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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du samedi 6 juin 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétition relative aux élections communales de
Watermael-Boitsfort (Delfosse, Vanden Eynde, de Garcia,
d’Huart,
Delfosse,
Desmet,
Delfosse,
de Theux)
2) Projet de loi accordant
un crédit supplémentaire au budget du département des travaux publics. Dépenses
liées aux fêtes d’inauguration de la ligne Bruxelles-Paris (Mast de Vries,
de
Brouckere, Lebeau, Malou)
3) Projet de loi relatif à
la concession du chemin de fer du Luxembourg et chemin de fer de l’Etat (David,
(+ exploitation directe par l’Etat vs système par concession) de Bavay,
Osy,
de Bavay,
Osy,
(+canal d’Ourthe et Moselle) d’Hoffschmidt, de La Coste, de Bavay,
Pirson)
(Annales parlementaires de
Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Vilain XIIII.)
(page 1562) M. Huveners procède à l'appel nominal à midi et
quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en
est adoptée.
M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« La chambre des avoués près le tribunal de Namur, prie la chambre de
discuter, avant la fin de la session, le projet de loi qui modifie les tarifs
en matière civile. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
_________________
« Le sieur Ronflette, notaire à Ixelles, présente des observations
concernant le projet de loi sur l'organisation du notariat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le chevalier de Menten de Horne, ancien
officier de cavalerie, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une
indemnité annuelle sur le chapitre des dépenses imprévues du budget de la
guerre. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs électeurs à Watermael-Boitsfort prient la chambre d'annuler
la décision de la députation permanente du conseil provincial du Brabant du 29
mai, relative à une demande en nullité des élections communales. »
M. Delfosse. - Il s'est passé dans la commune de Watermael-Boitsfort des choses
extrêmement graves, je dirai même scandaleuses. Le collège des bourgmestre et échevins s'est permis de biffer de la liste
des électeurs communaux, qui avait été affichée, plusieurs noms contre
l'inscription desquels aucune réclamation n'était intervenue. Plus tard, cette
liste ayant été égarée, le bourgmestre a méconnu son devoir au point d'en
fabriquer une nouvelle, à l'approche des élections, et d'en faire usage, bien
qu'elle ne présentât aucune des garanties dont la loi a voulu entourer ces
sortes des documents.
Je n'hésite pas à le dire, si nous avions un gouvernement qui eût le
sentiment de ses devoirs, qui ne fut pas un gouvernement de parti, il ne
laisserait pas un instant en fonctions un bourgmestre qui a commis de telles
illégalités.
Les pétitionnaires
signalent quelques-uns des faits qui se sont passés ; ils signalent, en outre,
une espèce de déni de justice dont ils ont à se plaindre. Ils s'étaient
adressés à la députation permanente pour faire annuler les élections communales
qui ont eu lieu dernièrement à Watermael-Boitsfort, et ils avaient invoqué
trois moyens à l'appui de leur requête. La députation permanente a fait droit à leur demande, mais elle n'a examiné que l'un des
trois moyens invoqués, laissant les deux autres à l'écart. Le gouverneur du
Brabant s'est pourvu contre cette décision de la députation permanente et elle
a été annulée par arrêté royal. Cet arrêté réfute le moyen sur lequel la
députation permanente s'était appuyée pour annuler les élections ; il répond
aussi à l'un des deux autres moyens invoqués par les pétitionnaires ; mais ni
la députation, ni le gouvernement n'a statué sur le troisième moyen, qui est
très important. C'est celui qui est tiré de ce que plusieurs noms ont été
irrégulièrement biffés de la liste.
Je demande que la pétition soit renvoyée à la commission des pétitions,
et que cette commission soit invitée à présenter son rapport avant le jour où
la chambre discutera le projet de loi présenté par M. Van de Weyer, et le
rapport que M. Dubus a fait sur la pétition qui nous a été adressée par
d'autres habitants de la même commune.
M. Vanden Eynde. - J'ai fait partie de la section centrale qui a examiné le projet
présenté par M. Van de Weyer, relativement aux listes des électeurs communaux.
La même section centrale a eu aussi à s'occuper d'une pétition de plusieurs
électeurs de Watermael-Boitsfort, relativement à la liste dont il est encore
question aujourd'hui et à l'annulation des élections précédentes.
.L'honorable M. Delfosse est venu dire ici que le bourgmestre de
Watermael-Boitsfort avait biffé des noms, qu'il avait égaré la liste, qu'il
avait enfin commis des illégalités. Ces faits-là sont d'une grande
inexactitude. La section centrale a eu à s'occuper de toutes ces circonstances
et elle a pu se convaincre que ce bourgmestre ne mérite pas ces reproches.
Je ne viendrai pas dire aujourd'hui toutes les considérations qui ont
déterminé votre commission relativement à cette pétition. J'attendrai seulement
que la discussion s'engage à cet égard, et alors j'exprimerai ma pensée et je
ferai connaître les motifs qui ont déterminé la section centrale ainsi que les
raisons de science, pour lesquelles je puis m’exprimer de la manière que je le
fais sur les allégations de l'honorable M. Delfosse.
En ce qui concerne le dernier arrêté pris par
le gouvernement, ce n'est pas à moi de le défendre, et je ne puis pas donner
d'explications, ni sur la rédaction, ni sur les motifs qui ont déterminé le
gouvernement à annuler la décision de la députation. Seulement je désire que la
chambre ne se forme pas d'avance une opinion sur les faits allégués par
l'honorable M. Delfosse. J'ai pris la parole pour prémunir la chambre contre
les erreurs dont l'honorable membre s'est rendu l'organe.
M. le président.
- Nous ne pouvons pas discuter maintenant cette question. La discussion doit se
renfermer dans la proposition de M. Delfosse.
M. de Garcia. - Le débat actuel est aussi étrange qu'inopportun. On discute le fond
d'une pétition dont personne n'a connaissance, à la seule exception peut-être
de l'honorable M. Delfosse et de l'honorable M. Vanden Eynde, qui a eu
l’occasion de connaître quelques-uns des faits qui s'y trouvent relatés. Dans
cet état, il est incontestable que la chambre ne peut entamer le fond de la
discussion à laquelle cette pièce peut donner lieu. Dès lors tout en déclarant
que je ne m'oppose pas à l'adoption de la proposition de M. Delfosse, je
demande qu'on ne discute pas maintenant le fond.
M.
d’Huart. - Il me semble qu'il y a
lieu d'adopter la proposition de M. Delfosse. Qu'on renvoie la pièce à la
commission des pétitions, et qu'un rapport soit fait ; alors chacun aura une
connaissance approfondie de la réclamation, et la discussion pourra avoir lieu
d'une manière convenable.
Quant aux faits signalés par l'honorable M. Delfosse, je ne pourrais
entrer dans des explications à l'égard de ces faits ; on conçoit que, dans ma
position, je ne dois en avoir aucune connaissance ; ils ne sont pas d'une
nature telle qu'ils aient dû faire l'objet d'un examen en conseil des ministres
; du moins si le conseil des ministres s'en est occupé, ce doit avoir été
pendant que je n'étais pas à Bruxelles.
Ce qu'il y a de plus convenable à faire, je le répète, c'est d'adopter
la proposition de M. Delfosse, et d'attendre le rapport de la commission,
M. Delfosse. - M. Vanden Eynde vient de qualifier d’inexacts les faits que j'ai
signalés ; je n'ai pas l'habitude d'avancer légèrement des faits aussi graves.
Ceux que M. Vanden Eynde qualifie d'inexacts ont été avoués par le bourgmestre
de Watermael-Boitsfort lui-même, dans l'enquête judiciaire.
M.
Desmet. - J'appuie le renvoi à la
commission avec demande d’un prompt rapport ; mais je crois que le renvoi
devrait être fait, non pas à la commission des pétitions, mais à la section
centrale qui s'est occupée de cette affaire. M. Delfosse ne s'opposera sans
doute, pas à ce que cette marche soit suivie.
Je propose donc le renvoi de la pétition à la section centrale qui s'est
occupée des élections de Watermael-Boitsfort.
M.
Delfosse. - Je dois m’opposer à la
proposition de M. Desmet. Il n'y a pas de raison pour enlever à la commission
des pétitions les attributions qui lui sont conférées par le règlement. Si la
pétition qui nous a été adressée dans le temps, par d'autres habitants de Watermael-Boisfort a été renvoyée à la section centrale
dont M. Desmet vient de parler, c'est que cette section était alors saisie de
l'examen d'un projet de loi qui avait quelque rapport avec la pétition.
Aujourd'hui que cette section a terminé son travail et épuisé son pouvoir, il
n'y a pas de raison pour la faire revivre en la mettant à la place de la
commission des pétitions, qui n'ayant pas encore eu à se prononcer sur les
affaires de Watermael-Boitsfort, peut être considérée comme présentant plus de
garanties d'impartialité.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Je ne
m'oppose en aucune manière à ce que la pétition soit renvoyée à la commission
des pétitions. Mais quant aux garanties d'impartialité, je crois qu'elles
doivent les mêmes chez toutes les commissions désignées par la chambre.
- La proposition de M. Delfosse est mise aux voix et adoptée.
_______________
Par message en date du 5 juin, le sénat informe la chambre qu'il a
adopté le projet de loi qui remplace les articles 331 à 335 du Code pénal.
- Pris pour notification.
PROJET DE LOI
ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS
M. Mast de Vries, rapporteur. - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter le rapport de la commission
spéciale chargée de l'examen de la demande de crédit de 40,000 fr. pour le
département des travaux publics.
A mesure que le chemin de fer de l'Etat atteignait les localités
importantes du pays, des fêtes d'inauguration y ont été données au moyen des
subsides votés par ces localités et par le concours efficace du gouvernement.
Lors de la jonction du chemin de fer belge au chemin de fer rhénan, des
fêtes brillantes ont eu lieu. Les villes qui profitaient le plus immédiatement
de cette jonction se sont empressées à témoigner de tout l'intérêt qu'elles
avaient à l'achèvement de cette œuvre internationale.
Les dépenses qui en sont résultées pour le gouvernement ont été imputées
sur l'un ou l'autre chapitre du département des travaux publics.
Ce mode, irrégulier sans doute, mais employé depuis 1835, avait reçu une
espèce de sanction de la législature, en ce sens qu'il n'avait soulevé aucune
observation dans le sein de la chambre.
A l'occasion de l'inauguration des chemins de fer belges-français, une
interpellation a été faite par un de nos honorables collègues. Il a engagé le
ministre à suivre la voie légale.
(page 1563) Pour répondre à ce vœu, une
demande de crédit 40,000 fr. vous est soumise.
La commission que vous avez chargée de l'examen du projet s'est d'abord
rendu compte de ce qui a eu lieu lorsque des dépenses du même genre ont été
faites pour l'inauguration du chemin de fer belge-rhénan.
Elle s'est demandé si la jonction de Paris à Bruxelles n'était point
pour le pays un événement d'une aussi haute importance que celui qui nous a
liés à Cologne.
Elle a été unanime à reconnaître que des motifs de haute convenance-
nous commandaient de répondre aux invitations qui nous seront adressées de France.
Par ces motifs, votre commission vous propose par cinq voix d'accorder
le chiffre demandé par le gouvernement.
Un membre proposait de le réduire à 25,000 fr.
M. le président.
- Le rapport sera imprimé et distribué ; à quel jour la chambre veut-elle en
fixer la discussion ?
M. Mast de Vries,
rapporteur. - Comme l'inauguration
est très prochaine, je pense que la discussion du projet de loi pourrait
commencer immédiatement. (Oui.)
M. de Brouckere. - Messieurs, je veux simplement déclarer qu'étant l'auteur de la
motion par suite de laquelle le projet de loi sur lequel un rapport vient d'être
fait, a été présenté, je ne m'oppose en aucune manière à ce que le projet soit
discuté immédiatement ; je déclare en même temps que mon vote lui était acquis
d'avance. Immédiatement après ma motion, j'ai dit que tout ce que je voulais,
c'était que le gouvernement, à l'occasion des fêtes de cette nature, rentrât
dans une voie régulière : il y est rentré ; quant à moi, je trouve la somme
modérée, et je la voterai avec empressement.
M. Lebeau. - J'appuie également la proposition de l'honorable rapporteur.
- La chambre, consultée, décide qu'elle discutera immédiatement le
projet de loi.
La discussion est ouverte.
M. Lebeau. - Messieurs, je viens remercier l'honorable M. de Brouckere d'avoir
soulevé la motion qu'il a soumise à la chambre, il y a quelques jours ; je le
fais, non seulement pour le motif, très suffisant d'ailleurs, que vient
d'indiquer l'honorable membre, mais encore par une autre raison, d'un ordre
plus élevé ; et, sous ce rapport, je regrette qu'on n'ait pas suivi la même
marche dans les circonstances antérieures. Je crois qu'il y a des motifs de
haute convenance, pour que le pays tout entier intervienne dans les actes de
sympathie internationale, et qu'il s’associe, par le vote de ses représentants,
à la démonstration amicale, hospitalière, préparée par le cabinet.
- Personne ne demandant plus la parole, la
discussion est close. L'article unique du projet est ainsi conçu :
« Un crédit de 40,000 fr. est ouvert au département des travaux publics,
pour l'inauguration internationale des chemins de fer belges-français. »
- Adopté.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Je proposerai d'ajouter
un article 2 ainsi conçu :
« La loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
Cet article est mis aux voix et adopté.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet.
En voici le résultat :
55 membres ont répondu à l'appel.
47 membres ont répondu oui.
6 membres ont répondu non.
En conséquence le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Van Cutsem, Vanden Eynde, Verhaegen, Verwilghen,
Veydt, Zoude, Cans, Clep, David, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem,
Dedecker, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Naeyer,
de Renesse, de Sécus, de Smet, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, d'Huart,
Dumont, Fallon, Fleussu, Goblet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys,
Malou, Manilius, Mast de Vries, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rogier,
Scheyven, Sigart et Vilain XIIII.
Ont répondu non : MM. de Garcia, de Tornaco, Eloy de Burdinne, Huveners,
Simons et Thienpont.
PROJET DE LOI RELATIF
A LA CONCESSION DU CHEMIN DE FER DU LUXEMBOURG
Discussion générale
M. David. - Messieurs, j'ai lu et j'ai entendu les discours des honorables MM.
d'Hoffschmidt, Pirson et Osy, d'abord au Moniteur et ensuite à la séance ; je
regrette de n'avoir pu arriver pour le début de la séance. Comme ces honorables
représentants, je désire, messieurs, l'exécution des chemins de fer que l'on
vous offre, à ce que l'on dit, gratuitement dans le pays.
Je suis donc loin de vouloir repousser le chemin de fer du Luxembourg,
s'il a cette qualité-là. Je serais disposé à appuyer même l'amendement de l'honorable
M. Pirson. Je suis un des partisans les plus chaleureux et j'appuierai toujours
les demandes de concession, en tant qu'elles me paraîtront concilier
convenablement les intérêts du pays. Cependant si je désire voir accorder des
concessions, je demanderai et j'appellerai de tous mes vœux la suppression de
l’article 47 à l'occasion de la discussion qui nous occupe, et je vais avoir
l'honneur de vous en donner quelques motifs. Malheureusement mes arguments ne
sont pas assez bien classés dans mon esprit aujourd'hui pour que je puisse vous
les donner tous. J'espère cependant vous en donner une esquisse et je pense
qu'ils sont digues de l'attention de la chambre.
