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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 14 février 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétition relative au chemin de fer de Liége à Namur (Thyrion)
2) Projet de loi relatif
aux pratiques de vente à l’encan (Delehaye)
3) Projet de loi relatif à
la comptabilité des commissions médicales
4) Projet de loi portant
modification des limites communales
5) Projet de loi accordant
un crédit supplémentaire au budget du département de l’intérieur pour le
service de l’école vétérinaire (de Renesse, Van de Weyer)
6) Projet de loi portant le
budget du département de la justice pour l’exercice 1846. Discussion générale.
Mise en œuvre et valeur normative du concordat de 1801 et liberté de nommer les
desservants du culte sans intervention de l’Etat (de
Haerne, Wallaert, Dumortier,
de Haerne, Dumortier, de Bonne, Delehaye, Dumortier, Lebeau, Dubus (aîné), Fleussu, de Bonne, d’Anethan), droit pour le
gouvernement et la chambre de ne pas honorer un jugement passé en force de chose
jugée (Fleussu, d’Anethan, Dumortier, Verhaegen, Dolez, d’Anethan, de Theux, Fleussu, Dolez, Fleussu), organisation du notariat
et brigue électorale (de Breyne, Clep,
(+nombre de vicaires) Delehaye, de Muelenaere,(+nombre de vicaires) d’Anethan, (+nombre de vicaires) Delehaye,
de Breyne, de Muelenaere,
de Breyne, d’Anethan, Clep)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page 661) M. Huveners procède à l'appel nominal à 1 heure et
un quart.
M. A. Dubus donne lecture du
procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur
Massart, cultivateur au Trieu de Salzinne, prie la chambre de lui faire obtenir
le complément de l'indemnité qui lui revient à titre de pertes essuyées par
suite des événements de guerre de la révolution. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
« Le conseil
communal des Awirs demande que le chemin de fer de Liège à Namur soit établi
sur la rive gauche de la Meuse ».
- Sur la proposition
de M. Thyrion,
renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
_________________
(page 662) « Dépêche de M. le ministre de l'intérieur
accompagnant l'envoi de l'état détaillé des dépenses pour l'instruction
primaire. »
- Pris pour
notification.
_________________
M. le président. - Notre
vice-président, M. Vilain XIII, m'annonce qu'il a eu la douleur de perdre un de
ses enfants ; il me charge de demander pour lui un congé à la chambre.
- Le congé est
accordé.
M. de Garcia. - La section
centrale du budget de la guerre était présidée par l’honorable M. Vilain XIIII.
Elle n'a pu jusqu'ici avoir qu'une séance ; elle avait demandé des
renseignements qui viennent de lui parvenir. Il est, je crois, urgent qu'elle
termine son travail, sans quoi la chambre n'aurait rien à son ordre du jour. Je
demande que M. le président avise à faire présider cette section centrale.
M. le président. - J'aurai l'honneur
d'en conférer avec M. le ministre de la guerre.
PROJET DE LOI RELATIF AUX PRATIQUES DE VENTE A L’ENCAN
M. Delehaye, au nom de la
section centrale qui a examiné le projet de loi sur les ventes à l'encan,
dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne
l'impression et la distribution de ce rapport.
PROJET DE LOI RELATIF A LA COMPTABILITE DES COMMISSIONS MEDICALES
M. le ministre de
l’intérieur (M. Van de Weyer) présente deux projets de loi, le premier relatif
à la comptabilité des commissions médicales ; le second, relatif à une
délimitation de communes.
- La chambre donne
acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation de ces projets de loi,
en ordonne l'impression et la distribution, et les renvoie à l’examen de
commissions à nommer par le bureau.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT
DE L’INTERIEUR POUR LE SERVICE DE L’ECOLE VETERINAIRE
M. de Renesse. - Je demanderai à
l'honorable ministre de l'intérieur s'il ne compte pas présenter bientôt à la
chambre un projet de loi de crédit supplémentaire pour le service de l'école
vétérinaire de l'Etat, service qui n'a été assuré que pour dix mois. Le
prédécesseur de M. le ministre de l'intérieur avait promis de faire une enquête
sur la situation de cet établissement. Je demande si M. le ministre de
l'intérieur compte déposer bientôt ces documents et si nous en aurons
connaissance avant la discussion du budget de l'intérieur.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je me serais déjà empressé de faire à la
chambre le rapport que mon prédécesseur lui avait promis, si je n'avais pas
résolu de subordonner la demande de crédit à la présentation d'un projet de
loi. Je présenterai sous peu à la chambre, et en même temps, la demande de
crédit, le rapport et le projet de loi.
Discussion générale
M. le président. - La parole est à
M. de Haerne sur l'ensemble du budget.
M. de Haerne. - Dans la séance
d'hier, un honorable membre s'est élevé contre les observations que j'avais
faites, précédemment, sur la question qui nous occupe. Il m'a mis en quelque
sorte dans la nécessité de relever ses paroles, quoique cependant, je l'avoue,
je ne le fasse qu'avec un grand regret, parce que je trouve que cette question
est un hors-d'œuvre pour la législature.
D'abord l'honorable
membre auquel je réponds m'a fait un reproche, en disant que je me mettais en
quelque sorte au-dessus des lois. Généralisant la pensée qu'il m'attribue, il a
prétendu que je voulais placer au-dessus des lois un corps tout entier.
L'honorable membre (je suis persuadé que la chambre ne s'est pas fait illusion
à cet égard, qu'elle n'a pas pris le change) n'a pas exposé ma pensée telle que
je l'avais exprimée ; il n'a pas tenu compte de mes paroles, telles que je les
avais présentées ; pour le dire en un mot, il a tronqué mes paroles.
Il est vrai que j'ai
dit que nous n'avions pas à nous occuper, dans cette question, du concordat et
des articles organiques, qui sont abrogés en ce qu'ils présentent de contraire
à la Constitution ; mais je n'ai pas dit que je les rejetais en tous points.
J'ai dit que, dans le débat actuel, nous devions nous en tenir à la
Constitution qui suffit pour apprécier la question de la révocabilité du
succursaliste. Je n'admets ici que la Constitution.
J'ai écarté toute
autre considération. J'ai dit en un mot que la discussion devait se renfermer
dans la question constitutionnelle, et loin de m'opposer à la loi, je me suis
appuyé au contraire sur la loi des lois, sur la Constitution. J'insiste sur ce
point pour qu'on ne tronque plus ma pensée.
On m'a fait aussi une
espèce de reproche, en disant : Vous ne parlez pas des lois canoniques ; vous
ne parlez pas du concordat ; vous oubliez les articles organiques. Eh bien,
oui, j'ai passé tout cela sous silence à dessein, parce qu'il me semble que ce
n'est pas là la question, que nous devons nous renfermer dans le pacte
fondamental, dont l'article 16 est clair comme le jour, pour résoudre la
difficulté qu'on a soulevée.
Je vous avoue,
messieurs, qu'il me répugnait de me placer sur ce terrain, d'entamer une
discussion canonico-politique de la nature de celles auxquelles j'ai pris part
au congrès où elles se présentaient naturellement à propos des principes
constitutionnels à arrêter, mais qui ne se sont plus renouvelées depuis lors
dans cette enceinte, parce qu'elles offrent un non-sens en présence de la
liberté des cultes telle qu'elle est admise en Belgique. Il me répugnait de
relever les objections tirées des lois canoniques, de venir ici vous parler
latin, de fatiguer vos oreilles par un langage baroque. (On rit.)
Oui, messieurs, ce
serait un latin baroque. Cela n'a rien de personnel pour les honorables membres
qui ont parlé de la sorte, mais cela se rapporte aux paroles latines qu'ils ont
cru devoir prononcer et que j'aurais dû reproduire fidèlement. Cette discussion
n'aurait même pas pour vous un agrément littéraire. Ainsi je n'ai pas voulu
braquer canons contre canons. Cette guerre ne serait pas de votre goût. Je n'ai
pas voulu ériger en quelque sorte la chambre en concile. Je le répète, les lois
canoniques ne devaient pas être invoquées.
Mais enfin puisqu'on
veut que j'en parle, puisqu'on veut que nous touchions un mot du droit canon,
j'y consens. Je fais mes réserves en répétant que la question est toute
constitutionnelle, mais j'ajouterai que puisqu'on veut invoquer le droit canon,
à propos de l'inamovibilité des succursalistes, le droit canon est encore
contre ceux qui prétendent que celle inamovibilité, dans l'état actuel des
choses en Belgique, doit exister. Je le démontrerai, de même que pour ce qui
regarde le concordat, sans même examiner la question de savoir si le pape peut
réformer les canons, ce qui nous ferait faire un mouvement rétrograde jusqu'à
1682.
Je dirai d'abord que
l'inamovibilité est admise en principe, au point de vue canonique, qu'elle est
conforme à l'esprit de l'Eglise, à la discipline ecclésiastique générale, et
que les catholiques doivent la désirer pour autant qu'elle est possible, non
seulement pour les cures proprement dites, pour les cures cantonales, mais
encore pour les succursales. Je dis que cela est dans les vues, dans l'esprit
de l'Eglise. Mais pour présenter la question au point de vue canonique, il faut
bien remarquer que l'inamovibilité exige un titre, une condition qui est la
condition du bénéfice, à prendre le droit canon seul. Le bénéfice doit être
inamovible par lui-même, immobile ; le bénéfice canonique pris en général
consiste dans la dîme ou dans un établissement de mainmorte, et je ne pense pas
que l'honorable membre qui a invoqué ce moyen de défense pousse le zèle pour le
droit canon jusqu'au point d'admettre ces conséquences pour la Belgique.
Cependant il devrait
aller jusque-là. au point de vue canonique.
M. le président. - J'engage
l'honorable membre à se renfermer dans l'objet de la discussion et à abandonner
le débat sur le droit canon, qui relativement à la chambre est réellement
oiseux.
M. de Haerne. - Je n'ai fait que
répondre à l'objection qui m'était faite. Je m'étonne que notre honorable président
n'ait pas interrompu l'honorable membre qui est entré dans tous ces détails.
J'ai commencé par dire que c'était avec le plus grand regret que je traitais
cette question. Je demande à la chambre qu'il me soit permis de répondre à
l'objection qu'on m'a adressée. Je serai aussi court que possible.
On a parlé du
concordat, On a dit que je devais me placer au poiut de vue du concordat et des
articles organiques.
Cette question vous
paraîtra, je pense, messieurs, un peu plus intéressante.
J'espère que la
chambre me permettra d'exposer mes idées à cet égard.
On a donc prétendu qu'en vertu du concordat,
en vertu des articles organiques, postérieurs au concordat, qui ont été portés
contrairement à l'esprit du concordat, on a prétendu, dis-je, qu'on devait admettre
l'inviolabilité des succursalistes.
Je vous demanderai la
permission de lire l'article du concordat qui a trait à l'institution des
cures. Nous avons dans le concordat les articles 9 et 10, où il est dit :
« Art. 9. Les évêques
feront une nouvelle circonscription de paroisses de leurs diocèses, qui n'aura
d'effet que d'après le consentement du gouvernement. »
J'appuie sur ces
derniers mots, parce qu'ils sont décisifs dans la question.
« Art. 10. Les
évêques nomment aux cures. Leur choix ne pourra tomber que sur des personnes
agréées par le gouvernement. »
L'article ne fait
aucune distinction entre les cures et les succursales. Je vous prie de
remarquer que, quoique la deuxième partie de l'article soit abrogée par la
Constitution, elle n'est pas inutile dans la question qui nous occupe. C'est un
point que je devrai invoquer pour en tirer parti.
Ensuite nous avons,
pour ce qui regarde les articles organiques, l'article 31 et l'article 63 qui
ont été invoqués à plusieurs reprises dans cette discussion.
L'article 31 dit : «
Les vicaires et desservants exerceront leur ministère sous la surveillance et
la direction des curés.
« Ils seront
approuvés par l'évêque et invoqués par lui. »
L'article 63 dit : «
Les prêtres desservant les succursales seront nommés par les évêques. »
Messieurs, voilà les
articles du concordat et de la loi organique, qui, seuls, peuvent être invoqués
dans cette discussion. Voyons jusqu'à quel point on peut en argumenter pour
soutenir ce que l'on a avancé.
Je dirai, en passant,
que la signification du mot desservant, d'après l'origine du mot, et le sens
canonique qu'on lui a toujours donné, se rapporte à ces ecclésiastiques qui
desservent provisoirement un emploi. Telle est la définition qu'on en voit dans
le droit canon.
Quant aux desservants
nommés par les curés et dont a parlé l'honorable députés de Bruxelles, qui a
pris la parole après M. de Bonne, je dirai qu'ils n'existent que dans
l'imagination de l'honorable membre.
Il est donc dit dans
le concordat, à l'article 9, qu’il sera érigé des paroisses d'après une
nouvelle circonscription qui devra être approuvée par le gouvernement.
Je vous prie, messieurs, de bien faire
attention à ce point ; c'est le point capital. Notez aussi que toutes les
paroisses, de quelque dénomination (page
663) qu'elles fussent, étaient supprimées avant cette circonscription.
Cette circonscription a eu lieu par la suite, et elle était cantonale,
c'est-à-dire, qu'il y avait une paroisse, une cure par canton ; de sorte que,
d'après le concordat, on n'a considéré comme curés que les prêtres qui
appartenaient à cette circonscription cantonale, et que toutes les autres cures
qui avaient existé précédemment et qui venaient d'être supprimées, sont restées
supprimées et ont été envisagées comme des vicaires dépendant des cures
primaires établies dans chaque canton.
Voilà le véritable
sens de l'institution des cures. C'est ainsi qu'on l'a toujours entendu ; on
n'a qu'à voir le concordat, l'histoire de l'exécution du concordat et les
articles organiques pour s'en convaincre.
Voulez-vous,
messieurs, une preuve frappante que la chose a toujours été entendue dans ce
sens, et que jamais on n'a considéré les desservants ou succursalistes comme
des curés proprement dits et inamovibles ? C'est que dans l'article 10 du
concordat que je viens de lire, il est dit que les présentations qui seront
faites pour les cures par les évêques devront être agréées par le gouvernement.
Or, il est de fait, et vous le savez, que ni en France, ni sous l'ancien
royaume des Pays-Bas, jamais le gouvernement n'a exigé le droit d'agréation
pour les ecclésiastiques nommés aux succursales. Il n'a exigé ce droit que pour
ce qui concerne les nominations aux cures cantonales.
Tel est donc le droit
établi par le concordat. Je pourrais citer d'autres preuves ; mais je crois que
celle de l'agréation du gouvernement est suffisante pour faire voir à toute
évidence qu'il n'y avait de cures aux yeux du gouvernement, et par conséquent
aux yeux du saint-siège, que les cures cantonales qui seules avaient un titre
en guise de bénéfice.
Plus tard, messieurs,
je le sais, la nécessité a forcé le clergé à transformer en quelque sorte en
cures les succursales pour les besoins du service, parce que vous comprenez
qu'il était impossible de suffire au service ecclésiastique avec une seule cure
par canton.
Messieurs, lorsqu'on
a conclu le concordat, on n'avait pas songé à cet inconvénient, et je dois dire
aussi que, de la part du gouvernement français, il n'y a pas eu grande sincérité,
il n'y a pas eu grande loyauté vis-à-vis du saint-siège. Napoléon disait qu'il
était à cheval sur les quatre articles du culte gallican. Mais il s'est mis à
cheval sur les 77 articles organiques, et en agissant ainsi, il a déchiré d'un
coup de botte le concordat.
On s'était attendu,
quant à cette circonscription dont on faisait mention dans le concordat, à une
circonscription beaucoup plus étendue. On avait pensé que les anciennes cures
auraient presque toutes été rétablies, d'après les besoins du culte. Mais il
n'en a rien été ; on s'est contenté d'instituer le cures cantonales.
Je suis même porté à
croire que le gouvernement avait cette intention lorsque, dans les articles
organiques, il a affecté de placer les desservants après les vicaires. C’était,
je pense, pour faire ressortir la position secondaire des desservants ; et ceci
peut servir de réponse à l'honorable membre qui a cru qu'il s'agissait là d'une
catégorie spéciale de desservants, nommés par les curés, catégorie qui, comme
j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, n'a jamais existé.
En d'autres termes,
on trouve quelquefois le mot vicaire placé avant le mot desservant : c'était,
je crois, avec intention pour annuler en quelque sorte ces places, qui
auparavant étaient de véritables cures. Ceci entrait dans les vues secrètes que
l'on avait d'amoindrir les effets du concordat, et, il faut bien le dire, de
jouer le saint-siège.
