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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24 avril 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Vérification des pouvoirs
d’un membre de la chambre (de Theux) (Dubus (aîné), Manilius)
3) Débat relatif à la formation du nouveau cabinet
ministériel. A. Rejet par le roi du programme libéral en raison essentiellement
de l’atteinte à la prérogative royale de dissoudre les chambres ; B :
droit de limoger les fonctionnaires et indépendance des
députés-fonctionnaires ; C : organisation de l’enseignement moyen et
ingérence cléricale dans celui-ci ; D : abandon de la politique unioniste,
formation d’un gouvernement homogène catholique et antagonisme politique
libéraux-catholiques ; E : réforme électorale ; F :
interventions présumées de membres de l’opinion catholique (« pouvoir
occulte ») dans l’avancement et la libération d’un comptable de l’Etat
condamné pour détournement de fonds (F (d’Anethan,
Delehaye, Lejeune, d’Anethan), F, D, A, B, C, E (Dubus (aîné)), D, E (Manilius), fait personnel (Malou))
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page
1117) M.
Huveners procède à l'appel nominal à midi et un quart.
M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
La rédaction en est adoptée.
M. Huveners communique l'analyse des pièces adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Charles Dickmans, plombier et
étainier à Bruxelles, né à Bois-le-Duc, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
_________________
Dépêche de M. le ministre de l'intérieur accompagnant
16 volumes de documents parlementaires, intitulés : « Procès-verbaux des
séances de la chambre des députés » que M. le marquis de Remigny l'a chargé
d'offrir à la chambre des représentants de la part de la chambre des députés de
France. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Huveners. - « Dépêche de M. le ministre de l'intérieur
accompagnant le procès-verbal, avec les pièces à l'appui, de l'élection qui a eu
lieu le 21 de ce mois par le collège électoral de l'arrondissement de Hasselt.
»
Il est procédé à un tirage au sort pour la
formation de la commission qui sera chargée de vérifier les pouvoirs de l'élu
de Hasselt. Cette commission est composée de MM. de Bonne, de Terbecq, de
Naeyer, de La Coste, de Sécus, de Baillet et Maertens.
M. Dubus (aîné). - Je désirerais que la commission voulût bien se
retirer dès maintenant, afin qu'elle puisse faire son rapport séance tenante.
M. Manilius. - Je ne pense pas que la chambre veuille ordonner à
la commission de se retirer maintenant. Si je suis bien informé, c'est
l'honorable M. Dubus qui doit parler le premier, et il serait regrettable que
des membres fussent forces de se retirer pendant un discours aussi important.
Si cela devait être, je demanderais que la séance fût suspendue jusqu'à ce que
la commission eût terminé son travail.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il me semble que la commission pourrait
faire son rapport à l'ouverture de la séance de demain. (Assentiment.)
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. le président. - M. de Brouckere fait part à la chambre de la perte
douloureuse qu'il vient de faire de sa mère, et il demande un congé.
- Ce congé est accordé.
_______________
M. le président. - Dans une séance précédente, la chambre a renvoyé
aux sections les budgets de 1847, mais elle n'a pas dit à quelles sections ;
sont-ce les sections du mois dernier ou les sections qui ont été tirées au sort
avant-hier ?
- La chambre décide que ces budgets seront
examinés par les sections d'avril.
DISCUSSION SUR LES EXPLICATIONS DONNEES EN CE
QUI CONCERNE LA FORMATION DU NOUVEAU CABINET MINISTERIEL
M. le président. - L'ordre du jour appelle en premier lieu la suite
de la discussion relative à la formation du cabinet. Avant d'accorder la parole
aux orateurs, je dois rappeler aux tribunes qu'aux termes de l'article 93 du
règlement, les personnes placées dans les tribunes doivent se tenir assises,
découvertes et en silence. Si cette disposition n'était pas observée, je ferais
à l'instant même évacuer les tribunes.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je comprends difficilement les
proportions qu'on a voulu donner à l'affaire Retsin. De quoi s'agit-il, en
effet ? Il s'agit uniquement d'un individu condamné à une peine correctionnelle
et mis provisoirement en liberté, d'un individu qui, après cette mise
provisoire en liberté, a été réintégré de nouveau en prison, dès le moment où
il a été reconnu que sa mise en liberté était la suite d'une erreur.
Je concevrais, messieurs, les élans d'indignation
auxquels on s'est livré s'il s'était agi d'un acte arbitraire et attentatoire a
la liberté. Si un ministre de la justice s'était permis de maintenir,
contrairement à la loi, l'incarcération d'un individu, s'il s'était permis de
faire arrêter arbitrairement un citoyen, je concevrais, dis-je, ces élans
d'indignation ; mais en présence du fait si simple qui a eu lieu, je vous
avoue, messieurs, que je ne les conçois pas, j'allais dire que j'y croyais à
peine.
Deux questions, messieurs, doivent être examinées
: la première est une question de légalité, la seconde est une question
d'appréciation de faits, une question de bonne foi, une question d'intentions.
Voilà, messieurs, les deux questions que je vais, aussi sommairement que
possible, traiter devant la chambre. Néanmoins, comme j'ai besoin de lire
plusieurs pièces, je dois réclamer votre bienveillante attention, et je
demanderai à mes adversaires, qui m'ont adressé hier des reproches si graves et
si amers, je leur demanderai de vouloir bien m'écouter en silence pendant
quelques moments.
La première question est celle de savoir si,
légalement, j'ai pu faire ce que j'ai fait, si, légalement, j'ai pu donner
l'ordre au directeur d'une maison d'arrêt de mettre en liberté un individu qui
y subissait sa peine, avec injonction de revenir en prison pour y achever sa
peine, et avec cette réserve, bien entendu, qu'il fallait décompter de la durée
de sa peine le temps pendant lequel il aurait été traité dans une maison de
santé.
Eh bien, messieurs, je dois le dire, cette
question de légalité ne me paraît pas un instant douteuse. Il est reconnu,
messieurs, par tout le monde, que les procureurs du roi, les procureurs
généraux et par conséquent aussi le ministre de la justice, ont le droit
d'accorder, à un individu condamné, un délai pour subir sa peine dans des
circonstances favorables. Eh bien, messieurs, je le demande, pourquoi ce droit
n’existerait-il pas absolument au même degré, pourquoi ce droit n'existerait-il
pas en vertu du même principe, lorsque l'individu est préventivement arrêté et
lorsque les circonstances sont de nature à justifier une semblable mesure ?
La question de légalité, qui n'en est pas une
lorsque l'individu n'est pas détenu préventivement, pourquoi en deviendrait
elle une, cette question et pourquoi serait-elle tranchée contre mon système,
lorsque l'individu est détenu préventivement ? Je ne vois pas de différence
entre les deux cas : dans les deux hypothèses, des motifs d'humanité peuvent
justifier la mesure et l'humanité doit avoir ses droits lorsque l'individu se
trouve préventivement détenu aussi bien que lorsqu'il n'a pas été arrête avant
sa condamnation.
Certes, messieurs, s'il s'agissait d'une grâce,
le ministre de la justice n'aurait pas le droit de l'accorder, et c'est sur une
confusion d'idées que repose toute l'argumentation de M. Dolez. S'il s'agissait
de diminuer, en quoi que ce fût, la peine, oh ! alors le ministre qui
prendrait une semblable mesure, devrait être accusé d'avoir violé la loi ; mais
lorsqu'il s'agit uniquement de suspendre l'exécution d'un jugement, je ne
conçois pas qu'on puisse en pareille circonstance faire le moindre reproche au
ministre, au moins sous le point de vue de la légalité ; nous examinerons plus
tard l'autre question, celle de bonne foi.
Messieurs, je n'en dirai pas davantage sur cette
question de légalité. Il suffit des considérations que j'ai déjà fait valoir
dans une séance précédente pour établir la légalité de la mesure que j'ai
prise. Mais, messieurs, qu'il me soit permis d'invoquer, comme je l'ai déjà
fait, et d'invoquer maintenant, en lisant les pièces, les précédents nombreux
qui justifieraient le ministre, s'il pouvait y avoir le moindre doute sur la
légalité de la mesure.
En effet, messieurs, lorsqu'une mesure a été
prise depuis 16 ans, que dis-je ! lorsqu'une mesure a été prise bien avant la
révolution, lorsqu'elle a été prise déjà sous le gouvernement des Pays-Bas, en
différentes circonstances, comment pourrait-on me faire un reproche d'avoir
suivie la même marche, d'avoir suivie la marche qui avait été suivi par tous
mes devanciers, au savoir et aux connaissances desquels la chambre, sans doute,
s'empressera de rendre hommage ! Oui, messieurs, il y a des précédents nombreux
posés dans les mêmes circonstances à l'égard d'individus condamnés
correctionnellement et mis en liberté, soit par ordre du ministre de la
justice, soit même par ordre du procureur du roi.
Messieurs, dans les prisons où les peines
correctionnelles peuvent être subies, maintes et maintes fois, soit pour des
motifs de maladie, soit pour des motifs de famille, soit pour des
considérations personnelles en dehors des maladies, de nombreux condamnés ont
été mis en liberté par ordre des procureurs du roi, par ordre des procureurs
généraux. Je pourrais citer notamment ce qui se passe à Anvers, ce qui se passe
à Gand, ce qui se passe à Arlon, ce qui se passe à Bruxelles, en un mot, ce qui
se passe dans la plupart des tribunaux ; mais en ne citant que les noms que je
cite maintenant je puis justifier par les pièces du dossier que l'ordre a été
souvent donné par des procureurs du roi de mettre des condamnés en liberté
provisoire, à charge de se reconstituer prisonniers, mais sans être soumis,
pendant cette liberté provisoire, à aucune mesure de précaution.
Maintenant, messieurs, je passe aux ordres
émanés directement des ministres ne la justice et en vertu desquels ces mises
en liberté provisoire ont été maintes et maintes fois prononcées.
Je trouve notamment, messieurs, dans les
registres d'écrou de la maison de sûreté de Bruxelles, une mise en liberté du 4
novembre 1832. Voici, messieurs, comment elle est conçue :
« Le procureur du Roi, vu la lettre de M. le
ministre de la justice, du 3 de ce mois, n°1640, qui l'autorise à accorder au
sieur Lemonnier un délai de six semaines pour subir la peine d'emprisonnement à
laquelle il a été condamné ; accorde audit Lemonnier le délai susdit de six
semaines, à condition qu'il vienne se constituer prisonnier volontairement.
Autorise en conséquence M. le gardien en chef de la maison d'arrêt de Bruxelles
à le faire mettre en liberté sur-le-champ, en ayant soin de décompter sur les
trois mois d'emprisonnement qu'il a à subir, les trois jours de prison déjà
subis.
«Bruxelles, le 4 novembre 1832.
« (Signé) : L. Bosquet. »
(page
1118) Voilà, messieurs, ce qui a eu lieu le 4 novembre 1832 par ordre
formel du ministre de la Justine d'alors.
Le 20 novembre 1832, une semblable mesure a
encore été prise : elle est ainsi conçue :
« Le procureur du roi près le tribunal de
première instance à Bruxelles, requiert le gardien de la maison d'arrêt cette
ville, de mettre immédiatement en liberté la dame Marie-Madeleine Van Eeckout,
épouse Couteaux, laquelle vient d'obtenir de M. le ministre de la justice, un
délai de six semaines pour subir le restant de sa peine. »
Nouveau réquisitoire aux mêmes fins.de novembre
1835, à l'égard d'un individu condamné également à un emprisonnement d'un mois
; et qui a été mis en liberté, en vertu de l'ordre suivant :
« Le procureur du roi, d'après une invitation
formelle de M. le ministre de la justice, requiert M. le directeur de la maison
d'arrêt de mettre provisoirement en liberté le nommé Jean Lessine, jusqu'à ce
qu'il soit statué sur sa demande en grâce. »
Même mesure a été prise en vertu d'un ordre
semblable, émané également du ministre de la justice à l'égard d'un nommé
Deguelder, le 15 novembre 1837.
Je suis entièrement convaincu que d'autres
ordres, émanés des parquets, l'étaient toujours avec l'autorisation du ministre
de la justice ou du procureur général, car il n'est pas supposable que le
ministre de la justice aurait laissé se perpétuer un abus qu'il pouvait
empêcher, s'il n'avait pas pensé que ce qu'on appelle maintenant un abus était
une chose légale, une chose qui pouvait très-régulièrement s'accorder.
Voilà ce qui est de pratique constante pour les
condamnés correctionnels.
Je signalerai maintenant des mesures prises en
faveur de condamnés qui subissaient leur peine dans des maisons de réclusion.
J'ai connaissance de deux faits, le premier se rapporte à l'année 1833, l'autre
à l'année 1840. Voici ce qui a eu lieu en 1833 : Un individu avait été condamné
à dix ans de travaux forcés comme coupable de pillage et de dévastation de
propriétés immobilières. Par arrêté du 29 octobre 1832, il avait déjà obtenu 6
années de grâce, et plus tard, comme on ne croyait pas pouvoir lui accorder une
grâce ultérieure, le ministre de la justice d'alors soumit au Roi un arrêté
pour autoriser la mise en liberté provisoire de ce condamné, jusqu'à ce que sa
santé fût suffisamment rétablie, pour qu'il pût être réintégré dans la maison
de réclusion...
Des membres. - C'était un arrêté royal.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Oui, messieurs, un arrêté royal a été pris, non
pas pour accorder une grâce, mais pour mettre provisoirement en liberté un
individu qu'on ne jugeait pas digne d'obtenir une grâce.
Or un arrêté royal était inutile dans ce cas, et
il me paraît évident que le ministre de la justice peut prendre une semblable
mesure sans arrêté royal, parce qu'il ne s'agit pas ici d'accorder une grâce,
mais uniquement de suspendre l'exécution d'une peine.
J'ai du reste déjà fait connaître que le même ministre
de la justice, qui a contresigné l'arrêté du 11 juin 1833, avait cru pouvoir
ordonner aux procureurs du roi, sans arrêté royal, de mettre des individus
provisoirement en liberté. Et qu'on ne vienne pas dire que les cas auxquels
j'ai fait allusion tout à l'heure étaient moins graves que celui dont nous nous
occupons ; il ne s'agit pas pour le moment d'examiner la gravité du cas, nous
discuterons cette question plus tard ; il s'agit du principe, et je dis que dès
l'instant où l'on reconnaît qu'il peut accorder la mise en liberté provisoire à
un individu condamné pour 6 mois, par exemple, le même droit peut être exercé
envers les individus condamnés à une peine plus longue.
L'autre cas a également rapport à un condamné
criminel ; cet individu avait été frappé d'une condamnation criminelle, du chef
de faux ; il subissait sa peine à Vilvorde, et le 5 avril 1840, il obtint de M.
le ministre de la justice l'autorisation d'être transféré dans une maison de
santé et d'y subir, jusqu'à sa guérison, le restant de sa peine.
Voici, messieurs, la lettre que le ministre de
la justice écrivait au gouverneur du Brabant, le 3 avril 1840 :
« M. le gouverneur,
« Plusieurs circonstances empêchent d'accorder
au détenu Hennebert une commutation de peine ; mais l'état de sa santé que vous
m'avez transmis par voire dépêche du 25 février dernier, n°11836, n°804,
rapports qui ont été confirmés par celui de M. le docteur Hallard, spécialement
délégué à cet effet par moi, m'obligent à autoriser son transfert dans une
maison de santé, jusqu'à l'époque de sa guérison. J'ai fait choix de celle du
docteur Kalker, à Uccle, qui est prévenu de cette mesure, et a consenti à
recevoir Hennebert, moyennant une pension annuelle de 300 fr. à payer par
l'administration.
« Veuillez, M. le gouverneur, donner des ordres
en conséquence au commandant de la prison de Vilvorde, et le prévenir qu'il
devra conserver la masse de sortie du condamné qui est toujours censé faire
partie de la population de la maison de réclusion. Le transfert pourra s'opérer
par une voiture particulière, aux frais du gouvernement et sous escorte.
« Le ministre,
« (Signé) Raikem. »
Vous venez d'entendre la lecture de la lettre à
la suite de laquelle le condamné a été extrait de la maison de détention de
Vilvorde, et a été conduit, sous escorte, dans la maison du docteur Kalker, à
Uccle. Je pourrais demander si la maison de ce docteur était devenue une
prison, si dans cette maison il y avait des gendarmes ou des gardiens, si dans
une maison de santé on peut écrouer un individu d'une manière légale et
régulière, si le ministre de la justice a, en un mot, le droit de permettre à
un individu de subir sa peine dans un autre endroit que la maison à ce destinée
; j'aurais, je dois le dire, de grands doutes à cet égard.
Maintenant, l'individu dont je parle se
trouvait, quoique censé détenu, en pleine liberté dans la maison du docteur
Kalker, et même il abusa tellement de la permission qui lui avait été accordée
que pendant six mois, il a circulé dans les rues de Bruxelles, a fréquenté les
spectacles, et c'est alors seulement qu'il a été réintégré dans la prison de
Vilvorde.
Je dis maintenant que la mesure qui a été prise
à l'égard de ce condamné est infiniment plus grave et plus critiquable (si je
pouvais me permettre de critiquer une mesure d'un des hommes que j'estime le
plus en Belgique), que celle que j'ai prise moi-même ; car en vertu de la
première mesure, l'individu qui en était l'objet, était autorisé à finir sa
peine dans une maison qui n'avait pas la destination nécessaire à cette fin.
