Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente
Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 29 avril 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétitions relatives à la circonscription d’une justice de
paix (Simons) et à l’indemnisation des victimes des
événements de la révolution (de Renesse)
2) Projet de loi organisant
le notariat (de Renesse, d’Anethan)
3) Projet de loi relatif à l’avancement
des officiers d’artillerie et du génie au grade de capitaine (de Garcia)
4) Projet de loi accordant un
crédit supplémentaire au budget de la marine (Osy)
5) Motion d’ordre relative aux
erreurs contenues dans le compte-rendu parlementaire (de
Corswarem)
6) Débat relatif à la formation du nouveau cabinet
ministériel. A. Rejet par le roi du programme libéral en raison essentiellement
de l’atteinte à la prérogative royale de dissoudre les chambres ; B :
droit de limoger les fonctionnaires et indépendance des
députés-fonctionnaires ; C : organisation de l’enseignement moyen et
ingérence cléricale dans celui-ci ; D : abandon de la politique unioniste,
formation d’un gouvernement homogène catholique et antagonisme politique
libéraux-catholiques ; E : réforme électorale ; F :
interventions présumées de membres de l’opinion catholique (« pouvoir
occulte ») dans l’avancement et la libération d’un comptable de l’Etat
condamné pour détournement de fonds (D, C, convention de Tournay, E,
D, liberté de la presse (de Haerne), C (Rogier), A, D, C (d’Hoffschmidt),
D, question sociale (de Chimay), D (de
Theux), F, fait personnel (appartenance à la franc-maçonnerie) (de Mérode), fait personnel et réponse au discours de Félix
de Mérode, F (Verhaegen), rappel au règlement (Dubus (aîné)), F, compagnie
de Jésus (Verhaegen, Malou, Verhaegen), F, D, B, A (de Foere),
D, A (d’Hoffschmidt, de Theux),
C, question de cabinet, A (de Theux, Malou,
Rogier, de Theux), D (Dedecker)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page
1169) M.
Huveners procède à l'appel nominal à midi et un quart. La séance est
ouverte.
M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
La rédaction en est adoptée.
M. Huveners communique l'analyse des pétitions adressées à la
chambre.
« Les administrations communales de Vlytingen,
Fallet, Mheer et Vroenhoven, demandent que ces communes cessent de ressortir à
la justice de paix de Bilsen. »
« Mêmes demandes des administrations communales
de Canne, Eben-Emael, Bassenge, Roclenge, Wouck, Sichem Sussen et Boire et
Lanaye. »
M. Simons. - Messieurs, conformément à une décision qui a été
prise par la chambre, à la suite d'un rapport longuement motive de l'honorable
M. Fallon, je crois que ces pétitions doivent être renvoyées à la commission
qui avait été chargée de l'examen du projet de loi relatif à la circonscription
cantonale. Comme la question que soulèvent les pétitions ne peut pas souffrir
de difficulté, je demanderai que la commission fasse son rapport le plus tôt
possible.
- Cette proposition est adoptée.
________________
« Le sieur Edouard Filleul, détenu à la maison
d'arrêt de Courtray, demande la révision du jugement en vertu duquel il a été
condamné à la détention. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Le
sieur J.-B. Vanderwaerde, blessé de septembre, demande une pension. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Claes, Maréchal et autres
commissaires de la société de musique de Tongres, dont la réclamation, faite au
nom de cette société, du chef de pertes essuyées par suite des événements de
guerre de la révolution, a été rejetée par la commission de liquidation,
attendu que la loi du 1er mai 1842 serait applicable aux individus seulement,
prient la chambre de réformer cette décision. »
M. de Renesse. - Messieurs, la société de musique de Tongres a
perdu en 1831, lors de l'invasion hollandaise, la plupart des instruments de
musique qui lui appartenaient. Elle s'est adressée à la commission de liquidation,
pour être indemnisée de cette perte, mais la commission a répondu que
l'indemnité n'avait pas été accordée aux sociétés, à des établissements, mais
seulement à des individus. C'est contre cette décision que les pétitionnaires
réclament, et ils demandent que la société de musique de Tongres soit admise à
être indemnisée, comme les individus.
Je demande le renvoi de la pétition à la
commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
- Cette
proposition est adoptée.
PROJET DE LOI ORGANISANT LE NOTARIAT
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) dépose un projet de loi relatif à
l'organisation du notariat.
- Ce projet, qui sera imprimé et distribué, est
renvoyé aux sections.
M. de Renesse. - Je demanderai que les sections s'occupent le plus
tôt possible de l'examen de ce projet de loi. Il y a longtemps qu'on réclame
des modifications à la loi sur le notariat. L'année dernière, M. le ministre de
la justice avait promis que la loi serait discutée dans la session actuelle.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je désire aussi très vivement que le projet
de loi soit examiné le plus tôt possible.
M. le président. - Les sections d'avril ayant à examiner de nouveaux
projets, il est très probable qu'elles ne pourront pas s'occuper du nouveau
projet de loi, et qu'ainsi il faudra le renvoyer à l'examen des sections de
mai.
PROJET DE LOI RELATIF A L’AVANCEMENT DES
OFFICIERS D’ARTILLERIE ET DU GENIE AU GRADE DE CAPITAINE
M. de Garcia dépose le rapport de la section centrale sur le
projet de loi relatif à l'avancement des officiers d'artillerie et du génie au
grade de capitaine.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU
BUDGET DE LA MARINE
M. Osy
dépose le rapport sur un crédit supplémentaire au budget de la marine.
- Ces rapports seront imprimés. La discussion en
sera fixée ultérieurement.
MOTION D’ORDRE
M. de Corswarem, questeur. - Messieurs, depuis le commencement de cette discussion,
la questure reçoit tous les jours un grand nombre de réclamations contre
l'irrégularité avec laquelle le Moniteur rend compte des séances de la chambre.
Nous nous sommes assurés que cette irrégularité ne peut être imputée ni à MM.
les sténographes, ni à l'impression du Moniteur. Cela provient uniquement de ce
que des membres gardent leurs discours trop longtemps chez eux ou restent trop
tard au bureau du Moniteur pour revoir leurs discours. C'est ainsi qu'un
discours qui a été prononcé avant-hier n'est revenu corrigé au Moniteur qu'hier
à dix heures, et que le compte-rendu de la séance d'avant-hier n'a été
distribué aux membres que ce matin.
Hier, un membre est resté au bureau du Moniteur jusqu'à
1 heure de la nuit pour revoir son discours, ce qui a encore rendu impossible
la distribution du Moniteur en temps utile. Nous avons donc, comme le premier
jour de la discussion, pris des arrangements avec M. le directeur du Moniteur,
pour qu'un exemplaire du compte-rendu fût distribué à chaque membre, au moment
même où il paraîtra. Ainsi, messieurs, dans le cours de la séance de ce jour,
chacun de vous recevra le compte-rendu de la séance d'hier, indépendamment de
l'exemplaire qu'on distribue, à domicile, à chaque membre, pour sa collection
particulière.
DISCUSSION SUR LES EXPLICATIONS DONNEES EN CE
QUI CONCERNE LA FORMATION DU NOUVEAU CABINET MINISTERIEL
M. de Haerne. - Messieurs, je viens d'apprendre que plusieurs honorables
membres désirent que la discussion se borne à la motion de l'honorable M.
d'Elhoungne. Si la chambre partageait cet avis, je renoncerais volontiers à la
parole que je n'ai demandée que pour prendre part à la discussion générale.
Plusieurs membres. - La discussion générale !
-La discussion générale continue.
M. de Haerne. - Messieurs, malgré la vivacité des attaques dont
l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir a été l'objet, presque dans chaque
séance, de la part des membres de l'opposition, j'ai éprouvé cependant à
plusieurs reprises, et notamment dans la séance d'hier, une grande
satisfaction, je dirai même une émotion véritable, en entendant les membres les
plus considérables de l'opinion libérale protester de leur dévouement à la
religion du pays, de leur attachement au culte de nos pères ; ces déclarations
m'ont ému, d'autant plus que je ne puis pas révoquer en doute la sincérité de
ces paroles qui auront du retentissement dans la nation et qui y opéreront le
bien.
Mais, messieurs, si j'applaudis aux intentions
de ces honorables membres, je dois dire d'un autre côté, avec toute la
conviction dont je suis pénétré, que je crains que les accusations virulentes,
dirigées contre la généralité des membres de la droite et de ceux qui
appartiennent à l'opinion catholique, ne retombent sur la religion elle-même
que nous révérons tous. En accusant toute une opinion d'être inintelligente,
rétrograde, envahissante, injuste, n'est-il pas à craindre que ces reproches ne
viennent à atteindre, aux yeux du peuple, la chose sacrée elle-même ?
Ces accusations sont graves, et je tiens à cœur
de les repousser, pour ce qui me regarde. Je vous le dirai, lors même que le
ministère qui vient de se former ne mériterait pas ma confiance, je devrais
encore le soutenir, parce qu'on l'envisage comme une émanation de cette opinion
qu'on qualifie d'inintelligente, de rétrograde, d'envahissante.
Messieurs, je dirai d'abord quelle est mon
opinion sur le cabinet qui vient de se constituer. J'ai toujours été partisan
de l'union; depuis 1831 et même avant 1830, j'ai professé ces principes ; et
lorsque je suis rentré dans cette enceinte en 1844, j'ai saisi plusieurs
occasions pour proclamer encore les mêmes principes. Il est vrai qu'alors cette
opinion paraissait pour ainsi dire abandonnée; mais nous l'avons vue soutenir
de nouveau avec talent et énergie, sous le ministère précédent, par l'honorable
M. Van de Weyer.
D'après cette opinion, on serait tenté de croire
que je dois m'opposer à la composition du ministère actuel qui est un cabinet
homogène. Mais, messieurs, rappelez-vous que lorsque je me suis prononcé en
faveur des ministères mixtes, j'ai ajouté que si j'avais eu l'honneur de faire
partie de la chambre en 1840, je ne me serais pas opposé systématiquement au
ministère libéral de cette époque; j'aurais attendu ses actes: telles sont les
paroles que j'ai prononcées dans la discussion politique qui a eu lieu sous le
ministère de l'honorable M. Nothomb. Eh bien, messieurs, je professe encore ces
principes, et je dis que le ministère homogène que nous avons devant nous, ne
mérite pas notre condamnation, avant d'avoir posé des actes de nature à
encourir notre blâme.
Si cependant j'étais convaincu qu'un autre
ministère eût été possible, qu'un ministère mixte, dans lequel même l'opinion
libérale eût eu la prépondérance, eût été un ministère possible dans les
circonstances actuelles, je n'hésite pas à le dire, un tel ministère aurait eu
mon appui de préférence à tout autre ; et je ne pourrais accorder toute ma
confiance au ministère actuel, si après toutes les tentatives faites pour
arriver à la composition d'un ministère mixte, par les honorables MM. Van de
Weyer, de Brouckere et d'Hoffschmidt, il m'était démontré que l'honorable M. de
Theux, étant chargé de composer un cabinet, n'aurait pas fait ce qu'il pouvait
raisonnablement faire pour s'associer des membres considérables et influents de
la gauche. Dans ce cas, dis-je, je ne pourrais pas lui accorder ma confiance
tout entière.
(page
1170) Mais, messieurs, je le répète, la question de personne est, pour
ainsi dire, détenue accessoire dans le débat soulevé devant vous ; c'est une
opinion tout entière qu'on attaque ; c'est à une opinion tout entière qu'on
lance l'accusation d'être rétrograde, réactionnaire, envahissante,
inintelligente et incapable de prendre part à la haute direction des affaires
du pays.
Examinons un moment ces accusations. D'abord,
j'aborderai la discussion au point où elle était arrivée hier.
Hier, vous avez entendu un honorable orateur
s'élever avec force contre ces idées qu'on appelle rétrogrades, contre ceux
qu'il envisage comme ennemis du progrès social, qu'il regarde comme capables de
vouloir implanter dans le pays un système contraire à ses véritables intérêts.
Messieurs, la principale question qu'on agite
toujours à cet égard, c'est la question d'enseignement. C'est dans cette
question qu'on prétend que l'opinion catholique est envahissante. Mais
permettez-moi de vous rappeler quelle est l'opinion de l'honorable M. Castiau,
à qui je réponds, en matière d'enseignement. Vous le savez, à plusieurs
reprises et même avant d'entrer dans cette chambre, il a professé, en matière
d'enseignement, les opinions les plus contraires au système que soutient
aujourd'hui la gauche.
Il a soutenu que la liberté seule devait servir
de base aux établissements d'instruction, que le gouvernement ne devait y
exercer aucune action.
Telle était l'opinion de l'honorable membre ; je
suis loin de la blâmer, je la crois sincère. Mais si nous professions une
opinion pareille, ne dirait-on pas que cette opinion n'est pas sincère, qu'elle
a pour objet de détruire la liberté et de fonder le monopole sur la liberté ?
Vous respectez la liberté lorsqu'elle est proclamée par un membre de votre opinion,
et vous ne la respecteriez pas lorsqu'elle le serait par un membre qui
appartient à la nôtre !
Mais jamais nous n'avons été si loin que
l'honorable membre.
Nous n'avons jamais demandé la liberté
d'enseignement d'une manière aussi exclusive ; nous avons admis et nous
admettons encore qu'à côté de l'enseignement libre, il doit y avoir un
enseignement du gouvernement. Cette doctrine conforme à la Constitution, je
l'ai professée à plusieurs reprises dans cette enceinte, notamment en 1833. Cet
enseignement gouvernemental est utile, selon moi, pour compléter les lacunes
que laisserait l'enseignement libre qui est quelquefois insuffisant; il serait
utile encore en ce qu'il exciterait une émulation favorable à l'enseignement en
général.
J'ai toujours professé ces principes, j'ai
toujours soutenu que la liberté en matière d'enseignement doit avoir le premier
pas ; que si elle est insuffisante, le gouvernement doit venir à son secours,
en fondant des établissements ; et qu'enfin on doit consulter ici, comme en toute
autre chose, les intérêts des communes et de l'Etat, pour ne pas les charger de
trop de frais. Il faut de l'économie dans cette matière comme en toute autre.
Voilà les trois points auxquels je me suis
longtemps attaché quand il s'est agi d'instruction publique.
Messieurs, on a parlé hier et dans les séances
précédentes des conventions qui ont été conclues en matière d'enseignement
entre les autorités communales et des particuliers ou le clergé ; on a beaucoup
critiqué ces conventions.
Je me demande d'abord pourquoi ces conventions
ont été conclues. Jusqu'ici il me semble qu'on ne s'est pas bien expliqué à cet
égard, ni dans la discussion qui a eu lieu précédemment sur la convention dite
de Tournay, ni dans les débats actuels. Il me semble qu'on n'a pas dit d'une
manière bien claire pourquoi ces conventions ont été conclues. Je vais le dire.
Quand le clergé par sa haute mission est appelé
à donner l'enseignement religieux dans un établissement d'instruction publique,
il assume une grande responsabilité, une responsabilité de conscience vis-à-vis
des parents, vis-à-vis des enfants, vis-à-vis de la société.
Il doit voir ce qu'il a à faire. Si le clergé
s'engage dans une maison d'instruction publique sans qu'il soit stipulé aucune
condition, il peut arriver, comme il est arrivé souvent, que l'enseignement
religieux qu'on y donne, loin d'être respecté, est vilipendé. Qu'arrive-t-il
ensuite ? C'est que la responsabilité retombe sur les membres du clergé chargés
de l'enseignement religieux dans ces établissements ; ils servent de manteau
pour cacher le mal, et les parents viennent leur faire des reproches sur le
mauvais enseignement religieux donné à leurs enfants.
Voilà les vues qui dirigent le clergé quand il
demande à faire des conventions avec les autorités communales. Voilà dans quel
but des conventions ont été conclues dans diverses circonstances.
Qu'on ne dise pas que j'exagère le mal qui
pourrait résulter de ce que quelques membres du clergé s'engageraient trop
facilement à donner l’enseignement religieux dans des établissements
d'instruction, quand les conditions nécessaires n'ont pas été stipulées. N
avons-nous pas vu il y a quelques années que, dans un établissement
d'instruction de la Belgique, il s'est commis de graves abus, de graves excès ?
Les élèves sont allés jusqu'à porter un toast à
Marat et à Robespierre, et cela aux applaudissements de l'un de leurs chefs.
Les administrateurs sont venus pour faire respecter la discipline, pour
rétablir l'ordre; eh bien, messieurs, ils ont été bafoués par les élèves.