Messieurs, la
question de l'inamovibilité se présente encore sous une autre face, et je dois
nécessairement traiter ce point. Car je sens l'objection que l'on va me faire
et que l'on serait fonde à me faire. Si l'on ne faisait pas attention au point
que je vais toucher, on me dirait : Vous prétendez que, d'après le droit canon
l'inamovibilité est inhérente au bénéfice, bénéfice qui lui-même est
immobilisé, qui est une institution de main morte ou bien la dîme. Cependant
vous devez reconnaître, me dirait-on, que d'après le concordat, les cures
primaires entraînent l'inamovibilité, sauf le cas de révocation par jugement canonique.
Oui, messieurs, mais je vais vous en donner la raison. Cela est également
conforme à tout ce que je viens de vous dire sur le concordat et sur les
articles organiques.
Pourquoi les cures
primaires emportent-elles la condition de l'inamovibilité ? Parce que le
traitement conféré aux cures primaires est aussi immobile, parce qu'il dépend
de la circonscription stipulée dans un contrat synallagmatique, savoir le
concordat, et que par-là il est assimilé aux institutions de mainmorte ou à la
dîme, que le droit canon regardait comme des bénéfices. Mais il n'en est pas de
même pour les succursales. Car les succursales n'étaient pas comprises dans les
cures établies par la circonscription, les succursales étaient considérées
comme de simples vicairies. Le traitement attaché à ces places n'était pas
stipulé par le concordat et par conséquent il dépendait de la législature ; il
n'avait rien d'immobile, il pouvait être modifié, supprimé par la loi.
Voilà pourquoi
l'inamovibilité n'a pas été annexée à ces places que l'on appelle succursales.
Si quelques exceptions ont été admises, quant à ces places, ce n'a été qu'en
les faisant entrer dans la catégorie de celles qui appartenaient à la
circonscription arrêtée par le concordat, en les soumettant à la condition de faire
agréer par le gouvernement les titulaires nommés à ces places.
Telles sont,
messieurs, les observations à faire, lorsqu'on veut se placer au point de vue
du droit canon, du concordat et des articles organiques, point de vue auquel on
n'aurai pas dù se placer. Mais, je le répète, j'ai été forcé de suivre mes
adversaires sur le terrain où ils m'ont conduit.
Messieurs, il me
reste un dernier mot à dire par rapport à des attaques, à des suppositions
malveillantes que j'ai trouvées ce matin, à mon adresse, dans certains
journaux, et qui résultent, je pense, de certaines insinuations qui avaient été
faites hier dans cette discussion.
On a fait entendre
que je m'opposais à ce que les succursalistes devinssent inamovibles à
l'avenir, et on m'a attribué à cet égard je ne sais quelles intentions.
Messieurs, il n'en est rien. Je proteste de toutes mes forces contre une telle
supposition. Je désire et je désire vivement que cette inamovibilité puisse
avoir lieu. Car je crois, comme je l'ai déjà dit, qu'elle est dans l'esprit de
l'Eglise, qu'elle est conforme au droit canon antérieur au concordat et que ce
n'est que par la force des circonstances, par les malheurs des temps que cette
discipline a été changée. Mais je n'ai pas cru devoir entrer dans cet ordre
d'idées hier, parce que je ne pensais pas que personne pût se tromper à cet
égard, que personne pût prendre le change sur mes intentions.
L'honorable M. Lebeau
a demandé à M. le ministre de la justice s'il ne serait pas possible, par une
intervention officieuse près des dignitaires ecclésiastiques, près du
saint-siège, d'arriver à cette inamovibilité en ce qui concerne les
succursales. Au point de vue ecclésiastique, au point de vue religieux, je dois
vous avouer que je ne trouverais pas le moindre inconvénient à ce que cette
intervention officieuse eût lieu. Pour ma part, j'y souscrirai de grand cœur.
Mais si je ne vois
point d'inconvénient au point de vue religieux, je trouve qu'il y en a beaucoup
au point de vue politique. Je vous dirai, à cet égard, toute ma pensée. Voici
les difficultés que je crois qu'on rencontrerait au point de vue politique, et
c'est ce qui m'a engagé hier à garder le silence sur ce point. Je pense que si
les succursalistes devenaient inamovibles, il en résulterait, comme vous l'a
dit l'honorable M. Lebeau, de grands changements. Ainsi il faudrait songer à
une augmentation de traitement, et l'honorable M. Lebeau lui-même a dit hier
que si l'état de nos finances le permettait, il croirait qu'il faudrait
améliorer la position du clergé secondaire sous ce rapport.
Voyez, messieurs, la
conséquence qui résulterait de l'établissement de l'inamovibilité pour les
succursales. Du moment que vous admettez cette inamovibilité pour les
succursales, vous en faites des cures ; vous faites une, nouvelle circonscription
de cures, et. par conséquent, vous rentrez dans le concordat. Dès lors les
succursalistes sont placés sur le même rang que les curés cantonaux. Or, alors
les lois, les règlements, en ce qui concerne les traitements, leurs deviennent
applicables et vous devez leur accorder le traitement de curé.
Je sais, messieurs,
qu'il y a des membres de cette chambre qui ne reculeraient pas devant cette
difficulté, devant cette augmentation de dépenses mais la chambre
entrerait-elle dans cette voie ? J'en doute beaucoup, surtout lorsque je vois
l'état de nos finances, et Dieu sait quand nos ressources financières seront
assez grandes pour songer à une pareille amélioration.
Remarquez encore un
fait. Il y a une foule de succursales qui sont au moins aussi importantes, qui
sont même plus importantes que des cures proprement dites, que des cures
primaires. Dès lors quel motif y aurait-il de ne pas placer ces desservants
dans la position où se trouvent les cures proprement dits ?
Vous voyez donc que
vous arrivez à une grande augmentation de dépenses, de quelque manière que vous
vouliez prendre la question. Car j'espère bien qu'en ce qui concerne les curés
vous ne prétendez pas qu'il faut diminuer leur traitement et donner aux
dispositions établies à cet égard un effet rétroactif. Seulement vous pourriez
dire que pour l'avenir on y songerait, que l'on établira une moyenne. Mais
quelle que fût cette moyenne, elle entraînerait nécessairement une grande
augmentation de dépenses à cause du grand nombre de succursales qui existent,
comparativement au nombre des cures proprement dites. C'est là, messieurs, une
très grande difficulté dans l'état actuel de nos finances.
Il est une autre
difficulté, messieurs, toujours au point de vue politique. D'après le droit
ecclésiastique et disciplinaire existant aujourd'hui, les curés inamovibles
sont l'exception et les autres forment la règle ; si l'inamovibilité était
appliquée à toutes les cures, il en résulterait de grands embarras pour les cas
où l'autorité supérieure devrait agir dans l'intérêt de la discipline ;
aujourd'hui ces cas sont infiniment rares, mais ils pourraient se multiplier
par les circonstances des temps, des opinions, des doctrines nouvelles.
Pour que cette
inamovibilité pût être établie d'une manière générale et régulière, il faudrait
une autre organisation de l'état ecclésiastique ; il faudrait des moyens
propres à prévenir les inconvénients qui pourraient résulter de ce nouvel état
de choses. Il faudrait alors reconstituer ce qu'on appelle dans l'état
ecclésiastique les officialités, c'est-à-dire les tribunaux ecclésiastiques qui
coexistaient autrefois avec le principe de l'inamovibilité.
Or d'après le droit
canon, encore une fois, ces tribunaux doivent pouvoir requérir en tout temps le
bras séculier pour l'exécution de leurs décrets. Je dis que c'est là une
difficulté grave au point de vue politique, et qui certes mérite bien qu'on y
fasse attention. Je dis que c'est là une chose fort délicate, et c'est pour
cela qu'on a considéré les cures succursales non pas comme de véritables cures,
mais seulement comme des espèces de vicairies d'un ordre supérieur, mais
entraînant la condition de la révocabilité. C'est pour cela aussi que
l'autorité supérieure ecclésiastique n'a pas encore touché à cette question.
Messieurs,
je termine en disant de nouveau que je suis loin de m'opposer à
l'inamovibilité, que je désire, au contraire, qu'elle puisse se réaliser, parce
que je suis persuadé qu'elle est conforme à la discipline de l'Eglise. Mais
cette question peut faire surgir des difficultés vis-à-vis du pouvoir civil, et
je crois qu'on aurait mieux fait de ne pas la traiter, parce que ce débat est
complétement oiseux. Ce qui est certain, c'est que dans cette question, nous (page 664) n'avons qu'à invoquer la
Constitution qui est claire, qui, dans son article 16, interdit l'intervention
de l'Etat dans la nomination des ministres du culte. Comme j'ai eu l'honneur de
le dire hier, il s'agit ici de nominations qui sont toujours conditionnelles,
et on ne peut pas empêcher l'autorité ecclésiastique de faire les nominations
de cette manière, puisqu'on ne peut intervenir sous quelque rapport que ce soit
dans ces nominations. Quant au droit canon, au concordat et aux articles
organiques dont mes honorables contradicteurs veulent absolument s'étayer, je
crois, messieurs, vous avoir démontré qu'ils y trouvent la réfutation complète
de leurs doctrines.
M. Wallaert. - Vous me
permettrez, messieurs, d'observer d'abord que les desservants ne se plaignent
pas d'être révocables. Je ne connais pas de plaintes de cette nature, et
d'ailleurs nos évêques administrent leurs diocèses avec trop de prudence pour
que des plaintes puissent être faites raisonnablement. Je ne crois pas non plus
que les desservants se croient plus malheureux à cause de leur amovibilité que
les curés allemands, espagnols ou italiens, etc. ; au moins je n'en ai jamais
entendu parler par les desservants mes amis et mes anciens confrères.
Je ferai observer, en
second lieu, que c'est une question très sérieuse que celle de savoir s'il est
plus avantageux à la religion, dans notre pays, que les desservants soient
amovibles ou inamovibles. Les meilleurs esprits et les personnes le mieux
intentionnées ne sont pas d'accord là-dessus. Nous devons laisser au souverain pontife
et au corps épiscopal belge le soin de cette question et ne pas nous en occuper
à la chambre, parce que la chambre est incompétente, selon moi, sur ce point.
La religion
catholique, messieurs, comprend : 1° le dogme, c'est-à-dire les points de la doctrine
catholique, et qui ne change pas ; 2° la morale qui détermine le bien ou le mal
des actions humaines, qui ne change pas non plus ; 3° la discipline qui est le
règlement des cérémonies religieuses, des personnes ecclésiastiques, et le
gouvernement de l'Eglise, pour autant qu'il n'est pas déterminé par l'Ecriture
sainte et les traditions apostolique, et cette discipline peut changer et a
changé assez souvent dans quelques points lorsque certaines circonstances
l'exigeaient.
J'arrive maintenant, messieurs,
à l'amovibilité des desservants, et je dis que toute cette question dépend
uniquement du concordat de 1801, et de la nouvelle circonscription qui a été
faite des évêchés et des paroisses en conséquence de ce concordat. Par ce
concordat étaient supprimés non seulement tous les évêchés, mais encore toutes
les paroisses de la France et des pays conquis. Une nouvelle circonscription
fut faite des évêchés et des paroisses. Chaque chef-lieu de canton fut érigé en
cure proprement dite. Furent érigés en cures de première classe les chefs-lieux
de canton qui avaient au-dessus de 5,000 âmes de population, et en cures de
deuxième classe les chefs-lieux de canton qui avaient au-dessous de 5,000 âmes.
Les titulaires des chefs-lieux de canton furent nommés par les évêques, avec
l'agréation du premier consul et portaient le titre de curé proprement dit, le
parochus du concile de Trente. Les autres communes ou parties de commune furent
érigées en succursales en annexes de la cure primaire ou secondaire, et les délégués
de ces communes ou parties de commune furent nommés par leurs évêques
respectifs et furent désignés sous le nom de desservants pour les succursales,
et sous celui de chapelains pour les annexes, avec mission et juridiction
temporaires révocables par les évêques, usque ad revocationem. Cette clause fut
et est encore insérée dans leurs lettres de nomination et d'institution,
lettres lues devant le peuple le jour de l’installation du desservant et, dans
cette cérémonie, le desservant promet, devant les autels, obéissance à son
évêque.
Je pense, messieurs,
que par cet exposé, vous comprendrez facilement que le concordat de 1801, et la
nouvelle circonscription des paroisses faite en exécution de ce concordat, ont
change complétement la discipline, et que l'ancienne discipline touchant
l'inamovibilité des curés, ne peut pas être applicable aux desservants.
Cette discipline a
pour preuve de son existence et de son introduction la convention du
saint-siège avec le premier consul et la nouvelle circonscription des
paroisses, l'application de cette discipline par les évêques pendant plus de 40
ans, sans réclamation et du consentement du saint-siège. Par notre séparation
d'avec la France en 1814, rien n'a été changé sous ce rapport-là, et par notre
révolution de 1830 non plus.
Celte discipline de
l'amovibilité des desservants existe donc pour la Belgique. Les évêques nomment
donc, d'après cette discipline, les desservants avec mission et juridiction
temporaires usque ad revocationem. Le révoqué perd, avec sa mission, son droit
au traitement. L'évêque nomme donc un autre à la place
du révoqué d'après la discipline de l'Eglise. La chambre donc n'a rien à y voir
d'après les articles 14 et 16 de la Constitution. et quant au révoqué, comme il
l'a été par l'autorité compétente et dans les limites du pouvoir de cette
autorité, ni le ministre, ni les chambres, ni les tribunaux ne sont compétents
dans ces affaires. Au surplus, messieurs, d'après la liberté des cultes qui
existe en Belgique et la non-intervention de l'Etat dans la nomination ou dans
l'installation des ministres d'un culte quelconque, je pense, messieurs, que la
discussion sur l'amovibilité ou l'inamovibilité des desservants, etc., n'est
pas du ressort des chambres législatives, et que la législature ferait bien de
laisser ces questions à l'autorité compétente, c'est-à-dire au saint-siège et à
nos respectables évêques belges.
L'Etal n'a le droit
d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation des ministres d'un
culte quelconque.
M. Dumortier. - Voilà trois jours que nous discutons une
question qui n'est pas de la compétence de la chambre. Je pense qu'il est temps
enfin d'en venir à des objets plus sérieux pour nous. Nous ne sommes point ici
pour traiter des questions théologiques ; on ne peut pas transformer la chambre
en concile. Faisons des lois, c'est là notre mission ; tâchons de donner du
pain et des pommes de terre au peuple, ce sera mieux occuper notre temps que de
le gaspiller en discussions qui ne peuvent conduire à aucune espèce de
résultat.
Je demande qu'on
mette fin à ce débat, et qu'on aborde la discussion du budget.
M.
le président. - Vous venez d'entendre la motion de M. Dumortier.
Elle tend à ce que dans la discussion générale il ne soit plus parlé je ne
dirai pas de l'incident, car ce n'en est pas un, mais de la question soulevée
par M. de Bonne.
M. de Haerne. - Je pense que la
motion de l'honorable M. Dumortier doit être prise comme un simple avertissement.
Moi-même j'ai répété, à différentes reprises, que je n'entrais qu'à regret dans
cette discussion, que je le faisais uniquement parce que je croyais devoir
répondre à certaines observations qui avaient été faites ; mais si des membres
veulent traiter la question soulevée par l'honorable M. de Bonne, je pense
qu'on ne peut pas les en empêcher.
M. Dumortier. - Je prie mon honorable collègue, M. de
Haerne, de croire que je n'ai pas voulu faire allusion à lui. Il a répondu aux
discours qui avaient été prononcés ; c'était son droit, c'était même son
devoir, mais, je pense que nous devons tous désirer la fin de ce débat qui ne
peut nous mener à rien. Je demande donc qu'on prononce la clôture de la
discussion et qu'on en vienne enfin à voter les budgets. Nous voilà arrivés à
la mi-février et nous avons à peine entamé la discussion des budgets. Je dis
que nous ne sommes pas ici pour traiter des questions théologiques. Je dis
qu'on transforme le parlement en concile lorsqu'on lui soumet des questions de
la nature de celle qui nous occupe depuis trois jours et que la Constitution
défend, non seulement de résoudre, mais même d'examiner. Car nous faisons
partie de l'Etat et, aux termes delà Constitution, l'Etat ne peut intervenir
d'une manière quelconque dans la nomination des ministres du culte.
Un
grand nombre de membres. - La clôture ! la clôture !