Cet état de choses que l'on pourrait qualifier
d'illégal, à meilleur droit que l'état de choses qu'on me reproche, a été connu
de l'honorable M. Leclercq, et l’honorable M. Leclercq ne l'a pas fait cesser.
(Interruption de la part de M. Rogier.)
M. Rogier, permettez ; je donnerai lecture de la lettre de M. Leclercq ; j'ai
dit et j'ai répété dernièrement que c'était M. Raikem qui avait fait mettre
l'individu en question en liberté, et que M. Leclercq l'avait fail rentrer en
prison ; mais j'ajoute que M. Leclercq avait sciemment toléré ce qui avait été
commencé par M. Raikem. Voici la lettre de l'honorable M. Leclercq :
« Bruxelles, le 22 mai 1843.
« A M. l'administrateur de la banque
liégeoise.
« Répondant à votre lettre du 15 de ce mois,
n°4657, adressée à M. le secrétaire général, j'ai l'honneur de vous faire
connaître que le transfert du nommé Hennebert dans la maison de santé du sieur
Kalker n'est point un élargissement, n'interrompt point la peine à laquelle il
a été condamné, et qu'ainsi la banque qui l'a recommandé ne lui doit point
d'aliments.
« Cette mesure a été provoquée par l'avis des
médecins, qui ont déclaré que l'état de santé du condamné était tel que le
séjour de Vilvorde lui serait mortel.
« Du reste, la recommandation pour dette dont ledit
Hennebert est passible, recevra son effet dans l'établissement du sieur Kalker
comme à Vilvorde.
« Recevez, monsieur, l'assurance de mes
sentiments distingués.
« Le ministre,
« Signé, Leclercq. »
Ainsi, messieurs, l'honorable M. Leclercq savait
qu'un individu qui avait été condamné criminellement et qui n'avait pas été
relâché par suite d'un arrêté royal, se trouvait dans une maison non destinée à
subir des peines. Cependant, cet état de choses a été maintenu.
Je demande si en présence de ces antécédents de
cette pratique constante, je ne puis pas être parfaitement tranquille sur la
légalité de l'acte que j'ai posé, si je ne puis pas dire que cet acte est
justifié non seulement en lui-même, mais encore par les précédents posés par
des hommes dont la chambre, comme moi, apprécie les capacités et le caractère.
Je crois, à l'aide de ces considérations et des
pièces dont je viens de donner lecture, avoir suffisamment établi la légalité
de la mesure que j'ai cru pouvoir prendre.
Je passe à la seconde question, à la question
d'intention, à la question d'appréciation des faits, à la question de bonne
foi.
D'abord, messieurs, qu'il me soit permis de vous
dire un mot du condamné lui-même.
Je n'ai certes pas besoin d'affirmer à la chambre
que cet individu m'était totalement inconnu. J'ignorais, au moment où la mesure
a été prise, tous les antécédents du nommé Retsin, je ne connaissais pas son
avancement rapide, je ne connaissais pas les motifs à l'aide desquels on
prétend que des avancements successifs ont été obtenus ; en un mot, Retsin
m'était totalement inconnu.
Depuis, messieurs, je me suis enquis des
antécédents de cet homme, dans la carrière où il a commis le fait qui a amené
sa condamnation et par suite sa destitution.
Voici sa carrière. Retsin a été nommé receveur à
Rethy, le 16 avril 1840 ; il a été promu à la recette de Moerzeke, le 11
novembre 1840 ; il a été enfin appelé à la recette de Jemmapes, le 22 décembre
1842.
Plusieurs ministères ont donc contribué à lui
procurer cet avancement.
Et, messieurs, sans devoir invoquer l'influence
d'un pouvoir occulte, n'est-il pas plus juste de dire que cet habile hypocrite
est parvenu sous tous les ministères, sous le ministère de 1840, comme sous
celui qui l'a précédé et sous celui qui l'a suivi, à tromper la religion de ses
chefs, et, à force d'astuce, à obtenir les promotions qui lui ont été accordées
sous des ministères de couleur différente.
Pourquoi venir attribuer à un pouvoir occulte
les promotions obtenues par Retsin sous deux ministères et considérer sans
doute comme parfaitement régulière et méritée celle qui lui a été accordée sous
le ministère de 1840 ?
Ni le ministère dont j'ai eu l'honneur de faire
partie avec l'honorable M. Nothomb, ni celui où se trouvait l'honorable M. Van de
Weyer, ni le cabinet actuel n'ont rien à justifier quant aux avancements
accordés à Retsin. Le seul acte posé à son égard sous un des ministères dont
j'ai eu l'honneur de faire partie, est un acte de destitution.
Je passe à l'examen des pièces dont on m'a
demandé la communication. Je dois déclarer que toutes les pièces, sans
exception aucune, seront communiquées à la chambre, et je vais en donner
lecture immédiatement.
(page
1119) Si je ne fournis pas toutes les pièces qui m'ont été demandées hier,
je prie les honorables membres qui en ont fait la demande d'indiquer celles
qu'ils pourraient encore désirer.
La première pièce est la requête adressée au Roi
par Retsin pour obtenir de pouvoir être transféré dans une maison de santé.
Voici cette requête :
« Sire,
« Par ma requête du mois d'octobre et par une
lettre particulière du 14 décembre dernier, qui ont été adressées à Votre
Majesté sous le couvert de M. Conway secrétaire, j'ai eu la confiance de
solliciter de Votre Majesté ma grâce pour la détention à laquelle je suis
malheureusement condamné par le tribunal de Mons. Cette grâce, Sire, j'ai la
confiance de la demander très respectueusement de nouveau, la honte sur le
front, car de ma vie je n'ai eu l'intention d'être injuste ou de nuire à qui
que ce soit, et mon dévouement sous beaucoup de rapports en est un garant bien
sûr et bien connu dans bien des familles distinguées. » (Hilarité.)
Il y a beaucoup d'autres choses qui exciteront
peut-être l'hilarité dans cette requête, mais je ne pense pas qu'on veuille
nous rendre responsable de ce qu'écrit Retsin. (Non ! non !)
« Cette grâce, Sire, j'ose la solliciter de
nouveau, parce qu'à mon âge de 50 ans, d'une faible santé, habitué à une vie
tranquille et réglée, je me sens tout démoralisé, épuisé, et dans l'impossibilité
de soutenir la détention, et plus encore pour pouvoir soigner, consoler et
soutenir de vieux parents, un oncle et une tante âgés, de 86 ans et tout usés,
qui m'ont servi de père et mère, et qui par leurs uniques économies m'ont
grandement aidé par leurs uniques ressources à faire le bien, tant de bien à la
cause de l'Etat.
« Ces vertueux et infortunés parents, je leur ai
de grandes obligations ; j'étais leur enfant ; j'espérais bien être leur
soutien.
« J'ai lieu de croire qu'ils ignorent encore ma
pénible condamnation ; je voudrais leur épargner cette honte avant leur mort,
qui à leur âge peut j arriver tous les jours.
« Voilà sept mois, Sire, que je souffre une
cruelle détention accompagnée de tant de circonstances douloureuses ; ma santé,
sous le rapport physique et moral, en souffre beaucoup, je me sens affaissé
sous tant de maux, et que finalement j'en perdrai la raison.
« S'il n'est pas dans les convenances de la
justice de m’accorder cette grâce, Sire, si nécessaire pour sauver encore
quelques jours de vie, j'ose offrir en commutation de ma détention, tout ce que
je possède encore au monde, c'est-à-dire les 10 à 11,000 fr., que je possède
encore en propriété dans mon cautionnement de 16.200 fr.. versés entre les
mains de l'Etat.
« J'offrirais de grand cœur une plus forte
somme, mais après cela, il ne me restera plus que du linge de corps, pas
d'habillements, quelques petits meubles et tableaux, si déjà un ami n'a vendu
ces derniers pour subvenir à mes besoins depuis 14 mois, régler peut-être quelques
comptes, et récompenser un peu un domestique d'âge et fidèle.
« Et s'il ne fut pas encore dans les convenances
de la justice que Votre Majesté accueillît l'une ou l'autre de ces demandes, oserais-je,
Sire, solliciter de Votre Majesté la grâce d'être transféré de suite à
l’établissement-hospice des sœurs hospitalières à Opbrakel, Flandre orientale,
qui ont un bâtiment séparé pour pensionnaires. C'est un des endroits les plus
pauvres, les plus isolés de la Belgique, mais très sain ; je pourrais y
rétablir ma santé et sauver encore quelques jours, que je ne désire conserver
que pour ne pas avoir le remords d'avoir avancé, par une honteuse et pénible
condamnation, la mort de mes infortunés parents, s'ils parviennent jamais à la
connaître et que je vais ne plus pouvoir voiler.
« En effet, quand on entend ma conduite, mes
malheurs sans exemple, il y a de quoi perdre la raison.
« C'est la grâce que je sollicite très
respectueusement, Sire,
« De Votre Majesté, le très humble, très
respectueux et très fidèle sujet.
« Signé, Ch. Retsin. »
Un membre. - Quelle est la date ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Le 20 janvier 1846. Voici maintenant,
messieurs, le rapport que sur cette pétition m'adressait le procureur général
de Bruxelles.
« M. le ministre,
« J'ai l'honneur de vous renvoyer, avec le
rapport de M. le procureur du roi de Mons, la requête que le condamné Retsin a
adressée au Roi et que vous m'avez transmise par apostille du 11 février, 2°
division, 1er bureau, n° 14527.
« Le rapport du parquet de Mons démontre à la
dernière évidence que le condamné ne mérite aucune faveur : sa cause était
tellement mauvaise, que par un exemple en quelque sorte unique dans les fastes
judiciaires, trois avocats recommandables ont dû renoncer à la défense. La
faculté de subir son emprisonnement à Bruxelles est déjà une grâce qui ne
s'accorde que bien rarement pour des peines aussi longues, et je ne pense pas
que le gouvernement, s'il était disposé à faire une nouvelle faveur à un homme
qui en est complétement indigne, pût jamais se résoudre à le faire transférer,
comme Retsin le demande, à l'hospice des sœurs hospitalières d'Opbrakel, car
cet hospice n'est pas une prison ; je suis même porté à croire qu'il n'est pas
un établissement public, qu'il forme une institution particulière, et les
articles 615 et suivant du code d'instruction criminelle démontrent qu'il est
impossible d'y séquestrer un individu condamné criminellement ou
correctionnellement.
« (Signé) De Bavay. »
Vous voyez que l'honorable procureur général
aurait condamné la mesure prise antérieurement à l'égard du condamné dont j'ai
parlé tout à l'heure, et qu'on avait autorisé à subir sa peine dans une maison
qui n'était pas une prison.
Voici maintenant le rapport de M. le procureur
du roi de Mons que M. le procureur général annonce :
« Le procureur du roi dit :
« Que les faits de cette affaire étaient des
plus clairement établis et tout à la fois des plus odieux ; au point que les
trois conseils du condamné, avocats honorables et hommes de talent, ont déclaré
à l'audience qu'ils s'abstiendraient de prendre la parole pour la défense de
leur client ;
« Qu'en effet, voici sommairement ce qui est
indubitablement prouvé. (Suit rémunération des faits.) »
La chambre désire-t-elle que je lui donne
lecture de cette communication ?
Plusieurs voix. - Oui ! oui !
D’autres voix. - C'est inutile !
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si l'on veut, je déposerai la pièce sur le
bureau où chacun pourra en prendre connaissance.
Plusieurs voix. - Oui ! oui !
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - « Sur tout ce qui précède, les faits peuvent
être posés et vérifiés pièces en mains, ainsi que l'a fait le ministère public
devant le tribunal de Mons.
« Pourquoi le soussigné énonce qu'on ne saurait
citer quoi que ce soit qui puisse motiver une demande en grâce de la part de
Retsin et que les circonstances les plus graves et les plus concluantes se
réunissent pour réclamer l'exécution pleine et entière du jugement du 28 août
1845.
« Aussi le soussigné estime que la demande de
Retsin doit être entièrement rejetée.
« 15 février 1846.
« Signé, Marbaix. »
Maintenant, messieurs, à la suite de ce rapport
que m'avait fait le procureur général, et sur ce rapport même, j'avais annoté
de ma main ces mots :
« Sans suite pour le moment.
« 24 février 1846. »
J'arrive aux actes et renseignements qui ont
motivé la mesure qui a été prise.
Le 23 mars 1846 je reçus le rapport suivant de
l'administrateur des prisons :
« Monsieur le ministre,
» Il résulte de divers certificats qui m'ont été
soumis et de renseignements qui m'ont été fournis sur l'état actuel de la santé
du nommé Retsin, que l'humanité réclame en sa faveur une mesure complémentaire
de celle que concerne l'arrêté royval du 27 octobre dernier.
« Comme vous m'avez témoigné votre intention
bien arrêtée de n'accorder aucune grâce à cet individu et de ne plus modifier
la peine à laquelle il a été condamné, je crois pouvoir me borner à venir
solliciter en sa faveur la grâce de se faire traiter pendant quelque temps dans
une maison de santé particulière, et à la charge de se constituer ultérieurement
prisonnier pour achever sa peine. Je suis convaincu, M. le ministre, qu'il
n'abusera pas de cette mise en liberté provisoire pour quitter le pays.
J'ajouterai que cette mesure, pratiquée en diverses circonstances, n'aura pas
pour effet de diminuer même indirectement la durée de sa peine, puisque c'est
d'un simple sursis à l'exécution du jugement qu'il s'agit dans l'occurrence.
« J'ai, en conséquence, l’honneur de soumettre à
votre signature le projet d'arrêté ci-joint.
« (Signé) Hody. »
L'arrêté qui a été pris par moi le 25 mars 1846,
à la suite de ce rapport, est ainsi conçu :
« Le ministre de la justice,
« Vu la requête du nommé Charles Retsin, en date
du 20 janvier dernier, condamné à 5 années d'emprisonnement par jugement du
tribunal correctionnel de Mons, actuellement détenu dans la maison de sûreté de
Bruxelles, tendant à être autorisé à se rendre à l'hospice des sœurs
hospitalières d'Opbrakel (Flandre orientale), à l'effet d'y être traité et
soigné en raison de la maladie dont il est atteint.
« Considérant que la santé de ce détenu
exige certains soins qu'il n'est pas possible de lui procurer dans ladite
prison, et qu'il y a lieu de lui accorder un sursis à l'exécution de son
jugement,
« Arrête :
« M. le directeur de la maison de sûreté de
Bruxelles est autorisé à mettre en liberté provisoire le nommé Charles Retsin
prémentionné, afin qu'il puisse se faire traiter dans une maison de santé
particulière et à la charge de se constituer ultérieurement prisonnier afin de
subir le restant de sa peine. »
Je vais maintenant faire connaître la
correspondance ultérieure que j'ai eue relativement à cette affaire.(C'est
probablement à cette correspondance que l'honorable M. Dolez a fait allusion.)
« Bruxelles, le 28 mars 1816.
(La mesure était du 25 ; celle lettre est du 28
; mais l'indicateur de mon département fait foi qu'elle n'y est parvenue que le
30.)
« Monsieur le ministre,
« M. N... vient de m'informer que je recevrais
incessamment une disposition qui autoriserait la mise en liberté provisoire du
condamné Charles Retsin, actuellement détenu en cette ville, et à qui on
accorderait l'autorisation de séjourner chez son vieux père, pour y rétablir sa
santé. Si je reçois une disposition semblable, je m'empresserai de la mettre à
exécution ; mais en attendant qu'elle soit portée, je crois devoir vous
informer, M. le ministre, (page 1120) que Retsin est entré aux Petits-Carmes le 16
septembre 1845, et que depuis six mois qu'il y séjourne, il n'a jamais accusé
aucune indisposition, ni reçu la visite d'aucun médecin. J'ai cru ne pas
pouvoir vous laisser ignorer cette circonstance au moment où l'on fait de
nombreuses démarches auprès de vous dans l'intérêt du condamné.
« Le procureur général,
« (Signé) de Bavay. »
Comme je vous le disais, cette lettre m'est
parvenue le 30 mars. La date seule vous indique que ce jour-là je n'ai pas eu
beaucoup de loisir pour m'occuper des affaires de mon département. Cette lettre
n'a été lue par moi que le 31 mars, en même temps que je recevais la lettre de
M. le procureur général en date du 30.
Voici la deuxième lettre de l'honorable M. de
Bavay :
« Monsieur le ministre,
« Lorsque j'ai eu l'honneur de vous écrire, au
sujet du condamné Charles Retsin, ma lettre du 28 mars, je n'avais pas songé à
m'enquérir de la véritable position de cet individu. Mieux éclairé aujourd'hui,
je pense, M. le ministre, que toutes les dispositions qui peuvent être prises à
son égard me sont totalement étrangères, et que ce n'est pas à moi, mais à la
commission administrative des prisons, que leur exécution doit appartenir.
« Retsin a été condamné, en effet, le 28 août
dernier, par le tribunal correctionnel de Mons au maximum des peines établies
par les articles 171 et 172 du code pénal, pour avoir détourné les deniers
publics et privés, reçus par lui et confiés à sa garde comme comptable de
l'Etat.
