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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 26 novembre 1846
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet
de loi portant le budget du département des affaires étrangères pour 1847.
a) Discussion
générale. A : Règlement organique du personnel de l’administration
centrale ; B : représentation diplomatique à Rome (prince de Chimay)
et indépendance des députés-fonctionnaires (notamment réélection en cas de
nomination salariée) ; C : convention commerciale avec la France et
droits d’octrois ; D : traitements du personnel administratif et du
personnel diplomatique, E : traité du 5 novembre 1842 avec les Pays-Bas et
canal de Terneuzen ; F : concept de la marque d’origine obligatoire
(politique commerciale du gouvernement) (A (Dechamps),
A, B (Osy), C (Verhaegen), A, B,
C (Dechamps), D, B, C (de
Brouckere), B (Dumortier, Goblet),
C (de Theux, Orts), D, B, C (Dechamps), B, C (Veydt), C (de Theux), B (Verhaegen, Dechamps), E, F (Lejeune), F (de Theux, Lejeune)
b) Discussion
des articles. Traitements du personnel de l’administration centrale (Osy, de Brouckere, Dechamps), pensions et secours (de
Brouckere), tarif des douanes (Mast de Vries),
ordre de Léopold (de Tornaco, Osy,
Rodenbach, Dechamps, Osy, de Corswarem, de Mérode, de Theux, Osy, Dechamps, Osy,
de Theux)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Dumont., vice-président.)
(page 133
M. Huveners procède à l’appel
nominal à 1 heure.
M. de Man d’Attenrode donne lecture
du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Bernard, appelé aux fonctions d’inspecteur
de l’enseignement moyen, prie la chambre d’accepter sa démission des fonctions
de bibliothécaire de l’assemblée. »
- Pris pour notification.
_________________
« Le sieur Verrycken, sous-bibliothécaire de
la chambre des représentants, demande la place de bibliothécaire. »
- Dépôt au
bureau des renseignements.
_________________
« Le
sieur Théodore Juste, secrétaire de la commission centrale d’instruction
primaire, premier commis au ministère de l’intérieur, demande la place de
bibliothécaire de la chambre. «
« Mêmes demandes du sieur Jacques Eritz,
docteur en droit, en philosophie et lettres, et chef de bureau au ministère de
la justice ; du sieur Troisfontaine, docteur en philosophie et lettres, agrégé
à l’université de Liége. »
- Même dépôt.
_________________
« Le
sieur Hubert, greffier de la cour des comptes, demande la place de conseiller,
vacante à cette cour. »
« Même demande
du sieur Jean Engler, inspecteur du trésor, et du sieur Adolphe Fétis, receveur
de l’enregistrement et des domaines, à Namur. »
- Même dépôt.
_________________
M. de Breyne demande un congé de cinq jours.
Accordé.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DES AFFAIRES
ETRANGERES POUR L’EXERCICE 1847
Discussion générale
M. le président. - La discussion générale est ouverte. La parole est à
M. le ministre les affaires
étrangères.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs,
conformément à la décision qui a
été prise hier pour le département des finances, il y aura lieu à modifier la rédaction du chapitre premier
du budget du ministère des affaires étrangères, par un transfert à opérer en vertu de l’arrêté
organique qui a été pris pour le département des affaires étrangères.
Il faudra libeller l’article 2 du chapitre premier
ainsi qu’il suit :
« Traitements des fonctionnaires, employés et
gens de service, sans que le personnel de l’administration centrale puisse être
rétribué sur d’autres fonds alloués par la loi du budget. «
C’est la rédaction qui a été adoptée hier.
Voici les transferts divers à opérer :
Une somme de 2,824 fr. étant aujourd’hui prélevée
sur l’article 6 du chapitre premier (Matériel) pour le salaire :
1° D’un traducteur, fr. 1,000
2° D’un boutefeu :
fr. 750
3° De
deux femmes de peine : fr. 1,94
Total, fr. 2,824
Il y a lieu à diminuer l’article 6 d’une pareille
somme, ce qui réduit le chiffre de 37,000 fr. à 34,176. fr., ou en nombres ronds fr. 34,100.
A porter à l’article
2, fr. 2,900.
Un second
transfert doit être fait. Il est prélevé aujourd’hui sur l’article 3 du
chapitre VI (Commerce)
Pour traitement d’un deuxième commis, fr. 1,400
Pour traitement d’un troisième commis, fr. 1,200.
Pour le salaire d’un concierge et d’un
boutefeu, fr. 436 87
Total : fr. 3,036 87 c.
L’article 3 du chapitre VI, qui est de fr. 23,000
doit être dès lors réduit à fr. 19,963 13 c., ou en nombres ronds, fr. 19,900.
A porter à l’article 2, chapitre premier, fr.
3,100.
Le chiffre définitif de l’article 2, chap. premier,
doit donc être fixé à fr. 81,500.
M. Osy. - Messieurs, la
proposition que vient de faire M. le ministre des affaires étrangères est la conséquence
des arrêtés qui nous ont été remis, à notre entrée en séance. Il me semble qu’il aurait été plus régulier
de soumettre les divers amendements à la section centrale, pour qu’ils pussent
être examinés. Il est impossible, eu égard à la marche que l’on suit, que les
hommes les plus laborieux de la chambre puissent faire un examen attentif des
dispositions qui sont prises par arrêté royal.
Messieurs, d’après le désir de la section centrale, j’ai, comme
rapporteur de cette section, fait déposer sur le bureau l’état des dépenses
faites par les divers chapitres du budget des affaires étrangères pour 1845, et
celui des dépenses faites jusqu’aujourd’hui sur les chapitres 4, 5 et 7 du budget de 1846.
Messieurs, lors de la session dernière, après les
pertes douloureuses que nous avons faites à Rome, j’avais demandé au gouvernement de se hâter de nommer un
ministre auprès du saint-père ; et pour l’économie de nos budgets, j’avais
exprimé le vœu qu’on nommât un titulaire définitif et non un intérimaire. Le
gouvernement a fait précisément le contraire de ce que nous avions demandé ; il
a nommé un intérimaire, et au lieu de renvoyer le plus tôt possible à son poste, nous avons vu par les
journaux qu’il n’y était arrivé, qu’il y a peu de jours. Cependant, je vois
d’après les états qu’on a déposés que le traitement, qu’on a appelé indemnité, court depuis le 16
août. Dans cette nomination, on a encore une fois éludé l’article 36 de la
Constitution. Cet article porte : « Les membres de l’une ou de l’autre des
deux chambres nommés à un emploi salarié, sont soumis à la réélection ».
Je demande si, quand on donne une indemnité de 450 fr. par jour, ce qui fait
46,800 fr. par an, à un envoyé extraordinaire et intérimaire, ce n’est pas
éluder l’article 36 le la Constitution, que de ne pas le soumettre à la
réélection. Je suis persuadé que ce n’est que pour éluder la loi du congrès
qu’on nomme provisoirement un envoyé extraordinaire, pour ne pas consulter ses
commettants sur la question de
savoir si cette nomination leur est agréable, car c’est à cette fin qu’on a
adopté l’article 36 de la Constitution. On a voulu que les électeurs fussent
consultés sur la question de savoir si l’absence du député de leur
arrondissement pouvait leur convenir, s’ils ne trouvaient pas que leurs intérêts fussent
compromis par cette absence.
Je crois que nous pouvons encore dire que c’est une
inconstitutionnalité que M. le ministre des affaires
étrangères a commise.
Je crois que cette dépense va augmenter le budget.
Nous votons pour notre ambassade à Rome
une somme de 40 mille fr., dont 32 pour le ministre et 8 pour le chargé
d’affaires. Tous les ministres qui ont occupé ce poste ont pris un congé de six mois. D’après les règlements,
pendant leur absence les agents diplomatiques perdent un tiers de leur
traitement ; au lieu de 16 mille
fr. ils ne touchent que 11 mille fr., de manière que le traitement du ministre
n’est en définitive que de 27 mille francs.
D’après l’indemnité allouée à l’envoyé
extraordinaire intérimaire, ce traitement se trouvera élevé à 46,800 fr.
M. le ministre me dira : Mais il faut donner
une indemnité d’aller et de retour. Je lui répondrai, que si nous donnions
cette indemnité à un ministre définitif, on ne lui donnerait que 9,000 fr., ce
qui est le maximum des indemnités qu’on peut accorder en pareil cas, d’après
l’arrêté consigné au Moniteur. On
lui devrait la même indemnité au retour qui n’aurait lieu qu’après plusieurs
années.
Vous le voyez, la nomination d’un intérimaire est
onéreuse au trésor. Dans quelque
temps il faudra de nouveau payer les mêmes frais de voyage d’aller et de retour
; de plus ces intérims ne sont pas favorables à nos relations avec l’étranger.
Pour ce qui est de la constitutionnalité, j’attendrai
ce que diront mes honorables collègues et la réponse que fera M. le ministre
des affaires étrangères. Je demanderai à cette occasion, à M. le ministre,
comment il est possible qu’il y ait une aussi grande différence pour les frais
de voyage telle qu’indiquée dans le tableau annexé à l’arrêté royal ; car je
vois que l’on peut accorder à nos envoyés les frais de déplacement ci- après.
« Résidence des envoyés (minimum, maximum)
« Rome :
min. : 4,000 fr. ;
max. : 9,000 fr.
« Constantinople : min. : 5,000
fr. ; max. : 10,000 fr.
« Valparaiso : min. 7,000 fr. ;
max. : 12,000 fr.
« Singapore : min : 6,000 fr. ;
max. : 14,000 fr. »
« Copenhague : min : 2,000
fr. ; max. : 4,000 fr.
« Vienne : min : 3,000 fr. ; max. :
5,000 fr. »
Je comprends qu’un
diplomate marié obtienne une indemnité un
peu plus considérable qu’un diplomate célibataire. J’aurais compris une
légère différence ainsi motivée. Mais avec des différences aussi considérables,
sans aucun motif, il y a évidemment abus.
J’ajourne à l’article 6 du chapitre III les
observations que j’ai à présenter
relativement au commerce.
Je crois qu’il convient de vider dans la discussion
générale la question de constitutionnalité que j’ai soulevée.
M. Verhaegen. - Je partage à
tous égards l’opinion de mon honorable collègue M. Osy, quant aux observations
qu’il vient de vous soumettre. Mais j’attendrai, pour prendre part à
l’incident, que M. le ministre des affaires étrangères nous ait donné des explications
sur ce point important.
Messieurs, j’ai demandé la parole, dans la
discussion générale, pour demander au gouvernement des explications sur un
autre point non moins important.
Nous nous occupons aujourd’hui, au sujet du budget
des affaires étrangères, des traitements des ambassadeurs, ministres
plénipotentiaires, chargés d’affaires, etc., et à cette occasion je voudrais savoir, j’en ai le droit, comment
nos ministres à l’étranger
soignent nos affaires d’intérêt matériel, et surtout quelle part ils prennent à la conclusion des traités de
commerce ; car, il ne faut pas se le dissimuler, nous avons malheureusement
plus d’un exemple de négligence et d’impéritie, dont nous subissons aujourd’hui
les conséquences.
Messieurs, ce qui s’est passé dans une des
dernières séances du conseil communal de la ville de Bruxelles, est digne de
fixer votre attention ; il s’agit encore du traité avec la France, du 16
juillet 1842. Il semble qu’après avoir fait fautes sur fautes le gouvernement
ne trouve plus d’autre moyen de se tirer d’affaire que de défendre
chaleureusement les intérêts de nos voisins, et de fouler aux pieds les
intérêts nationaux, et spécialement, dans l’occurrence, les intérêts de la
ville de Bruxelles.
La ville de Bruxelles, messieurs, avait jugé à propos d’augmenter les droits
d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères. C’était une mesure sage qui lui
permettait d’alléger d’autres fardeaux trop pesants pour la classe
nécessiteuse. Eh bien, le gouvernement vient de lui faire connaître qu’il ne peut pas sanctionner cette
augmentation parce que ce serait contrevenir aux dispositions de la convention
du 16 juillet 1842, et notamment à l’article
7.
L’article 7 de cette convention interdit aux
communes de la Belgique toute augmentation de droits d’octroi ou autres qui
altérerait pour la France le bénéfice
des stipulations contenues dans les articles précédents. Or dans aucun des six
premiers articles de la convention qui précèdent l’article 7, il n’est question
d’eaux-de-vie ; il y est question d’objets de toute autre nature.
Messieurs, le conseil communal de Bruxelles avait
depuis longtemps exprimé l’intention d’augmenter le droit d’octroi sur les
eaux-de-vie étrangères. Il y avait même eu à cet égard une correspondance entre l’administration et le
gouvernement, au mois de juillet dernier. M. le ministre de l’intérieur, qui
avait consulté sur ce point son collègue des affaires étrangères, avait déclaré
à la régence de Bruxelles en termes
explicites, qu’il n’y avait
aucun inconvénient à augmenter les droits d’octroi attendu
que la disposition de l’article 7 ne s’applique pas aux eaux-de-vie.
Mais le gouvernement changea tout d’un coup d’avis.