M. de Bonne. - Je n'insiste pas
devant la chambre pour pouvoir réfuter les arguments des honorables membres qui
ont cru devoir répondre au discours que j'ai prononcé dans l'avant-dernière
séance ; mais je déclare à l'honorable M. Dumortier, que dans toutes les
sessions, chaque fois qu'il sera question du budget de la justice, comprenant
le chapitre des cultes, je reproduirai mes observations jusqu'à ce qu'il y soit
fait droit.
M.
Delehaye. - Je crois, messieurs, que vous ne pouvez pas
prononcer la clôture à cause de l'incident qui s'est soulevé....
M. le président. - Il n'y a pas
d'incident.
M. Delehaye. - S'il n'y a pas
d'incident, il n'en est pas moins vrai que jusqu'à présent on n'a pu traiter
aucune question se rattachant directement au budget de la justice. On voudrait
donc fermer la bouche aux membres qui voudraient examiner ces questions.
M. Dumortier. - Non, non.
M. Delehaye. - Ce n'est pas l'intention
de l'honorable M. Dumortier, mais ce serait la conséquence de sa proposition.
Je le répète,
messieurs, il n'est pas possible de clore en ce moment la discussion générale.
M. Dumortier. - Ce qui est
certain, messieurs, c'est que depuis trois jours nous discutons de manière à ne
pouvoir arriver à aucune espèce de résultat. Les discours s'enchevêtrent de la
manière la plus étrange : on prononce un discours sur la question théologique,
puis un discours sur l'augmentation du personnel du tribunal de Louvain. C'est
vraiment la confusion des langues, c'est la tour de Babel. Je demande que la
discussion générale soit close ; et si des membres ont des observations à
présenter sur le budget, ils en trouveront l'occasion dans la discussion des
articles, d'autant plus que, suivant les habitudes de la chambre, si un seul
membre le désire, on ouvre une discussion générale sur tel ou tel chapitre du
budget.
Du reste je ne
m'oppose pas même à ce que la discussion générale continue, pourvu qu'on
termine la discussion sur l'incident.
M. Lebeau. - Il n'y a pas
d'incident.
M. Dumortier. - Sur la motion si
vous l'aimez mieux.
M. Lebeau. - Il n'y a pas de motion.
M. Dumortier. - Eh bien !
sur les interpellation.
M. Lebeau. - Il n'y a pas
d'interpellations.
M. Dumortier. - Il n'y a donc
rien !
Je dis, messieurs, qu'il
y a des interpellations, et il est si vrai qu'il y a des interpellations que M.
le ministre de la justice y a répondu. Eh bien, si la réponse de M. le ministre
ne convient pas aux honorables membres qu'ils usent de leur droit d'initiative,
qu'ils présentent un projet de loi et alors au moins nous saurons ce que nous
discutons.
Certes le discours ou
plutôt le mémoire de l'honorable M. de Bonne est très remarquable à son point
de vue ; mais ce n'est pas une raison pour que la chambre consacre 8 jours à la
discussion d'une question à laquelle elle ne peut donner aucune espèce de
solution.
M. Dubus (aîné). - Je dois faire observer à la chambre qu'il y
a un véritable incident. L'honorable M. de Bonne a adressé des interpellations
à M. le ministre de la justice, et c'est à l'occasion de ces interpellations,
c'est pour faire comprendre ces interpellations à M. le ministre et à la
chambre, qu'il a prononcé ce discours ; M. le ministre lui a répondu et c'est
sur ce seul point que la discussion s'est établie et a continué hier et
aujourd'hui. Il me semble donc qu'il y a lieu de prononcer la clôture sur
l'incident et d'aborder enfin la discussion générale du budget, qui n'a pas
même commencée.
(page 665) Je disais hier que probablement personne n'avait rien à
dire dans la discussion du budget parce qu'aucune membre n'avait abordé cette
discussion..
Aujourd'hui des
membres ont demandé la parole à cet effet ; eh bien, je demande qu'ils soient
entendus et qu'on mette fin au débat soulevé par les interpellations de M. de
Bonne.
M. le président. - M. Dubus propose
de clore la discussion relative à la question soulevée par M. de Bonne.
M. Fleussu. - Je partage l'opinion
qui a été exprimée tout à l'heure par M. le président, qu'il n'y a pas
d'incident ; il y a, si vous le voulez, une question spéciale dans la
discussion générale ; c'est là le véritable caractère qu'il convient de donner
à l'objet de ce débat. Eh bien, je demande à la chambre s'il lui appartient de
m'imposer silence sur cette question spéciale ? Il y a des points dans cette
question qui n'ont pas été suffisamment traités et sur lesquels j'ai, moi, des
observations à présenter. Ainsi, par exemple, M. le ministre de la justice a
traité la magistrature d'une manière que je trouve un peu cavalière et qui
m'étonne beaucoup de la part d'un ministre de la justice. Il a formellement
méconnu l'autorité de la chose jugée. Vous m'empêcherez donc de répondre sur ce
point à M. le ministre ?
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Non ! non !
M. Fleussu. - C'est cependant à
l'occasion de la question spéciale que vous avez émis la doctrine dont je viens
de parler, et si la clôture est prononcée sur cette question, il est évident
que je ne pourrai pas vous répondre.
Je demande que nous
restions libres ; les cultes sont dans les attributions de M. le ministre de la
justice ; que chacun fasse ses observations comme il l'entend ; nous perdons
plus de temps à élever des incidents de clôture que l'examen de la question
spéciale n'en demanderait ; car je ne pense pas qu'il soit dans l'intention de
beaucoup de membres de traiter cette question qui, j'en conviens, a occupé
assez longtemps l'attention de la chambre et du pays.
M.
le président. - Je mets aux voix la clôture sur la question
spéciale traitée par M. de Bonne.
- Il y a doute : la
discussion continue.
M. le président. - La parole est à
M. de Bonne.
M. de Bonne. - Messieurs, le
discours remarquable de M. Lebeau qui a examiné en véritable homme d'Etat les
questions constitutionnelles qu'ont soulevées mes interpellations, et les
réponses de mon honorable collègue et ami, M. Verhaegen, qui a réfuté
victorieusement, me semble-t-il, les objections faites aux principes que j'ai
exposés, on rendu ma tâche légère et facile.
J'avoue que je ne me
suis pas attendu à ce que mes observations prendraient une aussi grande étendue
: je ne les regrette pas, si elles peuvent éveiller l'attention du gouvernement
et l'engager à s'occuper de régulariser un état de choses qui pourrait par la
suite lui donner de graves embarras.
Je me range donc à l'opinion
de cet honorable collègue, M. Lebeau, pour les mesures qu'il conseille de
prendre par le gouvernement. Je le remercie de tout ce qu'il a dit de flatteur
pour moi, et je n'ai plus rien à ajouter à ce qu'il a adressé à M. le ministre
de la justice, dont j'avais senti le peu de politesse dans la réponse qu'il m'a
faite ; je me tiens pour satisfait. Je n'abuserai pas des moments de la
chambre, je n'ai que peu de chose à ajouter. M. le ministre de la justice nous
a dit que l'interprétation de l'article 31 de la loi organique, n'avait pas été
la cause du voyage à Rome de M. l'évêque de Liège, cela est possible, quoiqu'il
me reste quelque doute, car la raison que M. le ministre a donnée me semble
bien faible ; il est de règle de discipline canonique, a-t-il dit, que tout
évêque fasse un voyage à Rome et cela tous les deux ans.
Quoique je sois un
bien petit canoniste, ignorant même, je crois que cette règle, si elle existe,
est bien moderne et presque inconnue.
Un évêque peut être
appelé à Rome, alors il est de son devoir de s'y rendre.
Lorsque la barrette
ou le chapeau de cardinal lui est donné, il est d'usage d'aller le recevoir.
Mais cela n'est pas de rigueur.
Je passe à d'autres
points. Je maintiens ce que j'ai dit : que les desservants de succursales sont
de véritables curés, qu'ils ont charge d'âmes et qu'ils sont inamovibles
autrement que par jugement, et cela tant d'après le droit canonique ancien que
par celui introduit par la loi organique, que je considère comme abrogée. M.
l'abbé de Haerne, nous a dit que la réponse du Saint-Père avait dissipé tous
les doutes ; que maintenant c'était un principe nouveau, déclaré.
A cela je répondrai
avec tout le respect que je dois et que j'ai pour les décisions de notre saint père
qu'un principe, qu'une loi canonique de l'Eglise ne peuvent être changés,
modifiés que par un concile. Aussi, le saint-père n'a-t-il pas changé ce
principe, il suffit de lire sa réponse avec attention : et annuit ut nihil
immutelur donec aliter stalulum fuerit ; qu'il acquiesçait à ce que rien ne fût
changé jusqu'à ce qu'autrement il fût statué.
Ces paroles ne
comportent pas un sens aussi absolu, aussi positif qu'on le prétend : elles ont
la signification d'éviter tout trouble provisoirement ; elles indiquent que le
saint-père s'attend à ce que ce différend ou cette question douteuse soit
réglée et fixée d'une manière régulière, parce qu'en général la règle de
l'Eglise, c'est l'inamovibilité des pasteurs à charge d'âmes.
Et cela avec autant
plus de raison que l'inamovibilité des pasteurs n'a pas seulement été établie
en faveur de ceux-ci, mais également en faveur des fidèles. Les mutations
fréquentes empêchent les bons rapports, éloignent la confiance et rendent le
pasteur et ses ouailles étrangers l'un à l'autre.
La deuxième
observation qu'on a faite a été l'article 16 de la Constitution ; le
gouvernement ne peut s'immiscer dans rien, il n'a aucun droit d'examen, a-t-on
dit.
Si l'on eût continué
la lecture de cet article jusqu'à la fin, on eût pu voir que ce raisonnement
est bien défectueux, pour ne pas dire obstatif à ce principe ; le gouvernement
n'a droit, etc., ni de défendre de publier leurs actes, sauf en ce dernier cas,
la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.
Je me demande :
Comment le gouvernement pourra-t-il jamais réprimer une atteinte quelconque,
portée à ses droits en matière de presse et de publication, s'il n'a pas le
droit d'examen ? Cette fin de non-recevoir anéantirait toute poursuite ; une
bulle, une encyclique qui délierait les Belges de la fidélité qu'ils doivent au
souverain, pourrait être publiée sans que le gouvernement pût y mettre le
moindre obstacle.
Réfléchissez,
messieurs, et prononcez. Une troisième objection de M. l'abbé de Haerne faite à
la séance d'hier a été, qu'à la vérité, la cour de Rome n'avait pas reconnu la
loi organique, mais plus tard sentant l'utilité, la nécessité de rendre les
desservants amovibles, cela avait fait ou pouvait avoir fait l'objet d'articles
secrets.
M. de Haerne. - Je n'ai pas parlé
d'articles secrets ; j'ai dit qu'il pouvait y avoir eu une action secrète du
gouvernement.
M. de Bonne. - Si cela a
véritablement existé, cet état de choses a dû cesser depuis 1831, époque de la
publication de la Constitution.
L'article 68 porte :
dans aucun cas les articles secrets d'un traité ne peuvent être destructifs des
articles patents.
Ou l'amovibilité des
desservants était clairement exprimée dans la loi organique et dans ce cas, pas
de nécessité d'articles secrets.
Ou bien elle ne
l'était pas et il a fallu des articles secrets et dans ce cas ils sont devenus
caducs, par suite de l'article 68 que j'ai invoqué.
Je crois difficile de
sortir de ce dilemme.
On nous a accusés
hier de vouloir porter atteinte à ces libertés qui font l'honneur de la
Belgique, qu'on cite en France, en Angleterre, dans tous les pays enfin.
Ces imputations sont
graves, et si je n'écoutais que mon indignation, j'y répondrais avec toute la
sévérité qu'elles méritent. Je préfère les repousser avec le calme et la
dignité que je veux m’imposer dans toutes les discussions auxquelles je
prendrai part.
Eh bien ! messieurs,
vous penserez que revendiquer la liberté légale en faveur de 3 ou 4 mille de
nos concitoyens placés sous le joug, sous une espèce d'épée de Damoclès, c'est
là porter atteinte à nos libertés ! C'est renverser les principes de la
Constitution ! s'est-on écrié. Cela serait vrai si celle-ci pouvait contenir
l’asservissement de tout le clergé inférieur au profit, à la domination de
l'épiscopat. et c'est ce qui n'est pas. C'est là tout à fait intervertir les
rôles, c'est une manière de raisonner fort peu logique, mais fort adroite, j'en
conviens. Je désavoue donc formellement cette interprétation de mes paroles et
de mes intentions.
Ce
que j'ai fait et ce que j'ai dit l'a été par conviction : et je continuerai à
le faire tant et aussi longtemps que la liberté canonique et constitutionnelle
ne sera pas accordée au clergé secondaire.
J'ai agi sans
arrière-pensée, je ne cherche ni ne veux rien. Lorsqu'à mon âge on accepte,
plutôt par devoir que par goût, le mandat que mes concitoyens m'ont fait
l'honneur de me confier, on le veut remplir avec conscience et loyauté.
Je dois des
remerciements aux honorables collègues et amis qui me sont venus en aide, mais
j'ai foi dans l'avenir : le temps c etla réflexion sont des auxiliaires en qui
nous devons» mettre nos espérances.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. de Bonne vient de dire
que je lui ai répondu avec peu de politesse ; j'en appelle avec confiance à la
chambre ; je défie l'honorable membre de trouver dans tout mon discours une
seule expression, un seul mot qui puisse blesser les susceptibilités les plus
délicates. La chambre sait la convenance que je mets toujours dans mon langage,
elle décidera si je me suis cette fois écarté de mes habitudes et des usages
parlementaires.
Je n'ai qu'un mot à
répondre au nouveau discours de l'honorable membre. La discussion soulevée par
son premier discours me paraît épuisée ; mais il vient de donner à l'article 16
de la Constitution une interprétation qu'il est impossible d'admettre ; et
c'est à cette occasion que j'ai demandé la parole.
«
Si le gouvernement, dit-il, ne se réserve pas le droit d'examen, relativement à
la publication des bulles, par exemple, il sera loisible d'afficher une bulle
qui délierait les citoyens du serment de fidélité, et les appellerait à la
révolte ». Je n'hésite pas à dire qu'une semblable bulle pourrait être affichée
sans que le gouvernement pût l'empêcher ; mais celui qui l'aurait affichée ou
publiée serait responsable des délits qui pourront être commis à la suite de
cette publication ; il serait responsable de cette publication même, si par son
contenu elle constituait un crime ou un délit.
Voilà comment il faut
entendre l'article 16 de la Constitution qui a voulu faire disparaître les
dispositions de l'article 1 des articles organiques, qui exigeaient que les
bulles fussent munies d'une autorisation du gouvernement, avant de pouvoir être
publiées.
M. Fleussu. - Messieurs, si je
demande la parole dans la discussion générale, ce n'est pas pour prendre part à
l'examen de la question qui se traite depuis deux jours. J'avoue qu'en cette
matière je suis, tout à fait incompétent, et que si j'avais à me prononcer
entre un régime qui existe depuis quarante ans et les lois qui l'ont précède,
je me trouverais fort embarrassé. Je dirai que des questions de cette nature ne
sont pas de mon goût, et voici pourquoi : Je n'aime pas que le clergé se mêle
des affaires politiques, je n'aime pas son intervention dans les affaires
temporelles ; (page 666) mais par la
même raison, je crois que le gouvernement ni les chambres ne doivent pas non
plus se mêler du spirituel. La Constitution a tracé la ligne qui sépare le
spirituel du temporel, et j'avoue que ce ne sera jamais qu'avec répugnance que
j'aborderai des questions de la nature de celle qui occupe la chambre depuis
trois jours.
Messieurs, j'ai
demandé cependant la parole pour répondre quelques mots à ce qu'a dit hier M.
le ministre de la justice sur l'autorité de la chose jugée, si une décision
judiciaire intervenait en cette matière.
M. le ministre de la
justice a dit que s'il se trouvait en Belgique un tribunal qui pût déclarer
qu'un desservant révoqué a le droit de conserver ses fonctions, et par
conséquent de continuer à toucher son traitement. M. le ministre a dit que dans
ce cas, il ne respecterait pas la décision de ce tribunal, alors même que la
décision aurait passé par les épreuves d'une cour d'appel, voire même de la
cour de cassation.
Messieurs, il m'est
impossible de ne pas protester contre une semblable doctrine. Si elle était
admise, il n'y aurait plus de pouvoir judiciaire en Belgique, son existence ne
serait plus que nominale. (Interruption.)
