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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du jeudi 2 juillet 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre
2) Projets de loi portant
règlement des exercices 1839, 1840 et 1841
3) Projet de loi portant approbation
du traité de commerce conclu avec la France (+droits sur les lins et la laine).
Discussion générale (Osy, Rodenbach, de
Muelenaere, Osy, Zoude, de Haerne,
(+possibilité d’une union douanière et situation économique globalement
satisfaisante de la Belgique) Dechamps, David)
(Annales parlementaires de
Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Vilain XIIII.)
(page 1802) M. de Villegas procède à l'appel
nominal à une heure.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en
est approuvée.
M. de Villegas présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« Les notaires de l'arrondissement d'Anvers présentent des observations
concernant le projet de loi sur l'organisation du notariat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
PROJETS DE LOI PORTANT
REGLEMENT DES EXERCICES 1839, 1840 ET 1841
M. le ministre des finances (M.
Malou) présente les projets de
règlements des exercices 1839, 1840 et 1841.
- II est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de
loi ; ils seront imprimés et distribués.
La chambre les renvoie à l'examen de la commission permanente des
finances.
PROJET DE LOI
APPROUVANT LA CONVENTION COMMERCIALE CONCLUE AVEC LA FRANCE
Discussion générale
M. Osy. - Messieurs, déjà en 1842 j'avais trouvé comme très onéreuse pour la
Belgique, la convention faite avec la France, et cependant alors nous ne
sacrifiions aucune de nos industries, et le trésor seul faisait un grand
sacrifice pour soulager deux de nos provinces ; outre le trésor, toutes les
villes se ressentaient défavorablement de cette convention ; nous nous
engagions à ne pas augmenter l'octroi sur les vins et eaux-de-vie de France, et
cependant comme ce sont des objets de luxe, on aurait pu en retirer les plus
grandes ressources ; toutes les villes sont obérées et comme ces articles
imposables leur échappèrent, on fut obligé pour satisfaire aux besoins toujours
croissants, d'imposer les articles dont la classe moyenne et pauvre a le plus
grand besoin, et tous les ans lorsque nos communes font leur budget, on déplore
que cette matière imposable nous échappe.
Le trésor est dans le même cas. N'aimerions-nous pas mieux imposer le
luxe et les besoins des classes aisées, que d'avoir recours à imposer fortement
le sel, les bières et les genièvres ?
Cependant nous devons ménager la boisson du riche et les vêtements de
nos grandes dames en diminuant l'impôt sur les vins et eaux-de-vie ainsi que
sur les soieries et sur les objets de mode.
Cependant, en 1842, j'ai voté la convention, parce qu'on nous disait
alors que pour l'époque de l'expiration de la convention, le gouvernement
aurait travaillé à procurer à nos Flandres d'autres débouchés pour nos toiles
que le seul marché de France ; qu'on aurait étudié les besoins de l'Amérique et
des colonies, et qu'on nous aurait mis à même de lutter avec l'Angleterre sur
ces marchés.
Cependant, nous voilà arrivés à la fin du traité et on n'a rien fait.
Notre industrie linière est restée stationnaire, et le marché de France, pour
lequel vous voulez encore faire des sacrifices et des sacrifices nouveaux, vous
échappe, et, avant trois ans, il vous sera fermé de fait par les progrès qu'on
fait en France, tant pour la consommation intérieure du pays, que pour
l'exportation.
La France, qui paye de si grands droits d'entrée sur les fils et les
toiles, peut exporter vers l'Amérique et les colonies, et vous restez
stationnaires ; vous n'étudiez pas les besoins d'autres contrées et vous ne
voulez pas faire des toiles au goût des grands consommateurs éloignés et vous
ouvrir de vastes marchés. Non, vous voulez que chaque tisserand continue de
venir avec sa pièce de toile au marché le plus voisin, de manière que cette
industrie n'est qu'une véritable boutique ; et quand nous voulons acheter une
partie un peu considérable pour les colonies, nous devons acheter par pièces,
et nous ne trouvons pas de marchandise régulière de même nuance et faite de
fils de même numéro, et l'apprêt diffère toujours. Ainsi, pas une seule
exportation faite aux colonies n'a manqué de nous donner les plus grands
désagréments et les plus grandes plaintes. Et comme tout cela se traduit par
des pertes, nous sommes forcément obligés de renoncer à soulager, par des
exportations, nos populations qui continuent à travailler comme on le faisait
il y a des siècles, tandis que tous nos voisins, ayant étudié les besoins des
grands consommateurs, font de la marchandise régulière bien apprêtée, et ont
trouvé de vastes débouchés. Cependant, tous les ans, nous votons de fortes
sommes pour nos agents à l'étranger pour connaître les besoins et les goûts aux
colonies, nous n'avons jamais refusé de l'argent au gouvernement pour faire
sortir l'industrie linière de son ancienne ornière ; mais jusqu'à présent tout
a été en pure perte et nous n'avons pas fait un seul pas en avant.
Il y a peu d'années que l'industrie privée a établi des filatures à la
mécanique, et au lieu que cela soit bien vu par l'industrie et par le
gouvernement, on flatte encore toujours la filature à la main. Je conviens que
la filature à la main peut occuper beaucoup de fileuses ; mais si alors vous
faites des toiles qui reviennent trop cher, vous ne pouvez pas vendre vos
toiles ; alors vos fileuses, tout en ayant été occupées, ne peuvent pas trouver
un salaire convenable, et doivent perdre sur la marchandise. Aussi, pour
concourir avec l'étranger, il faut faire beaucoup et à bon marché et au goût
des pays de consommation. Le gouvernement et nos administrations provinciales
et locales devraient faire comprendre aux populations, que, comme pour la laine
et le coton, il faut travailler avec assiduité à transformer cette industrie ;
et plus nous trouverons de débouchés, plus il s'établira des fabrique où nos
populations trouveront de bonnes journées, tandis qu'avec le rouet on ne gagne
pas de quoi manger du pain sec et encore arrosé de larmes, quand, au bout de la
journée, nos pauvres fileuses n'ont pas gagné de quoi nourrir leur nombreuse
famille.
Avant peu on sera obligé d'abandonner aussi la navette, et au lieu de
tisser à la main on sera obligé de tisser à la mécanique, et de suivre les
progrès de nos voisins pour trouver des débouchés eu faisant de la (page 1803) marchandise régulière à bon
compte et au goût des consommateurs. Il faut donc travailler et expliquer aux
populations que c'est pour leur bien-être qu'il faut transformer cette
industrie, et qu'il devient temps d'abandonner le rouet et bientôt la navette ;
et alors vos populations si malheureuses trouveront un grand bien-être à
travailler dans des établissements créés, qui pourront faire des masses et
travailler pour l'exportation. Mais il faut que tout le monde, depuis le
gouverneur jusqu'au bourgmestre, fasse bien comprendre que cette transformation
devient nécessaire pour le bien-être des populations, pour leur assurer des
journées certaines, et ne pas continuer à les exposer à la misère, en les
laissant travailler chacun pour soi, et après avoir filé quelques kilog. de fils ou tissé quelques pièces de toile, de devoir vendre
à perte et de n'avoir aucune rétribution pour leurs nombreuses journées.
Voilà ce que l'on ne veut pas comprendre en Flandre ; on veut continuer
comme on a fait il y a des siècles. Toutes les nations autour de nous font des
progrès, pour faire beaucoup, à bon marché et de grandes parties très régulières
; tandis que nous, au lieu de faire de grandes pacotilles, nous faisons chacun
notre pièce de toile, et nous nous lamentons de ne pouvoir vendre, comme nos
pères, nos belles toiles de Flandre.
La misère des Flandres ne vient que de ce qu'on veut tenir les
populations dans l'ignorance et ne pas travailler à profiter du progrès de
l'industrie à l'étranger : le fils et la fille doivent faire comme leur père et
leur mère, et on ne sort pas de là. Il faut encourager de grands
établissements, et alors, au lieu que chacun travaillera pour soi, on
travaillera en commun ; et comme tout le monde ne peut pas travaillera faire
des toiles, il faut encourager, au lieu de détruire (comme on nous le propose
par la nouvelle convention), à travailler à d'autres industries comme la laine
; et si vos populations sont trop nombreuses, tâchez, par de bons
encouragements, de faire émigrer une partie de vos populations vers des
provinces où il manque des bras et où il y a des terres à cultiver. Nos
Campines anversoise et limbourgeoise ainsi que le Luxembourg peuvent leur
offrir beaucoup de terres, et les chemins de fer qui vont se construire devront
faciliter cette émigration, et vos industries florissantes dans le Hainaut et
la province de Liège réclament des bras pour faire baisser les journées.
C'est en disant aux populations flamandes : « Vous ne pouvez pas tous
filer et tisser, mais d'autres occupations vous attendent dans d'autres
localités, qui réclament des bras, et, sans quitter le sol belge, vous pourrez
faire un grand bien et soulager vos Flandres par trop populeuses. » C'est à
cela que le gouvernement devrait vouer tout son temps ; car les nombreux
sacrifices que nous faisons pour faire des conventions onéreuses et je dirai
même honteuses, ne sont finalement que des palliatifs qui nous retardent
toujours, tandis que nos voisins ne font que progresser et prospérer.
Par la convention de 1842, nous ne faisions du tort qu'à notre trésor et
aux caisses communales ; mais aujourd'hui, tout en maintenant les mêmes
sacrifices, on nous impose l'obligation de nuire considérablement à une
industrie prospère et que nous avons favorisée par un tarif protecteur, il y a
trois ans ; car sur la foi de nos lois et des protections que nous accordions,
un grand nombre d'établissements lainiers se sont développés. Je laisse à mes
honorables collègues de Tournay et de Verviers à répondre au discours de
l'honorable M. d’Elhoungne d’hier. Il a établi avec beaucoup de talent le peu
de mal que nous faisions à cette industrie, mais il ne m'a pas converti. Voyez
les cris de détresse qui partent de tous les points du royaume ; voyez les
mémoires et les pétitions de Verviers, les pétitions de Bruxelles, de Tournay,
de Tirlemont, de Liège, de Saint-Nicolas, de Turnhout et des Flandres même ;
voyez les pétitions de Courtray et de Mouscron.
La province que j'ai l'honneur de représenter ici, ne se trouve ni
favorisée, ni frappée par la convention. Ainsi, on ne me taxera pas de plaider
des intérêts de clocher ; mais comme représentant du pays et comme membre de la
section centrale, je me suis beaucoup occupé de cette malheureuse convention,
et ce n'est pas moi qui ferai un compliment à notre gouvernement et à nos
négociateurs, de leur belle œuvre. Les louanges de M. Guizot à la tribune
française me paraissent être le plus sanglant persiflage qu'on pouvait nous
infliger.
Tandis que depuis trois ans notre industrie lainière prospérait et
grandissait, la France, notre bonne protectrice, qui nous veut tant de bien,
nous impose de nous arrêter et veut détruire cette industrie, tout en empêchant
notre industrie linière de se développer, et nous empêcher ainsi de devenir son
concurrent aux marchés étrangers, tant de l'Amérique que des colonies. De cette
manière elle nous frappe deux fois, elle nous abat et nous garrotte. Si c'est
adroit, je dirai que les négociateurs français devraient recevoir publiquement
les éloges que, par risée, on a infligés en plein parlement aux négociateurs
belges.
Aussi soyez sûrs que toutes ces tentatives,
faites en 1836, en 1840 et jusqu'en 1844, pour une réunion douanière, ne sont
bonnes qu'à nous tenir dans un faux espoir et dans une voie vicieuse ; mais ce
que je ne comprends pas, c'est qu'un gouvernement qui ne veut pas de cette
union, qui en voit l'impossibilité, sans sacrifier notre indépendance et notre
nationalité, n'éclaire pas les populations par des déclarations nettes et
franches, et qu'il ne donne pas des instructions en conséquence à ses agents ;
et vous voyez un ministre d'Etat, faisant partie du cabinet, gouverneur d'une de
nos Flandres, laisser tranquillement pétitionner et donner une fausse sécurité
à nos populations.
M. Rodenbach. - On ne peut y mettre obstacle. Les ministres n'ont pas ce droit. La
Constitution permet le pétitionnement.
M. de Muelenaere. - Je demande la parole.
M. Osy. - Je ne prétends pas qu'on puisse empêcher le pétitionnement. Mais
vous avez entendu les paroles de M. le ministre des affaires étrangères et de M.
le ministre de l'intérieur ; vous avez dû reconnaître que cette promesse de
réunion douanière est une illusion dans laquelle on maintient les populations.
Je crois que le gouvernement devrait éclairer ces populations.
L'honorable M. d'Elhoungne nous a invités hier à parler avec franchise.
Eh bien, je parle avec franchise aux populations flamandes dont je suis le plus
grand ami. Je leur dis qu'elles se trouvent dans une fausse voie dont le
gouvernement et ses agents devraient les tirer.
M. Rodenbach. - La Constitution est là ; on ne peut empêcher le pétitionnement.
M. Osy. - Je répète que je ne veux pas empêcher de pétitionner. Mais je
demande que le gouvernement éclaire ceux qui pétitionnent. Je continue.
Je ne puis m'expliquer une conduite pareille, et je le dis franchement,
elle est très répréhensible. Voyez les journaux des Flandres et les attaques
contre un de nos collègues à l'occasion d'un rapport fait sur toutes ces
pétitions qui demandaient la réunion douanière. Ne disait-on pas qu'on ne tient
pas le même langage à Bruxelles qu'à Bruges ? Voyez le journal qui soutient le
plus fortement le gouvernement et qui est certainement le plus en contact avec
notre ministre des affaires étrangères et dont les rédacteurs en chef doivent
avoir travaillé indirectement à la convention. Ce journal prône tous les jours
la réunion douanière, tandis que M. le ministre déclare ici que c'est
impossible. Convenez d'après cela que l'on fait tout ce qu'on peut pour induire
les populations en erreur et leur donner une fausse sécurité. Au lieu de suivre
cette marche tortueuse, vous deviez éclairer et donner vos instructions à vos
journaux pour suivre une marche ferme et franche et éclairer ceux qui ne jugent
que d'après ce qu'ils lisent tous les jours, et les demandes qu'on leur fait
signer, en les flattant d'un avenir meilleur.
Le 11 mai, à la chambre des députés, M. Guizot, en parlant de la
nouvelle convention, disait :
« S'il arrivait que, par suite du traité prussien, il se fît des efforts
persévérants, assidus, avec une perspective de succès, pour attirer plus
intimement, plus complétement la Belgique dans l'orbite de l'Allemagne, pour la
rendre germanique, au lieu de la laisser indépendante et neutre ; si cela
arrivait, nous savons ce qu'il y aurait à faire ; nous saurions nous y opposer
; nous n'y manquerions pas, et nous ne l'avons jamais laissé ignorer à la
Belgique. La Belgique sait très bien que la condition de ses bons et intimes
rapports avec la France, c'est le maintien, le maintien réel, sérieux de son
indépendance ; si cette neutralité devait cesser du côté du Rhin, nous ne le
souffririons pas. Et tenez pour certain que le même sentiment dont je parlais
tout à l'heure, le même désir, le même amour vif de cette nationalité
naissante, de cette indépendance naissante, de cette neutralité si difficile à
maintenir, ce même sentiment qui domine la Belgique quant à la question de
l'union douanière, la défendra également contre les envahissements et les
empiétements de l'Allemagne. »
Vous voyez, messieurs, que le but de la France est de nous empêcher de
nous lier trop intimement avec l'Allemagne, et, malheureusement, nos
négociateurs, au lieu de rompre les négociations, ont joué le même jeu que la
France. La France, après trois mois de négociations, a réussi à nous garrotter,
et, d'un coup, à empêcher l'industrie linière de se relever et de grandir et à
arrêter au moins l'élan, si ce n'est à amener la ruine de votre industrie
lainière.
Plus j'examine cette convention, plus je la trouver honteuse et
humiliante, car, au lieu de sortir de nos embarras, nous nous rendrons tous les
jours plus malheureux, les plaintes augmenteront, et au lieu d'avoir des cris
de détresse des Flandres pour une industrie expirante, vous recevrez
réclamations sur réclamations d'une autre industrie que vous étouffez et qui
aurait pu employer beaucoup de bras oisifs dans les deux Flandres. Laissez
grandir l'industrie de la laine et relevez l'industrie linière, par des moyens
que je vous ai indiqués, et vous rendrez les populations heureuses et
florissantes ; mais sanctionnez la convention, et d'un coup, vous abattez ce
qui est florissant et vous ne relevez pas ce qui est mourant.
Vous avez tous connu mes opinions au congrès ; mais depuis l'arrivée du
Roi, personne plus que moi n'est attaché à notre prospérité, et je croirais
amener la ruine et le déshonneur du pays, si je donnais ma voix à cette
convention humiliante, tandis qu'il y a d'autres moyens que j'indiquerai plus
tard pour venir au secours des deux Flandres.
