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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 12 juin 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétitions relatives au droit d’entrée sur le bétail (de Breyne), aux droits sur le sucre (Loos)
et au projet d’union douanière et au traité de commerce conclu avec la France (Mast de Vries, Rodenbach, Mast de Vries, Malou, Dechamps, Delehaye, de Roo), aux droits sur le sucre (Eloy de
Burdinne, Loos, Manilius)
2) Projet de loi portant augmentation
du personnel des tribunaux de Mons et de Louvain
3) Projet de loi autorisant
le gouvernement à accorder une pension (de Wargnies). Traitement d’attente (Van Cutsem)
4) Projet de loi sur les sucres.
Discussion générale Concurrence entre
l’industrie exotique (sucre de canne) et l’industrie indigène (sucre de betterave),
fixation du rendement et du droit d’accises, etc. (Loos, Malou, de Breyne,
Veydt, Dumortier, Delehaye, Dumortier)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Dumont.)
(page 1650) M. Huveners procède à l'appel
nominal à une heure.
M. A. Dubus lit le procès-verbal
de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Gérard Geilgens, sapeur-pompier à Gand, né à Aix-la-Chapelle,
demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
_______________
« Le conseil communal de Meulebeke demande l'union douanière avec la France.
»
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres de l'administration
communale de Wieze présentent des observations contre le projet d'un chemin de fer
de Bruxelles à Gand par Alost. »
« Mêmes observations de l'administration de St-Amand. »
- Renvoi à la commission des pétitions.,
_______________
« Le conseil communal de
Nieucappelle demande le maintien des droits d'entrée et de transit sur le
bétail. »
M.
de Breyne. - Messieurs, cette
pétition vous est adressée par une contrée où l'élève du bétail forme une des
principales branches de l'industrie agricole. Je demande qu'elle soit déposée
sur le bureau pendant la discussion des rapports sur les pétitions concernant
le droit d'entrée sur le bétail.
- Cette proposition est adoptée.
« Les courtiers de navires à
Anvers demandent des mesures de protection pour l'industrie du raffinage des sucres.
»
M.
Loos. - Je demande que cette pétition soit
renvoyée à la section centrale pour faire, avec les autres, l'objet d'un
rapport.
- Cette proposition est adoptée.
_______________
Par messages en date du 11 juin, le sénat informe la chambre qu'il a adopté
:
1° Le budget du département de l'intérieur pour l'exercice 1846 ;
2° Le projet de loi autorisant le gouvernement à construire un canal de Deynze
à Schipdonck, à recreuser le Moervaert, et à exécuter des travaux dans la
vallée de l'Escaut.
- Pris pour notification.
(page 1651) M. Mast de Vries. (pour une
motion d’ordre). - Messieurs, parmi les pétitions dont vous venez d'entendre
l'analyse, il en est une qui demande l'union douanière avec la France. Tous les
jours il nous arrive de nouvelles pétitions pour réclamer cette mesure que vous
savez être impossible. Je ne comprends réellement pas comment il peut entrer
dans l'esprit des pétitionnaires que cette réunion soit possible, surtout en
présence des traités qui s'y opposent.
Je crois qu'il serait temps qu'on ouvrît les yeux à ceux qui pétitionnent
tous les jours, qu'on leur prouvât que cette réunion douanière avec la France
est impossible. Je demande donc que la commission veuille bien nous faire, le
plus tôt possible, un rapport sur ces pétitions.
M. Rodenbach. - Messieurs, je demande, comme l'honorable membre, un prompt rapport sur
les pétitions réclamant l'union douanière avec la France, et je le demande d'autant
plus que nos ouvriers dans les campagnes sont dans le plus grand besoin ; je
sens parfaitement bien qu'ils ne réclament l'union douanière avec la France,
que parce qu'ils ne connaissent pas parfaitement les traités faits ou à faire,
traités qui s'y opposent comme on le prétend. Toutefois, messieurs, on doit
supposer que ce que les pétitionnaires désirent, c'est une convention sur de
larges bases, un abaissement des droits tel qu'il équivaudrait à l'union douanière,
et certes, je pense que l'honorable préopinant et tous les députes qui veulent
véritablement l'intérêt d'une population souffrante de 3 à 400 mille habitants
doivent aussi désirer un traité sur de larges bases.
Ainsi, messieurs, lorsque les ouvriers, les autorités
communales viennent demander l'union douanière, ce n'est pas l'expression qu'il
faut envisager, c'est le principe et l'intention, et certes le vœu est dans les
deux Flandres, que l'on fasse avec la France un nouveau traité qui ait pour
effet d'abaisser les barrières douanières et de procurer des débouchés, une
existence honnête aux ouvriers des deux Flandres. Je le répète, loin de
m'opposer à la demande d'un prompt rapport, je crois que l'on doit prendre ces
pétitions en considération. Je ne dis pas qu'on puisse accorder aux
pétitionnaires tout ce qu'ils demandent ; mais lorsque nous aurons renvoyé au
gouvernement ces diverses requêtes, il saura ce qui lui reste à faire. Il agira
avec prudence dans l'intérêt du pays, et j'espère encore qu'il pourra conclure
avec la France un traité qui amène, sinon l'union douanière complète, au moins
une amélioration telle dans les tarifs français, que nos nombreux ouvriers
pourront vivre par le travail qui leur manque aujourd'hui, de toutes parts dans
les deux Flandres, par suite du malaise qu'éprouve l'industrie linière.
M. Mast de Vries. - Messieurs,
que les pétitionnaires demandent, par exemple, que le nouveau traité avec la
France soit accepté, et qu'on en élargisse ensuite les bases, je le conçois.
Mais ce qui est vraiment inconcevable, c'est qu'on vienne nous demander, et que
des pétitions nous arrivent tous les jours, pour nous demander une union douanière
qui est complétement impossible.
Quelle opinion, messieurs, voulez-vous que de semblables pétitions donnent
de nous à l'étranger ? Ne dirait-on pas que nous sommes toujours prêts à
déchirer les traités ?
Je sais qu'on ne peut empêcher le pétitionnement, mais il faut espérer que
lorsqu'on saura que l'union douanière avec la France est impossible, on ne nous
la demandera plus.
M.
le ministre des finances (M. Malou). - L'honorable
M. Mast de Vries demande simplement que l'on fasse un prompt rapport sur ces
pétitions. Je désire, quant à moi, qu'on ne discute pas aujourd'hui une question
comme celle qui vient d'être soulevée. On ne peut la discuter et cependant, je
vois plusieurs membres qui demandent la parole. Je préférerais, je l'avoue, qu'on
s'occupât de la question des sucres.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Messieurs,
il est impossible de discuter une question de ce genre à propos d'une pétition,
mais je dirai à la chambre que lorsque la discussion du traité français sera
ouverte, mon intention est de lui faire, dans un comité général, comme je l'ai
déjà fait à la section centrale, l'historique de la négociation et des
négociations précédentes en 1843 et en 1844. Par-là, messieurs, vous pourrez
apprécier la question douanière ainsi que toutes celles qui se rattachent à nos
relations avec la France.
M. Delehaye. - Je pense, messieurs, que les paroles de M. le ministre des affaires étrangères
doivent convaincre tout le monde qu'il est impossible de traiter aujourd'hui
cette grande question. Si l'on invitait la commission des pétitions à faire son
rapport avant la discussion du traité avec la France, il serait permis à chacun
de nous de faire voir dans cette discussion, ou bien que le gouvernement a mal
conduit les négociations avec la France, qu'il n'a pas compris les intérêts du
pays, ou bien que l'union douanière est impossible.
D'un autre côté, messieurs, il ne suffit pas qu'un membre dise que l'union
douanière est impossible pour qu'il soit interdit à des pétitionnaires de la
demander. Le gouvernement a fait tout ce qui était en son pouvoir pour amener
cette impossibilité ; mais ce n'est pas un motif pour ne pas respecter le droit
de pétition.
M. le ministre des affaires étrangères a annoncé que, dans la discussion
du traité avec la France, il nous ferait les communications qu'il a faites à la
section centrale. J'ai entendu ces communications et elles m'ont convaincu que pour
le moment l'union douanière serait difficile à obtenir. Je pense, messieurs,
que lorsque M. le ministre vous aura lu son rapport, vous partagerez tous cette
conviction.
Je demande que la commission soit invitée à faire son rapport sur les pétitions
dont il s'agit avant la discussion de la convention de commerce conclue avec la
France.
M.
de Roo. - Je suis chargé, messieurs, de faire le
rapport dont il s'agit, et j'appuie la proposition de l'honorable M. Delehaye,
tendant à faire ce rapport avant la discussion de la convention avec la France.
Je crois que les conclusions de la commission seront de demander des
explications à M. le ministre des affaires étrangères.
- La chambre
décide que la commission est invitée à faire son rapport sur les pétitions dont
il s'agit, avant la discussion de la convention avec la France.
M. Eloy de Burdinne. (pour une motion d’ordre). - La chambre a reçu différentes pétitions relatives
à la loi des sucres ; ces pétitions ont été renvoyées, au moins en partie, à la
section centrale pour qu'elle fît un rapport. Jusqu'à présent la section
centrale n'a pas été convoquée pour s'occuper de ce rapport. Maintenant il est
trop tard pour qu'elle le fasse, puisque la discussion est commencée. Je demande
donc que les pétitions qui ont été adressées à la chambre dans les différents
sens, en ce qui concerne la loi des sucres, soient déposées sur le bureau pour
que chacun de nous puisse en prendre connaissance.
M. Loos. - J'appuie
la proposition de l'honorable M. Eloy de Burdinne ; mais, je dois faire
observer que si la section centrale n'a pas été convoquée, je n'en suis nullement
la cause. Je n'ai pas reçu de convocation et je ne pense pas que ce soit au
rapporteur de convoquer la section centrale. Quand on m'a remis les pétitions,
j'ai prévenu que j'étais aux ordres de M. le président.
M. Eloy de Burdinne. - L'honorable M. Loos peut être certain que je n'ai pas eu l'intention de
lui adresser un reproche. Je sais depuis 16 ans qu'un rapporteur n'est pas chargé
de convoquer la section centrale. Mais, puisque la section centrale n'a pas été
convoquée pour faire un rapport sur ces pétitions, je demande qu'elles soient
déposées sur le bureau, pour que chacun des membres de la chambre puisse en
prendre connaissance.
M. Manilius. - Messieurs, je me rallie à la dernière proposition de l'honorable M. Eloy
de Burdinne, d'autant plus que j'ai encore eu, hier au soir, ces pétitions en
mains et que j'ai pu m'assurer que la plupart ont déjà été imprimées et distribuées
aux membres de la chambre.
- La chambre, consultée, décide que les pétitions resteront déposées sur
le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les sucres.
PROJET DE LOI PORTANT AUGMENTATION DU PERSONNEL DES TRIBUNAUX DE MONS ET
DE LOUVAIN
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan). -
Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de soumettre à la chambre un
projet de loi portant augmentation du personnel du tribunal de Mons et de celui
de Louvain.
- Il est donné acte à M. le ministre de la justice de la présentation de
ce projet de loi qui sera imprimé et distribué, ainsi que l'exposé des motifs qui
l'accompagne. La chambre en ordonne le renvoi aux sections.
PROJET DE LOI AUTORISANT LE GOUVERNEMENT A ACCORDER UNE PENSION
M. Van Cutsem. -
Messieurs, la commission spéciale à laquelle vous avez renvoyé le projet de loi
tendant à allouer une pension au sieur de Wargnies, m'a chargé de vous faire
son rapport.
Des membres. - L'impression !
- Le rapport sera imprimé et distribué. La chambre fixera ultérieurement
le jour de la discussion.
PROJET DE LOI SUR LES SUCRES
Discussion générale
M.
le président. - La parole est à M. Loos,
rapporteur.
M.
Loos, rapporteur. - Messieurs, il est trois
questions de principes sur lesquelles la section centrale n'a point été
partagée ; elle a décidé :
1° A l'unanimité que la loi devait être combinée de manière à assurer la
coexistence des deux sucres ;
2° Qu'elle devait conserver le triple caractère de financière, commerciale
et industrielle ;
3° A l'unanimité moins une abstention, qu’elle devait être combinée de manière
à produire au moins 3 millions au trésor.
C'est dans l'application de ces principes que votre section centrale n'a
pu se mettre d'accord.
Trois membres voulaient plus de protection en faveur du sucre de betterave.
Trois autres défendaient les intérêts du commerce et du sucre colonial. J'étais
parmi ces derniers.
Un seul admettait les propositions du gouvernement.
II résulte de cette division que l'ensemble du projet de loi n'a point rencontré
de majorité suffisante pour être admis sans modification.
La chambre jugera des motifs des uns et des autres.
C'est une chose éminemment déplorable que de voir successivement les diverses
industries du pays mises en opposition les unes aux autres, venir se heurter
dans le parlement, s'y escrimer, et finalement se retirer de la lutte, les unes
meurtries, les autres mortellement blessées.
Aujourd'hui ce sont de nouveau les sucres, demain ce seront l'industrie linière
et l'industrie lainière, après que le tabac, le café, la grande navigation et
celle des rivières ont fourni leur contingent de sacrifices et de pertes.
Ainsi, toutes les branches de la prospérité nationale se voient successivement
attaquées, et, de prospères qu'elles étaient, se retirer exténuées (page 1652) des luttes et des débats
dans lesquels on les engage, tantôt sous le prétexte des besoins du trésor,
tantôt sous prétexte de les protéger.
Est-ce incurie de la part du gouvernement, est-ce fatalité ? Je n'en sais
rien, mais je crains que le pays ne se demande un jour si toutes ces perturbations
ne sont pas l'effet d'un système machiavélique.
Sans vouloir incriminer ni suspecter les intentions de personne, je dis,
moi, que les différentes mesures fiscales et commerciales qui sont venues se produire
depuis un certain temps, ne peuvent avoir d'autre résultat que la ruine du
commerce et de l'industrie du pays.
Malgré les principes les plus équitables, une appréciation juste et les vues
les plus larges dont semblent témoigner quelques passages de l'exposé des motifs,
le gouvernement ne s'était réellement préoccupé, dans la rédaction du projet de
loi, que d'un seul intérêt, celui du trésor. Quant à ceux du commerce et de
l'industrie, on n'avait tenu compte à leur égard, dans la fixation du rendement,
ni de la situation malheureuse de nos raffineries ni des lumières que des
discussions récentes à l’étranger étaient venues jeter sur ce point de la
question.
Arbitrairement, contrairement à ce que l'équité semblait commander, on avait
fixé des chiffres, dans le seul but d'assurer au trésor un revenu de 3 millions.
En assurant les intérêts du trésor, le gouvernement devait montrer la même
sollicitude pour les autres intérêts engagés dans la question, et s'il s'est
réservé le droit d'élever le rendement en cas d'insuffisance des recettes, il
devait se dire également que si l'industrie du raffinage ne pouvait marcher
avec un rendement exagéré, il fallait pouvoir lui en accorder un moindre ;
qu'ainsi, au lieu de débuter par un rendement plus élevé que celui fixé dans un
pays voisin avec lequel nous avons à lutter sur les marchés étrangers, il
fallait commencer tout au moins par celui de 68, qui garantit pour plusieurs
années la recette de 3 millions, sauf à l'élever plus tard et au fur et à
mesure de l'abaissement des recettes jusqu'à concurrence du rendement de 72
1/2.