Je sais qu'il y a un
antécédent, mais cet antécédent me paraît très fâcheux. Le chambre, me dit-on,
s'est prononcé dernièrement contre une décision de l'ordre judiciaire ; je
crois qu'elle a eu grand tort, et voyez, messieurs, le ministre de la justice
veut déjà imiter ce mauvais précédent dans la sphère de ses attributions. Je
conçois que lorsqu'il s'est agi ici des toelagen, vous ayez pu vous laisser
induire en erreur par cette considération, que cet objet avait fixé l'attention
de la chambre pendant six ou sept sessions, que vous avez tenu en suspens la
question des toelagen, et qu'alors que vous en étiez saisis, le pouvoir judiciaire
devait se déclarer incompétent ; c'était au moins là un prétexte spécieux pour
expliquer votre décision récente ; mais on ne peut pas invoquer ce prétexte
dans l'espèce.
Quoi ! M. le ministre
de la justice vient dire qu'il n'exécutera pas une décision judiciaire !
Mais qu'il me fasse le plaisir de me montrer une seule disposition qui
l'autorise à tenir en suspens les décisions de la magistrature, je le défie de
pouvoir se prévaloir d'une seule disposition législative qui fasse exception à
la règle générale. Je vais plus loin : je le défie de me montrer une doctrine
quelconque, dans quelque auteur que ce soit, qui lui permette de faire cette
exception.
Mais, messieurs, s'il
était permis de faire des exceptions à ïa chose jugée, où iriez-vous ? Ce que
M. le ministre de la justice s'attribuerait, un particulier pourrait se
l'attribuer aussi ; il dirait : « Cette décision est évidemment erronée ; voilà
la preuve de l'erreur des juges ». Et alors, il lui serait libre de former
opposition à la chose souverainement jugée contre lui ? Mais alors même qu'il
aurait la preuve qu'il y a eu erreur, le particulier ne pourrait pas suspendre
l'exécution de la chose jugée.
Et de quel droit M.
le ministre de la justice viendra-t-il, de son autorité privée, se mettre au-dessus
de tous les corps de la magistrature ? Je dis qu'il n'y a plus de pouvoir
judiciaire, si on admet une semblable doctrine.
Je vais plus loin, et
je dis à M. le ministre de la justice : « Y eût-il erreur et erreur démontrée,
vous devez encore exécuter la décision judiciaire. Et pourquoi ? parce que les
décisions judiciaires sont toujours supposées conformes à la vérité, res
judicata pro veritate habetur. » (Interruption).
C'est une fiction
légale, je le sais, mais détruisons cette fiction, et il n'y a plus de
stabilité ni de fin possible aux procès.
Toute décision est
fondée sur cette présomption légale qu'elle a réputée conforme à la vérité, pro
veritate habetur ; on ne dit pas que la décision est l'expression de la vérité,
mais qu'elle est censée conforme à la vérité. Il faut bien admettre cette
présomption légale ; sinon, je le répète, il n'y aurait plus du fin aux procès,
on pourrait toujours s'inscrire contre la chose jugée. Et voilà pourquoi,
lorsqu'un tribunal aurait déclaré, même en contrevenant à une loi, qu'un
desservant révoqué doit être conservé dans la possession du presbytère et dans
la jouissance de son traitement, le ministre devrait respecter cette décision,
comme ayant acquis l'autorité de la chose jugée, autorité qui par elle-même confère
un titre à celui qui gagne son procès.
Mais voyez jusqu'où
conduit le système de M. le ministre de la justice. Il dit : « Quand un
tribunal sort de sa compétence, je ne puis plus respecter sa décision. » Mais
qui donc règle la compétence des tribunaux ? En France, c'est le conseil
d'Etat, quant aux confins d'attributions ; mais chez nous, c'est la cour de
cassation ; donc, d'après la doctrine de M. le ministre de la justice,
lorsqu'un conflit sera élevé, qu'une question d'incompétence aura été présentée
devant les tribunaux, et que la cour de cassation aura décidé que les tribunaux
doivent rester saisis de l'affaire, M. le ministre de la justice pourra ne pas
respecter l'arrêt de la cour de cassation. Mais il s'elèverait alors contre la
Constitution même qui veut que les conflits d'attributions soient réglés par la
cour de cassation ; c'est en matière de compétence que M. le ministre prétend
cependant avoir le droit d'examiner les décisions judiciaires ; mais il n'en a
pas le droit ; il renverse la hiérarchie judiciaire et même le pacte
constitutionnel. (Interruption.)
C'est le contraire, me dit l'honorable M. Van den Eynde ; j'attends qu'il
veuille bien me fournir la preuve du contraire, et je m'assieds en attendant.
Puisque l'honorable
M. Vanden Eynde ne veut pas me répondre à l'instant même, je reprends la
parole.
Si M. le ministre de
la justice déclare qu'il ne respectera pas la décision des tribunaux en cette
matière, si elle est contraire à son opinion, pourquoi alors venir plaider
devant les tribunaux ? C'est un hommage hypocrite que vous rendez au pouvoir
judiciaire. Comment ! vous êtes décidé à ne pas respecter les décisions du
tribunal, si elles vous contrarient, et vous venez cependant demander qu'il se
déclare incompétent ; mais par cela seul que vous avez accepté le débat devant
le pouvoir judiciaire, vous devez respecter sa décision, quelle qu'elle soit,
quand elle a acquis l'autorité de la chose jugée.
Je
ne conçois pas un pouvoir qui vient dire à un tribunal : « Je vous demande
telle chose, mais je vous déclare que si vous ne me l'accordez pas, je
détruirai moi-même votre jugement. » Avec de tels principes, il n'y a plus de
pouvoir judiciaire en Belgique ; il n'y a plus que le pouvoir exécutif et le
pouvoir législatif.
Messieurs, on a
toujours réclamé l'indépendance de la magistrature comme un grand bienfait. Je
sais qu'il y a aujourd'hui en Belgique beaucoup de personnes qui envient à la
magistrature son indépendance. Je sais bien que, si la chose était encore à
faire, on ne lui accorderait plus ce bienfait, qu'on avait cependant réclamé si
vivement en sa faveur.
Mais, messieurs,
maintenant, parce qu'on n'a plus d'influence sur la magistrature, on se met
au-dessus d'elle, on la subjugue ; si un pareil état de choses vous accommode,
pour moi, je proteste contre une doctrine qui ne peut avoir pour effet que de
déconsidérer la magistrature.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Je ne pense pas, messieurs, qu'il existe quelqu'un
en Belgique qui veuille porter atteinte à l'inamovibilité de la magistrature.
Tout le monde, dans cette chambre, comme en dehors, reconnaît que cette
inamovibilité, constitutionnellement prononcée, est un bien, est une garantie
indispensable pour le citoyen.
Je ne considère pas
les paroles que vous venez d'entendre comme l'expression d'une opinion
quelconque en Belgique ;tout le monde est d'accord, je pense, sur la nécessité
de maintenir l'inamovibilité de la magistrature.
L'honorable M.
Fleussu a trouvé exorbitante la doctrine que j'ai avancée hier. Il a dit qu'il
fallait en toute circonstance, dans tous les cas, respecter la chose jugée ;
que même s'il était prouve qu'un tribunal s'est trompé on devrait exécuter sa
décision si elle était passée en force de chose jugée ; il vous a cité l'adage
connu : res judicata pro veritate habetur.
Messieurs, je n'ai
pas combattu la doctrine qui enseigne qu'il faut respecter la chose jugée ;
cette doctrine, je la professe au contraire ; mais à côté de cette doctrine il
en existe une autre tout aussi respectable, celle qui consacre la division des
pouvoirs.
Messieurs, chaque
corps, comme je le disais dans une autre occasion, est juge de sa compétence ;
il me paraît de toute évidence que l'autorité judiciaire ne peut pas en
s'attribuant et en retenant la connaissance d'une affaire, restreindre les
prérogatives de la chambre et amener pour conséquence que le pouvoir législatif
soit dépouillé d'un droit. Or, la doctrine que j'ai soutenue tend uniquement à
conserver intacts ces droits de la législature et à maintenir ainsi la division
des pouvoirs consacrée par la Constitution.
L'honorable M.
Fleussu me dit ensuite : Qui vous autorise à faire une distinction entre les
différentes espèces de choses jugées ? Si vous vous croyez le droit de faire
cette distinction, un simple particulier s'arrogera le même droit, et dès lors
il n'y aura plus rien de stable. Quant à la première objection, elle trouve sa
solution dans les pouvoirs mêmes de la chambre, qui pourra toujours apprécier
s'il lui appartient de décider la question soumise aux tribunaux ; et quant à
la seconde objection, je dis qu'un particulier ne peut avoir le même droit
qu'un corps politique auquel des prérogatives sont reconnues par la
Constitution ; si le particulier perd son procès, il doit se soumettre ; il ne
peut revendiquer le droit de se rendre justice à lui-même. Mais si un jugement
a décidé une question que le pouvoir législatif considère comme rentrant dans
ses attributions, je demande comment ce jugement peut avoir pour conséquence de
dépouiller le pouvoir législatif du droit de décider.
Pour revenir à la
question qui a fait naître le débat, si un jugement maintient un desservant
révoqué dans sa cure, s'il ordonne au gouvernement de lui payer son traitement,
ce jugement devra-t-il être exécuté ?
Le gouvernement, en
faisant exécuter cette décision, violerait de la manière la plus formelle
l'article 16 de la Constitution ; il maintiendrait dans sa place un desservant
n'ayant plus ni titre ni qualité, il s'immiscerait ainsi dans la nomination
d'un ministre du culte ; il n'y a pas, en effet, pour la même place, deux
traitements dans le budget ; il résulterait donc du maintien du desservant
révoqué l'impossibilité de payer le traitement de celui qui aurait été nommé à
sa place. Que deviendrait alors l'article 16 de la Constitution ? Il serait
violé de la manière la plus évidente ; voudrait-on que le gouvernement se
rendît complice de cette violation ?
Le ministre de la
justice, de son autorité privée, comme le disait l'honorable M. Fleussu, ne
viendra pas mettre de côté une décision judiciaire ; il se bornera à dire à la
chambre que, malgré l'arrêt rendu, il ne croit pas devoir demander des fonds
pour y satisfaire, attendu qu'il entrait dans les attributions de la chambre de
refuser ou d'allouer l’allocation. Quant à la chose jugée, elle restera ce
qu'elle est ; seulement un autre pouvoir, également indépendant, refusera d'y
prêter son concours.
En portant la
question sur un autre terrain, je dirai : Qu'un fonctionnaire soit destitué de
ses fonctions et qu'un tribunal par impossible aille déclarer que le
gouvernement a eu tort de le destituer, que le fonctionnaire révoqué doit être
maintenu en fonctions et que ses appointements doivent lui être continués ; de
quelle manière serait accueillie la demande d'un ministre qui viendrait
demander à la chambre les fonds nécessaires pour satisfaire à un pareil
jugement ? Il ne se trouverait pas une voix, je pense, pour voter les fonds
nécessaires à l'exécution d'un semblable jugeaient. Satisfaire à une décision
de celle espèce, ce serait confondre tous les pouvoirs, et substituer
virtuellement le pouvoir judiciaire au pouvoir législatif.
En soutenant cette
opinion, je soutiens le principe de la division des pouvoirs, je défends les
droits du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir (page 667) exécutif. Il existe en effet des circonstances où le
pouvoir exécutif seul doit refuser d'obéir aux décisions judiciaires.
Je suppose,
messieurs, un arrêté d'expulsion. L'individu qu'on veut expulser s'adresse aux
tribunaux. Les tribunaux défendent d'exécuter l'arrêté d'expulsion. Eh bien !
je déclare que si un pareil jugement était rendu, je n'hésiterais pas un
instant à mettre ce nonobstant l'arrêté royal à exécution ; et en le faisant,
j'agirais conformément à mes devoirs. Maintenant ce que le pouvoir exécutif
seul pourrait faire, soutiendra-t-on que le pouvoir législatif, revendiquant sa
compétence et la plénitude de ses attributions ne pourrait pas le faire ?
On ne peut sans doute
admettre que le pouvoir judiciaire prime tous les autres pouvoirs. Le pouvoir
judiciaire quand il reste dans la limite de ses attributions, rend des
décisions qui doivent être exécutées et dont personne ne peut contester la
force obligatoire.
Mais on ne peut pas
faire absorber tous les pouvoirs par le pouvoir judiciaire. Le système que
vient de soutenir l'honorable M. Fleussu entraînerait pourtant cette
conséquence ; sous la forme de jugements, le pouvoir judiciaire poserait de
véritables actes législatifs et les chambres devraient se soumettre ; il contrôlerait
les actes de l'administration, et celle-ci devrait obéir !
L'honorable M. Dolez
lui-même, quand on s'est occupé de toelagen, a dit qu'il y avait des cas dans
lesquels le pouvoir législatif pourrait ne pas considérer un acte émané des
tribunaux comme un véritable arrêt. Si par impossible, a-t-il dit, les
tribunaux jugeaient par voie réglementaire, faisaient ce qu'on pourrait appeler
une véritable loi, alors l'acte ne serait plus un jugement, et la chambre ne
devrait pas le respecter.
Cette
opinion seule me suffit ; c'est en effet reconnaître que dans cette
circonstance, la chambre pourrait examiner l'acte qui lui serait soumis bien
qu'il fût revêtu de toutes les formalités d'un jugement, pourrait le considérer
comme n'étant pas une décision judiciaire, et par suite comme n'étant pas
obligatoire.
Je ne veux pas
d'autre argument à l'appui ; en m'appuyant sur l'opinion de l'honorable M.
Dolez, je crois avoir prouvé que je n'ai pas avancé un système exorbitant, mais
au contraire un système basé sur les véritables principes.
M. Dumortier. - Je demande à la
chambre la permission de dire quelques mots en réponse à l'honorable
préopinant, car l'allusion qu'il a faite, paraissait s'adresser si directement
à celui qui vous parle, que je regarde comme une nécessité pour moi de pouvoir
y répondre.
L'honorable M.
Fleussu a dit que beaucoup de personnes semblaient porter envie à
l'inamovibilité de la magistrature.
M. Fleussu. - Vous prenez cela
pour un fait personnel ?
M. Dumortier. - Si vous vouliez
m'adresser ce reproche, vous auriez dû avoir le courage de le faire
directement.
M. Fleussu. - Je me suis
adressé à l'opinion qui regrette l'inamovibilité de la magistrature.
M. Dumortier. - Vous n'avez pas
le droit d'imputer une pareille pensée à une opinion. Le règlement interdit
toute insinuation malveillante ; celle que vous avez faite méritait un rappel à
l'ordre, car votre insinuation était une accusation calomnieuse. Personne ne
veut porter atteinte à l'inamovibilité de la magistrature. Votre accusation ne
repose sur aucun motif, je la repousse de toutes les forces de mon âme.
Je respecte la
magistrature et je veux le maintien de son inamovibilité ; il n'y a pas ici de
magistrats ; nous sommes députés et notre devoir est de maintenir les
prérogatives parlementaires et la division des pouvoirs, sans laquelle tout est
confusion dans le pays. Vous préconisez ce système de confusion en nous
présentant comme voulant porter atteinte aux prérogatives de la magistrature,
comme voyant avec regret son inamovibilité. C'est là une supposition que nous
ne pouvons trop repousser, c'est une injure gratuite qu'on nous adresse.
Pourquoi ai-je pris
le premier la parole pour maintenir la division des pouvoirs, pour insister sur
cette grande vérité de l'Esprit des lois, qu'il n'y pas de gouvernement
possible, sans la division des pouvoirs ? Parce que j'ai vu que le pouvoir judiciaire
empiétait sur le pouvoir législatif, allait l'absorber, en s'arrogeant le
pouvoir de faire des lois. Je ne pouvais pas souffrir, je ne pouvais pas
consentir à ce que le pouvoir judiciaire s'intronisât au-dessus de tous les
autres pouvoirs. Membres du pouvoir législatif, nous avons reçu de nos
concitoyens un mandat que nous devons transmettre pur et sans tache à nos
successeurs, quels qu'ils soient.
Nous ne devons pas
souffrir que le pouvoir judiciaire emptièe sur nos prérogatives. Cela ne mérite
ni les superbes dédains de l'honorable préopinant, ni ses insinuations Que je
me trompe, c'est possible ; mais tout le monde reconnaîtra qu'il y a quelque
chose de grave dans cette question. Oui, la question est grave, car c'est la
Constitution entière qui est en jeu ; en effet, la Constitution repose sur une
unique base : la division des pouvoirs ; sans cette division, il n'y a plus ni
administration, ni chambre, ni royauté. Ce que nous voulons avant tout, c'est
le maintien de la division des pouvoirs. C'est pourquoi nous sommes venus nous
poser comme barrière à cette invasion du pouvoir judiciaire et demander qu'on
le renferme dans les limites tracées par la Constitution.
