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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 2 décembre 1846
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projet de loi relative relatif à l’avancement des princes de la famille royale
dans l’armée
3)
Projet de loi portant séparation de communes (A. Dubus)
4)
Budget de la chambre des représentants pour l’exercice 1847
5)
Projet de loi relatif au régime d’importation en transit direct et par entrepôt
(Loos)
6)
Projet de loi portant le budget de la dette publique pour l’exercice 1846.
Budget de la chambre des représentants
7)
Projet de loi portant le budget du département de la marine pour l’exercice
1847. Discussion générale. Personnel de l’administration centrale (Dechamps), proposition d’intégrer le budget de la marine
dans celui des affaires étrangères (Lebeau, Dechamps), état sanitaire de l’établissement de Santo-Thomas
(Sigart, Dechamps, Dumortier)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 175) M. Van Cutsem procède à l’appel nominal à 1 heure et quart.
M. A. Dubus donne lecture
du procès-verbal de la dernière séance, la rédaction en est adoptée.
M. Van Cutsem communique
l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Edouard Wouwermans, ancien professeur
de mathématiques supérieures, demande la place de bibliothécaire de la chambre.
»
- Dépôt au bureau des renseignements.
________________
« Le sieur Magloire-Joseph Motte, messager à l’administration
des chemins de fer de l’Etat Trélon (France), demande la naturalisation
ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
PROJET DE LOI RELATIF A LA NON-APPLICATION DES
REGLES D’AVANCEMENT DANS L’ARMEE AUX PRINCES ROYAUX
M. le ministre
de la guerre (M. Prisse) donne lecture de la pièce suivante. - Messieurs, il résulte de la
combinaison des articles 68 et 80 de la Constitution, que l’héritier de la
Couronne peut être appelé au commandement en chef de l’année, dès l’âge de
dix-huit ans. Cette éventualité, qui peut surgir pour tous les enfants mâles du Roi, exige que l’éducation
militaire des princes de la famille royale commence de bonne heure, afin qu’ils
puissent, autant que possible, passer par tous les grades. On ne peut donc les
soumettre à la loi sur le mode d’avancement dans l’armée, qui ne permet de
conférer le grade de sous-lieutenant qu’à l’âge où la Constitution a fixé la
majorité du Roi. Leur position, tout exceptionnelle, nécessite des règles
exceptionnelles, règles qu’il importe de déterminer par une loi.
Sous le royaume des Pays-Bas, les princes de la maison
d’Orange furent nommés colonels à un âge très jeune et sans avoir passé par
d’autres grades.
En France, où la législation militaire postérieure à 1830 est fondée sur les mêmes bases
que la nôtre, une ordonnance du 16 mars 1836 porte que les princes de la
famille royale peuvent être nommés colonels à l’âge de dix-huit ans révolus.
Cette dernière règle, sous l’empire de laquelle les
princes français fournissent une si brillante carrière militaire, a paru pouvoir
être adoptée pour nos princes de la famille royale. Bien jeunes encore, ils
seront peut-être un jour appelés à défendre l’honneur et l’indépendance du pays.
Pour accomplir dignement cette mission, il importe qu’ils y soient préparés de
longue main, et c’est un des principaux devoirs du gouvernement de rechercher,
avec le concours des chambres, les moyens de répondre à la vive sollicitude du Roi pour cet objet.
C’est en vue de ce but, qui intéresse à un si haut point l’avenir de nos princes
et celui du pays, que j’ai sollicité et obtenu de S. M. l’autorisation de
présenter aux chambres législatives le projet de loi dont la teneur suit.
« Nous Léopold 1er, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, faisons savoir,
« Sur la proposition de notre ministre de la
guerre,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Le projet de loi dont la teneur suit, sera présenté
en notre nom, à la chambre des
représentants, par notre ministre de la guerre.
« Article unique. Les dispositions de la loi du
16 juin 1836, sur le mode d’avancement dans l’armée, ne sont pas applicables aux
princes de la famille royale. Toutefois, ils ne pourront être nominés colonels
qu’à l’âge de dix-huit ans révolus, et leur avancement aux grades supérieurs
sera déterminé par le Roi.
« Donné à
« Léopold.
« Par le Roi : Le
ministre de la guerre, Prisse. »
Il est donné acte à M. le ministre de la présentation
de ce projet de loi qui sera imprimé et
distribué, ainsi que l’exposé des motifs qui l’accompagne.
La chambre le renvoie à l’examen des sections.
PROJET DE LOI PORTANT SEARATION DE COMMUNES
M. A. Dubus. - Messieurs,
j’ai l’honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a été chargée
d’examiner le projet de loi relatif à l’érection de la commune de Saint-Léonard,
dans la province d’Anvers.
- Il est donné acte à M. le rapporteur du dépôt de ce
rapport, qui sera imprimé et distribué. La chambre fixera ultérieurement le jour
de la discussion.
________________
M. le président. Messieurs, dans
une de vos précédentes séances, vous avez chargé le bureau de nominer une commission
qui examinera le projet de loi relatif à l’érection en une commune distincte,
de trois hameaux de la commune de Vielsalm (province de Luxembourg).
Le bureau nomme MM. Zoude, Pirson, Orban, de Tornaco
et d’Hoffschmidt.
PROJET DE BUDGET DE LA CHAMBRE DES REPRESENTANTS
POUR L’EXERCICE 1847
La chambre se forme en comité secret à deux heures moins
un quart ?
- La séance publique est reprise à deux heures et demie.
PROJET DE LOI RELATIF AU REGIME D’IMPORTATION EN
TRANSIT DIRECT ET PAR ENTREPOT
M. Loos. _ Messieurs, j’ai l’honneur de
déposer le rapport de la commission qui
a été chargée d’examiner le projet de loi tendant à proroger la loi du 8
juin 1842 qui autorise le gouvernement
à modifier le régime d’importation en transit direct et par entrepôt.
- Ce projet sera imprimé et distribué. Le jour de la
discussion sera fixé ultérieurement.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE LA DETTE
PUBLIQUE ET DES DOTATIONS POUR 1846
M. le président. - Ce projet est ainsi conçu :
« Art. 1er. Il est ouvert à l’article
unique du chapitre III, titre II du budget de la dette, publique et des
dotations de l’exercice 1846, un crédit supplémentaire de quatre-vingt-dix mille
francs (fr. 97,000) destiné à couvrir les dépenses de la chambre des
représentants, pendant ledit exercice. »
« Art. 2. La présente lui sera obligatoire le lendemain
de sa publication. »
Il est procédé à l’appel nominal, dont voici le résultat :
Le projet de loi est adopté à l’unanimité des 60 membres
qui ont répondu à l’appel.
Il sera transmis au sénat.
Ont répondu à l’appel : MM. Thienpont,
Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Anspach,
Cans, Castiau, Clep, Coppieters, d’Anethan, David, de Bonne, de Breyne, de
Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de La Coste,
Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Meester, de Naeyer, de Renesse, de
Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt,
Dubus (Albéric), Dumortier, de Lannoy, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu,
Goblet, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lesoinne, Loos, Lys, Malou, Mast
de Vries, Orban, Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sigart, Simons et Liedts.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE
LA MARINE POUR L’EXERCICE 1847
Discussion générale
M. le ministre des affaires étrangères (M.
Dechamps). Et de la marine- Messieurs, par application de
l’arrêté du 21 novembre, il y aura un transfert à opérer du chapitre III,
Magasins de la marine, au chapitre Ier, Administration centrale. Les commis
indiqués au chapitre III, bien qu’employés spécialement à la tenue des livres
du magasin, à la réception et à la distribution des effets d’équipement et
d’équipage, restent à Bruxelles. Je pense qu’il est plus régulier de faire
payer leur traitement sur le chapitre Ier, Administration centrale. Je propose
de retrancher du chiffre de 10,200 fr. du chapitre III, 6,400 fr., montant du
traitement actuel des employés du magasin, et de les reporter à l’article
premier du chapitre premier. De cette manière, le total de cet article s’élèverait
à 12,450 et le chiffre de l’article unique du chapitre III serait réduit à
4,800 fr.
Toutefois, messieurs, le libellé du chapitre III devra
être conservé, parce que la tenue des livres des magasins de la marine à Anvers
nécessite l’emploi d’un commis.
M. Lebeau. - Messieurs,
je n’ai rien à dire contre la proposition de M. le ministre des affaires étrangères ; je crois qu’elle est une
conséquence des précédents qui ont signalé jusqu’ici la discussion des budgets.
C’est une mesure très louable de
simplification et de régularisation que la chambre doit sanctionner.
Mais je saisis cette occasion pour
signaler quelques doutes à M. le ministre, des affaires étrangères. Vous avez
tous été frappés, sans doute, de l’espèce d’anomalie qu’il y a dans le vote
d’un budget particulier de la marine. La marine est une division du ministère
des affaires étrangères ; elle ne forme
pas un ministère spécial. On dira que j’aurais
pu m’en apercevoir plus tôt, puisque j’ai eu l’honneur d’administrer le département
(page 176) des affaires étrangères. Quoi qu’il en soit, je soumets à M.
le ministre des affaires étrangères la question de savoir si l’on ne pourrait pas traiter
la marine comme on traite le commerce, et en faire tout bonnement l’objet d’une
division du ministère des affaires étrangères. De cette manière, de même que
nous n’avons qu’un ministère pour les affaires étrangères et pour la marine,
nous n’aurions plus qu’un budget au lieu de deux. Ce budget comprendrait trois
grandes divisions : les affaires étrangères proprement dites, la marine et le
commerce.
Je soumets ces observations à la chambre, parce que, comme nous sommes en train d’opérer des
régularisations, des simplifications, je crois qu’il y aurait lieu d’opérer celle-ci,
si l’on n’y voit pas d’inconvénient, pour l’an prochain. Je sais que pour cette
année il est trop tard. Je demande donc s’il y a des motifs pour persister dans
le mode qui a été suivi depuis quinze ans.
M. le ministre des affaires étrangères et de la
marine (M. Dechamps). - Messieurs, l’observation que vient de me faire l’honorable
membre m’avait déjà frappé. Mais voici la raison qu’on m’a donnée pour
maintenir ce qui est.
J’ai oublié dans quelle année un de mes
prédécesseurs avait proposé de ne faire de la marine qu’une division du budget
des affaires étrangères. Mais c’est par suite du vœu de la chambre même, sur
les propositions de la section centrale, qu’on a établi la division en deux
budgets.