Je vous fais pressentir, messieurs, l'amendement que je vais avoir
l'honneur de vous proposer et qui sera rédigé dans ce sens-ci : « Le
gouvernement pourra aussi accorder la concession d'un chemin de fer partant de
la province de Liège, soit de Pépinster, soit de Chênée, vers la frontière prussienne.»
Voici, messieurs, quelques arguments que je vais avoir l'honneur dé vous soumettre à l'occasion de cet amendement.
Messieurs, parce qu'il y aurait un chemin de fer au-dessus de Namur ;
pourquoi à l'autre extrémité du royaume, à partir par exemple, de Pepinster ou
de Chênée, n'y en aurait-il pas un pour aller
rejoindre le même point à Luxembourg ?
Pourquoi le gouvernement, aurait-il autorisé deux chemins de fer de
Paris à Bruxelles, l'un arrivant par Quiévrain, l'autre par Lille, à quelques lieues
de distance ? Mais, messieurs, ici il y a des motifs beaucoup plus puissants
pour ne pas s'opposer à la proposition que je vous fais. C'est qu'ici il n'y
aura que le point d'arrivée qui sera commun... En partant de Pepinster ou de Chênée pour atteindre Luxembourg, on comprendra qu'on
dessert toutes localités absolument différentes, qu'elles sont tout autres et
indépendantes de celles du projet en discussion.
Les points de départ de ces chemins de fer sont donc absolument
différents, l'un partant d'au-dessus de Namur, l'autre de Chênée
ou de Pepinster seraient séparés (remarquez le bien, car c'est une chose
extrêmement importante), seraient séparés, dis-je, par toute la largeur du
royaume.
Parce qu'il a plu au gouvernement de concéder un chemin de fer sur la
partie sud du royaume, faut-il condamner à l'ostracisme, faut-il déshériter
tous les habitants qui peuplent le nord et l'est du pays ? Voilà cependant,
messieurs, ce que vous allez décréter ; et comme vous le disait hier
l'honorable M. Osy, ce n'est pas seulement pour douze années, mais on peut
compter que ce sera pour les 18 années qu'il vous a annoncées.
Messieurs, je vais avoir l'honneur de vous offrir une comparaison, de
vous citer un fait. Mais si M. le ministre des travaux publies n'est pas ici,
je regrette aussi que dans ce moment l'honorable M. de Theux ne se trouve pas
dans la salle. Ce sont cependant les membres principaux auxquels j'ai à
adresser, mes interpellations et dont je réclamerai le témoignage.
Je pense qu'aucun de ces deux honorables membres ne se trouve dans la
salle, et dès lors je trouve inutile de continuer.
Une
voix. - M. Dechamps est là.
M. David. - Ce que je veux dire à la chambre ne peut concerner l'honorable M.
Dechamps. En effet, il s'agit d'une discussion relative au chemin de fer direct
de Liège à Hasselt par Ans et Tongres. (M.
le ministre de l'intérieur entre dans la salle.)
L'honorable M. de Theux étant maintenant à son banc, je crois devoir
rappeler la comparaison que j'ai faite entre les provinces de l'Est et du Nord
du royaume, ainsi que les honorables MM. de Theux et Simons à l'occasion du
chemin de fer direct de Liège à Hasselt par Ans et Tongres.
Quand on a concédé ce chemin de fer-là, la
société Mackenzie voulait également interdire toute concession qui aurait pu
être considérée comme une concurrence à ce chemin. Qu'ont fait les députés du
Limbourg dont j'invoque le témoignage et dont les paroles sont d’ailleurs
consignées au Moniteur. Ils se sont opposés et ils ont eu raison ; ils ont fait
rejeter la proposition qui nous était imposée.
Si elle a été rejetée une fois, messieurs, il y a donc un grand et
puissant antécédent, elle doit l'être une seconde. On a obtenu satisfaction de
la société Mackenzie ; serons-nous plus malheureux vis-à-vis d'une autre
société, quand nous aurons prouvé que nos rapports avec le Luxembourg n'ont
aucune analogie avec ceux que l'on attend de la voie de communication qu'on
nous propose ? Les honorables MM. de Theux et Simons ont bien défendu les
intérêts du pays, et ils ont introduit dans la loi des concessions un
paragraphe tout à fait dans le sens de l'amendement que je viens proposer à la
loi en discussion.
Les voies que je propose, Pepinster ou Chênée,
n'ont réellement rien de commun avec les intérêts de la société anglaise.
Remarquez-le, le chemin dont la société étrangère dessert les intérêts doit se
diriger de Namur vers Luxembourg. Je trouve cela excellent ; j'y donne mon
assentiment ; mais rien ne s'oppose à ce que cette société ou une autre
desserve les intérêts du nord et de l'est de la Belgique.
Pourquoi repousserait-on l'idée d'introduire un second chemin propre à
desservir les intérêts de lest et du nord du pays,
tandis qu'en desservant ces intérêts on ne nuirait pas à ceux de l'ouest et du
sud ? Ce serait même précisément tout le contraire. Ici je ferai valoir encore
un argument, c'est que des chemins de fer, dans les parties du pays qui n'en
ont point, procureraient par leurs affluents un bénéfice dans le chemin de fer
de l'Etat, en lui amenant des voyageurs et des marchandises. Tous les Belges
doivent être égaux devant la loi ; le chemin de fer a aussi sa loi ; il serait
donc injuste et illégal de priver de chemins de fer aucune partie du pays.
Il me semble que nous entrons dans une mauvaise voie, messieurs ; c'est
une guerre de province à province .Cette fois, je n'en dirai pas davantage.
Nous aurons dans d'autres circonstances trop malheureuses, il n'est que trop
vrai, l'occasion de proclamer, de faire voir combien est cruelle et impolitique
une semblable lutte. L’on entre dans une voie fatale, non (page 1564) pas seulement à propos du chemin de fer du Luxembourg,
mais à propos des Flandres ; c'est une double lutte que ma province a à
supporter.
Je prétends qu'en adoptant l'article 47, vous commettez un acte
d'iniquité, que je pourrais même qualifier d'absurde et d'inutile. Je crois
pouvoir le démontrer. Je prétends que cet acte constituera un précédent
éminemment dangereux. Vous verrez plus tard les dangers résultant d'un antécédent
semblable. Vous serez obligés de subir les conséquences d'un acte aussi
irréfléchi que vous aurez posé.
C'est même évidemment un acte inconstitutionnel et, par conséquent,
souverainement injuste, que de décréter que, pendant 18 ans, les provinces du
royaume situées au nord et à lest seront condamnées à l'isolement, à
l'ilotisme, et seront privées d'une de ces communications qui font la gloire et
la prospérité des localités qui ont le bonheur de pouvoir en être dotées.
C'est un acte à la fois illégal et injuste, parce que d'abord ce serait
violer d'autres antécédents de la chambre que j'ai rappelés ; c'est un acte
inutile, parce que vous ne pouvez proclamer la déchéance d'une route, lorsqu'il
est prouvé que cette route est la plus courte, la plus naturelle et la plus
utile. La route la plus courte, la plus prompte, la plus naturelle reprendra
toujours tôt ou tard son cours. L'homme ne saurait lutter contre des éléments
aussi providentiels que ceux-là. Sous ce rapport, il y a là un grand
avertissement donné à la société demanderesse.
Je puis vous le prouver.
Je vais seulement vous donner lecture d'un passage d'une lettre qui m'a
été adressée par un honorable citoyen qui exerce des fonctions élevées dans les
provinces rhénanes.
Voici ce passage :
« Une chose, monsieur, qu'il ne faudra pas perdre de vue de votre côté
et que vous pourrez faire valoir si l'occasion s'en présente, c'est que pour
nous, c'est-à-dire pour le pays de Trêves, le sort du paragraphe 2 de l'article
47 n'est pas, comme pour votre pays, une question décisive, car nous pouvons
toujours nous tirer d'affaire d'une autre manière, savoir : en allant avec
notre railway ou par Aix la-Chapelle ou par Eupen,
pour arriver à Herbesthal. »
Vous le voyez, messieurs, tous les efforts de la Belgique et de la
société anglaise seront impuissants en laissant subsister l'article 47, qui
sera une ruine pour nous seuls.
Voici un autre paragraphe de cette même lettre :
« II y a même un parti chez nous qui croit que cette direction serait
préférable à celle de Malmedy, etc., parce qu’elle resterait entièrement sur le
territoire prussien ; mais pour moi cette considération n'est pas suffisante ;
car il s'agit ici d'un chemin de fer non pas prussien, mais belge-trèvirois ou plutôt européen, et, pour cela, il faut
absolument s'en tenir à la ligne la plus directe et la plus courte, de manière
que la concurrence d'aucun autre chemin ne puisse jamais lui devenir
dangereuse, et c'est évidemment et uniquement celle par Spa, Malmedy et
Pepinster qui remplira ces précieuses conditions.
«Quant à la Belgique, rien ne saurait lui porter plus d'ombrage que si
l'on allait directement d'Aix-la-Chapelle à Trêves, à l'exclusion d'un chemin
par Spa,etc., parce que de
cette manière et au moyen du railway de Maestricht qui doit être prolongé et
faire partie du grand chemin de fer partant de Middelbourg,
on ferait les affaires de la Hollande au lieu de faire celles de la Belgique.
Courage donc, messieurs, à l'œuvre ! Faisons les affaires de la Hollande
ou celles de la Prusse, et oublions nos intérêts pour soutenir, avec une
incroyable préférence, ceux d'une société concessionnaire ! C'est à ne pas y
croire, que l'on puisse procéder avec une pareille abnégation, un pareil dédain
pour son propre territoire.
J'aime à croire que la chambre, avant
d'adopter l'article 47, réfléchira aux conséquences par trop déplorables qui
doivent infailliblement en résulter, et que j'ai signalées le plus
énergiquement que j'ai pu.
Si la Belgique était dupe, je la plaindrais. Messieurs, que la chambre
pèse mes paroles. Je désire qu'on les prenne en sérieuse considération, et que
nous ne votions pas légèrement sur l'article 47.
M. le ministre des travaux publics
(M. de Bavay). -J'aurai d'abord à
rencontrer quelques-unes des observations faites hier par l'honorable M. Osy.
Cet honorable membre a présenté quelques considérations générales, portant
aussi bien sur les chemins de fer de l'Etat, que sur les chemins de fer
concédés. Sans faire de propositions formelles, l'honorable membre est porté à
croire qu'il pourrait être utile de concéder les chemins de fer belges exécutés
aux frais de l'Etat. Je pense que cette idée doit soulever de très sérieuses
objections. Je ne me dissimule pas que l'exploitation de l'Etat ait certains
inconvénients. En fait d'administration, je suis convaincu qu'il n'y a rien de
bon, ni de mauvais, dans un sens absolu. Partout on se trouve entre des
avantages et des inconvénients dont il faut savoir faire la balance.
Je reconnais qu'à certains égards l'action de l'industrie privée peut
être plus puissante, plus énergique ; mais l'action du gouvernement, par
contre, est, il faut bien le reconnaître, plus protectrice de tous les intérêts
; le gouvernement est beaucoup plus responsable de sa gestion vis-à-vis du
public que ne le seraient les sociétés ; sa gestion offre plus de véritables
garanties.
L'honorable M. Osy trouve que nos chemins de fer sont dans un état
d'infériorité, comparés à certains chemins de fer étrangers. Je pense qu'il ne
faut pas établir de comparaison entre des situations dissemblables. Nous ne
sommes pas en Belgique dans une position qui puisse être comparée à celle de
certaines parties de l'Angleterre, ni de certaines parties de France.
Nous n'avons en Belgique rien qui puisse être comparé, ni aux grands
centres de commerce et d'industrie de l'Angleterre, ni à la capitale de la
France. Nous n'avons pas non plus un tarif à beaucoup près aussi élevé que ceux
de France et d'Angleterre. Si donc les directions des chemins de fer qui
touchent aux métropoles commerciales et manufacturières de l'Angleterre, si les
directions des chemins de fer qui touchent à Paris, peuvent se montrer plus
larges que notre gouvernement pour des renouvellements de toute nature, cela
tient, messieurs, à leur position : ces sociétés font et peuvent faire ce qui
chez nous conduirait à des résultats financiers très regrettables.
Nous savons, messieurs, que sur la plupart des chemins de fer anglais,
les rails ont été renouvelés successivement, chaque fois que les progrès de
l'industrie ou les études des ingénieurs ont fait reconnaître la nécessité de
rails plus forts. Ces renouvellements ne sont pas une charge trop lourde,
lorsqu'on tient à des points de commerce et d'industrie de premier ordre, et lorsque
l'exploitation trouve dans un tarif élevé une très large rémunération.
Ici, messieurs, nous sommes forcément astreints à un rôle plus modeste.
Nos tarifs sont bas, et nous n'avons pas les mêmes ressources de mouvement
commercial. L'état d'infériorité de nos chemins de fer, que je n'admets pas
dans toute la latitude de l'expression de l'honorable M. Osy ; cet état
d'infériorité est du reste en grande partie une chose de date. En fait de
chemins de fer, le dernier venu est en général le mieux monté, le mieux
organisé. J'ai pu remarquer moi-même, en examinant les différents chemins de
fer qui touchent à Paris, que, parmi ces chemins de fer, les derniers exécutés
étaient très supérieurs aux lignes ouvertes deux ou trois ans auparavant.
Les objections de l'honorable M. Osy rentrent en partie dans les
arguments qui ont été présentés, il y a quelques années, à la chambre des
députés de France contre le système des chemins de fer, par M. Arago. M. Arago
émettait alors l'idée qu'on soulevait prématurément en France la question des
chemins de fer, que les chemins de fer étaient destinés à subir d'importantes
modifications, modifications qui pouvaient ôter au matériel à créer
immédiatement une partie de sa valeur dans un avenir plus ou moins éloigné.
Cet argument a quelque chose de fondé, mais il prouve trop. Evidemment
si en Belgique nous avions attendu jusqu'en 1846 pour décréter nos chemins de
fer, nous eussions pu faire d'un jet quelque chose de meilleur que ce que nous
avons aujourd'hui. Mais enfin nos chemins de fer, tels qu'ils existent, nous
ont rendu d'immenses services ; je n'entends pas dire que, dans l'exploitation
de nos chemins de fer, il n'y ait rien à améliorer, à perfectionner ; et à ce
point de vue, je suis aussi difficile à satisfaire que beaucoup de membres de
cette chambre. Je reconnais qu'il nous reste bien des choses à faire, mais ces
perfectionnements, ces améliorations doivent être le fruit du temps ; il est
impossible de les réaliser immédiatement et simultanément.
Je ne pense pas non plus que les concessions qui ont été accordées
pendant la session dernière nous aient fait, pour le chemin de fer, une
position toute nouvelle et qui motive l'idée émise par l'honorable M. Osy. J'ai
la conviction que les concessions, votées à la session dernière, feront du bien
au chemin de fer de l'Etat au lieu de lui porter préjudice.
En Angleterre, les grandes lignes ne redoutent pas la construction
d'autres chemins de fer ; là, très souvent les grandes compagnies ont accordé à
des compagnies d'embranchement, soit des subventions, soit des garanties
d'intérêt, et c'est surtout depuis le très grand développement donné aux
chemins de fer en Angleterre, que les lignes primitives sont devenues
véritablement productives.