Il y avait dans cet établissement des
ecclésiastiques qui déjà depuis longtemps savaient que cette maison n'était pas
sur un bon pied, mais par diverses considérations, par des raisons d'impartialité
et de conciliation, ils y étaient restés aussi longtemps que leur conscience
l'avait permis, trop longtemps peut-être pour éviter tout reproche de la part
des parents. C'est pour obvier a des inconvénients semblables que des
conventions ont été conclues à des époques différentes et dans plusieurs
localités.
Je suis loin de vouloir porter aucune atteinte à
la liberté communale; je la respecte comme les autres libertés, mais je pense
que ces conventions peuvent se conclure sans qu'il soit porté atteinte à la
liberté communale.
Messieurs, si vous ne voulez aucune convention
quelconque, savez-vous quel peut en être le résultat ?
On dit que le clergé veut envahir l'enseignement
public en s'introduisant dans les établissements salariés par la commune et par
l'Etat, qu'il veut s'appuyer sur la loi pour s'emparer de l'instruction
publique.
Mais si vous ne vouliez pas de convention, si,
par suite de ces refus absolus de stipulations quelconques pour la garantie de
la bonne instruction religieuse, vous mettiez le clergé dans l'impossibilité de
donner cette instruction d'une manière convenable dans les établissements
d'instruction publique, qu'arriverait-il ? Vous donneriez une grande
prépondérance aux établissements libres. Ces institutions s'accroîtraient
considérablement, et les élèves des autres maisons d'éducation y afflueraient.
Vous voyez que ce système tendrait inévitablement à amoindrir l'influence des
établissements de l'Etat et des communes.
C'est nous qui, en demandant que l'instruction
religieuse soit donnée d'une manière convenable dans les collèges, c'est nous
qui protégeons l'instruction donnée aux frais de l'Etat et des communes, tandis
que par votre système vous arriveriez à un but contraire. Votre système aurait
pour résultat de favoriser l'instruction libre et de donner par le fait au
clergé ce que vous appelez le monopole, au moyen de la liberté, car je ne pense
pas qu'il y ait quelqu'un dans cette chambre qui veuille porter atteinte à
cette liberté. Alors, ce serait une question toute différente.
Messieurs, on a dit hier qu'il existait un grand
nombre de conventions. On les a blâmées toutes en général et au même degré. Je
crois qu'on doit distinguer : Il y a deux sortes de conventions. Il y en a qui
sont répressives et d'autres qui sont préventives. J'appelle préventives celles
où des stipulations sont faites d'avance pour le cas qu'on peut prévoir par
rapport à la nomination des professeurs et à l'admission des élèves ; telle est
la convention de Tournay. J'appelle répressives celles qui ne prévoient pas ces
cas et où on se borne à stipuler en général que l'enseignement religieux sera
refusé quand les conditions nécessaires à cet enseignement ne sont plus
remplies dans l'établissement.
Il y a donc deux sortes de conventions et l'on
adopte l'une ou l'autre suivant les circonstances. Il est difficile de dire
d'avance à laquelle il faut donner la préférence ; cela dépend des
circonstances et de la manière de voir des personnes qui sont à la tête des
administrations communales et des établissements. Dans tous les cas le clergé a
ici un grand devoir à remplir; une grave responsabilité pèse sur lui. C'est ce
qu'on ne peut pas perdre de vue.
Messieurs, on a beaucoup parlé de la convention
de Tournay. On a dit qu'il y avait ici violation de la liberté communale, qu'on
force la commune d'abdiquer sa liberté, son droit de nommer les professeurs. Je
vous avoue que je n'ai pas pu comprendre, malgré tous mes efforts, que tel fût
le sens de la convention.
Il me semble que quand on l'examine de très
près, on n'en peut tirer autre chose si ce n'est que la régence nommerait comme
elle voudrait ses professeurs, et que l'autorité ecclésiastique pourrait
retirer son directeur au bout de six mois ; il n'y a rien qui puisse empêcher
la régence de nommer ses professeurs quand elle veut les nommer. Seulement dans
le cas où ses nominations ne seraient pas agréées par l'autorité
ecclésiastique, celle-ci pourrait, au bout d'un semestre, retirer les aumôniers
qu'elle aurait placés dans l'établissement.
Il y a peut-être dans l'expression, dans les
termes, des formes qu'on aurait mieux fait d'écarter ; j'avoue cela. Mais, pour
le fond, je n'y vois pas du tout ce qu'y voient mes adversaires, et je soutiens
que la liberté communale reste intacte.
Il est une autre considération qu'on ne peut pas
perdre de vue, lorsqu'il s'agit de ces conventions. L'honorable M. Orts disait
qu'il y avait de ces conventions dans presque toutes les provinces ; que,
d'après quelques-unes, le chef de l'établissement, ou la corporation qui le
dirige, est chargé de la nomination de tous les professeurs, et que les villes
abdiquaient ainsi tout pouvoir à cet égard. Je n'examinerai pas si les communes
peuvent, dans leur intérêt, se dispenser de faire des nominations directement
et par elles-mêmes ; mais je crois devoir faire remarquer que l'on confond ici
deux choses tout à fait distinctes : on confond les demandes de professeurs
faites à l'autorité ecclésiastique, avec les nominations qui seraient faites
par cette même autorité. Il y a des établissements dans lesquels, en effet, les
professeurs sont demandés à l'autorité ecclésiastique par l'autorité communale.
Remarquez qu'il y a en matière d'enseignement
une toute autre question que celles dont on parle ici. On parle ici de
principes, de liberté , d'enseignement, de progrès. Mais il y a pour la plupart
des villes une question pécuniaire, une question d'intérêt matériel à examiner,
lorsqu'il s'agit d'enseignement. C’est ce qui détermine la plupart des régences
à conclure ces conventions dont on a tant parlé.
Dans les villes secondaires, on n'y va pas si
largement que dans la capitale ; on y regarde à deux fois, lorsqu'il s'agit de
milliers de francs à dépenser. Là on songe à l'économie avant tout. Voilà
pourquoi on fait une convention avec une personne qui se charge de la direction
de l'établissement; on se trouve heureux de pouvoir le faire, en opérant une
économie de cette manière.
Permettez-moi un exemple : je parlerai du
collège où depuis longtemps je dirige, les études, parce qu'il m'est mieux
connu qu'aucun autre.
Ce n'est pas un collège communal; c'est un
collège libre , il reçut de la (page
1171) ville le local et un subside annuel de 2,500 fr. Ce collège, je dois
le dire, est prospère; il compte environ 300 élèves. Il a un personnel de 20
professeurs. Le chef de cet établissement peut, au moyen d'un subside de 2,500
fr., en couvrir tous les frais. Si la ville se chargeait elle-même de pourvoir
aux frais de cet établissement, pourrait-elle se tirer d'affaire avec cette
somme ? Ne faudrait-il pas qu'elle fît comme la plupart des villes qui ont un
collège de la même importance, une dépense de 20,000 fr. au moins?
Voilà la question, voilà comment elle est
appréciée à Courtray. Depuis que j'ai l'honneur de me trouver dans cet
établissement, si de temps en temps il s'est élevé quelques plaintes, c'est
parce que la convention entraîne dans quelques frais. Quelques personnes ont
émis l'opinion que l'établissement ne devrait rien coûter à la ville.
Si le collège avait été aux frais de la ville,
il s'ensuivrait que, depuis 1835, époque de sa création, il lui aurait coûté
300,000 fr., tandis que les frais, depuis cette époque, se sont bornés à une
somme de 40 mille francs, sauf les dépenses d'agrandissement et d'entretien des
locaux qui auraient été les mêmes dans toutes les hypothèses.
Quoiqu'on se plaise à jeter un vernis assez
défavorable sur les établissements dirigés de celle manière, je dois dire que
l'opinion publique en est satisfaite, que nous obtenons de bons résultats : ce
qui le prouve, c'est le grand nombre de nos élèves qui, dans les universités et
dans les séminaires, remportent des distinctions.
Voilà ce que j'avais à dire sur le premier grief
qu'on a tant de fois reproché à l'opinion catholique, savoir d’être
envahissante en matière d'enseignement. J'ai voulu faire voir que tel n'est pas
le but de l'opinion catholique, que telles ne peuvent être ses intentions. Elle
veut donner l'instruction religieuse partout où elle est appelée à la donner.
Elle veut user de la liberté comme tout citoyen belge peut en user. Voilà à
quoi se bornent ses prétentions.
Il y a un autre grief qu'on n'a cessé d'élever
d'une manière inconvenante contre l'opinion catholique, contre les membres de
la droite. On a fractionné le pays en deux parties. On a dit que le monopole de
l'intelligence appartenait aux grandes villes, que les petites villes, que les
campagnes sont intelligentes.
Quand j'ai entendu ce reproche, je me suis
rappelé ce qu'on disait autrefois de la Belgique. Je me suis rappelé l'époque
où les Français envahissaient les provinces belgiques.
Les Français aussi traitaient la Belgique de
rétrograde, d'inintelligente; ils nous ont envoyé des nuées de fonctionnaires
publics, qui venaient nous exploiter sous prétexte que nous étions des
rétrogrades. Nous n'étions pas même capables de pouvoir fixer les bases de
l'impôt. C'est parce que les Flandres, par exemple, ont été jugées les plus
rétrogrades qu'elles ont été surtaxées, et que longtemps elles sont restées
chargées de cette injuste surtaxe, malgré toutes leurs réclamations, parce que
ces réclamations étaient censées émaner de gens ignorants.
A une autre époque, la lumière ne venait plus du
Midi ; elle venait du Nord ; c'étaient les Hollandais qui nous reprochaient noire
ignorance. Eux étaient éclairés ! Ils avaient fait des cartes de géographie où
ils donnaient aux provinces belges les teintes les plus foncées, réservant les
feintes les plus claires pour les provinces hollandaises, pour les villes de la
Haye, Leyde, Utrecht ; ce qui signifiait que c'étaient les localités les plus
éclairées du monde.
Tout cela pour nous exploiter !
Je sais bien que telles ne sont pas les
intentions des honorables membres. Je ne veux pas les accuser de vouloir
imposer aux petites localités toutes les hautes capacités des grandes villes.
Je ne veux pas les accuser de vouloir nommer partout juges, notaires,
receveurs, etc., les gens privilégiés des grandes villes ; mais leur système
tend à cela, parce qu'en bonne administration les hommes éclairés doivent
obtenir la préférence. S'il est établi que les hommes éclairés sont dans les
grandes villes, vous écartez ceux des campagnes et des villes secondaires.
Voilà le sort qui sera réservé aux localités secondaires, à l'avantage des
grandes. Je dis que ce système est illibéral, qu'il est dangereux, qu'il est
faux Il est illibéral, parce qu'il tend à constituer, en Belgique, une
oligarchie. D'après ce système, le pouvoir revient au petit nombre. Pour être
conséquent, il faut tout abandonner aux intelligences supérieures des grandes
villes ; il faut donner le pouvoir, je ne sais quelle société qui se prétendra
composée des hommes les plus intelligents du pays.
Je dis que cette théorie est dangereuse.
Remarquez que ceux que vous traitez d'ilotes, vous les armez contre les autres
; leur ferez-vous accroire à eux que vous traitez en ignorants, qu'ils ne sont
pas en état de participer à la direction des affaires publiques ? Prenez-y
garde ! Vous armez plus de trois millions d'hommes contre moins d'un million.
Ne craignez-vous pas de voir surgir en Belgique
un état de choses semblable à ce qui se passe en Galicie, où vous voyez les
ignorants, les paysans en guerre avec les nobles !
Il fut un temps à Rome où l'on fit la
proposition de donner aux esclaves un habit particulier. Le sénat s'y opposa.
Pourquoi ? Dans la crainte que les esclaves ne parvinssent à connaître leur
nombre.
Je dis que cette théorie est fausse ; car nous
n'avons qu'à consulter l'histoire non seulement du passé, mais encore
d'aujourd'hui, pour voir si nos illustrations tant en politique qu'en
littérature et dans les sciences et les arts ne viennent pas aussi bien des
petites villes et des campagnes que des grandes villes.
Pour le prouver, il me serait facile de citer
tous les hommes distingués qui ont occupé le pouvoir depuis le commencement de
notre régénération politique. Mais pour ne parler que des artistes, je vous
demanderai si les Dejonghe, les De Keyser, les Verboeckhoven et tant d'autres
sont nés dans de grandes villes. Gallait est de Tournay; c'est, dira-t-on, une
ville de quelque importance; mais, sans doute à cause de la convention conclue
avec l'évêque, elle doit être classée dans les villes rétrogrades. Je pourrais
en nommer bien d'autres encore.
Ne dirait-on pas plutôt que les grands talents,
comme les plantes vigoureuses, viennent au grand air mieux encore que dans les
serres chaudes des grandes villes?
Mais, messieurs, si l'on rencontre plus
d'intelligences distinguées dans les grandes villes que dans les petites cela
provient assez souvent de ce que les hommes distingués, dans quelque partie du
pays qu’ils se rencontrent, se concentrent de préférence dans les grandes
villes. Mais voyez la manière de vivre dans les grandes villes et celle de
vivre dans les petites villes. Je crois pouvoir dire que l'on rencontre
dans les grandes villes, toute
proportion gardée, plus de personnes distinguées qui ne sont pas électeurs
qu'il n'y en a dans les petites, à cause de cette manière de vivre en quartier,
qui est très commune dans les grandes villes, et qui est inconnue dans les
petites. De sorte que, toute proportion gardée, je pense qu'il y a parmi les
électeurs plus de gens intelligents dans les petites villes que dans les
grandes.
D'ailleurs, messieurs, s'il y a plus
d'intelligences dans les grandes villes, vous ne pouvez vous dissimuler qu'à
côté de ces intelligences, à côté de ces lumières, il y a encore tout autre
chose, il y a aussi beaucoup d'ambition. L'intelligence, messieurs, n'exclut
pas l'ambition. Souvent même elle fournit un élément à l'ambition, et si vous
devez vous appuyer sur l'intelligence pour la direction des affaires du pays,
d'un autre côté vous avez aussi à vous prémunir contre les suggestions de
l'ambition.
Messieurs, on ne s'est pas borné à nous adresser
les reproches si graves d'être rétrogrades et inintelligents ; on nous a dit
que l'opinion catholique ne lient pas sérieusement aux libertés
constitutionnelles. On nous a cité ce qui s'était passé dans le congrès quant
au vote qui a été émis sur certains articles de la Constitution. On nous a
parlé de l'article relatif à l'origine des pouvoirs et de celui qui se rapporte
à la liberté de la presse ; ce sont les deux principales objections qu'on nous
a faites à cet égard.
Un honorable membre, dans une séance précédente,
vous a dit qu'il s'était élevé, parmi les membres catholiques du congrès, des
réclamations contre l'article de la Constitution qui stipule que tous les
pouvoirs émanent de la nation. Messieurs, j'avoue que cette objection a quelque
fondement ; mais cette opposition était tellement insignifiante que l'on avait
pu négliger ces observations. II y a eu, en effet, jusqu'à deux personnes qui
ont cru devoir faire quelques observations sur cet article. Il y a eu un seul
membre qui a prononcé un discours plus ou moins contraire à cet article. Mais
ce qu'on a oublié de dire, c'est comment ce discours a été accueilli par la
presque unanimité du congrès. Tous les membres de cette chambre qui siégeaient
au congrès, peuvent vous dire eux-mêmes que ce discours a été mal accueilli,
tant par les catholiques que par les libéraux
Il y a eu une autre réclamation, et savez-vous
laquelle? Un honorable député d'Anvers, si je ne me trompe, avait présenté un
amendement consistant à dire : « Les pouvoirs constitutionnels émanent de
la nation », au lieu de dire : « Tous les pouvoirs émanent de la
nation ». On lui a fait observer que cela allait sans dire, puisqu'il
s'agissait de la Constitution, et il a retiré son amendement.
Du reste, cette petite divergence prouve
l'entière liberté d'opinion qui distinguait les membres catholiques du congrès.
Messieurs, que les pouvoirs émanent de la
nation, c'est un principe admis, et puisqu'on accuse notre opinion de ce chef,
je dirai qu'à part quelques théologiens français ou plutôt gallicans, le clergé
a toujours admis que les pouvoirs résident fondamentalement dans la communauté.