Du reste, j’examinerai encore la question d’ici au budget
prochain.
M. Sigart. - Un jour je suis venu vous dire à cette tribune : Dans les conditions
où s’élève la colonie de Santo-Thomas, elle périra. Je vous ai dit pourquoi elle
périrait, je vous ai dit comment elle périrait.
Un autre jour je suis venu vous dire : La colonie a
péri.
A présent que puis-je
vous dire encore ?
Je puis vous dire que le peu qui reste de la colonie
périra.
Lorsque je tiens ce langage, ai-je le droit d’être cru
? La première fois que j’ai parlé, on pouvait, on devait peut-être douter. Peut-on
douter encore ?
Mais si ces malheureux vont périr, quels sont les devoirs
du gouvernement ? Le gouvernement doit, non pas demain, mais aujourd’hui, les
aller prendre. Et si le gouvernement ne fait pas son devoir, le nôtre n’est-il
pas de l’y contraindre ?
Quelque précieuse que doive être pour nous la vie de
nos concitoyens, je comprends qu’il est des circonstances où nous ne devions pas
en être trop avares : nul doute que si la sûreté, l’honneur du pays l’exigeaient,
les considérations d’humanité ne dussent fléchir. Si seulement la richesse
publique avait été en cause, il est possible que j’eusse détourné la tête en
gémissant et que j’eusse laissé accomplir le sacrifice. Mais je cherche en vain
l’ombre d’un intérêt national. Je vois l’intérêt d’une société composée de gens
fort nobles, fort bien pensants en politique. L’intérêt de gens qui soutiennent
le ministère s’élève apparemment à la
hauteur d’un intérêt national.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M.
Dechamps). - Oui, M. Veydt, par exemple.
M. Sigart. - S’il n’y avait eu que M. Veydt dans la compagnie,
vous ne l’auriez pas tant protégée.
Mais quel est l’intérêt de la compagnie de colonisation
? C’est actuellement un simple intérêt d’amour-propre. Remarquez que la
compagnie de colonisation ne colonise plus : elle ne veut plus qu’un comptoir. Les
colons ne sont plus qu’une charge. Pourquoi ne les ramène-t-on pas ? C’est
qu’on ne veut pas avouer sa faute. Il n’y a pas d’autre raison que celle-là.
Les renseignements que je vous ai communiqués
portent à 300 le nombre des décès à la date du 12 mai 1845 ; depuis cette
époque, j’ai reçu de nouvelles communications. Voici l’extrait d’une lettre que
je regrette de ne pouvoir lire tout entière :
« Depuis ce moment (celui du départ du major Guillaumot),
la fièvre n’a pas cessé d’y sévir et d’y faire des victimes. Je citerai le
docteur Desprez, M. Degrez, M. Palmaert,
M. Perrotet, le docteur Tielmans, M. Billet, M. Husler, mort en mer, M. et
madame Calais, Vansnick père, et mère, Barrois, la femme Pannekoek, des
orphelins et autres colons qui ont succombé. M. Blondeel, Cloquet, le
commandant de la Louis-Marie, M.
Deboche, Pougin et Gérard, officiers, et plusieurs matelots ; M. Aguet, Fery,
Esmengeaud, Kuylen fils, la demoiselle Kuylen, M. Decourtier Low-Lovis et beaucoup d’autres ont été gravement malades.
« (…) Le soin de ma santé, qui ne s’est jamais rétablie
à Santo-Thomas, m’a décidé à quitter cette terre de désolation, quoique j’y occupasse un bon emploi et que mes
concitoyens m’eussent donné des preuves de leur estime, en me nommant deux fois
aux premières fonctions municipales.
« En quittant ce lieu fatal, j’ai promis à beaucoup de malheureux colons qui désirent
ardemment de rentrer dans leur patrie, que je ferais tous mes efforts pour les
arracher à la mort qui les
menace. Je ne faillirai pas à ma promesse. »
Voici des extraits d’une autre lettre :
« Santo-Thomas, 7 juillet 1846.
« J’ai reçu votre lettre des mains mêmes de P…
que l’on avait bien tourmenté pour lui faire lâcher sa correspondance, mais qui
n’aurait pas remis ce dépôt sacré en d’autres mains pour un coup de canon. »
(Vous remarquez que c’est une lettre familière.)
« Négociants du dehors, gouvernement de Guatemala,
colons, tous nous considérons la colonie comme mort ou au moins mourante.
« Mais à côté d’elle s’élève l’édifice de M. Blondeel
; il prend de la consistance, il se dilate, il est agréé par le gouvernement si
susceptible de Guatemala, on l’affirme du moins. Toutes les difficultés ne
s’aplanissent cependant pas tout d’un coup, et il y a des opposants. Tout cela
ressortira de ses rapports dont M. Cloquet, retournant, je crois, par la Thétis, va être porteur. La
principale clause me paraît être celle d’après laquelle les deux nations
échangeraient librement et réciproquement leurs denrées et marchandises dans
les deux pays.
« Le Comte
de Flandre doit partir le 1er août
; mais son chargement n’est pas prêt, il nous amènera une vingtaine de colons.
»
Suivent des détails sur ces colons.
« Mais ce qui est encore moins prêt que le
chargement, ce sont les vivres pour le Comte
de Flandre. La direction, réduite depuis longtemps aux bons à la main,
n’a plus d’argent et ne sait comment en faire.
« Au magasin on a été au dernier baril de lard,
farine, légumes ; on vit d’emprunts que fait la maison Welscht, à savoir :
hier-10 barils farine, un porc, un frigoles, un riz, un pois… !
«Voici une idée : N… maudit ses Allemands qui ne veulent
pas habiter son domaine et peupler la colonie. Alors il s’est rabattu sur les
Chinois. Ne riez pas, il s’est agi sérieusement d’en engager quelques mille ;
on prétendait que ce sont des gens laborieux et sobres ; qu’on les aurait à bon
compte ; on était sûr du succès, etc.
« Autrefois, au moins, il y avait du pain ; en ce
moment nous avons les fours froids depuis six jours, et nul espoir ! »
J’ai cherché en
vain sur la liste des décès publiée dans le mémoire bon nombre de noms
ci-dessus indiqués. Je ne trouve ni Deprez, ni Palmaert, ni Perrotet, ni
Tielemans, ni Husler, ni Vausnick mère, ni la femme Pannekoek. D’où cela
provient-il ? Comment se fait-il notamment qu’on ne comprenne point parmi les
morts M. Palmaert, dont on donne l’autopsie ? Pourquoi le tableau s’arrête-t-il
au 10 novembre, quand l’autopsie est du 26 décembre 1845 ?
Il est bon de remarquer que les noms cités sont ceux
de personnes notables. Parmi eux se trouvent ceux de deux médecins et celui de
M. Blondeel lui-même, qui avait tant de confiance dans le climat, et a failli
en être victime. Quant tant de généraux sont tués ou blessés, combien y a-t-il
de soldats ?
M. Blondeel, dans son mémoire, p. 49, déclare que sur
880 individus composant la colonie, il en était mort 286 au 1er novembre 1845.
M. Durand fait remarquer qu’on n’a pas compris les décès
qui peuvent avoir eu lieu parmi les colons partis pour l’intérieur du pays,
qu’on ne renseigne pas non plus les naufragés de la Florida
Bianca, etc.
Au milieu de cette malheureuse abondance de décès, nous
ne devons pas chicaner pour quelques
unités, nous devons montrer de la rondeur en compte et passer outre. Toujours est-il
un fait incontesté, c’est que déjà au 1er
juillet 1845 la colonie est réduite à moins du tiers de ce qu’elle avait
été. Elle était de 286 (p. 15, selon M. Blondeel), de 285 (p. 160, selon M. Durand).
Mais dans quel état sanitaire se trouvent ces 286 personnes
? A la vérité, M. Fleussu dit qu’il est satisfaisant, mais M. Durand dit qu’il
n’est rien moins que tel, que 74 individus seulement, d’âge et de sexe divers,
restent valides. Qui faut-il croire, M. Fleussu ou M. Durand ? Mais M. Durand, sans nul doute. Je ne
ferai pas à votre sagacité
l’injure de vous en expliquer les raisons ; et n’avons-nous pas des échantillons
de l’état de santé des colons par ceux qui nous reviennent en Europe ? On les
voit se traîner à peine, hâves et exténués, le teint jaune, accusant un
engorgement profond de viscères.
Pour mesurer la confiance que l’on doit accorder à certains
témoignages, voici un exemple que j’ai l’honneur de vous soumettre.
En 1844, il a régné une grande maladie, comme on le
dit page 144, une affreuse
épidémie, comme on la désigne page 93
; puis voilà que page 150, on nous dit qu’il n’y a pas eu cinq maladies
semblables ; et, en effet, le tableau nécrologique nous donne une espèce de
nomenclature nosologique.
Mais à qui
veut-on faire croire qu’il y aurait eu une grande mortalité par des maladies
diverses ? Il ne faut pas être médecin pour savoir que dans les grandes
épidémies il n’y a pas deux maladies, il n’y en a qu’une qui absorbe tout :
c’est ce qui est arrivé du temps du choléra ; il n’y avait alors que le
choléra. Je pourrais vous en dire la raison ; je me contenterai du fait.
Je n’insiste pas à ce sujet : je sais faire la part
des positions. Si je voulais, j’aurais bien des révélations à faire ; je pourrais
montrer chez tels ou tels bien des faiblesses, bien des turpitudes, mais je
préfère montrer les actes de courage. On dit aux fonctionnaires : Je
refuse votre rapport, faites-m’en un autre. Toute chose a deux faces, montrez
la bonne. On leur fait voir l’avancement, on leur fait voir la disgrâce. On n’a
affaire qu’à des fonctionnaires, des employés dépendant de leur place. Et il
s’en trouve qui ont la noble fermeté de dire : Eh bien faites-moi destituer si
vous voulez, je ne me déshonorerai pas par une lâcheté.
J’ai déjà cité MM. Petit et Dechange. Je dois citer
MM. Guillaumot et Durand. De pareils hommes honorent leur pays.
