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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 20 avril 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétitions relatives aux droits différentiels (Osy),
au traité commercial conclu avec la France (Rodenbach),
à la formation du nouveau cabinet ministériel (de Brouckere)
2) Communication du
gouvernement relative à la formation du nouveau cabinet ministériel
(+enseignement moyen) (de Theux)
3) Projets de budget de dette
publique, des dotations, des départements de la justice, des affaires étrangères,
de la marine et de finances pour l’exercice 1847. Présentation générale et
principe d’unité budgétaire, indemnisation des victimes des événements de la
révolution, fabrication de la monnaie, réforme des traitements du personnel des
finances (Malou)
4) Projet de loi accordant un
crédit provisoire au département de la guerre
5) Projet de loi relatif à l’établissement
d’une caisse d’amortissement et des consignations
6) Motion d’ordre relative à
la formation du nouveau cabinet ministériel. A. Rejet par le roi du programme libéral
en raison essentiellement de l’atteinte à la prérogative royale de dissoudre
les chambres ; B : droit de limoger les fonctionnaires et indépendance
des députés-fonctionnaires ; C : organisation de l’enseignement moyen
et ingérence cléricale dans celui-ci (A, B (Dolez, Rogier, de Theux, Rogier),
A, C (d’Hoffschmidt), A, B et C (Malou))
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page
1069) M.
Huveners procède à l'appel nominal à 2 heures.
M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance
; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse des pétitions adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Lendorf, né aux Indes
orientales, demande la naturalisation, avec exemption du droit
d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Les sieurs Pecher et Foulon, président et
secrétaire de l'association commerciale et industrielle d'Anvers, demandent des
modifications à la loi des droits différentiels en faveur de la relâche dans
les ports. »
- Sur la proposition de M. Osy, cette pétition est renvoyée à la
commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
________________
« Le sieur Verpoorten, maître armurier à Anvers,
prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir le payement des
armes que les troupes hollandaises ont saisies chez lui en 1830. »
- Même renvoi.
________________
« Le sieur Henry, propriétaire de hauts
fourneaux dans la province de Luxembourg, réclame l'intervention de la chambre
pour obtenir le remboursement des droits sur les fontes qu'il a fait passer par
terre dans le Zollverein, après l'ordonnance prussienne qui a donné lieu au
traité du 1er septembre 1841. »
- Même renvoi.
________________
« Le sieur Mascart-Scribe, ancien commis dans
l'administration des chemins de fer, prie la chambre de lui faire obtenir un
secours sur les fonds destinés a des employés qui n'ont pas droit à la pension.
»
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Roulers prie la chambre
de sanctionner la convention de commerce conclue avec la France. »
« Même demande de plusieurs habitants d’Iseghem,
du conseil communal de Ruysselede, des habitants notables de Roulers, des
membres de l'administration communale de Zeveren, du conseil communal et du
comité industriel d'Aerseele, du conseil communal de Rumbeke, de la chambre de
commerce de Bruges. »
M. Rodenbach. - Messieurs, il y a environ un mois que j'ai appuyé
de tout mon pouvoir la requête des fabricants de toiles des villes de Roulers,
Iseghem, Rumbeke et banlieue. Ces industriels formaient des vœux pour
l'acceptation du traité du 13 décembre dernier conclu entre la France et la
Belgique.
Aujourd'hui, messieurs, ce sont les régences et
les notables habitants de ces villes ainsi que de plusieurs communes du
district de Thielt et de la Flandre orientale, c'est la chambre de commerce de
Bruges qui demandent que l'on conserve à la Belgique le travail de plusieurs
centaines de mille ouvriers, et tout en avouant que les avantages du traité
sont très restreints, les pétitionnaires n'en soutiennent pas moins, et à juste
titre, que le rejet de cette convention aurait pour les Flandres les plus
déplorables conséquences. (Interruption.
L'ordre du jour !)
Messieurs, je crois qu'il doit m'être permis de
vous exposer les vœux de mon district. Du reste, puisque la chambre paraît
impatiente et peu disposée à m'écouter, alors que je parle des intérêts
matériels du pays qui sont ses intérêts essentiels, surtout lorsqu'une
population est plongée dans la misère, je me bornerai à demander que les
diverse s pétitions dont il vient d'être fait l'analyse, soient renvoyées a la
section centrale chargée d'examiner le projet relatif a la convention avec la
France.
- Cette proposition est adoptée.
________________
« Le sieur William Wood, blanchisseur,
teinturier et apprêteur d'étoffes de coton, lin et laine, demande le rejet de
la convention de commerce conclue avec la France. »
« Même demande des fabricants de fils et tissus
de laine de Liège, de la chambre de commerce d'Alost. »
- Renvoi à la section centrale chargée
d'examiner le projet de loi relatif à la convention.
________________
« Le sieur Wasson demande que les salles de
restaurant, dans les stations du chemin de fer, soient mises en adjudication et
offre une rétribution annuelle de 3,000 francs pour occuper celle de Verviers.
- Renvoi au ministre des travaux publics.
________________
« Le
sieur Custers, capitaine de la garde civique à Bruxelles, prie la chambre de
s'occuper du projet de loi qui porte révision des lois sur la garde civique. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée
d'examiner le projet de loi.
________________
« Le
sieur Damry demande une indemnité du chef des pertes qu'il a faites sur les
approvisionnements de pommes de terre fournies à la garnison et à l'hôpital militaire
de Bruxelles, aux prix fixés dans trois contrats du mois d'octobre 1841. »
- Renvoi à la section centrale chargée
d'examiner le budget de la guerre.
________________
« Le
sieur Pollenus, juge de paix du canton de Herek-la-Ville et membre du conseil
provincial du Limbourg, prie la chambre de prendre des mesures pour obvier aux
inondations de la vallée du Demer, dite Schuelensbroek. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du
budget des travaux publics.
________________
« Le conseil communal de Nivelles demande
l'exécution d'un chemin de fer de Wavre à Manage. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du
budget des travaux publics.
________________
« Dépêche de M. Van de Weyer, ministre de
l'intérieur, en date du 23 mars dernier, accompagnant l'envoi du rapport sur
l'école vétérinaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du
budget de l'intérieur.
________________
« Dépêche
de M. le ministre de la justice accompagnant l'envoi de renseignements sur
plusieurs demandes de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
________________
Hommage fait à la chambre par M. Eenens,
lieutenant-colonel d'artillerie, de 95 exemplaires de sa brochure intitulée :
Anvers et la nationalité belge.
- Distribution aux membres et dépôt à la
bibliothèque.
________________
Hommage fait à la chambre, par M. Belpaire, de
plusieurs exemplaires d'une carte du mouvement des transports en Belgique
pendant l'année 1843.
- Distribution aux membres et dépôt à la
bibliothèque.
________________
Deuxième procès-verbal concernant les
expériences de M. Boucherie sur la conservation des bois.
- Distribution aux membres et dépôt à la
bibliothèque.
Hommage fait à la chambre par les sieurs Hauzeur
et Renard, membre et secrétaire du comité de commerce et de l'industrie à
Liège, de plusieurs exemplaires d'un mémoire présenté au gouvernement à l'appui
du rétablissement de nos relations avec la Hollande.
- Distribution aux membres.
M. le président. - Il est arrivé au bureau une lettre de M. de
Brouckere. Il va en être donné lecture à la chambre.
M. A. Dubus, secrétaire. - Voici cette lettre :
« Liège, le 18 avril 1846.
« Monsieur le président,
«Une indisposition assez sérieuse, qui depuis
trois semaines me retient dans mon appartement, m'empêchera d'assister à la
séance de lundi, et ne me permet pas encore de prévoir avec certitude le jour
où je pourrai quitter Liège. J'en suis d'autant plus contrarié que, dans la
discussion politique qui va probablement s'ouvrir, j'avais à donner à la
chambre quelques explications personnelles, qu'il était de mon intérêt de ne
pas différer. J'espère pouvoir me rendre à Bruxelles avant la clôture de la
discussion ; la chambre m'autorisera sans doute alors à lui exposer quelle a
été ma conduite dans les circonstances délicates où je me suis récemment
trouvé, et particulièrement quels ont été les motifs qui m'ont forcé à
décliner, telles qu'elles m'étaient faites, les propositions que j'ai reçues
immédiatement après l'annonce officielle de la retraite du précédent cabinet.
Cette conduite, d'ailleurs, qu’il me soit permis de le dire en passant, a déjà
obtenu une approbation non équivoque, et dont j'ai le droit d'être flatté,
puisque deux fois, depuis mon refus d'accéder aux premières ouvertures qui
m'ont été adressées, et depuis la non-acceptation de la combinaison préservée
par l'honorable M. Rogier, deux fois, le 25 et le 28 mars, on m'a offert, pressé
d'entrer dans d'autres combinaisons, pour la formation desquelles on me
laissait même une grande latitude.
« Je vous prie, M. le président, de communiquer
la présente lettre à la chambre, et d'agréer les assurances de ma haute
considération.
« H. de Brouckere. »
COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT. EXPLICATIONS SUR
LA FORMATION DU CABINET DU 31 MARS
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, le ministère du 30 juillet s'est dissous
par suite d'un dissentiment dont l'objet et les motifs vous sont connus.
Si le ministère du 31 mars est plus homogène
dans sa composition, il ne doit cependant pas son origine à un sentiment
d'exclusion ; déterminé par les nécessités de la situation, il s'est formé en
vue de maintenir la politique de modération qui a dirigé le gouvernement depuis
1830.
C'est dans la Constitution, dans l'étude des
besoins du pays que le gouvernement trouvera toujours la règle de sa conduite.
Avec votre concours il pourra résoudre dans un
esprit de conservation (page 2070)
et de progrès les questions d'intérêt moral et matériel dont le pays attend
encore la solution. En marchant dans ces voies, en manifestant en toute
occasion un respect profond pour les prérogatives da la couronne et de la
représentation nationale, nous verrons s'affermir de plus en plus la confiance
dans nos institutions constitutionnelles.
Le gouvernement désire que les chambres
puissent, dans cette session, terminer des travaux importants : plusieurs
budgets de l'exercice courant sont encore soumis à vos délibérations ; la
plupart des budgets pour 1847 vous seront immédiatement présentés. Le projet de
loi sur les sucres, le traité de commerce avec la France réclament un vote
prochain
Le gouvernement exprime également le désir que
la loi sur l'enseignement moyen soit votée dans la session actuelle ; dans ce
but, il demande que la section centrale chargée de l'examen du projet présenté
en 1834 soit complétée et qu'elle dépose son rapport. Le cabinet ne négligera
aucun effort pour que cette question soit résolue dans un esprit de patriotique
conciliation.
PROJETS DE LOI PORTANT LES BUDGETS POUR
L’EXERCICE 1847
M. le ministre des finances (M. Malou) présente à la chambre les projets de budget des
dépenses de la dette publique, des dotations, de la justice, des affaires
étrangères, de la marine, des finances et des non valeurs pour l’exercice 1847.
- Il est donné acte à M. le ministre de la
présentation de ces projets de loi ; ils seront imprimés et distribués. La
chambre les renvoie à l'examen des sections.
(page
1075) M. le
ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, depuis plusieurs années,
le budget général des recettes et des dépenses du royaume a été présenté au
début de la session ordinaire qui précède l'ouverture de l'exercice.
Les chambres, n'ayant pas le temps nécessaire
pour examiner tous les budgets avant la fin de l'année, se sont vues, le plus souvent,
obligées d'accorder à la plupart des départements ministériels des crédits
provisoires.
