précédente séance. Mais on soulève la question de l'exécution
de l'arrêté royal du 21 mai, question qui me semblait définitivement résolue.
M. le ministre de la justice nous dit que l'arrêté subordonne l'exécution de la
route à certaines prescriptions à émaner du département de la guerre ; eh bien,
messieurs, je vais avoir l'honneur de vous les lire quelques lignes qui
constituent l'arrêté en question et vous verrez qu'il ne renferme aucune
réserve en vertu de laquelle on puisse refuser de donner suite à cet arrêté.
Voici, messieurs, ce
que porte l'article premier :
« Art. 1er. Il sera
construit, aux frais de l'Etat, avec le concours des provinces de Brabant et
d'Anvers et des localités intéressées, une route pavée destinée à relier la
ville d'Aerschot à la route provinciale de Heyst-op-den-Berg à Zammel, en
passant par Hersselt, suivant le tracé proposé par l'administration des ponts
et chaussées et les prescriptions qui seront indiquées par le département de la
guerre.
Eh bien, messieurs,
les prescriptions à indiquer par le département de la guerre ont figuré dans
l'enquête et elles consistent tout simplement dans un détour que la route doit
faire à l'approche du fort projeté. Voilà toutes ces prescriptions. C'est une
ligne tracée, qui est parfaitement connue de ceux qui ont obtenu la concession,
et qu'ils suivront.
Il n'y a donc rien là
qui puisse autoriser le département de la guerre à s'opposer aux travaux ; il y
a, au contraire, dans cette stipulation une obligation pour le département de
la guerre, de surveiller l'exécution de la route, de voir si le tracé indiqué
dans l'enquête est exactement suivi.
Je ne comprends donc
pas, messieurs, que M. le ministre de la guerre vienne nous déclarer qu'il ne
lève pas son interdit. Il faudrait d'abord que M. le ministre nous indiquât la
loi qui constitue ce pays sous la servitude militaire ; pour qu'il nous dit : «
Je ne veux pas », il faut qu'il y ait une loi qui l'autorise à ne pas vouloir.
Qu'il nous cite donc celle loi, mais je pense qu'il n'en fera rien par
impossibilité.
Puisque j'ai la
parole, messieurs, je saisirai cette occasion pour renouveler l'expression du
désir que j'ai témoigné dernièrement et pour faire une interpellation directe à
M. le ministre de la guerre et à M. le ministre de la justice. Voyez,
messieurs, ce qui arrive des servitudes militaires que l'on n'a même pas, et
jugez par là des conséquences qui résulteraient de l'extension de ces
servitudes à une grande partie du pays ! L'honorable M. Dubus convie, en
quelque sorte, le gouvernement à présenter un projet relatif aux fortifications,
afin de favoriser la construction de routes dans la Campine.
(page 652) Eh bien moi, je prie M. le
ministre de la guerre et surtout M. le ministre de la justice qui a la direction
de législation dans ses attributions, de vouloir bien peser quelles sont les
dispositions défavorables de la loi de 1791 en ce qui concerne les servitudes
militaires, et défaire en sorte qu'en nous présentant un système général de
fortifications, ils puissent nous présenter en même temps des dispositions
législatives modifiant les servitudes militaire de manière à les mettre en
harmonie avec l'esprit de notre Constitution, avec l'esprit du siècle, avec nos
mœurs, avec les besoins de l'industrie qui ne doit pas être entravée dans les
progrès qu'elle est appelée à faire encore. Il ne faut pas non plus sacrifier
tous les intérêts du pays aux exigences de ceux qui ne semblent songer qu'à une
défense à outrance.
J'espère bien que,
lorsqu'il s'agira d'un système général de fortifications, quelques explications
nous seront données sur la nécessité de cette défense extrême, sur le point de
savoir en quoi nos intérêts sont menacés assez sérieusement pour exiger une
semblable dépense, et toutes les entraves qu'elle porterait à sa suite.
M. Lebeau. - Je n'ai plus que
très peu de choses à dire après les observations que vient de présenter
l'honorable préopinant. Il est évident qu'on ne saurait attribuer à l'arrête
royal concernant la route de Zammel à Aerschot le sens que lui ont
successivement donné MM. les ministres de la justice et de la guerre. Il est
évident que cet arrêté ne fait allusion qu'aux prescriptions à suivre pour le
tracé de la route, et qu'il n'y est nullement question d'une citadelle à
établir à Aerschot. Il est évident qu'en procédant à l'instruction de cette
nouvelle voie de communication, on a fait ce qu'on a fait pour tous les projets
de routes et de canaux ; qu'on a entendu, dans une enquête préalable, tous les
intéressés et, parmi ces intéressés, le département de la guerre ; c'est
lorsque toutes les oppositions ont été faites, lorsque tous les intérêts ont
été entendus, c'est alors seulement que le gouvernement autorise l'exécution de
la route. La restriction introduite à l'arrêté qui concède l'établissement de
la route ne concerne évidemment que le tracé. S'il en était autrement, on
ferait jouer au gouvernement un rôle ridicule, un rôle absurde. Comment !
on subordonnerait l'exécution d'un arrêté royal, non pas à un fait dépendant du ministre de la guerre, ce qui serait déjà fort
étrange, mais à un fait qui dépend du vote des deux chambres ; on
subordonnerait l'exécution d'une route de deux lieues, non seulement au
jugement du département de la guerre, lorsque la signature royale a été apposée
après une enquête dons laquelle ce département a été entendu, mais on la
subordonnerait encore à l'éventualité du vote des deux chambres relativement à
l'établissement d'une citadelle, qui doit coûter un million et demi, alors que
la route pourrait se faite au moyen d'une somme de 100,000 fr. ! Evidemment,
messieurs, entendre de cette manière l'arrêté dont nous avons donné lecture, ce
serait lui donner une interprétation que je ne pense pas qualifier trop
sévèrement en l'appelant ridicule et absurde.
M. le ministre de la
guerre (M. Dupont). - Ne croyez pas, messieurs, que je sois mû par un
sentiment d'obstination irréfléchie dans la solution que je donne à cette
question. Je ne consulte ici, comme je le fais toujours, que mon devoir, mon
impérieux devoir.
D'après les lois
existantes, lorsqu'il s'agit de la construction d'une route, le département de
la guerre est consulté. Le département de la guerre a été également consulté
avant que l'arrêté royal dont il s'agit ait été porté, mais le sens que le
gouvernement a attaché à la réserve qui se trouve dans cet arrêté est tout
différent du sens qu'y a attaché l'honorable M. Manilius. Dans la pensée du
gouvernement, il a toujours été entendu que la question dominante serait celle
de l'intérêt de la défense du pays. C'est cette question que j'ai eue en vue
avant tout, sans cependant perdre de vue les autres intérêts ; mais ceux-là, je
ne puis les considérer que comme secondaires.
M. Dubus (aîné). - Il me semble
aussi, messieurs, que l'arrêté royal dont on nous a donné lecture tout à
l'heure emporte que la route sera exécutée, en suivant, pour le tracé, les
prescriptions du département de la guerre, mais point du tout que l'exécution
de cette route pourra être subordonnée à l’exécution d'un autre ouvrage, d'un
ouvrage considérable, devant coûter un million et demi, à l'érection d'une
forteresse. Il me paraît qu'une semblable condition était trop importante pour
ne pas être insérée positivement dans l'arrêté ; à moins qu'on ne dise que
l'arrêté ait été destiné à tromper tous ceux qui attendaient cette route depuis
si longtemps, comme un moyen de fertilisation de leurs terres.
Si on avait eu
l'intention de tromper ainsi l'espoir de nombreuses populations, je
comprendrais qu'on eût rédigé l'arrêté de cette manière ; mais il n'est pas
possible d'admettre une semblable supposition, et dès lors je pense que
l'arrêté doit être entendu comme je l'ai expliqué tout à l'heure. Je crois donc
qu'on ne peut se dispenser d'exécuter l'arrêté royal dont il s'agit, à moins
qu'on ne le révoque, et cette révocation produirait dans la Campine un
véritable scandale.
Du reste, les
considérations tirées de la défense du pays ne doivent point retarder l'exécution
de la route. S'il est nécessaire d'ériger une forteresse, et j'admets cette
nécessité, je pense que la chambre ne reculera pas devant la dépense, du moment
où la nécessité sera bien établie.
M. le ministre de la
guerre ne peut pas conserver le moindre doute à cet égard ; ce qui a été dit
dans la discussion doit le rassurer pleinement. La chambre voulait seulement
connaître exactement et avec certitude le mentant de la dépense ; cette
connaissance, il lui était impossible de l'obtenir puisque, de l’aveu de M. le
ministre de la guerre, les études ne sont point terminées.
M. le ministre de la
guerre croyait que la dépense totale n'excéderait pas un million et demi, mais
beaucoup de membres ont conservé des doutes à cet égard, puisque les études
n'étant pas achevées, le gouvernement ne pouvait pas leur présenter les devis
de toutes les dépenses. Dans cet état de choses la chambre a voulu ajourner son
vote jusqu'au moment où M. le ministre pourra lui dire que les études sont
entièrement terminées et que la dépense s'élèvera précisément à une telle
somme. On ne peut pas donner un autre sens à la décision de la chambre ; cette
décision n'est véritablement qu'un ajournement, et n'est pas du tout une
déclaration implicite que les fonds nécessaires à l'érection de la forteresse
ne seront pas accordés. Je suis convaincu que lorsque la question de cette
forteresse sera instruite d'une manière complète, la chambre la décidera
conformément aux intérêts de la défense du pays, et dès lors je ne vois pas
pourquoi M. le ministre persisterait à mettre obstacle à l'exécution de la
route d'Aerschot à Zammel. M. le ministre a dit lui-même, dans la discussion,
que déjà plusieurs routes ont été exécutées dans la Campine, dans la
supposition que le système de défense qu'il propose, aurait été adopté.
A-t-on regretté d'avoir laissé exécuter ces
routes ? N'est-il pas prouvé qu'elles ont été extrêmement utiles, que c'eût été
un malheur public d'en différer l'exécution jusqu'au moment où l'on aurait
complété cette ligne défensive du nord ? Or, ce serait également un malheur
public de différer l'exécution de la route que nous réclamons. Je ne puis donc
que conjurer M. le ministre de la guerre de renoncer à toute opposition à
l'exécution de cette route.
M. le ministre de la guerre (M.
Dupont). - Mon opposition n'est pas indéfinie ; ce n'est
qu'un ajournement ; j'ai dit que j'allais me livrer à un nouvel examen de la
question, et que j'en soumettrais le résultat à la chambre dans le plus bref
délai possible.
M. de Mérode. - Messieurs, M. le
ministre de la guerre s'occupe exclusivement de la défense du pays, et je suis
loin de lui en vouloir ; mais cependant, il ne faut pas outrer le zèle de
manière à vouloir défendre le pays malgré lui-même. Car, enfin, la défense du
pays serait encore mieux assurée s'il n'y avait pas de route du tout se
dirigeant vers la capitale dans une zone de plusieurs lieues autour des
frontières. Mais il n'appartient pas exclusivement à M. le ministre de la guerre
d'apprécier ce qui concerne la défense du pays ; c'est une affaire qui concerne
la représentation nationale avec le gouvernement. Il est impossible d'établir
qu'au ministre de la guerre seul appartient le droit de régler ce qui concerne
la viabilité de la Belgique.
Je
suis très disposé, sans doute, à soutenir M. le ministre de la guerre dans ses
bonnes intentions en toute circonstance ; mais, cette fois, je ne puis être
d'accord avec lui. Je demande que, puisque un arrêté royal règle les conditions
de l'exécution de la roule dont il s'agit, on construise cette route suivant
les prescriptions de l'arrêté. Nous serons toujours à même de voir ensuite,
d'accord avec le gouvernement, s'il y a lieu de construire une tête de pont à
Aerschot ; si cette nécessité est prouvée, nous nous y soumettrons : mais si
elle n'est pas prouvée, nous ne nous y soumettrons pas. C'est là notre affaire
; si nous voulons périr, faute de la tête de pont d'Aerschot, nous périrons, et
M. le ministre de la guerre n'en sera pas responsable.
M.
le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, ce n'est pas seulement au point
de vue de la fortification qui doit être élevée à Aerschot que je vais me
livrer à un nouvel examen complet de la question ; je ne perdrai pas de vue les
autres intérêts. On préjuge déjà le résultat de cet examen. Mais ce résultat
vous entraînera-t-il immédiatement à un million et demi de dépenses ? Ce
résultat ne pourra-t-il pas être un acheminement vers cette dépense qui, ainsi
que plusieurs honorables membres l'ont déjà exprimé, ne doit pas être considéré
comme définitivement rejetée par la chambre ?
M. de La Coste.
- Messieurs, la différence d'opinion entre M. le ministre de la guerre et les
membres qui viennent de parler, se réduit à ceci : c'est que M. le ministre de
la guerre semble vouloir subordonner l'exécution de l'arrêté royal à un acte
qui devrait être posé par la chambre. C'est alors qu'on pourrait dire, avec
plus de raison, aux députés qui prennent intérêt à cette exécution : « Vous
n'êtes pas libres ; on vous présente un projet de loi, pour lequel vous devez
nécessairement voter. » C'est une position que nous n'accepterions pas.
J'apprécie
les intentions loyales de M. le ministre de la guerre et l'importance des
devoirs qui pèsent sur lui ; mais je pense que l'arrêté doit s'exécuter avec
les conditions de tracé que M. le ministre de la guerre pourra juger
nécessaires, de concert avec son collègue du département des travaux publics.
Qu'après cela, M. le ministre de la guerre étudie la question, et s'il juge que
quelques ouvrages soient nécessaires, qu’il en fasse l'objet d'une proposition
tout à fait indépendante, proposition qu'on appréciera alors avec plus de
liberté d'esprit, et à laquelle on ne viendra pas opposer les objections qu'on
a adressées, dans la discussion précédente, aux défenseurs du projet.