On nous a fait des objections quant à la liberté
de la presse ; et, nous rappelant une encyclique du souverain pontife, on a
insinué que nous ne pouvions pas être sincèrement attachés à la liberté de la
presse.
Messieurs, on vous l'a dit précédemment, cette
encyclique ne peut être envisagée que sous le rapport dogmatique. Elle regarde
la conscience. C'est au point de vue religieux que l'on dit que devant Dieu on
ne peut pas soutenir que toutes les opinions sont bonnes, qu'elles peuvent être
soutenues toutes également. Cela est évident et personne ici, je pense, ne le
niera. Voilà dans quel sens on doit entendre cette encyclique. Ce n'est pas au
point de vue politique que se place le souverain pontife, lorsqu'il fait de
semblables déclarations, mais c'est au point de vue religieux, au point de vue
des consciences.
Messieurs, je le déclare, nous catholiques, nous
sommes beaucoup plus intéressés à l'existence et au maintien de la liberté de
la presse que nos adversaires, et je vais vous le prouver.
Je vous prie de vous rappeler ce qui s'est passé
en Belgique, lorsque la liberté de la presse était plus ou moins restreinte
sous le gouvernement hollandais. Je vous prie de porter vos regards sur
d'autres pays où la liberté de la presse n'existe pas, où du moins elle est
plus ou moins vinculée, où elle n'existe pas pleine et entière. Dans ces Etats,
messieurs, il y a une liberté pleine et entière pour écrire tout ce qu'on veut
contre le clergé catholique; les attaques sont toujours permises et la défense
ne l'est pas. C'est ce qui a existé pendant que nous étions réunis à la
Hollande, c'est ce qui existe dans la plupart des Etats protestants de
l'Allemagne. La liberté existe de fait contre les catholiques et elle leur est
refusée par le droit et par le fait.
Et nous repousserions la liberté de la presse !
Mais ne comprenez-vous pas qu'il est de notre intérêt de demander avant vous,
messieurs, que cette liberté soit maintenue, parce qu'en nous élevant contre
elle nous nous en (page 1173)
priverions nous-mêmes et nous vous la laisserions en pratique et par le fait ?
Messieurs, en ce qui concerne la question de la
liberté en général, je ne crois pas que vous nous fassiez un devoir de faire de
la propagande, c'est-à-dire que vous prétendiez que les libertés qui nous sont
chères, que les libertés qui heureusement sont acclimatées en Belgique, doivent
s'étendre à tous les autres pays dans la même proportion. Ce serait une
prétention ridicule.
Mais j'ose soutenir, en thèse générale, que
lorsqu'une liberté quelconque a pénétré dans les mœurs et l'opinion publique,
lorsqu'une liberté civile quelconque a été adoptée par l'opinion d'une nation,
elle est devenue une nécessité, elle est devenue un élément d'ordre, et je
dirai qu'alors celui qui s'élève contre la liberté, s'élève contre l'ordre
même. Alors, messieurs, l'ordre dépend de la liberté, comme la liberté dépend
en général de l'ordre.
Voilà, messieurs, comment je comprends la liberté
au point de vue politique. Voilà comment je comprends que la liberté doit se
propager et qu'elle doit se maintenir partout où la chose est possible. Quant à
la Belgique, il ne peut pas y avoir le moindre doute que son existence même
dépend du maintien de ses libertés.
Mais si, après tout, on prétendait que ces
libertés ne sont pas dans nos intentions, que nous n'y tenons pas, je dirai,
messieurs, qu'il y a quelque chose de plus fort que la volonté de l'homme. On
vous l'a dit hier, la lutte n'est pas seulement en Belgique, elle est dans
toute l'Europe. Eh bien ! je dirai que la liberté est la cause de toute
l'Europe, la cause de l'univers entier ; que la liberté progresse partout. On
peut et l'on doit s'opposer aux excès de cette liberté; mais ceux qui
voudraient arrêter son développement sage et normal, s'opposeraient inutilement
à un torrent qui les entraînerait malgré eux, ils se briseraient contre la
liberté elle-même. II faut avoir vraiment bien peu de confiance dans la cause
de la liberté, pour partager les craintes qui semblent préoccuper nos
adversaires.
Mais, messieurs, quels sont donc les pays que
nous voyons à la tête de ce mouvement libéral ? C'est l'Angleterre, et
l'Angleterre avait sa charte avant d'être protestante; elle a une charte due au
catholicisme ; c'est la France, pays catholique, c'est la Belgique, c'est
l'Espagne aussi qui s'émeut. Mais ce sont des pays catholiques qui ont été et
qui sont à la tête du mouvement progressif, du mouvement libéral. Et vous
voulez accuser les catholiques de ne pas vouloir la liberté !
Un honorable membre l'a proclamé dans une autre
séance, la liberté de l'Europe, la liberté du monde doit son origine à
l'avènement du christianisme. J'admets le principe. Il est vrai el il fait
honneur à notre opinion.
Dans d'autres pays, messieurs, dans les pays
protestants, où existe l'absolutisme, savez-vous ce qu'on oppose pour arrêter
le progrès de la liberté ? On dit que la liberté vent des pays catholiques.
Ainsi, là on nous fait précisément le reproche contraire, et pour faire
accroire que la liberté est nuisible à l'intérêt de la nation, on dit que c'est
une émanation du catholicisme.
Non, messieurs, loin d'être contraires à la
liberté, nous y tenons par le fond du cœur, par le fond de nos entrailles ; et
pour répondre par un dernier mot aux suppositions que l'on s'est plu à faire à
plusieurs reprises dans cette enceinte par rapport à celui que, comme
catholiques, nous reconnaissons comme notre chef suprême, celui qui parle à nos
consciences, (car j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, c'est au point de vue
religieux qu'on doit se placer pour examiner les encycliques, pour examiner les
déclarations qui émanent du Saint Siège), je veux bien entrer dans le fond de
la pensée de nos honorables adversaires.
Eh bien, messieurs, si une déclaration pareille
devait être entendue dans le sens purement politique, si l'on devait comprendre
par là que l'on doit proscrire les libertés purement politiques, savez-vous ce
que nous répondrions à une autorité quelconque qui viendrait nous imposer une
telle obligation ? Nous répondrions ce qui fut répondu autrefois par le
cardinal Franquenberg au souverain pontife, qui crut, dans des vues d'ordre et
de modération, devoir lui faire des observations sur la révolution brabançonne.
Nous
répondrions que nous avons notre charte, que nous avons notre Joyeuse Entrée à
nous, Joyeuse Entrée constitutionnelle que nous avons juré d'observer. Nous
répondrions, que nous nous glorifions d'être le peuple le plus catholique du
monde, mais qu'en matière purement politique nous sommes Belges, et rien que
Belges.
M. le président. - La parole est à M. Rogier.
M. Rogier. - Je désire parler sur la proposition de M.
d'Elhoungne.
M. le président. - Il a été convenu hier qu'on voterait sur cette
proposition à la fin de la discussion ; mais est-il entendu qu'elle fera
l'objet d'une discussion spéciale ? (Non
! non !) Alors les orateurs qui prendront la parole doivent parler dans la
discussion générale qui comprend la motion de M. d'Elhoungne.
M. Rogier. - Lorsque la discussion générale sera close, cette
clôture portera-t-elle également sur la motion de M. d'Elhoungne ?
M. le président. - La clôture, étant prononcée, porterait en
même temps sur la discussion générale et sur la discussion de la motion de M.
d'Elhoungne. Je vais, du reste, consulter la chambre. Est-il entendu que la
discussion actuelle embrasse la proposition de M. d'Elhoungne ?
- Cette question est résolue affirmativement par
la chambre.
M. Rogier. - Alors je céderai la parole aux orateurs qui
veulent parler dans la discussion générale ; mon intention est de me
restreindre dans la motion de M. d'Elhoungne.
M. d’Hoffschmidt. -
Messieurs, les explications que j'ai données à la chambre au début de la
discussion, ont été l'objet de différentes interprétations el notamment en
ce qui concerne la divergence d'opinion qui s'était manifestée entre
d'honorables collègues de la combinaison formée par M. Rogier et moi,
relativement à la question de dissolution. Je me propose donc de dire encore
quelques mots sur ce point. Je présenterai ensuite quelques observations sur le
ministère. Je serai très bref, car je sens que la chambre doit être fatiguée de
la longueur de ce débat.
La question sur laquelle nous avons différé
d'opinion avec l'honorable M. Rogier est, comme je le disais tout à l'heure,
celle relative à la demande de dissolution éventuelle.
Je l'admettais sur le projet de loi relatif à
l'enseignement moyen , je ne l'admettais point sur les autres cas indiqués dans
le programme. D'abord, messieurs, je dois dire que, dans mon opinion, la
faculté de pouvoir dissoudre les chambres ne me paraissait point indispensable
pour le maintien d'un cabinet libéral, d'un cabinet libéral animé d'idées de
modération, de justice et d'impartialité comme, d'après les conversations que
j’ai eues avec l'honorable chef de la combinaison, l'eût été le cabinet dont il
s'agit. Quand bien même les membres de l'opinion catholique eussent été opposés
à ce cabinet, je crois comme l'a fort bien fait observer l'honorable M.
Delfosse, qu'il eût encore eu la majorité dans cette chambre.
Nous en avons eu la preuve dans ce qui s'est
passé en 1841. En 1841, un cabinet exclusivement libéral se trouvait en
présence de la législature; une question de cabinet fut nettement posée sur le
budget des travaux publics. Eh bien, alors, dans cette enceinte, ce ministère
obtint une majorité de 10 voix. On sait, en effet, messieurs, tout homme qui
s'occupe un peu de la statistique de celte chambre sait parfaitement qu'elle
est divisée en deux fractions à peu près égales et que dès lors la majorité
appartient au ministère, par suite d'un certain nombre de voix flottantes qui
votent alors en faveur du gouvernement.
Au sénat, messieurs, nous savons que la majorité
n'appartient point à l'opinion libérale, mais est-ce un motif pour croire que
l'acte posé en 1841 par cette assemblée, se serait encore renouvelé si un
ministère libéral, comme je le disais tout à l'heure, s'était représenté devant
elle, avec des idées de modération et d'impartialité ?
L'acte posé par le sénat en 1841 a eu des
conséquences très graves, des conséquences qui ont dû même frapper un pouvoir
aussi conservateur, aussi modérateur que cette assemblée.
Je n'hésite pas à le dire, messieurs, l'acte
posé par le sénat, acte que M. le ministre des affaires étrangères a qualifié
lui-même plusieurs fois de faute, cet acte nous en ressentons peut-être encore
aujourd'hui les effets. Eh bien, dès lors il est à croire que si le programme
du ministère avait été adopté par la Couronne, le sénat n'eût pas posé un acte
semblable, aussi longtemps que le ministère eût marcher dans les idées de
modération et d'impartialité, sans lesquelles, quant à moi, je ne fusse point
resté dans ce cabinet.
Du reste, messieurs, par cela même que la
demande de dissolution éventuelle n'aurait point été faite, on n'abandonnait
pas, dans l'hypothèse d'un conflit entre la chambre et le ministère, on
n'abandonnait pas le droit qu'a tout ministère de venir formuler cette demande
devant la Couronne. Et, messieurs, la Couronne, en appelant l'honorable M. Rogier,
avait fait, j'en suis profondément convaincu, un acte sérieux ; si la Couronne
s'était entendue avec le cabinet, je suis porté à croire, quant à moi, qu'elle
aurait soutenu de toute son influence le cabinet, aussi longtemps qu'il eût
marché dans la même voie.
Ainsi, messieurs, je crois que, sans la demande
de dissolution éventuelle, un ministère libéral pouvait se soutenir devant les
chambres.
Cependant, messieurs, il y a à l'ordre du jour une
question de la plus haute importante, une question qui domine toute la
situation, c'est celle de l'enseignement moyen. C'est cette question qui a été
la chute de l'ancien cabinet; c'est cette question qui a été la cause de la
longue crise qui a pesé sur le pays.
II ne fallait donc plus que cette crise se
renouvelât, qu'un deuxième cabinet vînt se briser sur la même difficulté. Eh
bien, sur cette question si importante, je crois que la demande de dissolution
éventuelle était nécessaire, tout au moins qu'elle pouvait être admise.
En effet, messieurs, le projet de loi sur
l'enseignement moyen avait été soumis préalablement au Roi ; il avait été
adopté par la Couronne, comme l'honorable M. Rogier l'a dit encore hier. Ce
projet de loi était conçu dans des idées de modération, dans des idées
rationnelles ; ce projet de loi, d'une part, n'aurait porté aucune atteinte à
la liberté de l'enseignement et, d'un autre côté, il aurait fait respecter
l'indépendance du pouvoir civil. Eh bien, si ce projet avait été rejeté par
l'une ou l'autre chambre, évidemment il y avait alors nécessité de faire un
appel au pays. Nous ne devions pas replonger le pays dans une nouvelle crise,
nous ne devions pas courir le danger de voir un troisième ministère peut-être
encore se briser sur la même question ; il fallait alors que le pays lui-même
la tranchât.
Qu'on me permette de le dire ; à l'appui d'une
semblable opinion vient le fait important qui citait hier l’honorable M.
d'Elhoungne, lorsque lord Grey est arrivé au ministère. Cet homme d'Etat
demanda alors la dissolution éventuelle sur la question de la réforme
parlementaire.
M. de Mérode. - Je demande la parole.
M. d’Hoffschmidt. - Je ne veux point, sous le rapport de
l'importance, comparer la question de la réforme parlementaire en Angleterre à
la question de l'enseignement moyen en Belgique ; mais il n'en est pas moins
vrai que cette dernière question est aussi de la plus haute importance.
Messieurs, les autres cas indiqués dans le
programme n'avaient point à mes yeux le même caractère d'importance, ni le même
caractère d'urgence ; et en second lieu, les cas indiqués au n°2 du paragraphe
6 ne me semblaient pas suffisamment déterminés, et c'est pour ces motifs,
messieurs, que j'étais opposé à la demande de dissolution éventuelle sur ces
questions. (Interruption.) On me dit
que mes réserves avaient été indiquées ; (page 1175) en effet, messieurs, en consentant à ce que mon nom fût
placé dans le rapport que l'honorable M. Rogier devait adresser au Roi, j'avais
demandé en même temps qu'il fût fait mention de la réserve que je faisais à cet
égard. Cette mention, a été faite.
L'honorable M. Rogier, dans la lettre qu'il a
adressée à Sa Majesté l'avait indiquée dans une note, et il ajoutait qu'il
expliquerait lui-même ces réserves à Sa Majesté.
L'honorable M. Delfosse, dans la lettre qu'il a
adressée à notre honorable président, a dit que dans la conversation que j'ai
eue avec l'honorable M.de Brouckere j'aurais répondu que si le Roi acceptait le
programme, je n'hésiterais pas à l'accepter aussi, et à marcher entièrement
d'accord avec mes honorables collègues. Je n'ai aucun intérêt, messieurs, à
contester cette allégation; cependant, je dois à la vérité de dire que je ne me
suis point rappelé cette circonstance.
De mon côté, j'avais pris également des notes,
et ces notes, telles que je les ai lues à la chambre, je les avais soumises à
l'honorable M. de Brouckère, qui n'y a fait aucune objection, Cependant, si
l'honorable M. de Brouckère affirme le fait, je dois croire que sa mémoire a
été plus fidèle que la mienne, et je n'ai, du reste, je le répète, aucun
intérêt à contester l'exactitude de son assertion. Il est évident que si le
Roi, dans sa haute sagesse, avait trouvé que le programme ne portait aucune
atteinte à sa prérogative, il eût été déplacé, de ma part, de me prétendre plus
sage, plus constitutionnel, plus royaliste, en quelque sorte, que le Roi lui
même.
Messieurs, dans toute cette longue crise
ministérielle que nous venons de traverser, je n'ai été dirigé que par un
impérieux devoir. Je n'ai pas cru que moi, qui appartenais à l'ancien cabinet,
je pusse refuser mon concours chaque fois que la Couronne me faisait un appel
et que mes principes et mes convictions me permettaient d'y répondre.
C'est pourquoi, lorsque la Couronne a bien voulu
arriver jusqu'à moi, pour me demander que, de concert avec un honorable
sénateur, nous fissions des tentatives pour la formation d'un cabinet, je n'ai
pas cru qu'il me fût permis de refuser cette mission.