Par dépêche du 14 novembre, M.
le ministre de l’intérieur, qui avait fait connaître au mois de juillet son opinion conforme à celle de la régence, déclara à celle-ci que l’augmentation de
droits d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères porterait atteinte à la stipulation de l’article 7 du traité,
et que par conséquent le gouvernement n’autoriserait pas l’augmentation.
Je ne comprends réellement pas, messieurs, cette
conduite du gouvernement. Quoi ! Dans un
moment où la question n’a pas même encore été soulevée, au moins que je sache, par la France, le
gouvernement, après avoir donné un avis favorable aux prétentions de la ville
de Bruxelles, change tout à coup d’opinion, défend chaleureusement les intérêts
de la France et sacrifie les intérêts belges !
Je ne comprends pas d’ailleurs comment M. le
ministre de l’intérieur ait pu changer ainsi d’avis ; et, il faut bien le
reconnaître, messieurs, les ministres ne sont pas heureux dans ces mouvements
de volte-face, et le ministre des finances nous en a encore fourni la preuve
hier dans la discussion soulevée par l’honorable M. Osy.
C’est, je le répète, l’article 7 du traité qui
défend aux communes belges toute augmentation de droits qui altérerait pour la
France le bénéfice des stipulations contenues dans les articles précédents.
Or, dans les articles
précédents, il n’est pas question d’eau-de-vie, et si vous appliquez l’article
7 avec l’extension qu’il ne comporte pas, prenez-y garde, alors tous les
produits, sans exception, arrivant de France obtiendront la même faveur ; aucun
ne pourra être frappé de droits d’octrois par les villes ou communes de la
Belgique.
Cette question, messieurs, a une portée immense, et
je ne conçois pas que le gouvernement se permette ainsi, sans aucun motif, de
la trancher contre l’intérêt du pays.
Savez-vous, messieurs, ce qu’on allègue pour
justifier une pareille décision ? On nous dit : « Oui le texte paraît
formel, mais il faut voir l’esprit dans lequel le traité a été conclu et dans l’esprit des parties contractantes,
il est évident que les eaux-de-vie étrangères ne fussent pas frappées de droits
d’octrois qui pussent diminuer pour la France le bénéfice de stipulations du
traité. »
Eh bien, messieurs, pour être logique, il faudrait
appliquer ce raisonnement non seulement aux eaux-de-vie étrangères, mais. à tous les produits français
quelconques ; et voyez quelles en seraient les conséquences.
Messieurs, ce n’est pas toujours ainsi qu’ont
raisonné nos diplomates et le ministère : dans d’autres circonstances ils ont
rejeté l’esprit pour ne se tenir qu’à la lettre, mais c’était lorsque l’intérêt
de l’étranger l’exigeait ainsi. Vous vous rappelez, messieurs, cette anomalie,
Cette chose tellement absurde, tellement ridicule, que lorsque j’en ai parlé la
première fois, mon observation a excité l’hilarité sur tous les bancs de la
chambre. Eh bien, messieurs, là l’esprit était évident, mais on a rejeté
l’esprit et l’on a invoqué le texte, parce que, je le répète, l’intérêt de
l’étranger l’exigeait ainsi. Il s’agissait encore là de la France ; il
s’agissait des droits d’entrée sur les vins en bouteilles. Je vous disais alors
que, d’après le traité, 400 bouteilles de vin, de vin de première qualité, de
Champagne mousseux ou de Lafitte, par exemple, allaient payer deux francs, et
que cent bouteilles payeraient huit ou neuf francs.
Quand je suis venu, messieurs, vous faire cette
observation, on s’est écrié : « Mais c’est absurde, c’est ridicule, c’est impossible ! » Et le
ministre d’alors m’a répondu par une dénégation formelle. Je répliquai
que les faits viendraient bientôt confirmer mes paroles. On me répondit par une
nouvelle dénégation, et cependant quelques jours après je suis arrivé avec une
preuve authentique ; j’ai prouvé que pour 400 bouteilles de vin de Champagne on
n’avait payé à la douane que deux
francs, tandis que pour 100 bouteilles vides on avait payé huit francs et
des centimes. Cette fois convaincu de son erreur, le ministère s’est
écrié : « C’est malheureux ; oui vous avez raison, mais le texte du traité
est là ». Je répondis : « Mais
cela n’a pas le sens commun ; il ne peut pas être entré dans la pensée des
négociateurs d’établir une pareille anomalie ; le texte ne peut pas tuer
l’esprit. » J’eus beau dire
et insister, messieurs, le ministère soutint qu’il fallait s’en tenir à la lettre du traité, et qu’on
devait se résigner.
Vous croyez, sans doute, messieurs, qu’on a fait
attention à mes observations
lorsqu’on a renouvelé la convention avec la France ? C’était, certes, le moment
de faire disparaître cette anomalie, de corriger le texte, alors que l’esprit
n’était pas douteux. Eh bien, messieurs, on n’en a rien fait ; on est resté
dans la même ornière, et la
stipulation dont il s’agit a été reproduite dans le nouveau traité. Je ne
comprends pas comment un ministère qui se respecte a pu maintenir une pareille
absurdité Car, aujourd’hui encore, malgré tous nos avertissements, d’après le
traité avec la France, 100 bouteilles de bon vin payent 2 fr., et 100
bouteilles vides payent 8 ou 9 fr.
Ainsi, messieurs, tantôt c’est le texte
qu’on invoque lorsque l’intérêt de l’étranger l’exige ; tantôt c’est à l’esprit
que l’on s’attache, bien entendu encore lorsque l’intérêt de l’étranger est en jeu.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, pour contrarier le
projet si sage de la ville de Bruxelles, qui veut augmenter le droit d’octroi
sur les eaux-de-vie étrangères, on nous oppose l’esprit du traité et on rejette
le texte, alors que pour les droits d’entrée sur les vins en bouteilles on invoquait
le texte et on rejetait l’esprit.
En terminant,
j’énonce le vœu que MM. les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères
nous donnent des explications catégoriques sur leur changement d’avis, car au
mois de juillet, ils étaient d’une opinion conforme à l’avis de la régence de Bruxelles, et diamétralement contraire
à leur opinion d’aujourd’hui.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs,
l’honorable M. Osy s’est mépris sur la proposition que j’ai faite au commencement
de la séance, d’opérer certains transferts qui étaient devenus nécessaires par
suite de l’arrêté organique pris pour l’administration centrale du département
des affaires étrangères ; il a cru que proposition dérivait d’un autre arrêté
qui a paru au Moniteur et qui est relatif aux traitements, aux
retenues, aux dépenses remboursables et aux frais de voyage et de séjour de nos agents diplomatiques et consulaires à l’étranger ; c’est là
une erreur : la proposition
que j’ai soumise à (page 135) la chambre
est conforme à la décision que l’assemblée a prise hier, lors de la discussion
du budget du département des finances : c’est une simple régularisation.
Messieurs, l’honorable M. Osy, tout en approuvant,
au point de vue personnel, la nomination de M. le prince de Chimay comme envoyé
extraordinaire à Rome, a blâmé cette nomination, comme inconstitutionnelle,
sous le rapport du caractère temporaire dont cette mission a été revêtue et qui
a dispensé le prince de Chimay d’être soumis à une réélection.
Quelques observations suffiront pour démontrer que
la nomination dont il s’agit est parfaitement régulière, et qu’elle ne soulève
aucune question de constitutionnalité.
Messieurs, une mission extraordinaire doit avoir un
but spécial et temporaire ; c’est l’avènement ou le mariage d’un souverain à
l’étranger ; c’est la nécessité de se faire reconnaître dans un pays où on ne
l’est pas, d’ouvrir une légation nouvelle.
Depuis 15 ans, de nombreux précédents de même
nature ont été posés par le gouvernement, sans contestation de la part des
chambres. J’en citerai quelques-unes. C’est ainsi que le comte Duval de
Beaulieu a été envoyé en mission extraordinaire en 1831 à Berlin. Le général
Goblet en 1836 (et il était membre de la chambre) a été envoyé en mission
extraordinaire et temporaire en Portugal. Le comte Henri de Mérode, membre du
sénat, a rempli deux missions extraordinaires pour l’avènement de Ferdinand V,
et pour son couronnement à Milan. En 1839, l’honorable M. Lebeau a été
accrédité à Francfort comme envoyé extraordinaire en mission spéciale. En 1840,
le baron de Stassart, membre du sénat, a reçu une mission temporaire pour
Turin.
Messieurs, je pourrais multiplier ces citations, je
pense que la chambre reconnaîtra que celles-ci suffisent pour démontrer que des
précédents nombreux existent et que la jurisprudence de la chambre est fixée au
point de vue de la question constitutionnelle qui a été soulevée.
La mission temporaire pour Rome est justifiée,
d’ailleurs, par des circonstances exceptionnelles et toutes particulières. Il y
a eu à Rome une coïncidence de plusieurs faits qui expliquent la conduite
adoptée par le gouvernement.
Ainsi la mort du pape Grégoire XVI, qui a été
précédée de la perte si regrettable que
nous avons faite de notre ministre à Rome, a été suivie de la perte non moins
regrettable du secrétaire de la légation. Un quatrième fait a été l’avènement
du nouveau pape, de Pie X. Or, vous savez que l’avènement du nouveau pape a été
entouré de circonstances politiques qui ont attiré l’attention de toutes les
puissances. C’est ainsi que la Sardaigne a envoyé son ministre des affaires
étrangères, pour complimenter le nouveau pape, c’est ainsi que le Portugal a
envoyé un ministre avec le titre d’ambassadeur, pour remplir la même mission de
courtoisie auprès du souverain pontife.
Messieurs, la légation de Rome ne pouvait donc pas
rester plus longtemps sans titulaire, et d’un autre côté l’avènement d’un
nouveau pape indiquait une mission extraordinaire et temporaire, de la même
nature que celles qui ont été confiées depuis 1831 à des membres de la chambre et du sénat.
J’ajoute que les raisons qui justifiaient une
mission temporaire sont plus fortes, pour le cas actuel, que pour toutes les
autres circonstances que j’ai rappelées.
Mais on me dira : S’il y avait des raisons
pour ne pas laisser longtemps vacante la mission de Rome, comment se fait-il
que le gouvernement ait autorisé M. le prince de Chimay à séjourner en France
et à retarder son arrivée à Rome ? Cela est vrai, et il eût été désirable, en
effet, que le séjour du prince en France eût pu être moins long ; mais ici
vient se placer un fait que je soumets à l’appréciation de la chambre et qui
démontrera que le départ immédiat de M. le prince de Chimay a été rendu
impossible.
Messieurs, le gouvernement aurait donc pu charger
M. le prince de Chimay, en vertu de tous les précédents, d’une mission
extraordinaire de courtoisie, pour complimenter le nouveau pape ; mais le
gouvernement a voulu joindre à cette utilité politique de la mission une
utilité commerciale : il a donc chargé M. le prince de Chimay d’une négociation
commerciale près du royaume de Naples. La chambre sait que Naples, qui est un
des centres les plus importants du commerce dans le Levant, était lié par des
traités anciens avec l’Angleterre et la France, de manière à ne pouvoir en
conclure avec d’autres puissances.
Depuis l’année dernière, Naples s’est dégagée de
ces liens exclusifs avec la Grande-Bretagne et avec la France ; elle a conclu
déjà plusieurs traités et je sais qu’elle en négocie d’autres. Un traité avec
Naples est d’une haute utilité pour la Belgique. Cette négociation, c’était le
moment de la nouer.
Le prince de Chimay a reçu des instructions dans ce
sens ; mais il y avait, préalablement à l’ouverture de cette négociation, une
position à régulariser entre la Belgique et Naples.
A deux reprises
le gouvernement belge avait accrédité près du roi de Naples un ministre
plénipotentiaire ; mais par des circonstances que je n’ai pas besoin de faire
connaître à la chambre, le gouvernement de Naples n’avait pas usé de
réciprocité vis-à-vis du gouvernement belge.
Le gouvernement a cru qu’il était convenable que la
mission du prince de Chimay, accrédité près du gouvernement de Naples,
coïncidât avec l’envoi d’un ministre de Naples à Bruxelles. Le gouvernement a
cru, d’après les indications qu’il possédait, que cette négociation
préliminaire devait avoir lieu à Paris.
Le prince de Chimay est donc entré en pourparlers,
à Paris, avec le duc de Serra Capriola, qui a dû s’enquérir des intentions de
son gouvernement. Ces pourparlers n’ont pu avoir lieu en quelques jours, la
chambre le comprendra sans peine.
Je répète donc que le gouvernement aurait pu
confier une mission de courtoisie au prince de Chimay, comme on l’a fait pour
Francfort, pour Turin et pour Lisbonne ; mais qu’il a voulu y joindre, dans
l’intérêt du pays, une mission d’utilité commerciale. C’est à cause de cette
mission d’utilité commerciale que l’arrivée du prince de Chimay à Rome n été
retardée. Ces retards ne peuvent être imputés ni à notre gouvernement, ni à
notre ministre à Rome. Du reste, j’ajoute que le séjour du prince de Chimay à
Paris rendra la mission en Italie plus temporaire qu’elle ne l’aurait été.