Je crois donc, messieurs, pouvoir maintenir que la position du chemin de
fer de l'Etat est au moins aussi bonne qu'elle l'était avant les concessions de
l'année dernière. Je crois aussi qu'il n'y a aucune espèce d'incompatibilité
entre l'exploitation des lignes de l'Etat par le gouvernement et l'exploitation
d'autres lignes par des sociétés.
Ainsi l'Etat représentera toujours la plus grande exploitation du pays,
l'exploitation régulatrice, si je puis le dire ; il y aura évidemment une
certaine dépendance de la part des compagnies vis-à-vis du chemin de fer de
l'Etat, pour leur coïncidence ; sous ce rapport, messieurs, l'Etat, en
conservant l'exploitation de ses lignes, conserve en même temps une position
extrêmement forte vis-à-vis des sociétés.
Je pense, messieurs, que la Belgique s'est montrée sage en fait de
chemins de fer, aussi bien lorsqu'elle a décrété ses lignes que lorsqu'elle a
accordé des concessions ; je pense que ce sont là deux choses parfaitement
susceptibles de coexister.
L'Etat a fait, dans les bornes de ses ressources financières, ce qu'il
pouvait faire ; mais il était arrivé à une limite où force lui eût été de
repousser beaucoup de chemins de fer utiles à la prospérité du pays, si ces
chemins de fer avaient dû, de nécessité, être exécutés au compte du trésor.
Je pense donc que notre situation ne présente rien qui puisse ressembler
à une déroute, rien qui puisse motiver, s'il m'est permis de le dire, un cri de
sauve qui peut.
Je ne pense pas qu'il faille admettre avec l'honorable M. Osy qu'il soit
décidé que le gouvernement ne fera plus de chemin de fer. Je crois qu'il n'y a
qu'une chose évidente pour tout le monde, c'est que l'Etat n'a actuellement
qu'une marge assez restreinte pour faire des travaux à son compte ; mais je
pense qu'il faut se garder de poser ici un principe (page 1565) absolu, et qu'il aura à examiner et à apprécier les
questions lorsqu'elles se présenteront. J'ai déjà eu occasion de déclarer, à la
séance d’hier, que si le chemin de fer direct de Bruxelles sur Gand
s'exécutait, il y aurait vraisemblablement des raisons très fortes pour
l'exécuter au compte de l'Etat.
Messieurs, au point où en sont les choses, je crois que nous ne pouvons
poser aucune règle absolue ; je crois que nous devons user de circonspection,
examiner de près les propositions qui nous seront faites.
L'honorable M. Osy pense que des voyageurs pourraient arriver de Calais
à Bruxelles, en négligeant presque totalement le chemin de fer de l'Etat. Je
dois, à cet égard, faire remarquer à la chambre que, lors de la concession des
chemins de fer de la Flandre occidentale, on a eu soin de faire une réserve,
portant que la branche qui se dirige vers Furnes ne pourrait être prolongée
vers la frontière de France sans une loi. Les chambres se sont donc réservé le
pouvoir d'apprécier s'il pourrait convenir au pays d'introduire par cette voie
les voyageurs venant de Calais.
L'honorable M. Osy a également considéré la ligne de Bruxelles vers Gand
comme concédée ; ainsi l'argument de l'honorable membre repose sur une
supposition. Il pense aussi qu'au moyen du chemin de fer de Bruxelles à Wavre
et de la ligne de Louvain à la Sambre, on pourrait arriver par Charleroy et le
chemin de fer d'Erquelinnes à la frontière française plus facilement et à
meilleures conditions que par la ligne de l'Etat. C'est encore là une erreur.
Le chemin de fer d'Erquelinnes a son point de départ à Marchienne-au-Pont.
Or, la distance de Bruxelles à Marchienne-au-Pont,
par le chemin de l'Etat, est moindre que le parcours de Bruxelles à Marchienne par Wavre et Gembloux. De plus, le chemin de fer
de l'Etat aurait, pour ce trajet, une supériorité réelle, à cause de ses pentes
meilleures et par le motif qu'il ne présente aucune solution de continuité,
tandis que les voyageurs qui prendraient la ligne de Louvain à la Sambre,
seraient soumis à un transbordement à Wavre.
L'honorable M. Osy a demandé des explications sur deux points : il a
désiré savoir pourquoi les études de la ligne du Luxembourg avaient été faites
par les ingénieurs de l'Etat et de quelle manière les frais de ces études
avaient été payés. Messieurs, la clause du contrat qui a réservé ces études aux
ingénieurs de l'Etat, était la conséquence d'une autre clause, portant que la
compagnie pourrait se retirer et réclamer la restitution du cautionnement, si
les études établissaient que la dépense devrait dépasser le chiffre moyen de
800 mille francs par lieue de 5,000 mètres. Les études par les ingénieurs de
l'Etat étaient donc indispensables pour offrir à l'Etat la garantie que la
société ne se retirerait pas, sans motif réel, en invoquant des chiffres
établis d'une manière forcée.
Pour ce qui est des frais de ces études, ils se sont élevés, non à la
somme de 100 mille francs, ainsi que le pense l'honorable membre, mais à 75
mille francs. Cette somme, messieurs, a été payée pour le compte de la
compagnie par ses banquiers à Bruxelles.
L'honorable M. Osy a présenté ensuite diverses objections contre le
paragraphe 2 de l'article 47 du cahier des charges, objections reproduites et
appuyées de nouveaux arguments par l'honorable M. David.
L'honorable M. Osy a pensé que l'exposé des motifs ne justifiait pas
suffisamment cette clause exceptionnelle ; messieurs, cette clause a été
établie dans le contrat, non par amour de l'exception, non par mauvais vouloir
pour certaines localités, ni même, dirai-je, par défaut de sollicitude pour
certaines localités, mais uniquement parce qu'on la regardait comme une
nécessité, pour assurer, dans les premières années surtout, l'existence du
chemin de fer du Luxembourg. J'ai déjà eu l'occasion de faire remarquer, à la séance
d'hier, que l'entreprise du Luxembourg était une entreprise hardie, une
entreprise qui ne peut être menée à fin que par des hommes ayant confiance dans
l'avenir. Pour cette entreprise, les premières années, il ne faut pas se le
dissimuler, seront difficiles, ce chemin de fer devant, sur une grande partie
de notre territoire, passer par des localités peu populeuses, dont les
transports, tant en personnes qu'en marchandises, ne peuvent être que fort
restreints. Le chemin de fer du Luxembourg avait donc besoin, pour assurer son
existence, de transports autres encore que ceux que pourraient lui assurer les
localités traversées.
J'ai dit encore que le chemin de fer du Luxembourg a pour objet, non
seulement de desservir nos relations à l'intérieur, mais de nous créer des
relations dans l'est de la France et une partie de l'Allemagne, notamment sur
le marché de Trêves. On conçoit dès lors que la suppression de l'article 47
laisserait la société du Luxembourg exposée à une concurrence qui, dans les
premières années, pourrait lui porter un coup funeste.
M. David. - Il vaut beaucoup mieux sans doute que ce soit au nord et à l'est du
royaume que le coup soit porté qu'à une société anglaise.
M. le ministre des travaux publics
(M. de Bavay). - L'honorable M.
Mast de Vries, qui a également élevé des objections sur cet article y a vu bien
à tort, je me permets de le dire, une espèce de menace contre la chambre.
Je puis donner l'assurance que rien n'est plus loin de la pensée de la
compagnie qu'une pareille menace. Le gouvernement se refuserait également à en
être en aucune manière l'interprète. On n'a pas fait de menace, messieurs, on a
indiqué ce que l'on regardait comme une nécessité d'existence.
L'honorable M. Mast de Tries a rappelé à cette occasion ce qui avait eu
lieu, lorsqu'il s'était agi de la garantie d'un minimum d'intérêt à accorder à
la société de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Je pense, messieurs, qu'un fait a échappé à l'honorable membre : c'est le temps qui s'est
passé entre la présentation du projet de l’Entre-Sambre-et-Meuse à cette
chambre et le vote de ce projet. Dans l'intervalle, messieurs, la situation des
choses s'est modifiée du tout au tout. En Angleterre les entreprises de chemins
de fer qui pendant longtemps n'avaient pu y être conduites à bien qu'avec
beaucoup de peine, y avaient repris subitement une faveur très grande. C'est
alors, messieurs, que les directeurs de la compagnie, non pas pour satisfaire à
une espèce d'injonction de la chambre, mais de leur propre mouvement, ont
proposé le retrait de cette garantie d'un minimum d'intérêt.
Je dois faire remarquer, messieurs, que lorsque l'affaire de
l'Entre-Sambre-et-Meuse a été discutée, il n'y avait pas de société formée. Il
n'existait qu'une réunion de quelques personnes qui avaient fourni le
cautionnement de leurs ressources personnelles. Ici, au contraire, il y a une
société formée ; il y a des actions émises ; il y a donc non seulement la
direction, mais il y a de plus des actionnaires ; actionnaires qui ont des
droits qu'ils pourraient faire valoir le cas échéant, dans un sens peut être
fort peu conforme à l'intérêt du pays.
Je reconnais, messieurs, que l'article 47
consacre un principe auquel il eût été désirable de ne pas avoir recours, s'il
avait été possible de donner au chemin de fer du Luxembourg, à d'autres
conditions, de véritables garanties d'existence. Cette clause, messieurs, est
exceptionnelle. Mais une entreprise du genre de celle du chemin de fer du
Luxembourg est aussi une entreprise exceptionnelle, une entreprise capitale
pour le pays.
Je prie donc la chambre d'examiner avec attention si, pour atteindre un
pareil résultat, et sans poser aucune espèce de précédent pour l'avenir, elle
ne pourrait pas admettre ici ce principe exceptionnel.
M. Osy (pour une motion d'ordre). - Messieurs, vous voyez que ce que j'ai eu
l'honneur de vous dire hier est exact. La société a payé les travaux faits par
nos ingénieurs. Elle avait mis à la disposition du gouvernement, non pas 75,000
francs, mais 100,000 francs pour payer les travaux de nos ingénieurs.
M. le ministre vient de nous dire qu'on avait pris sur cette somme celle
de 75,000 francs. Mais il ne nous a pas dit où étaient allés ces 75,000 fr.
Cependant j'avais positivement demandé si la somme payée par la société
était entrée dans le trésor.
Messieurs, si la somme que nous votons annuellement et qui se monte à
451,000 fr., pour les traitements de nos ingénieurs, pour les frais de bureau,
de déplacements, indemnités et dépenses éventuelles, ne suffit pas, M. le
ministre sera obligé de nous présenter une demande de crédit supplémentaire ;
mais la régularité de la comptabilité veut que la somme payée pour des travaux
faits par des ingénieurs, entre dans notre trésor. Je propose donc à la loi un
article 2 ainsi conçu : « Il sera porté en recette au budget des voies et
moyens de 1846, au chapitre capitaux et revenus, travaux publics, chemin de
fer, la somme de 75,000 francs payée par les sieurs de Clossmann
et consorts pour les travaux faits par les ingénieurs de l'Etat. »
Voilà, messieurs, la seule marche régulière à suivre. Aucun de nos
employés, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, ne peut être payé par qui
que ce soit. Allez au chemin de fer ; offrez la pièce à un employé qui vous
aura porté un paquet, il a ordre de ne pas le recevoir. A plus forte raison,
des ingénieurs ne doivent-ils pas être payés par des compagnies.
Qu'arriverait-il, messieurs, si des ingénieurs de l'Etat étaient payés par des
compagnies ? Ne pourrait-il pas arriver qu'ils soignassent les intérêts de la
compagnie plus que ceux du gouvernement ?
Ainsi, l'article 47 contre lequel nous
réclamons, la suppression de l'embranchement sur Dinant, qui se trouvait dans
le contrat primitif et qui ne se trouve plus dans le contrat définitif, ne
pourraient-ils pas être une conséquence du payement des ingénieurs de l'Etat
par une compagnie ? Messieurs, je ne le crois point, je ne fais pas une
pareille supposition, mais il ne faut pas y donner lieu.
Je veux de la moralité en tout, et c'est parce que je veux de la
moralité et de la régularité, que je demande qu'aucun employé de l'Etat ne
puisse recevoir la moindre indemnité sous aucun prétexte, et l'indemnité payée
par la société doit entrer dans le trésor de l'Etat. Je crois et j'espère que
la chambre tout entière approuvera et votera mon amendement.
M. le ministre des
travaux publics (M. de Bavay). - Je
désire seulement donner une explication à l'honorable M. Osy et à la chambre.
Le contrat primitif ne portait pas qu'une somme de 100,000 fr. serait mise à la
disposition du gouvernement pour les frais d'étude, mais simplement que cette
somme serait déposée pour servir aux frais d'étude. Par conséquent il n'y a pas
eu marché entre la société et le gouvernement, celui-ci ne s'est pas chargé de
faire les études pour une somme de 100,000 fr. qui dans tous les cas aurait été
acquise à l'Etat. Il n'y avait pour la société qu'obligation de verser la somme
pour servir au payement des études au fur et à mesure de l'avancement des
travaux.
M. Osy. - J'ai demandé à M. le ministre où est allé l'argent, s'il a été
déposé dans les caisses de l'Etat.
Un
membre. - Il a été payé à ceux qui ont fait les
plans.
M. Osy. - Ceux qui ont fait les plans sont les ingénieurs de l'Etat, et je dis
qu'ils ne peuvent recevoir de gratification de personne. Ils sont payés par
l'Etat. Nous allouons annuellement une somme de 451,000 fr. pour nos
ingénieurs, non seulement pour payer leurs traitements, mais aussi pour payer
leurs frais de route.
Je soutiens qu'aucun ingénieur de l'Etat ne peut recevoir un sou de qui
que ce soit et que les 75,000 fr. qui ont été payés doivent entrer dans les
caisses de l'Etat.
J'espère donc que la chambre tout entière votera l'amendement que j'ai
eu l'honneur de proposer.
(page 1566) M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je
viens défendre le projet de loi qui vous est soumis. Je viens le défendre avec une
conviction profonde, non, messieurs, parce que je l'ai présenté à la chambre,
mais parce que le chemin de fer qui doit en être la conséquence, est à mes yeux
une entreprise grande et utile pour le pays.
Je ne chercherai donc point à dissimuler le vif, le puissant intérêt que
je porte à cette entreprise. Je considère, messieurs, son succès comme une
question de vie ou de mort pour la grande province à laquelle j'ai l'honneur
d'appartenir.
Messieurs, je commencerai d'abord par constater un fait satisfaisant,
c'est que le projet, quoiqu'il ait soulevé des objections de détail, a
cependant rencontré de vives sympathies et dans cette chambre et au-dehors de
cette chambre. Dans les sections je crois qu'il a été admis à l'unanimité ; il
en a été de même à la section centrale, et les honorables membres qui ont pris
la parole dans cette discussion, quoiqu'ils aient combattu quelques
dispositions secondaires, ont cependant annoncé, presque tous, qu'ils
voteraient en sa faveur.
Je l'avoue, messieurs, je ne comprendrais guère qu'il pût en être
autrement. Lorsque, l'année dernière, plusieurs demandes de concessions de
chemins de fer furent soumises à la chambre, elles ont été accueillies avec la
plus grande faveur, même avec une espèce d'enthousiasme. Toutes ont été votées
à la presque unanimité par les deux chambres.