M. Pirson. - Messieurs, je ne
m'attendais pas, et mon intention n'était plus de prendre la parole aujourd'hui
; mais quelques orateurs, malgré les observations qui ont été présentées lors
du premier vote de la loi, ayant jugé convenable de réclamer encore l'exécution
de la route de Westerloo à Aerschot, je me vois de nouveau, bien à regret, dans
la nécessité d'insister pour que le gouvernement ne cède pas et qu'il s'oppose
à la construction de cette route. Quoi qu'ait pu dire tout à l'heure un
honorable préopinant, les dispositions à prendre pour la défense nationale sont
essentiellement dans les attributions du gouvernement qui est responsable de la
sûreté du pays. J'engage, en conséquence, M. le ministre de la guerre à ne pas
oublier qu'entre Diest et Anvers, notre frontière du nord n'est défendue que
par des inondations que l'on peut tendre, et l'absence de routes
perpendiculaires à cette frontière. La chambre a ajourné à un autre moment
l'examen de la nécessité d'une fortification à Aerschot. Eh bien ! aussi (page 653) longtemps qu'une décision
définitive n'aura pas été prise à cet égard, il serait très imprudent
d'autoriser la construction d'une route pouvant, dans certaines circonstances,
livrer à l'ennemi un passage libre vers les chaussées qui conduisent le plus
directement à la capitale du royaume. Si ces circonstances se présentaient, on
ne pardonnerait pas au gouvernement d'avoir sacrifié le présent et peut-être
l'avenir du pays, d'avoir sacrifié l'intérêt général au bien-être momentané et
passager de quelques localités. La route de Turnhout à Diest peut être
considérée comme à peu près perpendiculaire à la frontière, il est vrai, mais
elle est interceptée par la forteresse de Diest. Aussi longtemps qu'Aerschot ne
sera pas fortifié, on ne pourrait sans danger pour la défense du territoire et
sans danger pour la capitale du royaume, autoriser une autre route perpendiculaire
aboutissant à ce pont.
Je
prie toutefois les honorables collègues que je suis obligé de combattre, de
croire, combien, par l'intérêt que je porte moi-même à la Campine, je suis
peiné d'être forcé de me séparer d'eux en cette occasion. Pour m'y résoudre, il
me faut toute la force que donnent une profonde conviction et l'accomplissement
d'un devoir. Persuadé que la route projetée, sans être commandée par des
ouvrages militaires, pourrait dans certains cas donnés être funeste au pays,
même livrer Bruxelles, je ne puis me dispenser d'engager énergiquement le
gouvernement à ne pas autoriser son exécution.
M. A. Dubus. - Messieurs, je
n'ai qu'une seule observation à faire à l'honorable M. Pirson, c'est qu'il
existe déjà une route qui conduit directement de Turnhout sur la capitale.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, si la
route de Zammel à Aerschot doit livrer Bruxelles à l'ennemi, il faut
reconnaître que Bruxelles est dès maintenant livré à l'ennemi ; car, entre ces
deux points, il y a des bruyères d'un accès très facile et qui n'ont jamais
arrêté une invasion.
L'observation de
l'honorable membre tendrait donc à établir la nécessité de la fortification
dont il s'agit, nécessité qui existerait dès maintenant et dans tous les cas.
Or, s'il en est ainsi, on ne peut douter que la chambre ne vote les fonds
nécessaires, lorsqu'elle aura été suffisamment éclairée sur ce point. Du reste,
j'opposerai à M. le ministre de la guerre ce que lui-même a fait connaître dans
la discussion ; c'est qu'il fallait un délai de cinq années au moins pour
construire la fortification dont il s'agit ; que si la chambre voulait voter le
premier crédit, il consentait de suite à l'exécution de la route ; il n'y a
donc pas, de son aveu, de danger immédiat ; ce n'est que dans un avenir éloigné
qu'on peut apercevoir un danger. Pourquoi donc retarder l'exécution de la route
alors qu'il est certain que, du moment où l'on justifiera complétement devant
la chambre, la nécessité des travaux de défense proposés, la chambre votera les
crédits nécessaires ?
M. le ministre de la guerre (M.
Dupont). - L'honorable M. Dubus dit que la question de la
forteresse devait être résolue dans un terme de cinq années ; que par
conséquent, la chose importante était d'arrêter le principe de la construction
de ce fort. Cela est très exact, mais je dois dire que ce principe n'est pas
arrêté ; qu'il est possible que j'aie une proposition à faire à la chambre, qui
établisse ce principe, sans donner lieu pour le moment à une grande dépense ;
que j'aie à faire à la chambre une proposition qui satisfasse les divers
intérêts. Ainsi, dans les travaux à faire à Aerschot, il y a d'abord des
travaux de barrage et d'élargissement du déversoir à exécuter ; ces travaux
offriraient des avantages incontestables et seraient un acheminement utile vers
un système de défense plus étendu.
- La discussion est
close.
L'article premier,
tel qu'il a été adopté lors du premier vote, est mis aux voix et définitivement
adopté.
« Art. 2. Le
gouvernement est autorisé à aliéner les terrains militaires, désignés dans le
tableau annexé à la présente loi, en se conformant au principe de rétrocession
établi par l'article 23 de la loi du 17 avril 1835, ou en procédant à
l'adjudication publique. »
M. le ministre de la guerre (M.
Dupont). - Messieurs,
le principe de rétrocession se trouve mentionne dans cet article. Or,
relativement à quelques terrains environnant la place de Gand, je dois dire
qu'il y a une espèce d'engagement envers la ville de Gand, c'est de lui donner
la préférence. Je pense donc que rien ne s'oppose dans cet amendement à ce que
la préférence soit donnée à la ville de Gand. Ces terrains lui sont nécessaires
pour étendre ses boulevards.
- L'article 2 est mis
aux voix et adopté.
Vote sur l’ensemble du projet
Il est procédé au
vote, par appel nominal, sur l'ensemble de la loi.
68 membres répondent
à l'appel.
61 membres répondent
oui.
5 membres répondent non.
2 membres se sont
abstenus.
En conséquence, la
chambre adopte le projet de loi ; il sera transmis au sénat.
Les membres qui se
sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.
M. de Breyne. - Je me suis
abstenu parce que je n'ai pas assisté à la discussion.
M. de Villegas.
- Dans le cours de la première discussion, j'avais l'intention de voter le
crédit pétitionné par M. le ministre de la guerre pour le parachèvement de la
place d'Audenarde. Mais il résulte des explications données par M. le ministre,
que pour la confection des travaux il a cru devoir rejeter le plan que le
conseil communal d'Audenarde avait vivement appuyé. II me répugne de
sanctionner par mon vote l'adoption d'un plan qui contrarie les vues et les
intérêts de cette administration communale. D'un autre côté, je n'ai pas voulu
empêcher de donner du travail à la classe nécessiteuse. Voilà pourquoi je me
suis abstenu.
Ont répondu non : MM.
Pirson,
Rodenbach, de Chimay, Desmet et Dumortier.
Ont répondu oui : MM.
Orban, Osy, Rogier, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Thyrion,
Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Verwilghen, Veydt,
Wallaert, Biebuyck, Castiau, Clep, Coppieters, d'Anethan, de Bonne, de
Brouckere, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste,
Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de
Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Roo, de Saegher, Desmaisières, de Terbecq,
d'Huart, Donny, Dubus aîné, Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Duvivier,
Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Kervyn, Lange, Lebeau,
Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Mast de Vries et Liedts.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR 1846
Discussion générale
M. Lebeau. - Messieurs, une
question très délicate a été soutenue hier ; la manière dont elle a été traitée
atteste, de la part de l'honorable député qui l'a élevée, un grand esprit de
recherche. Je n'ai pas besoin de rappeler à la chambre combien, dans les
développements qu'il a donnés à son opinion, il a su conserver de mesure,
comment il a su se conformer rigoureusement à toutes les convenances. J'ai été
quelque peu surpris qu'en réponse à une opinion exprimée avec tant de réserve,
tant de force et tant de modération, l'organe du gouvernement ait opposé une
défense qui n'était pas exempte de quelque dédain et, si j'osais le dire, d'un
peu de suffisance. Il me semble que les développements dans lesquels est entré
l'honorable M. de Bonne, que le caractère qu'il a su conserver constamment à
cette discussion délicate, méritait mieux que la réponse et surtout les formes
de la réponse qui lui a été adressée de la part du gouvernement. (Interruption.)
Cette question n'est
pas si simple, M. de Mérode ; elle n'est pas si claire qu'on semble l'avoir
trouvée au banc ministériel.
M. de Mérode. - Il y en a
beaucoup, de questions qui ne sont pas claires.
M. Lebeau. - Je prie
l'honorable M. de Mérode, au lieu de m'interrompre, ce qui ne fait avancer en
aucune façon les affaires, d'apporter, comme il le fait ordinairement, son
contingent de lumières, car ce n'est pas en interrompant qu'il fera avancer la
discussion. Je n'ai pas la prétention de plaire à tout le monde, mais j'ai le
droit de compter au moins sur le silence de tout le monde. Je demande en grâce
de n'être plus interrompu ; sinon je devrai invoquer l'autorité de M. le
président.
Je dis que cette
question n'est pas si simple qu'on paraît le croire. Elle est si peu simple
qu'elle a déjà retenti devant les tribunaux et que là, à une époque un peu
éloignée, il est vrai, elle a reçu une solution toute contraire à l'opinion
exprimée hier par M. le ministre de la justice. Que feriez-vous, disait hier
l'honorable M. Verhaegen, si, par un abus de pouvoir peu probable mais dont il
nous est permis de poser l'éventualité, si le saint-siège révoquait un évêque ?
Que feriez-vous, dirai-je à mon tour, dans le cas de révocation d'un doyen par
son évêque ? souscririez-vous aveuglément à une telle décision, qui serait
cependant en opposition formelle avec le droit canonique, avec les droits et
garanties que vous reconnaissez vous-mêmes aux évêques et aux doyens ?
Evidemment vous ne pourriez pas répondre dans le sens des observations
d'absolue incompétence que vous exposiez hier à la chambre, en ce qui concerne
les desservants.
Remarquez qu'il peut
s'agir, à propos d'une question de révocation d'évêque, de doyen, de
desservant, d'une pure question de droit civil, d'une pure question d'argent.
Quoi que vous fassiez, vous n'empêcherez pas qu'il n'y ait là quelque chose qui
ressemble à une question qui de prime abord paraît être de la compétence des
tribunaux. Vous plaiderez l'incompétence, dites-vous ? Peut-être serais-je,
dans sa position, de l'avis de M. le ministre de la justice. Soit, vous
plaiderez l'incompétence ; mais si les tribunaux ne partageaient pas votre
opinion, s'ils se déclaraient compétents, si devant les trois degrés de
juridiction la compétence était reconnue, s'il y avait arrêt passé en force de
chose jugée, déclarant que ce n'est pas à Pierre, qui est porté sur les états,
mais à Paul dont le nom n'y figure point, que le traitement doit être payé,
oseriez-vous dire d'avance que vous ne tiendrez aucun compte des décisions de
la justice ? Un ministre de la justice peut-il ériger en système du haut de
cette tribune le mépris des décisions judiciaires ? J'aime à croire qu'on n'ira
pas jusque-là. J'ai déjà dit que ce n'est point là une pure hypothèse et qu'à
une autre époque, sous l'empire d'autres institutions, il est vrai, : une cour
souveraine belge a décidé que, malgré la révocation d'un desservant, ce
desservant avait droit à continuer de percevoir le traitement alloué par le
trésor public et de plus à conserver le logement affecté au titulaire de la
succursale. Voilà ce qui a été décidé, si je ne m'abuse.
Maintenant si mes renseignements
sont exacts, les tribunaux vont être saisis d'une contestation analogue. Je
tiens pour certain qu'un desservant, récemment révoqué par le chef d'un de nos
diocèses, est disposé à porter devant les tribunaux sa réclamation, sous le
double rapport de la continuation de la jouissance du traitement et du
logement.
Vous ferez plaider
l'incompétence ? Il se peut que vous ayez raison ; peut-être qu'à votre place,
comme je le disais tout à l'heure, j'en ferais autant.
Mais je ne m'explique
plus aussi bien comment vous décideriez la question si vous succombiez devant
toutes les juridictions. Cela doit se prévoir, cela s'est vu et peut se voir
encore. Il faut convenir pourtant qu'il y a beaucoup plus de chances, sous
l'empire des institutions actuelles, de faire prévaloir le système
d'incompétence des tribunaux qu'il n'y en avait avant 1830, je le reconnais.
(page 654) Messieurs, croyez-le bien, j'ai assez prouvé, par la
réserve que je me suis toujours imposée dans les questions de cette nature, que
je ne suis pas partisan du scandale ; croyez bien que ce n'est pas ici, pour
moi, une question de parti, quoique je ne répudie nullement la qualité d'homme
de parti ; c'est une question de principe, c'est parce que je la juge ainsi,
parce que je la crois importante, opportune, que je la traite. Pour moi, tout
le clergé, quelle que soit la diversité des juridictions, a droit à mon
respect, à mes sympathies, quand il se renferme dans son saint ministère. Mais
tout le clergé, pour moi, n'est pas dans l'épiscopal ; il y a en Belgique
au-delà de trois mille prêtres qui, pour être prêtres, n'en sont pas moins nos
concitoyens.
Il y a en Belgique
trois à quatre mille de nos concitoyens qui sont, quant à leur indépendance de
position, dans une situation plus mauvaise que le dernier employé civil.