Les inconvénients de la marche suivie jusqu'à
présent sont très graves. Au sein du sénat, des plaintes vives et fondées se
sont élevées à plusieurs reprises sur l'impossibilité où. cette assemblée s'est
trouvée de discuter utilement et avec maturité les budgets dont la chambre
avait pu terminer l'examen avant le premier janvier. Pour les autres budgets,
l'intervention tardive et incomplète de la législature diminue ou détruit
l'efficacité de son contrôle préventif sur les dépenses de l'Etat, complique la
comptabilité, suspend ou paralyse l'action du gouvernement.
Pour l'exercice courant, ces inconvénients se
sont fait sentir plus fortement que jamais. Les moyens d'y mettre un terme ont
été discutés, au sein de la chambre des représentants, à l'occasion du projet
de loi relatif à la comptabilité générale.
L'une des dispositions de ce projet prescrit au
gouvernement de présenter, mais à dater de 1848 seulement, les budgets des
recettes et des dépenses dix mois au moins avant l'ouverture de l'exercice. Le
gouvernement peut, d'après un article transitoire, ne pas appliquer ce principe
aux budgets de 1847 et de 1848.
Sans préjuger le vote que le sénat émettra sur
le projet qui lui est renvoyé, j'ai recherché les moyens de réaliser, par
l'adoption de deux budgets en une année, la pensée si utile aux intérêts de
l'administration et aux travaux parlementaires, déjà exprimée par plusieurs
membres de la législature et sanctionnée en quelque sorte implicitement par le
vote récent de la chambre des représentants.
L'expérience du passé et un nouvel examen des
faits m'ont convaincu qu'il est presque impossible d'examiner et de voter, dans
le cours d'une seule session, tous les budgets de deux exercices, et que, pour
atteindre le but que l'on se propose, ce travail doit être réparti au moins
entre deux sessions. Si le gouvernement laissait s'écouler, sans rien innover,
les années 1846 et 1847, l'on se trouverait plus tard en présence des mêmes
difficultés : il faudrait, pendant la session de 1847 à 1848, quelles que
fussent alors les circonstances, voter tous les budgets en double.
Ayant exposé au Roi ces diverses considérations,
Sa Majesté a daigné m'autoriser à vous soumettre, dès à présent, pour
l'exercice 1847, sept budgets de dépenses, savoir : les budgets de la dette
publique, des dotations, de la justice, des affaires étrangères, de la manne,
des finances, et des non-valeurs. Les sections pourront s'occuper immédiatement
de ces budgets, dont la discussion aurait lieu avant la clôture de la session
actuelle. Pour la session prochaine, il resterait à voter, en double seulement,
les budgets des voies et moyens, de l'intérieur, de la guerre, et des travaux
publics. Ces derniers, il est vrai, donnent ordinairement lieu aux débats les
plus prolongés ; cependant l'on aura beaucoup fait si l'examen préparatoire des
sept autres budgets, qui exige un certain temps, et si la discussion, parfois
assez longue, sont terminés dans le cours de la session 1845-1846, comme le
gouvernement en exprime le désir.
Amené ainsi par la force des choses à admettre
une période de transition et à ne faire que des propositions partielles, au
lieu d'un budget qui comprendrait l'ensemble des ressources et des besoins,
l'on ne pourra pas établir une balance reconnue exacte entre les recettes
présumées d'un exercice et les dépenses qui s'y rapportent, mais cette
objection, d'ailleurs inévitable, peut être levée en fait si l'on apporte dans
les propositions de dépenses nouvelles une certaine sévérité. L'équilibre
financier existe aujourd'hui ; il n'est guère probable, à moins d'événements
graves et imprévus, que les recettes, considérées dans leur ensemble,
fléchissent d'une manière très sensible ; cette bonne situation peut donc être
maintenue, si les dépenses proposées pour 1847 sont à peu près les mêmes que
les besoins reconnus pour l'exercice courant.
Le tableau suivant contient les éléments de
comparaison entre les deux années :
Budget de la dette publique : crédits
alloués pour 1846 : 31,959,096 fr. 87 c. ; crédits demandés pour
1847 : 31,545,731 fr. 92 c. ; en moins, 413,364 fr. 95 c.
Budget des dotations : crédits alloués pour
1846 : 3,323,872 fr. 75 c. ; crédits demandés pour 1847 :
3,323,872 fr. 75 c.
Budget de la justice : crédits alloués pour
1846 : 12,010,065 fr. ; crédits demandés pour 1847 :
11,972,395 ; en moins, 37,670 fr..
Budget des affaires étrangères : crédits
alloués pour 1846 : 1,324,300 fr. 75 c. ; crédits demandés pour
1847 : 1,325,524 fr. ; en plus, 1,224 fr..
Budget de la marine : crédits alloués pour
1846 : 1,152,777 fr. ; crédits demandés pour 1847 : 1,285,482 fr. ;
en plus, 132,705 fr.
Budget des finances : crédits alloués pour
1846 : 12,876,020 fr. ; crédits demandés pour 1847 : 12,884,520 fr. ;
en plus, 8,500 fr.
Budget des non-valeurs et remboursements :
crédits alloués pour 1846 : 2,026,000 fr. ; crédits demandés pour
1847 ;2,026,000 fr..
Totaux : crédits alloués pour 1846 :
64,672,131 fr. 62 c. ; crédits demandés pour 1847 : 64,363,525 fr. 67
c. ; dont différences en plus : 142,429 fr., différences en moins; en
moins, 451,034 fr. 95, soit 308,605 fr. 95 c. en moins.
Il résulte de ce tableau que les sept budgets
qui vous sont soumis dès à présent, offrent, comparés aux budgets de 1846, une
différence en moins de 308,605 fr. 93 c.
Dans la discussion de la loi de comptabilité
générale, un honorable membre de la chambre a émis un doute sur la
constitutionalité de la marche indiquée alors et que le gouvernement vous
propose de suivre aujourd’hui. Ce doute n'a point paru fondé. La Constitution
veut que les chambres votent le budget chaque année et que toutes les recettes
et dépenses de l'Etat y soient portées ; mais il ne suit pas de là que les
budgets des recettes et des dépenses doivent nécessairement faire l'objet d'une
proposition (page 1076 unique et
d'une seule loi qui comprenne l'ensemble des ressources et des besoins. Tous
les précédents, en ce qui concerne les dépenses, sont contraires à cette interprétation
de l'article 115 de la Constitution. Tout au plus pourrait-on considérer comme
peu conforme au texte et à l'esprit de cet article le vote d'un même budget
pour deux années successives, si une proposition en ce sens était faite ; mais
le vote de budgets distincts pour chaque année ou divisés en lois séparées,
selon la nature des services, ne paraît nullement inconstitutionnel.
Pour faciliter l'examen des propositions qui
vous sont soumises, j'indiquerai sommairement les principales différences
qu'elles présentent, si on les compare aux budgets de l'exercice courant.
Dette publique
Le budget de la dette publique présente dans son
ensemble une diminution de 415,564 fr. 95 c.
Les diminutions sont les suivantes :
Intérêts arriérés de la dette à 2 1/2 p. c,
22,711 fr. 55 c.
Intérêts de la dette viagère, 11,662 fr. 72 c.
Indemnité à la société concessionnaire du canal
de Charleroy, 406,011 fr. 12
Pensions, 1,000 fr.
Remboursement au trésor néerlandais pour les
pensions, 8,465 fr. 61 c.
Traitements d'attente, 16,424 fr.
Total, 466,275 fr.
Aucune de ces diminutions partielles, sauf la
dernière, n'exige d'explications.
Quant aux traitements d'attente, traitements ou
pensions supplémentaires, j'ai commencé, conformément aux engagements pris
devant la chambre, une instruction sur les droits de chacun des titulaires et
sur sa position actuelle. Bien que les résultats de cette instruction ne soient
pas encore connus, il m'a paru possible de réduire à 50.000 fr., pour l'exercice
1847, le crédit de 66,424 fr. porté au budget de 1846. Certains titulaires
pourront probablement être admis à la pension ; à d'autres, le gouvernement
aura à faire application du principe qui a prévalu dans la dernière discussion
du budget de la dette publique ; à quelques-uns peut-être la faveur accordée
jusqu'aujourd'hui devra être retirée en tout ou en partie, d'après leur
position actuelle et en tenant compte des considérations d'équité auxquelles
l'intention de la chambre a été d'avoir égard.
La seule augmentation qui soit proposée, s'élève
à 52,910 fr. 05 c. : elle résulte d'une obligation contractée envers le
gouvernement des Pays-Bas par le traité du 5 novembre 1842.
D'après l'article 23 de ce traité, lorsque les
ouvrages à exécuter pour l'écoulement des eaux des Flandres seront complétement
en état de satisfaire à leur destination, l'indemnité payée jusqu'alors doit
être portée de 25 à 50,000 florins. Le gouvernement des Pays-Bas a fait
connaître que ces travaux sont achevés depuis le 5 novembre 1845. Le
gouvernement du Roi, tout en faisant, dans l'intérêt de l'avenir, quelques
réserves, a pensé ne pouvoir se dispenser de porter au budget de 1847 la
totalité de l'indemnité stipulée au profit des Pays-Bas ; la différence qui
serait due pour le temps écoulé du 5 novembre 1845 jusqu'au 31 décembre 1846,
fera, au besoin, l'objet d'une demande de crédit supplémentaire.
Les article 17 et 18 du budget de la dette
publique donnent lieu à quelques observations.
La liquidation des indemnités accordées en vertu
de la loi du 1er mai 1842, sera probablement terminée vers la fin de l'année
courante. Les intérêts échus depuis le 1er février 1845, et portés
successivement au budget, devront alors être régularisés au moyen de crédits
complémentaires.
Il reste à résoudre, en ce qui concerne les
indemnités, une question dont la chambre s'est déjà occupée plusieurs fois, et
qui consiste à savoir s'il y a lieu d'établir une dotation pour l'amortissement
de cette dette.
La loi déclare que l'amortissement des
inscriptions à créer sera facultatif.
Une note jointe au budget contient l'indication
des précédents qui se rattachent à cette question.
Le gouvernement n'a pas porté au projet de
budget un crédit pour l'amortissement de la dette résultant des indemnités.
La considération principale que l'on invoque, au
point de vue des intérêts généraux du pays, pour la création d'un
amortissement, est l'influence que l'on attribue à l'existence simultanée de
deux fonds à 3p. c, l'un doté d'un amortissement, l'autre privé de cette faveur
; mais en supposant que cette influence se fasse sentir quant à l'emprunt de 50
millions (et l'on peut en douter encore), il est d'autres motifs à peser.
D'après le texte et d'après l'esprit de la loi
du 1er mai 1842, il semble que cette dette, d'une nature toute spéciale, doit
se composer d'inscriptions nominatives et non être émise eu titres au porteur.
En admettant ce mode d'exécution de la loi, la
dette créée du chef des indemnités conserve le cachet de son origine, et la
question de l'amortissement se trouve en quelque sorte résolue dans le sens
négatif.
L'amortissement équivaut à une augmentation
notable de la dette ; il rend meilleure la condition des créanciers et plus
onéreuse la position du trésor public.
A moins que telles ne soient les stipulations
expresses d'un contrat, l'on ne peut guère justifier l'amortissement actuel de
dettes dont l'intérêt est peu élevé.