Messieurs, l’utilité, la convenance de la mission
temporaire une fois constatées, et je pense l’avoir fait, l’objection
constitutionnelle vient évidemment à tomber. J’ai suivi les précédents suivis
depuis quinze ans. Quand le général Goblet a été envoyé à Lisbonne, l’honorable
M. Lebeau à Francfort et le baron de Stassart à Turin, la même objection aurait
pu être soulevée ; elle ne l’a jamais été ; les chambres n’ont pas attaqué ces
nominations au point de vue de la question constitutionnelle. Si on voulait
considérer une indemnité accordée pour une mission temporaire, comme un
traitement affecté à un emploi salarié, il faudrait aller plus loin ; il
faudrait aussi considérer comme emplois salariés toutes les missions
extraordinaires qui ont été confiées à des membres de cette chambre.
Je pourrais citer des exemples nombreux. Les missions
commerciales confiées, à diverses époques, à MM. Smits, de Muelenaere, Liedts,
Mercier, les missions acceptées par MM. Fallon, Donny, Rogier, de Brouckere dans
les commissions d’Utrecht et d’Anvers, nommées pour l’exécution des traités de
1839 et de 1842. Ces honorables membres ont été chargés de fonctions
temporaires avec indemnités, sans traitement fixe ; jamais la chambre n’a
considéré ces fonctions comme devant entraîner la réélection.
L’honorable baron Osy a trouvé que l’indemnité et
les frais de voyage alloués au prince de Chimay pourraient constituer une
charge assez considérable pour le trésor public. Le chiffre de cette indemnité
a été fixé un taux excessivement modéré.
Il est hors de doute qu’elle ne pourra pas suffire
au prince de Chimay, pour couvrir toutes les dépenses auxquelles il sera
astreint. Le général Goblet, pendant sa mission à Lisbonne, a reçu une
indemnité de 160 fr. par jour ; l’honorable M. Lebeau, pendant sa mission à
Francfort, a reçu une indemnité de 130 francs par jour ; et M. le baron de
Stassart une pareille indemnité à Turin.
Vous le voyez, j’ai choisi le chiffre minimum ; il y aurait peut-être eu
des raisons qui auraient permis d’élever le chiffre ; le prince de Chimay a
accepté le minimum des indemnités de ce genre accordées précédemment.
Ainsi, je crois que le chiffre de l’indemnité est à
l’abri de toute objection fondée.
J’aborde maintenant une autre question qui a été
soulevée par l’honorable M. Verhaegen, je veux parler des observations qui ont
été transmises au conseil communal de Bruxelles, par mon honorable collègue, le
ministre de l’intérieur, relativement à un nouveau tarif d’octroi,
particulièrement en ce qui concerne le droit sur les eaux-de-vie venant de
France.
Messieurs, ce tarif nouveau, qui avait été soumis à
l’acceptation du ministre de l’intérieur au mois de novembre, n’a pas été
approuvé par lui, non seulement à cause de la question de l’octroi sur les
eaux-de-vie, mais pour d’autres modifications que renfermait le tarif nouveau.
Le gouvernement belge s’est borné à faire connaître
au gouvernement français la décision qu’il avait prise de ne pas approuver le
nouveau tarif.
Le gouvernement français avait fait des
réclamations, cela est vrai, non pas en s’appuyant sur le droit que le traité
du 13 décembre pourrait lui conférer, car il est évident que le traité ne lui
donne aucunement ce droit, mais sur la raison de convenance de ne pas altérer,
sans nécessité, les rapports existants entre la Belgique et la France.
Quand un traité lie deux nations, il ne suffit pas
de ne pas l’enfreindre ouvertement, il ne faut pas se permettre toutes les
mesures que le traité n’interdit pas, mais il est prudent encore de tenir
compte, en dehors du traité, du statu
quo existant au moment où le traité a été conclu.
Le gouvernement belge avait le droit d’approuver le
nouveau tarif d’octroi de la ville de Bruxelles, cela n’est pas contesté. Mais
a-t-il dû, doit-il faire usage de ce droit ? Là est la question. S’il ne fait
pas usage de ce droit, ce n’est pas pour satisfaire les exigences d’un intérêt
étranger, mais pour satisfaire à ce qu’exige l’intérêt belge.
Depuis que la convention du 13 décembre a été conclue,
le gouvernement belge a dû reconnaître de bons procédés de la part de la France
dans l’exécution du traité. Ainsi dans la question des toiles grisâtres dont la
chambre s’était préoccupée, la France a fait droit aux réclamations de la
Belgique, quoique cependant elle eût pu s’armer du texte du traité pour ne pas
le faire. La France a accueilli favorablement la réclamation du gouvernement
belge, par des raisons de convenance et de bon voisinage, et non en obéissant
aux prescriptions du traité.
Ainsi, le gouvernement français avait pris
l’initiative des bons procédés ; le gouvernement belge ne doit-il pas le suivre
dans cette voie ?
Il existe un autre fait sur lequel j’appellerai
l’attention de l’honorable M. Verhaegen et de tous les membres de cette
chambre.
(page 136)
Personne n’ignore (ce fait a déjà été révélé à la tribune) que le gouvernement
français s’occupe de la révision de son tarif. Je n’ai pas besoin d’indiquer
combien d’intérêts majeurs en Belgique se trouvent attaché à cette révision. En
première ligne, je mentionnerai la question du maintien des zones pour la
houille et pour la fonte. La garantie du
maintien des zones n’est pas écrite dans la convention de 1845 ; mais que
diriez-vous, que dirait l’honorable M. Verhaegen, si la France abolissait les
zones pour la houille et pour la fonte, au détriment de la Belgique, en faisant
valoir ce motif que rien dans le traité ne l’oblige à les maintenir Nous répondrions que si la France ne viole pas
le traité, elle altère essentiellement les relations existantes entre la
Belgique et la France.
Au moment où la
France va réviser son tarif et où elle se préoccupe de la question du maintien
des zones, comment le gouvernement irait-il risquer de compromettre des
intérêts de premier ordre, en se refusant à donner satisfaction à une réclamation de minime importance
?
Que la chambre ne
l’oublie pas, la question du droit d’octroi sur les eaux-de-vie de France
n’est, pour la ville de Bruxelles, qu’une question de 12,000 fr., si je ne me
trompe, sur un budget de 2 à 3 millions.
Le gouvernement aurait fait une grande imprudence s’il
avait sacrifié à un intérêt aussi minime des intérêts aussi majeurs.
M. de Brouckere. - Le petit nombre
d’opérations que j’ai à présenter concernent principalement le budget des
affaires étrangères en lui-même ; et si de ces observations résultait la preuve
que M. le ministre des affaires étrangères manque un peu de franchise à notre
égard, j’avoue que j’en aurais regret, parce que si la franchise est convenable
partout, elle est obligatoire dans les relations des ministres avec les
représentants de la nation.
Vous avez entendu tout à l’heure, de la bouche de
M. le ministre des affaires étrangères, l’aveu que de l’allocation que la
législature lui accordait pour le matériel de son administration, M. le
ministre des affaires étrangères a de sa pleine autorité, sans nous en avoir
jamais donné connaissance, distrait une somme de 3, 000 fr. qu’il emploie à
salarier le personnel de son administration. Assurément un semblable transfert
n’était pas licite ; car un ministre ne peut pas transférer d’un article à un
autre la plus petite partie de l’allocation votée, sans l’assentiment de la chambre ; et pour que ce transfert ait lieu, il
a fallu que le ministre induisît en erreur la cour des comptes elle-même.
Du reste, messieurs, cette irrégularité n’est pas
d’une très grande importance, je veux bien le reconnaître moi-même.
Mais ce qui est plus important, c’est que tandis
que vous votiez une somme de 23,000 fr., avec la stipulation bien formelle que
ces 23,000 fr. devaient servir à encourager le commerce, M. le ministre des
affaires étrangères a encore une fois de son plein gré et de sa propre
autorité, distrait une somme de plus de 3,000 fr. qu’il a employée à payer des
boutefeux et des concierges. Je vous demande si ce n’est pas manquer à la
chambre, que de méconnaître ainsi sa volonté au sujet de cette allocation ?
Si vous vous reportez aux chapitres suivants, vous
trouvez le même manque de franchise.
Ainsi l’on porte, pour la Turquie, un ministre
résident ; eh bien, je me trompe fort, ou nous avons à Constantinople un ministre
plénipotentiaire et envoyé extraordinaire. Indiquer au budget un simple ministre
résident est donc ne pas dire la vérité.
A l’article Etats-Unis,
on nous demande un traitement de ministre résident, et je me trompe fort
si depuis plusieurs années nous n’avons pas dans l’Amérique du Nord autre chose
qu’un simple chargé d’affaires.
Dans ce chapitre II, vous ne voyez pas figurer un
chargé d’affaires en Suisse ; or nous avons un chargé d’affaires en Suisse.
Comment est-il payé ? On prélève une partie de l’allocation du chapitre III
destiné au traitement des agents consulaires.
Depuis 1840 nous avions un agent consulaire en
Suisse, et cet agent consulaire avait été autorisé à prendre le titre de chargé
d’affaires. Mais ce n’était qu’un titre honorifique ; sa mission était toute
commerciale ; c’était un consul général ayant le titre de chargé d’affaires.
Aujourd’hui les choses sont changées ; nous avons
un agent diplomatique en Suisse ; c’est un ancien chargé d’affaires qui vient
d’être envoyé avec la même qualité en suisse.
D’ailleurs, messieurs, si c’était un agent
commercial que nous eussions en Suisse, serait-ce bien à Berne qu’il devrait
résider, et ne conviendrait- il pas plutôt de fixer sa résidence dans une des
villes commerciales de la Suisse, à Genève, à Bâle, à Zurich, par exemple ? Si je suis bien informé, des démarches ont
été faites dans le temps par le commerce de la Belgique pour qu’il en fût ainsi,
mais on n’a fait aucun cas de ces démarches et on a préféré avoir un agent diplomatique dans la ville où siège
le gouvernement.
Laissant les chiffres du budget de côté, je dirai
quelques mots relativement au sujet qu’a traité l’honorable M. Verhaegen ; et
ici, messieurs, je regrette de devoir le dire, c’est encore une fois le même
défaut de franchise.
La ville de Bruxelles avait majoré ses droits
d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères.
Le gouvernement a refusé d’autoriser cette augmentation, et pourquoi ? Parce qu’elle pourrait
porter une atteinte réelle à l’esprit
de la convention avec la France.
On démontre aujourd’hui au gouvernement que cette augmentation ne porte aucune
atteinte au traité avec la France, et voilà
que le gouvernement convient que pas un seul article dans le traité du 16 juillet 1842 ne s’oppose à ce que cette majoration puisse avoir
lieu ; mais c’est par des raisons de convenance que le gouvernement a refusé
l’autorisation qu’on lui demandait.
Je pourrais d’abord trouver singulier que le gouvernement
belge s’établisse le protecteur des intérêts français, et s’en établisse le
protecteur, pour se prononcer contre une demande faite par la capitale du
royaume.
Mais enfin, s’il
devait en être ainsi, pourquoi le gouvernement ne s’explique-t-il pas catégoriquement
vis-à-vis de la ville de Bruxelles ? Pourquoi commence-t-il par s’appuyer sur
les dispositions d’un traité, pour reconnaître ensuite que les dispositions de
ce traité ne pouvaient pas lui servir de point d’appui dans son refus ?
Messieurs, je dois dire que ces procédés ne sont
pas de nature à inspirer grande confiance dans les assertions de MM. les
ministres, et je serais bien aise de voir que M. le ministre des affaires
étrangères pût détruire une partie du raisonnement que je viens de présenter à
la chambre.
M. Dumortier. - Messieurs,
je n’avais demandé la parole que pour répondre quelques mots à une objection
qui a été faite tout à l’heure par un honorable collègue, relativement à la
position actuelle dc l’honorable député de Thuin, M. le prince de Chimay.
On a soulevé, à ce sujet, une question très
importante, celle de savoir si cet honorable membre devait être soumis à la
réélection, et l’on a invoqué à son égard la Constitution.
Déjà, M. le
ministre des affaires étrangères a répondu en partie aux objections qui ont été
faites ; mais il ne me paraît pas avoir connu les précédents primitifs de la chambre,
précédents qui tranchent la question d’une manière bien claire et bien nette.
La question de savoir si un membre de cette chambre
envoyé à l’étranger en mission extraordinaire et temporaire, est soumise à
réélection, n’est pas neuve ; elle a été traitée dans cette chambre à diverses
reprises, et elle a été résolue par la chambre elle-même dans le même sens que
le gouvernement la résout aujourd’hui.
Dans les premiers mois de 1832, peu de temps après
l’acceptation des 24 articles, le traité primitif fut soumis aux ratifications
des puissances.
La France et l’Angleterre ratifièrent le traité
pour le terme convenu, mais les ratifications des trois autres puissances, de
la Prusse, de l’Autriche et de la Russie, se firent longtemps attendre. Enfin,
dans les premiers jours de mai, nous reçûmes communication des ratifications de
ces trois puissances, ratifications qui étaient faites avec des réserves en
faveur de la Hollande.