Eh bien ! messieurs, c’est une chose déplorable
à dire, ces hommes dont le pays doit s’enorgueillir, on n’osera pas les persécuter sans doute mais on les
laissera languir dans l’obscurité, et il y aura des récompenses pour toutes les
lâchetés. Quelle politique ! A quel abâtardissement vent-on mener la nation
! Quel temps que celui où les hommes de cœur doivent (page 177) être en révolte contre leur gouvernement ! Oh ! qu’elle
est grande la moralité de notre ministère
!
Lorsque les chiffres nécrologiques parlent avec une
éloquence invincible, je pense inutile d’entrer dans des dissertations scientifiques,
assez peu convenables ici ; quel moyen, d’ailleurs, d’apprécier les détails du
mémoire de M. Blondeel, sans vous fatiguer par un mémoire au moins aussi
volumineux que le sien ? Cependant, je ne puis m’en dispenser complétement.
Je dois d’abord réfuter un argument spécieux de MM. Blondeel et Fleussu, parce qu’il paraît
faire beaucoup d’impression sur M. le ministre des affaires étrangères.
Cet argument consiste à dire que le climat diffère peu
de celui de Vera-Cruz et de Batavia, qui ont pourtant prospéré.
Je dois examiner si l’émigration peut être un
remède au paupérisme. Mais je dois surtout combattre les conclusions
désastreuses de M. Blondeel.
Ces points à examiner se lient entre eux. Ils se rattachent,
comme vous allez le voir, aux lois qui régissent la population. C’est assez
dire que la question que je vais examiner est vaste et dangereuse ; mais sa
solution doit éclairer d’une si vive lumière les questions sociales qui se
débattent à chaque instant devant nous, que j’ai pensé ne devoir reculer devant
aucun des inconvénients de ma tâche.
Le sujet, en effet, est si vaste que mon embarras est
de le condenser en un discours, il me serait bien plus facile d’en faire un gros
volume : heureusement l’auditoire d’élite auquel je m’adresse a peu besoin de
longs développements !
La question est dangereuse : il est impossible de présenter
quelques vérités à certains yeux sans les blesser : l’illusion est si douce à
recevoir, si profitable à propager, que quiconque l’attaque doit être traité en
ennemi par beaucoup de gens. Aussi je m’attends bien à voir dénaturer mes
intentions. Quoi qu’il en puisse advenir, je ne veux pas moins dire ce qui est
ou ce que je crois vrai, et je n’emploierai d’autre réserve, d’autres ménagements
que ceux de stricte convenance dans un lieu aussi retentissant que la tribune.
MM. Blondeel et Fleussu disent que le climat de Santo-Thomas
est celui de toute la zone torride, et que sa salubrité ressemble à celle de la
Vera-Cruz, de la Havane et de Batavia, qui sont pourtant devenues des villes
riches et prospères... Et M. le ministre trouve que l’on peut bien acheter un
autre Batavia par quelques sacrifices !
Et d’abord je dis que toute la zone torride n’est pas
aussi insalubre que Santo-Thomas. Généralement les îles sont motus chaudes, les
continents sont moins humides.
Ensuite ce ne serait déjà pas trop vanter la
salubrité que de la comparer à celle
de la Vera-Cruz où la fièvre jaune règne constamment, à celle de Batavia où les
fièvres paludiques sont en permanence.
Quand les vice-rois du Mexique se rendaient à Mexico,
ils attendaient, à l’ancre devant le port de la Vera-Cruz, un moment favorable
pour débarquer, traversaient au galop les tierras calientes pour arriver vite
aux plateaux où l’air plus frais ne permettait plus aux miasmes de la fièvre
jaune de développer leur action.
Mais une colonie peut donc prospérer malgré son insalubrité.
L’insalubrité n’est donc qu’un plus
on moins grand obstacle qui n’est jamais absolu. Selon moi, cela est
incontestable. Vous voyez, M. le ministre, que je vous fais la part belle. L’exemple
de Batavia est frappant. La population y est devenue considérable malgré des
pertes d’hommes énormes. Nous allons voir comment peut se produire ce
phénomène.
La nature, marâtre envers les individus, a déployé pour
les espèces une prévoyance toute maternelle. Afin d’assurer la conservation des
races contre tous les événements, elle en a projeté les germes avec une
profusion presque infinie. Les plus cruelles épidémies, les guerres les plus
sanglantes, en un mot les destructions d’hommes, si grandes qu’elles soient,
n’agissent sur la population que pour autant qu’elles atteignent en même temps
les sources de la production.
En vain les hommes sont détruits, il en naît au moins
autant d’autres : c’est (la comparaison est exacte quoique peu flatteuse),
c’est comme les mauvaises herbes que l’on arrache en vain sur un champ. Mais
remarquez pour la population la condition essentielle : la production.
Il serait facile à Guatemala de produire des substances
alimentaires. Mais ne suffit pas à des Européens d’avoir des bananes à manger.
Il leur faut au moins des habitations, des vêtements, des meubles tels quels.
Comment les obtenir ? On ne peut se les procurer que par des échanges, et il
faudrait par conséquent produire quelque chose d’utile aux étrangers : du
sucre, du café, de I indigo, par exemple. Mais je vous l’ai dit dans un autre
discours : impossible de soutenir la concurrence avec les pays à esclaves.
Je suppose que Santo-Thomas soit un lieu convenablement
choisi pour le commerce ; je suppose qu’on y soit sans concurrents, ou qu’il
soit facile de les vaincre ; je suppose un capital convenable ; je suppose que
le comptoir établi soit régi par des hommes capables, je suppose que le
comptoir établi soit régi par des hommes capables, je suppose que ces hommes
n’emploient leur capacité qu’au succès de la colonie et non à leur propre
profit.
Tout cela n’est que supposition. Eh bien, dans ce cas,
Santo-Thomas prospérerait ; malgré la fièvre jaune, malgré la peste, il prospérerait,
et sa population deviendrait nombreuse ; cette prospérité générale serait
achetée par des souffrances individuelles cruelles, car on ne meurt guère sans
souffrir ; l’humanité aurait à gémir,
mais il y aurait une grande cité
de plus. Autour de cette ville, les campagnes se défricheraient comme
d’elles-mêmes pour la nourrir.
Je crois que, dans cette conjoncture même, j’aurais
dû des avertissements au public ; mais lorsque j’ai vu prendre la chose à rebours,
lorsque j’ai vu commencer par envoyer un grand nombre d’hommes, lorsque j’ai vu
la monstrueuse idée de coloniser par les blancs, dans la zone torride, dans la
plus mauvaise partie de la zone torride, alors pouvais-je me taire ? Ne
devais-je pas me révolter contre une pareille stupidité, sinon une horreur ?
Est-ce une stupidité, est-ce une horreur ? Vous
serez peut-être aidés à décider cette question par ce passage de M. Blondeel ;
il est curieux (p. 93) :
« Cet état de choses
est encore nouveau et n’a été établi ou toléré que lorsque la population de la
colonie était diminuée (M. Blondeel
a eu l’attention de souligner le mot diminuée) des deux tiers ; lorsque celle
qui restait avait perdu dans les luttes précédentes sinon toute sa santé, du
moins son énergie, lorsque ces hommes qui avaient abandonné leur patrie pour
s’établir à 2,500 lieues de chez eux, avaient perdu ce qu’on appelle trop
dédaigneusement des illusions, car c’est avec l’immense levier des illusions
que toute grande chose se fait dans le monde ! »
Quelles réflexions ne pourrait-on pas faire sur cette
philosophie exprimée d’une manière fort naïve pour un diplomate, fort peu morale
pour un catholique.
L’émigration peut-elle être un remède au paupérisme
?
C’est une opinion qui court avec assez de crédit dans
le monde. Elle prend sa source dans une vérité entrevue, mais non suffisamment examinée :
c’est que jamais la partie malheureuse d’une nation n’obtient un si grand
allégement à ses souffrances que quand la population peut s’accroître, soit
pour réparer une perte, soit pour suffire à un besoin qui se crée. Ainsi c’est
une remarque constante que l’on a toujours éprouvé un certain bien-être après
les fléaux dévastateurs, surtout les pestes.
Par contre il n’est pas moins vrai qu’un grand bien-être
amène consécutivement des catastrophes la hausse des salaires crée la population,
la population trop nombreuses fait baisser les salaires. Tout cela, comme une
mer agitée, est dans une fluctuation constante qu’augmente ou contrarie
l’abondance ou l’insuffisance des récoltes. Je fais en passant cette réflexion
pour indiquer le danger de travaux publics trop multipliés.
Examinons cette vérité en fouillant jusque dans sa source.
Nous avons vu les précautions de la nature pour assurer la perpétuité des
espèces ; nous devons voir celles qu’elle a prises pour les maintenir dans certaines
limites de multiplication. Il fallait bien, à côté de cette infinie fécondité,
de puissants moyens de destruction. Près de la plupart des espèces elle en a
placé d’autres plus puissantes qui en font leur pâture ; mais l’homme puissant,
sinon par sa force, au moins par son intelligence, dompte toutes les autres
créatures et ne peut être ainsi arrêté dans sa propagation. Comment sa race se
borne-t-elle ? Elle se borne par elle-même, elle se borne par ce combat dont on
vous a plusieurs fois entretenus. Il n’y a qu’une certaine quantité de substances
alimentaires, la lutte a lieu à qui la conquerra : lutte de diverses
formes selon les temps et les lieux : par la violence et par la ruse, par
le travail et par le talent.
Pendant que le bon abbé de Saint-Pierre rêve la
paix perpétuelle, une guerre incessante agite les hommes. Quand ils ne
combattent pas avec le fer, c’est par la concurrence, par la rivalité.
On commence, dès le jeune âge déjà, à exciter chez les
enfants l’ardeur de la lutte sous le nom d’émulation. Plus tard, viennent les
affaires escortées de procès. Le combat prend toutes sortes de figures, même
celle du jeu, et ce n’est pas sous cette forme qu’il consomme le moins de ruines.
Dans toute profession (il faut excepter les monopoles) la lutte est établie ;
dans toute profession existe, pour le plus grand nombre de ceux qui les exercent, un malaise insupportable que n’adoucira
certes pas la chimère de l’organisation du travail. Et cette chambre,
messieurs, qu’est-ce sinon une arène ? Le sang n’y coule pas, mais vous savez
quelles cruelles blessures on peut s’y faire, et le public, comme les
spectateurs du cirque, témoigne son impatience si quelque athlète ne combat pas
avec un acharnement satisfaisant.
