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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 17 juin 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétition relative à l’aliénation gracieuse de bâtiments
publics à une corporation religieuse (Verhaegen), au
projet de chemin de fer entre Bruxelles et Gand (Verhaegen,
Henot, Lys)
2) Projet de loi sur les
sucres. Discussion générale. Concurrence
entre l’industrie exotique (sucre de canne) et l’industrie indigène (sucre de betterave),
fixation du rendement et du droit d’accises, etc. (Malou, Eloy de Burdinne, Loos, Malou, Manilius,
de La Coste, Malou, Loos, Manilius, de
Mérode), clôture de la discussion (Rogier, Malou, Veydt, Desmaisières,
Rogier, Malou)
(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1682) M. de Villegas
procède à l'appel nominal à 1 heure.
M. Dubus (Albéric) donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est adoptée.
M. de Villegas communique
à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
. « Plusieurs habitants de Turnhout réclament l'intervention de la
chambre pour empêcher l'administration de cette ville d'abandonner
gratuitement, à une corporation religieuse, l'ancien couvent des
Bons-Enfants. »
M.
Verhaegen. - Messieurs, cette
pétition mérite toute votre attention. Plusieurs habitants de la ville de
Turnhout demandent l'intervention de la chambre au sujet d'un fait que je
considère comme très-grave.
La ville de Turnhout, avait deux locaux destinés à des casernes ; ces
locaux ont été aliénés à titre gratuit à
des corporations qu'on n'a pas nommées d'abord, mais qu'on a reconnu être des
jésuites ; en outre l'administration communale de Turnhout a donné un subside
pour l'appropriation, plus un subside annuel de 2,000 fr.
Messieurs, nous avons vu naguère des villes, des communes céder leurs
collèges aux jésuites. Nous voici arrivés à une autre phase. Voici une ville
qui aliène à titre gratuit des locaux d'une valeur considérable à cette même
corporation.
Postérieurement à cette cession, la ville de Turnhout, ayant à loger des
troupes, a été obligée d'acheter de nouveaux locaux à un prix très élevé.
Avant de prendre une résolution définitive, le conseil communal avait
jugé convenable d'ouvrir une enquête de commodo et incommodo.
Le jour pour recevoir les réclamations avait été fixé au 18 mai, ainsi
qu'il résulte d'un avis que j'ai sous les yeux. Eh bien, c'est le 18 mai, le
jour même où les réclamations allaient être constatées, que l'honorable M. de
Theux a approuvé les aliénations et l'acquisition nouvelle, de sorte qu'il
était impossible de réclamer utilement.
Je demande le renvoi de la pétition à la commission des pétitions, avec
demande d'un très prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
_______________
« Les membres du conseil communal d'Overpelt demandent le maintien du
droit d'entrée sur le bétail. »
« Même demande des membres du conseil communal d'Oudecapelle.»
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des rapports concernant le
droit d'entrée sur le bétail.
_______________
« Plusieurs habitants de la commune d'Ardoye demandent l'union douanière
avec la France.
« Même demande de plusieurs habitants de la commune d'Aerseele, des
conseils communaux d'Oyghem, Deynze, Roulers, et des habitants de la commune de
Caneghem. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_______________
« Le sieur Baugniet, juge de paix du canton de Perwez, demande que la
loi sur l'organisation du notariat contienne une disposition qui empêche la
substitution de feuilles dans les actes notariés. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur
l'organisation du notariat.
_______________
« Le sieur Anthoine, candidat notaire à Ecaussines d'Enghien, prie
la chambre de s'occuper du projet de loi sur l'organisation du notariat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le conseil communal d'Assche présente des observations concernant le
chemin de fer projeté de Bruxelles à Gand, par Alost, demande qu'il ne soit
pris aucune décision sur ce projet avant qu'une enquête et des études sérieuses
aient été faites sur un tracé par Assche, Merchtem ou Opwyck. »
M.
Verhaegen. - Je demande le renvoi de
cette pétition à la commission, avec invitation de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Les membres du conseil communal de Cappelle-au-Bois présentent des observations
contre le chemin de fer proposé de Bruxelles à Gand par Alost. »
« Mêmes observations des membres du conseil communal de Buggenhout,
qui prient en outre la chambre, si elle décidait une nouvelle voie ferrée,
d'adopter le tracé de Bruxelles par Merchtem sur Termonde. »
« L'administration communale de Breendonck prie la chambre de ne
pas prendre de décision sur le projet d'un chemin de fer de Bruxelles à Gand
par Alost., avant de connaître le résultat de l'enquête qui sera faite sur
cette question. »
« Même demande des administrations communales de Puers, Mariakerke, Hombeeck,
Lest, Malderen et de celles de Malines, Willebroeck et Tamise, qui présentent en
outre des observations contre le chemin de fer projeté. »
M.
Henot. - Je demande le dépôt de ces pétitions sur
le bureau pendant la discussion du rapport de M. le ministre des travaux
publics sur la pétition des habitants d'Alost.
- Adopté.
« Les membres des conseils communaux d'Overpelt et d'Oudecappelle
demandent le maintien du droit d'entrée sur le bétail. »
M.
Lys. - Messieurs, le chemin de fer que demandent
les pétitionnaires ne peut être nuisible à personne ; il doit même former un
utile affluent au railway national. Je demande le renvoi à la commission avec
invitation de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
_________________
M. de Foere demande une prolongation de congé pour cause de santé.
- Accordé.
________________
« Par divers messages en date du 12 juin, le sénat informe la
chambre qu'il a adopté :
« Le projet de loi qui ouvre au budget du département des finances,
exercice 1846, un crédit supplémentaire de 80 mille fr.
« Le projet de loi qui ouvre au département des affaires étrangères,
exercice 1845, un crédit supplémentaire de fr. 39,618 08 c.
« Le projet de loi qui autorise la concession du chemin de fer élu
Luxembourg.
« Le projet de loi qui ouvre au département de la guerre un crédit
complémentaire pour les dépenses de l'exercice 1846. »
________________
M. Vilain XIIII remplace
M. Liedts au fauteuil.
PROJET DE LOI SUR LES SUCRES
Discussion générale
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs, depuis notre dernière séance, j'ai examiné, comme je m'y
étais engagé, l'amendement de l'honorable M. Manilius. La chambre voudra bien
se rappeler que, pour assurer la coexistence des deux industries, j'avais
proposé, dès le début de la discussion, d'aggraver l'impôt sur le sucre
indigène, si la production excédait 3,900,000 kil., de 30 à 40 fr. ; elle se
rappellera également que j'ai démontré que cette aggravation était motivée par
le développement du sucre indigène et proportionnelle à ce développement.
L'honorable M. Manilius, au contraire, propose sur le sucre indigène une
aggravation de 5 francs qui devrait être prononcée aussitôt que le gouvernement
serait obligé de faire usage de la faculté de l'article 4, c'est-à-dire de
diminuer la décharge à l'exportation des deux sucres.
A la dernière séance, j'ai fait remarquer l'absence complète de
connexité de motifs des deux propositions. En d'autres termes, la diminution de
la décharge est faite en vue d'assurer la recette du trésor, le droit
différentiel d'accise a pour but d'assurer la coexistence des deux industries.
J'ai ajouté que dans l'amendement de l'honorable M. Manilius on serait
forcé de frapper deux fois le sucre indigène quand les nécessités de la recette
obligeraient le gouvernement à augmenter le rendement ou à diminuer la
décharge. Enfin, je crois avoir démontré à la chambre que l'amendement de
l'honorable membre aurait pour conséquence de faire supporter à l'industrie
indigène, même quand elle aurait dépéri, un impôt d'autant plus lourd, que sa
rivale aurait acquis puis de prospérité.
J'ai voulu, pour qu'on pût se rendre compte des résultats de l'amendement
de l'honorable M. Manilius, appliquer ce système à plusieurs hypothèses.
Je suppose, en premier lieu, une diminution de recette de 100,000 fr.,
c'est-à-dire que la recette soit inférieure de plus de 100,000 fr. au minimum
de 3 millions, et que l'industrie indigène ait produit 3,800,000 kil. Quelle
serait l'aggravation d'impôt qui résulterait de l'amendement de l'honorable M.
Manilius, pour combler le déficit de 100,000 fr. ?
Le calcul est très simple. Les 3,800,000 kilog., à 30 fr. donneraient
une somme de 1,140,000 francs ; d'après l'amendement de M. Manilius, à 35 fr.
on aurait une somme de 1,330,00 fr. C'est-à-dire que, dans cette première
hypothèse, alors que le trésor n'aurait à combler qu’un déficit de 100,000 fr.,
l'amendement de M. Manilius aurait pour conséquence de porter à l'industrie
indigène, qui n'entrerait pas même pour un tiers dans la consommation, une
aggravation d'impôt de 190,000 fr. près du double du déficit.
En calculant sur une production moindre, on a une disproportion moins
forte. Toujours est-il que le trésor a une recette plus considérable que le
déficit de 100,000 fr. résultant du développement des deux industries.
Si la betterave avait dépéri plus encore, si elle n'avait produit que 3
millions, on lui demanderait, toujours d'après le même calcul, une somme de
150,000 fr. Si la betterave avait produit 3,800,000 kilog., en lui appliquant
mon système elle payerait 1,140,000 fr. Si, au contraire, elle n'avait produit
que 3,600,000 kilog., on lui ferait payer, d'après l'amendement de l'honorable
M. Manilius, 1,260,000 kilog., c'est-à-dire qu'avec une production de 200,000
kilog. en moins, elle payerait à l'impôt 120,000 fr. de plus.
Telles sont, messieurs, les conséquences de la première aggravation
d'impôt, telle qu'elle vous est proposée par l'honorable M. Manilius.
Mais d'autres aggravations peuvent avoir lieu par cet amendement.
(page 1683) Si le
gouvernement une première fois a porté l'accise à 35 fr., il doit l'augmenter
ensuite d'un franc pour chaque diminution de 100,000 fr.
Je suppose donc que cette première diminution de la décharge ait eu
lieu, que portée, par exemple, d'abord à 65 fr., elle ait été réduite à 63 fr.,
en d'autres termes qu'il y ait lieu, d'après l'amendement de l'honorable
membre, à augmenter encore l'accise sur le sucre indigène de 2 fr., à le porter
à 37 fr. ; l'impôt qui sur 3,800,000 kil. aurait produit, à 35 fr. 1,330,000
fr. de recette, donnerait 1,406,000 fr. si on le portait à 37 fr. Dès lors,
messieurs, dans cette deuxième hypothèse, l'industrie indigène payerait en
vertu de l'amendement de l'honorable M. Manilius, 200,000 fr. de plus que
d'après le système que j'ai eu l'honneur de vous proposer.
Si la fabrication, au lieu de s'être soutenue à 3,800,000 kil. était
tombée à 3 millions, le système que j'ai soumis à la chambre imposerait à
l'industrie indigène 900,000 fr.
D'après le système de l'amendement, en portant le droit à 37 fr. elle
payerait 1,110,000 fr., c'est-à-dire, qu'ayant dépéri, étant tombée à 3
millions, à raison peut-être des développements de l'industrie du sucre
exotique, elle aurait à payer en plus une somme de 210,000 fr.
L'honorable membre disait tout à l'heure que telle était son intention dans
certaines hypothèses. Mais, messieurs, l'intention du législateur, lorsqu'il
s'agit d'assurer la coexistence, de maintenir les positions acquises, cette
intention doit être juste avant tout dans les faits, c'est-à-dire, qu'il faut
que l'industrie, si l'on veut la coexistence, n'ait pas à subir des conditions
plus rigoureuses lorsqu'elle dépérit, qu'elle n'en subirait lorsqu'elle
prospère.
Je comprends parfaitement un système qui aggrave l'impôt, parce qu'on ne
veut pas qu'une des deux industries dont on veut assurer la coexistence, puisse
détruire sa rivale. Mais ce que je ne comprends pas, ce serait un système de
législation qui frapperait plus une industrie lorsqu'elle aurait moins de
prospérité, lorsqu'elle pourrait moins soutenir la lutte. Or, je crois que les
chiffres dont je viens de donner un rapide exposé à la chambre, lui démontreront que tels seraient
en fait les résultats de l'amendement de l'honorable M. Manilius.
Au premier abord, messieurs, il peut paraître étrange ou du moins
nouveau dans notre législation, d'aggraver l'impôt sur une industrie en raison
de sa prospérité.
Cependant, messieurs, je ferai remarquer que l'on n'a pas signalé
jusqu'à présent d'autres moyens plus pratiques et plus sûrs d'assurer la
coexistence des deux industries.
Je citerai aussi l'analogie de la législation française. En France, l'on
a décrété que l'impôt sur le sucre de betterave serait progressivement augmenté,
sans avoir égard à l'état dans lequel serait cette industrie lors des aggravations
successives de l'impôt, et cependant, messieurs, l'on ne peut dire, l'on n'a
pas dit que la législation ainsi combinée était contraire aux intérêts du pays.
Je le répète encore, si l'on trouvait un
moyen plus pratique, plus juste pour assurer la coexistence des deux
industries, je J'étudierai avec le même soin que j'ai mis à étudier
l'amendement de l'honorable M. Manilius.