Cette communication donna lieu dans cette enceinte
à de très vives discussions ; une adresse fat faite au Roi contre les réserves des
puissances. Il fallut donc désavouer notre ministre plénipotentiaire à Londres
qui avait accepté ces ratifications ; il fut momentanément rappelé, et l’honorable
général Goblet, alors membre de cette chambre, et seulement membre de cette
chambre, fut envoyé à Londres pour désavouer M. Van de Weyer.
M. Lebeau. - Non ! non !
M. Dumortier. - Vous n’avez
qu’à lire la note qui a été signée par les ministres ; elle est bien claire.
Cela se trouve du reste dans les protocoles.
L’honorable général Goblet, dis-je, fut envoyé à
Londres pour désavouer M. Van de Weyer et dire que la Belgique ne consentirait
pas à de nouveaux sacrifices.
Alors pour la première fois la question de savoir si
un membre de cette chambre, nommé temporairement à une mission diplomatique extraordinaire,
devait être soumis à réélection, fut examinée dans cette enceinte. Et qu’est-ce
que la chambre a décidé ? Elle a décidé que l’honorable général Goblet ne
devait pas être soumis à réélection, et en réalité il n’y fut pas soumis, parce
que sa mission n’était que temporaire, qu’il ne s’agissait pas de fonctions
définitives et que la chambre ne croyait l’article de la Constitution, que l’on
vient d’indiquer, applicable qu’au cas d’acceptation de fonctions définitives.
Je cite ce précédent, messieurs, parce qu’alors on
n’était qu’à six mois du Congrès et que par conséquent toutes les traditions de
cette assemblée étaient encore présentes à l’esprit des membres qui siégeaient
dans cette enceinte.
Messieurs, ce fait n’est pas le seul.
En 1832, le ministère dont l’honorable M. de Muelenaere était le ministre
des affaires étrangères, et M. le Theux le ministre de l’intérieur, se retira
et fut remplacé par un ministère
composé de M. Lebeau, ministre de la justice, de M. Rogier, ministre de
l’intérieur, de M. le général Goblet, ministre des affaires étrangères, de M.
Duvivier, notre défunt collègue, que nous regrettons tous, ministre des
finances. Il n’y avait que deux de ces honorables membres, M. Lebeau et M.
Rogier, qui eussent des fonctions définitives ; les deux autres n’étaient
chargés de portefeuilles qu’ad
interim. La question de réélection fut de nouveau soumise à la chambre,
et comme il ne s’agissait que de fonctions temporaires, M. le général Goblet et
M. Duvivier ne furent pas soumis à réélection.
M. Goblet. - J’avais le
titre de ministre d’Etat et j’avais été nommé ministre des affaires étrangères par
interim. La question de réélection a été
soulevée à la chambre et la chambre a décidé que comme tel, bien que je ne
reçusse pas de traitement, je devais être soumis à réélection.
M. Dumortier. - C’est plus
tard que ce fait a eu lieu ; ce n’est que plus tard que MM. Duvivier et Goblet
se sont soumis à réélection ; je vois encore bien notre honorable collègue,
M. Duvivier, se lever de son banc pour déclarer qu’il se soumet à la
réélection.
Ensuite, messieurs, l’honorable comte de Mérode a
remplacé M. le général (page 137)
Goblet, comme ministre d’Etat, et comme ministre ad interim sans
traitement ; eh bien, M. de Mérode n’a pas été soumis à réélection.
Voilà, messieurs, comment les choses se sont passées,
et ces précédents prouvent à l’évidence que le prince de Chimay ne doit point
être soumis à réélection du chef de la mission purement temporaire qu’il remplit,
mission à laquelle aucun traitement fixe n’est attaché.
Je pourrais, messieurs, citer beaucoup
d’autres faits semblables à ceux que j’ai rappelés. Ainsi M. de Stassart a été
envoyé à Turin, M. Lebeau a été envoyé à Francfort et dans plusieurs Etats de l’Allemagne,
M. Henri de Mérode a été envoyé en Autriche, nos honorables collègues MM.
Fallon et Donny ont été envoyés en Hollande, l’honorable M. Mercier a été
envoyé également en Hollande, et aucun de ces honorables sénateurs et
représentants n’a été soumis à réélection.
Je ne vois pas pourquoi l’on irait aujourd’hui
suivre une autre jurisprudence ; il
me semble que tous ces antécédents ont une valeur réelle et qu’il ne peut pas être question le moins du monde de
soumettre le prince de Chimay une réélection, alors que la chambre, dans des
cas absolument identiques, s’est toujours prononcée contre ce système, depuis
les premiers temps de sa constitution, depuis le lendemain de la cessation des
travaux du congrès.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Vous aurez
remarqué, messieurs, en ce qui concerne l’incident des eaux-de-vie étrangères,
que le gouvernement n’a craint en aucune manière la publicité et qu’il a agi
vis-à-vis de la régence de Bruxelles avec la plus entière bonne foi. Si le
gouvernement avait craint la publicité, s’il n’avait pas agi avec bonne foi, il
se serait borné à refuser sa sanction aux propositions de la régence en ce qui
concernait le droit d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères ; mais le
gouvernement ne trouvant pas dans la proposition elle-même de motif pour
refuser sa sanction, s’est expliqué ouvertement à la régence et lui a fait
connaître que ce qui le
déterminait à ne point sanctionner cette proposition, c’était le désir de
maintenir de bonnes relations commerciales avec la France.
Il n’est point nouveau, messieurs, que, entre
gouvernement, on invoque l’esprit des traités ; cela se fait de part et d’autre
et très fréquemment ; quand il s’agit d’apporter des modifications à des dispositions
existantes, les gouvernements font très souvent remarquer les uns aux autres que
telle proposition s’écarte de l’esprit de conciliation, de l’esprit de rapprochement
qui a présidé à la conclusion des conventions commerciales intervenues entre
les deux Etats. De semblables observations se font, je le répète, très
fréquemment, et elles sont très utiles au maintien du système de concessions
réciproques qui amène les traités de commerce avantageux.
M. Orts. - Messieurs, si mon honorable collègue et ami M. Verhaegen
n’avait pas touché la question des eaux-de-vie étrangères en rapport avec le
tarif de l’octroi de la ville de Bruxelles, je n’aurais pas cru, moi-même,
devoir en parler en ce moment, par le motif que l’administration communale a
fait à cet égard de nouvelles réclamations auprès du gouvernement. Remarquez,
messieurs, qu’il s’est placé un fait nouveau entre le refus que nous avons
essuyé de la part du gouvernement et l’époque où nous nous trouvons maintenant.
Le conseil a discuté et arrêté le la tarif de l’année prochaine. Au mois de
juillet dernier le ministre transmit à l’administration communale une dépêche par
laquelle il reconnaissait, ce que le conseil communal avait soutenu lors de l’adoption de son tarif
pour 1846, que les eaux-de-vie n’étaient pas comprises dans la convention avec
la France. Depuis, nous avons reçu une instruction qui semblait nous présager
que le gouvernement n’approuverait point une majoration du droit d’octroi sur
les eaux-de-vie étrangères.
Cependant, messieurs, l’année dernière nous avions
fait valoir à cet égard une considération extrêmement forte, indépendamment de
celle qu’une semblable majoration ne portait aucune espèce d’atteinte au traité
avec la France ; cette considération était appuyée sur ce fait important, que
la ville de Bruxelles, en augmentant les droits sur les spiritueux de
fabrication indigène, avait maintenu un équilibre tel, entre les eaux-de-vie
étrangères et les eaux-de-vie indigènes, que la France ne pouvait absolument
rien perdre par suite de l’augmentation dc droits, puisqu’il devait résulter de
notre combinaison qu’on n’aurait pas consommé dans la ville de Bruxelles moins
d’eau-de-vie de France auparavant. Je n’entrerai pas, messieurs, dans des détails
pour prouver l’exactitude de cette assertion, parce que je ne crois pas pouvoir
entretenir longuement la chambre d’un objet qui est d’intérêt exclusivement communal,
mais rien ne me serait plus facile que de démontrer la vérité de ce que
j’avance.
Tout en reconnaissant que, d’après le droit
international, et d’après le texte du traité, la France n’aurait à se plaindre
en rien de la mesure dont il s’agit, M. le ministre des affaires étrangères dit
que des motifs de convenance s’opposent à l’adoption d’une semblable mesure ;
et ces motifs de convenance il les fait résulter de ce que la France serait
disposée à nous faire d’autres concessions. Je désire, messieurs, que ces
autres concessions que nous ferait la France soient d’une importance un peu
plus grande que ne le serait la pitoyable augmentation à résulter de la
majoration de notre tarif, car M. le ministre vous a dit lui-même qu’il ne
s’agissait que d’une affaire de 12,000 fr. Je n’ai pas présent à la mémoire le
chiffre exact, mais j’admets l’assertion de M. le ministre et je dis : Si une somme de 12,000 fr. n’est
rien pour la ville de Bruxelles (et je ferai voir tout à l’heure que c’est
beaucoup pour elle), croyez-vous que ce soit une chose importante pour la
France ? Quoi ! 12,000 fr. ne sont rien pour la ville de Bruxelles, et cette
somme exercerait une influence importante sur le résultat de la balance
commerciale avec la France !
D’ailleurs,
messieurs, comme j’ai eu
l’honneur de le dire, la France n’y perdra rien, puisque la consommation de ses
eaux-de-vie ne doit diminuer en rien par suite de la majoration du tarif.
Il est certain, messieurs, que pour la ville de
Bruxelles cette somme de 12,000 fr. est une chose très importante, et je vais
vous en dire la raison. Qu’on ne croie pas que si on a augmenté le droit sur
les eaux-de- vie étrangères, il n’y ait pas eu de compensation. La ville de
Bruxelles a dégrevé certains objets servant à l’alimentation des classes peu aisées ; ce que la
ville de Bruxelles perd d’un côté, elle doit le regagner d’un autre. Toute la
question est donc celle-ci : La ville a-t-elle fait acte de bonne
administration, tout en cherchant à maintenir l’équilibre dans les recettes,
lorsqu’elle a proposé de dégrever certains objets alimentaires à la portée de
nos concitoyens pauvres, et d’imposer un
peu plus un objet qui n’est
consommé que par les riches. Les eaux-de- vie de France ne sont pas à la portée
du prolétaire ; mais les objets alimentaires qui constituent ses besoins,
ceux-ci ont fait dans les délibérations du conseil communal l’objet de
sérieuses discussions, et il y a eu des diminutions.
Maintenant, il y a une autre considération,
c’est que les vinaigres de vin sont bien dans la convention avec la France ; eh
bien, dans le tarif de 1847,on a diminué le droit sur les vinaigres de vin,
tout en réclamant le maintien de l’augmentation sur les eaux-de-vie de France
comme sur les autres eaux-de-vie indigènes.
Je n’en dirai pas davantage pour le moment ;
le nouveau tarif a été délibéré, il a été accepté par le conseil communal, il
est soumis au gouvernement et il y aura des observations formulées à l’appui de
la résolution du conseil communal et qui, je n’en doute pas feront revenir le
ministère de son opinion et rendront à la dépêche ministérielle du mois de
juillet 1846 toute sa force ; et l’on finira par voir que non seulement en
strict droit la France n’a rien à réclamer, mais que même, sont le rapport des
convenances, il n’y a rien à dire à la mesure proposée, parce que l’intérêt
français n’est pas engagé dans le cas actuel. D’ailleurs, et je termine par là,
l’intérêt de la capitale, comme celui de toutes les communes du pays, doit
toujours être placé au-dessus d’intérêts étrangers, lorsque l’on n’est pas
obligé, aux termes des traités, de satisfaire à ces intérêts.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs,
je ne reviendrai pas sur la question des octrois. Je pense que les observations
que j’ai présentées, et celles de M. le ministre de l’intérieur, ont suffi pour
détruire complétement les objections qui viennent d’être reproduites par l’honorable
M. Orts. Il ne s’agit pas ici de sacrifier un intérêt belge à un intérêt
étranger ; j’ai démontré au contraire
qu’il s’agissait de défendre des intérêts généraux du pays contre un intérêt que
j’ai appelé minime. L’honorable M. Orts dit que si cet intérêt est minime, si la
différence qui résulte de l’octroi sur les eaux-de-vie de provenance française
ne s’élève qu’à 12,000 fr. sur un budget de 2 à 3 millions, c’est un motif pour
que la France ne se préoccupe pas d’un si mince résultat.
D’abord, je ferai remarquer que cette considération,
puisée dans le défaut de préjudice qui résulterait de cette mesure pour la
France, a été présentée par le gouvernement belge au gouvernement
français ; le gouvernement peut encore insister dans l’avenir sur cette
considération, s’il la croit juste ; mais le gouvernement français conteste les
calculs sur lesquels cette allégation repose.
J’appuie sur une seule considération : c’est
que le gouvernement français, depuis le traité du 13 décembre, a pris
l’initiative des bons procédés à notre égard, et que dans le moment où je
parle, il est question de la révision du tarif qui se rattache aux plus grands
intérêts de l’industrie belge ; je dis qu’il serait d’une très haute
imprudence de satisfaire légèrement à une prétention de minime importance,
élevée par la ville de Bruxelles, et de compromettre peut-être ainsi des
intérêts infiniment plus considérables.