Je ne comprendrais donc point par quel étrange motif un autre sort
attendrait la grande entreprise sur laquelle vous avez à vous prononcer
aujourd'hui, lorsqu'il s'agit d'un chemin de fer que l'Etat n'aurait
certainement jamais songé à exécuter ; lorsqu'il s'agit d'un chemin de fer qui
traversera 40 lieues de notre territoire.
Messieurs, je me propose d'aborder les principales objections qui ont
été faites contre le projet ; mais avant je demanderai la permission de
présenter quelques observations sur l'utilité du projet et sur les
circonstances qui ont amené les modifications apportées à la première
convention.
Messieurs, en jetant un coup d'œil sur la carte on s'aperçoit de suite
que le grand réseau de nos chemins de fer laisse une lacune extrêmement
importante. Dans les provinces centrales du royaume, il existe de nombreux
chemins de fer, et le nombre tend à en augmenter tous les jours, tandis que
toute une province et la moitié d'une autre province, formant ensemble à peu
près la cinquième partie du royaume, sont privées de tout chemin de fer...
M. de Garcia. - Et même de tout canal.
M. d’Hoffschmidt. - Et même de tout canal, comme le dit fort bien l'honorable M.
de-Garcia
Eh bien, messieurs, le projet de loi tend à amener l'exécution, dans
cette partie du pays, non seulement d'un chemin de fer, mais aussi d'un canal,
canal dont nous réclamions depuis 15 ans inutilement l'exécution, canal qui
avait amené pour le gouvernement des difficultés devant les tribunaux.
Messieurs, ce n'est point seulement un intérêt provincial que ce chemin
de fer doit favoriser. Les intérêts généraux du pays y trouveront également un
immense avantage.
En effet, le chemin de fer du Luxembourg est destiné à relier nos grands
centres de commerce et de production à une contrée jusqu'à présent inaccessible
pour eux.
En ce qui concerne l'intérêt commercial, le chemin de fer du Luxembourg
fournira le moyen à nos ports de mer de transporter les denrées coloniales et
dans tout le Luxembourg, et à Trêves, et dans une partie de l'Allemagne. C'est
ce qui est démontré dans son rapport annexé au projet de loi.
Je ne sais si tous les membres de la chambre y ont fait attention, mais
dans ce rapport il est démontré que l'on pourra transporter les denrées
coloniales du port d'Anvers à Trêves par le chemin de fer du Luxembourg en
concurrence avec les voies fluviales de la Hollande.
Mais, messieurs, pour que ce résultat soit obtenu, il faut que le chemin
de fer soit aussi direct que possible, il ne faut pas qu'on lui fasse faire des
détours qui nécessairement apporteraient une aggravation dans les prix de
transport.
Quant à l'intérêt de l'industrie, il n'est pas moins évident. Au moyen
du chemin de fer du Luxembourg les bassins houillers du Hainaut et de Liège
pourront transporter leurs houilles pour alimenter les forges de l'est de la
France. C'est encore, messieurs, ce qui est démontré dans un des rapports
annexés au projet de loi. Vous y voyez, par exemple, que le prix d'une tonne de
houille, transportée de Liège aux forges de Haynage
sur la frontière française, sera de 22 fr. 25 c. tandis que les houilles de la
Sarre y coûtent 28 fr. 40 c. Et ce sont les industriels français qui eux-mêmes
ont déclaré qu'après la construction de ce chemin de fer, ils seraient en
mesure de demander 100,000 tonnes de houille aux bassins de la Belgique. II y a
donc là un grand intérêt pour l'industrie liégeoise et cet intérêt est le même pour
l'industrie du bassin de Charleroy.
Parlerai-je, messieurs, de l'industrie luxembourgeoise, qui est dans un
état complet de stagnation, qui sera même frappée de mort, si elle n'obtient
pas des voies de communication plus rapides, plus économiques ? Eh bien, au
moyen du chemin de fer dont il s'agit, cette industrie aussi reviendra en
quelque sorte à la vie !
Quant à l'intérêt de l'agriculture, il est également évident. On a
souvent parlé du défrichement de nos bruyères ; or, messieurs, le meilleur
moyen pour obtenir ce défrichement, sera la voie de communication dont il
s'agit, qui permettra de transporter d'une manière plus économique les
amendements nécessaires aux terrains à défricher, et qui permettra également
aux produits du Luxembourg de venir sur les marchés belges qui jusqu'à présent
ont été complétement fermés pour eux.
Si je passe maintenant aux localités qui sont intéressées à ce chemin de
fer, je trouve d'abord la capitale elle-même. La capitale a intérêt à être
reliée le plus directement possible aux grands centres de population du pays, à
tous les chefs-lieux des provinces. Je trouve la ville de. Wavre, localité
importante et qui obtiendra, ainsi, que toutes celles qui l'environnent, une
communication directe avec la capitale. Je trouve Namur, qui a bien un chemin
de fer de l'Etat, mais d'où l'on ne peut arriver à la capitale sans faire un
détour de 10 lieues. Dans l'état actuel des choses, le chemin de fer de l'Etat
y forme une espèce d'impasse, tandis qu'avec celui du Luxembourg elle obtiendra
de nouveaux débouchés et deviendra un centre de communications très
importantes.
Messieurs, en présence de ces immenses avantages, je ne sais pas si je
dois attacher un trop grand prix aux objections qui nous ont été soumises. Je
conçois que peut-être les articles du cahier des charges ont pu être plus
avantageux encore, je conçois que ce cahier des charges puisse renfermer
quelques défectuosités de détail ; car quel est le travail qui est parfait ?
Mais ce que je ne pense pas, c'est que nous devions nous arrêter obstinément à
ces objections, lorsqu'il s'agit avant tout d'assurer l'exécution d'une grande
ligne de chemin de fer qui doit procurer des avantages si considérables au pays
et qui, si elle ne se fait pas maintenant, ne se ferait peut-être que dans un
avenir éloigné.
Nous discuterons, du reste, la valeur de ces objections ; mais avant de
nous en occuper, je désire vous entretenir des modifications que, comme
ministre des travaux publics, j'ai cru devoir apporter à la première convention
conclue par mon honorable prédécesseur.
D'après la première convention, le chemin de fer devait partir de la
vallée du Boucq et aboutir au village d'Yvoir, entre
Dinant et Namur. La première convention renfermait aussi déjà cet article 47
qui est si vivement attaqué en ce moment. Je ne dis pas ceci, messieurs, pour
répudier ma part de responsabilité, mais parce que l'on croirait peut-être
qu'en ma qualité de Luxembourgeois, j'ai été trop facile pour certaines
conditions du cahier des charges.
La première modification, c'est le départ de la ville de Bruxelles au
lieu du village d'Yvoir ; c'est moi qui l'ai adopté.
On conçoit qu'au premier moment d'effervescence, lorsque tous les
capitaux se portaient vers les chemins de fer, on n'ait pas été si difficile
sur la direction à suivre. Mais lorsque les études ont été faites, cette
effervescence était déjà considérablement calmée ; il y avait même crise dans
les actions de chemin de fer de Londres et de Paris. Dans cette situation, les
demandeurs en concession ont sollicité le départ de la capitale, comme
condition nécessaire du succès de leur entreprise ; et dans toutes les
conférences que j'ai eues avec eux, comme dans l'examen approfondi que j'ai
fait de la question, j'ai reconnu que, sans le départ de Bruxelles, il fallait
renoncer à notre chemin de fer.
Il est certain, messieurs, que lorsqu'on accorde une concession de
chemin de fer, il faut que cette concession se trouve dans des conditions de
vitalité, qu'elle ait des chances de succès, que ceux qui ont l'entreprise
aient intérêt à y persévérer. Si vous concédez une ligne de chemin de fer dans
des conditions désavantageuses, de manière à ce qu'on puisse prévoir que plus
tard elle sera onéreuse pour ceux qui doivent l'exécuter, il est évident
qu'elle ne peut pas manquer d'être un jour abandonnée. Certes, ceux qui ont
demandé la concession du chemin de fer du Luxembourg méritent toute confiance,
ce sont des hommes importants, des hommes persévérants dans leurs desseins ;
mais derrière eux se trouvent les actionnaires, et il faut que les actionnaires
soient convaincus de la bonté de l'entreprise, car sans cela, ils n'opéreraient
peut-être pas les versements successifs qu'ils sont obligés de faire, et alors l'entreprise
serait menacée dans son existence.
Eh bien, je dois le dire, si on n'avait pas fait partir le chemin de fer
du Luxembourg de Bruxelles, si on l'avait laissé aboutir à la vallée de la
Meuse, au petit village d'Yvoir, je suis convaincu que cette grande affaire eût
échoué.
Voilà, messieurs, les motifs qui ont amené, de ma part, la modification
la plus importante à la convention passée avec mon honorable prédécesseur.
On conçoit, du reste, que les demandeurs en concession cherchent à avoir
le chemin le plus direct. Il s'agit, pour eux, d'obtenir le transit des
marchandises. L'espoir qu'ils ont fondé sur cette entreprise résulte non
seulement des relations intérieures, mais aussi du transit des marchandises
étrangères et des marchandises belges, qui doivent aller concourir sur les
marchés étrangers avec les produits des autres pays. Ainsi leur intérêt dans
cette circonstance est tout à fait commun avec l'intérêt du pays : si le chemin
de fer ne leur permet pas de transporter nos produits sur les marchés
étrangers, les actionnaires en souffriront ; mais le pays lui-même en souffrira
; nous ne trouverons pas alors, au moyen de cette voie de communication, le
débouché que nous avons lieu d'en espérer.
Veuillez d'ailleurs remarquer, messieurs, que toutes les grandes lignes
de chemin de fer, pour avoir un succès assuré, doivent partir soit de la
capitale, soit d'un autre grand centre de population. Il en est ainsi des
grandes lignes de la France ; du chemin de fer du Nord, qui va être inauguré
dans quelques jours, de la ligne de Lyon, de la ligne de Paris à Strasbourg.
Une seconde disposition qui a disparu de la première convention, c'est (page 1567) la stipulation d'après
laquelle, si le chiffre de 800,000 fr. par lieue était dépassé, es
concessionnaires pouvaient se retirer et reprendre leur cautionnement. Cette
stipulation n'est pas reproduite dans la convention nouvelle, et c'est là un
point très important. Je sais bien que les ingénieurs ont constaté que le
chemin de fer ne coûterait pas 800,000 fr. par lieue, mais on conçoit que si
les actionnaires voulaient tirer parti d'une pareille clause, ils pourraient
toujours prétendre que les calculs des ingénieurs sont erronés, et cela seul
aurait pu empêcher l'exécution de l'entreprise.
Deux conditions nouvelles ont encore été insérées dans la convention, ce
sont deux embranchements obligatoires dans le Luxembourg. L'embranchement vers
l'Ourthe et l'embranchement de Bastogne. L'embranchement de l’Ourthe par Deulin a une très grande importance, car sans cet embranchement,
la ville de Liège n'eût pas été reliée au chemin de fer, tandis que maintenant
elle sera mise en communication avec le Luxembourg, non seulement par le canal,
déjà si intéressant pour elle, mais également par le chemin de fer ; elle
pourra ainsi transporter les produits de son industrie dans toutes les contrées
traversées par le railway.
Quanta l'embranchement de Bastogne, je demanderai à la chambre la
permission d'entrer dans quelques détails à cet égard, parce qu'il a été
vivement critiqué.
Veuillez, messieurs, jeter les yeux sur la carte du Luxembourg, et vous
remarquerez tout de suite que si l’on s'était borné à la ligne adoptée dans la
première convention, des arrondissements tout entiers n'auraient pas profité du
chemin de fer. Ainsi l'arrondissement de Marche n'aurait pas eu un
embranchement ; celui de Bastogne qui tout entier se fût trouvé en dehors du
chemin de fer, non seulement n'en aurait pas profité, mais il en aurait été
complétement la victime. Dans le moment actuel presque toutes les relations du
Luxembourg avec l'intérieur du royaume, se font par Bastogne ; Bastogne est un
centre de communication très important ; c'est par Bastogne que passe tout le
roulage du Luxembourg. One serait-il advenu, s'il n'y avait pas eu un
embranchement du chemin de fer vers Bastogne ? C'est que, comme je l'ai déjà
dit, cet arrondissement non seulement n'aurait pas profité du chemin de fer,
mais aurait perdu tout son commerce, toutes ses relations.
Donc ce n'eût pas été dans toute la force du terme un chemin de fer
luxembourgeois ; il eût été utile à certaines localités ; mais l'intérêt
d'autres localités aurait été complétement sacrifié.
Maintenant, cet embranchement de Bastogne serait-il si onéreux pour la
société ? Vous avez pu remarquer dans les détails qu'il ne coûtera que
416,000fr. par lieue, et que tout l'embranchement coûtera 1,962,000
fr., c'est-à-dire, qu'il coûtera moins qu'une lieue de chemin de fer en
Angleterre et qu'une demi-lieue dans la vallée de la Vesdre. Eh bien, je ne
pense pas que la compagnie puisse considérer cette somme si faible comme un
sacrifice, car ce sera toujours un affluent assez important de la ligne
principale.
La ligne principale ne peut pas être en quelque sorte une espèce de
tronc sans rameaux ; il faut qu'elle ait des affluents, pour que non seulement
ils puissent porter la vie dans toute la province, mais aussi pour que le
chemin de fer soit alimenté par ses produits et ses voyageurs.
Il s'agit ici d'une concession de 90 années. Si dans les premiers
moments peut-être la circulation n'est pas considérable sur certaines parties
du chemin de fer, elle le deviendra nécessairement plus tard, et ces parties de
la province, peu peuplées aujourd'hui, auront inévitablement une population
considérable dans les temps à venir.
Voilà les considérations qui m'ont fait insister en faveur de
l'embranchement de Bastogne, et cet embranchement n'a nullement été imposé à la
société. La société, considérant le coût assez peu élevé de l'embranchement,
n'a pas fait difficulté de l'adopter. Cet embranchement n'a, du reste, nui à
personne. Un honorable député de Dinant a paru croire qu'un embranchement sur
Dinant, embranchement qui n'a jamais existé dans la première convention, aurait
été sacrifié à un embranchement sur Bastogne. Cela n'est pas : l'embranchement
de Bastogne n'a causé aucun tort à quelque localité que ce soit ; si cet
embranchement n'avait pas existé, la direction du chemin de fer n'aurait pas
été différente.
J'arrive maintenant à l'objection qui a été présentée par l'honorable M.
Pirson relativement à Dinant.
Constatons d'abord un fait, c'est que jamais il n'a été question de
faire passer le tracé du chemin de fer par Dinant et le Fonds-de-Leffe. La
première convention, comme j'ai eu l'honneur de le dire, faisait aboutir le
chemin de fer à Yvoir dans la vallée de Boucq ; mais
il n'a jamais été question d'un chemin de fer passant par Dinant et par le
Fonds-de-Leffe. Messieurs, si vous avez lu le rapport qui a été fait sur cette
question et qui est joint au travail de la section centrale, vous avez pu voir
quelles difficultés insurmontables s'opposent à ce qu'un chemin de fer passe
par la vallée de Leffe. Voici ce qu'on lit dans re
rapport :
« Voici M. le ministre, quel a été le résultat de cette reconnaissance
du vallon de Leffe, par M. l'ingénieur Denis.