Je ne reviendrai pas dès à présent sur les autres parties du débat ;
cependant il m'a paru utile de résumer, sous la forme de propositions de
principe, les questions que ce débat embrasse ; j'ai espéré faciliter ainsi le
vote de la chambre ; ces propositions pourront être distribuées dans le cours
de la séance de ce jour ; j'ai eu soin d'y comprendre l'hypothèse de
l’amendement de l'honorable M. Manilius.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, si quelque chose a lieu de surprendre, c'est la faiblesse
des moyens employés par nos adversaires pour combattre la cause que je défends
; et, en effet, que vous a-t-on dit pour soutenir les intérêts de l'étranger en
opposition aux intérêts belges ?
On a d'abord prétendu que nous devions nous approvisionner de sucre
exotique, afin de favoriser la navigation. Sans doute, messieurs, la navigation
est très importante, elle a droit à nos sympathies ; mais devons-nous sacrifier
les autres industries à l'exigence des navigateurs et des commissionnaires de
nos ports de mer ? Cette question vous est soumise et vous la résoudrez
négativement, je n'en forme pas le moindre doute.
On a aussi prétendu que le commerce de sucre était indispensable aux
transactions commerciales. L'honorable M. de la Coste a réfuté victorieusement
cet argument. J'y reviendrai.
M. le ministre qui le premier a pris la parole pour défendre son
système, tout dans l'intérêt des producteurs étrangers, au détriment de
l'industrie belge, de l'amélioration du sol, opposé à l'intérêt de nos classes
ouvrières et de diverses industries qui fournissent les matières et les
ustensiles nécessaires à la fabrication du sucre.
M. le ministre se félicite que le principe de la coexistence des deux
sucres a été adopté à l'unanimité par la section centrale.
Et moi aussi, messieurs, j'applaudirais à cette coexistence si on trouve
le moyen de les faire vivre ensemble sans puiser ou laisser prendre dans la
recette sur la consommation du sucre trois à quatre millions annuellement,
comme paraît y consentir M. le ministre belge...
La coexistence est-elle possible à ces conditions ? Je ne le crois pas
et sur ce point, je suis de l'avis de l'association commerciale d'Anvers.
Cette coexistence est irréalisable.
Voici les expressions de l'association d'Anvers : « La coexistence
des deux industries continue et prospère pour toutes deux est un problème
impossible à résoudre.’ (p. 2 de la pétition d'Anvers du 2 mars 1846.)
Il paraît que M. le ministre ne partage pas l'opinion de ses anciens
administrés et peut-être de ses administrés futurs.
Il veut la coexistence des deux industries, mais surtout il veut
résoudre un problème impossible. Il partage, sans doute, l'opinion de Napoléon
le Grand qui prétendait que rien n'était impossible sous le soleil.
Le mot impossible, disait-il, n'est pas français.
M. le ministre, toujours soucieux des intérêts du trésor, nous avait
proposé par son projet de loi de frapper d'un droit d'accise le sucre indigène
d'une augmentation de droit de 18 fr. par 100 kil. Mais plus soucieux des
intérêts étrangers, il ne nous avait fait aucune proposition d'augmenter le
droit sur les sucres exotique.
Sûrement par suite d'un remords de conscience ou politique, dans la
séance du 10, il propose de réduire de 8 fr. l'augmentation provoquée dans son
projet de loi, c'est-à-dire, de ne frapper le sucre brut indigène que d'une
augmentation de 10 fr.
.Mais en même temps il substitue la restitution ou la décharge au
chiffre de 62 fr., primitivement proposé celui de 65 fr., c'est-à-dire, que le
rendement qui avait été fixé à 72 58, il le réduit à 69 23, de manière que le
raffineur du sucre exotique qui raffine pour l'exportation, parmi exportant 69
23 kil., sera assuré de son compte de prise en charge de 100 kil. de sucre
brut.
Ayant obtenu de 100 kil. de sucre de la Havane (et ne nous faisons pas
illusion, ils ne raffineront pas d'autres sucres) ; ayant, dis-je, obtenu 98
kilog., parmi en exportant 69, il leur restera 29 kilog. de sucre et de mélasse
à livrer à la consommation, introduit en Belgique en franchise de droit qui
viendront concourir sur les marchés belges avec des sucres indigènes qui auront
payé plus de 30 fr. par 100 kil. de droit.
De manière que l'étranger, par l'intermédiaire du commerçant, aura le
moyen de nous livrer du sucre sans payer des droits, tandis qu'on percevra 30
centimes par kil. sur les produits du sol.
Je comprendrais cette proposition de la part d'un ministre brésilien ;
par son amendement il croit faire un sacrifice en faveur de l'industrie belge,
tandis qu'il enfonce dans son sein le poignard jusqu'à la garde.
Par son premier projet il ne l'avait enfoncé qu'au trois quarts de la
lame.
Le projet de loi frappait l'industrie du sucre indigène d'une maladie
mortelle ; par l'amendement de M. le ministre on lui donne le coup de grâce, on
la tue immédiatement, c'est de la sensibilité bien prononcée.
Voilà, messieurs, quelle sera la coexistence des deux industries :
l'industrie indigène cessera d'exister, l'industrie étrangère prospérera, si
vous adoptez l'amendement ministériel, au détriment du trésor, et sans être
d'un bien marquant intérêt pour les raffineurs belges de sucre exotique, qui
devront sacrifier le subside qu'ils obtiendront du trésor (indirectement), afin
de livrer les sucres raffinés à meilleur compte que les raffineurs hollandais
sur les marchés étrangers.
Curieux de connaître le degré d'influence sur les intérêts du trésor
qu'aurait la proposition ministérielle du 10 juin, j'ai fait les calculs
suivants en admettant les prévisions du commerce, et même de M. le ministre,
qu'au moyen d'une loi protectrice du raffinage du sucre exotique, on pourrait
raffiner 45 millions de kilogrammes de sucre exotique en Belgique, dont partie
destinée à la consommation, l'autre destinée à l'exportation, les fabriques
belges étant anéanties.
II résulterait de l'anéantissement du sucre indigène que 45 millions de
sucre brut, livrés au raffinage, rendront en toute espèce de sucre la quantité
de plus de 44 millions, propres à livrer à la consommation ; parmi exportant la
quantité de 31 millions de kilogrammes, il restera, par chaque 100 kilogrammes,
29 kilogrammes au raffineur du sucre, indemnes de droit, ce qui porterait en
excédants la quantité de 13 millions, quantité suffisante pour approvisionner
la Belgique, de manière que les excédants du rendement fixé par l'amendement de
M. le ministre, seraient livrés indemnes de droits, ce qui, en résumé, ne
donnerait pas un centime de recette au trésor.
Par contre, si vous adoptiez un système de protection suffisant à la
fabrication du sucre indigène, il en résulterait qu'avant quelques années la
Belgique au moyen d'employer 3 p. c. des terres labourables à la culture de la
betterave destinée à la fabrication du sucre, la Belgique produirait 45
millions de kilogrammes de sucre propre à livrer à la consommation, dont 13
millions seraient livrés à la consommation et qui, n'ayant aucune concurrence à
craindre, pourrait être frappés d'un droit de 38, même de 50 centimes par
kilog., et qui donneraient en recette au trésor la somme de près de 5 millions
; et dans le deuxième cas fait, à raison de 50 centimes, un revenu au trésor
d'environ 6 millions et demi.
Il vous resterait en outre 32 millions de kilogrammes de sucre raffiné
propre à être exporté, et votre marine aurait l'honneur d'exporter des produits
de son pays, et s'il était démontré que nous ne puissions produire le sucre à
l'étranger à aussi bon marché que la Hollande, il resterait à examiner s'il ne
conviendrait pas d'accorder une prime à l'exportation. Cette prime serait plus
rationnelle que les primes que nous accordons aujourd'hui en faveur des
produits étrangers, vu qu'il s'agirait de placer, nos produits, et par cette
prime de concourir avec la Hollande avec de nos produits, tandis que par suite
de notre législation sur les sucres nous (page
1684) donnons trois à quatre millions afin de faire concourir la Havane
avec Java.
En somme, en protégeant l'industrie du sucre, nous faisons produire à la
Belgique pour 50 millions au moins, en plus qu'elle ne produit tant en sucre
qu'en alcool, sans réduire les autres produits des terres dont les deux tiers
sont distribués aux classes ouvrières belges, et aux industries qui procurent
les matières nécessaires à la fabrication du sucre.
Nos adversaires nous disent : En favorisant le raffinage du sucre
exotique à raison de 45 millions de kilogrammes, nous donnons du travail à la
classe ouvrière et aux diverses industries qui nous livrent les matières
nécessaires au raffinage, sur une très grande échelle, réduite aujourd'hui à ne
raffiner que 15 millions ; si nous travaillons 45 millions, la dépense en
faveur des classes ouvrières et industrielles sera triplée.
Personne que je sache ne niera cette allégation, elle est de la plus
exacte vérité.
Je conviens que la dépense sera triplée d'après le tableau comparatif
des dépenses pour la fabrication et du raffinage des sucres.
Vous avez vu que 15 millions de sucre brut nécessitaient une dépense de
648,750 fr.
Si mes calculs sont exacts, admettons que la quantité de 45 millions
sera raffinée, la dépense alors sera augmentée en proportion, soit, elle sera
portée à 1,946,250 fr.
Telle est la somme que distribuera l'industrie du raffinage du sucre
exotique à diverses industries et à 3,150 individus appartenant à la classe
ouvrière.
Tandis qu'en favorisant la fabrication du sucre indigène, il sera
distribué à diverses industries et à 67,500 individus des classes ouvrières,
dont plus de 9/10 sont des enfants, des vieillards et des femmes, une somme de
18,224,250 fr. annuellement.
Ce qui porte la différence en faveur de la fabrication du sucre indigène
comparée au raffinage du sucre exotique, en ce qui concerne le nombre d'individus
employés dans ces deux espèces d'ateliers, à raison de 64,350 ouvriers employés
à la fabrication, en plus que celui qu'occupent les raffineries des sucres exotiques.
D'après cet exposé, préférez-vous donner de l'emploi à plus de soixante-quatre
mille ouvriers étrangers, au détriment de vos classes ouvrières, qui en
réclament de toutes parts.
Dans une séance précédente, l'honorable M. Dechamps nous a soutenu qu'en
portant le rendement à 68 p. c, le trésor aurait une recette de plus de 3
millions sur la consommation du sucre.
M. le ministre des affaires étrangères a sûrement négligé de vérifier
ses calculs, ceux que j'ai faits ne cadrent pas avec les siens ; je vais vous
les soumettre.
100 kilogrammes bruts donnent en sucre 88 kilogrammes, en mélasse 10 kilogrammes,
en déchet 2 kilogrammes.
Nous avons fixé à 88 kilogrammes le sucre cristallisé. Le rendement étant
fixé à 68 kilogrammes. Il restera 20 kilogrammes de sucre indemne de droit.
En travaillant 25 millions de kilogrammes, il vous restera, à raison de
20 p. c., la quantité de 5 millions de kilogrammes de sucre cristallisé à
livrer à la consommation, indemne de droit ; en outre 2,500,000 kil. de mélasse
aussi indemne de droit, ensemble 7 millions.
En supposant qu'on consomme les mélasses en sus des 7 1/2 millions,
chiffre fixé par le ministre des affaires étrangères comme étant la quantité
nécessaire à la consommation du pays.
Cinq millions livrés à la consommation provenant des excédants, et deux
millions et demi seulement acquitteront le droit à raison de 45 francs les 100
kilogrammes.
Le trésor percevra 1,125,000 fr., de manière que les 7 millions et demi
qui devaient rapporter au trésor 3,375,000 fr., n'auraient rapporté que
1,125,000 francs.
Le consommateur ayant payé 5,575,000 fr., ils seront partagés comme
suit, savoir :
Par le commerce, à raison de 2,250,000, et par le trésor, à raison de
1,125,000, soit 3,375,000 somme égale au droit dû sur la consommation du sucre.
Ayant terminé avec M. le ministre des affaires étrangères, je vais
régler mes comptes avec l'honorable M. Veydt, qui a prétendu que je ne voyais
dans la question des sucres que la partie concernant l'agriculture, sans
m'occuper de son importance en ce qui concerne la navigation et le commerce.
Je vais prouver à mon honorable collègue que, si je me suis occupé du
projet de loi qui nous est soumis sur le rapport de l'agriculture, je n'ai pas
oublié le degré d'importance qu'elle pouvait avoir sur le commerce et sur la
navigation ; j'ai consulté le mouvement de nos ports, et j'ai reconnu qu'il est
entré, en 1844, 26,321,498 kilog. de sucre :
Par navires étrangers, 19,106,686 kilogrammes
Par navires belges, 7,214,282 kilogrammes
Ensemble 26,321,498 kilogrammes.
Importés par navires belges :
De Hambourg, 44,751 kilogrammes
Des Pays-Bas, 18,952 kilogrammes
De l’Angleterre, 3,078,191 kilogrammes
Ensemble 3,141,894 kilogrammes.
En soustrayant de la quantité importée par navires belges, il reste
4,072,934 importés par navires nationaux des lieux de production et Cuba figure
pour le chiffre de 2,807,999 kilogrammes ou près des trois quarts de la
quantité importée des lieux de production.
C'est donc à Cuba que notre marine a été chercher près des trois quarts
des sucres qu'elle a importés des lieux de production.
Vous allez juger de l'importance du commerce de la Belgique avec Cuba.