Sans grever dès à présent le budget d'une charge
annuelle de 70,000 fr., l'on pourra plus tard mettre le gouvernement en mesure de
racheter cette partie de la dette publique, si les circonstances sont telles
qu'il y ait avantage à le faire.
Dotations
Le budget des dotations, s'élevant à 3,325,872
fr. 75 c. ne présente aucune augmentation. Les sommes portées aux budgets du
sénat et de la chambre des représentants pour l'exercice courant ont été
maintenues pour l'exercice 1847.
Justice
Le budget du département de la justice s'élève,
pour l'exercice 1846, à la somme de 12,010,065 francs. Les propositions
soumises à la chambre pour l'exercice prochain présentent un chiffre total de
11.972,395 fr. La différence en moins est donc de 37,670 francs.
Les augmentations ont pour objet :
1° Matériel de l'administration centrale, 3,000
fr.
2° Cour de cassation. Personnel : 450 fr.
3° Tribunaux de première instance.
Personnel : 2,000 fr.
4° Clergé inférieur, 6,880 fr.
Le crédit alloué, à titre de subside pour le
palais de justice de Gand, venant à disparaître du budget de 1847, il en
résulte une réduction de 150,000 francs.
Affaires étrangères et marine
Le budget du département des affaires étrangères
pour le même exercice n'offre qu'une différence en plus de 1,224 fr.
Les crédits accordés au département de la
marine, pour l'exercice courant, s'élèvent à 1,152, 777 fr.
Trois augmentations sont demandées : l'une de
4,213 francs pour frais d'exploitation, pendant une partie de l'année, du phare
flottant de Wielingen dont la construction a été décrétée ; l'autre de 3,000
francs pour le service des pensions ; la troisième de 125,492 francs pour le service
des bateaux à vapeur établis entre Ostende et Douvres. L'exploitation commencée
récemment au moyen d'un seul bâtiment, permet d'espérer de bons résultats de
cette entreprise ; les deux autres navires doivent être livrés vers la fin de
l'année courante.
L'augmentation totale du budget de la marine
s'élève à 132,705 francs. Le développement des produits du pilotage et du
service des bateaux à vapeur, d'après les faits déjà connus, dépassera
probablement de beaucoup celle augmentation de dépenses.
Finances
Le budget du département des finances a été
arrêté en 1846 à la somme de 12,876,020 fr.
Les propositions qui vous sont faites s'élèvent
à 12,881,520 fr., soit une différence en plus de 8,500 fr.
Les sommes demandées pour le personnel de l'administration
centrale n'ont pas éprouvé de changement. Quelles que soient les difficultés
que m'a créées le rejet des augmentations portées au projet de budget de
l'exercice courant, et quelle que soit l'étendue des besoins pour constituer
l'administration centrale sur des bases larges et solides, je crois devoir
m'abstenir de propositions nouvelles. Après avoir supprimé divers emplois à
l'administration centrale, j'ai délégué aux fonctionnaires en province l'examen
d'un grand nombre d'affaires qui jusqu'alors étaient décidées par le ministre
des finances. L'expérience démontrera si cette innovation, que les votes de la
chambre ont rendue nécessaire, peut être maintenue.
Conformément aux vœux émis par plusieurs membres
de la représentation nationale, je me suis occupé, depuis le vote du budget de
1846, de la réorganisation de l'administration centrale. Je voudrais pouvoir,
au moyen des sommes allouées aujourd'hui, établir cette organisation de manière
à assurer à la fois la bonne et prompte expédition des affaires journalières,
et à entreprendre les nombreux travaux législatifs qui ont été recommandés à
diverses reprises à la sollicitude du gouvernement ; je voudrais encore qu'il
me fût possible de compléter, dans l'intérêt du pays, l'organisation d'un bureau
où devraient être reçus, élaborés et analysés tous les renseignements sur la
législation commerciale et financière d'autres nations, sur les actes posés à
l'étranger qui peuvent ou affecter nos intérêts ou nous servir de guides et de
modèles pour améliorer nos lois d'impôt et tout le système économique du pays.
Forcé, par l'insuffisance des crédits, à
ajourner momentanément l'exécution de projets d'une aussi évidente utilité, je
m'attacherai à réorganiser du moins, au point de vue plus modeste de l'expédition
des affaires courantes, les bureaux de l'administration centrale des finances :
j'ai la confiance que cette organisation ainsi réduite pourra être faite avant
la présentation du budget de 1848, qui vous sera soumis au commencement de la
session prochaine.
De légères augmentations vous sont demandées
pour le service du matériel : des explications jointes au budget en démontrent
la nécessité.
Le crédit porté à l'article 5 pour le service de
la monnaie est maintenu. L'on peut réduire de 10,000 francs la somme affectée à
la multiplication des coins et coussinets.
Quoique les quantités de monnaie de cuivre déjà
émises dépassent les proportions reconnues nécessaires dans d'autres pays, il a
paru utile de maintenir, du moins en partie, le crédit affecté à cette
fabrication : une somme de 100,000 francs, au lieu de celle de 210,000 francs,
est portée au budget. Lorsque les quantités qui doivent être fabriquées en 1846
seront émises, il est permis de croire que les besoins qui se sont manifestés
dans quelques localités seront satisfaits. Le travail de 1847 viendra
d'ailleurs y suppléer encore.
Le libellé de l'article a été modifié pour
pouvoir fabriquer, soit des pièces de 5 et de 10 centimes, soit des pièces de 1
et de 2 centimes.
J'ai examiné avec soin les diverses questions
qui se rattachent à la réorganisation de la monnaie nationale.
J'espère recevoir bientôt le rapport de la
commission que j'ai instituée, après avoir pris les ordres du Roi, pour
examiner les modifications qui devront être apportées à la législation
existante, afin de rendre possible la fabrication de la monnaie d'or. Ce
rapport sera déposé sur le bureau (page
1077) de la chambre. Lorsque les travaux parlementaires le permettront, je
provoquerai la discussion du projet présenté en 1837, et auquel j'aurai
probablement, d'après l'état actuel des faits, quelques amendements à proposer.
La fabrication de la monnaie d'argent est depuis
assez longtemps interrompue. J'ai passé avec le nouveau directeur de la monnaie
nationale un contrat par lequel il s'engage à créer un établissement d'affinage
et à donner à la fabrication une grande activité. Cet engagement est, en
partie, subordonné au vote du crédit qui sera nécessaire pour approprier les
locaux et renouveler partiellement le matériel, dont l'état est tel, que la
fabrication de belle et bonne monnaie est pour ainsi dire impossible en ce
moment. Dès que les plans et devis seront formés, j'aurai l’honneur de
soumettre cette demande de crédit à la législature.
L'article 8 du chapitre premier du budget présente
une augmentation de 18,000 fr., motivée principalement par le prix plus élevé
du papier d'après les adjudications qui ont été faites.
Les propositions soumises à la chambre pour le
personnel de l'administration des contributions directes, cadastre, douanes et
accises (articles 1 à 9 du chap. III), n'ont éprouvé aucun changement ; mais à
la suite de l'article 9, le gouvernement propose d'insérer une disposition qui
lui permettrait, en 1847, de transférer partiellement des sommes de l'un de ces
articles sur les autres.
Cette disposition est ainsi conçue :
« Les crédits portés aux articles 1 à 9
inclusivement du présent chapitre pourront être réunis et transférés de l'un de
ces articles sur les autres selon les besoins qui résulteront de la nouvelle organisation.
»
J'indiquerai sommairement les motifs principaux
de cette disposition.
Pour réaliser les vœux exprimés à diverses
reprises au sein des chambres législatives, je me suis occupé de la révision
des arrêtés organiques de l'administration des contributions directes,
cadastre, douanes et accises dans les provinces.
A cette administration ressortissent aujourd'hui
7,023 fonctionnaires cl employés. Les crédits alloués par les articles 1 à 9,
pour rétribuer cette vaste hiérarchie de fonctionnaires publics, s'élèvent à la
somme de 8,115,280 francs.
Une étude approfondie du système de rémunération
qui existe aujourd'hui, a fait reconnaître des anomalies et des vices que de
grands intérêts conseillent de faire cesser. Ainsi, et pour ne citer qu'un
exemple, les traitements attachés à certains emplois ne sont pas fixés d'une
manière régulière d'après l'étendue des devoirs imposés aux titulaires, d'après
les dépenses qu'entraîne la résidence dans les centres de population, d'après
l'ancienneté et les services rendus : les traitements ont, en quelque sorte, un
caractère personnel ; l'avancement peut trop souvent être obtenu sans qu'il y
ait changement de fonctions ou de résidence : il est résulté de là que tel
fonctionnaire, dans une très petite localité, est plus largement rétribué que
son collègue du même grade, investi à Bruxelles et à Anvers d'attributions plus
étendues, chargé de veiller à des intérêts plus importants et obligé aussi à de
plus fortes dépenses. Sous l'influence d'un tel système, le sentiment d'une
salutaire émulation tend à s'affaiblir ou à disparaître ; le mérite et les
services rendus n'ont pas la garantie de récompenses légitimes ; les règles
reconnues les plus utiles périssent peu à peu sous les exceptions.
Les intérêts des fonctionnaires ne souffrent pas
seuls des anomalies du régime actuel, l'administration perd de sa force et de
son unité.
D'autres motifs encore rendent une
réorganisation nécessaire. Les besoins du service ont varié sur certains
points. Les changements introduits dans la législation commerciale et dans les
lois financières, ont notamment démontré l'urgence de diverses modifications.
Les forces dont l'administration dispose pour assurer la perception des impôts
et la protection de tous les intérêts confiés à sa surveillance doivent être
mieux réparties.
Les bases essentielles de la nouvelle
organisation projetée sont les suivantes :
Fixation des traitements d'après la nature et
l'importance des fonctions ;
Amélioration du sort des employés subalternes ;
Conditions d'admissibilité dans l'administration
; surnumérariat ; emplois subalternes ;
Classification hiérarchique de tous les emplois
;
Dispositions d'ordre et de discipline.
La somme allouée au budget de l'exercice courant
ne doit pas être augmentée en vue de cette organisation, mais elle doit être à
la libre disposition du gouvernement.
En présence des besoins si multipliés et si
pressants que l'expérience de chaque jour révèle, il a été très difficile de
combiner les bases de la nouvelle organisation, de manière à ne point dépasser,
dans leur ensemble, les crédits alloués pour l'administration des contributions
directes en province. L'on est parvenu à vaincre cette difficulté.
Le passage du régime actuel au régime nouveau
suppose une période de transition. Si, pendant cette période, il fallait se
renfermer pour chaque service dans les limites des crédits actuels, il
deviendrait impossible de grouper les emplois autrement et mieux qu'ils ne le
sont aujourd'hui, de mieux les approprier aux exigences des divers services.
L'augmentation de dépenses pour quelques-uns, ne pouvant être compensée par des
économies obtenues dans d'autres, il faudrait réclamer de notables
augmentations de crédits.
Il convient de remarquer d'ailleurs que les
changements à faire ne peuvent être immédiats. La transition n'est pas
seulement nécessaire quant aux exigences des services, elle l'est aussi quant
aux intérêts des fonctionnaires eux-mêmes. Une grande perturbation serait le
résultat d'innovations trop brusques : elles doivent être introduites
successivement et avec prudence, en profitant du mouvement que les vacances de
places occasionnent, en accélérant même ce mouvement par des combinaisons qui
concilient avec les besoins de l'administration le respect des positions acquises,
et les intérêts légitimes des fonctionnaires.