Ces ménagements ont été gardés dans le pays voisin ou l'industrie du sucre
n'a pas cessé de prospérer, où les procédés les plus perfectionnés ont été mis
en pratique. A plus forte raison devaient-ils être gardés en Belgique, où, par
suites de fausses mesures adoptées à diverses époques, cette industrie se
trouve depuis plusieurs années dans l'état le plus déplorable, où les 9/ 10 des
raffineries travaillent encore par les anciens procédés, où enfin, comme le dit
M. le ministre dans son exposé des motifs (page 6, paragraphe 2 ) :
« La mise en raffinage a été de moins de 10 millions et l'exportation de
4 millions en 1845. Cette réduction du travail a dû rompre bien des relations et
permettre à la concurrence des nations voisines de prendre, à notre détriment,
une place plus large sur les marchés étrangers. Quelle que soit l'efficacité du
changement proposé dans notre législation, les relations ne seront pas renouées
sans d'énergiques efforts, alors surtout que la condition des raffineurs belges
sera égale, sinon inférieure, à celle des raffineurs dont ils soutiennent la
concurrence. »
J'ai dit que le chiffre de rendement proposé était plus élevé que celui récemment
fixé dans un pays voisin. Le gouvernement, en effet, proposait 72 58/100 pour
tous les sucres sans distinction ; il est fixé en Hollande :
Première année, sucres candis 64 29
Deuxième année 65 85 ;
Mélis et lumps, première année, 71 05
Deuxième année, 72 97.
Or, en Belgique 1/7 environ des exportations
se compose de sucres candis. Ainsi, toutes autres conditions égales d'ailleurs,
le rendement hollandais en nous donnerait en moyenne que
70,08 pour la première année et
71.95 pour les années suivantes.
Et l'on nous proposait comme régime définitif et sans transition 72 58/100
; je me trompe, on se réservait, par l'article 4, d'élever le rendement sans
égard aux conditions établies pour les raffineurs hollandais, nos concurrents
naturels. Tandis qu'en Hollande :
1° La plupart des raffineries travaillent par la vapeur et par les procédés
les plus perfectionnés ;
2° Emploient un sucre plus riche, indemne de tout droit de douane ;
3° Achètent sur un marché abondamment pourvu ;
4° Et finalement n'ont point à lutter pour 1/3 de la consommation avec un
sucre indigène.
Vous savez, messieurs, quelle est l'opinion du ministre hollandais quant
aux conséquences du rendement établi par la loi. Il croit que le régime nouveau
sera fatal aux raffineries qui ne travaillent pas par la vapeur ou qui n'emploient
pas les procédés les plus perfectionnés. Mais pour donner à celles-ci le temps
de modifier leur système de fabrication, il a pensé qu'un système de transition
était une mesure équitable et il l'a introduit dans la loi.
En Belgique, ce n'est ni la première année ni la seconde année, que les raffineries,
ruinées aujourd'hui, pourront se relever et se trouver en mesure de supporter
le régime de la loi. Puisque le ministre reconnaît qu'il faudra d'énergiques
efforts pour renouer les relations rompues, et soutenir la concurrence des
nations voisines, comment espère-t-il les voir réussir, les rendre possibles
même, si de prime abord il place le raffineur belge dans des conditions qu'il
ne peut remplir ? Est-ce là, je vous le demande, messieurs, vouloir
sérieusement relever une industrie que l'on a ruinée et dont l'existence
cependant est indispensable au commerce et à la navigation ; dont la
prospérité, quoi qu'on en dise, doit rejaillir sur toutes les autres industries
du pays ?
Un rendement supérieur à 68 sera, dans l'état actuel de nos raffineries,
le coup de grâce porté au commerce, à l'exportation des sucres. Donnez aux raffineries
le temps de se relever, de se perfectionner, et si le produit de l'impôt baisse
au-dessous de 3 millions, par le fait du sucre exotique, élevez alors le
rendement ; la diminution du produit de l'impôt serait le thermomètre des
perfectionnements introduits dans le raffinage, sans cependant dépasser jamais
celui fixé en Hollande, car alors la concurrence redeviendrait impossible, et
notre industrie retomberait dans le néant.
C'est pour prévenir ces fâcheuses conséquences que la section centrale avait
repoussé l'article 4 ; elle n'a pu admettre que, dans aucun cas, le rendement
fût poussé au-delà du chiffre fixé en Hollande, et qu'ainsi toute concurrence
pût devenir impossible pour les raffineurs belges.
A moins donc de renoncer au commerce, à l'exportation des sucres, d'abdiquer
sous ce rapport en faveur de la Hollande, il faut qu'un rendement plus élevé
que 68 ne puisse être établi qu'après que nos raffineries auront pu se relever
et se mettre au niveau des progrès introduits dans d'autres pays. Ne voulez-vous
pas vous en rapporter à l'industrie, fixez vous-mêmes la progression que le
chiffre de 68 devra subir et l'époque endéans laquelle cette progression devra
se réaliser. Mais ne dépassez, en aucun cas, le rendement exigé dans le pays
avec lequel nos raffineries ont à concourir sur les marchés étrangers.
Depuis avant-hier, messieurs, la situation a quelque peu changé. On reconnaît
que le chiffre de 72 58/100 était exagéré, eu égard à l'état de nos raffineries,
et l'on consent à réduire le rendement à 69 25/100, sauf à l'élever d'une
manière illimitée, si le revenu de trois millions n'était pas atteint.
Par contre, et sans justifier en aucune façon la nécessité de ce revirement,
on réduit à 30 fr. le droit d'accise sur le sucre de betterave primitivement
fixé à 38 fr.
On établit ainsi une différence de 15 fr. entre le droit dont serait
imposé ce sucre et celui dont serait frappé le sucre exotique, tandis que M. le
ministre lui-même, dans son exposé des motifs, a parfaitement prouvé que le
sucre de betterave avait supporté depuis deux ans presque constamment l'égalité
du droit ; la protection qu'avait voulu lui accorder la loi de 1843 ayant été complétement
absorbée par la mévente.
On reconnaissait qu'il ne fallait tenir compte au sucre de betterave que
de la moins-value de ses bas produits, et cette moins-value était évaluée par l'un
de ses défenseurs à 4 fr. sur 100 kil. de sucre brut.
Aujourd'hui c'est une protection de 15 fr. qu'on veut lui accorder, une protection
bien réelle tant à la consommation qu'à l'exportation, sur le marché intérieur
comme sur les marchés étrangers.
Peut-on admettre qu'à pareille condition la lutte soit possible entre les
deux sucres ? Quant au surplus, la partialité dont fait preuve en cette circonstance
M. le ministre des finances ne nous permet pas même d'espérer la répression
efficace de la fraude.
Ainsi, jusqu'à concurrence de 3,800,000 lui., le sucre de betterave ne payera
qu'un droit d'accise de 50 fr. lorsque le sucre exotique aura payé un droit
d'accise de 45 fr. et des droits de douanes qui peuvent s'élever jusqu'à fr. 4
25 par 100 kil. et qui, en moyenne, ne seront pas moins de fr. 5 50 équivalant
à une différence de 5 p. c. sur le rendement.
C'est un véritable privilège qu'on établit en faveur des fabriques actuellement
existantes.
Pour celles qui voudraient s'établir, on leur garantit en tout temps, et
quelle que soit leur production, une protection de 5 francs sur le sucre exotique,
seulement en fait d'accises, les droits de douanes frappant d'ailleurs encore
ce dernier de 5 fr. 50 ; donc réellement une protection de 8 fr. 50 par 100
kil. ; tandis que dans un pays voisin, où, malgré l'égalité du droit, la
production du sucre de betterave s'élève à plus de 40 millions de kil., où,
malgré le régime de l'égalité, le nombre des fabriques augmente dans une
proportion effrayante.
Voici, messieurs, la position du sucre de betterave en France et en Belgique :
(Note du webmaster : le tableau
explicatif, inséré dans les Annales à la suite, n’est pas repris dans la
présente version numérisée.)
II resterait ainsi en faveur du fabricant français une différence, par 100
kil., de 2 fr. 84 c. Mais en France, les fabricants qui raffinent directement
sont frappés (page 1653) d'une
surtaxe des 3/10 du droit, soit 14 fr. 85 par 100 kil., tandis qu'en Belgique
les fabricants qui raffinent sont placés sur la même ligne que ceux qui livrent
leurs produits dans l'état brut.
Mais, dit-on, en France le sucre indigène et le sucre colonial français ne
suffisent point à la consommation ; il faut y suppléer par le sucre des colonies
étrangères soumis à une surtaxe de 20 fr. les 100 kil.
C'est une erreur, messieurs. La consommation du sucre en France s'est élevée
en 1845 à 131,952,037 kil ; la production du sucre indigène y concourt
pour 37,550,737 kil., le sucre colonial français pour 90,853,600. Ensemble,
128,404,337 kil.
En sucre des colonies étrangères on a mis en raffinage en 1845, 11,528,300
kil., dont les produits fins, environ 8,000,000 ont été exportés avec
restitution complète des droits. De ces sucres étrangers, il n'est donc resté
dans la consommation que 3,528,300 kil. presque exclusivement composés des bas
produits n'ayant payé aucun impôt.
La consommation totale s'est ainsi élevée à 131,932,637 kil.
Le sucre de betterave en France, comparativement au sucre indigène en Belgique,
ne jouit donc réellement que d'une protection de 2 fr. 84 par 100 kil. Cette
protection, comme je viens de l'indiquer, résulte de la différence entre la
valeur intrinsèque du sucre blond de la Havane, comparé au sucre colonial
français.
En Belgique, la protection que l'on propose d'accorder est de 15 fr. les
100 kil.
Je n'hésite pas à le dire, le régime français me paraît le plus équitable.
En vain dira-t-on que d'un autre côté, il est fait également au sucre exotique
une concession quant au rendement.
Cette concession, je l'ai déjà dit, est insuffisante pour permettre à nos
raffineurs de soutenir la concurrence avec les raffineries hollandaises. J'en
ai suffisamment indiqué les motifs.
M. le ministre a prétendu hier que le sucre Havane se payait en Hollande
plus cher que le sucre Java d'égale nuance, que, par conséquent, la valeur intrinsèque
du premier est supérieure à celle du second. M. le ministre contredit ainsi un
fait qui est de notoriété publique et que je prouverai dans le cours de la
discussion dès que des renseignements indispensables, et que j'ai demandés me
seront parvenus.
En attendant, je ferai remarquer à M. le ministre que la dénomination de
sucre gris en Hollande correspond à celle de sucre blond en Belgique ; il lui sera
facile de s'en convaincre s'il se fait représenter les échantillons et les descriptions
de la société de commerce des Pays-Bas. J'ajouterai que la tare sur le sucre
Havane est en Hollande de 18 p. c. et qu'il en résulte un avantage d'au moins 5
p. c. contre le sucre Java.
Au surplus, et ceci est une remarque essentielle, et dont je vous prie, messieurs,
de vouloir bien vous pénétrer, toute réduction de rendement ou, en d'autres
termes, toute augmentation de restitution profite au sucre de betterave au même
degré qu'au sucre exotique. Il y aurait donc, dans les nouvelles propositions
de M. le ministre des finances, double faveur pour le sucre indigène : d'abord sur
le droit, puis sur le rendement.
Un exemple vous prouvera cela d'une manière évidente : Si le droit sur le
sucre indigène était resté à 38 fr. et la restitution à 62 fr., les fabricants
de sucre indigène devaient exporter 61 kilog. mélis, lumps et candis pour se
libérer du montant total du droit de 38 fr., et, dans la supposition d'un
rendement effectif de 70 p. c, ils gardaient 9 kilog. à vendre à la consommation
indemne de tous droits.
Si le droit est réduit à 30 fr., avec une égale restitution de 62 fr., le
fabricant ne devra exporter qu'environ 48 kilog. pour se libérer de ces 30 fr.
et gardera ainsi 22 kilog. indemnes de tous droits ; et, enfin, si d'après les
amendements de M. le ministre le droit se trouve porté à 30 fr. et la restitution
à 65 fr., il suffira au fabricant d'exporter environ 46 kilog. mélis, candis et
lumps pour garder 24 kilog. indemnes de droit à la consommation.
Ce bénéfice aura lieu pour le fabricant, soit qu'il vende ses sucres pour
l'exportation, soit qu'il les vende pour la consommation intérieure.
Il est évident que ce sont les prix des sucres raffinés en entrepôt qui établissent
ceux de la consommation et que dès lors ceux-ci sont d'autant plus élevés que
la restitution est plus forte.
En effet, si la valeur du sucre en pain en entrepôt est, par 100 kilogrammes,
de 80 fr., et la restitution d'après le projet primitif de 62 fr., les 100
kilog. vaudront en consommation 142 fr.
Si la restitution est, d'après les amendements, de 65 fr., les 100 kil. se
vendront à la consommation intérieure 145 fr.
Dans le premier cas, le fabricant de sucre indigène aura payé un droit de
38 fr. et n'aura obtenu de son sucre raffiné que 112 fr.
Dans le second cas, il aura seulement payé 30 fr. et, d'un autre côté, reçu
145 fr.
Ainsi double bénéfice pour lui.
Vous voyez ainsi, messieurs, quelle énorme différence il y a entre le projet
primitif et les amendements.
En effet, d'après le projet primitif, le rendement était fixé à 72 58/100,
il se trouve réduit à 60 25/100 d'après les amendements.
Tout l'avantage qui résulte pour les raffineries de cette modification, se
réduit à 2 fr. les 100 kilogr. de sucre brut.
Pour le sucre de betterave, le droit d'accise dans le projet primitif était
fixé à 38 fr. Les amendements le réduisent à 30 fr. Différence 8 fr. par 100
kilogr., et, en outre, le sucre de betterave, ainsi que je l'ai dit, profite de
la différence accordée au sucre exotique par la réduction du rendement.
Ainsi les amendements proposés profitent au sucre de betterave pour environ
10 francs. Au sucre de canne pour environ 2 fr.
En outre, M. le ministre nous a dit hier que la production officiellement
constatée du sucre indigène ne s'est élevée qu'à 2,500,000 kil. M. le ministre
a donc admis une fraude de 25 p. c, et il a ainsi évalué la production réelle à
environ 3,200,000 kil.
Si, ce que je ne puis admettre, il existait des motifs fondés pour accorder
une réduction des droits à la production actuelle, c'est-à-dire, à 3,200,000
kil., il n'y aurait certes aucun motif à alléguer pour étendre cette faveur à
une production supérieure, à moins que l'on veuille franchement admettre que la
fraude a été réellement de 50 p. c. et qu'ainsi la production actuelle est de
3,750,000 kil.
En dernière analyse, M. le ministre pose pour le sucre indigène un maximum
de droit de 40 fr., quel que soit l'état de cette industrie, et fût-il prouvé
qu'elle pourrait subir un droit plus élevé.
Voyons maintenant, messieurs, si M. le ministre a eu pour le commerce et
l'industrie les mêmes ménagements.
M. le ministre avait proposé un rendement de 72-58. On lui a prouvé que l'industrie
ne pouvait pas supporter ce rendement en présence de la concurrence hollandaise.
Il en a été convaincu ; il n'y a donc aucun mérite à changer une disposition
qui faisait de la loi une lettre morte, d'autant plus qu'en agissant ainsi, il
accordait, ainsi que je l'ai prouvé et par la même mesure, une égale faveur au
sucre indigène.
En abaissant le rendement, s'est-il au moins exécuté généreusement ? A-t-il
admis le taux qu'on lui a prouvé ne pas pouvoir être dépassé ? Il est resté à
60-25, taux toujours trop élevé pour concourir avec la Hollande dans l'état
actuel de l'industrie du raffinage en Belgique.
A-t-il aussi, comme pour le droit sur le sucre de betterave, admis, pour
le rendement, un maximum qu'on ne pouvait dépasser sans en référer aux chambres
? Non, ici sa sollicitude pour le trésor l'emporte. II dit à la betterave :Vous,
vous pouvez être rassurée, pourvu que vous ne dépassiez pas 3,800,000 kil. je
vous constitue un privilège ; recette suffisante ou insuffisante, cela ne vous
regarde pas ; mais vous, sucre exotique, si vous perfectionnez votre industrie,
votre rendement sera augmenté, augmenté sans limites, car il me faut mes trois
millions, et vous devez combler le déficit que m'occasionne le sucre de
betterave.