En 1844, Cuba nous a vendu pour 12,616,306
Et la Belgique a vendu à Cuba pour 1,380,911
Ensemble 11,380,911.
Plus payé que reçu : 11,235,395
En 1843 nous avons reçu pour 9,077,293 et nous avons vendu pour
1,256,009. Résultat, 7,821,284
Le déficit dans la balance commerciale a été, en 1843, de sept millions
821,284 fr., et en 1844, le déficit a été de 11,235,395 fr. De manière que nous
avons une augmentation de perte comparée, de 1843 à 1844, de près de 4 millions
de francs. A la vérité, nos exportations à Cuba, en 1844, ont été d'une valeur
supérieure à 1843 de 124,902 francs, et il n'est pas prouvé que cette
augmentation soit le résultat de la plus grande quantité de sucre importé de
provenance de Cuba, et dans la supposition que c'est à cette augmentation des
importations du sucre venant de Cuba que l'on doit cette augmentation, nous ne
devrions pas encore faire le sacrifice que nous faisons sur l'accise des
sucres.
Nous retirons de Cuba bien d'autres denrées que des sucres dont la
valeur serait supérieure aux produits de notre pays que nous y plaçons.
Admettons que cette augmentation de bien-être soit le résultat du
commerce de sucre et que, sans ce commerce, la Belgique n'aurait pas vendu à
Cuba, en 1844, pour une valeur de 124,902 fr.
Le mouvement du sucre en 1844 a été de trois millions de kilogrammes en
plus qu'en 1843.
Trois millions de kilogrammes de sucre doivent donner en recette au
trésor, à raison de 45 fr. par 100 kilog. soit 1,350,000 fr.
Pour favoriser le commerce de sucre étranger, par le projet de loi en
discussion, on accorde un drawback qui est de nature à faire perdre la moitié
du droit. Mais soyons larges, établissons que la perte que fait le trésor ne
soit que de six cent mille francs sur les trois millions de sucre qui doivent
1,350,000 fr., pour obtenir le placement des produits belges sur les marchés de
Cuba d'une valeur de 125,000 fr., y achète pour plus de 15 cent mille francs de
sucre, et, en outre, fait un sacrifice au détriment du trésor d'environ 600,000
fr.
Et on ose nous dire que sans le commerce de sucre nous ne pouvons placer
nos verres, nos clous et autres produits de notre pays à l'étranger.
Vous en conviendrez, messieurs, c'est là une opération de dupe. Quel est
l'homme, en effet, qui voudrait dépenser deux millions pour obtenir 125,000 fr.
? S'il en existait un semblable, il serait digne d'habiter comme pensionnaire à
Gheel. C'est à vous, messieurs, à décider si vous ferez semblable opération.
En général, le commerce avec les Indes est un commerce d'échange ; eh
bien, messieurs, en n'achetant pas de sucre à Cuba, on pourra échanger nos
produits que nous y importons contre du tabac, des bois d'ébénisterie et de
teinture, du coton, du café, du riz et quantité d'autres matières que nous y
allons chercher.
J'aurais pu me dispenser de répondre aux défenseurs des intérêts du
commerce maritime. M. de La Coste avait réduit à sa juste valeur la prétendue
importance du commerce de sucre dans l'intérêt de nos industries qui envoient
leurs fabricats chez les nations qui produisent le sucre.
Mais l'honorable M. Veydt, ayant prétendu que je n'étais préoccupé que
des intérêts de l'agriculture, sans m'occuper du commerce, j'ai voulu lui
prouver que j'avais examiné la question aussi bien en ce qui concerce le
commerce, qu'en ce qui avait rapport à l'agriculture. J'ajouterai que je
connais mes devoirs et que je sais les remplir.
Le devoir d'un député est de défendre les intérêts généraux du pays et
c'est ce que je crois avoir toujours fait.
Je désirerais pouvoir en dire autant de l'honorable député à qui je
réponds et dont le discours a été exclusivement dirigé dans l'intérêt du
commerce et de la navigation et nullement dans l'intérêt général du pays.
S'il eût été moins préoccupé des intérêts du commerce, il aurait cherché
à détruire mes arguments. Il s'en est dispensé et je considère son silence sur
ce point comme une adhésion à mon opinion.
Je terminerai la question de l'intérêt maritime, en faisant remarquer
qu'on ne doit nullement craindre de manquer de navires de retour, pour exporter
les produits de nos industries.
Dans la séance du 6 décembre dernier, M. le ministre des finances nous
disait en parlant des entrepôts francs.
(page 1685) Je rends littéralement
les paroles du ministre, voyez le Moniteur page 195.
« J'espère que si les chambres donnent leur approbation au projet de
loi, nous n'aurons plus à signaler des faits comme ceux que je vous ai signaler
hier ; qu'on ne verra plus à peu près la moitié des navires fréquentant nos
ports venir nous apporter des produits étrangers et partir sur lest. »
Il serait chimérique de croire à la disette de navires pour
l'exportation, quand même la Belgique produirait le sucre nécessaire à la
consommation de sa population, ce qui réduirait le nombre des navires qui
entrent en Belgique avec chargement d'environ 150. Je vais en donner la preuve
:
Taux moyen et année commune, il entre en Belgique : Navires avec
chargement 2,200. Il en sort, taux moyen, 1,100. Soit, sortant sur lest, 1,100.
Si je distrais 150 navires, qui entrent avec chargement, il me restera
encore 950 navires qui sortent actuellement sur lest.
Vous voyez, messieurs que les arguments de nos adversaires sont peu
fondés, quand ils craignent que nous ne manquions de navires de retour pour
exporter nos produits. En sommes, je considère le haut commerce comme pouvant
être d'une grande utilité pour le pays. C'est pour ce motif que, dans la
discussion de la loi différentielle, je voulais qu'on lui accordât une
protection plus forte que celle qu'on lui a accordée.
S'il peut être utile à nos industries, il est des cas où il peut lui
nuire, et je partage en cela l'opinion émise par M. le ministre des finances en
décembre dernier.
Dans la séance du 6 décembre 1845 page 195 du Moniteur, M. le ministre
disait : Vous considérez quelquefois dans cette discussion l'intérêt de
l'industrie comme séparé de celui du commerce.
Entendons-nous, je dirai oui, il est séparé si le commerce (s'entend le
haut commerce) produit sur nos marchés, ou à la consommation des produits
étrangers similaires à ceux que nous produisons. Et je dirai : Non, il n'est
pas séparé, si le commerce exporte les produits de notre industrie à
l'étranger.
En cela je suis complétement d'accord avec M. le ministre. Le haut
commerce est très utile lorsqu'il exporte nos produits.
(page
1093) J'ai un devoir à remplir envers l'honorable M. Desmaisières, je vais
m'en acquitter.
Dans la séance du 9 décembre dernier (voyez page
219 du Moniteur), l'honorable M. Desmaisières disait :
« J'ai constamment cherché à ce que tous les
intérêts vinssent faire connaître leurs besoins, dans l'enquête qui devait
conduire à favoriser, comme nous l'avons fait par la loi que nous avons votée,
les intérêts du commerce en rapport avec ceux de l'industrie et de
l'agriculture nationale.
« Car toujours, messieurs, je protégerai le
commerce, toutes les fois qu'il sera possible de le faire, sans nuire au
travail national. »
Au paragraphe 9 de son discours, M. Desmaisières
ose espérer que les orateurs qui ont soutenu les intérêts du commerce contre
l'industrie nationale, ne vireront plus de bord de nouveau, et continueront à
défendre les principes qu'ils ont émis dans la discussion actuelle; je veux parler
de la question des sucres, disait M. Desmaisières.
Il ajoute qu'il espère que les honorables
membres, qui soutiennent aujourd'hui les intérêts du commerce contre ceux de
l'industrie du pays, sauront les soutenir de nouveau lorsque ces intérêts
seront directement en rapport avec ceux de l'agriculture et de l'industrie
nationales en général.
C'est toujours M. Desmaisières qui parle.
« Quand nous voyons la Hollande même, cette
nation essentiellement commerciale et très peu industrielle, quand nous la
voyons se borner à maintenir les entrepôts de libre réexportation tels que ceux
dont nous jouissons, pourquoi donc voulons-nous aller plus loin, nous, nation
commerciale, il est vrai, mais nation industrielle et agricole avant tout ? »
Si j'ai bien compris l'honorable député de Gand,
il veut accorder protection à toutes les industries, il veut également protéger
le commerce, pour autant que cette protection ne soit pas en opposition aux
industries manufacturière et agricole.
Au début de son discours l'honorable député de
Gand me faisait croire qu'il marcherait de front avec moi dans la défense du
travail national. Tout à coup mon honorable collègue vire de bord, il veut une
exception en faveur des raffineurs de sucre exotique, il préfère donner du
travail à mille individus appartenant aux villes de Gand et Anvers, au
détriment de 22 mille ouvriers dont la plus grande partie appartiennent à la
classe campagnarde.
Cette conduite ne s'explique pas, à moins que M.
Desmaisières ne considère la fabrication du sucre indigène comme en opposition
à notre industrie, à notre agriculture et au travail national.
La franchise et la loyauté de notre honorable
collègue m'étaient un sûr garant qu'il deviendrait le plus ferme défenseur de
la fabrication du sucre indigène, quand on lui aurait démontré que cette
industrie, si elle était suffisamment protégée, occuperait le troisième rang au
tableau de nos industries. C'est donc une industrie en opposition au commerce,
on pourrait objecter que l'industrie sucrière indigène est en opposition au
raffinage des sucres exotiques, par le motif que nos fabricants sont parvenus à
raffiner eux-mêmes les produits de leurs fabriques.
Je répondrai à cette objection que c'est une
industrie, qui fait concurrence à une autre industrie aussi bien et sur une
moindre échelle que l'industrie cotonnière fait concurrence à l'industrie
linière, que l'industrie de la filature à la mécanique fait concurrence à la
filature à la main; et cependant on n’a pas proscrit l'industrie cotonnière,
pas plus que la filature a la mécanique.
Dans la question des sucres les intérêts du
commerce sont en opposition à noire agriculture.
Elle est également en opposition au travail
national ; en somme M. Desmaisières devrait soutenir ce travail.
On doit reconnaître que le procédé nouveau de
raffiner le sucre en même temps qu'on le produit, est un progrès, une
amélioration. L'honorable M. Desmaisières voudrait-il rester stationnaire?
Serait-il ennemi du progrès? Je ne le crois pas. Serait-il partial? J'aurais
peine à le croire. Mais ce que je crois et ce dont je suis sûr, c'est que je me
suis trompé quand j'ai cru l'honorable M. Desmaisières disposé à défendre avec
moi les intérêts généraux, et nul ne peut contester que la prospérité des
fabriques de sucres indigènes ne soit d'intérêt général.
La chambre étant fatiguée, je n'en dirai pas
plus à M. Desmaisières ; mais je regrette de ne pas voir sur nos bancs
l'honorable M. Delehaye, à qui je dois une réponse, sur les principes qu'il a
émis dans une séance précédente dans la discussion de la loi sur les sucres.
Cet honorable collègue, comme l'honorable M.
Desmaisières, a aussi viré de bord ; il se trouve en désaccord avec lui-même;
il a changé d'opinion depuis le 6 décembre dernier; il ne veut accorder que peu
ou point de protection à l'industrie des sucres indigènes : je vous le
démontrerai.
Dans la séance du 6 décembre 1845, lors de la
discussion des entrepôts francs, M. Delehaye a dit :
« Et que dit la chambre de commerce de Liège ?
« Elle dit que l'entrepôt franc sera un grand
bazar, etc. »
Il ajoute que la prospérité de l'industrie de
Liège, est due à la protection accordée à l'industrie houillère et à
l'industrie métallurgique.
« M. Rodenbach s'écrie : Cent pour cent !
« M. Delehaye reprend : Oui, messieurs, nous
payons aujourd'hui une prime de cent pour cent en faveur de l'industrie de
Liège et j'en félicite le pays.
« Je n'ai qu'un reproche à vous faire c'est de
ne pas avoir adopté le système pour toutes les branches de l'industrie sans
exception. »
Mais M. Delehaye avait alors oublié la question
des fabriques de sucre.
Je suis heureux de partager les principes de
l'honorable M. Delehaye, mais sans exception ; et moi aussi, messieurs, je
verrais avec plaisir que la protection accordée à l'industrie houillère fût
étendue à toutes les industries du pays et sans exception aucune.
Je voudrais voir accorder cette même protection,
et sur la même échelle, à l'industrie cotonnière tout comme aux autres
industries; et l'on en conviendra, l'industrie cotonnière est une industrie
bien moins importante pour le pays que ne l'est l'industrie linière et autres
dont la matière première est produite par le sol belge.(Le coton est un produit
étranger.) L'industrie sucrière doit être comparée à l'industrie linière.
Eh bien, quoique la matière première de
l'industrie cotonnière ne soit pas un produit belge, je demande pour cette
industrie la même protection que celle accordée à l'industrie houillère et
métallurgique, protection bien favorable aux provinces de Liège, du Hainaut et
de Namur.
D'autres industries jouissent de la même
protection.
Les raffineurs de sucres ont une protection qui
est environ de cent pour cent. Le tarif de douanes frappe les sucres raffinés
d'un droit de 95 fr. par 100 kilogrammes. Les raffineurs de Gand et d'Anvers
sont donc traités aussi bien que les fabricants de fer de Liège.