Deux années au moins seront nécessaires pour
amènera bonne fin et sans secousses l'exécution de ce projet. Cependant il sera
possible, en présentant le budget de 1848, de communiquer aux chambres le
détail de tous les emplois ; peut-être même, pour certains services, la
spécialité des articles du budget pourra-t-elle dès lors être rétablie.
J'ai cru devoir reproduire à l'article 2 du
chapitre IV la demande d'une augmentation de 3,500 francs destinée à ajouter
100 francs au traitement de chacun des employés inférieurs du timbre. Ces
employés, obligés de consacrer tout leur temps à leurs fonctions et tenus de
résider aux chefs-lieux des provinces, ne reçoivent qu'un traitement de 600 à
900 francs. La proposition portée au budget de 1846 a été combattue
principalement à raison des circonstances où l'on se trouvait alors ; elle n'a
été rejetée qu'à une faible majorité par la chambre des représentants. La
commission du sénat et plusieurs membres de cette assemblée ont recommandé ces
employés à la sollicitude du gouvernement.
Le budget proposé élève de 1,175,000 à 1,275,000
francs la somme présumée nécessaire en 1847 pour le service des pensions. Une
note et des tableaux annexés aux développements du budget indiquent, par mois,
le nombre des admissions à la retraite et le montant total des pensions
accordées depuis la loi du 21 juillet 1844 ; ils font connaître le chiffre des
extinctions mis en rapport avec les crédits dépensés, ainsi que les bases des
prévisions formées pour l'exercice prochain.
Je me suis constamment attaché à contrôler avec
le plus grand soin les demandes ou les propositions de mise à la retraite ; je
regrette que, malgré la sévérité apportée dans l'examen de ces affaires, l'on
ne soit pas encore arrivé à l'époque où les extinctions et les admissions se
balanceront. La progression presque continue des dépenses et leur augmentation
rapide dans le cours de ces dernières années, peuvent du reste être attribuées
en grande partie à des circonstances exceptionnelles, déjà éloignées. A la
suite des événements de 1814 et de 1815, le personnel des administrations
financières a subi une réorganisation complète ; il a été presque entièrement
renouvelé. Les fonctionnaires ou employés dont les services datent de cette
époque, ont acquis aujourd'hui ou acquerront bientôt des titres à la pension.
Il est permis d'espérer, si l'on continue d'observer rigoureusement les règles
prescrites, que les dépenses n'augmenteront plus et pourront même décroître
sous l'empire de circonstances normales. Les pensions provenant de l'ancienne
caisse de retraite, liquidées en vertu du règlement de 1822, plus favorable aux
fonctionnaires que la loi générale de 1844, venant aussi à s'éteindre
successivement, il en pourra résulter, dans l'avenir, une économie nouvelle.
Par des instructions adressées récemment aux
fonctionnaires supérieurs en province, je leur ai recommandé de nouveau
d'exercer le contrôle le plus sévère sur les demandes d'admission à la
retraite, et de ne faire de propositions qu'en présence d'une nécessité bien
démontrée.
Non-valeurs et remboursements
Le budget des non-valeurs et remboursements pour
l'exercice 1847, s'élève, comme en 1846, à la somme de 2,026,000 fr.
Le crédit ouvert pour le péage sur l'Escaut est
porté au chapitre II, remboursements, au lieu d'être classé à part sous le
litre de péages.
En commençant cet exposé, j'ai indiqué le but
que le gouvernement se propose d'atteindre. La Législature, j'aime à le croire,
s'associera à cette pensée ; la chambre pourra s'occuper immédiatement en
sections de l'examen des projets de loi que j'ai l'honneur de lui présenter.
Mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, prépare le budget
de son département pour l'exercice 1847. J'espère qu'il pourra bientôt vous
être soumis.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT PROVISOIRE AU
DEPARTEMENT DE LA GUERRE
(page
2070) M. le
ministre des finances (M. Malou) présente également à la chambre le projet
de loi tendant à accorder au département de la guerre un nouveau crédit
provisoire de 5,000,000 de francs.
- Il est donné acte à M. le ministre de la
présentation de ce projet de loi. Il sera imprimé et distribué.
Il est renvoyé à l'examen de la section centrale
chargée d'examiner le budget du département de la guerre.
PROJET DE LOI RELATIF A L’ETABLISSEMENT D’UNE
CAISSE D’AMORTISSEMENT ET DES CONSIGNATIONS
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai l'honneur de déposer les amendements
que j'ai promis à la chambre sur le projet de loi relatif à l'établissement
d'une caisse d'amortissement et des consignations.
Je prierai la chambre de vouloir ordonner
l'impression de ces amendements, afin que les sections puissent s'occuper
immédiatement de ce projet.
- Ces amendements seront imprimés et distribués.
MOTION D’ORDRE RELATIVE A LA FORMATION DU
NOUVEAU CABINET MINISTERIEL
M. Dolez. - Messieurs, le cabinet vient de vous faire connaître
d'une manière plus ou moins précise, quelles sont les pensées qui le guideront
dans l'administration du pays.
Je n'entends pas entrer, quant à présent, dans
la discussion des principes qu'énonce cet exposé du cabinet. Mais il me semble
que ces explications ne sont pas de nature à éclaircir d'une manière complète
la dernière crise ministérielle que le pays a traversée. Il me paraît que le
cabinet n'est pas le seul qui doive et à la chambre et au pays des explications
sur les faits qui se sont alors accomplis.
D'autres
membres de cette chambre avaient d'abord été appelés par la Couronne pour
composer le ministère. Des principes ont dû être émis par les membres auxquels
j'ai l'honneur de faire allusion, et ces principes, que nous ne voyons pas
réalisés dans le cabinet actuel, doivent, me semble-t-il, être exposés par ceux
qui voulaient les faire prévaloir. Je pense que la chambre et le pays doivent
connaître quelles étaient les prétentions du cabinet qui n'a pas été accueilli
par la Couronne, de ce cabinet auquel nous avons vu succéder une toute autre
nuance politique que celle dans laquelle il semblait devoir être choisi.
J'engage donc l'honorable collègue, auquel j’ai
l'honneur de faire allusion, à imiter ce qui s'est toujours fait en pareille
occurrence et à donner à la chambre les explications qu'on doit attendre de
lui.
M. Rogier. - Le 15 mars j'ai eu l'honneur d'être reçu par le
Roi. Sa Majesté me fit connaître le dissentiment survenu dans le ministère, et
voulut bien me charger de la composition d'un cabinet nouveau. Avant d'accepter
cette honorable mission, je demandai au Roi le temps d'y réfléchir, ce qui me
fut accordé. Mon premier soin fut de conférer au sujet de cette mission, avec
d'honorables amis, dont leur état de santé m'enlevait le concours personnel,
mais dont j'ai toujours hautement apprécié les lumières et l'expérience. Je vis
aussi parmi les hommes de mon opinion ceux qui se trouvaient les mieux placés
pour bien juger la situation et pour m'aider, le cas échéant, à atteindre le
but de ma mission. J'eus avec un personnage, placé auprès du Roi, divers
entretiens destinés à lui être rapportés. J'obtins de Sa Majesté une seconde
audience, où j'exposai mes vues avec de nouveaux développements ; le 21, au
soir, j'avais abouti à un résultat, et le 22 j'adressai au Roi l'exposé suivant
: Sire,
« Le cabinet formé en juillet 1845, n'ayant pas
pu tomber d'accord sur la rédaction du projet de loi relatif à l’enseignement
moyen, a dù se dissoudre.
« Le 15 de ce mois, V. M. a daigné m'appeler
auprès d'elle pour me donner cette information et m'offrir la mission de
composer un nouveau cabinet.
« Pour le former, V. M. me laissait toute
latitude ; le seul élément qui ne pourrait pas êlre admis était celui
généralement désigné par la qualification d'ultra-libéral. V. M. me donnait les
raisons de cette réserve.
« En présence des efforts inutilement tentés
pour le maintien ou la reconstitution de l'ancien cabinet, et au milieu des
circonstances difficiles où le pays se trouve tant à l'intérieur que par
rapport à ses relations commerciales avec l'étranger, la mission dont V. M.
voulait bien m'honorer me parut d'une très haute gravité. Je lui demandai le
temps d'y réfléchir mûrement avant d’en accepter la responsabilité. V. M. voulut
bien y consentir.
« Dans deux entretiens destinés à être rapportés
à V. M. et dans une seconde entrevue qu'elle a daigné m'accorder, j'ai fait
connaître de quelle manière j'envisageais la situation actuelle et dans quelles
conditions un nouveau cabinet devrait être placé, selon moi, pour pouvoir
aborder les difficultés nombreuses que présente cette situation et pour
répondre dignement à la confiance du Roi.
« Les vues que j'ai eu l'honneur d'exposer
m'ayant paru être appréciées dans leur ensemble, je crois pouvoir accepter
aujourd'hui l'honorable mission qui m'a été offerte, en me référant aux
considérations qui suivent.
« Le pays jouit de beaucoup de liberté. Il a
besoin d'ordre et de calme. Les perturbations dans le gouvernement inquiètent
les esprits, paralysent les affaires, énervent tous les ressorts de
l'administration. A quelque opinion qu'ils appartiennent, tous les bons
citoyens demandent que cetle administration soit forte et stable.
« Ces conditions ne semblent pouvoir se
rencontrer que dans un cabinet dirigé par des vues identiques. Ce cabinet doit
en outre trouver sa force et sa stabilité dans sa modération, dans son
impartialité, dans une marche ferme et loyale, dans son respect sincère pour
tous les principes généreux de notre Constitution, dans son profond dévouement
au Roi et à la nationalité.
« Tel est, Sire, le caractère que doit et veut
revêtir aux yeux de V. M. et du pays le ministère dont j'ai l'honneur de lui
soumettra la composition.
« Un élément essentiel de force pour le cabinet
sera le concours bienveillant de V.M. Les sentiments de patriotisme et de
dévouement qui animent chacun des hommes honorables désignés à son choix leur
donnent l'assurance que cet auguste appui les soutiendra dans leur mission.
« Malgré les influences qui ont présidé
longtemps à sa formation, j'estime que le parlement actuel peut donner une
majorité suffisante au nouveau cabinet, qui est assuré d'ailleurs d'être
soutenu par l'opinion publique, aussi longtemps qu'il persistera dans les
sentiments et les principes qu'il énonce aujourd'hui.
« Il est toutefois des questions sur lesquelles
l'opinion des chambres venant à se manifester de telle sorte que le cabinet y
perdrait sa consistance et sa liberté d’action, la nécessité se ferait sentir
d'obtenir une adhésion marquée ou plus complète.
« Le cabinet ose espérer que dans cette
hypothèse. V. M. ne refuserait pas de recourir à l'exercice de sa prérogative
constitutionnelle.
« Convaincu que le pays doit être dirigé dans la
voie d'un progrès sage et réglé, le nouveau cabinet n'apporterait aux affaires
aucun dessein exagéré, aucune intention réactionnaire. Il ne réclame que la
liberté nécessaire pour ne pas être entravé dans l'accomplissement de ses vues
politiques, ou dans sa marche administrative.
« Un gouvernement auquel manquerait le concours
loyal de ses agents, ne pourrait espérer de faire le bien et de réprimer le mal
dans toute l'étendue de ses devoirs et de sa responsabilité.
« Si les règles de conduite gouvernementale
que la situation indique étaient méconnues, les difficultés du moment, celles
que l'avenir peut nous réserver, seraient, je le crains, impossibles à
surmonter, et la Belgique pourrait être exposée à perdre cette bonne position
politique vis-à-vis de l'Europe que V. M. m'a signalée et qui peut s'améliorer
encore sous sa haute et salutaire influence.