En ne ratifiant pas la convention et en convertissant les arrêtés du 14
juillet 1843 et 13 octobre 1844 en loi, je donne la certitude à l'industrie
lainière et cotonnière de se développer et de lui assurer le marché intérieur,
et en conservant intacte la loi du 7 avril 1838, j'assure à l'industrie
drapière que les draps de France seront chargés, à leur entrée en Belgique, de
droits équivalents aux primes de sortie en France.
Maintenant que nos communications sont si faciles avec Paris, je crains
que les emplettes qu'on y fera nuiront à nos nombreux ateliers, magasins et
marchandes de mode, ainsi qu'à tous ces magasins de luxe que nous avons, de
même que pour l'ameublement de nos somptueux hôtels ; cependant on nous propose
de réduire le droit sur les habillements et les objets de mode de 50 p. c. : on finira par se faire habiller et se faire meubler à
Paris et vos magasins deviendront déserts.
Ainsi, tous les nouveaux sacrifices que vous faites ne sont compensés
par aucun nouvel avantage ; au contraire, tout en maintenant, comme en 1842, un
droit différentiel pour les toiles et fils, on a bien soin d'en (page 1804) limiter la quantité ; c'est
vous dire : Vous ne chercherez pas d'autres débouchés et nous voulons que vous
restiez stationnaires.
Cette limitation seule devrait faire rejeter la convention, mais, outre
cela vous continuerez à être chicanés par l'amendement Delespaul,
par le comptage des fils et des nuances, car une fois le traité signé, la
douane française saura bien éluder les petits avantages des droits
différentiels, en vous faisant payer des droits pour d'autres catégories que
celles qu'on devrait vous imposer. C'est la douane qui comptera les fils avec
une loupe-or, comme tous les douaniers n'ont pas tous les yeux les plus exercés
soyez sûrs que l'on vous fera chicane sur chicane, et que vous, les plus
faibles, vous serez toujours les victimes des plus forts.
Voyez les réclamations, il y a quelques jours, pour la teinte de vos
fils et de vos toiles. Nous prétendons que c'est écru et la France prétend que
c'est teint. Soyez sûrs, que lorsqu'on vous aura garrottés et bien garrottés
pendant six ans, nous serons toujours du mauvais côté. Ce sera de même pour les
types, et si véritablement on nous voulait du bien, aurait-on recours à tous
ces petits moyens tels que le comptage des fils, des loupes, des types et des
chicanes chimiques, si nos fils ont une teinte naturelle comme le prétend M. de
Haerne, ou si nos toiles et fils sont teints ?
Véritablement, messieurs, plus j'examine la convention et plus je passe
en revue les difficultés qu'on nous a faites pendant les quatre dernières
années, plus je crois que ce seront les amis des Flandres qui repousseront la
convention, d'autant plus que tout le monde est assuré qu'avant deux ou trois
ans le marché français nous échappera, soit à cause du développement de
l'industrie linière en France ou à cause des difficultés qui n'iront qu'en
augmentant lors de l'importation.
Voyez ce que la France fait pour s'affranchir de l'étranger ; il y a
deux ans la Belgique avait presque autant de broches que la France, soit
environ 100 000. Nous restons stationnaires, et avant la fin de cette année,
elle aura près de 250,000 broches. Je tiens ici un prospectus d'une société au
capital de 35 millions, pour fonder des établissements pour 100,000 broches, et
il faut croire que c'est une affaire sérieuse et non d'agiotage, puisqu'on ne
veut donner que dix actions à chaque participant.
Après avoir élevé ces établissements de filature à la mécanique, on fera
des fabriques de tissage à la mécanique, et longtemps avant l'expiration de la
convention, le marché français vous aura échappé. Mais ce à
quoi vous ne pourrez pas échapper par les autres stipulations de la convention,
c'est la ruine de votre industrie drapière et lainière. Si pendant les six ans
de la nouvelle convention, vous ne cherchez pas d'autres débouchés,
l'Angleterre et la France auront envahi tous les marchés de l'Amérique et des
colonies, et quand vous serez obligés d'y aller, vous ne pourrez pas lutter
avec les nations qui ont tant d'avance sur vous.
Votre nouvelle industrie sera dans l'enfance, tandis que vos voisins
seront dans toute la force de l'âge ; alors pour pouvoir nominalement conserver
le marché de France, attendez-vous qu'en 1852 on vous imposera des conditions
encore bien plus dures qu'aujourd'hui ; on vous dira, comme aujourd'hui : Il
faut accepter à cause de la misère dans les Flandres, misère qui ira toujours
en augmentant, si nous ne voulons pas y remédier, comme je vous l'ai indiqué au
commencement de mon discours.
Déjà le marché de France est réduit pour nous à une importation de douze
millions de francs en toiles, et, d'après le Moniteur de France, je trouve que
cette année nos impotations ont considérablement
diminué.
En mai 1844, la mise en consommation des toiles a été de 223,000 kil., en mai 1845, 266,000 kil., et elle est tombée cette
année à 197,000 kil.
L'entrée des fils a été le mois dernier de 368,000 kil.,
tandis qu'elle était au mois de mai 1845, de 788,000 kil.
Dans les cinq premiers mois de 1844, on a importé pour 1,474,000 kil. de tissus de lin et pour 4,000,000
de fils, tandis que dans les cinq premiers mois de 1846, les importations n'ont
plus été en France que de 1,285,000 kil. de tissus de lin et de 2,245,000 kil. de fils.
Une grande partie de cette diminution tombe sur la Belgique. Nos
exportations ont considérablement diminué cette année, tandis que, dans
l'incertitude de l'adoption du traité, on aurait dû croire à une exportation
plus forte, pour être certains de jouir des droits différentiels. Je puis
parler d'incertitude, quand les chambres de commerce de Courtray et d'Alost
vous prient de ne pas sanctionner la convention.
Il est temps, messieurs, de nous affranchir de la France, qui, tout en
voulant, par des paroles mielleuses, nous traiter en bonne sœur, nous empêche
de nous jeter dans les bras de l'Allemagne, cherche tous les moyens, par des
négociations habiles, de nous garrotter de plus en plus et d'abattre une industrie
après l'autre, ou d'empêcher d'autres industries de se relever.
Je trouve qu'au lieu de nous traiter en bonne sœur, elle nous traite en
mère peu soucieuse des intérêts de sa fille ; et, par tous nos cris de
détresse, notre gouvernement cède tout ce que l'on veut de nous et jamais je ne
vois un acte d'indépendance.
Vous parlez d'indépendance et de nationalité, mais je ne connais pas de
nation plus dépendante et qui sache moins se faire respecter. La France a
besoin de voir la Belgique prospère et heureuse pour maintenir la tranquillité
chez elle, car notre situation géographique est telle que tout le monde est
intéressé à notre tranquillité. Soyez donc indépendants, affranchissez-vous des
liens avec lesquels on veut vous garrotter, car de crainte de nous voir nous
tourner de plus en plus vers l'Allemagne, on fera de meilleures conditions, si
vous savez vous faire respecter ; mais avec votre marche tortueuse, on saura
bien jeter des filets sur vous.
Suivez l'exemple de notre ancien souverain qui savait se faire respecter
à l'étranger et qui, en 1822, a pris des mesures sévères contre la France et
est resté jusqu'en 1830 dans une situation expectante. Alors la France, voyant
qu'il n'y avait pas moyen de fléchir la Hollande, est venue à elle, et la
Hollande a obtenu un superbe traité de commerce, qui, fait seulement pour trois
ans, est toujours en vigueur. Or, comme la Hollande sait se faire respecter, ni
le gouvernement français, ni les chambres ne demandent de dénoncer ce traité ;
tandis que par notre faiblesse et nos cris réitérés de misère des Flandres, on
dénonce le traité de 1842 un an avant l'expiration, et on vous impose un traité
de 1846 mille fois plus onéreux et humiliant.
Suivons l'exemple du roi des Pays-Bas, répudions la nouvelle convention
et nous aurons, il est vrai, le droit commun pour nos toiles de fils, mais la
France rentre dans le droit commun chez nous :
Pour ses draperies et étoffes de laines (arrêté de 1843) ;
Pour des articles de coton (arrêté de 1844) ;
Pour ses vins et eaux-de-vie ;
Pour ses soieries ;
Pour ses modes et habillements neufs (elle en exporte pour 700,000fr.).
En un mot, nous redevenons tous les deux comme nous étions avant la
convention de 1842, et il est impossible que la France puisse nous en punir, en
nous frappant pour l'introduction de nos houilles et nos fontes, quand elle
prohibe chez elle nos draps et étoffes de laine et les manufactures de coton,
tandis que chez nous elle peut continuer à importer et ne trouve, au lieu de
prohibition, qu'un droit protecteur.
J'ai d'autant moins d'inquiétude de nous voir frapper pour nos houilles
et nos fontes, que la France, à cause de ses grandes constructions de chemins
de fer, ne peut plus se passer de nous, et nous avons même les plus riches
Français pour nous défendre et nous protéger, car ne perdons pas de vue que les
Français ont acheté, cette année chez nous, pour plus de quarante millions de
houillères et de hauts fourneaux, et même considérablement d'actions dans notre
grande fabrique de glaces. Ce que M. le ministre a dit hier de la situation des
établissements en France, ne doit tous donner aucune inquiétude, et M. le
ministre vous a d'avance rassurés sur des mesures de représailles qu'on
pourrait craindre.
Etant donc rassurés sur ce point, il ne reste plus que l'inquiétude du
gouvernement relativement aux avantages faits au Zollverein sur les vins et les
soieries. Mais nous les avons achetés par des avantages accordés à nos fers et
aux importations de laine en masse, pour procurer à nos fabriques les matières
premières à bon compte.
Rassuré donc du côté de la France, après le rejet de la convention, il
me reste à soigner pour les seuls intérêts menacés : l'industrie linière de nos
Flandres.
Je trouve à la page 50, litt. R, que les sacrifices imposés à la
Belgique dépassent 1,280,000 fr., et comme nous n'exportons plus pour la France
que pour 8 millions de fils et 12 millions de tissus de lin, je voudrais,
pendant cinq ou six ans, autoriser le gouvernement à donner des primes de
sortie pour des exportations jusqu'à la concurrence de 20 millions, soit en
fils, soit en toiles, et ce à raison de 7 1/2 p. c, ce qui ferait 1,500,000
fr., et ainsi en rejetant la convention, vous ne faites qu'un sacrifice de 200
mille francs : vous forcez vos populations et vos industriels à chercher de
nouveaux débouchés, à améliorer la fabrication par la régularité et le bon
marché, et l'on sera obligé de travailler d'après les besoins et les usages des
nouveaux marchés. Vous détacherez les yeux de cette France qui, avec des
paroles mielleuses de confraternité, ne cherche qu'à vous abattre, à vous tenir
en sujétion et à vous garrotter, tandis que tant de pays amis vous tendent les
bras, vous appellent vers des marchés nouveaux, vous font, pour seule
condition, travailler pour leurs goûts et leurs besoins.
Je suis contraire au système des primes, mais nous avons un moment de
crise à passer ; aussi je dirai aux Flandres : « Je ne vous accorde ces primes
d'exportation (autres que pour la France) que pour cinq ou six ans ; et d'ici
là, vous vous serez perfectionnés et vous pourrez lutter avec la France et
l'Angleterre, et mettez bien à profit ce temps assez long. Une crise dans une
grave maladie, avec les remèdes que je viens vous proposer, peut être très
salutaire et le sera dans cette circonstance. »
Je vous propose, messieurs, de ne pas sanctionner la convention du 13
décembre 1845. J'engage le gouvernement d'entrer dans de nouvelles
négociations, sur des bases réciproquement favorables et honorables, et je
propose de mettre à la disposition du gouvernement, pendant six ans, une somme
de 1,500,000 fr. pour accorder des primes
d'exportation pour 20 millions de francs de toiles et fils de lin :
D'autoriser le gouvernement à régler ces exportations par arrêté royal,
sauf à rendre compte aux chambres avant la fin de la session prochaine, pour
faire convertir ensuite en loi les mesures prises pour faciliter l'exportation
pour d'autres pays que vers la France.
Il va sans dire, que les arrêtés de juillet 1843 et octobre 1844 seront
appliqués à la France, et que pour les soieries, les vins et eaux-de-vie, la
France rentrera dans le droit commun.
Si cette proposition est adoptée, le gouvernement pourrait, avant notre
séparation, nous présenter un projet de loi, pour sanctionner mes diverses
indications.
En Angleterre, où l'industrie est poussée maintenant à un si haut degré
de perfectionnement, on a pu abaisser ou supprimer toutes les barrières, et les
produits manufacturés n'ont plus rien à redouter de l'étranger ; on y a aussi
commencé par des primes d'exportation pour presque tous ses produits
industriels, surtout pour les étoffes de lin et de coton. Ils sont abolis
depuis longtemps, parce qu'on savait qu'on ne devait (page 1805) continuer cette protection que pour un temps donne, mais
qu'il fallait se perfectionner, pour envahir les marchés étrangers et ne
redouter aucune concurrence ;
Aussi je voudrais qu'on fût
persuadé qu'après six ans ce système de primes sera aussi aboli chez nous, et
d'ici là nous connaîtrons les marchés étrangers, leurs besoins et leurs goûts.
Dans la section centrale, j'ai donné quelques indications pour la
répartition des primes à l'exportation, le gouvernement pourrait les examiner
et voir si la proportion est bonne, ou s'il faut prendre une autre base.
M. de Muelenaere (pour un fait personnel). - Messieurs, je ne sais pas trop à quels
titres des bruits de journaux peuvent tomber dans le domaine de nos
discussions. Quoi qu'il en soit, l'honorable membre s'est cru autorisé par ces
bruits à faire des insinuations peu bienveillantes. Je crois devoir dire deux
mots en réponse à ces insinuations.
Je dirai d'abord, messieurs, que je suis resté complétement, entièrement
étranger aux pétitions auxquelles l'honorable membre vient de faire allusion.
Tous mes honorables collègues des Flandres le savent et pourraient au besoin,
je crois, l'attester ici. (Oui, oui !) Je défie l'honorable député d'Anvers de
citer un seul acte, une seule parole de ma part, d'où l'on pourrait tirer la
conclusion que j'aie voulu provoquer ou favoriser directement ou indirectement
ces démonstrations.
Mais il semble, messieurs, qu'il ne suffit pas de demeurer étranger à
des démonstrations pareilles. L'honorable membre eût désiré, à ce qu'il paraît,
de ma part, quelque chose de plus ; il eût désiré que je fusse intervenu ou que
le gouvernement lui-même fût intervenu pour empêcher le pétitionnement.
M. Osy. - Pour éclairer.
M. de Muelenaere. - Pour éclairer ! Je suis parfaitement d'accord avec
l'honorable-membre. Il convient que le gouvernement cherche à éclairer les
populations sur leurs véritables besoins, sur leurs véritables intérêts.
Mais je crois que l'honorable membre a été plus loin ; il m'a paru blâmer
l'usage même du droit de pétition.
M. Osy. - Du tout ! du tout !
D’autres
membres. - Non ! non !
M. de Muelenaere. - Plusieurs de mes honorables collègues l'ont compris dans ce sens.
Mais puisque l'honorable membre retire ou rectifie les expressions qui ont
donné lieu à cette interprétation, je ne ferai pas d'autres observations à cet
égard. Je me bornerai à dire que les pétitionnaires ont fait usage d'un droit
légal et constitutionnel, et que sous ce rapport il n'y a aucun blâme à leur
adresser ; mais je déclare que quant à moi, je suis resté complétement
étrangère ce pétitionnement, comme je devais le faire dans ma position.
M. Osy. - Je n'ai pas dit que l'honorable gouverneur de la Flandre occidentale
eût engagé les populations à pétitionner ; j'ai seulement dit que, selon moi,
l'autorité, depuis les ministres jusqu'aux bourgmestres et, par conséquent, les
gouverneurs compris, devait éclairer les populations sur la possibilité ou
l'impossibilité de l'union douanière. Voilà tout ce que j'ai dit, j'ai répondu
à l'honorable M. Rodenbach que certainement les populations avaient le droit de
nous adresser des pétitions, mais que ces pétitions ne pouvaient aboutir à rien
en présence de l'opinion émise par le gouvernement, qui a déclaré à plusieurs
reprises que l'union douanière est impossible.
M. Zoude. - C'est à regret que je viens me prononcer contre la convention
commerciale conclue avec la France le 13 décembre dernier.
Rapporteur de la convention de 1842, je m'étais résigné, avec la section
centrale tout entière, aux sacrifices qui nous étaient imposés, parce que nous
avions l'espoir qu'un heureux avenir était réservé à l'industrie linière.
Mais nos illusions se sont bientôt évanouies et nous n'avons pas tardé à
nous convaincre que la France ne voulait pas l'exécution franche du traité.
En effet et tout d'abord, l'amendement Delespaul,
passé inaperçu aux chambres, ne tarda pas à développer ses conséquences
fâcheuses et injustes tout à la fois.
Bientôt après une décision du ministre de la guerre annula la convention
en ce qui concerne les toiles à l'usage de l'armée.