« Il s'est pourvu devant la cour, mais il s'est
désisté de son appel, le seize octobre, et le Roi l’a autorisé, par un arrêté
du 27, à subir le restant de sa peine dans la maison de sûreté de Bruxelles ou
dans toute autre maison d'arrêt à désigner par vous. Il est donc évident, M. le
ministre, que la maison de sûreté de Bruxelles n'a plus été pour Retsin, depuis
le 27 octobre dernier, une maison d'arrêt ou de passage, mais une véritable
prison pour peine ; que depuis cette époque aussi Retsin ne se trouve plus à ma
disposition, mais qu'il est exclusivement soumis à l'autorité administrative ;
et dans cet état de choses, la pratique constante et le texte de l'article 14
de l’arrêté du 13 juillet 1831, démontrent que ce n'est pas l'autorité
judiciaire, mais l'administration seule qui doit intervenir.
« Le procureur général,
« (Signé)
De Bavay. »
Il y avait erreur de la part de M. le procureur général,
qui croyait qu'il s'agissait de l’exécution d'un arrêté de grâce, tandis qu'il
ne s'agissait que d'une suspension de peine.
Quoi qu'il en soit, à la réception de ces
lettres, je priai M. l'administrateur des prisons de se rendre dans mon
cabinet, et en lui donnant lecture moi- même de ces lettres, je lui dis que,
comme elles étaient en opposition avec le rapport que lui-même m'avait fait,
j'avais l'intention de faire visiter de nouveau Retsin pour m'assurer s'il
était réellement malade.
Je retins le dossier de l'affaire, et il fut
convenu qu'il ne serait donné aucune suite à la mesure qui avait été prise.
Quelques jours après (je ne me rappelle pas
précisément la date, mais je crois que c'était vers le 7 ou le 8 avril)
quelqu'un vint m'informer que le nommé Retsin avait été mis en liberté. Je
répondis à l'instant que cela n'était pas possible, attendu que l’ordre de mise
en liberté donné au procureur général avait été retiré.
J'écrivis à l'instant à M. l'administrateur des
prisons en le priant de s'informer de ce qui en était ; information prise, il
vint près de moi, et me dit qu'en effet Retsin avait été mis en liberté par
suite d'une communication faite au directeur de la prison par M. le gouverneur
du Brabant à qui l'arrêté du 25 mars avait été adressé, non pour exécution,
mais pour information.
Hier, en rentrant de la séance, j'ai écrit la
note suivante à M. l'administrateur, pour m'assurer si mes souvenirs étaient
fidèles :
« Je prie M. l'administrateur de vouloir
rechercher la note que je lui ai adressée quand j'ai appris la mise en liberté
de Retsin et de me mettre par écrit, autant qu'il puisse se la rappeler, la
conversation que nous avons eue à ce sujet. »
M. Hody m'a répondu par la lettre suivante :
« Bruxelles, le 24 avril 1846.
« Monsieur le ministre,
« Il m'est impossible de retrouver la note par
laquelle vous me demandiez si Retsin était réellement mis en liberté, bien que
vous eussiez retenu le dossier et le rapport par lequel M. de Bavay annonçait
n'avoir pas exécuté votre arrêté.
« A ce moment, j'ignorais moi-même
l'élargissement et il me surprit également, puisque je connaissais votre
intention de soumettre l'affaire à un nouvel examen, par suite du référé du
procureur général.
« Je fis prendre à l'instant des informations à la
maison de sûreté et j'appris ainsi que Retsin avait été mis en liberté sur le
vu de votre expédition du 25 mars, expédition qu'il avait reçue de M. le
gouverneur, à qui elle avait été adressée pour information. (Voir l'annotation
marginale de votre arrêté.)
« Ce fut à la fin de la conversation dans
laquelle je vous expliquai cette fâcheuse circonstance que vous me donnâtes
l’ordre (Messieurs, j'insiste sur ce point parce qu'il indique de la manière la
plus évidente l'entière bonne foi que j'ai mise dans cette affaire) de préparer
sans le moindre retard la dépêche qui a été adressée le 10 avril à M.
Desmaisières
« Depuis le moment où j'ai pu croire que
Retsin avait trompé ma religion, vous savez, M. le ministre, que
l'administration n'a rien négligé pour arriver à la découverte du condamné.
« En ce qui concerne l'opinion que plusieurs
paraissent avoir sur l'état de la santé de Retsin, veuillez-vous rappeler ce
que je vous ai raconté dans le temps an sujet de l'ex-colonel Parent. A
Saint-Bernard, tout le monde était d'avis qu'il allait périr. Vous avez accordé
sa grâce aux sollicitations instantes de la commission administrative, de M. le
gouverneur, des inspecteurs généraux : à peine élargi, il parut jouir d'une
santé florissante, et l’on crut aussi dans le public qu'on nous avait trompés.
Je ne regrette cependant pas la mesure prise en sa faveur, et je pense qu'en
effet, le séjour de la prison eût été mortel pour lui.
« Quant aux certificats concernant l’affection
dont Retsin était atteint, je ne les possède plus ; je les ai restitués, mais
ils étaient de nature à justifier la proposition que j'ai faite.
« Signé : Hody. »
Voilà la lettre que m'a écrite M.
l'administrateur des prisons, à la suite de la note que je lui avais envoyée
pour lui demander de me mettre à même de faire connaître à la chambre, non
seulement ce que je me rappelais, mais encore ce que j'aurais pu avoir oublié,
et dont lui, fonctionnaire des plus honorables, en qui tout le monde doit avoir
la plus grande confiance, avait conservé le souvenir.
C'est ici, messieurs, le point le plus important
de l'affaire, parce qu'il ne peut laisser aucun doute sur mes intentions.
Le 10 avril, immédiatement après la nouvelle de
la mise en liberté de Retsin, qui était, je le répète, la conséquence d'une
erreur, j'ai écrit à M. le gouverneur de la Flandre orientale la lettre que je
vais avoir l'honneur de vous lire :
« M. le gouverneur,
« Le nommé Charles Retsin, condamné à cinq
années d'emprisonnement par jugement du tribunal correctionnel de Mons, a été
autorisé à se rendre à l'hospice des sœurs hospitalières d'Opbrakel (Flandre
orientale), à l'effet d'y être traité et soigné, en raison de la maladie dont
il est atteint, mais à charge de se constituer ultérieurement prisonnier, afin
de subir le restant de sa peine.
« Veuillez, M. le gouverneur, me faire savoir le
plus tôt possible, si le prénommé se trouve actuellement dans ledit hospice, et
dans l'affirmative m'envoyer tous les quinze jours un bulletin signé du
bourgmestre de la commune d'Opbrakel et constatant, d'après la déclaration du
médecin de l'établissement, l'état de la santé du condamné dont il s'agit. »
Voilà la lettre que j'écrivais le 10 avril,
alors mon attention n'avait pas encore été éveillée par la presse. On ne peut
donc pas supposer que cette lettre ait été dictée par les craintes que m'aurait
inspirées la publicité donnée à cette affaire. On ne prétendra sans doute pas
que cette lettre n'était pas écrite dans une intention sérieuse et
consciencieuse ; autrement il faudrait prétendre que le gouverneur de la
Flandre orientale, le bourgmestre de la commune et le médecin de
l'établissement étaient d'accord avec moi, pour préparer des moyens éventuels
de justification !
En présence de cette lettre du 10 avril, qui a
été provoquée par la connaissance de la mise en liberté de Retsin acquise dans
mon cabinet, il ne peut, me semble-t-il. rester le moindre doute sur la bonne
foi qui m'a guidé dans cette affaire depuis le commencement jusqu'à la fin.
Cette lettre du 10 avril, messieurs, a été
rappelée à M. le gouverneur ; le 14 du même mois, et dès le 16, ayant appris
par la lecture d’un journal que Retsin, loin de s'être rendu à Opbrakel, avait
indignement abusé de la faveur qui lui avait été accordée, qu'au lieu de se
rendre à Opbrakel, il avait eu l'impudence de se rendre à Mons, de se rendre à
Jemappes, qui avait été le théâtre de son crime ; à l'instant, et sans attendre
de rapport officiel, sans avoir de réponse à ma lettre du 14 avril, j'ai donné
l’ordre d'arrêter Retsin. Certes, si mon intention avait été, comme on paraît
le supposer, de laisser échapper Retsin, j'aurais pu attendre un rapport
officiel, j'aurais pu dire que je n'avais pas lu
l' « Observateur » (que l’on n'est, du reste, pas le moins du
monde obligé de lire), j'aurais pu dire que je devais attendre un rapport
officiel avant de prendre une nouvelle mesure. Mais j'avais tellement peu
l'intention de laisser Retsin jouir d'une faveur indue, que dès l'instant où
j'ai appris par les journaux qu'il n'était pas à Opbrakel, mais à Bruxelles ou à
Mons, j'ai donné l’ordre de faire procéder à son arrestation. Ma lettre à M. le
procureur général est du 17 avril ; elle est dans, les termes suivants :
« Monsieur le procureur général,
« Il paraît que le nommé Charles Retsin, qui a
été mis en liberté provisoire en vertu de mon arrêté du 25 mars dernier, à
l'effet de se faire traiter et soigner dans la maison de santé qu'il avait
indiquée, en raison de la maladie dont il se disait atteint, au lieu de s'y
rendre immédiatement, circule dans le royaume ; sa présence à Bruxelles a même
été signalée.
« J'ai donc lieu de croire, M. le procureur
général, que ce condamné a trompé ma religion.
« Veuillez en conséquence donner les ordres
nécessaires pour qu'il soit réintégré le plus tôt possible dans la maison de sûreté
de Bruxelles. »
Ainsi, messieurs, vous voyez qu'an procureur
général j'indiquais pourquoi je donnais l’ordre de faire immédiatement procéder
à l’arrestation de Retsin. Je lui disais, comme je l'ai répété à différentes
reprises dans cette enceinte, comme M. l'administrateur de la sûreté publique
me le disait lui-même, que Retsin avait trompé ma religion.
Semblable ordre a été également donné à la
gendarmerie dans toutes les provinces du pays, et dès le 19 avril Retsin était
arrêté. Il a été réintégré dans la prison de Bruxelles, et par suite d'une
nouvelle disposition prise en vertu de l'arrêté qui avait autorisé Retsin à
subir sa peine dans une maison d'arrêt, j'ai donné l’ordre de le transférer
dans la maison d'arrêt de Turnhout, où il subit maintenant sa peine. (Interruption.)
(page
1121) M.
Delehaye. - Pourquoi à Turnhout ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je crois que les honorables membres qui m'interrompent,
savent que dans toutes les villes où il y a des tribunaux de première instance,
il y a des maisons d'arrêt.
M. Delehaye. - Pas pour les condamnés.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je ne pense pas qu'il faille
recommencer la discussion de toute l'affaire. Un arrêté royal a été pris qui
autorise Retsin à subir sa peine dans la maison d'arrêt de Bruxelles ou dans
toute autre maison d'arrêt. C'est par suite de cet arrêté que j'ai donné
l'ordre de transporter Retsin à Turnhout ; et on ne dira certes pas que c’est
une faveur que je lui ai accordée. Je dirai plus, c'est que si même, par suite
de la conduite indigne de Retsin, j'avais pensé qu'il convenait de faire
rapporter l'arrêté qui m'avait autorisé à indiquer une maison d'arrêt où le
condamné subirait sa peine, je ne l'aurais pas fait dans les circonstances
actuelles. Ce n'est pas au moment où nous accordons des grâces nombreuses dans
la prison de Saint-Bernard, à cause de la maladie qui y sévit, que j'aurais
fait rapporter un arrêté qui me dispensait d'y envoyer un condamné.
Le nommé Retsin se trouve maintenant dans la
maison d'arrêt de Turnhout, éloigné de sa famille, éloigné de toutes ses
relations, et certes ne pas le laisser à Bruxelles, lorsque j'avais le droit de
l'y laisser, est évidemment une aggravation de peine.
Vous connaissez maintenant, messieurs, tous les
faits, et je pense avoir complétement justifié ma conduite et mes actes.
Messieurs, on a beaucoup parlé hier de moralité, de probité, d'honneur : ces
mots, messieurs, je pense pouvoir les prononcer aussi haut que tous mes
contradicteurs ; j'ai toujours été guidé par les sentiments que ces mots
expriment, ma conduite constante en fait foi ; sur ce terrain, messieurs, je
dois le dire, je ne crains de comparaison avec personne ; dans tous les cas,
messieurs, ma conscience est tranquille ; intimement convaincu d'avoir rempli
mon devoir dans cette circonstance comme dans toutes les autres, les attaques
que l'on a dirigées contre moi, quelque violentes, quelque injustes qu'elles
aient été, ne sont pas parvenues à m'émouvoir.
Je m'en rapporte, messieurs, entièrement au
jugement de la chambre ; je m'en rapporte à son jugement impartial, avec la
plus parfaite sécurité.
La
chambre pourra peut-être penser que j'aurais dû m'entourer de renseignements
plus complets ; la chambre pourra peut-être penser que dans les circonstances
où se trouvait Retsin, la vindicte publique ne permettait pas d'écouter la voix
de l'humanité. Mais j'ai la conviction intime que la chambre reconnaîtra que
dans toute cette affaire j'ai agi avec la plus entière bonne foi, et que
conséquemment je ne mérite aucun des reproches qui m'ont été adressés hier.
M. Fleussu. - Vous déposez les pièces ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Oui.
M. Delehaye. - Messieurs, je demanderai à M. le ministre de la
justice, qui nous a parlé de l'établissement où Retsin devait aller se faire
soigner, s'il connaît quel genre d'établissement se trouve à Opbrakel. Je pense
que le gouvernement ne peut avoir donné l'ordre à Retsin de se rendre dans un
établissement qu'il ne connaissait pas.
D'un autre côté, nous avons entendu dans le
rapport de M. le ministre de la justice qu'il avait adressé une lettre à M. le
gouverneur de la Flandre occidentale. cette lettre porte la date du 10 avril.
M. le gouverneur devrait y avoir donné une réponse. Mais il n'y a pas répondu ;
et en effet, il eût été difficile que M. le gouverneur s'assurât que Retsin se
trouvait à Opbrakel, car je ne connais dans cette localité qu'un établissement
que l'on me dit être un établissement de jeunes demoiselles.
M. Desmet. - Il y a un hôpital.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je demande la parole.
M. Delehaye. - Dès lors comment M. le gouverneur pouvait-il
répondre qu'il faisait surveiller Retsin dans un établissement sur lequel le
gouvernement n'avait aucune action ?
M. Lejeune. - Messieurs, je demande uniquement la parole pour dire
ce que c'est que la maison d'Opbrakel. M. Delehaye ne connaît là qu'une maison
de jeunes demoiselles. Moi, je connais à Opbrakel un établissement de sœurs
hospitalières reconnu par le gouvernement, et dont les statuts ont été
approuvés. Cet établissement contient un hôpital, c'est une maison de santé où
l'on reçoit les personnes qui veulent s'y faire soigner.
M. Delehaye. - Il est possible que l'honorable M. Lejeune ait à
cet égard des renseignements plus positifs que les miens, puisque cette commune
se trouve dans le district qu'il a administré. Toujours est-il qu'à Opbrakel il
y a un établissement de jeunes demoiselles, contigu à celui dans lequel l’on
voulait colloquer le nommé Retsin.
Messieurs, on conçoit parfaitement bien qu'alors
que M. le ministre de la justice a déclaré que le ministère était venu au
pouvoir pour maintenir la majorité, on se contente des renseignements qui ont
été fournis par le ministre de la justice. On doit être indulgent envers ceux
dont on réclame l'appui.
Mais moi, qui ne compte pas sur l'appui de M. le
ministre, qui n'en veux même pas, il doit m'être permis de dire toute ma façon
de penser. (Réclamations.)
Messieurs, je ne fais que me servir de vos
paroles : le ministère n'a-t-il pas dit qu'il était venu au pouvoir pour
maintenir la majorité ? Or, comme je ne fais pas partie de la majorité, que le
cabinet n'a pas pris le pouvoir pour me maintenir, je puis être un peu plus
difficile.
Je dis
donc, messieurs, que je conçois parfaitement bien que la majorité accepte les
observations de M. le ministre de la justice, quoiqu'il ait commencé par dire
que les pièces nécessaires au procès, que les certificats des médecins aient
disparu. Et cependant la majorité applaudit à ces observations ; vous êtes satisfait,
et l'on a perdu les seules pièces qui justifieraient la mesure !
M. le président. - Vous n'avez la parole que pour demander une
communication des pièces.
M. Delehaye. - C'est ce que je compte faire, M. le président, et
si je m'écartais de l'objet pour lequel j'ai demandé la parole, je vous saurais
gré de m'y rappeler.
Je dis, messieurs, qu'il est étonnant que M. le
ministre de la justice qui a ordonné le transfert de Retsin dans une maison de
santé, n'ait pas pu me dire de quelle nature était cette maison de santé, qu'il
ait fallu qu'un ancien commissaire de district nous donnât ce renseignement. Je
demande ensuite comment on peut concevoir que M. le ministre de la justice
ayant écrit le 10 à M. le gouverneur de la Flandre orientale, il ne sût pas
encore le 18 que Retsin n'était pas dans la maison qu'on lui avait désignée. Il
y a, M. le ministre, dans cette affaire des faits trop graves pour que vous
puissiez légitimement invoquer ces expressions d'honneur, de probité, de
moralité que vous avez fait sonner si haut.