« Le ruisseau, ou plutôt le torrent de ce nom, débouche dans la
vallée, sous la ville de Dinant, entre deux roches à pic et perpendiculairement
au cours du fleuve.
« Le fond de la vallée est entièrement occupé, soit par des habitations,
soit par des papeteries et autres usines, surtout dans la partie inférieure.
Les sinuosités sont très brusques, et les roches des deux versants
s'enchevêtrent, pour ainsi dire, les unes dans les autres. Pour obtenir, entre
Dinant et Sorine, un tracé avec courbes de 200 mètres
seulement de rayon, il faudrait ouvrir un grand nombre de tunnels dans les deux
flancs du ravin, et il serait extrêmement difficile de laisser subsister les
papeteries que le ruisseau fait mouvoir ; de sorte que, quand bien même la
pente du torrent s'y prêterait, il y aurait déjà de la témérité à songer à
diriger un chemin de fer le long du vallon par lequel il se précipite vers la
Meuse. Mais aux difficultés que présente l'étude du tracé viennent se joindre
celles de la pente rapide du ruisseau. En supposant que l’on se relevât de 10 à
15 mètres dans la vallée de la Meuse, ce qui rendrait la station de Dinant à
peu près inabordable, l'inclinaison du railway atteindrait au moins deux
centimètres sur plusieurs kilomètres d'étendue. Cette forte rampe et un tracé
aussi brusque détruiraient complétement l'économie du reste du projet qui, de
Ciney à Arlon, satisfait partout à des conditions admissibles de tracé et de
pente. La dépense serait d'ailleurs considérablement augmentée, en même temps que
le parcours serait, comme je l'ai dit plus haut, allongé d'une lieue, la
distance de Namur à Ciney, par le tracé direct, par le vallon du Boucq et par celui de Leffe, étant respectivement d'environ
5 1/2 lieues, 7 1/2 lieues et 8 1/2 lieues. »
Vous voyez donc, messieurs, je le répète, qu'il y avait les plus grandes
difficultés à faire passer un chemin de fer par le vallon de Leffe ; mais
indépendamment de cette considération, qu'on allongeait par là le parcours du
chemin de fer, il y avait une considération bien plus puissante, c'est que la
société aurait dû emprunter un chemin de fer étranger depuis Namur jusqu'à
Dinant. En effet, dans la concession que vous avez accordée pour le chemin de
fer de Liège à Namur, cette société a la préférence
pour l'exécution de l'embranchement de Namur à Dinant et elle a toujours
manifesté l'intention d'exécuter cet embranchement. Eh bien messieurs,
comprendriez-vous un chemin de fer, partant de Bruxelles, qui doit d'abord
emprunter une voie étrangère, depuis Wavre jusqu'à Namur ; qui continuerait à
emprunter une voie étrangères depuis Namur jusqu'à Dinant, pour remonter
ensuite le Fonds-de-Leffe ? Evidemment une compagnie sérieuse n'aurait jamais
accepté un pareil tracé, et si nous avions voulu l'exiger, nous n'aurions pas
eu de chemin de fer.
Le seul changement apporté par moi à la convention sur ce point, a donc
consisté à rendre facultatif le passage par la vallée du Boucq,
tandis qu'il était obligatoire ; le chemin de fer devait aboutir au petit
village d'Yvoir ; maintenant il peut aller directement de Namur sur Ciney.
Voilà tout ce que j'ai fait.
Maintenant voyons les motifs de ce changement. Lorsqu'on a passé la
première convention, on ne croyait pas à la possibilité d'un chemin de fer
direct de Namur vers Ciney ; on pensait que tout chemin de fer, pour parvenir
aux crêtes du Luxembourg, devait passer par la vallée du Boucq.
D'un autre côté, on pensait également que le chemin de fer du Luxembourg, pour
parer à ce grave inconvénient, pourrait peut-être, une fois arrivé au village
d'Yvoir, continuer jusqu'à Jemeppe, où devait aboutir le chemin de fer de
Louvain à la Sambre. En troisième lieu, il n'était pas question à cette époque
du départ de Bruxelles. Or, cela a été changé pour des motifs que j'ai déjà eu l'honneur d'expliquer ; le départ de Bruxelles a été
arrêté ; la possibilité du tracé direct de Namur sur Ciney a été reconnue par
les ingénieurs de la compagnie, et en troisième lieu, le chemin de fer de
Louvain à la Sambre a changa de direction ; comme
vous le savez, au lieu d'aboutir à Jemappe, il
aboutira à Namur et à Charleroy. Du reste, messieurs, le passage par la vallée
du Boucq n'est pas condamné ; il reste encore
facultatif. Ce qui s'oppose principalement au choix de ce tracé, c'est que la
société de Liège à Namur doit faire le chemin de fer de Namur à Dinant. Or,
comme je l'ai déjà dit, on conçoit que la compagnie du Luxembourg cherche à ne
pas devoir emprunter une ligne étrangère, ce qui entraîne plusieurs
difficultés. D'abord sur cette partie du parcours commun la compagnie qui
emprunte la voie ne fait aucun bénéfice ; puis le contact de deux sociétés sur
une même voie présente toujours des inconvénients. Pour la partie du chemin de
Louvain à la Sambre, commune aux deux lignes, il y a une convention préalable
d'après laquelle l'exploitation sera commune.
Mais cette convention a été faite sous les auspices du gouvernement,
parce que le gouvernement accordait à la compagnie de Louvain à la Sambre des
avantages assez grands par le changement de tracé. II n'en est pas de même ici.
Si la compagnie du Luxembourg empruntait la voie de Liège à Namur, elle ne
ferait aucun bénéfice sur cette voie, elle devrait payer une redevance et, de
plus, elle aurait les inconvénients d'un parcours commun ; vous concevez dès
lors pourquoi la compagnie du Luxembourg a toujours mis une grande résistance à
passer par la vallée du Boucq. Si la compagnie de
Namur à Liège renonçait à son privilège et que la compagnie du Luxembourg fût
appelée à faire le chemin de Namur à Dinant, peut-être donnerait-elle la
préférence à cette direction, car elle doit rencontrer de très grandes
difficultés de terrain entre Namur et Ciney.
Si donc elle pouvait obtenir le droit de préférence qui est accordé à la
compagnie de Namur à Liège, je pense qu'elle serait portée à passer par Yvoir.
Il n'y aurait plus que l'inconvénient de rallongement du parcours qui serait,
je crois, d'une lieue.
Messieurs, je crois véritablement que Dinant n'a nullement été sacrifié dans
cette question. Je n'avais, quant à moi, aucune raison pour sacrifier les
intérêts de Dinant.
Ce que je désirais, ce qui m'a dirigé c'est d'assurer l'exécution de
cette grande voie de communication que je n'aurais pas voulu voir péricliter
dans mes mains, à cause des avantages qu’elle devait procurer à tout le pays et
particulièrement à une province à laquelle, naturellement, je m'intéresse très
vivement.
Comme je le disais tout à l'heure, Dinant a été si peu, sacrifié, que je
pense qu'il est même désintéressé dans la question. Dinant sera relié à (page 1568) Namur par le prolongement du
chemin de fer de Liège ; cela ne peut lui manquer, il y a dans la concession de
ce chemin une condition qui impose à la compagnie concessionnaire l'obligation
de prolonger son chemin jusqu'à la frontière de France si un railway est
construit de la frontière à Vireux. Cela peut se réaliser d'un moment à
l'autre. Il sera dans tous les cas de l'intérêt de cette compagnie de
construire une ligne aussi importante, aussi utile. Si elle ne le faisait pas,
une autre compagnie le ferait. Dinant sera donc relié à Namur et même à la
France, par un chemin de fer.
Ensuite, si la ville de Dînant n'est pas directement intéressée au
chemin de fer projeté du Luxembourg, il y a une partie de l'arrondissement de
Dinant qui y est intéressée. Rochefort, localité importante de cet
arrondissement, voit le chemin de fer du Luxembourg traverser ses murs ; c'est
là un immense avantage pour cette localité, et pour l'arrondissement de Dinant,
avantage inespéré par elle il y a un an.
D'un autre côté, il me semble qu'on perd toujours de vue que dans ces
sortes d'affaires, le gouvernement n'est pas seul à traiter. Il est en présence
d'une compagnie qui cherche naturellement à défendre ses intérêts et qui est en
droit de le faire.
Quand il s'agit d'une concession importante, dont le succès est assuré,
qui est l'objet d'une vive concurrence, le gouvernement est fort, il peut
imposer ses conditions, être difficile ; mais quand il s'agit d'une concession
dont le succès peut paraître problématique, le gouvernement ne peut pas venir
imposer des conditions onéreuses à la société, elle ne les accepterait pas. Si
le gouvernement se montrait difficile, la société se retirerait et le
gouvernement commettrait la faute de faire manquer une grande et belle
entreprise.
Il s'agit ici d'une voie importante, d'une voie qui présente des chances
diverses, et qui exige une grande persévérance, et une grande habileté pour
l'exécuter.
Il s'agit d'une voie de communication qui ne doit pas s'arrêter à Arlon,
mais est destinée à traverser le territoire d'autres royaumes. Le gouvernement
aurait eu tort, en présence de ces difficultés, de créer des entraves, car
elles empêcheraient inévitablement l'exécution d'un pareil projet.
Messieurs, je passe maintenant à la seconde objection, celle qui a
soulevé le plus d'observations dans cette enceinte, je veux parler de
l'objection qui s'attache à l'article 47. Ainsi que j'ai eu l'honneur de le
dire, cet article 47 existait dans la première convention. La première
convention a été passée dans le mois de mai de l'année dernière. A cette
époque, messieurs, on croyait généralement, je dois le dire, à l'impossibilité
de construire un chemin de fer dans le Luxembourg. On le considérait comme une
chimère. Les demandeurs en concession n'abordaient une semblable entreprise
qu'avec défiance.
On conçoit que ces demandeurs aient voulu obtenir des garanties contre
une concurrence dangereuse pour le succès de leur projet qui reposait
principalement sur le transit et le transport des marchandises du pays à
l’extérieur. Ils devaient chercher à éviter immédiatement du moins, pendant les
premières années, toute concurrence qui serait de nature à renverser leur
exploitation dans son enfance.
Maintenant le gouvernement devait-il se refuser à toute concession, à
toute faveur pour obtenir l'exécution de ce chemin de fer ? En France, par
exemple, la plupart des chemins de fer, ceux surtout qui ne sont pas dans des
conditions brillantes, ont obtenu des subventions du gouvernement, ou bien ont
été concédés en vertu de la loi de 1842, d'après laquelle le gouvernement doit
faire les 3/5 environ de la dépense. Eh bien, l'article 47 n'est rien auprès de
pareils sacrifices.
Veuillez remarquer, messieurs, que cette condition d'abord n'est que
pour douze années. S'il s'agissait d'un monopole perpétuel, je comprendrais
qu'on pût s'y opposer. Mais il ne s'agissait pour le gouvernement que
d'abandonner pendant douze années la possibilité de faire un autre chemin de
fer vers Trêves.
M. de Renesse. - A dater de la concession.
M. d’Hoffschmidt. - Oui. Voici l'article : « Toutefois, pendant les douze premières
années, à dater de la promulgation de la loi de concession, il ne pourra être
construit, entre la Meuse, en amont de Liège, et le chemin de fer de Liège vers
Cologne, aucun railway qui puisse faire concurrence au chemin de fer du
Luxembourg.
Ainsi, messieurs, il faut que ce soit un chemin de fer qui puisse faire
concurrence à celui dont nous nous occupons. C'est une question à examiner par
le gouvernement. S'il reconnaît que la concurrence n'est pas possible,
l'article 47 ne sera pas applicable.
Remarquez, messieurs, qu'à l'époque dont je viens de parler on croyait
tout à fait à l'impossibilité de construire d'autres chemins de fer dans cette
direction ; maintenant encore la possibilité n'en est nullement démontrée.
J'avais déjà signé la dernière convention, lorsque des représentations m'ont
été faites sur l'article 47. Je crois que ces représentations ont été
provoquées par quelques personnes de Trêves qui croyaient à la possibilité de
construire un chemin de fer partant de Pepinster. Mais je crois aussi que la
compagnie ne s'est pas constituée, que les études n'ont pas été faites et que
le comité des chemins de fer de Trêves en a même abandonné l'idée.
L'honorable M. David a donné lecture d'une lettre qu'il a reçue. Je vais
à mon tour vous donner lecture d'une lettre qui rend compte de ce qui s'est
passé dans le comité des chemins de fer de Trêves. Cette lettre étant très
longue, je me bornerai à en lire quelques passages :
« Dans l'assemblée des habitants de Trêves qui a eu lieu le 11 courant
par suite d'une invitation du comité élu le 10 novembre de l'année dernière
pour les affaires des chemins de fer, ce dernier a fait son rapport sur son
activité et sur l'état actuel des affaires du railway. Il a, par acclamation de
tous ses membres, manifesté l'opinion qu'un choix indépendant d'une ligne qui
par sa direction puisse devenir d'un avantage immédiat pour la plus grande
partie du district de la régence de Trêves, ne saurait avoir lieu vu la
situation et les rapports tant politiques que commerciaux de notre contrée.
« Partant de ce point de vue, le comité a cru ne pouvoir exprimer
l'espoir d'un chemin de fer, que dans le cas où une puissante société
d'actionnaires, ne se bornant pas au commerce intérieur de l'Eifel et du Hochwald choisirait la ville de Trêves pour point central
d'un chemin de fer joignant ceux de la Belgique à ceux du haut Rhin et de
l'Allemagne méridionale.
« Depuis longtemps le succès d'une telle voie de commerce européenne
avait été discuté, et le comité trouva à sa formation deux sociétés établies
pour la mise à exécution de ce projet. Celle formée à Bruxelles fut bientôt
dissoute pendant que la Great-Luxembourg-Company
dirigea sa ligne d'Ostende et Anvers par Namur et Arlon sur Luxembourg et le
Rhin. Le comité devait donc choisir entre deux partis à prendre ; ou il devait
dès le premier abord tâcher de créer une société toute nouvelle dont le but
serait d'établir une ligne sortant d'un point quelconque du chemin de fer
belge-rhénan et allant par Trêves à Neunkirchen ou il devait s'adresser à la
Great-Luxembourg-Company, afin de l'engager par tous
les moyens à passer la Moselle près de Trêves. Une union de ces deux voies à
suivre n'était pas possible puisque tout ce que le comité aurait pu faire pour
l'une devait nécessairement nuire autant à l'autre, ou la collision directe
d'intérêts de ces deux lignes.
« Le comité se décida, sans hésitation, pour la Great-Luxembourg-Company et se mit en rapport avec elle, sans faire la
moindre démarche pour former une nouvelle société en concurrence avec celle-ci.
Les raisons d'une telle décision sont évidentes. Le plan de la Luxembourg-Company menait la ligne jusque tout près de cette ville ;
cette compagnie exista et elle avait fait preuve de sa volonté et de sa vigueur
par un versement assez considérable ainsi que par l'obligation prise de
conduire le railway jusqu'à Arlon.