Si à 72 1/2 la recette n'est pas atteinte, je vous imposerai 75, 74, 73,
quoique certainement la lutte serait impossible en ce cas avec les raffineries hollandaises,
mais alors du moins les intérêts du sucre de betterave seront saufs, car vous
ne vendrez sur le marché intérieur qu'avec un droit de 45 fr., tandis que le
sucre indigène ne sera imposé que de 30 fr.
Je le demande, messieurs, est-ce là de la justice distributive ?
D'un côté, avec le rendement légal de 60-23 et dans la supposition d'un rendement
réel de 70 p. c, le sucre exotique pourrait livrer à la consommation intérieure,
indemne de droit, 3/4 de kilog., et de l'autre, le sucre de betterave pourrait
en livrer 24. Et cela quand M. le ministre vient vous dire lui-même que le
sucre indigène peut supporter l'égalité avec une simple différence pour
moins-value des bas produits. N'est-ce pas là de la partialité ?
J'ajouterai que les propositions de M, le ministre des finances donnent un
nouvel appât à la fraude ; d'un côté les fabricants chercheront à échapper au
droit quel qu'il soit, et de l'autre à éviter la majoration. Nouveau déficit que
devrait combler le sucre exotique par une nouvelle majoration de rendement.
Vous le voyez, messieurs, les amendements de M. le ministre constitueraient,
pour le sucre exotique, une position de plus en plus défavorable. Ce n'est pas
là franchement admettre la coexistence des deux sucres ; c'est sacrifier le
sucre exotique, le commerce et la navigation au sucre de betterave.
Et après cela, messieurs, M. le ministre des finances viendra vous dire qu'il
considérerait comme un malheur pour le pays, la production illimitée du sucre
de betterave, parce qu'il y verrait la ruine du commerce !
Messieurs, c'est une dérision !
On a réduit à 30 fr. le droit d'accise sur le sucre de betterave ; puis,
si la recette de 3 millions exigée par le trésor n'est pas atteinte, c'est au sucre
exotique que l'on s'en prendra, on forcera son rendement, non pas jusqu'à 72
1/2, mais d'une manière illimitée, jusqu'à 80 au besoin, alors que ses concurrents
naturels n'auront à produire que 72 97/100, et n'auront aucun droit de douane à
payer.
Je le répète, messieurs, c'est une dérision, une partialité inqualifiable
; on veut tuer l'ancienne industrie des villes au profit de l'industrie
nouvelle des campagnes. Le ministère ne pouvait faire moins.
Messieurs, je vous demanderai la permission de répondre quelques mots au
discours de l'honorable M. de La Coste, qui faisait comme moi partie de la section
centrale.
L'honorable membre vous a dit, messieurs, partant de l'introduction en Belgique
du sucre de betterave, qu'il fallait rendre hommage aux importateurs de cette
industrie, qui, comme toutes les industries nouvelles (page 1654) avait à lutter contre des préjuges et dos clameurs
intéressées. Il ne faut pas combattre, dit l'honorable membre, les industries
nouvelles, les conquêtes de la science et du génie de l'homme.
Non, messieurs, lorsque ces inventions, ces conquêtes de la science sont
réellement utiles et viennent améliorer la condition du plus grand nombre d’hommes,
il ne faut pas les combattre. Mais, sous ce rapport, je ne partage pas
l'opinion de l'honorable membre. Je ne crois pas que l'introduction de la fabrication
du sucre de betterave soit un bienfait pour l'humanité, dans ce sens que cette
industrie puisse donner plus de travail, occuper un plus grand nombre de bras
que l'industrie et le commerce du sucre exotique, qui occupe la navigation et
qui seul peut assurer sa prospérité et son développement.
Le sucre exotique, dit l'honorable membre, ne peut exister qu'avec une prime
puisée dans le trésor, tandis que le sucre de betterave existerait avec une
protection de douane, profitable au trésor. Il est évident, messieurs, que si
vous livrez le marché intérieur exclusivement au sucre de betterave en le protégeant
par un droit de douane plus élevé que celui que supporte actuellement le sucre
exotique, la fabrication du sucre se développera dans le pays. Mais ce que je
ne puis admettre, c'est que le trésor y gagnera quelque chose. Le sucre
exotique n'arriverait plus et votre droit de douane serait une lettre morte,
quant aux recettes qu'il devrait produire. Quant à la prime, messieurs, elle
est en effet indispensable à l'exportation, mais aussi bien à l'exportation du
raffiné exotique que du raffiné indigène.
M. le ministre vous l'a dit, comme je l'avais avancé moi-même, si toute l'importance
du raffinage devait se borner aux besoins de la consommation intérieure, alors
la loi, au lieu d'être industrielle, financière et commerciale, devrait être
exclusivement financière, et le trésor pourrait prétendre à un revenu qui ne
serait plus atténué que par la fraude.
L'honorable membre vous a dit encore que le sucre raffiné prenait dans nos
exportations la place d'autres produits. Je vous avoue, messieurs, que je ne
comprends réellement pas la valeur ou la portée de cet argument, car l'honorable
membre ne peut prétendre qu'il puisse nous manquer des moyens de transport.
Ce que je sais, c'est qu'avant que le sucre raffiné ne fût parvenu à se créer
des débouchés dans les échelles du Levant, l'exportation de nos clous et verres
à vitres dans ces parages était complétement nulle.
Le commerce, dit l'honorable membre, veut un rendement trop bas. Le commerce
veut le rendement le plus élevé possible. Il y est le plus intéressé ; M. le
ministre des finances l'a suffisamment établi. Mais le commerce ne veut pas
l'impossible. Il veut que vous permettiez d'abord aux raffineries de se relever,
sauf à leur imposer plus tard un rendement plus élevé, mais qui leur permette
cependant de lutter avec l'industrie étrangère.
Le commerce est moins égoïste qu'on ne le croit, il ne veut pas substituer
des raffineries nouvelles à celles qui se trouvent ruinées, il veut permettre à
celles-ci de se relever, pour marcher ensuite avec elles dans une voie
nouvelle.
L'avilissement des prix du sucre sur le marché
intérieur, était plutôt occasionné, a dit l'honorable membre, par le bas rendement
que par la retenue de 4/10. Consultez, messieurs, le passé ; avec un rendement
de 57, les prix sur le marché intérieur se sont maintenus. Le trésor seul a été
frustré de son revenu.
L'honorable membre a dit encore, parlant de la progression du droit d'accise
sur les produits de la fabrication dépassant 3,800,000 fr. que peut-être les
grands établissements supporteraient cette aggravation d'impôt, mais qu'à coup
sûr, les petits y succomberaient.
Prenez en main, messieurs, le tableau joint à mon rapport, et vous verrez
que les grands établissements sont précisément ceux où l'on est parvenu à tirer
le moins de sucre de la plus grande quantité de jus.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs, les accusations de partialité dans des discussions comme celle-ci
ne sont pas faites pour m'étonner, moins encore pour m'émouvoir beaucoup.
Lorsque le projet de loi soumis actuellement à vos délibérations a été rédigé,
j'ai prévu que si je ne satisfaisais complétement, jusqu'au dernier mot, tous
les vœux d'une des deux industries, je serais accusé de partialité. Mes
espérances ont été dépassées, l'honorable membre vient de m'accuser de quelque
chose de plus.
Il s'agit, dit-il, de détruire l'industrie des villes au profit d'une nouvelle
industrie des campagnes. L'on n'attendait pas moins du ministère actuel. En
présence de quels faits cette accusation est-elle formulée ?
J'ai été témoin pendant quelque temps des regrets, de l'émotion, des plaintes
que causait à Anvers la loi du 4 avril 1843. On faisait alors au gouvernement
un grief de ne pas vouloir immédiatement réviser, améliorer cette loi dans
l'intérêt de notre métropole commerciale ?
Dès que je suis entré aux affaires, je me suis occupé de la question des
sucres ; je m'en suis occupé à un point de vue commercial, j'ai sauvegardé par le
projet comme je soutiens devant vous les intérêts du commerce, j'ai combattu ce
qui me paraissait exclusif tant d'un côté que de l'autre. et en présence de cette
position du gouvernement, lorsque nous sommes seulement divisés par un franc,
quant au chiffre de la décharge, l'on vient vous dire que le gouvernement
sacrifie l'industrie des villes au profit de la nouvelle industrie des
campagnes !
Je le savais, dès que je n'irais pas jusqu'à l'extrême, j'allais presque
dire jusqu'à l'absurde, je devais être accusé de partialité, de vouloir du mal ;
j'avais droit à de l'ingratitude.
Les hommes qui sont aujourd'hui au pouvoir, n'ont pas été seuls accusés ;
l'honorable membre a commencé par se plaindre de la lutte déplorable qui existe,
qui se reproduit chaque jour entre les industries ; l'honorable membre
croit-il donc qu'on puisse avoir un gouvernement libre, un gouvernement où tous
les intérêts ont leurs organes, sans que ces intérêts viennent se faire jour à
cette tribune, sans qu'ils viennent ici plaider leur cause, sans qu'il y ait
lutte entre eux ?
Vouloir qu'il n'y ait pas de lutte entre les intérêts qui existent dans le
pays, c'est vouloir qu'il n'y ait plus en Belgique de gouvernement constitutionnel,
qu'il n'y ait plus de véritable représentation des intérêts du pays. Cette
lutte des intérêts, des opinions, est de l'essence de notre gouvernement ; elle
vient se résumer en votes qui représentent la volonté générale.
On peut dire dans la législature qu'on déplore les erreurs qui y auraient
été commises, mais on ne peut pas dire qu'il ait existé dans le passé ou qu'il
existe maintenant dans la législature un système machiavélique de comprimer
l'essor de l'industrie, d'arrêter le développement du commerce ; si on le
disait, on ferait la critique la plus amère, la plus sanglante des institutions
que la Belgique s'est données ; et cette critique, je ne m'y associerais
jamais, parce que j'ai foi dans nos institutions.
Que dit-on encore ? Le gouvernement, quand il a fait le projet de loi, s'est
occupé d'un seul intérêt, de l'intérêt du trésor. On s’exprime ainsi en présence
d'une proposition qui sacrifie en faveur de l'industrie au nom de laquelle ce
reproche est articulé une recette de près de trois millions.
M.
Loos. - On ne sacrifie pas trois millions.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Soit ; mettons deux millions et demi, ne marchandons pas.
Pour moi, messieurs, je me tiendrai, quelles que puissent être les accusations
personnelles qu'on m'adresse, les expressions qu'on emploie, je me tiendrai
dans cette position que j'ai prise, elle convient au gouvernement ; seule elle
peut aider à faire une bonne loi sur les sucres en Belgique ; cette position
d'impartialité qui accepte les faits prend égard à tous les intérêts existants,
ne cherche pas à détruire l'un au profit de l'autre. J'invite la chambre à la
prendre, c'est de cette position que s'écarte l'honorable préopinant.
La plupart des objections que vous entendez proviennent de ce qu'on n'accepte
pas franchement la coexistence des deux sucres. Si on l'acceptait franchement
on serait satisfait de la part que la loi réserve à l'industrie du sucre
exotique, part large et grande ; on ne bataillerait pas sur les moindres chiffres
pour faire à cette industrie une part certaine, mais modeste, sur le marché
intérieur et dans le mouvement des opérations.
Si je voulais, et je suis vraiment tenté de toucher aussi ce point de la
question, je dirais qu'on ne se préoccupe pas ici de la véritable question commerciale
; ou cherche à réaliser une prime immédiate, un bénéfice momentané, on se
préoccupe du présent, on n'a pas égard aux nécessités de l'avenir. Je crois que
des propositions telles que celles que j'ai soumises à la chambre, ont un
caractère plus commercial, plus industriel que le système soutenu par l'honorable
rapporteur.
II y a aussi deux intérêts dans la question des sucres exotiques : le commerce
proprement dit, et l'industrie des raffineurs, quand vous diminuez le chiffre
du rendement, vous augmentez la prime, et l'industrie existante peut, dans un
temps donné, réaliser plus de bénéfices, avoir une meilleure position.
Mais alors le mouvement commercial est restreint ; cette diminution du rendement
peut produire un autre inconvénient dont on ne se doute pas assez ; en donnant
un appât immédiat, considérable, vous risquez de surexciter cette industrie,
d'une manière qui serait nuisible, fatale, peut-être, qui amènerait une partie
des résultats de la loi de 1843.
Si au contraire le projet est réglé de telle manière que la coexistence de
l'industrie indigène soit possible, mais que sa production ne soit pas exagérée
; si, pour l'industrie du sucre exotique, vous vous arrêtez à ce qu'exigent des
nécessités bien démontrées, il est possible que cette conséquence très grave
qui détruirait les effets de la loi ne se manifesterait pas.
Je suis en droit de dire que la proposition du gouvernement est plus commerciale,
plus favorable à l'industrie des villes (puisqu'on nous a parqués maintenant en
villes et en campagnes) que celle de l'honorable rapporteur.
La part que j'ai voulu assurer à l'industrie indigène, en tenant compte des
faits, est le tiers du marché intérieur ; j'ai voulu de plus l'associer au mouvement
d'exportation.
Par cette double combinaison, j'ai fait de deux manières du bien au
sucre exotique. D'une part, j'empêche le développement exagéré, illimité d'une industrie
rivale, et, pour le dire en passant, n'est-ce pas déjà un bienfait pour
l'industrie du sucre exotique que la discussion actuelle ?
Si la loi de 1843 devait être maintenue, qu'arriverait-il ? Laquelle des
deux industries périrait la première ? L'honorable membre ne contestera pas que
ce ne soit l'industrie exotique. Cette discussion
est donc un bienfait pour l'industrie exotique. Dieu me garde, au reste, de le
lui reprocher !
J'ai donc voulu que le sucre de betterave eût sur le marché intérieur une
position limitée, mais assurée, et que le marché intérieur fût plus libre, plus
dégagé, malgré la présence de cette industrie concurrente.
Ce problème, je crois que le projet l'a résolu, notamment par l'égalité de
la décharge à l'exportation.
Si l'on acceptait la coexistence sérieuse, réelle, telle que je l'ai proposée,
si au lieu de voir dans l'industrie du sucre exotique une ennemie dont il faut
se débarrasser, on voyait en elle une compagne avec laquelle on doit vivre,
quoiqu'il y ait une certaine incompatibilité d'humeur, on raisonnerait d'une
toute autre manière. On dirait : Le sucre de (page 1655) betterave ayant sur le marché intérieur le tiers de la
consommation, il faut seulement supposer que la consommation de la Belgique, au
lieu d'être de 12 millions et demi, est seulement de 9 millions. Voilà les faits
dans toute leur vérité. J'assure à l'industrie indigène le tiers du marché
belge par les propositions que j'ai faites. Je lui défends d'aller au-delà de
4,200,000 kilog. de mise en fabrication.
Pour le sucre exotique, au contraire, quels seront les effets du système
?
D'après le projet que j'ai soumis à la chambre, il pourra atteindre la plus
grande prospérité qu'il ait eue en Belgique depuis 1830 : une mise en raffinage
de près de 24 millions de kil. ; un mouvement commercial d'au-delà de 37
millions de kil. Et c'est en présence de ce fait qu'on vient dire encore une fois
qu'il s'agit de sacrifier l'industrie des villes à la nouvelle industrie des
campagnes.
