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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 13 janvier 1847
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions relatives à la construction
d’une route entre Hannut et Landen (de Brouckere, Eloy de Burdinne) et au service de la Meuse à Liége (Delfosse, Lesoinne)
2)
Vérification des pouvoirs d’un membre de la chambre nouvellement élu (Le Hon)
3)
Projet de loi relatif à l’organisation d’une société d’exportation. Politique
commerciale du gouvernement et industrie linière (Delehaye,
Malou, Delehaye, Malou)
4)
Projet de loi portant le budget du département de la justice pour l’exercice
1847. Discussion générale. Etablissements pénitentiaires (Loos,
d’Anethan)
5)
Projet de loi accordant un crédit au budget du département des travaux publics
pour la restauration de l’hôtel incendié de la Cour des comptes
6)
Projet de loi portant le budget du département de la justice pour l’exercice
1847. Discussion générale. Etablissements pénitentiaires (d’Anethan,
Osy), droit pour les évêques de nommer les desservants du
culte sans intervention de l’Etat (d’Anethan),
aperçu des principaux griefs politiques adressés au ministre de la
justice : évolution politique du ministre de la justice, influence de
l’épiscopat, mainmorte, nominations partisanes de juges de paix, de notaires,
d’employés pénitentiaires (contrôle moral des aumôniers), atteinte à la liberté
religieuse, culte israélite, accaparement des établissements de bienfaisance par
le clergé et mainmorte, nomination à une justice de paix d’un condamné judiciaire
(Verhaegen, (+ affaire Retsin) d’Anethan)
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 469)
M. Huveners fait l’appel
nominal à 1 heure et quart.
M. de
Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ;
la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps) transmet l'avis émis par la chambre de commerce de
Liège sur la pétition qui a pour objet le maintien de la tarification actuelle
quant au bois de noyer, et présente des observations contre la demande qui tend
à modifier le régime en vigueur. »
- Renvoi à la commission d'industrie.
_________________
« Plusieurs marchands de bois, à Liège, présentent
des observations contre la pétition du sieur Malherbe, tendant à ce qu'il soit
pris des mesures pour empêcher l'exportation des bois de noyer propres à la
fabrication des armes. »
- Même renvoi.
_________________
« Le sieur
Vreven, bourgmestre de la commune de Looz, demande un traitement spécial du
chef des fonctions de ministère public qu'il remplit près le tribunal de simple
police du canton de Looz. •
- Dépôt sur le bureau pendant ia discussion du
budget de la justice.
_________________
« Plusieurs
habitants de Beveren prient la chambre de s'occuper pendant la session actuelle
des projets de loi sur l'enseignement agricole l'exercice de la médecine
vétérinaire et sur l'organisation de l'école vétérinaire de l'Etat. »
_________________
« Même
demande de plusieurs habitants de Moerkerke, Verviers et Courtray. »
- Renvoi aux sections centrales qui seront chargées
d'examiner ces projets de loi.
« Le conseil
communal de Hannut réclame l'intervention de la chambre pour faire commencer la
route de Hannut à Landen. »
M. de Brouckere. - Par la
pétition qui vient d'être analysée, le conseil communal de Hannut demande
l'intervention.de la chambre afin qu'on ne tarde plus à commencer les travaux
de la route de Hannut à Landen.
Messieurs, cette route a été promise depuis très
longtemps, les devis et les plans sont achevés, et il est à remarquer que
l'arrondissement de Waremme a été très mal partagé dans la distribution qui a
été faite des grands travaux publics. De semblables pétitions ont déjà été
renvoyées à M. le ministre des travaux publics après rapport de la commission.
Je demande que la requête du conseil communal de Hannut lui soit renvoyée
immédiatement, et je prie un de ses collègues ici présent, de vouloir bien
informer M. le ministre des travaux publics que dans la discussion de son
budget nous lui demanderons compte du retard qu'il apporte à la mise en
adjudication de la route dont il s'agit.
M. Eloy
de Burdinne. - Je me joins à l'honorable M. de Brouckere pour
appuyer le renvoi à M. le ministre des travaux publics ; mais je crois pouvoir
expliquer la question comme pourrait le faire M. le ministre, car hier encore
je me suis rendu chez lui afin d'activer la mise en adjudication de cette
route. Tout dépend du rapport qu'on attend des ingénieurs, et s'il y a faute,
c'est de la part de l'administration des ponts et chaussées et nullement de la
part de M. le ministre, qui ne cesse de presser l'envoi des pièces nécessaires
pour la mise en adjudication de la route. Dans tous les cas j'appuie fortement
les réclamations de l'honorable M. de1 Brouckere. Il est urgent de faire cesser
les retards apportés à la construction de cette route, qui est dans l'intérêt
du commerce, dans l'intérêt de l'agriculture et qui procurerait en outre du
travail et du pain aux malheureux, qui sont en très grand nombre dans ces
localités.
- La pétition est renvoyée à M. le ministre des
travaux publics.
« Plusieurs habitants des communes
riveraines de la Meuse en amont de Liège demandent la rectification de ce
fleuve dans la ville de Liège et son amélioration jusqu'à Chokier. »
M. Delfosse. - La
pétition dont M. le secrétaire vient de donner l'analyse, est couverte d'une masse
de signatures des plus honorables ; on y trouve les noms des principaux
industriels de la province de Liège. Elle reproduit avec de nouveaux
développements les considérations que d'autres pétitionnaires vous ont
adressées à l'appui du projet de dérivation de la Meuse.
Je demande le renvoi de cette pétition à la section
centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics, et je saisis cette
occasion pour prier MM. les membres de la section centrale de nous dire si elle
sera bientôt prête à déposer son rapport. Il est à désirer que nous puissions
aborder sans retard l'examen des questions importantes qui se rattachent au
budget des travaux publics et surtout aux travaux destinés à nous préserver des
inondations.
Si le gouvernement avait
été bien pénétré de la gravité des dangers qui nous menacent, et il aurait dû
l'être, les avertissements ne lui ont manqué ni dans cette enceinte, ni au
dehors, il serait venu nous proposer, avant la discussion du budget des travaux
publics et même dès les premiers jours de la session, les mesures que réclament
des populations justement alarmées.
Le gouvernement aurait dû d'autant moins hésiter à
remplir ce devoir que les dangers se sont aggravés, par suite des obstacles que
divers travaux qu'il a entrepris ou dont il a accordé la concession ont mis à
l'écoulement des eaux.
M. Lesoinne. - Messieurs, différentes pétitions relatives à cet objet ont été
renvoyées à la section centrale du budget des travaux publics. La section
centrale a été unanime pour demander à M. le ministre ce qu'il comptait faire
pour la dérivation de la Meuse ; mais la maladie de M. le ministre et
l'indisposition de M. le rapporteur de la section centrale ont empêché jusqu'à
présent d'obtenir les explications demandées.
- La pétition est renvoyée à la section centrale
chargée de l'examen du budget de la justice.
_________________
M. de Sécus, retenu chez lui par une indisposition,
s'excuse de ne pouvoir assister à la séance.
- Pris pour information.
_________________
M. d'Elhoungne, retenu chez lui par une
indisposition, demande un congé de huit jours.
- Accordé.
VERIFICATION DES POUVOIRS D’UN MEMBRE NOUVELLEMENT
ELU DE LA CHAMBRE
M. Jonet, au nom de la commission de vérification des
pouvoirs, fait un rapport sur l'élection de M. le comte Charles Le Hon, élu par
le collège électoral de Tournay, le 29 décembre 1846, en remplacement de feu M.
Savart.
La commission conclut à l'admission de M. Charles
Le Hon. Ces conclusions sont adoptées. En conséquence, M. Charles Le Hon est
proclamé membre de la chambre des représentants.
PROJET DE LOI RELATIF A L’ORGANISATION D’UNE
SOCIETE D’EXPORTATION LINIERE
(page 470)
M. Delehaye (pour une
motion d’ordre). - Messieurs, avant notre séparation, M. le ministre des
affaires étrangères avait déposé sur le bureau un projet de loi relatif à
l'organisation d'une société d'exportation. J'avais demandé qu'on voulût bien
nous envoyer le projet à domicile ; la chambre adopta ces conclusions. Je sais
que le projet a été communiqué, il y a plusieurs jours, à quelques amis du
ministère ; je dois à l'obligeance de l'un d'eux d'en avoir eu une copie ; mais
il est surprenant qu'aucun de nous, comme membre de la chambre, ne l'ail encore
reçu.
Un journal de ce matin, publié dans la capitale,
donne le projet. C'est là un grand manque d'égards envers la chambre. Quand la
chambre est saisie d'un projet, personne, avant nous, je pense, ne devrait en
recevoir communication. Je demanderai donc si ces communications irrégulières
sont le fait du gouvernement ; si le gouvernement n'y est pour rien, il devrait
faire en sorte que les journaux ne reçussent pas les projets avant les membres
de la chambre.
Je fais cette observation pour que désormais on ait
plus d'égards pour les membres de cette assemblée ; je demande que quand la
chambre a ordonné l'envoi à domicile d'un projet de loi, on respecte à l'avenir
cette décision.
Je prierai MM. les questeurs de dire à quelle
époque le projet de loi, dont il s'agit, nous sera distribué.
M. le président. - Messieurs, voici les
seules explications que la présidence puisse donner : les dernières annexes du
projet de loi ne sont parvenues au bureau qu'avant-hier. Le département des
affaires étrangères a désiré revoir les épreuves, et la dernière correction n'a
eu lieu qu'hier au soir. Je présume donc que demain au plus tard la
distribution du projet pourra se faire.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Messieurs, je crois que
l'honorable M. Delehaye a été mal informé relativement à des distributions qui
auraient été faites à des amis des ministres. D'abord, quant au journal dont on
a parlé, je ne pense pas que ce soit à titre d'ami du ministère qu'il a pu
recevoir communication du projet de loi. Ce qu'on a distribué à quelques
membres de chambres de commerce, ce sont les avant-projets de statuts ; le
manuscrit de l'exposé des motifs n'a été communiqué à personne.
M. Delehaye. - Je dirai d'abord qu'il
est dans les convenances de ne pas présenter des projets de loi incomplets.
Pour avoir l'air d'être diligent, on dépose un projet de loi qu'on ne peut
ensuite distribuer que 3 ou 4 semaines après. (Interruption).
On me dit que je n'ai vu que le projet ; j'ai vu
les statuts, tels qu'ils se trouvent dans l'Indépendance de ce matin.
Quant aux amis du ministère auxquels j'ai fait
allusion et qui ont reçu communication du projet, je n'ai pas entendu dire que
l’Indépendance fût l'amie de MM. les ministres. Pour être ami du ministère, il
faut être complétement à sa dévotion, et j'ai trop bonne opinion des
propriétaires et des rédacteurs de cette feuille pour croire qu'ils veuillent
jamais acheter l’amitié du ministère au prix d'un aveugle dévouement, d'une
soumission sans bornes.
M. le ministre des
finances (M. Malou). - Le projet de loi était
entièrement élabore et complet, lorsqu'il a été soumis à la chambre ; mais
quand l'honorable membre aura reçu ce document, il comprendra une chose qu'il
ne peut comprendre maintenant, c'est qu'il a fallu 15 jours pour l'imprimer.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE
LA JUSTICE POUR L’EXERCICE 1847
Motion d’ordre
M. Loos (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je
demanderai que pendant la discussion du budget de la justice, il soit déposé
sur le bureau des renseignements sur l'emploi fait en 1846 et celui qu’on se
propose de faire en 1847, du crédit porté à l’article 2 du chapitre IX, pour
favoriser l'érection et l'amélioration des hospices d'aliénés.