Je n’ai demandé la parole que pour répondre
quelques mots à un reproche que l’honorable M. de Brouckere m’a adressé au
début de son discours. L’honorable membre nous a dit que si j’avais manqué de
franchise dans les rapports que le ministre a eus avec la chambre, il le
regretterait infiniment ; je ne l’aurais pas moins regretté moi-même,
messieurs, mais je suis bien aise de pouvoir lui dire que le reproche de
manquer de franchise qu’il m’a adressé passe au-dessus de ma tête pour aller
atteindre mes prédécesseurs, contre l’intention sans doute de l’honorable membre.
Ainsi, parmi les faits que l’honorable membre a énoncés,
un seul concerne mon administration ; l’honorable membre a dit que c’était
manquer de franchise d’avoir opéré, contrairement au vœu de la Constitution,
les transferts que j’ai opérés et dont je propose moi-même la régularisation.
Messieurs, vous le savez tous, non seulement au département des affaires
étrangères, mais encore, et surtout dans les autres départements, on avait
payé, sur des crédits spéciaux, certains traitements pour des employés et des
gens de service ; c’est un tort, et c’est parce que c’est un tort que le
gouvernement a pris lui-même l’initiative de faire disparaître cet abus dans les
arrêtés organiques qui ont été publiés.
Notre ministre en Turquie, dit l’honorable M. de
Brouckere, figure au budget sous le titre de ministre résident, et dans sa
lettre de créance près la cour ottomane, il a le titre de ministre
plénipotentiaire. Pour les Etats-Unis, le contraire à lieu : c’est un
chargé d’affaires, tandis que dans le budget figure le titre de ministre
résident.
Le fait relatif à la Turquie est antérieur à mon
administration, et pour les Etats-Unis, M. de Baulieu a le titre de ministre
résident, de manière que l’abus signalé par l’honorable membre n’existe plus.
J’ai posé un (page 138) acte
analogue, c’est celui qui
concerne la Suisse. L’agent qui représente la Belgique en Susse a dans le
budget le titre de consul général. Il est donc rétribué sur les fonds des
consulats, mais il a en Suisse le rang de chargé d’affaires.
Messieurs, ce principe a été admis par tous les
gouvernements. Il arrive très souvent qu’un agent diplomatique a dans son pays
un rang diplomatique inférieur à celui qu’il possède à la cour près de laquelle
il est accrédité, et cela dans
l’intérêt de l’influence qu’il a à exercer.
Un chargé d’affaires près de certaines puissances
ne peut pas avoir de rapport direct avec le chef du gouvernement. Il est donc
de l’intérêt belge que ce rang lui soit parfois accordé, quand ce titre
n’entraîne aucune conséquence pour le budget, afin que son influence soit plus
grand auprès de la cour où il remplît ses fonctions.
C’est ainsi qu’en Suisse notre consul général avait
une position d’infériorité blessante dans le corps diplomatique ; c’est pour
cela que tout en lui conservant dans le budget le rang de consul général, nous
lui avons donné, dans le pays où il est accrédité, le rang de chargé
d’affaires.
Messieurs, les circonstances politiques
ont fait de la Suisse, depuis quelque temps surtout, un centre politique sur
lequel toutes les puissances ont les yeux attachés. Il est évident que si nous
n’y avions pas un chargé d’affaires, il faudrait en nommer un.
Je n’ai pas besoin de dire que tous les événements
qui peuvent amener un conflit entre les puissances, intéressent la Belgique au
plus haut point.
La mission de Berne a une importance d’autant plus
grande que nous n’avons pas de légation à Munich. Dans cette zone qui s’étend
de Genève à Munich, nous ne pouvons être sans représentant des intérêts belges.
Le gouvernement a concilié l’économie avec les intérêts du pays, en conservant
à son agent le traitement de consul général et en lui donnant dans ses lettres
de créance le titre de chargé d’affaires.
M. Veydt. - Quels que soient les motifs exposés par M. le ministre pour essayer
de justifier les actes qu’il a posés, je ne suis pas moins frappé de la singulière
logique qu’il a employée dans cette discussion. Si elle ne rencontrait pas de
contradicteurs, notre loi fondamentale finirait par disparaître sous de vaines
et subtiles distinctions.
Je ne connaissais pas les antécédents dont vient de
nous entretenir l’honorable député de Tournay, je n’avais fait attention qu’au
texte de la Constitution. Les mots « emploi salarié » y sont entendus dans le sens le plus large
: que l’employé soit ambassadeur, envoyé extraordinaire, consul, c’est un
fonctionnaire du gouvernement ; dès qu’il reçoit un salaire, sous la
dénomination d’indemnité ou de traitement, ce fonctionnaire tombe, suivant moi,
d’après l’esprit et la lettre, sous l’application de l’article 36 de la
Constitution.
Cependant je n’insisterai pas davantage sur ce
point, puisqu’il y a, me dit-on, plusieurs précédents où l’article 36 de la
Constitution a été interprété autrement par la chambre.
Il est un second point sur lequel je désire appeler
votre attention. messieurs : c’est sur l’article 68. Cet article porte que les
articles secrets d’un traité ne peuvent être contraires aux articles patents,
c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas en aggraver les conditions expresses. Ici,
ce ne sont pas des articles secrets qu’on invoque. Sur la demande qui lui en
fut fait en section centrale, M. le ministre a déclaré qu’il n’en existait pas.
Mais ce sont « des raisons de
convenance ». Voilà où nous en sommes réduits. Ces raisons de
convenance, que M. le ministre
apprécie tout seul, produisent le même effet ; elles viennent ajouter aux
conditions onéreuse, d’un traité conclu.
Et pourquoi faire ? Pour empêcher que la France ne
fasse ce qu’elle déjà fait précédemment, pour empêcher qu’elle ne paralyse,
qu’elle ne nous enlève les
stipulations favorables dont nous avons acheté le maintien au prix de
concessions réelles en sa faveur. Ce n’est pas en agissant ainsi, M. le
ministre, que vous défendrez efficacement les intérêts de la Belgique. Le
traité est à peine conclu. Faut-il que déjà nous soyons alarmés pour le
maintien du système des zones, qui favorise l’importation de nos fontes et de
nos houilles en France ? A l’époque de la conclusion du traité et de son examen
par les chambres, non seulement il n’existait aucune crainte à ce sujet, mais
nous avions l’espoir d’obtenir des avantages plus grands pour nos houilles, et
cet espoir n’a été ravi aux négociateurs belges que peu de jours avant la
signature.
Aujourd’hui que la convention est un fait
accompli, est-il vrai que le maintien de ce qui existe ne nous est plus garanti
qu’au prix de concessions nouvelles, motivées sur des raisons de convenance,
qui mettent obstacle à ce qu’une grande ville impose un peu plus la consommation
des eaux-de-vie, ce qu’aucun article du traité ne lui interdit ; car sur ce
point nous sommes à présent tous d’accord.
Suivant moi, messieurs, ce n’est pas en montrant
une pareille condescendance, une pareille
faiblesse que le gouvernement pourra sauvegarder nos droits. Une conduite
franche et ferme serait d’une bien meilleure politique.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L’honorable
préopinant est encore revenu sur la question relative à notre envoyé extraordinaire
à Rome. Je ferai observer que la chambre est toujours omnipotente pour décider
toutes les questions de ce genre qui peuvent se présenter. Cependant je pense
que la chambre ne pourrait pas, sans renier ses précédents, décider que le
prince de Chimay a perdu la qualité de représentant. Aussi aucune proposition
n’a été faite en ce sens. Maintenant ce qui a été dit aura l’avantage d’appeler
l’attention du gouvernement, des chambres et des intéressés sur cette question, et de prémunir contre le danger
de convertir des emplois permanents en emplois temporaires, pour donner des
traitements sous le nom d’indemnités. C’est une question de bonne foi toujours
appréciable par la chambre, de sorte qu’il n’y a pas lieu de craindre de voir
la Constitution violée en pareille circonstance.
Quant au traité avec la France, je dirai qu’il n’y
a pas d’articles secrets. Il ne s’agit que de maintenir les bons rapports qui
existent entre la France et la Belgique, et de les étendre autant que
possible ; Voilà le sens des observations présentées par mon collègue des
affaires étrangères.
M. Verhaegen. - J’avais voulu
attendre, pour parler sur l’incident, que MM. les ministres eussent présenté
leurs observations. Ces observations, vous venez de les entendre. Elles me
donnent de plus en plus la conviction que mon honorable ami M. Osy avait raison. En effet, en quoi
se résument les observations de MM. les ministres ? L’honorable M. de Theux vient de vous le dire : La question qu’on soulève, quant aux
missionnaires extraordinaires est une question de bonne foi que la chambre
apprécie. Eh bien, s’il faut apprécier la question à ce point de vue, l’examen
ne tourne pas à la faveur du ministère. Pour moi, je vois, d’après toutes les
circonstances, que la mission dont est chargé l’honorable prince de Chimay est
une mission définitive, qui restera définitive aussi longtemps qu’il le jugera
à propos, et que la mission temporaire n’est qu’un prétexte. Voyons donc les
choses de près, puisqu’il s’agit d’une question de bonne foi. M. le ministre
des affaires étrangères nous l’a dit tantôt, la mission du prince de Chimay
serait une mission de courtoisie ; il aurait été envoyé à Rome pour
complimenter Pie IX ; il arrivera un peu tard ; tous les pays, et les pays
hérétiques même, ont déjà fait leur compliment ; et la petite Belgique
catholique, la plus catholique de tous, arrivera après tous les autres.
Mais enfin, on va pour complimenter le
pape et on reste deux mois à Paris, pourquoi ? Pour négocier un traité avec Naples.
Si c’est réellement une question de bonne foi, je vous le demande, à qui
fera-t-on accroire ce qu’on vient débiter quant à cette mission prétendument
temporaire ? Serait-il vrai qu’on a fait des réflexions un peu tard ? Et que si
Pie IX n’avait montré à son
avènement des dispositions différentes de celles de Clément XIV, par exemple,
on se serait pressé davantage pour arriver à Rome ? Toujours est-il que ce n’est qu’un prétexte vis-à-vis de la
chambre, et que la mission temporaire est définitive.
Voilà comment vous devez résoudre la question de
bonne foi.
Je n’ai pas été fâché de saisir cette occasion de
dire mon petit mot là-dessus.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). -
L’honorable M. Verhaegen a complétement abandonné l’argument relatif à la
constitutionnalité ; il ne l’a pas reproduit ; il a reconnu qu’il n’y a ici
qu’une question de bonne foi, soumise à l’approbation de la chambre, ce qui est
vrai.
L’honorable membre a déclaré que la mission de M.
le prince de Chimay n’est pas sérieusement temporaire, mais qu’elle sera
définitive. Eh bien, c’est là une erreur, une allégation tout à fait gratuite.
L’intention du gouvernement a été de confier à M. le prince de Chimay une mission temporaire, et c’est ainsi
que le prince l’a acceptée.
Mais j’ai reconnu dans la discussion qu’à un certain
point de vue, il était regrettable que le départ du prince de Chimay pour Rome
n’ait pas été immédiat. J’ai dit la raison qui y avait mis obstacle ; cette
raison est sérieuse et ne peut être appelée un prétexte.
Par des considérations dont le gouvernement a
l’appréciation, la négociation préalable, dont j’ai parlé, et qui était
nécessaire pour régulariser nos relations avec Naples, a dû avoir lieu à Paris
plutôt qu’ailleurs.
L’honorable membre n’a détruit aucune des
considérations que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre.
M. Lejeune. - Dans la séance de lundi, j’ai
fait quelques observations concernant l’exécution du traité du 5 novembre 1842, conclu avec la Hollande. L’honorable
ministre des affaires étrangères n’était pas présent alors. Je ne répéterai pas
ces observations ; mais je profiterai de cette discussion pour les rappeler.
Il s’agit des travaux que la Hollande s’est obligée
à exécuter à la gauche du canal de Terneuzen, pour l’asséchement d’une partie
du territoire belge. Nous payons, du chef de ces travaux, une somme annuelle à
la Hollande ; mais cette somme ne doit être payée complétement que lorsque les
ouvrages seront en état de satisfaire complétement à leur destination.
Des ouvrages sont exécutés ; il va sans dire que la
Hollande prétend que ces ouvrages sont suffisants. De notre côté nous nous
apercevons malheureusement trop bien qu’ils sont insuffisants, et, qu’aux
termes du traité, nous ne devons pas payer la somme tout entière. Il faut
absolument, dans l’intérêt du territoire
pour lequel le gouvernement belge a traité, ou bien que le traité soit exécuté de manière à ce que
les ouvrages répondent à leur destination, ou bien qu’on cherche un autre moyen
d’arriver au même but. Ainsi le gouvernement doit obtenir de la Hollande
l’exécution efficace des ouvrages que cette puissance avait pris à sa charge ; ou bien (j’ai indiqué ce moyen) on
pourrait peut-être arriver au même but, en ouvrant une nouvelle négociation sur
cette base. La Belgique pourrait renoncer, de son côté, au bénéfice de ces
ouvrages ; et la Hollande pourrait de son côté consentir à la diminution de la
rente annuelle, diminution qui devrait servir à soulager d’une autre manière
les territoires du chef desquels la rente est payée.