« Je suis, etc.
« Ch. Rogier. »
« Bruxelles, 22 mars 1846. »
________________
« Bases politiques sur lesquelles le
cabinet se constituerait.
« 1°Indépendance respective du pouvoir civil
et de l'autorité religieuse.
« Ce principe, en harmonie avec le texte et
l'esprit de la Constitution, doit dominer toute la politique. Il trouverait
notamment son application dans la loi sur l'enseignement moyen. Rien ne serait
négligé pour assurer, par voie administrative, aux établissements laïques, le
concours de l'autorité religieuse.
« 2° Jury d'examen. Le mode actuel de
nomination devra subir les changements indiqués comme nécessaires par
l'expérience et conformes à l'esprit de la Constitution.
« 3° Le nombre des représentants et des
sénateurs devrait être mis en rapport avec l'accroissement de la population
conformément à l'article 49 de la Constitution.
« 4° Retrait de la loi du fractionnement,
et avis conforme de la députation permanente pour la nomination des
bourgmestres en dehors du conseil.
« 5° Moyens défensifs contre l'hostilité
éventuelle des fonctionnaires publics.
« 6° Jusqu'aux élections de 1847,
dissolution éventuelle des chambres. 1° En cas d'échec sur les propositions
ci-dessus indiquées sub n°1 et 4 sur une question de confiance ou le vote d'un
budget. 2° S il arrivait que par une opposition journalière et combinée, la
marche du ministère fût entravée au point qu'il ne puisse plus rester sans
compromettre la considération du pouvoir ou les intérêts du pays. »
Tel était le programme politique du cabinet.
Quant aux questions d'administration et d'affaires, il est inutile d'en
entretenir la chambre. Qu'il suffise de savoir que sur ces questions comme sur
les autres, mes collègues et moi, nous étions tombés parfaitement d'accord.
(page
1071) Notre programme a été l'objet de beaucoup de commentaires. Pour en
avoir une idée nette et complète, il est nécessaire de ne pas le détacher de
l'exposé au Roi dont je viens de donner lecture et des explications qui vont
suivre.
Deux de ses dispositions ont été
particulièrement débattues : celle relative aux fonctionnaires publics, et
celle relative à la dissolution éventuelle des chambres. Vis-à-vis des
fonctionnaires comme vis-à-vis des chambres, la résolution du cabinet était de
s'abstenir de toute mesure agressive ; la seule attitude que nous prenions
était purement défensive. Nous demandions des armes contre une hostilité
flagrante et éventuelle, et voilà tout. Ces armes défensives étaient-elles réclamées
pour le triomphe d'une politique ou vague ou violente ? Nullement. Nous
demandions à nous défendre dans les limites d'un programme très modéré et très
précis.
Mais, dit-on, si vous vous étiez renfermés dans
de telles limites, qui eût songé à vous attaquer ? A notre tour, nous disons :
Eh ! s'il n'y eût pas eu d'attaque qui eût songé à la défense ? Mais en
parlant des dispositions pacifiques de l'opinion adverse, ne manque-t-on pas
quelque peu de perspicacité ou de mémoire ? A-t-on oublié un passé encore bien
près de nous ? Ne sait-on pas qu'il est des préventions invincibles, des
préjugés qui ne vieillissent pas, des positions qui enchaînent les volontés ?
Les facultés que nous demandions, nous a-t-on
dit encore, étaient inusitées et extraordinaires. Il y a quelque chose de plus
inusité et de plus extraordinaire, c'est que de pareilles facultés ne soient
pas toujours sous entendues, c'est qu'elles aient besoin d'être stipulées, et
qu'étant stipulées par un cabinet qu'on adopte, elles ne soient pas accordées.
Accepter le gouvernement et s'interdire l'usage
des moyens constitutionnels de gouverner, accepter le gouvernement sans les
conditions qu'une situation politique indique, c'est faire acte d'étourderie,
d'ambition puérile, quelquefois de complaisance coupable ; ce n'est pas faire
acte de vrai dévouement, ce n'est pas agir en hommes d'Etat qui ont pris au
sérieux le gouvernement parlementaire.
Quant à la dissolution des chambres, considérée
comme moyen de gouvernement, on est tombé, sur ce point, dans de singulières
aberrations. Mon intention n'est pas d'entamer ici une longue dissertation
théorique, j'aime mieux me borner à quelques observations pratiques.
Appelés à apporter au pays une politique
nouvelle, nous allions nous trouver en présence de deux chambres, dont l'une
avait renversé, il y a 5 ans, une administration libérale, sans avoir subi
depuis des modifications dans son personnel ; dont l'autre avait aussi depuis
cinq ans fourni une majorité numérique au système que nous venions remplacer. Quel
était notre droit incontestable ? De réclamer pour une politique nouvelle des
chambres nouvelles. C'est ainsi que les choses se pratiquent dans les pays
constitutionnels ; c'est, depuis longues années, la règle constante suivie en
Angleterre, ainsi que l'a rappelé sir Robert dans les débats parlementaires de
1835. Ce n'est qu'en Belgique qu'il s'est rencontré des casuistes assez subtils
pour assimiler à une demande d'abdication, la demande d'un appel aux électeurs.
Que des ministres voués à une politique mauvaise se défient de la nation, que
ceux-là détournent la royauté de consulter le sentiment du peuple, qu'ils
enchaînent ainsi, à leur profit, la plus belle prérogative du trône, cela s'est
vu et cela peut se voir encore. Quant à nous, nous envisageons les choses à un
tout autre point de vue. Des ministres qui, avant de proposer à la Couronne une
politique qui ne serait pas la sienne, lui conseilleraient de faire intervenir
le jugement du pays, de tels ministres, pensons-nous, loin de faire violence à la
Couronne, étendraient sa liberté d’action et rendraient le plus bel hommage à
sa prérogative.
La dissolution immédiate des chambres,
concordant avec notre entrée aux affaires, était donc un moyen parfaitement
constitutionnel, conforme aux usages parlementaires, et qui rentrait
incontestablement dans notre droit. Pourquoi avons-nous substitué à la demande
d'une dissolution immédiate celle d'une dissolution éventuelle ? il y avait
pour cela deux motifs principaux, dont le dernier surtout nous parut déterminant.
En premier lieu, la dissolution entravait la
marche des travaux parlementaires au milieu d'une session qui déjà n'avait été
que trop stérile.
En second lieu, de tous les moyens proposés,
celui-ci semblant répugner le plus à la Couronne, nous ne voulûmes pas y
insister.
La demande d'une dissolution éventuelle sur des
cas déterminés avait été indiquée par les conseillers de la Couronne eux-mêmes
dans la discussion de l'adresse, au mois de novembre dernier. Nous la
proposâmes à S. M. et crûmes faire en ceci acte de déférence. En nous abstenant
d'une dissolution immédiate nous avions de plus l'avantage de nous renfermer
dans l'esprit général de notre programme qui était, je le répète, de garder une
attitude défensive. Renvoyer brusquement les chambres devant le pays, c'était
de l'agression ; essayer de gouverner avec elles, c'était de la transaction.
La dissolution dans des cas déterminés, et pour
un temps déterminé, ne fut agréée sur aucun point. Ceux qui la déconseillèrent
alors, y voyaient une déviation à la règle, une atteinte à l'équilibre
constitutionnel, scrupules respectables, si l'on veut, mais fort inattendus,
après le langage tenu au nom du gouvernement dans la discussion de novembre
dernier.
Ce second moyen venant à faire défaut, j'aurai pu
dès lors m'abstenir de démarches ultérieures. Toutefois toujours guidé par les
intentions les plus modérées, et voulant sincèrement et sérieusement arriver au
but proposé, je priai Sa Majesté de vouloir bien indiquer quelque autre moyen
équivalent qui emportât la preuve que le ministère était assuré du concours
officiel du Roi, dans les limites de l'exposé et du programme que j'avais eu
l'honneur de soumettre à S. M. sous la date du 22 mars.
Aucun autre moyen ne me fut proposé. Je rendis
compte alors de l'état des choses aux amis politiques qui avaient bien voulu
s'associer à moi pour la composition éventuelle d'un cabinet. Ils furent davis
que je devais considérer ma mission comme épuisée. Telle fut aussi mon opinion,
et j'eu l'honneur d'en faire part au Roi par ma lettre du 24 mars. Le
surlendemain je quittai Bruxelles, et demeurai entièrement étranger à tout ce
qui suivit.
J'ai exposé les faits avec une certaine étendue,
pour ne pas avoir à y revenir ; j'ai tenu à les reproduire dans toute leur
exactitude, moins pour répondre à des accusations absurdes, que pour soumettre
ma conduite au jugement de mon propre parti. S'il approuve ma ligne de
conduite, je me consolerai facilement du blâme de mes adversaires. J'ai la
conviction d'avoir agi, dans toutes les phases des négociations, de manière à
ne compromettre les intérêts de la cause libérale, ni par des prétentions
outrées, ni par de molles condescendances. Puis-je me permettre d'ajouter que
S. M. voulut bien me faire savoir que j'avais agi dans toute cette affaire avec
beaucoup de franchise et de loyauté ?
Le cabinet offrait dans son programme des
garanties de modération suffisante. Les mêmes garanties se retrouvaient dans la
composition de son personnel, et ce n'était pas un faible avantage que de voir
réunies dans le ministère les diverses nuances de l'opinion libérale
parlementaire, si tant est qu'il existe entre nous d'autres différences que des
différences accidentelles. Nous avons les mêmes convictions ; nous poursuivons
le même but ; nous rencontrons les mêmes obstacles Vous tous, messieurs, qui
siégez sur ces bancs, vous auriez, j'en ai l'assurance, soutenu avec sympathie
le cabinet qui se serait formé dans ces conditions de bonne et loyale
transaction. Chacun de vous aurait reconnu ses principes dans nos principes,
ses couleurs dans notre drapeau. Le drapeau et les principes qui sont installés
aujourd'hui au banc ministériel ne sont pas les nôtres. Le sentiment du pays
les repousse. Voilà pourquoi la dissolution effraye tant. Quand nous le
voudrons, dans cette chambre, nous les repousserons aussi. Il suffit pour cela
de nous compléter et de rester unis. (Applaudissements
dans les tribunes.)
M. le président. - Toute marque d'approbation ou d'improbation est
défendue. Si ce bruit se renouvelle, je serai obligé, aux termes du règlement,
de faire évacuer les tribunes.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l'honorable député d'Anvers a
demandé si le cabinet s'associait au blâme qui avait été déversé sur le
programme qu'il a soumis à S. M. Nous n'hésitons pas à déclarer avec franchise
que nous nous associons à ce blâme.
Dans cette déclaration, nous devons le dire tout
d'abord, il n'y a rien de personnel. Nous n'avons en vue que les choses, et
c'est sur ce terrain seul que la discussion doit s'ouvrir. Nous n'hésitons pas,
messieurs, à reconnaître la loyauté des intentions ; mais nous croyons que ces
intentions n'étaient pas compatibles avec le système de la Constitution.
Des membres des deux chambres se sont associés,
en quelque sorte, à noire opinion. En effet, ils ont, avant nous, accepté du
Roi la mission de former un cabinet après la retraite de l'honorable M. Rogier.