Je
le déclare avec conviction, il est déplorable qu'il ait fallu deux jours à M.
le ministre pour nous apporter le rapport dont il nous a donné communication.
Si l'affaire avait été claire, comme il nous le disait, M. le ministre aurait
su nous donner les indications demandées sur l'établissement d'Opbrakel, il
aurait su nous reproduire les certificats sur lesquels il s'appuyait. La
disparition des certificats des médecins, la translation du condamné sans
escorte, l'opposition du parquet à l'élargissement, tout nous convie à croire
que Retsin doit sa liberté à des causes dont il serait trop pénible de faire
l'aveu.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Delehaye me fait
un grief de ce que j'ai laissé répondre l'honorable M. Lejeune à une
interpellation qu'il m'avait adressée. L'honorable membre n'aura sans doute pas
remarqué que j'avais demandé la parole dès l'instant où l'interpellation
m'avait été faite. Mais l'honorable M. Lejeune connaissant mieux que moi les
localités, j'ai cru devoir lui céder la parole. Du, reste, je n'aurais pu vous
apprendre que ce que l'honorable M. Lejeune vous a dit.
L'honorable M. Delehaye s'étonne de ce qu'il m'a
fallu deux jours pour faire un rapport semblable à celui dont j'ai donné
communication à la chambre. Mais quand ai-je été interpellé ? C'est avant-hier
que l'honorable M. Verhaegen a soulevé cette question. Je n'avais aucune pièce
par devers moi et j'avoue que, dans une discussion aussi solennelle, dans une
discussion politique, je ne m'attendais pas qu'on vînt s'occuper d'une affaire
qui ne me paraissait pas mériter, dans ce moment au moins, l'attention de la
chambre.
Je
conçois qu'à l'occasion du budget de la justice on m'adresse des questions
semblables ; mais dans une discussion telle que celle qui nous occupe alors
qu'il s'agit de l'existence du cabinet, je ne conçois pas qu'on vienne soulever
contre moi un pareil grief et pour un acte qui remonte à une époque antérieure
à la formation du cabinet.
Messieurs, si je n'ai pas fait connaître tous
les détails de cette affaire à la première interpellation, c'est que je n'avais
pas par devers moi les pièces qui vous ont été communiquées aujourd'hui ; mais
dès l'instant qu'on les a demandées hier, je me suis mis en mesure de les
fournir, je les ai fait copier et elles sont maintenant sur le bureau.
M. Dubus (aîné). - Je ne me proposais pas de prendre la parole dans
ce débat. C'est lorsque j'ai entendu d'honorables membres du côté opposé
présenter le ministère nouveau comme étant isolé et les députés de mon opinion
comme résolus de l'abandonner en quelque sorte dans cette discussion, c'est
alors que j'ai pensé que je ne devais pas laisser donner une pareille
interprétation à mon silence.
Les demandes d'explications qui se succédaient
et auxquelles les ministres étaient obligés de répondre, ne laissaient, au
reste, jusqu'ici point de place dans ce débat aux hommes de la majorité.
Depuis que je me suis fait inscrire, un incident
tout à fait inattendu a été jeté dans la discussion. On a dit (et c'est tout à
fait mon opinion) que l'on ne devait pas s'attendre à voir interrompre, en
quelque sorte, les débats si graves qui s'agitent devant vous, par une
discussion sur un fait particulier de la nature de celui dont il s'agit et qui
ne se rattache en aucune manière à la question à l'ordre du jour. On a prétendu
l'y rattacher sous le prétexte que la prérogative royale le droit de faire
grâce, s'y trouvait intéressé, et il se trouve que la grâce qui avait été
demandée a été refusée, sauf un tempérament qui a été accordé par arrêté royal,
en ce qui concernerait le choix du lieu où la peine serait subie.
Cet incident étranger à la discussion, on en a
fait tout à coup la question principale du débat. Il a absorbé exclusivement
l'attention. Tous les efforts ont été réunis pour lui donner une importance
prépondérante dans la discussion. Il semblait, en un mot, que la question de
savoir si vous devez donner ou non votre confiance au ministère nouveau était
celle de savoir si l'on avait eu tort ou raison d'ouvrir provisoirement à
Retsin les portes de la prison.
Aux
interpellations qui avant-hier ont été faites brusquement au ministère dans un
débat qui ne les amenait pas naturellement, le ministre a répondu d'abord
d'après ses souvenirs. Hier on est revenu sur cette question, en réclamant la
communication des pièces ; le ministre ne pouvait pas plus tôt qu'aujourd’hui
communiquer ces pièces et faire un rapport. Ce rapport,(page 1122) j'en ai la conviction, aura dissipé toutes les
préventions des hommes de bonne foi ; il ne restera de doute dans la conscience
d'aucun homme de bonne foi qu'il n'y a point, de reproches sérieux à faire,
dans ce cas-ci, à M. le ministre de la justice. Sa religion a été trompée,
comme dans maintes autres circonstances la religion d'autres ministres a été
aussi trompée, chose à laquelle les ministres sont toujours très exposés ; mais
ce à quoi on s'attache alors c'est à apprécier les motifs qui l'ont déterminé,
et lorsque l’intention est manifestement pure, il ne reste plus de prise aux
attaques.
Sur la question de droit, messieurs, je ne pense
pas qu'il restera des doutes dans nos esprits d'après les développements dans
lesquels M..le ministre est entré. D'une part il fait remarquer que la mesure
qu'il a prise se bornait à suspendre pendant quelque temps l'exécution du
jugement, pour motifs d'humanité. Or, je ne connais, moi, aucune disposition de
loi qui interdise de pareilles mesures appuyées de semblables motifs, et je
suis fondé à croire qu'il n'en existe en effet aucun, lorsque je considère que
ces sortes de mesures sont généralement envisagées comme permises, qu'elles
sont ordinaires et même fréquentes, que les procureurs du roi notamment
prennent en considération la position des personnes condamnées, leur état de
santé, leurs besoins, ou les besoins de leur famille, pour déterminer l'époque
à laquelle elles devront subir leur peine. Cela se fait tous les jours. Ainsi
on accordera à un condamné qui a besoin d'être chez lui pour faire la moisson,
on lui accordera la faculté de la faire, on ne le fera entrer ou réintégrer
dans la prison que lorsque sa moisson sera terminée. Je cite cet exemple, qui
me vient maintenant à l'esprit, mais j'en pourrais citer mille autres, et à
coup sûr, les motifs de santé doivent avoir encore plus de poids en pareille
circonstance que les motifs d'intérêt pécuniaire.
Mais, messieurs, on a cité d'autres exemples ;
on a cité une série d'arrêtés pris depuis 1832 jusqu'en 1840, qui ont consacré
la légalité d'une pareille mesure, ou au moins qui ont été rendus dans la
supposition que cette mesure est parfaitement légale. Décider que cela est
illégal, ce serait, messieurs, décider que tous ces arrêtés qu'on vous a cités,
sont illégaux, que tous ont violé la loi et dans ce cas encore M. le ministre
de la justice se justifierait par ces nombreux précédents qui lui traçaient en
quelque sorte la marche qu'il avait à suivre, précédents qui n'ont jamais été
l'objet d'aucune critique.
Ainsi deux fois en 1832, il est arrivé qu'un
condamné correctionnellement a vu les portes de la prison s'ouvrir pour lui à
la charge de se représenter après un délai déterminé. Le délai était de 6
semaines. Dans la mesure qu'a prise M. le ministre de la justice, il n'a pas pu
fixer de délai d'une manière précise, parce que le motif était un motif de
santé ; c'était jusqu'à ce que la santé de l'individu serait suffisamment
rétablie pour qu'il pût quitter l'hospice dans lequel il était autorisé à se
retirer. Une pareille mesure est, en quelque sorte, la seule que l'on puisse
prendre en semblable circonstance, à moins que l’on ne soutienne que l’individu
devait être accompagné par des gendarmes jusqu'à l’hospice indiqué, et qu'il
devait là subir un véritable emprisonnement ; mais c'est là ce qui serait une
mesure illégale, comme on vous l'a dit, et illégale sous un double rapport ;
elle serait illégale parce que l'hospice n'étant point une prison, on n'y peut
détenir personne ; elle serait illégale parce que faire subir la peine dans un
hospice au lieu de la faire subir dans une prison, c'est manifestement un
adoucissement de la peine, et que cet adoucissement il n'appartient qu'à la
prérogative royale de l'accorder.
Ainsi, messieurs, remarquez-le bien, lorsque se
présentent des motifs d'humanité impérieux, il n'y a que ce mode-là qui soit
légal ; dès que l'individu est hors de prison, il faut qu'il soit censé eu
liberté. Vous ne pouvez pas le faire écrouer dans une maison de santé. On
aurait pu le faire accompagner par des gendarmes jusqu'à l'établissement vers
lequel il était dirigé, mais cela revenait à dire qu'au lieu de lui ouvrir les
portes de la prison à Bruxelles on les lui aurait en quelque sorte ouvertes à
Opbrakel, et en définitive la mesure aurait toujours eu le même caractère,
c'est de mettre l'individu provisoirement en liberté à la charge par lui de se
représenter lorsque sa santé se serait trouvée rétablie.
On vous a cité, messieurs, non seulement des
mesures semblables prises à l'égard d'individus qui avaient été condamnés
correctionnellement, mais à l'égard de deux individus qui avaient été condamnés
pour crime, l'un à dix années de travaux forcés, l'autre pour avoir fabriqué de
faux billets de banque.
Dans le premier de ces deux cas, le condamné a
été également mis en liberté provisoire, jusqu'à ce que sa santé fût rétablie.
Cet acte est de 1833. Dans l'autre cas, celui de 1840, il a été dirigé,
accompagné cette fois par des gendarmes, jusqu'à l'établissement qui avait été
indiqué ; c'est le seul cas où l'on remarque cette différence dans l'exécution
de la mesure, différence qui, du reste, est sans importance pour la question
qui nous occupe, et qui peut-être pourrait s'expliquer par une circonstance
particulière ; c'est que l'individu ayant été condamné pour avoir pratiqué de
faux billets de banque, la banque intéressée l'avait fait recommander, et on a
cru probablement par ce motif ne pouvoir le laisser sortir de la prison que
sous escorte ; c'est sans doute aussi par ce motif qu'on s'est cru obligé, dans
ce cas, de décider qu'il tiendrait prison dans la maison de santé où on l'avait
dirigé, parce qu'en effet il n'y avait pas seulement, relativement à ce
condamné, le lien de l'arrêt criminel, mais encore le lien de la
recommandation, à titre de laquelle le créancier qui l'avait opérée, avait le
droit de le retenir sous les verrous.
Ainsi, au point de vue de la légalité de la
mesure, elle me paraît complétement justifiée, par l'absence de toutes
dispositions prohibitives de mesures semblables (commandées souvent par des
motifs impérieux d'humanité), et par la pratique constante des parquets et du
département de la justice, sous les divers ministres qui se sont succédé dans
ce département.
La légalité de la mesure ainsi suffisamment
établie, il reste à apprécier l'application, l'acte en lui-même.
Ici, messieurs, vous pouvez remarquer que le
ministre qui avait d'abord annoté sur la demande qui lui avait été faite,
qu'elle demeurerait sans suite pour le moment, a reçu un rapport de
l'administrateur des prisons, homme dont les antécédents sont des plus
honorables et bien connus et dont la sévère intégrité est au-dessus de toute
atteinte ; dans ce rapport on attestait l'état fâcheux de la sauté de Retsin et
sa mise en liberté provisoire était réclamée par des motifs pressants
d'humanité. Les faits postérieurs démontrent sans doute que la religion de
l'administrateur de la sûreté publique a été surprise ; il n'y a pas seulement
que les ministres qui sont sujets à être trompés, on trompe aussi quelquefois
des administrateurs généraux et même d'autres fonctionnaires d'un degré
inférieur.
Mais, messieurs, vous conviendrez tous avec moi
qu'il était permis au ministre d'avoir foi dans le rapport de l'administrateur
de la sûreté publique.
En recommandant cette mesure, l'administrateur
transmettait au ministre un projet d'arrêté, c'est l'arrêté qui a été signé par
le ministre le 25 mars 1846 ; il est envoyé au procureur général pour
exécution, au gouverneur pour information. Viennent alors les lettres du
procureur général que M. le ministre de la justice a reçues le 30 et le 31
mars, plusieurs jours par conséquent après l'arrêté qu'il avait pris. A la
lecture de ces rapports du procureur général, qui n'étaient pas du tout en
harmonie avec celui de l'administrateur de la sûreté publique, M. le ministre a
aussitôt un entretien avec cet administrateur, et il est arrêté qu'il ne sera
donné aucune suite à la mesure qui avait été prise ; et en effet le
procureur-général écrivait même qu'il ne l'exécuterait pas. Mais par une
véritable fatalité, l'exécution qui devait être donnée à l'arrêté ministériel
par le fonctionnaire auquel il avait été adressé pour exécution, l'a été par un
autre fonctionnaire auquel il avait été adressé pour information, de sorte que
tandis que M. le ministre croyait et devait croire que Retsin était maintenu en
prison, au moins jusqu'à disposition ultérieure, on lui avait cependant ouvert
les portes de la maison d'arrêt.
Eh bien, dans tout cela en quoi peut-on inculper
le moins du monde la conduite de M. le ministre de la justice ?
C'est alors qu'il fait écrire lettres sur
lettres au gouverneur de la Flandre orientale, pour s'assurer de l'état de
santé de Retsin, et pour constater qu'il était réellement rendu à sa destination.
Et en effet, il ne restait plus alors d'autre
parti à prendre que celui-là, puisque Retsin avait été mis en liberté, en
exécution de l'arrêté du 25 mars, à la condition de se rendre dans l'hospice
d'Opbrakel. Le ministre devait se borner à s'informer s'il s'était réellement
rendu dans cet hospice, et à faire vérifier son état de santé, puisqu'il
s'élevait un doute sérieux sur la vérité de ses allégations sur ce point. Cette
lettre est écrite le 10 avril, et le 14, le ministre la rappelle au gouverneur.
On n'a donc rien négligé pour s'assurer que l'individu s'était rendu dans la maison de santé d'Opbrakel, et
pour réparer l'erreur qui avait été commise.
Enfin, informé que Retsin, au lieu de se rendre
à Opbrakel, était d'abord resté à Bruxelles, et s'était rendu ensuite à Mons et
à Jemmapes, le ministre donne ordre de l'arrêter, et en exécution de cet ordre,
Retsin est réintégré dans la prison.
Voilà, messieurs, toute l'affaire au moyen de
laquelle on a prétendu exciter un sentiment profond d'indignation, comme si
toutes les règles de la morale, de la probité, de l’honneur, avaient été
violées ! C'est une erreur, un malentendu, un des accidents les plus
ordinaires de l'administration d'un ministre.
Il est vrai que l'on a coloré toute cette
affaire au moyen d'une foule d'accessoires, afin de lui donner un caractère
dramatique qui pût faire quelque impression sur vos esprits. Cet homme, c'était
un ancien domestique d'un nonce, c'était un vendeur d'amulettes ; c'était un
homme cher au parti clérical, et la preuve en était dans l'avancement rapide
qu'il avait eu. Lorsqu'on recherche qui sont ceux qui lui ont procuré cet
avancement rapide, il se trouve que cet homme a été avancé par les divers
ministères qui se sont succédé, y compris le ministère de 1840, qui n'avait
sans doute pas la prétention d'être composé d'hommes dévoués au parti qu'on
appelle clérical. Voilà donc encore une accusation qu'on a mise en avant et qui
s'écroule d'elle-même par un simple rapprochement de dates. (Interruption.)
Des députés appartenant à la Flandre et qui
connaissent les antécédents de Retsin, me disent que c'est apparemment
l'imagination de quelques journalistes qui a fait de Retsin un domestique d'un
nonce ; il n'a jamais eu cette qualité ; il était instituteur à Saint-Génois,
avant d'entrer dans l'administration. Cela m'est assuré par les personnes qui
connaissent l'individu et ses antécédents.
Je crois qu'en voilà assez sur cet incident et
qu'il ne s'en agira plus guère dans cette discussion ; nous avons à nous
préoccuper de questions plus graves.
J'arrive, messieurs, à ce que je considère comme
le véritable objet de la discussion. Le cabinet du 30 juillet 1845 s'est
dissous par suite d'un dissentiment que vous connaissez tous ; après une crise
longue, trop longue pour les intérêts du pays, après beaucoup de tentatives
infructueuses pour composer une administration nouvelle, un nouveau cabinet se
présente à vous. Les hommes qui le composent s'annoncent, messieurs, comme
venant continuer la politique de modération qui a dirigé le gouvernement depuis
1830. On semble vouloir tourner en ridicule, du côte opposé, cette profession
de foi (si je puis l'appeler ainsi) de modération, à cause, dit-on, de sa
banalité.
Mais il me semble que le programme qui n'a pas
été accepté par l'autorité royale avait eu recours à cette même banalité ;
c'était aussi en annonçant (page 1123)
des vues de modération et de conciliation, que l'on voulait se concilier en
effet la majorité de cette chambre.
Les hommes du cabinet nouveau vous sont connus ;
ce sont tous des hommes honorables ayant fait leurs preuves ; ce sont tous des
hommes de capacité et de lumières, sincèrement attachés à nos institutions, ce
ne sont pas des hommes sans antécédents ; la plupart ont été aux affaires, et
leurs antécédents mêmes nous donnent la garantie que leur programme sera une
vérité.