Hier, l'honorable M. d'Elhoungne vous a dit que
nous n'avions pas fait de programme ; cela est parfaitement vrai ; la première
condition que nous avions à remplir était de chercher à nous associer un homme
éminent de la nuance d'opinion qu'avait indiquée S. M. ; du moment où cet homme
nous a manqué, nous n'avons pas eu à formuler un programme; nous avons déclaré
à S. M. que nous renoncions à la mission qu’elle avait daigné nous confier.
Du reste, l'honorable M. Dumon-Dumortier était
de mon avis sur la question de dissolution éventuelle, et il ne la croyait pas
non plus indispensable pour le maintien d'un ministère libéral, animé d’idées
d'impartialité et de modération.
Je passe maintenant, messieurs, à l'examen de la
situation actuelle, et je n'hésite pas à dire que je considère comme un
événement pour le pays, la formation d'un ministère catholique homogène. Je
puis l'appeler un événement, car depuis 1830, l'opinion catholique n'avait pas
pris à elle seule les rênes du gouvernement; je puis l'appeler ainsi, en
présence de l'émotion profonde que l'avènement de ce ministère a causée dans le
pays et dans cette enceinte. Je sais, messieurs, que les difficultés d'une
longue crise ont amené ce résultat ; mais le fait n'en est pas moins existant,
et n'en entraîne pas moins des conséquences très graves.
Une des premières conséquences que la formation
d'un cabinet catholique homogène amènera sans doute, se fera sentir dans cette
chambre elle-même.
Comme vous le savez, messieurs, un dissentiment
existe entre deux fractions de l'opinion libérale dans cette chambre. Ce
dissentiment porte sur la question des ministères mixtes. Dans toutes les
questions de principe et de parti, si je puis m’exprimer ainsi, l'opinion
libérale votait avec ensemble ; mais lorsqu'il s'agissait d'une question de
confiance posée par un cabinet mixte, là, l'opinion libérale s'est constamment
fractionnée; 20 ou 25 voix votaient constamment contre les ministères mixtes,
une vingtaine d'autres voix libérales votaient en faveur de ces cabinets. Eh
bien, messieurs, il me paraît évident qu'en présence d'un cabinet catholique
homogène, cet état de choses n'existera plus, que la dernière des deux
fractions libérales dont je viens de parler, passera à peu près tout entière
dans l'opposition.
Je ne veux pas dire que ce sera une opposition
systématique, une opposition s'attaquant à des actes d'intérêt matériel, à des
mesures administratives. Mais je veux parler de cet appui qui se révèle par des
discours, par des votes de confiance, par une approbation de l'esprit qui anime
l'administration.
Je ne comprendrais pas, je l'avoue, qu'il put en
être autrement ; je ne comprendrais pas qu'un membre de l'opinion libérale pût
soutenir un cabinet libéral, puis un ministère mixte, puis un ministère
catholique; pût enfin soutenir les cabinets de toutes couleurs, les cabinets
passés, présents et futurs, les cabinets quand même. Ce serait déclarer que
l'on renonce à la formation des ministères où l'opinion libérale est
entièrement ou en partie représentée ; ce serait, en un mot, abdiquer son
opinion politique.
Quant à moi, je me suis, dans mes discours
politiques, constamment prononcé contre la formation d'un ministère catholique
homogène ; dès lors, il serait tout à fait étrange que je vinsse maintenant
prêter mon appui à un semblable cabinet ; et comment pourrais-je le faire,
lorsque plusieurs membres du ministère actuel eux-mêmes ont combattu avec
énergie le principe des ministériels catholiques homogènes ? Comment pourrions
-nous, membres de l'opinion libérale, donner à un ministère catholique exclusif
l'appui dont je parlais tout à l'heure, cet appui qui se révèle par des votes
politiques, lorsque des membres de cette opinion l'ont eux-mêmes autrefois
énergiquement réprouvé !
Messieurs, quels seront dans l'ordre politique
les actes du ministère ? Quel sera leur esprit ? Nous l'ignorons. Jusqu'à
présent le programme ne nous a a peu près rien appris. Ce programme, je
l'avoue, m'a étonné, en ce qu'il ne faisait pas connaître l'opinion du cabinet
sur la question dominante, sur la question de l'enseignement moyen.
Il me semblait à moi que le programme du
ministère qui succédait au cabinet du 31 juillet, devait s'expliquer sur les
principes qui guideraient le nouveau ministère en matière d'enseignement moyen.
Je m'attendais même à ce qu'on nous ferait connaître, à ce qu'on nous
annoncerait du moins un projet de loi dans un sens qui rallierait l'opinion
libérale; mais je dois le dire, les réticences qu'on met à vous présenter le
projet, à nous faire connaître les intentions du cabinet à cet égard, ne me
paraissent pas devoir réaliser cette idée.
Je crois donc qu'il y aurait lieu d'adopter la
proposition de l'honorable M. d'Elhoungne ; ce serait un moyen et pour la chambre
et pour le pays de se fixer sur la marche que suivra le cabinet; jusqu'à
présent, nous ne savons rien de cette marche; sur la question principale, nous
sommes dans l'ignorance la plus complète à l'égard des idées qui doivent
diriger le ministère.
A en croire M. le ministre des affaires
étrangères, la marche du ministère sera extrêmement modérée et même elle sera
pour ainsi dire libérale. Mon ancien collègue, M. le ministre des affaires
étrangères, ne verrait aucune difficulté à signer le programme de l'honorable
M. Rogier. Quant à moi, je crois à la sincérité de l'honorable M. Dechamps ;
j'ai eu l'honneur de siéger avec lui dans les conseils du Roi, et je me plais à
déclarer que j'ai trouvé peu d'hommes plus modérés, plus conciliants que lui et
en même temps de plus agréable collègue. Mais l'opinion de l'honorable M.
Dechamps dominera t-elle dans le cabinet ? J'en doute ; je crois que l'opinion
dominante dans le cabinet sera naturellement celle de l'honorable M. de Theux;
il sera, lui, l’âme du cabinet, et ce sera lui qui lui donnera sa pensée. Or,
jusqu'à présent, nous ne savons pas encore s'il adopte la manière de voir de
son collègue des affaires étrangères. L'honorable M. Lebeau lui a posé, à cet
égard, des demandes clairement formulées, et jusqu'à présent nous n'avons reçu
aucune réponse.
Du reste, je crois qu'on ne peut pas se faire
illusion : quand un cabinet homogène se forme, il ne peut guère compter que sur
ses propres partisans, c'est ce qu'on a toujours vu et ce qu'on verra
probablement encore ; pendant un certain lemps, on parvient parfois à obtenir
l'adhésion de quelques voix d'une opinion opposée ; mais ces quelques voix ne
tardent pas à revenir au parti auquel elles appartiennent. C'est ce qu'on a vu
en 1840 : à celle époque un ministère libéral homogène avait été formé; il
était composé des hommes les plus modérés; le programme de ce ministère était
d'une modération exemplaire, si je puis m'exprimer ainsi. Eh bien, ce
ministère, en 1841, n'a pas obtenu l'adhésion de l'opinion opposée, et c'est
d'autant plus remarquable, que jusqu'alors la conduite du cabinet libéral
n'avait pas cessé de répondre à ses promesses et qu'on ne pouvait adresser le
moindre reproche d'avoir manqué de modération et d'impartialité.
Messieurs,
le cabinet peut marcher avec l'appui de l'opinion catholique ; mais il aura à
lutter contre l'opinion libérale à peu près tout entière, et dans cette chambre
et en dehors de cette chambre. Cette lutte sera-t-elle avantageuse à l'opinion
que représente le cabinet ? J'abandonne cette question à l'appréciation des
hommes distingués que renferme celle opinion ; quant à moi, je ne le crois pas.
L'opinion catholique a besoin de calme et de paix ; les luttes ardentes des
partis ne peuvent lui apporter aucun avantage, elle ne peut qu'y perdre. On a
dit que les esprits s'exalteraient par ces luttes ; or, nous en avons déjà la
preuve évidente. Déjà l'antagonisme et la guerre ont remplacé les paroles de
paix et de conciliation. Quant à moi, je ne vois pas cette situation sous des
couleurs aussi sombres que d'honorables préopinants, mais je n'hésite pas à
dire qu'une semblable situation est fâcheuse et peut devenir très dangereuse
pour le pays.
M. le prince de Chimay. - Messieurs, j'aurai égard à la longueur des débats,
à la fatigue bien naturelle de la chambre, et je me bornerai au simple exposé
des principes qui dirigeront ma conduite parlementaire en présence du ministère
actuel.
Je ne suis pas venu, messieurs, me constituer
dans cette enceinte à l'état d'homme de parti. Mes commettants savent que,
dévoué à la défense des intérêts matériels et positifs du pays, intérêts qui,
d'ailleurs, sont les miens à plus d'un titre, je n'eusse pas accepté d'autre
mandat. Je dois dire, au nom de ce mandat, pourquoi, tout en restant fidèle aux
principes immuables de conciliation loyale et sincère que je crois seuls
compatibles avec la stabilité du pouvoir constitutionnel et les véritables
intérêts du pays, j'accepte l'existence du ministère, que je serais presque
tenté d'appeler ministère, non de fatalité, mais de miséricorde ; car vous lui
devez cette justice, messieurs, que le vaisseau de l'Etat a tout essayé avant
d'en venir à lui. Ce n'est pas avec des noms propres qu'on gouverne, nous a dit
l'honorable comte de Theux, mais avec des principes. J'accepte cette maxime.
J'entends voter, non pas sur les noms propres, mais sur des principes et des
actes.
Je m'étonne, messieurs, je l'avoue, de
l'hostilité préalable de ceux pour lesquels les ministères homogènes semblent
l'avènement de la politique normale qu'ils appelaient, disaient-ils, de tous
leurs vœux.
Mais alors, messieurs, laissez à cette politique
naissante le temps de se faire connaître, de montrer au pays ses avantages ou
ses dangers; ne donnez pas à penser que votre prédilection est exclusivement
concentrée sur l'homogénéité libérale. Du reste, je ne m'abuse pas plus que
l’opinion publique (page 1174) sur
la violence même des attaques qu'on disait jusqu'ici uniquement dirigées contre
les cabinets mixtes.
Soyons francs, messieurs, et disons que la
violence d'aujourd'hui, comme celle des dernières années, tient à l'essence de
toute minorité. Vous vous disiez trahis par M. Nothomb, vous vous croyez
menacés par M. de Theux.
Ajoutez que les noms propres du ministère actuel
ont, dans le fait, un peu besoin de l'honorabilité des personnes pour garantir
leur esprit de transaction et vous serez dans le vrai. Pour moi, messieurs, ces
garanties je la trouve et vous devriez la trouver aussi dans l’intérêt même du
ministère, dans ses impérieuses nécessités d'existence. Et croyez-le bien, le
jour où il y manquerait, je serais le premier à déserter sa cause. J’appuierai
donc le ministère, pour me servir de l'expression d'un célèbre légiste
français, « quoique homogène », et tant qu'il fera mentir son nom.
J'ai dit, messieurs, que je regardais la.
conciliation loyale et sincère comme la seule base solide des gouvernements
constitutionnels, et je regrette de ne pouvoir à cet égard adopter la spécieuse
théorie si habilement développée par l'un de nos plus honorables collègues dans
la séance de samedi dernier. Les ministères mixtes, nous disait-il, doivent
être l'exception ; les grands cataclysmes, les grands dangers peuvent seuls les
motiver et les excuser. Mais le repos extérieur des nations, l'esprit même des
chartes veulent des ministères homogènes, demandent la lutte incessante des
partis, sous peine de voir s'affaisser et s'éteindre celte lutte qui, seule,
vivifie les rouages gouvernementaux et entretient l'esprit national. Ainsi,
messieurs, notre pays, dont les intérêts industriels, agricoles et commerciaux
réclament tant de travaux et de sollicitude, verrait une large part de nos
sessions se passer en querelles de partis ! Divisés en deux camps ennemis, nous
ne serions plus qu'oppresseurs ou opprimés ! Mais , de grâce, messieurs, où
sont donc ces grands éléments de discorde, où sont ces dissentiments
inconciliables?
S'il y a en Belgique des nuances d'opinion, il
n'y existe véritablement pas de partis, dans l'acception rigoureuse de ce mot.
Nous n'avons ni légitimistes, ni républicains; tout le monde, à bien peu
d'exceptions près, veut ici les mêmes principes religieux, la même indépendance
du pouvoir civil, la même dynastie, la même Constitution, les mêmes lois. Je
prétends que dans un tel pays, tout pouvoir constitué au profil d'une opinion
exclusive ne peut et ne doit être qu'une exception ou le produit de
circonstances impérieuses, mais jamais la conséquence d'un état politique
normal La victoire est rarement magnanime, messieurs, et la défaite est
toujours insupportable; pourquoi donc voudrait-on ainsi pousser alternativement
une fraction du pays vers l'abus de la force et l'autre vers les désordres,
inséparables, en Belgique plus qu'ailleurs, de toute oppression ? J'admets
d'autant moins un pareil système, qu'il me paraît dangereux pour la saine
pratique des idées constitutionnelles. Je ferai, toutefois, une concession à
l'honorable M. Lebeau. J'admets une homogénéité, celle qui repose sur l'entente
cordiale, quant aux principes, et surtout quant à leur application; j'insiste à
dessein sur ce mot. Je reconnais que, sans ce genre d'homogénéité, il ne peut
exister de gouvernement mixte acceptable par toutes les nuances modérées, et
susceptible par cela même d'une existence consciencieuse et forte.
Permettez, maintenant, messieurs, à un humble
représentant de la Belgique inintelligente, ou, du moins, déclarée telle par
l'un de nos rois de la parole, permettez-lui de venir, au nom de ce peuple dont
on parle tant et pour lequel on fait si peu, vous exprimer en toute franchise
ses tristes réflexions sur ce qui se passe. Eh quoi, messieurs, le pays serait
en danger, des associations, des clubs s'organiseraient sur tous les
points ! bientôt, dites-vous, vous seriez débordés, bientôt ces voix de
cœur et de dévouement que j'aime à entendre plaider parfois si chaleureusement
la cause du progrès et de l'avenir, ces voix seraient impuissantes ! Et vous ne
nous tendriez pas la main ; vous ne nous viendriez pas offrir ce concours qu'en
pareille occurrence vous trouveriez toujours dans nos rangs ? Non, messieurs,
je ne puis y croire. Serait-ce dans un pareil moment que l'on conseillerait le
suicide à la majorité, qui tient avec le pouvoir la sécurité des citoyens dans
ses mains ? Je n'hésite pas à le dire, messieurs, le suicide est toujours une
faute; mais aujourd'hui, si les faits qu'on vous signale étaient vrais, celui
de la majorité serait une lâcheté !
Comme mon honorable ami, M. Dolez, j'admets
aussi deux hypothèses : Ou la Providence continuera à veiller sur l'Europe et
alors, messieurs, prenez patience, respectez le libre jeu des institutions que
nous avons tous jurées; ou la Providence non contente d'arrêter le cours de
cette illustre vie, devenu le palladium de la prospérité et de la saine liberté
des peuples, réveillera l'hydre révolutionnaire, et alors, souvenez-vous,
messieurs, que pour la France légitimiste, comme pour la France républicaine,
la nationalité belge est un non-sens !
Ce drapeau du juste milieu que je vois à terre
aujourd’hui, je le relève, messieurs, au nom de notre sécurité présente, au nom
de l'avenir du pays et je ne le porterai pas seul, j'en ai l'intime conviction.
Croyez qu'il est en Belgique bon nombre d'hommes aussi peu pressés d'acheter le
crâne masculin de sainte Dorothée que d'accepter,
autrement que les armes à la main, le sanglant manifeste de Cracovie !
Réunissons nos efforts, messieurs ; nous ne sommes pas trop nombreux pour
préparer et garantir l'avenir. Au lieu d'exciter les passions, cherchons, et
par nos paroles, et par nos exemples, à les calmer. En présence du pays,
sachons faire taire nos sentiments privés. Gardons-nous surtout, messieurs,
d'encourager le rêve des utopies sociales. L'ennemi qui, de toute part, frappe
à la porte de la civilisation, affecte d'emprunter vos nobles et généreuses
pensées. II présente aux masses votre drapeau. C'est à vous, messieurs de la
gauche, qui vous posez en avant-garde de la société, à prémunir les peuples
contre cet emblème trompeur. Montrez leur courageusement avec moi la véritable
bannière de ceux qui, dites-vous, cherchent à vous déborder ; ils y verront
inscrit en caractères de sang : « Communisme et désorganisation
sociale ».