Le dernier employé
civil, révocable à volonté par le gouvernement, a au moins la grande garantie
morale de la publicité. L'arbitraire, que les nécessités de la politique ont dû
laisser dans les mains du gouvernement, à l'égard d'un grand nombre de
fonctionnaires, est tempéré par l'intérêt même du gouvernement, par les
dispositions habituelles (je le reconnais volontiers) du gouvernement ; cet
arbitraire trouvera toujours un frein puissant dans la publicité.
Mais dans le monde
ecclésiastique, dans la hiérarchie ecclésiastique, la garantie de la publicité
n'existe pas à un pareil degré ;ces habitudes de publicité n'y existant pas, il
serait désirable que quelques garanties vinssent relever un peu, et à leurs
propres yeux et aux yeux de ceux qui les entourent, la position des trois à
quatre mille citoyens dont j'ai l'honneur d'entretenir la chambre en ce moment.
Je dirai plus, c'est
que c'est peut-être la seule classe de la population, une des plus
intéressantes assurément et des plus estimables en général, qui n'ait pas gagné
à la révolution en garantie et en liberté.
Tout le monde a gagné
; mais la position des desservants est restée après 1830 ce qu'elle était avant
1830. C'est une sorte d'esclavage, qui n'est tempéré que par la prudence et la
modération des supérieurs.
La position du clergé
belge est plus mauvaise, sous ce rapport, que la position du clergé autrichien,
du clergé espagnol, du clergé irlandais, du clergé polonais, et même du clergé
italien. Du clergé italien ! Tous les desservants des pays que je viens de
nommer sont, par l'effet des lois canoniques, à l'état d'inamovibilité. Je ne
crois pas que ces faits puissent être contestés par personne. Pourquoi en
est-il autrement en Belgique ? Est-ce par l'effet du Concordat ? Non, messieurs
; personne n'osera le dire. J'ai sous les yeux en ce moment le texte de la
convention du 26 messidor an IX ; elle se compose seulement de 17 articles. Il
n'en est pas un seul d'où l'on puisse induire qu'il y aurait novation, quant
aux rapports existant à l'époque où cette convention a été faite, entre le
clergé inférieur et le clergé supérieur.
« Les évêques (dit
l'article 10) nommeront aux cures.
« Leur choix ne
pourra tomber que sur des personnes agréées par le gouvernement. »
Cette dernière
disposition, on le sait, est abrogée par l'article 16 de la Constitution.
L'intervention du gouvernement est écartée. Personne ne songe à la rétablir.
« Art. 14. Le
gouvernement accordera un traitement convenable aux évêques et aux curés dont
les diocèses et les paroisses seront compris dans la circonscription actuelle.»
Voilà, dans les 17
articles dont se compose la convention du 26 messidor an IX, le concordat, tout
ce qui concerne le clergé inférieur.
Par le concordat,
aucune modification n'a été apportée à la législation canonique, encore en
vigueur dans tous les pays qui n'ont pas appartenu à l'empire français.
Sont arrivés ensuite
les articles organiques du 18 germinal an X. Ceux-là sont beaucoup plus
nombreux que les articles du concordat. Les dispositions sont au-delà de cent.
On vous a cité ce qui concerne spécialement les desservants. Je crois inutile
de rentrer dans cette partie de la discussion. Mais je crois pouvoir dire, en
la rappelant, qu'il ne résulte pas d'une manière formelle des dispositions de
la loi organique que l'amovibilité des desservants soit établie. L'honorable M.
de Bonne a plutôt démontré le contraire.
Fût-il écrit dans le
concordat même que les desservants sont amovibles, comme le concordai est
abrogé, au moins partiellement, il n'y aurait pas lieu d'en argumenter dans la
question actuelle.
Pour établir le
principe que le concordat est en partie abrogé par la Constitution, il suffit
de rappeler que, d'après le concordat, les évêques sont nommés par le chef de
l'Etat. En France, ils sont encore nommés par le roi.
Or, cette disposition
est incompatible avec l'article 16 de notre Constitution ; elle est donc
abrogée. Aux termes du concordat, les évêques et les curés devaient prêter
serment dans les mains du premier consul ou du préfet. Cette disposition est
encore évidemment incompatible avec notre Constitution. Il y avait l'appel
comme d'abus, la défense de quitter le diocèse, la défense de publier les
bulles, la défense de se faire appeler monseigneur ; tout ce que pouvaient exiger
les évêques d'après le concordat sous ce rapport, c'était de se faire appeler
monsieur ou citoyen ; enfin il était défendu aux membres du clergé de porter
d'autre costume que l'habit à la française.
Voilà toutes
dispositions qui prouvent que le concordat est, sous beaucoup de rapports, en
opposition avec les termes de notre Constitution.
Je dirai que même en
France plusieurs de ces dispositions sont tombées en désuétude. J'ajouterai que
le concordat conclu entre le roi Guillaume et le souverain pontife, le 18 juin
1827, modifiait sensiblement plusieurs dispositions du concordat de 1801.
Quant aux articles
organiques, on vous a prouvé hier qu'ils étaient loin d'établir clairement
l'amovibilité des desservants. Mais supposons que le texte des articles organiques
soit aussi clair qu'il prête à la controverse, il est évident que nul ne peut
argumenter de ces articles, et la cour de Rome moins que personne, car la cour
de Rome a constamment protesté contre les articles organiques et les a toujours
regardés comme l'abus de la force.
Voici ce qu'on vous
disait hier sur ce point :
« Dans les travaux et
discours de Portalis, l'un des négociateurs du concordat et rédacteur de la loi
organique, on rappelle la lettre du cardinal Gonsalvi à M. Cacault, ministre de
France à Rome, à laquelle celui-ci répondit dans une note verbale :
« Quant aux articles organiques, vous avez prié de la modifier ; on ne les
modifiera pas ; mais votre protestation va partir ; elle est décente, réservée
dans les termes, et avec cela courageuse et déterminée au fond »
Il y a un document
encore plus important, quant à l'opinion qu'avait toujours eue la cour de Rome
sur la valeur des articles organiques, c'est la lettre du cardinal Caprara à M.
de Talleyrand, ministre des affaires étrangères, sous la date du 18 août 1803.
En voici quelques
fragments :
« Ils (les articles
organiques) n'ont point été concertés avec le saint-siège ; ils ont une
extension plus grande que le concordat, et ils établissent en France un code
ecclésiastique sans le concours du saint-siège.
« Ce code a pour
objet la doctrine, les mœurs, la discipline du clergé et les devoirs des
évêques, ceux des ministres inférieurs, leurs relations avec le saint siège et
le mode d'exercice de leur juridiction. Or tout cela tient aux droits
imprescriptibles de l'Eglise.
« Sa Sainteté n'a
donc pu voir qu'avec une extrême douleur qu'en négligeant de suivre ce
principe, la puissance civile ail voulu régler, décider, transformer en loi,
des articles qui intéressent essentiellement les mœurs, la discipline, les
droits, l'instruction et la juridiction ecclésiastique. »
Ainsi, aux yeux de la
cour de Rome, chaque fois qu'il lui a été permis de faire entendre une
courageuse protestation, les articles organiques ont été considérés par elle
comme n'ayant aucune valeur. Cette même opinion, je l'ai soutenue devant cette
chambre lorsqu'il s'est agi de la loi qui met à la charge du trésor public les
traitements des chapelains et des vicaires. J'ai soutenu que les articles
organiques étaient l'abus de la force, que c'était une disposition unilatérale
qui n'avait pas eu le pouvoir de modifier une convention synallagmatique,
c'est-à-dire le concordat. J'ai soutenu cette opinion avec l'adhésion,
hautement manifestée, de la plupart des membres qui siègent à droite. Je ne
leur ferai pas l'injure de supposer que mon opinion leur a paru d'autant plus
claire que la conséquence était une allocation annuelle de 4 ou 500,000 francs
de plus en faveur du clergé.
Du reste, ce que j'ai
fait alors, je le ferais encore aujourd'hui. Je saisirai toujours avec
empressement, chaque fois que notre situation financière le permettra et que
des besoins véritables seront constatés, l'occasion d'améliorer la position du
clergé.
Ainsi partout
ailleurs que dans les pays qui ont fait partie de l'empire français, dans les
pays où les articles organiques n'ont pas été promulgués, il n'y a pas eu de
dérogation aux lois canoniques. L'inamovibilité de tous les prêtres à charge
d'âmes est restée la règle.
Aujourd'hui l'on
argumente, pour établir le principe contraire, l'amovibilité, non pas du
concordat même, mais d'une disposition contre laquelle l’Eglise a constamment
protesté, disposition évidemment nulle,
puisqu'elle excédait les pouvoirs de celui qui avait signé la convention
bilatérale du 26 messidor an IX.
Cette argumentation,
en principe, n'est pas soutenable.
La preuve que la
question paraît au moins douteuse à tout le monde, c'est qu'on en a référé à la
cour de Rome, c'est que l'épiscopat lui-même a cru devoir la soumettre à la
décision de l'autorité souveraine. Je reconnais que la réponse est dans le sens
de la consultation, bien que l'on puisse équivoquer sur les termes. J'entends
que l'on va dire que dès lors tout est fini, que c'est le dernier mot de la
question, que nous sommes désormais incompétents pour y voir. Je le veux bien ;
mais empêcherez-vous un pouvoir, devant lequel on prendra son recours,
d'examiner à son tour la question ?
Il y a des
considérations d'une autre nature qui se rattachent à cette grave question et
que je crois dignes au plus haut point de l'attention de la chambre et surtout
de celle du gouvernement.
Le chef d'un de nos
diocèses a porté, par une encyclique, à la connaissance de ses subordonnés, la
décision du souverain pontife. Si mes renseignements sont exacts, il leur a été
demandé, en outre, d'adhérer par écrit à la doctrine renfermée dans
l'encyclique ; et si mes renseignements sont encore fondés sur un autre point,
il y a eu des refus d'adhésion.
Tout ce que je puis
dire, c'est qu'il y a eu dans le diocèse où ce document a reçu sa première
publicité, un assez grand émoi dans les rangs du clergé inférieur. Je ne crains
pas de dire qu'il a été à ce point que le mot de schisme a été prononcé. (Réclamations.)
Faut-il s'étonner
qu'un pareil mot ait erré sur quelques lèvres ? Dans des temps où la foi était
le plus vive, l'Eglise n'a-t-elle pas été troublée par des divisions de cette
nature ? Croit-on un schisme impossible aujourd'hui ? Si on le proclamait
impossible, ne serait-ce pas en quelque sorte déclarer que l'indifférence
religieuse est devenue trop générale pour voir se reproduire un tel phénomène ?
Réfléchissez-y donc bien ; qu'on y réfléchisse surtout après ce qui vient de se
passer en Allemagne, dans une partie très importante, très respectable de la catholicité.
Je ne veux pas ici
prendre une couleur dont vous pourriez plus ou moins suspecter la sincérité. Je
ne veux pas dire que je porte à la considération du clergé plus d'intérêt que
mes honorables collègues qui siègent à droite. (page 655) Je n'ai pas l'habitude d'employer de pareils moyens ;
mais ce dont nous pouvons nous préoccuper, quelles que soient nos opinions,
quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, c'est de tout ce qui
peut porter atteinte à la paix publique, de tout ce qui peut devenir la cause
de quelque trouble dans le pays. Il est bien rare que des dissensions
religieuses qui éclatent dans le sein d'une Eglise, ne finissent pas par
retentir dans le monde civil. Voilà sous quels rapports nous pouvons, nous
législateurs, nous hommes politiques, nous préoccuper parfois de ce qui se
passe dans la société ecclésiastique.
On me demande quelles
sont mes conclusions ? Une intervention officielle, ; je ne l'admets pas, je me hâte de le déclarer, M. le ministre de
la justice peut en prendre acte ; je suis sur ce point de son avis.
Mais est-ce à dire,
parce qu'une intervention officielle semble impossible, c'est-à-dire, dans mon
opinion, incompatible avec les termes et avec l'esprit de la Constitution,
est-ce à dire pour cela qu'un gouvernement doive se croiser les bras et que des
chambres législatives doivent fermer les yeux devant les difficultés qui
pourraient se présenter ? Qu'ils doivent fermer l'oreille à des réclamations
qui ne se produisent que timidement, mais qui cependant se sont fait assez jour
pour être parvenues à quelques-uns d'entre nous ? Non. Personne n'est plus
partisan que moi de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. C'est, à mon avis,
une des plus grandes, une des plus belles conquêtes de la philosophie moderne.
J'ai poussé, au congrès, l'observation de ce principe jusqu'à des conséquences
où beaucoup de mes amis politiques ne m'ont pas suivi ; car j'ai été jusqu'à
soutenir alors que la disposition d'après laquelle le mariage civil doit
précéder toujours le mariage religieux, était incompatible avec le principe de
la séparation absolue de l'Eglise et de l'Etat. Je dois reconnaître qu'en cette
circonstance le clergé a peut-être été au-delà de ses principes, et qu'en tout
cas, il a fait preuve d'un grand esprit de concorde et de modération, en
souscrivant à la transaction admise à cet égard par la Constitution.
Mais, messieurs, la
séparation n'est pas l'indifférence. Certes, les deux grandes sociétés, la
société spirituelle, la société temporelle, doivent éviter les empiétements
respectifs qui conduiraient à de grands malheurs. Mais permettez-moi de vous
dire que nous devons désirer tous, quelles que soient les opinions que nous
professions, une entente cordiale (c'est l'expression du jour) entre le monde
religieux et le monde civil.
C'est donc d'une
intervention officieuse qu'il pourrait s'agir seulement ici. Eh ! messieurs, si
nous n'avions que des rapports publics de pouvoir civil à autorité
ecclésiastique, je demanderais pourquoi nous entretenons un ministre à Rome ? Je
demanderais pourquoi il y a un nonce à Bruxelles ? C'est évidemment pour
parvenir aux moyens qu'on a reconnus les plus efficaces de maintenir, entre les
deux pouvoirs, l'harmonie, les bons procédés, l'esprit de concession.