Mais, dit-on, il n'y
a plus d'ordre judiciaire possible si vous ne respectez pas la chose jugée. La
meilleure manière de faire respecter la chose jugée, c'est que les tribunaux ne
sortent pas de leurs attributions. Je sais qu'il y a une lacune dans notre
législation et que cette lacune entraîne des abus ; mais ces abus ne dureront
plus longtemps. M. le ministre nous a présenté un projet de loi sur les
conflits qui nous manquait depuis 15 ans. Quand nous en viendrons à la
discussion de ce projet, je présenterai un amendement que j'ai dans mon pupitre
depuis la discussion de la question des toelagen. Par cet amendement on
prévoira dans quels cas les tribunaux peuvent intervenir dans les questions où
le trésor public est engagé, et dans quels cas ils ne le peuvent pas. Voilà ce
qu'il faut faire ; alors le conflit cessera. Ce sera un bonheur pour le pays.
Mais en attendant devons-nous nous incliner devant tout jugement quel qu'il
soit ?
Devons-nous accepter
comme chose jugée tout acte émané du pouvoir judiciaire ? Ce serait une
abdication du pouvoir du peuple ; nous ne pouvons y consentir. Le pouvoir de
juger n'est pas celui d'administrer, de faire des lois. Il faut établir cette
différence. Les tribunaux doivent comprendre qu'ils ne doivent pas sortir des
limites que la loi leur assigne. Lorsqu'un tribunal veut décider une question
que le parlement est appelé à résoudre, il empiète sur les prérogatives
parlementaires, sur les droits du peuple.
Rappelez-vous ce qui
s'est passé dans la grave question des lits militaires. N'avons-nous pas
soutenu avec les hommes les plus éminents de l'ordre judiciaire que les
tribunaux étaient incompétents pour juger l'action que l'entrepreneur des lits
militaires voulait intenter au gouvernement, parce que la convention avait été
exécutée en dehors des sommes allouées par le budget ?
La chambre repoussa donc
le contrat passé avec l'entrepreneur des lits militaires. Si l'entrepreneur
avait attrait le gouvernement devant les tribunaux, et que ceux-ci l'eussent
condamné, prétendra-t-on que les chambres, en vertu du principe res judicata
pro veritate habetur, auraient dû allouer le crédit qu'elles avaient rejeté ?
Non, sans doute ; car, je le répète, ce serait abdiquer la prérogative
parlementaire, la prérogative du peuple, la plus sainte de toutes. C'est une
question immense pour l'avenir de la patrie.
Quant
aux insinuations de l'honorable préopinant, j’insiste sur la réponse que j'y ai
faite. Nul ne conteste au pouvoir judiciaire les prérogatives que nous lui
avons données à la révolution, que nous lui donnerions de même à présent, s'il
s'agissait de le constituer. Mais nous ne voulons pas qu'il excède les limites
que nous lui avons posées, qu'il empiète soit sur le pouvoir exécutif, soit sur
le pouvoir législatif.
M. Verhaegen. - Je constate de
nouveau ce que j'ai constaté hier. M. le ministre de la justice ne veut pas
admettre que l'on doive respect à la chose jugée dans tous les cas.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Non, certainement !
M. Verhaegen. - La question
relative à l'autorité de la chose jugée a été soulevée à propos de la
révocation des desservants, et voici comment cette question est résolue par M.
le ministre de la justice : « Un desservant, dit-il, se trouvant révoqué par
l'évêque, soutient que sa révocation est illégale, contraire aux lois
canoniques, aux lois civiles en vigueur ; le desservant révoqué intente une
action au gouvernement pour obtenir le payement de son traitement : eh bien, le
gouvernement excipera de l'incompétence des tribunaux. Mais si les tribunaux se
déclarent compétents et si le gouvernement est condamné, le gouvernement
n'obtempérera pas à la condamnation. »
D'abord, avec cette
séparation de pouvoirs dont vous avez argumenté pour répondre à l'objection de
mon honorable ami, comment se fait-il que vous reconnaissiez les tribunaux pour
juger la question d'incompétence, ? Car si : vous prétendez être omnipotents,
vous ne devriez pas vous présenter devant les tribunaux pour une question qui,
d'après vous, sort de leurs attributions.
Il y a là une
contradiction flagrante.
Vous reconnaissez
l'autorité des tribunaux par cela seul que vous plaidez devant eux la question
d'incompétence. Les tribunaux ne seraient-ils donc compétents que pour le cas
où ils vous donneraient gain de cause ! Mais si vous vous présentez devant un
tribunal, vous devez bien supposer que ce tribunal peut vous condamner.
Direz-vous que vous ne respectez sa décision que quand vous gagnez votre procès
? Je ne comprendrais pas ce langage ; je ne le comprendrais pas surtout dans la
bouche d'un ministre de la justice, sorti des rangs de la magistrature.
Mais vous ne
demanderiez pas d'allocation. C'est là le grand point.
Il y a deux choses,
quand il s'agit de ai révocation d'un desservant : un desservant révoqué illégalement
demandera (je vous donne l'assurance que la question se présentera) la
continuation de son traitement, parce qu'il soutiendra que sa révocation est
illégale. Ensuite il demandera la continuation de la jouissance du presbytère.
Ces questions seront soumises aux tribunaux. Vous exciperez d'incompétence.
Soit ! Mais les tribunaux, je l'espère, reconnaîtront leur compétence et
statueront au fond ; ils vous condamneront à payer le traitement, et
maintiendront le desservant dans la jouissance du presbytère.
La cour d'appel, la
cour de cassation, je le suppose, accueilleront ce système. Cette décision, à
ce double point de vue, aura acquis l'autorité de la chose jugée. Le ministre
ne demandera pas d'allocation pour le traitement ; il n'obtempérera pas à la justice.
Le respect pour l'autorité de la chose jugée n'existe que dans les mots. Mais
quand il s'agit des faits, la magistrature n'est rien. N'est-ce pas donner un
déplorable exemple ? N'est-ce pas rendre la magistrature impuissante à
maintenir la paix publique ? Quelle garantie en effet aurez-vous à cet égard,
quand, par exemple, vous aurez appris au peuple à ne plus respecter la
magistrature ?
Mais que ferez-vous,
je vous prie, de la petite formule qui termine les jugements et arrêts ? Elle
est ainsi conçue : « Mandons et ordonnons à nos procureurs généraux et à tous
les officiers de la force armée de prêter main forte à l'exécution du présent
arrêt. » C'est au nom du Roi que cet ordre est donné. Si donc vous envoyez des
gendarmes pour expulser du presbytère le desservant illégalement révoqué, il
trouvera des gendarmes qui seront requis, au nom du Roi, de le maintenir en
possession du presbytère. (page 668)
Voilà le conflit ! Voilà où l'on arrive, lorsqu'on méconnaît le principe
de l'autorité de la chose jugée.
L'honorable
M. Dumortier nous a dit qu'il attendait avec impatience la loi sur les conflits
; il l'a dit surtout en réponse à ce qu'il a appelé des insinuations de la part
de l'honorable M. Fleussu. Nous savons tous à quoi nous en tenir sur ce point.
Depuis longtemps on trouve la magistrature trop indépendante, c'est pour cela
qu'on veut une loi sur les conflits. Veut-on faire renaître un des griefs qu'on
avait contre le gouvernement d'alors ? Veut-on aller plus loin que sous le
gouvernement précédent ? Je n'en sais rien. Mais l'amendement qu'on a dans son
tiroir et qu'on nous annonce, est bien loin de nous rassurer. Il prouve tout au
moins qu'il est médité depuis longtemps, et qu'on s'est entendu sur ce point.
Quoi qu'il en soit,
ce qui me rassure, c'est que vous avez dans la Constitution une petite
disposition aux termes de laquelle la cour de cassation est juge suprême en
matière de conflits.
Toutes vos lois, y
compris l'amendement de l'honorable M. Dumortier, ne prévaudront pas contre cet
article de la Constitution.
M. Dolez. - Je suis entré
dans la chambre au moment où M. le ministre de la justice faisait appel à une
opinion que j'ai eu l'honneur d'exprimer devant vous il y a quelque temps. Il
m'a paru que M. le ministre de la justice ne reproduisait pas cette opinion
avec la véritable portée que je lui ai donnée.
Voici, messieurs, le
résumé de ce que j'ai eu l'honneur de dire dans la discussion à laquelle on a
fait allusion, celle des toelagen.
J'ai toujours pensé
(je pense plus que jamais, après le débat qui a surgi dans cette occurrence)
que l'autorité de la chose jugée devait être la même pour le gouvernement que
pour les particuliers. Toutes les fois qu'un arrêt passe en force de chose
jugée existe contre l'Etat, le gouvernement doit s'y soumettre en aveugle, et
lorsqu'on nous demande des crédits pour faire face aux condamnations prononcées
par un tel arrêt, nous devons les voter sans contrôle.
Mais, ajoutai-je, si,
par impossible, par une hypothèse que pour mon compte je n'admets pas, il
pouvait se présenter une occasion dans laquelle l'adhésion à la chose jugée put
avoir pour le pays des conséquences dangereuses ; alors le gouvernement, les
chambres obéissant à la loi suprême qui domine toutes les autres, celle du salut
de l'Etat, pourraient méconnaître l'autorité de la chose jugée. Mais, je le
disais et je le répète aujourd'hui, ce serait un coup d'Etat, un grand acte
national en dehors des règles ordinaires. Voilà l'opinion que j'ai émise. Cette
opinion, je la crois encore fondée, c'est la seule dont j'accepte la
responsabilité.
Je ne puis taire
d'ailleurs mon regret d'avoir vu se reproduire ce débat dans vos deux dernières
séances et surtout d'avoir vu M. le ministre de la justice consentir à le
suivre, en répondant à des questions purement hypothétiques.
Je ne conçois rien de
plus dangereux que des discussions sur la limite séparative des grands
pouvoirs, basées sur des hypothèses. Ce n'est qu'en présence des faits
accomplis qu'il faut discuter ces
doctrines. Je regrette donc que le gouvernement ait accepté depuis hier
cette discussion dangereuse et inutile.
Toutefois, messieurs,
puisque cette discussion hypothétique a été acceptée, puisqu'elle a été
l'occasion de revenir à des attaques imméritées contre la magistrature, qu'il
me soit permis de m'en expliquer en quelques mots.
On a demandé si les
tribunaux pouvaient être compétents pour connaître de la validité de la
révocation d'un desservant. Je réponds qu'il est mille fois évident que les
tribunaux sont incompétents. Je réponds ainsi, non seulement parce que c'est ma
conviction intime, mais encore parce que les précédents posés par notre
magistrature m'y autorisent. Toutes les fois que de telles questions se sont
produites devant nos tribunaux, ils ont fait une distinction.
S'agissait-il de
réclamer le payement d'un traitement dû à un fonctionnaire pour le temps où il
exerçait ses fonctions, les tribunaux se déclaraient compétents.
S'agissait-il de savoir
si le fonctionnaire avait le droit de contester la révocation dont il était
l'objet, les tribunaux étaient incompétents et se déclaraient tels.
C'est ainsi, si je ne
me trompe, que quand le général portugais Lecharlier a voulu attraire le
gouvernement belge en justice pour entendre dire qu'il avait droit à conserver
le rang et le traitement de major dans l'armée belge, les tribunaux ont déclaré
qu'ils ne pouvaient connaître de cette présentation.
Voilà la distinction
que les tribunaux ont suivi, et elle est tout à la fois un témoignage de la
haute sagesse qui préside à leurs arrêts et de leur respect pour la séparation
des grands pouvoirs de l'Etat. Quant aux toelagen, je persiste à croire que la
décision de la chambre a été non seulement contraire à ce même respect, mais
malencontreuse et d'un déplorable exemple, qu'elle a produit dans le pays et
surtout dans la magistrature tout entière, la plus fâcheuse impression. Il ne
s'agissait pas là d'un cas où le salut du pays fût intéressé. La seule chose que
la chambre eût à faire, c'était de voter les fonds demandés pour satisfaire aux
condamnations judiciaires.
On vient de faire des
vœux pour la présentation d'une loi des conflits. Sans doute cette loi est
nécessaire, elle est urgente, par cela seul que la Constitution en a décrété la
nécessité. Mais, comme l'a fait observer l'honorable M. Verhaegen, pour vous
conformer à la Constitution vous serez obligés de laisser cette matière dans
les attributions de l'autorité judiciaire la plus élevée, la cour de cassation,
et dès lors c'est encore au pouvoir judiciaire que vous devrez aboutir, pour la
décision de ces graves questions.
Quelles conséquences
faut-il en tirer ? C'est que la Constitution a voulu que cette autorité fût
souveraine, que ses arrêts fissent loi pour les différents pouvoirs de l'Etat.
La
chose jugée a de tout temps été considérée comme ce qu'il y avait de plus
respectable, de plus sacré.
C'est surtout dans un
pays où il règne beaucoup de liberté qu'il faut avoir soin que la justice soit
forte, honorée, respectée, car elle peut être souvent appelée à protéger
l'ordre public même contre les dangers qu'entraîne parfois l'abus de la
liberté.
Si mes souvenirs ne
me trompent, lorsque le plus grand génie des temps modernes, lorsque Napoléon
vit s'écrouler son immense empire, l'un des griefs les plus graves qui furent
élevés à sa charge au moment où l'on décréta sa déchéance, ce fut d'avoir
méprisé l'autorité de la chose jugée. Oui, messieurs, au moment où cet acte si
solennel était formulé, ce fut un de ses motifs les plus graves pour justifier
la déchéance de l'empereur, que d'avoir une ou deux fois dans son règne
glorieux méprisé cette autorité de la chose jugée que, dans notre temps de
calme, dans notre temps de tranquillité, vous avez si peu respectée il y a
quelques mois.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Messieurs, je crois avoir très fidèlement rendu le
sens des paroles prononcées par l'honorable M. Dolez dans la discussion
relative aux toelagen. L'honorable membre ne nous parlé que de la dernière
partie de son discours, tandis que j'avais fait attention à la première. Voici
comment s'exprimait l'honorable M. Dolez ; il pourra s'assurer que j'ai rendu à
peu près textuellement ses paroles.
Parlant des tribunaux,
il disait : « S'ils ont procédé par voie réglementaire, par voie générale,
alors ils ont agi en dehors de leurs attributions absolues, ils ont été sans
pouvoir et leurs arrêts ont été sans force. En pareil cas, si jamais il pouvait
se produire, les chambres pourraient et devraient dire : Ce n'est pas un arrêt
qu'on me présente, c'est une loi sous forme d'arrêt, et cette loi nous ne
pouvons l'accepter, parce qu'elle émane d'un pouvoir absolument incompétent. »
Messieurs, j'ai
invoqué ces paroles de l'honorable M. Dolez, dans le but d'établir que
l'honorable membre reconnaissait lui-même que, dans certaines circonstances, la
chambre pouvait examiner quelle était la valeur d'une décision judiciaire ; que
la chambre avait, dans certains cas, le droit de dire : Je ne me soumets pas à
un jugement ; je ne considère pas comme tel l'acte qui est produit. Le pouvoir
qui l'a rendu est sorti de ses attributions absolues. J'ai invoqué l’opinion de
l'honorable M. Dolez, pour prouver que, d'après cet honorable membre lui-même,
il y avait des cas où des arrêts pouvaient ne pas avoir force devant le
parlement.
Je sais bien que
l'honorable M. Dolez avait ajouté qu'il y avait encore d'autres circonstances
où la chambre pourrait ne pas obéir aux ordres de la justice, qu'il avait cité
le cas où le salut de l'Etat exigerait qu'il en fût ainsi, en qualifiant de
coup d'Etat ce refus d'obéir à une décision judiciaire. Mais c'était là une
seconde hypothèse dont a parlé l'honorable membre, et je n'ai voulu faire
allusion qu'à la première.
Messieurs,
l'honorable M. Dolez vous a dit que, d'après lui, j'aurais bien fait de me
refuser à répondre aux interpellations qui m'avaient été adressées, que la
discussion qui était soulevée était dangereuse, et même inutile. Messieurs, je
n'ai certes pas provoqué cette discussion ; elle a eu lieu à l'occasion du
premier discours que vous avez entendu et des interpellations qui m'ont été
adressées plus tard par l'honorable M. Lebeau.