Si la crise a été longue, si les tentatives
faites pour reconstituer un ministère ont été nombreuses, la recomposition du
cabinet n'en a été rendue que plus difficile et il me semble que l'on doit
tenir compte de cette difficulté. Mais au moins, tous les hommes sages, amis de
l’ordre, tous les hommes impatients de voir mettre un terme à une crise qui
paralyse toutes les affaires, dont la prolongation déconsidérait le pouvoir, à
une crise qui inquiète le pays, tous ces hommes se réjouiront de la voir enfin
aboutir à un résultat qui nous assure la continuation de cette politique de
modération, de conciliation dont la majorité de cette chambre est la véritable
expression.
On prétend qu'une opinion ne se trouve pas
suffisamment représentée dans le cabinet, qu'il n'est pas assez mixte, pour me
servir d'une expression qu'on a consacrée. Mais il l’est autant que les
circonstances l'ont permis. C'est ce que nos adversaires eux-mêmes sont obligés
de reconnaître. C'est un ministère composé d'hommes de la majorité, pour
diriger les affaires d'accord avec la majorité de cette chambre ; et ceux qui
ne veulent pas d'un pareil ministère, ne veulent pas apparemment qu'on puisse
diriger les affaires du pays ; ils ne veulent pas que le pays soit gouverné.
M. Lebeau. - Je demande la parole.
M. Dubus (aîné). - Ces hommes, messieurs, ne viennent pas la menace à
la bouche vous sommer en quelque sorte de leur accorder votre confiance. Ils ne
viennent pas vous menacer d'une dissolution et de toute l'agitation qui en
serait la suite. Hommes de la majorité, ils se présentent à vous comme
représentant les idées de modération, de conservation et de progrès sage, qui
dominent dans cette majorité, et dans les attaques dirigées contre eux, ce
qu'on leur reproche, c'est précisément d'être des hommes de la majorité et
d'avoir voté, avec la majorité, dans les diverses circonstances qui ont été
rappelées dans le débat ; ce qu'on leur reproche encore, c'est d'avoir accepté
le pouvoir après l’avortement de la combinaison qui y faisait entrer les hommes
de l'opposition.
Ainsi, messieurs, on leur demande compte de la
non-réussite de cette combinaison. Elle n'a pas réussi, vous en connaissez tous
le motif ; il est dans les conditions qui avaient été faites à l'autorité
royale et que celle-ci n'a pas pu accepter.
Cependant, comme je le disais tout à l'heure, ce
cabinet qui faisait à l’autorité royale de pareilles conditions, ce cabinet
mettait aussi en avant les mots de modération et d'impartialité. Ce cabinet,
est-il dit dans le programme, doit trouver sa force, sa stabilité, dans sa
modération, dans son impartialité.
Et quand on lit le programme, on remarque avec
étonnement que les mots de modération et de conciliation hurlent de se trouver
à côté des conditions qui sont faites à la Royauté.
M. Delfosse. - Je demande la parole.
M. Dubus (aîné). - En effet, ce cabinet de modération, comment se
serait-il présenté à vous ? Armé d'arrêtés de dissolution, d'arrêtés de
destitution, en quelque sorte signés d'avance et qu'il aurait levés devant vous
comme un drapeau. Comment se serait-il présenté aux fonctionnaires qui allaient
lui être subordonnés ? Son premier mot était aussi pour leur parler de
destitution, à moins qu'ils ne prêtassent un concours dévoué à la nouvelle
politique. Je demande si c'est là de la modération ; je demande même si c'est
là respecter les convenances.
Mais cette défiance annoncée dès l'abord contre
les fonctionnaires publics, est-elle justifiée par la composition actuelle des
diverses administrations ? Je ne me suis jamais occupé de recherches
statistiques à cet égard ; ce sont nos adversaires qui ont fait ces recherches
et qui conviennent que leur opinion domine parmi les fonctionnaires publics,
que ce sont des hommes de leur opinion qui occupent les postes les plus
importants, les plus influents ; et ce sont eux qui, dès leur début aux
affaires, auraient mis en défiance tous les fonctionnaires publics, en les
menaçant d'avance d'une destitution.
Mais ces fonctionnaires qu'on menaçait quels
étaient-ils ? Quels sont ceux sur lesquels on voulait peser au moyen de cette
menace ? Le programme ne s'en explique pas. La disposition du programme est
toute générale, sans aucune exception. Elle serait applicable aux
fonctionnaires amovibles membres de cette chambre, tomme a tous les autres
fonctionnaires.
A la vérité, d'honorables membres du côté opposé
ont d'avance prétendu qu'il n'en devait pas être ainsi. Ces membres ne devaient
pas faire partie du nouveau ministère ; je ne sais pas de qui ils ont tenu
leurs renseignements à cet égard ; c'est dans le programme que je devrais lire
ce que je trouve seulement dans leur bouche après que la combinaison a échoué.
J'ai d'ailleurs conservé la mémoire de quelques
faits : je me souviens qu'en 1833 une doctrine toute contraire a été proclamée
par celui qui devait être le chef de l'administration nouvelle. En 1833, un
fonctionnaire amovible membre de cette chambre a été destitué par l'honorable
membre, alors ministre de l'intérieur. On n'avait pas le moindre reproche à
faire à ce fonctionnaire, quant aux actes relatifs aux fonctions qu'il
remplissait en dehors de cette chambre. Comment justifierait-on cette
destitution devant la chambre ? En disant qu'on avait destitué ce fonctionnaire
pour sa conduite parlementaire, parce qu'il avait fait de l'opposition au
gouvernement, dans le parlement. On est venu justifier la destitution, en
posant en principe que dans des matières importantes les fonctionnaires publics
membres de cette chambre n'avaient que le choix doit de donner leur démission
de fonctionnaire public ou de voter avec le ministère.
M. Rogier. - Non ; cela est inexact.
M. Dubus (aîné). - Voilà les doctrines qu'on proclamait en 1833, et
elles ont fait une telle impression sur cette chambre, que c'est à cause de
cette doctrine que la chambre a adopté ensuite une proposition qui n'a pas été
adoptée par le sénat, et qui déclarait incompatibles les fonctions amovibles
avec le mandat de représentant. La chambre n'eût jamais songé à une pareille
mesure, si l’on n'avait pas ainsi mis en doute l'indépendance des
fonctionnaires publics membres de cette chambre. Voilà ce qui se passait en
1833.
En 1840, à propos d'une interpellation que
j'avais faite, l'honorable membre, alors ministre des travaux publics, a déclaré
qu'il persévérait dans la même doctrine.
Ainsi cette même doctrine de la destitution des
fonctionnaires publics, membres de cette chambre, qui feraient de l'opposition
au gouvernement, dans les matières importantes, dans les questions de cabinet
par exemple, on la soutenait encore en 1840.
Un député de Bruxelles a prétendu que lui et ses
collègues étaient tous d'accord du côté opposé pour reconnaître que
l'indépendance des fonctionnaires publics membres de cette chambre devait être
respectée, qu'ainsi l'article du programme ne les regardait pas. Je prends à
profit cette déclaration, parce que je tiens à voir abandonner cette doctrine
que j'ai combattue en 1833 ; mais je répète que cela n'est pas écrit dans le
programme.
M. Rogier. - Je vous invite à lire mon opinion.
M. Dubus (aîné). - Je me
souviens parfaitement qu'en 1833 on a déclaré que l'honorable député auquel
j'ai fait allusion avait été destitué de ses fonctions de commissaire de district
pour sa conduite parlementaire.
M. Rogier. - En quels termes ?
M. Dubus (aîné). - Quant à ces termes, la question n'est que du 'plus
ou du moins. Vous prétendez vous sauver en disant : Nous ne voulons de
destitution que quand on fait une opposition systématique.
M. Rogier. - Une opposition invétérée et violente dans les
termes et dans la forme !
M. Dubus (aîné). - C'est toujours une atteinte à l'indépendance du
député.
Quant à l'opposition violente, systématique,
elle n'était pas nouvelle alors dans la chambre ; nous y avons été habitués
depuis ; et l'honorable membre qui, d'après son programme, est si hostile à
l'opposition, nous a montré par ce qu'il a fait, depuis 1841, ce que c'est
qu'une opposition systématique et persévérante.
J'ai dit que son premier mot aux fonctionnaires
avait été de leur parler de leur destitution ; son premier mot à la chambre a
été de lui poser cette alternative : Ou accordez-nous votre confiance, ou bien
la chambre sera dissoute.
Maintenant, je le demande encore une fois :
Poser en face à la chambre, à l'un des grands pouvoirs de l'Etat, une pareille
alternative, est-ce de la modération ?
Est-ce respecter
les convenances qui doivent être observées envers les grands pouvoirs de
l'Etat ? N'est-ce pas annoncer, au contraire, la prétention de faire à une
partie de la chambre au moins une violence morale ? N'est-ce pas croire une
partie de la chambre capable de sacrifier ses convictions à la crainte d'une
sorte de coup d'Etat qui amène toujours une grande agitation dans le pays ?
On vous aurait demandé votre confiance à peine
de dissolution !
Ce n'est pas tout : la majorité de cette chambre
a voté, à des dates peu éloignées, certaines lois qui ont été repoussées alors
par les honorables membres du côté opposé. On aurait demandé à cette même
majorité de rapporter les lois qu'elle avait votées, et toujours à peine de
dissolution.
Je demande encore si c'était de la modération,
si c'était respecter les convenances qui doivent être observées.
Je vous prie de remarquer quelle position
c'était faire à la majorité de la chambre ; c'était la mettre dans cette
situation que, dans le cas même où cette majorité eût été de l'opinion qu'il y
avait lieu à rapporter ces lois, elle ne pouvait plus le faire sans manquer à
sa dignité, sans paraître céder à la peur, à la menace.
Voilà les conditions qu'on prétendait être des
conditions ordinaires qui ne pouvaient être refusées par l'autorité royale que
parce que cette autorité n'était pas libre ; car c'est là encore le langage de
nos adversaires, qui apparemment encore font preuve par-là de leur esprit de
modération !
Ainsi, il me semble impossible de justifier un
programme qui eût placé les chambres dans une pareille situation. Voilà pour
les chambres.
Mais quant à l'autorité royale elle-même, le
programme n'est-il pas encore évidemment inacceptable ? Ne faisait-on pas
aliéner à l'autorité royale sa prérogative pendant une période de quinze mois ?
Et quelle est la nature de cette prérogative ? D'après la Constitution, le Roi
nomme et révoque les ministres ; il faut qu'il ait toujours le droit de
renvoyer son ministère et d'en prendre un autre ; c'est ce que personne ne peut
contester.
D'après la Constitution, le Roi a également le
droit de dissoudre les chambres ; il peut arriver, en effet, un dissentiment
entre le gouvernement et les chambres ou ‘une d'elles, qui arrête la marche de
l'administration. Dans ce cas le Roi a un véritable jugement à prononcer dans
l’intérêt du pays.
(page
1124) Le Roi prononce, après avoir pris connaissance des faits, éclairé par
le débat même où le dissentiment s'est révélé.
C'est une haute et véritable magistrature
suprême qui lui est déférée. Le Roi, dans l'intérêt du pays, se prononce ou en
faveur des chambres, en renvoyant le ministère, ou en faveur du ministère, en
prononçant la dissolution des chambres. Le Roi, dans une question d'une si
haute gravité, ne saurait procéder avec trop de maturité ; il doit apprécier et
l'objet même du débat et l'opportunité des circonstances, juger enfin en grande
connaissance de cause.
Eh bien, ici, avant même que le dissentiment ne soit
né, la question serait tranchée d'avance contre la chambre et au profit du
ministère. Le vœu de la Constitution se trouvait ainsi mis tout à fait à
l'écart.
Ce sont, dit-on, des cas déterminés. S'il en
était ainsi, je dirais encore que pour ces cas déterminés, mais futurs, on ne
devait pas prononcer d'avance. Il y a toujours ici violation de la règle. Mais
l'objection tombe à la simple lecture du programme, qui est conçu en de tels
termes qu'il est difficile d'imaginer un cas de dissentiment assez grave pour
rendre la dissolution nécessaire qui ne soit pas compris dans l'un ou l'autre
paragraphe.
En effet, toute question semblable serait
considérée par le ministère comme question de cabinet, comme question de
confiance, et pour toutes les questions de confiance on s'était réservé le
droit de dissolution.
Par ce programme, messieurs, cela est évident à
mes yeux, la prérogative royale passait tout entière au ministère pour le terme
de quinze mois. Il devenait juge et partie dans sa cause avec les chambres pendant
quinze mois ; il s'imposait a la Royauté pendant quinze mois.
Un honorable membre du côté opposé, député de
Mons, a contesté ce caractère du programme. Il vous a dit : Mais, ce n'était
pas un contrat que ce programme, c'était un simple engagement moral qui
disparaît dès qu'il se présente un cabinet. Mais, messieurs, ceux mêmes qui ont
stipulé ces conditions, pour les justifier, vous disent qu'ils avaient leurs
garanties à prendre et qu'au moyen de ces concessions ils prenaient leurs
garanties dans l'intérêt de la cause qu'ils voulaient représenter au ministère.
Ils entendaient donc bien lier la Royauté.
Je le demande, messieurs, la dignité royale ne
se serait-elle pas trouvée blessée par un pareil acte, où il était pris des
garanties contre elle-même ?
Pour justifier cela, avec la même modération que
j'ai déjà signalée jusqu'ici, on proclame que le Roi n'est pas libre.
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole.
M. Dubus (aîné). - Toutes les avenues du pouvoir, vous dit-on, sont
dominées par un parti.
Le Roi n'est pas libre ! Quelles sont les
preuves de ce défaut de liberté ?
D'abord la non-acceptation du programme.
Mais, messieurs, si le Roi avait accepté un
pareil programme, c'est alors qu'il eût été vrai de dire qu'il n'était pas
libre, qu'il avait aliéné sa liberté.
Seconde preuve que le Roi n'est pas libre, c'est
la retraite du ministère de l'honorable M. Van de Weyer et l'avènement au
pouvoir de ses collègues. La retraite du ministère de M. Van de Weyer, encore
une fois les causes en sont connues. Le dissentiment qui s'était manifesté
entre lui et ses collègues sur une seule question, lui paraissait assez grave
pour qu'il ne pût pas continuer à gérer avec eux les affaires du pays. Après que
tous eurent donne leur démission, c'est lui le premier qui a été chargé de
composer une nouvelle administration. Il n'y a pas réussi. Il est venu en faire
la déclaration à la chambre le 7 mars.
Et quelle était la nature de ce dissentiment ?
L'honorable M. Van de Weyer se trouvait sur ce point dans le ministère le seul
de son opinion. Tous les autres membres du cabinet, y compris l'honorable M.
d'Hoffschmidt, regardaient le projet de loi sur l'enseignement, tel que le
formulait M. Van de Weyer, comme inacceptable et comme ne pouvant être accepté
par la majorité de cette chambre. Voilà quelle était la nature du dissentiment.
Il y a plus : c'est que d'après la déclaration
que nous a faite dans une séance précédente l'honorable M. d'Hoffschmidt, il
paraît que le projet de M. Van de Weyer n'était pas même accepté par les
honorables membres qui devaient composer le nouveau cabinet. Car l'honorable M.
de Brouckere ayant expliqué à l'honorable M. d'Hoffschmidt de quelle manière ce
cabinet entendait régler l'enseignement moyen, l'honorable M. d'Hoffschmidt,
qui avait trouvé que le projet de M. Van de Weyer était inacceptable et ne
pourrait ramener la majorité de la chambre, a cru cette fois que le projet,
dont l'honorable M. de Brouckere lui expliquait les bases, serait accepté par
la majorité et que lui-même pouvait s'y rallier.
Maintenant, est-ce à ceux qui n'acceptent pas
eux-mêmes le projet de M. Van de Weyer, à venir demander pourquoi ce n'est pas
lui qui est demeuré ministre, afin de le soutenir devant la chambre ?
Sur cette question de l'enseignement, messieurs,
des faits antérieurs doivent être rappelés à la chambre.
Le projet de loi dont la chambre est saisie a
été présenté en 1834 par l'honorable M. Rogier lui-même. Sur ce projet,
l'honorable M. Devaux s'était mis d'accord avec l'honorable M. de Theux ; car
tous deux faisaient partie de la commission qui l'a élaboré. Le ministère de
1840, dont l'honorable M. Rogier faisait partie, annonçait aussi que c'était
conformément à ce projet qu'il entendait régler l'enseignement moyen.
L'honorable M. Devaux disait alors qu'il voulait ce projet, rien de plus, rien
de moins. Enfin le ministère du 30 juillet nous avait aussi annoncé les bases
du projet de 1834 comme devant être celles du nouveau projet de loi. et ces
bases se trouvaient complétement renversées dans le projet de M. Van de Weyer.
Certes, messieurs, ce n'est pas aux honorables
membres qui ont présenté et voulu le projet de 1834 à demander pourquoi M. Van
de Weyer n'est pas resté aux affaires pour faire prévaloir le sien, et je ne
vois surtout aucun sujet d'en conclure que le Roi n'est pas libre. Outre que M.
