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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 8 décembre 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 217) M. A. Dubus procède à l’appel nominal à 1 heure et un quart.

Il lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

- La séance est ouverte.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Cutsem présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Bourcier, ancien bibliothécaire de la chambre, présente des explications pour justifier sa conduite en 1843. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Les sieurs Vandewalle et de Keersmacker, juge de paix et greffier du premier canton de la justice de paix d’Audenarde, demandent que les deux cantons de cette justice de paix soient réunis en un seul. »

- Renvoi à la commission de circonscription cantonale.


« Le conseil communal de Termonde adresse à la chambre douze exemplaires du mémoire de l’ingénieur civil Delaveleye, intitulé : Examen de la question du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand. »

- Dépôt à la bibliothèque.


M. le ministre des finances adresse à la chambre un état de comparaison entre la situation du trésor au 1er septembre 1845 et la situation au 1er septembre de l’année courante. »

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Henot dépose plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués..

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1847

M. de Garcia dépose le rapport de la section centrale sur le budget de la guerre pour l’année 1847.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.

Ordre des travaux de la chambre

M. Delehaye (pour une motion d’ordre.) - Messieurs, le gouvernement a soumis à la chambre un projet de loi qui est principalement destiné à donner du travail aux ouvriers. Ce projet renferme quelques dispositions qui ne doivent pas donner lieu à une longue discussion ; il en est d’autres, au contraire, qui provoqueront d’assez longs débats. J’ai, en conséquence, l’honneur de proposer à la chambre de décider qu’on distraira du projet de loi dont il s’agit, la partie qui concerne les denrées alimentaires.

Les considérations suivantes m’engagent à faire cette proposition à la chambre.

J’ai assisté, samedi dernier, à la séance du conseil communal de Gand ; il y a été question de l’hôpital de la ville. Cet hôpital n’est plus suffisamment grand pour contenir les malades, non pas les malades de la ville de Gand, mais les malades qui lui viennent des campagnes. Il est arrivé à l’hôpital 165 individus dont la plupart étaient dans un état désespérant, par suite de la faim ; il y en a eu 20 qui, ne pouvant supporter la nourriture qu’on leur a offerte, sont morts d’inanition. (Interruption.)

Je vous demande, messieurs, si une pareille situation peut être longtemps tolérée ; si une grande responsabilité ne pèserait pas sur les chambres et sur le gouvernement, si nous ne mettions pas immédiatement les communes à même de secourir leurs pauvres.

Le gouvernement fait tous ses efforts pour que les budgets soient votés avant le 1er janvier ; c’est sans doute une idée louable à laquelle nous applaudissons tous ; mais il y a quelque chose de plus urgent encore ; la plupart des budgets peuvent, à la rigueur, être ajournés ; nous pouvons voter des crédits provisoires ; mais ce que nous ne pouvons ajourner, c’est de donner des aliments à ceux qui en manquent.

Je demande donc que la section centrale veuille bien présenter son rapport sur la partie du projet qui concerne exclusivement la question des denrées alimentaires ; cette question peut être discutée immédiatement ; de cette manière nous ne nous séparerons pas sans avoir staté sur un objet d’une urgence aussi extrême.

M. le président. - Le rapporteur de la section centrale m’a promis de déposer demain son rapport ; ce sera alors le moment de voir (page 218) s’il y aurait lieu à demander la discussion isolée de la partie du projet qui se rattache à la question des subsistances. Il me parait dès lors inutile de continuer à discuter aujourd’hui une question de priorité qui trouvera naturellement sa place, lorsque demain le rapport sera déposé comme je l’espère.

M. Delehaye. - Je partage la manière de voir de M. le président ; d’ailleurs, elle est conforme à la mienne ; mais, remarquez que M. le président n’a pas donné l’assurance positive que le rapport sera déposé demain. Si donc le rapport n’était pas présenté, je me réserverais de demander que le rapporteur fît un rapport spécial sur la partie du projet relative aux substances alimentaires.

M. Rodenbach. - Messieurs, je partage l’opinion de l’honorable M. Delehaye ; je pense qu’il y a urgence à détacher du projet de loi la partie concernant les subsistances, et qu’il faut statuer immédiatement sur cette partie. Il y a déjà quinze jours que j’ai dit dans cette chambre qu’on mourait lentement d’inanition dans les Flandres.

Messieurs, on a établi autour de la capitale et de plusieurs autres villes une espèce de cordon sanitaire ; on craint l’approche de nos misérables, comme la peste ; tout le crime de ces hommes est d’avoir faim. Je pense qu’avant d’aborder le budget de l’intérieur et tout autre budget, il est important de voter d’urgence le projet de loi en ce qui concerne les subsistances, de voter les 1,500 mille francs destinés à procurer des denrées alimentaires à la classe pauvre, car on n’a élevé qu’à 1,500 mille francs le chiffre de 1,200,000 fr. porté au projet. Mais nous ferons des amendements pour majorer cette somme qui est encore insuffisante ; et dans un pays comme la Belgique, on ne peut pas laisser mourir de faim une partie de la population ; ce serait indigne de la représentation nationale. Je me suis plaint au ministre des travaux publics de ce que, dans les districts les plus malheureux tels que Roulers et Thielt, on n’exécutait aucun travail ; dans mon arrondissement il n’y a pas un seul homme à l’œuvre travaillant pour le gouvernement.

Nos ministres devraient imiter ce qui se passe en Irlande ; là les communes reçoivent du gouvernement des subsides considérables, et procurent de l’ouvrage à des millions de bras.

Demain nous demanderons qu’on détache et qu’on vote d’urgence la première partie du projet.

M. le président. - Demain la chambre sera appelée à décider cette question de priorité.

Nous passons à l’objet de l’ordre du jour.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1847

Discussion du tableau des recettes (I. Impôts)

Contributions directes, cadastre, douanes et accises, etc.

Foncier

« Principal : fr. 15,500,000. »

- Adopté.


« 5 centimes additionnels ordinaires, dont deux pour non-valeurs : fr. 775,000. »

- Adopté.


« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,550,000. »

- Adopté.


« 3 centimes additionnels supplémentaires sur le tout : fr. 534,750. »

M. le président. - M. Eloy de Burdinne a déposé un amendement ainsi conçu :

« J’ai l’honneur de proposer la suppression des 3 centimes additionnels extraordinaires supplémentaires à l’impôt foncier, montant à 534,750 francs, et de remplacer ce déficit au moyen de centimes additionnels sur l’accise du sucre exotique pour une partie, et le surplus du manquant au moyen de la redevance sur les mines, en augmentant le principal de l’impôt. »

M. Eloy de Burdinne. - Avant d’aborder mon amendement, je demande la permission de me disculper et de détruire dans vos esprits, si toutefois il y a lieu, des intentions que l’on m’a prêtées dans une séance précédente.

Je déclare formellement que mes intentions ne sont nullement de chercher à faire naître des défiances sur le commerce, encore moins de provoquer contre lui des dispositions malveillantes.

J’apprécie l’importance du commerce, particulièrement en ce qui concerne le placement de nos produits à l’étranger ; je ne l’apprécie pas moins lorsqu’il nous approvisionne de denrées alimentaires, alors que nous en manquons, et dans la circonstance actuelle, je suis disposé à lui adresser des remerciements pour les approvisionnements de subsistances qui nous étaient nécessaires, par suite du manque des pommes de terre.

Si je sais gré au commerce de sa conduite, je lui en aurais su bien davantage si les grains qu’il a achetés à l’étranger avaient été immédiatement déclaré à la consommation et livrés sur nos marchés, au lieu de les entreposer. Par ce moyen, le commerce aurait arrêté la hausse, et il eût obtenu des louanges et des remerciements de la Belgique tout entière.

On se trompe singulièrement sur mon compte, si l’on croit que je suis hostile au commerce, dont j’apprécie toute l’importance. Cette industrie, comme toutes les autres, a mes sympathies ; je veux les protéger toutes, en proportion de leur importance par rapport aux intérêts généraux du pays.

De toutes les industries, ne devons-nous pas considérer l’industrie agricole comme la plus importante, par les charges qu’elle supporte au profit de tous, par le nombre de bras qu’elle emploie, et par les conséquences qui en dérivent ? N’oublions pas que l’anéantissement du produit des pommes de terre, culture qui n’occupe que 3 p. c. de nos terres labourables, a nécessité une dépense au pays d’environ 100 millions.

Ne perdons pas de vue que, pour obtenir les denrées à bon marché, on doit encourager la production, et que notre sol actuellement en culture est susceptible de produire en céréales 25 p. c. de plus qu’il ne produit, au moyen de dépenses en labour et en engrais étrangers. Pour obtenir ce résultat, il faut que le cultivateur soit à même de faire les avances, en un mot, qu’il soit dans l’aisance.

Messieurs, chaque fois qu’une industrie est dans la gêne, elle réclame des secours ou au moins la réduction des impôts qui la grèvent ou qui la contrarient. Il en est même qui, quoique dans un état de prospérité, provoquent le retrait de telles ou telles dispositions financières, sous le prétexte que ces impôts gênent ou nuisent à leur industrie, et quoique payant des impôts très minimes, ne cessent de réclamer des dépenses aux frais de l’Etat, tout à l’avantage de leur industrie, et il est rare de voir la chambre et le gouvernement résister à leurs exigences.

Je ne connais qu’une industrie en Belgique qui ne réclame rien et qui cependant ait autant et plus de droits à la sollicitude des chambres et du gouvernement, autant, j’ose le dire, que toutes les autres réunies ; c’est de l’industrie agricole que je veux parler, industrie qui dans le moment actuel est dans la gêne, mais principalement la petite industrie agricole exercée par de petits cultivateurs exploitant moins de 20 hectares de terre, en partie propriétaires et en partie locataires.

Cette classe d’industriels est très nombreuse eu Belgique. Cette industrie pouvait espérer de voir disparaitre les trois centimes additionnels à la contribution foncière, en considération des déficits qu’elle a essuyés deux années de suite : la perte des pommes de terre et celle du seigle.

Le haut prix des produits de son industrie est loin de compenser le déficit, comme certains économistes semblent le croire, d’après ce que vous a dit un honorable député d’Anvers, dans une séance précédente, qui a comparé les bénéfices du commerce et qui a prétendu que le cultivateur avait obtenu un avantage proportionnel, par suite du haut prix des céréales.

Si le commerce, disait cet honorable membre a gagné dix francs par chaque hectolitre de froment, soit sur deux millions, l’agriculture qui a vendu dix millions d’hectolitres de grain pour compléter l’approvisionnement du consommateur, soit douze millions d’hectolitres, quantité nécessaire à compléter l’approvisionnement de la Belgique, d’après cet honorable membre, l’agriculture aurait gagné cinq fois autant que le commerce.

Les chiffres sont élastiques, ils sont sujets à porter à l’erreur, et je vais vous démontrer combien sont erronés ceux produits par l’honorable M. Rogier.

Les chiffres présentés par cet honorable membre approcheraient à trente pour cent près de la vérité si le cultivateur avait obtenu une récolte complète en 1845 et en 1846, et si le haut prix des subsistances ne constituait pas cette classe d’industriels à des dépenses extraordinaires en charité surtout et dont ils ne peuvent se dispenser.

Nous n’avons pas dans nos communes rurales des employés de l’octroi et des gendarmes pour repousser les mendiants étrangers, nous sommes forcés de leur donner du pain. Il n’en est pas de même dans les villes, là on ne court pas les mêmes dangers en refusant l’aumône. Dans les communes rurales on doit s’exécuter quand même.

Qu’il me soit permis de vous administrer la preuve de l’erreur dans laquelle est tombé mon honorable contradicteur en prétendant que l’agriculteur a obtenu un avantage proportionnel par la vente de ses produits haut prix.

Je vais vous démontrer que le cultivateur de huit à vingt hectares (c’est le plus grand nombre de cultivateurs) est loin d’avoir obtenu un avantage du haut prix des céréales, occasionné par le déficit des produits.

Un cultivateur de dix hectares, dont neuf en terres labourables, cultive dans la bonne Hesbaye trois hectares en froment, un hectare en seigle, deux hectares eu avoine, un hectare en pommes de terre et deux hectares en herbes fourragères, trèfles et pâturages.

La récolte de 1845 ne peut être évaluée, au maximum, qu’aux trois quarts d’une récolte ordinaire, soit 16 hectares 75 lit, rentrant dans la grange, ci : 16 75 ;

A soustraire pour semence (on devrait soustraire 2 hectolitres), 1 75.

Reste 15 00.

Vendu à 23 francs donne par hectare, 345.

Les trois hectares, 1,035

Produit de la basse-cour ou des fourrages, 300

Total du produit brut, 1,335.

La récolte du seigle est considérée comme devant être consommée dans le ménage ainsi que l’avoine.

Les pommes de terre n’ont produit au plus que la quantité représentant la mesure employée pour la plantation ; elles n’ont rien produit en 1845.

Tel est le revenu brut de 10 hectares de terre récoltés en 1845.

Voyons présentement quel eût été le revenu de 10 hectares de terre sans déficit.

Froment, à raison de 21 hectolitres, déduction de la semence 2 hectolitres, (page 219) reste à vendre 19 hectolitres qui, vendus à raison de 18 fr., prix inférieur au taux normal, donneraient par hectare, 342 fr.

Les trois hectares, 1,026 fr.

Produit en pommes de terre, à 2 fr. 50 c. au minimum, à raison de 200 sacs nets, la plante déduite, soit 500 fr.

Produit de la basse-cour, 300 fr.

Total, 1,826 fr.

Balance :

Produit d’une récolte complète qui, vendue au-dessous du prix normal, aurait donné au cultivateur, en 1845, 1,826 fr.

Elle n’a donné que 1,335 fr.

Perte pour le cultivateur, 491 fr.

Et le froment qu’il a consommé doit lui être compté au même prix que le paye le consommateur, rentier ou autre.

Si vous ajoutez à ce déficit les nombreuses dépenses obligées, à charge du cultivateur, pour soulager la classe indigente, vous conviendrez avec moi, que la cherté des subsistances occasionnée par un déficit dans les produits, est bien plus au détriment des agriculteurs qu’elle ne l’est aux consommateurs.

Que l’on ne s’abuse pas sur le chiffre du produit de 10 hectares récoltés en 1845, montant à 1,335 fr. ; c’est un revenu brut et non un revenu net, lequel est absorbé presque intégralement en frais de culture et en impositions de toute espèce.

Si je faisais le même compte pour la récolte de 1846, j’obtiendrais à peu près le même résultat. Le froment a donné deux tiers, le seigle un quart, et les pommes de terre deux tiers.