On dit que de deux manières j'accorde des avantages à l'industrie du sucre
indigène, tandis que je frappe le sucre exotique. Messieurs, est-il exact de
prétendre, lorsqu'une augmentation est faite de la décharge à l'exportation, que
le sucre exotique, et le sucre indigène ont intérêt au même degré ? Evidemment
non, c'est comme si l'on disait qu'actionnaire dans une société pour mille
francs, j'ai au même degré intérêt à la prospérité de cette société que celui
qui serait possesseur d'un million d'actions. L'intérêt est proportionnel au
mouvement. Or, je l'ai déjà indiqué, la proportion est de 4 à 37.
Si donc j'ai diminué le chiffre du rendement, si en d'autres termes j'ai
augmenté la décharge, c'est principalement, et d'après ces chiffres, je pourrais
dire presque exclusivement dans l'intérêt du sucre exotique.
M. Eloy de Burdinne. - C'est ce que je démontrerai.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Je croyais, messieurs, avoir déjà indiqué les faits principaux, d'où il
résulte que la concurrence de notre industrie, d'après les bases du projet, sera
possible avec l'industrie hollandaise. L'honorable M. Loos ayant contesté quelques
faits, j'y reviens.
Et d'abord, messieurs, la différence de rendement n'est pas peu de chose.
L'honorable rapporteur a omis de démontrer qu'avec 3 kil. 67 p. c, cette
concurrence était impossible, tandis qu'elle serait possible avec un seul franc
de différence en plus. C'est là ce qu'il faut démontrer, et si l'on me le démontre,
je n'hésite pas à dire que je reviendrai volontiers d'une erreur. J'en
reviendrai d'autant plus volontiers que dans la question des sucres à peu près
tout le monde s'est trompé à son tour.
Il faut donc que l'on me démontre que cette différence dans le rendement
ne suffit pas, que la lutte est impossible et qu'une différence d'un franc en plus
dans la décharge y suffirait. Je convie les adversaires du projet à fournir
cette preuve.
Un autre avantage, dit l'honorable M. Loos, est le grand marché des sucres.
Mais, messieurs, si j'ai bon souvenir, dans cette discussion même, les partisans
du sucre exotique ont dit et ont démontré que si la Belgique avait, comme la
Hollande, une grande exportation, elle aurait un grand marché, et cela est
évident à première vue.
Si nous n'avons pas eu de marché de sucre, c'est parce que nous n'avons pas
de débit de sucre. Mais le jour où le mouvement que la loi vous permet d'atteindre
aura lieu, vous aurez un marché de sucre en Belgique, et, sous ce rapport
encore, la condition sera égalisée.
J'ai produit, dès le début de la discussion, quelques aperçus sur les prix
comparés des divers sucres. L'honorable membre conteste ce fait et il a eu l'obligeance
de me communiquer deux lettres. L'une datée du 11 juin, dit : « En réponse à la
question que vous nous soumettez par votre honorable lettre d'hier, nous avons
l'honneur de vous faire part que les raffineurs de notre pays donnent au sucre
java une préférence marquée comparativement au sucre havane, en sorte que le
java de belle qualité se paye fl. 3|4 par 100 kilog. plus cher que la même
nuance en Havane. »
L'autre dit également : « En réponse à votre honorée d'hier, nous partageons
entièrement votre opinion que la différence de nuance égale, sucre java contre
sucre havane, est d'un florin par 100 kilog. »
Voici maintenant, messieurs, les faits tels qu'ils ont été relevés sur bulletins
imprimés chaque année et publiés en Hollande, et qui, si je ne me trompe, sont
officiels. Je ne prendrai qu'une seule année, celle de 1845 ; presque toutes se
ressemblent.
M.
Loos, rapporteur. - Je me réserve de vous
prouver par des pièces plus officielles que des lettres particulières, par
expertises de courtiers, les faits que j'ai avancés.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - L'honorable rapporteur ni personne ne doit s'effrayer. Je n'ai pas l'intention
de lire tout le tableau que j'ai sous les yeux. Je ne citerai qu'un ou deux
chiffres, pour que l'honorable membre puisse mieux les réfuter.
Ainsi, le java blond est porté de 38 à 42.
Le havane blond de 42 à 48.
Le java brun de 31 à 33
Le havane brun de 35 à 40.
Je vois les mêmes faits se reproduire à Anvers.
D'après ces chiffres, fallût-il descendre d’une nuance, il y aurait tout
au moins égalité. (Interruption.)
On me dit, messieurs, que ces faits sont de notoriété ; moi-même en présence
d'une affirmation positive sur la supériorité du sucre java, je n'ai produit
ces chiffres qu'avec une certaine réserve, j'allais presque dire avec quelque
doute, et j'ai demandé, dès la première fois que je les ai cités, qu'on voulût
bien m'expliquer comment il était possible, sinon à raison de la valeur intrinsèque
des deux sucres, d'expliquer cette différence des prix en entrepôt, alors que
pour les droits de douane, s'il y a un droit quelconque, c'est principalement
sur le sucre havane qu'il doit porter. En effet, en Hollande le droit de douane
est, par pavillon national, de 20 cents, et par pavillon étranger d'un florin
par 100 kilos. Si le droit de douane doit être ajouté à l'un des deux sucres,
c'est évidemment au sucre havane, au sucre étranger, puisque la navigation
nationale a pour ainsi dire le monopole, sinon tout le monopole de la
navigation avec les colonies hollandaises.
Hier encore, messieurs, j'ai fait remarquer à la chambre, que l'on s'effrayait
à tort de la faculté réservée au gouvernement par l'article 4 du projet. J'ai
démontré par des faits qu'il était impossible que l'augmentation du rendement
eût pour effet de trop restreindre ou de détruire l’exportation. J'ai démontré
notamment que lorsque le mouvement commercial serait arrivé à 37 millions, il
faudrait, dans le cours d'un semestre, plus de 12 millions d'augmentation pour
qu'il y eût lieu à ramener le rendement au taux où sera dès l'année prochaine
le rendement hollandais.
On me dit : Mettez un maximum. Messieurs, je vous dirai franchement pourquoi
je n'en admets pas un dans la loi. J'ai lu, j'ai examiné la discussion qui a eu
lieu en Hollande et j'ai examiné aussi quel doit être le but, quelle doit être
à peu près la durée de la loi hollandaise.
En Hollande on veut graduellement augmenter le rendement d'ici à quelques
années, et on ne l'a point dissimulé ; il est probable que dans l'intérêt du
mouvement commercial, que l'on y comprend d'une manière très large, l'on
augmentera encore le rendement. Si cette supposition se réalisait et si alors
on élevait le rendement même au-dessus de 72-38, qui est le maximum désiré par
les honorables membres, nous resterions encore de 2 ou 3 au-dessous du
rendement hollandais et dès lors la concurrence resterait possible.
Le rendement, on l'a dit, est le thermomètre de la prospérité des raffineries
; je crois qu'il ne faut pas comprimer ce thermomètre, qu'il faut lui laisser
son jeu naturel, qu'il n'est pas nécessaire d'empêcher la colonne de monter.
Un
membre. - Faites la même chose pour le sucre
indigène.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - On me dit : » Faites la même chose pour le sucre indigène. » Je saisis
cette occasion pour faire observer à la chambre qu'il y a absence complète de
connexité entre le but de l'article 4 qui est de diminuer la décharge, et le
but de l'article 5 nouveau, qui limite la production : Lorsque je diminue la
décharge, je prends une disposition qui atteint, non pas également, mais
proportionnellement les deux industries, une disposition qui a ses motifs dans
une idée de recette, dans le besoin de maintenir intact un des principes de la
loi, le principe financier.
Lorsqu'il s'agit, au contraire, de faire usage de l'article 8 du projet,
d'augmenter le droit d'accise sur le sucre de betterave, le but est encore de maintenir,
mais à l'égard d'une industrie seulement, à l'égard de l'industrie du sucre
indigène, un des principes de pondération qui servent de base à la loi, en
empêchant que l'une de ces industries ne prenne un développement qui détruise
le système de la loi.
Ainsi, le maximum que l'on demande est contraire à l'un des principes de
la loi, parce qu'il s'agit là de garantir en tout cas la recette à fournir par les
deux industries, proportionnellement à leur production.
L'augmentation du droit d'accise, au contraire, est spéciale au sucre de
betterave et elle est établie, non pas dans un but de recette, mais, dans le but
de protéger l'industrie du sucre exotique, d'empêcher, en d'autres termes, que
le sucre indigène ne prenne une trop grande place, une place exclusive, au préjudice
du sucre exotique.
J'ai constamment établi mes arguments sur le rendement moyen de la Hollande,
c'est-à-dire 72-90. Je ne sais comment l'honorable membre a calculé pour
arriver à la moyenne de 71 et une fraction, qu'il nous a indiquée, mais je vous
dirai de quelle manière j'ai calculé la mienne et, sauf meilleur avis, je pense
que c'est le seul moyen d'arriver à une moyenne exacte.
En Hollande, le sucre candi entre dans le mouvement pour 5 à 4 p. c, en Belgique
il entre dans le mouvement pour environ 12 p. c ; lorsqu'on veut faire, pour la
Hollande, une moyenne, il faut prendre, d'une part, la quantité de sucre candi
et toutes les autres quantités, faire l'addition et la moyenne. Si vous ne
tenez pas compte des quantités, notre moyenne sera complétement fausse. Eh
bien, messieurs, en calculant sur les quantités de sucre candi et d'autres
sucres, on arrive à une moyenne, non pas de 71 et une fraction, mais de 72 90.
Je n'entrerai pas plus avant pour le moment dans
cette question. Les points de détail appartiennent nécessairement à la discussion
des articles. La discussion générale, telle qu'elle est engagée, je l'appelle
encore sur les moyens d'assurer la coexistence des deux industries. Je demande
que l'on démontre, et d'une manière complète, que le système de pondération,
tel que je l'ai combiné avec impartialité, je le crois, dans l'intérêt des deux
industries, que ce système est mal établi, qu'il doit avoir pour effet de nuire
essentiellement soit à l'une, soit à l'autre.
M.
de Breyne. - Messieurs, le projet de
loi, qui est soumis à nos délibérations, présente des questions importantes et
difficiles à résoudre. Concilier les intérêts du trésor et ceux de deux
industries rivales, qui, depuis plusieurs années, se trouvent en présence, me
semble un véritable nœud gordien, que nous ne parviendrons pas facilement à
trancher à la satisfaction des divers intéressés.
Dans la troisième section dont je faisais partie, j'ai voté pour le (page 1656) maintien de la coexistence des
deux industries, mais à condition cependant que les intérêts du trésor fussent
sauvegardés.
Je veux que le sucre, qui est une matière éminemment imposable, vienne contribuer
pour une bonne part dans les ressources de l'Etat.
Le produit de l'impôt sur le sucre, fixé par M. le ministre des finances,
à un minimum de trois millions de francs, me semble très modéré ; et, j'ose le
dire, je serai disposé à aller bien au-delà, en présence de la situation dans
laquelle se trouve le trésor, en présence des besoins nombreux qui surgissent
tous les jours et des améliorations indispensables que l'on réclame de tous les
points du royaume.
L'accise sur le sucre est un impôt indirect sur un objet de luxe, consommé
par le riche, et qui n'atteint pas le pauvre. Nous devons nous estimer heureux
de trouver dans le sucre une bonne matière imposable, alors qu'un grand nombre
d'objets de consommation et de première nécessité se trouvent déjà fortement
imposés.
Messieurs, nous voyons dans l'exposé des motifs, que M. le ministre des finances,
animé de l'intention la plus louable, forme des vœux pour que la discussion
reste sur le terrain de la conciliation. Je partage entièrement ses vœux à cet
égard, et si je promets de contribuer de toutes mes forces pour arriver au but
qu'il se propose d'atteindre, je dois le dire, les moyens proposés par M. le
ministre ne semblent pas répondre à ses prévisions, et la fabrication indigène
me paraît destinée à succomber sous le poids de la lourde charge que le projet
ministériel lui réserve.
Messieurs, je vous le déclare franchement, la fabrication indigène, comme
se rattachant directement à l'agriculture, a toutes mes sympathies ; mais, je
le répète, je désire la conservation de tous les intérêts qui se trouvent
actuellement en présence.
La fabrication du sucre de betterave est, comme la distillerie agricole,
un élément de prospérité pour l'agriculture. Elle amende les terres et en augmente
les produits ; elle favorise l'élève et le nourrissage des bestiaux ; elle
procure, durant neuf mois de l'année, et surtout dans la saison rigoureuse de l'hiver,
un travail assuré à une infinité de bras ; et enfin elle est appelée à fournir
de bonnes recettes au trésor.
Depuis plusieurs années, messieurs, différentes provinces du royaume, et
principalement les Flandres, jadis si florissantes, ne cessent de se débattre
contre l'affreuse misère qui y accable la population, par suite de la détresse toujours
croissante de la question linière.
Combien de fois n'avons-nous pas entendu les représentations des districts
liniers nous dépeindre l'affreuse situation de ces contrées ?
Combien de fois n'ont-ils pas invité le gouvernement à mettre en œuvre tous
les moyens possibles pour arracher le pays à cette terrible calamité ?
Le gouvernement, messieurs, est impuissant pour résister au mouvement et
à la force des choses, et, malgré tous ses efforts, malgré toute sa bonne volonté,
je crains beaucoup que nous ne voyions se restreindre, de jour en jour, le
débouché actuel de nos produits liniers.
Dans la fâcheuse position dans laquelle se trouve une grande partie du pays,
que doit-on faire de ces milliers de bras inoccupés, de ce grand nombre d'individus
qui, nés et élevés à la campagne, ne connaissent que les travaux des champs ou
toute industrie qui s'y rattache ? Ne faut-il pas chercher à introduire dans le
pays des industries nouvelles qui ont pour base l'agriculture ? Et parmi ces
industries, peut-on en citer une seule qui présente plus de chances d'occuper
notre population agricole, que la fabrication du sucre de betterave ?
Nous savons tous que l'industrie linière offrait encore, il y a quelques
années, une ressource inépuisable à la classe ouvrière de la campagne, en occupant
tous les bras depuis l'enfant jusqu'au vieillard. Eh bien, messieurs, nous
sommes en présence d'une industrie qui nous présente les mêmes ressources ; la
fabrication du sucre de betterave, depuis le semis de la plante jusqu'à la production
du sucre, occupe un nombre de bras considérable et procure de l'ouvrage aux
personnes des deux sexes et de tout âge.
Je dis donc qu'il importe au pays que la fabrication du sucre de betterave
soit fortement encouragée, afin de procurer des moyens d'existence à notre
malheureuse population des campagnes ; et comme je suis intimement convaincu
des moyens efficaces que cette industrie nous présente sous ce rapport, et que
je puis en parler avec parfaite connaissance de cause par ce qui se passe sous
mes yeux, je n'hésite pas à le dire, si nous avions vingt-cinq ou trente de ces
fabriques dans les Flandres, les maux produits par le dépérissement de
l'industrie linière seraient fortement soulagés.
Je prie mes honorables collègues des Flandres, qui nous ont si souvent dépeint
les souffrances extrêmes de la classe ouvrière de ces provinces, avec des
couleurs sombres et des expressions énergiques et douloureuses, je les prie, dis-je,
d'examiner sérieusement si l'établissement des sucreries de betterave ne pourrait
pas offrir un excellent remède à tant de maux.
J'engage le gouvernement à méditer attentivement
cette question, et je suis certain qu'il y trouvera une source abondante propre
à soulager les classes ouvrières, en leur procurant une augmentation de travail
sur les lieux mêmes où jadis l'industrie linière occupait tous les bras.
Mais en présence du projet ministériel, en présence des conditions accablantes
que l'on met à la charge de la fabrication indigène, peut-on encore douter de
la véritable intention du gouvernement ? Non, messieurs ; loin d'encourager le
développement de l'industrie du sucre indigène, qui pourrait devenir une source
de bien-être pour des milliers de malheureux, la mesure du gouvernement tend
directement à faire périr lentement la fabrication de la betterave et à
sacrifier ainsi les intérêts de nos campagnes.