Je demanderai également des renseignements sur
l'emploi du crédit porté à l'article 5 du même chapitre, qui comprend le
patronage des condamnes libérés.
Ces renseignements ont été déposés l'année
dernière, je demande qu'ils le soient également cette année.
Je demanderai ensuite des renseignements sur
l'emploi fait en 1845 et 1846, du crédit ouvert par l'article premier du
chapitre X, qui comprend entre autres choses les frais de route et de séjour,
tant des membres des commissions administratives des prisons que du contrôleur
de la comptabilité des prisons et autres fonctionnaires el employés.
Je demanderai de plus qu'on dépose des
renseignements sur l'emploi fait, eu 1845, du crédit ouvert par l'article 2 du
même chapitre ; ces renseignements nous ont été fournis pour 1846 et 1847 ;
mais j'ai besoin de savoir l'emploi qui a été fait en 1845. Ce renseignement a
été déposé l'année dernière sur le bureau. M. le ministre possède donc ce
tableau que je voudrais consulter de nouveau.
Messieurs, dans le rapport sur le budget de la
justice, page 18, M. le rapporteur dit, au sujet de l'augmentation de subsides
de 25 mille francs demandée pour le service domestique des prisons, qu'il a été
justifié de l'emploi de cette somme par un état ci-joint ; mais cet état, qui
n'est pas dans le rapport qui a été communiqué à la section centrale, je
désirerais qu'il fût communique à la chambre.
M. Dubus (aîné), rapporteur. - Il
est déposé sur le bureau.
M. Loos. - Je ne
l'ai pas trouvé parmi les pièces ; s'il y est, je n'ai plus rien à dire à cet
égard.
Je demanderai ensuite des renseignements sur
l'article 5 du même chapitre : Constructions nouvelles, réparations, etc. ; je
désire savoir l'emploi qui a été fait de la somme votée en 1846.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Les renseignements demandés
par l'honorable préopinant seront fournis. Je le prierai seulement de me faire
passer la note des renseignements qu'il a demandés, car il me serait difficile
de retenir ce qu'il a énuméré. D'après ce que j'ai entendu, je pense posséder
tous les renseignements réclamés pour ne pas perdre de temps. Je les communiquerai
quand nous arriverons aux chapitres auxquels ils se rapportent.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT AU BUDGET DU
DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS
M. le ministre des
finances (M. Malou) présente un projet de loi tendant à allouer au
ministère des travaux publics un crédit de 120,000 fr. pour restauration de
l'hôtel de la cour des comptes.
- La chambre ordonne l'impression et la
distribution de ce projet de loi, et le renvoie à l'examen des sections.
M. le président. - MM. les
présidents des sections seront convoqués après-demain au bureau de la
présidence, pour régler l'ordre du jour des sections.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE
LA JUSTICE POUR L’EXERCICE 1847
Motion d’ordre
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Je dépose sur le bureau
la convention faite avec la ville de Louvain relativement à l'emplacement de la
prison de cette ville. C'est la pièce dont l'honorable M. Osy a demandé hier le
dépôt.
M. Osy. - Je
remercie l'honorable ministre de la justice du dépôt de cette pièce ; mais
comme le tableau porte une somme globale de 200,000 fr. pour les trois prisons,
je demande également le détail des sommes affectées à chaque prison. Nous
serons ainsi à même de juger combien on compte affecter à la prison de Louvain,
en 1847.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Lorsque nous arriverons
au chapitre X, je donnerai toutes les explications que désire l'honorable M.
Osy ; mais, dans ce moment je crois inutile de lui donner à un centime près le
détail de l'emploi des 200,000 fr.
Je puis, du reste, dès à présent, déclarer que
cette allocation ne peut aucunement servir même à commencer seulement les
constructions proprement dites de la prison de Louvain.
Discussion générale
M. le président. - La
parole est à M. le ministre de la justice.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. de Bonne
vous a dit hier qu'il avait espéré, que, depuis la dernière session, j'aurais
étudié la question, reconnu mon erreur, et que je serais revenu à des idées
plus sages, plus constitutionnelles. Il me permettra de lui dire que j'avais
conçu le même espoir relativement à l'opinion qu'il a énoncée. J'éprouve
également le regret d'avoir été déçu dans cet espoir. Je vois par les nouveaux
développements qu'il a donnés hier que l'honorable membre persiste dans les
idées qu'il a émises l'année passée, et qu'il considère comme pouvant se
réaliser en présence des principes constitutionnels qui nous régissent.
Je pense que je pourrais me borner, pour répondre
au discours de l'honorable membre, à invoquer les principes de notre
Constitution, écrits dans les articles 14 et 16. Il me semble que la seule
lecture de ces articles suffirait pour prouver que l’honorable membre en a
complétement méconnu l'esprit, en voulant attribuer au gouvernement ou à toute
autre autorité un pouvoir que ces articles leur dénient formellement.
J'ai soutenu cette thèse l'an passé. Je ne pense
pas qu'il soit nécessaire de revenir sur les arguments que j'ai fait valoir.
Alors l'honorable M. de Bonne les a qualifiés de sophismes. Il les qualifierait
peut-être encore de même aujourd'hui. Toutefois j'ai la conviction que ces
arguments n'auront pas fait la même impression sur la plus grande partie de la
chambre.
Néanmoins, messieurs, quoique je pusse me borner à
invoquer ces dispositions constitutionnelles, je ne recule pas devant la
discussion qu'a entamée hier l'honorable M. de Bonne, en tant qu'il s'agisse
d'interpréter les différents articles organiques qui ont été portés à la suite
du concordat. Je crois que sur ce terrain on peut aborder la question devant
les chambres législatives ; il ne s'agit pas là de discussions théologiques,
mais il s'agit d'examiner si, en présence des articles organiques, la conduite
tenue par le gouvernement est conforme à la loi et à nos principes
constitutionnels.
Si, du reste, messieurs, je mérite le reproche que
m'a adressé l'honorable M. de Bonne, ce reproche doit s'adresser non seulement
à moi, mais à tous mes prédécesseurs. Car je ne sache pas qu'aucun d'eux ait
partagé, en matière de révocation des desservants, les opinions de l'honorable
M. de Bonne.
L'honorable membre auquel je réponds, nous disait
également hier : « Je suis intimement convaincu que cet état de choses se
modifierait bientôt, si l'on arrachait à l'omnipotence usurpatrice des évêques
ce que l'on ose nommer le bas clergé. »
Il ajoute : « J'insiste sur cette question,
parce que je suis convaincu que l'indigne abandon par le ministère, et des
droits de l'Etat et de ceux du clergé, peut avoir, dans des circonstances
graves, les conséquences les plus déplorables pour l’Eglise et pour l'Etat. »
Ainsi, messieurs, l'honorable M. de Bonne, en
soulevant la thèse qu'il produit pour la seconde fois devant vous, a en vue et
l'intérêt de (page 471) l'Etat et
l’intérêt de l'Eglise. II attaque d'une manière acerbe l'épiscopat, en ce sens
qu'il traite son autorité d'autorité usurpatrice.
Messieurs, aux paroles de l'honorable M. de Bonne,
je pourrais opposer les paroles d'un grand homme que l'Eglise compte dans son
sein : je pourrais opposer les paroles de Bossuet. Cet évêque célèbre disait
que défendre l'épiscopat, que l'honorable M. de Bonne attaque, c'était défendre
la foi, c'était défendre la discipline.
Voilà, messieurs, les paroles que j'oppose aux
attaques dirigées par l'honorable M de Bonne, dans l'intérêt (il l'affirme et
je le crois) de l'Eglise, dans l'intérêt de la discipline ecclésiastique.
J'aborde maintenant, messieurs, la question, la
seule véritable question soulevée hier par mon honorable contradicteur.
L'honorable M. de Bonne prétend qu'aux termes de la
loi de l'an X les desservants ne sont pas amovibles. Il soutient cette doctrine
en s'appuyant sur les articles 31 et 63 de cette loi. II prétend que si
l'article 31 de la loi organique dit que les desservants sont révocables par
l'évêque, cet article 31 ne parle pas des desservants des succursales auxquels
l'article 63 est, d'après l'honorable membre, seul applicable.
Je pense que tel est l'argument sur lequel se fonde
l’honorable M. de Bonne.
Messieurs, à cela la réponse est facile. La loi
organique, de même que la loi canonique, ne s'occupe que d'une seule qualité de
desservants ; il n’y est pas question d'autres desservants que des desservants
des succursales. Le clergé inférieur se divise en curés de plusieurs classes,
en desservants, en vicaires, lesquels vicaires sont également subdivisés en
simples vicaires et en chapelains. Voilà les différentes classes qui existent
dans le clergé inférieur. Antre espèce de desservants, les desservants des
succursales figurent parmi les membres de ce clergé.
Il est donc évident que l'article 31, qui parle de
la révocation des desservants, s'applique aux desservants dont l'article 63
s'occupe aussi ; mais seulement relativement au droit de nomination. Cela me
paraît, messieurs, de la dernière évidence et il me semble qu'il est impossible
de soutenir la thèse contraire si on ne vient pas prouver qu'il existe dans
notre organisation ecclésiastique deux espèces de desservants.
Il y a plus, messieurs, si même l'article 63 devait
être seul appliqué aux desservants des succursales, je n'en soutiendrais pas
moins encore que les desservants des succursales sont révocables par l'évêque
parce que l’irrévocabilité n'est point écrite dans les lois organiques ; et la
preuve que ces lois organiques, conformes aux lois canoniques, ont fait à une
distinction marquée entre les curés inamovibles et les simples desservants,
cette preuve, messieurs, résulte jusqu'à la dernière évidence de l'article 19
des mêmes articles organiques. Cet article 19, messieurs, porte :
« Les évêques nommeront et institueront les curés.
Néanmoins ils ne manifesteront leur nomination, et ils ne donneront
l'institution canonique, qu'après que cette nomination aura été agréée par le
premier consul »
Ainsi, messieurs, pour les curés il ne s'agit pas
seulement de la nomination, mais il s'agit aussi d'une institution canonique.
Eh bien, messieurs, l'honorable M. de Bonne ne pourrait certes pas trouver dans
la loi de 1801 la possibilité même d'une institution canonique pour les
desservants.
Il est donc évident que la différence établie par
les lois canoniques elles-mêmes, entre les curés et les desservants, est
reproduite dans les articles organiques, puisque cette différence résulte de ce
que pour les uns existe l'institution canonique, et de ce que pour les autres
prêtres elle n'existe pas. Or, tout le monde sait que l'institution canonique
est la seule chose qui donne l'irrévocabilité à la nomination des curés et
autres titulaires ecclésiastiques.
M. de Bonne. - C'est la
nomination.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - La nomination par elle-même
ne donne point l'irrévocabilité ; il faut l'institution canonique, il faut en
quelque sorte que le curé soit identifié à sa cure.
Maintenant, messieurs, l'honorable M. de Bonne vous
a dit que ces articles organiques devaient être entendus conformément au droit
canonique et que dans les lois canoniques on ne reconnaissait pas des
desservants amovibles.