Vous en avez eu,
messieurs, récemment un exemple. Je le rappelle, non pour blesser d'honorables
collègues qui ont agi dans toute la sincérité de leurs convictions, avec le
courage toujours honorable de son opinion, mais pour rendre hommage à la
sagesse de la cour de Rome, lorsqu'elle a, par suite de l'effet de
l'intervention officieuse du gouvernement, déclaré qu'une proposition qui avait
vivement agité le pays, devait disparaître du programme de nos débats.
Voilà, messieurs, où l'intervention
officieuse peut être utile, et dans cette question que je ne rappelle pas, je
le répète, pour aigrir nos débats, dans cette question mon opinion avait
l'avantage, si je suis bien informé, d'être d'accord avec celle d'un homme très
sincèrement catholique, et en même temps d'un caractère des plus honorables, un
des hommes qui, malgré nos dissidences d'opinion, a conservé toute mon estime,
je veux parler de notre ancien ministre à Rome.
Messieurs, il n'y a
pas de question qui préoccupe plus les bons esprits du clergé, les bons esprits
de l'épiscopat lui-même, que celle que nous traitons aujourd'hui. Je pourrais
fournir des preuves diverses attestant que cette question est une des premières
qui occupent l'épiscopat français. Je me bornerai à une seule autorité sur ce
point, c'est celle du respectable évêque du diocèse de Digne.
L'évêque de Digne a
publié récemment, sous le titre d'institutions diocésaine, un recueil de
statuts et de documents précédés de réflexions qui ont fixé en France
l'attention publique, et qui, je dois le dire, ont été accueillis par toutes
les opinions avec respect, avec sympathie.
Voici, messieurs, ce
qu'il dit sur la question qui est spécialement agitée en ce moment ; et
remarquez bien que c'était peu de temps après la conclusion du différend qui
avait existé entre deux prètres français et le chef d'un autre diocèse, je veux
parler des frères Allignol.
« Comme nous le
faisons remarquer dans la lettre pastorale qui sert de proœmium à nos Statuts,
il était sans doute très sage et très nécessaire au début de l'organisation du
culte en France, après une révolution qui ne laissait que des débris, de
concentrer tout l'exercice du pouvoir ecclésiastique entre les mains de
l'évêque et de ne soumettre cet exercice à aucune forme déterminée qui eût pu
en gêner l'action. Mais il est évident aujourd'hui que cette situation est
pleine de périls, et tout le monde fait effort pour en sortir. Il n'est aucun
de nos vénérables collègues qui ne soupire aussi ardemment que nous après le
jour où il sera permis aux évêques de s'assembler en concile, afin d'échanger
pour ainsi dire leur volonté propre contre la volonté de ces saintes
assemblées. On en voit plusieurs s'environner d'institutions empruntées à
l'ancienne discipline, et qui ont pour but de diminuer autant que possible leur
terrible responsabilité, et en même temps de répondre à cette injuste
accusation d'arbitraire avec laquelle les ennemis du pouvoir épiscopal
cherchent à le discréditer et à le ruiner. Dans la plupart des diocèses, des documents
officiels font foi que l’évêque a constitué un conseil administratif sans
l'avis duquel il n'entreprend rien de grave. On en a vu quelques-uns encore,
tout récemment, créer ou compléter des officialités, assembler des synodes.
« Ces faits n'ont pas
besoin de commentaires. Ils prouvent très bien que les évêques comprennent les
difficultés de la situation présente et qu'ils s'efforcent, autant qu'ils
peuvent, de la modifier peu à peu. Ils comprennent que moins un pouvoir est
limité, plus il s'use vite ; ils comprennent surtout la vraie nature du
gouvernement ecclésiastique, non seulement toujours paternel, mais
essentiellement tempéré. Ils savent que si, dans certaines circonstances, il a
été plus utile à l'Eglise que les évêques exerçassent toute leur autorité par
eux-mêmes et d'une manière absolue, les temps actuels sont bien peu favorables
à un semblable exercice de la puissance épiscopale. La société religieuse et la
société civile, quoique fondées sur des principes différents, ne pourraient
pourtant pas demeurer en un tel désaccord que, lorsque l'une offrirait partout
des libertés et des garanties, l'autre semblât les redouter et les exclure.
« L'absence de formes
tutélaires, déterminées d'avance, dans le gouvernement ecclésiastique, serait
d'autant plus choquante qu'on ne manquerait pas de remarquer avec vérité que
c'est à l'esprit chrétien en général et aux formes du gouvernement
ecclésiastique en particulier, que les sociétés modernes sont principalement
redevables de ce qu'il y a de plus libéral dans leur constitution et de plus
humain dans leurs lois. La procédure criminelle, par exemple, n'est-elle pas
fondée en grande partie sur la procédure canonique ? Il ne s'agit donc pas
maintenant d'emprunter à la société civile des formes qui répugnent à la nature
de la société ecclésiastique. Il s'agit, au contraire de rétablir certaines
règles qui sont autochtones dans l'Eglise, si je puis parler ainsi, que les
Canons avaient déterminées, et qui émanent toutes de ces principes chrétiens
qui ont modifié les principes de la société soit romaine soit barbare, et
produit l'état actuel de nos mœurs publiques.
« Les règles sont la
garantie des supérieurs autant que de ceux qui leur sont soumis. L'autorité
trouve dans leur observation la meilleure défense. Il est facile de dénaturer
les intentions, mais il ne l'est pas de dénaturer les faits et surtout les
faits publics.
« Il faut donc en
revenir, dans l'intérêt de tous, à des règles canoniques et à des formes
déterminées d'avance. L'esprit de l'Eglise y pousse aujourd'hui comme il y a
poussé autrefois ; c'est un besoin senti par tout le monde, et par les évêques
les premiers, ainsi que nous le disions tout à l'heure ; car portant le poids
de tous leurs actes, ils s'effrayent à bon droit de la terrible responsabilité
qu'il leur faut assumer, et ils accueillent avec faveur tout ce qui est de
nature à la diminuer.
« Nous nous
associons pleinement à ces tendances. Nous les séparons avec soin de tous les
mouvements désordonnés qui émanent d'un principe de révolte et qui viennent
récemment d'affliger le corps ecclésiastique. Il y a de justes concessions qui
peuvent prévenir des révolutions imminentes. Nous voudrions, s'il est possible,
et nous croyons inutile de le dissimuler, enlever, pour ce qui nous touche, non
seulement tout motif, mais même tout prétexte à cet esprit d'insubordination
qui commençait à gagner dans l'Eglise et qui, s'il n'était réprimé, amènerait
peut-être de graves désordres dans un avenir prochain.
« C'est surtout ce
sentiment qui nous a dicté nos nouveaux Statuts capitulaires et le règlement de
l'officialité diocésaine qui les suit. »
Ces paroles,
messieurs, sont très-belles, et, je me hâte de le dire, elles n'ont pas été
stériles, les faits y ont complétement correspondu dans la juridiction du respectable
prélat dont je viens de lire les réflexions. Voici ce qui est dit dans la
disposition première du règlement instituant une officialité diocésaine à
Digne.
« Officialité
diocésaine de Digne
« Règlement.
« Art. 1er.
Notre sollicitude pastorale nous détermine, dans l'intérêt de la religion et
pour mieux assurer le maintien de la discipline ecclésiastique, à séparer,
suivant l'exemple de nos prédécesseurs, l'exercice de notre juridiction
contentieuse de celui de notre juridiction volontaire.
« Art. 2. Nous
déléguons en conséquence notre juridiction contentieuse à un official, pour
qu'il l'exerce en notre nom et sous notre surveillance avec les prêtres de
notre choix que nous lui auront adjoints, conformément aux règles que nous
allons établir.
« Art. 3. L'official
et les prêtres qui lui sont adjoints pour l'exercice de notre juridiction
contentieuse constituent notre officialité diocésaine.
« Art. 4. Cette
officialité est la fois un conseil de discipline pour le maintien de la police
ecclésiastique, et un tribunal pour le jugement des causes spirituelles qui lui
seront déférées.
« Art. 5. Soit
comme conseil de discipline, soit comme tribunal, notre officialité ne peut
prononcer que des peines disciplinaires et canoniques.
« Art. 6.
Quoique les pouvoirs des membres de notre officialité soient révocables de
droit, nous voulons cependant assurer autant qu'il est en nous, leur
indépendance et l'équité de leurs jugements, et c'est pourquoi nous déclarons
qu'outre les garanties qui seront données par les formalités de la procédure,
telles que nous les traçons plus bas, nous choisirons au moins la moitié des
membres de notre officialité parmi les ecclésiastiques munis déjà d'un titre
inamovible.
« Art. 7. Notre
officialité se compose :
« 1° D'un
président qui a seul le titre d'official et qui en exerce toutes les fonctions
;
(page 956) 2° D'un vice-président qui est vice-official ;
3° De quatre juges
assesseurs.
« Nous pourrons
nommer, s'il en est besoin, des suppléants-assesseurs »
Je passe les dispositions
dérivant des principes qui viennent d'être posés, et j'arrive à la procédure.
J'en extrais quelques dispositions qui suffiront pour nous en faire connaître
le caractère véritablement libéral.
« Art. 52. Deux
copies du procès-verbal d'enquête sont faites par le greffier. L'une nous est
adressée, l'autre est adressée à l'inculpé par la voie administrative.
« Art. 53. Un délai
de huit jours lui est accordé pour donner de nouvelles explications et faire,
s'il y a lieu, une contre-enquête.
« Art. 54. L'inculpé
doit, dans ce délai, fournir au promoteur tous les renseignements qu'il croit
utiles à sa cause.
« Art. 55. Le
promoteur les examine, nous fait un rapport de toute l'affaire, et décide s'il
y a lieu à accusation devant l'officialité.
« Art. 56. Les
débats ne peuvent commencer que huit jours après que l'accusé a reçu
l'assignation, sauf le cas où il demanderait lui-même un plus bref délai.
« Art. 56. Nul ne
peut être jugé sans au préalable avoir été entendu, ou du moins canoniquement
appelé pour se défendre ; et chacun a le droit de plaider et de faire
verbalement ou par écrit les observations nécessaires à sa cause, soit par
lui-même, soit par un défenseur de son choix, qui sera ecclésiastique.
« Le président pourra
néanmoins autoriser, suivant les circonstances, l'accusé à se faire défendre
par un laïque.
« Art. 67. Les débats
sont publics.
« Nous entendons par
la publicité des débats l'admission des ecclésiastiques à l'audience.
« Pour ce qui regarde
l'admission des laïques, la permission de l'official sera requise.
« Art. 69. L'accusé
peut, dans la première audience, demander un délai pour la préparation de sa
défense. Ce délai est accordé et fixé par l'official.
« Art. 71. Après la
lecture de l'acte d'accusation, s'il n'y a pas de renvoi, on entend les
témoins, lorsqu'il y en a d’assignés soit par le promoteur soit par l'accusé.
« Art. 72. L'acte
d'accusation lu, et les témoins entendus, s'il y a lieu, le promoteur donne ses
conclusions qu'il peut accompagner de tous les développements jugés par lui
utiles.
« 3rt. 75. On
entend ensuite la défense de l'accusé.»
Voici maintenant,
messieurs, des dispositions qui feraient honneur au code d'instruction
criminelle de la nation la plus avancée :
« Art. 77. La
culpabilité de l'accusé pour un fait entraînant une peine, ne pourra être
déclarée qu'à l'unanimité des suffrages.
« La peine sera
appliquée par l'official, selon les règles prescrites au titre des délits et
des peines, après avoir pris l'avis des juges assesseurs.
« Art. 80. Les votes
sur la question de culpabilité sont recueillis par l'official. Ils sont le
résultat de la conviction consciencieuse du juge, de quelque manière que cette
conviction se soit formée.
« Art. 85. Les motifs
du jugement précèdent la sentence chaque fois que les débats ont été publics.
« Quand les débats
auront eu lieu à huis clos, il ne sera fait qu'une énonciation prudente et
générale des griefs constatés.
« Art. 87. Dans
le cas de condamnation, le jugement doit toujours exprimer la faculté d'appel.
« Art. 89. L'appel, lorsqu'il
sera interjeté, devra l'être dans les trois mois qui suivront la signification
du jugement. Cet appel sera signifié au promoteur.
« Art. 91. L'appel a
lieu de l'évêque au métropolitain, et du métropolitain au pape.
« Art. 95.
L'appel est de sa nature suspensif. »
Je crois avoir fait
remarquer que la culpabilité ne peut être déclarée qu'à l'unanimité des
suffrages.
Voilà, messieurs, des
dispositions qui restreignent singulièrement l'arbitraire, dont le respectable
évêque de Digne se montra si effrayé.
Il y a ensuite un
titre intitulé ; « des délits et des peines », où tout est défini de
la manière la plus claire. Je n'en lirai qu'une seule disposition pour ne pas
abuser des moments de la chambre :
« Art. 122. Les
peines portées par l'officialité sont :
« 1° L'avertissement
;
« 2° La réprimande ;
« 3° L'envoi pour un
temps dans une maison de retraite ;
« 4° La suspense
temporaire des fonctions ;
« 5° L'interdit
temporaire à sacris ;
« 6° La suspense
perpétuelle ;
« 7° L'interdit
perpétuel ;
« 8° Enfin
l'excommunication.»
Je prie la chambre de
remarquer avec quelle libéralité l'échelle de ces peines est graduée, quel
esprit de modération et de charité a généralement présidé à la rédaction de ces
dispositions.
Eh bien, messieurs,
je le demande, serait-ce blesser la cour de Rome, si notre gouvernement, dans
ses rapports officieux avec elle, l'engageait à porter sa bienveillance et son
attention paternelle sur le sort tout exceptionnel des desservants de la
Belgique ? Serait-ce se montrer bien exigeant que de demander que l'autorité à
laquelle ils ressortissent les place dans les conditions où se trouvent les
curés autrichiens, espagnols, irlandais, polonais, italiens ? Certes,
messieurs, la cour de Rome ne peut avoir deux poids et deux mesures ; le souverain
pontife est le père commun de tous les pasteurs placés sous sa surveillance et
sous ses ordres.