Je termine, messieurs, en exprimant le vœu que la discussion puisse faire
surgir un véritable moyen de conciliation, et que la chambre ne perde pas de
vue qu'il s'agit aujourd'hui de la vie ou de la mort d'une industrie qui se rattache
directement au sol, d'une industrie éminemment nationale.
M.
Veydt. - Messieurs, avant d'entrer dans la
discussion générale, je dois quelques mots de réponse à l'honorable ministre
des finances. Je suis persuadé que M. le rapporteur de la section centrale n'a
pas entendu lui reprocher d'avoir l'intention bien arrêtée de détruire l'industrie
des villes au profit de celle des campagnes ; mais je dois avouer aussi que l'impression
produite par les amendements que M. le ministre vous a présentés, le premier
jour de la discussion, a été telle pour moi que j'ai cru qu'il y avait un
revirement d'opinion et que l'honorable M. Malou renonçait désormais à maintenir
l'équilibre entre les deux industries.
Je vous avoue, messieurs, que, jusqu'à preuve contraire, je regarde le nouvel
amendement qui réduit l'accise de 38 fr. à 30 en faveur du sucre de betterave, comme
allant directement contre les vues que M. le ministre avait manifestées d'abord
au sujet de la pondération et de la coexistence des deux industries.
M. le ministre a reproché aux défenseurs du sucre exotique de vouloir aller
à l'extrême ; je pense que ce reproche est tout à fait dénué de fondement. Nous
avons admis, messieurs, un rendement graduel ; nous le voulons assez efficace
pour assurer au trésor la somme qu'il réclame, et nous n'aspirons nullement, ce
serait en vain d'ailleurs, à favoriser exclusivement le sucre exotique.
M. le ministre vous a dit encore qu'il va jusqu'à sacrifier, aux dépens du
trésor, une somme de 2 millions et demi. Messieurs, si c'était un sacrifice net
imposé au trésor, le devoir du ministre des finances serait de s'y opposer. Pourquoi
ne s'y oppose-t-il pas ? C'est parce qu'il a reconnu, comme tous ses prédécesseurs,
la nécessité de conserver à la loi son triple caractère de loi financière,
commerciale et industrielle ; c'est pour cela qu'il accepte le prétendu
sacrifice sans lequel la navigation et le commerce d'échange seraient bientôt
complétement paralysés.
Messieurs, quant à moi, je me rends à la coexistence des deux industries
; ce n'est pas moi qui empêcherai le sucre de betteraves d'exister, sous des conditions
raisonnables de vitalité, comme M. le ministre des finances semblait d'abord le
vouloir ; mais, messieurs, ce qui m'inspire de la défiance et ce qui a probablement
porté mon honorable ami, M. Loos, à s'exprimer avec une certaine vivacité, ce
sont les nouveaux amendements et les discours prononcés par les honorables MM.
de Renesse et Eloy de Burdinne, qui, eux, ne veulent pas sérieusement la coexistence
; en effet, ces discours tendent à opprimer l'industrie du raffinage et le
commerce du sucre exotique, à les rendre désormais impossibles. (Interruption.)
Avec la loi de 1843, messieurs, l'industrie du sucre exotique devait périr,
et le trésor devait par le contrecoup éprouver un préjudice notable ; ces
considérations ont porté M. le ministre à proposer le changement de la loi de
1845, qui ne trouve plus aujourd'hui aucun défenseur.
Je veux me renfermer dans les divers points qu'il s'agit de résoudre et qui
ont été nettement posés, au début de cette discussion, par M. le ministre des
finances. Le triple caractère de loi financière, industrielle et commerciale a
constamment été maintenu dans toutes les révisions de la législation sur les
sucres. La section centrale a été d'un avis unanime sur cette question seule.
L'honorable M. d'Huart, lorsqu'il était à la tête de l'administration des
finances, a également reconnu qu'il fallait que la loi eût le caractère de loi
commerciale. J'ai sous les yeux les paroles qu'il a prononcées à la séance du
30 décembre 1837 ; il disait : « Si nos raffineries de sucre exotique étaient
forcées de quitter la Belgique, ne pouvant plus prospérer sous l'empire de
notre législation, les conséquences d'une telle perturbation seraient désastreuses
pour le pays. »
Messieurs, un homme qui fait autorité pour les défenseurs du sucre de betterave,
qui ont eu l'attention de nous adresser sa brochure, s'est montré plus
accommodant, plus conciliant que MM. de Renesse et Eloy de Burdinne, nos honorables
collègues. Voici ce que dit M. de Behr dans cet écrit :
« Le sucre indigène ne demande qu'une protection modérée afin qu'elle
n'interdise pas la concurrence du sucre exotique, qu'elle n'apporte pas de
dangereuses entraves à l'extension de nos relations commerciales.
« Pour conserver une partie des marchés de l'extérieur, la raffinerie belge
doit nécessairement pouvoir combattre ses concurrents à armes égales. Or la
concurrence est impossible sans une prime équivalente à celle dont profitent les
raffineurs hollandais. »
Il ne peut être indifférent à nos fabricants de perdre la possibilité de
retours souvent avantageux et de se voir exposés à payer des frets souvent élevés
par l'absence sur la place d'Anvers de marchandises d'encombrement.
En résumé, l'auteur de la brochure sur la question des sucres émet l'avis
que pour que la production du sucre de betterave jouisse réellement de protection,
il faut faire disparaître la prime de mévente et mettre un terme à l'encombrement
du marché ; qu'il faut cesser d'exiger que les 4/10 des prises en charge restent
acquis au trésor ; mais qu'il faut aussi que le raffineur travaillant pour
l'exportation, ne soit pas en mesure de livrer continuellement à la
consommation des excédants affranchis de l'accise ; en un mot, qu'il faut en
venir à un rendement raisonnable. A un rendement raisonnable ; c'est aussi ce
que nous demandons ; (page 1657) il
ne s'agit réellement que d'en fixer le taux : j'espère que nous y parviendrons,
de commun accord.
Messieurs, vous avez, dans d'autres circonstances, montré votre sollicitude
pour la navigation et pour la commerce ; nous en avons la preuve dans la loi
qui accorde des primes pour la construction des navires. Vous avez voulu en
déposer une preuve plus complète dans la loi des droits différentiels, et si
nous avions eu alors ce qui nous manque encore aujourd'hui, une loi favorable
au commerce d'importation et d'exportation du sucre colonial, il est probable
que cette dernière loi se serait acquis un plus grand nombre de partisans.
Mais, messieurs, ce que vous avez fait jusqu'à présent est inefficace ; il
faut à la marine marchande des matières d'encombrement ; il lui faut un grand
nombre de marchandises à transporter sous son pavillon ; il lui faut des moyens
d'échange en retour des produits de notre industrie. Or, le sucre est sans
contredit le premier des aliments pour la navigation. Il se trouve sur les marchés
de l'Amérique du sud, des Antilles, des Indes orientales. Nous en avons d'autant
plus besoin, que nous sommes peut-être à la veille de nous voir enlever une
grande partie de l'importation des cafés, la seconde des denrées coloniales. La
position du commerce et de la navigation, sous ce rapport, peut devenir
vraiment fâcheuse, et je crois que ce motif seul devrait engager la chambre à
prendre en sérieuse considération la nécessite de faire en faveur de ces deux
grands intérêts une loi qui les protège efficacement.
A la construction de nombreux navires dont une navigation active éprouverait
le besoin, se rattachent beaucoup d'autres industries indigènes et la
consommation d'un grand nombre de nos produits : le bois, le fer, le zinc, le
cuivre, les voiles, les cordages, etc. En fer et cuivre seuls, chaque navire en
emploie pour une somme de vingt-cinq mille francs. L'entretien et les approvisionnements
sont une source constante de consommation et de travail pour la classe
ouvrière. Vous ne pouvez manquer d'en tenir compte parmi tous les autres motifs
qui militent en faveur d'une bonne loi sur le sucre.
A côté de la question de navigation et du commerce d'échange, dont je me
suis occupé jusqu'ici, il y a la question de l'exportation des produits de notre
industrie ; elle aussi a un immense intérêt à une bonne loi sur les sucres.
Je suis loin de penser que jusqu'à présent nous ayons atteint, sur les marchés
lointains, tous les moyens de placement de nos produits que nous pouvons y
trouver ; mais, ce qui est sûr, ces moyens y existent. Pour y arriver, il y a
des conditions à remplir : il faut, entre autres, que notre industrie se mette
au courant du genre des produits que l'on y consomme ; qu'elle se conforme aux
besoins, aux qualités, aux goûts, aux prix qui conviennent à cette masse de
consommateurs des colonies. Notre industrie, du moment qu'elle le voudra, est
parfaitement à même de réussir dans cette entreprise. Il faut ensuite qu'elle
trouve des moyens de transport. Il ne suffit pas, en effet, qu'elle soit
parfaitement au courant des débouchés lointains ; sans moyens économiques de
transport, elle aura des frais considérables à payer, et elle n'arrivera plus à
placer ses produits aux mêmes conditions que les autres industries rivales.
Ceci est pour l'avenir. Quant au passé, l'exportation et l'importation des
sucres raffinés ont conduit, quoi que l'on en dise, au placement de nos
produits nationaux. La mauvaise loi de 1843 est venue tout enrayer.
Le premier intérêt d'un armateur, quand il fait un voyage pour aller chercher
des produits coloniaux, est d'exporter le plus possible de produits belges,
afin d'avoir un fret de sortie. Il va dans toutes les provinces chercher ceux
dont le placement lui offre le plus de chances. C'est ainsi que, grâce au
commerce des sucres, nous avons exporté, comme l'a dit l'honorable M. Loos, des
armes, des clous, des verres à vitres, des draps en quantités si considérables,
que des marchés importants nous sont aujourd'hui en grande partie acquis pour
ces fabricats.
Messieurs, nous procurer des débouchés dans les pays transatlantiques, devient
d'autant plus nécessaire que, dans un avenir rapproché, les marchés voisins
nous échapperont. Il n'est plus permis de se faire illusion à cet égard. Les
pays qui nous avoisinent fabriquent des produits similaires aux nôtres ; les
procédés mécaniques employés partout les multiplient dans des proportions
énormes. D'année en année, ces débouchés se restreignent pour nous ; un jour,
ils seront réduits pour ainsi dire à rien. Il est donc du plus grand intérêt
pour la Belgique industrielle qu'elle trouve d'autres moyens d'écoulement à ses
produits, et, personne ne le contestera, les pays transatlantiques lui en
offrent de considérables, deux, trois fois plus grands même que le marché de la
France que nous ne conserverons, pour un petit nombre d'années, qu'au prix de
sacrifices.
L'honorable M. de la Coste nous disait hier que jusqu'à présent nous avions
infiniment plus reçu de Cuba que nous n'y avions importé. Cela est vrai ;
cependant ce marché est un marché très important ; pour le prouver, il suffit de
faire le relevé de ce que l'Angleterre y importe. L'importation, pour les tissus
de lin seuls, s'élève à plus de 6 millions de francs.
Après avoir traité la question au point de vue de l'intérêt général, j'arrive,
messieurs, à quelques-unes des objections qui ont été faites dans les deux
séances précédentes.
L'honorable M. Eloy de Burdinne a parlé du travail national ; il ne donne
cette dénomination qu'à celui qui s'applique à un produit du sol du pays. A ce
compte, il y aurait un grand nombre d'industries qui ne seraient pas des industries
nationales. L'industrie cotonnière, par exemple, les fabriques de draps, de
soie, une foule d'autres industries qui mettent en œuvre des matières premières
qui ne sont pas des productions du sol belge, seraient des industries étrangères.
Et cependant elles se livrent à un travail aussi national que celui qui s'applique
à la culture de la terre.
N'est-ce pas un travail national que celui qui s'occupe de la navigation,
de la construction des navires ? Les armateurs, les assureurs contre les
risques de mer, les négociants, les commissionnaires, les entrepositaires ne
sont-ils pas des travailleurs nationaux ? Ne forment ils même pas une classe de
citoyens ayant le plus grand intérêt au maintien de l'ordre et à la prospérité
du pays ?
Je vous demande si cette classe de la société ne mérite pas de la part de
l'honorable M. Eloy de Burdinne plus d'égards qu'il ne lui en accorde ordinairement.
L'honorable M. de Renesse est le défenseur-né de l'agriculture dans cette
enceinte. Quand il parle de l'élève du bétail, je puis comprendre le motif de
sa sollicitude, c'est une question d'un très haut intérêt puisque nous avons
544,000 hectares de prés et de pâturages en Belgique, plus de la sixième partie
de toute la superficie du royaume. Mais je ne le conçois plus quand il plaide
la cause de 1,710 hectares (chiffre officiel) de terre employés à la culture de
la betterave. On a eu bien raison de dire que c'est un intérêt microscopique
pour l'agriculture.
L'honorable comte de Renesse a dit que le sucre exotique est l'enfant chéri
du gouvernement et que celui-ci ose à peine toucher au rendement. Nous, défenseurs
des raffineries de sucre exotique, nous en sommes encore à attendre la preuve
de cette prétendue marque de prédilection. Quant au rendement, conçoit-on qu'on
dise qu'on ose à peine y toucher ? Reportons-nous aux chiffres qui l'ont
représenté sous les lois antérieures au projet actuel. N'y a-t-il pas énormément
loin du rendement encore en vigueur de 58 1/2 en moyenne à celui de 72 ou de 69
qu'a proposé, en dernier lieu, M. le ministre ? II est vrai que dans le nouveau
système le rendement doit être combiné avec la suppression des dixièmes pour
retenue.
Je n'ai pas trouvé le discours de l'honorable M. de la Coste, au Moniteur
de ce matin. Je dois y suppléer par les notes que j'ai tenues pendant qu'il le
prononçait. Déjà M. Loos a rencontré plusieurs arguments de l'honorable député
de Louvain. Il en est un encore qui m'a surpris et qui me semble exiger
quelques explications pour être apprécié à sa juste valeur.
L'honorable membre a dit qu'il y avait eu en 1844 un mouvement de 45 millions
de kilogrammes de sucre et que jamais ce commerce n'avait été plus considérable.
Mais, messieurs, ces importations n'ont eu lieu que parce que le commerce
n'avait pas encore complétement apprécié les effets de la loi de 1845. Les
sucres arrivés en Belgique s'y sont trouvés sans acheteurs ; les raffineurs ne
pouvaient plus les employer, et force a été de les exporter en Allemagne. Plusieurs
de ces importations avaient eu lieu sous pavillon national, par conséquent avec
un avantage, qui a été en pure perle.
Ces faits sont donc une preuve manifeste de la décadence que la loi de 1843
avait promptement apportée à l'industrie du raffinage. Cette décadence n'a fait
que s'accroître.
En 1846, toutes les exportations en sucre ne se sont pas élevées à plus de
900,000 kilogrammes environ. Déjà en Hollande elles atteignent plus de 13,000,000
kilogrammes.
Nous n'avons eu cette année qu'un seul navire national qui ait importé une
faible cargaison de sucres.
Le commerce, a dit l'honorable M. de la Coste veut avoir un rendement
trop bas. Déjà il vous a été prouvé, messieurs, que c'est l'inverse. Il est intéressé,
lui, à avoir le rendement à un taux élevé. Si vous doutiez de notre bonne foi,
dans cette question qui se résume tout entière pour nous dans la fixation du
rendement, vous devriez encore nous croire, car notre intérêt est d'accord avec
nos paroles. Plus le rendement est élevé, moins il restera de sucre indemne de
droits sur le marché de l'intérieur, et le mouvement commercial en sera
nécessairement augmenté.