Les faits répondent aux chiffres que je viens d’établir ; la presque totalité de nos petits cultivateurs sont arriérés dans leurs rendages ; ils n’ont pu faire face à leurs obligations avec les produits ; ceux qui ont payé ou donné des à-compte, y ont pourvu au moyen d’autres ressources.

D’après ces considérations, ne serait-il pas juste de venir au secours de cette industrie, qui ne vous demande pas de subside, mais qui a droit à un dégrèvement de l’impôt foncier ?

Je crois, messieurs, avoir complétement détruit les arguments qu’ont fait valoir plusieurs de nos honorables collègues qui, de bonne fois, j’en suis persuadé, supposent l’industrie agricole dans un état de prospérité ou du moins dans un état d’aisance.

Je termine en demandant la suppression des trois centimes additionnels supplémentaires, montant à 534,750 fr.

En me bornant là, je crois faire acte de grande modération. D’autres industries demanderaient des subsides ou des réductions de péages, et ne se contenteraient pas d’une réduction d’impôt.

En résumé, la principale industrie du pays ne vient pas vous demander des subsides ; cependant sa position lui en donnerait le droit. Par mon organe, elle réclame une bien minime réduction des impôts qu’elle paye à l’Etat, seulement 3 p. c. sur les 13 seizièmes des impôts qui la grèvent. En faisant cette demande, je donne au gouvernement de quoi remplacer le déficit, au moyen d’une augmentation sur la consommation d’une matière de luxe, sur les sucres, dont la classe aisée fait le plus grand usage.

Et si M. le ministre des finances croit ne pas devoir remplacer le montant en déficit de la suppression des 3 centimes dont je demande la suppression au moyen d’une augmentation du droit de consommation sur le sucre, je lui signale la redevance sur les mines qui est et doit être augmenté, si l’on fait attention que les produits des terres à la superficie payent de 10 à 15 p. c. d’impôt à l’Etat, tandis que les produits du sous-sol (les minerais) ne payent pas en impôt la somme que supporte l’Etat dans l’intérêt de l’industrie minéralogique. N’est-il pas irrationnel, je m’abstiens de dire ridicule, d’exiger de gros impôts de la part du cultivateur qui obtient des produits des terres à la superficie, tandis que les produits du sous-sol non seulement ne payent rien à l’Etat, mais au contraire obtiennent des subsides à charge des cultivateurs qui exploitent la superficie ?

En résumé, je ne demande pas la réduction des ressources de l’Etat, je demande moins que les autres industries, je ne réclame pas de subside, je sollicite une réduction d’impôt et j’ai l’espoir de l’obtenir. La chambre n’aura pas deux poids et deux mesures, elle consentira à ma réclamation.

Pour le moment, je me bornerai à ces considérations. Mais je vous prie de réfléchir à la pénible position où se trouve l’industrie agricole dans le moment actuel. Cette industrie, comme toutes les autres, a droit à la bienveillance du gouvernement et à ses sympathies, d’autant plus que de toutes les industries c’est celle qui paye le plus de subsides à l’Etat, car les treize seizièmes des impôts sont payés par l’agriculture et par la propriété.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je reconnais que dans la crise ou le pays s’est trouvé et se trouve encore à certains égards, l’agriculture a eu à supporter de grandes pertes ; cependant je ne puis pas me rallier à l’amendement de l’honorable député de Waremme, parce qu’il me paraît impossible de supprimer les trois centimes additionnels supplémentaires à la contribution foncière sans rompre la balance des budgets. Il me paraît également impossible d’admettre par la loi du budget une modification non définie de la redevance des mines et une autre modification dont je ne puis apprécier les conséquences sur la nouvelle loi sur les sucres.

En effet, l’honorable membre propose de supprimer les 3 centimes additionnels supplémentaires et d’en remplacer le produit par un changement de la redevance des mines et par une modification peut-être très profonde qui aurait pour résultat d’altérer le système de la nouvelle loi sur les sucres.

En ce qui concerne la redevance des mines, la section centrale a de nouveau appelé l’attention du gouvernement sur cette question. Le conseil des mines, qui est assurément le corps le plus compétent pour nous aider à améliorer cette partie de la législation, est saisi de l’examen de l’affaire. J’espère qu’on pourra, dès l’année prochaine, réaliser l’amélioration demandée.

M. Eloy de Burdinne. - L’honorable ministre des finances ne doit ni ne peut, dit-il, se rallier à ma proposition, parce qu’elle romprait l’équilibre des budgets. Je vous ferai remarquer qu’on peut très bien, tout y adoptant mon amendement, pourvoir au déficit, soit par les impôts se j’ai signalés, soit par d’autres. Mais il y a un autre moyen quand on est dans le cas de ne pas avoir un revenu suffisant pour faire toutes les dépenses que l’on croirait utile de faire, on se modère et l’on réduit ses dépenses. Mais parce que l’on a admis qu’on fera une dépense de tant, faut-il qu’on vienne pressurer une industrie qui se trouve dans la gêne ?

L’équilibre de l’impôt sur le sucre serait-il dérangé, si l’on prélevait sur les consommateurs de cette matière un impôt supérieur à celui qu’on paye aujourd’hui ? Mais on ne se fait pas de difficulté de percevoir 4,800,000 fr. sur le consommateur de sel ; et l’on se borne à percevoir trois millions sur le sucre, qui est la consommation de la classe aisée, la consommation de luxe.

Croyez-moi, cette malheureuse industrie agricole trouve bien peu de sympathie chez nos hommes d’Etat et chez nos représentants. On n’a aucun égard à sa position. Fût-elle agonisante, on ne lui apporterait pas le secours. Prenez-y garde ! Ne perdez pas de vue que s’il n’y avait pas l’industrie agricole, il n’y aurait pas de Belgique. Quand vous aurez anéanti cette industrie, il en résultera que les produits diminueront considérablement ; car le sol ne produit que ce qu’on lui fait produire. Anéantissez la culture ; ne donnez pas au cultivateur le moyen de faire les dépenses nécessaires, et au lieu d’acheter pour un million de céréales à l’étranger, vous devrez en acheter pour 50 millions de francs. Lorsque l’argent sera disparu de la Belgique, comment vous procurerez-vous les céréales nécessaires pour pourvoir à la subsistance des populations ? Croyez-vous que l’étranger vous en donnera gratuitement, vous en donnera à crédit ? Ne le croyez pas. L’étranger ne vous donnera ses produits que contre argent comptant.

Cette question, messieurs, est de la plus haute importance. Qu’on ne soit pas dans le cas de refuser à l’agriculture, je ne dirai pas un secours, allégement.

Je bornerai là mes observations.

Je suis fâché que M. le ministre des finances n’ait pas trouvé le moyen de remplacer par d’autres impôts la faible réduction que je demande.

Messieurs, cette augmentation de l’impôt foncier ne date que de quelques années.

Si nous n’avons pas le moyen de faire face à toutes nos dépenses, il y un autre moyen ; c’est de les réduire.

Quand on jette les yeux sur le budget des voies et moyens, on voit que la contribution foncière est grevée de 18 centimes additionnels, tandis qu’il n’y a que 10 centimes additionnels sur la contribution des patentes. Voilà, messieurs, les faveurs que l’on fait à l’agriculture. A elle l’honneur de payer beaucoup plus que les autres.

- L’amendement de M. Eloy de Burdinne est mis aux voix et adopté.

Le quatrième paragraphe de l’article « Impôt foncier » est mis aux voix et adopté avec le chiffre de 534,750 fr.

Personnel

« Principal : fr. 8,318,000.

« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 831,800.

« Ensemble : 9,149,800. »

- Cet article est adopté.

Patentes

« Principal : fr. 2,730,000.

« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 273,000.

« Ensemble : fr. 3,003,000. »

M. Osy. - M. le ministre nous a dit qu’aussi longtemps qu’il serait au pouvoir il ne proposerait jamais une taxe sur le revenu ; il a ajouté que les lois d’impôts et la fiscalité de l’ancien gouvernement avaient été une des causes de la révolution et, par des grands mots de patriotisme, de sagesse du gouvernement, il a voulu étourdir la chambre.

Pour ce qui est de la taxe sur le revenu, dont M. le ministre ne veut pas, je vais vous prouver que s’il ne le veut pas par une loi, il l’a établie par arrêté ministériel.

L’article 9 de la loi de 1823 dit :

« Le droit de patente sur les sociétés anonymes, fixé par le tableau n°9, à 1 2 p. c. du montant cumulé des dividendes, est réduit à 1 1/3 p. c. Seront désormais considérés comme dividendes donnant ouverture au droit, les remboursements et accroissements de capitaux. Cependant le (page 220) droit ne sera pas dû sur les sommes remboursées, lorsque les sociétés feront conster de la première mise de fonds et des remboursements qui ont eu lieu depuis, de manière à ce que les remboursements du capital placé ou fourni, peuvent être suffisamment distingués des dividendes. »

Vous voyez, messieurs, qu’il ne s’agit que du droit de patente sur les dividendes. Lisez toutes les concessions du gouvernement pour les sociétés anonymes et vous verrez que le dividende s’établit seulement après le prélèvement des intérêts.

Sans faire de grandes recherches, j’ai sous les yeux le Moniteur du 28 novembre qui accorde la sanction d’une compagnie d’assurances, et j’y vois.

« Art. 37. Il sera prélevé sur les bénéfices nets déduction de tous les frais d’administration et charges sociales, et payé aux actionnaires, un intérêt de 4 p. c. sur les fonds versés par eux.

« Art. 38. Les bénéfices excédant cet intérêt seront répartis à titre de dividende entre toutes les actions, etc. »

Vous voyez donc qu’encore aujourd’hui le gouvernement approuve que le dividende n’est fixé qu’après le payement des intérêts du capital social.

Aussi de 1823 à 1830 les ministres des finances des Pays-Bas, si fiscaux, qu’ils ont produit une des causes de la révolution, d’après les dires de l’honorable M. Malou, ont toujours seulement fait payer les droits de patente sur les dividendes, après le prélèvement des intérêts.

Tous les ministres depuis 1830, Coghen, Duvivier, le sévère mais juste M. Huart, M. Desmaisières et M. Mercier ont toujours fait prélever le droit de la même manière.

Ainsi, depuis 23 ans, on exécute la loi comme nous l’entendons ; mais le sage et paternel ministre des finances actuel blâme par arrêté ministériel tous ses prédécesseurs (voyez son arrêté du 31 décembre 1845), et donne ordre de faire payer même le droit de patente sur les intérêts.

Nous avons encore comme collègues trois anciens ministres, gouverneurs aujourd’hui, et je voudrais bien leur voir prendre la parole dans cette circonstance.

Car il est certain qu’ils devront avouer que, sous ce rapport, ils ont négligé les intérêts du trésor, ou que M. Malou a tort aujourd’hui.

Ils ne peuvent pas sortir de ce dilemme et nous verrons si nous pouvons les engager à prendre la parole et comment ils en sortiront.

Voilà donc la fiscalité hollandaise pendant 7 ans qui ne perçoit la patente que sur les dividendes ; cependant les ministres hollandais avaient fait la tmi, présenté les considérants, assisté aux discussions, et ils entendaient comme nous l’article 9 de la loi de 1823.

Mais M. Malou, qui accuse les autres d’une fiscalité telle qu’ils ont provoqué une révolution, trouve que tous ses prédécesseurs pendant 23 ans ont eu tort et que lui seul est sage et comprend les lois !

Pourquoi ne fait-on pas payer le droit de patente sur les intérêts ? C’est pour mettre le rentier, qui n’a que des fonds publics, sur le même pied que le rentier qui veut avec ses capitaux venir à l’aide de l’industrie particulière, et au lieu de vivre comme le rentier, que j’appellerai l’homme à l’abri de mauvaises chances, veut bien exposer ses capitaux dans l’intérêt de l’industrie. Et par ce moyen nous avons fait de grandes choses ; nous avons établi, depuis 1830, les armements, les banques, les sociétés de charbonnages, les hauts fourneaux, les machines mécaniques, les filatures de lin, les compagnies d’assurances, les sociétés d’exportation, les verreries, les fabriques de glaces, etc., etc., et vous savez, messieurs, combien de sociétés, pendant nombre d’années, ont non seulement privé les actionnaires de dividendes, mais même d’intérêts ! combien de personnes ont mis une partie de leur fortune dans ces diverses sociétés et combien de ces actions, qui n’ont même jamais donné seulement d’intérêt, mais qui se sont liquidées avec 25 à 50 p. c. de perte ! Et même à Bruxelles on est occupé à liquider une société qui nous fera perdre 70 p. c. de notre capital.

Pour ma part, je ne regrette pas les pertes faites, puisque c’est dans l’intérêt du pays qu’on a formé ces établissements et que l’industrie a pu se perfectionner et s’étendre. Ainsi j’estime plus le rentier qui donne une partie de ses capitaux à l’industrie, que le rentier qui doit tranquillement et sans souci se borner à couper les coupons de ses fonds belges et étrangers.

Je vous laisse maintenant à juger lequel des deux rentiers est le plus utile à la société. Cependant celui qui coupe seulement ses coupons ne paye pas de droit de patente, et celui qui s expose, qui veut être utile à la société, est frappé deux fois : par un droit de patente non seulement .sur les dividendes, mais même sur les intérêts de ses capitaux.

Voilà de la justice distributive d’après l’honorable M. Malou ! Il nous dira encore : Je ne veux pas et je ne voudrai jamais l’income-tax. Il est impossible qu’il vous prouve que, de son autorité privée, il ne l’ait pas établie et pas encore sur tous ceux qui ont des revenus de leurs capitaux, mais seulement sur la classe la plus utile : la société ; sur celle qui donne son argent pour développer toutes les branches de votre industrie. C’est le bon moyen d’arrêter tout élan, de nous empêcher d’arriver, comme en Angleterre, à voir presque tout fait par l’industrie particulière et en décharger ainsi le gouvernement. Je prierai mon honorable ami M. Pirmez de me dire si, d’après ce qui se passe, le gouvernement ne fait pas tout ce qu’il peut pour arrêter l’élan de l’industrie ; car quand l’industrie ne trouvera plus de capitaux chez les rentiers, l’industrie particulière ne pourra plus rien faire de grand.

Comment ! on frappe mes revenus parce que je m’expose ne pas toucher d’intérêts et même à perdre mon capital, et on laisse tranquille celui qui ne fait rien pour la société !

Nous n’avons pas les exposés des projets de loi de 1819 et 1823. Mais le bon sens, la rédaction claire de l’article 9 que je vous ai cité, prouve, clair comme le jour, qu’on n’a voulu imposer le droit de patente que sur les dividendes, après prélèvement des intérêts ; et tous les statuts des sociétés prouvent à l’évidence que le gouvernement l’a toujours entendu comme nous, et même encore aujourd’hui, comme je viens de le prouver pour une société sanctionnée par arrêté royal du 25 novembre 1846. (Moniteur du 28 novembre).