Messieurs, un point que l'honorable membre pourra
sans doute me concéder, c'est que l'amovibilité ou l'inamovibilité des membres
du clergé est un point de discipline. Or, chacun admet sans doute que tout ce
qui a rapport à la discipline ecclésiastique appartient exclusivement au
saint-siége. Or, le saint-siége, à différentes reprises, a manifesté ses
intentions à cet égard, et il les a manifestées récemment encore dans la lettre
dont nous a parlé l'honorable membre, lettre écrite par ordre du pape à
l'évêque de Liège. Au reste, messieurs, le saint-siége lui-même a, en quelque
sorte, préparé le mode de nomination actuelle des desservants ; car lors de la
réorganisation du culte en France, le cardinal qui était légat à latere, a
supprimé toutes les anciennes cures, avec leurs titres, charges d'âmes, etc.
Ainsi les titres antérieurs, quoiqu'ils fussent perpétuels, ont été anéantis.
Maintenant il n'y a de canoniquement rétabli qu'une cure par canton ; les
succursales n'existent plus comme bénéfices, or comme je le disais tout à
l'heure, c'est la qualité de bénéficiers seule qui donne l'inamovibilité aux
fonctions ecclésiastiques, parce que le bénéfice seul confère un droit
perpétuel.
Ainsi, pour soutenir la doctrine de l'honorable
membre, il faudrait admettre que le saint-siége n'a pas eu le droit de faire ce
qu’il a fait en 1801, il faudrait soutenir ce que personne ne soutiendra sans
doute que la discipline ecclésiastique n'appartient pas au-saint-siége.
Messieurs, la doctrine que je soutiens n'est pas
nouvelle ; c'est la doctrine que soutient l'honorable M. de Bonne qui est de
fraîche date ; car depuis 1801 jusqu'à présent, jamais les articles
organiques n'ont été entendus autrement que je ne les entends.
Non seulement en Belgique, mais en France, et sous
le gouvernement des Pays-Bas, toujours les articles organiques ont été
appliqués comme ils le sont maintenant.
Jamais à ma connaissance il n'a été fait
d'observations à cet égard. II n'y a pas eu de ces levées de bouclier du clergé
inférieur, de ces mécontentements dont on semble nous menacer ; les exceptions
sont au moins si peu nombreuses qu'il est à peine besoin de s'y arrêter.
L'année passée, lorsque nous discutions encore la
question qui nous occupe maintenant, l'honorable M. Lebeau a lu un passage d'un
ouvrage de l'évêque de Digne, intitulé : « Institutions
diocésaines ». Il s'agissait alors d'examiner la question de savoir si les
évêques ne devaient pas entourer les desservants de certaines garanties, en
instituant une officialité à laquelle auraient été dévolus les faits en raison
desquels les évêques croiraient devoir révoquer les desservants. L'honorable
membre a fait avec raison un éloge très mérité des doctrines de ce prélat. Je
pense donc que la chambre voudra bien me permettre de citer l'opinion de ce
même évêque relativement à la question soulevée par l'honorable M. de Bonne.
La chambre verra alors de quelle manière l'évêque
de Digne, qui voulait entourer les desservants de toutes les garanties
possibles, entend la question de la révocabilité des desservants. (Lisez ! lisez !)
« La question de l'inamovibilité des desservants,
que nous n'avons pas le dessein de traiter ici, doit être considérée au double
point de vue de la canonicité et de l'opportunité. Est-il contre la discipline
de l'Eglise que le desservants des paroisses soient amovibles ? Quand on pose
ainsi la question on la pose très mal, car il n'y a pas une discipline de
l’Eglise immuable. il faudrait donc savoir de quelle discipline on veut parler,
si c'est de l’ancienne on de la moderne, de la discipline des premiers siècles,
pendant lesquels l'inamovibilité des desservants a été inconnue, ou bien de
celle des derniers qui l'ont souvent recommandée. Il vaudrait mieux demander
s'il est contraire à la constitution de l'Eglise et à son esprit que les
desservants des paroisses ne soient pas pourvus d’un titre inamovible. La réponse
alors serait facile. En premier lieu, cet état disciplinaire évidemment n'est
pas contraire à la constitution de l'Eglise, car c'est l'état primitif des
paroisses dans lesquelles les prêtres du second ordre n'ont été, durant au
moins trois cents ans, que comme les vicaires de l'évêque. »
Voilà l'opinion de l'évêque de Digne, qui me semble
renverser complétement les doctrines de l'honorable M. de Bonne, qui considère
l'irrévocabilité des desservants comme un principe fondamental de l'Eglise.
Cette opinion n'est point admissible, puisque dans
les premiers siècles de la chrétienté l'irrévocabilité des desservants était
inconnue, et que ce n'est que plus tard que leur inamovibilité fut non
ordonnée, mais seulement recommandée.
II continue en ces termes :
« Dans les circonstances où nous sommes,
l'amovibilité des desservants est-elle un bien ou un mal pour l'Eglise de
France ? Il y a sans doute beaucoup à dire pour et contre, et ce n'est pas là
une question qu'on puisse trancher d'un mot. Nous nous bornerons à faire
observer que si la stabilité des pasteurs offrirait, d'un côté, des avantages,
en attachant plus étroitement le curé à la paroisse, et la paroisse au curé,
elle aurait, d'un autre côté, de graves inconvénients. Autrefois.
l'inamovibilité pouvait se perdre par un jugement canonique ; aujourd'hui
l'inamovibilité, comme on l'entend, s'appuie moins sur l'Eglise que sur l'Etat,
et, même après un jugement canonique, on pourrait la conserver. Autrefois, les
prêtres étaient nombreux, les grades que la plupart d'entre eux recevaient,
étaient des marques extérieures de capacité ; on pouvait choisir les curés
parmi les plus recommandables par la piété, la science el l'âge. Aujourd'hui,
dans la plupart des diocèses, on n'a pas le nombre de sujets suffisant pour
remplir toutes les paroisses. Il faut confier des cures à de jeunes prêtres
sans expérience, sortis à peine du séminaire. Serait-il possible de leur donner
ainsi, en les dispensant de toute épreuve, un titre qu'ils ne pourraient plus
perdre ? La raison dit que non. »
Voilà l'opinion de l'évêque de Digne que j'ai
demandé à la chambre la permission de lui citer. Cette opinion me paraît très
importante, parce qu'elle établit que l'amovibilité des desservants n'est pas
contraire aux doctrines de l'Eglise, et qu'il n'est pas opportun de changer,
quant à présent, l'état de choses actuel.
Les raisons que j'ai fait valoir, el qui m'ont
déterminé à soutenir la thèse que j'ai défendue, corroborées par les raisons
que je viens de donner, se trouvent en outre confirmées par une décision
judiciaire.
Le tribunal de Liège, auquel l'affaire du curé de
Xhavée a été déférée, a adopté l'opinion du gouvernement, c'est-à-dire qu'il
s'est déclaré incompétent. (Interruption.)
L'affaire est en appel, mais je ne doute pas que la
décision qui a été rendue en première instance, sera confirmée.
L'honorable M. de Bonne a abordé une autre question
; l'honorable membre a essayé de ressusciter les appels comme d'abus.
L'honorable membre a semblé faire un grief au gouvernement de ne pas user du
droit qui lui était jadis attribué, de déférer à une autorité quelconque les
abus (page 472) commis per le clergé
supérieur en matière de révocation des desservants.
Eh bien, messieurs, en France où les appels comme
d'abus peuvent encore exister, la constitution française ne consacrant pas les
mêmes principes que la nôtre ; en France, où nous voyons une institution que
nous n'avons pas et qui est chargée de porter les décisions en matière d'appel
comme d'abus ; en France même, l'on reconnaît qu'il n'y a pas d'appel comme
d'abus possible en matière de révocation des desservants.
Je lis dans l'ouvrage de M. Vuillefroy, maître des
requêtes au conseil d'Etat : Traité de l'administration du culte catholique, ce
qui suit :
« Section deuxième. - Du desservant.
« Nomination VI. - Le desservant est nommé par
l’évêque et révocable par lui : l'évêque doit donner avis de la nomination au
préfet et au ministre des cultes. »
(Traité de l'administration du culte catholique,
par A. Vuillefroy, maître des requêtes au conseil d'Etat. Paris, 1842.)
Ainsi en France même, l'on reconnaît que le droit
des évêques, quant à la révocation des desservants, n'est nullement susceptible
d'être limité ; qu'il n'est pas possible de saisir le conseil d'Etat d'appels
relativement à l'usage qu'un évêque aurait fait de ce droit ; et l'on voudrait,
en principe de notre Constitution, aller plus loin qu'en France, et l'on
voudrait que le ministre de la justice put saisir les cours d'appel de la
question de savoir si un évêque a eu, oui ou non, des raisons fondées pour
révoquer un desservant ou un vicaire !
Messieurs, quand on s'appuie sur des autorités
aussi imposantes que celles que j'ai citées, il me semble qu'on peut avec
quelque confiance persister dans l'opinion que j'ai émise l'année dernière et
que j'ai soutenue de conviction, comme je la soutiens encore.
Puisque l'honorable M. de Bonne a cru devoir
entamer la question des appels comme d'abus, je demande à la chambre la
permission de lui dire quelques mots à ce sujet.
Je ne pense pas qu'il faille traiter ici des
questions au point de vue purement théorique ; lorsque les questions se
présentent, lorsqu'il y a des faits qui y donnent matière, il est temps alors
de les aborder et de les approfondir ; mais il est inutile de traiter des
théories, qui n'ont pas d'application actuelle ; comme aussi de nous occuper de
toutes les éventualités dont nous a parlé l'honorable M. de Bonne. Ainsi je ne
répondrai pas à la question qu'a faite l'honorable membre : « Que
ferait-on, si le pape nommait six cardinaux étrangers, par exemple ? » Si cela
se présentait, le gouvernement verrait alors ce qu'il a à faire.
Je ne dirai que quelques mots sur la question des
appels comme d'abus, uniquement pour relever des erreurs dans lesquelles l’honorable
M. de Bonne me paraît être tombé.
D'abord, messieurs, j'avoue que je ne conçois pas
la possibilité d'un appel comme d'abus, sous l'empire de notre Constitution, et
dans tous les cas en l'absence d'une juridiction appelée à connaître de ces
appels.
L'honorable M. de Bonne a pensé qu'un décret de
1813 donnait les moyens de saisir les cours d'appel de ces sortes de questions
; que le conseil d'Etat n'était pas une institution indispensable pour décider
ces questions ; que les corps judiciaires pouvaient être appelés à les
résoudre.
Messieurs, il est d'abord à remarquer que le décret
du mois de mars 1813 a été porté à l'occasion du concordat de Fontainebleau ;
mais ce concordat n'était relatif qu'au royaume d'Italie, et le décret de 1813
n'a jamais reçu aucune exécution, pas plus en France qu'en Belgique. Je ne sais
si en France le décret de 1813 a été abrogé par des dispositions formelles ;
toujours est-il qu'en Belgique il existe des dispositions positives qui y
rendent ce décret inapplicable.
Le roi Guillaume a porté deux arrêtés, l'un en
1815, et l'autre en 1816. Par ces arrêtés, il crée une commission du conseil
d'Etat qui siégeait à Bruxelles, et à laquelle était dévolue la décision des
questions en matière d'appels comme d'abus. Ainsi, sous le gouvernement des
Pays-Bas, il était impossible d’invoquer les dispositions du décret de 1813 qui
avaient été abrogées par les arrêtés de 1815 et de 1816.
J'ai dit que le décret de 1813 avait été porté
uniquement en vue du concordat de Fontainebleau ; or, ce concordat, pas plus
que l'une ou l'autre des disposions qui y étaient relatives, n'a été applicable
à la Belgique.