Vint ensuite l'assimilation des blondines aux toiles blanchies, quoique
de temps immémorial elles eussent été reçues en France comme écrues.
Enfin, pour mettre le comble à nos embarras, on a soulevé la question
des types.
Et c'est alors que, sous l'empire de cette convention, on a dépeint la
misère de la classe ouvrière des Flandres sous les couleurs les plus sombres,
qu'on vient vous en proposer le renouvellement en lui sacrifiant de nouvelles
victimes.
En premier lieu, l'industrie lainière qui constitue, dit l'exposé des
motifs, une des branches industrielles les plus importantes dans la plupart de
nos provinces, dont le sacrifice est la clause la plus onéreuse du traité.
Il est vrai que depuis on a cherché à amoindrir les progrès qu’avait
faits la filature sous la protection de l'arrêté de juillet 1843. Mais la
vérité s'est fait jour ; elle vous a été produite par les chambres de commerce
de Courtray, de Tournay, d'Alost, de Saint-Nicolas et de Verviers qui, dans son
mémoire de juin dernier surtout, démontre par des chiffres incontestables
l'accroissement considérable du produit dès filatures
et notamment celle de la laine cardée.
C'est à ce traité qu'on veut sacrifier encore l'industrie drapière que
nous avions jugé nécessaire de protéger en 1838 en frappant les draps français
d'un droit égal à la prime qu'ils reçoivent à la sortie, et cette protection
est retirée par la convention.
Pour justifier cette concession, on a essayé de prouver que cette prime
n'est qu'un drawback n'équivalant pas même toujours à une restitution complète
du droit d'entrée perçu sur la laine. Mais croit-on que nous ignorons qu'on en
réduit la valeur à l'entrée et qu'on l'élève à la sortie, que la prime est même
accordée aux laines produites en France ? Et ne nous rappelons-nous pas que
lors de l'enquête, l'ancien ministre du commerce, M. Duchâtel, disait aux
fabricants français qui ne l'ont pas contredit, que la prime nominale de 9 p.
c. s'élevait réellement à 13 et 14 au moyen des déclarations ; et peut-il en
être autrement lorsque la prime se paye sur toute la valeur que le drap a
acquise après sa fabrication ?
Nous avions exempté provisoirement la France de l'augmentation du droit
sur les tissus de coton, et cette exemption provisoire, qui lui a valu,
l'accroissement de 1/4 dans ses exportations, deviendra définitif par la convention.
C'est encore pour obtenir cette convention que nous devons opérer le
retrait du droit sur les habillements et objets de mode dont Paris seul nous
importe pour plus d'un million, tandis que nous aurions dû réserver cette arme
pour intéresser Paris à notre cause.
C'est pour nous rendre davantage tributaires de la France, qu'on
augmente le déchet sur le sel ; cependant on savait que par l'adoption de la
première convention, le gouvernement avait dû renoncer à une mesure éminemment
protectrice, qu'il se proposait d'accorder à notre commerce avec le Levant, en
autorisant sous un droit réduit, l'importation du sel dont ces parages abondent
; ce qui aurait assuré un retour aux navires qui y exportent nos produits,
surtout que des traités nous y assuraient de grands avantages.
C'est encore à cette convention que nous sacrifions les ardoisières du.
Luxembourg.
Lors du traité de 1842, il n'était question d'ardoises que pour accorder
à la France un nouveau bureau de transit, celui de Menin.
Les ardoises du Luxembourg de certaines dimensions ne payaient, à leur
entrée en France, que 2 fr. par mille pièces, celles qui dépassaient celle
mesure payaient 7 fr. 50 c.
Mais en juin 1845, à la faveur d'un amendement qui s'est glissé par
surprise comme celui de Delespaul, on a élevé au
droit de 5 fr. 80 c. les ardoises qui payent 2 fr. et à celui de 11 fr. 60 c,
celles de 7 fr. 30 c ; c'est-à-dire qu'au moyen de cet amendement, les droits
sont élevés de près de 2/3, et l'exposé des motifs n'hésite pas à dire que le
nouveau traité stipule une réduction de droit en faveur des ardoises.
Il est vrai qu'il nous a délivrés d'une vexation qui soumettait chaque
ardoise à l'application d'un compas d'épaisseur et comme au compte-fil,
pour le peu qu'il se manifestât une aspérité qui en augmentait l'épaisseur sans
ajouter un centime de valeur au mille, on lui appliquait le haut droit de 11
fr. 50 c, c'est-à-dire que la France repousse nos ardoises par un droit
prohibitif.
Cependant nous recevons les ardoises françaises au droit de 5 fr. quelle
qu'en soit la dimension, nous en recevons au moins 15 millions, lorsqu'à peine
le Luxembourg lui en livrait 2 1/2 millions.
Enfin, dans une discussion qui a eu lieu l'an dernier, on s'était plaint
à la chambre de ce que le ministre des finances accordait aux vins français
importés par la frontière hollandaise, le privilège dont ceux-là. Seuls
devaient jouir qui étaient importés directement de France, c'est-à-dire que
nous recevions comme vins français, des vins fabriqués en Hollande. On n'a pas
eu égard à ces observations.
On avait aussi réclamé un droit spécial pour le vin importé en
bouteilles, on demandait sur ces bouteilles le droit protecteur accordé à nos
verreries et la nouvelle convention n'en dit mot, tandis qu'en France même,
comme aux Etats-Unis, les bouteilles ou cruchons payent un droit indépendant de
celui de la liqueur qu'ils contiennent, et que dans tous les autres pays, les
vins et liqueurs importés en bouteilles, payent un droit beaucoup plus élevé
que lorsqu'ils sont importés en cercles.
Mais ce qui décèle surtout le mauvais vouloir de la France, c'est
l'article 2 en faveur de l'industrie linière.
Il est constant, en effet, que l'importation de nos toiles va en
diminuant à mesure que l'industrie toilière fait des progrès en France, et
cependant on augmente dérisoirement les quantités importables au droit de
faveur, tandis que pour la filature, qui marche en prospérant, on en diminue le
chiffre.
Je serais d'accord avec l'honorable M. d'Elhoungne sur l'utilité d'une limitation,
mais elle est ici en sens inverse ; on fixe un chiffre pour la toile, certain
qu'elle ne l'atteindra pas, et on le réduit pour les fils au-dessous de celui
des exportations de 1845. Je le répète, cette limitation est dérisoire.
Enfin, nous nous lions envers la France, lorsque la France n'est pas
liée envers nous, et cependant nous restons engagés dans les sacrifices que
nous lui faisons pendant toute la durée de la convention.
Messieurs, ne trouvant dans le traité que ce que M. Guizot y voyait lui-même,
des conditions faibles de la part de la France, en retour de conditions
considérables de la part de la Belgique, je me trouve forcé de le repousser.
Toutefois, voulant venir au secours de l’industrie linière, (page 1806) qu'on nous dit aux abois, j'appuierai
l'amendement qu'a proposé l'honorable M. Osy, d'accorder une somme de 1,500
mille francs en primes d'exportation pour tous autres pays que la France.
En refusant mon vote à la convention, je suis
loin de jeter le moindre blâme sur nos négociateurs ; je reconnais volontiers
que dans le cours des négociations, ils ont fait preuve de talents, qu'ils ont
défendu nos intérêts avec énergie ; nous en avons acquis la conviction dans la
communication des pièces que nous a faite M. le ministre des affaires
étrangères dans le comité général ; mais que pouvaient l'habileté et le talent,
lorsque les ministres français se tenaient dans une attitude négative, et
qu'aux arguments les plus irréfragables, ils répondaient par le silence ou par
l'appel à l'esprit d'hostilité des chambres envers la Belgique ?
M. de Haerne. - Messieurs, vous avez entendu l'orateur qui a parlé avant l'honorable
M. Zoude, s'élever avec une certaine vivacité contre les démonstrations qui ont
eu lieu dernièrement dans les Flandres et particulièrement dans la Flandre
occidentale. L'honorable député d'Anvers a cru devoir adresser des reproches au
gouvernement, de ce qu'il n'a pas suffisamment éclairé les populations sur
leurs véritables intérêts. Eh bien, messieurs, je ne puis nullement partager
l'opinion émise par l'honorable membre ; je crois qu'il y aurait eu un grand
danger, de la part du gouvernement, à donner ces éclaircissements aux
populations des Flandres ; et un grand nombre d'amis de l'honorable M. Osy, je
ne dirai pas l'honorable M. Osy lui-même puisqu'il vient de manifester une
opinion contraire, mais un grand nombre de ses amis eussent été les premiers à
élever la voix et à dire que le gouvernement portait atteinte au droit sacré de
pétition.
M. Osy. - Il fallait éclairer les populations.
M. de Haerne. - Il était très difficile d'éclairer les populations sans faire croire
qu'on voulait les influencer. Je crois que le gouvernement devait rester neutre,
comme il l'a fait.
Je suis loin, également, de partager l'opinion de l'honorable M. Osy, en
ce qui concerne la question de l'union douanière. Je crois que ce projet n'est
pas une impossibilité. Je crois que dans l'avenir ce projet pourra se réaliser,
et, en présence du désir exprimé peut-être un peu trop vivement pour l'être
utilement dans nos provinces, en présence des paroles solennelles prononcées en
France par un grand homme d'Etat, je crois que nous ne devons pas rester
indifférents ; je crois que dans l'intérêt, non seulement des Flandres et des
autres parties de provinces qui s'adonnent à l'industrie linière, mais encore
du pays tout entier, nous ne devons pas repousser d'avance les propositions
directes ou indirectes qui nous ont été faites à cet égard.
Quelle qu'ait été l'intention de l'homme d'Etat auquel je viens de faire
allusion, lorsqu'il a prononcé ces paroles mémorables à la chambre des pairs de
France, soit que le ministre ait voulu donner une satisfaction à une opinion
bien forte qui existe aussi en France en faveur d'une union franco-belge, soit
qu'il ait exprimé sa propre conviction, je dis que ces paroles n'en sont pas
moins remarquables, car dans tous les cas elles font voir que nous ne devons
pas perdre tout espoir de nous unir un jour commercialement avec la France.
Messieurs, il faut bien le reconnaître, la Belgique est trop populeuse,
elle est trop industrielle pour vivre isolée, elle a un besoin impérieux de
s'unir commercialement à d'autres nations, et parmi toutes les nations, avec
lesquelles elle peut avantageusement nouer des relations de commerce, je crois
que la France doit être placée en première ligne.
Je pense donc que, loin de repousser les avances qui nous sont faites en
France en faveur d'une union douanière, nous devons y répondre, et qu'il est du
devoir de notre gouvernement de demander des explications au gouvernement
français sur la valeur, la portée, la tendance de ces paroles, et de s'assurer
jusqu'à quel point il y aurait moyen d'entrer en négociations sur cette grande
question.
Messieurs, depuis quelque temps il se manifeste, en fait de commerce, un
grand mouvement libéral en Europe ; c'est l'Angleterre qui a donné l'impulsion.
Depuis les projets présentés en Angleterre par sir Robert Peel, la France a été
ébranlée dans son système protectionniste ; les journaux français, la tribune
française nous ont prouvé que la France tend aussi à entrer dans une autre
voie.
On dira : C'est impossible ! Mais il y a une année on croyait aussi la
chose impossible de la part de l'Angleterre.
Nous devons tâcher de profiter de ce mouvement ; soit que l'union
douanière s'accomplisse un jour entre la France et la Belgique, toutes seules,
soit que cette union s'étende encore à d'autres peuples, toujours est-il
qu'elle peut devenir le résultat de ce grand mouvement imprimé à l'opinion
publique.
On a dit qu'il serait peut-être préférable, pour ménager les
susceptibilités diplomatiques des autres puissances, et même pour avoir plus de
garanties pour l'indépendance de la Belgique, que l'union s'étendît à d'autres
nations que la Belgique et la France seules.
On a parlé d'une pondération dans cette confédération commerciale. Eh
bien, je crois que ce projet-là n'est pas impossible non plus et qu'il pourrait
bien se réaliser dans l'avenir.
Je suis loin de croire impossible une réunion entre la France, la
Belgique, la Hollande et même l'Allemagne. Il n'y a pas très longtemps qu'une
opinion semblable a été émise en France, elle a été professée par un économiste
distingué ; M. Richeldt, qui a publié sur cette
question un mémoire qui a été couronné par la société industrielle de Mulhouse
qui adopta complétement ce plan.
Ce serait une quadruple alliance commerciale ; cette alliance serait
conçue dans le but de fortifier l'industrie et le commerce chez les quatre
nations, en élargissant les débouchés, de multiplier les capitaux, d'appeler
une plus grande masse de capitaux dans le sein de chaque industrie particulière
et de mettre ces quatre nations plus à même de lutter avec l'Angleterre, afin
de s'unir plus tard à l'Angleterre elle-même. C'était là une application du
grand principe de la liberté commerciale.
Quoi qu'il en soit de la possibilité de voir se réaliser un jour ce
grand projet, je crois que, pour ce qui nous regarde, il y aurait une grande
imprudence à repousser toute pensée d'union douanière avec la France.
Pour en venir à la question qui nous occupe spécialement, je me demande
si nous pouvons rejeter le traité conclu avec la France. On vous, a dit que ce
traité nous imposait de nouveaux sacrifices, qu'il ne maintiendrait peut-être
pas même le statu quo, et on en a conclu qu'il fallait le rejeter. Je crois
qu'en posant la question de cette manière on ne la pose pas bien. Je crois
qu'il ne suffit pas de se demander quels sacrifices le traité nous impose,
qu'il ne suffit pas de se demander si nous allons gagner à l'acceptation du
traité, mais qu'il faut se demander, avant tout, ce qu'on perdrait au rejet du
traité. Voilà, messieurs, la véritable question.
Mais d'abord je me demande si dans l'hypothèse fondée de renouer tôt ou
tard des relations plus étroites, plus intimes avec la France, nous pouvons
sans inconvénient repousser le traité. Si le traité n'avait pas été
solennellement discuté en France, s'il n'avait pas été accepté par une si grande majorité à la chambre des pairs et à la
chambre des députés, il y aurait peut-être moins de danger à le rejeter. Mais
je crois que cette circonstance ne doit pas être perdue de vue, et qu'après les
discussions solennelles qui ont eu lieu en France, il y aurait danger à rejeter
le traité, car il y aurait moins d'espoir de pouvoir renouer des relations avec
la France. Nous dirions à la France : Nous voulons l'union douanière et nous
commençons par rompre avec vous. Quand on connaît l'esprit français, on doit
avouer que ce n'est pas ainsi qu'on doit s'y prendre avec cette nation.
Messieurs, il ne faut pas se dissimuler les graves dangers qui
résulteraient pour la Belgique d'une rupture avec la France. Cette rupture
irait bien plus loin qu'on ne le pense ; elle n'atteindrait pas seulement
l'industrie linière, mais elle menacerait deux autres grandes industries,
l'industrie de la fonte et l'industrie des houilles. Il est vrai que
l'honorable M. Osy vient de dire que la France peut se passer moins que jamais de
nos fers et de nos houilles.
Mais l'honorable membre n'a pas fait attention à l'argumentation qui a
été présentée dans le comité général, si je ne me trompe. On n'a pas dit que la
France pouvait se passer des houilles et des fers de l'étranger, mais on a dit
que la France pouvait fort bien remplacer les fers et les houilles belges, en
appelant les Anglais dans sa consommation.
Voilà, messieurs, où est le danger. Si nous rompons avec la France, la
France pourrait s'allier plus étroitement avec l'Angleterre. Elle pourrait
faire ce sacrifice, qui n'en serait pas un réel, afin d'obtenir des faveurs
réciproques de l'Angleterre.
Messieurs, j'avoue avec l'honorable membre auquel je réponds que le
traité nous impose de nouveaux sacrifices. Cependant, je crois qu'on les
exagère. Je suis porté à croire, messieurs, que le traité nous conservera le
statu quo pour nos exportations de produits liniers en France.
Je demanderai la permission à la chambre de lui donner lecture de
quelques pièces que j'ai reçues de la part de négociants français relativement
à l'état de nos exportations en France ; vous verrez que, dans l'opinion de ces
messieurs, nous conserverons le statu quo, surtout pour ce qui regarde les
toiles en fils à la main.
Je parlerai d'abord des correspondances qui, généralement, sont conçues
dans ce sens, que pour nos toiles en fils à la main, nous ne perdrons pas de
terrain en France, que nous conserverons au moins le statu quo, parce que,
d'après ces correspondances commerciales, et je pourrais en citer un grand
nombre, on reconnaît que la toile à la main, quoi qu'on en dise, quoi qu'on en
pense, est une spécialité reconnue en France, qu'elle est toujours demandée
dans la même proportion et qu'il n'y a pas la moindre apparence que l'opinion
change à cet égard.
Messieurs, outre ces correspondances commerciales que je viens de vous
analyser, je prendrai la permission de citer également des pétitions qui ont
été adressées au gouvernement français par le commerce de plusieurs grandes
localités, et entre autres par le commerce de Paris.