« Quand même le gouvernement belge doit encore demander le consentement
des chambres, personne ne doute qu'elles ne sanctionneront une entreprise qui
dégage le trésor public de l'obligation légale de construire de ses propres
moyens un chemin de fer à Arlon, chef-lieu de la province de Luxembourg. C'est
dans cette persuasion que le gouvernement belge n'a cessé de persister dans
l'exécution de ce railway par la société anglaise. Un chemin de fer jusqu'à
Arlon doit donc être attendu en tout cas. »
Vous voyez donc, messieurs, que ce comité formé l'année dernière pour
les chemins de fer à construire à Trêves, s'est trouvé en présence d'une
compagnie toute formée, celle du Luxembourg, et d'une compagnie éventuelle. Le
choix, dit-elle, ne pouvait être douteux et elle s'est adressée à la compagnie
du Luxembourg.
Je crois que la lecture du passage que je viens de vous faire connaître,
suffit pour démontrer que nous ne nous trouvons pas en présence d'un projet
formel qui pourrait être mis incessamment à exécution, mais que nous nous
trouvons seulement en présence d'une éventualité en ce qui concerne l'idée du
chemin de fer de Trêves à Pepinster.
Ainsi, messieurs, quand bien même l'article 47 n'existerait pas, vous ne
pourriez compter sur cette autre voie de communication. Il est probable que
vous ne l'auriez pas, et la lettre que vous a lue l'honorable M. David démontre
que déjà une autre idée a surgi à Trêves ; c'est de conduire le chemin de fer,
si c'est possible, vers Aix-la-Chapelle, de manière à ne traverser que le
territoire prussien.
Dans tous les cas, messieurs, j'ai toujours trouvé la compagnie
inébranlable sur cette clause. Elle en a toujours fait une condition sine qua
non. Et ici je ne suis pas de l'opinion de l'honorable M. Mast de Vries. Je
crois que si vous opériez une modification à cette condition essentielle il en
résulterait certainement l'abandon de l'entreprise.
Vous savez que, d'après l'article 6 de la convention, si elle est
modifiée, la société a le droit de se retirer et de reprendre son cautionnement
de 5 millions. Voilà, messieurs, à quoi vous vous exposeriez.
Pour l'éventualité d'avoir deux ou trois ans plus tôt peut-être un
chemin de fer dans cette direction, si toutefois ce chemin de fer se fait un
jour, vous vous exposeriez à voir abandonner cette belle, cette grande, cette
intéressante entreprise, pour laquelle il n'y a plus qu'à mettre la main à
l'œuvre, et cela pour un chemin de fer qui n'aurait que quatre lieues sur notre
territoire, tandis que celui qui serait abandonné, doit en traverser 40 lieues
et passer par une partie du pays qui sans cela serait très probablement
déshéritée à jamais de ce moyen de communication.
Messieurs, pour la ville d'Anvers, la voie de communication partant de Pepinster
ne serait pas plus avantageuse, elle le serait même moins que celle dont il
s'agit aujourd'hui. D'Anvers à Trêves il y a la même distance à très peu de
chose près par le chemin de fer du Luxembourg, que celle qu'il y avait par le
chemin de fer de Pepinster.
Quant à Liège, messieurs, ses habitants et ses produits ne devraient pas
passer par Namur, comme l'a prétendu l'honorable M. Osy. Liège pour le
transport de ses produits, suivra tout naturellement le canal de Meuse et
Moselle, prendra alors l'embranchement qui se dirige vers Rochefort, et
arrivera ainsi sur le marché de Trêves, sur le marché de la France, sur le
marché de l'Allemagne, à des conditions plus favorables que par l'autre voie de
communication, qui, je le répète toujours est tout à fait éventuelle.
(page 1569) Je ne comprendrais pas comment,
dans cette hypothèse que la compagnie abandonnera cette entreprise, si
importante, comme je l'ai démontré, pour tant de localités du pays, pour notre
commerce, pour notre industrie, pour notre agriculture, on irait s'attacher à
une stipulation qui n'est pas, je le reconnais, tout à fait ordinaire, mais qui
ne s'applique non plus qu'à un chemin de fer tout à fait exceptionnel, qui ne
trouvera plus d'équivalent dans notre pays.
Il me reste, messieurs, à parler de quelques objections qui concernent
le chemin de fer de l'Etat.
L'honorable M. Mast de Vries, en appelant notre chemin de fer un joyau,
et je suis tout à fait de son avis, craint que celui du Luxembourg ne vienne
lui faire un tort immense. Messieurs, je ne partage nullement ces craintes. Je
suis aussi porté pour le chemin de fer de l'Etat que qui que ce soit. J'attache
le plus grand prix à la prospérité de cette grande propriété nationale. Mais je
dis que si le chemin de fer de l'Etat était la cause que d'autres chemins de
fer très utiles ne pussent se faire, s'il était un obstacle à ce que des voies
de communication réclamées par les plus grands intérêts du pays pussent se
construire, je dis qu'alors le chemin de fer de l'Etat ne mériterait plus au
même degré l'intérêt que nous lui portons. Mais j'ai plus de foi, messieurs,
dans le chemin de fer de l'Etat, Je dis que quand toutes ces voies de
communication seront faites, quand Bruxelles sera le centre de nos chemins de
fer, encore le chemin de fer de l'Etat aura des revenus plus considérables que
ceux qu'il a maintenant. Quelques-unes de ces voies de communication peuvent
lui faire concurrence. Mais il y en a bien d'autres qui seront des affluents
productifs.
Je ne crains pas de le dire, quand ces voies que vous avez concédées et
quelques-unes que vous concéderez encore (car il y aura un point où il faudra
s'arrêter et le nombre des lignes principales que nous devrons encore
construire n'est plus, selon moi, considérable), je suis persuadé que le chemin
de fer de l'Etat, et j'en appelle sur ce point à l'avenir, aura des produits
beaucoup plus considérables qu'aujourd'hui.
Le chemin de fer, par exemple, dont il s'agit maintenant, lui enlèvera,
il est vrai, quelques voyageurs partant de Namur et se rendant à Bruxelles et
vice versa : mais je vous demande, messieurs, s'il serait possible et
raisonnable de soutenir qu'à perpétuité tous les voyageurs de Namur, de la
province de Luxembourg et de tous les environs, devront passer par Charleroy
pour arriver à Bruxelles, devront faire 22 lieues au lieu d'en faire 12 ? Mais
où iriez-vous puiser alors vos revenus, revenus que l'on regrette dans ce
moment ?
Vous iriez les puiser dans la bourse des voyageurs de Namur et de ceux
de Bruxelles se rendant à Namur. Non seulement c'est là que vous iriez chercher
vos ressources, mais vous occasionneriez à ces mêmes voyageurs une perte de
temps considérable. Tandis qu'ils pourront, par la nouvelle voie, parcourir la
distance entre Bruxelles et Namur en une heure et demie, ils restent
aujourd'hui quatre heures. C'est là une perte de temps, messieurs, qui,
lorsqu'il s'agit des chemins de fer, dont le premier mérite est d'économiser le
temps, le temps que Franklin appelait l'étoffe dont la vie humaine est faite,
est extrêmement considérable. Et pour quelques revenus de plus, vous iriez à
perpétuité forcer les habitants de la province de Namur et de celle de
Luxembourg, à passer par Charleroy. Je crois réellement que cela n'est pas
soutenable.
D'un autre côté, s'il y a une certaine perte que l'on évalue à 137,000
fr., si je ne me trompe, mais d'un autre côté, le chemin de fer de Luxembourg
amènera nécessairement sur la voie entre Namur, Charleroy et Braine-le-Comte
des voyageurs de l'étranger. Tous les voyageurs de l'Allemagne, de l'est de la
France, et se rendant dans le Hainaut ou le nord de la France, passeront sur le
chemin de fer de Namur à Charleroy.
II en sera de même de quelques localités importantes qui, profitant de
ce chemin de fer, viendront encore apporter une augmentation de revenus sur
celui de l'Etat.
En Angleterre, messieurs, comme vous le disait tout à l'heure M. le
ministre des travaux publics, le nombre des chemins de fer a considérablement
augmenté. Dans les premiers temps, on a cru aussi qu'ils allaient se nuire
réciproquement. Mais il en a été tout autrement. Plus le nombre des chemins de
fer a augmenté, plus la plupart de ces chemins de j fer ont vu également leurs
recettes s'accroître.
Lorsqu'on a fait le chemin de fer de Bruxelles à Charleroy, on a cru
qu'il allait nuire considérablement aux recettes du canal de Charleroy. Ces
recettes, au contraire, sont considérablement augmentées.
Voyez encore, messieurs, ce que vous dit le rapport si remarquable de M.
l'ingénieur Desart, c'est que plus vous diminuez le parcours,
plus vous reliez aux grands centres de population des villes et des localités
de moindre importance, plus vous augmentez la circulation sur les chemins de
fer.
Je vous parlerai très peu, messieurs, d'une pétition qui nous est
arrivée, d'après laquelle le chemin de fer du Luxembourg, ou plutôt le chemin
de fer de Bruxelles à Namur, enlèverait au chemin de fer de l'Etat les
voyageurs se dirigeant vers la France et les voyageurs se rendant de Bruxelles
à Liège.
C'est là, messieurs, une erreur évidente. M. le ministre des travaux
publics vous a déjà fait connaître qu'entre Bruxelles et Charleroy il y avait
par le chemin de fer de l'Etat une distance moindre ou du moins égale à celle
qu'il faudra parcourir par la nouvelle voie. On ne peut donc supposer que les
voyageurs partant de Bruxelles pour se rendre en France, iront préférer une
voie de communication par Wavre et Gembloux, pour changer deux fois de convoi,
alors que le chemin de fer de l'Etat peut les transporter directement à
Charleroy à des conditions plus avantageuses.
Il en est de même pour les transports entre Liège et Bruxelles. On
prétend que les voyageurs se rendant de Bruxelles à Liège passeront par Namur.
Or, il se trouve que la longueur du trajet entre Bruxelles et Liège n'est, par
le chemin de fer de l'Etat, que de 115 kilomètres, tandis que la longueur du
trajet en passant par Namur sera de 120 kilomètres.
Comment peut-on donc supposer que les voyageurs de Bruxelles iraient
préférer le chemin le plus long, le chemin qui les forcerait à un changement de
convoi à Namur, plutôt que de suivre la ligne de l'Etat qui probablement sera
encore améliorée dans l'avenir, lorsque vous aurez une communication directe
entre Bruxelles et Louvain ?
Messieurs, je bornerai là mes observations, car je commence à être
fatigué, et je vois que l'heure est déjà assez avancée.
Mais j'appelle encore toute l'attention de la chambre sur ce point,
c'est que si, modifiant la convention, nous allons adopter quelque amendement,
je n'hésite pas à croire que cette modification ne sera pas acceptée par la
compagnie concessionnaire, surtout en ce qui concerne l'article 47. J'en ai la
conviction intime. A plusieurs reprises j'ai parlé de cet article 47 aux
représentants de la compagnie, et, je le répète, ils se sont constamment
montrés inébranlables ; c'est donc une condition sine qua non de l'exécution de
ce chemin de fer.
Dans tous les cas, si vous parveniez même à faire accepter ce changement
par les concessionnaires primitifs, il est assez probable que vous n'y
réussiriez pas auprès des actionnaires de Londres, qui ont maintenant aussi un
contrat à faire respecter.
Eh bien, messieurs, je le dis avec sincérité,
si le chemin de fer n'était pas exécuté, ce serait un malheur pour le
Luxembourg. Dans ce moment, messieurs, il existe une grande calamité dans cette
province, la famine règne dans le Luxembourg. Hier le gouverneur de la province
est venu avec toute la députation, pour implorer les secours du gouvernement.
Eh bien, s'il y avait eu un chemin de fer, cette situation malheureuse n'aurait
pas existé, le commerce eût pu alimenter cette province en céréales.
N'allons donc pas encore aggraver cette situation en rejetant un projet
sur lequel les populations du Luxembourg fondent leurs plus grandes espérances.
M. de La Coste. - Je ne puis m'empêcher, messieurs, de regretter que ni M. le ministre
des travaux publics actuel ni son honorable prédécesseur, n'ait cru devoir répondre
aux observations que j'ai émises hier et qui me paraissaient avoir assez
d'importance. Les deux points que j'ai touchés n'ont pas été rencontrés. Je
dois donc penser qu'on n'a aucune raison à y opposer, et en conséquence j'aurai
l'honneur de présenter à la chambre l'amendement suivant :
« Sont supprimés de l'article premier du cahier des charges les mots : «
Avec lequel il pourra, en outre, être relié au moyen d'un raccordement
aboutissant à l'une des stations intermédiaires de la section de Wavre à
Gembloux. »
Les motifs qui me portent, messieurs, à proposer cet amendement, sont
puisés dans l'intérêt du chemin de fer de l'Etat et dans l'intérêt de notre
dignité.
Comme je l'ai expliqué dans la séance précédente, nous avons consacré
par la loi un cahier des charges qui accorde à la société du chemin de fer de
Louvain à Charleroy et à Namur, la préférence pour les embranchements, il a été
dérogé par la société même à cette stipulation pour un seul embranchement,
celui de Bruxelles à Wavre ; sans cela cet embranchement serait également en
contradiction avec la loi précédente ; cette contradiction n'existe point
d'après l'axiome volenti non fit injuria ; mais il
n'en est point de même en ce qui concerne l'embranchement auquel s'applique mon
amendement ; nous ne pouvons pas, par une concession ultérieure, retirer,
violer une faveur que nous avons accordée par une loi précédente. Ce serait là,
messieurs, porter l'atteinte la plus grave à la foi publique et à tous les
chemins de fer en concession, car alors on pourrait, en faveur d'une nouvelle
concession, altérer les conditions d'existence des concessions antérieures.
La deuxième considération, messieurs, est puisée dans l'intérêt public,
dans celui du chemin de fer de l'Etat. Pour atteindre Marchienne
où l'on trouverait le nouveau chemin de fer se dirigeant vers Paris, par
Saint-Quentin, il y a, je pense, par Braine-le-Comte 75 kilomètres, et par
Wavre et Gembloux 76 1/2 kilomètres : la différence est donc de 1 1/2
kilomètre.
Je ne ferai pas observer qu'une différence de
1 1/2 kilomètre peut facilement se racheter par la vitesse des transports ;
mais remarquez, messieurs, que dans cette distance de 76 l/2 kilomètres on
comprend 18 kilomètres formant le parcours entre Wavre et Gembloux ; or, si
vous faites aboutir un embranchement entre Wavre et Gembloux vous pouvez gagner
facilement quelques kilomètres, et par conséquent, sans toucher au chemin de
fer de l'Etat, vous atteindrez le chemin de fer le plus direct pour arriver à
Paris. Je crois, messieurs, que nous ne devons pas pousser le désintéressement
jusqu'à nous faire un tort semblable, lorsqu’il n'est pas balancé par de grands
avantages que cet embranchement secondaire ne me paraît point promettre au
pays.
M. le ministre des travaux publics
(M. de Bavay). - Messieurs, je regrette de n'avoir pas
rencontré les observations de l'honorable membre et je le prie de croire qu'il
n'y a chez moi aucune pensée de négliger les observations qu'il présente dans
cette enceinte.
Messieurs, les longueurs de Bruxelles à Marchienne-au-Pont
sont les suivantes : par le chemin de fer de l'Etat, 70 kilomètres ; par le
chemin de fer de Bruxelles à Wavre, 75,750 mètres ; il y a donc une différence
de 5,750 mètres en faveur du chemin de fer de l'Etat. Je dois faire (page 1570) connaître en outre, que,
sous le rapport des pentes, la route de Bruxelles à Marchienne-au-Pont
est infiniment plus facile par le chemin de fer de l'Etat, qu'elle ne le sera
par Wavre et Gembloux. Entre Bruxelles et Wavre entre Wavre et Gembloux il y a
des pentes très fortes.