En effet, lorsqu'en 1827, le roi des Pays-Bas fit
un concordat avec le saint-siége, ce ne sont pas les dispositions du concordat
de Fontainebleau qui ont été rendues applicables à la Belgique, mais ce sont
les dispositions du concordat de 1801. Dès lors, il est absolument impossible
de maintenir l'opinion de l'honorable M. de Bonne, savoir : qu'on pourrait
aujourd'hui saisir les cours d'appel des questions qui étaient jadis dévolues
au conseil d'Etat.
Les corps judiciaires, créés en Belgique en vertu
de la loi de 1832, ont une mission définie ; ils ne peuvent pas sortir du
cercle de la mission qui leur a été tracée par les lois de leur institution. En
admettant donc que sous notre régime actuel, ce que je crois tout à fait
inadmissible, les appels comme d'abus soient encore possibles, je ne pense pas
qu'on puisse soutenir que ces appels sont susceptibles d'être déférés aux cours
d'appel ; les cours n'ont pas cette mission ; elles ont pour mission de rendre
la justice entre les citoyens, de prononcer des peines, lorsqu'il y a
infraction à des lois pénales.
Mais les corps judiciaires n'ont pas à s'immiscer
dans les matières religieuses, ils n'ont pas à examiner si un évêque a bien ou
mal fait de révoquer un desservant. La loi sur l'organisation judiciaire me
suffirait pour établir ma thèse, mais en présence des dispositions
constitutionnelles je ne comprends pas qu'on puisse soutenir la thèse contraire.
Je terminerai par la citation d'un ouvrage publié
en Belgique où cette question est traitée. MM. de Brouckere et Tielemans
s'expriment ainsi sur les appels comme d'abus :
« Il est une foule
d'autres cas que nous pourrions énumérer, mais il suffit d'avoir établi :
« 1° Que les appels comme d'abus sont abolis en
Belgique et qu'aux termes de la Constitution il est impossible de les y
rétablir.
» 2° Que cette abolition a complétement désarmé
l'autorité civile contre les abus des supérieurs ecclésiastiques envers leurs
inférieurs. »
(Répertoire de l'administration et du droit
administratif, par MM. C. de Brouckere et F. Tielemans.)
Messieurs, je le répète, je n'ai pas voulu
approfondir cette question, mais j'ai voulu ne pas laisser accréditer une
doctrine que je considère comme erronée. J'ai voulu surtout réfuter l'opinion
qui consiste à induire la compétence des cours en matière d'appels comme
d'abus, du décret de 1813 qui n'a jamais été exécutoire en Belgique et qui dans
tous les cas a été révoqué par des dispositions postérieures.
M. Verhaegen. -
Messieurs, nous examinerons, en temps et lieu, les questions graves qui
viennent d'être soulevées, et sur lesquelles, nous nous y attendions, M. le
ministre de la justice a énoncé une opinion tout à fait contraire à celle de
notre honorable ami M. de Bonne. Nous nous bornerons pour le moment à une
discussion générale, sauf à revenir plus tard sur les questions de détail, lors
de la discussion des articles.
Messieurs, nous nous sommes engagé à rappeler, dans
les discussions générales des budgets, les griefs spéciaux que nous avons à
faire valoir contre chacun de MM. les ministres. Dans la séance du 17 décembre,
nous nous sommes occupé de M. le ministre de l’intérieur, nous allons
aujourd'hui nous occuper de M. le ministre de la justice.
Nous disions à l'honorable M. de Theux que, dans
toutes les circonstances, il s'était posé comme homme politique et que
l'administration n'avait été pour lui qu'un moyen de donner de la force à
l'opinion qu'il représente. Les faits se pressaient pour justifier nos
assertions comme les faits vont se presser pour démontrer que M. le baron
d'Anethan, en toutes circonstances, a suivi l'impulsion de son collègue de
l'intérieur, que peut-être même il a dépassé ses intentions.
M. d'Anethan, qui, lorsqu'il occupait le siège
d'avocat général à la cour d'appel de Bruxelles, affichait des opinions très
libérales ; qui, sous le ministère de M. Van Volxem, avait été considéré comme trop
avancé pour pouvoir remplir les fonctions de secrétaire général, et qui, après
tout cela, n'est venu s'asseoir, dans un ministère mixte à côté de l'honorable
M. Nothomb, que comme représentant prétendument notre opinion, M. d'Anethan
s'est montré dès son avènement comme l'un des serviteurs les plus dévoués de
l’épiscopat ; et cela est si vrai, que lorsque nous donnons au ministère actuel
la qualification de ministère homogène catholique, M. le ministre de la justice
se garde bien de protester contre cette qualification, et de revendiquer son
ancienne couleur politique.
Nous allons, messieurs, comme l'année dernière,
vous signaler quelques faits principaux de l'administration de l'honorable M.
d'Anethan, et nous vous demanderons, après cela, si lui, ancien libéral, n'est
pas aujourd'hui l'exécuteur des exagérations théocratiques.
L'affaire Retsin n'est pas encore oubliée, et elle
ne le sera pas de sitôt, alors surtout que ce vendeur de reliques jouit en ce
moment, à Turnhout, de certains privilèges dont n'a joui jusqu'à ce jour aucun
condamné dans une position semblable. L'affaire Retsin, d'ailleurs, depuis
quelques mois, a son pendant.
Si M. le baron d'Anethan a été un des plus chauds
partisans des lois réactionnaires, présentées sous son ministère, il a aussi
favorisé de tous ses moyens les établissements de mainmorte ; il a même
contribué comme ministre de la justice à créer des personnes civiles en
violation formelle de la loi. Son dévouement à l'opinion cléricale est tel
qu'il est allé au-devant de l'espoir énoncé naguère par son collègue de
l'intérieur au sujet de la réformation de deux arrêts de la cour d'appel de
Bruxelles qui ont déclaré irréguliers et illégaux des arrêtés revêtus de la
signature du Roi, accordant les avantages de la personnification civile à des
établissements d'instruction dirigés par des dames du Sacré-Cœur.
Dans la séance du 18 décembre dernier, M. le
ministre de l'intérieur nous disait : « Mais je ne me considère pas comme
coupable, parce qu'une cour d'appel diffère d'opinion avec moi ; l'affaire
n'est pas jugée en dernier ressort ; la cour de cassation est appelée à
prononcer.
« Il m'est déjà arrivé de voir mes opinions,
différentes de celles des cours d'appel, triompher plus tard.....»
Or, M. le ministre de la justice s'est permis de
consulter ou de faire consulter sur la question de la mainmorte, décidée par la
cour d'appel de Bruxelles, certains membres de la cour de cassation qui seront
obligés de s'abstenir lorsque cette cour sera appelée à prononcer sur le
pourvoi que nous annonce l'honorable M. de Theux. Inutile de dire que les
membres consultés sont indépendants el par caractère et par position de toute
influence cléricale et que leur réponse n'a pas été favorable à (page 473) l'opinion du gouvernement.
Mais il fallait les écarter et les empêcher de prendre part à la décision sur
le pourvoi : c'est un abus que je ne puis assez flétrir et contre lequel je
proteste de toute la force de mon âme.
Est-ce à dire que M. le ministre de îa justice
fasse preuve d'une grande confiance dans la magistrature dont naguère il a fait
partie et qu'il professe pour elle une large estime ? Non, sans doute ; car
après avoir, en maintes circonstances, compromis le sort du projet de loi sur
l'augmentation des traitements des membres de l'ordre judiciaire, il est allé
jusqu'à porter atteinte à leur pouvoir et à leur dignité, en contestant dans
cette enceinte la force exécutoire due aux jugements et arrêts passés en force
de chose jugée.
Le respect de M. le baron d'Anethan pour l'ordre
judiciaire peut être apprécié par les nominations qui lui sont réservées : au
lieu de consulter la dignité du corps et l'intérêt des justiciables, il
n'écoute que l'intérêt de sa politique et l'esprit de parti.
C'est ainsi, pour ne parler que de la magistrature
au premier degré, qu'il a nommé aux fonctions de juges de paix, les plus
importantes de toutes peut-être, tant à raison de la mission qui est réservée à
ces magistrats d'éviter les procès en conciliant les parties, qu'à raison des
actions possessoires hérissées de difficultés de tout genre, qu'il a nommé à
ces fonctions des hommes qui n'ont aucune connaissance du droit, dont
quelques-uns savent à peine lire et écrire. Voulez-vous, messieurs, que je vous
cite des faits ? Je vous dirai qu'à Herzeele, province de la Flandre orientale,
c'est un saunier qui l'a emporté sur un grand nombre de compétiteurs, la
plupart docteurs en droit ayant plusieurs années de pratique et jouissant d'une
réputation de talent et de probité ; il en a été de même à Dixmude, province de
la Flandre occidentale ; là un médecin a été nommé juge de paix, lui qui était déjà
inspecteur cantonal ! !
Et toutes ces nominations, comme on le présume
bien, n’ont d'autre but qu'une vaste organisation d'un système électoral au
profit du gouvernement dont le projet de loi sur les juges de paix, que M. le
ministre de la justice nous a présenté en vue des élections de juin 1847, doit
être le complément.
Les nominations aux fonctions de notaires sont
également autant de ressorts électoraux entre les mains de M. d'Anethan : aussi
pour être plus à son aise, il ne consulte plus les chambres de notaires, et il
défend aux procureurs généraux et premiers présidents des cours d'appel, et aux
gouverneurs de province de lui présenter des candidats, comme cela se pratiquait
autrefois.
Je me bornerai à citer quelques faits des plus
importants et en même temps des plus récents.
Dans le courant de l'année dernière, le notaire
Vanderschueren de résidence à Meere, canton d'Alost, fut nommé à la résidence
de Denderwindeke, canton de Ninove, commune de 2,000 âmes, en remplacement du
notaire de Turck, nommé à la résidence de Viane, canton de Grammont.
A peine le notaire Vanderschueren fut-il nommé,
qu'il sollicita le transfert de sa résidence de Denderwindeke à Meerbeke,
commune limitrophe de Ninove ayant à peine 5,000 âmes et où résidaient déjà
trois notaires !
Les notaires de Ninove ayant été informés des
démarches de leur collègue, s'adressèrent vainement à M. le ministre de la
justice pour que pareil changement contraire à leur position acquise et surtout
à l'intérêt des habitants de Denderwindeke n'eût pas lieu. Vander Schueren
obtint la faveur qu'il avait sollicitée ; la position de ses collègues fut
sacrifiée, l'intérêt public méconnu et Denderwindeke abandonné à l'exploitation
de quelques agents d'affaires. Il s'agissait bien de l'intérêt public ! Le
gouvernement avait à récompenser des services électoraux.
Le 20 octobre 1846, le notaire de Turck qui avait
été nommé précédemment à la résidence de Viane, commune de 1,600 âmes, obtint
également et par les mêmes motifs le transfert de sa résidence de Viane à
Grammont, qui n'a qu'une population de 7,000 âmes et où il existe déjà trois
notaires.
C'est là, messieurs, dans un but purement
politique, non seulement violer la loi, mais aussi se jouer du public et porter
atteinte aux possessions acquises d'une manière inouïe, subversive de tout
ordre, contraire à toutes notions de justice et de bonne administration. Aussi
cet acte inqualifiable a soulevé à Grammont une indignation générale.
Une nomination récente dans la province d'Anvers
révèle le même but.