Les principes partagés par l'honorable député de
Gand (que protection égale doit être accordée à toutes les industries, sans
exception aucune), me donnaient la certitude que cet honorable collègue
appuierait la demande de protection que réclament les fabricants de sucre
indigène, et qu'il se joindrait à moi pour la solliciter du gouvernement et des
chambres. Je le croyais trop franc pour vouloir deux poids et deux mesures. Il en
est autrement, il réclame une exception contre l'industrie du sucre indigène en
faveur des raffineurs de Gand et d'Anvers.
Il est des exceptions à toutes les règles. Les
motifs qui nous dirigent, l'honorable M. Delehaye et moi, en réclamant une
protection efficace en faveur de toutes les industries, c'est le bien-être que
procure cette protection à la classe ouvrière, à laquelle nous devons accorder
du travail avant d'en procurer aux classes ouvrières des autres pays.
Nulle industrie ne donne plus de travail que
l'industrie du sucre indigène, qui, si elle obtenait la même protection
accordée à l'industrie houillère, emploierait, tant directement
qu'indirectement, plus de vingt mille ouvriers et ouvrières.
Pour ces motifs, devais-je douter un instant
devoir se réunir à moi l'honorable M. Delehaye, dans la défense de la
fabrication du sucre indigène ? Je me suis trompé (et je le regrette vivement),
comme sur le compte de M. Desmaisières ; il a aussi, dans son discours sur les
sucres, soutenu les raffineurs du sucre exotique contre la fabrication du sucre
indigène ; il parut vouloir protéger mille ouvriers gantois et anversois au
détriment de 20 à 22 mille ouvriers, dont le plus grand nombre appartient à la
classe campagnarde. Je vais, par des attestations, réfuter M. Delehaye sur la
nécessité de supprimer la culture de la betterave, afin de produire plus de
froment.
La déclaration de plusieurs cultivateurs et d'un
fermier locataire est à l'abri de toute suspicion, n'étant pas fabricants ; les
signatures sont légalisées par les autorités locales. Je vais vous en donner
lecture.
(page
1694) « Je soussigné Hubert-Joseph Verlaine, cultivateur, domicilié à
Wamont, canton de Landen, province de Liège, déclare :
« 1°Que la dépense que nécessite la
préparation d'un hectare de terre destiné à produire des betteraves à sucre,
peut être estimée comme suit :
« 1er labour ou dossage ;
« 2° labour (profond) avant l'hiver;
« 3° labour de printemps pour semer, hersages,
etc.,
« Dix chariots fumier de cour;
« Vingt à vingt-cinq chariots fumier
artificiel composé de terres et chaux vive, et coûtant deux francs par chariot.
« 2° La dépense pour ensemencement, sarclage,
binage, arrachage et mise en silos d'un hectare de betteraves, monte à 160 fr.,
savoir :
« Graine à l'ensemencement, 30
« Journées au sarclage, 75
« Journées à l’arrachage, 25
« Journée
à la mise en silos, 30
« Total, 160
« 3° Les feuilles de betteraves propres à la
nourriture des bestiaux peuvent être évaluées, au minimum, par hectare à quinze
mille kilogrammes, équivalant à pareil poids en trèfles verts.
« 4° La pulpe de betterave (après l'extraction
du jus) et propre à la nourriture des bestiaux pendant les douze mois de
l'année, peut être évaluée fraîche (pour les provenances d'une fabrique travaillant
avec des lévigateurs), à cent pour cent du poids des betteraves, soit, pour une
récolte d'un hectare évaluée à 55,000 kilog. betteraves, trente-cinq mille
kilog. pulpe fraîche ; enfin, les feuilles et les pulpes d'un hectare de
betteraves peuvent servir à nourrir, pendant douze mois au moins, deux vaches
ou bœufs, et même les engraisser en quelque sorte de cette nourriture.
« 5° L'on prend généralement, pour cultiver la
betterave, des terres qui ont porté en dernier lieu du froment; si cette terre
est en bon état d'engrais, on y gagne de bonnes récoltes en betteraves en ne
fumant qu'avec 20 à 25 chariots de fumier artificiel (chaux et terres
mélangées) sans fumier de cour; ou en y ajoutant huit à dix chariots fumier de
cour on y gagne, après les betteraves, encore une forte récolte de froment sans
fumier aucun pour ce froment.
« L'on sème aussi les betteraves après trèfles,
pommes de terre, seigle et même après avoine en y fumant plus ou moins fort
d'après l'état d'engrais de la terre.
« Généralement à la récolte de betteraves
succède le froment, quelquefois une petite partie en seigle et dans les terres
que la saison trop avancée ne permet plus de semer en durs grains, on y sème de
l'avoine, orge ou froment de mars.
« 6° La récolte de froment succédant aux
betteraves est généralement supérieure de vingt-cinq pour cent au froment
succédante une récolte de trèfles, féveroles ou pommes de terre ; cette
supériorité se trouve également encore au moins aux deux récoltes suivantes,
soit qu'elles soient en seigle, en avoine ou en trèfles.
« 7° La qualité du grain succédant à la récolte
de betteraves est généralement supérieure à tout autre puisqu'il pèse par
hectolitre au moins un kilogramme de plus.
« 8° L'on ne doit pas employer plus de fumier de
basse pour une récolte de betteraves à laquelle doit succéder (sans fumier) du
froment; au contraire on peut le faire avec moins de fumier que pour des
fourrages auxquels doivent succéder (sans fumier) des froments ; la raison en
est toute simple, les betteraves ayant été une récolte bien sarclée, la terre
en est plus propre et l'engrais n'a pas été absorbé par les herbes parasites.
« En outre, j'ai remarqué une année qu'une terre
en froment après trèfles donnés en vert aux bestiaux, et fortement fumée, ne
produisait que 10, tandis qu'une terre en froment après betteraves me
produisait 17 ; donc que dix hectares après betteraves m'avaient produit autant
d'hectolitres de froment que dix-sept hectares de froment après trèfles; outre
cet avantage, l'hectolitre froment après betteraves pesait 1 1/4 kil. de plus
qu'après trèfles, et les récoltes succédant au froment après betteraves m'ont
donné en produit vingt-cinq pour cent de plus que les autres, sans avoir dû y
employer plus d'engrais.
« Il est à observer que les deux récoltes de
froment ci-dessus citées étaient également, bien réussies.
« De plus, je déclare que, dans mon exploitation
qui est d'environ 120 hectares, je sème annuellement environ 44 hectares en
betteraves ; que je récolte en froment autant d'hectolitres et même plus que
par autre fois sur pareille exploitation, lorsque je ne cultivais pas la
betterave ; qu'en seigle, je récolte, comme par autrefois, pour toute ma
consommation et qu'en avoine, je récolte un peu moins; de sorte que pour la
nourriture de mes chevaux j'achète ordinairement une partie de ce grain que je
puis payer avec le plus de produit que j'obtiens en froment ; qu'en trèfles,
tant en vert qu'en sec, en fourrages, pommes de terre, etc., je récolte
ordinairement comme par autrefois, pour toute ma consommation, en observant
toutefois que du temps que je ne cultivais pas la betterave, je ne pouvais
nourrir, au maximum, que vingt chevaux, vingt-cinq porcs et trente bêtes à
cornes; tandis que maintenant, en cultivant plus d'un tiers du même nombre d'hectares
en betteraves, je nourris vingt chevaux, vingt-cinq porcs soixante et quinze
bêtes à cornes, et que du nombre de ces dernières avec la nourriture, tant en
feuilles qu'en pulpe des betteraves, j'engraisse annuellement trente bœufs et
vaches ou génisses, auxquels je ne donne de la farine de lin en supplément de
nourriture que les trois ou quatre dernières semaines, avant de les vendre à la
boucherie.
« J'atteste également que, depuis que je
cultive la betterave, les terres de mon exploitation ont considérablement
augmenté en valeur et par les défoncements ou labours profonds et par les
sarclages qui les ont rendues plus grasses et plus susceptibles à porter toutes
espèces de récoltes; qu'aussi je préfère payer en fermages vingt-cinq pour cent
de plus dans l'exploitation où je puis cultiver la betterave avec la certitude
de pouvoir livrer cette récolte dans ma commune, plutôt que de payer vingt-cinq
pour cent de moins de la même exploitation si je ne pouvais y cultiver la
betterave. ,
« Fait, signé et délivré la présente
déclaration à M. Eloy de Burdinne, membre de la chambre des représentants, pour
lui servir et valoir là ou besoin sera.
« Wamont, le huit juin 1800 quarante-six.
«H.-J. Verlaine, cultivateur à Wamont.
« Vu par nous bourgmestre de la commune de
Wamont, pour légalisation de la signature de H.-J. Verlaine.
« A Wamont, le 8 juin 1846.
« J.-J. Renard, bourgmestre. »
« Je soussigné déclare, en ce qui me concerne et
relativement à la quantité de betteraves que je cultive annuellement, adhérer à
la déclaration ci-dessus du sieur H.-J. Verlaine.
« A Lincent, le 10 juin 1846.
« J.-J. Lacroix , éch. »
« Je soussigné déclare, en ce qui me concerne et
relativement à la quantité de betteraves que je cultive annuellement, adhérer à
la déclaration ci-dessus du sieur H.-J. Verlaine.
« A Lincent, le 10 juin 1846.
« F.-J. Michaux. »
« Vu par nous bourgmestre de la commune de
Lincent, pour légalisation de la signature de M. J.-J. Lacroix et M. F.-J.
Michaux, tous les deux cultivateurs audit Lincent, ci-dessus apposées.
« Lincent, le 10 juin 1846.
« G. Jullet. »
Ayant donné la preuve de l'amélioration des
produits agricoles, je vais vous donner l'amélioration des classes ouvrières
par les déclarations suivantes :
« Les soussignés, membres du bureau de
bienfaisance de la commune de Wamont, déclarons que notre bureau qui a un
revenu annuel de 1,200 francs dont 600 en distribution, que la population de
notre commune se compose de 456 âmes, et que malgré la grande misère qui a
régné les derniers temps parmi toutes les populations indigentes de notre
canton, notre bureau a pu tout en secourant les plus nécessiteux et individus
invalides de notre commune, se réserver pour les besoins urgents qui pourraient
encore se présenter une somme de 300 fr. qui est restée en caisse jusqu'ici;
« Que ce bien-être provient incontestablement de
la fabrique de sucre de betterave établie en cette commune et qui occupe tous
les indigents valides, et qui par conséquent y gagnent de quoi satisfaire leurs
besoins sans devoir avoir recours à notre bureau.
« Nous déclarons au surplus que, si notre
commune n'eût pas possédé dans son enceinte la fabrique de sucre, notre bureau,
loin de pouvoir faire des économies, aurait été obligé d'avoir recours à des
emprunts pour secourir les malheureux indigents pendant l'hiver passé.
« En foi de quoi nous avons signé et délivré la
présente déclaration à Wamont le 12 juin 1846.
« A. Rubens, curé, J. J. Marsias, J. Tossins, G.
Cypers,
« Mihumblet. »
« Vu le bourgmestre de la commune de Wamont
le 12 juin 1846 pour légalisation des signatures des membres du bureau de
bienfaisance.
« JJ. Renard, bourgmestre. »
« Nous soussignés, bourgmestre et membres du
conseil communal de Houtain-l'Evêque, et les membres du bureau de bienfaisance
de la même commune,
« Déclarons qu'il a été distribué aux
indigents et nécessiteux habitants de notre commune composée de cinq cents
habitants, pendant l'hiver dernier, une somme de trois mille deux cent
vingt-cinq francs ; que cette somme n'aurait pas suffi et que le bureau de
bienfaisance aurait dû avoir recours à de nouveaux emprunts pour subvenir aux
besoins de tous les indigents, si la fabrique de sucre à Wamont n'était venue
au secours d'un assez grand nombre de nos malheureux habitants qui ont pu y
gagner, en travaillant pendant la saison rigoureuse de l'hiver, de quoi
pourvoir à leurs besoins les plus pressants.
« Nous déclarons en outre que, si notre
commune était assez heureuse de posséder dans son sein une fabrique de sucre de
betteraves, nous n'aurions pas été obligés de recourir à des emprunts pour
soulager la misère des indigents de la commune ; et qu'à l'exemple de la
commune de Wamont qui a ce bonheur, notre bureau de bienfaisance, loin de
recourir à des emprunts, aurait également pu ne pas distribuer tout son (page 1695) revenu, puisque tous ses
indigents valides auraient pu, en y travaillant, gagner pour leurs besoins.
« Fait à Houtain le 11 juin 1846.
« Les membres du bureau : J.P. Racqui, J.
Milis, B. Missouldts, J.P., J.P. Parra, L. Salmon ;
« Le conseil communal : M. Fleusus, J.
Kempeneur, D. Baken, L. Salmon, H.S. Verleine (bourgmestre). »Ur.
« B. Missojjldts. D. Baken.
«j.-P. Parra. L. Saimon.
«
L. Salhion. H.-S. Verleine (bourgmestre). »
« Je soussigné bourgmestre de la commune de Linant,
déclare que la fabrique de sucre de betterave à Wamont, rend de véritables et
grands services à la classe ouvrière de notre commune, dont une très grande
partie, au moins soixante et dix individus, y trouvent de l'ouvrage et y
gagnent de quoi subvenir à leurs besoins.