Voici un passage d'une pétition du commerce de Paris :
« Ceux d'entre nous qui appartiennent au commerce de la toile croient
pouvoir déclarer que la concurrence de la Belgique, sous le régime actuel, au
lieu d'être sérieusement menaçante pour la fabrication française, est plutôt de
nature à servir de stimulant et à compléter les approvisionnements du commerce,
parce que la Belgique vend à la France des fils et des toiles d'une qualité
spéciale, les toiles notamment étant pour la majeure partie en fil à la main. »
Cette pétition compte 30 à 40 signatures, toutes prises dans des maisons
représentant en importance plusieurs millions.
Le commerce de Lille, de son côté, s'explique dans une pétition d'une
manière plus formelle encore :
« La spécialité de la Belgique, dit-il, ce sont les toiles en fil à la
main, et toutes les fois que les qualités en sont bonnes et régulières, ces
sortes de toiles conservent sur le marché français un débouché important qui
pourrait s'accroître encore ; il suffirait d'en améliorer la qualité. »
Il me semble, messieurs, que c'est là une autorité assez puissante, pour
que l’on puisse dire qu'il y a des probabilités que nous (page 1807) conserverons le statu quo sur le marché français, au
moins pour l'introduction des produits liniers la main.
J'espère aussi, messieurs, quoi que l'on en ait dit, que le traité
s'exécutera fidèlement. Nous avons eu bien des fois des sujets de plaintes à
cet égard, parce que, il faut l'avouer, bien souvent nous avons rencontré
précédemment de grandes difficultés et de véritables tracasseries dans nos
exportations. Cependant, je dois le dire, d'après les explications que j'ai
provoquées dernièrement de la part de M. le ministre des affaires étrangères
sur un nouveau procédé employé par la douane française, en ce qui concerne la
vérification de nos toiles et la distinction à faire entre les toiles écrues et
les toiles teintes ; d'après la réponse qui vient d'être faite par le
gouvernement français, et notamment par M. Guizot lui-même, dans une note
adressée à M. le ministre des affaires étrangères, je dois dire que j'ai obtenu
mes apaisements à cet égard. Je crois qu'il dépendra du gouvernement belge de
faire un arrangement avec le gouvernement français pour que les introductions
se fassent dorénavant d'une manière régulière ; et je pense que si la France
entre dans cette voie loyale vis-à-vis de nous pour ce qui regarde ce point en
particulier, on peut aussi compter sur sa loyauté dans l'exécution du traité.
Dans le cas contraire nous pourrions, comme je l'ai indiqué dans la séance du
18 mai dernier, suivre des procédés analogues à l'égard des vins français.
J'avoue, messieurs, qu'il y a une objection qui m'a frappé. C'est celle
qui a été faite tantôt par l'honorable M. Zoude, et je désirerais même avoir à
cet égard une explication de la part de M. le ministre des affaires étrangères.
L'honorable M. Zoude vous a dit que la France ne se lie pas envers nous,
tandis que nous nous lions envers la France. Il faut avouer que d'après les
concessions que nous avons faites à la France dans le traité qui est soumis à
vos délibérations, concessions d'après lesquelles la France peut étendre ses
faveurs à d'autres nations, toute faveur différentielle venant alors à cesser
pour la Belgique, nous nous trouverions sur le marché français en concurrence
avec les autres nations, ce qui serait une grande calamité pour le commerce
belge qui certes lutterait avec beaucoup de difficulté sur le marché français
avec les produits des autres nations et surtout avec les produits de
l'Angleterre, tout au moins en ce qui concerne les produits à la mécanique.
Je désirerais savoir de quelle manière M. le ministre des affaires
étrangères apprécie cette question, et ce qu'il y
aurait à faire si malheureusement cette supposition venait à se réaliser. Dans
un cas semblable nous devrions, selon moi, aggraver les droits sur des produits
français non coin-pris dans le traité.
On vous a cité tantôt des pétitions des Flandres, pétitions adressées à la
chambre, lesquelles, a-t-on dit, demandent le rejet du traité. L'honorable M.
Osy, qu'il me permette de le lui dire, n'a pas été fort exact, en citant la
pétition de la chambre de commerce de Courtray. II est vrai que cette chambre
de commerce a adressé à la chambre des représentants une pétition dans laquelle
elle exprime d'abord ses regrets sur les sacrifices que nous faisons quant à
l'industrie des laines, et dans laquelle, en second lieu, elle manifeste ses
craintes en ce qui concerne les mesures douanières qu'on adopterait à la suite
du traité, quant à l'introduction de nos toiles et de nos fils. Mais,
messieurs, remarquez bien que la chambre de commerce de Courtray ne conclut pas
au rejet du traité. Elle en laisse toute la responsabilité à qui de droit.
J'ajouterai, messieurs, qu'à côté de cette pétition de la chambre de
commerce de Courtray qui ne conclut pas au rejet, il y â été signé par un grand
nombre de négociants et de notables de cette même ville, une pétition en faveur
du traité.
D'autres pétitions également favorables à l'acceptation du traité
français sont émanées de plusieurs localités de l'arrondissement de Courtray.
Si donc l'honorable M. Osy veut invoquer l'autorité de l'arrondissement de
Courtray dans son ensemble, cette autorité doit plutôt pencher en faveur du
traité que contre le traité. Voilà la conclusion logique des pièces émanées de
la ville et de l'arrondissement de Courtray.
L'industrie linière, comme vous le savez, n'est pas seulement une
industrie des Flandres ; elle existe aussi, je dois le rappeler, dans le
Hainaut et dans le Brabant.
D'après les dernières statistiques qui ont été publiées dans le Moniteur
à la date du 13 mai dernier on compte dans le Hainaut jusqu'à 29,214 personnes,
dans le Brabant jusqu'à 11,508 personnes employées à l'industrie linière. Vous
voyez que cet intérêt est assez majeur, quant à ces provinces, pour qu'on ne le
néglige pas.
On sait que les toiles du marché d'Ath sont principalement destinées
pour la France. Qu'on ne dise donc pas que les Flandres seules sont ici en
cause.
J'ajouterai qu'il y a une spécialité de fil, appelé fil de mulquinerie,
presque exclusivement destiné à la France, pour la fabrication de la batiste et
de la dentelle, de la batiste surtout.
Cette spécialité de filage occupe 6,000 fileuses dans le Hainaut et
9,000 dans les Flandres ; mais on file mieux ce fil dans le Hainaut, où il y a
une méthode spéciale, méthode moyenne entre la méthode de Valenciennes et la
méthode flamande.
La méthode de Valenciennes est la meilleure ; celle du Hainaut vient en
seconde ligne ; la méthode flamande vient en troisième ligne pour le fil de
mulquinerie. Voilà 15,000 personnes qui vivent de cette industrie, c'est-à-dire
un nombre plus considérable que tous les ouvriers employés à la filature du lin
à la mécanique. Ces fils, loin de perdre à l'exportation, sont en progrès.
Depuis trois ans, nos exportations pour cet article sont augmentées d'un tiers.
M. Dumortier. - La France ne peut pas s'en passer.
M. de Haerne. - Je l'admets jusqu'à un certain point ; mais ce filage qui existe
dans toute sa perfection ou France, pourrait s'y développer à notre détriment.
C'est ce qui arriverait infailliblement par l'augmentation de droit
qu'entraînerait le rejet de la convention du 13 décembre. D'ailleurs
l'Allemagne fournit aussi cette espèce de fil.
Je me permettrai encore de faire à M. le ministre des affaires
étrangères, une interpellation pour ce qui regarde le fil de mulquinerie. J'en
ai parlé plusieurs fois dans cette chambre, parce que dans le temps nous avons
eu des plaintes à faire au sujet de la perception du droit dont ce fil est
frappé. Ce fil s'ourdit de deux manières : en trame et en chaîne. Il y a par
suite une différence dans la perception des droits ; c'est-à-dire que le fil,
ourdi en chaîne, donnant lieu à une plus grande main-d'œuvre, doit subir de ce
chef un droit plus élevé, il est assimilé au fil retors.
Eh bien, il y a deux ans à peu près que le fil de mulquinerie ourdi en
trame fut mis sur la même ligne que celui qui est ourdi en chaîne et on a fait
peser le même droit sur l'un et sur l'autre. J'ai réclamé alors contre cette
exigence de la France et j'ai demandé qu'elle fît l'objet des réclamations du
gouvernement.
Je pensais que les réclamations avaient été faites et que le
gouvernement français y avait fait droit. Cependant il y a quelques jours que
j'ai reçu des nouvelles d'après lesquelles il
semblerait que l'état de choses dont je me suis plaint est toujours resté le
même. Je crois qu'on devrait tâcher de faire cesser cet état de choses parce
que c'est une véritable injustice, car lorsque le fil est ourdi en trame, il
n'a certainement pas subi la main-d'œuvre qu'il a subie lorsqu'il est ourdi en
chaîne. D'ailleurs, cette distinction avait toujours été suivie précédemment.
De cette manière, messieurs, notre débouché vers la France pourrait
s'agrandir considérablement ; j'ajouterai que ce débouché s'agrandira d'autant
plus que, comme je l'espère, on n'appliquera pas à la Belgique la cinquième
classe de fils qui maintenant est proposée en France. Vous savez, messieurs,
que jusqu'ici, il y a toujours eu, en France, quatre classes de fils. Eh bien,
maintenant on propose une cinquième classe, comprenant les fils qui mesurent
plus de 36,000 mètres au kilog. Or, tout le fil de mulquinerie tomberait dans
cette classe, et de ce chef, il y aurait une augmentation considérable du
droit. Mais je pense que d'après la saine interprétation du traité, cette
cinquième classe ne pourra pas être appliquée à la Belgique. Je demande que M.
le ministre fasse connaître son opinion à cet égard.
On a parlé aussi, messieurs, du compte-fils. Je demanderai à la chambre
la permission de dire mon opinion sur l'application du compte-fils, d'après le
fâcheux amendement Delespaul. Dans le traité il y a
une mitigation sous ce rapport ; la France accorde la faculté de poser quatre
fois la loupe, à distances égales ; de manière que s'il y a des fractions de
fil, elles ne se présenteront pas aussi souvent que par le passé, et de ce
chef, je dois le dire, il y aura un certain avantage.
Il ne faut cependant pas l'exagérer, car il y a trois raisons qui
peuvent donner lieu à ce que les fractions de fil se présentent sous la loupe :
d'abord c'est l'irrégularité du fil lui-même, c'est ensuite l'irrégularité du
tissage, ou l'irrégularité des peignes, c'est en troisième lieu la spécialité
de la toile qui présente une fraction de fil sur toute la largeur, lors même qu'elle est très régulière.
Pour ce qui regarde les deux premiers cas, je crois que le changement
introduit dans le traité pourra obvier en grande partie à l'application de
l'amendement Delespaul. Mais il y a une troisième
catégorie de toiles, qui sont faites d'une manière régulière, avec du fil
régulier, avec des peignes très réguliers et qui, cependant, présentent aussi
des fractions de fil ; ce sont des toiles faites sur une largeur telle qu'elles
doivent nécessairement présenter, par exemple, 8 fils et demi partout ; ces
toiles, qui forment la plus grande quantité de celles qu'atteint aujourd'hui
l'amendement Delespaul, présenteront toujours des
fractions de fil, malgré les modifications introduites dans le traité.
Il n'y a, selon moi, qu'un seul moyen d'échapper à cet inconvénient, ce
serait d'introduire dans la fabrication des peignes nouveaux, de manière à
éviter cette fraction de fil, de manière à remplacer, par exemple, la classe de
toiles de 8 fils et lr2 par des toiles de 8 fils. Je crois que le gouvernement,
par le moyen des comités, par le moyen des associations linières, devrait
donner l'impulsion pour amener ce changement. De cette manière on échapperait
aux effets de l'amendement Delespaul, au moins en
grande partie, et il en résulterait un avantage de 4 à 5 p. c. dans les droits
; car l'amendement Delespaul a amené une aggravation
de droit de 4 à 5 p. c. Vous voyez, messieurs, que la question est assez
importante, et je crois que le gouvernement, par le moyen que je viens
d'indiquer, pourrait, à cet égard, procurer à l'industrie linière une
amélioration notable dans sa position relativement à la France. Les
renseignements que j'ai pris auprès des commerçants, tant en France qu'en
Belgique, s'accordent, à peu d'exceptions près, avec l'opinion que je viens
d'émettre.
Messieurs, je le répète, le rejet du traité entraînerait les plus graves
conséquences. La misère est très grande dans les Flandres et dans les districts
liniers du Hainaut et du Brabant ; mais représentez-vous, après le rejet du
traité, un capital d'une vingtaine de millions de moins dans la circulation des
classes pauvres et industrielles ; car il est à remarquer que l'industrie
linière distribue mieux que toute autre les immenses capitaux qu'elle emploie.
Eh bien, ajoutez à cette nouvelle cause de misère la concurrence (page 1808) terrible qui s'établirait
entre l'industrie à la mécanique et l'industrie a la main ; ajoutez-y cette
circonstance que les fils mécaniques ne pourraient plus s'exporter en France,
et viendraient se déverser sur notre propre marché, viendraient y couper les
bras à des milliers de fileuses. Représentez-vous d'un autre côté la détresse
des cultivateurs accablés par des milliers de mendiants, la détresse des petits
boutiquiers et de la petite bourgeoisie, et faites-vous après cela une idée de
l'excès de misère qui régnerait dans les districts liniers. Ce serait une
situation épouvantable et que l'imagination ne saurait se retracer. Je ne
crains pas de dire qu'il en résulterait les plus grands malheurs, des troubles,
des bouleversements même, et quant à moi je recule devant une pareille
éventualité.
Messieurs, il en résulterait aussi que les comités établis depuis
quelques années pour le soutien et l'amélioration de l'industrie linière, ne
pourraient plus faire travailler. Il leur serait impossible de se défaire de
leurs produits ; leurs fils et leurs toiles tomberaient à vil prix, ils
seraient pour ainsi dire sans valeur ; l'encombrement serait tel que la
dépréciation n'aurait presque pas de limites.
Eh bien, je demande comment les comités qui sont institués comme des
associations de bienfaisance, comment ces comités pourraient continuer à
remplir leur mission. Le courage leur manquerait, alors même qu'ils
trouveraient les fonds.
Les améliorations dont l'honorable M. Osy a parlé tout à l'heure et sur lesquelles,
je dois le dire, il n'est pas bien renseigné ; ces améliorations qui sont
réelles viendraient à cesser, car sur 250 comités qui sont organisés et dans
les Flandres et dans le Hainaut et dans le Brabant, je pense qu'il y en aurait
fort peu qui pussent continuer leurs opérations, et travailler, comme à
présent, à propager les améliorations nécessaires à l'industrie linière et à
faire l'avance de la matière première.
L'honorable M. Osy a fait les plaintes les plus amères sur ce qu'il
appelle l'état stationnaire de l'industrie linière. Je commence par reconnaître
qu'on a encore beaucoup à faire, qu'on est encore bien loin du but qu'on a
voulu atteindre. Mais je dois repousser de toutes mes forces l'opinion qui a
été émise par l'honorable membre, et qui tend à faire croire qu'on n'a rien
fait. C'est là une grande erreur : l'on a fait beaucoup, non seulement dans les
Flandres, mais encore dans les autres provinces. Dans l'arrondissement d'Ath,
on a fait de grands efforts pour améliorer l'industrie linière ; il y a en ce
moment au-delà de 700 métiers : à la navette volante qui sont distribués dans
le seul district d'Ath. Je ne parlerai pas des arrondissements de Gand,
Courtray et Roulers, on s'en est occupé assez souvent ici, et l'on n'a qu'à
lire les discours qui ont, été prononcés dans cette chambre et les notes
explicatives qui ont été insérées dans le Moniteur, pour être convaincu qu'on a
fait de grands efforts pour améliorer l'industrie linière, et qu'on a obtenu
des succès remarquables. Dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de
représenter, ceux qui ont obtenu des instruments perfectionnés peuvent gagner
la vie.
Messieurs, ce n'est pas une si petite tâche que de réformer radicalement
une industrie qui se trouve éparpillée parmi un si grand nombre de bras, une
industrie qui est exercée par plus de 30,000 personnes ; il faut pour cela du
temps, beaucoup de patience, un zèle soutenu, et surtout du courage pour
résister à ceux qui prétendent que l'on ne fait rien.
L'honorable M. Osy nous a proposé l'exemple de l'Angleterre ; il a dit
qu'on ne tisse plus dans ce pays qu'à la mécanique ; je ne sais où l'honorable
M. Osy a puisé ces renseignements, mais je dois lui dire qu'en Angleterre on
tisse généralement à la navette volante, et que le système du tissage à la
mécanique y est très peu suivi, parce qu'on le trouve défectueux pour la
plupart des toiles.