Vous parlerai-je maintenant de cette fameuse
circulaire obligeant tous les distillateurs à faire dresser les actes de
cautionnement et d'hypothécation pour les crédits permanents qu'on leur accorde
par un seul notaire, au choix du ministère, pour deux ou trois cantons réunis,
ce qui constitue un monopole au profit de quelques notaires privilégiés ? vous
parlerai-je encore de ces permutations accordées aux uns, refusées aux autres,
quoique dans des circonstances identiques ? Je pourrais vous citer comme
antithèse ce qui a lieu à Dinant et à Liège ? Vous parlerai-je, enfin, de ces
places de notaires qu'on a laissées vacantes pendant un an et plus, nonobstant
les réclamations incessantes des communes intéressées, par exemple, à Messines
et à Warneton (Flandre occidentale) ? Je pourrais vous démontrer, en appuyant
sur ces faits, combien le gouvernement sait profiter de tout ce qui se rattache
au notariat dans l'intérêt de sa politique.
Mais pourquoi s'arrêter si longtemps à des faits
accomplis, lorsqu'il y a peu de jours, au sujet des élections de Nivelles, le
maître-clerc d’un des notaires de Bruxelles, qui depuis six ans sollicite en
vain une petite résidence rurale, reçoit la promesse formelle d'une nomination
immédiate à une résidence de premier ordre s'il voulait contribuer, par son
influence locale, au succès du candidat ministériel ! Je m'abstiens, jusqu'à
présent, dans l'intérêt même de celui qui a reçu la promesse, de citer des noms
propres ; mais plusieurs notaires de la capitale et quelques-uns de mes
honorables collègues comprendront parfaitement mon allusion. Le succès n'ayant
pas répondu à l'attente, que fera le gouvernement en présence du maître-clerc
qui pourrait fort bien un jour donner des explications officielles ?
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Il n'y a pas un mot de
vrai. Nommez-le !
M. Verhaegen. - Je
pourrais le nommer, mais jusqu'à présent je ne veux pas compromettre l'individu
; probablement avant peu, si on ne tient pas parole, il se nommera lui-même.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je
provoque des explications, je les provoque tout de suite.
M. Verhaegen. - Les
nominations et promotions faites par M. le ministre de la justice donnent à son
administration la couleur qui lui est propre, et pour donner sur ce point une
conviction aux plus incrédules, nous parlerons tantôt d'une nomination qui, à
elle seule, en dit plus que toutes les autres. Mais nous avons encore à vous
parler d'autres actes de M. le baron d'Anethan, se rattachant aux diverses
branches de son département, et qui tous constatent son dévouement sans bornes
au parti clérical.
S'agit-il de la liberté des cultes proclamée par la
Constitution, nous voyons M. le ministre de la justice saisir toutes les
circonstances qui lui sont offertes pour porter atteinte à celle liberté.
Dans les prisons, par exemple, on nommait autrefois
comme gardiens,, porte-clefs el autres employés d'anciens militaires pensionnés
qui dans l'exercice de leurs fonctions ont toujours rendu des services
signalés. Aujourd'hui, au grand mécontentement des commissions des prisons, M.
le ministre remplace dans certaines localités les anciens militaires par des frères
de la charité, autrement dit des ignorantins dont la plupart sont des fils de
cultivateurs sans instruction el qui sont loin de répondre à la mission qui
leur est confiée.
Dans d'autres localités où les anciens employés ont
été jusqu'à présent maintenus, on fait violence à leurs convictions el ou
cherche ainsi à les dégoûter, comme on fait violence aux convictions
religieuses des détenus, des reclus.
On fait violence aux convictions des employés,
anciens militaires, en les soumettant, quant à l'accomplissement de leurs
devoirs religieux, à la surveillance inquisitoriale de l'aumônier.
Je trouve la preuve de cette assertion dans une
dépêche de M. le ministre de la justice, à l'administration des prisons
d'Anvers, en date du 20 janvier 1845.
Cette dépêche porte :
« Le ministre de la justice au gouverneur de la
province d'Anvers. Administration des prisons.
« 20 janvier 1845. (Les premiers paragraphes sont
relatifs à l'envoi des rapports annuels, etc.) Voici la fin :
« La conduite des employés étant de nature à
exercer une certaine influence sur celle des détenus et devant, en tout cas,
correspondre aux vues de
l'administration, MM. les directeurs et l'aumônier voudront bien s'expliquer en
toute liberté à cet égard et mentionner ceux qui ne s'acquitteraient pas
convenablement de leurs devoirs.
« Le ministre de la justice, « (Signe) Baron
d'Anethan. »
La commission des prisons ne comprit point comment
M. l'aumônier pourrait avoir à s'expliquer sur la conduite des employés et à
mentionner ceux qui ne s'acquitteraient pas convenablement de leurs devoirs.
Les articles 10, 11 et 12 de l'instruction
approuvée par un arrêté royal du 11 octobre 1826 règlent tout ce que MM. les
aumôniers ont à faire, service divin, entretien, consolation des détenus,
particulièrement les malades. Là se borne leur mission.
Jusqu'ici on a toujours eu à se louer de MM. les
aumôniers à Saint-Bernard el jamais ils ne se sont mêlés de la conduite îles
employés.
La commission (par l'entremise de M. le gouverneur,
M. Malou) écrivit le 8 février 1845 à M. le ministre de la justice « qu'elle ne
pouvait se rendre compte des devoirs des employés dont M. l’aumônier aurait à
apprécier l'accomplissement et dont il devait faire rapport. »
M. le ministre répondit, le 22 février 1845, dans
les termes suivants :
« Par votre lettre du 8 février, vous me demandez,
etc.
« J'ai désiré être mis à même d'apprécier la
conduite des employés,», de pouvoir juger s'ils répondaient aux vues de
l'administration non seulement par leur travail, mais encore par l'influence
morale qu'ils doivent exercer sur les détenus.
« Pour le ministre de la justice :
« Le secrétaire général, « (Signé) de
Crassier. »
On voit que M. le ministre esquive la question qui
louche essentiellement au point délicat de la liberté en matière de culte.
Il l'a si bien senti qu'en publiant sa circulaire
dans le recueil intitulé « Appendice au recueil des arrêts des
prisons », imprimé en 1845 chez Weissembruch, il a omis les onze derniers
mots de la lettre à la commission des prisons d’Anvers, du 20 janvier, étant
ceux-ci : « et mentionner (page
474) ceux s'acquitteraient pas convenablement de leurs devoirs. »
On fait violence aux convictions religieuses des
détenus, des reclus, car quel que soit le culte qu'ils professent on les soumet
aux prescriptions de l’Eglise catholique, en matière de jeûne par exemple,
contrairement aux anciens usages, d'après lesquels les prisonniers ont toujours
été mis, quant aux jeûnes, sur la même ligne que les militaires ; et ici
M. le ministre de la justice a été plus rigoureux que l'archevêque, prince de
Méan, dont l'aumônier de St-Bernard invoque encore aujourd'hui la permission
non révoquée par l'archevêque cardinal pour ne pas suivre les instructions de
M. le baron d'Anethan.
Voici la preuve :
Dans le recueil imprimé, publié par ordre du
ministre de la justice, intitulé :
« Appendice au recueil des arrêtés, règlements et
instructions concernant les prisons de Belgique » (imprimé chez Weissembruch,
1845) se trouve, page 134, la circulaire suivante :
« Interversion de l’ordre de distribution des
différentes espèces de soupes les jours de carême et d’abstinence.
« (N° 12219) Bruxelles, 18 janvier 1845.
« A MM. les Gouverneurs des neuf provinces et au
Président du comité de la maison pénitentiaire à St-Hubert.
« Messieurs,
« On a soulevé la question de savoir si l'ordre
établi par la circulaire du 28 octobre 1837 (recueil, page 183) peut-être
interverti pour des motifs religieux.
« Voulant écarter tout doute à ce sujet, je vous
prie de vouloir autoriser les commissions administratives des prisons de votre
province à déterminer l'espèce de soupe à distribuer aux détenus les jours de
carême ou d'abstinence, tout en maintenant, cependant, le nombre hebdomadaire
de soupes grasses prescrit par les règlements.
« Le ministre de la justice. (Signé) baron ;
d'Anethan. »
Le 9 mars 1846, on a reçu à Saint-Bernard la
circulaire ou note suivante non signée, mais portant au bas le cachet ou timbre
du Ministère de la justice.
« Bruxelles, 9 mars 1846.
« Ministère de la justice.
« Note pour M. le Directeur de la maison de
correction de Saint-Bernard.
« La circulaire du 18 janvier 1845, n°12219, ne
concerne que le temps de l’année pendant lequel la semaine a 4 jours gras et ne
touche en rien aux prescriptions ecclésiastiques qui augmentent le nombre des
jours maigres, notamment durant le carême.
« C'est donc à tort que l'on considérerait cette
circulaire comme autorisant les distributions de soupes grasses contrairement
aux prescriptions de l’Eglise catholique.
« (Timbre du ministère ou cachet). »
Il est à remarquer qu'aucune instruction n'était
nécessaire puisqu'il existe une permission, antérieure à 1830, de l'archevêque
de Malines (prince de Méan), qui assimile les détenus aux militaires et permet
de faire gras tous les jours, excepté le Vendredi-Saint, et c'est l'aumônier de
Saint-Bernard qui a fait connaître cette instruction du prince de Méan au
ministre de la justice !
Au reste, messieurs, voulez-vous savoir comment M.
le ministre de la justice respecte la liberté des cultes, comment il accorde
une égale protection à toutes les croyances, écoutez la missive que le
consistoire israélite a adressée à M. le ministre de l'intérieur, sous la date
du 8 janvier, il y a cinq jours seulement.
Vous vous rappelez, messieurs que dans la séance du
17 décembre, l'honorable M. de Theux, en réponse à un de mes griefs,
s'exprimait ainsi :
« On prétend que sous mon administration tout s'est
fait au profit d'un parti.
« J'ai déjà eu l'honneur de rappeler que sous mon
premier ministère le culte juif a obtenu une dotation au budget de l'Etat ; il
est vrai que je n'ai pas eu l'honneur de l'initiative, la proposition
appartient à l'honorable. M. Lebeau, mais j'y ai donné mon assentiment à
l'instant même.
« Ce fait est cependant unique, car je ne pense pas
que l'on puisse citer un seul Etat au budget duquel figure une dotation pour le
culte israélite. »
Puis on rencontre la même vantise pour ce qui a été
fait par le gouvernement en faveur du culte anglican, du culte protestant.
Et l'honorable M. de Theux termine en disant :
« Aussi, messieurs, ne m'est-il arrivé aucune
plainte, aucune réclamation pendant que j'ai eu les cultes dans mon
administration (et celle administration a été longue), ni de la part des juifs,
ni de la part des cultes protestants, ni de la part des anglicans. Voilà,
messieurs, la partie la plus délicate de l'administration d'un homme que l'on
qualifie d'homme de parti. »
Cette vantise ne pouvait pas rester sans réponse ;
aussi le consistoire israélite a-t-il cru nécessaire de rectifier immédiatement
une erreur en ce qui concerne l'administration de l'honorable M. de Theux et de
dire toute sa pensée à l'égard de l'administration de M. le baron d'Anethan,
bien différente encore de celle de son collègue de l'intérieur.
Voici cette pièce :
« Bruxelles, le 8 janvier 1847 ;
« Le consistoire israélite de Belgique à M. le
ministre de l’intérieur.
« Monsieur le ministre !
«t Dans la séance de la chambre des représentants
du 17 décembre dernier, en rappelant que c'est sous votre premier ministère que
le culte Israélite a obtenu une dotation au budget de l'Etat ; vous avez ajouté
: « Ce fait est cependant unique, car je ne pense pas que l’on puisse
citer un seul Etat au budget duquel figure une dotation pour le culte
israélite.