Si nous avions pensé, messieurs, que le
programme, tel qu'il a été formulé par l'honorable député d'Anvers, pût être
accepté, vous ne nous verriez pas au banc des ministres, nous eussions décline
la mission, persuadé que les honorables membres l'eussent mieux remplie que
nous.
Quand je dis, messieurs, que nous nous associons
au blâme, je dois ajouter et dire, avant de m'engager plus avant dans la
discussion, que la négociation entre le Roi et l'honorable M. Rogier pour la
constitution du cabinet, a été parfaitement libre, dégagée de toute espèce
d'entrave ; que ni nous ni aucun des membres de l'ancien cabinet qui ont
conservé leur portefeuille ne sommes intervenus en aucune manière dans cette
négociation. Mais, messieurs, ayant eu connaissance du programme, lorsque nous
avons été appelé par S. M., nous n'avons pas hésité à déclarer au Roi que nous
pensions que ce programme, qu'il n'avait point admis, était réellement
inacceptable, et à ce point de vue, nous acceptons pleinement la responsabilité
de l'approbation du rejet du programme et de la formation du nouveau cabinet.
Ce programme, messieurs, me semble d'abord peu
convenable dans la forme. En effet, il était destiné à être connu de la nation.
Il renfermait deux menaces : l'une adressée aux fonctionnaires publics, l'autre
adressée à la représentation nationale. Il y avait là un luxe de préventions.
Il nous semble qu'il suffit qu'un ministère soit appelé par la Couronne pour
que ce ministère soit persuadé qu'il jouit de la confiance de la Couronne. Elle
a le premier intérêt à la stabilité, à la conservation de ce ministère.
Mais, d'autre part, messieurs, la Couronne a un
intérêt, je dirai plus, elle a un devoir, c'est de maintenir intactes toutes
ses prérogatives. En consultant la Constitution, au chapitre du Roi et des
ministres, nous trouvons qu'au Roi appartient la nomination des fonctionnaires
de l'administration générale et leur révocation ; qu'au Roi appartient la
nomination des ministres et leur révocation ; qu'au Roi appartient le droit de
dissoudre i les chambres. Cette prérogative, messieurs, ne peut être aliénée ni
pour une, ni pour deux sessions ; elle doit rester constamment libre ; c'est au
moment où une disposition est soumise à la Couronne qu'elle doit exercer son
jugement. Ce jugement devient efficace par le contreseing du ministre, qui s'en
rend responsable ; mais dans aucun article de la Constitution, on ne trouve
qu'il appartient aux ministres soit de révoquer les fonctionnaires publics,
soit de dissoudre les chambres.
Mais, dit-on, la position d'un cabinet sera
précaire s'il n'est point assuré d'avance de l'assentiment de la Couronne à la
destitution des fonctionnaires publics et à la dissolution des chambres, en cas
de dissentiment. Non, messieurs, la position des ministres n'est point, dans ce
cas, précaire, car, ainsi que je l'ai dit, ce n'est point à la légère que la
Couronne nomme ses conseillers ; en second lieu, un ministre a toujours la
faculté de donner sa démission.
(page
1072) Remarquez bien, messieurs, que dans un pays constitutionnel, le choix
des ministres est en quelque sorte indiqué, je dirai même, commandé par la
composition de la représentation nationale. Voilà, messieurs, la garantie de
l'indépendance ministérielle. Si le ministère ne trouve point, de la part de la
Couronne, le concours dont il a besoin pour remplir sa mission, il lui offre
respectueusement sa démission, et dans ce cas, la Couronne est obligée ou
d'accéder au vœu des ministres en tant qu'il est fondé, ou d'essayer la
composition d'un nouveau cabinet, embarras souvent très grave, difficulté presque
insurmontable si les propositions des ministres étaient réellement fondées.
Voilà, messieurs, à notre avis, les véritables
règles constitutionnelles.
Veuillez remarquer le vague du programme, en ce
qui concernait la dissolution des chambres. Il portait : Jusqu'aux élections de
juin 1847, la dissolution éventuelle des chambres. Il était donc évident que
jusqu'aux élections de juin 1847 le Roi n'avait plus le droit de dissoudre son
cabinet sans se mettre, en quelque sorte, en opposition avec le programme qu'il
aurait accepté. Quelle est en effet la cause de la dissolution d'un cabinet ?
C'est ordinairement le désaccord entre le cabinet et les chambres.
Mais, dira-t-on, la dissolution des chambres ne
devait avoir lieu que dans des cas déterminés, prévus d'avance, que le Roi
pouvait apprécier. Si, messieurs, il en eût été ainsi, je dirais encore que
quand il s'agit d'une dissolution éloignée, ces cas seraient inadmissibles, en
ce sens que le Roi doit demeurer juge de l'opportunité de la dissolution.
En effet, on pourrait aujourd'hui trouver
opportune la dissolution sur un cas indiqué dans le programme et sur lequel
dans d'autres circonstances qui surviendraient la dissolution serait très
inopportune.
La dissolution des chambres devait avoir lieu
pour les cas déterminés au numéro 1 relatif à la loi sur l'enseignement moyen,
au numéro 4 relatif aux modifications à la loi communale, ou sur une question
de confiance ou de vote d'un budget.
Mais vous n'ignorez pas que les questions de
confiance peuvent être posées par le ministère, quand bon lui semble ; elles
peuvent être amenées en toute circonstance. Il est donc vrai que le ministère
eût été toujours libre de mettre les chambres en demeure d'amener la
dissolution des deux chambres ou de l'une d'elles.
Le vote d'un budget ! Assurément il devait
en être de même du vote sur un article considérable d'un budget, importance
dont l'appréciation eût été naturellement dévolue au cabinet.
2° « S'il arrivait que par une opposition
journalière et combinée, la marche du ministère fût entravée au point qu'il ne
pût rester sans compromettre la considération du pouvoir et les intérêts du
pays ! » La pensée est bien formulée. Mais convenez que les hommes
politiques sont plus ou moins susceptibles, qu'ils trouvent plus ou moins facilement
qu'il existe dans le parlement un esprit d'opposition qui ne leur convient pas,
et qui, à leurs yeux, justifie la dissolution du parlement. Vous voyez donc
qu'il y avait dans le programme beaucoup de vague et qu'il portait sur des
faits éloignés, circonstances qui ne permettaient pas d'engager la prérogative
royale, ou sa décision, en ce qui concerne la dissolution des chambres,
Nous convenons avec l'honorable auteur du
programme que les fonctionnaires publics qui représentent le gouvernement ne
doivent pas se mettre en hostilité avec le gouvernement. Mais ce que nous
trouvons mauvais, c'est de leur jeter une menace à la face du parlement, à la
face de la nation. Ce que nous trouvons mauvais, c'est d'engager d'avance et
d'une manière indéfinie la décision royale.
La Couronne, nous le pensons, ne refusera jamais
à un ministère une demande justement motivée. Toutefois en admettant même que
la Couronne fît ce refus, ainsi que nous l'avons dit le ministère a toujours par
devers lui les moyens d'ôter en quelque sorte une entrave qui ne serait pas
légitime, c'est d'offrir respectueusement sa démission au Roi. C'est là le
véritable remède constitutionnel.
C'est dans sa position parlementaire que le
ministère doit trouver sa consistance aussi bien que dans l'indépendance de son
caractère.
Revenant à la dissolution éventuelle des
chambres, on nous dit : Pourquoi se méfier de la nation ? Pourquoi combattre un
appel au pays ? Malgré la plus entière confiance dans la nation, dans l'appel
au pays, nous devons encore repousser les principes consignés dans le
programme, qui engagent à l'avance la prérogative royale.
Mais est-ce réellement une défiance de la nation
que de refuser de multiplier en quelque sorte à plaisir les élections ? Nous ne
le croyons pas. Notre Constitution a voulu que les élections fussent assez
fréquentes. La chambre des représentants doit se renouveler tous les deux ans
par moitié.
En admettant ce système du renouvellement par
moitié, le congrès a eu en vue d'éviter des secousses trop brusques, trop
violentes que pourrait amener un renouvellement intégral.
Le congrès a voulu que l'opinion publique se
manifestât par degrés. Il a voulu éviter ces manifestations brusques qui
doivent amener un revirement complet dans la politique du pays.
Toutefois nous admettons très volontiers que
dans des circonstances données le parlement puisse être dissous, et qu'il doive
être fait un appel au pays. Mais ces appels sont toujours entourés
d'inconvénients. On a à craindre d'un côté l'abandon des élections et d'un
autre côté la fermentation des mauvaises passions.
Il est tel pays constitutionnel où les élections
parlementaires donnent lieu aux luttes les plus violentes, à de graves
désordres.
Heureusement, dans notre pays, nous avons évité
jusqu'ici ces graves inconvénients. Mais il n'en est pas moins vrai que, dans
tous les pays représentatifs, les élections sont exposées à ce double danger,
ou de l'abandon si elles sont trop fréquentes, ou d'une excitation des passions
qui ne permettent pas la libre manifestation de l'opinion du pays.
Mais, dit-on, si l'on n'était pas certain que
l'opinion que professe l'honorable membre dût triompher dans les élections, on
ne craindrait nullement de recourir à ce moyen.
Pour nous, nous ne voulons rien préjugera cet
égard. Mais nous croyons que les chambres ont été librement élues, qu'elles
représentent la véritable opinion du pays aussi longtemps que des élections
nouvelles n'ont pas prouvé le contraire.
Si même des élections venaient à modifier la
composition des chambres, il ne s'ensuivrait nullement que jusqu'à cette
manifestation nouvelle, les chambres élues antérieurement n'ont pas réellement
représenté le pays.
Toute théorie contraire, nous la repoussons de
toutes nos forces.
L'honorable député a ajouté qu'il n'aurait pas
hésité à demander la dissolution immédiate, s'il n'avait cru entrevoir que ce
moyen répugnait à Sa Majesté.
Ici nous devons vous soumettre quelques
réflexions.
La première qui se présente à notre esprit,
c'est que l'idée d'une dissolution immédiate implique que le cabinet dont
l'honorable M. Rogier eût été le chef ne pouvait compter sur la confiance
actuelle et réelle de la représentation nationale, que ce cabinet était pris
dans les rangs de la minorité.
Mais pourquoi dissoudre immédiatement la chambre
? S'était-il manifesté un dissentiment entre le gouvernement et la
représentation nationale ? En aucune manière ; le cabinet s'était dissous par
suite d'un dissentiment intérieur, étranger aux débats politiques. Dès lors, il
n'y avait aucun motif de faire un appel au pays.
Après
ces réflexions, on s'étonnera peut-être que la Couronne ait appelé l'honorable
membre à former un cabinet. Mais, messieurs, il avait été dit souvent dans la
discussion de l'adresse qu'un ministère formé par l'honorable membre ou par un
de ses amis politiques, aurait dans cette chambre la même majorité que tout
autre ministère ; dès lors, la Couronne pouvait consulter l'honorable membre et
lui demander de se charger de la formation d'un cabinet ; mais la Couronne
ayant acquis la conviction, par la teneur même du programme, que ce cabinet se
mettait en quelque sorte spontanément en défiance vis à-vis de la
représentation nationale par la demande même d'une dissolution pendant une
période de temps considérable, sur plusieurs cas mal déterminés, sur des
circonstances que le cabinet lui-même pouvait faire naître ; la Couronne voyant
de plus dans le programme une atteinte à sa prérogative, elle a parfaitement
agi, à notre avis, en déclinant le programme ; et nous croyons, messieurs,
avoir, par ce même motif, rempli un devoir, en acceptant la mission qui nous a
été offerte.