Et c’est en vain que vous effaceriez nos divisions de
catholiques et de libéraux. Le lendemain du jour où un pareil résultat serait
obtenu, vous verriez la division s’établir entre Wallons et Flamands, entre
progressistes (page 178) et conservateurs,
entre prohibitionnistes et free-traders,
ou de quelque autre manière.
Entre ceux qui tiennent de leurs pères la provision
qu’on appelle fortune ou les armes qu’on appelle instruction, le combat a pour effet
de faire descendre le vaincu dans une région plus basse de la société, de le
priver de certains avantages ; mais à la limite inférieure d’une nation, ou ne
lutte plus pour une place plus ou moins bonne, on lutte pour vivre.
Vous n’attendez pas de moi que j’entre dans les détails
et que je montre comment l’homme n’obtenant, malgré ses pénibles efforts, qu’une
nourriture imparfaite est incapable de résister à la première épidémie qui ne manque pas de survenir.
Ainsi les résultats de la lutte : la misère et
la malade sont les moyens par lesquels se borne l’espèce humaine. Ces moyens s’exercent
partout et toujours, parce que partout il naît plus d’hommes qu’il n’y a de
possibilité d’en nourrir ; seulement la misère est moins grande quand la
disproportion est moins considérable. Il y a toujours excès de population, mais
cet excès varie et fait varier le degré de misère. En effet, la misère résulte
justement de l’impossibilité dans laquelle se trouve la population de s’étendre
aussitôt qu’on lui recule ses limites, c’est-à-dire, qu’on lui offre des moyens
plus étendus de subsistance, la misère disparaît en partie ; elle disparaîtrait
complétement, ainsi que presque toutes les épidémies dont elle est la
principale cause prédisposante, si les hommes trouvaient à profusion, comme
beaucoup d’animaux, les objets de leurs besoins ; mais alors aussi la
population croissant sans obstacle, au bout de peu de temps le globe ne
suffirait plus pour la contenir. A ce point le combat devrait recommencer pour
l’espace.
C’est, en effet, la forme de combat qui existe entre
les végétaux : les germes les plus vigoureux et les mieux placés étouffent
les autres.
C’est difficile à dire, messieurs, mais il le faut bien,
le palliatif dont se sert la nature pour diminuer la misère, c’est la maladie
et la mort.
M. Castiau. - Et les médecins.
(Interruption.)
M. Sigart. - Propos
d’hypocondriaque. Au reste, je ne suis pas ici pour défendre les médecins. (Autre interruption.)
Je dis donc que c’est là le palliatif naturel de la
misère (s’il est permis de donner le nom de palliatif à l’une des plus terribles
lois de la nature). L’émigration enlevant aussi une partie de la population, ne
peut-elle pas être aussi un palliatif ? Pour produire cet effet, il faudrait
qu’elle pût imiter exactement l’épidémie, il lui faudrait sa puissance, il
faudrait qu’elle agit sur les faibles et qu’elle eût des retours inopinés.
Je dis qu’il lui faudrait sa puissance ; mais quelles
proportions lui faudrait-il prendre pour acquérir la puissance d’une épidémie
souvent inaperçue, parce qu’elle exerce ses ravages sur la partie la moins en
vue de la société : les enfants des pauvres ? Il faudrait qu’un
essaim innombrable s’élançât de la mère patrie, comme au temps de l’invasion
des barbares.
Je dis qu’elle devrait agir sur les faibles, et au contraire,
elle agit comme la guerre, elle emporte particulièrement les hommes vigoureux.
Enfin, et surtout, je dis qu’elle devrait être
inattendue : une émigration prévue, comme une mortalité prévue, n’apporte
aucun soulagement. Personne de vous n’ignore que chaque comté d’Irlande envoie
annuellement en Amérique des milliers de ses habitants sans pouvoir faire
élever le prix des salaires ; comme vous savez parfaitement que l’insalubrité
des marais Pontins n’y empêche pas la misère.
Pourquoi cette dernière condition, messieurs ? La raison
en est bien simple ; c’est que si, après une dépopulation imprévue, l’abondance
règne, c’est que tout avait été préparé pour un plus grand nombre de
consommateurs. Il va sans dire que ce bien-être des consommateurs n’a lieu qu’aux
dépens des producteurs. On comprend aisément que les substances alimentaires
étant trop abondantes, étant plus offertes que demandées, leur prix doit
s’avilir ; niais cet état de choses peut-il durer ?
Le cultivateur ne trouvant pas la rémunération de son
travail cessera de cultiver, emploiera autrement son capital et ses soins, il
laissera la terre en friche ou lui fera produire d’autres denrées plus profitables.
Peut-on espérer que le cultivateur produise autant de denrées alimentaires,
s’il s’aperçoit, par la diminution de leur prix, que le nombre des
consommateurs est diminué ? Peut-on espérer, si la population s’abaisse, que la
nourriture ne diminuera pas dans la même proportion ? N’abandonnera-t-on
pas d’abord les plus mauvaises terres, puis les médiocres et ainsi de suite ?
Ne verra-t-on pas ce qu’on a vu arriver en Sicile ? Ce pays si fertile,
autrefois le grenier de l’empire romain, n’est-il pas aujourd’hui presque
stérile ?
Il n’est pas de mon sujet d’examiner les nombreuses
conséquences qui découlent des principes que j’ai posés, je puis à peine énoncer
les suivantes : c’est que :
La diminution soutenue du nombre des hommes n’empêcherait pas qu’il n’y eût un
excédant pareil à celui qui existe, pareil à celui qui existait quand la population
n’était que la moitié de ce qu’elle est aujourd’hui ; c’est que si, d’une part,
il y a tendance de la population à s’élever au-dessus du niveau des subsistances,
d’autre part il y a tendance des subsistances à descendre au niveau de la
population : c’est que la misère, espèce de bordure ou lisière qui environne l’espèce humaine, se
rétrécit un instant quand la population s’accroît et s’élargit aussitôt qu’elle
doit rester stationnaire ou diminuer.
Un autre jour j’espère bien avoir occasion d’examiner avec vous ce grave sujet et,
laissant de côté de funestes illusions, de vous proposer les véritables moyens
d’agir sur le paupérisme. Aujourd’hui je dois me borner à poser une seule
conclusion, mais bien nette : c’est que l’émigration telle qu’elle peut exister
de nos jours, c’est-à-dire limitée et prévue, ne peut en aucune manière être
utile aux malheureux.
Les observations économiques que j’ai développées plus
haut montrent combien sont malheureuses les conclusions du mémoire formant la
réponse à la 29ème question du gouvernement.
Le gouvernement avait posé cette question : Par quels
moyens pourrait-on arriver à de plus heureux résultats ?
On répond :
1° Il faut augmenter la population et appeler les Indiens
de l’intérieur.
2° (…)
3° (…)
4° Il faut avoir de l’argent et travailler.
Il n’y a pas de doute, de nouvelles catastrophes seraient
le résultat de l’adoption de ces conclusions.
La nouvelle population que l’on appellerait périrait
comme l’autre, à moins qu’on ne lui fournît non du travail, mais du travail à
peu près supportable et surtout productif. Alors il périrait toujours énormément
de monde, mais la colonie ne périrait pas.
M. Blondeel, tombant dans une de ces contradictions
dont son mémoire abonde, paraît d’ailleurs de cet avis, à la page 100, lorsqu’il
dit : La population ne peut s’accroître qu’avec l’accroissement des ressources.
A mon tour, j’arrive à une conclusion :
Dans la zone torride, et moins à Santo-Thomas qu’ailleurs,
il n’y a pas de colonisation
possible par les blancs. La compagnie l’a reconnu.
Je ne juge pas la question commerciale, les éléments
me manquent ; mais de quelque manière qu’on la décide, une grande population est inutile à Santo-Thomas.
Il ne faut que des négociants et des commis. Si le comptoir peut prospérer, il
n’est pas besoin de s’occuper du reste. Tout autour la population nécessaire se
créera toute seule.
La compagnie n’a pas d’intérêt à conserver là-bas des
gens la plupart malades et qui ne font rien (p. 94).
Elle a à la vérité des contrats avec la république,
mais l’article par lequel elle a contracté l’obligation de peupler, n’a pas plus
de force que les autres qui sont inexécutés, comme l’établissement de routes carrossables et la navigation
à vapeur sur la Montagna. Aussi bien les colons y périront.
En conséquence, elle devrait les ramener en Belgique.
A son défaut, pouvons-nous le faire ?
Je le crois.
Cependant je n’irai pas jusqu’à vous proposer de
les ramener tous. Je respecterai le contrat par lequel certains colons sont
liés. Mais nous pouvons, nous devons ramener en Europe les orphelins et les
personnes libres qui demandent à revenir dans leur pays.
J’ai donc l’honneur de vous faire la proposition suivante :
« Le gouvernement
ramènera en Belgique les
orphelins et les personnes libres qui le demanderont. «
Je traduirai cette proposition en amendement au budget,
lorsque j’aurai reçu les explications que va sans doute, me donner M. le
ministre.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M.
Dechamps). - Messieurs, j’ai été quelque temps à me demander
comment l’honorable membre avait traité la question relative à Santo-Thomas, à
propos du budget de la marine. Je viens
de comprendre la connexité qu’il a établie entre ces deux questions. Selon l’honorable
membre, le gouvernement devrait ramener, sinon tous les colons, au moins
quelques-uns et les orphelins, probablement au moyen des navires de l’Etat.
M. Sigart. - Nous discuterons les moyens tout à l’heure,
quand vous nous aurez donné des renseignements.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M.
Dechamps). - Car si l’honorable membre ne prend pas cette
conclusion, je ne comprends pas encore une fois quelle connexité il établit entre la question de Santo-Thomas et
le budget de la marine.
D’abord, messieurs, je ferai cette remarque avant
toute discussion, c’est qu’il est impossible de se servir des bricks de la
marine royale pour ramener les colons, par une raison très simple, c’est que
ces bricks, comme chacun sait, ne sont pas organisés pour des transports
d’hommes.
M. Sigart. - Ils en ont conduit.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M.
Dechamps). - Très peu. Il ne faut pas de grandes
connaissances en fait de marine pour savoir qu’il est impossible de faire
servir ces bricks pour le transport des colons et des orphelins. Il faudrait
donc affréter des navires étrangers ; le
budget de la marine est donc
assez étranger à la question de colonisation.