« Nous nous permettons de rectifier votre
erreur à cet égard : en. France le culte israélite figure au budget de l'Etat
au même titre que les cultes chrétiens. En Allemagne plusieurs Etats
constitutionnels, tels que la Saxe royale, le Wurtemberg, la Hesse-Electorale,
le duché d'Oldenbourg, etc., etc, ont pris à leur charge des traitements des
ministres du culte israélite, et ces dépenses sont portées au budget comme les
dépenses occasionnées par les autres cultes. Dans le royaume des Pays-Bas et
dans le grand-duché de Luxembourg, le culte israélite reçoit des subsides au
budget, et les affaires de ce culte forment même une division spéciale du
ministère de l'intérieur à La Haye.
« Dans plusieurs autres pays tels que
l'Angleterre, etc., le culte israélite ne figure, à la vérité, pas au budget,
mais c'est que dans ces pays, les ministres d'aucun culte ne sont rétribués par
l'Etat.
« Nous vous prions, M. le ministre, de vouloir bien
faire connaître cette rectification à la chambre lors de la prochaine
discussion du budget de la justice.
« Du reste, comme vous le disiez dans la même
séance du 17 décembre, nous n'avons eu, M. le ministre, aucune plainte à
formuler pendant que les cultes étaient du ressort de votre administration ;
nous n'avons rencontré alors, dans votre département, que justice el
impartialité. Malheureusement nous n’en pouvons plus dire autant : depuis
l’avènement de M. le ministre de la justice actuel, nous n’avons trouvé ni
équité, ni la moindre bienveillance dans nos rapports avec son département, et
des refus systématiques sont les réponses régulières que toutes nos
propositions les plus justes et les plus fondées ont reçues de sa part.
« Veuillez agréer, M. le ministre, l'assurance
de notre considération distinguée.
« Le président, Signé, S. Benda.
« Le secrétaire, Signé, J. Stein. »
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je n'ai
pas encore reçu cette lettre. Je suis charmé d'en recevoir communication par
votre intermédiaire.
M. Verhaegen. - Vous
voyez, M. le ministre, que je suis ordinairement bien informé ; aussi, si vous
voulez envoyer quelqu'un dans vos bureaux, je ne doute aucunement qu'on ne vous
remette tout de suite l'original.
Du reste, ce qui résulte de cette lettre, c'est
que, dans l'occurrence, tout en rectifiant une erreur que vous avez commise
dans votre discours du 17 décembre, le consistoire du culte israélite rend
hommage à votre impartialité, et qu'il s'exprime d'une manière toute différente
à l'égard de votre collègue de la justice, dont je m'occupe en ce moment.
De même que les cultes, les établissements de
bienfaisance sont confiés à l'administration du département de la justice. Eh
bien, s'agit-il d'établissements de bienfaisance communaux en concurrence avec
des établissements quelconques du clergé, c'est à ces derniers que M. le baron d'Anethan
donne la préférence, méconnaissant, sacrifiant même les droits des premiers.
Des arrêtés dont nous avons parlé déjà lors de la
discussion du budget de l'intérieur et dont nous aurons occasion de parler
encore plus tard, ont dépouillé les hospices de leurs biens pour les mettre
sous la main du clergé et en attribuer l'administration aux évêques.
Et lorsque des hospices ou des communes ont réclamé
contre cette violation du droit de propriété, on ne leur a répondu que par un
déni de justice, témoin ce qui s'est passé au sujet de la fondation Vander
Eyken, dans la commune Saint-Pierre-Capelle, près d'Enghien.
Chaque fois qu'il s'agit de bourses de fondations
on en attribue l'administration à des curés, à des vicaires, à l'exclusion des
administrations communales, autorités qui sont néanmoins les seules compétentes
aux yeux de la loi, et pour arriver à ce résultat on crée autant de personnes
civiles qu'il y a de fondations, en s'appuyant sur des arrêtés du roi Guillaume
de la même nature que ceux dont on soutient l'illégalité lorsque nous voulons
frapper les biens tombés en mainmorte d'un impôt annuel, de 4 p. c. Nous
reviendrons, lors de la discussion des articles, sur les« bourses de
fondations.
M. le ministre de la justice a une prédilection
toute spéciale pour les. établissements de mainmorte. Hier il refusait à mon
honorable ami M. Delfosse des renseignements sur le personnel de ces
établissements, alors qu'il est évident qu’ils devraient faire partie de la
statistique générale qui nous coûte si cher.
Et quand l'année dernière je demandais au gouvernement
la (page 475) communication des
comptes que doivent rendre annuellement les séminaires, aux termes des articles
79 et 80 du décret du 6 novembre 1813, M. le baron d'Anethan me répondait :
« Quant à la question dè principes, je pense avec
l'honorable membre qu'aux termes de l'article 15 du décret de 1809 les
congrégations des sœurs hospitalières reconnues doivent rendre compte ; je n'ai
pas la même opinion relativement aux comptes que devraient rendre les
séminaires.
« Messieurs, je viens déjà de prouver qu'il n'y
avait aucune espèce d'intérêt pour le gouvernement de demander ces comptes ;
mais abstraction de ces premières observations, la liberté des cultes
n'est-elle pas proclamée d'une manière générale et absolue par l'article 14 de
la Constitution ? et cette liberté ne serait-elle pas entravée s'il était
permis au gouvernement de s'immiscer dans l'examen des comptes des
séminaires.... ? »
Et cependant certains séminaires possèdent des
biens considérables, et on leur accorde encore des subsides sur le budget, en
invoquant ce même décret de 1813, que M. le ministre permet de violer lorsqu'il
s'agit de l'obligation de rendre compte !!!
Comme nous l'avons dit dans une autre circonstance,
le seul séminaire de Liège jouit d'un revenu de trois cent mille francs, et la
fabrique de la cathédrale de la même ville jouit d'un revenu semblable. Voilà
donc 600,000 francs qui, à raison de 3 p. c, donnent un capital de 20 millions.
Dans une lettre reproduite par le Journal de
Bruxelles, Mgr. Van Bommel a prétendu que le revenu de ces deux établissements
ne se montait qu'à deux cent mille francs ? C'est déjà beaucoup, convenons-en,
messieurs ; mais nous prouverons, en temps et lieu, et par d'anciens comptes,
car on rendait des comptes avant 1830, et par des tableaux et par des actes,
que notre chiffre de 600,000 francs est loin d'être exagéré. On conçoit d'après
cela que les séminaires ne veuillent pas se soumettre à l’obligation que leur
impose le décret de 1815, de rendre un compte annuel ! On conçoit aussi que M. le
ministre de la justice, tout dévoué à l'épiscopat, vienne proclamer à la tribune
la légitimité du refus des séminaires !
Et tandis que ces établissements du clergé
regorgent d'or, tandis que des subsides considérables sont venus encore
augmenter leurs ressources, voire entre autres les 400,000 fr. qui ont été
accordés au petit séminaire de Rolduc, lequel n'est qu'une dépendance du
séminaire de Liége ; tandis que des subsides sont accordés pour l'érection
de nouvelles églises, de nouveaux presbytères, pour la réussite de certaines
entreprises religieuses, on retire à des établissements communaux les
allocations dont ils ont joui jusqu'à présent ; le peuple a faim : il meurt
d’inanition et de froid !...
La mendicité est un délit ; ceux qui s'en rendent
coupables sont punis ; mais M. le ministre protège les ordres mendiants :
d'après lui, la loi est impuissante contre eux.
Les sources de la bienfaisance ont été détournées :
depuis deux ans, comme je l'ai dit déjà, les hospices de Bruxelles n'ont reçu
ni dons ni legs, et il en a été de même à Gand, à Liège, à Anvers, partout,
enfin.
Il y a plus : des biens qui appartiennent aux
hospices, aux termes des lois en vigueur, sont convoités par l'épiscopat, et M.
le baron d'Anethan prête en ce moment les mains à cette convoitise.
Voici les faits :
Il y a quelques années, l'archevêque de Malines
adressa au Roi une requête par laquelle il demanda que les biens des anciens
béguinages fussent employés aux usages déterminés par l'intention des
fondateurs et des bienfaiteurs, en d'autres termes, qu'ils fussent rendus à
leur première destination.
L'honorable M. Leclercq, alors ministre de la
justice, envoya une circulaire à MM. les gouverneurs pour leur demander quelle
exécution avaient reçue dans leurs provinces les lois relatives à la
suppression des béguinages et quelle destination on avait donnée aux biens
provenant de ces corporations ? Cette circulaire, comme on le voit, avait pour
but de s'enquérir si les lois sur la matière avaient reçu leur exécution.
Le 10 mai 1843, le ministre de la justice, M.
d'Anethan, voulant, disait-il, compléter les renseignements recueillis par son
prédécesseur, demanda les titres des hospices aux biens de ces ci-devant
béguinages, etc. Sa circulaire avait évidemment pour but d'entraver les conséquences
dés lois suppressives.
Dans un mémoire imprimé chez Bols Wittouck, à
Bruxelles, en septembre 1845 et rédigé par les avocats de l'archevêque, mémoire
qui n'a été confié qu'aux adeptes, on soutient :
« 1°Que les Béguinages ont toujours été des
établissements de secours ;
« 2° Que les personnes secourues n'étaient autres
que les béguines elles-mêmes ;
« 3° Que ces établissements n'ont jamais été
supprimés ni les béguines non plus ;
« 4° Qu'au contraire toutes les lois de la
république el de l'empire ont formellement reconnu leur existence et leur
maintien ;
« 5° Que par suite les biens qui leur ont été
anciennement affectés ne peuvent pas servir aux besoins généraux des hospices
ni au soulagement des pauvres profanes ;
« 6° Qu'en conséquence, le gouvernement doit
imposer aux administrations des hospices l'obligation de prendre les mesures
nécessaires pour assurer aux béguines la conservation de leurs droits et de
tous les secours qui leur sont dus aux termes de leur institution ;
« 7° Que si les commissions administratives
restaient en défaut de prendre ces mesures, le gouvernement pourrait et devrait
les prendre ;
« 8° Qu'il devrait prescrire en même temps de
porter les revenus des biens de ces établissements soit dans un budget ou
compte particulier, soit dans un chapitre distinct des budgets et comptes des
hospices auxquels ils sont réunis, afin de conserver leur affectation spéciale
et exclusive. »
On voit qu'il ne s'agit de rien de moins que de
renverser un état de choses établi, depuis plus de 30 ans, en vertu des lois de
l'empire, de restituer aux Béguinages leur caractère monastique, de
circonscrire l'action de la bienfaisance publique en décidant que les biens des
Béguinages ne pourront plus être employés qu'en faveur d'un nombre limité de
véritables béguines astreintes à d'anciennes règles et à des statuts que l'on
veut faire revivre même par arrêté royal, comme si les lois suppressives des
béguinages pouvaient être abrogées par arrêtés royaux !! Où donc, grand
Dieu ! nous conduit l'esprit de parti ?
Et ce mémoire, vrai type d'exagération, quoique
rédigé dans l'intérêt de l'épiscopat, a été imprimé par les soins d'un employé
supérieur du ministère de la justice ; les épreuves ont été corrigées dans les
bureaux du ministère et les frais d'impression ont été prélevés sur les
dépenses imprévues du budget.