M. Rogier. - Messieurs, j'éprouve le regret de voir un
honorable collègue absent de la chambre, à cause de son état de santé ;
l'honorable M. de Brouckere serait venu apporter à la tribune les explications
dont le rôle qu'il a joué dans les derniers événements lui faisait un devoir.
Je demanderai si d'autres membres de cette chambre n'ont pas été chargés
également de travailler à la recomposition d'un cabinet. J'ai dit que j'avais
été étranger aux événements qui s'étaient passés après le 24 mars ; mais le
cabinet actuel n'a pas succédé immédiatement à la composition ministérielle qui
n'avait pas reçu l'approbation de S. M. Je suppose que d'autres explications
seront fournies dans le cours de la discussion.
M. d’Hoffschmidt. - Je demande la parole.
M. Rogier. - Je ne sais si l'honorable ministre de l’intérieur
se propose de renouveler dans la chambre les discussions qui ont eu lieu au
mois de novembre dernier : sous des formes très modérées et même très effacées,
j'ai cru cependant reconnaître l'intention de reproduire ici certaines
accusations qui avaient été lancées avec une impétuosité si regrettable par le
prédécesseur de M. le ministre de l'intérieur. Nous aurions donc encore devant
nous un nouveau cabinet qui serait venu au secours de la Couronne menacée de
nouveau par des prétentions exorbitantes et inconstitutionnelles. Aux
explications que l'on doit au pays sur la formation du ministère existant et
sur son programme, on voudrait peut-être substituer une nouvelle discussion où
seraient engagés un ministère qui n'a pas vécu, un programme qu'il n'a pas eu à
exécuter. Messieurs, ce rôle nous ne l'accepterons pas ; vous avez devant vous
un ministère responsable ; vous n'avez pas à débattre le programme d'un
ministère qui n'a pas existé. Ce programme, je le maintiens et je l'ai défendu
; mais je tiens mes honorables amis en garde contre la marche qu'on voudrait
imprimer à cette discussion.
Messieurs, la dissolution de la chambre, sur
laquelle on vient de s'étendre si longuement, n'a pas été demandée comme
condition absolue à S. M. : voilà un fait dont on ne tient pas compte et
qui cependant me paraît prépondérant. La dissolution immédiate de la chambre
était parfaitement dans les droits du cabinet ; il y a renoncé, parce que S. M.
montrait contre la dissolution immédiate une répugnance qu'on ne chercha pas à
surmonter. La dissolution éventuelle avait été indiquée comme un moyen
parfaitement praticable, acceptable par le cabinet qui discuta l'adresse du
mois de novembre 1845 ; reportez-vous, messieurs, à cette discussion, et vous
verrez que M. Van de Weyer et d'autres de ses collègues ont indiqué la
dissolution sur des points déterminés, comme étant une mesure parfaitement
régulière ; nous n'avons donc fait en quelque sorte que suivre leurs
indications.
Enfin, pour ne point entrer ici dans une
discussion de pure théorie sur le droit d'une dissolution immédiate ou
éventuelle, je fais remarquer que le cabinet n'avait pas même posé comme
condition absolue la dissolution éventuelle ; le cabinet demandait a S. M. tout
autre moyen équivalent d'où fût résulté pour le pays la preuve que le cabinet,
en entrant aux affaires, était assuré du concours du Roi.
(page
1073) Cependant le cabinet actuel trouve que nous avons encore été trop
loin dans cette demande. On se montre très susceptible à l'égard de la prérogative
royale. Eh bien, messieurs, laissons-là les détours ; interrogeons directement
le ministère ; voyons ce qu'il veut, où il va.
« L'opinion libérale, en arrivant au pouvoir,
venait, dit-on, enchaîner la prérogative royale. » Le fait est faux ; s'il est
une opinion qui passe dans le pays pour opprimer la royauté, s'il est une
opinion qui passe pour dominer toutes les avenues du pouvoir, s'il est une
opinion qui passe pour tenir à l'état de sujétion le pouvoir civil, ah !
messieurs, cette opinion n'est pas la nôtre ! Pourquoi le cabinet libéral
était-il salué avec faveur par tout le pays intelligent ? Parce que le pays
intelligent voyait dans l'avènement d'un ministère libéral l'émancipation du
pouvoir civil. Oui, voilà ce que signifiait l'avènement d'un ministère libéral.
Ne discutons donc pas ici sur des cas particuliers, sur la question de savoir
si le pouvoir royal a pu engager sa prérogative sur tel ou tel point, pour tel
ou tel temps ; voyons, messieurs, les choses de plus haut ; je le répète, l'opinion
libérale, par sa seule présence aux affaires, aurait émancipé la royauté du
joug que, dans l'opinion du pays, elle subit aujourd'hui. (Applaudissements dans les tribunes.)
M. le président. - Je renouvelle aux tribunes l'invitation de ne
donner aucune marque d'approbation ou d’improbation ; si ces manifestations se
répétaient, je serais obligé de faire évacuer les tribunes.
M. Rogier. - Quand nous disons qu'aux yeux du pays, la royauté n'est
pas libre, nous avons des faits à l'appui de cette opinion.
Si la royauté n'avait dû céder à des suggestions
étrangères, pourquoi le cabinet libéral de 1840 serait-il tombé ? Pourquoi M.
Van de Weyer qui avait été appelé ici pour défendre la prérogative royale,
est-il sorti du cabinet ? et pourquoi sont-ce ses adversaires qui se présentent
à nous ? Il a suffi que ce ministre montrât un jour l'intention arrêtée de
faire respecter le pouvoir civil, pour qu'à l'instant il disparût des bancs
ministériels.
Des membres. - C'est cela !
M. Rogier. - Est-ce ainsi que vous entendez faire respecter les
prérogatives du pouvoir civil ? Sont-ce là les défenseurs de la prérogative
royale ? N'en sont-ils pas les exploitateurs ?
Je demande, pour ma part, de connaître pour quel
motif l'honorable M. Van de Weyer n'a pas été chargé de reconstituer un cabinet
dans lequel il ferait dominer les principes qu'il a mis en avant, et que nous
sommes disposés à soutenir, s'ils sont conformes à ce qui nous en a été révélé.
L'honorable ministre de l'intérieur nous a dit
que nous connaissions les motifs pour lesquels l'ancien cabinet s'était
dissous. Nous ne les connaissions pas. La chambre n'est pas officiellement
informée ; les rapports entre la chambre et le ministère n'ont pas lieu par la
voie du Moniteur, mais par des explications franches et catégoriques, données
dans cette enceinte. Ces explications, nous sommes en droit de les attendre ;
nous sommes d'autant plus en droit de les demander que nous avions pensé que la
retraite de M. Van de Weyer devait entraîner avec elle la retraite de tous ses
collègues ; car ils ont dit que la plus parfaite homogénéité régnait entre eux
; M. le ministre de la justice, interrogé à cet égard, faisait la déclaration
suivante :
« Il y a entre nous, sous tous les rapports, une
parfaite homogénéité. (Interruption.) On me dit : La loi sur
l'enseignement. Il y a également accord entre nous, comme le prouvera la
discussion qui aura lieu et que le ministère lui-même a provoquée (Nouvelle
interruption.)
« Je le répète, le ministère est d'accord sur
toutes les questions que la chambre aura à discuter. »
Le ministère était donc parfaitement d'accord
sur la question d'enseignement moyen, et le chef de cette politique sur
laquelle on était d'accord disparaît avec l'honorable M. d'Hoffschmidt, et ses
autres collègues restent en place ; et l'honorable M. Van de Weyer est remplacé
par l'honorable M. de Theux.
Que signifient donc ces changements ? Il y a
dans ces événements quelque chose d'inexplicable, quelque chose de mystérieux ;
ou plutôt, il y a dans ces événements quelque chose de trop clair, de trop
manifeste ; il y a ce que je vous ai signalé tout à l'heure, il y a chez ceux
qui entourent et conseillent le pouvoir une défiance injuste d'une opinion qui
ne demande qu'à défendre énergiquement le pouvoir : il y a de plus pour
l'opinion opposée, je ne dirai pas des sympathies exclusives, mais des
tendances, des ménagements, des préférences que le pays condamne.
On aura beau chercher par des raisons plus ou
moins subtiles à expliquer comment la prérogative royale se trouvait entravée
par notre programme ministériel, le pays ne le croira pas. Mes explications
restent debout ; elles seront claires pour tout le monde.
Ce que le pays croira aussi longtemps que le
cabinet actuel restera sur ces bancs, c'est que la prérogative royale ne se
trouve pas engagée sur tel ou tel point d'un programme donné, mais qu'elle est
entièrement absorbée par un ministère peu apte à défendre, à soutenir à tous ses
degrés le pouvoir civil, comme l'eût fait l'opinion libérale.
En
résumé, je demande quels sont les motifs véritables de la retraite de MM. Van
de Weyer et d'Hoffschmidt ; je demande en quoi le système de ces honorables
membres différait du système de ceux de leurs collègues qui sont restés sur les
bancs ministériels ; quelles sont les modifications que doit subir le projet de
loi tel qu'il avait été présenté par l'honorable M. Van de Weyer ; quelles sont
les concessions qui ont été faites sur ce point par ses anciens collègues à
l'honorable M. de Theux ? Si j'ai bien compris le court exposé présenté par M.
le ministre de l'intérieur, le ministère demande que la section centrale fasse
un rapport sur le projet de loi de 1834. Je demande si le cabinet présentera un
projet nouveau sur l'enseignement (page
1074) moyen ;quel est ce projet ; quelles sont ses bases ; quels sont ses
principes ?
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, dans les discours que vous venez
d'entendre, il a été fait allusion à la part que j'ai prise dans deux
circonstances de la crise ministérielle du mois dernier ; je crois devoir
donner quelques explications, je me bornerai pour le moment à la simple
narration des faits.
C'est le 21 mars que je reçus la proposition
d'entrer dans la combinaison ministérielle que M. Rogier était chargé de
soumettre au Roi. M. de Brouckere vint me transmettre cette proposition pendant
la séance du sénat à laquelle j'assistais.
Comme je n'avais que quelques minutes à lui accorder,
je lui répondis qu'avant de me prononcer il était nécessaire que j'eusse des
explications précises et détaillées sur le programme du futur ministère.
Le même jour au soir je reçus la visite de M.
Rogier. Il me réitéra l'offre du portefeuille des travaux publics, et pendant
un entretien qui a duré environ deux heures, il m'expliqua les bases de son
programme et la politique qu'il se proposait de suivre.
Je dois déclarer que je trouvai ses paroles et
ses vues pleines d'une grande modération. Sa politique, me dit-il, devait être
impartiale et non réactionnaire. Aucun fonctionnaire public ne serait déplacé,
quelle que fût son opinion, sauf si dans l'exercice de ses fonctions
administratives, il se livrait à une hostilité flagrante contre le ministère.
L'honorable M. Rogier eût désiré que je me fusse
immédiatement prononcé, mais je lui répondis que, dans toute hypothèse, il
importait que je pusse réfléchir avant de lui donner une réponse définitive.
Le lendemain, 22 mars, j'étais occupé à écrire
cette réponse, lorsque l'honorable M. de Brouckere vint me voir. Il me pressa
de faire connaître ma résolution que M. Rogier attendait, dit-il, pour pouvoir
soumettre son rapport au Roi.