Il y a donc, en faveur du chemin de fer de l'Etat, et l'avantage d'une
moindre longueur et l'avantage qui résulte de meilleures pentes. Mais il y a
plus que cela, messieurs, il y a surtout, en faveur du chemin de fer de l'Etat
l'avantage de l'unité, de la continuité du service.
Si l'on faisait usage des deux chemins de fer concédés, de Bruxelles à
Wavre et de Wavre à Charleroy, par Gembloux, il faudrait, messieurs, s'adresser
à deux concessions différentes, se faire transporter jusqu'à Wavre par la
société du chemin de fer du Luxembourg, de Wavre à Charleroy, par la société du
chemin de fer de Louvain à la Sambre, puis de Charleroy à Marchiennes, par le
chemin de fer de l'Etat. II est évident que dans de telles circonstances, le
chemin de fer de l'Etat a les avantages les plus marqués sur les lignes
concédées.
L'honorable M. de La Coste a indiqué hier une autre éventualité, celle
où le chemin de fer de Manage à Wavre, dont la concession est demandée, serait
prolongé jusque vers Landen. Je dois faire observer, messieurs, que ce
prolongement, depuis Wavre jusqu'à Landen, reste facultatif pour le
gouvernement.
Le contrat soumis à la chambre pour le chemin
de fer de Manage à Wavre, porte en effet que ce prolongement pourra se faire,
de commun accord avec le gouvernement ; il faudrait donc la volonté du
gouvernement pour que ce prolongement se fît. D'ailleurs, je ferai remarquer
que c'est là une question qui se présentera d'une manière plus spéciale,
lorsque viendra la discussion du chemin de fer de Manage à Wavre.
En ce qui concerne l'embranchement sur un point de la section de Wavre à
Gembloux, je pense qu'il n'y a à cet égard aucun dissentiment possible entre
les deux sociétés. Ici, il y a des plans à approuver, et c'est lorsque ces
plans seront présentés, que la question sera examinée. Il est évident
d'ailleurs qu'un cahier des charges nouveau ne peut pas déroger à un autre
cahier des charges, voté antérieurement par une loi. On peut donc considérer
les droits de la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre comme étant
entièrement saufs.
M. Pirson. - Messieurs, j'essayerai de répondre aux diverses objections qui ont
été présentées contre la critique qu'en mon âme et conscience j'ai cru devoir
faire, d'une partie du tracé de la voie ferrée projetée pour le Luxembourg.
D'abord, messieurs, je crois avoir un devoir à remplir, et je viens le
faire. C'est de déclarer que si, à la séance d'avant-hier, dans la chaleur de
l'improvisation, il a pu m'échapper quelques paroles trop dures, trop amères à
l'égard de l'un de nos honorables collègues, pour lequel depuis longtemps je
professe sincère estime et sincère affection, il n'a pu entrer dans ma pensée
de le blesser. Si donc, j'ai pu le faire involontairement avant-hier,
aujourd'hui volontairement, je vous prie de le croire, spontanément et
cordialement, je retire les expressions dont je me serais servi et qui
pourraient donner lieu à une pareille interprétation, à une pareille
supposition.
De
toutes parts. - Très bien ! très bien.
M. Pirson. - J'aborde maintenant l'objet en discussion.
Je commencerai par repousser le reproche qui m'a été adressé, de me
faire l'organe des rivalités locales. Depuis que j'ai l'honneur de siéger parmi
vous, j'ai pris pour règle de conduite, au contraire, de ne donner aux
questions locales que l'importance qu'elles peuvent mériter, et pour moi elles
s'effacent devant la question qui doit toujours dominer dans cette enceinte,
celle de l'intérêt général.
Mais, qu'il me soit permis de le faire observer, en puis-je, moi, si la
situation de la ville de Dinant est telle qu'elle doive nécessairement être
reliée au railway du Luxembourg ? Suis-je pour quelque chose dans ces
circonstances que dans deux provinces, que sur une étendue de 32 lieues, la
ville de Dinant est, après Namur, le plus grand centre de population ; qu'elle
est située sur la Meuse ; qu'elle possède un pont mettant en communication les
deux rives du fleuve ; qu'elle est le point de jonction de cinq routes de
l'Etat ; qu'elle est un centre autour duquel gravite un grand mouvement de
voyageurs, un grand mouvement commercial et industriel ; qu'elle possède les
meilleurs cours d'eau de la Belgique ? Assurément, messieurs, je ne suis pour
rien dans cette réunion de circonstances particulières à la ville de Dinant.
C'est à sa position géographique qu'elle le doit, et en ce qui me
concerne, je serais coupable si, parce que l'intérêt général se trouvant dans
la ville que j'ai l'honneur de représenter, je désertais cet intérêt général,
si je ne venais le défendre, si je ne venais vous dire toute la vérité. Je suis
doublement heureux, au contraire, de pouvoir en cette occasion me montrer le
défenseur des intérêts généraux de mon pays, en faisant valoir l'intérêt de mon
arrondissement.
Messieurs, plusieurs questions ont été soulevées par l'honorable
préopinant. J'en examinerai quelques-unes, les plus importantes, et je le ferai
le plus brièvement possible, afin de ne pas abuser des moments que la chambre
veut bien me consacrer.
L'honorable député de Bastogne, nous parlant au nom de l'intérêt
général, nous a dit : Pour le succès, pour la réussite de l'entreprise, la
ligne du chemin de fer du Luxembourg doit être la plus courte. Moi je réponds :
Votre objection est erronée ; puisque vous parlez d'intérêt général, avant
toute autre considération, la ligne du chemin de fer du Luxembourg doit être la
plus utile au pays, et pour être la plus utile, elle doit être la plus peuplée.
En invoquant la considération que vous voulez faire prévaloir, c'est à
tort que vous parlez de l'intérêt général ; ce n'est pas l'intérêt général que
vous défendez, c’'est l'intérêt étranger que vous défendez. Dans la convention
du 8 août 1845, le tracé par la vallée du Boucq était
obligatoire. Ce tracé, moins favorable il est vrai, que celui par le
Fonds-de-Leffe, était cependant beaucoup plus avantageux au pays, que le tracé
direct de Namur à Ciney, et non seulement on l'a rendu facultatif dans la
convention du 26 février 1846, mais aujourd'hui on se prononce pour le tracé
direct. Eh bien, il me semble que c'est par condescendance pour les
concessionnaires que l'on a agi de la sorte, et que les intérêts du pays en
souffrent.
Et en disant que c'est par condescendance pour la compagnie, je
n'entends nullement faire aucune allusion personnelle ou particulière à
l'honorable député de Bastogne, j'entends ici par le mot condescendance
l'espoir de voir faire à la compagnie de plus beaux bénéfices.
On nous dit encore : Le tracé que vous réclamez, le tracé par le
Fonds-de-Leffe, présente beaucoup de difficultés ; il est presque impraticable,
et l'on a cru trouver une preuve de cette assertion dans le rapport du 4 mai
1846 de M. l'inspecteur divisionnaire de Moor.
Messieurs, veuillez le remarquer, le rapport en question ne faisait pas
partie des documents qui nous furent primitivement distribués. C'est sur ma
proposition que la section centrale chargea son rapporteur de s'informer près
du gouvernement s'il n'avait pas été fait un tracé ou avant-projet par la
vallée de Leffe, et alors nous fut adressé ce rapport du 4 mai 1846, rapport,
j'en conviens, venu fort à propos, pour aider à l'argumentation qui m'est
opposée.
Mais, messieurs, examinons ce rapport du 4 mai 1846, qu'est-il ? quelle valeur a-t-il ? Est-ce le résumé d'un travail
réfléchi, l'expression d'une étude sérieusement entreprise ? Du tout, M.
l'inspecteur divisionnaire de Moor se charge lui-même
de vous indiquer ce qu'est son rapport, c'est « le résultat d'une
reconnaissance du vallon de Leffe faite par M. l'ingénieur Denis. »
Je n'ai pas l'honneur de connaître M. Denis et je me plais à croire que
c'est un ingénieur fort capable ; mais à M. l'ingénieur Denis j'opposerai un
autre ingénieur qui passe aussi pour avoir beaucoup de mérite, j'opposerai M.
l'ingénieur Dudot, qui est l'ingénieur de la
compagnie et auquel bien certainement la compagnie n'aurait pas confié le soin
de ses intérêts, si son mérite n'était notoire et connu. Eh bien, M.
l'ingénieur Dudot aussi est venu examiner la vallée
de Leffe, et lui ne s'est pas borné à une simple reconnaissance de la localité,
il en a fait une étude et terminé l'étude, il a déclaré, entre autres
personnes, au bourgmestre de la ville de Dinant, que le tracé par le Fonds-de-Leffe
ne serait pas plus long que celui par la vallée du Boucq
et que cette direction nécessiterait moins de travaux d'art. Cette déclaration
se trouve mentionnée dans la pétition qui vous a été adressée par
l'administration communale de la ville de. Dinant. Voici les paragraphes qui la
concernent :
« Jusqu'à présent la ville de Dinant avait toujours cru voir son
territoire se relier au réseau général des chemins de fer, soit directement,
soit par un embranchement, et certes, l'importance de son commerce était de
nature à lui faire supposer que ses espérances ne seraient pas vaines ; elle a
même pu croire ces espérances réalisées, lorsque des ingénieurs sont venus
récemment faire des études et lever des plans qui auraient pour résultat de
diriger par la vallée du Fonds-de-Leffe, faubourg de Dinant, le chemin de fer
du Luxembourg, dont M. le ministre des travaux publics a déposé le projet sur
le bureau de la chambre des représentants le 4 mars dernier. »
Les ingénieurs dont il est question ici sont ceux de la compagnie, je me
trouvais à Dinant en même temps qu'eux.
« De Namur à Ciney la distance n'est pas plus grande, en suivant le
projet dinantais qu'en suivant la vallée du Boucq, à cause des nombreuses sinuosités qu'elle présente ;
par cette vallée il y aurait à faire des travaux d'art extrêmement dispendieux,
dont on serait dispensé par les Fonds-de-Leffe ; tout cela est reconnu par M. Dudot, ingénieur de la compagnie anglaise qui demande la
concession ; il l'a avoué à M. le bourgmestre de la ville. »
A M. l'ingénieur Denis j'opposerai donc M. l'ingénieur Dudot, et je vous demanderai, messieurs, si, lorsqu'il
s'agit d'intérêts aussi importants que ceux que je vous ai signalés, l'on peut
raisonnablement apporter à cette chambre, pour base de leur discussion, un
document aussi peu sérieux que celui d'une simple reconnaissance faite par l'un
de nos ingénieurs, quelque transcendant que puisse être d'ailleurs le mérite de
cet ingénieur. Et je vous demanderai encore si un pareil document est de nature
à pouvoir commander de notre part une confiance absolue, et à nous faire
infirmer le tracé direct de Namur à Ciney.
Evidemment non, et le rapport du 4 mai 1846, de M. l'inspecteur
divisionnaire de Moor, loin de pouvoir être considéré
comme une des pièces principales du procès pendant devant vous, en ce qui
concerne le tracé par le Fonds-de-Leffe, ne peut être envisagé que comme l'une
des pièces les plus insignifiantes, que comme une pièce trop insignifiante eu
égard à l'importance des intérêts auxquels elle se rattache. Ce n'est pas sur
un croquis ou sur une simple reconnaissance qu'une assemblée législative peut
délibérer en connaissance de cause sur des questions de l'espèce. Il lui
faudrait au moins une étude ou un projet complet pour arrêter son opinion, et
l'impossibilité matérielle que l'on invoque ne se trouve en réalité basée sur
rien. Moi, je crois que cette impossibilité matérielle n'existe pas, parce que
jusqu'à présent, je n'ai pas plus de motifs de refuser ma confiance à M.
l'ingénieur Dudot que je n'en ai de l'accorder à M.
l'ingénieur Denis.
Cette question du tracé par la vallée de la Meuse me conduit tout
naturellement à faire quelques observations sur le tracé direct de Namur à (page 1571) Ciney. Ce tracé, pour lequel
on semble se prononcer avec tant de ferveur, est loin, de présenter les mêmes
avantages que celui par la vallée du Boucq, soit au
point de vue de la sécurité des voyageurs, soit au point de vue des intérêts de
la compagnie.
Au point de vue de la sécurité des voyageurs, le tracé direct n'offre pas
autant de garanties. D'après les plans qui ont été remis à votre section
centrale, et qui se trouvent en ce moment déposés sur le bureau, il aura des
tranchées de 25 à 30 mètres de hauteur, et, vous le savez, les grandes
tranchées présentent des chances d'accident, surtout pendant les premières
années d'exploitation, par les éboulements, par les glissements de terre
qu'elles occasionnent. Ces éboulements, qui sont toujours dangereux, provoqués
d'ordinaire par des temps humides, peuvent entraîner les conséquences les plus
fâcheuses. Vous vous rappellerez peut-être avoir lu dans les journaux qu'en
Angleterre, il y a quelques années, sur le chemin de fer le Great Western, neuf
voyageurs perdirent la vie, et douze autres furent grièvement blessés par suite
d'un éboulement qui survint au moment du passage d'un convoi.
Ensuite le tracé direct aura 742 mètres de souterrains de plus que celui
par la vallée du Boucq. Sans vouloir exagérer le
danger des souterrains ou tunnels, il n'est douteux pour personne que les souterrains
offrent des inconvénients pour la sécurité du parcours. L'obscurité qui y règne
fait que la surveillance est plus difficile, et la proximité des parois expose
le convoi à venir se briser contre les faces latérales des voûtes à la moindre
déviation.
Enfin négligeant, dans les deux tracés, les pentes en dessous de cinq
millimètres, comme étant faciles à surmonter, le tracé direct aura quatre
pentes de douze millimètres sur une étendue de 14,500 mètres (près de trois
lieues) et une pente de seize millimètres sur une étendue de 6,575 mètres (plus
d'une lieue), tandis que le tracé par la vallée du Boucq
n'aura qu'une pente de sept millimètres sur 5,502 mètres, et une pente de neuf
millimètres sir 3,859 mètres. Je vous ferai remarquer, messieurs, que la pente
du plan incliné de Liège n'est que de vingt-huit millimètres, de sorte que par
le tracé direct sur une étendue de 6,375 mètres, sur une étendue de plus d'une
lieue par conséquent, il y aura une pente de seize millimètres, ou une pente de
plus de la moitié de celle du plan incliné de Liège. Or, vous savez encore que
les locomotives perdent de leur vitesse, en gravissant des rampes ; que leur
construction est telle que leur puissance jusqu'à une certaine limite croît
proportionnellement à leur vitesse, de telle sorte que sur les rampes assez
longues et assez fortes pour produire un ralentissement dans la marche, leur
énergie éprouve une constante diminution. Eh bien, sur des rampes aussi longues
que celles de 6,375 mètres et 6,500 mètres avec des pentes de seize et douze
millimètres, comme il s'en trouve dans le tracé direct je suis persuadé, quelle
que soit d'ailleurs la force des locomotives qui seront employées, qu'il y aura
un ralentissement considérable, peut-être de fréquents temps d'arrêt, et qu'il
pourra arriver que les remorqueurs manqueront précisément de force au moment où
ils en auraient eu le plus de besoin. Et il résultera de ces inconvénients que
la compagnie, qui semble préférer le tracé direct pour jouir d'un parcours plus
prompt entre Namur et Ciney, obtiendra précisément le résultat inverse. J'avais
donc raison de dire qu'au point de vue de l'intérêt même de la compagnie, il
était plus avantageux pour elle d'adopter le tracé par la vallée du Boucq, que le tracé direct, parce qu'avec le premier, qui
coûtera moins de 800,000 fr. par lieue, qui sera établi sur un sol ferme avec
des pentes modérées, qui ne nécessitera pas d'aussi grands travaux d'art, on
franchira la distance de Namur à Ciney, plus vite peut-être qu'avec le second
qui est estimé un million de plus à la lieue, qui exigera des pentes rudes et
des travaux d'art très coûteux, et qui nécessitera des charges annuelles
d'entretien très considérables.