Nous pourrions, messieurs, citer beaucoup d'autres
faits encore, tous de même nature ; mais le temps nous presse et nous avons
hâte de terminer. Nous ferons seulement remarquer que, s'il est beau de faire
de la philanthropie, d'aider les mères de famille qui remplissent leurs devoirs
religieux, d'établir des crèches où des enfants privilégiés peuvent être reçus,
il est pour un ministre des devoirs plus élevés. Il doit respecter les lois et
empêcher qu'on s'en écarte ; il doit surtout conserver la propriété de
l'indigent. Vous venez de voir, messieurs, comment M. le ministre de la justice
comprend une mission si sainte.
Mais il s'agit bien de faire exécuter les lois ;
les lois, les décrets de la justice ne sont rien lorsque la politique du
gouvernement est en jeu.
N'avons-nous pas vu l'année dernière par les
détails d'une affaire à jamais mémorable, celle de Retsin, de quoi le ministère
est capable quand il s'agit de récompenser des services rendus à ses amis
politiques ?
Aujourd'hui l'affaire Retsin a son pendant.
Ecoutez :
Il existait à Lessines, arrondissement d'Ath, un
individu qui avait rendu au ministère et à ses amis de grands services
électoraux d'abord à Ath, ensuite à Soignies. C'est cet individu qui
l'avant-veille de l'élection de Soignies, fit distribuer dans toutes les
communes du canton des pamphlets contre l'honorable M. Rousselle.
Un agent si dévoué, dont les efforts d'ailleurs
avaient été couronnés de succès, méritait une récompense : précisément la place
de greffier de la justice de paix était vacante, et Désiré Orman, fabricant de
chicorée (c'est le nom de l'individu auquel nous avons fait allusion), fut
immédiatement désigné pour remplir ces fonctions ; il devint tout à la fois et
le candidat du clergé et le candidat du ministère.
Cependant, il se présentait une difficulté, et
cette difficulté était grave. Elle prenait sa source dans les antécédents du
candidat.
En 1838 déjà, à la mort de son beau-père, M. Jouret-Orman
avait sollicité la place de greffier de la justice de paix de Lessines et,
quoiqu'il eût été porté d'abord comme candidat sur les tableaux de
présentation, les rapports qui furent adressés ensuite à M. le procureur
général de Fernelmont lui ayant été des plus défavorables, il échoua dans sa
demande. Sa qualité de gendre du défunt titulaire, que l'on invoquera sans
doute encore aujourd'hui, ne parvint pas à le faire réussir. M. le ministre de
la justice, alors avocat général, doit avoir eu connaissance de ces rapports.
Ces rapports, d’ailleurs, étaient basés sur des faits constatés par jugements
passés en force de chose jugée.
Le 28 mars 1826, Désiré Orman, par jugement du
tribunal correctionnel de Tournay, fut condamné à trois mois de prison pour
coups et blessures sur des agents de la force publique, et l'affaire avait un
tel degré de gravité, que la demande en grâce, que le condamné avait présentée
au Roi, fut rejetée.
Le 10 septembre 1828, Orman fut condamné pour rixe
dans un cabaret à une peine de police par la justice de paix de Lessines, dont
les archives lui sont en ce moment confiées.
Le 22 décembre 1842, il fut condamné par le
tribunal de Tournay pour avoir imité et placé sur ses paquets de chicorée les
marque et vignettes de MM. Orban et fils de Liège, et ce jugement fut publié et
affiché.
Nous ne parlerons pas, au moins jusqu'à présent,
d'un autre jugement rendu par le tribunal de Tournay, le 18 novembre 1837, sous
la présidence d'un de nos honorables collègues, par la raison que ce jugement,
quoique faisant apprécier l'individu au point de vue de la moralité, ne
concerne que des droits civils.
J'entends l'honorable M. Dechamps qui, au point de
vue des élections d'Ath, est intéressé dans la question, s'écrier que
« c'est indigna d'accuser ainsi, au sein du parlement, un fonctionnaire
public qui jouit de la confiance des justiciables. » Oui, il serait
inconvenant, il serait indigne de s'abriter derrière l'inviolabilité du député
pour articuler légèrement et sans preuves des faits graves contre un
fonctionnaire public ; mais, lorsqu'à l'appui de mes allégations, j'invoque des
acte authentiques, des jugements passés en force de chose jugée, et que je
tiens en mains copies de ces jugements, alors, tout en remplissant un devoir
sacré, celui de député contrôlant les actes du ministère, je ne fais dans cette
enceinte qu'articuler des faits que je pourrais articuler partout (page 476) ailleurs sans donner lieu au moindre blâme, loin
de m'exposer à aucune poursuite quant à la confiance dont jouirait à Lessines
Désiré Oman, je m'en rapporte volontiers à la notoriété publique.
Il y avait, d'ailleurs, une autre difficulté pour
faire adopter la candidature du sieur Orman ; plusieurs candidats
recommandables sous tous les rapports, et en première ligne M. Lepoivre, cousin
germain du dernier titulaire, qui pendant la longue maladie de son parent avait
rempli les fonctions de commis-greffier à l'entière satisfaction de M. le juge
de paix et qui était appuyé par toutes les autorités tant judiciaires qu'administratives,
venaient faire concurrence au protégé du clergé que vous connaissez maintenant.
M. Lepoivre, contre lequel il ne s'était jamais
élevé la moindre plainte, loin qu'il eût eu dans aucune circonstance des
démêlés avec la justice civile ou correctionnelle, avait joint à sa requête au
Roi des certificats de moralité les plus beaux qu'un candidat puisse invoquer.
Voici ces certificats :
Le premier, du collège des bourgmestre et échevins
de la ville de Lessines, est ainsi conçu :
« Le collège des bourgmestre et échevins de la
ville de Lessines certifie que M. Auguste Lepoivre, clerc de notaire, domicilié
en ladite ville, remplit les fonctions de commis-greffier près de la justice de
paix de Lessines, depuis plusieurs années ; que sa conduite est irréprochable,
et qu'il jouit de l'estime de ses concitoyens.
« Lessines, le 18 mai 1846.
« Ont signé : D. Maincq, bourgmestre ; Liépin,
échevin, et Provoieur, secrétaire. »
Le second certificat est délivré par les
conseillers communaux de la ville de Lessines ; il porte :
« Nous soussignés conseillers et anciens
conseillers communaux de la ville de Lessines, affirmons que le sieur
Louis-Auguste Lepoivre, candidat notaire en cette ville, remplit depuis
plusieurs années la charge de commis-greffier près de la justice de paix du
canton de Lessines, qu'il s'est acquitté de ses fonctions à l'entière
satisfaction de tous ceux qui le connaissent, et qu'il mérite sous tous les
rapports la bienveillance du gouvernement pour obtenir la charge de greffier de
ladite justice de paix vacante par la mort de son cousin germain, le sieur
Joseph-Edouard Lepoivre.
« Lessines, le 8 mai 1846.
« Signé : L. Liépin, échevin. F.-J. Janssens,
conseiller, N.-A. Olivier, P. Tacquenier, conseiller, B. Carion, notaire et conseiller,
F. Jouret, notaire et conseiller, J. Mercenier, J. Willame, D.
Vandenkerckhoven.»
Le troisième certificat, émanant de M. Olivier,
juge de paix, dit en termes :
« Nous, juge de paix du canton de Lessines,
certifions que le sieur Louis-Auguste Lepoivre, candidat notaire en cette
ville, remplit depuis le 17 août 1838 les fonctions de commis-greffier près de
notre justice de paix, qu'à cause de l'état maladif dans lequel notre greffier
le sieur Joseph Lepoivre s'est constamment trouvé depuis la dite époque, ledit
sieur Louis-Auguste Lepoivre, cousin germain de ce dernier a dû faire presque
entièrement le travail du greffe ; qu'il nous a assisté dans tontes les
affaires pour crimes et délits que nous avons été appelé à instruire depuis
huit ans ; que dans toutes les circonstances et particulièrement dans celles où
il s'agissait de la justice répressive, il a montré le plus grand zèle ; qu'il
n'a cessé de faire preuve de capacité et d'intelligence, qu'il jouit dans ce
canton de l'estime publique ; qu'enfin nous estimons qu'il mérite la
bienveillance du gouvernement pour obtenir la charge de greffier près de notre
justice de paix.
« Lessines, le 5 mai 1846.
« (Signé) N.-A. Olivier. »
Le quatrième certificat, délivré par tous les
bourgmestres du canton de Lessines, est ainsi conçu :
« Nous bourgmestre des communes du canton de
Lessines, certifions qu'il est à notre connaissance que depuis plusieurs années
le sieur Louis-Auguste Lepoivre, commis-greffier de la justice de paix de ce
canton, remplit les fonctions de son cousin germain le sieur Joseph-Edouard
Lepoivre, décédé greffier à Lessines, qu'il jouit de l'estime publique et qu'il
mérite sous tous les rapports la bienveillance du gouvernement pour obtenir la
place de greffier vacante par la mort du titulaire. » Donné les 17, 18 et 19
mai 1846.
« Le bourgmestre de Deux-Acren, signé V. De
Bagenrieux,
« Le bourgmestre de Biévène, signé J. J. Jouret.
« Le bourgmestre d'Ollignies, signé Th. Dubois.
« Pour le bourgtmestre de Bois de Lessines, signé
Buidin, échevin.
« Le bourgmestre de Papignies, signé Dufief.
« Le bourgmestre de Wannebecq, signé Jouret.
« Le bourgmestre d'Oeudeghem, signé Deneubourg.
« Le bourgmestre d'Ogy, signé A. Lelubre.
« Le bourgmestre de Ghoy, signé, V.-J. Couvreur. »
Le cinquième certificat enfin, délivré par M.
Jouret, notaire et alors suppléant de la justice de paix, porte :
Je soussigné François-Léopold-Henri Jouret, notaire
à la résidence de Lessines (Hainaut), certifie que le sieur Louis-Auguste
Lepoivre, candidat notaire, demeurant à Lessines, a fait un stage de quinze
années en qualité de premier clerc en mon étude, que par son aptitude au
travail, son zèle et sa probité, il a mérité toute mon estime, qu'il réunit
tontes les qualités qui font l'homme de bien, et qu'ainsi il est digne des
faveurs du gouvernement pour l'obtention d'une place de notaire ou de greffier.
« En foi de quoi, je lui ai délivré le présent
certificat à Lessines, le 5 mai 1846.
« Signé F. Jouret.»
M. Jouret ne s'est pas contenté de délivrer un
certificat à M. Lepoivre, il s'est rendu à Bruxelles pour appuyer sa
candidature auprès de M. le ministre de la justice, et pour faire connaître la
moralité de son compétiteur Désiré Orman ; il est même allé jusqu'à dire que si
Orman venait à être nommé, lui Jouret « se verrait dans la nécessité de
donner sa démission des fonctions de juge suppléant, attendu qu'il ne pourrait
jamais se résigner à siéger à côté d'un pareil homme ».
Ce n'est pas tout encore : la requête de M.
Lepoivre avait été appuyée et par l'avis favorable de M. le gouverneur du
Hainaut et par les avis non moins favorables de MM. les premier président et
procureur général de la cour d'appel de Bruxelles.
Désiré Orman ne pouvait invoquer rien de semblable
; ses antécédents étaient connus depuis longtemps de la justice, et on les
avait fait connaître au gouvernement. Orman n'avait pour lui que la protection
du clergé : on sait pourquoi ; mais cette protection était puissante auprès de
M. le ministre de la justice, et devant elle toute autre considération devait
nécessairement fléchir.
A la suite de plusieurs visites du doyen de
Lessines et d'un autre ecclésiastique, Désiré Orman fut nommé greffier de la
justice de paix par un arrêté daté de Zurich le 6 septembre 1846.