Je lui dis alors, que mon acceptation était subordonnée
à certaines réserves ; la première c'est que la dissolution éventuelle des
chambres ne serait demandée que sur le projet de loi de l'enseignement moyen,
et que ce projet serait préalablement soumis à l'appréciation de Sa Majesté.
La deuxième, c'est que je fusse mis à même
d'examiner et d'apprécier de nouveau les dispositions de ce projet de loi sur
lequel je n'avais encore reçu que des explications verbales.
La troisième, c'est que le nouveau cabinet ne
mettrait pas obstacle aux concessions de chemins de fer pour lesquelles ma
signature de ministre des travaux publics était engagée.
M. de Brouckere me donna à l'instant de
nouvelles explications sur les dispositions du projet de loi d'enseignement.
Ces explications ne me laissèrent aucun doute
que ce projet ne fût susceptible d'obtenir la majorité dans les chambres.
Je consentis ensuite, sur la proposition de M.
de Brouckere, à ce que mon nom fût inséré au rapport destiné à être soumis au
Roi, mais avec la mention expresse de mes réserves.
Le lundi 23 mars, je me rendis chez M. Rogier.
Il me donna lecture du rapport qu'il avait adressé la veille à S. M. et des
conditions du programme.
Il fut ensuite convenu, entre nous, que dans le
cas d'acceptation par le Roi les réserves que j'avais faites seraient
ultérieurement examinées en conseil.
Le lendemain, 24, pendant que je défendais le
budget des travaux publics dans cette chambre, je reçus une lettre de M.
Rogier, qui m'annonçait la résolution prise par la Couronne.
Le 27 mars, le Roi daigna me faire appeler et
voulut bien me dire qu’il désirait que je me chargeasse, conjointement avec
l'honorable M. Dumon-Dumortier, de la formation d'un cabinet, soit pris
entièrement dans la nuance que l'on a l'habitude de désigner sous la
dénomination de centre gauche, soit mixte avec l'élément libéral prépondérant.
Ce cabinet ne devait point demander, à la
Couronne, la faculté éventuelle de dissoudre les chambres.
Je pris la liberté de faire observer à S. M. que
je ne me croyais point l'importance nécessaire pour remplir une semblable
mission ; cependant que, vu les difficultés de la situation, je ne me refusais
point à examiner et à rechercher, de concert avec l'honorable sénateur, les
moyens de répondre au désir du Roi.
Le
même jour nous eûmes une conférence avec M. Dumon-Dumortier. Il fut décidé
entre nous que, pour arriver à un résultat satisfaisant, il importait d'abord
qu'un homme marquant, de la nuance d'opinion indiquée par le Roi, consentît à
entrer dans la combinaison. Nous nous adressâmes en conséquence à ceux qui sont
le plus généralement désignés par l'opinion publique, mais ils nous répondirent
que leur intention bien arrêtée était de ne faire partie d'aucune combinaison
ministérielle.
Après ces tentatives infructueuses nous
résolûmes, l'honorable sénateur et moi, de faire connaître à Sa Majesté, que
nous renoncions a la mission qu'elle avait daigné nous confier.
Voilà les explications que j'avais à donner.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'honorable député d'Anvers a demandé au
cabinet s'il entendait s'associer au blâme qui avait été articulé contre le
programme dont il a donné lecture. C'est par suite de cette question que mon
collègue M. le ministre de l'intérieur a expliqué les motifs pour lesquels nous
nous associons à la critique de ce programme.
Je pense que les explications mêmes qui vous ont
été données vous démontreront qu'il ne s'agit pas d'une question de personne,
mais d'une question de principe, et que cette question a été traitée par mon
honorable collègue comme elle devait l'être par suite de l'interpellation
adressée au (page 1074) cabinet par
l'honorable M. Rogier. C'est donc et parce que cette interpellation a été faite
et parce que la question est digne de toute l'attention de la chambre, que je
regarde comme un droit et même comme un devoir de revenir sur cette espèce de
principe de la constitution du cabinet actuel.
J'y suis amené par un autre motif. L'honorable
M. Rogier pense que, dans la rédaction de ce programme, il n'a fait que suivre
les indications données au mois de novembre, par le cabinet d'alors.
Je viens de reprendre les observations que j'ai
faites, dans cette discussion ; je donnerai à la chambre lecture d'un passage
qui démontrera à l'honorable membre qu'il se trompe du tout au tout.
La discussion portait sur la question de savoir
jusqu'à quel point un cabinet nouveau peut demander comme condition
d'acceptation certaine concession à la Couronne ; et alors nous avons fait
ressortir qu'il était de l'essence de nos institutions que la Couronne restât
toujours juge d'un dissentiment qui s'élevait entre le cabinet et les chambres,
que là était l'essence de la prérogative royale, qu'une dissolution donnée à
l'avance pour une situation encore inconnue n'était pas conforme aux principes
constitutionnels.
« Nos institutions, disais-je, supposent
l'accord entre les ministres du Roi et les chambres. Lorsqu'un dissentiment
éclate entre le ministère et les chambres, la plus haute prérogative de la
royauté, c'est de prononcer sur ce dissentiment ; c'est d'opter ; c'est de
savoir si elle doit ou renvoyer le ministère ou dissoudre les chambres. C'est
là véritablement l'essence, l'esprit, le vœu de nos institutions. »
C'est cette opinion que je viens défendre encore
devant vous. Assurément si l'on avait demandé au Roi la dissolution immédiate
de la chambre, la Couronne restait libre de juger si la situation comportait
une dissolution ou le refus de cette condition. Mais bien autre chose est de
venir même pour une chose spéciale déterminer les circonstances dans lesquelles
la dissolution devrait avoir lieu. J'ai tort même de m'exprimer ainsi, car
d'après le texte même de ce programme les circonstances n'étaient pas
déterminées. Ainsi pour m'arrêter au numéro 1 du programme, ainsi que vient de
le dire l'honorable M. d'Hoffschmidt, il comprenait qu'on demandât la
dissolution sur la question de l'enseignement moyen, non sur cet énoncé vague
de la question, mais sur un projet déterminé que Sa Majesté aurait pu
apprécier. Cette opinion de mon ancien collègue est aussi la mienne.
Il y avait dissolution éventuelle si la chambre
n'avait pas consenti à retirer au Roi une prérogative qui lui a été accordée
par une loi récente qui a modifié la loi communale.
Il y avait encore dissolution éventuelle sur toute
question de confiance, sur toute question de vote de budget ; il y avait enfin
dissolution éventuelle contre toute opposition journalière ou combinée.
Si ce sont là des cas déterminés, des situations
définies d'avance et que la Couronne pût apprécier, je ne sais plus, en vérité,
ce que devient la valeur des mots.
« L'opposition » ! c'était la seule
chose que l'on supprimât dans nos institutions. D'après le programme tel qu'il
est conçu, il ne pouvait plus y avoir d'opposition. Il est évident que personne,
dans cette chambre, ne se serait exposé à faire le moindre discours
d'opposition, de peur qu'elle ne parût journalière et combinée. (Interruption.)
Je répète, puisque je suis interrompu, qu'une
partie du programme rendait l'opposition impossible ; car si elle s'était
manifestée d'une manière trop périodique, trop intense, trop journalière, ceux
qui se la seraient permise, se seraient exposés au reproche, devant lequel ils
auraient reculé, d'avoir provoqué cet appel au pays, qui y produit toujours une
secousse.
Je ne sais si depuis quelques années (et je suis
tenté de le croire) les honorables membres ont reconnu par leur expérience les
inconvénients de l'opposition.
La dissolution était demandée pour un temps
limité. Mais lorsqu'on ne reste pas dans la vérité des principes que j'ai
indiqués tout à l'heure, on s'expose vraiment aux plus étranges conséquences.
Je suppose, par exemple, que sur un des objets
indiqués comme causes d'opposition, il y eût eu dans cette chambre ou dans le
sénat une immense majorité contre le cabinet ; je suppose que, sur la question
de l'enseignement moyen, le cabinet eût été réduit à une minorité de 15 ou 20
membres, la dissolution était prévue d'avance ; elle était écrite. Et comment
nos institutions seraient-elles encore une vérité si dans un tel cas la
Couronne ne conservait pas la libre option que la Constitution lui donne ?
Nous avons eu d'autres motifs encore d'accepter
la responsabilité que mon honorable collègue a définie. Un autre article du
programme est conçu en ces termes : « moyens défensifs contre l'hostilité
éventuelle des fonctionnaires publics ». Eh bien, que résulte-t-il de ces
termes dont je serais désolé de forcer le sens, sinon que toute destitution
demandée à la Couronne devait être accordée au ministère qui la demanderait ?
L'honorable préopinant nous déclare que le
cabinet qu'il avait été chargé de former aurait été salué par tout le pays
intelligent. Restons encore une fois dans la vérité de nos institutions. Le
pays légal, ce sont les chambres, et le ministère qui montre de la confiance
dans le pays intelligent, c'est celui qui est au pouvoir, qui dirige les
affaires du pays, sans avoir besoin ni d'une dissolution éventuelle, ni de
moyens défensifs contre des hostilités éventuelles.
Une autre question nous a été adressée :
l'honorable M. Rogier demande pourquoi M. Van de Weyer n'a pas été chargé de
former un cabinet.
L'honorable M. Van de Weyer lui-même, si mes
souvenirs sont fidèles, à la séance du 7 mars a donné des explications sur la
mission dont le Roi l'avait investi dès le début de la crise, sur la démarche
qu'il avait faite, et lui-même a déclaré qu'il considérait comme accomplie
cette seconde mission qu'il avait reçue de la confiance du Roi.
Sans doute les rapports entre le gouvernement et
les chambres ne peuvent s'établir par la voie du Moniteur. Cependant si cette
voie a été adoptée, c'est en raison de la position toute spéciale de notre
ancien collègue de l'intérieur, qui a témoigné le désir que des explications
complètes sur le dissentiment qui avait existé, fussent insérées au Moniteur.
Il était assurément le meilleur juge du mode qu'il devait préférer. Nous ne
pouvions lui refuser d'expliquer ainsi le dissentiment, alors que des devoirs
d'un autre ordre et la position qu'il occupait en dehors du pays, l'empêchaient
de venir donner des explications à la chambre.
Plusieurs membres. - Il n'aurait pas pu le faire, puisqu'il n'est
pas membre de la chambre.
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est une troisième raison pour que les
explications fussent insérées au Moniteur. J'aurais pu la donner la première,
et même me dispenser d'en donner d'autre.
On demande au cabinet actuel quel projet il
apporte. Dans la discussion de novembre dernier sur le discours du Trône et sur
l'adresse, il n'avait jamais été question d'apporter à la chambre un projet
nouveau. La marche que l'ancien cabinet se proposait de suivre est, à peu de
chose près, la même que suivra le cabinet actuel. Ainsi notre intention, si ce
dissentiment n'avait pas éclaté, était de soumettre à la section centrale
quelques amendements au projet de 1834. Ainsi que vous l'a déclaré mon
honorable collègue de l'intérieur, le cabinet exprime le désir que la section
centrale soit complétée, et qu'elle dépose promptement son rapport.
Le gouvernement, disons-nous encore, ne
négligera aucun effort pour amener, dans le courant de la session actuelle, la
solution de la question de l'enseignement moyen.
Ainsi, la marche que nous nous proposons de suivre
est, à peu de chose près, la même que le cabinet précédent avait indiquée.
J'ajoute que de toutes celles qu'on eût pu
adopter, c'est la plus expéditive, celle qui pourra amener le plus vite la
solution que nous désirons comme l'honorable préopinant.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.