La Belgique, j'en suis convaincu, messieurs, ne
veut ni de l'un ni de l'autre ! pas plus qu'elle ne veut être sans cesse
divisée en deux camps rivaux, au grand péril de ses institutions libres et de
sa nationalité !
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je ne puis laisser passer le
discours de l'honorable M. d’Hoffschmidt sans vous faire part de quelques
réflexions qu'il m'a suggérées. L'honorable membre, après avoir quitté le
ministère de juillet dernier, dont faisaient partie mes honorables collègues, a
cru devoir s'associer à une combinaison libérale pure. Dès, lors l'honorable
membre se trouvait dans l'impossibilité d'accorder son appui à un cabinet
homogène de notre bord. Son opinion n'a donc rien qui m'ait surpris. Mais ce
qui m'a surpris dans ses paroles, c'est une inconséquence frappante entre la
théorie qu'il nous a enseignée aujourd'hui. et sa conduite.
L'opinion libérale, vous a-t-il dit, va se
trouver compacte pour combattre le ministère actuel, parce que, dans les
grandes luttes, personne ne peut se séparer de son opinion. Mais si tel est le
système de notre honorable collègue, membre de l'opinion libérale, ne
donne-t-il pas le même enseignement à l'opinion catholique pour combattre un
ministère libéral homogène? Il a ajouté que, dans cette situation, la marche du
gouvernement sera entravée. D'autre part, il nous a dit qu'un ministère libéral
homogène aurait eu dans cette chambre et dans le sénat une marche facile qui
l'eût dispensé de toute demande de dissolution. Je dis qu'il y a là une
contradiction flagrante.
M. d’Hoffschmidt. - Pas la moindre.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable membre suppose que le sénat
appartient, en grande majorité, plutôt à notre opinion qu'à la sienne. Cependant,
il comptait sur une majorité, sur une marche facile ; mais nous, nous devrions
rencontrer sur les bancs de la gauche et même du centre, une opposition
systématique qui paralysera le gouvernement.
Non, je n'admets pas l'opinion de l'honorable
membre. Je suis certain que lorsqu'on a fait si souvent appel aux ministères
homogènes, on n'était pas animé des sentiments qu'on manifeste aujourd'hui.
Je dois croire qu'il y avait de la sincérité
dans les appels qu'on faisait, en quelque sorte à notre opinion de saisir le
pouvoir, au détriment des ministères mixtes. Jamais nous n'avons répondu à cet
appel, parce que nous avons toujours été partisans de la conciliation ; nous
avons toujours soutenu les ministères mixtes, parce que nous ne voulons pas
d'exclusion. Cependant nous n'avons jamais professé de doctrine absolue sur la
composition des ministères. Nous avons compris que l'opinion libérale pouvait
arriver homogène au pouvoir comme l'opinion catholique.
Quel est le résumé du discours de l'honorable M.
d'Hoffschmidt ? C'est qu'à la suite de cette discussion se trouve
nécessairement la dissolution de la chambre si le vote nous était défavorable.
La conclusion est directe, il est impossible de se la dissimuler, pour que
l'une des deux grandes fractions puisse obtenir une majorité plus prépondérante
et gouverner. Voilà la conclusion nette et précise. Pensez-vous que la
circonstance soit favorable à une pareille mesure ? Voilà la question que je
laisse à résoudre à votre jugement calme et réfléchi. C'est quand on invoque le
calme, la paix publique, les sentiments de modération qu'on veut livrer le pays
à l'agitation la plus profonde qu'il puisse éprouver.
M. Vilain XIIII remplace M. Liedts au fauteuil.
M. le président. - La parole est à M. de Mérode.
Quelques voix. - La clôture !
D'autres voix. - Non ! non ! parlez !
M. de Mérode. - Si on veut clore, je n'insisterai pas.
Un grand nombre de voix. - Parlez ! parlez !
M. de Mérode. - Messieurs, bien que l'on m'ait signalé, dans des
journaux de province, comme protecteur d'un condamné qu'on a remis constamment
en scène faute d'arguments sérieux contre les explications politiques du
ministère, je ne dirai pas le mot sur le fond d'un pareil incident, dont on a
fait la base du prétendu gouvernement occulte devant servir de thème à
l'éternelle chicane qui dévore notre temps. Ce que j'affirmerai seulement,
c'est que dans les débats parlementaires, soit d'Angleterre, soit de France,
soit de Hollande, que je connais, je n'ai jamais vu figurer une accusation
d'indulgence mal placée envers un coupable, comme un immense méfait
administratif. On attaque des ministres pour des procès trop sévèrement dirigés
à l'égard de délits de presse ou autres délits politiques, jamais que je sache
pour s'être laissés circonvenir en faveur d'un condamné.
Il appartenait à la théorie libérale, à l'envers
de la signification réelle du mot, comme je l'ai prouvé dans mon dernier
discours, de transformer en monstre un laisser-aller trop facile à des
recommandations pour adoucissement de peine, et d'occuper une chambre pendant
des séances entières à ce sujet. Mais pendant qu'on détourne ainsi l'attention
publique, on se tait sur la véritable influence qui commence à envahir le pays
; et chose curieuse, c'est l'organisateur même de l'occulte, monté en grand,
sans gêne et sans mesure pour absorber le pouvoir, qui se fait le dénonciateur
d'une direction secrète bien habile, sans doute, puisqu'elle procéderait par la
mise en liberté d'un hypocrite criminel capable de séduire quelques personnes
honorables, et c'est là ce qui prouverait combien le pouvoir civil est courbé
sous l'influence du clergé, qui partout, néanmoins, prêche contre les vices et
préserve, plus que les lois même, la société de leur débordement.
(page
1176) Quant à moi, messieurs, j'ai plus d'une fois élevé la voix dans cette
enceinte contre la philanthropie qui épargne les assassins au risque de faire
assassiner d'autant plus d'honnêtes gens mal protégés par la justice , et je ne
plaiderais pas pour l'impunité de méchants coups de fusil tirés sur un homme,
le tireur fût-il courtier dévoué de mon élection ; j'imiterais plutôt les
honorables avocats de Mons, bien informés, que je félicite de n'avoir pas voulu
défendre Retsin. Si dans leur profession noble par essence, pas toujours en
pratique, on imitait beaucoup l'exemple qu'ils ont donné, tant dans les causes
civiles que dans les causes criminelles, la morale et l'équité régneraient.
J'en reviens au pouvoir occulte, non pas celui
qui reste à l'état de fantôme, mais au pouvoir occulte réel constitué dans nos
grandes villes spécialement, et auquel s'affilient beaucoup de gens véreux et
peureux, les premiers parce qu'ils espèrent remplacer le vrai mérite à l'aide
d'une camaraderie secrète, les seconds parce que la menace est derrière cette
camaraderie, et qu'elle procède facilement par les expulsions et les
destitutions, comme il est facile de le voir, et comme on voudrait ici procéder
envers nous-mêmes, en vertu d'insoutenables programmes.
Remarquez, messieurs, que ce n'est pas moi qui
suis venu provoquer et lasser votre attention à l'égard des influences qui se
cachent ; je n'aime pas ce genre d'attaques ; mais quand j'entends crier, avec
une affectation outrée : Au voleur !, j'examine si le véritable larcin ne se
commet point par la main du crieur même. En effet, quand M. Verhaegen, qui
traitait du haut en bas un honorable et loyal ministre, écrivait aux
campagnards des environs de Bruxelles sur la dîme, il les engageait
spécialement à ne pas montrer ses lettres à MM. les curés, et pourquoi ? parce
que ceux-ci leur auraient facilement expliqué que la dîme des temps précédents,
moyen nécessaire à cette époque où les finances ne se trouvaient pas organisées
comme aujourd'hui, était alors la réalisation, la mise en action du principe
toujours subsistant que les chrétiens doivent pourvoir aux besoins matériels du
culte divin.
Autrefois les magistrats recevaient des épices
qui constituaient leur salaire. Qui songe maintenant, parmi les juges, à
cumuler les vieilles épices avec le traitement actuel ? Ainsi, M. Verhaegen qui
recommandait aux campagnards de tenir ses lettres dans l'ombre exerçait donc sur
eux une influence occulte et peu délicate en outre, puisque la dime n'était
qu'une attrape-niais destinée à fournir l'appoint nécessaire d'une majorité
électorale.
Une personne à laquelle je devais un grand
respect mérité, contemporaine de feu M. Verhaegen père, m'a souvent raconté
qu'il appelait la franc-maçonnerie franche friponnerie.
Je me garderai néanmoins, messieurs, d'imiter un
membre du conseil communal de Bruxelles, élu par cette catégorie d'électeurs
qui possèdent particulièrement la science infuse, lequel membre déclarait
récemment que, depuis Escobar, aucun jésuite, par conséquent ni Bourdaloue, ni
Verbiest, notre compatriote, président du tribunal des mathématiques en Chine,
ni le vénérable abbé de Ravignan qui réunit autour de sa chaire ce qu'il y a de
plus distingué à Paris, ne pouvait être honnête homme; je me garderai, dis-je,
d'assurer de même que tout maçon est fripon ; ce serait une impertinence et une
absurdité. Mais ce dont je ne doute pas un instant, c'est que s'il s'est
rencontré des individus de morale facile dans un ordre savant qui a compté des
milliers de sujets et reçu les éloges des Fénélon, des Chateaubriand et de tant
d'hommes illustres intermédiaires, il y a toujours eu dans les sociétés
occultes des centaines d'Escobars et de tartufes qui diraient comme Galiani à
Mme d'Epinay : « La liberté est une théorie bonne pour les sols et les dupes.
Il faut la prêcher quand on est faible et l'écraser quand on est fort »; qui
écrivaient comme Voltaire à Thiriot (Correspondance de Beaumarchais) : « Les
mensonge est une très grande vertu quand il fait du bien; il faut mentir non
pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours. Mentez, mes
amis, mentez, je vous le rendrai dans l'occasion. »
Des auteurs marquants, notamment Bossuet, ont
écrit dans un sens contraire à notre liberté moderne accompagnée de licence
dangereuse et tyrannique aussi ; personne ne le niera ; mais ils ont exprimé
leur opinion franche et n'en ont pas fait une déception.
Permettez maintenant que je prévienne une de ces
attaques par laquelle on escobarde une réplique sérieuse. On me dira peut-être
encore que j'ai moi-même été dans cette société occulte qui a usurpé le nom des
vieux constructeurs de nos cathédrales, bien qu'elle n'ait jamais manié d'autre
truelle qu'un marteau pour les démolir. Voici, sous ce rapport, une très courte
et véridique histoire : La maçonnerie des Pays-Bas, en sa qualité
d'anticléricale intolérante, était, en 1830, généralement orangiste. Or, les
rares partisans de l'affranchissement belge qu'elle contenait essayèrent de
fonder une loge sous le nom de « Société patriotique » ; ils
m'invitèrent à en faire partie, ce que j'acceptai ne prenant la chose que par
son nom générique, sans connaître la nature particulière de sa constitution. Il
va sans dire, messieurs, que je n'y trouvai pas M. Verhaegen, le patriote
transcendant du jour. Alors le métier était chanceux.
Aujourd'hui que l'on a, en vérité, un
patriotisme libérâtre qui change notre belle devise : « l'union fait la
force », en celle-ci : « l'exclusion fait la force »,
patriotisme dont le flot monte, dit-on. M. Verhaegen se met dessus, moi
devant ! Rien de plus naturel ni de changé au fond. Et voilà comme un soir
seulement j'ai vu la maçonnique lumière qui, là où j'étais du moins, devait
luire pour la patrie et la liberté libérale, et non pour un régime libérâtre
ténébreusement préparé.
Ne faut-il pas, messieurs, quand on organise les
moyens occultes largement et sans gêne, quand on y enrôle des magistrats, qui
devraient toujours être libres de liens secrets, pour inspirer pleine
confiance, ne faut-il pas compter sur une bien grande simplicité publique pour
venir lancer des accusations d'influence occulte à ceux qui n'ont rien combiné
de semblable, qui ne sont affiliés à aucune société, soutenus par aucune
société placée hors du soleil, et où l'on s'engage à des secrets ?
Pour mon compte, je suis las de rester sur la
sellette en face d'une tactique tracassière, hargneuse, accusatrice sans
relâche, à tort et à travers, qui cherche à tromper le monde en nous attribuant
ses torts, afin de s'en donner, avec les bénéfices, comme le disait un jour M.
Dumortier, les honneurs de la vertu.
Je ne dis pas, messieurs, que cette tactique ne
réussira pas ; elle a d'abord un puissant véhicule : c'est la crainte qu'elle
inspire. Il y a dans ce monde plus de gens lâches que de courageux. Etre exposé
à subir toujours des menaces, toujours des attaques, toujours des accusations,
à être destitué et dissous par un pouvoir despotiquement exercé, ce n'est pas
un rôle agréable.
Le système que nous défendons n'est à redouter
pour personne, celui qu'on nous oppose est brutal et intolérant ; le langage
qui s'explique par la violence même le dépeint, et si j'élève fermement et
énergiquement la voix contre lui, c'est qu'au méchant glaive il faut opposer le
dur bouclier inoffensif par lui-même et qui ne provoque pas le combat. C'est
qu'au flot qui monte, il faut opposer la digue garnie de pierres et de pieux ;
elle succombera peut-être sous l'élément qui détruit, c'est néanmoins son rôle
que je préfère, quoi qu'il en coûte, parce qu'il est tutélaire, utile et
bienfaisant et par conséquent libéral.
M. Castiau qui a lancé ses accusations
injurieuses contre les actes du congrès national même, vous l'avez entendu,
nous a surtout provoqués sur la dissolution. Il a dit que nous redoutions les
dissolutions, les appels à nos commettants, parce que nous disparaîtrions de
cette chambre. Quant à moi, messieurs, lorsque j'entends des discours inouïs
dans cette enceinte, débités par un homme que je n'ai vu figurer nulle part en
1830, en faveur de l'affranchissement du peuple, je me croirais personnellement
heureux de ne plus assister aux débats du parlement belge, qu'on transforme en
arène de grossiers pugilats. Non, messieurs, rien dans ce qui a été fait, dans
ce qui a été dit en Belgique depuis quinze années ne pouvait motiver, excuser
un instant le langage atrabilaire de M. Castiau.
M. Castiau. - Ce sont des personnalités intolérables. Je
demandée l'application du règlement.
M. le président. - J’invite M. de Mérode à s'abstenir de
personnalités !
M. de Mérode. - Je caractérise une polémique; c'est de la polémique
que je parle, il faut bien qu'on puisse appeler les choses par leur nom.
M. le président. - Il y a des mots qu'on ne peut pas prononcer dans
la chambre.
M. de Mérode. - On ne peut pas prononcer le mot atrabilaire ? A la
bonne heure !
Ledit orateur, qui semble avoir des prétentions
aux formes françaises, devrait s'apercevoir pourtant qu'il manque aux plus
simples égards en usage ordinaire en France, dans les assemblées politiques, hormis
à l'époque de la Convention, d'odieuse mémoire à laquelle il paraissait, hier,
emprunter son éloquence. Quant à moi, messieurs, je ne souffrirais pas, pour ma
part, une faconde de cette nature sans la qualifier; je la stigmatiserai, je la
flétrirai comme elle le mérite !
J'ai seize années de loyaux services dans cette
assemblée, un frère mort sur le champ de bataille avec la blouse d'un peuple
honnête et généreux, et j'ai le droit comme la hardiesse de repousser
vigoureusement les insultantes paroles adressées hier à la presque totalité des
représentants de ce peuple par M. Castiau ; paroles si contraires à la vérité,
sur nos institutions sur la conduite de notre congrès national, de notre
gouvernement, de nos chambres, depuis la noble révolution de 1830, que ni
Tartufe, ni Escobar n'ont jamais pu rien combiner de plus trompeur, de plus
faux en tous points.
Il est vrai que cette révolution, conduite par
des idées de patriotisme et d'honneur, ne s'est signalée par aucune tendance
anarchique de spoliatrice tyrannie, ni dans son origine, ni dans la
consolidation de ses résultats. Si c'est là ce que regrette M. Castiau, qu'il
nous le dise nettement, et non pas à l'aide d'une satire mensongère qui
transforme le bien en mal, la liberté vraie en déception, afin de ne pas
produire avec franchise l'éloge du mal lui-même, c'est-à-dire d'un despotisme
effrayant, dont le peuple serait le Raton séduit au profit du rude empire des
hautains parleurs radicaux Bertrands.