« Lincent, le 10 juin 1846.
« C. Jullet. »
En résumé, la culture de la betterave pour la
fabrication du sucre est une industrie nouvelle qui doit augmenter la quantité
de céréales que produit le pays et la nourriture du bétail, en même temps
qu'elle est appelée à faire produire au sol belge, pour la valeur de plus de 10
millions en sucre, dont la moitié au moins serait distribuée aux classes
pauvres au lieu d'être abandonnées aux Indiens.
(page 1685) M. Loos. - M. le
ministre des finances attribue à l'essence de nos institutions
constitutionnelles les perturbations fréquentes qu'ont à subir les différentes
branches de notre prospérité, en résultat des luttes et des débats dans
lesquels on les engage. C'est, en quelque sorte, d'après lui, faire la critique
du régime constitutionnel, que de prétendre qu'il doive en être autrement.
J'ai, messieurs, le plus grand respect pour les institutions qui nous
régissent et je dirai qu'elles ont nos plus vives sympathies. Je ne leur
attribue point le mal qui a été fait.
Comment les débats et les luttes entre des intérêts opposés se sont-ils
produits ?
Je ne crois pas qu'ils soient jamais résultés de l'initiative des
chambres. C'est le gouvernement qui, sous le prétexte des besoins du trésor,
est venu vous demander un impôt sur les tabacs, mettant sur le second plan la
protection à la culture indigène et appelant cet intérêt comme auxiliaire de
l'intérêt du trésor.
J'ai cité le café, dont 7 millions ont été exceptés de la loi du 21
juillet 1844. C'est le gouvernement qui l'a voulu, et pour y parvenir il a
fallu que des intérêts divers fussent mis en présence dans le but finalement de
faire une concession à l'étranger, au détriment de la navigation nationale.
Sous peu, d'autres intérêts vont se trouver en présence. Je les ai
indiqués. Est-ce la faute de nos institutions, si, au moyen d'une grande
protection douanière, on crée une branche nouvelle d'industrie et que, peu
d'années après, on veuille renverser cette industrie, dans l'intérêt d'une
industrie plus ancienne ? Non, messieurs, c'est aux fausses mesures proposées
par le gouvernement, que ces perturbations doivent être attribuées, et non pas
aux discussions de cette chambre, qui n'en sont que la conséquence.
Pour le sucre, messieurs, si dès le début de l'introduction du sucre de
betterave on avait soumis ce produit au droit d'accise auquel rien ne devait
légalement le soustraire, les deux industries ne seraient pas en ce moment à se
débattre contre une protection plus ou moins élevée que réclame l'une au
détriment de l'autre.
M. le ministre a relevé, dans la séance du 12 juin, avec chaleur et,
j'en conviens, avec le talent qui le distingue, le reproche que je faisais
qu'on voulait déposséder les villes de leur ancienne industrie, au profit d'une
industrie nouvelle fixée dans les campagnes.
Je n'ai rien, messieurs, à rétracter de ce que j'ai dit. A mon point de
vue cela est vrai, et c'est de conviction que je l'ai dit. Je crois, en effet,
que si l'on ne permet pas à nos anciennes raffineries de se relever de l'état
de décadence dans lequel elles se trouvent plongées, si de prime abord l'on
exige d'elles un rendement qu'elles ne peuvent produire, elles seront
définitivement périmes. On me répondra que d'autres raffineries plus perfectionnées
viendront les remplacer, et qu'ainsi l'industrie du raffinage n'en continuera
pas moins à rester dans les villes. Je n'en suis pas convaincu. Je ne sais si,
en présence des perturbations continuelles que l'industrie du raffinage a dû
subir, de celles qui peut-être lui sont encore réservées, on sera très disposé à risquer de nouveaux capitaux dans
une branche qui semble être le point de mire de toutes les mesures fiscales.
D'un autre côté, la protection exagérée de 15 fr. sur le droit d'accise et celle
de 3 fr. 50 éventuelle de douane, doit rendre, d'après moi, la lutte impossible
entre le sucre exotique et le sucre indigène, surtout quand je compare cette
situation à celle des deux industries en France.
J'ai reproché à M. le ministre des finances de la partialité dans les
amendements qu'il a proposés au projet primitif. En effet, dans l'exposé des
motifs M. le ministre des finances a clairement prouvé que le sucre indigène a
supporté l'égalité complète du droit et qu'en ne lui appliquant que le taux de
38 fr. il améliorait sa position. Il serait donc nécessaire que M. le ministre
fît connaître les motifs sur lesquels il fonde la diminution de 8 fr. établie
par ses amendements. La concession accordée au sucre exotique sur le rendement,
outre qu'elle était impérieusement commandée si on voulait que la loi remplît
le but qu'on s'était proposé, profite au même degré au sucre indigène ;
l'augmentation de 3 fr. dans la restitution est donc commune aux deux sucres,
mais ne dût-elle même profiter qu'au sucre exotique seul, ce ne serait toujours
que 3 fr. au lieu de 8 fr. au sucre de betterave. Ou M. le ministre s'est
trompé dans son projet primitif, ou il ne met pas suffisamment d'impartialité
dans ses amendements.
M. le ministre, combattant l'amendement proposé par l'honorable M.
Manilius, a dit : que la diminution de la recette au-dessous de 3 millions
devant être le thermomètre de l'industrie du raffinage, la hausse du rendement
serait motivée ; tandis qu'il pourrait se faire que l'industrie du sucre
indigène se trouvât dans le même moment dans une situation fâcheuse et que,
s'il lui fallait alors subir une augmentation d'impôts, on la punirait des
progrès de sa rivale. M. le ministre, encore une fois, a complétement perdu de
vue que, dans son opinion même, le sucre de betterave peut supporter le droit
de 38 fr., et qu'ainsi un tel résultat n'est pas à prévoir. Mais d'un autre
côté la diminution de la recette peut provenir des quantités de sucre indigène
qui échapperont à la vigilance du fisc et alors on punira le sucre exotique,
non pas des progrès industriels de son rival, mais des fraudes que celui-ci
aura pu pratiquer.
M. le ministre dit qu'en élevant à 40 fr. le droit d'accise sur le sucre
de betterave pour toute production au-delà de 3,800,000 kil., il limite réellement
à cette quantité le développement du sucre indigène.
Messieurs, telle n'est pas mon opinion ; je vous ai démontré qu'en
France le sucre de betterave luttait avantageusement avec le sucre colonial, ne
trouvant d'autre protection que celle qui résulte de la différence entre la
valeur intrinsèque du sucre colonial français.
Le sucre colonial français, comparé au sucre de la Havane blond, est
inférieur à celui-ci en valeur intrinsèque par 100 kil. de francs : 6 fr.
00. Par contre, le prix sur une moyenne de 10 ans, à savoir de 1835 à 1845, est
inférieur au sucre Havane blond : 3 fr. 16 c. par 100 kil. Reste une
différence de 2 fr. 84 c. par 100 kil.
Ainsi donc en France le sucre de betterave n'aurait qu'un avantage de 2
fr. 84 sur le sucre colonial, et puisqu'on prétend que les bas produits du
sucre indigène ont, comparativement à ceux du sucre colonial, une moins-value
de 4 fr., on doit, à plus forte raison, admettre que l'avantage de 2 fr. 84 se
trouve complétement absorbé et qu'ainsi il existe égalité parfaite entre les
deux produits.
En Belgique, au contraire, avec un droit de 40 fr., le sucre de
betterave jouirait d'une protection réelle de 5 fr. et éventuellement d'un
droit de douane évalué en moyenne à 3 fr. 50.
Il en résulte, messieurs, que si en France la fabrication du sucre
prospère avec une protection de 2 fr. 84, absorbée d'ailleurs par la
moins-value des bas produits, elle doit à plus forte raison pouvoir lutter en
Belgique avec une protection de 8 fr. 50 et qu'ainsi la production ne
s'arrêtera pas à 3,800,000 kil.
L'honorable M. de La Coste a combattu mes calculs en faisant remarquer
qu'il ne fallait pas, pour les prix relatifs des sucres, se baser sur une
moyenne de dix années, parce que, dit-il, depuis dix ans, le sucre colonial
français a constamment augmenté de prix, tandis que le sucre de Havane a suivi
dans cette période un mouvement contraire. En fait, messieurs, cela n'est pas
exact. Voici le tableau des prix du sucre colonial français d'après lequel ma
moyenne se trouve établie.
Prix moyen des sucres brut martinique et guadeloupe bonne quatrième sur
la place du Havre pendant les années ci-après. : 1835 : fr. 63
63 ; 1836 : fr. 65 71 ; 1837 : fr. 61 57 ; 1838 :
fr. 57 65 ; 1839 : fr. 54 87 ; 1840 : fr. 64 05 ;
1841 : fr. 57 78 ; 1842 : fr. 56 56 ; 1843 : fr. 55
87 ; 1844 : fr. 60 36 ; 1845 : fr. 59 37. Prix moyen de 11
années : fr. 59 71.
Mais enfin, messieurs, raisonnant sur la position actuelle des deux
sucres, voici quelle est aujourd'hui la différence qui existe entre eux d'après
le prix (page 1686) courant légal du
Havre du 12 courant, la bonne quatrième vaut les 100 kil. 118 50 droit
acquitté.
A déduire donc le montant du droit : fr. 49 50. Reste valeur en
entrepôt, fr. 69 00.
Le sucre havane blond (avec lequel on admet une différence de valeur
intrinsèque de 6 fr.) est coté dans le prix courant légal du 13 courant à fr.
14 50 à 17 25, soit en moyenne fl. 15 87 ; cette moyenne représente la qualité
de sucre havane, beau blond. fl. 15 87 par 50 kil. soit fl. 31 74 ou fr. 67 18.
Différence : fr. 1 82 que la bonne quatrième coûte de plus en
France.
A cette différence il faut ajouter celle de la valeur intrinsèque soit 6
fr. 00 c., ensemble 7 fr. 82, dont il faut déduire le droit de douane que
paye le sucre Havane en Belgique, soit en moyenne 3 fr. 50 c. Reste une
différence de 4 fr. 32 c. par 100 kilogr., au lieu de celle de 20 fr. qu'a
voulu établir M. de La Coste.
Ces calculs, messieurs, sont établis sur le prix actuel. Mais, je le
demande, n’est-il pas plus juste d'argumenter de ceux établis sur la moyenne
d'une période de 10 années ; en d'autres termes, faut-il prendre la règle ou
l'exception ?
J'arrive à ce qui concerne les effets de la prime de mévente, si
clairement expliqués par M. le ministre des finances, dans son exposé des
motifs.
Les sucres raffinés se vendent en consommation en raison des prix
établis pour l'exportation, auxquels on ajoute le montant de la restitution.
Si, donc, les fabricants de sucre indigène ont exporté leurs produits,
c'est qu'ils ont pu en obtenir ainsi des prix plus élevés que pour la
consommation intérieure.
Exportant avec la simple restitution de 39 fr. 64 c. par 100 kilogr.,
équivalant à l'égalité complète, c'est qu'ils rencontraient à l'intérieur une
situation pire que cette égalité.
En d'autres termes, si le sucre raffiné en pains valait, par exemple, 80
fr. les 100 kilog. pour l'exportation, si les fabricants ont accepté ce prix,
c'est qu'en y ajoutant le montant de la restitution de 39 fr. 64 c, ils ne
pouvaient pas obtenir le montant équivalent de 119 fr. 64 c. dans la
consommation intérieure.
En vain M. de La Coste dira-t-il que tel n'était le cas que pour une
partie des produits, pour la partie que les fabricants exportaient. II est
clair que le même sucre raffiné ne rencontre pas deux prix à l'intérieur ; le
consommateur ne fait pas de distinction entre du sucre en pain produit des 4/10
ou des 6/10. Il connaît la qualité du sucre, mais ne s'inquiète pas du régime
d'impôt auquel il est soumis.
Pour justifier la protection réclamée pour le sucre indigène, M. de La
Coste a cité celle accordée au tabac.
M. de La Coste, me paraît-il, n'est pas heureux dans cette citation, ni
surtout dans les chiffres dont il l'appuie.
Ainsi il a établi une moyenne sur le droit qui frappe le tabac des
Antilles qui est de fr. 15, et celui imposé au tabac d'Amérique qui ne s'élève
qu'à 10 fr.
Or, messieurs, le tabac des Antilles figure dans nos importations pour
un demi pour cent environ, les 99 1/2 p. c. restant sont introduits au droit de
10 fr.
En résumé, messieurs, nous sommes bien près, je crois, de nous entendre
sur plusieurs points.
Le trésor veut trois millions : on les lui accorde ; et si, par
impossible, il devait lui en échapper une légère fraction dans la période
d'essai de 18 mois, le gouvernement serait admis à récupérer ce léger déficit
l'année suivante.
Ce n'est pas l'industrie du raffinage qui a proposé le rendement de 68 ;
elle voulait un rendement plus bas. C'est le commerce qui, comme vous l'ont
expliqué MM. les ministres des finances et des affaires étrangères, a des
intérêts différents, qui a proposé le chiffre de 68, et il ne l'a fait que dans
la conviction que c'était le maximum que, dans l'état actuel des raffineries,
on pouvait leur imposer. Dépassez ce chiffre et vous empêchez les 9/10 de nos
raffineries actuelles de se relever et de prendre part à la production du sucre
raffiné.