Van de Weyer a déclaré ne pouvoir composer une nouvelle administration, il
était, me semble-t-il, tout naturel que le Roi crût que ce projet de 1834 qui a
réuni l'assentiment de tant de personnes d'opinions opposées, est, en effet, le
meilleur.
Ici, messieurs, je dois un mot de réponse à des
observations qui ont été faites par un honorable députe de Bruxelles, qui, à
propos du projet de M. Van de Weyer, a attaqué sous deux rapports principaux le
système qu'y opposaient les membres du cabinet du 30 juillet, qui se sont
séparés sur cette question de M. Van de Weyer, et qui sont entrés dans le
nouveau cabinet.
L'honorable M. Orts oppose à ces honorables
membres qu'ils sacrifiaient dans leur projet la liberté des communes, qu'ils
sacrifiaient l'indépendance du pouvoir civil.
Je crois que voilà les deux objections qu'il a
faites, et il suffit, messieurs, de recourir au projet de loi de 1834 et aux
déclarations des membres de l'ancien cabinet qui sont entrés dans le nouveau,
pour se convaincre que ni l'un ni l'autre reproche n'a le moindre fondement.
Quant à celui de sacrifier la liberté des
communes, je suis véritablement étonné que ce reproche sorte de la bouche de l'honorable
membre, alors que c’est lui-même qui veut sacrifier la liberté des communes, et
qui combat de tous ses moyens l'article du projet de 1834 qui établissait cette
liberté dans le sens le plus absolu.
Cet article était ainsi conçu : « Lorsque les communes
établissent des écoles à leurs frais, elles jouissent, comme tous les citoyens,
d'une liberté entière, soit pour nommer, suspendre, ou révoquer les
instituteurs, soit pour fixer leur traitement, soit pour diriger l'instruction.
»
Ainsi la base du projet de 1834, c'est
d'accorder aux communes la même liberté qu'aux particuliers en matière
d'enseignement, une liberté aussi entière.
M. Orts. -
Je demande la parole.
M. Dubus (aîné). - Voilà une des bases du projet de 1834. Ce n'est
assurément pas là sacrifier la liberté des communes, c'est la consacrer dans le
sens le plus large.
Ce sont au contraire nos adversaires qui veulent
garrotter les communes, qui veulent les lier dans l'exercice de cette liberté.
A coup sûr, ce n'est pas d'après les idées qu'ils ont mises en avant, que les
communes jouiront de la même liberté que les autres citoyens.
Quant à l'accusation de sacrifier l'indépendance
du pouvoir civil, je trouve dans les explications des mêmes membres de l'ancien
cabinet un passage qui démontre qu'ils ont voulu assurer au contraire cette
indépendance.
(page
1131) Messieurs, il est question dans ce passage de l'enseignement obligé
de la religion dans les collèges et voici comment il est conçu :
« Quant au troisième principe du projet de 1834,
les mêmes membres ne proposaient aucune modification. Ils pensaient que
l'enseignement de la religion devait être déclaré obligatoire, au moins dans
les athénées de l'Etat, que cet enseignement ne pouvait être confié qu'aux
ministres du culte professé par la majorité des élèves, et que le mode de
concours de l'autorité religieuse devait être abandonné à l'exécution.
Persuadés que ces arrangements seraient aisément conclus, dans un esprit de
sage modération, en conciliant tous les droits avec tous les intérêts, et que
l'autorité religieuse n'userait pas du droit constitutionnel d'abstention
lorsque son concours serait réclamé sous des conditions honorables et utiles,
ces membres du conseil n'hésitaient cependant pas à déclarer que si, contre
toute attente, des conditions incompatibles avec l'indépendance du pouvoir
civil étaient faites en certains cas, les établissements n'en subsisteraient
pas moins. »
Ainsi vous voyez que, loin de sacrifier
l'indépendance du pouvoir civil, ils annonçaient formellement l'intention
d'assurer cette indépendance.
Une troisième circonstance, messieurs, que l'on
a présentée à l'appui de l'allégation que, le Roi n'est pas libre, c'est la
chute du cabinet de 1840. En 1840,1e Roi avait eu à choisir entre une
dissolution et la formation d'une administration nouvelle qui pût gouverner
avec la majorité des chambres ; il a pris ce dernier parti et ce parti lui a
réussi ; l'administration nouvelle a pu gouverner avec la majorité des chambres.
Ainsi le Roi a fait alors un choix judicieux justifié par l'expérience qui a
été faite, et l'on vient présenter ce choix comme une preuve que le Roi n'était
pas libre.
On a dit aussi que toutes les avenues du pouvoir
sont dominées par un parti. Je demanderai par quel parti ? Ici je rappellerai
encore la statistique que nos adversaires ont faite. Ce sont eux qui nous ont
appris que les hommes de leur opinion occupent tous les postes les plus
importants et les plus influents. Si quelqu'un alors domine les avenues du
pouvoir, ce sont eux.
Mais, messieurs, il fallait expliquer dans un
intérêt de parti le rejet de ce programme, qui s'explique si naturellement par
la lecture du programme lui-même, et on a mis en avant que le Roi n'était pas
libre.
De pareilles imputations sont ordinaires à nos
adversaires. Lorsque malgré la calomnie de la dîme, malgré la calomnie du
dessein prétendument arrêté d'augmenter outre mesure la contribution
personnelle et les autres impôts, lorsque malgré toutes ces calomnies qui ont été
démontrées être de véritables calomnies, les élections n'ont pas entièrement
répondu à l'attente de nos adversaires, n'ont-ils pas dit que les élections
avaient été faussées par le gouvernement ? Ils n'avaient pas autre chose à dire
effectivement que cela, pour expliquer dans un intérêt de parti le résultat. Le
Roi refuse (page 1132) de souscrire
à des conditions inacceptables, le même esprit leur fait dire que le Roi n'est
pas libre. Il serait libre apparemment s'il s'était lié pour 15 mois.
On oppose aux ministres nouveaux leurs
antécédents, sur lesquels je m'appuie au contraire, moi, pour vous engager,
vous, majorité, qui connaissez ces antécédents, à leur donner votre confiance.
En effet, messieurs, ces antécédents sont les lois que la majorité a votées. A
elle donc le procès, et c'est à la majorité que l’on vient dire apparemment :
« Vous ne pouvez pas accorder votre confiance au ministère, qui est de
votre avis, qui a voté avec vous et comme vous. »
On ne s'est pas borné, messieurs, à rappeler les
quelques lois dont il est fait mention dans le programme, on a fait le procès à
toutes les législatures qui se sont succédé depuis 1830 ; on a fait aussi le
procès au patriotique congrès lui-même, on a attaqué la loi électorale et
jusqu'à la Constitution. Toutes ces législatures ont été signalées comme
réactionnaires ; le congrès réactionnaire, la loi électorale, loi
réactionnaire, la Constitution, Constitution réactionnaire, loi de réaction ;
voilà comme on l’a qualifiée. On a, messieurs, signalé comme disposition
réactionnaire de cette loi, celle qui est relative au renouvellement partiel
des chambres. La question du renouvellement partiel, ou intégral a été décidée
par le congrès dans le sens du renouvellement partiel qui était plus conforme,
en effet, à l'esprit de modération et d'ordre qui domine dans le pays. Eh bien,
cet acte si judicieux du congrès, cet acte si conforme à l'esprit du pays,
c'est une disposition réactionnaire, et la Constitution qui l’a consacrée,
c'est une loi de réaction !
Cette attaque nous annonce vraisemblablement,
pour l'époque où l’opposition sera devenue majorité et maîtresse absolue, cette
attaque nous annonce et la réforme électorale et la réforme de la Constitution.
J'appelle toute l’attention de la chambre sur ces attaques qui n'ont été
désavouées par personne du côté opposé. Loin de là, messieurs, le chef de
l'opposition a dit que toutes les nuances de l’opposition parlementaire sont à
peine séparées par quelques différences accidentelles, à tel point, a-t-il dit,
qu'elles poursuivent le même but. Or, il n'est certes pas difficile
d'apercevoir le but du discours que je viens de signaler. C'est évidemment la
réforme électorale et la réforme de la Constitution.
Notre vie parlementaire depuis 15 années n'a été
que réaction, suivant cet honorable membre. Il s'est écoule 15 années depuis la
révolution ; au-delà de ces 15 années vous arrivez au gouvernement paternel du
roi Guillaume ; mais de ces 15 années, messieurs, il y en a eu 4 pendant
lesquelles le pouvoir a été aux mains de l'honorable député d'Anvers, qui
devait composer le nouveau ministère ; de 1832 à 1834 notamment il gouvernait
avec la majorité.
M. Rogier. - Contre vous et vos amis.
M. Dubus (aîné). - Je me suis, sans doute, séparé maintes fois du
cabinet dans mes votes. Au reste, je ne suis pas en cause. La question n'est
pas de savoir de quelle opinion j'ai été sur telle ou telle question ; je
traite la question à l’ordre du jour.
Je dois dire aussi que parmi les lois dont on
voulait demander la révocation à la majorité, il en est telle à laquelle j'ai
refusé men assentiment.
On met en cause, messieurs, devant vous le parti
que l'on appelle le parti catholique. Quant à moi, je ne connais pas de parti
catholique dans cette chambre, mais je dis qu'il existait et qu’il existe
encore un parti nombreux dans la nation, nombreux dans le congrès et ensuite
nombreux dans les chambres, parti qui compte beaucoup de catholiques, parmi ses
membres.
Ce parti, c'est celui qui a voulu la conquête de
toutes nos libertés, sans en excepter aucune, qui a consacré toutes nos
libertés, sans en excepter aucune, qui depuis lors s'est attaché à les
conserver toutes, toujours sans en excepter aucune ; tandis qu'il y a un autre
parti qui s'est toujours posé avec ostentation comme le défenseur des libertés
publiques, et qui cependant n'a de sympathie que pour certaines libertés, qui
n'a que des attaques pour certaines autres. Ce parti, qui s'appelle libéral de
son autorité privée, trouvait très libéral de restreindre certaines libertés.
Le premier des partis dont je parle, messieurs,
a consacré toutes les libertés, sans en excepter aucune, la liberté de la
presse, comme la liberté des cultes, comme la liberté d'enseignement, et la
liberté des cultes, non pas seulement pour un seul culte, mais pour tous les
cultes, pour tout le monde, et les preuves en sont là. Du temps du congrès,
alors qu'on venait à peine d'achever le travail de la Constitution, des
prédications saint-simoniennes devaient avoir lieu à Bruxelles ; le bruit
s'était répandu qu'elles avaient été empêchées par la police. Ce sont deux
honorables membres du parti dont je parle, qui sont venus signaler au congrès
cette infraction au principe de la liberté des cultes, qui ont proclamé que la liberté
qu'ils demandaient, ce n'était pas seulement pour eux qu'ils la demandaient,
mais qu'ils la demandaient pour tout le monde et pour tous les cultes ; qu'ils
entendaient qu'elle fût une vérité ; ce sont eux qui ont proposé d'appeler,
dans le sein du congrès, l’administrateur de la sûreté publique pour donner des
explications, et ces explications ont fait voir que le bruit était mal fondé,
et que la police n'avait pas empêché les prédications saint-simoniennes.
Ces deux membres étaient : un député catholique
qui fait encore partie de la chambre, et un prêtre catholique. Celui-ci est
venu déclarer ouvertement à la chambre :
« Qu'il se croirait le plus indigne des
hommes si, après avoir contribué de tous ses moyens et de grand cœur, à la
proclamation de la liberté des cultes et de toutes les autres libertés, il
pouvait laisser soupçonner qu'il ne l'a voulue que pour son culte. »
(page
1128) Voilà comment les catholiques, membres du clergé, s'exprimaient dans
le congrès.
Et quant à la liberté de la presse, la
proposition la plus large sur ce point, celle qui a été adoptée dans la
Constitution, a été votée par les membres du parti dont je parle. MM. Raikem,
de Theux, Vilain XIIII, les abbés Verduyn et de Foere étaient d'accord avec MM.
Lebeau, Nothomb, Devaux et Van Meenen, pour consacrer la liberté de la presse
dans le sens le plus large, et leurs discours qui ont été conservés sont là et
en font foi.
Mais, nous dit-on, et cette objection a été
faite hier, si on a fait semblant de vouloir cette liberté au congrès, on ne
s'y est pas montré fidèle ; il faudrait qu'au moins on mît l'index d'accord
avec la Constitution.
C'est un honorable députe de Liège qui a
sérieusement présenté comme une violation du principe de la liberté de la
presse, l'existence d'un index. J’avoue que je me serais bien attendu à une
pareille assertion dans l'un ou l'autre journal où les déclamations les plus
déraisonnables sont très bonnes dès qu'elles peuvent produire quelque effet sur
les masses, mais je ne pensais pas qu'un homme aussi judicieux pût aller
jusque-là ; franchement j'ai été étonné.
Quoi ! la liberté de la presse, qui est une
liberté, emporterait obligation de trouver bon ce que la presse publie ! La
liberté de la presse emporterait la défense de déclarer mauvais ce qui est
mauvais, immoral ce qui est immoral, contraire à telle ou telle religion ce qui
est contraire à telle ou telle religion ; j'avoue que je ne concevrais pas une
pareille liberté. Ce serait une véritable tyrannie et une tyrannie pour tout le
monde ; même la liberté de la presse se trouverait par là anéantie, car
l'attaque ne pourrait pas être suivie de la réponse.
Quoi ! un Index, qui est une déclaration
que tel ou tel livre est immoral ou irréligieux au point de vue des personnes
qui publient l'Index ; cet Index serait une attaque contre la liberté de la
presse ! Mais je demanderai à l'honorable membre auquel je réponds et qui, je
pense, est père de famille ; je lui demanderai s'il croirait violer la liberté
de la presse, parce qu'il écarterait de ses enfants des livres qu'il jugerait
immoraux ou contraires à la religion ; s'il hésiterait un instant à mettre de
pareils livres hors de leur pensée. Il établirait donc là un Index pour ses
enfants ; et ceux qui, par devoir de conscience, sont obligés de se considérer
comme les pasteurs des âmes, qui ont la conviction qu'ils en répondront devant
Dieu, ceux-là ne pourraient pas, sans violer la liberté de la presse, avertir
leurs ouailles, ceux qui ont confiance en eux, que tel livre est immoral, que
tel livre est irréligieux ! Evidemment, messieurs, cela renverse toutes
les notions constitutionnelles.
(page
1125) Cet honorable membre a fait un reproche au parti de toutes les
libertés (je l'appellerai ainsi) qui dominait dans le congrès ; il lui a fait
le reproche d'avoir voulu que le mariage religieux précédât toujours le mariage
civil, afin que les registres de l'état-civil appartinssent en définitive au
clergé ; c'est ainsi, si je ne me trompe, qu'il a conclu.
Le reproche est des plus injustes. Une question
s'est élevée, en effet, sur le point de savoir s'il fallait poser comme règle
dans la Constitution que le mariage civil précéderait toujours le mariage
religieux ; on était d'accord qu'il doit le précéder ordinairement, excepté,
comme quelques-uns le pensaient, dans certains cas spéciaux. Mais fallait-il
poser comme règle constitutionnelle qu'il le précédera toujours et intervenir
ainsi par la loi même dans l'administration d'un sacrement ?
En principe, la question ne pouvait pas
présenter de doute, et ce sont ceux qui rendaient hommage au principe, qui
insistaient pour que semblable disposition ne fût pas insérée dans la
Constitution. Parmi ceux qui rendaient ainsi hommage au principe, il en est
plusieurs qui sonl maintenant dans les rangs de nos adversaires et à qui
l'honorable député de Liège peut ainsi adresser son reproche. Je crois que les
honorables MM. Rogier et Lebeau étaient de cette opinion ; M. Rodenbach et
d'autres encore dont les noms m'échappent pensaient avec eux qu'il fallait
consacrer de la manière la plus absolue le principe de la séparation du pouvoir
civil et du pouvoir religieux, et que dès lors on ne pouvait pas poser comme
condition que le mariage civil devait toujours précéder le mariage religieux.
L'honorable député de Liège, dont apparemment
les souvenirs de ce qui s'est passé alors se sont singulièrement affaiblis et
dénaturés, prétend que l'on voulait que le mariage religieux précédât toujours
le mariage civil ; et que l'on avait le dessein de confisquer au profit du
clergé la tenue des registres de l'état-civil.
Je puis répondre par un document dont on a alors
donné connaissance au congrès. C'est par un arrêté du gouvernement provisoire,
du 16 octobre 1830, que cette séparation a été proclamée, et c'est par suite de
cet arrêté qu'on a révoqué l'article du code pénal qui punit le ministre du
culte qui procède à la célébration du mariage religieux, avant qu'on justifie
que le mariage a été contracté devant l'officier de l'état-civil.
Eh bien, aussitôt que cet arrêté a paru, les
évêques de la Belgique se sont concertés, et ont adressé, peu de jours après,
aux curés de leurs diocèses une circulaire qui avait précisément pour but
d'empêcher que par suite de cet arrêté le mariage religieux ne vînt à précéder le
mariage civil.