Je me bornerai à ce peu de mots. Du moment que
l’attention de M. le (page 139) ministre
des affaires étrangères a été éveillée, je suis persuadé qu’il fera un examen
de cette question. Il voudra bien au besoin recourir aux renseignements donnés dans
la discussion de lundi. (M. le ministre des affaires étrangères fait un signe
d’assentiment.)
Pendant que j’ai la parole, je demanderai la
permission de dire un mot sur un autre point.
Dans une circonstance, j’ai parlé de la marque
d’origine obligatoire. Alors encore j’ai parlé en l’absence de M. le ministre
des affaires étrangères et du commerce, que cet objet regarde plus
spécialement. Cette idée de la marque d’origine obligatoire est née, comme vous
le savez, sur le sol belge, et il paraît qu’elle y est abandonnée et négligée,
tandis qu’on la cultive beaucoup mieux sur un sol étranger.
Je serais curieux d’apprendre de M. le ministre du
commerce s’il n’a absolument rien à nous dire, au sujet de cette question.
Traite-t-on toujours cette idée comme irréalisable,
comme une utopie ? Veut-on échapper ainsi à toute espèce d’étude, à tout examen
? Selon moi, l’on n’y réussirait pas.
Lorsque cette proposition fit sa première
apparition, on a été tenté de se demander si c’était une plaisanterie ou une
chose sérieuse. Ce doute provient peut-être de ce que l’auteur de la
proposition était plus connu comme publiciste, par son originalité, sa
causticité, son esprit moqueur, que par d’autres ouvrages, car il a fait preuve
d’un rare talent. Aujourd’hui ce doute n’existe plus.
Le temps a marché, et l’idée que le directeur du
Musée de l’industrie belge continue à développer avec une louable persévérance,
a attiré l’attention de plusieurs assemblées ; elle a d’abord attiré
l’attention des assemblées scientifiques. Je ne citerai pas l’autorité des
assemblées scientifiques comme concluante, ces assemblées se plaçant souvent à
un point de vue beaucoup trop élevé pour que l’on puisse immédiatement mettre
leurs résolutions en pratique.
Je passerai donc légèrement sur l’approbation
donnée à l’idée de la marque d’origine obligatoire par le congrès scientifique
de Reims. Depuis, beaucoup de notabilités parlementaires en France en ont fait
l’objet de leurs études et lui ont donné leur approbation.
Mais, messieurs, il y a quelque chose de plus grave
aujourd’hui. Récemment le conseil général des manufactures a également émis un
avis favorable sur la proposition dont je parle. il y a quelque chose de plus
fort encore, et c’est sur ce point que je veux attirer l’attention de notre
ministre des affaires étrangères et du commerce ; c’est que le ministre du
commerce en France a consulté la société d’encouragement de Paris, et que cette
société d’encouragement a approuvé, à l’unanimité, je crois, la marque
d’origine obligatoire.
Si en France on se préoccupe tant de cet
objet, devons-nous rester absolument les bras croisés ? Nous nous laissons devancer
; mais profitons du moins des études et des travaux qui se font chez nos
voisins et tâchons de marcher de front.
Messieurs, je ne me suis pas proposé de discuter le
fond de la question, de développer les motifs qui militent en faveur de la marque
d’origine obligatoire, ni de m’étendre sur les moyens d’exécution ou sur les
effets qu’elle doit produire. Mon but unique est d’attirer sur ce point
l’attention de M. le ministre, et de faire, en quelque sorte, une
interpellation pour savoir si quelque examen de la question se fait dès à
présent.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
c’est une question que j’examine à la direction de l’industrie ; mais le simple
énoncé de cette question prouve combien elle est vaste et combien elle est hérissée
de difficultés ; et, à coup
sûr, ce n’est pas une question qui puisse être portée devant la chambre dans la
présente session. Car, si l’on a fait déjà un grief au gouvernement d’avoir
apporté à la chambre un trop grand nombre de propositions, à coup sûr celle-ci soulèverait un
reproche réel, car il serait impossible d’arriver à sa solution.
En attendant, messieurs, on suit aussi l’examen et
les études qui se font dans d’autres pays. C’est une question sur laquelle on
se réserve de faire ultérieurement des propositions, s’il y a lieu, comme
également sur le travail dans les manufactures. Mais ce sont la d’immenses questions dont la solution
demandera un temps beaucoup plus long que nous n’en avons dans la présente
session.
M. Lejeune. - Je ferai remarquer que mon
intention n’a nullement été de provoquer un projet de loi dans la session
actuelle, et que je n’ai pas trouvé qu’il y eût lacune dans le discours du
Trône, parce que la solution de cette question n’y était pas promise. Au
contraire, j’aurais trouvé moi-même cette annonce très-prématurée.
La question est sans doute excessivement vaste ;
elle est immense, et c’est pour cette raison qu’on ne doit pas en négliger
l’étude. J’apprends avec plaisir qu’on s’en occupe.
Du reste, quant à l’immensité de la question, il en
est souvent ainsi de beaucoup de questions, lorsqu’elles ne sont qu’à l’état
d’idée ; mais, lorsqu’on en vient à les
mettre en pratique, il arrive souvent aussi qu’on trouve le moyen de
l’appliquer, sinon dans toute sa généralité, au moins en partie, à certains cas
spéciaux. C’est ce que j’attends des études que fait faire le gouvernement.
Pour le moment il me suffit que l’on s’occupe de la question, et je me déclare satisfait.
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la discussion des articles
Discussion des articles
Chapitre premier.
- Administration centrale
Article premier
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr.
21,000. »
- Adopté.
« Frais de représentation (pour mémoire).
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires,
employés et gens de service : fr. 75,500. »
M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères a proposé
d’ajouter au libellé de cet article, les mots « sans que le personnel de l’administration
centrale puisse être rétribué sur d’autres fonds alloués par la loi du
budget », et de porter le chiffre à 81,500 fr. »
M. Osy, rapporteur. - Messieurs,
comme rapporteur, je viens vous expliquer, en peu de mots, les amendements qui ont
été présentés par M. le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre propose, en changeant le libellé de
l’article 2, d’augmenter le chiffre de cet article de 6,000 fr. Mais il nous
propose de réduire l’article. 6 du chapitre premier de 2,900 fr., et l’article
3 du chapitre VI de 3,100 fr., ce qui fait la somme de 6,000 fr.
M. le ministre
ne propose donc plus à l’article 6 du chapitre premier que le chiffre de 34,100
fr. Mais je dois faite observer, comme rapporteur de la section centrale, que nous
proposions d’accorder sur cette somme 3,000 fr. comme charges extraordinaires.
Je demanderai à M. le ministre s’il se rallie à
cette proposition, c’est-à-dire s’il consent à ce que la chambre vote le
chiffre de 31,100 fr. comme charges ordinaires et le chiffre de 3,000 fr. comme
dépenses extraordinaires.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je consens
à cette proposition.
M. de Brouckere. - Je ferai remarquer
que dans la loi de budget, cette distinction en charges ordinaires et en
charges extraordinaires ne sera pas établie. Je demanderai s’il ne conviendrait
pas mieux de faire ce qu’on a fait hier pour le budget des finances,
c’est-à-dire de mettre un littera B
« travail extraordinaire ». De
cette manière les budgets seraient rédigés d’après un mode uniforme.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je ferai remarquer
qu’en admettant l’observation que vient de faire l’honorable M. de Brouckere,
on s’écarterait au contraire de la marche qui a toujours été suivie. Toujours
on a indiqué au budget les charges ordinaires et les charges extraordinaires
dans deux colonnes distinctes. La proposition de l’honorable M. Osy tend
seulement à régulariser les chiffres du budget.
- L’article 2, tel qu’il a été proposé par M. le
ministre, est adopté.
Articles 3 et 4
« Art. 3. Frais de commissions d’examen :
fr. 2,000. »
- Adopté.
_________________
« Art. 4. Pensions à accorder à des
fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 44,024. »
- Adopté.
« Art. 5. Secours à des fonctionnaires et employés ou à leurs veuves, qui, sans
avoir droit à la pension, ont des titres à un secours, à raison de leur
position malheureuse : fr. 1,000. »
M. de Brouckere. - Il faudra mettre
ici la rédaction qui a été admise hier pour l’article correspondant du budget
des finances, et dire : « Secours à d’anciens fonctionnaires, etc. »
- L’article est adopté avec ce changement de
rédaction.
« Art. 6. Matériel. »
M. le président. - M. le ministre a proposé une réduction de 2,900 fr.,
de sorte que le chiffre est maintenant de 54,100 h. dont 3,000 h. de dépenses
extraordinaires.
M. Mast de
Vries. - Je dois
rappeler l’attention de M. le
ministre sur une observation que j’ai faite l’année dernière, à laquelle il
avait promis de faire droit et qui avait obtenu l’assentiment de la chambre.
Il y a deux ans, messieurs, on nous a distribué un
recueil renfermant les tarifs des douanes de la Belgique et des pays étrangers
; depuis lors beaucoup de modifications ont été apportées à ces tarifs, surtout
en Angleterre, de sorte que ce recueil, dans l’état où il se trouve
actuellement, est devenu tout à fait inutile. Pour lui rendre son utilité il
faudrait que M. le ministre voulût bien nous faire distribuer tous les ans
quelques feuilles du même format contenant les changements qui ont été
introduits dans le cours de l’année soit en Belgique, soit dans les autres
pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je ferai droit
à la demande de l’honorable
membre.
- L’article est adopté.
Article 7
« Art. 7. Achat de décorations de l’ordre de
Léopold : fr. 10,000. »
M. de Tornaco. — Messieurs,
lors de l’examen du budget des affaires étrangères dans la dernière session,
plusieurs sections avaient critiqué la multiplicité des nominations dans l’ordre de
Léopold ; elles étaient allées jusqu’à proposer de réduire le crédit de 10,000
fr. demandé pour dépenses relatives à ces nominations. C’était là, messieurs,
un avis donné au ministère, avis dont il aurait bien fait de profiter. Il n’en
a point été ainsi, les nominations dans l’ordre de Léopold ont été extrêmement
fréquentes, elles ont été faites dans certains cas avec beaucoup de
précipitation et avec imprudence.
Il s’est passé des faits, messieurs, qu’il est inutile
de rappeler aujourd’hui et qu’il me serait même pénible de rappeler. On a abusé
de l’ordre (page 140) Léopold non
seulement dans l’intérieur du pays mais aussi à l’extérieur Vous devez vous le
rappeler, messieurs, d’après un tableau qui nous a été soumis l’année dernière,
les nominations faites à l’extérieur ont été à peu de chose près aussi
nombreuses que les nominations faites dans le pays. Je ne pense pas, messieurs,
qu’il soit conforme à l’esprit de l’institution d’un ordre, de le faire servir à décorer des poitrines
étrangères La multiplicité des nominations pouvait se légitimer jusqu’à un
certain point pendant les premiers temps qui ont suivi la révolution : il
s’agissait alors en quelque sorte, pour le gouvernement, de faire prendre
position à son ordre ; il avait aussi besoin de tous ses ressorts dans les
circonstances difficiles où il se trouvait ; mais depuis cette époque le
gouvernement aurait dû, me semble-t-il, être plus réservé qu’il ne l’a été et
ne pas déprécier, comme il l’a fait, ce moyen de gouverner.
Le ministère n’a pas profité de l’avis qui lui a
été donné à cet égard l’année dernière. Dans la discussion de l’adresse,
messieurs, un honorable membre nous a déjà fait observer ce fait.
Je vous citerai, à l’appui de cette observation,
quelques-uns des exemples qui m’ont le plus frappé et dont j’ai tenu note.
C’est surtout M. le ministre des affaires
étrangères qui s’est montré prodigue de l’ordre de Léopold ; il ne s’est pas
contenté de distribuer le décorations dans l’intérieur du pays, il en a
distribué aux quatre points cardinaux. Les Français surtout ont été les objets
de ses attentions généreuses en peu de temps, il a fait 39 nominations en
France ; je crois que le gouvernement français lui-même ne décore pas autant de
personnes en si peu de temps ; car c’est dans l’espace de 2 ou 3 mois que ces
39 nominations ont été faites. Après M. le ministre des affaires étrangères, M.
le ministre de la guerre s’est chargé à son tour de remplir le Moniteur de nominations dans l’ordre
de Léopold, toujours au profit des Français.
Vingt-sept nominations ont eu lieu en fort peu de
temps. Sans doute que la plupart des personnes qui ont reçu ces distinctions,
sont parfaitement dignes de les porter ; mais, je le répète, l’Ordre n’a pas
été établi pour être prodigué à des étrangers, militaires ou autres.