Messieurs,
le résumé de mes observations qui ne cachent pas mes sentiments, qui vont droit
au but sans réticence quelconque, le voici, il sera court :
L'absolutisme russe nicolâtre et le radicalisme
ultra-libérâtre momentanément rallié au doctrinarisme ultra-exclusif sont pour
moi le même démon despotique sous deux figures fort repoussantes l'une et
l'autre.
C'est pourquoi je suis ici, avec les véritables
et sincères libéraux, contre M. Castiau, et avec M. Castiau au comité polonais.
M. Verhaegen. - Messieurs, du moment que M. de Mérode a demandé la
parole, j'étais à peu près sûr qu'il se rencontrerait dans son discours une
provocation à mon adresse. Mais l'honorable M. de Mérode ne sait-il pas que je
suis dans l'habitude de répondre à des provocations quelles qu'elles soient ?
Messieurs, il y a beaucoup de. choses dans le
discours de M. de Mérode qui me concernent et auxquelles je ne répondrai pas
par dignité personnelle et par respect pour la chambre, car je n'ai vu dans
tout cela qu'une chose : après une tragédie , une farce, et une garce de
mauvais goût que le pays appréciera.
(page
1176) Une seule observation, je dois le dire, m'a péniblement affecté ,
celle qui se rattache à des souvenirs de famille. M. de Mérode a osé évoquer
l'ombre de mon père , il m'a mis en face du respect que je dois à l'auteur de
mes jours. Je respecte la mémoire de mon père, je respecte ses opinions , mais
mes opinions à moi sont ma propriété.
M. Dolez. - C'était très peu chrétien, très peu catholique.
M. de Mérode. - Un catholique doit être un dindon !
M. Verhaegen. - L'aveu est tant soit peu naïf. Mais puisqu'on a
parlé de dindon, je pourrai bien appliquer à l'honorable M. de Mérode le mot
qu'on appliquait à Charles X, savoir qu'il est un mouton enragé. (Interruption.)
M. le président. - Je prie M. Verhaegen de ne pas s'écarter des
convenances parlementaires.
M. Verhaegen. - Je suis dans mon droit, je me défends. Je
répondrai avec tout le calme dont je suis susceptible. Au reste, si je m'élance
une seule fois, par exception, dans le règne animal, j'y suis M. de Mérode.
Autrefois, il nous a parlé de ses oies, aujourd'hui il nous parle de ses
dindons.
Messieurs, je ne veux pas vous entretenir de
toutes ces rêveries renouvelées , je ne répondrai pas à tout ce qui a été
débité sur la dime et sur la maçonnerie : ce sont là de ces choses dont nous
n'avons pas à nous occuper ici, puisqu'elles n'ont rien de politique. Mais je
dirai à ce sujet qu'au moins nous, nous avons le courage d'avouer ce que nous
sommes; moi, par exemple, je me fais gloire d'appartenir aux loges maçonniques
et je le déclare tout haut ; mais vous, M. le comte de Mérode et vos amis, vous
n'osez pas dire en face du pays que vous faites partie de certaine société qui
tient par affiliation à la compagnie de Jésus et qui exerce cette influence
occulte dont j'ai parlé.
Quand vous nous disiez, il n'y a qu'un instant,
que vous n'êtes affilié à aucune société secrète, c'était une excuse imaginée à
propos d'une accusation fondée, et vous seriez très contrarié, sans doute, de
voir publier un jour le tableau de tous les affiliés jésuites, comme naguère
les hommes de votre parti ont fait imprimer le tableau des francs-maçons.
En voilà bien assez de toutes ces choses
étrangères au débat ; revenons à l'affaire Retsin au sujet de laquelle vous
avez dirigé principalement une accusation contre moi, car pour tout le reste de
votre discours je n'y réponds que par le mépris.
M. Castiau. - C'est cela !
M. Verhaegen. - Car c'était une inconvenance, c'était manquer à la
chambre que vous laisser entraîner à de pareilles incartades.
M. de Mérode. - Il n'y a que vous qui pouvez vous en permettre.
M. Verhaegen. - M. de Mérode m'a reproché d'avoir relevé une
affaire qui fait son cauchemar et celui de ses amis, car elle a porté dans le
pays un coup terrible à certaine société ! M. de Mérode m'a reproché
d'avoir blâmé l'indulgence qu'à tort ou à raison on a montrée en faveur d'un
condamné.
On a bien vu, dit-il, des hommes blâmer la
sévérité contre un condamné. Mais jamais on n'a vu blâmer encore l'indulgence
en sa faveur. Dieu me garde de jamais donner matière à un pareil
reproche ! Mais de quoi s'agit-il dans l'occurrence ? Il s'agit de savoir
comment un homme dont la conduite a été qualifiée par le cabinet lui-même,
comment un homme condamné à cinq ans de prison pour vol de deniers publics dans
les circonstances que vous connaissez, a obtenu son élargissement, et comment
en deux ans et demi il est parvenu à obtenir dans l'administration des finances
un avancement tellement rapide que, de simple domestique qu'il était, il est
arrivé, en deux ans et demi, à une recette de 6,000 fr.
Nous avons attribué tout cela à une influence
occulte, et nous avons à cet égard donné des raisons péremptoires : Mais je
n'ai pas tout dit, et puisque l'honorable M. de Mérode m'a provoqué, je vais
maintenant compléter ma révélation.
Un membre. - Ce n'est plus un fait personnel.
M. Verhaegen. - C'est évidemment un fait personnel, car on m'a accusé
d'avoir blâmé l'indulgence qu'on a montrée à l'égard d'un condamné.
M. de Mérode. - Je n'ai pas dit cela.
M. Dubus (aîné). - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. Fleussu. - On craint les explications.
M. Dubus (aîné). - Au moment où je demande la parole pour un rappel
au règlement, j'entends dire que c'est parce qu'on craint les explications.
Je réponds : On désire que le règlement
s'exécute, et que chacun parle à son tour de parole.
L'honorable membre a attaqué, dans une séance
précédente, dans un discours très étendu, un acte du ministre de la justice, à
prétexte qu'un autre membre de cette chambre a défendu contre lui le ministre
de la justice. Il n'y a pas là de fait personnel. Il prétend ainsi enlever un
tour de parole et développer de nouveau son accusation contre le ministre de la
justice.
M. Verhaegen. - Non !
M. Dubus (aîné). -Voilà ce que j'ai entendu. « Je vais, a dit
l'honorable membre, compléter ma démonstration. » Ainsi, il prend prétexte d'un
fait personnel pour prononcer un discours qu'il ne pourrait prononcer que quand
son tour de parole sera venu. Je dis que c'est une violation du règlement. Je
demande que le règlement soit exécuté.
M. le président. - Je ne crois pas violer le règlement, en continuant
la parole à M. Verhaegen. Il a été violemment attaqué par M. de Mérode, au
sujet de ses discours et de sa conduite. Jusqu'à présent M. Verhaegen lui a
répondu d'une manière convenable. Je ne crois pas devoir lui retirer la parole.
M. de Mérode. - J'ai demandé la parole pour un fait personnel.
M. le président. - Vous l'aurez après.
M. de Foere. - Je demande la parole sur l'incident.
M. le président. - Est ce sur le rappel au règlement ?
M. de Foere. - C'est sur l'incident.
M. le président. -Sur quel incident?
M. de Foere.- Je ne m'oppose en aucune manière à ce que
l'honorable M. Verhaegen développe son opinion sur la question qu'il vient de
soulever de nouveau. Bien au contraire ! Je l'en félicite. J'ai demandé la
parole expressément pour faire cette déclaration. Mais je demande qu'il rentre
dans le fond de la question, quand son tour de parole sera venu. Car je me
propose de parler aussi sur l'affaire Retsin. L'honorable M. Verhaegen sera
d'autant plus éclairé pour discuter cette question. Je soutiens que c'est le
fond de la question.
M. le président. - M. Verhaegen ne va pas traiter cette
question; il répondra aux attaques dirigées contre lui par M. de Mérode, au
sujet de l'affaire Retsin.
M. de Mérode. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. - On ne peut interrompre, pour un fait personnel, un
orateur qui a la parole pour un fait personnel. La parole est continuée à M.
Verhaegen.
M. Verhaegen. - Je réponds à l'accusation qu'on a lancée contre
moi, et j'use du droit de la légitime défense en démontrant que je ne me suis
occupé de la position du condamné Retsin et des faveurs successives dont il a
joui que pour l'attribuer à cette influence occulte dont il a été parlé avec
tant de raison dans la discussion.
En effet, messieurs, dans l'affaire Retsin tout
démontre cette influence occulte ; et cette influence, il n'y a que les
ministres, M. de Mérode et ses amis qui ne la voient pas. Tout individu,
messieurs, qui, dans une administration quelconque, désire obtenir un
avancement fondé sur la protection plutôt que sur les services réels sait très
bien à quels êtres il doit s'adresser pour être épaulé. Aussi Retsin, sachant à
quelle porte il devait frapper, n'a pas hésité (voilà une révélation
importante) à insérer dans ses requêtes en avancement déposées au ministère des
finances dans son dossier, qu'il était affilié à la congrégation de Jésus et
muni d'un diplôme ad hoc. Vingt employés ont vu ces requêtes et pourront
l'attester au besoin.
Voilà, messieurs, une circonstance dont je
n'avais pas encore parlé, et qui expliquera, sans doute, pourquoi le comte de
Mérode défend si chaudement Retsin, affilié à la société de Jésus, muni d'un
diplôme ad hoc.
Les affiliés à la compagnie de Jésus, ce sont ce
que nous appelons en termes vulgaires les jésuites à robe courte.
Une autre circonstance, messieurs, qui dépeint
parfaitement Retsin, et qui met à découvert cette influence dont il a su tirer
un si grand avantage, la voici : Au commencement du mois de juin 1845, six
semaines avant son arrestation, Retsin avait commandé chez le sieur Cappaert,
orfèvre, Marché-aux-Herbes, 150 reliquaires, et ces reliquaires lui ont été
expédiés par les messageries Van Gend, pour être remises au destinataire contre
remboursement. Retsin étant en prison, les reliquaires ont été refusés à
Jemmapes, saisis d'abord et puis restitués par le juge de paix du lieu. Mais
que sont-ils devenus? L'orfèvre a reçu ordre de les expédier à Malines.
Après cela, messieurs, je n'ai plus rien à
ajouter.
Messieurs, réunissez maintenant toutes les
circonstances et vous ne serez plus étonnés de la conduite que le ministre de
la justice et ses alliés ont tenue à l'égard de Retsin.
Un mot encore : après avoir voulu justifier
Retsin, jésuite à robe courte, le comte de Mérode a osé vous parler d'un autre
homme qui n'a jamais été condamné, mais qui, il y a quelques jours encore,
était accusé ; comme cet homme n'est pas affilié à la société de Jésus, M. le
comte a voulu attirer sur lui l'animadversion publique et il n'a pas craint
même de me blâmer pour lui avoir donné l'appui de ma parole devant la cour
d'assises d'Anvers. Oui, messieurs, j'ai plaidé pour le sieur Dandoy devant le
jury d'Anvers ; je me suis même absenté pendant quelques jours de cette chambre
pour remplir un devoir commandé par une conviction profonde ; quoique j'eusse
renoncé depuis grand nombre d'années aux affaires criminelles, j'ai plaidé pour
le sieur Dandoy, parce qu'il était poursuivi par cette influence qui a tant
fait en faveur du voleur Retsin, le jésuite à robe courte ; et l'incartade du
comte de Mérode à l'égard de Dandoy est la preuve évidente de mon assertion.
Messieurs, l'affaire du sieur Dandoy avait aussi
son côté politique, mais dans un sens inverse de celle de Retsin.
D'après M. de Mérode, Dandoy en raison de ses
opinions, sans doute bien connues du noble comte, n'aurait pas même dû trouver
de défenseur. Eh bien ! cet homme que M. de Mérode a osé attaquer dans cette
enceinte vient d'être solennellement acquitté et je puis ajouter à l'unanimité
du jury. Qu'en dites-vous, M. de Mérode ?
Nous savons bien que vous respectez peu la chose
jugée. Nous savons quels sont les sentiments que vous et vos amis professez à
l'égard de la magistrature indépendante et du jury, lorsqu'il n'obéit pas à vos
passions. (Réclamations.)
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Vous insultez la chambre !
M. le président. - Permettez, M. Verhaegen, les dernières paroles que
vous adressez à la chambre ne sont pas parlementaires.
M. Vanden Eynde. - Il faut les rétracter.
(page
1177) M. Verhaegen.
- Je ne rétracte rien. Quelle analogie y a-t-il entre un homme solennellement
acquitté et l'affilié à la société de Jésus condamné à 5 années
d'emprisonnement pour vol ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je n'ai pas l'intention de discuter ici des
faits personnels. Que la chambre me permette seulement d'exprimer un regret,
c'est que la discussion ait pris un cours de faits personnels. Mais je dois
donner une explication sur un fait qui vient d'être cité par l'honorable M.
Verhaegen.
Depuis que l'affaire Retsin s'est produite dans
la chambre, j'ai revu toutes les pièces qui la concernent. Je ne me rappelle
pas y avoir vu cette qualification d'affilié à la congrégation de Jésus, munie
d'un diplôme ad hoc. Si cette qualification s'y trouvait, ce serait une preuve
de plus de l'esprit d'intrigue, de l'hypocrisie de cet homme. Car permettez-moi
de parler de la société de Jésus. J'ai fait mes études dans un établissement de
jésuites. Je crois donc connaître l'organisation de la compagnie de Jésus tout
aussi bien que peut la connaître l'honorable M. Verhaegen.
Je
déclare de la manière la plus formelle que, si Retsin s'est donné cette
qualité, il l'a usurpée attendu qu'elle n'existe pas.
Je sais que l’on a beaucoup écrit sur les
jésuites à robe courte; on a fait sur eux des volumes. Mais si l'influence
occulte n'existe pas plus que cette catégorie de jésuites, je dis qu'elle
n'existe pas.
M. Verhaegen. - Cette mention se trouve sur des pièces que vingt
employés du ministère des finances ont vues. Je n'ai donc pas allégué un fait
qui ne fût pas vrai.
M. le ministre des finances
(M. Malou). -
Je n'ai nullement entendu démentir un fait allégué par l'honorable M. Verhaegen.
Je dis que quand j'ai revu les pièces, cette mention ne m'a pas frappé. Je les
examinerai de nouveau. J'ajoute que si cette mention s'y trouve c'est un
nouveau mensonge.
Et si je voulais, messieurs, rapporter tout ce que
je sais sur les intrigues de cet homme, je pourrais apprendre encore bien des
choses à l'honorable M. Verhaegen qui cependant en sait beaucoup.
M. Liedts remplace M. Vilain XIIII au fauteuil.
(page
1189) M. de
Foere. - Avant d'entrer dans l'examen de deux ou trois opinions
parlementaires qui ont cherché à se faire accréditer dans cette chambre,
opinions que je crois extrêmement dangereuses pour les deux partis et pour le
pays tout entier, j'éprouve le besoin, puisé aussi dans l'intérêt des deux
partis et du pays, de dire quelques mots sur l'affaire Retsin et sur le
gouvernement occulte qui y a été rattaché.
Je remercie les honorables membres qui ont porté
cette question à la tribune. Cette déclaration, que je fais dès le début,
fournit à l'honorable M. Verhaegen la preuve que je ne m'opposais pas à ce
qu'il reprît la parole sur le fond de cette question. Il faut frapper de
réprobation publique les abus de quelque part qu'ils pullulent. C'est en cela que
l'opposilion de droite ou de gauche est particulièrement utile aux intérêts du
pays et compense ainsi, en grande partie, les abus auxquels elle se livre, de
temps en temps, elle-même. J'associe ma voix à celle de mes honorables
collègues qui ont hautement blâmé la nomination faite d'emblée, d'un homme que
je ne connais pas et qui n'avait jamais été admis dans l'administration, tandis
qu'il est à ma connaissance qu'il y avait, dans la même administration, des
surnuméraires auxquels, depuis longues années, on avait refusé des emplois
salariés. Je blâme aussi l'avancement rapide que cet homme a obtenu, aux dépens
de fonctionnaires qui, depuis plusieurs années, avaient fourni une honorable
carrière dans l'administration des recettes de l'Etat.