Je parle de cette circulaire, d'après l'analyse
qui en a été donnée dans le congrès national. Dans cette circulaire, et je fais
notamment allusion à celle de l'archevêque de Malines, le prince de Méan, le
prince-archevêque disait qu'en applaudissant à cette utile mesure, il avait
jugé convenable d'ordonner à tous les curés, de la manière la plus stricte,
qu'ils eussent à continuer de suivre la même marche qui était suivie
auparavant, savoir, l'accomplissement régulier des formes civiles devant le
magistrat, avant qu'ils pussent procéder à la célébration du mariage à l'église
; que telle devait continuer à être la règle et l'usage ordinaire, avec la
seule exception des cas où le soin du salut des âmes exigeait qu'on fît
autrement, et qu'alors les curés ne pourront procéder à la célébration du
mariage, sans que les formes civiles aient précédé, qu'après en avoir référé
préalablement à l'archevêque et avoir obtenu de lui l'autorisation spéciale. A
cet effet on devait lui faire connaître non seulement les raisons qui existent
de hâter ainsi le mariage, mais aussi quels sont les obstacles qui s'opposent,
dans ce cas particulier, à ce que les formes civiles précèdent le sacrement, et
préciser si ces obstacles sont de nature à ne pouvoir être bientôt levés, «
car, ajoutait-il, nous avons statué, de concert avec tous les autres évêques de
la Belgique. que nous n'accorderons jamais l'autorisation de procéder à la
célébration du mariage, avant que les époux ne se soient présentés devant le
magistrat civil, aussi longtemps qu’il restera quelque espérance que, dans un
temps moral, on pourra arriver à lever les obstacles qui s'opposent à ce que
les autorités civiles précèdent le sacrement. »
Ainsi, messieurs, voilà quelle a été la conduite
des évêques de la Belgique lorsque parut l'arrête du 16 octobre 1830. Et c'est
après une manifestation aussi éclatante de leur volonté unanime de maintenir la
nécessité de faire précéder le mariage religieux par le mariage civil, que le
député de Liége vient dire que l'on avait voulu au contraire que le mariage
religieux eût toujours précéder le mariage civil, pour confisquer au profit du
clergé la tenue des registres de l'état-civil !!
Il me semble donc, messieurs, qu'il est bien
démontré que les reproches qu'on a prétendu adresser au parti dont je parle
sont tout à fait mal fondés.
Mais j'ai parlé de l'existence d'un autre parti
qui faisait un choix dans les libertés publiques, qui tout en se proclamant
libéral jugeait convenable de proposer des restrictions contre les libertés qui
lui déplaisaient.
Eu effet, c'est ainsi que nous avons vu proposer
au congrès de restreindre la liberté de l’exercice extérieur des cultes au bon
plaisir de la police. C'est ainsi que nous avons vu proposer au congrès
d'admettre en principe (et de faire la Constitution en conséquence), que, au
lieu de la séparation du pouvoir civil et du pouvoir religieux, le pouvoir
spirituel devait être dominé et même absorbé par le pouvoir temporel. C'est
ainsi que nous avons vu soutenir au congrès que l'affranchissement de
l'intervention du gouvernement dans la nomination des membres du clergé devait
être soumis à la condition que les prêtres renonceraient à leur traitement.
C'est ainsi que nous avons vu encore faire les plus grands efforts pour faire
admettre des restrictions à la liberté d'enseignement. Et parce que ces efforts
n'ont pas réussi, on a cru devoir par une protestation solennelle faire
connaître que l'on entendait persister dans la même opinion. Et depuis,
messieurs, ces libertés-là sont-elles demeurées sans attaques ? La liberté de
l'exercice extérieur du culte n'a-t-elle pas été violée à Tilff aux
applaudissements de toute la presse libérale ? La liberté des cultes n'a-t-elle
pas été violée à Verviers aux applaudissements de toute la presse libérale ?
Il me semble, messieurs... (Bruit.)
M. Vanden Eynde. - C'est dans les tribunes.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Voilà quatre ou cinq jours que nous voyons se
renouveler des scènes scandaleuses ; nous demandons s'il n'y a plus de
règlement pour faire maintenir l'ordre.
M. Delfosse. - Qu'est-ce qu'il y a ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Une interruption scandaleuse partie des
tribunes !
M. le président (M. Vilain XIIII). - Je monte à l'instant même au fauteuil pour
remplacer M. Liedts, je n'ai rien entendu. Je ne permettrai pas qu'on viole le règlement.
Au moindre bruit, je ferai évacuer les tribunes.
M. Dubus (aîné). - Il me semble d'après les quelques faits que je
viens de rappeler, qu'il n'appartient pas à nos adversaires de mettre en doute
notre attachement à toutes les libertés sans exception. Je répète que le parti
qui a consacré toutes les libertés et qui n'a cessé de les défendre toutes, que
ce parti est représenté par la majorité de toute la chambre.
C'est le parti de toutes les libertés, et son
drapeau n'a jamais cessé d'être : La liberté en tout et pour tous. Ce parti, on
le proclame catholique ; et c'est parce qu'il est catholique qu'on veut qu'il
soit déclaré inhabile à exercer le pouvoir, qu'il soit condamné à l'ilotisme,
qu'il soit exclu du pouvoir au nom de son propre intérêt. Son rôle, a-t-on dit,
est dans l'opposition ; et c'est au parti libéral qu'appartient le pouvoir, le
gouvernement. Pourquoi cela ? Parce que l'opinion libérale, nous a-t-on dit,
est trop vive, trop ardente et que placée dans l'opposition elle serait
dangereuse pour la sécurité du pays ; et c'est parce que le parti qu'on appelle
catholique ne pouvant désirer une Constitution meilleure et plus favorable que
la Constitution actuelle, ne sera jamais dangereux pour l'opposition.
Mais, messieurs, il me paraît que cette
déclaration fait l'éloge du parti qu'on veut exclure du pouvoir, le présente
même comme le seul parti vraiment gouvernemental. Ce serait donc le parti qui
aurait le plus grand intérêt à conserver intactes notre Constitution et toutes
les libertés qu'elle consacre ; c'est le parti qui gouvernerait évidemment dans
des idées d'ordre et de modération.
Est-ce cet attachement aux libertés consacrées
par la Constitution, sont-ce ces idées d'ordre et de modération qu'on doit
attendre d'un parti qu'on signale comme porté à la turbulence, à des écarts
dangereux pour la sécurité publique ?
Ainsi, surtout dans la bouche de mes
adversaires, c'est un éloge que le reproche qui nous est fait par le député de
Mons. Ce reproche est précisément celui d'être attaché par le sentiment de son
propre intérêt à toutes les libertés que la Constitution consacre, d'avoir des
idées d'ordre et de modération.
On a dit encore, messieurs, que ce parti ne
pouvait pas exercer le pouvoir en ce moment surtout, parce que ce parti ne
pourra pas organiser les écoles d'une manière impartiale.
Je demanderai qui a organisé les universités de
l'Etat ? C'est précisément l'honorable ministre de l'intérieur qui siège encore
aujourd'hui sur ces bancs. Il est vrai que l'honorable député de Liège a
critiqué cette organisation. Mais quand elle a eu lieu, elle n'a été l'objet
d'aucune critique, on l'a trouvée fort sage.
Quelle
critique vient-il d'en faire ? Il a dit : L'organisation a été mauvaise parce
qu'il n'existe aucun lien entre les élèves et les professeurs. Les élèves sont
placés dans une véritable indépendance, les professeurs n'ont pas de moyens
d'action sur eux ; c'est là un vice radical.
Si c'est là un vice, ce ne serait du moins pas
un vice de l'organisation, mais un vice de la loi. La loi existant, il faut que
le ministre l'exécute. Ce vice, d'ailleurs, il l'avait signalé en 1838, il
avait présenté un projet de loi par lequel il organisait jusqu'à certain point
ces moyens d'action sur les élèves dont on regrette l'absence. Ce projet de loi
sur lequel il a été fait rapport n'a pas encore été discuté par la chambre. Le
ministre peut au moins répondre qu'il a saisi la chambre.
Ainsi aucune des objections faites contre le
cabinet ne me paraît mériter que la majorité s'y arrête.
M. Manilius. - Il y a près de 12 ans que je siège dans cette
enceinte, c'est la première fois qu'il m'arrive de prendre la parole dans une
discussion exclusivement politique. Je prie la chambre d'avoir pour moi
l'indulgence que la position comporte.
L'incident qui a surgi hier a été rattaché à la
discussion générale. C'est à cet incident que je veux m'arrêter un instant.
Jusqu'à présent nous n'avons eu, relativement à
cet incident, que des renseignements que l'on voudrait nous faire accepter
comme légaux et devant entraîner nos convictions.
Sans entrer dans tous les détails, ni dans le
fond de la procédure, je réponds que ces renseignements n'ont aucun caractère
de légalité. Ils sont corrompus par l'absence de pièces qu'on nous a dit être
perdues. C'est de cette manière que je vais expliquer comme quoi je n'attache
aucune importance à la justification qu'a voulu nous présenter M. le ministre
de la justice.
Mais je m'attache surtout à la question de
moralité ; c'est réellement là la grande question.
Comment ! nous discutons ici pendant quatre
jours successifs. Sur quoi ? (page 1120)
Sur la composition du ministère lui-même, qui vient nous dire qu'il sera doux,
qu'il sera bon, qu'il aura des égards pour le parti libéral qui doit le laisser
faire
On lui a répondu : « Nous connaissons votre
douceur, votre bonté. Nous avons longtemps vécu sous votre domination. »
Pourquoi donc s'attache-t-on à cet incident, qui
au premier abord peut paraître étranger à ce débat solennel ? C'est à cause de
la question de moralité. C'est que cet incident offre une preuve évidente de
l'influence directe et occulte que vous subissez.
Là est tout le débat. Nous ne voulons pas de
vous, parce qu'il y a un autre pouvoir à côté de vous. Vous nous en donnez la
preuve. Nous vous sommons de produire des pièces ; vous n'en produisez pas ou
vous n'en produisez que de tronquées. Voilà le côte moral, je dirai immoral de
l'incident. Retsin n'est pas digne que je m'occupe davantage de lui, et je fais
une croix sur Retsin. Je l'abandonne aux jurisconsultes qui mettront mieux
cette affaire au clair.
Avant d'aller plus loin, je rappelle à la
chambre ce que j'ai eu l'honneur de lui dire sur ma position, qui me fait
espérer son indulgence. Sauf dans les questions d'intérêt exclusivement
matériel, je n'ai pris que très rarement part à vos discussions.
Toutefois je n'ai jamais manqué de fixer mon
opinion dans chaque circonstance solennelle, que j'ai toujours suivie avec
attention. Vous me permettrez donc de remonter à quelques années, pour vous
rappeler mes souvenirs, pour vous expliquer de quelle manière j'ai vu marcher
cette majorité, pendant cette période de quinze années de majorité tant vantée
par le ministère.
Je crois que cette majorité, à laquelle on fait
allusion, n'a pas eu depuis quinze ans une existence non interrompue ; elle a
été fabriquée il y a quinze ans ; mais depuis elle a été : - purgée, -
remplacée, - améliorée, - revue - et corrigée, etc.
Si le débat n'avait pas un caractère exclusivement
politique, je pourrais parler des preuves de capacité que nous a depuis
longtemps données l'honorable M. de Theux. Au point de vue politique, je dis
qu'il a tenu une conduite scandaleuse dès 1835, ainsi qu'un ministre d'Etat que
je ne vois pas en ce moment à la séance, mais que vous connaissez tous ; je
veux parler de l'honorable M. de Muelenaere.
Le ministère de Theux, par l'organe de M. de
Muelenaere, alors son collègue des affaires étrangères, est venu nous lire les
notes diplomatiques des ambassadeurs de France, d'Angleterre, de Prusse,
jusqu'aux envoyés de Suisse et d'autres petites nations qui devaient nous
enchaîner, nous enrayer.
Des petites nations avaient le don de venir
l'intimider jusque dans cette enceinte. C'est en vain que M. de Muelenaere nous
dit alors : Je ne fais cette lecture que pour obtempérer à une invitation qui
ne doit produire aucun effet sur la décision de l'assemblée. Nous en avons
apprécié la portée.
Voilà un de ses premiers exploits.
Ne voulant pas être long, je passe tout de suite
à 1838.
La diplomate, celle de la France surtout, éleva
alors une autre prétention. Elle dit à M. de Theux : Vous aurez à rapporter
toutes les lois exceptionnelles contre la France. Nous verrons plus tard ce que
nous ferons de vous. L'honorable M. de Theux est alors venu nous dire : II y a
dans le tarif plusieurs dispositions favorables à l'industrie de Verviers et à
d'autres industries ; mais ces dispositions gênent la France ; il faut donc les
faire disparaître. Il a ajouté : Notre situation est critique. Les questions de
la dette et de l'intégrité de notre territoire sont toujours en suspens. Dans
de telles circonstances, il est important pour nous d'avoir l'appui des grandes
puissances, de la France surtout. Accordons tout !
Tout fut accordé par cette même majorité.
Jusque-là, la majorité n'avait pas encore été
manipulée, elle était encore à sa première édition... Arrive 1839.
Alors intervient le Foreign-office qui veut que
nous cédions une partie notable de notre territoire. La Constitution s'y
oppose. N'importe, dit-on à l'honorable M. de Theux, vous arrangerez cela. Vous
enlèverez cela. Et il a enlevé cela.
Jusque-là, je le répète, l'honorable M. de Theux
était toujours dans la même situation. Mais voici une situation toute nouvelle.
L'existence de la Belgique est garantie par toutes les puissances de l'Europe.
Arrivent les élections. L'honorable M de Theux
cherche à éloigner ceux qui ne lui conviennent pas, à briser la majorité qui
lui semblait douteuse ; il n'hésite pas à user de tous les moyens, des
destitutions même dont on a parlé. N'avons-nous pas vu destituer un procureur
du roi, qui n'avait pas voulu se plier aux exigences de la combinaison de Theux
? Cet acte a été contresigné par un collègue de l'honorable M. de Theux, qui
dirigeait ad interim le département de la justice. M. Raikem n'ayant pas voulu
assumer la responsabilité de cette mesure, l'honorable M. Nothomb, l'homme aux
expédients, s'est trouvé à point à la tête de ce département pour congédier mon
procureur du roi.
L'honorable M. de Theux était alors simple
chevalier. (Réclamations.)
Messieurs, j'ai besoin de vous dire cela pour
vous dire ensuite autre chose.
J'avais promis de l'histoire ; permettez-moi de tenir
ma promesse. J'en suis maintenant au mauvais côté de M. de Theux. Cet honorable
ministre a aussi un bon côté.
Je le dirai tout à l'heure. Si vous me pressez
tant, je le dirai tout de suite, et je passerai plus rapidement sur ce point.
Je n'abuserai pas des moments de la chambre. J'avais réclamé votre indulgence,
il paraît que vous n'en avez guère pour moi.
Pour vous satisfaire, messieurs, je dirai tout
de suite le bien que je pense de M. de Theux et que je me proposais de dire
plus tard. L'honorable M. de Theux est très honnête, très probe. Je le crois
incapable de la moindre indélicatesse, sauf en politique ; car il ne faut pas
aller trop loin. Mais je le crois incapable d'un acte d'improbité. Dans les
opérations relatives au chemin de fer, il a fait preuve de probité. Nous avons
fait une enquête ; il en est sorti blanc comme neige ; il n'a pas eu
besoin de farine.
Je reprends le fil de mon histoire, et j'arrive
à l'épisode Vandermissen. Nous étions 95 à cette époque ; nous étions déjà
réduits. La majorité était de 48.
Mais encore une fois ce malheureux jour, que fit
M. de Theux ? Il vint réhabiliter un homme qui pour l'étranger avait été très
utile, mais qui avait été parjure pour son pays. M. de Theux l'a introduit dans
l'armée, et quand on a dit à M. de Theux et à ses collègues : Mais cet homme
perdra la considération de l'armée ; comment avez-vous pu permettre qu'un
général parjure vînt en faire partie ? Que nous ont répondu l'honorable M. de
Theux et les siens ? Car ils étaient homogènes à cette époque.
M. Rodenbach. - Non ! non !
M. Manilius. - Oui ! oui ! M. Rodenbach. Voyez les discours.
M. Rodenbach. - J'ai contribué au renversement du ministère.
M. Manilius. - Et moi aussi, M. Rodenbach. Mais veuillez ne pas
m'interrompre. Sans cela je ne vous ménagerai en rien. J'avais l'intention de
vous ménager eu égard à votre infirmité.
M. le président. - M. Manilius, parlez à la chambre.
M. Manilius. - Eh bien, je dis à la chambre que mon intention
était de ménager M. Rodenbach, mais que s'il continue à m'interrompre, je ne le
ménagerai plus.
Messieurs, qu'est-il arrivé après cette équipée
bien plus forte que toutes les autres ? On a congédié mon chevalier qui a reçu
comme fiche de consolation le titre de comte en 1840.
On a fait un nouveau ministère. Ce nouveau
ministère, messieurs, a été tellement bien justifié, on en a tant parlé que je
ne reviendrai pas sur la cause de sa retraite.