Pour ma part, je suis persuadé que les cours et tribunaux qui vont être saisis de la question entendront la loi comme nous et comme la députation de la Flandre orientale l’a décidé. Mais je désirerais éviter ces procès à nos concitoyens et éviter à M. Matou l’aveu qu’il est plus fiscal que les ministres hollandais, qui, d’après lui, par leur fiscalité ont été la cause de la révolution. Lorsque les sociétés auront gagné leur procès, je demanderai qui est le plus fiscal : le gouvernement hollandais de 1823 à 1830, ou le gouvernement belge depuis l’entrée aux affaires de l’honorable M. Malou.

Comment se forment les rôles de patente ? Par des répartitions, et lorsqu’il y a des réclamations, c’est la députation qui statue, admet ou rejette.

Je sais que, d’après la loi provinciale, le gouvernement peut casser la décision les députations ; mais si le gouvernement le fait pour les contributions, il est juge et partie.

Un gouverneur des Flandres, qui a été ministre des finances et qui a entendu comme nous l’exécution de la loi des patentes, s’est adressé au Roi, pour faire casser la résolution de sa députation. Je serais curieux de lui voir prendre la parole dans cette circonstance, pour voir comment il s’y prendrait pour blâmer son administration comme ministre des finances.

Je conclus donc que M. le ministre a pris un arrêté ministériel illégal, contraire au bon sens et la justice distributive entre tous les contribuables et expose encore de devoir biffer la signature royale de l’arrêté du mois d’octobre, qui casse la délibération de la députation de Gand.

J’ai aussi prouvé que le ministre qui ne veut pas l’income tax l’a établi par arrêté ministériel, mais par excès d’injustice ou au moins par erreur, sur une seule classe de contribuables, et encore sur celle qui rend le plus grand service à la société. C’est en même temps injuste, illégal et très maladroit.

En Hollande la loi de 1823 a été changée par une loi de 1832, et on a établi le droit de patente à 2 p. c. Il paraît qu’on voudrait aussi essayer maintenant de faire payer patente sur les intérêts, mais la société de commerce (Handel-Maatschappij) qui, depuis 21 ans qu’elle existe, n’a jamais payé, que sur le dividende, s’y refuse comme nos sociétés.

Comme le gouvernement hollandais a donné depuis peu cet exemple de fiscalité, je ne serais pas étonné que M. Malou eût reçu l’éveil de cette belle invention de la Hollande, et que ce ne fût pas de sa propre imagination. Hier vous blâmiez la fiscalité hollandaise, une des causes de la révolution, et aujourd’hui vous vous empressez de suivre l’exemple de la Hollande !

Je regrette qu’un homme comme M. Malou suive à la légère des errements aussi faux et qu’il se déclare, de son autorité privée, plus sage, plus judicieux, connaissant mieux les lois que tous ses prédécesseurs depuis 23 ans. Au moins on conviendra que ce n’est pas de la modestie !

J’engage donc le gouvernement de rentrer dans la légalité et de retirer son arrêté ministériel du 31 décembre 1845 et d’éviter les procès nombreux qui vont avoir lieu.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, nos discussions entrent depuis quelque temps dans une voie entièrement nouvelle. Le gouvernement, dans l’exécution des lois financières, rencontre naturellement des difficultés d’application qui sont soumises aux tribunaux. Aujourd’hui, messieurs, nous entrons dans cette voie, que le ministre des finances aura désormais à faire plaider devant les tribunaux les diverses contestations qui s’élèvent sur l’application des impôts et à plaider concurremment devant les chambres le même procès.

Je le demande, messieurs, cela est-il conforme aux intérêts de nos discussions, aux intérêts du gouvernement ? Je me suis posé cette question messieurs, parce que j’ai vu s’élever récemment la question relative à la relâche à Cowes, qui faisait ce jour-là même l’objet de plaidoiries devant le tribunal d’Anvers, et que je vois aujourd’hui s’élever une nouvelle question d’application des lois d’impôt qui est soumise aux tribunaux.

Dorénavant, messieurs, si des discussions de ce genre s’élèvent, je tiens à le dire bien franchement, je répondrai seulement dans le cas où la chambre déciderait qu’il y a lieu de répondre.

Messieurs, cette question est grave en elle-même comme résultat financier. Elle est aussi au point de vue des principes et de l’équité.

Comme résultat financier, il peut s’agir, à peu près, si l’opinion du gouvernement est reconnue fondée, d’un revenu annuel d’environ 150,000 fr. Pour moi, dans l’ordre de mes devoirs, après avoir examiné de bonne foi le sens, l’esprit des lois, je crois que je ne puis pas négliger ce revenu. L’honorable membre demeure tout à fait libre de faire tous ses efforts pour les faire perdre au trésor.

Messieurs, j’entends reprocher au gouvernement un excès de fiscalité. Vous jugerez d’après l’exposé que je vais vous présenter, si l’application que le gouvernement a faite des lois existantes n’est pas légitime et équitable.

(page 221) Je ne m’arrêterai pas à quelques expressions trop vives échappées à la plume de l’honorable membre. Je ne veux voir que la question de principe et la question de fait.

La législation des patentes a subi, en ce qui concerne les sociétés anonymes, plusieurs vicissitudes. L’ordonnance de 1816 avait cotisé ces sociétés, non point d’après les bénéfices ou les intérêts, mais d’après leur capital. La loi de 1819 a changé cet état de choses ; elle a établi le droit, non plus sur le capital social, mais sur les bénéfices sociaux.

Veuillez bien le remarquer, ni dans les termes de la loi, ni dans les discussions, on ne trouve cette opposition que l’honorable membre prétend établir entre les intérêts et les dividendes ; non seulement la loi ne fait pas cette distinction, mais je prouverai qu’elle la repousse. Ainsi, dans les explications données par le gouvernement, je trouve ce qui suit :

« Le gouvernement s’est attaché, dans la fixation des différents droits, à rechercher tous les moyens qui, selon la nature et les exigences des cas, pourront faire connaitre les bénéfices respectifs de chaque profession ou métier. »

Vous voyez, messieurs, que la distinction entre les intérêts et les dividendes n’est pas établie, mais que l’on veut frapper le bénéfice résultant de l’exercice d’une profession.

En s’expliquant sur le changement de système, en indiquant pourquoi la loi de 1819 a substitué à la cotisation d’après le capital le prélèvement d’une part sur les bénéfices, le gouvernement énonce encore bien clairement pourquoi il a proscrit cette distinction entre les intérêts et les dividendes. Je vois, en effet, dans une explication officielle, que l’on a voulu frapper le revenu net des sociétés anonymes. (Interruption.) Faut-il vous expliquer ce qu’est le revenu net et le revenu brut ? Je suis très reconnaissant de l’interruption. Le revenu brut d’une société est celui qu’elle a sans décompter ses frais et ses charges ; le revenu net est celui qui lui reste tous frais et charges déduits. Eh bien, messieurs , les intérêts font évidemment partie du revenu net des capitaux mis en société (dénégation) ; cela est élémentaire et je m’étonne de devoir le dire.

Ainsi, messieurs, d’après le texte de la loi de 1819, et d’après les explications officielles qui ont été données par le gouvernement, on a voulu établir la cotisation sur le revenu net des sociétés anonymes.

Il y a quelque chose de plus ; quand on consulte le texte des lois hollandaises, on voit partout : « distributions de tous genres », « gezamentlijke uitdeelingen. » Eh bien, je le demande, est-ce que l’intérêt comme le dividende, n’est pas une distribution faite des produits des capitaux des sociétés anonymes ?

Allons plus loin ; demandons-nous quel est le sens qu’on attache dans la langue française au mot « dividende » ? J’ai consulté une autorité bien respectable, le dictionnaire de l’Académie, pour savoir ce qu’il fallait entendre par le mot dividende, et voici la définition que le dictionnaire en donne :

« Dividende en termes de commerce et de finance. La portion d’intérêt ou de bénéfice qui revient à chaque actionnaire d’une compagnie de commerce ou de finance. »

Ainsi, la distinction qu’on établit aujourd’hui est proscrite et par le texte de la loi, et par les explications officielles données sur la loi, et par le jugement de l’Académie française elle-même.

J’ai fait rechercher quel pouvait être le motif pour lequel on avait, dans la loi de 1819, employé le mot « dividende » sans parler des intérêts. Ce motif est très facile à saisir. L’on a compulsé avec le plus grand soin dans le Journal officiel du royaume des Pays-Bas quelles étaient les conditions constitutives des sociétés anonymes alors établies, et l’on est arrivé à ce fait, qu’à l’époque de la loi de 1819, il n’y avait pas en Belgique une seule société anonyme qui eût fait une distinction entre les intérêts et les dividendes ; toutes les sociétés anonymes, alors existantes, ne donnaient que des dividendes.

Une autre observation se présente encore, en ce qui concerne le texte même de la loi. Je vois partout dans le texte français ces expressions « montant cumulé des dividendes » ; et je me demande si l’on avait voulu introduire dans la loi une distinction entre les intérêts et les dividendes proprement dits, en considérant ces deux expressions comme étant en opposition l’une avec l’autre, pourquoi l’on aurait ajouté ces mots : « Montant cumulé des dividendes ».

La loi de 1823 n’a fait autre chose que de changer la quotité des impôts et y assujettir non seulement les intérêts et les dividendes, mais aussi les remboursements et les accroissements de capitaux. Eh bien, messieurs, n’est-ce pas donner à la loi une interprétation tout à fait irrationnelle que de prétendre, d’une part, que les intérêts, c’est-à-dire les produits directs faisant partie du revenu net, échappent à l’impôt, tandis qu’on a expressément dit, en faisant la loi de 1823, qu’on voulait atteindre même les remboursements et les accroissements de capitaux ?

Il devait en être ainsi, au point de vue où l’on s’est placé en établissant la législation des patentes ; en interprétant la loi comme j’ai cru devoir le faire, les sociétés anonymes jouissent encore aujourd’hui, au point de vue de la législation des patentes, d’un très grand privilège.

Remarquez, en effet, messieurs, dans quet système le législateur s’est placé, pour décréter la loi de 1819.

Certaines professions ont une importance qu’on peut apprécier d’après quelques indices. Ainsi, par exemple, les professions soumises à l’accise sont cotisées suivant telle ou telle base, soit d’après les ustensiles, soit d’après la production constatée à l’accise. Vous avez un grand nombre d’autres professions dont les produits sont constatés par une présomption légale, d’après le nombre des ouvriers qu’on emploie.

Mais, messieurs, pour toutes ces professions, permet-on aux patentables, à la fin de l’année, de déclarer qu’ils n’ont pas eu les intérêts de leur capital ? Non, messieurs, on impose ces patentables d’après les présomptions légales, alors même qu’ils pourraient faire constater d’une manière irrécusable que l’exercice de leur profession, loin de constituer pour eux un bénéfice, loin de leur donner des intérêts ou un dividende, les constituent en perte, leur ont fait perdre une partie du capital engagé dans leur industrie.

Ainsi donc, et ici je touche à la question d’équité, toutes les autres industries sont cotisées d’après des bases fixes, indépendantes des produits mêmes de l’industrie, et les patentables ne sont pas admis à prouver qu’ils ont essuyé des pertes, qu’ils n’ont pas retiré des intérêts de leurs capitaux.

Quant aux sociétés anonymes, au contraire, et c’est là sans doute un privilège qu’on ne méconnaîtra pas, il n’y a pas d’impôt, lorsqu’il n’y a pas de bénéfice ; et lorsque la législation accorde un tel privilège, on vient dire qu’il faut pouvoir prélever 5 ou 6 p. c. d’intérêt, avant d’être soumis à l’impôt.

Les sociétés anonymes prélèveraient leurs intérêts au taux de 5 ou 6 p. c. sans être soumises à l’impôt ! Ici encore une fois voyez combien, d’après le sens que l’honorable M. Osy donne à la loi de 1819 et à celle de 1823, cette législation serait absurde.

Voici deux sociétés anonymes avec les mêmes capitaux, faisant les mêmes opérations, obtenant les mêmes résultats. Mais pour l’une, tout est dividende ; l’autre a stipulé, par exemple, la remise aux actionnaires de l’intérêt commercial de 6 p. c. Je suppose que l’une et l’autre fassent un bénéfice représentant 6 p. c. : l’une ne payera rien, et l’autre payera sur la totalité de ses bénéfices. Telle serait, d’après la distinction arbitrairement créée par l’honorable membre, l’application de la loi des patentes. Il dépendrait donc des combinaisons de l’industrie d’échapper à l’impôt, puisqu’on peut porter l’intérêt commercial jusqu’à 6 p. c. et qu’on peut descendre jusqu’à 2 p.c. En effet, nous avons en Belgique des sociétés qui donnent 2 p. c. ; nous en avons qui donnent 6 p. c.

Je compare maintenant deux professions exercées par une société anonyme et par des particuliers. Je suppose, par exemple, une banque agissant avec un capital de 10 millions, et dix banquiers agissant avec un capital d’un million ; je suppose que les uns et les autres tirent de cette industrie un intérêt de 5 p. c. ; les dix banquiers payeront une patente d’environ 6,000 fr., et la société anonyme, d’après le système préconisé par l’honorable M. Osy, ne payera rien, lorsqu’elle ne donnera que 5 p. c. Je suppose que les dix banquiers faisant les mêmes opérations, agissant avec le même capital, aient perdu le quart de ce capital ; ces dix banquiers payeront leur patente de 6,000 fr., et la société anonyme qui, loin d’avoir fait des pertes, aura fait des bénéfices, ne payera pas de patente, d’après l’honorable M. Osy.

Cette comparaison, si je voulais l’étendre à toutes les industries, m’amènerait à la même conclusion ; c’est-à-dire que, d’une part, on ferait des bénéfices qui, contrairement à la volonté expresse de la loi, échapperaient à l’impôt, tandis que, d’autre part, on payerait l’impôt, bien ne la taxe n’eût pas existé, et cela parce qu’on s’attacherait aux perceptions légales.

Lorsqu’on se rend bien compte des bases sur lesquelles l’impôt des patentes est assis, et de la manière dont les cotisations sont faites, on conçoit que, pour une loi de cette nature, plusieurs années aient pu s’écouler sans que le gouvernement ait connu l’erreur dans laquelle on a versé. Cette erreur a existé en Belgique et longtemps en Allemagne ; elle sera redressée, j’espère, en Belgique, comme elle l’est depuis assez longtemps en Hollande.