Je ne comprendrais réellement pas qu'on refusât d'admettre le chiffre de
68 comme régime de transition, quand il est bien démontré, d'ailleurs, que ce
régime ne peut nuire aux revenus exigés par le trésor.
Quant au droit d'accise sur le sucre de betterave, qu'on adopte la
proposition de M. Manilius ou celle de M. le ministre des finances, un mode de
transition serait également admis. Je préfère la proposition de Manilius ;
mais, quoi qu'il en soit, on partirait de 30 fr. pour arriver au maximum de 40
fr. ; et, je le répète, d'après moi, en jugeant de ce qui se passe en France,
ce maximum n'empêchera pas le sucre de betterave de marcher d'une manière
prospère.
II ne reste donc que le maximum de rendement. D'après les déclarations
de M. le ministre des finances, nous aurions peut-être tort d'insister pour
faire écrire ce maximum dans la loi.
Ces déclarations seront-elles assez puissantes
pour inspirer à l'industrie le degré de confiance nécessaire, pour l'engager à consacrer
de nouveaux capitaux aux perfectionnements qu'exige la loi ? L'avenir lui
paraîtra-t-il stable, alors qu'il ne trouvera pas dans la loi les garanties que
celle-ci ne refuse pas au sucre de betterave ? Je ne le pense pas, et d'ailleurs
M. le ministre doit-il hésiter à écrire dans la loi ce qu'il déclare positivement
être l'intention du gouvernement quelles que soient les éventualités de
l'avenir.
Dans un pays voisin, on ne laisse point au gouvernement la faculté
d'élever le rendement sans l'assentiment de la législature : pourquoi
refuserait-on la même garantie en Belgique où, jusqu'à présent, l'industrie du
raffinage a subi déjà de si grandes et de si fréquentes perturbations ?
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Je regrette vivement, messieurs, que l'honorable rapporteur, en
présence des faits qui se sont passés, soit revenu encore sur des assertions
qui, j'aimais à le croire, lui étaient échappées dans une de nos dernières
séances. Vous venez d'entendre l'honorable membre maintenir que le but du
gouvernement était de sacrifier l'ancienne industrie des villes au profit de la
nouvelle industrie des campagnes, et vous l'avez entendu dire, en même temps,
que nous étions bien près de nous entendre ; dois-je conclure de là que
l'honorable membre, si nous sommes si près de nous entendre, veut, lui aussi,
sacrifier, l'ancienne industrie des villes au profit de l'industrie des
campagnes ? Nous, sommes bien près de nous entendre, et lorsque la discussion
nous a amenés à ce point, on renouvelle ici ces insinuations, alors que déjà
tant de faits sont venus démontrer combien elles sont injustes, combien ; les
reproches qu'on nous adresse sont immérités.
L'industrie, dit-on, est toujours victime du trésor ; ce sont les
exigences du fisc qui l’ont sans cesse comprimée. Mais, messieurs, quelle est
donc l'industrie qui se plaint ainsi du trésor ? Je comprends que d'autres industries,
qui supportent des impôts, et des impôts très lourds pour quelques-unes, je conçois
qu'elles se plaignent. Mais l'industrie du raffinage du sucre exotique est
assurément la dernière de toutes à qui de pareilles paroles devraient être permises
en Belgique. Calculez, messieurs, ce qu'aurait produit l'accise du sucre
exotique depuis 1830, si le système de 1822 n'avait pas été maintenu (et il a
été maintenu au fond, bien qu'il y ait été introduit certaines modifications),
calculez ce que le trésor aurait perçu s'il n'avait pas fait de sacrifices en
faveur du raffinage du sucre exotique.
Depuis 1831 l'accise sur le sucre exotique aurait produit 70,813,000
fr. ; nous avons perçu 21,579,000 fr., par conséquent nous avons abandonné
à l'industrie du sucre exotique 49,234,000 fr. Et c'est cette industrie qui
vient dire sans cesse qu'elle succombe sous les exigences du trésor !
Je regrette, messieurs, que la nécessité de la défense du projet m'ait
forcé en quelque sorte de porter ces faits à la tribune. Je ne l'aurais pas
fait si l'honorable membre ne l'avait rendu inévitable.
La cause des vicissitudes de la législation sur les sucres n'est un
mystère pour personne. Le système des lois de 1838 et de 1843, c'est
l'industrie du sucre exotique elle-même qui l'a-voulu, ce n'est pas le
gouvernement. Lorsque le gouvernement a voulu élever le rendement, d'où sont
venues les plaintes, d'où est venu le principe de la retenue des dixièmes ? De
l'industrie elle-même. C'est une erreur qu'elle reconnaît aujourd'hui, à tel
point que pas une voix ne s'est élevée encore dans cette enceinte pour réclamer
le maintien de la retenue. Tout le monde est d'accord que le système des
retenues a produit les désastres dont on se plaint ; eh bien ce système, les
raffineurs l'ont préféré à l'élévation successive du rendement : les raffineurs
ont été écoutés, des désastres ont eu lieu et c'est le gouvernement qu'on
accuse !
L'accusation de partialité s'est
reproduite aussi, elle s'est reproduite heureusement à la suite d'un autre
discours où elle se trouvait, quoiqu'en d'autres termes ; oui, de part et
d'autre, je le savais, je devais être accusé de partialité, parce qu'il est
impossible, je le répète, d'aller à l'extrême dans deux sens opposés.
Cette accusation de partialité, j'oserai presque dire que j'y avais
droit aussi, parce que, prenant la véritable position du gouvernement, en
présence des faits, j'ai cherché de bonne foi, consciencieusement, à maintenir
ces faits, à satisfaire tous les intérêts existants avec l'impartialité qui est
le caractère essentiel du gouvernement.
Nous sommes bien près de nous entendre !... Oui, messieurs, il s'agit, quant
à l'avantage actuel à accorder à l'industrie du sucre exotique, il s'agit simplement
d'une différence d'un franc par 100 kil. ; et quoique j'y aie provoqué
plusieurs fois les honorables membres, l'on ne m'a pas démontré que le sacrifice
de cette somme nécessaire, selon moi, pour la garantie complète des intérêts du
trésor, soit indispensable pour que l'industrie puisse prendre de l'essor,
taudis qu'elle ne pourrait pas le prendre au rendement que je vous ai proposé.
Un autre point nous divise encore ; je pense que, dans l'intérêt du
sucre exotique lui-même, il ne faut pas que cette question revienne sans cesse
inutilement se mêler à nos débats. Je pourrais invoquer la nature même de ces
débats pour prouver combien est grand l'intérêt du sucre exotique à ne pas
soulever de nouveau cette question qui nous a occupés à tant de reprises. Si je
me refuse à inscrire dans la loi le maximum de 72-58, c'est, d'une part, pour
garantir l'intérêt du trésor, et, d'autre part, pour qu'on ne vienne pas sans
nécessité démontrée reproduire la question des sucres devant nous.
Il ne peut pas être dans les intentions du gouvernement, quel que soit
l'homme qui représente sur ces bancs le gouvernement, il ne peut pas être dans
ses intentions ou, pour mieux dire, dans son droit,, en présence de la
déclaration que je fais, d'élever le rendement au niveau où (page 1687) il est ou pourra être un
jour en Hollande. On dira que de pareilles déclarations d'un ministre ne
peuvent pas lier son successeur. Quel que soit mon successeur, et quel que soit
le jour où il doive venir me remplacer, il sera lié par cette déclaration.
Quand le gouvernement dans les chambres fait une déclaration sur l'application
de la loi, le successeur du ministre qui a fait la déclaration ne peut pas
appliquer la loi dans un sens opposé, car, en le faisant, il substituerait son
opinion à celle du gouvernement. C'est ainsi que je me suis trouvé lié par la
déclaration de l'un de mes prédécesseurs sur l'article 67 de la loi du 4 avril
1843. Cette déclaration empêchait le gouvernement de surveiller exactement,
rigoureusement les fabriques de sucre indigène. J’ai voulu me faire relever de
cette déclaration et je vous ai soumis une proposition nouvelle.
Je viens à une autre observation de l'honorable rapporteur ; il dépendra
de la fraude du sucre de betterave de faire punir le sucre exotique. Si la
législation actuelle était maintenue, si l'article 6 qui permet de percevoir la
somme intégrale n'existait pas, l'argument serait fondé, mais quand je propose
de restituer au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour assurer la
perception intégrale du droit, j'espère que l'honorable membre reconnaîtra que
cette observation n'a pas de portée.
Je remarque toujours encore qu'au fond de la
pensée des défenseurs exclusifs du sucre exotique se trouve involontairement,
se trouve malgré eux une vive répulsion contre le principe de coexistence des
deux industries. Je ne puis m'expliquer autrement les difficultés qu'on fait
pour assurer au sucre indigène une part modeste sur le marché intérieur et à
l'étranger. Encore une fois si vous voulez que l'industrie indigène coexiste
avec la vôtre, comme vous demandez de bonnes conditions pour vous, vous ne
devez pas chercher à l'amoindrir, vous devez lui laisser cette part modeste que
je lui fais. Je vous y convie, ne combinez pas les dispositions de la loi, de
manière que la coexistence ne soit que nominale et ne puisse pas passer dans
les faits.
M. Manilius. - Les plus grandes vérités, les faits les plus positifs sont, aux yeux
des ministres, comme s'ils n'existaient pas. On a beau les répéter, c'est comme
si on n'avait pas parlé ; ils viennent avec un ton bien haut et un air
d'assurance, oubliant ce qu'on a dit, répondre à ce qu'il leur convient. Comme
l'honorable M. Loos, j'ai accusé M. le ministre de n'avoir pas eu cette fermeté
de rester avec le ministère nouveau dans les mêmes principes qu'avec le
ministère précédent. M. le ministre des finances vient dire aujourd'hui qu'il a
dû suivre les points posés par son prédécesseur. Mais vous deviez bien plutôt
suivre les combinaisons que vous aviez arrêtées quand vous faisiez partie d'un
autre ministère, et que vous reconnaissiez que le sucre indigène devait payer
38 fr.
Aujourd'hui vous ne reconnaissez donc plus qu'il doit payer 38 fr. ?
Répondez. Vous vous redressez bien haut, mais vous ne répondez pas sur les
faits qui sont articulés. Voici ce qu'il devait dire : Dans un autre ministère,
j'avais d'autres principes, un autre système ; aujourd'hui dans un nouveau
ministère, j'ai d'autres sentiments envers une industrie qui se pratique dans
les campagnes. J'espère que, cette fois, M. le ministre m'a compris et que,
s'il me répond, il le fera plus catégoriquement.
M. le ministre lui-même crie au voleur, comme tous les faiseurs de
brochures. Depuis 1831, dit-il, le trésor devait recevoir 78 millions sur les
sucres ; voyez il n'a perçu que 22 millions ; mais qui a payé ces 22 millions ?
Le sucre exotique. Mais qu'a payé le sucre de betterave ? Rien ! Pourquoi le
sucre a-t-il payé moins qu'il ne devait payer ? Je vais vous le dire.
Savez-vous pourquoi le sucre exotique n'a pas pu payer les millions sur
lesquels vous deviez compter ? C'est que la betterave est venue se mettre au
lieu et place du sucre exotique dans cette Belgique ; elle a livré le sucre qui
a remplacé celui qui devait payer le droit, le sucre qui devait être livré à la
consommation, car vous ne pouvez prélever le droit que sur les sucres
consommés. On consommait des sucres de betterave.
Si les 78 millions se sont réduits à 22 millions, c'est qu'une grande
partie des sucres qui devaient payer les 56 millions ont été livrés par la
betterave. Cela est si vrai, si incontestable qu'il n'y a rien à y opposer. La
betterave n'a pas pu exporter une once de sucre, elle a dû tout livrer dans le
pays ; qui l'a consommé ? le pays ; qui a payé le droit ? personne. Voilà la
cause du déficit ; les betteravistes ont beau crier au voleur ; ce fait est là
; il existe, c'est l'explication et la preuve de ce que vient de dire le
ministre. Il vous a manqué des millions, pourquoi avez-vous laissé livrer
indemnes les objets de consommation qui devaient être imposés ?
Pour revenir à ce qui devait exister, je convenais qu'il fallait marcher
lentement, procéder graduellement. Mais dans la fougue qui vient de vous
prendre, M. le ministre, vous criez : C'est la canne qui a tout volé ! Je viens
de prouver le contraire, par une démonstration positive et mathématique contre
laquelle il n'y a pas un mot à dire. La betterave a livré, sans rien payer, le
sucre qui devait payer le droit. Qu’est-il arrivé à la canne ? Elle a dû
chercher son salut à l'étranger ; elle a dû exporter, le marché étant encombré.
Ce n'était pas pour exporter qu'on devait payer, mais pour consommer. La
vérité n'a pas été dite jusqu'ici assez clairement ; on veut la dire si
académiquement que personne ne comprend.
Je reviens toujours, messieurs, à l'idée que j'ai fait valoir en dernier
lieu. Il faut faire la part de la position. Je démontre la faute que l'on a
commise, mais je reconnais l'impossibilité de redresser immédiatement cette
faute. C'est un arbre qui a pris une mauvaise tournure. Il faut le redresser
lentement au moyen d'un bon tuteur. Eh bien, mon amendement est ce tuteur. Il
permet de redresser lentement la faute commise, mais en permettant à
l'industrie toute latitude dans ses progrès.