(page 179)
Cependant ce n’est pas une fin de
non-recevoir que je veux poser.
Messieurs, je témoignerai un regret, c’est que l’honorable
membre n’ait pas cru devoir attendre que le rapport de M. Blondeel fût
complétement imprimé et mis sous les yeux de la chambre, pour entretenir celle-ci
de la question de Santo-Thomas et arrive surtout à une conclusion.
La première partie du rapport de M. Blondeel est relative
à l’état sanitaire de la colonie,
aux causes de mortalité qui ont existé,
à la salubrité du climat. La seconde partie est relative au côté commercial de
la question.
Messieurs, ce rapport est un travail sérieux, Il a été
fait avec un soin extrême. Je crois qu’il eût été convenable, avant que la chambre
puisse prendre une détermination en connaissance de cause, d’attendre au moins
que tous les documents de l’enquête fussent sous ses yeux. Une première partie de ces
documents est seulement parvenue à la connaissance des membres de la chambre ;
il serait donc difficile de discuter d’une manière complète cette importante
question.
Si cependant la chambre juge bon que je réponde au discours
de l’honorable membre, je suis prêt à le faire. (Parlez !)
Il n’est pas inutile, du reste, de rectifier une partie
des faits que l’honorable M. Sigart a signalés. Je ne veux prendre aucune
conclusion, je veux me faire simple rapporteur des faits, tels qu’ils ont été révélés par l’enquête.
Relativement à la question
sanitaire et de salubrité du
climat, l’honorable M. Sigart arrive sur tous les points à des conclusions opposées à celle à laquelle
aboutit le rapport de M. Blondeel. Notre consul général, après avoir fait connaître l’historique
des faits et les opinions des docteurs Fleussu et Durand,
résume son travail en concluant
que le climat n’est pas un obstacle à la colonisation, qu’il est moins
insalubre que celui de la plupart des contrées
tropicales, que les causes de la grande mortalité dc 1844 sont accidentelles et peuvent disparaître. M. Sigart affirme tout le
contraire : les causes de la mortalité, selon lui, sont permanentes, elles résident dans le climat que M. Sigart envisage comme mortel. Je vais tâcher de
rétablir les faits le plus exactement possible.
L’honorable membre a dit,
en commençant, qu’il s’attendait à voir ses intentions dénaturées et méconnues. Je crois que personne, dans cette chambre, ne viendra dénaturer les
intentions de l’honorable membre
; ces intentions sont très louables : l’honorable
membre a une conviction formée ;
il croit que le climat de la
colonie est insalubre à tel point
que la vie des colons y est compromise ; il en tire cette conclusion fort juste, à son point de vue, que le gouvernement doit ramener les orphelins
et les autres colons qui désirent
revenir. En effet, messieurs,
si les faits étaient tels que les voit l’honorable membre, le gouvernement devrait ramener les colons quels que fussent les inconvénients attachés à une intervention
de ce genre. Mais voyons quels
sont en réalité les faits.
L’honorable membre a examiné le rapport de M. Blondeel au point de vue des causes attribuées à la grande mortalité qui a régné à Santo-Thomas. Vous savez, messieurs, que, dans son rapport, notre consul
général s’appuie sur deux témoignages,
le témoignage de M. le docteur Fleussu et le témoignage de M.
le docteur Durand ; il les
compare et il émet ensuite ses propres
idées, il fait connaître ses propres impressions.
L’opinion de M. Fleussu, partagée
par M. Blondeel, est favorable à la colonisation
; il croit que le climat est relativement salubre, c’est-à-dire, qu’il ne pense pas que la colonisation puisse
rencontrer un obstacle dans le climat, Telle est aussi la conclusion du rapport
de M. Blondeel.
L’honorable M. Sigart
récuse et le témoignage de M. Blondeel et celui du docteur Fleussu, c’est-à-dire ceux qui sont
contraires à l’opinion qu’il a émise ; il n’admet comme valable
que l’opinion du docteur Durand qui se rapproche un peu plus de la sienne.
Entre le docteur Fleussu et le docteur Durand, a dit M. Sigart, Il ne faut pas hésiter à se prononcer pour ce dernier.
Je vous avoue, messieurs, que je ne comprends pas pour quel motif
nous suspecterions la sincérité de l’opinion de M. Fleussu :
il se trouve dans la colonie depuis l’origine, c’est-à-dire depuis le 20 mai 1843. Le docteur Fleussu a fait preuve d’un dévouement
bien rare ; depuis la naissance
de la colonisation jusqu’à ce
jour il a voué, sans interruption, ses soins aux colons ; c’est lui qui a traité à peu près seul tous les malades, pendant l’épidémie et
depuis. Le caractère du docteur Fleussu
est connu comme un des caractères
les plus honorables, et certes, ce n’est pas en vue d’un intérêt d’argent
ou d’une perspective d’avenir, qu’il
est resté attaché au sort de cette
colonie depuis près de trois ans. Sachons honorer le dévouement quand nous le
rencontrons. Pour moi, je me
plais à lui donner ici un
témoignage de la reconnaissance du gouvernement pour les soins qu’il a donnés aux colons belges.
Le
docteur Durand, dont je respecte l’opinion au même degré, a passé accidentellement
par la colonie ; son témoignage,
aussi consciencieux que celui du docteur Fleussu, doit-il cependant prévaloir sur ce dernier, alors que M. Fleussu,
qui habite la colonie depuis 1843, a pu soumettre les faits à une beaucoup plus
longue expérience ? Je vous laisse, messieurs, le soin de faire cette appréciation.
Eh bien, quelle est l’opinion de
M. le docteur Fleussu ? Le résumé de son
opinion est celui-ci. Après avoir cherché à établir que la mortalité
de 1844, pendant l’épidémie,
n’était pas due exclusivement au climat et que les défrichements n’ont pas été
la cause principale de la maladie, le docteur Fleussu affirme que Bélize, la
Vera-Cruz, la Nouvelle-Orléans, la Havane, ces grands centres de commerce et de
population, se trouvent dans une position beaucoup plus défavorable, sous le
rapport du climat. que la ville naissante de Santo-Thomas. L’honorable M.
Sigart a répondu qu’en effet la plupart de ces pays, situés entre les
tropiques, n’avaient qu’un climat insalubre, Si l’on veut établir une comparaison
entre les climats des pays tropicaux et
celui de Belgique, par exemple,
évidemment les premiers climats seront relativement insalubres. Mais la
question n’est pas là : la question était de savoir si le climat de
Santo-Thomas se trouvait dans des conditions plus défavorables que le climat
des autres colonies espagnoles,
portugaises ou anglaises. Or, l’honorable membre n’a pas même contesté ce
fait : le climat de Santo-Thomas n’est pas plus mauvais,
il est plutôt meilleur que celui des pays que je viens de citer ; au moins
c’est l’opinion de M. le docteur Fleussu et de M. Blondeel ; c’est
l’opinion d’hommes capables, qui se sont
trouvés sur les lieux et qui ont pu, mieux que l’honorable membre,
apprécier le fait.
Avant de rappeler l’opinion de M. Blondeel, qui a été
chargé de faire l’enquête, que la
chambre me permette de dire, ici
en passant, que le gouvernement a choisi M. Blondeel pour cette mission, parce
que d’abord il avait confiance dans ses lumières et dans son expérience, M. Blondeel
ayant déjà été chargé d’une mission à peu près analogue en Abyssinie ;
qu’il avait rempli cette mission à l’entière satisfaction du gouvernement,
qu’il y avait fait preuve d’un grand dévouement, qu’il y avait même exposé ses
jours ; parce que M. Blondeel était dans des conditions d’impartialité,
n’ayant jamais eu de rapports directs ni indirectes avec la compagnie ; le
gouvernement a donc cru trouver en lui un homme entièrement désintéressé dans
la question, et un agent d’expérience, de capacité et d’un caractère honorable.
Voici donc l’opinion de M. Blondeel :
« Si la question de savoir si le climat de Santo-Thomas
est un obstacle au succès de la
colonie, était soumise à chacun des 286 Européens qui forment la population de
Santo-Thomas, en les laissant à leurs propres inspirations, il ne viendrait à
l’esprit d’aucun de la résoudre affirmativement. En résumé consciencieux de
toutes mes observations, tant ici que dans mes voyages en Asie et en Afrique,
je dirai en peu de mots : Ce serait une illusion que de s’attendre à
trouver sous les tropiques une terre salubre pour les Belges au même degré que
certaines parties de la Belgique ; mais cette insalubrité relative, d’une
nature assez maligne pour qu’on puisse légitimement reprocher à tous les chefs
d’administration à Santo-Thomas, d’avoir néglige certains travaux
d’assainissement, certaines mesures de prévoyance et d’hygiène, ne l’est pas assez pour que l’on puisse la regarder
comme un obstacle à la colonisation. La comparaison du docteur Fleussu, de
Bélize, de Vera-Cruz, de la Nouvelle-Orléans et de la Havane avec Santo-Thomas,
est un raisonnement sans réplique, et l’on pourrait indiquer de même cent
autres points. Je me bornerai à citer Java, plus connue en Belgique.» M.
Blondeel émet ailleurs l’opinion que, dans des conditions hygiéniques
satisfaisantes, il y aura peut-être à
Santo-Thomas moins de maladies graves qu’en Europe.
L’honorable M. Sigart, qui s’appuie exclusivement
sur le témoignage de M. le docteur Durand, va beaucoup plus loin que ce docteur
lui-même. Je vais faire
connaître l’opinion de M. le docteur Durand, et vous verrez, messieurs, que le
docteur Durand est très loin de trancher la question du climat comme le fait l’honorable M. Sigart.
« Je considère,
dit-il, l’exhalaison ds miasmes provenant de la décomposition putride de la vase des marais,
soit des terres vierges de la forêt, soit des terres nouvellement
remués ou défrichés, comme un aliment
permanent de la viciation de
l’air, comme constituant à elle seule une cause d’insalubrité et concourant avec les autres causes au développement
de la maladie. - Des circonstances analogues ont contrarié les tentatives de colonisation dans toutes les contrées basses
de la zone torride, et malgré cela, elles n’ont été jusqu’ici que bien rarement considérées comme un obstacle
insurmontable à toute réussite. Il
ne faut pas se bercer de l’espoir de pouvoir appliquer à Santo-Thomas
la qualification de salubre, en
comparaison des belles parties de la Belgique. Il ne m’est pas donné de
me prononcer d’une manière tranchée sur une question aussi grave. Ce qui est commencé par une société et avorte entre des
mains inhabiles, faute de moyens et de prévoyance, peut s’accomplir par une
nation qui sait tirer profit de son argent et de son drapeau. »
Vous voyez donc, messieurs, que le docteur Durand, tout
en constant l’état actuel de l’insalubrité de la colonie à ses yeux, n’ose pas
trancher cette question pour l’avenir.