S'il était possible qu'au point de vue anglais, le tracé direct de Namur
à Ciney fût préférable, ce ne serait pas un motif, pour nous députés belges, de
l'adopter.
Nous devons exiger celui qui lésera le moins les intérêts locaux et
favorisera le plus les intérêts généraux du pays.
Messieurs, l'Etat doit donner satisfaction à tous les intérêts légitimes
qui viennent se placer à côté des chemins de fer, et cette satisfaction à
donner, doit passer avant l'intérêt de la compagnie. N'allez pas par
entraînement, par enthousiasme, vous laissant conduire sur une pente
irréfléchie et dangereuse, sacrifier les vrais intérêts, les intérêts durables
et perpétuels du pays à une question du moment, à un intérêt étranger. Les
chemins de fer ont pour effet de changer d'une manière trop brusque et trop
précipitée les conditions de bien-être, de prospérité, d'existence même des
localités qu'ils traversent, pour que ces changements puissent être le
privilège de quelques portions du pays, pour que les avantages qu'ils
procurent, ne fût-ce même que pour peu de temps, soient exclusivement réservés
à une direction favorisée.
Songez donc que les déplacements d'intérêts opérés par les chemins de
fer sont si nombreux, qu'au lieu de les augmenter, on doit rechercher tous les
moyens de les diminuer. Eh bien, ainsi que je l'ai déjà dit, il me semble que
c'est pour complaire à une compagnie trop puissante peut-être par ses
influences, bien plus que dans l'intérêt du pays, que la convention du 8 août
1845 a été modifiée.
Prenez les rapports de M. l'inspecteur divisionnaire de Moor. On y lit que le tracé direct de Namur à Ciney sera
très coûteux à établir et d’une exploitation dispendieuse, tandis que, pour le
tracé par la vallée du Boucq, il n'y est fait aucune
observation défavorable. Bien au contraire, M. de Moor
fait remarquer que l’allongement du parcours par la vallée du Boucq n'a rien d'exagéré, puisqu'il n'est que du 1/4 au 1/3
du parcours, alors que de Mons à Tournay il est de près du 1/4 ;
De Mons à Namur, de plus du 1/3 ;
De Bruxelles à Gand, de près de la 1/2 ;
De Bruxelles à Namur, de près des 3/4 ;
De Bruxelles à Louvain de près des 3/4.
Si l'Etat s'était chargé de l'exécution des travaux, indubitablement il
eût préféré la ligne du Boucq au tracé direct, et
parce que la compagnie se prononcerait pour ce dernier, il faudrait absolument
le lui accorder. Comment, messieurs, parce que l'Etat n'exécuterait pas, le
gouvernement ne devrait plus se préoccuper des intérêts généraux du pays, il
devrait descendre du point de vue de l'utilité générale pour venir se placer au
point de vue des désirs d'une compagnie ! Je ne saurais admettre un pareil
système, et je le repousse de toutes mes forces, parce que le gouvernement doit
porter ses regards plus loi, et considérer comme son premier mobile de donner
satisfaction aux intérêts généraux du pays.
Et, messieurs, sans vouloir en faire une application à la compagnie du
chemin de fer du Luxembourg, qu'il me soit permis de le faire remarquer en
passant : nous ne sommes pas ici pour faire les affaires de MM. les directeurs,
de MM. les administrateurs des compagnies de chemins de fer, pour faciliter aux
spéculateurs des opérations de bourse ; nous avons été envoyés ici pour faire
les affaires du pays, pour veiller à ses intérêts, et pour les défendre au
besoin.
L'honorable député de Bastogne, à l'appui des observations qu'il a
présentées pour repousser le tracé par la vallée de Leffe, a fait valoir de
prétendus inconvénients puisés dans cette circonstance qu'il y aurait un tronc
commun à deux sociétés, entre Namur et Dinant. Mais en quoi un tronc commun
peut-il vicier une ligne de chemin de fer et en particulier celle du Luxembourg
? D'ailleurs, messieurs, veuillez-le remarquer, dans la convention passée le 8
août 1845 avec la même compagnie, ce tronc commun existait pour la partie
comprise de Namur à Yvoir. Ce principe y était donc admis et consenti.
Dans la convention que nous discutons il y aura encore un tronc commun
pour une partie du chemin de Bruxelles à Namur ; Le même principe de tronc
commun se retrouve dans la plupart de nos chemins de fer et dans la plupart des
concessions qui ont été accordées. Pourquoi la compagnie du Luxembourg se
montrerait-elle plus susceptible pour-un tronc commun de Namur à Dinant que
pour un tronc commun de Wavre à Namur ? Les troncs communs sont tellement dans
la nature des choses que partout, que dans tous les pays, voire même en
Belgique, ils forment la règle générale et non l'exception. Je dirai plus,
c'est qu'ils offrent des avantages parce qu'ils diminuent les frais de
construction, d'usure et d'exploitation. De Bruxelles à Liège, à Anvers, à
Gand, est-ce que la partie du chemin comprise de Bruxelles à Malines, n'est pas
un tronc commun ? De Bruxelles à Mons et à Namur, est-ce que la partie du
chemin comprise entre Bruxelles et Braine-le-Comte, n'est pas un tronc commun ?
De Tirlemont à Waremme et à Saint-Trond, est-ce que la partie comprise entre
Tirlemont et Landen, n'est pas un tronc commun ? Si vous n'aviez pas ces troncs
communs il vous eût fallu construire des lignes entières et séparées, pour
conduire à chacune des localités que je viens de citer, et nécessairement vos
frais de construction, de personnel, de matériel et d'exploitation eussent été
augmentés. Les troncs communs sont donc généralement utiles, plus avantageux
que désavantageux, et relativement au chemin de fer du Luxembourg, celui de
Namur au Fonds-de-Leffe, aurait de plus cet avantage particulier qu'il
empêcherait une injustice, en assurant à une localité importante, le bénéfice
d'une voie ferrée.
L'honorable ministre des travaux publics, répondant hier à une interpellation
que je lui ai adressée, et tantôt l'honorable député de Bastogne ont, me
paraît-il, exagéré les conséquences du moindre changement qui serait apporté à
la convention. L'on vous a dit que si une seule clause de la convention venait
à être modifiée, vraisemblablement le chemin de fer du Luxembourg ne
s'exécuterait pas.
Eh bien, pour mon compte je n'en crois rien. Je crois au contraire,
d'après les éloges pompeux que l'on nous a faits de l'administration de la
compagnie, et que j'ai été heureux d'entendre faire, je crois, dis-je, qu'il ne
peut être vraisemblable que la compagnie rompe son contrat pour un allongement
de 8 à 10 kilomètres, alors surtout que l'allongement n'augmentera pas le temps
de durée de parcours. Si encore l'allongement devait être onéreux, sans profit,
je concevrais l'objection ; mais sans aucun doute, il sera avantageux.
II sera avantageux parce qu'il faut une certaine somme de voyageurs et
de marchandises pour couvrir les dépenses d'un chemin de fer ; qui cette somme
de voyageurs et de marchandises existe entre Namur et Dinant, et qu'elle est
telle que non seulement elle procurera des bénéfices, mais même de beaux
bénéfices ; il sera avantageux, parce qu'avant toute autre considération, les
chemins de fer sont faits pour les populations, et qu'ils doivent être placés
là où se trouvent les populations, et non dans les déserts ; parce que la
valeur d'un chemin de fer, c'est sa circulation ; parce qu'on ne fait pas de
chemins de fer pour le bon plaisir d'en faire, mais pour y passer, que pour y
passer, il faut des populations et que ces populations existent pour le tracé
ou l'embranchement que nous réclamons.
Il sera avantageux, parce qu'il aboutira à Dinant, centre de commerce et
d'industrie ayant sur Namur un mouvement annuel de transports, de 40,400,000 kilogrammes détaillés comme suit :
Ardoises indigènes, 2,500,000
Marbres, 3,500,000
Charbon de terre, 3,600,000
Fers, 2,500,000 ;
Ecorces et perches, 14,000,000
(page 1572) Froment et farines, 3,000,000
Cuirs secs et autres, 1,700,000
Cartons et papiers fabriqués à Dinant 1,000,000
Sel brut et autres, 2,600,000
Bières et vins d'Allemagne importés dans la commune, 500,000
Marchandises diverses chez les commissionnaires de la ville, 3,000,000
Idem chez les négociants, 2,500,000
Total, 40,400,000.
Il sera avantageux, parce qu'à Dinant et environs, il se trouve sur les
affluents de la Meuse, des moteurs hydrauliques, mis en activité, et
représentant une force de 825 chevaux, dont le détail est comme suit (en
chevaux-vapeur) :
Ermeton-sur-Meuse, 15
Hastière-Lavaux, 60
Waulsort,
25
Anseremme, 45
Dinant, 235
Bouvignes, 25
Houx, 15
Warnant-Moulin, 180
Yvoir, 60
Annevoie-Bouillon, 100
Profondeville, 60
Lustin-Taille-Fer, 10
Wépion, 10
Total, 825.
Il sera avantageux parce que placé dans les conditions que je viens
d'énumérer en principes et en faits, un chemin de fer ne peut pas ne pas
l'être.
Vous voyez donc, messieurs, que moi aussi je veux ce qui peut être
avantageux à la compagnie, que je défends ses intérêts ; mais, Belge avant
tout, j’attache une importance beaucoup plus grande à faciliter le déplacement
des citoyens belges, à faciliter le transport des marchandises et manufactures
belges, qu'à transporter directement, des ports de la Manche à ceux de la
Méditerranée, les voyageurs anglais qui se rendent à Bombay ou à Calcutta.
Commercialement parlant, a-t-on dit encore, le chemin de fer du Luxembourg avec
ses prolongements sera une des communications les plus importantes de l'Europe,
car il est destiné à relier l'Atlantique à la Méditerranée, la Méditerranée à
la mer Rouge, la mer Rouge à la mer des Indes, la mer des Indes à la mer de
Chine ; comprenez donc le transit qu'il procurera à la Belgique !
Ah ! messieurs, de tout mon cœur, je souhaite pour
mon pays, que le chemin de fer du Luxembourg gratifie la Belgique de cet
immense transit que l'on nous fait espérer. Mais pour me persuader, que l'on me
donne au moins quelques renseignements sur les prolongements de ce chemin de
fer ? Pour la Belgique, je connais sa direction, je sais par où il passera,
mais hors de la Belgique comment se prolonge-t-il ? Afin de ne plus m'attirer
le reproche de m'abandonner aux exagérations, quoique ce reproche m'ait été
fait à tort, je ne demanderai pas, quant à présent, comment il se prolongera de
Bombay à Calcutta ? Si ce sera par terre en traversant l’Indostan,
ou par mer au moyen du golfe de Bengale ? Mais pour la Prusse, le duché de
Bade, le Wurtemberg, la Bavière, la Suisse, la Lombardie, pour atteindre
Trieste, que l'on me dise au moins nominalement quels sont ces prolongements, à
quelles voies de communication ils aboutissent, quels sont ceux qui sont
terminés, quels sont ceux qui restent à exécuter, quels sont les services déjà
établis, et que l'on m'indique en quoi consistera le transit que l'on nous
promet ?
Dans l'exposé des motifs, et dans le rapport de votre section centrale,
j'ai beau chercher, je ne trouve rien, absolument rien, pas une appréciation
quelconque. Souffrez alors, mon honorable collègue du Luxembourg, que j'accepte
avec défiance et réserve vos belles promesses, et si vous voulez que je me
convertisse à votre foi, dites-moi quel sera ce transit de marchandises
destinées à l'Allemagne, à la Suisse et aux Indes, et par quelles voies il se
rendra à sa destination. Dans le doute, avant de croire à l'accaparement du
transit européen, permettez-moi de trouver beaucoup plus rationnel d'assurer à
nos centres de population un échange facile et commode de leurs produits ;
avant de raccourcir la route des Indes, au profit de quelques voyageurs
anglais, permettez-moi de trouver beaucoup plus national de raccourcir la
distance qui sépare nos villes. Et voilà pourquoi j'ai tant à me plaindre de la
convention du 26 février 1846 et pourquoi j'insiste tant pour obtenir une
modification au tracé de quelques kilomètres.
Messieurs, ouvrez une carte de l'Europe ou de l'Amérique, et voyez si en
France, en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis, on a, dans la direction
des chemins de fer, sacrifié les relations intérieures aux relations
extérieures.
Positivement non, messieurs ; on s'en est bien gardé, et on a eu raison.
Dans ces pays, on s'est appliqué, au contraire, à relier entre eux tous les
centres de population, et l'on ne s'est pas laissé prendre à l'argument seulement
éblouissant et spécieux, de préférer la chance du transit étranger à la
prospérité nationale, de préférer un transit inappréciable et inconnu, à un
mouvement commercial intérieur, saisissable, assuré et bien connu.
Aux considérations que je viens de présenter en faveur de mon
amendement, j'en ajouterai une dernière, et je terminerai en faisant un appel
aux sentiments de justice et d'équité de la chambre.
Les chemins de fer, vous le savez, messieurs, sont monopoleurs par
essence. Dans une certaine sphère d'attraction, ils absorbent toute la
circulation soit des voyageurs, soit des marchandises. Ils portent la
perturbation dans une foule d'industries anciennes ; ils compromettent le sort
d'une foule de personnes. On comprend dès lors avec quel ménagement, avec
quelle prudence on doit déterminer leurs directions, si l'on ne veut
bouleverser de fond en comble une quantité de positions acquises. Eh bien, que
voulez-vous que devienne la ville de Dinant, si vous ne la reliez au chemin de
fer du Luxembourg et si vous la laissez dans une espèce d'impasse entre ce
chemin et celui de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Dans cette condition, il faut
qu'elle périsse, et vous lui enlevez un courant commercial dont elle est en
possession depuis un temps immémorial.
Evidemment, messieurs, ce serait là une injustice révoltante ; vous ne
voudrez pas, j'espère, vous associer à un pareil acte, et vous ne voudrez pas
lui refuser un chemin de fer alors qu'on les prodigue au reste de la Belgique.
C'est à vous, messieurs, qu'il appartient de décider si elle doit être
sacrifiée à un intérêt plus étranger que national ; c'est à vous qu'il
appartient de décider de la prospérité ou de l'anéantissement de cette ville.
J'ai rempli mon devoir en vous soumettant les justes doléances, et en
prenant de mon mieux la défense de ses intérêts. Je finis en vous priant de ne
pas rejeter mon amendement.
- La séance est levée à 4 heures.