Mais à côté de l'intérêt commercial, il y a l'intérêt des raffineries ; ce
sont elles qui ont droit de se plaindre de la position que tend à leur faire le
nouveau projet. C'est pour elles une question de vie ou de mort, et par conséquent
c'est dans leur intérêt que nous devons insister sur un rendement de 68 au
maximum qui répond à une restitution de francs.
Ici, je ne comprends pas l'opposition de M. le ministre des finances. Nous
sommes forcément d'accord avec lui que le trésor doit trouver dans l'accise des
sucres une recette de trois millions, c'est un point de départ qu'il faut bien
accepter.
Il en est de cela comme de la coexistence, ce sont des faits passés en quelque
sorte en force de chose jugée. Mais ce que nous demandons, c'est d'avoir le
temps de relever ces industries tombées ou souffrantes par suite de la loi de
1843. Or pour atteindre ce but, nous avons besoin d'un rendement modéré,
inférieur, au début, à celui de la Hollande.
Nous aurons beau faire ; tant que la loi hollandaise existe, il faut la suivre,
il faut nous guider d'après elle si nous voulons soutenir la concurrence. La
nécessité que le rendement doit être inférieur en Belgique se prouve, et ce
point M. le ministre des finances le reconnaît, dans la position actuellement
si fâcheuse des raffineries qui sont restées debout.
Il convient qu'il faudra des efforts énergiques pour qu'elles parviennent
à se relever.
Nous nous sommes appuyés ensuite sur la richesse plus grande du sucre de
Java, qui est presque exclusivement employé par les raffineurs de la Hollande.
(page 1658) Nous, nous raffinons
01 0/0 de sucre de Havane, qui, cela sera démontré, est inférieur en richesse
au sucre javanais.
Ce n'est d'ailleurs pas avec la Havane seule que nous devons chercher à nouer
des relations fructueuses et suivies. Les sucres du Brésil et de Manille sont
également propres, quoique de qualité inférieure, au raffinage. Ces pays sont
des marchés importants pour les produits manufacturés de l'Europe. Notre intérêt
nous convie par conséquent à ne pas exclure leurs sucres par un rendement trop
élevé.
Une autre considération qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est qu'en Hollande
on n'a pas à lutter avec une industrie indigène ; les raffineurs sont maîtres
du marché intérieur, ce qui leur permet de donner un développement d'autant
plus grand.
Un dernier motif gît dans le droit de douane qu'il faut payer en Belgique
; en le calculant au taux le plus favorable, la différence est sur le rendement
d'environ 2 1/2 p. c. en faveur de la Hollande.
Voilà donc toutes des considérations puissantes pour nous arrêter au maximum
de 63.
La cause du commerce et de la navigation, que j’ai l’honneur de défendre
en cette occasion, est intimement liée au projet que nous discutons. Ce que nous
demandons n'est que juste. Mais dût-il même en coûter un sacrifice au pays,
nous le justifierions par les avantages directs et indirects qui se rattachent
à la grande question des sucres ; et d’ailleurs, dans toutes les organisations
sociales, il y a des sacrifices, des concessions réciproques auxquels il faut
bien se résoudre pour concilier les divers intérêts qui sont en présence.
C'est ainsi qu'Anvers et tout le littoral sont imposés en faveur de diverses
industries de l'intérieur. Pour n'en citer qu'une ou deux, il nous serait
avantageux de recevoir en franchise ou à des droits modérés les charbons anglais
; il y aurait là un aliment pour la navigation. Il en est de même des fers et
des fontes, et cependant les droits sont tellement protecteurs que l'Escaut
doit être considéré comme fermé à ces produits venant de l'étranger.
M. Sigart. - Supprimez le droit de navigation intérieure, cela fera le même effet.
M.
Veydt. - Je ne veux pas entrer en ce moment dans
l'examen d'un système général. Mon but est de démontrer que, sous divers
rapports, la position des ports maritimes est défavorable et que si nous
demandions une concession pure et simple, ce qui n'est pas, vous feriez acte de
justice en nous l'accordant.
En parcourant les discours qui ont été prononcés dans la discussion des droits
différentiels, j'ai été heureux de trouver l'opinion d'un des principaux industriels
du pays sur l'importance d'Anvers, eu égard aux services que ce port est appelé
à rendre aux diverses branches de l'industrie.
Ce fabricant que le pays a récemment perdu et,
dont la perte a été si généralement et si douloureusement sentie, M. le vicomte
Biolley, membre du sénat, disait au sein de cette assemblée, en parlant de
l'extension qu'il voulait voir prendre au commerce :
« Je désirerais voir concentrer toutes les forces du commerce belge à Anvers.
Anvers doit être un port européen, un centre de grandes affaires, un marché de
premier rang et pour les pays allemands et d'Outre-Rhin, la rivale de Hambourg. »
Je pense que ces sentiments sont aussi ceux de plusieurs d'entre vous, messieurs,
qui êtes dans cette assemblée les défenseurs de l'industrie, comme M. Biolley
l'a toujours été au sein du sénat. Je pense que vous vous associerez aux vœux qu'il
a formés pour la prospérité de la métropole du commerce belge.
Je me réserve de demander une seconde fois la parole, lorsque nous serons
arrivés à la discussion des articles.
M. Dumortier. - Je suis loin de contester l'importance du port d'Anvers. Pour mon compte,
je m'associe volontiers aux paroles que vient de prononcer l'honorable préopinant,
et qui sont l'expression de ma pensée constante. Mais à côté de cet intérêt, je
dois voir l'intérêt du pays et celui du trésor, intérêts que l'honorable membre
perd complétement de vue. En effet, de quoi s'agit-il ? D'une part, d'une
source importante du revenu public qui se tarit, chaque année, de plus en plus,
alors que, dans les pays voisins, elle s'accroît chaque année ; d'autre part,
d'une industrie nationale qui s'élève et prospère, et qu'il s'agit d'écraser au
profit d'une industrie qui, pour la plus grande partie, est étrangère.
L'honorable préopinant compare l'industrie de la raffinerie à celle du coton
et du sucre. C'est, dit-il, la même chose pour nous de recevoir du sucre ou du
coton de l'étranger. Mais je lui ferai remarquer l'énorme différence qu'il y a.
Il est vrai que vous recevez le coton et la soie de l'étranger. Mais le pays ne
produit ni coton, ni soie, tandis qu'il produit du sucre. D'un autre côté, le
travail du coton et de la soie est pour le pays beaucoup plus considérable que
le raffinage. Vous savez combien le coton subit de manipulations, par combien
de mains il doit passer avant d'être un tissu imprimé. Au contraire, au moyen
d'une simple ébullition et d'une mise en forme, vous avez du sucre raffiné. Le
travail national a donc dans cette dernière industrie un intérêt bien moindre.
Que vous demandent d'ailleurs les industries du coton et de la laine ? Elles
ne vous demandent rien, tandis que le sucre exotique ne vit que de primes aux
dépens du trésor public.
M. Osy. - C'est un droit protecteur !
M. Dumortier. - C'est là un langage étrange dans la bouche des honorables députés d'Anvers
; car lorsqu'on demande un droit protecteur pour une industrie quelconque du
pays, ils sont les premiers à s'y opposer.
Qu'ils reconnaissent franchement qu'ils défendent les intérêts de leur localité.
Quant à moi, j'admire le zèle, la persévérance avec lesquels ils défendent
cette cause. Mais qu'ils ne se posent point en défenseurs des intérêts du pays
et du trésor, personne ne les croirait.
Quelque importance que puisse avoir l'intérêt commercial, il en est deux
qui le priment : Le premier est le travail national qui fait vivre l’ouvrier,
le second est la richesse publique, c’est-à-dire l’intérêt du fabricant,
intérêt bien autrement en cause dans l’industrie du sucre indigène que dans
celle du sucre exotique, commerce qui ne donne lieu qu'à une transformation
minime. L'honorable M. Eloy de Burdinne a fait à cet égard une démonstration, à
laquelle on n'a pas cherché à répondre.
Je reviens au raisonnement dont on m'a éloigné par une interruption.
Mais vous comparez l'industrie des sucres à l'industrie des cotons, à l'industrie
de la soie, à l'industrie drapière. Messieurs, veuillez remarquer une chose,
c'est que ces dernières industries ne vous demandent pas de primes. Vraiment,
que diriez-vous, si l'industrie des cotons venait vous demander une prime de
plusieurs millions par an pour les exportations ? Est-ce que par hasard les
tissus de coton obtiennent une prime à la sortie ? Est-ce que les tissus de
laine, les tissus de soie obtiennent des primes semblables ?
Mais on vient nous dire que la prime pour l'industrie des sucres est nécessaire.
Et ici l'honorable M. Desmaisières me paraît être revenu sur son opinion
d'autrefois ; car il a longtemps soutenu devant la chambre qu'il 'y avait pas
de prime.
M. Desmaisières. - Jamais !
M. Dumortier. - Vous l'avez soutenu pendant plusieurs années, et le Moniteur du reste
est là impitoyable pour rappeler vos expressions. Mais je sais que vos arguments
n'ont pas plus de valeur que ceux que l'on mettait en avant, lorsqu'on venait
dire qu'en faisant écouler les eaux de la Lys à Gand, on allait soulager les
prairies de l'Escaut. Ce sont là, messieurs, des arguments que l'on met en
avant lorsqu'on défend une mauvaise cause, lorsqu'on veut satisfaire les
intérêts d'une localité, au lieu de se préoccuper avant tout de l'intérêt
général.
Messieurs, un fait est démontré incontestable, c'est qu'il y a prime, et
prime considérable en faveur de l'industrie du sucre exotique, et qu'elle s'élève
chaque année à plusieurs millions. On veut maintenir cette prime, et quel motif
en donne-t-on ? C'est que la Hollande accorde une prime semblable à son
industrie sucrière. Messieurs, je me permets de vous faire remarquer que la différence
est complète entre la situation de la Hollande et celle de la Belgique. La
Hollande accorde une prime sur les sucres ; mais pourquoi ? C'est que la
Hollande exploite elle-même ses colonies, et qu'elle vend les produits qu'elle
en retire, à son propre bénéfice, au profit de son trésor public ; c'est parce
que la Hollande a ce seul et unique moyen de se défaire de ses sucres et que si
elle n'accordait pas de primes, elle ne pourrait écouler les produits de ses
colonies, et qu'ainsi elle perdrait tout le capital quelle consacre à cette
industrie ; ainsi pour elle il vaut mieux perdre une partie du capital en
primes que de perdre le capital en entier.
Mais nous, messieurs, nous n'avons pas de colonies que nous exploitons et
même que nous n'exploitions pas. Nous n'avons pas de colonies. Nous sommes dans
une position moins heureuse ; nous devons chaque année voter des millions pour
nous procurer les produits des colonies, et ces millions ne sont remplacés par
rien. La balance commerciale en est la preuve.
Je pense, messieurs, que nous ferons bien de diminuer les capitaux que nous
versons chaque année à l'étranger pour nous procurer ses produits, et qui, chaque
année, viennent faire une brèche à la richesse nationale. Il est incontestable,
messieurs, que plus le sol d'un pays peut produire, plus le pays lui-même
s'enrichit. Bien au monde ne peut remplacer les produits du sol, pas même
l'industrie.
Je vois un honorable membre qui rit ; mais je voudrais voir cet honorable
membre me donner une réponse. Cela vaudrait mieux que de rire.
Je dis que, dans tous les pays du monde, les produits du sol sont les revenus
les plus réels d'un peuple, et si nous pouvions, en Belgique, nous passer des
colonies et pour les sucres et pour les cafés, et pour les cotons et pour
toutes les denrées coloniales, je dirais : Cultivons dans notre pays et le
café, et la cannelle, et le poivre, et le coton, et tout ce que le sol produira
sera autant de capitaux qui ne sortiront pas de notre pays.
Un
membre. - Il n'y aurait plus d'échanges.
M. Dumortier. - On me dit qu'il n'y aurait plus d'échanges. Mais nous vendrions à l'étranger
tout ce que nous lui vendons aujourd'hui en produits de nos manufactures, nous
recevrions ses capitaux au lieu de les lui envoyer.
M.
Rogier. - L'étranger peut adopter votre beau
système.
M. Dumortier. - Si l'étranger adoptait ce système, il y aurait alors échanges entre ceux
qui fabriqueraient le mieux.
Messieurs, je pars de cette base, et je défie les honorables membres de prouver
le contraire : C'est que les produits du sol forment la partie la plus certaine
de la richesse d'un pays. C'est un fait incontestable, et toutes les théories
d'économie politique ne viendront pas renverser un fait aussi évident.
Eh bien, messieurs, je dirai ici avec l'honorable M. Eloy de Burdinne que
si le pays pouvait produire assez de sucre pour sa consommation, ce serait un
immense bienfait, en ce sens que les capitaux que nous (page 1659) employons à l'achat du sucre qui est livré à la consommation,
ne devraient plus sortir de notre pays.
Mais, dit-on, il n'y aurait plus d'échanges. Messieurs, le commerce des sucres
a-t-il donc produit tant d'échanges ? Qu'est-ce qui a eu lieu ? On vous l'a
déjà dit ; c'est qu'il arrive à Anvers des navires chargés de sucre, et que ces
navires repartent sur lest. Voilà, messieurs, les beaux échanges que nous amène
le commerce des sucres ! Mais pour de pareils échanges, je trouve qu'il est
fort inutile de se presser.
Messieurs, il faut convenir que lorsque la Belgique reçoit des marchandises
étrangères qu'elle doit payer en numéraire, et qu'elle n'exporte pas de ses
produits en échange, elle fait un métier de dupe. C'est cependant le métier que
nous faisons. La balance commerciale vous en fournit la preuve la plus
convaincante. Nous recevons chaque année pour 40 millions de produits des colonies
et nous n'y exportons pas pour le quart de cette somme. Ne venez donc pas nous
parler d'échanges, alors que ces échanges ne se font pas.
Messieurs, je viens de vous démontrer que la position était complétement
différente entre la Belgique et la Hollande.
La Hollande accorde une prime à la fabrication des sucres, parce qu'elle
ne peut agir autrement ; parce que la Hollande exploite elle-même ses colonies,
qu'il faut qu'elle se défasse dès lors des produits qu'elle en retire, et que, comme
la plupart des pays maritimes ont aussi leurs colonies qui leur fournissent le
sucre, elle ne pourrait, sans la prime qu'elle accorde au raffinage, vendre ces
produits, d'où il résulterait pour le trésor public une perte beaucoup plus
considérable que celle que cause le payement de la prime ; que dès lors la
Hollande, en payant cette prime, fait acte de bonne administration. Mais je
vous ai démontré aussi que nous nous trouvons dans une position complétement
différente, que nous n'avons pas de colonies, et que par conséquent nous
n'avons pas à en faire vendre les produits. Je ne vois donc, messieurs, aucun
motif pour que nous imitions l'exemple d'une puissance qui est guidée par un
mobile tout différent du nôtre.
Messieurs, voyons ce qui se passe dans les autres pays, voyons ce qui a lieu
en Angleterre et en France.
On parle de la prospérité du commerce. Personne plus que moi ne désire la
prospérité du commerce. Mais est-ce par hasard au moyen d'une prime accordée aux
sucres que l'Angleterre a acquis son immense commerce ?
Eh non, vraiment ! En Angleterre il n'y a pas de primes ; on accorde un simple
drawback, un simple remboursement des droits qui ont été payés ; et encore les
raffineries qui veulent se livrer à l'exportation doivent-elles travailler dans
des entrepôts particuliers. Il n'existe donc aucune prime en Angleterre, et
cependant ce pays possède le premier commerce du monde.
Quant à la France, elle n'accorde pas non plus de prime à la sortie du sucre.