Je me suis enquis des faits depuis que la question a été soulevée. Il existe en Hollande une loi votée depuis 1830, et qui porte la date du 16 juin 1832 ; mais cette loi n’a pas changé le principe ; elle n’a fait qu’aggraver l’impôt. Je lirai le paragraphe premier de l’article 8 de cette loi : »

« Het regt van patent, verschuldigd door de namelooze maatschappijen, zal begraden twee ten honderd van de gezamentijke uitdeelingen, waaronder begrepen de aflossingen en accressen van kapitaal. »

Vous voyez donc que la loi hollandaise de 1832 n’a fait que porter qu’à 2 pour cent un droit qui, en Belgique, n’est que de 1 1/5 pour cent.

En 1838 l’administration hollandaise, par une circulaire que j’ai fait imprimer en même temps que les autres documents dont l’honorable Osy avait demandé la publication, a décidé que la cotisation comprend non seulement les dividendes par opposition aux intérêts, mais tous les dividendes, intérêts ou distributions quelconques des sociétés anonymes. Cette circulaire sert de base aux cotisations établies en Hollande en 1838.

Vous voyez, messieurs, d’après ces considérations que je me suis efforcé d’abréger autant que possible, que le gouvernement n’a pas agi dans un but de fiscalité et à la légère, mais qu’après un mûr examen, il a eu la conviction qu’il exécutait la loi selon son texte, selon son esprit et conformément aux principes de la justice.

(page 229) M. Verhaegen. - M. le ministre des finances trouve extraordinaire que mon honorable ami M. Osy vienne entretenir la chambre d’une question qui en ce moment est soumise aux tribunaux ; mais, messieurs, il est une autre question qui doit être examinée avant tout, c’est celle de savoir si M. le ministre des finances était bien compétent pour apprécier le mérite de l’arrêté de la députation permanente dont il s’agit, et cette question de compétence, je ne crains pas de le dire, ne peut pas souffrir l’ombre d’un doute : M. le ministre des finances, en annulant l’arrêté de la députation permanente de la Flandre orientale, qui a décidé que le droit de patente n’est pas dû sur les intérêts que payent à leurs actionnaires les sociétés anonymes, abstraction de la violation de la loi,, M. le ministre des finance a commis un excès de pouvoir en s’attribuant une juridiction qu’il n’a pas. Quoi ! le gouvernement plaide devant les tribunaux contre les sociétés anonymes qui refusent de payer le droit de patente sur les intérêts de leurs capitaux, et administrativement il veut juger en dernier ressort les questions relatives à l’assiette du droit ! Il serait donc à la fois juge et partie ! Cela est-il tolérable sous le régime de la constitution de 1830 ?

M. le ministre m’objectera, sans doute, l’article 125 de la loi provinciale qui porte :

« Lorsque le conseil ou la députation a pris une résolution qui sort de ses attributions, ou blesse l’intérêt général, le gouverneur est tenu de prendre son recours auprès dii gouvernement dans les dix jours, et de le notifier au conseil ou à la députation, au plus tard dans le jour qui suit le recours. »

M. le ministre des finances (M. Malou). - C’est l’article 85 qui concerne la députation, celui-là est relatif au conseil.

M. Verhaegen. - L’article 85 parle de toute autre chose ; c’est bien l’article 125.

M. le ministre soutient-il, je le prie de s’expliquer catégoriquement, que chaque fois que le conseil ou la députation prend une résolution, le gouvernement a le droit de l’annuler ?

M. le ministre des finances (M. Malou). - Oui, si elle blesse l’intérêt général.

M. Verhaegen. - Oui, dites-vous, si elle blesse l’intérêt général ; mais soutenez-vous qu’il le puisse dans toutes les matières sans exception ? Ainsi pour la milice, ainsi pour tout ce qui a rapport au domicile de secours, aussi bien que pour ce qui concerne l’assiette des impôts, et spécialement pour toutes les questions qui se rattachent au droit de patente ?

Eh bien, si vous me faites cette concession, et vous êtes obligé de me la faire, je dis que votre compétence n’est pas soutenable ; en effet, il est passé en jurisprudence administrative qu’en matière de milice, la députation permanente juge en dernier ressort, et que le gouvernement n’a pas le droit de contrôler ses décisions, loin de pouvoir les annuler. Il en est de même pour les questions qui se rattachent au domicile de secours, sauf le seul cas où la difficulté surgit entre deux provinces.

Messieurs, la jurisprudence administrative est basée entre autres sur les discussions qui ont eu lieu en 1836, au sujet de la loi provinciale. Notre honorable ami, M. Fleussu, sur l’article 125 a dit, en termes explicites et avec l’assentiment de la chambre tout entière, que lorsque les députations permanentes, au lieu de prendre une simple mesure administrative, posent des actes de juridiction contentieuse, le gouvernement n’a pas compétence pour annuler leurs décisions ; il a cité les questions qui se rattachent à la milice, au domicile de secours et au droit de patente.

Je ne prétends pas, messieurs, qu’il n’y ait rien à faire pour combler la lacune qui existe dans la législation actuelle, mais il n’appartient pas au gouvernement de combler cette lacune par arrêté.

Messieurs, pour qu’il y eût uniformité dans les décisions des diverses députations permanentes, il faudrait une autorité supérieure qui décidât en dernier ressort. S’il y avait un conseil d’Etat, on lui attribuerait ce pouvoir ; mais comme nous n’en avons pas (et j’espère que nous n’en aurons jamais), il faudrait attribuer la juridiction en dernier ressort à une autre autorité supérieure, à la cour de cassation, par exemple.

Si je ne me trompe, l’honorable M. Lebeau a présenté, en 1837, un projet de loi destiné à combler la lacune, et on ferait bien d’y donner suite immédiatement ; car il faut avouer qu’il y a une véritable anomalie à voir, entre autres, qu’en matière de milice, les décisions qu’on prend dans une province sont souvent diamétralement opposées à celles qu’on prend dans une autre, et que, relativement au droit de patente à charge des sociétés anonymes, ici on frappe les intérêts des capitaux, tandis que là on ne frappe que les dividendes. Toutefois, nous le répétons, ce n’est pas une raison pour que le gouvernement, sous prétexte de combler la lacune, vienne s’arroger un droit qui n’appartient qu’à la législature, et que, pour rétablir l’uniformité dans les décisions, il s’érige en juge souverain dans des contestations où il est l’adversaire-né des contribuables.

Voilà, messieurs, ce que j’avais à dire sur la question de compétence, la seule peut-être qu’on aurait dû toucher dans cette enceinte. Mais puisqu’on s’est occupé du fond, et que M. le ministre a fait valoir les raisons qui militent en faveur de son système, la chambre voudra bien me permettre de développer, en peu de mots, les raisons qui militent en faveur du contribuable. De cette manière, la partie sera égale.

Messieurs, je ne veux pas entrer dans ces subtilités auxquelles M. le ministre des finances a jugé à propos de recourir. Je m’inquiète fort peu de savoir ce qu’il faut entendre par revenu brut et par revenu net. La question n’est pas là.

Il s’agit uniquement de savoir si, pour les sociétés anonymes, le droit de patente peut être pris sur autre chose que sur ce qui constitue le bénéfice. Le droit de patente (et ce sont les expressions dont M. le ministre s’est servi) n’est pris, par exception à la règle, pour les sociétés anonymes que sur le bénéfice ; il ne s’agit pas, comme en général, d’un droit fixe sur l’importance de l’opération, mais d’un droit proportionnel sur les bénéfices. Or, messieurs, dans le sens légal comme dans le sens vulgaire il n’y a bénéfices que ce qui reste charges déduites. (Interruption.)

On me demande ce que c’est qu’une charge ; c’est tout ce qui est nécessaire pour arriver au résultat qu’on se propose. Ainsi quand dans une société on a besoin de locaux, le loyer de ces locaux constitue une charge de la société. Quand dans une société on lève des capitaux parce que le capitaux de la société sont insuffisants, les intérêts de ces capitaux constituent une charge de la société tout aussi bien que les loyers ; y a-t-il maintenant une raison de différence lorsque les capitaux sont fournis par les sociétaires eux-mêmes ? Certes non ? Je défie M. le ministre de m’en indiquer une seule.

On m’objecte qu’il y a injustice d’en agir ainsi pour les sociétés anonymes, parce que pour les sociétés ordinaires on perçoit le droit de patente d’une autre manière. Ainsi, et c’était l’argument qui a paru faire effet sur les bancs vis-à-vis de moi, M. le ministre des finances nous a dit que s’il y a dix banquiers qui dans une société ordinaire fournissent chacun un million, ils payeront un droit de patente fixe à raison de leurs capitaux, qu’ils fassent des bénéfices ou qu’ils supportent des pertes, tandis que la société anonyme, au capital de dix millions, ne payera dans notre système le droit de patente que sur les bénéfices, et il trouve cela injuste ! Mais pourquoi en est-il ainsi ? C’est parce que la loi a établi une exception à la règle sur le droit fixe de patente, en faveur des sociétés anonymes. Si le ministre trouve que la loi est vicieuse, qu’il en demande l’abrogation à la législature, mais il ne lui est pas permis de l’abroger par arrêté.

Messieurs, comme je le disais tantôt, les capitaux employés dans une société doivent leurs intérêts ; et ces intérêts sont une charge sociale. Ils sont tellement une charge sociale que, d’après un article du code civil au titre des sociétés, lorsque chacun des associés s’est engagé à faite l’apport d’une somme déterminée, celui qui ne fait pas cet apport est débiteur des intérêts envers la caisse sociale sans qu’il soit nécessaire de le mettre en demeure. Il doit les intérêts comme charge, parce que les capitaux produisant des intérêts, servant à l’industrie que la société a pour objet, doivent entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer les charges, et par suite de fixer les bénéfices.

Ainsi, messieurs, il n’y a réellement bénéfice pour une société que lorsque les intérêts sont déduits. La preuve que la question doit être ainsi entendue, c’est qu’en approuvant les statuts de certaine société anonyme par arrêté tout récent, le gouvernement, comme vous le disait l’honorable M. Osy, a distingué les intérêts des dividendes ; il a donné aux intérêts la dénomination qui leur convenait, comme il a donné aux dividendes la dénomination qui leur était propre ; d’où la conséquence que les intérêts ne sont pas des dividendes et que les dividendes sont autre chose que les intérêts.

Mais, dit M. le ministre des finances, la loi a parlé de « dividendes accumulés » ; il faut donc bien qu’il y ait des dividendes de deux espèces ; et ces dividendes de deux espèces sont les dividendes proprement dits et les intérêts. Si M. le ministre veut s’appuyer sur le texte, je le veux bien ; mais le texte est contre lui. Car qui dit dividende, dit bénéfice, toutes charges déduites ; or, le texte parlant de dividende, il ne peut pas rester l’ombre d’un doute sur ce point.

Mais on croit trouver dans les mots « dividendes accumulés » un argument auquel il serait impossible, de répondre. Messieurs, non seulement je vais y répondre d’une manière très facile, mais je vais rétorquer l’argument contre M. le ministre : oui il y a des dividendes de deux espèces ; il y a les dividendes que l’on répartit immédiatement aux actionnaires, et il y a les dividendes qui entrent dans la caisse de réserve, mais qui sont destinés à en sortir un jour.

Messieurs, j’ai une dernière observation à faire à M. le ministre, et ici je le ramène sur le terrain où il avait promis de me suivre lors de la discussion du budget des voies et moyens.

M. le ministre des finances m’avait dit, au sujet de l’impôt sur le revenu, qu’il aurait fait emploi de tous mes arguments à l’effet d’établir la thèse qu’il avait à soutenir devant vous, quant au droit de patente, et jusqu’à présent il est resté en défaut. Il m’importe à moi de reprendre a discussion au point où je l’avais laissée, et je finirai par poser un dilemme à l’honorable M. Malou.

Vous voulez, M. le ministre, frapper les intérêts dans les sociétés anonymes, parce que, selon vous, les intérêts aussi bien que les dividendes constituent des bénéfices. Ainsi les intérêts que je prends sur mes capitaux propres sont des bénéfices, tandis que les intérêts seraient une charge si les capitaux avaient été levés chez des tiers pour subvenir aux besoins de la société. Mais, messieurs, mes capitaux je les ai pris sur ma propriété ou sur mes revenus, et si on frappe ces capitaux, on frappe mon revenu d’un droit annuel. Eh bien, c’est (page 230) la taxe sur le revenu, que je demandais lors de la discussion du budget des voies et moyens ; mais, pour être juste, il faut que tout le monde soit frappé de la même manière. En effet, si un propriétaire prend 100,000 fr. ses biens-fonds, sur ses rentes ou sur ses fonds publics, pour les apporter dans une société anonyme, et si on vient, de ce chef, le frapper d’un droit annuel qu’on appellera droit de patente, si on le juge convenable, et que moi j’appelle la taxe sur les revenus ; si on frappe ce capital parce qu’il est apporté dans une société anonyme, pourquoi ne frapperait pas tout autre propriétaire ou rentier qui n’expose son capital à aucune chance industrielle ou commerciale, et qui en jouit paisiblement sans se donner aucune peine ? Pourquoi ce privilège exorbitant ? Qu’on me réponde !

Ainsi, messieurs, frappez les revenus, j’y consens volontiers, mais frappez-les par une loi, et frappez-les d’une manière générale ; n’ayez pas deux poids et deux mesures ; frappez les revenus des capitaux placés dans les sociétés anonymes, mais en même temps, frappez les revenus des rentiers ; frappez les revenus des propriétaires ; frappez tous les revenus, quels qu’ils soient ; c’est là la proposition que j’ai faite, et qu’on a si amèrement critiquée.

Je termine en posant à M. le ministre le dilemme suivant : Ou il veut établir une taxe sur le revenu ou il ne veut pas de cette taxe. Dans le premier cas, il doit admettre mon système, en généralisant la mesure par une loi ; dans le second cas, il doit accueillir la proposition de mon honorable ami M. Osy. Qu’il choisisse ! Le juste milieu est impossible, car il amènerait des injustices révoltantes.

(page 221) M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne dirai plus qu’un mot sur l’interprétation de la loi des patentes. L’honorable M. Verhaegen revient sur les idées qu’il a déjà émises relativement à la taxe sur les revenus l’impôt progressif. Distinguons d’abord. J’ai combattu en premier lieu l’idée de l’impôt progressif, opposé à l’idée de l’impôt proportionnel qui (page 222) fait la base de toutes nos lois. Quant au principe de l’impôt sur les revenus, il ne s’agit pas en ce moment de juger nos lois, mais il s’agit de savoir quelle en est l’application légitime. Je crois avoir établi, d’après le texte et d’après l’esprit de la législation relative aux patentes, que le but du législateur a été de frapper le revenu net de tous les capitaux consacrés à l’industrie. C’est là le but unique, le résultat final de toute la loi des patentes.