Cet honorable membre
ne m'avait pas demandé (et je n'aurais pas accepté une discussion semblable) ce
que je pensais en théorie de la force de la chose jugée. Mais il m'avait dit :
Il y a eu révocation d'un desservant ; vous allez être attrait devant les
tribunaux, si vous ne l'êtes déjà ; que ferez-vous si vous êtes condamné ?
Messieurs, à une interpellation semblable, force m'était bien de répondre, et
comme la Constitution dictait ma réponse, je n'ai pas hésité un instant à faire
connaître ma décision. La chambre a pu remarquer que la discussion ne s'est pas
égarée dans de vaines théories ; elle a porté, non sur la chose jugée en
général, mais uniquement sur ce fait, considéré par l'honorable M. Dolez comme
impossible, à savoir, que les tribunaux condamneraient le gouvernement à
maintenir, contre la décision de l'évêque, un desservant dans son presbytère et
à lui payer son traitement. L'honorable M. Dolez a regardé une semblable
décision comme impossible, et je suis complétement de son opinion.
Je professe, comme
l'honorable membre, le plus grand respect pour la magistrature et pour ses
décisions. J'ai la plus grande confiance dans les lumières et dans
l'impartialité des corps judiciaires, aussi je n'hésite pas à le dire, je n'ai
pas la moindre crainte sur l'issue du procès que je soutiens. Mais je dois en
même temps déclarer à la chambre, que si le gouvernement était frappé d'une
condamnation, je croirais ne pas devoir demander à la législature une
allocation pour faire droit au jugement.
Cette déclaration
m'amène à répondre à une observation de l'honorable M. Verhaegen : Vous êtes
tout à fait inconséquent, me dit-il, vous reconnaissez le pouvoir de l'autorité
judiciaire, puisque vous soutenez un procès devant elle ; comment donc
pouvez-vous refuser d'obéir à la décision qui interviendra ? Ses arrêts ne
sont-ils donc bons que lorsque vous gagnez votre procès ? Comment accepter le
débat devant les tribunaux alors que vous êtes décidé à ne pas respecter leur
sentence ?
Je crois, messieurs,
qu'il n'y a aucune inconséquence de la part du gouvernement dans cette
conduite. ;
Le gouvernement,
attrait devant les tribunaux, doit nécessairement accepter le débat judiciaire
; ne pas paraître en justice, ce serait montrer peu de confiance dans
l'autorité judiciaire ; ce serait négliger d'employer tous les moyens pour
faire triompher en justice les véritables principes ; de plus, le gouvernement
doit agir ainsi pour couvrir sa responsabilité devant les chambres. S'il
n'acceptait pas le débat judiciaire, s'il venait dire (page 669) à la chambre : J'ai été attrait devant les tribunaux,
mais je me suis laissé condamner parce que, d'après mon opinion, les tribunaux
étaient incompétents ; il s'attirerait le reproche de ne point avoir défendu
les intérêts de l'Etat et d'avoir fait naître l'obligation de ne pas exécuter
une décision judiciaire.
Ainsi, nous pensons
qu'appelés devant les tribunaux, nous devons y défendre les droits de l'Etat,
et qu'il n'y a aucune inconséquence à venir dire ensuite à la chambre : Nous
avons épuisé tous les moyens de défense, nous avons été condamnés, mais nous
croyons que les tribunaux ont empiété sur les attributions du pouvoir
législatif, et nous ne croyons pas que celui-ci doive allouer des fonds pour
faire droit à la condamnation.
Messieurs,
l'honorable M. Dolez a parlé d'attaques imméritées contre la magistrature. Je
ne pense pas que l'honorable membre ait voulu faire allusion à aucune de mes
paroles. Jamais je ne me suis permis un mot qui puisse blesser la magistrature,
pour laquelle je professe le plus profond respect. L'honorable M. Dolez doit
même se rappeler que l'année dernière et cette année encore, lorsque des
expressions, d'après moi, peu convenables, ont été employées à l'égard de la
magistrature, j'ai été le premier à les relever ; j'ai été le premier à
proclamer combien la magistrature doit être respectée et combien elle est digne
de respect par la manière consciencieuse avec laquelle elle remplit la haute
mission qui lui est confiée.
Enfin l'honorable M.
Verhaegen a dit qu'on donnerait au peuple un très mauvais exemple en ne
respectant pas la chose jugée. Je crois que cette pensée émise d'une manière
générale est parfaitement juste. Je crois que le respect de la chose jugée est
véritablement une des bases les plus solides de l'édifice social ; mais
donnerions-nous un mauvais exemple en faisant avant tout respecter la division
des pouvoirs, que le système de M. Verhaegen tendrait précisément à bouleverser
?
L'honorable membre,
faisant une supposition que l'honorable M. Dolez considère comme impossible, a
demandé ce que ferait le gouvernement dans le cas où un tribunal, ou une cour
d'appel, le condamnerait à maintenir dans sa cure un desservant qui aurait été
révoqué.
M. Verhaegen. - Je n'ai pas dit :
condamnerait le gouvernement à maintenir le desservant ; j'ai dit : maintiendrait
le desservant.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Mais, il est probable que le jugement aurait été
rendu contre quelqu'un, et ce ne pourrait être que contre le gouvernement.
M. Verhaegen. - Ce serait contre
le nouveau desservant.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Ce serait donc l'ancien desservant qui aurait attrait
son successeur devant les tribunaux pour être maintenu dans sa cure.
M. Verhaegen. - L'ancien desservant est en possession et le
nouveau l'aurait attaqué.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Cela n'existe pas. Ce sont des suppositions
gratuites que l'honorable M. Dolez lui-même a déclarées impossibles, et je
profiterai du conseil que cet honorable membre m'a donné en ne répondant pas à
cette nouvelle supposition de l'honorable M. Verhaegen.
M. de Theux. - L'honorable M.
Verhaegen, ne pouvant point détruire les observations de M. le ministre de la
justice, en ce qui concerne l'allocation du traitement, a porté son
argumentation sur une autre hypothèse ; il a transféré la discussion sur le
terrain du presbytère. Ici, messieurs, j'avoue que la question se présente
d'une toute autre manière, puisque pour déposséder un desservant du presbytère
il faudrait agir contre la chose décidée par le tribunal, tandis que pour le
traitement ce serait le gouvernement et le pouvoir législatif que l'on
soumettrait en quelque sorte aux tribunaux. J'aime à croire, comme l'honorable
M. Dolez, que le cas ne se présentera pas de telle manière que le législateur
soit obligé d'intervenir ; mais s'il y avait une lacune à cet égard dans la
législation, il faudrait la combler, car il est évident, comme l'a dit M. le
ministre de la justice, qu'aux termes de l'article 16 de la Constitution, la
nomination des ministres du culte est en dehors des pouvoirs de l'Etat et quand
la Constitution s’est servie du mot « Etat », elle a compris non
seulement le pouvoir exécutif, mais aussi le pouvoir législatif et le pouvoir
judiciaire, c'est-à-dire qu'aucun pouvoir public ne peut intervenir dans la
nomination des ministres des cultes. Si donc il s'établissait une jurisprudence
contraire à l'opinion de l'honorable M. Dolez, il y aurait lieu de pourvoir aux
moyens d'arriver à l'exécution de l'article 16 de la Constitution.
Voilà, messieurs, la
réponse que je crois devoir faire à l'honorable M. Verhaegen. La question
soulevée est très délicate, et je n'entreprends pas du tout de la traiter ici
ex abrupto. Je regrette avec l'honorable M. Dolez que l'on ait traité ainsi une
infinité de questions de théorie qui n'ont pas besoin d'une solution immédiate,
mais l'initiative de cette discussion a été prise par l’honorable M. de Bonne ;
cet honorable membre a été suivi par plusieurs orateurs qui ont étendu encore
le cercle du débat. Evidemment nous avons perdu beaucoup de temps sans qu'il
soit possible d'obtenir un résultat quelconque.
La meilleure manière
de procéder c'est, comme le dit l'honorable M. Dolez, de se borner aux
difficultés qui se présentent et, lorsqu'il y a nécessité de prendre une décision,
de prendre celle qui convient le mieux. En ce qui concerne l'indépendance des
pouvoirs, nous aurions beau discuter, nous n'arriverions à aucun résultat. Il
est évident que nous ne pouvons pas dicter les décisions des tribunaux. Les
tribunaux sont libres de prendre les décisions qu'ils croient justes suivant
leur opinion ; mais d'un autre côté il est évident aussi que les tribunaux ne
peuvent pas lier le pouvoir législatif, qui est tout aussi indépendant dans sa
sphère que le pouvoir judiciaire, de même que le pouvoir exécutif est également
indépendant dans le cercle de ses attributions. Je pense que dans l'occurrence
chaque pouvoir saura maintenir ses prérogatives.
En
ce qui concerne le respect de l'indépendance de la magistrature, je crois que,
dans aucune circonstance, je ne m’en suis écarté, et je ne m'en écarterai
jamais parce que l'indépendance de la magistrature est la sauvegarde de toutes
les opinions ; mais il n'en est pas moins vrai que cette indépendance peut,
dans certains cas, présenter des questions difficiles à résoure, des questions
relatives aux rapports entre les divers pouvoirs de l'Etat. Eh bien, la sagesse
du législateur saura toujours y pourvoir suivant les circonstances ; et sans
empiéter sur les pouvoirs donnes aux tribunaux, le législateur saura toujours
faire respecter les siens.
M. le président. - Je prierai la
chambre de ne pas prolonger cette discussion qui ne repose que sur des théories
et des hypothèses.
La parole est à M.
Fleussu.
M. Fleussu. - Mais, M. le
président, si la chambre fait droit à votre observation, je n'aurai plus rien à
dire. Je n'ai demandé la parole que pour répondre à M. le ministre de la
justice.
M. Dolez. - Je désire donner
une simple explication.
M. Fleussu. - Je cède
volontiers la parole à M. Dolez.
M. Dolez. - M. le ministre de
la justice n'a pas pu croire que mes paroles s'adressaient à lui lorsque j'ai
fait allusion aux attaques dirigées contre la magistrature. Je n'ai pas pu
indiquer quels étaient ceux de nos collègues auxquels je reprochais ces
attaques ; cela n'est pas dans nos habitudes et ce serait, je pense, peu
parlementaire.
M. Dumortier. - Personne n'a
attaqué la magistrature.
M. Dolez. - Pas même ceux qui
ont dit que le dernier des paysans raisonnerait mieux que la cour suprême... ?
Je répète, messieurs,
qu'il n'est pas dans mes habitudes et qu'il serait peu parlementaire de
spécialiser l'allusion que j'ai dû faire tout à l'heure et qui était tellement
fondée que M. le ministre de la justice vient de rappeler qu'il s'était joint à
moi, il y a quelque temps, pour répondre aux attaques dont j'ai parlé.
Quant à l'opinion que
j'ai émise dans la question des toelagen et à laquelle M. le ministre vient de
faire un deuxième appel, j'ai posé deux hypothèses dans lesquelles les actes
émanés des corps judiciaires pouvaient ne pas être respectés par le gouvernement
et par la législature ; tout à l'heure je vous ai parlé de l'une d'elles, la
seconde était celle où l'acte présenté ne serait pas réellement un acte
judiciaire ; les tribunaux ne peuvent pas statuer par voie réglementaire et
toutes les fois qu'on présenterait un acte de l'autorité judiciaire qui ne
serait pas un arrêté, vous n'y obéiriez pas, non que vous vous placeriez
au-dessus de la chose jugée, mais parce que l'acte présenté ne serait pas
constitutif de la chose jugée, parce qu'il manquerait d'un des éléments
nécessaires à cet effet.
Voilà,
messieurs, ma première hypothèse, et je pense qu'elle ne pouvait pas venir en
aide à l'argumentation de M. le ministre de la justice.
Je me borne,
messieurs, à cette simple observation. La chambre comprendra que dans une
matière aussi grave, aussi délicate, il m'importait de laisser à mon opinion
toute son exactitude.
M. Fleussu. - Je voulais
seulement faire observer, messieurs, qu'il y a une singulière réaction depuis
le congrès. A l'époque du congrès, toutes les garanties étaient mises sous la
sauvegarde de l’ordre judiciaire. C'est tellement vrai qu'aux termes de la
Constitution elle doit s'abstenir de prêter main-forte à l'exécution de mesures
que le pouvoir exécutif aurait prises en dehors du cercle de ses attributions.
Le pouvoir judiciaire a donc par cela même le droit de contrôler jusqu'à un
certain point les actes du pouvoir exécutif. cette attribution exceptionnelle
est une preuve de la confiance que le législateur constituant plaçait dans les
tribunaux.
Eh bien, messieurs,
je dis que l'on avait raison de placer ainsi toutes les garanties
constitutionnelles sous la sauvegarde de l'ordre judiciaire, car enfin, on parle
d'absorption par la magistrature, mais remarquez que la magistrature ne peut
rien absorber : il faut qu'on vienne à elle ; elle ne va pas au-devant des
affaires, il faut qu'on les lui défère et lorsqu'un pouvoir est renfermé dans
cette limite il est impossible qu'il absorbe. L'ordre judiciaire ne peut jamais
prononcer que sur des cas spéciaux. On vous a parlé de décisions prises par
voie réglementaire ; mais, comme vous l'a dit l'honorable M. Dolez, de
pareilles ordonnances bien qu'elles émaneraient des cours et tribunaux,
n'auraient pas l'autorité de la chose jugée. Si les tribunaux disaient, par
exemple : « Dans tous les cas semblables à celui qui s'est présenté dans
telle occasion, nous prononcerons de telle ou telle manière », ce ne serait
plus là un jugement, et cela est interdit par l'article 5 du code civil.
Lorsqu'il y a lacune dans la loi, les tribunaux doivent y suppléer, mais ils ne
peuvent le faire que pour le cas spécial qui leur est déféré et ils ne peuvent
pas dire que dans tous les cas semblables ils prendront la même décision. S'ils
le faisaient, évidemment une telle ordonnance n'aurait pas l'autorité de la
chose jugée ; évidemment ce n'est pas là une sentence entre parties
contendanles.
Mais, a dit M. le
ministre de la justice, si je refusais d'exécuter le jugement qui aurait
déclaré que l'ancien titulaire a le droit de rester en possession du
presbytère, qu'il a le droit de toucher le traitement attaché à la cure dont il
a été révoqué, en ne respectant point cette décision, je sauvegarderais
l'article 16 de la Constitution ; mais M. le ministre de la justice perd de vue
une chose, c'est que dans les débats judiciaires la partie adverse du
desservant révoqué aurait bien eu soin d'invoquer l'article 16 de la
Constitution et que probablement le tribunal aurait eu quelques raisons
particulières pour décider que cet article n'était pas applicable dans la
circonstance. Il serait impossible qu'une semblable question n'aurait pas été
examinée par le tribunal.
(page 670) Eh bien, je suppose que par erreur le tribunal décide
qu'il n'y a point atteinte à l'article 16 de la Constitution, je dis que dans
ce cas le tribunal aura, lui aussi, témoigne de son respect pour la
Constitution ; seulement il aura mal apprécié les choses, mais cela ne peut pas
vous donner le droit de ne pas obéir à la chose jugée, parce que, comme je le
disais tantôt, la décision du tribunal n'a pas une portée générale ; elle ne
concerne que le cas spécial qui lui était soumis, et alors il faut s'en tenir à
l'adage res judicata pro veritate habetur.
Le tribunal aura
examiné la question constitutionnelle, il aura examiné le droit ancien, le
droit canonique, l'usage établi depuis 40 ans....
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Et il se sera mis à la place de l'évêque.
M. Fleussu. - Il ne se sera pas
mis à la place de l'évêque ; il aura examiné le fait de l'évêque, et il aura
examiné l'état de la législation.
Mais, dit-on, ce
n'est pas le pouvoir exécutif seul qui anéantira la décision ; il en référera à
la législature ; et, ajoute t-on, la chose jugée restera ce qu'elle est. Mais
dans ce cas, la décision judiciaire est réduite à rien ; car vous
l'anéantissez.
Savez-vous,
messieurs, comment on parvient à vous effrayer ? En faisant des suppositions
chimériques, en créant des hypothèses, qui feraient honte à l’intelligence des
magistrats.
Il devrait être
impossible que jamais il y eût conflit entre le pouvoir judiciaire et le
pouvoir législatif. En effet, il n'y a qu'en Belgique que des conflits
semblables se sont présentés ; savez-vous pourquoi ? C'est parce que vous avez
annulé des actes du pouvoir judiciaire ; que, sous prétexte de conserver
intacts tous les pouvoirs, vous avez ébréché le pouvoir judiciaire. Quel est le
point de contact entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire ? Le
voici : c'est que vous faites des lois et que les tribunaux doivent les
appliquer ; mais vous ne pouvez, après une décision prise par un tribunal,
faire une loi pour un cas spécial ; c'est alors que vous sortez de vos
attributions.