Je n'en dirai pas
davantage sur ce point. Je répète qu'aucun sentiment autre que ma sollicitude
pour une portion nombreuse et respectable du clergé belge, ne m'a porté à
appuyer de quelques considérations les observations faites avec tant de
convenance et de réserve par mon honorable collègue M. de Bonne. Dans toutes
les circonstances où il s'est agi de montrer de la bienveillance pour notre
clergé, je me suis constamment prononcé en sa faveur. Si
les finances du pays le permettaient, et s'il s'agissait de rétribuer des
places dont l'utilité fût incontestable, je serais encore prêt à améliorer la
situation du clergé inférieur. Je voudrais, par exemple, qu'au moyen d'une
amélioration apportée à sa position, il fût possible d'obtenir de l'autorité
compétente l'abrogation du casuel qui, surtout dans les classes les moins
aisées de la population, ne laisse pas de porter quelque atteinte à la
considération du clergé. Cette suppression, dans tous les cas, l'élèverait
ainsi aux yeux du public en même temps qu'à ses propres yeux. Tout ce qui sera
raisonnablement possible pour améliorer la position morale et matérielle du
clergé, je le ferai, parce que je suis convaincu que l'exercice du sacerdoce
dans toutes les localités, mais surtout dans celles où les populations sont le
plus exposées aux tentations de la misère est éminemment utile ; que l'autorité
de nos pasteurs peut s'exercer avec le plus grand avantage pour la paix
publique elle-même. Je répète aujourd'hui ce que j'ai dit dans une autre
circonstance : un bon curé, aimé, estimé de ceux qui l'entourent, ayant la
confiance de tous, vaut mieux pour concourir au maintien de l'ordre public, que
cent gendarmes.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - L'honorable M. Lebeau a fait un éloge mérité de la
convenance observée hier par l'honorable M. de Bonne, dans le discours qu'il a prononcé
; mais je suis fâché que cet éloge ait empêché l'honorable M. Lebeau d'être
juste à mon égard, lorsqu'il a dit que j'avais mis dans ma réponse de la
suffisance et du dédain...
M. Lebeau. - Je retire ces
expressions ; je reconnais qu'elles sont peu parlementaires.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Je remercie l'honorable M. Lebeau de retirer ces
expressions ; j'en aurais appelé à la chambre. Je lui aurais demandé si j'avais
mérité un semblable reproche. La chambre sait qu'en toute circonstance, je me
tiens dans les limites des plus strictes convenances ; je désire les observer
envers tous les membres de cette assemblée, comme je désire aussi qu'on les
observe envers moi.
L'honorable M.
Lebeau, dans le discours remarquable que vous venez d'entendre, a dit,
messieurs, que d'après lui le ministre de la justice a fait, dans cette
circonstance, ce qu’il devait faire ; « je pense, a-t-il dit, que si j'étais à
sa place, que si j'étais, comme lui, attrait devant les tribunaux pour être
condamné à payer le traitement d'un desservant révoqué, je soutiendrais
également l'incompétence du pouvoir judiciaire. » Dès lors, messieurs, ma
conduite est entièrement justifiée aux yeux même de l'honorable membre ; dès
lors j'ai bien fait de soutenir, contrairement à ce qu'a dit l'honorable M. de
Bonne, que je devais refuser le traitement du desservant révoqué, que je devais
le refuser dès l'instant où la révocation était notifiée régulièrement au
gouvernement et à l'individu qui en était frappé. L'honorable M. Lebeau s'est
principalement préoccupé des difficultés qui peuvent se présenter ; il a
demandé au gouvernement de quelle manière il agirait si un curé inamovible
était révoqué par l'évêque, de quelle manière il agirait si, d'une manière
illégale, contrairement au droit canonique, un évêque était renvoyé par le
pape. Messieurs, je ne pense pas que nous devions, en ce moment, nous occuper
d'éventualités aussi peu probables. L'honorable membre lui-même reconnaît que
la solution de ces questions, dans l'état actuel de noire législation, est très
difficile ; dès lors je demande pourquoi nous les aborderions, sans aucune
utilité actuelle.
Je pourrais demander,
à mon tour, à l'honorable membre ce qu'il ferait en pareille circonstance. La
séparation des pouvoirs, qu'il a rappelée lui-même, interdit évidemment toute
action au gouvernement, pour faire tomber une révocation, quelque injuste et
illégale qu'on puisse la supposer.
Tout en disant que le
gouvernement avait raison de faire plaider l'incompétence devant les tribunaux,
l'honorable membre a dit : « Cette demande du desservant se résume cependant
dans une question d'argent, et si les tribunaux maintenaient le desservant dans
la possession du presbytère, si le gouvernement était condamné à payer le
traitement, que ferait le ministre de la justice ? Le ministre de la justice
irait-il proclamer qu'il ne faut pas respecter les arrêts de la justice, et que
la chose jugée ne recevra aucune exécution ? »
Je répéterai ce que
je disais tout à l'heure, que ferait l'honorable membre, s'il était au pouvoirs
dans le cas où le gouvernement, après avoir destitué un fonctionnaire, serait
condamné par les tribunaux à payer le traitement de ce fonctionnaire.
L'honorable membre croirait-il violer la chose jugée, en ne demandant pas des
fonds au budget pour le payement de ce traitement ? Les deux cas ne sont-ils
pas identiques, et permettra-t-on aux tribunaux de juger les motifs de la
démission d'un desservant, si on leur refuse le droit d'apprécier les motifs de
la révocation d'un fonctionnaire public ?
L'honorable M. Lebeau
nous a fait connaître que les tribunaux avaient déjà décidé qu'ils étaient
compétents pour condamner le gouvernement, dans certaines circonstances, à
payer le traitement d'un desservant révoqué.
J'ignore à quels
arrêts l'honorable membre a fait allusion ; mais je pense avoir compris que
l'affaire dont il a parlé remontait à une époque antérieure à 1830...
(page 657) M. Fleussu. - L'arrêt a été rendu depuis la
révolution ; c'est l'affaire du curé Firet, à Liège.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - J'ignore les détails de cette cause ; il faudrait
voir si ce desservant ne demandait pas le paiement des termes de son
traitement, échus avant la révocation. Car je ne concevrais pas comment il
serait possible, en présence de l'article 16 de la Constitution, qu'un tribunal
se crût compétent, pour examiner les raisons canoniques qui ont déterminé un
évêque à destituer un desservant.
L'honorable membre a
témoigné des sentiments de vive sympathie que je partage entièrement, pour le
clergé inférieur, sans plaindre ses membres, comme l'a fait l'honorable préopinant. L'honorable M. Lebeau soutient que la
position des 4,000 prêtres du clergé inférieur est moins favorable que celle
des employés de l'Etat. « Ces employés, a-t-il dit, peuvent être révoqués, il
est vrai, mais la publicité est pour ces employés une garantie suffisante, que
le gouvernement n'abusera pas du droit de révocation. » Eh bien, je pense
que nous devons avoir assez de confiance dans l'épiscopat belge, pour être
convaincus que les membres du clergé supérieur n'abuseront pas non plus du pouvoir
qui leur est accordé. Pour établir les raisons de cette confiance, il suffit de
rappeler le peu de difficultés qui ont existé depuis 1830 entre l'épiscopat et
le clergé inférieur ; en effet, depuis cette époque, il n'est survenu que deux
affaires, l'une dans le Hainaut, l'autre dans le diocèse de Liège, et ces
affaires n'ont, d'ailleurs, présenté aucune difficulté, aucune contestation
sérieuse.
La position du clergé
inférieur est changée depuis 1801, a dit M. Lebeau ; avant le concordat, tous
les curés quelconques étaient inamovibles ; je dis tous les curés quelconques,
parce qu'avant 1801, il n'existait pas de desservants.
Messieurs, il y a
plusieurs observations à faire, relativement à la nécessité dans laquelle on
s'est trouvé en 1801, de modifier ce qui existait antérieurement. Les évêques
avaient à cette époque un pouvoir autrement grand que celui qu'ils ont
maintenant ; ils avaient à leur disposition un foule de moyens disciplinaires
dont ils ne peuvent plus user aujourd'hui. Or, du moment où l'on privait les
évêques de l'emploi de ces moyens, on ne pouvait, d'un autre côté, laisser les
ecclésiastiques inférieurs dans une position d'indépendance absolue, position
dont ils auraient pu abuser. Ainsi, la dépendance plus grande dans laquelle se
trouve le clergé inférieur depuis 1801 a été la conséquence de la diminution de
pouvoir qu'on a fait subir aux évêques, à la même époque.
La nomination des
curés et des desservants, l'inamovibilité des uns, la révocabilité des autres
sont des matières qui rentrent dans le droit canonique, dans la discipline
ecclésiastique, et dont nous n'avons pas à nous occuper officiellement.
Je n'ai pas invoqué
les articles organiques comme décidant la question. Je ne reconnais pourtant,
pas avec l'honorable M. Lebeau, que ces articles n'ont plus aucune valeur :
certaines dispositions de ces articles sont encore en vigueur et appliquées
tous les jours. Mais si des dispositions des articles organiques sont en
opposition avec le concordat ou avec la Constitution, il est évident qu'elles n'ont
plus aucune force.
Du reste, pour
décider la question dont nous nous occupons, je n'ai pas besoin de recourir aux
articles organiques, il me suffit de savoir quelles sont les règles canoniques
admises et appliquées ; il me suffit de voir l'opinion du saint-père, exprimée
dans la lettre adressée par lui à l'évêque de Liège. Je ne conçois pas qu'en
présence d'une semblable décision, le moindre doute puisse exister.
Sera-ce parce que
quelques desservants ou vicaires du diocèse de Liège auront refusé d'adhérer à
l'encyclique de l'évêque, qu'on pourra déclarer qu'il y a doute sur la valeur
de la lettre du saint-père ? Il ne dépend pas de quelques ecclésiastiques de
dire : « Nous n'acceptons pas la position qu'on nous fait, quoiqu'elle soit la
nôtre depuis 1800 ; il est plus agréable pour nous d'être inamovibles, et nous
refusons d'adhérer à l'encyclique de l'évêque. »
Avant ce débat,
j'ignorais qu'il y eût eu une encyclique de l'évêque et une demande d'adhésion
; du reste, je regarde cette demande comme parfaitement inutile ; les
desservants reçoivent un mandat temporaire, ils acceptent cette condition, en
acceptant la nomination.
L'honorable M. Lebeau
a fait valoir des considérations d'un ordre élevé, dans le but d'engager le
gouvernement à user de son influence, pour que la paix soit maintenue dans
l'Eglise. Mais les faits répondent au désir de l'honorable préopinant : en
présence de l'accord constant qui a régné depuis 1831 entre l'épiscopat et le
clergé inférieur, peut-on raisonnablement craindre que quelque conflit ne
s'élève et ne vienne troubler l'harmonie ? Quoi ! parce que dans un
diocèse, un prêtre, frappé de révocation, aura adressé ses doléances aux
journaux, au saint-père, à son évêque, au ministre, dira-t-on que la paix est
menacée dans l'Eglise ! Dira-t-on qu'un pareil état de choses est intolérable
et qu'il faut au plus tôt y porter remède ! Je pense que la situation actuelle
est très satisfaisante, et que, dans tous les cas, le gouvernement ne pourrait
rien faire officiellement pour l'améliorer, ainsi que l'a reconnu lui-même
l'honorable M. Lebeau.
Messieurs,
en terminant, l'honorable membre vous a cité un passage d'un ouvrage qui a été
publié par un respectable prélat français. Les paroles de M. l'évêque de Digne,
paroles dictées par un sentiment que tout le monde doit respecter, ne seront
certes pas répudiées par les membres de l'épiscopat belge.
Nous pouvons avoir
pleine confiance dans les évêques de notre pays, et on leur rendra sans doute
la justice de reconnaître qu'ils ne le cèdent ni en vertus ni en talent au
prélat dont l'honorable M. Lebeau a fait l'éloge. Nous pouvons également avoir
pleine confiance dans la sagesse de la cour de Rome, sagesse que l'honorable M.
Lebeau a proclamée avec tant de raison. La cour de Rome est informée de ce qui
se passe chez nous et par les évêques et par les relations diplomatiques que
nous avons avec le saint-siège.
La cour de Rome sait
quels sont les besoins de la religion, quels sont les devoirs et les droits du
clergé ; et je pense que nous pouvons en toute sécurité nous en rapporter à
elle du soin de tous ces intérêts.
M. de Haerne. - Messieurs, je
tâcherai aussi de ne rien apporter d'irritant dans ce débat, et si quelques
paroles m'échappaient qui pussent déplaire à quelques membres de la chambre, je
les rétracte d'avance.
Messieurs, il me
semble que l'honorable M. Lebeau, dans le discours remarquable qu'il vient de
prononcer, a déplacé la question, c'est-à-dire qu'il ne l'a pas traitée du tout
au point de vue auquel elle avait été placée hier.
Hier vous avez
entendu de la bouche d'un honorable membre, des raisonnements qui tendraient,
s'ils étaient fondés, à faire croire qu'un évêque belge aurait dépassé ses
pouvoirs en révoquant un ecclésiastique, ou desservant.
On a contesté ce
droit à ce dignitaire ecclésiastique ; on a invoqué d'un côté le droit
canonique, le concordat, les articles de la loi organique, la Constitution
même, pour prétendre que cet évêque n'était pas dans son droit. Aujourd'hui, il
s'agit de tout autre chose. La question a été présentée d'une manière toute
différente ; seulement on s'est demandé s'il n'y aurait pas moyen de rendre la
position des desservants meilleure, de la rendre inamovible. La question change
ainsi complétement de nature.