En effet le gouvernement, dans les explications sur le tableau n°9 de la loi de 1819, relatif aux sociétés anonymes, a déclaré nettement qu’il voulait établir l’impôt sur le revenu net des intéressés.

Quelles que soient les distinctions que l’on fera, on ne parviendra pas à ôter cette lettre de la loi ; il demeurera évident qu’elle a voulu frapper le revenu net des sociétés. (Interruption.) Je m’étonne qu’un homme habitué à interpréter les lois, puisse dire que les intérêts du capital d’une société sont une charge sociale. Je rétorquerai ici ce que disait l’honorable membre poser la question devant tous les jurisconsultes, c’est la résoudre. Les intérêts peuvent être une charge sociale quand il s’agit de capitaux empruntés et alors on les décompte, puisqu’on décompte les charges sociales ; mais quand il s’agit du capital même de la société, il est impossible de considérer les intérêts comme une charge sociale ; ils constituent une partie du revenu net ou du bénéfice.

Je crois, messieurs, avoir répondu ainsi au redoutable dilemme que les honorables MM. Osy et Verhaegen ont présenté sous des formes différentes. Oui, messieurs, aujourd’hui celui qui place ses capitaux, par exemple en rentes, sur l’Etat, n’est pas soumis à l’impôt, mais celui qui place ses capitaux de manière que la loi des patentes lui soit applicable, est soumis à l’impôt ; s’il emploie lui-même ces capitaux, il paye une patente fixe ; s’il les place dans une société anonyme, il ne paye plus la patente que sur les bénéfices qu’il réalise, et tel est le privilège dont jouissent les sociétés.

J’avais dit, messieurs, dans une séance précédente, que pour démontrer combien le gouvernement avait fait une application légitime de la loi, il le suffisait de l’opinion émise par l’honorable M. Verhaegen lui-même sur l’application de la loi des patentes. En effet, messieurs, vous vous rappelez tous que l’honorable membre, critiquant le principe de la loi des patentes, l’avait surtout attaquée parce qu’elle est un impôt sur certains revenus tandis qu’il voulait un impôt sur tous les revenus. Il reconnaissait donc en principe que la loi des patentes établit un impôt sur le revenu. Je me suis emparé de cet aveu et j’ai dit que si la loi des patentes établissait un impôt sur le revenu, le droit de patente devait être perçu sur les intérêts des sociétés anonymes qui font partie du revenu.

Je n’ai point traité jusqu’à présent la question de compétence, parce qu’elle n’avait pas été soulevée et que ce débat ne pouvant aboutir jusqu’à présent à aucune conclusion, il me paraissait parfaitement inutile de l’élargir. Permettez-moi cependant, messieurs, d’ajouter quelques mots sur ce point.

La loi provinciale donne au gouvernement le droit l’annuler les actes des députations permanentes qui blessent l’intérêt général ou qui sortent des attributions de ces collèges. Des discussions ont eu lieu sur l’application de cet article, mais ces discussions, que je viens de me faire reproduire encore, ont principalement porté sur la loi relative à la milice.

On a reconnu, quant à la milice, qu’il existe une lacune dans la loi provinciale, et c’est pour remplir cette lacune que l’honorable M. Lebeau a fait en 1837 une proposition qui n’a pas été discutée jusqu’à présent. La même lacune, veuillez le remarquer, messieurs, et la proposition de l’honorable M. Lebeau l’indique elle-même, n’a pas été reconnue alors en ce qui concernait les contributions et autres matière du même genre déférées au jugement de la députation permanente.

Voici comment les juridictions sont établies ; lorsqu’une décision d’une députation permanente, en matière de contributions, ne décide pas seulement une question de fait, pour l’application de laquelle elle est souveraine ; mais lorsqu’elle décide une question de principe, une question de droit, qui pourrait constituer une fausse application de la loi, il y a une juridiction supérieure ; c’est le gouvernement. Il y a pour les contribuables, d’après les faits et la jurisprudence qui paraît prévaloir, le recours judiciaire ; c’est ce que les honorables membres ont implicitement admis eux-mêmes. Donc, en définitive, si le gouvernement est juge jusqu’à un certain point en sa propre cause, c’est un juge provisoire ; puisque les tribunaux qui se déclarent compétents établissent encore le droit des citoyens.

En définissant la juridiction qui est établie aujourd’hui, je ne dis pas que ce soit le meilleur système ; il est possible, lorsqu’on discutera la proposition de l’honorable M. Lebeau, qu’on en vienne à en généraliser le principe, à étendre aussi bien aux contributions qu’à la milice le principe du recours direct à la cour de cassation.

Mais tant que cette juridiction nouvelle n’aura pas été légalement établie, le gouvernement se trouve en droit, d’après les termes de la loi provinciale, d’annuler les décisions des députations permanentes qui seront de leurs attributions ou qui blessent l’intérêt général. Ce droit je ne l’ai pas créé, je l’ai trouvé établi, et tant qu’une loi n’aura pas institué une juridiction spéciale, je n’hésiterai pas à en user toutes les fois que l’occasion s’en présentera.

M. Osy. - Messieurs, M. le ministre de finances a para vouloir me faire un reproche d’avoir soulevé cette question, parce qu’il y a un procès pendant devant les tribunaux. Cette considération n’a pas dû me préoccuper.

Lorsqu’à mon avis, le gouvernement applique mal une loi, j’ai le droit de parler de cet objet dans cette enceinte. Je ne suis pas jurisconsulte mais je dis que quand une loi a été interprétée dans un sens pendant 23 ans, M. le ministre des finances n’aurait pas dû l’appliquer dans un sens différent, mais il aurait dû venir nous proposer un changement à la loi des patentes, et ne pas introduire lui-même ce changement par un simple arrêté ministériel. Maintenant l’issue des procès, d’après moi, n’est pas douteuse. Qu’arrivera-t-il ? C’est que le gouvernement viendra l’année prochaine proposer ce que nous demandons aujourd’hui nous- mêmes.

Je le répète, en soulevant cette question, je n’ai pas recherché s’il y avait un procès pendant devant les tribunaux ; d’ailleurs, le procès, sur le fonds même, n’est pas commencé ; le procès est entamé sur la question de compétence et sur l’application de la loi.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l’honorable préopinant a une foi très robuste dans son opinion ; qu’il me permette d’en dire autant de la mienne : je crois que ces procès seront gagnés par le gouvernement si on les intente. Mais voyez quelle singulière position l’honorable membre fait au gouvernement : il fallait proposer une loi, et pourquoi ? Pour décréter précisément ce que la loi actuelle signifie dans l’opinion du gouvernement. Je devrais nécessairement donner une démonstration complète, comme je viens de l’essayer, du sens de la loi actuelle. C’est là une position que le gouvernement ne pouvait, ni ne devait prendre. Il a la conviction que la loi doit être appliquée comme il l’a interprétée ; il devait en assurer l’exécution, et réparer une erreur, si tardivement que ce fût, dès le jour où elle lui était signalée.

M. Lebeau. - Messieurs, je désire adresser une interpellation à M. le ministre des finances sur la question qui se débat en ce moment. Je sens que la chambre doit souhaiter de voir se terminer cette discussion qui ne peut aboutir à aucun résultat immédiat.

M. le ministre des finances a parfaitement compris que la position du fisc décidant dans sa propre cause, avait quelque chose d’anormal. Aussi s’est-il hâté de reconnaître que la décision administrative n’était en quelque sorte que préparatoire, la décision définitive devant nécessairement émaner du pouvoir judiciaire ; si cela est, je dois supposer que les représentants de M. le ministre des finances devant l’autorité judiciaire ne déclinent pas la compétence de tribunaux. Je désire savoir si le premier chapitre des instructions données aux avocats de l’administration n’est pas, au contraire, de décliner la compétence des tribunaux.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j’avais indiqué les difficultés qui se rattachent à la juridiction actuelle, et la possibilité de la changer. J’ajouterai que déjà, antérieurement même à une difficulté, et à raison d’autres difficultés de même nature qui ont surgi dans certaines provinces, je m’étais mis en rapport avec M. le ministre de la justice pour généraliser le principe de la proposition de l’honorable M. Lebeau, pour autoriser, en d’autres termes, le pourvoi, soit par les parties, soit par le gouvernement même, devant la cour de cassation.

Je ne me rappelle pas d’avoir eu à donner d’instructions, en ce qui concerne le procès actuellement pendant devant le tribunal de Bruxelles ; j’ai appris seulement l’autre jour, par un journal, qu’on avait opposé le déclinatoire, incompétence que les tribunaux ont rejetée.

M. Lebeau. - Ainsi, messieurs, ce n’est donc point par l’acquiescement libre du gouvernement que les tribunaux sont restés juges. Le gouvernement est bien moins désintéressé dans cette cause que lorsqu’il s’agit des affaires de milice ; dans les affaires de milice, le gouvernement est désintéressé, car si Paul ne marche pas, Pierre devra marcher à sa place. Ainsi, le gouvernement n’est point partie, et l’on conçoit, à la rigueur, qu’il peut prendre une décision souveraine. Mais dans les questions fiscales, le gouvernement est évidemment partie, et partie parfois très passionnée. Je ne comprends donc pas, lorsque M. le ministre des finances reconnaît lui-même que la décision administrative est entachée d’un vice de partialité ; je ne comprends pas, dis-je, qu’il fasse soutenir devant les tribunaux que le gouvernement seul est compétent pour décider ces questions.

Du reste, tout le monde paraît d’accord, et M. le ministre des finances lui-même, sur la nécessité d’une proposition qui fasse cesser un pareil état de choses, et cela me suffit.

- Personne ne demandant plus la parole, la chambre passe au vote.


« Principal : fr. 2,730,000. »

- Adopté.


« Dix centimes additionnels extraordinaires : fr. 273,000. »

- Adopté.

Redevances sur les mines

« Principal : fr. 156,000. »

- Adopté.


« Dix centimes ordinaires pour non-valeurs : fr. 15,600. »

- Adopté.


« Cinq centimes sur les deux sommes précédentes, pour frais de perception : fr. 8,580. »

- Adopté.

Douanes

« Droits d’entrée (16 centimes additionnels) : fr. 10,300,000. »

- Adopté.


(page 223) « Droits de sortie (16 centimes additionnels) : fr. 450,000. »

- Adopté.


« Droits de transit (16 centimes additionnels) : fr. 60,000.

- Adopté.


« Droits de tonnage (16 centimes additionnels) : fr. 550,000. »

- Adopté.


« Timbres : fr. 37,000. »

- Adopté.


« Droits de consommation sur les boissons distillées : fr. 940,000. »

M. Rodenbach. - Messieurs, depuis plusieurs années je me plains des bases des droits de consommation sur les boissons distillées, ces bases ne sont pas justes ; je pense que plusieurs sections ont partagé mon opinion, et M. le ministre des finances a promis l’an passé dans la section centrale de réviser cette loi, parce qu’il a trouvé lui-même que les bases n’étaient pas équitables. Je suis forcé de répéter ce que j’ai dit les années précédentes. Je tâcherai d’être très court.

Je ne veux pas diminuer le budget des voies et moyens, je désire que les boissons distillées payent environ un million de droit de consommation, mais je voudrais que les grands débitants, qui vendent pour des deux, trois cent mille francs de spiritueux, payent 300, 400 et 500 fr. ; car, quand on vend considérablement, on peut payer des droits proportionnellement ; de même le petit détaillant qui ne vend que pour quelques mille francs, et même quelques centaines de francs, ne devrait payer qu’en proportion de ce qu’il vend. Je ne comprends pas comment les ministres qui se sont succédé au département des finances ont conservé ce droit inique.

On a parlé de l’effet moral qu’on se proposait, on a dit qu’on voulait diminuer le nombre des débitants ; en fait on ne l’a pas diminué, car il y beaucoup de débitants clandestins, Si on ne leur imposait qu’une bagatelle, au lieu d’avoir 30 ou 40 mille débitants on en aurait 100 ou 200 mille ; en établissant cinq ou six classes on aurait également un million de recettes, et la répartition serait juste.

Avant d’entrer dans d’autres considérations, j’attendrai les explications de M. le ministre des finances, j’attendrai qu’il nous dise s’il a examiné cette loi et s’il est d’intention de nous proposer un projet de loi pour la modifier.

Des plaintes nombreuses vous ont été adressées, mais le pétitionnement a cessé parce qu’on a vu qu’il était sans succès. Il faut pourtant leur rendre justice, car on ne doit pas sacrifier les petits détaillants à ceux qui vendent beaucoup, à ceux qui font de grands profits.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Chaque année on se plaint de l’espèce d’injustice de la répartition de l’impôt dont il s’agit en ce moment. Il faut se reporter aux circonstances dans lesquelles cette loi a été introduite et se rappeler les motifs qu’on a fait valoir en la présentant. On n’a pas pensé que tous les débits seraient atteints d’une manière égale par cette loi, mais on a eu en vue d’amener la suppression d’un certain nombre de petits débits. Etendre la classification comme le propose l’honorable M. Rodenbach, serait revenir sur le principe de la loi, d’en vicier le système. Je dirai avec franchise à l’honorable M. Rodenbach que je ne pense pas qu’il soit possible, dans le cours de la session actuelle, de présenter un projet de modification à cette loi d’impôt.

M. Mast de Vries. - J’avais demandé la parole pour faire les observations que vient de présenter M. le ministre des finances. J’ai été rapporteur d’un projet de loi ayant pour objet d’apporter des modifications à la loi d’impôt dont il s’agit.

Dans l’examen des sections, il a été reconnu qu’il n’y avait rien de mieux à faire que de laisser les choses dans l’état où elles étaient. Ce rapport est distribué depuis quatre ou cinq années, on n’a pas cru devoir s’en occuper, parce qu’on a jugé qu’il n’y avait pas lieu d’apporter des modifications à la loi existante. Vous avez pu voir, d’après ce que vient de dire l’honorable membre, ce qui arriverait si on modifiait la loi dans le sens qu’il indique.

Le but qu’on a voulu atteindre et qu’on a atteint par cette loi, la diminution du nombre des petits débitants, serait détruit. En effet, il vous a dit : Réduisez le droit de débit pour les petits débitants, et vous aurez 200 mille patentables, au lieu de 30 mille, et vous percevrez la même somme. Je vous demande quel avantage nous aurions à avoir 200 mille patentables, au lieu de 30 mille !

M. Rodenbach. - Je ne voulais pas reprendre la parole, parce que je vois que ce serait sans utilité. Cependant il me paraît que M. le ministre n’est pas tout à fait éloigné d’examiner la question. Il a dit que, pour cette année, il ne pourra pas présenter de projet de loi ; mais il ne s’est pas refusé à examiner mûrement si effectivement les bases sur lesquelles cet impôt est établi sont iniques.