Pour ce qui regarde le système des primes qui a été proposé par
l'honorable M. Osy, je me dispenserai de le réfuter, l'honorable M. d'Elhoungne
y a répondu d'avance dans la séance d'hier, il a fait voir à l'évidence que ce
moyen serait tout à fait inefficace. Si les débouchés transatlantiques nous
étaient ouverts, s'ils étaient fréquentés depuis longtemps par les négociants
belges, je concevrais qu'on pût au moyen de certaines primes élargir ces
débouchés ; l'on sait combien il faut de temps et d'efforts pour créer des
débouchés, l'on sait aussi qu'on n'a pas toujours été bien servi sous ce
rapport par le commerce ; que quelquefois les associations commerciales ont
jeté du discrédit sur les opérations lointaines. Cela ne tient donc pas
uniquement à l'espèce d'engourdissement dans lequel on dit que les industriels
sont tombés, mais cela tient d'abord à la difficulté qu'on a d'organiser des
débouchés à l'étranger, et surtout dans les pays transatlantiques ; et en
second lieu, aux malheureuses spéculations auxquelles on s'est livré en
Belgique et dans lesquelles beaucoup de nos industriels ont été malheureusement
sacrifiés. L'honorable député d'Anvers doit me comprendre mieux que tout autre.
On dit qu'en rompant avec la France, on pourrait entrer dans un système
de représailles ; je crois qu'on aurait pu user de représailles, au moment où
la France avait employé des moyens peu loyaux à l'égard de notre industrie, lorsqu'elle
lui a suscité des difficultés et des tracasseries auxquelles nous n'avions pas
lieu de nous attendre ; après avoir reculé si longtemps devant les
représailles, il serait assez dangereux d'y recourir maintenant sans motif
nouveau : la lutte ne serait pas égale ; nous aurions bien de la peine à la
soutenir avec une nation telle que la France qui, dans le moment actuel, n'en
comprendrait pas le but.
Je regrette autant que personne les sacrifices qui sont imposés à
l'industrie des laines par le nouveau traité. Mais je crois d'abord que ces
sacrifices ne peuvent pas faire un mal fort considérable aux grands fabricants
; voici pourquoi : c'est que les grands fabricants luttent avec avantage sur
les marches étrangers contre les nations les plus puissantes en industrie,
cintre la France elle-même. Or, s'il en est ainsi, pourquoi ne pourraient-ils
pas soutenir la lutte sur le marché belge ?...
M. David. - Je vous en dirai autant de votre industrie.
M. de Haerne. - C'est un fait incontestable pour ce qui regardé l'industrie de la
laine, mais qui ne s'applique pas à l'industrie linière. Pour ce qui regarde
les petits fabricants de l'industrie de la laine, je conçois qu'il leur est
beaucoup plus difficile de soutenir la lutte parce qu'ils n'exportent guère et
qu'ils placent presque tous leurs produits dans le pays. Mais lorsque, par le
rejet du traité, on aura ruiné complétement le tiers de notre population, je
demanderai si la perte d'une classe aussi nombreuse de consommateurs ne sera
pas un grand malheur pour la petite industrie des laines, si elle pourra y
résister. Ainsi, si d'un côté il y a des sacrifices à supporter par cette
industrie, d'un autre côté elle aurait aussi à redouter le rétrécissement du débouché
intérieur, rétrécissement qui serait la conséquence inévitable du rejet du
traité. (Interruption.) Les Flandres sont, sans contredit, un grand débouché
pour toutes les industries, et notamment pour l'industrie des laines.
Messieurs, je pense que le gouvernement pourrait venir au secours de
l'industrie des laines par un autre moyen.
Il pourrait accorder une nouvelle protection à cette industrie vis-à-vis
d'autres puissances. Je crois que l'on pourrait favoriser d'avantage cette
intéressante industrie vis-à-vis de l'Allemagne et de l'Angleterre. En
éloignant ainsi de notre marché une quantité de produits qui nous viennent
d'Angleterre et d'Allemagne ce serait encore faire une plus belle part à
l'industrie linière.
Messieurs, on nous demande s'il faudra toujours poursuivre la voie dans
laquelle nous sommes entrés ; s'il faudra toujours subir des traités comme
celui qui nous est proposé, et que je reconnais n'être pas aussi favorable que
nous pouvions espérer ; s il faudra toujours subir la loi des nations
étrangères, et notamment de la France. Je pense que non ; je pense qu'une
meilleure ère pourra surgir pour la Belgique ; mais je suis persuadé aussi que
pour hâter le moment heureux, il faudra recourir à d'autres moyens de faire
vivre l'industrie, qu'il faudra se créer d'autres débouchés, non seulement afin
de faciliter le placement de nos produits, mais afin de rendre notre position
plus forte vis-à-vis de la France et d'autres nations avec lesquelles nous
pourrions avoir à négocier.
C'est, je l'avoue, une triste situation que celle où nous nous trouvons
et qui nous force en quelque sorte d'accepter les conditions onéreuses qu'on
vous propose. Mais pourquoi sommes-nous dans cette triste position ? Depuis
longtemps nous nous avons signalé le danger au gouvernement
; il est à déplorer que le gouvernement ne soit pas entré plus tôt dans une
meilleure voie.
Vous vous rappelez, messieurs, qu'en 1844, lorsque l'on proposa la loi
des droits différentiels, une proposition formelle a été faite d'établir un
système de primes pour créer des débouchés à notre industrie, particulièrement
dans les pays transatlantiques.
Dans quel but demandions-nous l'établissement de ces primes ? Pour
fortifier notre position vis-à-vis de la France, afin de pouvoir négocier plus
facilement et à de meilleures conditions avec cette grande puissance. Tel est
le but que nous nous proposions, nous l'avons déclaré de la manière la plus
formelle.
Nous demandions des primes indirectes pour tous nos produits. Cette
proposition fut renvoyée à la commission des droits différentiels qui convertit
les primes indirectes en primes directes. Le gouvernement promit d'avoir égard
à la proposition ; mais depuis lors elle est entrée dans les cartons, on n'en a
plus parlé, malgré les interpellations qui ont été adressées au ministère. Je
ne comprends pas comment le gouvernement a pu se croiser les bras aussi
longtemps en présence de notre situation vis-à-vis de la France et du
dénouement probable des négociations.
Si c'est un malheur d'être entré dans cette
voie, n'y restons pas plus longtemps, songeons aux moyens de rendre notre
position meilleure vis-à-vis de la France et des autres puissances avec
lesquelles nous pourrons avoir à traiter. Tâchons avant tout de nous entendre
avec l'Espagne pour le placement de nos toiles dans la Péninsule et à la
Havane. Qu'on cherche après cela des débouchés dans les pays transatlantiques ;
nous nous serons fortifiés ainsi, et nous nous serons créé une meilleure
position ; quand, à l'expiration du traité, il s'agira de traiter de nouveau
avec la France, nous pourrons parler plus haut, stipuler des conditions
équitables au lieu d'être forcés d'en accepter qui sont onéreuses.
Après cela, messieurs, quel que soit le but auquel doivent aboutir les
négociations futures, soit qu'elles vous conduisent a
une convention plus favorable que celle qui nous est proposée, soit qu'elles
amènent la suppression complète de la ligne de douane ou l'union douanière, je
dis que pour atteindre l'un ou l'autre de ces résultats, il faut suivre la voie
indiquée depuis longtemps et dans laquelle malheureusement le gouvernement a
toujours hésité à entrer. Il est temps qu'il y songe sérieusement. Il y va du
bonheur, de l'existence même d'une classe nombreuse de la population. J'ai dit.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). -Avant
que la discussion ne se prolonge sur le traité, je sens le besoin de la dégager
d'une question qu'on y a mêlée incidemment, je veux parler de l'union
douanière. Les explications que j'aurai à donner ne seront pas longues.
On demande au gouvernement ce qu'il pense de l'union douanière avec la
France ; on le lui demande non seulement pour le présent, mais pour l'avenir.
La seule chose que nous pouvons déclarer, comme gouvernement, c'est qu'aucune
proposition de cette nature ne nous a été faite, qu'aucune négociation
n'existe, que nous n'avons eu ni à accepter ni à (page 1809) refuser un projet d'association de douanes. J'ajoute qu'en
1830 comme en 1840 et plus tard en 1843, la Belgique n'a pas eu non plus à
refuser ou à accepter des propositions formelles, officielles, sérieuses. Des
pourparlers officieux ont eu lieu, des idées générales ont été étudiées, mais
on ne peut leur donner le nom de négociations positives et officielles.
Messieurs, on demande au gouvernement une déclaration théorique sur la
question de savoir s'il croit ou ne
-croit pas à la possibilité d'une association douanière entre la France et la
Belgique, comme on pourrait nous le demander à l'égard de l'Allemagne.
Le gouvernement belge ne croit pas plus que le gouvernement français
lui-même à la possibilité immédiate d'une association de douane entre les deux
pays ; mais je ne veux pas plus enchaîner l'avenir sur la question douanière
que l'honorable M. Lebeau n'a voulu naguère enchaîner l'avenir sur la question
de réforme électorale. Personne n'oserait dire ce que l'avenir réserve ; les
idées de liberté commerciale s'étendront-elles sous la forme des unions de douane
ou sous la forme des abaissements réciproques de tarifs ? Nous l'ignorons. Des
circonstances où cette question pourrait être sérieusement examinée peuvent se
présenter.
Ainsi je demanderai aux honorables membres qui ne croient pas plus que
moi à la possibilité de réaliser immédiatement une pareille conception, je leur
demanderai s'ils considèrent comme impossible l'existence d'une association de
douanes avec la France, si elle se faisait, par exemple, sous les auspices d'un
traité fait en même temps avec l'Angleterre ou avec l'Allemagne.
Une autre hypothèse pourrait se présenter.
Si d'autres Etats entraient en même temps que la Belgique en association
de douane avec la France ; si la Hollande, la Suisse, la Sardaigne ou l'Espagne,
dans l'avenir, consentaient à former une telle fédération commerciale, les
dangers attachés à l'union douanière ne disparaîtraient-ils pas, et ne
serions-nous pas tous d'accord pour l'accepter ?
Mais toujours faudrait-il dans ces prévisions, qui ne peuvent, j'en
conviens, se réaliser que dans un avenir bien éloigné, si tant est qu'elles se
réalisent jamais, qu'aucune condition ne fût attachée à cette association de
douanes qui pût blesser directement ni indirectement l'indépendance et la
neutralité de la Belgique ; qu'il n'y eût aucune condition qui portât atteinte
à l'indépendance législative, judiciaire ou administrative de la Belgique.
Dans l'union allemande, où cependant les petits Etats peuvent toujours
se coaliser pour empêcher la prépondérance trop marquée des grands Etats,
beaucoup de précautions ont été prises pour que l'indépendance politique de
chacun restât entière ; la voix du duché de Hesse a autant de force et de poids
que celle de la Prusse, et l'unanimité est exigée pour les décisions qui
concernent l'association. Ces conditions d'indépendance seraient plus
nécessaires encore pour la Belgique qui ne fait pas partie, comme les Etats du
Zollverein, d'une confédération politique.
J'ai dit que le gouvernement ne croit pas à la réalisation, dans un
avenir prochain, d'un pareil projet qui, dans toutes circonstances, rencontrera
des difficultés immenses que vous avez pu peser. J'ai ajouté que le
gouvernement français vraisemblablement ne croyait pas plus que le gouvernement
belge à la possibilité immédiate d'une union douanière.
On a cité des paroles prononcées à la tribune française par un homme
d'Etat éminent de ce pays. Mais évidemment on a donné à ces paroles un sens et
une portée qu'elles n'avaient pas. Je n'en veux pour preuve que ces autres
paroles, prononcées par le même ministre, sur la même questionna la chambre des
pairs dans la séance du 22 mars 1845.
Voici comment il s'exprimait :
« Et à cette occasion je dirai un mot de la question de l'union
douanière franco-belge. On nous a représentés comme ayant élevé nous-mêmes
cette question, comme l'ayant cherchée, comme n'ayant prévu aucune de ses
difficultés intérieures et extérieures ; et puis, sur l'apparition inattendue
de ces difficultés, comme ayant abandonné le projet dans lequel nous nous
étions imprudemment engagés.
« Rien de semblable. Le gouvernement français n'a pas cherché l'union
douanière avec la Belgique. La France n'a pas besoin de l'union douanière avec
la Belgique, et nous savons les obstacles attachés à une pareille œuvre. Les
difficultés extérieures, permettez-moi de le dire, sont les moindres.
« L'honorable duc d'Harcourt s'étonnait tout à l'heure à cette tribune
de nos égards pour ce qu'il appelle des intérêts privés dans une pareille
question.
« Messieurs, les plus grandes industries de la France, des intérêts
privés ! Le travail national, la sécurité, l'activité du travail national, un
intérêt privé ! Mais il n'est pas un intérêt public plus grand que ceux-là,
plus sacré, et c'est le premier devoir du gouvernement de les ménager, et lors
même qu'il serait contraint un jour de leur demander des concessions, ce serait
avec une extrême réserve et les transitions les plus douces.
« Non, non, nous n'avons pas agi légèrement, nous ne nous sommes pas
-imprudemment engagés dans cette question ; nous ne l'avons pas été chercher, nous n'irons jamais la chercher ; elle se produit
d'elle-même, à nos portes ; elle nous presse et nous assiège malgré nous. »
Ainsi, en 1843, M. le ministre des affaires étrangères de France
déclarait que la France n'avait jamais pris l'initiative d'une telle
proposition à l'égard de la Belgique. II semblait croire que c'était plutôt la
Belgique qui était disposée à la prendre.
Les paroles, prononcées récemment par M. Guizot, n'avaient donc pas la
signification qu'on leur a prêtée. Il n'a pu laisser croire que ce projet
d'association, que ce ministre considérait comme inutile pour la France, comme
rencontrant des obstacles, j'allais dire des impossibilités intérieures et
extérieures, en 1843, il était prêt à en proposer l'adoption à la Belgique, en
1845.
Depuis 1843, depuis le jour où les paroles que j'ai rappelées ont été
prononcées à la tribune française, aucun fait qui eût trait à cette question
n'a été posé par le gouvernement français relativement à l'union douanière ;
aucune proposition n'a été ni soumise, ni discutée. Vous connaissez, au
contraire, messieurs, les efforts du gouvernement du Roi pour élargir le cercle
des négociations, pour y comprendre plus d'intérêts ; vous savez contre quelle
résistance ces efforts sont venus se briser.
Je répète donc qu'il y aurait imprudence à entretenir dans les
populations des illusions ; le devoir du gouvernement est de leur dire la
vérité ; c'est ce devoir que je remplis.
La question d'avenir, personne ne peut la trancher ; la solution
dépendra beaucoup de circonstances qu'on ne peut prévoir aujourd'hui.
Le fait devant lequel nous nous trouvons placés, c'est que depuis
quelques années la Belgique est entrée dans un système de traités différentiels
avec les grandes puissances qui nous entourent.
Le traité avec la France, la législation existante en France assurent, à
la Belgique sur le marché français des privilèges pour trois de nos grandes
industries, l'industrie, linière, l'industrie de la houille et celle de la
fonte.
Notre traité avec le Zollverein a consacré des avantages différentiels
relativement à notre industrie métallurgique. Le gouvernement espère que des
traités de même nature seront conclus avec d'autres puissances qui nous
environnent. Chacune de nos industries trouvera ainsi autour, de nous, sur les
marchés continentaux, des privilèges, des traitements différentiels qui
produiront à la longue les avantages matériels que l'on espérerait devoir
résulter immédiatement d'une union douanière avec la France ou avec
l'Allemagne.
Voilà la phase dans laquelle la Belgique est entrée depuis quelques
années. Je pense que ce fait est heureux. Ce système de traités différentiels
aura pour nos intérêts industriels des résultats aussi efficaces que l'union
douanière, quoique plus lentement réalisés. Déjà on peut remarquer que depuis
1843 nos importations en France, dans le Zollverein et dans les Pays-Bas ont
sensiblement augmenté. Au point de vue politique, ce système offre à la
Belgique des garanties d'indépendance et de neutralité bien supérieures à
celles qu'offrirait une association de douanes avec l'une ou l'autre des
puissances continentales. Ce sera l'application de cette pensée que j'ai eu
occasion d'exprimer dans une occasion récente, que la neutralité belge était un
moyen d'alliance avec tous, et non l'isolement au milieu de tous.
Puisque je suis sorti un moment de la discussion spéciale du traité du
13 décembre, à propos de la question, de l'union douanière jetée dans ce débat,
la chambre voudra bien me permettre d'ajouter quelques considérations sur des
faits qui se rattachent à la question d'union douanière elle-même.
Il est une idée fausse, dangereuse, que je tiens à combattre devant la
chambre.
A propos de l'union douanière, on a semblé prétendre que la situation de
quelques-unes des industries du pays l'exigerait, que cette situation était
tellement mauvaise qu'il fallait ce remède héroïque pour les sauver. Ces
exagérations si contraires aux faits ont peu de danger ici où l'on peut en
faire justice, mais à l'étranger on y croit jusqu'à un certain point et c'est
cette impression que je veux détruire.