Quant à l'élargissement de Retsin, ni
l'accusation, ni la défense ne m'ont complétement satisfait, et j'appartiens à
l'opinion, que je crois être la seule honorable, qui, en jurisprudence civile
ou canonique, exige l'évidence des faits avant d'admettre la culpabilité. Mes
honorables collègues voudront bien admettre que ce principe est dans l'intérêt
de tous les partis.
J'ai dit que la défense ne m'a pas complétement
satisfait, je vais cependant ajouter, à l'acquit de ma conscience, que
l'honorable ministre de la justice a sauvé son honneur, qui n'avait été
compromis qu'à l'aide d'un frêle échafaudage de fatalités.
Pour ne pas dévier de mon impartialité, à
laquelle je tiens à tout prix, je dois aussi remercier les honorables membres
qui, dans une session précédente, ont révélé de semblables abus administratifs,
commis par le ministère Rogier de 1840. Cet honorable ministère avait nommé
d'emblée, dans l'administration du chemin de fer, deux individus qui jamais
n'avaient été admis dans aucune des administrations du pays. (erratum, page 1230 :) L'un a été
nommé d'emblée à un emploi de neuf mille francs. Afin que mes paroles ne soient
pas illogiquement dénaturées, je reconnaîtrai que je n'ai rien à dire contre la
moralité de cet individu, et que c'était même un homme capable. Mais pour
justifier une pareille nomination, il faudrait prouver que, dans toute
l'administration du chemin de fer, il n'y avait aucun employé qui fût capable
d'occuper ce poste, ce qui serait, sans doute, un travail très laborieux.
L'autre, que je ne connais pas, a été nommé à un poste de quatre mille francs.
Ce dernier, ajoutait-on, était étranger et n'était pas même naturalisé.
De semblables abus, commis contre les justes et
utiles règles d'une administration sagement hiérarchique, doivent être
publiquement blâmés, de quelque côté qu'ils soient posés, afin qu'ils ne se
reproduisent plus ; car ce serait décourager complétement les employés
honnêtes et capables, et nuire gravement aux intérêts de l'Etat.
Je n'ai pu saisir le lien par lequel on a
rattaché l'affaire Retsin à la question parlementaire. Sous ce rapport, M. le
ministre de la justice m'a donné pleine satisfaction. Cependant, on a parlé à
cette occasion d'un gouvernement occulte. Je regrette que, dans ce siècle,
quelques membres aient eu recours à une espèce d'alchimie politique pour
exprimer leurs opinions. Si ce gouvernement occulte existait, il devrait, aux
yeux de tout le monde, se produire au-dehors par des faits patents et
réguliers. Or, ces faits nombreux et réguliers on ne les découvre nulle part,
et, loin de les constater, on ne les indique même pas.
Je n'admets pas non plus l'existence d'un
gouvernement occulte du temps de l'administration Rogier en 1840, lorsque les
deux individus, que j'ai signalés, ont été nommés d'emblée. J'admets, ce qui
non seulement est probable, mais certain, que toutes les administrations sont
obsédées par des influences isolées et peu sages pour protéger des hommes qui
n'ont pas de justes titres soit à un emploi, soit à un avancement, et que
toutes les administrations ont, de temps en temps, la coupable faiblesse de
céder à ces influences. Si ce sont ces manœuvres ténébreuses, mais isolées, que
l'on a voulu flétrir, je m'associe de toute l'énergie de mes devoirs
parlementaires à l'infliction de cette flétrissure, mais sans admettre
l'odieuse qualification de gouvernement occulte, que je repousse avec non moins
d'énergie. J'irai plus loin, je loue le courage des membres de cette chambre
qui signalent hautement ces abus ; mais je voudrais qu'en même tempe, ils
eussent la loyauté de les blâmer de quelque coté qu'ils se produisent. Quelques
orateurs, et surtout l'honorable M. Osy, qui nous parle souvent de son
impartialité et de son courage à attaquer ces abus, étaient membres de la
chambre, lorsque, dans une session précédente, les nominations, faites d'emblée
par l'honorable M. Rogier, ont été signalées, nominations qui n'ont pas été
niées et qui, d'ailleurs, ne pouvaient l'être. Je pose en fait que, si
seulement quelques membres de la chambre signalaient ces abus, quelle que fût
leur origine, l'Etat serait bientôt débarrassé de tous ces intrigants et de
toutes leurs intrigues.
Messieurs, j'arrive maintenant à l'examen de
quelques opinions parlementaires qui ont été soutenues dans cette chambre et
que je considère, ainsi que je l'ai dit, comme recelant dans leur sein
d'immenses dangers pour les deux partis et pour le pays tout entier.
Je combattrai ces opinions, parce que si de
semblables erreurs pouvaient s'accréditer dans cette chambre, elles porteraient
les fruits les plus déplorables.
L'honorable M. d'Elhoungne nous a dit que les
ministères mixtes paraissaient être condamnés à tout jamais. L'honorable M.
Lebeau les a flétris des épithètes d'immoraux, de mensongers, d'hypocrites, de
fatals au pays, et pour soutenir cette thèse, il a invoqué les traditions de
l'Angleterre, il a affirmé que les ministères homogènes sont en Angleterre
l'état presque normal.
Messieurs, il y aura 52 ans au mois de mai
prochain, qu'un publiciste distingué, éminent, a écrit sur les développements
du gouvernement parlementaire de l'Angleterre, que déjà dès lors les ministères
du coalition étaient à peu près l'état normal de l'Angleterre. Ce publiciste a
reçu l’approbation de l'Angleterre tout entière, pour la rare exactitude des
opinions qu'il a émises sur la nature, la marche et les actes du gouvernement
parlementaire de ce pays.
Depuis ce temps, depuis 1784, les divers
ministères qui se sont succédé en Angleterre jusqu'au ministère actuel, ont été
presque tous des ministères de coalition. Et on invoque dans cette chambre les
traditions de l'Angleterre pour soutenir que les ministères homogènes sont
l'état normal dans ce pays !
Cet auteur est allé plus loin ; il a affirmé
que, dès 1784, la distinction whigs et torys était devenue complétement inutile.
La raison qu'il en a donnée, ce sont les fréquents ministères de coalition qui
se sont formés dans ce pays. Il a ajouté encore que déjà, dès 1784, le sens de
ces deux mots whigs et torys était devenu tellement douteux, qu'il n'y avait
personne en Angleterre qui osât entreprendre d'en donner une définition tant
soit peu tolérable.
Depuis lors, messieurs, la signification de ces
deux mots whigs et torys est aujourd'hui, aux yeux de tous les hommes
intelligents en Angleterre, couverte de ténèbres bien plus épaisses, et c'est
au milieu de ces ténèbres que l'honorable M. Lebeau, dans le discours qu'il a
prononcé dans la séance de samedi dernier, est venu nous dire que lui il était
éclairé sur cette distinction entre torys et whigs par la lumière d'un soleil éclatant.
Depuis ce temps jusqu'au ministère actuel qui
est un ministère de coalition, les cabinets en Angleterre n'ont eu presque
jamais d'autre caractère que celui de ministères de coalition, dont les membres
se font mutuellement des concessions.
(page 1190)
Sir James Graham appartenait au parti que le vulgaire appelle whig ; il est
maintenant ministre de l'intérieur au cabinet du sir Robert Peel. Les hommes
probes et intelligents en Angleterre n'ont jamais qualifié cet honorable
ministre d'apostat, de renégat ; jamais ils ne l'ont accusé d'avoir abandonné
son parti, qualifications odieuses et nuisibles au pays, dont on cherche à
flétrir, chez nous, des hommes honorables, qui étaient entrés dans des
ministères mixtes. On permet à chaque homme public en Angleterre de suivre les
inspirations de sa conscience.
Maintenant que j'ai, je l'espère, détruit, par
les faits, l'opinion qui soutenait que les cabinets homogènes étaient l'état à
peu près normal de l'Angleterre, j'entrerai dans les motifs, dans les exigences,
dans les nécessités presque continuelles de situation pour lesquelles
l'Angleterre a formé si fréquemment des ministères de coalition.
L'Angleterre jouit de beaucoup de libertés, de
la liberté de la presse, des meetings, des pétitions, des élections, de la
tribune. Toutes ces libertés s’agitent dans ce pays, avec passion et sans frein
dans un cercle légal immense. Très souvent les divisions que ces libertés
produisent sont devenues si profondes qu’elles menacent l'ordre public. Elles
semblent diviser une même nation en deux peuples différents qui se font, en
quelque sorte, une guerre acharnée l'un à l'autre.
Quel est le remède auquel l'Angleterre a
toujours eu recours pour calmer cette effervescence extrême, ces divisions
radicales et profondes, qui menaçaient de s'établir pour longtemps dans le pays
? Ce remède a été toujours le recours aux ministères de coalition.
Par ces ministères, les classes les plus
passionnées et, par conséquent, les plus ignorantes, appartenant aux partis
respectifs, ont été désarmées et subjuguées.
Remarquez bien, messieurs, que ces divisions
déplorables, qui, à chaque instant, s'établissent en Angleterre, sont produits,
en grande partie, par les chefs mêmes des deux partis opposés.
Ils tiennent à honneur de réconcilier leurs adhérents,
en formant des cabinets mixtes, afin de sauver l'ordre et la paix publiques
qu'eux-mêmes avaient gravement compromis.
Messieurs, on a été frappé pendant longtemps sur
le continent, de ce phénomène qui se reproduisait si souvent en Angleterre ; on
n'a pas compris ce développement turbulent des libertés combiné avec le
rétablissement presque subit de l'ordre. La cause de ces revirements politiques
est restée longtemps un secret pour l'Europe. Elle est encore aujourd'hui un
secret pour beaucoup de monde.
Le remède le plus constant et le plus efficace,
appliqué à cette déplorable situation, a toujours consisté dans les ministères
de conciliation qui chaque fois ont fait cesser les perturbations dangereuses
qui s'étaient établies dans le pays à la suite de divisions parlementaires
violentes et acharnées.
Nous avons voulu, messieurs, imiter l'Angleterre
en adoptant les mêmes libertés de la presse, des associations, du
pétitionnement, des élections, de la tribune. Ces libertés, nous les possédons
dans toute leur plénitude. Cette longue discussion passionnée nous a donné la
preuve la plus évidente que nous pratiquons les deux libertés les plus
incisives, celles de la tribune et de la presse.
Mais tout en adoptant et en exerçant ces
libertés, plusieurs membres de la gauche repoussent les cabinets de
conciliation que l'Angleterre a toujours opposés aux graves dangers que
l'exercice de ces libertés entraîne très souvent. Ces libertés, dont nous
jouissons aussi, je suis loin d'y renoncer ; mais je dois déclarer, en même
temps, que ces libertés m'effrayent, lorsque vous ne voulez pas adopter le
remède que l'Angleterre oppose aux dangers que leur développement produit si
fréquemment.
Je dirai plus, messieurs ; s'il était vrai, s'il
était convenu, comme l'honorable M. d'Elhoungne semblait l'insinuer hier, que
les ministères de coalition sont à jamais proscrits, je dois le déclarer, je ne
resterais pas un jour dans cette enceinte, je ne voudrais pas compromettre ma
conscience, mon honneur, dans une assemblée qui développe l'indépendance de la
parole la plus entière et la plus effrénée, qui produit ainsi les plus graves
dissentiments dans le pays, et qui, en même temps, proscrirait le correctif. Je
ne voudrais pas, dis-je, me compromettre dans une semblable assemblée parce que
je suis intimement convaincu que l'exercice passionné de toutes nos libertés
doit nécessairement conduire aux plus graves dangers, si vous proscrivez les
ministères de coalition.
L'honorable M. Lebeau, messieurs, dans la séance
de samedi dernier, semble avoir été quelque peu préoccupé des dangers éventuels
que cette violente opposition systématique contre les ministères de coalition
peut nous amener. Il n'a pas condamné à tout jamais ces ministères ; mais,
a-t-il dit, nous pourrons y avoir recours, comme l'Angleterre, lorsque le pays
sera menacé d'une hostilité extérieure ; c'est dans ces cas, a-t-il ajouté, que
l'Angleterre a eu recours aux ministères de coalition, lorsqu'elle faisait la
guerre contre l'indépendance américaine, et plus tard contre la France, à la
fin du 17ème et au commencement du 18ème siècle. L'honorable orateur a donc
admis, pour ces seuls cas d'hostilité extérieure, les ministères de coalition.
L'honorable M. Lebeau est complétement dans
l'erreur, relativement à la cause qui aurait amené en Angleterre les fréquents
ministères de coalition.
La formation de ces fréquents ministères a été
uniquement, exclusivement déterminée par les impérieuses nécessités intérieures
du pays ; ils ont été créés pour faire cesser les graves dangers auxquels les
prétentions de partis et les profondes divisions parlementaires avaient donné
lieu.
En alléguant l'exemple de la guerre contre
l'indépendance américaine, l'honorable membre a sans doute voulu faire allusion
au cabinet qui a succédé à celui de lord Bule.
Eh bien, messieurs, s'il y a quelque chose
d'évident dans les annales du parlement anglais de ce temps, c'est que
l'administration intérieure de lord Bule avait profondément agité les partis,
non pas à raison de la guerre contre l'indépendance américaine, mais à raison
des nombreux abus qu'elle avait créés à l'intérieur ; c'est uniquement pour
calmer cette agitation qu'il s'est alors formé une autre administration,
composée, remarquez-le bien, de deux chefs des partis opposés. Ce qui le prouve
de la manière la plus évidente, c'est que la guerre contre l'Amérique a élé
continuée sous ce cabinet de coalition.
Antérieurement à la guerre américaine, le
premier Pitt, ce célèbre homme d'Etat, ne l'a-t-on pas vu, dans une semblable
situation de divisions intestines et d'embarras ministériels, composer un
ministère dont les noms, aux yeux des esprits vulgaires et étroits, hurlaient
de se voir confondus ensemble ?
Messieurs, que deviennent en face de ces faits
parlementaires, constamment pratiqués en Angleterre, que deviennent, dis-je,
ces absurdes et odieuses qualifications de mensongers, d'hypocrites,
d'immoraux, de ministères dont l'existence est fatale au pays, dont on a
cherché à flétrir les ministères de coalition ?
Messieurs, les adversaires que je combats sont,
d'un côté, en aveu que nos divisions sont profondes, dangereuses et menaçantes
pour l'ordre public et pour la nationalité ; ils se proclament en outre les
amis sincères de cette nationalité, du bien-être et de la paix intérieure du
pays ; d'un autre côté, ils invoquent les traditions de l’Angleterre, et
cependant ils répudient avec une dangereuse persistance les ministères de
coalition, qui, depuis plus de 70 ans sont reconnus, en Angleterre, comme le
seul moyen sûr, le seul moyen efficace de faire cesser nos funestes divisions.
On a soutenu aussi, contre les véritables
intérêts du pays, que la destitution des grands fonctionnaires en Angleterre
est de règle, lorsqu'un cabinet nouveau est formé et que ce cabinet annonce une
nouvelle politique. C'est une nouvelle erreur qui serait très dangereuse si
elle pouvait s'accréditer. Le fait est qu'en Angleterre les membres seuls du
cabinet se retirent ; ces membres sont nombreux. Tous les autres
fonctionnaires, quelque haut qu'ils soient placés, sont maintenus ; aucun n'est
destitué. Ainsi les lords lieutenants des comtés, qui répondent à nos
gouverneurs de province, restent à leur poste ; ils conservent souvent leurs
fonctions pendant toute la durée de leur vie. Il est une seule classe de hauts
fonctionnaires que ne sont pas destitués, mais qui donnent quelquefois leur
démission, ce sont les ambassadeurs auprès des grandes cours d'Europe ; encore
n'est-ce pas la règle générale. Nous avons vu, il y a quelques années, sir
Frédéric Lamb rester ambassadeur à Vienne sous un ministère qui avait succédé à
celui dont il tenait ses pouvoirs. Ce qui se passe sous nos yeux mêmes donne un
démenti à l'assertion qu'on a émise : le ministre qui représente chez nous
l'Angleterre a été nommé par le cabinet Palmerston, et il continue d'exercer
ses fonctions sous le ministère qui a remplacé ce cabinet.