C’est principalement à des officiers français que
la décoration a été accordée ; il y a entre autres un arrêté du 23 septembre
qui porte à lui tout seul 17 nominations ; elles sont motivées sur ce que les officiers
français ont fait bon accueil aux officiers belges qui s’étaient rendus en
Algérie pour y achever leur instruction.
Ce motif m’a paru bien futile ; la Belgique a envoyé
7 ou 8 officiers en Algérie, ils y ont été bien reçus ; s’il convenait de
donner un témoignage de reconnaissance à ce sujet, au moins il n’était pas nécessaire
de nommer pour cela un grand cordon, 9 commandeurs, 3 officiers et 4 chevaliers.
On ne s’explique vraiment pas une semblable prodigalité. Il faut suivre
attentivement les arrêtés dans le Moniteur
pour comprendre comment les choses se passent ; il y a une espèce de
succession d’arrêts : les uns donnent, les autres reçoivent ; pour me servir
d’une expression familière, je dirai que MM. les ministres sèment tout
simplement pour récolter ; mais ils diffèrent en ceci des autres semeurs ;
ces derniers sèment ordinairement leurs propres semences, MM. les ministres
sèment les semences du pays, et récoltent à leur profit personnel.
Tandis que le gouvernement prodigue ainsi les décorations,
surtout à des étrangers, il oublie des nationaux qui avaient droit à de
semblables distinctions ; ainsi l’on voit rarement décorer des agronomes. Il se
trouve en Belgique quelques agronomes distingués, justement estimés à
l’étranger, que l’étranger vient visiter, chez lesquels il vient chercher des
conseils et de l’instruction. Eh bien, je ne vois pas que le gouvernement
s’empresse de donner des distinctions à de tels hommes ; ils rendent cependant
de grands services à l’agriculture, au pays tout entier ; mais comme ils font
peu de bruit, on les oublie.
On oublie aussi certains hommes distingués
par leur courage et leur dévouement, et qui, pour appartenir aux classes
inférieures de la société, ne devraient pourtant pas demeurer inaperçus du
gouvernement. Je citerai entre autres un fait qui est à ma connaissance. Il doit
se trouver dans la province de Liége un homme qui a d’abord été militaire, et
qui, pendant qu’il était au service, a sauvé la vie à son capitaine. Cet homme,
depuis qu’il a quitté les drapeaux, a encore sauvé la vie à cinq ou six personnes.
Des demandes nombreuses, m’a-t-on dit, ont été faites, pour qu’il fût décoré ;
ces démarches n’ont abouti à rien.
Il est à regretter qu’il en soit ainsi
; pour ma part, je verrais avec plaisir briller la décoration sur la poitrine
d’un homme tel que celui auquel je viens de faire allusion.
Pour me résumer, messieurs, il est à désirer que le
gouvernement soit en général moins prodigue de décorations, surtout à l’égard
des étrangers ; qu’il soit fort scrupuleux dans les choix, et ne les accorde
qu’à des personnes d’un caractère honorable. Il est à désirer aussi que le
gouvernement, quand il distribue les décorations, n’oublie pas autant les
hommes qui rendent des services à l’agriculture, et qu’il ne dédaigne pas non
plus les hommes de cœur, que des actes de dévouement à leurs semblables ont
signalés à l’estime et à la reconnaissance publiques.
M. Osy, rapporteur. - Messieurs,
plusieurs sections avaient manifesté l’année dernière le désir de voir imprimer
à la suite du rapport la liste des décorations qui avaient été accordées dans le
cours d’une année. Ce tableau a été en effet imprimé. Cette année-ci on n’a plus
demandé un pareil tableau, et voilà pourquoi la liste des décorés pour l’année
1846, ne se trouve pas jointe au rapport sur le budget de 1847. Je crois qu’il serait utile que chaque année, le tableau fût inséré dans le rapport
et si l’année prochaine, on me fait encore l’honneur de me
nommer rapporteur pour le budget des affaires étrangères, je prends l’engagement
demander le tableau dans le sein de la section centrale, et si celle-ci
l’autorise, je le ferai imprimer à la suite du rapport.
Comme l’honorable M. de Tornaco, je dois m’élever
contre la prodigalité avec laquelle on distribue les décorations d’un ordre qui
dans le principe ne devait être que militaire. Ce n’est qu’à une voix de
majorité que l’ordre civil a été adopté. C’est un avertissement qu’on ne doit
donner la décoration qu’aux personnes qui la méritent sous tous les rapports.
La loi veut que les arrêtés qui confèrent les
décorations soient motivés. Depuis quelque temps, dans un grand nombre de ces
arrêtés, que voyons-nous ? « Voulant
donner une marque de bienveillance, etc. » Sont-ce là des motifs ?
C’est pour des services rendus au pays que nous avons institué l’ordre civil.
Je désire que l’on rentre dans la légalité, que les arrêtés soient désormais réellement
motivés dans le sens que nous avons attaché à l’octroi de la décoration civile.
Je ne citerai, au sujet des décorations, qu’un fait qui m’a frappé l’année
dernière ; j’ai lu, dans le même numéro du Moniteur, six décorations, dont cinq d’officiers et une de chevalier,
accordées à des peintres de Munich. Aucun de ces peintres ne doit avoir envoyé
quoi que ce soit à l’une de nos expositions
des beaux-arts. Vous donnez donc d’un coup cinq croix d’officiers à des artistes
étrangers ; et, bien que nous ayons sans aucun doute des artistes indigènes
fort remarquables dans toutes les branches des beaux-arts, je ne pense pas
qu’il y ait un seul artiste belge qui ait la croix d’officier.
Je citerai encore
un autre fait. Chaque fois qu’un journal étranger prend la défense, non pas de
la Belgique, mais de nos ministres, on lui envoie la décoration. Je concevrais
une décoration donnée au rédacteur d’un journal étranger qui ferait consciencieusement
l’éloge de la Belgique, qui signalerait les progrès qu’elle a faits en tout
genre ; mais les décorations ne tombent que sur les journaux étrangers qui font
l’éloge de nos ministres. Je citerai l’Epoque
; j’ai vu un article, en faveur de nos ministres, dans ce journal, dont
le rédacteur a été décoré par notre gouvernement. Or, ce choix a été
malheureux, car le journaliste en question est allé, avec la décoration,
s’asseoir sur les bancs du tribunal de police correctionnelle. Il est plus que
temps que le gouvernement s’arrête dans la marche qu’il suit à cet égard, car
les décorations n’ont plus aucune valeur, et le temps viendra bientôt où l’on
sera plus honoré de mettre sa décoration
dans sa poche qu’à sa boutonnière.
M. Rodenbach. - Messieurs, je
pense, avec divers orateurs qui viennent de prendre la parole, qu’on a trop prodigué
les décorations. Cette observation s’applique surtout aux décorations qu’on a
données à l’extérieur. Il est des nominations, faites à l’intérieur, et que
l’on peut citer avec éloge. Je rappellerai une de ces nominations qui a excité
l’approbation générale et qui sera sans doute accueillie avec la même faveur
dans cette chambre : je veux parler de la décoration accordée, dans la
Flandre occidentale, à un vieillard de 80 ans, qui est bourgmestre depuis 50 ans,
et qui est en même temps conseiller provincial. Je pourrais citer encore
d’autres décorations aussi bien placées que celle-là.
Je trouve cependant qu’on néglige, quant aux
distinctions de ce genre, les personnes qui s’occupent de l’humanité
souffrante. Il est, près des bureaux de bienfaisance, des hommes qui exercent
des fonctions purement gratuites, dans l’intérêt de la classe pauvre ; il
arrive que ces personnes remplissent cette mission de dévouement pendant 30, 40
et même 50 ans ; un zèle si persévérant et si désintéressé pour le bien public
ne doit pas être oublié dans les distinctions que l’on accorde, et j’appelle
sur ce point l’attention du gouvernement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je ferai d’abord
une remarque. C’est que si l’administration de l’ordre de Léopold appartient au
département des affaires étrangères, ce n’est pas sous sa responsabilité que
toutes les décorations sont proposées et accordées ; je ne veux cependant pas
en conclure que je trouve un inconvénient à me charger de la responsabilité de ce qui a été fait ; mais je
fais cette observation pour faire comprendre à la chambre que je suis dans
l’impossibilité de justifier, par des considérations de détails, les
décorations accordées par les divers départements ministériels.
Quant aux nominations faites par le département des
affaires étrangères, on m’avait reproché d’avoir jeté la croix de Léopold à
profusion à l’étranger.
Je ferai connaître des faits et des chiffres qui
démontreront que c’est une erreur qu’on a accréditée et que le gouvernement n’a
pas usé de plus de profusion cette année que dans les années antérieures et
sous les ministères précédents.
Messieurs, il ne faut pas perdre de vue que la Belgique
est un Etat nouveau, que ses relations avec les puissances étrangères sont
encore de date assez récente ; de là est venue la nécessité non seulement de
conclure des traités politiques, comme ceux de 1839 et de 1842, mais des
conventions de commerce, de navigation.
De là sont nés les échanges de décorations qu’il
est d’usage d’attacher à la conclusion de ces divers traités. La Belgique
pouvait-elle se soustraire à cet usage universellement adopté parmi les Etats
monarchiques ? Je dis que la Belgique ne pouvait pas, n’avait pas intérêt à se
soustraire à cette obligation. Si des échanges de décorations n’avaient pas eu
lieu à propos de la conclusion des
traités de commerce et de navigation, n’aurait-on pas pu croire à l’étranger
que cette exception à l’égard de la Belgique était le fait des gouvernements
étrangers et pouvait être attribuée au défaut de bienveillance de leur part
envers la Belgique ?
(page 141)
Le gouvernement belge est-il donc tellement ancien, son influence en Europe
est-elle tellement enracinée, qu’il puisse fièrement renoncer à l’usage des
échanges de décorations que d’autres nations, plus vieilles, ont conservé ?
La chambre ne doit pas oublier que la Belgique n’a pas
les mêmes ressources que les autres gouvernements. Dans la plupart des autres
pays, au lien de décorations, on emploie les cadeaux diplomatiques ; vous
n’ignorez pas ensuite qu’il existe presque partout plusieurs catégories d’ordres d’importance différente,
ce qui dispense ainsi d’accorder trop souvent l’Ordre de première classe.
La Belgique manque de ces deux ressources. Elle
n’envoie pas de cadeaux diplomatiques et elle n’a pas à conférer plusieurs
Ordres d’importance inégale.
Pour les traités
de commerce et de navigation, toujours des décorations ont été échangées.
Il n’en a pas été toujours de même, pour les conventions d’extradition et
d’abolition de droits d’aubaine. Quand un échange a eu lieu pour ces dernières
conventions, c’est quand c’était le premier acte diplomatique qui intervenait
entre la Belgique et les Etats avec lesquels ces conventions étaient faites.
D’ailleurs, les décorations accordées aux étrangers
ne doivent pas être considérées au même point de vue que celles accordées à des
Belges. Quand des décorations sont accordées à des étrangers, on est sous
l’empire de considérations qu’il est difficile d’énoncer dans un arrêté.
La chambre doit comprendre qu’il est difficile de
motiver d’une manière complète les décorations accordées à des étrangers ;
souvent c’est en considération de l’influence dont jouit la personne décorée,
de la position qu’elle occupe, des
services qu’elle a rendus ou qu’elle peut rendre, de la recommandation expresse
faite par le souverain. Toutes ces raisons qui souvent motivent cette
distinction honorifique, accordée à un étranger, ne peuvent être mentionnées
dans un arrêté.
Messieurs, on a dit que j’avais, moi surtout,
prodigué les décorations à l’étranger. J’aurais d’abord une réflexion à vous
soumettre, si le fait était exact, c’est que depuis deux ans des traités
nombreux ont été conclus. Mais le fait n’est pas exact. J’ai le relevé des
décorations accordées par mes prédécesseurs ; je citerai quelques chiffres qui
démontreront que, malgré les traités plus nombreux conclus sous mon
administration, je suis resté dans des bornes plus restreintes. Sous le
ministère du comte de Briey, dans l’espace d’un an et huit mois, 11 décorations
ont été données à des Belges et 86 à des étrangers ; sous l’administration du
général Goblet, pendant deux ans et trois mois, 19 décorations ont été données
à l’intérieur et à 141 à l’étranger ; sous mon administration, dans
l’intervalle d’un an et quatre mois, il a été accordé 13 décorations
l’intérieur et 85 à l’étranger. Or, je le répète, depuis deux ans, la chambre
le sait, il a été conclu plus de conventions commerciales que sous les
administrations précédentes. Je ne veux aucunement blâmer mes prédécesseurs.
Je crois que, dans l’intérêt du pays, ils ont obéi
à la nécessité de conférer ces décorations ; je ne leur fais donc pas un
reproche, mais je me défends, et je veux faire remarquer qu’en présence de
faits qui autorisaient à donner plus de décorations à l’étranger, j’ai été plus
sobre.
Il ne faut pas non plus oublier que dans les
échanges de décorations, l’initiative ne vient pas toujours de la Belgique.
J’ajouterai qu’elle est venue rarement de la Belgique.
Lorsque l’initiative vient de gouvernements
étrangers, comment la Belgique ferait-elle pour refuser sou assentiment ?