Messieurs, on dit que
le pouvoir exécutif lui-même n'a pas craint, dans une certaine circonstance, de
prendre sur lui de ne pas respecter une décision judiciaire, et l'on vous a
parlé d'un cas d'expulsion. En effet le ministère, à cette époque, s'est mis
au-dessus d'une interdiction prononcée par un président de tribunal prononçant
en référé. Or, croyez-vous que cet acte ait passé sans protestation ? Sur tous
les bancs de la chambre, on a réclamé avec force contre cet acte...
M. de Theux. - La majorité n'a
pas été appelée à se prononcer.
M.
Fleussu. - Il n'y a pas eu de vote, il est vrai ; mais il
n'en est pas moins incontestable qu'un grand nombre de membres de la chambre,
et l'honorable M. Ernst, qui fut depuis ministre de la justice, ont réclamé
avec énergie contre l'acte qui était dénoncé à la chambre.
Je bornerai là mes
objections. J'avais demandé la parole, principalement pour faire remarquer que
le pouvoir judiciaire ne pouvait rien absorber ; qu'il ne pouvait, pas aller
au-devant des affaires ; qu'on devait toujours venir à lui, et qu'il ne pouvait
point dès lors alarmer les autres pouvoirs.
M. de Breyne. -Messieurs, dans
les discours du Trône, à l'occasion de l'ouverture de la session des chambres,
le gouvernement a annoncé que des changements à la loi organique du notariat
nous seront proposés.
J'attends avec
impatience la proposition de ce projet de loi, dans l'intérêt des notaires, et
surtout dans l'intérêt de la société tout entière, qui a droit d'exiger que des
fonctions aussi importantes soient exercées par des personnes probes,
conciliantes, capables et à la hauteur de leur mission.
Parmi les nombreux
changements que la législature devra apporter à la loi organique du notariat,
se trouve 1a fixation définitive des résidences.
D'après les
dispositions en vigueur, le gouvernement a le droit de désigner le lieu de la
résidence ; et cette faculté laissée au pouvoir, donne souvent matière à de
graves abus.
C'est ainsi que l'on
voit, d'après le désir d'un titulaire ou de son protecteur ; d'après le désir
d’un ministre ou de tout autre agent du gouvernement, qui croit devoir
récompenser un acte de dévouement ou punir un acte de résistance à sa volonté,
que l'on voit, dis-je, les résidences des notaires transférées de commune en
commune, sans consulter les intérêts des administrés, sans consulter les
autorités judiciaires dont les notaires relèvent immédiatement.
C'est là, messieurs,
un abus grave, que nous devons faire disparaître ; abus dont le pouvoir n'use
que trop largement.
Pour prouver ce que
j'ai l’honneur de vous dire, je crois devoir citer un fait qui vient de se
passer récemment dans l'arrondissement judiciaire que j'habite, dans
l'arrondissement de Furnes.
Lors de
l'organisation du notariat, cinq résidences de notaire furent désignées pour le
canton de justice de paix de Furnes, savoir : deux au chef-lieu de
l'arrondissement, une à Alveringhem, une à Wulveringhem et une à Leysele.
Quelques années plus
tard, par suite d'un acte de faveur, la résidence de Leysele fut transférée à
Alveringhem, quoique la position topographique du canton prouve que la première
désignation fût le seule équitable, la seule régulière.
Cet état de choses
resta ainsi jusqu'en 1832, époque du décès de l'un des deux titulaires
d'Alveringhem.
Le gouvernement
transféra alors la résidence vacante d'Alveringhen dans la ville de Furnes, sur
les vives instances de l'administration communale de celle ville, et y établit,
de cette manière, une troisième résidence de notaire.
Cette mesure, prise
dans l'intérêt du public, fut généralement approuvée.
C'est au chef-lieu
d'un arrondissement que se font le plus grand nombre de transactions, c'est
donc là que l'on doit trouver le plus grand nombre d'officiers publics. Mais M.
le ministre de la justice me semble ne pas partager cette opinion, ou bien il
doit avoir été induit en erreur ; et voici ce qui vient à l'appui de ma
supposition.
Vers l'automne de
l'année dernière, une des trois résidences de notaire à Furnes, étant devenue
vacante par le décès du titulaire, la troisième résidence du chef-lieu de
l'arrondissement vient, par arrêté royal du ... de ce mois, d'être transférée
une seconde fois à Alveringhem : c'est-à-dire que l'on enlève une résidence à
une ville de cinq mille âmes, à un chef-lieu d'arrondissement judiciaire et
administratif, où trois notaires passent, année commune, neuf cents actes, pour
la fixer dans une commune d'une population de trois mille âmes, sans autre
industrie que l'agriculture, qui n'est pas même chef-lieu de canton, et où le
notaire, qui est un homme honorable et considéré sous tous les rapports, ne
passe pas au-delà de 150 actes par année. J'ajouterai que M. le ministre de la
justice ne peut pas invoquer les besoins des habitants des communes voisines,
puisque quatre résidences de notaire se touchent ; car Alveringhem n'est qu'à
trois quarts de lieue de Loo, résidence d'un notaire ; une lieue de
Wulveringhem, résidence de notaire et une lieue et demie de Furnes.
Comme cet acte, que
je m'abstiendrai de qualifier, a jeté de la consternation chez les uns et de
l'indignation chez les autres, je prierai M. le ministre de la justice, dans
l'intérêt bien entendu du gouvernement, de vouloir donner sur le fait dont je
viens d'entretenir la chambre, quelques explications qui puissent rassurer les
esprits d'une partie notable de la Flandre occidentale. Car si je m'en
rapportais au bruit public qui signale ce même acte comme une vengeance pour
cause d'opposition au candidat du gouvernement, lors des dernières élections,
je serais forcé, à mon grand regret, de qualifier le transfert dont je parle,
de mesure impolitique, pour ne pas me servir d'expressions plus sévères et plus
énergiques.
M. Clep. - Messieurs, je
dois une courte réponse aux observations faites par l'honorable député de
Dixmude, contre le rétablissement, rétablissement fait tout récemment, de la
deuxième résidence de notaire à Alveringhem, district de Furnes.
La commune
d'Alveringhem est la plus belle et l'une des plus grandes communes du
Furnes-Ambacht ; elle est traversée par un chemin pavé de la première classe de
l'Etat et par le canal navigable de Loo, conduisant respectivement à plusieurs
villes, et de plus, par un chemin gravier passant par l'aggloméré et reliant
entre elles ces deux grandes voies de communication. Elle est située
précisément entre les riches communes du plat pays et la partie plantée du
Furnes-Ambacht ; cette situation avantageuse, la facilité de ses communications
et l'aisance de ses habitants, comme aussi l'aisance des communes voisines, est
cause que cette intéressante commune d'Alveringhem a été, depuis les temps les
plus reculés, favorisée d'un marché hebdomadaire, d'une foire mensuelle de
bestiaux des plus considérables de la province, et de deux résidences
notariales. Il y avait même, sous la domination autrichienne, encore deux
partageurs jurés, et chacun de ces quatre fonctionnaires publics trouvait une
honnête existence dans l'exercice de ces honorables fonctions parce qu'ils
étaient utiles et commodes non seulement pour la commune d'Alveringhem, mais
aussi pour les huit communes avoisinantes, où il n'y a aucun notaire.
Cet état de choses
utile et commode pour le public, a continué jusqu'à la fin de 1834, époque à
laquelle est arrivé le décès de l'un des deux notaires à Alveringhem, et qu'il
a été remplacé en 1835 avec le transfert de cette résidence à Furnes.
La décision de ce
transfert de résidence de notaire était véritablement injustifiable ; aussi
lorsque la nouvelle en fut connue dans nos localités, c'était une véritable
stupéfaction, un étonnement général, parce que le remplacement de la deuxième
résidence de notaire à Alveringhem était indispensable dans l'intérêt du
public, tandis que le transfert de cette résidence créait une troisième
résidence de notaire audit Furnes, qui y était une véritable superfluité.
Ce troisième notaire
à Furnes, malgré toute la considération dont il jouissait, n'avait pour ainsi
dire rien à faire ; il y est décédé en 1845, et comme son décès remettait les
choses exactement dans le même état qu'à l'événement du décès du deuxième
notaire arrivé a Alveringhem en 1834, le conseil communal de cette commune,
ainsi que les conseils communaux des sept communes adjacentes se sont empressés
de saisir le moment opportun pour réclamer le rétablissement de la deuxième
résidence de notaire à Alveringhem.
Le gouvernement vient
d'accueillir favorablement ces réclamations, et quiconque connaît bien ces
localités, devra convenir avec moi que le gouvernement n'a fait que rendre
bonne et équitable justice à ces intéressantes communes.
L'on
vous a dit encore, messieurs, que le notaire qui est resté seul à Alveringhem
depuis 1834, ne passe annuellement que 150 actes. Je crois cette assertion
exacte ; mais ce notaire en passait annuellement tout autant,, alors qu'il y
avait deux résidences notariales sur cette même commune, de sorte que le
rétablissement de la seconde résidence notariale ne lui enlèvera probablement
aucune clientèle, mais sera d'une grande utilité pour le public d'Alveringhem
et des communes adjacentes qui, comme avant 1835, préférera d'avoir choix à
Alveringhem plutôt que de devoir se rendre à Furnes, qui est de deux à trois
lieues plus loin ; à Furnes il y a toujours eu deux notaires, et par conséquent
choix pour le public.
M. Delehaye. - Messieurs, il faut
bien que le grief, articulé à charge de M. le ministre de la justice, par
l'honorable M. de Breyne, ait de l'importance, puisque l'honorable M. Clep est
venu prononcer un discours (page 671)
écrit, en réponse au discours de l'honorable M. de Breyne qui ne l'avait pas
communiqué a son collègue.
Il y a dans cet acte,
comme dans la plupart des nominations qui émanent du même département, des
considérations politiques qui ne devraient jamais guider le ministre. Je dois
dire que, dans ma province, on assigne à la plupart des nominations faites par
le département de la justice, et entre autres, aux nominations de notaires, des
motifs qui ne sont pas puisés dans les titres réels et le mérite des personnes
nommées.
Un de mes honorables
amis a dit hier qu'il trouvait étrange que M. le ministre de la justice eût
enlevé aux chambres de notaires et aux magistrats le droit de présentation M.
le ministre a répondu d'une manière qui ne peut satisfaire personne. Le
ministre se borne maintenant à demander l'avis des magistrats ; en apparence
c'est la même chose ; mais voici comment en réalité la position n'est plus la
même. Quand les magistrats présentent des candidats, il y a convenance et même
nécessité, de la part du gouvernement, de se conformer à cette présentation ;
mais quand les magistrats donnent simplement un avis, le gouvernement peut
s'écarter de cet avis, quelque favorable qu'il soit à un candidat, et il peut
nommer d'autres candidats. On conçoit dès lors que si le gouvernement a enlevé
aux magistrats le droit de présentation, c’est, il faut bien le dire, pour
mieux se soustraire à l'obligation de ne consulter que la justice et le mérite
dans les nominations.
Je puis l'affirmer à
la chambre, il y a dans ma province une foule de nominations de notaire, qui ne
sont motivées que sur des considérations politiques. Des considérations de même
nature donnent lieu à des abus d'un autre genre. L'année dernière, la chambre a
voté le projet de loi dont j'ai été rapporteur, et qui a augmenté les
traitements des membres de l'ordre judiciaire ; une des considérations qui ont
surtout engagé la chambre à améliorer le sort des magistrats, c'est qu'il ne
convenait pas que le magistrat exerçat des professions étrangères à ses
fonctions judiciaires.
Pensez-vous,
messieurs, que M. le ministre de la justice se mette en devoir de faire
respecter la volonté de la législature ? Pas le moins du monde. Dans une
province, il existe un individu qui est à la fois juge de paix, instituteur,
clerc de village et boutiquier. Ce fait a été signalé maintes fois ; mais
l'individu n'en a pas moins continué à cumuler toutes ses places. Je sais qu'il
y a eu une époque où le ministre a voulu faire droit aux réclamations, mais il
ne fut pas donné suite à cette intention, grâce à l'intervention d'un certain
personnage qui aujourd'hui a perdu toute son influence. (Interruption.) On pourra me démentir, je n'ai pas de preuves
écrites du fait de l'intervention de ce personnage, mais j'affirme la chose.
Dans la Flandre
occidentale, il se trouve un juge de paix qui, indépendamment de ses fonctions,
exerce celles de secrétaire communal....
M. de Muelenaere. - Le fait a cessé.
M. Delehaye. - Je suis heureux
de l'apprendre. Mais pourquoi le fait a-t-il cessé ? Remarquez que l'autorité
communale avait vainement protesté contre ce cumul. On a voulu maintenir cet
homme en place lors des élections communales, parce qu'on espérait que, grâce à
son influence, il parviendrait à faire réélire les membres du conseil communal
qu'il protégeait. Cet homme avait inspiré une telle indignation dans la commune
que tous ceux qu'il avait appuyés, ont été éliminés du conseil communal.
Je le répète,
messieurs, presque toutes les nominations, faites par le département de la justice,
sont dictées par des considérations autres que le mérite même des candidats
nommés. Les rares nominations qui ne sont pas entachées de ce vice, et qui sont
à ma connaissance, ont été, en quelque sorte, arrachées à M. le ministre de la
justice.
Je me proposais,
messieurs, de vous présenter mes vues sur l'ensemble du budget de la justice ;
mais comme la chambre paraît fatiguée, à la suite du débat spécial qui l'a
occupée pendant trois jours, je me réserve de présenter mes observations lors
de la discussion des articles.
Il est cependant un
point que je dois toucher dès aujourd'hui. Tous les ans, l'allocation demandée
pour les traitements des ministres du culte, augmente d'une manière
considérable. Je voudrais que le gouvernement imitât l'exemple que lui donnent
certaines communes. Je sais qu'on demande des vicaires avec une légèreté
inconcevable. C'est ainsi qu'à Gand le conseil communal est saisi de la
question de savoir s'il convient d'augmenter encore le nombre des vicaires de
l'église Saint-Michel.
Cette église a aujourd'hui un nombre de vicaires égal
à celui qu'elle avait avant la révolution ; eh bien, par suite des couvents qui
se sont établis à Gand depuis la révolution, le service de l'église de
St-Michel est presque réduit à rien. Cela n'empêche pas que l’on ne vienne
demander de nouveaux vicaires. Si des demandes aussi peu fondées se font dans
une ville comme Gand, on conçoit qu'on doit les faire avec beaucoup plus de
légèreté dans les communes rurales, où il ne se trouve personne pour contrôler
les demandes. Je crois donc que le gouvernement ne doit donner la main à la
nomination de nouveaux ministres du culte que quand le besoin s'en fera sentir
impérieusement. Par-là, on mettra fin à ces accroissements annuels de dépenses,
et aux discussions, toujours désagréables, que ces augmentations provoquent.
J'appelle donc sur ce point toute l'attention de M. le ministre de la justice.
M. de Muelenaere. - Messieurs, je
regrette que les paroles assez acerbes qu'a prononcées l'honorable député de
Dixmude, tombent sur un acte du pouvoir exécutif qui n'est pas de nature à
pouvoir être apprécié convenablement par vous. Pour connaître l'utilité ou la
nécessité du transfert d'une résidence de notaire, il faut avoir une connaissance
parfaite des localités, ainsi que des besoins des administrés. Je me borner
donc à vous dire quelques mots pour justifier la mesure dont il s'agit.
Ainsi que vous l'a
fait connaître l'honorable député de Furnes, il y avait eu de tout temps deux
notaires dans la résidence d'Alveringhen, qui est une des communes les plus
importantes de l'arrondissement de Furnes. Cette résidence avait été
transférée, en 1834,de 1a commune d'Alveringhem dans la ville de Furnes, et
depuis lors, il ne restait plus qu'une seule résidence de notaire à
Alveringhem.
Le notaire qui fut
nommé à cette époque, à la troisième résidence de Furnes, est le même notaire
qui vient de décéder. Qu'est-il arrivé ? C'est que ce notaire, qui était un
homme fort recommandable par lui-même, qui avait des relations très nombreuses
à Furnes, qui avait été avoué près le tribunal de première instance de cette
ville, n'était jamais parvenu à se faire une clientèle dans la ville de Furnes
; il ne passait que des actes assez peu importants et en nombre très restreint.