L'honorable ministre des finances m'a fait plaisir en déclarant, au début
de cette séance, qu'il avait examiné mon amendement. Mais bientôt après, il a
cru devoir me faire un reproche de ce que je voulais, dit-il, aggraver la
position du sucre indigène en portant éventuellement le droit d'accise à 40 fr.
Messieurs, je le demande, comment ce reproche peut-il se justifier ?
Mais dans les vues de M. le ministre, le droit d'accise doit également
s'élever, le cas échéant, à 40 fr. Seulement nos deux points de vue sont
différents. Je veux arriver à ce droit de 40 fr., alors que la betterave
occasionnera un déficit au trésor, et je vais vous l'expliquer.
Vous frappez, dans votre combinaison, le sucre indigène, de 30 fr. et je
me rallie à ce droit pour le moment. Je dis que le sucre de betterave frappé
d'un droit de 30 fr., et jouissant de la latitude de l'exportation avec la même
remise que le sucre qui a payé 45 fr., recevra, pour moins de moitié de sa
production, le remboursement de la totalité des droits qu'il aura payés.
C'est ainsi, messieurs, que quand le sucre de betterave aura payé 30 fr.
au trésor pour la prise en charge de 100 kil., lorsque l'on exportera 44 kil.
et quelque chose, tout le reste du sucre de betterave restera dans le pays sans
rien payer. Et alors on viendra encore vous dire : Il y a un déficit, il y a
vol dans la caisse du trésor. Et ce déficit, messieurs, proviendra de ce
qu'encore une fois la betterave ne paye rien au trésor.
L'honorable M. Eloy de Burdinne, dans ses longs calculs, nous a dit que
le sucre brut contient 88 kilogrammes de bon sucre. Car, a-t-il dit, la
cassonade est aussi du bon sucre. Il y a 10 p. c. de mélasse et 2 p. c. de
déchet ; reste donc 88 kilogrammes sur 100.
Messieurs, si le sucre brut de canne contient 88 p. c. de bon sucre, il
doit en être de même, à plus forte raison, du sucre de betterave. Car la
betterave ne se prend en charge que lorsque l'on a eu recours à tous les moyens
employés pour se soustraire à une partie de l'impôt, et les 100 kilogrammes de
sucre de betterave qui payent 30 fr. ne les payent que lorsqu'ils ont déjà
passé par une première manipulation.
Mais admettons que les 100 kilogrammes de sucre brut de betterave ne
produisent que 88 kilogrammes de bon sucre. Sur ces 88 kilog. vous payez 30 fr.
de droits, et lorsque l'on en exporte 44 kilog. on rembourse les 30 fr. Restent
donc 44 kilogrammes qui se consommeront dans le pays, indemnes de tout droit.
Or, si l'industrie du sucre de betterave prend des développements, il est
évident qu'il restera dans le pays tant de sucre indemne, que les besoins du
trésor ne seront plus satisfaits.
Eh bien, j'ai prévu ce cas dans mon amendement. Je ne dis pas au sucre
de betterave : Si vous travaillez beaucoup, l'accise sera augmentée. Mais je
lui dis : Si vous ne payez plus de droits au trésor, si vous vous faites
rembourser ce droit et au-delà en exportant une partie de vos produits,
l'accise sera augmentée. Et ce raisonnement est plus logique que celui de M. le
ministre des finances.
Je dis au sucre de betterave : Jusqu'ici vous n'avez rien payé ou vous
avez payé fort peu de chose, vous avez profité de l'indolence du gouvernement
pour vous soustraire à l'impôt, et je ne vous en fais pas un crime. Mais
maintenant il faut payer, toutefois en tenant compte de la position.
M. le ministre des finances me dit : Votre amendement porte sur deux
principes différents. Il n'y a pas de connexité entre le chiffre du rendement
et celui de l'accise. Mais je veux établir cette connexité que je ne trouve pas
dans les propositions de M. le ministre des finances, je veux que lorsqu'on
frappe d'un côté, on frappe en même temps de l'autre. Je veux que lorsque vous
frappez le sucre exotique, parce que vous supposez que par suite de son
rendement, il ne rapporte pas assez au trésor, vous frappiez aussi le sucre
indigène qui, peut-être par ses exportations, produit le déficit dont vous vous
plaignez. Je veux que lorsque vous frappez à une porte, vous frappiez aussi à
l'autre porte où vous auriez dû frapper souvent et depuis longtemps.
M. le ministre me dit encore : Dans la supposition d'un déficit de
100,000 fr. vous frappez hors de toute proportion le sucre de betterave, vous
le frappez doublement ; car vous élevez le rendement et vous augmentez en même
temps le droit d'accise.
Messieurs, faites attention que je-pars de la situation où nous nous
trouvons ; que je n'ai pas pris pour mon point de départ un chiffre
raisonnable, mais que j'ai pris un chiffre qui malheureusement nous a été
fourni par le gouvernement, et que je me vois obligé d'adopter. C'est une
concession que je fais. Car je vous ai signalé l'avantage qu'aura le sucre
indigène sur le sucre exotique, sur les marchés étrangers, mais cet avantage
sera bien plus grand encore sur le marché indigène. En effet, vous proposez 30
fr. de droit sur le sucre indigène et 45 fr. sur le sucre exotique, et vous
prétendez qu'il y a connexité entre ces chiffres. Messieurs, je dis qu'il n'y a
pas connexité alors que vous accordez au sucre indigène une faveur de 50 pour
cent sur le marché.
Ou a parlé de la houille, on a parlé du fer ; mais s'il s'agissait
d'accorder une faveur de 50 p. c. sur le fer employé à la consommation, on se
récrierait bien haut. Je ne crois pas, en effet, qu'il puisse entrer dans
l'idée de qui que ce soit de proposer une pareille mesure. C'est cependant,
messieurs, ce qu'on vous propose pour le sucre indigène. Et après cela, M. le
ministre des finances vient nous dire : Vous n'êtes pas juste, vous n'êtes pas
logique, il n'y a pas de connexité dans vos propositions. Au contraire,
messieurs, nous cherchons à établir la connexité dans un temps donné, mais en
tenant compte de la malheureux position où nous nous trouvons par la faute du
gouvernement, en réparant cette faute avec une sage lenteur. Je consens à une
pareille concession, et M. le ministre (page
1688) des finances vient m'accuser d'être illogique. Il n'y a pas de
logique, dit-il, dans vos propositions, parce que vous voulez tout d'un coup
élever le droit de 30 à 38 fr., en même temps que vous aggravez les conditions
pour l'exportation. Messieurs, il n'y a rien d'illogique dans ces propositions.
Mais vous êtes dans une position exceptionnelle ; je veux vous faire rentrer
dans la position normale, dans la position où vous devriez être depuis
longtemps, où vous seriez entré si le précédent ministère subsistait encore ;
et alors nous n'aurions pas à signaler les contradictions dont vous nous donnez
ici l'exemple.
Messieurs, je crois que les observations que je viens de vous présenter
sont assez frappantes pour occuper un moment votre attention. Je pense du reste
que quand nous en viendrons au vote sur les questions de principe qui vous ont
été soumises par M. le ministre des finances, nous nous trouverons d'accord
avec le gouvernement en plusieurs points. C'est ainsi que le maximum que j'ai
proposé dans mon amendement paraît être admis par M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Non ! non !
M. Manilius. - Vous nous posez un principe, cela préjuge que vous allez soutenir ce
principe ; sinon vous ne le pourriez pas. Il ne s'agit donc pas de dire : Non !
non ! On a souvent posé des questions de principe dans cette enceinte, et ceux
qui les ont posées, les ont conçues dans le sens de l'opinion qu'ils voulaient
soutenir. Je dirai même que dans vos questions de principe, il y a, en ce qui
concerne le minimum, une espèce de stratagème. Vous posez trois chiffres
différents. Mais pourquoi ? Proposez le chiffre que vous jugez convenir, et non
trois chiffres différents.
J'avais encore, messieurs, quelques points à traiter. Mais comme la
discussion a déjà été très longue et qu'elle paraît perdre de son intérêt, tant
il a été donné de détails et d'explications, je préfère me borner là pour le
moment.
J'aurais pourtant dû entre autres répondre à
l'honorable M. de La Coste. Mais comme j'ai quelques doutes sur les expressions
que je n'avais pas assez exactement annotées, et que je n'ai pas encore trouvé
le discours de l'honorable membre dans le Moniteur, je réserverai mes
observations. J'attendrai la publication de ce discours, qui sera sans doute un
discours modèle, puisqu'il aura exigé trois jours de travail à son auteur.
M. de La Coste. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Je regrette beaucoup que l'honorable M. Manilius pense que j'aie
travaillé mon discours. Je l'ai eu samedi soir et je l'ai renvoyé dimanche, à 9
heures du matin, au Moniteur.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs, je répondrai très brièvement et aussi peu académiquement
qu'il me sera possible, aux observations de l'honorable préopinant.
Et d'abord, messieurs, j'ai soumis à la chambre des propositions de
principe pour faciliter le vote, pour que les dispositions qui sont formulées
en articles de loi, sous une forme complète, fussent en quelque sorte divisées
d'avance ; mais j'ai si peu entendu préjuger aucune opinion que, pour l'une de
ces questions, j »ai posé les chiffres dans l'ordre ou le règlement
lui-même les place, puisque, pour le vote, on doit passer du chiffre le plus
élevé au chiffre inférieur et ainsi de suite.
Ce n'est donc qu'une formule pour le vote. Mon opinion est si peu
engagée par la rédaction de ces propositions, que si j'avais admis tout ce qui
s'y trouve, je me poserais le défenseur de deux ou trois opinions parfaitement
contradictoires.
Du reste, après tous les débats qui ont eu lieu, mon opinion n'est pas
douteuse. J'ai indiqué un maximum, parce qu'il se trouve dans l'amendement de
l'honorable M. Manilius et que j'ai voulu résumer toutes les propositions qui
jusqu'à présent ont surgi du débat, mais je n'hésite pas à déclarer à
l'honorable préopinant que je voterai négativement sur cette proposition de
maximum, c'est-à-dire que je ne l'admets pas.
L'honorable membre persiste à croire que j'ai eu d'autres sentiments
sous un autre ministère. Messieurs, s'il en était ainsi, l'honorable membre ne
devrait-il pas se féliciter de ce que, sous un ministère qui paraît avoir à un
degré moindre encore les sympathies que le ministère précédent, cette
modification de mes opinions se soit faite de cette sorte que nous soyons
rapprochés, au point d'être très près de nous entendre, selon les expressions
de l'honorable M. Loos. S'il y avait eu revirement d'opinion, et si, sous le
ministère actuel, je m'étais rapproché de l'honorable membre, je ne vois pas où
il y aurait là matière à un reproche.
Messieurs, deux propositions connues se trouvaient dais le projet
primitif ; c'était le chiffre du rendement et le droit d'accise sur le sucre
indigène.
L'honorable membre me demande pourquoi j'ai consenti à réduire le
chiffre de l'accise de 38 à 30 fr. Ma réponse sera très simple et encore une
fois très peu académique. J'ai réduit le chiffre de l'accise de 38 à 30 fr.,
parce que j'ai abaissé le rendement de 72-58 à 69-23.
J'ai fait remarquer que le trésor, en vue des développements du
commerce, sacrifiait une grande partie de l'accise. C'est encore une fois cette
malheureuse industrie indigène qui, paraît-il, est avec le gouvernement la
cause de tout le mal.
Les faits qui paraissent si positifs à l'honorable membre, ne le sont
réellement que très peu. Ainsi quelle est l'année, depuis 1830, où le produit
de l'accise a été le moins élevé ? C'est l'année 1836. En 1836 le trésor public
a perçu 205,579 fr. D'après le taux de l'accise, tel qu'il existait alors, les
droits devaient être de 4,664,520 fr. ; différence, 4,458,941 fr. Or,
messieurs, c'est en 1830 que l'on a fondé en Belgique les trois premières
fabriques de sucre de betterave, et leur production totale a été cette année de
150,000 kil. environ. Je ne sais pas si ce sont ces 150,000 kil. de sucre de
betterave qui ont absorbé 4,458,941 fr.de recette. Je me borne à citer ce fait,
et j'ajouterai franchement que c'est le fait le plus saillant. Mais il se
reproduit à peu près de la même manière pour les années antérieures à
l'existence des fabriques de sucre de betterave, et la prime a fort peu varié
depuis que ces fabriques existent.
Quant à l'amendement de l'honorable membre, je n'ajouterai qu'un seul
mot.
Il me paraît évident que l'on ne peut pas aggraver les conditions de
l'industrie du sucre indigène, s'il est démontré par les faits que déjà la loi
a fait une condition trop dure, si, par exemple, cette industrie décline,
considérablement sous le régime de la loi nouvelle.
Je demande que l'on discute ce fait : Je suppose qu'il y ait une
diminution de 100,000 fr. sur les recettes, parce que le mouvement commercial
se sera porté à 40 millions, par exemple, au lieu de rester à 37 millions,
parce que le mouvement du sucre exotique aura dépassé de 3 millions la quantité
qu'il peut atteindre en laissant au trésor une recette de 3 millions.
Le déficit de 100,000 fr. doit être couvert. Eh bien, quelle est la
conséquence de l’amendement de l'honorable M. Manilius dans cette hypothèse ?