Evidemment un tel refus, qui serait blessant pour le pays auquel il
s’adresserait, ne saurait être justifié.
Je ne veux pas suivre l’honorable baron Osy sur le
terrain des questions personnelles. Je puis défendre à cette tribune des
principes, justifier des actes poses au nom d’un principe ; mais il est
impossible de discuter ici des questions de noms propres. L’honorable baron Osy
a reproché au gouvernement d’avoir accordé une décoration à un journaliste
français. On n’a jamais critiqué le gouvernement d’avoir décoré des publicistes
étrangers, en France et en Allemagne, lorsque ces publicistes appartiennent à la
presse quotidienne ; je pourrais rappeler plusieurs noms et des plus
honorables.
Le fait auquel l’honorable M. Osy a fait
allusion ne l’autorise pas à jeter des paroles flétrissantes dont il aurait dû
s’abstenir. Mais je ne veux pas entrer dans un débat de noms propres ; la
chambre certainement ne l’attend pas de moi.
Relativement à des décorations accordées
à des peintres étrangers, je crois que ces décorations sont parfaitement
justifiées. Les relations que nous avons avec la Bavière sont en grande partie
artistiques. Le gouvernement a cru pouvoir accorder cette marque de haute
distinction à des artistes de premier mérite et développer ainsi les relations
d’amitié avec cette nation sympathique.
Le gouvernement bavarois a accordé aussi des
décorations par réciprocité, et récemment l’un de nos peintres les plus
distingués a reçu de la Bavière cette marque honorifique.
M. Osy, rapporteur. - Vous savez,
messieurs, que quand je soulève une question, j’ai l’habitude d’arriver à une
conclusion. J’ai donc l’honneur de proposer un amendement ; je vais le motiver.
M. le ministre des affaires étrangères vous demande, à l’article 7, 10,000 fr. pour
l’ordre de Léopold. Je viens de parcourir les états déposés sur le
bureau ; je trouve qu’au chapitre VII du même budget, on impute encore,
outre les 10,000 fr., diverses dépenses pour le même ordre. Vous croyez voter
10,000 fr., vous votez beaucoup plus ; en voici la preuve.
Je trouve au chapitre VI, « Missions extraordinaires », exercice
1846 : Dépenses imprévues : A M. Allard pour livraisons de croix, plaques
et rubans de la décoration civile et militaire de l’ordre de Léopold (c’est,
comme vous allez voir, pour des affaires très importantes), par suite de la
convention avec le duché de Parme et la Hesse électorale (je ne sache pas qu’on
ait conclu des traités de commerce avec ces pays) : fr. 1,396
Il y a peut-être
dans les divers ministères des dépenses de même nature.
Ceci me prouve que les chiffres que nous votons
sont dérisoires.
Je propose donc d’ajouter à cet article : « Sans qu’on puisse augmenter ce chiffre par
des imputations sur d’autres articles. «
La cour des comptes, ainsi avertie, veillera à ce qu’on ne dépasse pas les 10,000
fr.
M. de Corswarem. - Mon
honorable ami M. Rodenbach a signalé tout à l’heure les membres des
administrations de bienfaisance, comme ayant des droits à obtenir la décoration. Effectivement ils y ont un droit réel ;
car il existe un décret impérial, aux termes duquel tout membre des
administrations de bienfaisance et des hospices a droit à la Légion d’honneur,
après trente ans de services gratuits. On fera bien d’exécuter ce décret qu’on
a laissé tomber en désuétude. Parmi les personnes récemment décorées, il y a un
homme très distingué, M. Nicolai, qui a reçu cette distinction pour ses actes
de générosité et de bienfaisance. Je ne sache pas qu’aucune décoration ait été mieux
accueillie dans le pays que celle-là.
M. de Mérode. - Messieurs,
je considère les décorations nomme un excellent moyen d’émulation, et qui est
de nature à produire de très bons fruits par des récompenses qui ne coûtent que
bien peu aux contribuables.
Je reconnais cependant que l’on en fait abus de
deux manières : d’abord par trop de facilité à les accorder en certains cas,
ensuite par trop de restriction dans l’application en d’autres circonstances.
Ainsi, nous apprenons souvent que des hommes ont
sauvé la vie à plusieurs
individus, se sont exposés d’une manière admirable pour sauver leurs semblables
des plus grands dangers, en s’y exposant eux-mêmes, et j’ai vu fort rarement
ces personnes-là décorées.
Ce sont, à la vérité, des hommes du peuple ; mais
s’il est vrai qu’il y a dans le peuple des individus qui font preuve d’un grand
courage et qui manquent de conduite, il en est qui mènent une vie honorable ;
et quand on n’a rien à leur
reprocher sous le rapport de la conduite, quand on est sûr qu’ils ne
compromettront pas leur décoration, je ne vois pas pourquoi on ne leur accorderait
point cette récompense, après de grandes preuves de dévouement.
M. Rodenbach. - Appuyé !
M. de Mérode. - Il est une
autre observation que je désirais représenter depuis assez longtemps. Des
soldats français ont été décorés, lors du siège d’Anvers, à l’occasion de blessures graves,
reçues alors pour la cause belge, ou comme ayant fait preuve d’un courage
particulier. Ils ne reçoivent pas la gratification de 100 fr., assurée par la
loi aux sous-officiers et soldats décorés de l’ordre de Léopold.
Cependant aucun article de la loi ne fait
d’exception à l’égard des
soldats étrangers ; or si l’on décore par courtoisie des officiers supérieurs
étrangers, on ne décorera jamais des soldats qui n’auront rien fait pour le
pays. Dès lors je ne vois pas pourquoi le petit nombre de soldats français qui
ont reçu et mérité l’ordre de Léopold ne recevraient pas la gratification
annuelle de 100 fr. qui, aux termes même de la loi, leur est due, puisqu’elle
ne fait pas d’exception.
Ou se plaint de ce qu’on a décoré des journalistes qui,
selon les honorables membres qui se livrent à ces critiques, ne l’auraient pas
mérité ; mais ceux qui se montrent aussi sévères à l’égard de ces décorations,
ne seraient-ils pas être plus jaloux de l’honneur du pays à propos des
étrangers qui le ridiculisent par toutes sortes d’attaques sans fondement ?
Je voudrais qu’on s’appliquât à soi-même la
sévérité que l’on montre envers le gouvernement.
M. Lebeau. - Qui donc ?
M. de Mérode. - On cite avec complaisance des journalistes qui nous
représentent comme courbés sous le joug monacal, comme des rétrogrades, comme
des éteignoirs, qui représentent la Belgique de la manière la plus contraire à la vérité.
M. Lebeau. - Sont-ils décorés ?
M. de Mérode. - Ils ne sont
pas décorés, mais on répète et on exalte leurs articles.
Au surplus, M. Sue a bien été honoré d’une
magnifique médaille, pour avoir inventé « Couche-Tout-Nu. » (Hilarité générale.)
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
on a parlé d’un grand nombre de décorations qui avaient été accordées surtout à l’étranger, et même à l’intérieur.
A côté de cette observation, il s’en est présenté d’une autre nature,
c’est-à-dire qu’on a signalé à l’attention
du gouvernement des classes nouvelles de personnes qui rendent des services au
pays et qui, dans l’opinion des honorables membres, mériteraient également des
décorations, notamment les administrateurs des bureaux de bienfaisance et les
personnes qui ont porté secours à autrui dans des circonstances périlleuses.
Messieurs, il est à remarquer que, relativement aux
catégories très nombreuses de personnes, telles que, par exemple, celles des
administrateurs des bureaux de bienfaisance, il faut user de beaucoup de
sobriété, sinon il faudrait multiplier les décorations à l’infini et hors de
toutes proportions avec le chiffre du budget.
Il en est de même des administrations communales
rurales qui rendent de grands services au pays, et cependant on a toujours été
sobre de décorations à l’égard des membres de ces administrations.
La même observation s’applique aux personnes qui donnent
des preuves de dévouement et d’humanité, en portant secours à autrui. Pour
cette dernière catégorie, il existe un article tout spécial au budget de l’intérieur,
intitulé « médailles et récompenses pour actes de dévouement ».
Je conviens, messieurs, que dans quelques
circonstances extraordinaires une décoration peut être donnée à des individus
de cette catégorie. Mais je dis encore que ces décorations doivent être très
rares ; sinon, elles devraient être extrêmement multipliées. Car, je dois le
dire à l’honneur du pays, les actes de courage et de dévouement sont très
nombreux. Il suffit de jeter les yeux sur la liste publiée tons les ans avec le
budget du département de l’intérieur pour s’en convaincre. A la seule
inspection de cette liste on voit combien il serait difficile d’accorder des
décorations à cette classe de personnes sans s’exposer à devoir les étendre
trop.
Messieurs, on a parlé de décorations nombreuses ;
mais j’ose le dire, si le gouvernement éprouve une satisfaction à reconnaître
les services importants rendus au pays, d’un autre côté, messieurs, il est
souvent très pénible de résister à une foule de demandes de décoration qui sont
faites aux ministres, et ici le gouvernement doit prendre sous sa
responsabilité tout aussi bien le refus que l’octroi d’une décoration. C’est
une partie très délicate, et il n’est pas possible de discuter chacun des actes
en particulier qui sont posés, parce que ces discussions mèneraient beaucoup
trop loin, qu’elles prendraient beaucoup trop de temps, et que souvent elles
auraient un caractère d’inconvenance qui ne peut exister dans nos discussions.
Du reste, messieurs, le gouvernement ne demande pas
mieux que de faire fruit des observations qui se produisent dans les
discussions ; c’est en même temps un avertissement au public. Mais je dois dire
que dans la discussion actuelle il s’est présenté des observations évidemment
exagérées en tant qu’on a critiqué l’octroi qui a été fait des décorations.
On a parlé de certaines décorations à
l’étranger, mais il est des faits qu’on ignore quelquefois. Ainsi un ministre étranger,
organe de son gouvernement, sollicite pour un individu une décoration. Il la
sollicite quelquefois d’une manière très pressante, et alors c’est un acte de
bon rapport international d’accéder à une semblable demande. De manière que
quelquefois on attribue une décoration à des motifs complétement étrangers à
ceux qui ont dirigé le gouvernement dans l’octroi qu’il en a fait.
Il est essentiel de s’appesantir sur cette
observation parce qu’elle tend à réfuter
plusieurs critiques qui ont été faites dans cette chambre.
M. le président. - Si personne
ne demande plus la parole, je vais mettre l’article aux voix.
Plusieurs membres. - Il y a un amendement de M. Osy.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Si j’ai bien
compris, cet amendement se rapporte au chapitre VII.
M. Osy, rapporteur. - Non, il se
rapporte à l’article 7 du chapitre premier.
J’ai l’honneur de dire que j’avais découvert dans
les tableaux déposés sur le bureau, que sur le chapitre VI, on avait fait entre
autres une imputation de 1,300 fr. pour donner des décorations à quelques
employés du duché de Parme et de la Hesse électorale, de sorte que lorsque nous
croyions voter 10,000 fr. pour les décoration nous votions de fait 11 ou 12,000 fr. Or, pour éviter cet
abus, j’ai demandé qu’on ajoutât à l’article
en discussion, ces mots : « sans que l’on puisse augmenter ce
chiffre par des imputations sur d’autres articles ».
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs,
je ne m’oppose nullement à cet amendement. C’est un principe admis déjà hier et
qui est écrit dans les arrêtés organiques dont on a parlé. Mais je ferai une observation,
c’est que si je ne me trompe, le crédit de 10,000 fr. est déjà absorbé. Il est
absorbé non pas par le fait de l’administration actuelle ; mais depuis 1832 le
crédit a presque toujours été dépassé, à tel point, que devant accepter le legs
qui m’a été laissé par mes prédécesseurs, je serai amené à proposer à la
chambre un crédit supplémentaire.
Du reste, l’observation que je fais ne doit pas
avoir pour conclusion de repousser l’amendement de l’honorable M. Osy, qui
n’est qu’une régularisation d’imputation.
M. Osy, rapporteur. - Messieurs, d’après les
explications de M. le ministre
des affaires étrangères, il accepte mon amendement ; mais il fait la réserve de
venir demander des crédits supplémentaires pour les années écoulées. Messieurs,
à cette occasion je demanderai à M. le
ministre de vouloir, lorsqu’il présentera un projet, nous dire combien on a dépensé
tous les ans en sus du crédit de 10,000 francs qui a été voté.
Quant au crédit supplémentaire annoncé par M. le
ministre, nous l’examinerons ; mais je savais depuis longtemps qu’il y avait un
déficit, etj e ne serais pas
étonné que ce déficit s’élevât à 20,000 fr.
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’ai
oublié, messieurs, de répondre à une interpellation faite par l’honorable M.
Osy. Il a demandé si des imputations relatives à l’ordre de Léopold n’avaient
pas été faites sur l’autres budgets ; je puis déclarer que jamais un centime
n’a été imputé sur le budget d’un autre département que celui des affaires
étrangères.
- L’article 7 est adopté avec l’addition proposée
par M. Osy.
La séance est levée à 4 heures et demie.