Dans tous les pays où la prospérité générale est grande, il y a
néanmoins quelques malaises particuliers. En Angleterre, c'est l’Irlande ; en
France c'est l'industrie vinicole et l'intérêt colonial ; en Hollande, c'est la
pêche ; en Allemagne et en Belgique, c'est l'industrie linière.
Cette année, les souffrances de l'industrie linière ont été plus vives
par une cause générale que chacun connaît et par deux causés accidentelles. Les
causes accidentelles sont la rareté et la cherté du lin et surtout la disette
des pommes de terre, qui a rompu l'équilibre qui existait à peine entre le taux
des salaires et le prix des subsistances. A ces deux causes il faut ajouter la
cause générale qui se rattache à la transformation même de l'industrie linière
dans les Flandres.
Ces deux causes ont amené une crise plus grande, une souffrance plus
vive dans les Flandres.
Je comprends donc les plaintes très légitimes qui ont été, à ce point de
vue, portées à cette tribune même ! Cet état de choses forme l'objet de la
préoccupation constante du gouvernement, et j'aurai occasion, dans la
discussion du traité, de vous dire quels sont les remèdes que le gouvernement
croit les plus propres pour y parer.
Mais, messieurs, ce que je veux combattre, c'est l'idée qui consiste à
généraliser ces plaintes de manière à faire croire, non pas, je le répète, dans
le pays où l'on peut en apprécier la valeur, mais surtout à l'étranger, que la
Belgique est vouée à la misère, que le travail manque aux bras, que la plupart
des branches de notre richesse publique languissent. On a été jusqu'à prononcer ces mots que la Belgique n'était pas née viable.
Messieurs, cette expression ne peut avoir son excuse que dans
l'ignorance profonde de la situation réelle du pays.
Permettez-moi, messieurs, de restituer aux faits toute leur vérité.
Jamais à aucune époque depuis 1830, et en tenant compte toujours de l'exception,
malheureuse pour l'industrie linière, jamais, depuis 1830, un plus grand
développement n'a été donné à la production industrielle, plus de travail n'a
existé pour la classe ouvrière. Les faits que je vais rappeler
diront combien la Belgique renferme d'éléments de prospérité et combien son
aptitude industrielle est grande. Ces faits formeront la (page 1810) défense de la Belgique contre ceux qui ont nié ou qui
pourraient encore nier ses conditions d'existence et dans le présent et dans
l'avenir.
Examinons d'abord, messieurs, la situation du commerce extérieur de la
Belgique, depuis quinze ans.
Je partage, dans l'appréciation des faits que je soumets à la chambre,
ces quinze années en trois grandes périodes, de 1831 à 1835, de 1836 à 1840, de
1841 à 1845.
Pendant la première période, le mouvement de notre commerce général a
été de fr. 321,000,000.
Dans la seconde période, de fr. 401,000,000.
Dans la troisième période, de fr. 552,000,000.
C'est-à-dire, que l'augmentation de la troisième période sur la première
a été de 71 p. c, et sur la seconde de 37 1/2 p. c.
En rapprochant les chiffres extrêmes de 1831 et de 1845, je trouve en
1831 fr. 202,000,000
En 1845 fr. 676,000,000
La progression est de 235 p. c.
C'est près du 1/3 du commerce général de la France en 1844.
Si l'on envisage notre mouvement d'exportations en marchandises belges,
commerce spécial, je trouve qu'il a été :
Dans la première période, de 1831 à 1835, de fr. 114,000,000
Dans la deuxième, de 1837 à 1840, de fr. 141,000,000
Dans la troisième, de 1841 à 1845, de fr. 162,000,000.
C'est-à-dire que l'augmentation sur la première 29 p. c. et sur la
seconde période de 11 p. c.
Si je rapproche les deux échelons les plus éloignés, de 1831 à 1845, je
trouve :
En 1831, un mouvement d'exportation de 96 millions ;
En 1845, de 185 millions ;
Ce qui forme une progression de 90 p. c.
Messieurs, relativement au transit le progrès est beaucoup plus
remarquable encore.
Pendant la première période, le mouvement de transit n'a été que de 15
millions ;
Pendant la seconde, il a été de 32 millions ;
Pendant la troisième, de 85 millions.
L'augmentation sur la première période a été de 451 p. c. ;
Sur la seconde de 160 p. c.
Si je rapproche notre commerce de transit, en 1831, de celui de 1845, je
trouve :
En 1851, 8 millions de fr. ;
En 1845, 124 millions.
C'est-à-dire une progression comparée de 1,450 p. c.
Le transit de Belgique, en 1845, messieurs, s'est élevé à plus de la
moitié du mouvement du transit de toute la France en 1844.
Avant de descendre de ces faits généraux à l'appréciation des faits
spéciaux à chacune de nos grandes industries, je ferai remarquer en passant,
comme indices de la situation favorable de notre commerce extérieur et
intérieur :
L'amélioration du revenu public.
L'augmentation de la richesse agricole et du prix des terres.
L'accroissement successif du produit des douanes.
La progression des revenus sur les péages des canaux, rivières, du
chemin de fer, des postes, ce qui dénote que le mouvement intérieur, agricole
et industriel est en progrès.
Les immenses travaux publics qui ont été exécutés depuis 15 ans ont
considérablement augmenté le capital social et la production intérieure.
Un dernier fait, c'est que depuis 1843 nos exportations en produits manufacturés
ont suivi une marche plus rapide et que les importations des fabricats
étrangers qui étaient restées stationnaires jusqu'en 1843, ont décliné
sensiblement depuis.
Je vais faire connaître maintenant la situation particulière de notre
commerce maritime et de quelques-unes de nos principales branches d'industrie.
Mouvement commercial du port d'Anvers :
Le nombre de navires entrés à Anvers en 1829 a été de 1031.
La moyenne annuelle de 1836 à 1844 a été de 1338.
Ce nombre s'est élevé en 1845 à 1941.
C'est-à-dire, messieurs, que la progression sur 1829 a été de 90 p. c.
et sur la moyenne des 8 années précédentes de 47 p. c.
Mouvement général de navigation du royaume :
Ce n'est que depuis 1839, époque de l'ouverture de l'Escaut et de la
cessation des entraves auxquelles notre commerce maritime était assujetti que
l'on peut apprécier ce mouvement.
Voici un tableau représentant deux périodes :
1839-1840-1841 : Entrées en navires : 1,529 ; entrées en tonnage :
241,700 ; sorties en navires : 1,511 ; sorties en tonnage : 240,300.
1842-1843-1844 : Entrées en navires : 2,258 ; entrées en tonnage :
386,014 ; sorties en navires : 2,241 ; sorties en tonnage : 303,408.
L'accroissement de la seconde période sur la première est de 50 p. c.
dans le nombre des navires et de 26 p. c. dans le tonnage.
Cependant, je reconnais que notre commerce maritime n'a pas reçu les
développements qu'on a droit d'en attendre dans l'avenir. La législation a été
améliorée dans le but de développer nos exportations. Depuis quelques années,
nous avons fait les lois sur le transit, la loi sur les entrepôts francs, la
loi des droits différentiels, la loi des sucres. Mais il faut laisser à ces
lois le temps de produire les résultats que le gouvernement et que les chambres
doivent en attendre.
Messieurs, je vais rapidement exposer la situation, pendant ces quinze
années, des principales industries du pays.
Pour la houille, la production a été :
de 1831 à 1835 de 2,575,000 tonneaux
de 1836 à 1840 de 3,390,000 tonneaux
de 1841 à 1845 de 4,336,000 tonneaux
La progression de la troisième période sur la première a été de 70 p. c
: sur la seconde de 28 p. c.
En 1831 la production n'a été que de 2,270,000
tonneaux, en 1845 elle a été de 5,280,000, c'est-à-dire que la différence entre
le chiffre de 1831 et celui de 1845, a été de 131 p. c.
Pour les exportations de la houille, messieurs, dans la première période
je trouve une exportation de 734,000 tonnes, dans la deuxième de 749,000
tonnes, elle s'élève dans la troisième à 1,208,000
tonnes, c'est-à-dire qu'il y a une progression, sur la première période, de 65
p. c. et sur la deuxième, de 62 p. c.
Messieurs, il ne faut pas oublier qu'avant 1830 quelques rares machines
à vapeur servaient à l'extraction de la houille, dans la province de Liège et
dans la province du Hainaut ; il en existait une seule dans le district de
Charleroy ; tandis qu'aujourd'hui les machines à vapeur pour l'extraction de la
houille se comptent par centaines ; il en existe presque autant que de bures
d'explication.
Pour la métallurgie, messieurs, le résultat est peut-être plus brillant
encore.
Comparons, sous le point de vue de l'industrie métallurgique, la
situation de 1829 à celle de 1846. La Belgique possédait, en activité, 5 hauts
fourneaux au coke, de très petite dimension ; en 1846 il y a 47 hauts fourneaux
en activité. En 1839 et 1840 le nombre des hauts fourneaux en activité était
tombé à 17 et à 15.
La fonte qui en 1839 ne valait que 7 à 8 fr., vaut aujourd'hui 13 à 15 fr.
A Liège et à Charleroy, messieurs, et c'est un fait connu de plusieurs d'entre
vous, la production de nos hauts-fourneaux est vendue à l'étranger pour 3
années. Quand je me suis rendu à Liège, il y a quelques mois, le chef du bel
établissement de Seraing me parlait de la nécessité où il se trouvait d'élever
un ou deux hauts fourneaux de plus, afin de satisfaire aux nombreuses commandes
que l'Allemagne surtout lui faisait.
Mais deux obstacles s'y opposèrent et le forcèrent à renoncer à ces
commandes ; la houille et les bras manquaient. Pour l'exportation de la fonte
belge, messieurs, je trouve :
De 1831 à 1835, 3,887,000 kil.
De 1836 à 1840, 7,478,000 kil.
De 1841 à 1845, 34,700,000 kil.
Progression sur la première période 800 p. c.,
sur la deuxième. 390 p. c ; et si je compare le chiffre de 1831 à celui de
1845, je trouve :
En 1831, 2,550,000 kil.
En 1845, 55,000,000 kil., c'est-à-dire un accroissement de 1,300 p. c.
Messieurs, l'industrie du fer forgé et des machines a suivi
nécessairement le même progrès que l'industrie des hauts fourneaux.
Depuis deux ans, nous fournissons des rails en Allemagne.
Des commandes considérables de machines locomotives sont faites à la
Belgique : de l'Autriche, de la Bavière et des autres Etats du Zollverein, de
la Sardaigne et de divers autres Etats de l'Italie. Nous avons là des débouchés
importants et qui tendent de jour en jour à s'accroître.
Messieurs, je vais examiner au même point de vue la situation de
l'industrie cotonnière.
Des documents officiels établissent que l'industrie cotonnière a
consommé en 1826, 1827, 1828 et 1829, en moyenne par an, 6,600,000
kil. de coton en laine. La meilleure manière de se
rendre compte des progrès d'une industrie de ce genre, c'est évidemment de
connaître quelle a l'importation des matières
premières. Eh bien, messieurs, il a été importé en coton brut :
De 1831 à 1835 4,400,000 kilog.
De 1836 à 1840 6,700,000 kilog.
De 1841 à 1846 7,353,000 kilog.
L'extension dans l'importation des cotons de laine, depuis 15 ans, a été
de 70 p. c, en comparant la troisième période à la première et de 9 p. c. en
comparant la troisième période à la deuxième.
Je rappelle, messieurs, qu'avant la révolution, dans les années 1826 à
1829, que l'on considère comme l'époque de la grande prospérité de l'industrie
cotonnière, l'importation du coton brut ne s'est élevée qu'à 6,600,000 kilog. Or, dans la période de 1841 à 1846, elle a
atteint le chiffre de 7,353,000 kilog.
Pour l'exportation des tissus de coton, je reconnais, messieurs, qu'il
n'y a qu'une différence peu appréciable entre la première et la troisième
période ; mais il y a de cela une raison particulière, c'est que dans la
période de 1831 à 1835, on avait créé une société d'exportation, qui a forcé,
comme on l'a reconnu depuis, l'exportation des tissus de coton.
Si je compare la période de 1836 à 1840 à celle de 1841 à 1846, je
trouve pour la première une exportation de 597,000 kil.,
et pour la seconde une exportation de 731.000 kil,, c'est-à-dire qu'il y a une
progression de 22 p. c.
Le nombre des broches pour les filatures de coton, qui n'était plus en
1841 que de 205,100, s'élevait en 1843 à 255,000. Le chiffre des broches en
activité en 1845 est, à peu de choses près, celui qui existait en 1829 au
moment de la grande prospérité dont on nous a quelquefois entretenus.
(page 1811) Mais si le chiffre de broches en
activité à Gand en 1845 n'est pas plus élevé que celui qui y existait en 1829,
il est à remarquer qu'il n'y avait à Gand, en 1829, que 800 looms,
tandis qu'en 1840, il y en avait 2,900, et en 1845, 4,000, sans compter 700 Jacquart qui y ont été établis depuis la révolution.
Ainsi, pour l'industrie cotonnière, il est évident qu'une amélioration y
a été apportée depuis la révolution, soit qu'on examine le chiffre des
importations de la matière première, soit qu'on envisage le chiffre des
exportations, soit qu'on compare le nombre des broches et des looms mis en activité.
Par l'industrie de la laine, plus directement en cause dans ces débats, les
progrès, messieurs, vous en sont connus ; les honorables députés de Verviers
ont eu plus d'une fois occasion de constater ces progrès à la tribune. Il en
est de la laine comme du coton ; la mesure la plus exacte, pour connaître les
progrès faits depuis 1830, se trouve dans les chiffres de l'importation
annuelle de la matière première et dans celui des exportations des tissus.
Voici le chiffre de l'importation :
1831-1835, 2,973,000 kilogrammes.
1836-1840, 3,729,000 kilogrammes.
1841-1845, 4,066,000 kilogrammes.
Progression de la troisième période sur la première, 30 p. c.
Progression de la troisième période sur la deuxième, 9 p. c.
Voici maintenant le chiffre des exportations :
Exportations des draps et casimirs :
Première période, 851,635 kil., chiffres
erronés en 1831 et 1832.
Deuxième période, 527,759
Troisième période, 686,748, c'est-à-dire une progression de 11 p. c. sur
la deuxième période.
Dans le chiffre indiqué pour la première période, il y a évidemment eu
une erreur. Il est constaté que l'importation en laine a été très peu
considérable en 1831 et en 1832, tandis que nos statistiques indiquent, pour
ces mêmes années, une exportation de 85l,635 kilog. de tissus. Il y a là, je le répète, une erreur évidente,
erreur qu'on a déjà eu occasion de signaler plusieurs fois à la chambre.
Je pourrais étendre cet examen à d'autres industries importantes.
Chacun sait que la fabrication du zinc a pris d'immenses proportions
depuis quelques années. L'industrie de la verrerie, la clouterie, la
fabrication des armes ont trouvé, par leurs progrès, le chemin des marchés
étrangers, et s'y maintiennent.
Messieurs, deux souffrances industrielles existent en Belgique ; c'est
d'abord l'industrie linière, dont nous avons surtout à nous préoccuper dans
cette discussion ; c'est ensuite l'industrie des sucres. Une loi récente a été
faite pour porter remède à la situation de la seconde de ces industries, à
l'industrie des sucres. Le traité qui vous est présenté est un premier moyen de
rendre meilleure la situation de l'industrie linière. Lorsque j'aurai l'honneur
de prendre la parole dans la discussion spéciale du traité, j'aurai l'occasion
d'entretenir la chambre des vues du gouvernement pour améliorer l'industrie
linière.
Un honorable membre m'a interrompu tout à l'heure pour me demander quel
rapport il y avait entre les observations que je viens d'avoir l'honneur de
présenter à la chambre et le traité en lui-même.
Messieurs, ce rapport n'est qu'indirect, sans
doute, mais la question d'union douanière m'a fourni une occasion que j'ai été
bien aise de saisir pour faire cette espèce d'histoire de la situation
industrielle et commerciale de la Belgique depuis 15 ans. Des plaintes
exagérées avaient retenti non seulement dans la presse, mais à cette tribune
même ; ces plaintes, nous pouvions les apprécier sainement, nous qui
connaissons les faits. Mais à l'étranger ces plaintes avaient le plus fâcheux
retentissement et laissaient croire que la Belgique se débattait contre des
difficultés intérieures ; tandis que cette situation de la Belgique est telle
qu'elle n'a rien à envier aux autres nations qui l'environnent.
M. David. - Messieurs, j'étais à me demander à quoi devait servir le long
discours statistique que vient de prononcer M. le ministre des affaires
étrangères, lorsqu'en terminant ce discours, il a bien voulu nous donner la
clef de l'énigme ; je ne savais si ce discours devait avoir pour adresse la
Hollande ou peut-être M. Guizot ; dans tous les cas, je trouve qu'il n'a aucune
espèce de rapport avec la circonstance, et c'est tout au plus si, dans les
derniers mots prononcés par M. le ministre des affaires étrangères, il s'est un
peu occupé de la question spéciale qui nous occupe...