Je suis d'accord avec
l'honorable M. Lebeau, qu'en présence de la Constitution, le concordat ne doit
pas être invoqué quant à la distinction entre les curés amovibles et les curés
inamovibles ; je pense aussi qu'il est incontestable qu'on ne doit pas se fonder
sur les articles de la loi organique ; je suis d'accord avec l'honorable membre
sur ce point que le saint-siège a constamment protesté contre ces articles
organiques ; mais là ne gît pas la question. La révocation des ecclésiastiques
qu'on appelle desservants a été admise par suite du concordai, par des
circonstances auxquelles M. le ministre de la justice vient de faire allusion
et qu'il serait inutile, je crois, d'exposer ici.
Nous n'avons pas à
considérer si cette nouvelle discipline est meilleure que celle qui existait
précédemment ; nous avons seulement à constater, en fait, si cette nouvelle
discipline existe, si cet usage constant a prévalu. Que le concordat ait été
aboli ou qu'il subsiste encore dans quelques-uns de ses parties, ce fait existe
; c'est un usage généralement reconnu, qui a force de loi, et sur lequel est
fondée la réponse faite par le saint-siège à la demande qui lui a été adressée
par un prélat belge.
Or, en présence de ce
fait généralement reconnu, de cet usage qui a force de loi, fallait-il agir en
sens contraire ?
Si l'épiscopat belge
ou français avait voulu déroger à ce fait, rentrer dans le droit canonique
antérieur au concordat et déclarer inamovibles les desservants aussi bien que
les curés proprement dits, je suis persuadé qu'en France comme en Belgique, il
y aurait eu, de la part de certaines personnes, de vives réclamations contre
cette conduite du clergé. Peut-être dans cette enceinte, aurions-nous entendu
un langage tout à fait contraire à celui que nous avons entendu hier.
Il faut le
reconnaître, dans une pareille matière, dans une matière aussi délicate,
l'épiscopat et le saint-siège ne procèdent pas avec légèreté.
Le fait qui paraît
avoir donné lieu à la discussion actuelle vous a été présenté hier : un évêque
a jugé à propos, pour des motifs à lui connus et que je dois respecter, de
révoquer de ses fonctions, non un ecclésiastique belge, comme on l'a dit, mais
un prêtre étranger qui, d'après ce que j'ai appris, avait éprouvé dans son pays
des difficultés à l'égard des autorités ecclésiastiques supérieures et qui, à
la suite de ces difficultés, s'était rendu en Belgique, avait demandé
l'hospitalité à monseigneur l'évêque de Liège et s'était mis sous sa
protection. Monseigneur l'accueillit avec bonté, le nomma vicaire, puis curé
desservant ; puis, plus tard, survinrent quelques faits que je ne dois
qualifier ni apprécier, mais que je dois croire assez graves, assez fondés,
pour qu'un dignitaire ecclésiastique ait tout à coup changé de conduite à
l'égard d'un ecclésiastique qu'il avait si bien accueilli d'abord. Je dis que
cette manière d'agir ne peut être taxée par personne.
L'évêque de Liège
doit avoir eu des motifs graves pour se conduire de cette manière. Après cela,
on vient prétendre qu'il n'était pas dans son droit ; on soutient, d'après le
droit canonique, le concordat, les lois organiques, la Constitution même, que
sais-je, on soutient que ce desservant était devenu inamovible, que l'évêque ne
pouvait pas le révoquer. On a soutenu ensuite qu'il y avait doute sur la question
de la part des évêques, puisque l'évêque de Liège s'est adressé à Rome pour
avoir une solution de la question.
D'abord, je ne dirai
pas que c'est à ce sujet que ce dignitaire ecclésiastique s'est rendu dans la
capitale du monde chrétien. Il y a conféré avec le saint-siège sur ce sujet.
Fallait-il qu'il y eût doute de sa part pour provoquer cette explication ? Il
suffisait qu'il existât un doute chez quelques ecclésiastiques, pour que dans
l'intérêt de la paix, et par esprit de modération, un évêque allât demander une
décision ou seulement une manifestation d'opinion de la part de l'autorité
supérieure, pour imposer silence aux réclamations de ceux qui ne voulaient pas
admettre cette opinion.
Voilà comment je
comprends la question, comment je crois devoir expliquer la démarche qui a été
faite par ce prélat.
La question devient
très simple à mes yeux, quand on l'examine d'après les faits. Il ne s'agit pas
même de savoir si d'après les lois antérieures, d'après le (page 658) concordat ou d'autres dispositions
législatives, les desservants sont amovibles oui ou non. Il s'agit seulement de
savoir de quelle manière aujourd'hui, soit en Belgique, soit en France, les
desservants sont nommés réellement par les évêques. Or la nomination d'un
desservant porte toujours pour condition qu'il est révocable à la volonté de
son supérieur. Le desservant nommé, il accepte ces conditions, il intervient
une espèce de contrat entre l'évêque et chaque desservant. Je vous demande
après cela, quand l'évêque vient à exécuter les conditions du contrat
intervenu, comment celui qui a accepté le contrat peut avoir des motifs de se
plaindre. Tel est le fait ; ceux qui prétendent contester à l'évêque le droit
d'agir ainsi, contreviennent à l'article 16 de la Constitution qui dit, de la
manière la plus formelle, que l’Etat ne peut pas intervenir dans la nomination
des membres du clergé.
En effet, n'est-ce
pas une intervention des plus flagrantes que de vouloir empêcher un évêque de
nommer à sa manière un desservant ? L'évêque nomme à condition, vous ne voulez
pas qu'il mette de condition à sa nomination, donc vous intervenez, donc vous
agissez contrairement à la Constitution qui proclame que cette intervention ne
peut pas avoir lieu.
Je dis donc que le
fait est là, que tout le débat peut se résumer dans cette simple question et
que lorsqu'on l'examine de cette manière, elle est claire, elle n'est pas
susceptible de présenter la moindre difficulté. Quant aux considérations
canoniques, elles sont en dehors de notre compétence.
Messieurs, je regrette
de devoir revenir encore sur certaines opinions qui ont été émises hier par
l'honorable membre qui le premier a mis en avant cette question irritante que,
pour ma part, j'aurais voulu pouvoir éviter. Il a dit : Un évêque a été à
Rome ! Il est allé à Rome pour négocier ; et cela, sans l'intervention du
gouvernement. Peut-on ainsi aller décider des questions qui se rattachent à un
contrat bilatéral ?
Je demanderai d'abord
si ce voyage ne peut pas s'interpréter autrement ; si un évêque qui se rend à Rome
va nécessairement négocier, traiter des questions diplomatiques. N'y a-t-il pas
d'autre moyen d'expliquer ce voyage ? Rome n'est-elle pas toujours le centre
d'attraction du monde catholique, la capitale du monde chrétien ? Tout
catholique ne désire-t-il pas aller se prosterner devant les tombeaux des
apôtres qui ont vu s'incliner devant eux tant de têtes couronnées depuis
Constantin jusqu'à Pierre le Grand et l'empereur Nicolas, et rendre hommage au
pasteur des pasteurs, qui par ses seules qualités personnelles commande la
vénération au monde ?
Un catholique, un
prêtre, un évêque ne se rendent-ils pas plus utiles à la société, au point de
vue religieux et moral, en allant puiser des inspirations à la source sacrée de
la vérité religieuse ?
Cela me suffit pour
expliquer la démarche de l'évêque, si cette démarche avait besoin
d'explication. Il y a, dit-on, passé cinq mois ! et s'il y avait passé un an,
deux ans peut-être, que serait-il arrivé ? On s'est adressé à M. le ministre de
la justice ; on lui a demandé gravement si, dans un cas semblable, le
gouvernement consentirait à payer le traitement de l'évêque qui oublierait à ce
point ses devoirs. Je dirai d'abord qu'un évêque absent ne cesse pas pour cela
d'administrer son diocèse, aussi bien que des têtes couronnés qui, dans
l'intérêt de l'Etat, par des raisons politiques ou de haute convenance,
s'absentent de la pairie et ne laissent pas cependant de tenir avec fermeté et
honneur les rênes du gouvernement. De telles absences sont utiles à la nation.
De même l'évêque peut aussi, par de telles absences, rendre à son diocèse des
services qu'on attendrait en vain de lui s'il ne quittait pas ses foyers.
Je demanderai ce
qu'on ferait dans le cas de maladie. Si un évêque était, par suite de maladie,
incapable d'administrer son diocèse, ne faudrait-il pas continuer de lui payer
son traitement ? Personne ne dira le contraire. Cependant il arriverait souvent
dans tel cas qu'un évêque pourrait encore bien moins administrer son diocèse
que dans le cas d'absence.
Je suppose qu'un
membre de la chambre dût s'absenter pendant longtemps : faudrait-il
continuer à lui payer l'indemnité ? S'il se présentait seulement ici un jour
par mois, aurait-il droit à l'indemnité ? Je crois qu'oui, d'après la
Constitution. et cependant il ne pourrait pas se faire remplacer ni remplir en
aucune manière ses fonctions. J'entends dire à d'honorables membres que ce
serait aux électeurs à en faire justice. Mais si les électeurs s'obstinaient à
renvoyer ce membre à la chambre, il faudrait bien par continuation lui payer
l'indemnité.
Vous dites : C'est
une supposition impossible. Je dis que la supposition que vous faites qu'un
évêque oublierait à ce point ses devoirs est tout aussi outrée. Si un évêque
s'absentait pendant des années, le saint-père, le chapitre, le clergé,
l'opinion publique ne seraient-ils pas là pour faire leurs observations ? Et
puis la presse qui certes ne resterait pas en défaut !
Ce sont des
suppositions que nous ne devons pas admettre, pas plus pour les évêques que
pour les membres de la chambre ; car lorsque nous voulons établir des
hypothèses pareilles, il n'y a rien qui ne soit sujet à critique.
On vous a demandé
aussi si le saint-père pouvait, de son autorité, intervenir dans les affaires
du pays, décider chez nous et sans nous. Oui dans les matières spirituelles.
On a dit : Si le roi
de Prusse, si l'empereur de Russie, si la reine d'Angleterre, se mêlaient des
affaires de notre pays, sans nous, faudrait-il le permettre ? Oui, en matière
spirituelle. et c'est ce qui a lieu à l'égard du culte anglican. Les ministres
anglicans sont admis en Belgique, en vertu d'une délégation de l'autorité
supérieure d'Angleterre, qui dépend elle-même du pontife suprême de
l'anglicanisme qui est la reine.
Ainsi, en vertu de la
constitution, la reine d'Angleterre intervient spirituellement dans notre pays
; elle agit chez nous et sans nous.
Faut-il blâmer ce
fait ? faut-il s'élever contre un tel résultat de la liberté proclamée en
Belgique ? Ah ! non, messieurs ! J'applaudis de grand cœur à ces principes
et aux beaux résultats de. Notre pacte fondamental, qui a été, en plusieurs
circonstances, l'objet d'éloges que nous avons reçus de l'étranger.
Ainsi, dans le
parlement anglais, on a parlé avec distinction de la Belgique, de ses belles
institutions, de sa tolérance et des subsides accordés au culte anglican, dans
l'intérêt des Anglais qui se trouvent dans le pays.
A
la tribune française, il n'y a pas longtemps, un député protestant, M. de
Casparin, a parlé avec éloge des libertés de la Belgique. Il a demandé la
liberté comme en Belgique, la liberté d'enseignement qui est la conséquence de
la liberté des cultes. Il a dit que la Belgique faisait exception à toutes les
nations, brillante exception, s'est-il écrié, à laquelle on ne rend pas assez
hommage. Non ! l'on n'y rend pas assez hommage. Même dans cette chambre,
souvent on oublie de rendre hommage à cette liberté, on la respecte moins que
ne la respectent et ne l'admirent les peuples qui nous entourent et qui
semblent être jaloux de cette noble prérogative qui est notre domaine,
Ah ! messieurs, gardons-nous bien de répudier l'honneur qui est la vie des
nations. Gardons-nous de perdre, par des inconséquences, la réputation que nous
nous sommes acquise !
Pardonnez-moi,
messieurs, si je me laisse aller à un peu de vivacité, un peu d'émotion, un peu
d'enthousiasme, quand je traite ces matières ! C'est que cette liberté
constitutionnelle je la porte au fond du cœur. C'est notre sauvegarde. Toutes
les libertés se tiennent. Vous ne pouvez porter atteinte à l'une sans porter
atteinte à l'autre.
Il faut respecter
cette arche sainte, ne pas y porter témérairement la main. C'est notre ancre de
salut. Sans la liberté, pas de Belgique ; pas d'indépendance. Ce n'est que par
la liberté que la Belgique peut se maintenir.
M. Verhaegen. - La question est
aujourd'hui sur le même terrain qu'hier ; rien n'est changé ; et l'honorable
abbé de Haerne se trompe, lorsqu'il vous dit que dans la dernière séance, mon
honorable ami et moi, nous avions contesté d'une manière indéfinie, aux
évêques, le droit de révoquer les desservants.
Il semblerait,
messieurs, d'après cette assertion que nous aurions voulu assurer aux
desservants une impunité complète : tel n'a pas été, tel ne sera jamais notre
système. Nous avons soutenu, d'accord avec toutes les lois canoniques, d'accord
avec les lois civiles qui nous régissent encore, l'inamovibilité des
desservants, comme l'inamovibilité des curés, sans jugement motivé.
Nous avons soutenu et
nous soutiendrons toujours que les desservants régulièrement nommés, ne peuvent
pas être révoqués sans cause légale de révocation, reconnue par jugement
motivé.