Un autre ministère est survenu ensuite. Celui-là
ayant M. Nothomb à la tête commença la mixture. Je ne veux pas entrer dans tous
les détails, parce que cela a déjà été trop répété, et ce n'est pas beau. Dans
ce ministère il y avait encore des hommes de cette ancienne majorité ; il y
avait des hommes qui ne répudient pas le ministère d'aujourd'hui. Au contraire,
M. de Theux se tenait en seconde ligne.
Eh bien ! qu'avons-nous vu, messieurs, sous ce
ministère ? Nous avons vu le procès contre ces parjures, procès scandaleux à
tout jamais, procès dont je voudrais éloigner le souvenir, car j'ai eu le
malheur de devoir l'entendre, parce qu'on nous y avait conviés. Alors, messieurs,
ces traîtres que M. de Theux avait pris sous sa protection, ont été amenés à
deux doigts de leur perte, à deux doigts de l'échafaud. et savez-vous ce que
nous avons appris des manœuvres de certaines gens, de certains chevaliers ? Eh
bien, j'ai entendu, et très bien entendu de la bouche d'un de ces gens, d'un de
Crehen. qui était un des traîtres, qu'il avait fomenté le procès. Le procès
venait de la capitale. Le procès venait de vos gens ; il venait de ceux que
vous aviez appris à endormir les autres. Car, c'était ainsi qu'on parlait, ils
étaient endormis. Mais vous, vous étiez les endormeurs, vous étiez des
magnétiseurs. Je regrette encore que de cet horrible procès il me reste la
mémoire, que je me rappelle encore la déposition d'un major... C'est assez, je
n'en dirai pas plus ; vous le connaissez tous.
Eh bien, messieurs, cette fois que voyons-nous ?
Qu'arrive-t-il sous le ministère nouveau ? A peine est-il éclos, qu'il espère,
par un moyen analogue,, détourner l'attention de tous les esprits. Il doit y
avoir une révolte simulée. Il y a à Gand une société nommée Artevelde ; ces
gens sont capables de se laisser endormir. On se dit : Envoyons les endormeurs.
C'est ma supposition, messieurs, et je maintiens cette supposition, parce que
nous avons pour exemple des antécédents.
Voilà les faits qui se passent sous les
ministères tels que ceux que nous avons aujourd'hui. Des malheureux ont été
arrachés à leurs travaux ; ils se trouvent sous les verrous. On nous annonce
que ce n'est qu'une petite affaire ; c'en sera peut-être bientôt une grande.
Mais ce que je puis dire aujourd'hui, c'est que la ville de Gand était dans le
calme, dans la plus profonde tranquillité, que les magistrats et tous les
hommes notables qui connaissent la situation étaient certains qu'il n'y avait
pas la moindre apparence, la moindre idée, ni de révolte, ni de mouvement.
Messieurs, puisque c'est une affaire qui sera
peut-être portée devant les tribunaux, qui est en instruction, je n'en dirai
pas davantage. Mais j'ai voulu rappeler que c'est sous ces bons et doux
ministères semblables à celui que nous avons, que ces faits se passent, et non
sous des ministères tels que celui de 1840.
Messieurs, je viens de vous déployer la
situation du ministère de Theux. Car sa situation d'aujourd'hui est encore
exactement la même que la situation antérieure. Ce sont toujours les mêmes gens
; c'est toujours la même combinaison ; c'est toujours sur la même majorité que
l'on compte. Eh bien ! je vais vous faire voir que cette majorité a bien dévié,
et je vais vous dire comment je veux aussi justifier ce que j'ai dit tout à
l'heure de la correction et de la révision de cette majorité.
Je vais rappeler à votre souvenir une
circonstance que tout le monde connaît ; je vais parler de la situation des
bancs. Comme je suis toujours resté à cette place si heureusement disposée pour
tout voir, j'ai eu autrefois (page 1127)
devant moi un banc formidable, un banc terrible, un banc qui venait d'une cité
du Hainaut, un banc qui combattait M. de Theux, qui le combattait à outrance.
Eh bien, messieurs, j'ai vu le déchirement de ce banc, et savez-vous quand j'ai
vu le déchirement de ce banc ? et ceci est une circonstance fort curieuse qui
mérite d'être rappelée à la mémoire de nous tous ! Je l'ai vu se déchirer
alors que l'affaire de Vandersmissen est venue renverser le ministère de Theux,
alors que dans cette enceinte un parti libéral a pris naissance, alors que ce
parti, que je puis appeler avec gloire le parti constitutionnel, s'est montré.
Alors ce banc s'est déchiré. Quelles en ont été
les conséquences ? J'ai vu un honorable député de cette cité, je l'ai vu
reculer quelques pas en arrière. Et qu'ai-je vu après ? J'ai vu surgir la
proposition de la mainmorte. Et qu'ai-je vu après ? J'ai vu des élections, dans
lesquelles cet honorable député a dû descendre l'escalier dont nous parlait
hier l'honorable comte de Mérode. J'ai vu tout cela, messieurs, dans l'espace
de quelque temps.
Mais j'ai vu autre chose : j'ai vu revenir aussi
cet honorable député, je ne dirai pas comme l'honorable M. de Mérode, par
interlope, par une fenêtre. Non, je l'ai vu revenir avec droit, et je suis loin
de mettre en doute la légalité et la convenance avec lesquelles il est rentré
dans cette enceinte. Mais ce que je ne puis manquer de dire non plus, c'est que
la manière dont il est revenu donne des réflexions sur la situation actuelle.
On a parlé, messieurs, des grandes villes ;
c'est à cette occasion que j'ai pu signaler ce fait. Examinez les grandes
villes, examinez les centres de population. Mais, messieurs, quand je parle des
centres de population, quand je parle des grandes villes, ce n'est pas des
villes telles que celles que nous avons dans nos provinces pour chefs-lieux,
telle que celle, par exemple, où a été élu, il y a trois jours, l'honorable M.
de Theux, ville qui se trouve dans une province qui, je crois, compte 175,000
âmes et qui nous envoie cinq députés. Je parle des villes qui ont dans leur
enceinte et dans les environs 5 à 400,000 habitants et qui nous envoient six
députés seulement.
Demain probablement l'honorable M. de Theux aura
l'honneur d'être membre de la chambre ; mais il sera l'élu d'un district de
province dont le nombre de députés n'est pas en rapport avec les prescriptions
de la Constitution. Il y a cinq députés du Limbourg, et cependant cette
province n'a pas une population de 200,000 âmes. Voilà de ces faits que
l'ancienne majorité tolère et que le parti libéral constitutionnel ne tolérera
jamais. Je dis qu'avec un vice pareil il est impossible que M. de Theux vainque
la répugnance qui existe non seulement contre l'ensemble du ministère, mais
contre lui en particulier, lui l'homme de tant de tristes souvenirs.
Ils auront beau MM. les ministres, comme déjà
ils en ont donné la preuve, se rejeter le fardeau l'un à l'autre. Car je
reviens à un autre épisode de la discussion. N'avez-vous pas entendu hier un
collègue de M. de Theux commettre la légèreté la plus flagrante, que je
qualifierai la plus regrettable pour le pays ? Comment ! lorsque l'honorable M.
Malou nous a donné les détails de cette malheureuse affaire, sur laquelle j'ai
fait une croix, il est venu nous dire : J'ai fait mes premières armes au
ministère de la justice. J'y ai vu tant de choses ! j'en ai tant vu ! mais je
sais et vous savez tous, que ce sont les plus grands intrigants, que ce sont
les plus grands coquins qui réussissent le mieux dans la voie de l’avancement.
Et c'est un ministre, messieurs, qui vient nous dire cela du haut de la
tribune, c'est un ministre qui a peut-être 6,000 employés dans son administration
! C'est ainsi que vous les relevez ? C'est ainsi que vous faites leur éloge ?
M. le ministre, vous avez fait la preuve d'une
excessive légèreté et de l'envie beaucoup trop grande que vous aviez d'être
ministre. Comment ! vous avez vu qu'avec le plus d'intrigues on obtenait le
plus d'avancement, vous avez proclamé qu'il fallait être intrigant pour avoir
de l'avancement ! Je ne m'étonne plus, M. le ministre, que vous ne soyez pas
resté plus longtemps fonctionnaire au département de la justice. Je ne m'étonne
plus de voir que ce ministre que vous ne vouliez plus servir, vous êtes
aujourd'hui son collègue. Vous avez donné alors votre démission ; lorsque vous
combattiez en commun avec moi pour les intérêts du pays, au moins vous faisiez
semblant de combattre pour ces intérêts, vous avez donné votre démission parce
que vous étiez opposé au ministère, avouant ainsi que les fonctionnaires qui
sont hostiles au gouvernement ne peuvent pas continuer à le servir, parce qu'on
ne peut pas servir deux maîtres. Eh bien, après avoir posé ce principe,
quelques semaines plus tard, par une combinaison fort habile, par un expédient
fort adroit, car le ministre d'alors était très habile en expédients, vous avez
été nommé gouverneur.
Il paraît que le poste de gouverneur pouvait se
concilier avec celui de député, mais non pas avec celui de fonctionnaire dans
un département ministériel. Eh bien, vous M. le ministre d'aujourd’hui, qui ne
vouliez pas servir l'honorable M. Nothomb sous M. d'Anethan, vous êtes
maintenant le collègue de M. d'Anethan, vous voulez bien l'être, rien ne
s'oppose plus à ce que vous le soyez. Ce maître que vous ne vouliez plus servir
peut être votre collègue, c'est très beau. Ce sont les grandes populations qui
vous ont réélus, il n'y a plus rien à y redire. Tout cela est moral, très
moral, aussi moral que les intrigants qui ont de l'avancement.
Messieurs, comme j'ai déjà dépassé le temps que
je comptais prendre, je vais terminer en disant qu'il est impossible qu'un
ministère composé comme celui qui siège sur ces bancs, puisse jamais obtenir
l'assentiment du pays.
Je
dis, et je dis avec conviction qu'il est probable que le ministère actuel aura
la majorité des voix ; car s'il n'en était pas ainsi, il ne hasarderait
peut-être pas le vote ; il se retirerait d'avance, et je crois que c'est ce
qu'il aurait de mieux à faire ; mais il comptera les suffrages, il hasardera le
vote, et s'il a une différence de quelques voix, il se croira sauvé. Eh bien,
qu'il se détrompe il ne sera pas sauvé ; il sera continuellement attaqué par
une opposition compacte et bien combinée, qui veillera avec attention sur ses
actes, et qui saura nous en débarrasser bientôt aux grands applaudissements du
pays libéral constitutionnel.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Que la chambre me permette de dire quelques
mots qui me sont personnels, au milieu d'un débat qui se rattache et qui devait
se rattacher uniquement aux intérêts publics.
A la parodie des paroles sérieuses que j'ai
prononcées, je me bornerai à opposer ces paroles elles-mêmes. J'ai dit,
messieurs, que pendant huit années, durant lesquelles j'ai eu l'honneur de
servir mon pays au ministère de la justice, j'y ai vu sous plusieurs ministres,
non pas « se passer bien des choses », mais que j'y ai vu bien des
fois se poser le fait reproché à mon honorable collègue, c'est-à-dire que bien
des fois, pendant ces huit années (et les pièces dont il a été donné lecture le
prouvent) les prédécesseurs de mon honorable collègue, ont autorisé sans arrêté
royal la suspension de l'exécution d'une peine. Et puisque l'honorable membre
m'en fournit l'occasion, je puis déclarer que pendant tout ce temps, sous tous
les ministres qui se sont succédé, je n'ai pas vu, pour ce qui me concerne, un
seul fait qui ne puisse être soumis, avec tous ses détails, au jugement de la
chambre. Si tous les ministres sous lesquels je me suis trouvé, pouvaient venir
exposer à cette tribune tous leurs actes, il en résulterait pour eux beaucoup
d'honneur, et pour chacun d'entre vous la conviction que tous ont
consciencieusement et loyalement rempli leurs devoirs envers le pays.
Voilà comment je rétablis la première des
observations que l'honorable membre, je le regrette, a très mal comprises.
Répondant à un autre point, j'ai dit que les
ministres, plus que les particuliers, étaient exposés à voir leur religion
surprise, et j'ai ajouté que c'étaient des hommes comme celui dont il a tant de
fois été question, qui cherchaient et qui réussissaient parfois à surprendre la
religion des ministres ; et qu'ai-je dit en cela ? que ce n'étaient pas
les hommes honorables qui cherchaient à surprendre la religion des ministres
(ce qu'il était inutile de dire, et que tout le monde sait), que ce n'était pas
l'employé probe et honnête ; que celui-là compte sur ses services pour obtenir
de l'avancement et qu'il ne cherche pas à surprendre la religion des ministres.
Voilà ce que j'ai dit et cela est sérieux, cela est vrai, c'est une vérité
première.
Depuis que je suis entré dans cette chambre, étant
fonctionnaire, il s'est présenté un jour une question, où je croyais moi,
consciencieusement, une de nos grandes libertés constitutionnelles engagée.
J'étais fonctionnaire ; avant la discussion, le
lendemain de la présentation du projet, j'ai donné ma démission. Je m’étais
séparé du ministère sur une question spéciale. J'avais toujours soutenu, comme
je soutiendrai toujours, le système politique qui était alors représenté au
pouvoir ; huit mois et non quelques semaines, comme on vous l'a dit, s'étant écoulées,
l'on est venu me demander ; on a invoqué auprès de moi les considérations les
plus puissantes pour me déterminer à accepter cette position difficile et très
honorable que j'ai occupée quelque temps.
Oh, messieurs, s'il y avait eu calcul dans cet acte,
si j'avais pu prévoir au mois de février, lorsque j'ai donné ma démission des
fonctions que j'occupais au département de la justice, qu'au mois de septembre
on déplacerait le gouverneur d’Anvers, et qu'on m'engagerait à le remplacer,
alors je concevrais l'accusation ; mais lorsque j'ai donné ma démission, cette
démission était sérieuse, et lorsqu'un appel m'a été fait huit mois plus tard,
j'ai vivement regretté que cette interruption dans ma vie active ne fût pas
plus longue.
On vous parle sans cesse du bonheur d'être
ministre, du désir d'être ministre, du désir de rester ministre ; eh bien, je
dirai très franchement, très sincèrement devant cette chambre que pour moi,
jamais encore depuis que je suis ministre, je n'ai ressenti ce bonheur. Je ne
comprends le pouvoir, je ne resterai au pouvoir que comme on reste à son poste,
parce qu'on a un devoir à remplir. Je ne connais pas au monde de plus misérable
ambition que celle de désirer le pouvoir, la conservation du pouvoir pour le
pouvoir lui-même.
C'est pour le pays, parce qu'on a la conscience
et la volonté de remplir une mission dans l'intérêt du pays, que l'on reste au
pouvoir. Il n'est pas d'homme qui se respecte et qui ait passé aux affaires,
qui puisse assigner un autre but, qui puisse donner le nom d'ambition légitime
à une autre intention qu'a celle-là. Il y a bien longtemps, comme on me le
rappelle, qu'un honorable membre, qui a passé trois fois sur ce banc, le
caractérisait d'un mot qui est resté, l'appelait : « banc de
douleur ».
M. Dumortier. - On l'a appelé carcan ministériel.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Lorsqu'un dissentiment parfaitement
honorable, un dissentiment sur une question spéciale, s'est élevé récemment au sein
du cabinet, nous avons donné tous notre démission, et puisque la discussion m'y
ramène, je dirai que nous nous sommes abstenus pendant la crise de nous y
mêler, que nous n'avons pas conseillé le rejet du programme de l'honorable M.
Rogier. Nous avons blâmé ce programme, nous l'avons critiqué et combattu
lorsque nous l'avons connu, mais nous ne l'avons connu que lorsqu'il était
rejeté. (Interruption.)
L'honorable M. de Theux l'a déjà dit ; ni en
principe constitutionnel, ni en fait il n'est possible d'admettre que des
ministres qui ont donné leur démission soient conseillers de la Couronne pour
apprécier les conditions que les ministres futurs croient poser. Ceux qui
entrent au pouvoir après le rejet des conditions, acceptent la responsabilité
de ce rejet, et nous l'acceptons tout entière en ce qui concerne le programme
de l'honorable M. Rogier.
Messieurs, je n'entrerai pas, pour le moment,
dans la discussion des différents points soulevés par le discours de
l'honorable M. Manilius. Il y (page 1128) a là beaucoup de faits qui sont incomplets,
qui sont mal présentés. Je me borne à une seule observation. Dans plusieurs de
ces questions les divisions qui existent aujourd'hui ont complétement disparu,
mais quand nous parlons de cette majorité qui a survécu à tous les événements
politiques depuis 1830, nous ne parlons pas de tel homme qui est sorti de la
chambre, de tel autre qui y est entré ; nous ne parlons et nous ne pouvons
parler que de l'esprit qui a animé le gouvernement depuis 1830, de la pensée
nationale telle qu'elle s'est révélée depuis 1830, et c'est cette pensée que
nous avons mission de maintenir dans le gouvernement.
On nous annonce une opposition journalière et
combinée, qu'on me pardonne d'emprunter cette expression au programme de
l'honorable M. Rogier ; eh bien, que l'opposition se manifeste, que
l'opposition se porte, comme je l'ai déjà dit, sur le terrain des intérêts
nationaux, que l'opposition discute avec nous, non seulement les questions
politiques, mais aussi les questions d'intérêt, ces questions d'intérêt que
l'opposition ne pourra longtemps écarter de nos débats sans se froisser
elle-même, sans détourner le pays d'elle. Que l'opposition parvienne à
démontrer au pays qu'elle comprend mieux que nous quels sont ses besoins, quels
sont ses intérêts, et l'opposition n'aura plus besoin de programme ; le
lendemain elle sera majorité.
- La séance est levée à 4 heures et 1/2.