L’honorable M. Verhaegen a eu à cet égard la même opinion que moi, l’année dernière, il m’a même interpellé : je ne sais s’il est encore dans les mêmes idées.

M. Verhaegen. - Sans doute, j’ai dit, il y a quelques jours, que rien n’était plus injuste que de frapper du même droit tous les débitants grands ou petits ; tous les ans le gouvernement promet de faire droit aux réclamations qu’on lui adresse de ce chef ; s’il ne veut pas proposer une mesure, il faudra que nous usions de notre initiative. Je ferai un petit projet, je le soumettrai à M. Rodenbach.

M. Desmet. - Nous avons sans doute des lois à modifier, mais ce n’est pas celle sur la vente des boissons distillées, car on peut considérer cette loi comme une loi de tempérance. L’honorable membre reconnaît lui-même que si l’on introduisait les modifications qu’il demande, au lieu de 30 mille débitants, vous en auriez 2 ou 300 mille. Une semblable modification en ferait une mauvaise loi. J’espère qu’on ne l’y introduira pas.

- Le chiffre est mis aux voix et adopté.

Accises

« Sel (sans additionnels) : fr. 4,800,000. »

- Adopté.


« Vins étrangers (26 centimes additionnels et timbres collectifs) : fr. 2,000,000. »

- Adopté.


« Eaux-de-vie étrangères (sans additionnels) : fr. 200,000. »

- Adopté.


« Eaux-de-vie indigènes (sans additionnels) : fr. 3,500,000. »

- Adopté.


« Bières et vinaigres (26 centimes additionnels et timbres collectifs) : fr. 6,500,000. »

- Adopté.


« Sucres : fr. 3,000,000. »

- Adopté.


« Timbres sur les quittances : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Timbres sur les permis de circulation : fr. 4,000. »

- Adopté.

Garantie

« Garantie.

« Droits de marque des matières d’or et d’argent : fr. 150,000. »

- Adopté.

Recettes diverses

« Droits d’entrepôt, y compris ceux de l’entrepôt d’Anvers : fr. 1,900,000. »

- Adopté.


« Recettes extraordinaires et accidentelles : fr. 10,000. »

- Adopté.

Enregistrement, domaines et forêts

Droits additionnels et amendes y relatives

« Enregistrement (30 p.c. additionnels) : fr. 10,500,000. »

- Adopté.


« Greffe (30 p. c. additionnels) : fr. 300,000. »

- Adopté.


« Hypothèques (26 p. c. additionnels) : fr. 1,700,000. »

- Adopté.


« Successions (30 p. c. additionnels) : fr. 5,000,000. »

- Adopté.


« Timbre (sans additionnels) : fr. 5,000,000. »

- Adopté.


« Amendes : fr. 170,000. »

- Adopté.

Recettes diverses

« Indemnités payées par les miliciens pour remplacement et pour décharge de responsabilité de remplacement : fr. 60,000. »

- Adopté.


« Amendes en matière de simple police, civile, correctionnelle, etc. : fr. 150,000. »

- Adopté.


« Produits des examens : fr. 60,000. »

- Adopté.


« Produits des brevets d’invention : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Produits des diplômes des artistes vétérinaires : fr. 100. »

- Adopté.

Discussion du tableau des recettes (II. Péages)

Domaines

Produits des canaux et rivières

« Produits des canaux et rivières appartenant au domaine, de droits d’écluse, ponts, navigation : fr. 850,000.

« Ce chiffre se décompose comme suit :

« Escaut : fr. 98,000.

« Lys : fr. 67,000

« Dendre : fr. 21,000

« Dyle et Demer : fr. 4,000

« Meuse : fr. 65,000

« Canal d’Antoing : fr. 445,000

« Canal de Terneuzen : 30,000

« Canal de Bois-le-Duc : fr. 40,000

« Canaux de Gand à Ostende : fr. 30,000

« Canaux aboutissant au port de Nieuport : fr. 20,000

« Canal de la Campine (première et deuxième sections et embranchement vers Turnhout) : fr. 16,000

« Nèthe canalisée : fr. 14,000. »

(page 224) M. Pirmez. - Messieurs, il a été distribué, dans la séance d’hier une pétition sur laquelle je dois appeler, à l’occasion des péages, l’attention de la chambre.

C’est une pétition des industriels et exploitants de mines du bassin de Charleroy qui s’adressent à vous pour vous montrer l’énorme disproportion qu’il y a entre les charges qui pèsent sur ce bassin houiller et celles qui pèsent sur les autres.

Messieurs, avec un peu d’attention vous reconnaîtrez que ces charges sont pour ainsi dire incroyables, que la disproportion est énorme. Aujourd’hui que tous les canaux, toutes les rivières, toutes les voies navigables enfin sont devenus la propriété de l’Etat, il serait juste et légitime d’égaliser les droits et de ne pas vouloir faire payer à une seule contrée industrielle presque tous les revenus que produisent les péages. Ainsi messieurs, la Sambre figure au budget pour un revenu de 600,000 fr. et le canal de Charleroy pour 1,500,000 fr. Il y a, messieurs, des province dans le royaume, qui ne payent pas en contribution foncière la moitié de ce que donne le bénéfice du canal de Charleroy, canal qui a été construit, pour ainsi dire, comme à regret et dans des proportions telles qu le bateaux sont forcés de rompre charge à Bruxelles. Ce bénéfice exorbitant provient des péages que donnent les bateaux transportant des matières pondéreuses, et surtout de la houille, et dès lors vous sentez combien le taux énorme de ces péages doit nuire aux houillères qui transportent leurs produits par le canal de Charleroy.

Messieurs, les produits des canaux, des rivières, des droits d’écluse ponts et navigation ne s’élèvent, pour toutes les autres parties du royaume qu’à 850,000 francs, tandis que, comme je l’ai dit, le seul canal de Charleroy produit 1,500,000 francs, et la Sambre 600,000 francs.

Messieurs, cette différence de produits ne provient certainement pas de celle qui se remarque dans le mouvement de la circulation ; mais cela provient de la différence qu’il y a entre les péages ; car il y a aussi un grand mouvement sur la Meuse et sur les autres canaux.

Un membre. - L’Etat n’a pas acheté la Meuse.

M. Pirmez. - J’entends dire que l’Etat n’a pas acheté la Meuse. Mais, messieurs, la Meuse et plusieurs autres voies navigables coûtent beaucoup à l’Etat ; au lieu de donner des bénéfices au gouvernement, elles occasionnent des pertes. Si vous voulez comparer le budget des travaux publics à celui des voies et moyens, vous verrez que de ce chef il y a un déficit de près de 200,000 francs, tandis que le bassin houiller de Charleroy procure un bénéfice énorme. Car, toutes charges déduites, le canal de Charleroy rapporte au trésor un bénéfice net de 1,367,000 fr. (Interruption.)

J’entends dire que le péage sur le canal de Charleroy a été réduit. Mais cette réduction est nulle si vous comparez ce péage tel qu’il existe aujourd’hui avec ce que payent les autres voies navigables.

Un membre. - Combien de millions l’Etat a-t-il donnés pour acheter le canal de Charleroy ?

M. Pirmez. - On demande combien l’Etat a donné de millions pour l’achat du canal de Charleroy. Mais, messieurs, l’Etat est remboursé de ce qu’il a payé pour ce canal. Et les autres voies navigables, combien de millions coûtent-elles à l’Etat, et les rembourseront-elles jamais ?

J’en appelle à ceux qui sont désintéressés dans la question ; est-il juste d’imposer des charges énormes sur une voie de navigation et de ne mettre aucun impôt sur les autres, alors que toutes cependant appartiennent à l’Etat. Il n’est pas possible de légitimer cet état de choses par une seule bonne raison.

Ainsi, messieurs, le canal de Charleroy, canal construit sur de petites dimensions, rapporte à lui seul beaucoup plus que les 260 lieues de voies navigables du royaume. Je demande s’il y a là une juste proportion, et si l’on doit maintenir plus longtemps un pareil état de choses.

Un membre. - Faites une proposition formelle.

M. Pirmez. - On me dit de faire une proposition formelle. Messieurs, je présente des observations pour convaincre la chambre de la justice de mes réclamations Le gouvernement ne peut tarder à vous proposer lui-même des mesures qui mettront un terme à la situation exceptionnelle où se trouve le bassin houiller de Charleroy, et j’ai pris la parole pour faire comprendre cette situation exceptionnelle, et pour qu’on soit préparé à la discussion. Il est en effet possible qu’en présence des travaux dont la chambre est surchargée, on n’ait pas pris attention à la pétition qui nous a été distribuée hier, que quelques membres mêmes ne l’aient pas lue.

Messieurs, lors même que les péages sur le canal de Charleroy seraient réduits de 75 pour cent, encore les droits seraient-ils bien plus forts que ceux qui existent sur les autres voies de navigation du royaume. D’ailleurs, il ne faut pas croire que la perte pour le trésor serait proportionnelle à la réduction qui pourrait être faite ; l’exemple que l’on a du résultat de réductions du nième genre, prouve qu’il y aurait plutôt lieu à s’attendre à une augmentation de produits.

J’espère, messieurs, qu’en présence de ces observations, la chambre sera convaincue qu’elle ne peut ainsi surcharger une seule contrée du pays en matière de transports, alors que les autres ne supportent aucune charge.

M. Delehaye. - Messieurs, je pense que non seulement il importe de réduire les péages, mais que le gouvernement ferait bien de ne pas reculer devant la dépense, alors qu’il s’agit de donner à l’industrie des développements nouveaux.

Le canal de Charleroy dont vient de parler l’honorable M. Pirmez peut rendre à l’industrie des services très considérables ; mais pour cela il faudrait non seulement qu’on réduisît les péages, mais, aussi qu’on apportât certaines modifications au parcours du canal, dans la construction duquel on a plutôt considéré l’intérêt de certains individus que celui de l’industrie.

Le canal de Charleroy, tel qu’il est construit aujourd’hui, impose à nos industriels des Flandres une dépense considérable pour la houille. Si, messieurs, il existait d’autres écluses, si l’on n’était pas forcé de rompre charge à Bruxelles, les frais de transport seraient de 2 ou 3 francs moindres qu’ils ne le sont aujourd’hui.

J’entends dire près de moi qu’il y aurait trop de perte d’eau. Je suis heureux, messieurs, qu’on m’ait fait cette objection, la seule probablement qu’on puisse me faire. Il est reconnu, messieurs, qu’en élargissant les écluses, la perte d’eau, loin d’être plus grande, serait moins grande ; et je vais le prouver.

Aujourd’hui, messieurs, comme les écluses sont très petites, le nombre des navires qui parcourent le canal doit être très considérable, et dès lors il faut que les écluses jouent très souvent. Si au contraire les écluses étaient plus larges, si elles pouvaient donner passage à des bâtiments plus considérables, le nombre de ceux-ci serait par cela même moins grand, et les écluses ne devraient pas jouer aussi souvent.

Ainsi, messieurs, pour conserver les eaux dans un canal, il faut faire des écluses très larges. C’est d’ailleurs une question qui a été jugée dans les Flandres et partout où les eaux jouent un grand rôle. Il est certain que plus sur un canal les écluses sont larges, plus leur jeu est rare, et plus la quantité d’eau qui reste dans le canal est considérable. (Interruption.)

On me dit qu’on ne laisse jamais passer qu’un seul bateau par une écluse. Mais entre deux écluses, dans ce qu’on appelle le bassin, on fait entrer plusieurs bateaux à la fois.

Je conçois, messieurs, que les honorables députés de Bruxelles puissent trouver que mes observations ne sont pas fondées. Mais c’est qu’on a fait précisément pour le canal de Charleroy, ce qu’on a fait pour les stations du chemin de fer. On a voulu que tout le pays vînt payer à Bruxelles une certaine rétribution ; on a voulu que tous les habitants du Nord se rendant dans le Midi, ou tous les habitants du Midi se rendant dans le Nord, dussent séjourner pendant quelque temps à Bruxelles. C’est ce qu’on a fait aussi pour le canal de Charleroy ; on a voulu que les navires dussent séjourner à Bruxelles ; et comme il faut le même personnel pour manœuvrer un petit navire que pour manœuvrer un grand navire, on a construit le canal de manière à ce qu’on ne pût employer que de petits bâtiments, ce qui en a considérablement augmenté le nombre.

Messieurs, les bateaux du canal de Charleroy transportent 100 à 120,000 kilog. de houille ; j’entends même dire 70,000 fr. Vous comprenez que si les écluses étaient plus larges, si elles pouvaient donner passage à des navires quatre fois plus grands, transportant 4 à 500,000 k. la dépense de transport deviendrait bien moins considérable, et dès lors, il y aurait profit pour l’industrie.

Ainsi, messieurs, il ne suffit pas qu’on réduise les péages comme le demande l’honorable M. Pirmez ; il faut aussi qu’on apporte des modifications à l’Etat actuel du canal, il faut qu’on affranchisse le pays tout entier d’un tribut qu’on lui fait payer en faveur de la capitale.

Messieurs, l’industrie est intéressée à recevoir la houille au moindre prix possible. Or, je crois pouvoir dire que la mesure que je réclame diminuerait d’un tiers le prix de la houille pour les industries des Flandres.

Je me joins donc à l’honorable M. Pirmez pour demander une réduction des péages ; mais je voudrais que les députés des provinces intéressées se joignissent aussi à moi pour demander l’élargissement des écluses.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour prier M. le ministre des finances de vouloir nous dire si son intention est de s’occuper de la révision des tarifs des canaux et rivières. L’année dernière, si je ne me trompe, M. le ministre a déclaré qu’il avait cette intention. Eh bien, messieurs, c’est là une question extrêmement grave, non seulement au point de vue de l’intérêt du trésor qui pourrait être lésé par un abaissement trop considérable, mais aussi sous le point de vue de l’équilibre qui doit exister entre les prix de transport sur les diverses voies navigables du pays.

Le gouvernement possède les principales voies de transport ; le chemin de fer, les routes et les rivières et canaux les plus importants, et il faut nécessairement qu’il maintienne certain équilibre entre les prix de transport par ces différentes voies, car s’il les abaissait trop sur quelques-unes, il en résulterait un préjudice considérable pour les industries qui écoulent leurs produits par d’autres voies, parce qu’elles ne pourraient plus soutenir la concurrence.