Il y a plus, la France ne veut avoir pour sa consommation que du sucre de son
sol, du sucre de ses colonies et de basse qualité. Sur tous les autres sucres
elle a établi des droits tellement élevés qu'ils équivalent à une véritable
prohibition. Aussi, lorsqu'il s'agit d'exporter des sucres, quel est le système
admis par la douane française ? C'est un système d’échantillons modèles, un
système de types. Il y a des modèles qui servent d'échantillons, et lorsque les
industriels exportent, on leur rembourse les droits qu'ils ont payés, mais on
ne leur accorde pas de primes.
Il ne faut donc pas, dans cette discussion, venir invoquer l'exemple de la
France. Je le répète, la France n'accorde pas de primes au raffinage des sucres,
et cependant, depuis vingt-cinq ans, elle a considérablement développé son
commerce et sa marine. Mais comment la France est-elle parvenue à développer
son commerce et sa marine ? Ce n'est pas au moyen de primes sur les sucres,
mais c'est au moyen de cette loi que vous repoussez, et qui est la sauve garde
des intérêts de la France, comme elle aurait été la sauvegarde des intérêts de
la Belgique, si elle n'avait été affadie par le ministre qui siégeait à ce banc
lorsque nous l'avons discutée, c'est au moyen de sa loi des droits
différentiels. Il en est de même du développement du commerce et de la navigation
en Angleterre. Aussi, voyez, messieurs, ce que fait l'Angleterre. Cette
puissance veut bien ouvrir ses ports de douanes aux produits étrangers, mais à
une condition, c'est qu'ils soient importés par des navires anglais. Elle a
soin de conserver son acte de navigation, de maintenir ses droits différentiels,
parce que c'est la seule sauvegarde de sa navigation et de son commerce
étranger.
Si notre loi des droits différentiels avait été faite comme l'avait proposée
la commission, il en serait résulté de véritables avantages. Malheureusement,
elle a été réduite dans ses bases par le ministre, et dès lors elle n'a pas pu
produire les résultats qu'on devait en attendre,
Je dis que la sauvegarde de la navigation se trouve dans une semblable loi
et nullement dans les primes accordées aux sucres exotiques au détriment du trésor
public.
J'insiste d'autant plus sur cette considération qu'elle est entièrement perdue
de vue par Anvers. La prospérité d'Anvers m'est extrêmement chère ; plus que
personne j'y attache le plus grand prix ; à mes yeux, Anvers nous est indispensable,
Anvers est le plus beau joyau de la couronne de Belgique ; mais il faut faire
pour Anvers ce qu'elle-même ne comprend pas assez, ce qui fait la prospérité de
la France et de l'Angleterre ; c'est là ce qui doit ramener dans ses murs cette
prospérité, cette marine marchande, objet de tous nos vœux.
L'honorable M. Loos vous a dit, messieurs, que protéger le sucre indigène
ce serait sacrifier le sucre exotique. Je pourrais renverser la thèse et dire
que protéger le sucre exotique ce serait sacrifier le sucre indigène. J'ajouterai
que protéger toutes les industries nationales, c'est sacrifier sur notre marché
le commerce similaire exotique, et c'est ce que depuis 18 ans nous n'avons
cessé de réclamer. En donnant au sucre exotique une prime qui s'élève tous les
ans à plusieurs millions, véritablement on sacrifie et l’on entend bien
sacrifier le sucre indigène et par-là l'industrie nationale. Or, messieurs, le
pays a-t-il intérêt à ce que le sucre indigène soit sacrifié ? Je maintiens que
non, car là est véritablement le travail national. Comparée à la sucrerie
indigène, le raffinage du sucre exotique n'est pas une industrie réellement
nationale, à moins que l'on ne considère comme la plus nationale l'industrie
qui emploie le moins d'ouvriers, et qui coûte le plus cher au pays. Depuis 15
ans elle a coûté 50 à 60 millions au trésor.
Messieurs, je ne suis pas plus satisfait que personne du projet de loi dont
nous sommes saisis. Je ne suis pas satisfait de la quasi-égalité de droits proposée
par M. le ministre des finances. Je conviens que l'un des amendements que M. le
ministre a présentés constitue une amélioration, mais en même temps il est venu
abaisser le chiffre du rendement qui était la véritable garantie des intérêts
du trésor public.
Depuis quinze ans les véritables défenseurs du trésor public, c'est-à-dire
nous, depuis 15 ans nous sommes venus demander l'augmentation du chiffre du
rendement ; depuis 15 ans nous avons fait voir que tous les autres systèmes
présentés n'étaient qu'une suite de déceptions amères, et l'expérience a
justifié nos assertions. Nous sommes arrivés à ce résultat, qu'en 1836 l'impôt
sur le sucre, payé par les consommateurs, et qui devait rapporter 5 millions au
trésor, ne lui a pas même rapporté deux cent mille francs. On remboursait aux
raffineurs l'impôt payé par les consommateurs belges ; et pourquoi ? Pour faire
obtenir le sucre à meilleur marché aux consommateurs allemands ; tellement que
l'on vendait en entrepôt le sucre raffiné à meilleur marché que le sucre brut.
Depuis lors, messieurs, on a cherché successivement à améliorer la législation,
on a cherché à l'améliorer au moyen des dixièmes réservés. La première année ce
système a eu quelque succès, le trésor a perçu un faible revenu ; mais ce
produit est allé en diminuant d'année en année, ce qui prouve bien que ce
système était mauvais. Nous avions dit que c'était encore là une déception et
l'expérience démontre aujourd'hui que nous avions raison.
Un autre remède avait été proposé, c'était d'élever le rendement des exportations
à 72 pour cent des introductions, et avec ce chiffre il y aurait encore eu une
véritable prime pour ceux qui travaillent le sucre de la Havane, car le sucre
de Havane, qu'on travaille le plus souvent.ne présente qu'un déchet de 5 ou 4
p. c.
M. Eloy de Burdinne. - De 2 p. c.
M. Dumortier. - De 2 p. c. même, y compris les bas produits. Ce sucre est tellement épuré
dans les colonies qu'il ne présente que la légère perte de l’évaporation. J'entends
comprendre en cela les mélasses et les vergeois. Mais il y a plus, pour obtenir
la restitution du droit de 100
kilogrammes de sucre, ne faut-il pas exporter une quantité égale ? Pourquoi donc
la mélasse et le sucre vergeois ne payeraient-ils pas des droits au trésor public
? Voilà ce que je n'ai jamais pu comprendre. Mais celui qui consomme de la
mélasse ou du sucre vergeois, ne consomme-t-il pas du sucre, comme celui qui consomme
du sucre raffiné ? Pourquoi doit-il y avoir un privilège à cet égard ? Comment
l'ouvrier qui prendra du café payera l'impôt et celui qui prendra de l'eau avec
de la mélasse ne payera rien ? Mais c'est là un véritable privilège. Il faut
que l'impôt sur les divers produits du sucre soit échelonné dans une juste
proportion, il faut que chacun paye l'impôt d'après ce qu'il consomme. Voilà ce
qu'exige une bonne gestion financière.
Mais il y a plus, messieurs ; alors qu'on exempte de tout droit la mélasse
provenant du sucre exotique, on frappe d'un impôt considérable la mélasse
provenant du sucre indigène. En effet, messieurs, la mélasse du sucre de
betterave n'est propre qu'à la fabrication de l'alcool, et quand vous faites de
l'alcool vous payez des droits énormes.
Ainsi, messieurs, tout est au désavantage du sucre indigène et à l'avantage
du sucre exotique. Est-ce là une bonne administration des intérêts du pays ?
Je dis, messieurs, que le système hollandais, qui forme encore la base de
la législation belge, que ce système aurait dû cesser d'exister le jour même où
la Belgique s'est séparée de la Hollande et où, par conséquent, elle n'avait plus
de colonies dont elle dût vendre les produits au bénéfice de notre trésor public.
Que la Hollande ait maintenu ce système, je le conçois, elle doit vendre les
produits de ses colonies ; mais, que la Belgique, n'ayant pas de colonies,
entende le continuer encore, c'est ce que je ne puis comprendre, c'est ce qui
me passe.
Ici, messieurs, j'aborderai une observation touchée par l'honorable M. Veydt
et qui se rapporte à l’article 5 nouveau de M. le ministre des finances, qui
tend à limiter la production de l'industrie indigène. On veut bien, par un
article nouveau, donner à l'industrie indigène un avantage de 15 fr. sur
l'industrie exotique, mais à une condition, c'est qu'on limitera ses produits.
D'abord je voudrais bien que M. le ministre des finances nous dît sur quelle
base il s'appuie pour limiter la protection dont jouit aujourd’hui une
industrie réellement nationale, une industrie qui tire sa matière première de
notre sol.
Comment ! tandis que le pays réclame de toutes parts une protection à toutes
nos industries, tandis qu'on vous demande des millions pour donner du pain et
du travail à la classe ouvrière, on choisirait ce moment pour diminuer la
protection accordée à une branche de l'industrie nationale. Voilà ce que je ne
puis concevoir. Quand nous aborderons les (page
1660) articles, je demanderai qu'on pose la question en ces termes : Y a-t-il
lieu de diminuer, au profit de l'industrie étrangère, la protection dont jouit
l’industrie nationale ? Je suis convaincu que la chambre entière comprendra que
l'industrie nationale doit continuer à jouir de la protection que la loi lui
accorde.
Mais on ne se borne pas à diminuer la protection, on va plus loin ; on veut
encore limiter la production. L'on dit que le droit, qui est de 30 fr. sur le
sucre indigène, sera porté à 40 fr. si les produits de la raffinerie du sucre
de betterave, après un temps donné, dépassent 3,800,000.
Messieurs, je crois qu'il est sans exemple de voir un gouvernement dire à
son pays : « Vous ne produirez que telle quantité. » De deux choses l'une, ou l'industrie
de la betterave est bonne, ou elle est mauvaise ; si elle est mauvaise,
supprimez-la ; si, au contraire, la force de la vérité vous porte à reconnaître
que c'est une bonne chose, pourquoi en limitez-vous la production, pourquoi
voulez-vous arrêter son essor ?
Mais pourquoi alors ne dites-vous pas aux fabricants de calicots de Gand
que lorsque leur production aura atteint un certain chiffre, le droit sur le produit
du coton sera tiercé ? Pourquoi ne tenez-vous pas le même langage aux fabricants
de Verviers ? Pourquoi ne pas dire à nos exploitants de houille, à nos
fabricants de fer que, dans une semblable occurrence, le droit sera diminué pour
faire entrer les houilles et les fers étrangers ?
Oui, on veut décider qu'au-delà d'un certain chiffre, le travail en Belgique
sera frappé ! Mais le progrès n'est-il pas dans les efforts incessants que fait
la vieille Europe pour cesser de payer un tribut aux colonies ? J'ai vu
prohiber en Angleterre le sucre venant des colonies, et produit par l'esclavage
; et ici, c'est le travail des blancs, le travail des hommes libres, qu'on veut
imposer, frapper ! Cela est inconcevable de la part d'un gouvernement européen.
D'ailleurs, je voudrais bien savoir comment on entend exécuter une pareille
disposition. Quoi ! parce qu'un fabricant de sucre indigène, parce qu'un ennemi
même, aura dépassé de quelques centaines de mille kilogrammes la production totale
de l'année dernière, tous ses confrères vont être frappés à l'instant ! De pareilles
dispositions, outre qu'elles blessent l'intérêt national, ne sont pas pratiques,
et dès lors ne sont pas exécutables.
La chambre fera bien de repousser une pareille prétention ; il ne faut pas
tuer la poule aux œufs d'or, il ne faut pas mettre la lumière sous le boisseau.
L'industrie de la betterave a pris un accroissement considérable en Europe ;
elle se développe de jour en jour en Allemagne ; en France même, dans ce pays
qui a des colonies dont les sujets sont Français au même titre que les Français
de la mère patrie ; dans ce pays, a-t-on demandé que la production du sucre de
betterave fût limitée, au profit des colonies ? N'a-t-on pas prohibé en fait
les sucres de qualité supérieure ? Quand nous allons chercher du sucre au
Brésil, à Cuba et dans la partie méridionale des Etats-Unis, n'est-ce pas le travail
des esclaves que nous substituons à celui de nos ouvriers, à celui des hommes
libres, des enfants de la patrie qui réclament de vous du travail et du pain !
Messieurs, il faut suivre le progrès, et puisque
l'Europe a découvert une plante qui peut remplacer la canne, qui a déjà produit
de magnifiques résultats, qui amène des revenus considérables au pays, tout en
laissant les terres consacrées à cette exploitation, dans les mêmes conditions
que les terres fourragères, il est évident qu'il est du devoir du gouvernement
d'encourager par tous les moyens une semblable industrie et de ne pas tant se préoccuper
de l'industrie rivale, laquelle, véritable parasite, ne peut exister pour
l'exportation qu'au moyen de primes, aux dépens des consommateurs. Ces primes,
je n'en veux pas ; le trésor n'est pas assez riche, pour pouvoir être si
généreux. Que l'industrie du sucre exotique progresse, qu'elle marche de
concert avec sa rivale ; qu'elle livre à la consommation du pays ; qu'elle
fasse, pour le surplus, ce que fait cette industrie en France et en Angleterre.
Voilà ce que nous devons tous désirer ; mais vouloir, quant à la législation
sur le sucre, mettre la Belgique, qui n'a pas de colonies, dans une position
analogue à la Hollande, c'est vouloir une chose déraisonnable, insolite, et je
pense que la chambre ne donnera pas les mains à un semblable système.
M. Delehaye. - Messieurs, je suis un de ceux qui ne se sont pas trompés en 1843. (Interruption.) J'entends dire à côté de moi
: « Et moi non plus. » Ainsi, les deux localités les plus intéressées dans la
question ont eu des représentants qui ne se sont pas trompés sur le système qui
a prévalu à cette époque.
Lors de la discussion de l'amendement que l'honorable M. d'Huart proposa
en 1843, j'ai dit que cette disposition aurait pour résultat d'imposer de nouvelles
charges à l'industrie ; que l'industrie, loin de se relever de sa position
malheureuse, serait inévitablement condamnée à faire de nouveaux sacrifices.
Mes prévisions se sont réalisées au-delà de toute attente.
En effet, depuis cette époque nous avons eu désastres sur désastres,
presque tous ceux qui, sous la foi de la loi antérieure, avaient fondé de
grands établissements, se sont trouvés dans la nécessité de les abandonner, ou
ont été complétement ruinés.
Qu'il me soit permis de répondre ici un mot à M. le ministre des finances
; il vous a dit que l'amendement qu'il veut introduire dans la loi, serait
favorable à l'industrie, en ce que cette disposition forcerait les industriels
à introduire dans leurs procédés de fabrication une amélioration qui aurait été
découverte en Hollande.
Je suis étonné que cette observation soit sortie de la bouche d'un ministre
qui nous a habitués à n'entendre sortir de sa bouche que des assertions
justifiées par des faits ; je suis surpris que M. le ministre des finances ne
sache pas que ce prétendu perfectionnement qui existe en Hollande, est connu
depuis longtemps en Belgique ; que le système employé aujourd'hui en Hollande,
a été établi à Gand dès 1828.
Ainsi, ce n'est pas à la Hollande à venir nous donner des leçons ; c'est
nous, au contraire, qui, en fait de raffinage de sucre, lui en avons donné dès 1828
: c'est à cette époque que deux établissements à Gand ont admis le système d'Howards.
Messieurs, en 1843, je vous ai dit que, d'après moi, la coexistence des deux
sucres était une chose impossible ; j'ai ajouté que dans l'intérêt du consommateur
belge, ainsi que dans celui de la navigation nationale, il fallait se résoudre
à prendre une importante mesure ; qu'il fallait proscrire la culture de la
betterave ; mais qu'il ne fallait la proscrire qu'en accordant une juste et
préalable indemnité à ceux qui s'étaient livrés à cette exploitation.