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - J'y
reviendrai.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Ce sont des vérités
très bonnes à répéter.
M. David. - Ce sont des vérités bonnes à répéter, me dit M. le ministre des
finances ; mais, comme on le fait observer sur ces bancs, il y a longtemps
qu'on aurait dû les proclamer, alors nous serions peut-être dans une position
moins mauvaise que celle où nous sommes engagés.
J'admire la sollicitude de l'honorable M. de Haerne, lorsqu'il parle de
la belle position que nous créent, nos exportations, nos relations à
l'extérieur ; il trouve dans ce fait la preuve de notre supériorité sur les
marchés étrangers et sur l'industrie linière. J'ai interrompu alors l'honorable
membre, je lui en demande bien pardon ; je lui ai dit que ce sort, il n'avait
pas besoin de l'envier pour son industrie si elle avait marché avec le zèle et
le courage de la nôtre. Mais son industrie veut être stationnaire ; elle veut
un seul débouché, celui de la France, et à cette occasion, il faut sacrifier à
son incurie la grande industrie lainière. Que l'honorable M. de Haerne
conseille donc à ses industriels de faire ce que nous avons fait, et alors leur
position deviendra meilleure.
Permettez-moi, messieurs, de commencer par vous exprimer le sentiment
pénible, l'impression douloureuse que viennent laisser en moi les paroles de
mon ami, M. d'Elhoungne. Ces paroles, messieurs, pourraient être considérées
comme une sanglante ironie, quand on pense à la déplorable situation où se
trouve depuis dix-huit mois la draperie, et M. d'Elhoungne vient en vanter les
progrès, la prospérité ?
Les progrès, oui, je les accepte, je les avoue, mais la prospérité, non,
c'est une profonde erreur. Il y a huit ans que vous annoncez votre trépas, dit
M. d'Elhoungne, et cependant je vous vois toujours en vie. Certes, messieurs,
ces paroles sont cruellement ironiques. M. d'Elhoungne est bien mal avisé en
recourant à de semblables arguments, pour mieux faire châtier des populations
qui n'ont jamais ni rien demandé ni rien obtenu ; car on obtient quelquefois
sans rien demander ; des populations dont l'industrie est la gloire et non la
lèpre ou le chancre du pays ; des populations qui n'ayant pas, comme les Flandres,
la ressource des travaux agricoles, traînent comme des galériens, entre quatre
murailles, leur malheureuse existence. Si par hasard, messieurs, dans ce
Verviers que vous connaissez si peu et que vous jugez si mal, vous voyez
s'élever une fortune, c'est la bien faible exception. La règle est une longue
série de misères que le courage et la fierté de ses habitants savent
dissimuler. Depuis dix ans, je le proclame (et je suis compétent), croyez-le,
Verviers n'a pas eu deux années de prospérité. Cette prospérité à quoi
l'a-t-elle due ? A une seconde transformation de son industrie, aux étoffes
autres que draps, casimirs, etc., et vous qui représentez
le lin, vous n'en êtes pas même à votre première transformation. Vous avez sans
doute, en nous narguant à propos de notre prospérité, vous avez voulu consacrer
l'axiome latin, labor improbus
omnia vincit. Je voudrais
pouvoir vous le renvoyer, nous n'aurions pas devant nous le triste spectacle
d'un duel dont les deux champions vont mourir sur le champ de bataille.
Ah ! M. d'Elhoungne, rapporteur premier-né du traité avec la France,
vous eussiez dû tenir parole et venir visiter Verviers ; je me serais estimé
doublement heureux de vous y voir. Vous en devinez les deux motifs. Le motif
patriotique de notre industrie avant tout : celui de nos bonnes relations, le
second. Vous eussiez vu, M. d'Elhoungne, vous eussiez vu le vrai de près et
vous n'eussiez pas osé dire dans votre discours, les hérésies, pour ne pas dire
les faussetés, que voudrait faire accréditer le rapport de SI. Desmaisières.
M. le président. - Je vous prie, M. David, de vous adresser soit à la
chambre, soit au président, comme le veut le règlement. Vous venez de prononcer
une parole qui n'est pas fort parlementaire.
M. David. - Je crois y avoir mis un calmant.
Messieurs, il y a bien peu de temps, j'assistais au banquet
d'inauguration du chemin de fer du Nord. La plus heureuse cordialité régnait
entre nous et les illustres envoyés de France, car, outre ses hommes
politiques, ce pays nous avait encore envoyé des penseurs, des philosophes et
des écrivains.
Je l'avoue, j'avais oublié dans cette fraternelle réunion les nombreux
griefs que nous avons à formuler contre la politique commerciale que la France
a adoptée contre nous. Je l'avoue encore, cette belle définition que M. le
ministre des affaires étrangères a faite de notre neutralité, m'avait électrisé
au milieu de cette fêle civilisante et qui doit tôt
ou tard abattre des barrières que l'égoïsme de quelques-uns a élevées au
détriment de la majorité, au détriment du petit travailleur.
Mais c'est en revenant à moi que j'ai vu combien les mauvaises choses se
déguisent mal sous de bonnes paroles, sous de brillantes apparences.
En relisant ce traité du 13 décembre dernier, que dès son apparition
j'ai regardé comme un crime contre la Belgique, comme un sacrifice de nos
intérêts les plus chers, j'ai compris tout ce qu'il y avait 'de clinquant dans
ces discours, de mensonge dans la noble signification donnée à notre
neutralité.
Non, messieurs, il n'est pas vrai que cette neutralité soit
l'indépendance, soit la libre faculté de faire avec ceux qui nous entourent, et
ce traité qu'on vous propose aujourd'hui n'est rien moins qu'un contrat léonin,
qu'un traité d'exploitation, où l'industrie linière, que l'on veut protéger,
n'a rien à gagner, où l'industrie lainière est odieusement sacrifiée et sert de
véritable holocauste.
Non, ce n'est point une nationalité honorable que celle qui doit exister
aux dépens des industries qui font vivre nos populations d'aujourd'hui et de
demain ; car vous le savez tous, messieurs, l'industrie linière n'est plus dans
la même situation de vitalité que celle qu'on immole à son agonie.
Le gouvernement de notre pays n'a pas été assez fort pour faire
comprendre cela à ceux qui militent en faveur de ce lent et douloureux
anéantissement et il prend du jeune sang pour l'infuser au moribond, qu'il sait
condamné.
Ah, messieurs, croyez-le bien, ce n'est point en industriel que je vous
parle ici. Je pense, du fond de mon âme, que nos frontières ouvertes
n'amoindriraient pas autant notre prospérité que les traités du genre de celui
qu'on vous propose. Je le démontrerai lorsque nous serons arrivés aux articles
de la loi. Je crois au contraire que la base de toute fortune industrielle est
dans le bas prix de tous les produits naturels, de toutes les matières
premières ; et tous ces résultats, nous les obtiendrions par la liberté du
commerce.
(page 1812) L'homme d'Etat que la Providence
avait placé à la tête des destinées de l'Angleterre, sir Robert Peel a ainsi
compris la tâche d'un véritable ami de l'humanité, et son nom restera plus
grand que celui des conquérants dans l'histoire. Je voudrais que mon pays prît
la glorieuse initiative de la liberté commerciale sur le continent, comme il y
a pris celle des chemins de fer ; mais en attendant que je trouve la
législature belge mieux disposée à écouter ces conseils, à appliquer cette
théorie si large et si utile à l'humanité, il ne faudrait pas saper les
fondements de l'avenir, pour nous livrer épuisés et impuissants, devant un fait
semblable. Il nous faudrait le rencontrer dans notre force et dans notre
courage et non point à l'époque de lutte avec la misère et le dépérissement
intérieurs.
Eh bien, messieurs, le traité du 13 décembre va nous mettre dans cette
dernière situation. Vous n'aurez fait que peu ou rien pour l'industrie linière,
car il ne lui est permis d'exporter vers la France que dans une menue, très
exiguë proportion, et vous aurez tué d'une façon vraiment barbare une industrie
dont M. Nothomb et M. Dechamps avaient provoqué le développement extrême et
qui, dans un temps plus ou moins long, aurait réparé une partie des malheurs de
l'industrie linière elle-même.
Est-ce encore une neutralité indépendante, messieurs, que celle que vous
donne la triste situation actuelle ? Votre bureau est chargé de pétitions qui
demandent la réunion douanière avec la France. Ces pétitions arrivent par
pelletées.et vous n'y voyez pas des symptômes qui affligent et qui alarment :
vous n'apercevez pas ce grand avertissement, qui vous dit que la désaffection,
la faiblesse, le manque de protection diviseront, jetteront le pays, par
sympathie et par intérêt, d'une part dans les bras de la Hollande, de l'autre
dans ceux de la France ou même du Zollverein. (Interruption.)
Notre nationalité n'est pas si vieille, messieurs, pour qu'au-dehors
elle résiste aux soupçons que fait naître ce pétitionnement, encouragé par des
menées ministérielles. Nous savons tous que les pétitionnaires ne vont pas
au-delà d'un désir simple d'union douanière. Mais, ailleurs, connaît-on comme
ici le fond des choses ? Que la plus légère crise politique se présente, et
vous verrez comment l'industriel français expliquera ce pétitionnement. Il
criera à l'Europe que la Belgique veut être française, que toutes ses
populations le demandent depuis dix ans, car on exagère tout, et c'est là ce
que M. le ministre des affaires étrangères appelle la vraie indépendance !
Non, messieurs, le traité qu'on vous propose, loin de nous laisser dans
ces nobles conditions, nous entraîne plus bas que l'isolement. C'est un acte de
soumission, j'allais dire de vasselage envers la France et je n'en veux pour
preuve que le discours prononcé par M. Guizot le 21 avril dernier. Ce discours,
je le résume :
« Nous avons, dit M. Guizot, fait par le nouveau traité des concessions
moindres à la Belgique et nous avons obtenu en retour des concessions plus
considérables.
« Il est évident, de quelque manière qu'on discute, que les concessions
faites à la Belgique sont plus faibles que celles de la convention précédente.
« Pour les fils et les tissus de coton, nous avons obtenu la certitude
que les nouveaux droits imposés aux tissus d'autres nations, ne seront jamais
imposés aux nôtres. Nous avons obtenu une diminution pour nos sels.
« Tout ce qui concerne nos vins et nos soieries a été maintenu.
« Nous avons enfin recouvré notre pleine liberté aliénée en partie par
la convention de 1842.
« On ne peut donc pas contester que le résultat de la nouvelle convention
ne soit de nous faire atteindre le but politique que nous poursuivons quant à
la Belgique, et de nous le faire atteindre par des concessions moins
considérables que celles qui résultent de la convention de 1842.
« Ainsi les deux choses que vous nous aviez demandées, « donnez moins,
obtenez, davantage », résultent l'une et l'autre de la convention qui vient
d'être signée, et cependant, ajoute M. Guizot, nos bons rapports avec la :
Belgique sont maintenus et affermis ! ! ! »
Eh bien, messieurs, ce discours est profondément humiliant pour le pays
et pour son gouvernement : ce discours de M. Guizot, en ne le pressant pas plus
que de besoin, veut dire :
« Nous avons imposé des conditions onéreuses à la Belgique ; nous lui
avons retiré des avantages qu'elle avait, nous lui avons arraché des avantages
que nous n'avions pas. Nous avons plumé la poule sans la faire crier, et
cependant (remarquez, messieurs, cet affectueux cependant, ce cependant veut
dire : malgré toutes les avanies que nous avons fait subir à cette sœur
bien-aimée), nos bons rapports politiques avec elle sont
maintenus et raffermis. »
J'ai donc besoin de toute ma raison, de tout mon sang-froid pour ne
point m'abandonner à l'indignation qui m'anime au sujet de ce traité, que l'on
vient soumettre à votre ratification.
Je ne crois point qu'une situation semblable se rencontre dans les
annales d'aucun gouvernement. Je ne crois point que des hommes chargés de
veiller aux intérêts de tous, aient jamais conclu un marché aussi onéreux et
sacrifié l'existence d'une industrie vivace à celle d'une industrie mourante
et, je le dis à regret, condamnée. Je ne crois pas que jamais l'on ait plus
audacieusement violé des promesses officielles, qu'on ait tué plus froidement
des produits dont on a provoqué le développement par des discours et par des
actes. Je ne crois pas enfin qu'après un laps de temps aussi court, on ait
oublié tous les efforts qu'on a faits pour acclimater une fabrication qui
touche à tant d'intérêts et qui fait vivre tant d'ouvriers !
Quelle que soit donc la destinée du traité qui vous est soumis, que la
chambre l’adopte, l'ajourne ou le repousse, je ne puis me dispenser de venir
protester ici tout haut, à la face du pays, contre l'inqualifiable conduite du
gouvernement dans cette occurrence, et spécialement contre la versatilité, les
palinodies de M. le ministre des affaires étrangères.
En 1838, lorsque la législature trouva bon de lever la prohibition dont
était frappée la draperie française à son entrée en Belgique, l'industrie
drapière réclama avec énergie. Elle n’avait peut-être point peur de la
concurrence française, mais elle voulait qu'elle fût franche et loyale. Elle
demandait que la France fît pour la Belgique ce qu'elle voulait que la Belgique
fît pour elle. Elle demandait que la prohibition qu'elle levait de son côté fût
aussi levée du côté de la France. Le ministère de M. de Theux promit monts et
merveilles : commençons, disait-on, et la France nous suivra.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - La
France avait commencé par faire des concessions pour l'industrie linière, nous
avons suivi.
M. David. - Je vais démontrer que c'est précisément le contraire.
On nous disait : Il est glorieux pour un petit pays comme la Belgique de
prendre l'initiative d'une pareille mesure, elle démontre du courage, de la
confiance en ses forces, etc., etc.
Nous répondîmes alors que la partie n'était pas égale et qu'il ne
fallait pas donner des avantages aussi grands à la France sans avoir sa parole
qu'elle nous en rendrait au moins une partie. Nous ajoutâmes que dans la
situation de prohibition mutuelle, la France avait un immense avantage sur nous
; qu'elle trouvait à peu de frais à faire entrer par interlope sa draperie en
Belgique et que nous, nous trouvions la France complétement fermée à nos
produits. En effet la France avait contre nous des moyens invincibles, trois
lignes de douanes, la poursuite de la fraude à l'intérieur, l'estampille et la
recherche à domicile.
Nos arguments ne furent point goûtés par la majorité. Elle compta
apparemment sur la justice de la France, sur sa bienveillance peut-être, et le
premier marché onéreux fut conclu. Vous savez, après huit ans d'expérience, si
nous avions raison et si la majorité avait tort. La prohibition la plus absolue
de la draperie belge existe encore aujourd'hui en France comme en 1838 !
L'industrie lainière, sous le coup éternel de la concurrence française,
ne pouvait donc prendre un essor large. La sécurité lui faisait défaut, et cette
sécurité absente n'est pas le seul assaut qui lui a été livré. Elle a été
menacée, tantôt par des représailles que pouvait lui attirer la loi sur
l'industrie cotonnière, tantôt par les droits différentiels, par la Hollande,
par le Zollverein. Plusieurs de ces menaces, en effet, se sont transformées en
actes que vous connaissez. Eh bien, messieurs, on dirait que le ministère a
voulu dépasser tout cela. Calmant les plaies de cette industrie par l'arrêté
sur les laines, pris lors de l'inauguration du chemin de fer rhénan, il lui a
permis de prendre un essor plus libre, il a excité de grands capitaux à s'y
engager. Il a fait les promesses les plus brillantes aux industriels qui, ne se
fiant pas entièrement à la loi écrite, demandaient encore des explications
verbales supplémentaires. Et un beau jour, quand, sur la foi d'un arrêté royal
et des larges explications de M. le ministre, des millions s'engagent dans une
industrie pleine de sève et d'avenir, M. le ministre vient se démentir
publiquement lui-même, brise les métiers qu'il a conseillé d'élever, ruine les
capitalistes, menace une innombrable quantité d'ouvriers qui, dans toutes les
provinces belges pour ainsi dire, ont trouvé des moyens de subsistance, grâce à
la loi, grâce à la parole royale, contresignée par M. le ministre des affaires
étrangères. Et pourquoi cette violation spontanée, volontaire de la foi jurée
et enregistrée dans le Moniteur ? Parce qu'une industrie mourante et condamnée,
je le répète toujours à regret, qui tantôt adopte, tantôt rejette la
convention, tantôt demande la réunion à la France, a besoin qu'on lui
maintienne des prérogatives inutiles, un débouché chaque jour diminuant sur le
marché français. On tue la vie pour prolonger encore de quelques heures le
souffle d’un mourant.