C’est ainsi, par exemple, que si l’on opérait sur le canal de Charleroy un abaissement de péage aussi considérable que celui qui est demandé, c’est-à-dire de 75 p. c., non seulement on lèserait l’intérêt du trésor, mais on ferait encore surgir immédiatement des réclamations de la part des exploitants du bassin de Mons pour obtenir un abaissement analogue sur les canaux et rivières dont ils font usage pour alimenter l’intérieur du pays.

L’honorable M. Pirmez vous a dit, messieurs, qu’un abaissement du péage sur le canal de Charleroy n’entraînerait pas nécessairement une diminution dans les revenus du trésor.

Je ne pense pas que cette prévision soit exacte, car la navigation est (page 225) déjà si considérable sur le canal de Charleroy, que je ne vois guère la possibilité de l’augmenter encore, au moins d’une manière notable. J’admets en thèse générale la vérité de ce principe d’économie politique que la diminution des frais de transport amène des transports plus nombreux ; mais je crois que ce principe doit subir ici une exception, à cause de la circonstance que je viens d’indiquer. Si donc on abaissait de 75 p. c. le péage sur le canal de Charleroy, il en résulterait très probablement une diminution de 75 p. c., c’est-à-dire de près d’un million, dans les revenus de ce canal.

Ce que je viens de dire, messieurs, en ce qui concerne le canal de Charleroy, ne tend pas à engager le gouvernement à ne pas s’occuper de la question générale de la révision des péages. Il y a, sous ce rapport, beaucoup à faire ; il y a à équilibrer les différents tarifs, tant des canaux que du chemin de fer ; il y a aussi à opérer certaines réductions qui, en amenant une augmentation dans les transports, ne diminueraient pas les revenus du trésor. Ainsi, je serais partisan d’une réduction sur la Sambre inférieure, car je crois que là elle amènerait très probablement de l’accroissement dans la navigation. D’ailleurs, il y a là une anomalie choquante sur la Sambre supérieure, le tarif qui était de 19 à 20 centimes par tonne a été réduit à 10 centimes, tandis que, sur la Sambre inférieure, il n’a subi aucune réduction, C’est là un état de choses qu’il est juste de faire cesser, et je crois que le gouvernement doit y songer sérieusement.

M. David. - J’ai écouté avec attention les observations de l’honorable M. Pirmez, et tout ce que j’ai pu en saisir, c’est qu’il désire une réduction très forte sur le péage du canal de Charleroy ; mais tout en soutenant que le péage est trop élevé, l’honorable membre ne nous a pas mis sous les yeux les calculs par lesquels il pourrait prouver que dans cette direction le péage est plus fort par lieue parcourue que sur les autres lignes de navigation.

Si le transport coûte plus cher sur le canal de Charleroy que sur d’autres voies navigables, que l’honorable M. Pirmez veuille bien nous le démontrer par des chiffres. Quant à moi, je prétends que la somme énorme que rapporte le canal de Charleroy, provient uniquement de la fréquence et de l’importance des transports, et aussi longtemps que M. Pirmez ne nous aura pas fait connaître le prix du transport par lieue parcourue, je ne pourrai pas croire que le canal de Charleroy est plus imposé que tout autre canal de la Belgique.

M. Orban. - Nous avons au budget une somme de 1,500,000 francs résultant du péage du canal de Charleroy. L’honorable M. Pirmez vient de servir d’interprète aux signataires d’une pétition par laquelle on demande que ce péage soit réduit de 75 p. c., ce qui réduirait le revenu de ce canal dans une proportion analogue. Or, messieurs, ces 1,500,000 francs que le gouvernement perçoit aujourd’hui sont nécessaires pour couvrir les charges de l’Etat ; si cette somme était rayée du budget il faudrait la remplacer au moyen d’impositions nouvelles ou par une augmentation des impôts existants. C’est dire assez qu’une pareille motion n’a pas la moindre chance de succès, car aucun impôt n’est plus équitable que celui résultant des péages. C’est là en effet un impôt tout à fait volontaire ; celui-là seul est appelé à le payer, qui trouve quelque avantage à se servir des moyens de circulation créés par l’Etat, et il reçoit en échange un service, une valeur équitable.

Si maintenant nous prenons égard au nombre et à la position des personnes intéressées dans ces exploitations, nous y trouvons un nouveau motif de ne point alléger l’impôt qui doit les atteindre. N’est-il pas vrai, en effet, qu’en général un revenu considérable peut plus équitablement être atteint par l’impôt qu’un revenu moins élevé ? Celui qui possède cinquante mille francs de revenu peut plus aisément en abandonner un dixième à l’Etat que celui dont le revenu n’est que de quelques centaines de francs et lui donne à peine de quoi vivre. Eh bien, messieurs, les propriétaires fonciers dont la majeure partie sont dans cette dernière situation et ne possèdent qu’un revenu minime, payent à l’Etat un dixième de ce revenu, tandis que l’immense richesse que constituent les houillères et qui se trouve répartie entre un nombre relativement très peu considérable d’intéressés, ne paye qu’un impôt dérisoire.

Nous pourrions encore, messieurs, examiner la question sous le rapport des charges imposées à l’Etat, et ici encore nous trouverions des motifs pour aggraver plutôt que pour atténuer la contribution des houillères dans le revenu public. En effet, c’est uniquement dans leur intérêt et à leur occasion que le gouvernement subvient à la dépense de l’administration des mines qui prend chaque année un nouvel accroissement à mesure que le personnel de cette administration devient plus nombreux, Nous avons dit tantôt que la dépense de cette administration était telle qu’elle absorbait et bien au-delà le produit total des redevances des mines.

C’est du reste bien mal choisir son temps pour formuler une réclamation de cette espèce, que de choisir pour cela le moment où l’on réclame de nouvelles améliorations au canal de Charleroy, dont la dépense, si mes renseignements sont exacts, ne s’élèvera pas à moins de 2 millions.

Aussi, messieurs, n’aurais-je point demandé la parole, si je n’avais trouvé entre la proposition qui vous est faite et la situation privilégiée de l’industrie houilleresse en matière d’imposition , une connexion qui m’autorise à fixer l’attention de la chambre sur ce dernier fait.

La Belgique est le pays du continent où l’exploitation des charbonnages a le plus d’importance, C’est le pays où le terrain houiller a le plus d’étendue, et où le produit des exploitations est le plus élevé. La somme des produits ne s’élève pas à moins de quatre millions de tonnes annuellement, qui représentent un capital d’environ 40,000 millions de fr. Certes ce n’est pas exagérer que de dire que le bénéfice du producteur est au moins du quart de cette somme. Eh bien, cet énorme revenu est représenté au budget par une redevance de 180,000 francs, additionnels compris. Si vous ajoutez à cela que l’administration des mines qui a uniquement pour objet l’intérêt des exploitations, coûte à l’Etat une somme de beaucoup supérieure à cet article de recette, vous devrez en tirer cette conséquence que la propriété métallurgique en exploitation, qui constitue l’une des principales richesses du pays, ne contribue en aucune manière aux charges de l’Etat.

Assurément s’il est vrai que chacun doit contribuer aux dépenses de l’Etat en proportion de sa richesse, s’il est vrai que l’impôt doit demander l’argent là où il se trouve, l’on n’a pas appliqué ces principes aux charbonnages, et il existe pour eux, comme je le disais, une position tout à fait privilégiée en matière d’imposition.

Existe-t-il au moins des raisons pour justifier ce privilège, pour frapper par exemple les charbonnages moins que la propriété foncière qui donne au trésor le dixième de son revenu ? C’est ce qu’il faut examiner.

D’abord si l’on examine l’origine de la propriété métallurgique, l’on trouve que cette origine c’est la concession gratuite, ou peu s’en faut, faite par l’Etat à l’un ou l’autre des demandeurs en instance. Assurément que l’Etat, en accordant à l’un d’eux une préférence qui quelquefois constitue pour lui une fortune, un avantage de plusieurs millions, est bien en droit de stipuler en sa faveur une large part dans les produits à titre d’impôt. Sous ce rapport aucune imposition ne se justifierait mieux qu’une redevance élevée sur le produit des mines concédées.

Messieurs, on se demande comment une semblable situation a pu se produire ? Comment elle a pu se perpétuer ? Il est facile de dire comment elle s’est produite. Il suffit de remonter pour cela à l’origine de la législation sur les mines et de l’établissement des redevances. A cette époque, les exploitations de houille présentaient des difficultés immenses ; elles étaient en quelque sorte dans leur enfance et elles avaient besoin d’encouragements. La position particulière du gouvernement impérial surtout exigeait absolument ces encouragements. La France, isolée commercialement et politiquement de l’Angleterre, devait stimuler dans le pays non seulement les recherches des mines et la production du combustible, mais encore la fabrication du fer, si indispensable pour un gouvernement militaire. L’on conçoit aisément que ces motifs aient été prédominants à l’époque où la législation a été établie ; qu’on ait sacrifié l’intérêt du trésor au besoin d’encourager la recherche et l’exploitation du combustible minéral.

Maintenant comment il se fait que ce régime de privilège et de faveur ait pu se perpétuer et se maintenir en présence de la situation si florissante de nos charbonnages, c’est ce qui s’explique par la puissance même des intérêts engagés dans cette question, par la résistance que l’on rencontre de la part de ces mêmes intéressés.

M. Osy. - Cela n’est plus en discussion, l’on a voté l’article Redevance des mines.

M. Orban. - Messieurs, j’ai commencé par établir le rapport intime qui existe entre la question de la redevance des mines et celle de la réduction des péages de la Sambre, soulevée par l’honorable M. Pirmez. Cette réduction devant profiter directement aux charbonnages du bassin de Charleroy, et constituer un dégrèvement en leur faveur, j’ai cru devoir démontrer que l’industrie dont il s’agit, loi d’avoir un dégrèvement à réclamer, ne fournissait point au trésor public la part d’impôt qu’on est en droit d’en exiger.

J’étais donc parfaitement dans la question, et j’ose dire que la question elle-même est digne de toute votre attention. Si l’honorable M. Osy, qui m’a interrompu, mettait toujours la même opportunité dans ses discours et dans les motions dont il saisit la chambre, j’ose dire qu’il serait beaucoup plus certain de ne pas abuser de son attention.

M. Brabant. - Messieurs, je ne renouvellerai pas cette année la tentative que j’ai faite l’année dernière, à l’effet d’obtenir un dégrèvement sur les péages établis sur la Sambre canalisée. Lors de la discussion de l’année dernière, M. le ministre des finances m’avait promis de faire étudier la question et de faire droit à nos griefs, s’ils étaient reconnus fondés, si on croyait pouvoir les redresser, sans causer un préjudice trop considérable au trésor.

Je remercie l’honorable M. d’Hoffschmidt d’être venu en aide aux justes réclamations des riverains de la Sambre ; je regrette seulement que l’année dernière, ministre des travaux publics, lors de ma proposition, il ne m’ait pas prêté cet appui. (Interruption de la part de M. d’Hoffschmidt.) Je vous suis très reconnaissant de ce que vous avez fait aujourd’hui, et je ne vous sais pas mauvais gré de ce que vous n’avez pas fait l’année dernière.

L’honorable M. d’Hoffschmidt, par la position qu’il a occupée à la tête du département des finances, peut très bien comprendre quelle serait l’influence de la réduction des péages, l’uniformité des tarifs sur la Sambre. Je crois que son opinion doit être de quelque influence sur celle de M. le ministre des finances. Je me bornerai à demander à celui-ci ce qu’il a fait ou ce qu’il se propose de faire, relativement à la Sambre canalisée.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, parmi les mesures les plus utiles, les plus fécondes que le gouvernement puisse prendre, figure assurément la réduction générale des péages lorsque la situation (page 226) de nos finances le permettra. J’ai promis, l’année dernière, d’étudier cette question : je l’ai fait ; mais j’ai trouvé dans notre système de péage tant de choses artificielles, tant de complications, qu’il m’a paru impossible d’arriver à une révision d’ensemble, à un principe unique pour tous les péages. La théorie vient, en quelque sorte, se briser contre les faits contre les positions acquises.

Arrivé à ce résultat, j’avais à me demander s’il n’était pas possible, du moins pour certaines voies, de rentrer mieux dans la règle générale, de corriger quelques vices de détail, en faisant intervenir dans la solution de cette grande question le meilleur élément pour résoudre toutes les difficultés :le temps, les mesures successives.

Je me suis donc surtout occupé de ce qui concerne l’anomalie existant aujourd’hui, il faut le reconnaître, à l’égard du tarif de la Sambre inférieure. Avant peu de temps, d’accord avec M. le ministre des travaux publics, j’espère pouvoir soumettre à la chambre une proposition relative cette voie de navigation.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, l’honorable M. Brabant a regretté que, quand j’étais à la tête du département des travaux publics, je ne me sois pas montré aussi favorable qu’à présent à une réduction des péages sur la basse Sambre. Le motif pour lequel je n’ai pas fait une semblable proposition dans le cours de la session dernière, c’est parce qu’il était sérieusement question, à cette époque, d’une révision générale des tarifs des canaux et rivières ; dès lors je n’ai pas pensé qu’il fût nécessaire de faire immédiatement une exception en faveur de la basse Sambre ; mais au ministère des travaux publics, on a toujours été d’avis qu’il y avait lieu d’abaisser les péages sur la basse Sambre, et je pense que mon honorable successeur doit être de cet avis.

Si on a fait cette différence, en ce qui concerne ces péages, avec ceux des autres canaux et en particulier avec ceux du canal de Charleroy, c’est, comme je l’ai déjà dit, parce qu’il existe une anomalie choquante entre ceux de la haute et de la basse Sambre. Un autre motif encore, c’est que l’équilibre pour les transports vers l’intérieur du pays n’en serait pas compromis. Cette question d’équilibre qui se présente d’une manière très prononcée, en ce qui concerne le canal de Charleroy, vis-à-vis du bassin de Mons, ne doit plus exercer maintenant aucune influence pour les transports de houille vers Namur par la Sambre.

Voilà les motifs qui, me paraît-il, doivent expliquer parfaitement aux yeux de l’honorable M. Brabant, comme à ceux de la chambre, la conduite que j’ai tenue, quand j’étais ministre des travaux publics.

M. Dumont. - Messieurs, j’ai demandé la parole pendant le discours de l’honorable M. Orban. L’objection principale que fait l’honorable membre contre une diminution de péages sur le canal de Charleroy, consiste à dire que le trésor serait privé d’un revenu assez considérable. L’honorable membre a envisagé ce revenu comme un impôt, et il a trouvé cet impôt parfaitement établi. Eh bien, c’est ce que je viens contester.