Nous ne sommes pas
même obligés d'aller jusqu'à prétendre qu'un tribunal ecclésiastique
régulièrement composé, comme celui établi d'après les prescriptions de l'évêque
de Digne, soit seul compétent pour apprécier les motifs de révocation ; nous
admettons volontiers le jugement motivé des évêques eux-mêmes, après avoir
entendu l'inculpé dans ses moyens de défense ; or il y a une grande différence
entre la révocation après jugement et la révocation ad nutum, à laquelle
probablement l'honorable préopinant, s'il était un jour promu au doyennat, ne
voudrait se soumettre, pas plus que ne le veulent en ce moment la plupart des curés
et desservants.
Si on admet qu'un
curé, un doyen, un desservant peut être révoqué sans jugement motivé, alors
toutes les positions ecclésiastiques inférieures sont abandonnées au bon
plaisir des évêques.
Nous nous rappelons
ce qui s'est passé naguère, à l'égard des curés et desservants conviés aux
élections générales mandato episcopi, avec ordre de voter pour tels et tels
candidats ; nous nous rappelons la défense qui, à certaine époque leur a été
faite de s'abonner à certains journaux, qui quoique écrits dans un esprit
purement catholique ne convenaient pas à l'évêque au point de vue politique :
la révocation sans motifs et surtout sans motifs constatés par jugement était
alors la sanction de l'ordre donné ou de la défense faite à l'inférieur par la
supérieure ecclésiastique.
Voilà, messieurs, la
conséquence de ce système vicieux à tous égards, avilissant pour le bas clergé
; et cette conséquence est importante non seulement dans l'intérêt de ceux que
la chose concerne, mais même dans l'intérêt du pays tout entier, car l'intérêt
du pays exige qu'aucun desservant ou curé ne puisse être révoqué sans jugement
motivé ; tous nous sommes intéressés à l'indépendance du bas clergé ; bien
souvent lorsque nous avons eu à nous plaindre de lui sur le terrain politique,
c'est qu'il n'agissait que mandato episcopi.
D'après l'honorable
M. de Haerne, nous n'aurions pas à examiner ce que portent les lois, mais bien
et uniquement ce que portent les nominations : Messieurs, c'est la un
bouleversement complet de toutes les idées sociales : Comment ! les lois ne
sont plus obligatoires pour certains individus !
Quoi ! les évêques ne
sont plus soumis aux lois en Belgique ! Les nominations qu'ils font
l'emportent sur les lois !
M. de Haerne. - Oui, dans le cas
actuel, parce qu'il n'y a pas de loi.
M. Verhaegen. - Vous êtes en
contradiction avec vos premières paroles.
Il y a des lois et
vous-même l'avez dit.
Je continue à
répondre à l'objection. La question n'est pas, dit-on, de savoir ce que portent
les lois, mais ce que portent les nominations : par les actes de nomination.,
non seulement les desservants, mais même les curés de certains diocèses se
soumettent à la révocation, sans garantie aucune.
C'est à cette
condition ainsi acceptée que l'honorable membre a fait allusion. Il ne me faut,
messieurs, que cette assertion pour prouver qu'il existe en effet des lois qui
défendent la révocation sans jugement et sans motif ; (page 659) car si le droit de révoquer était aussi certain qu'on le
prétend aujourd'hui, si la question n'était pas au moins douteuse, il n'eût pas
été jugé nécessaire par les chefs de certains diocèses d'ajouter dans les
nominations la condition de révocations sans jugement et sans motif.
Mais les lois qu'on
suppose ne pas exister, existent réellement : mon honorable and M. Lebeau a
parlé de la loi organique, je parlerai moi, avant tout, des lois canoniques.
Ces lois ne sont-elles pas obligatoires pour tous ceux qui sont dans le giron
de l'Eglise catholique ? Seraient-ce par hasard des lettres mortes ? On vous a
cité ces lois, MM. de la droite, et vous n'y avez pas daigné répondre.
Ce n'est certes pas
faire honneur à cette législation qui est la vôtre, que de la mettre de côté
pour ne vous occuper que des lois civiles dont vous tronquez toutefois le
texte.
Quant aux lois
civiles, il faut bien qu'une bonne fois on se mette d'accord sur la question de
savoir si le concordat et la loi organique sont encore applicables aujourd'hui
en tout ou en partie. D'un côté, j'entends dire : Non. De l'autre côté (et M.
le ministre de la justice est de cet avis) j'entends dire : Oui.
C'est une manière
très élastique de raisonner : lorsqu’on a intérêt à invoquer le concordat et la
loi organique, on soutient qu'ils sont encore applicables, et lorsqu'un intérêt
contraire se présente on les répudie.
M. le ministre de la
justice nous a dit (et je pense qu'il a raison) que les articles de la loi organique
sont encore applicables aujourd'hui, pour autant qu'il n'y ait pas été dérogé
par les dispositions de la Constitution. On dit à mes côtés que c'est évident,
et c'est également ce que je pense.
Dans cette loi
organique, soit dit en passant, il y a un article qui mérite de fixer notre
attention, c'est l'article 32 ; il porte :
« Art. 32. Aucun
étranger ne peut être revêtu de fonctions ecclésiastiques sans le consentement
du gouvernement. »
Je voudrais bien
qu'on me dît si cet article est, oui ou non, abrogé par la Constitution.
M. le ministre de la
justice ne peut pas se dispenser de me répondre sur ce point, et s'il considère
l'article comme abrogé, il me citera sans doute la disposition
constitutionnelle qui le déclare ainsi.
Je me permets de
faire cette demande, parce que j'ai entendu dans le discours de l'honorable M.
de Haerne, que le desservant qui a été révoqué par l'évêque de Liège, était un
étranger. Cet étranger avait été d'abord accueilli favorablement par l'évêque,
mais ensuite il a été éloigné pour des motifs qui, probablement, ajoute
l'honorable membre, étaient légitimes : d'abord, comment un étranger a-t-il été
revêtu d'une fonction ecclésiastique sans l'approbation du gouvernement ?
serait-ce que l'article 32 est considéré comme abrogé ?
A cette occasion,
puisque le mot étranger a été prononcé, je me permettrai de dire que le pouvoir
illimité accordé aux évêques, quant à la révocation des curés et desservants
est d’autant plus dangereux, qu'on semble admettre que les évêques eux-mêmes peuvent
être étrangers.
Chose extraordinaire
! celui-là qui a renvoyé un desservant étranger sans motifs et sans jugement,
est étranger lui-même. Je serais curieux de savoir quelle est l'opinion de
l'honorable préopinant sur ce point.
Quoi qu'il en soit,
messieurs, la loi organique est encore une loi de l'Etat pour toutes les
dispositions qui ne sont pas abrogées par la Constitution. M. le ministre de la
justice nous l'a dit et j'adopte son opinion.
Or, c'est par la loi
organique que mon honorable ami vous a démontré hier que les desservants
proprement dits, nommés par les évêques, n'étaient pas révocables par les
évêques autrement que par jugement motivé.
S'il y a des doutes
sur l'interprétation des articles 51 e 63 de la loi organique, et il doit y
avoir tout au moins des doutes, puisque dans certains diocèses on ne fait de
nominations que sous la condition acceptée par les titulaires de se soumettre à
la révocation illimitée ; s'il y a des doutes * à qui incombait-il de les faire
disparaître par une interprétation ? J'ai toujours pensé qu'il était de
principe que ceux-là qui font les lois, ont seuls le droit de les interpréter.
La conséquence nécessaire est, comme vous l'a dit mon honorable ami, qu'en
demandant une interprétation à la cour de Rome, l'évêque de Liège avait empiété
sur les droits du pouvoir législatif.
Vous voyez donc,
messieurs, qu'indépendamment des lois canoniques que mon honorable ami vous a
citées hier et qui doivent exercer leur influence, il y a encore les lois
civiles en vigueur qui, lorsqu'elles laissent des doutes, ne peuvent cire
interprétées que par la législature.
Mais, dit-on, il ne
s'agit pas ici de l'interprétation de la loi ; les nominations sont tout ; et
par suite on veut proclamer l'amovibilité sans jugement.
Remarquez bien, messieurs,
car nous tenons à constater ce point, que nous ne soutenons pas l'absurdité
qu'on nous prête, à savoir qu'un desservant ou un curé ne pourrait jamais être
révoqué ni destitué, alors même qu'il aurait donné de justes motifs de
révocation ou de destitution ; nous disons seulement qu'il ne peut l'être
qu'après jugement, après jugement motivé. On ne peut, certes, enlever aux
desservants cette garantie qui est donnée à tous les citoyens. Ainsi
l'inamovibilité dont nous avons parlé, c'est l'inamovibilité sauf jugement
motivé.
Si les nominations
font tout et si les lois ne font rien, M. le ministre de la justice pourrait
donc aussi, lorsqu'il nomme un conseiller de cour d'appel, suivre ce principe ?
Il lui suffirait de mettre dans la nomination que le conseiller sera toujours
amovible. Il pourrait tout aussi bien en agir ainsi que l'évêque qui nomme un
desservant sous la condition de se laisser destituer à bon plaisir, ad nutum.
Un membre. - Et la
Constitution ?
M. Verhaegen. - La Constitution ?
Mais la constitution du clergé se trouve dans les lois canoniques interprétées
par les conciles, et dans la loi organique du concordat : l'évêque se trouve
placé, quant aux nominations qu'il fait, dans la même position que M. le ministre
de la justice.
Messieurs,
l'honorable M. Lebeau avait demandé à M. le ministre de la justice ce qu'il
ferait si un doyen destitué par l'évêque, si un évêque destitué par le
saint-siège, venait demander devant les tribunaux payement de son traitement.
La question, j'en
conviens, était difficile à résoudre pour M. le ministre. Aussi, que répond-il
? Il ne répond rien, mais il adresse à son tour la même interpellation à
l'honorable M Lebeau.
Messieurs, ce n'est
pas à l'honorable M. Lebeau à répondre, c'est à M. le ministre à nous dire ce
qu'il ferait en pareille circonstance.
M. Dubus (aîné). - Le cas ne se
présente pas.
M. Verhaegen. - Le cas ne se
présente pas, dit l'honorable M. Dubus (aine) ; l'honorable membre se trompe :
non seulement le cas peut se présenter, mais il se présente déjà, car les
tribunaux sont en ce moment saisis de la question. Le cas d'ailleurs s'est
présenté naguère pour feu M. le comte de Broglie : il y a eu contestation entre
le gouvernement et les héritiers de l'évêque de Gand, et je ne pense pas que
les tribunaux se soient déclarés incompétents.
Quant aux prétentions
formulées par les desservants, elles sont soumises aujourd'hui aux tribunaux :
les desservants révoqués illégalement réclament le payement de leur traitement
et la jouissance de leur presbytère s'ils obtiennent gain de cause, que
ferez-vous ?
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Je l'ai dit.
M. Verhaegen. - Vous avez dit que
vous soutiendriez l'incompétence de l'ordre judiciaire. Eh bien, moi je pense
que les tribunaux sont compétents et j'espère bien qu'ils le déclareront ainsi,
car il s'agit ici d'une question qui se résume dans la demande de payement
d'une somme d'argent et par suite d'une simple question de droit civil. Que
ferez-vous alors ? L'honorable M. Lebeau vous a fait une interpellation, et au
lieu de lui répondre directement vous avez fait une supposition et vous avez
dit : Si je destitue un fonctionnaire et si ce fonctionnaire soutenant
l'illégalité de la destitution me fait un procès, j'opposerai l'incompétence ;
si je succombe et si je suis condamné même en dernier ressort, je me garderai
bien de demander à la chambre une allocation pour satisfaire à cette
condamnation. Messieurs, cela revient à dire que M. le ministre de la justice
n'est pas disposé à obéir à l'autorité judiciaire et spécialement à un arrêt
passé en force de chose jugée.
Ainsi les tribunaux
de première instance se seront déclarés compétents sur la demande formée par
les desservants illégalement révoqués ; les cours d'appel auront jugé dans le
même sens, et la cour de cassation aura confirmé leurs décisions, et M.
d'Anethan résistera à des autorités si imposantes : c'est un ministre de la
justice, j'en prends acte, qui vient faire une pareille déclaration au sein de
la représentation nationale ; c'est maintenant pour a deuxième ou la troisième
fois qu'il ose prétendre à la face du pays que l'autorité judiciaire en Belgique
n'est rien et qu'il na pas à ses arrêts ! Messieurs, s'il en est ainsi, tous
les liens sociaux sont rompus : il n'y a plus rien de sacré pour le peuple.
Encore une fois,
c'est M. le ministre de la justice qui tient ce langage, lui, le gardien-né des
attributs du pouvoir judiciaire, la seule sauvegarde de nos libertés
constitutionnelles, lui qui devrait être le plus chaud partisan du respect
qu'inspirent aux masses nos cours et tribunaux, et par suite le plus zélé
défenseur de la force due à la chose jugée, lui enfin qui naguère occupant le
fauteuil d'avocat général devant une de nos cours d'appel, a été appelé souvent
à proclamer ces vérités ! Quantum mutatus ab illo !
On a demandé au
gouvernement ce qu'il ferait si un évêque s'absentant du pays pendant plusieurs
mois, voire même pendant des années, venait ensuite réclamer le payement de son
traitement ? En vertu du même principe serait-il interdit au gouvernement de
faire aucune objection ? Oui, a dit l'honorable abbé de Haerne, et pour le
prétendre ainsi il a comparé les évêques aux têtes couronnées qui, nonobstant
leurs fréquentes absences, touchent sans interruption les sommes qui leur sont
allouées sous la dénomination de liste civile. Je ne sais pas, messieurs, si
l'honorable membre a voulu faire une épigramme qui, dans tous les cas,
sortirait des convenances parlementaires mais à coup sûr je ne le suivrai pas
sur le terrain que très imprudemment il vient de choisir, je laisserai à
d’autres le soin de répondre.