J'ai fait la vérification de son répertoire, la moyenne de ses actes pendant un
certain nombre d'années ne s'élevait guère à plus de soixante et quinze par an.
Sa clientèle était tellement insuffisante pour satisfaire à ses besoins et à ceux
de sa famille, qu'il avait un commerce d'épiceries dans la ville de Furnes.
Voilà les faits.
A la mort du
titulaire de cette résidence, on a soulevé la question de savoir s'il fallait
conserver la troisième place de notaire à Furnes où elle était établie depuis
1831, ou la constituer de nouveau à Alveringhem où, de temps immémorial, elle
avait existé jusqu'à cette époque.
Les communes les plus
riches de ce canton se sont adressées au gouvernement pour qu'il rétablît la
résidence de notaire dans la commune d'Alveringhem. Je ferai remarquer que les
deux résidences d'Alveringhem passaient pour les meilleures de l'arrondissement
de Furnes. Les notaires d'Alveringhem à l'époque où ils étaient deux trouvaient
dans leur clientèle des moyens extrêmement honorables d'existence. On a examiné
avec soin s'il convenait de rétablir cette résidence. La responsabilité de la
décision qui a été prise ne doit pas peser sur M. le ministre de la justice.
C'est moi que M. le ministre a chargé d'instruire cette affaire ; après l'avoir
examinée sans préoccupation, j'ai cru que dans l'intérêt des habitants il
convenait de rétablir la seconde résidence d'Alveringhem, c'est sur ma
proposition que M. le ministre de la justice a bien voulu déférer à la demande
des communes environnantes qui sollicitaient ce rétablissement. Je n'ai aucun
grief contre le notaire de cette commune. Il n'est cependant pas exact de dire
qu'il jouit au même degré de la confiance de tous les habitants de son canton.
L'honorable député de
Gand a parlé d'abus qui existeraient dans la Flandre occidentale, il a signalé
un juge de paix qui cumulait ses fonctions avec celles de secrétaire communal.
Cet abus a cessé ; mais il faut le dire, ce secrétaire communal avait été nommé
juge de paix depuis peu de temps. On vous l'a présenté comme un magistrat
jouissant de peu de considération. C'est là une erreur grave.
Le titulaire de ce
poste est un homme honorable, personnellement connu de plusieurs membres de
cette assemblée, et qui, dans son canton, l'un des plus importants de
l'arrondissement de Courtray, possède l'estime de ses administrés.
Il a été, en effet,
juge de paix pendant qu'il desservait encore comme secrétaire une commune
voisine. Mais ce cumul n'a été toléré momentanément que pour qu'il pût terminer
toutes les affaires administratives de la commune ; il en était secrétaire
depuis un temps immémorial et il tenait à transmettre les affaires de la
commune à son successeur, quel qu'il fût, en parfait état.
C'est pourquoi on n'a
pas insisté pour qu'il donnât immédiatement sa démission. Mais cela peut-il
être considéré comme un abus ?
Doit-on
en pareil cas remplacer un fonctionnaire du jour au lendemain ? Quand il a
longtemps dirigé les affaires, ne convient-il pas de lui laisser au moins un
temps moral pour la mise en bon ordre de ses archives ?
Je pense que ces
explications sur la deuxième résidence de notaire rétablie à Alveringhem ne
laisseront aucun doute dans vos esprits sur la justice de la mesure prise par
le gouvernement,
Quant à l'autre
objet, celui dont a parlé l'honorable député de Gand comme le prétendu abus
dont il s'est plaint a cessé, je pense que l'honorable membre n'insistera pas
davantage.
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - J'ai peu d'explications à ajouter à celles que
vient de vous donner l'honorable comte de Muelenaere relativement au
rétablissement de la seconde résidence de notaire à Alveringhem. Ce
rétablissement a été demandeur sept communes importantes du Furnes-Ambach,
après le décès du notaire résidant à Furnes. Je ne me suis pas contenté de
cette demande, j'ai pris des renseignements qui ont établi qu'un très grand
nombre d'actes passés à Furnes, l'étaient par des individus appartenant à ces
communes qui avaient réclamé le rétablissement d’une seconde résidence à
Alveringhem, et comme ces communes sont plus rapprochées d'Alveringhem que de
Furnes, j'ai reconnu qu'elles avaient intérêt à ne pas devoir aller jusqu'à
Furnes pour traiter leurs affaires. Ces explications et celles de l'honorable
comte de Muelenaere suffirent pour justifier cet acte, qu'a cru devoir
critiquer M. de Breyne.
J'ai quelques mots à
répondre aux observations de l'honorable M. Delehaye. Déjà M. de Muelenaere a
répondu qu'un des abus signalés par l'honorable membre avait cessé et que, par
conséquent, tout grief de ce chef venait à disparaître. Quant à l'autre grief
consistant dans ce qu'un juge de paix de la Flandre orientale exercerait
différentes fonctions incompatibles avec les fonctions judiciaires, ce qui
constituerait un fait contraire à la loi que vous avez votée l'année dernière,
je crois que l'observation porte non sur un titulaire définitif mais sur un
suppléant, qui remplit provisoirement les fonctions de juge de paix et qui m'a
été signalé comme exerçant diverses fonctions.
Messieurs, une
enquête a été faite par suite de la dénonciation qui m'a été adressée, et je
crois me rappeler que les faits avancés n'ont pas été établis. (page 672) Je ferai, du reste, observer
qu'il s'agit d'un juge suppléant, auquel on ne peut pas appliquer les
interdictions de la loi, et qu'un titulaire définitif n'a pas encore été nommé,
parce que la justice de paix doit être supprimée d'après la loi dont la chambre
est saisie.
Messieurs, je ne puis
pas accepter le reproche que m'a adressé l'honorable M. Delehaye, de céder
uniquement, dans les nominations que je fais, à des considérations politiques.
C'est, dit-il, une opinion généralement admise dans les Flandres. Si telle est
l'opinion, je le déplore, mais je ne crains pas de dire que cette opinion est des
plus injustes, et je proteste avec énergie contre cette supposition. Je
considère toujours et avant tout, le m rite etles titres des candidats : je
prends en sérieuse considération les observations des fonctionnaires que je
consulte ; je puis me tromper, sans doute, mais les choix que je fais sont
toujours consciencieux.
Un mot encore
relativement au culte. L'honorable membre a signalé des demandes de vicaires
faites pour des paroisses où de nouveaux vicaires ne seraient pas nécessaires.
Mais l'honorable membre sait bien que les demandes de cette nature sont faites
par les évêques, et que le gouvernement doit adresser ces demandes aux
gouverneurs, qui consultent les conseils communaux. Le gouvernement ne peut pas
se dispenser de suivre cette marche ; mais je puis donner l'assurance qu'aucune
création de vicaire, de succursale ou de chapelle n'est faite sans qu'il y ait
eu accord préalable entre l'évêque et la députation permanente. Des demandes
que des conseils communaux ont combattues n'ont pas été accueillies quand il a
été reconnu que l'opposition était fondée ;et pour le cas que l'honorable
membre a signalé, si la demande n'est pas justifiée par la nécessité, elle ne
sera pas admise.
Plusieurs
voix.
- A demain ! à demain !
D’autres voix. - La clôture ! la
clôture.
M. de Breyne. - Je demande à
répondre.
M. Delehaye. - Puisqu'on dit
qu'un des griefs que j'ai articulés est venu à cesser, mes observations
tombent. Cependant, on me permettra d’en faire une seule, c'est que la commune
elle-même avait adressé à la chambre une pétition contre l'abus que j'ai
signalé. Cette pétition vous a été adressée à la session dernière ; et c'est
seulement après les élections que l'abus a cessé. Le juge de paix secrétaire
communal est resté dans sa place de secrétaire jusqu'après les élections, pour
lesquelles on l'y avait maintenu.
Quant au suppléant de
Waerschoot, je dirai qu'il remplit les fonctions de juge de paix depuis nombre
d'années. Quant aux fonctions incompatibles qu'il cumule, je suis plus à même
de les apprécier que le gouvernement. Si les renseignements qu'il a pris sont
contraires à ce que j'avance, c'est qu'il est mal informé, car à ma
connaissance, il est en même temps clerc, boutiquier, juge de paix et
instituteur. Vous voyez qu'il remplit là des fonctions incompatibles. Parce
qu'il n'est que juge suppléant, vous le maintenez, mais, dites-vous, vous ne le
nommerez pas juge de paix titulaire.
Qui est-ce qui empêche
le gouvernement de nommer définitivement à cet emploi ? C’est, dit-on, la
suppression probable de ce canton. Mais depuis bien longtemps, il est question
de modifier la circonscription cantonale. La chambre a depuis longtemps
manifesté son opinion à cet égard. Récemment encore, une commission s'est
prononcée pour le maintien du statu quo. Comment, en effet, ne reculeriez-vous
pas devant ces modifications, qui entraîneraient nécessairement des
modifications aux lois communale et
provinciale ?
Il est donc de
l'intérêt du gouvernement et des administrés que cet abus vienne à cesser.
Quant
à la nomination des vicaires, il est vrai, comme l’a dit M. le ministre de la
justice, que les conseils communaux sont consultés ; mais souvent ils ne savent
pas résister à l'influence de l'autorité supérieure.
Une demande de cette
nature a été faite à Gand ; le conseil a décidé qu'il n'y avait pas lieu d'y
faire droit. Des membres du clergé eux-mêmes ont trouvé étrange que l'on voulût
augmenter le nombre des vicaires de l'église de Saint-Michel, où le casuel,
dont le nouveau vicaire prendrait sa part, est déjà si peu considérable.
Je voudrais que le
gouvernement n'accueillît ces demandes de nominations de vicaires, que quand le
besoin en est constaté.
M. de Breyne. - Je demande une
seconde fois la parole, moins pour répondre au discours écrit par lequel mon
honorable collègue n'a détruit aucune de mes assertions, que pour relever
certains faits et certaines expressions échappées à M. le comte de Muelenaere.
Qu'ai-je voulu
démontrer à la chambre, en lui donnant connaissance des circonstances qui
avaient donné lieu au transfert d'une résidence de notaire ? Sinon que des
considérations politiques et non l'intérêt du service public avaient prévalu
dans l'acte de transfert que j'ai critiqué, et à l'égard duquel je n'ai été que
l'organe de l'opinion publique ?
Malgré ce qu'en pense
M. le comte de Muelenaere, mes observations sont restées debout, et je persiste
à croire que l'on a cédé à des influences électorales.
L'intérêt public
exigeait-il, en effet, qu'un second notaire fût nommé à Alveringhem, lorsque le
titulaire actuel ne passe que cent cinquante actes, année commune, tandis que
les trois notaires de Furnes en passent de huit à neuf cents ?
L'intérêt public
exigeait-il qu'une résidence fût supprimée dans le chef-lieu de
l'arrondissement judiciaire pour la transférer dans une simple commune dont la
principale, pour ne pas dire la seule industrie, est l'industrie agricole ?
Fallait-il créer
cette seconde résidence lorsque les autorités locales et judiciaires étaient à
même d'en constater l'inutilité, si tant est qu'elles aient été consultées ?
Je le répète, c'est
dans un intérêt entièrement étranger au service public que ce transfert de
résidence a été provoqué.
M. le comte de
Muelenaere a dit que le notaire qui est décédé en dernier lieu à Furnes
jouissait de toute la considération publique, et que malgré cela il ne passait
que 60 ou 70 actes par année, et que sa femme était obligée de tenir un magasin
d'épiceries.
Je veux bien admettre
quelques-unes de ces assertions ; mais je dis que sous le rapport du nombre des
actes l'honorable membre se trompe, puisque je tiens la preuve à la main, qu'en
1814, le notaire en question a passé près de cent actes. D'ailleurs ces
assertions ne prouvent rien contre ce que je soutiens, savoir que neuf cents
actes passés dans une ville doivent procurer plus de chances de clientèle à
trois notaires, que cent cinquante actes n'en présentent à deux notaires
résidant dans une commune.
Je m'arrêterais ici,
si je ne voulais pas relever les paroles prononcées à l'instant par l'honorable
gouverneur de la Flandre occidentale. (Interruption.)
M.
le président. - Il n'y a pas ici de gouverneurs, mais des députés.
M. de Breyne. - Soit, M. le
président, je dirai : par l'honorable comte de Muelenaere.
L'honorable membre a
dit, que le notaire d'Alveringhem ne jouit pas de la considération du public. (Interruption.)
M. de Muelenaere, ministre d’Etat. - Je n'ai pas dit
que le notaire d'Alveringhem ne jouissait pis de la considération publique.
J'ai commencé par déclarer que je ne voulais pas entrer dans des considérations
de personnes, que je n'avais aucun grief contre lui, mais qu'il était assez
connu que ce notaire ne jouissait pas de la confiance de tous les habitante. Ce
qui le prouve, c'est que le nombre de ses actes n'est pas augmenté depuis qu'il
est notaire à Alveringhem. Une partie des habitants se transportent dans
d'autres communes pour passer leurs actes. On peut être un homme fort
honorable, fort estimable, sans jouir de la confiance de tous les habitants Ce
qui prouve qu'il jouit de la confiance d'un certain nombre d'habitants, c'est
qu'il passe annuellement 180 actes ; mais le nombre de ses actes n'est pas
augmenté, depuis qu'il est le seul notaire de la résidence.
M. de Breyne. - Messieurs, je
proteste de toutes mes forces contre les paroles étranges qui sont sorties de
la bouche de l'honorable membre, et j'ai droit de m'en étonner. Je proteste, au
nom de tous les habitants des arrondissements de Furnes et de Dixmude, qui
connaissent le notaire d'Alveringhem, et je déclare que cet honorable fonctionnaire
jouit à juste titre de l'estime du public, et que personne n'a le droit de la
mettre en doute dans cette enceinte. Je n'en dirai pas davantage à ce sujet, le
pays appréciera cette manière d'agir à d'égard d'un fonctionnaire.
Pour
prouver que dans cette déplorable affaire j'ai été plus gouvernemental que M.
le ministre de la justice, je me suis rendu chez lui, et après un entretien que
j'eus avec ce haut fonctionnaire, relativement aux intrigues que l'on mettait
en œuvre pour obtenir une seconde résidence à Alveringhem, M. le ministre me
remercia, en me serrant affectueusement la main, des renseignements que je lui
avais donnés. Je croyais de bonne foi que tout étail dit ; mais quel ne fut pas
mon étonnement, lorsque je lus dans le Moniteur le transfert que je viens de
critiquer !
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - Je ne pense pas devoir suivre l'honorable
préopinant dans la discussion dans laquelle il veut nous entraîner. Comment
discuter devant la chambre le degré de confiance que méritent des notaires,
comment venir apprécier ici l'importance des acles qu'ils passent ? La chambre
ne peut pas entrer dans toutes ces considérations. J'ai posé un acte que je
crois juste et utile, j'en ai dit sommairement les motifs : à la chambre, je ne
puis pas entrer dans plus de détails.
L'honorable membre a
cité, je ne sais pourquoi, une conversation qu'il a eue avec moi. Je lui aurais
dit, en lui serrant la main : « Je vous remercie de vos renseignements. »
Je me rappelle que j'ai eu l'honneur de recevoir M. de Breyne, et il est
possible que je l'ai remerciée des renseignements qu'il a bien voulu me
communiquer. Mais ces remerciements entraînaient-ils pour moi l'obligation de
me rapporter exclusivement aux renseignements obtenus de l'honorable M. de
Breyne ? Personne, sans doute, ne le soutiendra.
Des renseignements
ultérieurs que j'ai recueillis m'ont fait penser que je ne devais pas faire
droit à la demande de l'honorable M. de Breyne, ils m'ont prouvé qu'il était juste
et utile de placer à Alveringhem une deuxième résidence de notaire.
Les faits sont
maintenant suffisamment connus de la chambre pour qu'elle puisse juger si j'ai
bien ou mal agi dans cette circonstance.
M. Clep. - Je dois rectifier
l'erreur où est tombé l'honorable député de Dixmude. Il demeure à deux lieues
et demie de la commune d'Alveringhem ; je suis surpris qu'il ne connaisse pas
mieux les localités. D'après lui il y aurait des notaires dans toutes les
couoinu.es voisines ; or dans sept communes adjacentes à Alveringhem
(Nieuw-Capelle,Oude-Capelle, Oosterke, Lampermisse, Eggewaerts-Capelle, Oeren
et Saint-Ricquiers), il n'y a pas un seul notaire.
- La discussion
générale est close.
La séance est levée à
cinq heures.