Oui, ce revenu est un impôt, mais je demande à la chambre si cet impôt est juste, s’il pèse également sur tous les extracteurs et sur tous les consommateurs de charbon ? Le canal de Charleroy a coûté l2 à 13 millions à l’Etat ; il rapporte 1,500,000 francs ; mais, frais déduits, je crois que le bénéfice n’est que de 13 à 1,400,000 fr. Voilà 12 ou 13 ans que l’Etat est en possession de ce canal ; de sorte que s’il n’est pas remboursé du prix d’acquisition, il est bien près de l’être.

Maintenant les voies de communication sont-elles établies dans le but de créer un revenu au trésor ? ou bien le sont-elles dans le but de favoriser les industries du pays ?

Je crois que c’est le deuxième : de favoriser les industries du pays et non de produire un revenu au trésor. Quand on veut créer des revenus au trésor, on le fait en établissant des impôts qui pèsent aussi proportionnellement que possible sur tous les citoyens. Si c’est un impôt de consommation qu’on veut établir, il doit frapper tous les consommateurs, Si on doit considérer comme tel le péage qu’on perçoit sur le canal de Charleroy, le bassin de Charleroy et ceux qui achètent ses produits acquittent un impôt souverainement injuste, puisqu’il ne pèse que sur un bassin houiller et sur les consommateurs qui font usage de ses produits. Je dis donc, que les 1,500 mille fr. d’impôt qui vont peser sur le bassin de Charleroy et sur les consommateurs de ses produits ne peuvent pas être considérés par nous comme un impôt juste, puisqu’il ne pèse que sur une petite partie de la population.

L’honorable M. Orban trouve juste de frapper l’industrie houillère d’un impôt plus considérable que celui qu’elle supporte. Je ne pense pas que cette discussion vienne fort à propos, je crois qu’il y aurait beaucoup de considérations à faire valoir contre un nouvel impôt dont on voulait frapper la houille qui est une matière première indispensable pour beaucoup d’industries. On désire amener les prix de revient de nos produits au taux le plus bas possible, le moyen n’est pas d’élever par un impôt nouveau le prix d’un combustible aussi nécessaire à l’industrie que le charbon.

Je n’en dirai pas davantage à cet égard.

On a parlé de l’élargissement des écluses du canal de Charleroy. Je crois que ce serait une bonne opération dans l’intérêt de l’industrie et du trésor. On craint que cet élargissement ne soit pas possible à cause de la grande dépense d’eau qui en résulterait. Mais cette crainte n’est pas fondée ; on a pu l’avoir quand on a fait le plan du canal, on a craint de n’avoir pas assez d’eau pour alimenter un canal à grande section, mais en creusant le souterrain et le bief supérieur au point de partage, on a trouvé des sources si abondantes que la crainte du manque d’eau a cessé.

On avait établi des machines à vapeur pour déverser de l’eau dans le bief supérieur ; elle n’a jamais fonctionné que quand le canal avait été mis à sec pour le curement. Je n’irai pas aussi loin que l’honorable M. Delehaye ; je sais qu’il résulterait de l’opération qu’il propose une dépense considérable, et je craindrais de ne pas l’obtenir. On ne peut, du reste, la réaliser que dans un temps assez long.

Quant aux péages, la réduction qu’on demande ne diminuerait pas les revenus du trésor dans la même proportion. On a dit que le canal n’était pas susceptible de transporter plus de charbon que maintenant. Pour moi, je pense qu’il peut transporter, sinon le double, au moins un tiers en plus de ce qu’il transporte maintenant. Si l’eau ne manque pas, pourquoi ne permet-on pas la navigation de nuit ? En la permettant, on doublerait presque la navigation.

M. le ministre des finances (M. Malou). - On s’en occupe.

M. Dumont. - L’honorable M. David a demandé quel était le péage établi sur le canal de Charleroy. Ce péage n’est pas établi par lieue et par tonneau, mais pour toute la distance de Charleroy à Bruxelles, ce qui revient à 19 1/2 centimes par tonneau et par lieue. C’est le même péage que sur la basse Sambre. Pour le charbon s’exportant vers la frontière française, on ne paye que 10 centimes.

Ainsi les consommateurs du Brabant et d’une partie des Flandres payent un droit plus élevé que les consommateurs de la France. J’ai déjà fait remarquer que le charbon était une matière première ; s’il n’est pas aussi nécessaire que le pain, il est aussi indispensable pour toutes les classes de la société que le vêtement. Ce n’est pas seulement pour l’usage qu’en fait la classe pauvre, qu’il est important de maintenir les houilles à bas prix, mais pour les nombreuses fabriques du Brabant et des rives de l’Escaut qui en ont un besoin absolu. Je ferai remarquer ensuite qu’il est des charbons qui conviennent à certaines usines, et qu’on ne trouve pas ailleurs que dans le bassin de Charleroy ; c’est à cela qu’il faut attribuer la quantité considérable de charbon que Charleroy expédie par le canal. Cette quantité augmenterait encore dans une grande proportion si on diminuait les péages. Je ne dirai rien de la Sambre, puisque M. le ministre a annoncé la présentation d’un projet de loi. J’espère que ce projet sera conçu de manière à satisfaire tous les intérêts.

M. Dolez. - J’ai la ferme conviction que la question soulevée par mon honorable ami, M. Pirmez, ne peut en ce moment aboutir à aucune espèce de résultat ; aussi je pense que j’abuserais inutilement des moments et de l’attention de la chambre, si je prolongeais cette discussion. Permettez-moi toutefois, messieurs, de vous soumettre quelques courtes et rapides observations.

Une proposition de réduction de péage est une proposition qui, au premier abord, séduit. Pour mon compte, quand je l’envisage dans un aspect simple, je suis porté à m’en déclarer partisan. Mais cette question n’est pas simple, elle est complexe, elle se complique avec d’autres intérêts que ceux auxquels elle semble exclusivement s’adresser.

Quand le gouvernement intervient avec la puissance de tous, avec les ressources de tous, dans les questions d’industrie, il doit prendre garde aux divers intérêts qui se trouvent engagés. C’est en partant de ce principe, c’est en prenant égard à la complication des divers intérêts, que les péages de nos canaux ont été établis sur les bases dont on se plaint aujourd’hui ; si on opérait une réduction de péages sur une voie de communication sans s’occuper des intérêts des industries concurrentes, on amènerait une secousse désastreuse dans des situations industrielles dignes du plus haut intérêt, et cette secousse, soyez-en convaincus, produirait, pour la prospérité générale du pays, un mal devant lequel s’effaceraient les avantages que l’on semble attendre de la mesure réclamée par l’honorable représentant de Charleroy.

C’est ainsi que, pour parler d’une situation qui m’est particulièrement connue, je dois déclarer à la chambre qu’une réduction de péage sur le canal de Charleroy porterait un coup mortel à l’industrie du bassin de Mons. Et dans quel moment ce coup lui serait-il porté par le gouvernement, par l’intervention de la puissance de tous ? Quand cette industrie est déjà à la veille de devoir faire appel à la justice du gouvernement et des chambres, pour un fait analogue dont elle est déjà victime.

Lorsque le gouvernement vint soumettre à la chambre les nombreuses concessions de chemins de fer qu’il voulait accorder à des compagnies étrangères, il ne perdit pas de vue la nécessité de maintenir un équitable équilibre entre nos grands centres industriels de la province de Hainaut, qui devait surtout être le théâtre de ces entreprises. Il entra dans sa pensée et dans celle de la chambre de maintenir et de sauvegarder les intérêts de tous.

C’est ainsi qu’on reconnut que si, d’un côté, on autorisait la concession d’un chemin de fer partant des charbonnages du centre pour aboutir à Mons ; que si, d’un autre côté, on autorisait l’établissement d’un chemin de fer de Charleroy à la Sambre française, il fallait donner à Mons d’équitables compensations d’une part, dans la création du canal et du chemin de fer de la Dendre ; d’autre part, dans la création du canal de Mons à Erquelinnes. Or, que se passe-t-il ? A l’heure qu’il est, le chemin de fer de Manage à Nons est presque terminé ; le chemin de fer de Charleroy à la Sambre française est aussi très avancé, tandis que ni le chemin de fer de la Dendre, ni le canal de la Pendre, ni le canal d’Erquelinnes ne sont commencés. De sorte, messieurs, que cet équilibre que vos efforts équitables ont toujours cherché à maintenir entre les différents centres producteurs du Hainaut, est déjà à la veille de se trouver rompu d’une manière qui ne peut manquer d’exciter les plus légitimes doléances.

(page 227) Et c’est à ce moment, messieurs, qu’on demande d’aggraver encore cette situation, au profit de ceux-là même qui en profitent, en réduisant les péages du canal de Charleroy ! Soyez-en convaincus, messieurs, si le gouvernement se décidait à opérer cette réduction, il amènerait au sein d’une partie du Hainaut une crise industrielle épouvantable. J’ai la conviction que je n’exagère rien en tenant ce langage, et que le gouvernement ne démentira pas mes paroles.

Au reste, messieurs, je suis loin de m’opposer à ce qu’on examine la question de la réduction des péages ; mais je demande qu’on n’examine pas cette question sous le point de vue d’un seul intérêt, je demande qu’on l’examine en combinant cet intérêt avec tous les autres qui s’y rattachent d’une manière intime, inséparable.

Dois-je maintenant, messieurs, consacrer quelques mots aux observations qui vous ont été soumises par l’honorable M. Orban ?

Cet honorable membre a versé dans des erreurs qui vous auront frappés tous. D’abord, je ne sais où cet honorable membre a été chercher le chiffre d’une production de 400,0o0,000 de tonneaux dont il vous a parlé. 400,000,000 de tonneaux, messieurs, c’est une véritable plaisanterie !

Plusieurs membres. - Quatre millions de tonneaux !

M. Dolez. - Je ne pourrais pas vous dire quel est le chiffre de cette production, mais je suis convaincu qu’il y a là une exagération qui fera rire tous ceux qui la verront et je pense que le chiffre de 4,000,000 de tonneaux que indiquent en ce moment plusieurs de nos collègues n’est pas dépassé.

Mais enfin, abstraction faite de cette erreur fondamentale qui prouve que l’honorable membre s’exagère singulièrement les espérances financières qu’il fonde sur la mesure dont il vous a entretenue, j’ai la ferme conviction qu’il n’y aurait pas d’impôt plus funeste à l’intérêt général que celui qu’il propose. Il a comparé l’industrie minérale à la propriété foncière. La propriété foncière, messieurs, qui rapporte à ceux qui la possèdent des revenus toujours sûrs, des revenus exempts d’inquiétudes, exempts de chances, tandis que la propriété des mines n’est que l’élément d’une industrie chanceuse, d’une industrie toujours aléatoire, qui, soyez-en bien convaincus, expose ceux qui s’y livrent aussi souvent à la ruine qu’à la prospérité ! Sans doute cette industrie a été et sera encore la source de quelques fortunes qui frappent tous les yeux ; mais elle n’a que trop souvent produit des résultats d’une nature bien différente. Au moment où l’on proposait la loi de 1810, Napoléon dont le génie savait aussi reconnaître des objets qu’il importait de ne pas soumettre aux charges et aux entraves de l’impôt, Napoléon proclamait un principe diamétralement opposé à celui que défend l’honorable M. Orban ; il pensait qu’il ne fallait frapper la propriété des mines d’aucune espèce d’impôt, parce que l’intérêt public réclamait qu’elle fût prospère, et qu’au lien de lui susciter des entraves on lui vînt en aide par tous les moyens possibles.

D’ailleurs, messieurs, il ne faut pas croire que l’on pourrait parvenir, en appliquant les idées de M. Orban, à un résultat financier qui fût de nature à nous tenter. Si vous saviez quels sont les véritables produits nets des mines, vous seriez convaincus que les résultats qu’il semble entrevoir sont purement chimériques.

Une mine, au moment où elle commence à produire, a déjà absorbé un capital excessivement important, et souvent les produits représentent à peine l’intérêt du capital qui y est engagé.

Or, je crois qu’il n’est pas dans l’intention de l’honorable membre, de vouloir prélever l’impôt sur les intérêts d’un capital engagé dans une industrie aussi aventureuse que l’exploitation des mines. L’honorable membre paraît être guidé par la pensée que cette industrie est toujours prospère, qu’elle ne rapporte jamais que des bénéfices, et des bénéfices considérables ; eh bien, je l’engage à s’y livrer un jour, et j’ai la conviction qu’après quelques années d’expérience, sa manière de voir à cet égard sera complètement changée.

Je n’insiste pas, messieurs, sur une proposition que votre sagesse ne manquerait pas de proscrire, si elle venait à se reproduire un jour.

M. le ministre des finances (M. Malou). - J’ai déjà fait remarquer à la chambre que la question des péages pourrait mieux se rattacher au projet que j’ai annoncé ; je demanderai, par conséquent, qu’on veuille bien ne pas donner suite, en ce moment, à la discussion générale qui s’est engagée.

J’ajouterai un seul mot à cet égard. Il n’est jamais entré dans la pensée du gouvernement, quant aux péages, de rompre l’équilibre actuellement établi. Le projet que j’ai annoncé se rapporte exclusivement à la basse Sambre, et le gouvernement présente ce projet parce qu’il y a là un vice de détail à corriger. La réduction des péages, en général, devrait naturellement être subordonnée d’une part à l’état de nos ressources, d’autre part à l’équilibre si péniblement établi entre les divers centres industriels du pays.

- La clôture est demandée.

M. Dumortier (contre la clôture). - Il est une question, messieurs, qui se rattache directement au budget et qui n’est pas relative aux péages, c’est la question de la légalité de l’arrêté qui a concédé le canal de la Dendre. Cette question est excessivement importante, et je désire que la chambre ne prononce pas la clôture sans m’avoir permis de présenter quelques considérations sur ce point.

Plusieurs membres. - Dans la discussion du budget des travaux publics.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

L’article est mis aux voix et adopté.


« Produits de la Sambre canalisée : fr. 600,000. »

- Adopté.


« Produits du canal de Charleroy : fr. 1,500,000. »

- Adopté.


« Produits du canal de Mons à Condé : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Produits des droits de passage d’eau : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Produits des barrières sur les routes de première et de deuxième classe : fr. 2,000,000. »

- Adopté.

Projet de loi de crédits au département de l'intérieur pour mesures relatives aux subsistances, pour aider au perfectionner de l'industrie et pour mesures relatives aux irrigations

Rapport de la section centrale

M. Desmaisières. - Messieurs, j’ai l’honneur de déposer le rapport sur le projet de loi relatif aux subsistances. D’après les informations que j’ai prises au greffe, ce rapport pourra être imprimé et distribué dans la matinée de jeudi. Je demanderai donc que la chambre veuille mettre le projet à l’ordre du jour de vendredi prochain.

De toutes parts. - Appuyé, appuyé !

- La proposition est mise aux voix et adoptée.

La séance est levée à 4heures trois quarts.