C'est que le sucre indigène à lui seul, fût-il réduit d'un tiers, payera plus
que le déficit tout entier, et que s'il avait une production de 3,800,000
kilogrammes, le sucre indigène, par suite du déficit de 100,000 fr., payerait à
lui seul, d'après l'amendement, 190,000 fr.
Je ne sais vraiment comment, en présence de ce fait, l'honorable membre
soutiendra encore que son amendement est juste, équitable et logique.
M. le président. - La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau. - L'heure est déjà fort avancée.
Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !
M.
Loos. - Si M. Lebeau voulait me permettre
d'ajouter quelques
M. Lebeau. - Je renonce à la parole, puisque
la chambre paraît disposée à clore.
M.
Loos. - Je regrette, messieurs, de devoir revenir
sur un reproche que j’ai adressé à la loi.
M. le ministre des finances proteste que ses intentions ne sont pas de
déposséder les villes d'une industrie pour placer cette industrie dans les
campagnes. Je n’ai pas à m'occuper des intentions de M. le ministre ; je n’ai à
m'occuper que des résultats de la loi. Or, d'après moi, malgré toutes les
protestations de M. le ministre des finances, la loi aura pour résultat de
détruire l'industrie du raffinage qui existe dans les grandes villes, au profit
de la fabrication du sucre de betteraves qui existe dans les campagnes. Je
crois, messieurs, avoir prouvé par des arguments auxquels M. le ministre n'a
pas répondu, que l'industrie du sucre de betteraves peut exister en Belgique
avec la protection qu'elle a en France ; or cela étant, il doit nécessairement
en résulter que la protection qu'on veut maintenant accorder au sucre de
betteraves est une protection exagérée, que si le sucre de betteraves obtient
cette protection il envahira le marché intérieur et en exclura le sucre
exotique qui n'aura plus d'autre destination que l'exportation.
Eh bien, je demande si, dans de telles conditions, l'industrie du sucre
exotique pourra subsister, et si de semblables propositions n'auront pas pour
effet inévitable d'anéantir l'industrie des villes au profit de l'industrie des
campagnes. C'est là la conséquence naturelle des propositions de M. le
ministre, mais je n'incrimine pas ses intentions.
M. le ministre ne veut pas admettre le rendement de 68, parce que,
dit-il, il ne lui est pas prouvé qu'avec ce rendement le trésor percevra trois
millions par an. Mais, messieurs, je n'ai qu’à prendre en mains l'exposé des
motifs où M. le ministre prouve lui-même qu'avec le rendement de 68 le trésor aurait
un revenu de plus de 3 millions. D'ailleurs si la démonstration de M. le
ministre des finances n'était pas suffisante, M. le ministre des affaires
étrangères nous a également prouvé que le produit du fisc monterait à 3
millions, avec un rendement de 68.
M. le ministre ne veut pas écrire dans la loi un maximum de rendement.
Il veut bien déclarer que tel chiffre ne sera pas dépassé, et cette déclaration
sera, dit-il, respectée par son successeur, puisque lui-même remplit dans ce
moment une obligation contractée par son prédécesseur.
Mais, messieurs, la loi de 1843 n'avait rien laissé dans le vague, elle
avait établi deux espèces de vérifications, notamment une vérification à
l'emploi.
Eh bien, le texte formel de la loi n'a pas arrêté le prédécesseur de M.
le ministre des finances ; de son autorité privée il a supprimé la vérification
à l’emploi et y a substitué un abonnement. C'est ainsi qu'il a ouvert la porte
a toutes les fraudes que nous sommes venu vous signaler.
Or, messieurs, je le demande, si la lettre de la loi n'a pas même pu
arrêter le prédécesseur de M. le ministre des finances, comment les
déclarations qu’il veut bien nous faire maintenant, arrêteront-elles son
successeur ?
Je ne crois pas, messieurs, que ces déclarations suffisent pour inspirer
aux raffineurs une confiance telle qu'ils consentent à engager de nouveau dans
leur industrie des capitaux si souvent compromis.
M. le ministre des finances reconnaît que la fixation d'un maximum du
rendement ne peut pas porter préjudice au trésor, alors je ne comprends pas
pourquoi ce maximum ne serait pas inscrit dans la loi. Je ne comprends pas non
plus pourquoi l’on ne partirait pas du minimum de 68. Il n'existe aucune
crainte à cet égard, M. le ministre des finances l'a prouvé, M. le ministre des
affaires étrangères l'a prouvé surabondamment (page 1689) et si on le désirait, je suis à même, comme rapporteur
de la section centrale, de le prouver encore. Ainsi avec le rendement de 68 le
revenu du trésor serait assuré et pourquoi dès lors n'admettrait-on pas ce
rendement ? Les raffineurs ont besoin de se relever et de pouvoir opérer dans
leurs usines les améliorations que requiert la loi actuelle ; après cela le
rendement pourra être graduellement élevé.
En répondant tout à l'heure à l'honorable M. Manilius, M. le ministre
vous a expliqué, messieurs, ce que je lui avais demandé dans mon premier
discours. J'aurais voulu qu'il justifiât l'abaissement du droit d'accise en
faveur du sucre indigène. Quant au rendement, M. le ministre a eu la loyauté de
vous dire qu'il s'était trompé ; il a bien voulu reconnaître, qu'avec le
rendement de 72 58/100, il est impossible que nos raffineurs concourent sur le
marché extérieur avec les raffineries hollandaises. Dès lors, la loi restait
pour les raffineries une lettre morte, ou bien il fallait changer le rendement.
M. le ministre l'a reconnu, et, de bonne foi, il nous a proposé une réduction
du rendement, mais M. le ministre nous a dit que c'était pour donner une
compensation au sucre indigène qu'il avait en même temps proposé une réduction
du droit d'accise sur ce sucre.
On l'a déjà dit, messieurs, le rendement concerne aussi bien le sucre
indigène que le sucre exotique, puisque le sucre indigène est appelé désormais
à concourir à l'exportation. Aussi je ne pense pas qu'aucun défenseur éclairé
du sucre indigène vienne prétendre qu'il faille élever le rendement.
Eh bien, M. le ministre, par un motif d'équité, propose d'abaisser le
rendement, et au même instant il retire cet avantage en réduisant de 38 à 30
fr. le droit d'accise sur le sucre indigène. Il abaisse le rendement de
72,58/100 à 69,23/ 100, c'est-à-dire qu'il améliore de 3 fr. la position des
raffineurs, et par compensation, dit-il, il accorde au sucre de betterave un
nouvel avantage de 8 fr.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - C'est sur des quantités entièrement différentes.
M.
Loos. - Je profiterai de l'interruption pour dire
qu'il est très vrai que la réduction ne porte aujourd'hui, d'après M. le
ministre, que sur un tiers de la consommation, mais que personne ne peut vous
répondre qu'elle ne portera pas sur la moitié dans deux ans et peut-être sur la
totalité dans six ans. Les progrès que l'industrie du sucre de betteraves a
faits en France doivent nous donner une idée de ceux qu'elle fera en Belgique,
et M. le ministre des finances ne nous expliquera pas comment, lorsque
l'industrie du sucre de betteraves s'est perfectionnée en France au point de
lutter à armes égales avec l'industrie du sucre exotique, comment, dans ce
pays, elle resterait stationnaire.
Quand M. le ministre des finances lui-même s'est encore charge de dire
dans son exposé des motifs que les fabriques de ce pays étaient aussi
perfectionnées que celles de France ; quand M. le ministre est venu nous dire
qu'ici les fabricants n'avaient pas eu à subir les pertes qu'entraînent
ordinairement les essais ; qu'ils n'ont fait que copier ce qui existe en
France, comment dès lors n'auront-ils pas le résultat qui a été obtenu par les
fabricants en France ? Le sucre indigène ne restera pas stationnaire.
Pour moi, il est prouvé que si le sucre
indigène fournit aujourd'hui à un tiers de la consommation, il fournira à la
moitié, avant deux ans, même avec le droit de 40 fr.
« Le sucre indigène, dit M. le ministre des finances, fournit seulement
à un tiers de la consommation ; vous avez les deux autres tiers, et vous avez
l'exportation ; et vous voulez disputer au sucre indigène la part modeste que
je viens lui faire. »
Ce n'est pas M. le ministre des finances, ce n'est pas la loi qui
arrêtera l'élan du sucre indigène. J'ai entendu dire par un des défenseurs du
sucre indigène : « Vous aurez beau faire, avant cinq ans, nous aurons le marché
intérieur, et vous n'existerez plus à l'état d'industrie. » Avec de semblables
idées sur l'avenir du sucre, ne restons-nous pas en dessous de la réalité ?
M. Manilius. - Messieurs, M. le ministre des finances, en attaquant les chiffres que
j'avais posés, a prétendu que le sucre de betterave n'avait lésé les droits du
trésor en 1836 que pour une faible somme. Je répondrai que ce n'est que depuis
1843 qu'on exerce une surveillance sur l'industrie du sucre de betterave ; et
que c'est précisément dans l'intervalle qui sépare 1836 de 1843, que le trésor
a eu à supporter de ce chef les plus grandes pertes. Pour le moment je ne tiens
qu'à faire cette remarque.
M. de Mérode. - Messieurs, si le sucre de betterave est appelé à un si bel avenir, il
serait mal entendu de le contrarier, puisque c'est une industrie indigène, plus
profitable que celle qui s'exerce sur une matière que l'on va chercher à l'étranger.
Je ne fais pas ici de distinction entre les villes et les campagnes ; je ne
m'embarrasse pas de savoir si c'est dans un bourg ou dans un village que l'on
travaille.
- La clôture est demandée.
M. Rogier. - Il est
bien entendu que la discussion pourra se renouveler à l'occasion des
propositions qui ont été faites par M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs, l'on pourrait clore la discussion générale, et aborder
alors, soit les articles, soit les questions de principe. Quand j'ai formulé
ces questions, j'ai voulu résumer les diverses opinions, de manière que le vote
de chacun fût libre et conforme au règlement. Si l'on juge qu'il y a économie
de temps et plus de régularité dans la discussion en votant sur les questions
de principe, on pourra le faire ; mais si on préfère entamer les articles, dans
cette hypothèse même, les propositions que j'ai formulées ne sont pas inutiles
; car il y a tel ou tel article que je résumerai en une ou deux de ces
propositions, et qui devra être divisé, pour que le vote puisse avoir lieu
conformément au règlement.
Je demande donc que la discussion
générale soit close, et que la chambre se prononce ensuite sur l'ordre du vote.
M. Veydt (sur
l'ordre du vote). - Messieurs, mon intention n'est pas de prendre de nouveau
part à. la discussion générale ; mais la clôture de la discussion aurait un
inconvénient très grave pour les défenseurs du sucre exotique. M. le ministre
des affaires étrangères n'a pas encore prononcé la seconde partie de son
discours, qu'il nous avait promise ; j'attendais cette partie avec d'autant
plus d'impatience que M. le ministre devait y rencontrer beaucoup d'arguments
que nous avons fait valoir en faveur du sucre exotique. Je serais fâché que la
clôture vînt nous priver de cette partie du discours.de M. le ministre des
affaires étrangères.
M. Desmaisières (sur l'ordre du vote). - Messieurs, il est évident que les questions de
principe qui ont été posées aujourd'hui par M. le ministre des finances sont
des questions corrélatives, qui exigent par conséquent une discussion générale
sur ces questions de principe. Je ne m'oppose pas à la clôture de la discussion
générale ; mais il doit être entendu qu'à l'occasion de l'article premier, tous
les orateurs pourront faire porter la discussion sur toutes les questions de
principe ; car sinon, on prendrait des décisions sans discussion, sans examen,
sans connaissance de cause.
M. Rogier (sur
l'ordre du vote). - Si l'on veut préciser seulement la discussion, je ne
m'opposerai pas à la clôture ; mais il doit être entendu que la liberté de la
discussion restera entière. Je n'ai pas pris part à la discussion générale ; je
me réservais d'examiner les principes en eux-mêmes, et dans leur corrélation.
Il faut s'entendre. S'il est convenu que l'on ne restreindra pas la discussion
des articles, mais que la discussion pourra embrasser celle des principes, je
n'ai plus d'observation contre la clôture.
M. le ministre des finances (M.
Malou) (sur l'ordre du vote.) - Messieurs, de deux
choses l'une, ou il faut clore la discussion générale, ou la laisser continuer,
mais la clore et la laisser se reproduire sur chaque proposition, c'est ne rien
faire, et la question des sucres deviendra insoluble, parlementairement
parlant. Je demande donc que si l'on clôt aujourd'hui la discussion générale,
l'on aborde demain les articles, et nous examinerons alors ce que nous devons
faire des questions de principe. (Aux voix ! aux voix !)
- La chambre n'est plus en nombre suffisant pour prendre une décision.
La séance est levée à 4 heures 3/4.
Errata. — Annales
parlementaires (discours de M. de la Coste), page 1634, 1ere colonne, 2e alinéa
: « Mais on regardait, » lisez : « Messieurs, on regardait. » — Page 1634, 2ème
colonne, 2e alinéa : » La restitution que contient la prime, ;» lisez : « la
restitution qui contient la prime. — Page 1655, Ire colonne, 2e alinéa : « Les
quelques millions que nous enverront les autres pays, » lisez : « les quelques
millions que nous enverrons dans les autres pays. »