M. le docteur Durand, après avoir constaté dans un autre
passage que la cause principale de l’épidémie
de 1844 a été le dégagement
des gaz toxiques des forèts vierges, opéré par le défrichement, cite pour
exemple les défrichements opérés dans notre forêt de Soignes, défrichements
qui, dit-il, ont provoqué des fièvres typhoïdes, lesquelles ont décimé les populations voisines. Il considère
cependant les défrichements opérés dans de bonnes conditions, comme devant
contribuer à l’assainissement même des localités. La cause de l’épidémie de
1844 à Santo-Thomas n’est donc pas permanente, aux yeux de M. Durand.
L’opinion de M. le docteur
Durand n’est pas, il est vrai, aussi favorable que celle de M. le docteur
Fleussu et de M. Blondeel à la situation climatérique de Santo-Thomas ; mais
elle est beaucoup moins absolue que celle de l’honorable M. Sigart.
L’opinion de l’honorable M. Sigart arrive à une conclusion
tout contraire à celle de l’enquête qui a été faite par l’honorable M.
Blondeel. M. Blondeel conclut en disant que, quelles que soient les vicissitudes
qui puissent attendre la compagnie, la colonie existe et qu’elle existera ;
l’honorable M. Sigart nous prédit, au contraire, que la colonie périra.
Eh bien, messieurs, j’avoue que jusqu’à ce que d’autres
faits nous soient connus, et malgré la confiance e que je puis avoir dans
l’opinion de l’honorable M. Sigart, je dois placer plus de confiance encore
dans l’opinion de l’agent qui, sous sa responsabilité, a dirigé l’enquête dont
les résultats sont actuellement soumis à l’examen des membres de la chambre.
Mais, messieurs, indépendamment de ces opinions qui
peuvent varier plus ou moins sur les causes de la maladie, sur l’état du climat
de Santo-Thomas, je veux faire connaître en résumé tous les faits de mortalité depuis
le 20 mai 1843 jusqu’au mois de juillet dernier ; et de ces chiffres nécrologiques,
comme l’a dit l’honorable M. Sigart, il résultera que les causes de la grande mortalité qui a frappé 1es colons en
1844, ont été surtout accidentelles.
C’est à l’encombrement des colons amenés en trop grand
nombre, à la misère que cette population trop forte a créée, aux mauvaises
mesures hygiéniques adoptées, au mauvais système d’alimentation, enfin à toutes
les causes malheureuses qui ont pesé sur la colonie pendant longtemps, qu’il
faut attribuer cette épidémie qui a décimé les colons, plutôt encore qu’à des
causes inhérentes au climat.
Voici les chiffres que je trouve dans le rapport de
M. Blondeel ; j’y ajouterai des renseignements postérieurs à ce rapport jusqu’en
août dernier.
Du 20 mai 1843 au 1er mars 1844, il n’y a eu
aucun décès ; ce fait est déjà remarquable, chacun sait que les colons européens,
dans les pays tropicaux, courent surtout des dangers pendant les premiers mois
d’acclimatation.
Un
membre. - Quel était le nombre des colons ?
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M.
Dechamps). - Il y avait 56 colons !
Du mois de mars 1844 au mois de juillet même année,
il y a eu 41 décès ; du mois d’août 1844 à la fin de janvier 1845, c’est-à-dire
pendant l’époque de l’épidémie, il y a eu 176 décès sur 880 colons. Cette
épidémie effrayante a coïncidé avec l’arrivée du navire le Théodore qui est venu déverser une
quantité considérable de colons, au moment où les habitations manquaient déjà à
ceux qui se trouvaient à
Santo-Thomas.
Depuis la fin de janvier la décroissance de la mortalité
a été continuelle et l’état sanitaire a été s’améliorant sans interruption.
Ainsi du 1er février au 1er juin, en quatre mois il y a eu 33
décès ; du 1er juin 1845 à la
fin du mois d’août, il y en a eu 12 ; du 1er septembre 1845 au 1er janvier
1846 il y a eu 4 décès.
J’ai sous les yeux un état sanitaire de la colonie signé
par le docteur Fleussu et comprenant les six premiers mois de 1846. Du 1er janvier de cette année jusqu’au 1er juillet,
il n’y a eu que six décès dus à des
causes étrangères au climat.
Voici comment le docteur Fleussu termine ce rapport,
daté du 7 septembre dernier :
« La bonne santé des colons, les forces qui leur
reviennent avec l’embonpoint, le petit nombre d’indispositions que l’on rencontre
chez les anciens qui sont acclimatés, la conservation des nouveau-nés, l’absence
des fièvres intermittentes pendant quelques mois, tout porte à croire que les
faits appuieront de plus en plus l’opinion que j’ai émise sur le climat, la
nature et la cause des maladies, et que la question de salubrité sera dans peu
résolue d’une manière satisfaisante. «
Ainsi, messieurs, presque toute la mortalité se concentre
du mois d’août 1844 à la fin de janvier ou février 1845 ; avant cette épidémie
et depuis cette épidémie, la mortalité, loin d’être effrayante, a presque
toujours été à peu près normale.
Mais, messieurs, si l’on rapproche ces faits de certains
autres consignés dans le rapport, on reconnaîtra que ces causes ont été en
grande partie accidentelles ; qu’elles ont été non seulement la conséquence des
fautes commises, teltes que la grande agglomération des colons, les mauvaises
mesures hygiéniques, la mauvaise alimentation, mais qu’elles ont tenu aussi à
des causes personnelles aux colons. Ainsi, parmi les 176 cotons morts pendant
les mois d’épidémie, il y a eu 103 enfants.
Un autre fait est signalé dans le rapport, c’est que
parmi les colons arrivés à Santo-Thomas, 116 étaient malades à l’arrivée, une
partie atteints de maladies héréditaires. Parmi ces 116 malades, 106 sont morts.
Rapprochez ces faits : sur 211 morts à la date du 1er novembre 1845, il y a eu 103 enfants et
106 colons qui, à leur arrivée, étaient déjà frappés de maladies.
Indépendamment de ce fait, il en est un autre sur lequel j’appelle l’attention
de la chambre ; le rapport de M. Blondeel constate que les mois insalubres sont
juillet, août, septembre et octobre, c’est-à-dire la saison des pluies et de
chaleur humide. Depuis la création de la colonie, quelle a été la mortalité
pendant chacune de ces périodes insalubres ? De la fin de juillet au mois
d’octobre 1843, il n’y a eu aucun décès ; pendant les mois d’août, septembre,
octobre 1844, époque de la grande épidémie, il y a eu une grande mortalité ;
pendant les mêmes mois de 1845, six
à huit cas de décès ont été constatés. D’après le rapport sanitaire du docteur
Fleussu, dont je viens de donner l’analyse, pendant les mois de juillet et août
1846, il y a eu trois décès ; et le docteur Fleussu constate que les accès de
fièvre intermittente ont presque entièrement disparu.
Messieurs, voilà les faits qui résultent du rapport
de M. Blondeel ; le gouvernement n’a pas d’autre document que l’enquête qu’il a
ordonnée et il ne peut s’appuyer que sur ceux-là pour se former une opinion. L’honorable
membre peut ne pas partager l’opinion de M. Blondeel ; mais jusqu’ici les faits
semblent pleinement la confirmer.
Le gouvernement ne peut donc pas admettre qu’il y ait
péril pour les colons et les orphelins, que le climat de la colonie soit tellement
insalubre qu’il soit nécessaire de prendre une mesure extraordinaire comme
celle que propose l’honorable membre.
Voici les motifs pour lesquels le gouvernement n’a pas
cru devoir intervenir pour faire revenir les colons et les orphelins.
D’abord, messieurs, il ne faut pas perdre de vue
que la compagnie de colonisation de Santo-Thomas s’est engagée à ramener, à ses
frais, en Belgique, tous les colons qui le demanderaient et tous les orphelins
qui seraient réclamés par leurs familles ; je crois du moins que tous les
colons se trouvent dans cette position ; et jusqu’à présent la compagnie a rempli ses engagements. Notre consul
à Guatemala a pour mission spéciale de surveiller la compagnie à ce point de vue pour connaître si
elle accomplit exactement ce devoir sacré.
Messieurs, depuis un an surtout, les colons ont trouvé
des occasions assez fréquentes de revenir en Belgique. Plusieurs sont revenus.
Un
membre. - Aux frais de la compagnie ?
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M.
Dechamps). - Je
le pense. L’honorable M. Sigart
vient de citer lui-même un fait. Il a rappelé que le navire le Comte de Flandre, qui est parti il
y a quelques mois de Santo-Thomas, doit ramener vingt colons. Je citerai un
fait récent. L’Iéna a ramené
plusieurs colons aux frais de la compagnie.
M. Veydt. - L’Iéna est parti le même jour et a ramené trois colons.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M.
Dechamps). - J’ajoute
que, sur cinq colons, trois sont revenus pour retourner à Santo-Thomas avec
leur famille.
Ainsi, messieurs, les colons qui sont à Santo-Thomas
y restent de leur plein gré, ; car ils ont pu, lorsqu’ils l’ont voulu, revenir
en Belgique, si tel était leur désir. Les navires assez nombreux qui ont abordé
à Santo-Thomas leur ont offert l’occasion de quitter la colonie, et nous
n’avons aucun fait qui porte à croire que la compagnie ait refusé de satisfaire
au vœu manifesté par les colons.
Relativement aux orphelins, la question est plus délicate,
et je dois dire que le gouvernement n’a négligé aucun des devoirs de surveillance,
d’humanité qui lui sont imposés.
Messieurs, vous avez vu, dans le rapport de M. Blondeel, qu’un local spécial est affecté
aux orphelins, que ce local est parfaitement convenable, que le régime alimentaire
est sain, régulier et varié ; qu’ils sont l’objet de soins dignes d’éloge, de
la part du directeur de la maison, qui leur donne en même temps l’éducation.