Messieurs, avec
toutes les suppositions que l'on a faites, nous n'arrivons à aucun résultat et
nous mettons de côté les prescriptions de la loi ; je le répète, je ne suivrai
pas mes honorables contradicteurs sur le terrain où ils viennent de se placer,
je me hâte de les ramener sur le terrain sur lequel nous nous trouvions hier,
c'est-à-dire sur le terrain de la légalité. Ce sont les lois canoniques, vos
lois à vous, messieurs, qui soutenez l'omnipotence de l'épiscopat, qui d'abord
doivent exercer leur influence, puisqu'elles sont obligatoires pour vous comme
pour nous ; ce sont ensuite les lois civiles en tant qu'elles ne sont pas
abrogées par nos dispositions constitutionnelle, qui servent de complément aux
lois canoniques.
Or,
j'ai déjà démontré que, d'après ces lois civiles et canoniques, la question,
tout au moins, présentait des doutes graves. Maintenant ces doutes
pouvaient-ils être levés autrement que par une interprétation régulière et
n'est pas un empiétement sur les droits de la législature que la démarche faite
par le prélat auquel mon honorable ami, M. de Bonne, a fait allusion ? C'est là
le point culminant de la discussion.
J'avais, messieurs, à
répondre sur d'autres points à M. le ministre de la justice, mais, comme je ne
veux pas confondre la question spéciale dont nous nous occupons en ce moment
avec des objets qui y sont étrangers, je me réserve de traiter ces points dans
la suite du la discussion.
M. de Mérode. - Messieurs,
puisque l'honorable M. Lebeau m'a invité, pour une légère interruption, a
parler sur la question qu'il a soulevée, (page
660) ou du moins qu'il a maintenue en discussion, parce qu'elle est plus ou
moins ardue, je dirai quelques mots en réponse a ses observations. J'avancerai
donc d'abord que personne plus que les membres du clergé n'est intéressé à
cette question, et cependant parmi les trois mille membres qui le composent en
Belgique, combien y en a-t-il qui réclament un changement aux coutumes admises
? Je n'en connais pas plus que je ne connais de bons officiers qui se soient
plaints de la loi qui autorise le ministre de la guerre à mettre au traitement
de réforme les officiers dont la conduite lui paraît mériter cette mesure.
Eh bien, je crois que
la faculté d'en user a été des plus utiles au corps d'officiers, au maintien de
l'ordre et de la discipline militaire.
Le même résultat se
manifeste dans l’ordre ecclésiastique aujourd'hui, parce que bien des
circonstances particulières à notre époque exigent le changement des
desservants et rendent difficile leur inamovibilité. Ainsi la liberté communale
moderne amène souvent des oppositions plus ou moins vives entre l'autorité
civile locale et le titulaire de la paroisse. Souvent les oppositions ne
peuvent cesser que par la transposition du prêtre, puisqu'il n'est pas
praticable de transporter ailleurs les habitants laïques de la commune.
Cependant ces changements ne sont pas fréquents dans la plupart des diocèses de
la Belgique, et ce n'est que bien rarement que j'ai entendu des plaintes à ce
sujet ; car le bon prêtre est un homme de dévouement et d'obéissance, et ne
songe guère à discuter sur les droits de son supérieur et à chercher leur
restriction ; cependant je ne conteste pas la convenance du système adopté par
l'évêque d'un des diocèses du midi de la France. Je ne dis pas que le haut
clergé belge doive être indifférent à ce sujet, et la preuve qu'il ne l'est
pas, c'est le voyage à Rome entrepris par le chef du diocèse de Liège, et dont
le but lui a été reproché.
Quant à nous,
messieurs, devons-nous chercher à traiter des questions que des embarras réels
ne rendent pas urgentes à résoudre ; car si nous nous plongeons dans toutes les
hypothèses, pourrons-nous parvenir à terminer nos travaux qui sont si fort
arriérés ?
Sans
le pressant besoin de marcher, messieurs, j'aurais entendu avec plaisir la
dissertation de l'honorable M. Lebeau, développée avec la facilité de langage
qui lui appartient ; mais cette considération de la besogne qui nous reste à
faire est assez grave, assez pratique pour que j'engage la chambre et chacun de
mes collègues à éviter toutes les discussions qui n'ont pas un caractère
d'urgence et qui ne réclament point notre attention immédiate et un vote
pressant comme tant d'objets à l'ordre du jour et qui finiront par n'arriver
jamais au jour, si nous soulevons toutes les questions qu'il est possible de
soulever.
Pic de la Mirandole
traitait de omni re scibili et quibusdam aliis ; nous, messieurs,
contentons-nous d'expédier le plus tôt possible nos affaires actuellement sur
le tapis parlementaire, déjà chargé outre mesure, et ne nous lançons pas dans
les savantes suppositions.
Des membres. - La clôture !
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Je demande à la chambre de pouvoir répondre quelques
mois à ce que vient de dire l'honorable M. Verhaegen ; j'y tiens d'autant plus
qu'il m'a adressé des interpellations.
Je ne reviendrai pas
sur ce que j'ai dit hier, relativement à la révocabilité des desservants ; mes
observations à cet égard n'ont pas été réfutées par l'honorable M. Verhaegen ;
d'ailleurs, il est probable que nous conserverons chacun notre opinion sur ce
point, et que nous discuterions longtemps sans mutuellement nous convaincre.
L'honorable membre
approuvant ce que j'ai dit sur la force obligatoire des articles organiques,
approuvant l'opinion que j'ai émise, que certains de ces articles sont encore
en vigueur, à savoir ceux qui ne sont pas contraires à notre pacte fondamental
ou au concordat, lui-même m'a demandé ce que je pensais de l'article 32. Cet
article porte :
« Aucun étranger ne
pourra être employé dans les fonctions du ministère ecclésiastique sans la
permission du gouvernement. »
Eh bien, messieurs,
il est de toute évidence, selon moi, que cet article se trouve abroge par
l'article 16 de la Constitution, qui est ainsi conçu :
« L'Etat n'a le
droit d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation des ministres
d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre, etc. »
Ainsi, messieurs, le
gouvernement ne peut s'immiscer, en quoi que ce soit, dans la nomination des
ministres du culte ; il ne peut donc ni donner, ni refuser l'autorisation de
nommer un étranger, pas plus qu'il ne peut donner ou refuser l'autorisation de
nommer un Belge. Il est dès lors évident que l’article 32 est venu à tomber
devant l'article 16 de la Constitution.
On me dira,
peut-être, qu'aux termes de la Constitution, les Belges sont seuls admissibles
aux fonctions publiques ; mais, messieurs, les fonctions ecclésiastiques ne
sont pas des fonctions publiques dans le sens de l'article 16 de la
Constitution, et il est évident que cette disposition de la Constitution ne les
concerne en aucune manière.
Du reste, messieurs,
la plupart des ministres des cultes dissidents sont étrangers ; les ministres
anglicans, les ministres protestants, les ministres luthériens sont tous
étrangers, et ils sont tous payés sur les fonds de l'Etat sans qu'aucune
réclamation ait jamais été faite à cet égard. Et, en effet, aucune réclamation
sérieuse ne pouvait s'élever en présence de l'article 16 de la Constitution.
L'honorable M.
Verhaegen, mettant de côté les articles organiques, invoque le droit canonique,
et il soutient qu'en vertu de ce droit, les desservants sont inamovibles.
Mais, messieurs, je
demanderai si nous devons nous en rapporter à l'honorable M. Verhaegen, plutôt
qu'au pape et aux évêques, pour l'interprétation à donner au droit canonique ?
Comment le saint-siège déclare d'une manière formelle qu'aux termes du droit
canonique les desservants sont révocables ; cette décision du saint-siège est
acceptée depuis 1801 et exécutée en France, en Belgique et dans les Pays-Bas ;
elle a été récemment renouvelée dans la déclaration faite par le pape à
l'évêque de Liège, mais elle n'en est pas moins ancienne ; et maintenant à
propos d'un desservant à l'égard duquel l'évêque de Liège a usé de la faculté
que lui donne cette décision, on vient dire que le pape n'a pas interprété
sainement le droit canonique ! Soutiendra- t-on que c'est aux chambres belges
qu'il appartient de donner cette interprétation ? Messieurs, je ne pense pas
que l'on puisse soutenir sérieusement que la décision du saint-siège, en cette
matière, ne doit pas être respectée.
Encore un mot,
messieurs, et je termine.
L'honorable M.
Verhaegen m'a accusé d'avoir émis des opinions qu'il ne pouvait pas supposer
chez un ministre de la justice et dont il a bien voulu prendre acte. J'ai dit,
messieurs, que si un tribunal pouvait, en semblable matière, se déclarer
compétent et condamner le gouvernement à payer le traitement d'un desservant
révoqué par son évêque, ce serait une véritable nomination de desservant que
ferait le tribunal, j'ai ajouté qu'un semblable jugement ne pourrait pas me déterminer
à venir demander aux chambres un crédit pour satisfaire à cette condamnation.
Eh bien, messieurs,
ce que j'ai dit je le répète et je le maintiens ; je ne pense pas qu'en faisant
cette déclaration je manque à aucun de mes devoirs, ni que je méconnais les
droits du pouvoir judiciaire. Chaque pouvoir doit rester dans ses attributions,
et je ne suppose pas la possibilité de les voir outrepassées par la
magistrature, pour laquelle j'ai autant de respect que l'honorable membre.
Plusieurs
membres. - Sur quoi la clôture ?
D’autres membres. - Sur l'incident.
M.
le président - Il n'y a pas d'incident ; il n'y a que la
discussion générale.
M. de Haerne. - Je m'oppose à la
clôture, parce que je désirerais répondre à quelques observations que je puis
considérer jusqu'à un certain point comme un fait personnel.
M. Delehaye. - Messieurs, s'il
s'agit seulement de clore la discussion sur la question soulevée par
l'honorable M. de Bonne, je ne m'y opposerai pas ; mais je ne pense pas qu'on
puisse prononcer en ce moment la clôture de la discussion générale.
M. Wallaert. - Je m'oppose à la
clôture, même sur la question de l'inamovibilité ou de l'inamovibilité des
desservants. Je n'ai que de très courtes observations à présenter à cet égard,
mais ces observations me semblent devoir être faites.
M. Dubus (aîné). - On a demandé s'il
s'agissait de clore la discussion générale. Je crois que nous n'avons pas autre
chose qu'une discussion générale ; seulement, au lieu de discuter le budget de
la justice, on nous entraîne dans la discussion d'une question théologique tout
à fait étrangère à la chambre, qui ne concerne la chambre sous aucun rapport.
Cela me semble prouver qu'on n'a rien à dire dans la discussion générale du
budget de la justice. Si des membres veulent réellement discuter le budget de
la justice, qu'ils le déclarent, et qu'on mette fin à une discussion qui nous
fait perdre en propos tout à fait oiseux le temps que nous devons consacrer aux
affaires publiques.
M. Lebeau. - Je viens,
messieurs, m’opposer à toute espèce de clôture. Chacun a le droit, dans la discussion
générale, de discuter le budget à son point de vue, et vous ne pouvez pas, sans
violer les droits de chaque membre de la chambre, lui prescrire des bornes dans
lesquelles il doit se renfermer, aussi longtemps qu'il reste dans les matières
qu'embrasse la discussion générale. Il s'agit ici du budget de la justice ; le
budget de la justice renferme le chapitre des cultes, et dès lors la discussion
soulevée par l'honorable M. de Bonne est parfaitement à sa place. D’ailleurs, à
l'occasion de ce chapitre, chacun aurait le droit de rentrer dans la discussion
que l’on veut terminer maintenant. Cela est incontestable.
Mais, messieurs, s'il
en était autrement, chaque majorité qu'une spécialité de la discussion
importunerait, qui trouverait cette partie de la discussion peu de son goût,
pourrait toujours déclarer que cette partie est étrangère à l'objet qui est à
l'ordre du jour et fermer ainsi la bouche à ses contradicteurs.
M. le président seul
peut, aux termes de règlement, rappeler à la question l'orateur qui s'en
écarte. Aucune partie de la chambre ne peut exercer ce droit envers l'autre.
Ce serait un
révoltant, un intolérable abus de la force.
Ce serait
l'oppression de la minorité par la majorité.
Je
demande donc que, si la discussion continue, il soit déclaré que c'est la
discussion générale, sauf à M. le président de rappeler à la question les
orateurs qui s'en écarteraient. et pour le dire en passant, l'observation que
vient de faire l'honorable M Dubus, est la censure de la conduite de M. le
président ; car l'honorable M. Dubus a reproché à une partie de cette chambre
de gaspiller un temps précieux, en sortant de la question : si cela était vrai,
si l'honorable membre avait raison, M. le président aurait manqué à ses
devoirs, car le président est là pour rappeler à la question et maintenir aux
débats de la chambre toute leur régularité.
M. Dubus (aîné), pour un fait
personnel. - Messieurs, l'honorable préopinant prétend que j'aurais fait la
critique de la conduite de M. le président ; rien n'a été plus loin de mes
intentions. Je me suis borné à faire remarquer ce qui saute aux yeux d'un grand
nombre de membres qui m'environnent, que réellement le débat actuel est tout à
fait étranger a l'objet à l'ordre du jour, et que nous perdons un temps que
nous devrions employer à l'examen des intérêts publics Si donc on est d'avis de
continuer (page 661) la discussion,
je fais la motion formelle qu'il soit mis fin à la discussion incidente qui a
eu lieu sur la question d'inamovibilité et d'amovibilité des desservants,
question qui ne nous regarde pas.
M. le président - Avant de mettre la
clôture aux voix, je ferai observer de nouveau que la clôture porte, non pas
seulement sur la discussion de l'incident, mais sur la discussion générale du
budget de la justice.
- La chambre décide
que la discussion générale continue. Elle remet à demain la suite de la
discussion.
La séance est levée à
4 heures et demie.