Eh bien, l'expérience de M. le ministre des affaires étrangères aurait
dû lui dire que cette œuvre de la transfusion dont je parlais tout à l'heure
est impossible et inutile. L'industrie linière, d'après les anciens procédés,
cette industrie linière, compagne des travaux agricoles, est condamnée par
arrêt providentiel. Le progrès, la vapeur, les machines l'ont tuée et ceux qui,
par un sentiment patriarcal, aiment les industries attachées aux travaux des
champs, doivent se courber sous l'arrêt d'en haut et avouer qu'ils luttent
contre l'impossible. C'est regrettable, messieurs, je suis loin de le nier.
Mais, messieurs, un gouvernement n'est pas fait, pour protéger ceux qui s'en
vont aux dépens de ceux qui aspirent, qui existent, qui augmentent la fortune
du pays. Or, l'industrie lainière est dans cette dernière catégorie : elle
était dans des conditions de succès, telles que les provinces qui jusqu'ici
n'avaient pas daigné y songer s'y sont lancées avec courage et ont réussi, en
quelque sorte, mais moins dans le présent encore que dans l'avenir. Appuyées
sur la foi du droit public, elles ont fait de louables efforts et au moment où
ces efforts allaient être couronnés, le gouvernement signe le traité
inqualifiable du 13 décembre 1845 ! Cela n'est point gouvernemental et,
permettez-moi de vous le dire, M. le ministre, cela n'est point loyal, car,
personne plus que M. le ministre des affaires étrangères n'a provoqué le grand
développement de l'industrie lainière.
Voilà ce que tout à l'heure j'ai appelé une palinodie. Voici ce que vous
dites :
(page 1813) Dans l'exposé des motifs que
vous avez présenté à la chambre, le 10 février de l’année dernière, vous dites,
M. le ministre :
« L’industrie de la laine, à laquelle, dans les siècles passés, les
provinces belges durent plusieurs fois des époques de grande richesse, tend de
nouveau à se développer depuis l'arrêté du 14 juillet 1843.
« Déjà elle constitue l'une des branches d'industrie les plus
importantes dans la plupart de nos provinces : Verviers,,
Tournay, Mouscron, Courtray, Roulers, Gand, Saint-Nicolas, Bruxelles, ont vu
s'élever et s'étendre depuis deux ans des établissements pour la fabrication de
la laine. Cette industrie tend à se substituer, dans quelques parties des
Flandres, à l'industrie linière, et vient ainsi aider à la transformation de
celle-ci. »
Et plus loin nous voyons :
« Art. 7 de la convention du 13 décembre 1845. Les taxes
supplémentaires, établies en Belgique par l'arrêté royal du 14 juillet 1843,
cesseront d'être applicables aux fils de laine de toute sorte, aux habillements
neufs ou supportés à l'usage d'homme (et de femme) et aux ouvrages de mode
importés de France en Belgique. Ces marchandises n'acquitteront plus que les
droits antérieurs audit arrêté.
« Pour tous les tissus de laine compris dans cet arrêté, les droits
actuels seront, à l'importation de France en Belgique, réduits d'un quart.
« Art. 8. Les draps, casimirs et tissus similaires d'origine française,
seront affranchis, en Belgique, des droits supplémentaires, de 9 et 6 3/4 p. c,
fixés par l'arrêté royal du 27 août 1838. »
Rien n'est plus vrai, M. le ministre, que ces paroles de votre exposé
des motifs ; rien n'est plus exact pour ce qui existe, rien n'est plus probable
que ce que vous voyiez d'heureux dans l'avenir de notre industrie.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Dechamps). - Où est
la palinodie ?
M. David. - Comparez les paragraphes que je viens de citer et vous verrez qu'ils
hurlent d'être accouplés.
C'est par des actes officiels, par des encouragements verbaux, par
l'orgueil même qu'il semblait montrer pour le succès qu'il avait obtenu qu'il a
lancé des capitalistes dans cette industrie, qu'il a engagé beaucoup d'ouvriers
à s'y acclimater ; et le jour où la fortune devait venir récompenser les
efforts publics et particuliers, le jour où nous devions recueillir le fruit de
la confiance que les intérêts matériels au moins, doivent avoir sous l'autorité
publique, on vient d'un trait de plume anéantir de nouveau, capitaux et
travail, bien-être et espérance. Non, messieurs, vous ne pouvez point ratifier
une conduite aussi perfide et aussi cruelle pour un nombre immense de
travailleurs. Vous donnerez une leçon au pouvoir en ne l'appuyant point dans sa
marche monstrueuse.
Le traité que nous discutons est non seulement onéreux en ce qu'il
paralyse une production naturelle ; mais il l'est davantage encore quand on
apprécie le fond des choses dans nos rapports avec la France, et dans le
rapport de la France elle-même avec ses industriels.
Nos rapports avec la France, je n'ai pas besoin de vous les rappeler. II
faut en vérité que nous ayons nos souvenirs communs de 1830, pour ne point
oublier, au nom des intérêts matériels, combien la France est peu bienveillante
envers nous. De belles paroles il n'en manque point, et moi-même, j'ai entendu
avec une satisfaction vive et profonde celles qui ont été prononcées au banquet
d'inauguration et qui l'ont été par des illustrations appartenant aux
différents partis français.
Il y a huit ans qu'on nous promettait que la France se départirait de la
prohibition qui pèse à l'entrée chez elle de nos produits lainiers et
cotonniers, et en France on ne s'est pas départi d'un cheveu et bien au
contraire, du système de la prohibition absolue. Chaque fois qu'une question se
présente, on ne s'occupe pas si elle est utile, mais seulement si elle convient
à l'industrie française, et on repousse la Belgique.
M. Guizot, dans son discours lors de la discussion du projet de loi des
douanes en France, a dit en substance, le 25 mars 1845 :
« La France a excepté la Belgique pour trois grandes industries, à
savoir : la houille, les fontes et les fils et tissus de lin. La Belgique lui
doit à son tour des concessions analogues pour les tissus de coton, de soie et
de laine. »
Voici, du reste, les propres paroles de M. Guizot, dans la séance du 25
mars 1845 :
« De ce que je viens de dire, il résulte que nous avons le droit de
demander à la Belgique des avantages supérieurs à ceux qu'elle nous a faits.
Nous croyons qu'elle a retiré du traité l'utilité politique que nous avons eu
en vue pour elle ; elle est sortie de l'état de crise où elle se trouvait
placée. Ce service politique, nous voulions le lui rendre, et nous le lui avons
rendu ; mais les avantages commerciaux qui nous ont été accordés en retour, ne
sont pas suffisants pour que le traité soit continué tel qu'il est. Nous
croyons être en droit de demander des concessions plus étendues. Nous sommes
entrés avec la Belgique dans le système des droits différentiels ; ses
houilles, ses fontes, ses fils et tissus de lin et de chanvre ont obtenu chez
nous des droits différentiels. Nous avons, nous, à en demander d'analogues pour
nos tissus de coton, de soie et de laine, pour notre navigation, etc. Telle
doit être la base des nouveaux avantages que nous demanderons pour accorder la
prolongation du traité. »
Il y a une rectification importante à faire à ce point de départ : pour
la houille, le régime différentiel et les droits moindres sur la frontière de
terre de la France, datent de 1816 ; pour les fontes, ils datent de 1822. Le
régime ne s'étend pas seulement à la frontière belge, il s'étend à toute la
frontière du nord et de l'est de la France. Il est même à remarquer que le
bénéfice en a été réduit par les ordonnances françaises du 25 novembre 1837 et
24 septembre 1840.
Or, du moment que le régime différentiel n'a été établi ni en vue, ni
dans l'intérêt exclusif de la Belgique, est-il juste que celle-ci accorde des
concessions que la France n'a pas exigées des autres pays limitrophes,
(notamment de l'Allemagne), qui en ont pareillement profité ? Cela serait
d'autant moins juste que le gouvernement de la restauration, par les régimes
différentiels en question, a tout simplement eu en vue des intérêts français.
Cela est pour moi, messieurs, de la dernière évidence.
Dès lors, la Belgique n'a équitablement à tenir compte à la France que
de l'exception sur les fils et tissus de lin.
En disant : équitablement, on fait abstraction des circonstances qui ont
précédé l'ordonnance française du 26 juin 1842 ; on fait abstraction de ce que
le tarif de 1836 sur les tissus de lin, changé par cette ordonnance,, avait été
acheté ainsi que son maintien, par les concessions de la Belgique, notamment
par les concessions que la France a elle-même achetées à la Hollande, au prix
du traité du 25 juillet 1840. En un mot on fait abstraction des raisons et
faits qui auraient dû, en bonne justice, faire excepter la Belgique de
l'ordonnance française du 26 juin 1842.
Moyennant cette abstraction des faits antérieurs, la Belgique donc, on
le répète, avait à tenir compte à la France de l'exception qu'elle a obtenue,
pour les fils et tissus de lin, par la convention du, 10 juillet 4842.
En d'autres termes, en se mettant au point de vue de M. Guizot et des
quasi-engagements qu'il avait pris vis-à-vis des chambres françaises, il y
avait lieu d'ajouter des concessions à celles de la Belgique dans cette
convention, c'est-à-dire aux concessions sur les vins, tissus de soie, sel,
ardoises et batelage de la France.
En se mettant à ce point de vue quelles étaient les concessions à offrir
pour obtenir la prorogation de la convention du 16 juillet pour un terme de 4,
5 ou 6 années par exemple, avec ou sans quelque amélioration ou garantie sur
l'affaire des types ?
Le gouvernement français aurait dû dans ce cas se montrer très satisfait
d'obtenir :
1° L'exception à l'arrêté du 14 juillet 1843, pour les ouvrages de mode
et pour les habillements confectionnés, c'est-à-dire le retour au droit de 10
p. c. ad valorem.
Voyez les dangers que vont courir un grand nombre de maisons de
Bruxelles et notamment les maisons de la rue de la Madeleine !
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Il faut détruire les
chemins de fer.
M. David. - Cette objection n'est pas sérieuse. Je laisse subsister le chemin de
fer. Je voudrais seulement le retrait du sacrifice de l'industrie lainière.
Mais tout le monde sait que la France a l'empire de la mode, il est évident que
quand on ira en dix heures à Paris les tailleurs de Bruxelles n'auront plus
rien à faire, et le commerce sera tellement compromis que la ruine de ceux qui
s'y livrent sera inévitable, que la rue de la Madeleine deviendra déserte. Je
crains que le chemin de fer que j'ai prôné en toute occasion, ne soit, par
suite de la suppression des droits, une cause de ruine pour la Belgique
entière.
2° La France aurait dû être satisfaite d'obtenir le maintien de
l'exception, accordée pour un an par l'arrêté du 13 octobre 1844 sur les tissus
de coton français.
A la rigueur pour échapper à d'autres exceptions à l'arrêté du 14
juillet 1843, on aurait pu consentir à majorer et à porter savoir :
Pour les vins, à 30 ou 35 p. c. et pour le fil à 10 ou à 12 p. c. les
réductions et déchets accordés par la convention de 1842.
Quant à l'exception sur les tissus de laine, il était évident qu'elle
était inutile pour la France et que, pour la Belgique, elle causait
d'incalculables désastres, car : 1° sur la foi de l'arrêté royal, des capitaux
considérables se sont engagés dans la filature, et en général dans le travail
de la laine. De nouveaux établissements se sont formés, d'autres se sont
étendus. Voilà donc tout leur avenir bénévolement sacrifié.
2° Le tarif belge comporte encore de nombreuses modifications dans
l'intérêt de l'industrie. L'exception illimitée à l'arrêté du 14 juillet au
profit de la France implique, pour l'avenir, l'exception en sa faveur à toutes
les mesures de tarif qui seront prises. Cette conséquence découle du discours
de M. Guizot, du point de départ delà négociation.
3° Dorénavant, il est impossible que l'industrie se confie le moins du
monde à un acte du gouvernement en matière de tarif, puisque, malgré l'intérêt
contraire des grandes industries de la laine, malgré une durée de trois années
et enfin malgré les intérêts lésés qui se sont engagés sur la foi d'un tel
acte, on sacrifie, on anéantit aujourd'hui les intérêts belges au profit d'un
pays dont l'industrie rivale est redoutable, messieurs, car elle nous devance
d'un siècle.
Voilà, messieurs, ce qui s'appelle faire une lettre morte d'une
prérogative royale, le comprend-on bien ? C'est de plus rendre nul et comme non
avenu l'article de la loi de 1822 qui permet au gouvernement de modifier le
tarif des douanes. Un ministère belge, si humble, si courbé au-dehors, peut-il
agir plus cavalièrement au-dedans ?
4° En vain dit-on que la fabrication du genre des tissus français ne
s'est pas établie ou développée en Belgique : d'abord les établissements de
filature, de teinture et d'apprêt y existent pour tous les genres de
fabrication. En second lieu, pour qu'une grande industrie puisse se développer
comme s'est développée chez nous l'industrie lainière, il faut ne pas la
circonscrire dans des limites étroites, obligées, il faut.ne pas lui tracer un
cercle ni imposer une gêne à ses opérations.
Il importe ensuite de remarquer que l'industrie dont il s'agit n'est
chez nous encore qu'à l'état d'embryon, qu'une industrie d'avenir ; (page 1814) impossible qu'elle ait pu en
si peu de temps se développer sensiblement : elle manquait d'un grand
établissement indispensable d'un établissement d'apprêt et de teinture : un
premier établissement de ce genre est en activité près d'Anvers depuis peu.
Elle manquait d'un grand établissement de filature. Il s'en est formé aux
portes de Bruxelles même.
5° L'arrêté du 14 juillet intéresse particulièrement les Flandres,
c'est-à-dire les provinces en vue desquelles on négocie : à Courtray, à Gand, à
Roulers, à Mouscron et dans nombre d'autres localités de ces provinces, on
fabrique déjà sur une très grande échelle des tissus similaires aux tissus
français mêmes.
L'exception à l'arrêté du 14 juillet est donc désastreuse pour ces
provinces, dans lesquelles il importe tant de faciliter l'application du
travail de la laine, celui du lin étant périclitant. L'un des motifs qui ont
déterminé l'arrêté du 14 juillet, a été de faciliter un déplacement de travail
dans les Flandres.
Finalement il est à observer que l'exception en faveur de la France
devra, sans nul doute, être étendue à l'Allemagne ; ce qui a une grande portée
d'une part (parce que ce serait blesser la France, d'autre part), à cause des
produits saxons, dont la concurrence est fort à craindre pour nous ; enfin,
parce qu'il serait difficile d'empêcher que les tissus anglais ne prissent la
voie de l'Allemagne pour éluder le droit différentiel.
J'ajouterai que l'arrêté du 14 juillet est déjà bien assez anti-anglais
dans l'état actuel des choses, et qu'il le deviendrait ainsi bien davantage.
L'exception n'était donc pas nécessaire pour la France. On l'a dit avec
raison : Par la manière dont sont établis les droits d'entrée sur les tissus de
laine, l'exception existe de fait. En effet, abstraction faite de la prime de
sortie en France, le droit au poids correspond à 10 ou 11 p. c. en moyenne sur
les tissus français, tandis que cette moyenne s'élève à près de 30 p. c. sur
les tissus anglais.
La Belgique évidemment a voulu ménager la France dans l'arrêté du 14
juillet. Elle a très bien apprécié que si elle ne tenait pas compte de la
valeur relative des tissus français et anglais, les droits, légers pour les
premiers, seraient en quelque sorte prohibitifs pour
les autres.
Or, les résultats sont venus tout à fait à l'appui de ces prévisions.
Voici la reproduction de quelques chiffres qui le prouvent. Ces chiffres se
rattachent aux espèces de tissus qui forment la grande masse des importations
de France et d'Angleterre ; j'ai négligé le reste comme insignifiant. (Voir le
tableau ci-contre.) (Note du webmaster : ce tableau n’est pas repris dans la
présente version numérisée.)
On voit par ces relevés que l'importation des tissus français s'est
accrue, dans une progression non interrompue, depuis l'arrêté du 14 juillet,
tandis que l'importation des tissus anglais a, au contraire, a fortement
diminué.
Ainsi, l'importation française en 1844 présente une augmentation de
7,044 kil. sur l'année 1842,
et de 12,478 kilog. sur l'année 1843. Ainsi encore,
cette importation pendant le premier semestre de 1845, présente une
augmentation de :
5,836 kil. sur les
sept premiers mois de 1842.
11,557 kil. sur les
six premiers mois de 1843
5,824 kil. sur les six
premiers mois de 1844.
Je le répète donc, une mesure de tarif qui consacre en faveur de la
France (toujours abstraction faite de la prime de sortie) des droits d'entrée
du tiers de ceux qui frappent les tissus anglais ; une mesure qui a pour
résultat de faire grandir l'importation française et de diminuer l'importation
anglaise dans une forte proportion ; une telle mesure est évidemment favorable
et avantageuse à la France, et dès lors celle-ci n'a pas besoin d'une exception
qui, quelque limitée qu'elle puisse être, est un malheur pour la Belgique.
Des
membres. - Il est cinq heures. A
demain.
M. David. - Puisque la chambre le désire, je continuerai mon discours demain.
- La séance est levée à cinq heures.