En établissant une semblable doctrine, c'est
jeter le pays dans les plus tristes divisions, je dirai même dans la plus
odieuse immoralité ; car on ne ferait que répéter l'odieux système de bascule
qui a été pratiqué dans les premières années de la restauration. Ce système,
messieurs, est flétri par tout le monde, par ce motif bien simple que la
presque totalité des hauts fonctionnaires, a l'avènement de chaque cabinet
nouveau, et dans le désir de sauvegarder leurs intérêts, protesteraient de la
sympathie de leurs opinions avec ces cabinets successifs. Cette doctrine
consacre uns politique tyrannique ; elle transformerait un grand nombre de
fonctionnaires en hommes publics hypocrites, en hommes immoraux qui, pour ne
pas perdre leur poste, renonceraient à leur conscience, abdiqueraient la
probité politique.
C'est pour ce motif de haute moralité publique
que, lors de la formation d'un ministère nouveau, aucune destitution de fonctionnaires
n'est opérée en Angleterre ; mais s'il est de hauts fonctionnaires qui se
croient complétement inféodés à un parti, ils prennent le parti de donner
eux-mêmes leur démission, sans que l'honneur des autres soit en rien compromis.
Un dernier mot sur la dissolution qui avait été
demandée d'avance, par un cabinet qui était en voie de se constituer. On s'est
encore fondé sur les traditions de l'Angleterre. Depuis plus de 60 ans, jamais
en Angleterre, un cabinet qui n'était encore qu'en projet, n'a demandé,
d'avance, la dissolution. Jamais les hommes publics en Angleterre ne se sont
assis sur les marches du pouvoir, alors qu'ils s'avouaient être minorité. Voilà
la cause de toutes les erreurs politiques et de toutes les thèses passionnées
qui ont été développées dans cette chambre ; voilà aussi la cause de ce
malheureux programme que je suis heureux d'avoir vu rejeter, car une politique
aussi inouïe telle que le programme la consacrait, recelait comme antécédent
posé, les plus graves dangers, les conséquences les plus funestes pour tous les
partis et pour le pays tout entier.
Je ne puis accepter le fait que l'honorable M.
d'Elhoungne a cité et qui vient d'être rappelé par l'honorable M. d'Hoffschmidt
: Lord Grey aurait demandé à la Couronne la dissolution. Or, il l'a demandée,
mais lord Grey était alors au pouvoir. Demander la dissolution, lorsqu'on n'est
pas au pouvoir, et qu'on avoue en même temps être minorité, c'est un des faits
les plus extraordinaires qui se soient produits dans un pays parlementaire.
Je tenais, messieurs, à combattre ces trois
erreurs dans lesquelles nos honorables adversaires sont tombés, parce qu'elles
sont extrêmement fatales pour tous les partis et le pays entier. Qu'une
minorité aspire au pouvoir, personne ne songe à s'opposer à ce qu'elle y arrive
par la voie parlementaire, (page 1191)
par la voie régulière des élections et de la majorité. Telle est la marche
constitutionnelle qu'auraient dû suivre les hommes publics de l'opinion
libérale. S'ils se croyaient minorité, ils auraient dù dire à la Couronne : «
Nous sommes minorité, nous demandons la permission de décliner le mandat dont
Votre Majesté daigne nous honorer. Il est vrai, nous désapprouvons la politique
actuelle du gouvernement ; si nous étions majorité, nous substituerions à cette
politique une autre que nous croyons meilleure. Mais nous nous efforcerons de
devenir majorité par les voies régulières et parlementaires. Telle est la
marche que l'honorable M. Rogier et ses collègues auraient dû suivre. Nous
n'aurions pas eu à déplorer ces malheureux débats, ces divisions funestes qui,
de l'aveu même de nos honorables adversaires, menacent la paix intérieure du
pays. J'ai dit.
(page 1177) - Plus de dix membres
demandent la clôture.
M. d’Hoffschmidt. (contre la clôture). - Je voudrais répondre
quelques mots à M. le ministre de l'intérieur; je serai extrêmement court. (Parlez ! parlez !)
- La chambre consultée décide qu'avant de clore
la discussion, elle entendra encore M. d Hoffschmidt.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, l'honorable ministre de
l'intérieur a dit qu'il y avait une contradiction dans les paroles que j'ai
prononcées tout à l'heure ; je n'ai pas voulu accepter cette qualification. En
effet, dans ce que j'ai dit, il n'y a rien qui ne soit conforme et à mes
antécédents et à ma conduite. Dans tous mes discours politiques, je me suis
toujours prononcé contre la formation d'un cabinet homogène catholique ; dès
lors il est tout naturel que je me sois exprimé comme je l'ai fait tout à
l'heure. Cette opinion même, je l'ai fait connaître à mes anciens collègues du
cabinet du 31 juillet, lorsque la crise ministérielle a éclaté.
Du reste, je prie l'honorable ministre de
l'intérieur de croire que dans ce que j'ai dit, il n'y avait rien qui lui fût
personnel, car j'aime à le dire, j'ai une profonde estime pour son caractère ;
mais j'ai cité des faits, j'ai déduit des conséquences ; j'ai dit que dans mon
opinion le ministère actuel ne convient pas au pays, et j'avoue que depuis la
longue discussion qui s'est établie sur la formation de ce cabinet, cette
conviction n'a fait que se fortifier chez moi.
M. le ministre de l'intérieur a prétendu que
j'avais dit qu'un ministère libéral homogène aurait une marche facile, et il a
vu là une contradiction ; mais je ne me suis pas expliqué de cette manière; je
n'ai pas dit que le ministère libéral aurait une marche facile, car je crois
que tout ministère homogène quelle que soit sa couleur aura une marche difficile,
aussi longtemps que la chambre des représentants sera partagée en deux camps
comme elle l'est aujourd'hui. Je n'ai pas dit non plus qu'un ministère libéral
eût été accueilli avec faveur au sénat, mais sans contester à cette assemblée
le droit de se prononcer contre un ministère et de le renverser, je crois
cependant que son caractère de modération doit la porter à agir, dans ces
circonstances importantes, avec beaucoup plus de prudence et de réserve que la
chambre des représentants.
Du reste j'ai ajouté que si un dissentiment se
manifestait, comme en 1841, entre les deux chambres sur le ministère, j'étais
persuadé que la dissolution ne serait point refusée.
L'honorable M. de Theux a dit que si une opposition
très forte se manifestait contre le ministère, cela provoquerait probablement
une certaine mesure qui, si j'ai bien compris, est la dissolution. Je ne sais
si c'est pour m'inspirer quelques craintes que M. le ministre de l'intérieur a
tenu ce langage. Quant à moi, je ne crains nullement la dissolution ; j'entends
dire qu'il en est de même sur tous les bancs de la gauche ; nous ne redoutons
pas cette mesure ; pour moi, je suis convaincu que mes commettants me
renverraient dans cette enceinte , s'il y avait dissolution; mais eussé-je même
des craintes sur la réélection, si la dissolution pouvait mettre un terme à une
situation fâcheuse, je l'approuverais encore. Je suis disposé à croire, comme
M. le ministre de la justice l'a fait pressentir, que cela deviendra peut-être
le seul moyen de mettre un terme à la situation dans laquelle nous nous
trouvons et qui rend la marche d'un cabinet homogène si difficile puisqu'il y a
à peu près partage de voix dans cette chambre.
M. Rodenbach. - C'est une erreur; vous le verrez tout à
l'heure !
M. d’Hoffschmidt. - Je serais curieux de savoir comment M.
Rodenbach parviendrait à me démontrer qu'il n'y a pas à peu près égalité de
voix entre les deux opinions dans cette chambre.
Je borne là mes observations et je crois avoir
démontré qu'il n'y avait aucune contradiction ni dans mes paroles ni dans ma
conduite.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je n'ai pas entendu, dans ce que je viens de
dire, faire allusion à la position de l'honorable M. d'Hoffschmidt; je sais que
dans son district sa position est parfaitement assurée. Je n'ai cherché non
plus à exercer aucune intimidation sur l'un ou l'autre membre de cette chambre;
j'ai seulement indiqué la conséquence vraie et certaine d'un vole qui tendrait
à renverser le cabinet. J'ai dit que dans une pareille situation... (Interruption.)
Quant à nous, nous n'avons demandé aucune espèce
de faculté de dissolution, ni pour la situation actuelle, ni pour aucune
situation future ; mais je dis que la Couronne ayant refusé le programme de
l'honorable M. Rogier et que M. Rogier ne voulant pas accepter le pouvoir sans
son programme, dans le cas où le cabinet actuel n'aurait pas la majorité, il
faudrait qu'il demandât la dissolution ou que tout autre ministère fît la même
demande ; car je n'entends pas limiter l'action de la Couronne. Si donc vous
preniez une décision contraire au cabinet, je crois que la situation ne
pourrait être modifiée que par une dissolution immédiate de la chambre.
Un grand nombre de voix. - La clôture! la clôture !
M. le président. - Il a semblé entendu au commencement de la séance que
la clôture, quand elle serait demandée, porterait à la fois sur les
explications et sur la motion de M. d'Elhoungne.
Un grand nombre de voix. - Oui ! oui !
-
La chambre, consultée, prononce la clôture.
M. le président. - Voici la proposition de M. d'Elhoungne :
‘Que la chambre ordonne le renvoi aux sections
actuelles du projet de loi de 1834 sur l'enseignement moyen;
« Qu'elle invite le ministère à déposer les
amendements dont il a annoncé la présentation, afin que les sections puissent
les examiner en même temps que le projet de loi. »
M. le ministre de l'intérieur s'étant rallié à
la première partie de cette proposition, il y a lieu de la mettre aux voix par
division.
M. le ministre de l’intérieur
(M. de Theux). -
Je dois certiorer la chambre que la proposition renferme la question de
cabinet. Il ne faut pas qu'il y ait ici une énigme.
Plusieurs voix. - Oui! oui!
D’autres voix. - On n'a pas entendu.
M. le ministre des finances (M.
Malou). -
Je demande la parole. (Il y a
clôture ! il y a clôture !)
Messieurs, mon honorable collègue avait le droit
de demander la parole sur la position de la question. Quelques membres n'ayant
pas entendu la déclaration qu'il a faite, je vais la répéter.
Le cabinet s'est rallié à la première partie de
la proposition, et quant à la seconde partie, pour qu'il n'y ait pas
d'équivoque, il déclare qu'il la repousse et qu'il y attache son existence.
M. Rogier. - Je demande à faire une observation. Toute la
discussion depuis 10 jours s'est résumée de la part du ministère, dans des
attaques incessantes, exagérées... (Interruption.
-Il y a clôture !) dans des attaques incessantes, exagérées contre le
programme du 22 mars...
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C'est la discussion du fond !
M. Rogier. - L'on a reproché à ce programme d'être une menace
contre l'inviolabilité de la chambre, contre l'indépendance des
fonctionnaires... (Interruption nouvelle).
Plusieurs membres. - Il y a clôture. - On ne peut pas rentrer
dans la discussion ! - Le règlement !
M. Rogier. - Je suis dans mon droit.
M. le président. - J'avais prévu ce qui arrive. Ce n'est pas sur la
position de la question que M. le ministre de l'intérieur a demandé la parole,
s'il avait fait son observation avant la clôture, nous n'aurions pas le regret
de voir qu'on s'écarle du règlement. Mais une fois que M. le ministre de
l'intérieur en est sorti, il m'est impossible de ne pas permettre à M. Rogier
de répondre à l'observation qu'il a faite.
Plusieurs voix. - Très bien ! bien! bien! (Mouvement dans les tribunes.)
M. le président. - La première fois que les tribunes se permettront
d'intervenir dans nos débats, je les ferai évacuer sans autre avertissement.
La parole est continuée à M. Rogier.
M. Rogier. - La déclaration faite par MM. les ministres de
l'intérieur et des finances m'a donné le droit de parler. Craignez-vous,
messieurs, l’émission d'une dernière vérité ?
On a reproché au programme du 22 mars, contre
lequel tant d'attaques sont parties du banc ministériel, on a reproché à ce
programme d'être une menace contre l'inviolabilité du parlement, contre
l'indépendance des fonctionnaires publics. Eh bien! quelle est la différence
entre l'attitude qu'avait prise le cabinet du 22 mars et celle du cabinet que
nous avons devant nous? Ce que le cabine du 22 mars voulait, il le disait
hautement, avec franchise; d'avance il livrait sa pensée tout entière au Roi,
aux chambres, au pays.
Le
cabinet actuel, au contraire, a tenu pendant toute cette discussion sa pensée
soigneusement cachée ; et puis, arrivé au dernier moment, au moment suprême, ce
programme dont il n'a cessé de vous effrayer, ce programme qu'il repoussait
avec tant d'énergie, il menace de l'appliquer! Voilà la franchise du ministère!
Ah ! ce dernier trait manquait pour achever de le caractériser !
(page
1178) M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux).
- Si notre intention avait été d'adresser à la chambre une menace de
dissolution, l'honorable membre devrait reconnaître que nous aurions mis
beaucoup de franchise dans notre conduite. Il y en a beaucoup plus dans la
déclaration que nous avons faite que dans une résolution qui aurait suivi le
vote. Ce que nous avons déclaré à la chambre n'est point une menace de dissolution,
c'est l'expression de notre opinion. Ainsi que je vous l'ai dit, le ministère
n'a pris vis-à-vis de la Couronne aucune précaution ; il n'a demandé la
dissolution ni pour la situation actuelle, ni pour l'avenir. La Couronne est
donc parfaitement libre. Mais la situation peut devenir telle que la Couronne
doive recouvrir à la mesure de la dissolution pour assurer la marche du
gouvernement.
Quand avons-nous été appelés à nous prononcer
sur les conséquences du vote que la chambre va émettre? C'est quand l'honorable
M. d'Hoffschmidt a mis en présence les deux fractions qui divisent la chambre
ne différant que de quelques voix et se livrant à une lutte acharnée et
continue. Si cette opinion se réalisait, ce serait une position extrême dont on
ne pourrait sortir sans une dissolution.
Voilà ce que nous avons été amenés à dire et ce
que nous répétons.
- La clôture est de nouveau prononcée.
M. le président. - Je mets aux voix la première partie de la
proposition à laquelle M. le ministre s'est rallié :
« Le renvoi aux sections actuelles du projet de
loi sur l'enseignement moyen. »
- Cette première partie est adoptée.
M. le président. - Je mets aux voix la seconde partie :
« La chambre invite le ministère à déposer les
amendements dont il a annoncé la présentation afin que les sections puissent
les examiner en même temps que le projet de loi. »
Plusieurs voix. - L'appel nominal !
M. le président. - Il va être procédé à cette opération. L'appel
nominal commencera par M. de Theux.
- Il est procédé à l'appel nominal. En voici le
résultat :
91 membres répondent à l'appel ;
40 membres répondent oui ;
50 membres répondent non ;
1 membre s'abstient.
En conséquence la proposition n'est pas adoptée.
Ont
répondu oui : MM. de Tornaco, Devaux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez,
Dumont, Duvivier, Fleussu, Goblet, Jonet, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys,
Maertens, Manilius, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rogier, Sigart, Thyrion, Troye ,
Verhaegen, Veydt, Anspach, Biebuyck, Cans, Castiau, David, de Baillet, de
Bonne, de Breyne , Delehaye , Delfosse, d'Elhoungne, de Renesse et Liedts.
Ont répondu non : MM. de Theux, d'Huart, Donny,
Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumortier, Eloy de Burdinne,
Fallon, Henot, Huveners, Kervyn, Lejeune, Malou, Mast de Vries, Orban,
Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen,
Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Clep, Coppieters,
d'Anethan, Dechamps, de Chimay. de Corswarem, de Foere, de Garcia de la Vega,
de Haerne, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de
Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières,
de Smet, de Terbecq.
M. le président. - La parole est à M. Dedecker.
M. Dedecker. - Je n'ai pas pu en conscience voter pour le
ministère tel qu'il est constitué, parce que je trouve qu'il n'est pas la
conséquence logique des événements qui se sont passés depuis cinq ans ; il est
donc un anachronisme, si même il n'est un défi. Ensuite, quelque pures que
soient les intentions de ses membres, je suis convaincu que par sa composition
seule, le cabinet ne peut qu'enraciner de plus en plus ce fatal préjugé d'une
influence occulte, de la domination du clergé. C'est un préjugé, dans mon
opinion, vous le savez tous ; j'ai fait assez d'efforts depuis nombre d'années
pour démontrer que c'est un préjugé; néanmoins il faut tenir compte même des
préjugés dans l'appréciation de la situation du pays.
Je n'ai pas cru devoir voter contre le cabinet;
parce que j'ai confiance dans la modération de ses principes et que je veux
attendre ses actes pour le juger.
- La séance est levée à 4 heures.