Je sais qu'à l'époque où j'ai émis cette opinion beaucoup d'industriels n'étaient
pas éloignés de s'y rallier, et incontestablement, il eût été fort heureux pour
eux et pour le pays que ce système eût prévalu.
« Mais, dit-on, la betterave est utile à l'agriculture. » Messieurs,
c'est le thème qu'on avait mis aussi en avant en 1843.
La betterave, dit-on, est utile à l'agriculture, mais quel est le pays où
l'agriculture est plus prospère que la Belgique et quelle est la partie de la
Belgique où l'agriculture a fait plus de progrès que dans les Flandres ? Eh bien
! dans ces provinces nous ne connaissons pas la betterave, nous ne savons pas
ce que c'est que l'industrie du sucre indigène. Je me trompe, il y a eu un établissement,
un seul ; mais était-il dans la partie de la Flandre où les progrès sont le
mieux constatés ? Non, c'est dans la partie de la Flandre la moins bien
cultivée, qu'un établissement important a été fondé et on l'a abandonné.
Pourquoi ? Parce que la récolte des betteraves ne répondait pas aux sacrifices
qu'on faisait pour l'obtenir.
On nous a remis un tableau très développé des dépenses de la fabrication
du sucre de betterave pour établir de quelle importance elle était dans le travail
national. Il aurait fallu indiquer aussi les sacrifices qu'elle nécessite en
engrais ; alors vous eussiez vu qu'avec de moindres sacrifices vous pourriez
obtenir un résultat plus favorable.
La Belgique ne cultive pas assez de céréales pour sa consommation ; l'année
dernière, il est survenu une calamité qui heureusement n'a atteint qu'un seul
produit, la pomme de terre ; si elle avait frappé sur les céréales, nous
n'aurions pas su comment faire face aux besoins du pays. Alors que les céréales
en Belgique rapportent au cultivateur des bénéfices considérables, que les
céréales sont, de l'aveu de tous les cultivateurs, M. Eloy de Burdinne excepté,
un des produits les plus avantageux, vous allez mettre en avant la culture de
la betterave.
Je n'ai jamais prétendu être d'accord avec l'honorable M. Eloy, car il attribue
quelquefois à des faits des conséquences si extraordinaires qu'elles dépassent
ce que notre imagination peut concevoir, ce que notre intelligence peut
comprendre. Vous vous rappelez que, selon lui, il suffisait qu'un champ de blé
fût dévasté par des lapins pour qu'il produisît une récolte double. Si M. Eloy
habite un pays où les produits de l'agriculture augmentent par de pareils moyens,
je ne m'occuperai plus du système agricole de l'honorable membre, mais de
l'agriculture de mon pays, où l'on ne jouit pas de cette extraordinaire ressource
!
Messieurs, on vous demande pour la betterave une protection de 15 fr. par
cent kilogrammes de sucre. Pour le sucre de canne on impose un droit de 45 fr.
et au sucre de betterave seulement un droit de 30 fr. Savez-vous à combien, par
hectare, revient une protection de cette nature ? Au double du loyer de la terre.
Si nous consultons les documents fournis par le gouvernement, nous voyons qu'un
hectare produit 35,000 kilogrammes de betterave ; si nous consultons les
documents français, nous voyons que le minimum du sucre extrait est de 5 à 6 p.
c, soit 2 mille kilogrammes de sucre à 15 fr. par cent kilogrammes. Cela fait
300 fr. par hectare.
Mais, messieurs, dans le pays où l'on cultive la betterave, vous avez très
peu de terres qui rapportent 300 fr. de loyer. Ainsi vous accordez 300 fr. de
protection par hectare pour la culture de la betterave, alors que la Belgique ne
cultive pas suffisamment de céréales et qu'une calamité qui porte sur un seul produit
de la terre a mis le pays à deux doigts de sa perte. Vous direz après cela
qu'il faut favoriser l'agriculture. Si on persiste dans un pareil système, je
ne comprends pas qu'on puisse prétendre encore que c'est pour protéger le travail
national ; qu'on le dise, c'est le propriétaire seul qu'on veut favoriser.
Je m'aperçois, messieurs, que tout le poids de la discussion pèse sur M.
le ministre des finances. Il n'est certes pas au-dessus de ses moyens ; mais comment
se fait-il que M. le ministre des affaires étrangères, qui a dans ses attributions
le commerce, ne prenne pas part au débat ? On me répondra que le trésor exige 5
millions, que dès lors la question est purement fiscale.
Comment, dans un pays comme le nôtre, où l'on se vante de protéger le commerce
et l'industrie, où chaque année, dans le discours du trône, on vient se réjouir
d'avoir contribué à augmenter la prospérité commerciale et industrielle, on
commence par dire qu'il faut avant tout qu'une industrie rapporte 3 millions au
trésor avant qu'on lui permette de vivre ; qu'on ne lui accordera rien si elle
ne rapporte pas 3 millions.
Mais qui paye ces trois millions ? C'est le consommateur belge. Si vous ne
pouvez pas maintenir une industrie sans un pareil impôt, quel est le devoir du
ministre des finances et du ministre des affaires étrangères ? C'est de rechercher
une autre combinaison qui atteigne le consommateur, mais laisse vivre
l'industrie. Je conçois qu'on dise que le sucre est une matière imposable, plus
imposable que le sel, c'est une vérité, mais elle (page 1661) n’est imposable qu'en considération du consommateur, de
ce que celui qui consomme le sucre est en état de payer l'impôt, mais avec
notre combinaison, l'ouvrier pourra-t-il conserver son travail ? Non.
Quel est alors le devoir du gouvernement ? Comme je le disais tout à l'heure,
de chercher une autre combinaison qui atteigne le consommateur en laissant
vivre l'industrie. Mais dire qu'une industrie doit payer tant avant de vivre,
ce n'est ni le langage d'un bon citoyen ni celui d'un homme d'Etat. C'est,
dites-vous, le consommateur qui paye, au moins on le lui fait payer en sacrifiant
l'industrie. La Hollande se trouve dans une position financière moins favorable
que nous, elle n'exige rien de l'industrie du raffinage, imitons son exemple,
l'ouvrier nous bénira ; il dira que nous avons bien mérité du pays.
Je suis amené à faire la comparaison entre l'industrie belge et l'industrie
hollandaise ; l'industrie belge s'est trouvée presque ruinée en payant deux
millions et quelques centaines de mille francs, et vous croyez la relever en
disant qu'elle payera à l'avenir trois millions. Conçoit-on qu'une industrie
qui a dépéri avec deux millions d'impôt puisse devenir prospère alors qu'on lui
impose une charge plus forte, celle de trois millions ?
Je ne conteste pas qu'un rendement élevé puisse ne pas être plus favorable
au travail national qu'un rendement trop bas ; le premier comme le second
peuvent procurer de bons résultats ; seulement un rendement élevé, pourvu qu'il
soit inférieur au rendement réel, exige un travail plus grand, une production
plus forte et par conséquent plus de travail ; un rendement bas assure des
avantages égaux avec moins de peine, moins de travail.
Mais dans tous les cas il faut que le rendement permette l'exportation, sans
quoi le commerce comme l'industrie s'en trouvent frappés, puisque l'exportation
devient impossible. En admettant des conditions d'existences vous faite une chose
inutile pour le commerce et pour l'industrie. Qu'on ne le perde pas de vue, la
position du commerce est autre que celle de l'industrie, dans ce sens que le
premier gagne à la masse à transporter, à vendre, ce qui résulte du rendement
élevé ; que ses opérations, ses transactions se restreignent par un rendement
bas, mais l'un et l'autre exigent une différence quelconque entre le rendement
réel et le rendement légal. A défaut de cette différence l'un et l'autre
souffriront et, s'il faut un sacrifice, ce n'est pas par le raffinage qu'il
faudra commencer, ce sacrifice devant infailliblement entraîner la ruine du
commerce.
Ainsi, messieurs, je résume ce que j'ai dit sur cette question :
Si le rendement est trop élevé, il nuit et au commerce et à l'industrie,
par ce que, si l'industrie ne peut pas travailler, le commerce n'a rien sur quoi
il puisse établir ses transactions. Cela est tellement clair, qu'il suffit de
jeter les yeux sur le projet du gouvernement pour comprendre qu'il faut le repousser.
J'ai entendu, dans la séance d'avant-hier, un honorable membre soumettre
à la chambre des considérations très vraies, quoiqu'il n'en ait pas déduit toutes
les conséquences. L'honorable M. Mast de Vries a dit qu'il serait utile d'établir
un nouveau mode de travail qu'il n'a pas bien défini, mais que j'ai compris
être le travail en entrepôt, tel qu'il est admis en Angleterre. Assurément, il
y aurait des inconvénients à admettre ce système ; je dirai même que l'exemple
de l'Angleterre prouve qu'il est inexécutable en Belgique.
Je vois que M. le ministre est de mon avis ; car il me fait un signe d'assentiment.
Mais si ce travail ne peut être admis pour les sucres Havane ou tous autres
sucres coloniaux, il serait très utile de travailler en Belgique les sucres
venant de Hollande. Il pourrait être utile de soumettre à un deuxième raffinage
les sucres hollandais raffinés qui ont obtenu une décharge.
Une combinaison adroite, une grande économie de travail pourraient utiliser
le travail de ces sucres en entrepôt. C'est ainsi que j'ai cru comprendre les
observations de l'honorable M. Mast de Vries, et je crois qu'il a été dans le
vrai. Les sucres exportés par le commerce hollandais sont en général soumis à
une nouvelle manipulation. Pourquoi ne pourrions-nous pas nous assurer le bénéfice
de cette manipulation ? Le sucre de Java ayant joui d'une décharge, nous
pourrions peut-être utilement travailler ce produit.
Cependant, je me hâte de vous le dire, c'est avec hésitation que je vous
soumets ces idées, c'est au gouvernement et à l'industrie d'étudier la question.
Il nous suffit de l'avoir indiqué pour que cela puisse s'effectuer, s'il y a
avantage à le faire. Ainsi le gouvernement déclarerait que le travail en
entrepôt sur les sucres hollandais, sur lesquels une prime a été accordée, pourrait
s'effectuer en Belgique, où je pense qu'il pourrait se faire aussi avantageusement
qu'à Hambourg et ailleurs.
On a dit que la nouvelle loi devait être envisagée comme un bienfait pour
le raffinage des sucres. Vous allez voir, messieurs, comment les industriels
l'envisagent. Vous concevez facilement que dans une discussion aussi
importante, j'ai cherché avant tout à m'éclairer de l'opinion de ceux qui connaissent
le mieux la position ; je me suis donc abouché avec les raffineurs de sucres de
Gand, fabricants dans les lumières desquels je pouvais avoir toute confiance ;
ils m'ont dit que le rendement proposé par M. le ministre des finances était
tel qu'ils m'engageaient formellement à repousser la loi Le rendement de 69 et
une fraction est tel qu'il est impossible que vous ne supprimiez pas
immédiatement l'exportation de vos sucres. Vous ne pouvez lutter contre les
sucres de Hollande.
M. le ministre des finances a avancé une autre erreur ; qu'il me soit permis
de la relever.
M. le ministre des finances, dans la comparaison qu'il a faite des sucres
Havane et Java, a commis une erreur évidente. Les chiffres sur lesquels il
s'est appuyé l'ont induit en erreur. Il donne la préférence au sucre de Havane,
tandis que le sucre Java est tellement supérieur, que les raffineurs le nomment
communément, en termes d'usines, le médecin de la raffinerie. On lui donne ce
nom parce qu'il est le remède à une mauvaise cuisson, à une mauvaise fabrication
; parce qu'il sert à rendre un produit mauvais propre au commerce, faculté que
ne possède aucun autre sucre, pas même celui de Havane, qui n'a pas le même
degré de richesse.
Il est vrai que l'honorable M. Dumortier a parlé
de sucres qui rendent 98 p. c. Je voudrais bien connaître ces sucres-là ; le sucre
Havane même à un déchet bien plus considérable. Dès lors comment admettre des
chiffres exagérés, tels que ceux indiqués par l'honorable M. Dumortier ?
Puisque cet honorable membre a parlé du canal de Schipdonck, qu'i me soit
permis de lui dire que quand il parle d'un rendement réel de 98 p. c, il a été
dans l'erreur autant que dans ses vues sur l'écoulement des eaux à Gand.
M. Dumortier. - Ce n'est pas là une démonstration.
M. Delehaye. - Vous aurez la démonstration, quand le canal sera construit. Ce n'est qu'alors
que vous vous rendrez à l'évidence !
M. Dumortier. - Avant cela vous aurez une bien autre démonstration.
M. Delehaye. - L'honorable membre demande pourquoi le sucre vergeois ne paye pas de droit
; il devrait savoir que le droit de 15 fr. pèse sur le sucre brut, qui comprend
le sucre vergeois et le sirop.
M. Dumortier. - Quand vous avez exporté, il est bien évident que le sucre qui reste dans
le pays ne paye rien.
M. Delehaye. - Mais d'où proviennent les deux millions que perçoit le trésor ?
M. Dumortier. - Ils proviennent des sucres raffinés, pas des sucres vergeois.
M. Delehaye. - Qui payera les trois millions ? Ne sera-ce pas évidemment les sucres qui
restent dans la consommation, c'est-à-dire les sucres vergeois, les sirops et
les candis ? Vous voyez donc que cette opinion n'est, de la part de l'honorable
membre, qu'une distraction, une inadvertance.
M. Dumortier. - Pas du tout ; il est bien
évident que quand on a exporté 57 kilog. sur cent, ce qui reste dans le pays ne
paye aucun droit ; il n'y a là ni distraction, ni inadvertance.
M.
Delehaye. - Je vous ai déjà dit que
ce que perçoit le trésor doit être réparti sur tous les produits, le raffineur
comprend les droits dans ses frais de production.
M. Dumortier. - Messieurs, je me bornerai
à ces observations, qui s'appliquent à des considérations générales ; j'en ai
d'autres à faire valoir ; mais elles se rattachent aux différents articles. Je prouverai, messieurs, que ces articles, tels qu'ils
sont présentés par le gouvernement, sont inadmissibles ; je ferai voir, d'après
ce que j'ai déjà dit en commençant mon discours, qu'avec le rendement de 69 et
une fraction, nos industriels ne peuvent plus travailler. Si avec ce rendement
il pouvait rester pour eux une marge assez large pour travailler, ils devraient
envisager la loi comme un bienfait. Eh bien ! loin de l'envisager comme telle,
ils m'ont prié de la repousser.
Ce sera donc pour moi une nécessité de la repousser, et lorsque vous en viendrez
plus tard à rechercher un nouveau système, je serai en droit de dire que je
suis du moins un de ceux qui ne se sont pas trompés.
Il est une chose évidente à mes yeux, c'est qu'avec le principe que vous
avez mis en avant, qu'il faut conserver au trésor 3 millions de recettes, il y a
impossibilité absolue pour nous de lutter contre la Hollande.
Je diffère sur ce point avec mes honorables amis députés d'Anvers. Je dis
que tant que vous ne placerez point l'industrie belge dans des conditions aussi
favorables que l'industrie hollandaise, il est impossible que la première puisse
se soutenir.
Vous avez pour vous, messieurs, beaucoup d'avantages : vous avez l'avantage
de la main-d'œuvre, l'avantage de la fabrication, l'avantage de la houille.
Mais tous ces avantages disparaîtront devant les exigences du trésor. L'exportation
de nos sucres est impossible avec la réserve que l'on fait, et malgré le signe
de dénégation que me fait M. le ministre, je répète que plus tard je pourrai
dire que j'étais du nombre de ceux qui ne se sont pas trompés.
- La séance est levée à 4 heures et demie.