L’année dernière, l’honorable M. Veydt nous a donné des détails assez
circonstanciés sur la situation dans laquelle se trouvaient les orphelins, sur
les soins qui leur étaient donnés.
M. Veydt. - Ces détails sont complétement confirmés
par M. Blondeel.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M.
Dechamps). - Messieurs,
je le répète, le gouvernement a donné des instructions très précises à notre
consul à Guatemala afin que les orphelins puissent être secourus, si la
compagnie manquait à ses engagements. On a craint une fois un état de pénurie,
c’était avant l’arrivée du Comte de
Flandre ou de l’Iéna. Eh
bien ! notre consul était prêt à intervenir en faveur des orphelins, si la
compagnie avait manqué à ses devoirs. Mais nous n’avons reçu communication
d’aucun fait qui pût faire croire à la nécessité de notre intervention directe.
M. Verhaegen. - Je demande la
parole.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M.
Dechamps). - En présence de ces faits, en présence de la
liberté complète laissée aux colons de revenir en Belgique, lorsqu’ils le
voudront, en présence des détails favorables qui sont parvenus au gouvernement
sur la manière dont sont traités les orphelins, que devait faire le
gouvernement ?
Messieurs, veuillez bien remarquer que non seulement
l’intervention du gouvernement eût été intempestive, mais qu’elle eût été
dangereuse à un autre point de vue, et je prie l’honorable M. Verhaegen, qui
vient de demander la parole pour me répondre,
de faire attention à ce que je vais dire.
Des engagements existent entre les colons, les familles
des orphelins et la compagnie, et entre la compagnie et l’Etat de Guatemala.
N’y aurait-il pas eu à craindre, messieurs, si le gouvernement avait pour ainsi
dire forcé les colons ou les orphelins à revenir, que la compagnie eût dit que
c’était le gouvernement qui déchirait le contrat existant entre les colons et
la compagnie d’une part, que c’était lui qui déchirait les engagements
contractés par elle vis-à-vis de l’Etat de Guatemala d’autre part ? La
compagnie aurait fait peser sur le gouvernement la responsabilité de ce qui peut
arriver à la colonie ; elle aurait peut-être attrait le gouvernement en dommages
et intérêts.
Messieurs, il fallait des faits graves, il fallait que
le gouvernement eût la preuve, eût la conviction qu’il y avait péril dans la
situation des colons et des orphelins, pour se résoudre à une intervention qui
eût entraîné une semblable responsabilité.
(page 181)
Je crois donc, messieurs, que, vu les faits qui vous sont connus par l’enquête,
l’amendement de l’honorable M. Sigart est inutile. Je crois en second lieu qu’il
serait dangereux, en ce qu’il entraînerait le gouvernement dans une très grave
question de responsabilité vis-à-vis la compagnie.
Messieurs, l’honorable M. Sigart n’a pas voulu entretenir
la chambre du côté commercial de la question, parce que la seconde partie du
rapport de M. Blondeel n’était pas encore imprimée. Mais, messieurs, puisque je
suis à faire connaître la situation de la colonie, la chambre me permettra de
lui faire connaître aussi quelques-uns des faits consignés dans cette partie du
rapport qui est envoyée à l’impression.
Cette seconde partie du rapport de M. Blondeel concerne
l’importance du port de Santo-Thomas comme entrepôt commercial pour l’Amérique
centrale. Je partage, pour mon compte, complétement l’avis de l’honorable M.
Sigart, à ce point de vue que si l’on avait pu connaître d’avance tous les
faits, au lieu de vouloir créer une colonie sur la base agricole, par la
culture et les défrichements, il eût fallu faire tout autre chose ; il eût
fallu fonder un comptoir commercial, comme les Anglais en ont fondé un à
Belize. Pour cela il ne fallait pas de grandes dépenses. Ouvrir un comptoir,
établir une voie peu coûteuse vers la Montagua, vers l’intérieur, tel était le
facile problème à résoudre ; on s’est égaré à la poursuite d’un autre.
Mais faut-il, messieurs, parce qu’on n’a pas suivi ce
dernier plan, jeter du blâme sur les auteurs de cette entreprise ? Messieurs,
toutes les tentatives de ce genre ont été accompagnées de fautes pareilles. On
ne peut pour cela accuser les personnes honorables qui se dévouent à une œuvre
utile en elle-même, parce qu’elles se seraient trompées sur les moyens. Si le
succès avait couronné leurs efforts, on les eût portées aux nues ; faut-il les
blâmer, pour des fautes qu’il était difficile d’éviter ?
Ainsi je partage l’opinion, qu’il aurait fallu suivre
un système tout différent de celui qui a été adopté ; aujourd’hui on songe à
finir par où l’on aurait dû commencer. Un projet existe (je ne sais pas encore
s’il sera conduit à bonne fin), de fonder à Santo-Thomas un comptoir commercial
en dehors de la compagnie. Quelques maisons importantes d’Anvers et de Gand ont
soumis au gouvernement un projet de société, pour fonder un comptoir commercial
à Santo-Thomas.
Un
membre. - Le gouvernement ne s’en mêlera pas ?
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M.
Dechamps). - Le gouvernement ne s’en mêlera pas.
Si je ne craignais de prolonger trop la discussion,
je lirais des extraits du rapport de M. Blondeel, sur l’importance commerciale du
port de Santo-Thomas. Je vais les analyser rapidement.
M. Blondeel constate
d’abord que, dans l’état actuel très incomplet des communications, il y a une
économie de près de 50 p. c. dans une expédition de Santo-Thomas vers Yzabal
sur une expédition de Bélize vers le même point. Si la communication vers la
montagne était achevée, il y aurait une économie de 13 fr. 96 c. par 100 kil,
sur le mode de transport pratiqué précédemment. Il en résulte, d’après M.
Blondeel, que Santo-Thomas doit déposséder Bélize du commerce vers l’Amérique
centrale. M. Blondeel donne le relevé des navires qui ont abordé à Santo-Thomas
; le nombre des navires s’élève à 100, parmi lesquels la Compagnie en a expédié
15. Depuis cette époque, elle a encore expédié, avec chargements, Le Comte de Flandre, l’Iéna, l’Emma et le Lesselier.
Les marchandises belges envoyées ainsi vers l’Amérique
centrale par Santo-Thomas forment une somme de 400,000 francs sans compter les
derniers chargements.
J’ai sous les yeux le résultat d’un compte de vente
de toiles, duquel il résulte qu’on a bénéficié sur cette vente 53 p. c. Des négociants
d’Anvers qui ont fait des essais, m’ont déclaré que ces essais avaient mieux
réussi que ceux tentés vers le Mexique et le Brésil.
Messieurs, je ne multiplierai pas les citations. La
chambre aura sous peu la partie du rapport de M. Blondeel qui concerne la question
commerciale, et elle pourra apprécier alors quelle est ou quelle pourrait être
l’importance pour la Belgique d’avoir un comptoir commercial à Santo-Thomas.
J’ai voulu faire connaître les faits tels qu’ils nous étaient connus par le
rapport de M. Blondeel ; là s’arrête ma tâche.
Messieurs, la conclusion de ce rapport, au point de
vue commercial, c’est que le port de Santo-Thomas est considéré comme un point important,
c’est que cet entrepôt commercial existe, et que probablement il existera, quel
que soit le sort de la colonisation.
Le second fait relatif à la salubrité, c’est que le
climat de Santo-Thomas n’est point un obstacle à la colonisation.
Tel est le résumé du rapport de M. Blondeel.
En présence de ces conclusions et de l’engagement pris
par la compagnie de ramener tous les colons qui en témoigneront le désir, devant
cet autre fait que l’intervention du gouvernement pourrait amener pour lui une
grave question de responsabilité, je crois, messieurs, qu’il serait dangereux
d’admettre l’amendement de l’honorable M. Sigart.
Remarquez
d’ailleurs que l’état sanitaire de la colonie étant tel que je viens de vous le
dire, il serait bien moins dispendieux pour le gouvernement d’entretenir
complétement les orphelins à Santo-Thomas jusqu’au moment où il se présenterait
des occasions favorables pour les ramener, que d’affréter un navire pour aller
les chercher.
Si l’état sanitaire de la colonie était tel qu’il y
eût pour eux danger de mortalité, le gouvernement ne devrait pas hésiter. Mais comme
l’enquête constate le contraire, je dis que mieux vaudrait, si la compagnie
était dans l’impossibilité de remplir ses engagements, de subvenir à l’entretien
des orphelins à Santo-Thomas, en attendant que des occasions se présentent pour
les ramener.
C’est, du reste, un devoir que le consul aura à remplir,
si le fait se présente et si les besoins sont constatés.
M. Dumortier. - Messieurs,
j’ai lu également avec beaucoup de soin le rapport si remarquable qui nous a
été présenté par le gouvernement, et qui a été fait par notre chargé
d’affaires, M. Blondeel, un des hommes les plus distingués du corps de nos
agents extérieurs.
Je dois dire que j’en ai tiré des conséquences tout
opposées à celles qu’en a tirées l’honorable M. Sigart, et que, loin de conclure
de ce rapport que le climat de Santo-Thomas était insalubre, qu’il fallait
abandonner la colonie, j’ai conclu qu’il fallait, au contraire, faire en sorte
de conserver cette colonie.
Et ici messieurs, je fais très grand cas de l’autorité
de la personne qui a été chargée de faire ce rapport. Car, vous le savez, cette
personne, d’ailleurs éminemment capable en elle-même, a habité pendant
plusieurs années l’Abyssinie, et par conséquent elle a pu apprécier par expérience
tout ce que pouvait offrir de favorable ou de défavorable le climat de Santo-Thomas.
Or, messieurs, qu’est-ce qui résulté de ce rapport
? Il résulte que le climat de Santo-Thomas, loin d’être plus défavorable que ne
l’est celui des ports de mer des pays équinoxiaux, est au contraire plus
favorable que celui de la plupart de ces ports.
Messieurs, lorsqu’il s’agit de créer une colonie, ou
même d’établir un comptoir commercial dans un pays vierge, il faut commencer par
opérer le défrichement d’une certaine étendue de terrain sur les bords de l’Océan.
Vous le savez, dans les pays chauds les forêts vierges s’étendent jusqu’à la
mer même. Il y a donc impossibilité absolue d’établir les locaux nécessaires
pour le comptoir commercial, à moins d’avoir opéré un défrichement quelconque.
Car on ne peut se loger dans les bois. L’habitation dans les bois, indépendamment
de ce qu’elle serait impossible, parce que ce sont des forêts vierges, serait
encore inexécutable à cause des insectes de toute espèce qui y fourmillent, et
qui ne permettraient pas aux Européens de s’y fixer.
Il faut donc commencer par défricher une partie quelconque
de terrain, tout au moins, pour y établir les maisons nécessaires. C’est,
messieurs, ce qu’on fait dans toutes les colonies possibles ; c’est aussi ce
qu’on a fait à Santo-Thomas lorsque, il y a cinq ans, on est venu y former un
établissement.
Or, il est une loi reconnue qui ne s’applique pas seulement
aux colonies, mais aussi à l’Europe, c’est que partout les défrichements
donnent toujours lieu à des maladies plus ou moins grandes, et que ces maladies
sont d’autant plus développées que les défrichements ont lieu sous une
température plus élevée, que les miasmes sont plus nombreux, plus viciés. Il n’existe
pas un seul port créé par des Européens dans les climats équinoxiaux, qui n’ait
donné lieu, lors de son établissement, à une mortalité passagère, plus ou moins
grande.
Ainsi, messieurs, nous nous rappelons encore le temps
où Batavia était considéré partout commue le tombeau des Européens. Est-ce à
dire que, d’après le système si admirable d’hygiène que nous a présenté
l’honorable M. Sigart, on se soit décidé à abandonner Batavia, que l’on ait
envoyé des navires pour ramener les colons, que l’on ait déversé le blâme sur
les auteurs de cette entreprise ? Mais non, messieurs. On ne force personne à
se rendre à Batavia ; on ne force personne à se rendre à Santo-Thomas. S’y
rend qui veut.
M. Sigart. - On a trompé le public.
M. Dumortier. - C’est là
une autre question, et quand’ il s’agira de la discuter nous la traiterons à
son tour ; mais ce qui nous occupe en ce moment, c’est la motion de l’honorable
M. Sigart, et cette motion n’a qu’un but : c’est d’anéantir la colonie par
un vote de discrédit émané de la législature. Or, comme je ne veux pas de cet anéantissement,
je combats la motion.
Je disais donc, messieurs, qu’on n’a forcé personne
à se rendre à Santo-Thomas ; que tous ceux qui s’y trouvent y sont allés de
leur propre gré. Maintenant faut-il, par un vote de la chambre, par une loi solennelle,
déclarer que le gouvernement doit ramener les colons ? Je dis que ce serait là une faute immense. Je comprends le système
de l’honorable M. Sigart il s’est, dès l’origine, déclaré l’adversaire de la
colonie, et aujourd’hui, que les faits lui donnent tort, il ne veut pas
admettre ces faits ; il ne veut pas avoir tort.
Pour mon compte, je dis que lorsqu’il n’y a eu que douze
décès en douze mois ce n’est pas là certes une mortalité effrayante. Si, à une
époque antérieure, la mortalité a été considérable, voyons qu’elle en a été la
cause. Cette cause, messieurs, est double : c’est d’abord le défrichement
indispensable d’une partie du territoire pour former soit un comptoir
commercial, soit une colonie proprement dite. Dès l’instant où le sol est
remué, bouleversé, les miasmes s’en échappent et dans tous les pays possibles,
sous la zone torride c’est là une cause d’une mortalité passagère. Sous ce
rapport la colonie de Santo-Thomas a passé par une crise par laquelle ont passé
toutes les colonies du monde. La deuxième cause a été l’encombrement des colons.
Je ne veux accuser personne d’avoir amené cet encombrement,
il paraîtrait qu’il a été amené par le fait d’un homme que la compagnie avait
envoyé dans la colonie pour la diriger ; cet homme aurait fait abattre les cases des Caraïbes et les aurait
ainsi éloignés de la colonie. Sans ce fait si grave, à mesure qu’il serait arrivé des colons, on aurait payé les
(page 182) Caraïbes pour construire
des cases nouvelles, et de cette manière, on aurait pu loger tout le monde et éviter l’encombrement. Mais après
l’expulsion des nègres, il n’y avait plus moyen de faire des cases parce que
les hommes de travail n’étaient plus sous la main. Il a donc fallu entasser
dans un petit nombre de cases tous les colons qui arrivaient, et l’épidémie,
suite nécessaire du défrichement du sol, a été considérablement accrue par cet
encombrement.
Sous ce rapport, messieurs, une grande
responsabilité pèse sur ceux qui ont écarté les Caraïbes, alors qu’on se
trouvait dans l’impossibilité de construire des cases à mesure de l’arrivée des
colons.
Voilà, messieurs, les deux causes principales de la
mortalité qui vous a été signalée.
En outre, les colons ont reçu une mauvaise
nourriture ; on leur donnait de la viande salée et peu de substances qui
pussent les rafraîchir ; en un mot, de grandes fautes contre l’hygiène ont été
commises par celui qui dirigeait la colonie.
Mais, messieurs, cet état de choses a-t-il continué
? Evidemment non. Vous venez d’entendre les chiffres cités par M. le ministre des affaires étrangères
; eh bien, il en résulte que le nombre des décès qui s’était élevé à 176 en six
mois, n’a plus été pendant les six derniers mois dont il est parlé dans le
rapport, c’est-à-dire pendant les six premiers mois de 1846, que pendant ces
six mois le chiffre de la mortalité n’a plus été que de 6 décès et cela sur une
population de près de 300 habitants. C’est environ 2 p. c. Est-ce là un chiffre
considérable ? Mais, messieurs, il meurt bien plus d’hommes d’inanition dans
les Flandres. Je pense que l’honorable M. Sigart doit reconnaître qu’une
mortalité dont le chiffre ne s’élève qu’à 2 p.c. de la population, n’est pas
une chose extraordinaire sous la zone torride et surtout dans une colonie que
l’on vient d’établir.
Comme l’a fort bien dit M. le ministre des affaires
étrangères et comme l’avait également fort bien dit M. Blondeel, dans son rapport, qui n’est point rempli d’inexactitude
et de contradictions, ainsi que l’a prétendu M. Sigart, mais qui fait le plus
grand honneur à notre agent ; comme le dit parfaitement ce magnifique rapport,
une faute a été commise, c’est d’avoir voulu établir à Santo-Thomas une colonie
agricole. En effet, messieurs, où pourrions-nous établir de semblables colonies
? Mais sous des climats tempérés, analogues au nôtre, et non pas dans les
climats chauds des régions tropicales ; celui qui, d’un pays situé sous notre
latitude, est transporté dans ces climats brûlants, perd toute énergie et n’est
plus capable de se livrer à la fatigue. Si l’on veut fonder à Guatemala une
colonie agricole, il faut y appeler des populations accoutumées à de semblables
climats, ou bien qu’on y appelle des Chinois... (On rit.) Ce que
je dis, messieurs, est très sérieux. Partout les Chinois ont considérablement
amélioré mes colonies ; ils supportent parfaitement les climats les plus
difficiles, parce que le leur est plus mauvais que tous les autres, et tout le
monde sait que ce sont de grands travailleurs. Batavia et Singapore doivent en
grande partie leur importance aux colonies chinoises. Enfin, messieurs, qu’on y
appelle des hommes d’une partie du monde quelconque pourvu qu’ils soient
habitués aux climats chauds. Je dis que si l’on veut donner un développement à
la partie agricole, c’est là le seul moyen d’y réussir.
Mais, messieurs, à côté du développement agricole, il
y a un intérêt immense ; c’est l’intérêt commercial. Veuillez jeter les yeux
sur la carte, et dites-moi si, ayant à choisir un poste sur toute cette vaste
côte de l’Amérique, dans l’intérêt de notre commerce, dans l’intérêt de nos
exportations, dans l’intérêt de notre marine, encore si peu nombreuse, nous pourrions
trouver un poste plus favorable que celui de Santo-Thomas ? Il n’y a pas sur
toute la côte de l’Amérique un port si admirablement situé pour la Belgique que
celui de Santo-Thomas ; Pourquoi ? Parce que ce port domine tout le golfe
du Mexique, et nous met ainsi en rapport avec l’Amérique septentrionale,
l’Amérique méridionale et les Antilles. Il y a un autre avantage qui est
considérable, c’est que les habitants de cette contrée professent la même
religion que nous, et vous savez, messieurs, que cette conformité d’opinions religieuses
facilite considérablement les relations entre les habitants nouveaux et les
habitants anciens d’un pays quelconque.
En effet, messieurs, il s’agit là d’une petite puissance
qui ne peut jamais nous offusquer, qui ne peut jamais nous nuire.
Enfin, nous aurions ainsi un débouché vers le
Mexique, qui est, de toutes les contrés américaines, celle où l’on consomme le
plus de produits européens. De plus, la distance n’est pas excessivement grande
entre nos ports de mer et cette côte, de sorte que nous pouvons faire deux
voyages dans cette direction, tandis que nous n’en ferions qu’un seul dans une
autre.
Je vous le déclare, messieurs, lorsque je réunis tous
ces avantages, je suis convaincu qu’il est possible de créer à Santo-Thomas un
port commercial extrêmement important, une espèce de nouvelle Anvers. Je dis
que c’est là une grande idée et j’adresse mes bien sincères remerciements aux
hommes généreux qui ont consacré une partie de leur avoir à un entreprise
destinée à doter la Belgique d’une pareille colonie.
Je sais que tout doit avoir son commencement ; que les
choses grandissent lentement, lorsqu’elles sont difficiles ; mais un jour ce
port deviendra une des gloires de la Belgique. Les choses en sont venues à ec
point, qu’on peut supprimer la colonie, mais qu’on ne peut plus supprimer le port
de Guatemala ; c’est le port le plus certain du golfe du Mexique, c’est le seul
qui offre tous les avantages réunis. Vouloir jeter du blâme sur une pareille
entreprise, engager les personnes qui se trouvent sur les lieux à revenir en
Europe ; vouloir en quelque sorte, par un vote de la chambre, discréditer
ceux qui se rendront dans la colonie, ce serait une véritable calamité pour le
pays ; et pour mon compte, je ne la voterai pas.
- La séance est levée à quatre heures et demie.