M. le notaire Jouret, conseiller communal, envoya
au Roi sa démission de juge suppléant par une adresse en date du 18 septembre
1846, dont j'ai sous les yeux la copie.
Elle porte :
« A Sa Majesté le Roi des Belges.
« Sire !
Le ministre de la justice ayant proposé à Votre
Majesté la nomination du sieur D. Orman, comme greffier de la justice de paix
du canton de Lessines, et cette nomination ayant eu lieu par arrêté royal donné
à Zurich, le 6 de ce mois, je viens, Sire, déposer entre vos mains ma démission
des fonctions de premier juge suppléant à cette justice de paix que vous m'avez
confiées le 29 janvier 1833, parce qu'il m'est impossible de me trouver dans le
cas de siéger à côté d'un homme dont l'ignorance et l'incapacité sont connues
de tout le canton el qui a été frappé en 1826 d'une condamnation à
l'emprisonnement qu'il a dû subir, malgré les démarches qui ont été faites pour
obtenir sa grâce, circonstances qui ont été signalées au ministre qui n'en a eu
aucun égard.
« Recevez, Sire,
l'hommage de mon profond respect.
« (Signé) : F. Jouret.
« Notaire et conseiller communal. »
Ici je m'arrête, tout commentaire devient inutile.
Nous avons eu en 1846 l'affaire Retsin, dont le
pays conservera longtemps encore le souvenir ; nous avons aujourd'hui l'affaire
Orman, qui en est réellement le pendant. De pareils actes font à eux seuls
apprécier un cabinet.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, différentes
accusations plus ou moins graves ont été articulées contre moi par l'honorable
M. Verhaegen. La plupart de ces accusations reposent sur de simples allégations.
Il ne me sera pas difficile d'en faire justice. L'honorable membre, en
m'engageant à ne pas l'interrompre, m'a dit qu'il attendait ma réponse.
J'attends à mon tour de sa loyauté qu'en présence des réponses péremptoires que
je lui promets, il sera le premier à reconnaître l'erreur dans laquelle il a
été induit quant aux faits qui ont motivé les accusations qu'il a dirigées
contre moi.
L'honorable membre, messieurs, a commencé par citer
mes antécédents.
Il vous a dit qu'en 1843 j'étais avocat général à
la cour d'appel de Bruxelles, que j'étais alors un très grand libéral, que
j'étais qualifié comme tel, que c'était en cette qualité que j'étais entré au
ministère, en 1843, après avoir été, en 1842, trouvé trop libéral pour être
nommé secrétaire général du même département.
Messieurs, ce que j'étais en 1843, je le suis
encore en 1847. Je n'ai abandonné aucun des principes que j'ai professés pendant
toute ma carrière magistrale. Je défie qu'on cite un seul acte de ma vie
publique et politique qui puisse justifier le reproche d'avoir changé
d'opinion.
Pendant 16 ans, j'ai occupé des fonctions dans la
magistrature. Pendant 16 ans, j'ai rempli les devoirs qui m'étaient imposés
avec zèle, intégrité et dévouement. J'ai toujours été, dans toute ma carrière,
un homme modéré, un homme gouvernemental, un ami sincère de nos institutions
libérales. Depuis mon entrée au ministère, je suis resté fidèle aux mêmes
convictions, je n'ai posé aucun acte qui donne le droit de dire que j'aie
abandonné aucun des principes que j'avais, lorsque, pour la première fois, je
suis entré dans cette chambre.
Il est facile sans doute de dire : Vous étiez jadis
un très grand libéral. Vous êtes aujourd'hui un très grand clérical. Mais il
faudrait citer des faits pour établir en quoi consiste cette transformation. Je
suis encore à attendre ceux que voudra bien sans doute me citer l'honorable M.
Verhaegen.
Je le répète donc : en 1843, j'avais les opinions
que j’ai encore maintenant. Seulement, avant I«45 n'étant pas un homme
politique, je n'avais donc posé aucun acte politique. J'étais connu, j'ose le
dire, par la modération de mes opinions, par mon dévouement à mes devoirs ; ces
qualités (page 477) ne m'ont pas plus abandonné au banc ministériel que quand je remplissais
mes fonctions dans la magistrature.
L'honorable M. Verhaegen a ensuite rappelé
l'affaire de Retsin, et il a terminé par s'occuper d'une affaire qu'il a
appelée le pendant de l'affaire de Retsin.
Je suis heureux, messieurs, que l'honorable M.
Verhaegen m'ait de nouveau fourni cette occasion de dire quelques mots sur
cette dernière affaire.
Il faut d'abord lui rendre ses véritables
proportions qu'on a singulièrement, pour ne pas dire ridiculement exagérées. Au
bout du compte, de quoi s'agissait-il ? Il s'agissait d'un individu coupable
qui avait été condamné, auquel la grâce avait été refusée deux fois ; il
s'agissait d'un individu se trouvant dans une position de santé qui m'avait été
dépeinte comme réclamant des soins et un traitement dans une maison de santé.
Cet individu, mis provisoirement en liberté, avait abusé de la permission qui
lui avait été accordée ; il a été arrêté de nouveau, et il subit maintenant sa
peine.
Ainsi tout, dans cette affaire, se borne à ceci :
qu'une autorisation provisoire de mise en liberté a été légèrement, indûment,
si vous voulez, accordée à un individu condamné.
Voilà tout mon crime ! J'ai peut-être trop
légèrement adopté un rapport qui m'avait été fait par un fonctionnaire qui
jouit à bon droit de toute ma confiance ; personnellement ni lui, ni moi, nous
n'avions aucune connaissance de l'individu condamné, ni de l'état de sa santé ;
mais Retsin avait été signalé à M. l'administrateur, comme atteint d'une
maladie qui exigeait un traitement spécial dans une maison de santé. Voilà
l'affaire réduite à sa plus simple expression. S'il y a faute, elle consiste
uniquement à ne pas avoir accepté trop légèrement peut-être les certificats qui
ont été produits. Voilà tout ce qu'on peut me reprocher, et vous savez,
messieurs, dans quelles circonstances ce fait a eu lieu. Nous étions à la
veille d'une dislocation ministérielle, et j'étais chargé, indépendamment du
portefeuille de la justice, de celui de la guerre ad intérim.
Je disais tout à l'heure que j'étais heureux
d'avoir l'occasion de m'expliquer de nouveau sur cette affaire ; non pas pour
moi ; car je pense que les explications que j'ai données, l'année passée,
étaient suffisantes, mais pour le fonctionnaire honorable auquel j'ai fait
allusion.
Il m'a paru qu'il était resté dans l'esprit de
quelques honorables membres de la chambre des doutes au sujet des certificats
sur lesquels M. Hody avait basé son rapport. Ces certificats avaient été remis
à M. Hody par une personne qui les tenait de Retsin. M. Hody avait cru pouvoir
les restituer après que la décision avait été prise. Dans le désir bien naturel
d'établir complétement le fondement du rapport qu'il m'avait fait et de
répondre à tous les soupçons, il a tenu à se procurer de nouveau les
certificats.
Je les ai , je puis les produire à la chambre ; ils
sont au nombre de quatre ; ils émanent de médecins très connus dj Bruxelles, de
Termonde, etc., ils attestent, comme le disait M. Hody dans son rapport, la
réapparition fréquente de la même maladie chez le condamné. Mais, il y a plus,
depuis que Retsin est dans la prison de Turnhout, il est constamment malade,
comme le prouve un certificat également joint à mon dossier.
On prétend maintenant que Retsin est l'objet, dans
la prison de Turnhout, de ménagements et de faveurs. Cette allégation est
tellement peu exacte que la faveur de la pistole qu'il avait demandée lui a été
refusée par le gouverneur d'Anvers. C'est-à-dire qu'on a été plus rigoureux à
son égard qu'à l'égard d'aucun de ceux qui ont obtenu l'autorisation de subir
une peine correctionnelle dans une maison d'arrêt. Je ne dis pas cela pour m'en
faire un mérite auprès de la chambre ; car ce n'est pas le ministre qui accorde
la faveur de la pistole ; c'est le gouverneur ; celui de la province d'Anvers
l'a refusée ; il m'en a rendu compte, et j'ai approuvé sa conduite.
Voilà ce que j'avais à ajouter sur cette affaire.
Je le répète, les certificats sont joints au dossier ; ils pourront être
consultés par les membres de la chambre, ils prouvent la vérité de tout ce que
j'ai avancé l'année dernière.
L'honorable M. Verhaegen a passé ensuite à un
second grief ; il m'a fait un reproche qui serait très grave, s'il était fondé
; il m'a dit que pour empêcher en quelque sorte les membres de la cour de
cassation de juger une question de mainmorte, je les avais consultés, pour les
obliger à se récuser dans les affaires de même nature. A cela je dois répondre
par un démenti formel. Les renseignements qu'a l'honorable membre sont
complétement inexacts. Je n'ai consulté aucun membre de la cour de cassation
sur aucune question de mainmorte
Seulement il existe au département de la justice,
non pas depuis que j'y suis, mais depuis l'arrêté du roi Guillaume de 1823 sur
les fondations des bourses d'étude un comité composé de magistrats appartenant
à la cour de cassation, à la cour d'appel ; ce comité donne son avis sur les
difficultés relatives aux fondations des bourses d'étude. Non seulement des
magistrats en font partie, mais aussi des fonctionnaires du département de la
justice au nombre desquels figurait jadis mon honorable ami M. Malou.
L'honorable M. Malou ayant été nommé gouverneur de
la province d'Anvers, et un magistrat ayant donné sa démission, deux autres
membres des cours de cassation et d'appel ont été nommés pour les remplacer. Ce
sont M. Paquet, ancien secrétaire du département de la justice, et M.
Vanhoogten, conseiller à la cour d'appel. Il ne s'agissait aucunement de
consulter ces messieurs sur la question de mainmorte récemment soumise à la
cour d'appel ; mais il s'agissait de compléter le comité institué au
département de la justice pour les fondations de bourses d'étude, et je pense
qu'en nommant les deux magistrats que je viens de citer, je donne la preuve à
la chambre qu'il était impossible de faire un meilleur choix.
L'honorable membre m'a dit qu'il pourrait me citer,
après la séance, les noms des magistrats que j'aurais consultés dans le but de
les engager à se récuser dans l'affaire dont il a parlé. J'espère qu'il voudra
bien tenir sa promesse et me citer le nom des personnes auxquelles il a fait
allusion.
J'ai été étonné, messieurs, que l'honorable membre
soit venu me dénier le peu de mérite que je puis avoir eu en défendant et en
faisant adopter par la chambre la loi sur l'augmentation des traitements des
membres de la magistrature. Il semblerait, d'après lui, que loin d'avoir
favorisé l'adoption de ce projet, je l'aurais entravée. Je pense, messieurs,
que la manière dont j'ai défendu alors la cause de la magistrature ne me
méritera ni de votre part, ni de la part de l'ordre judiciaire, les reproches
injustes que m'a faits l'honorable M. Verhaegen.
Messieurs, l'honorable M. Verhaegen n'a
probablement tenu ce langage que pour pouvoir arriver à cet autre grief
consistant dans le peu de respect que, selon lui, j'aurais manifesté pour
l'autorité de la chose jugée. Les doctrines, messieurs, que j'ai émises, je
crois pouvoir et devoir les maintenir. Elles ont pour base la division des
pouvoirs et, je pense, quant à ces doctrines, être d'accord avec beaucoup de
membres de cette chambre et même avec beaucoup d'amis de l'honorable M.
Verhaegen. Je pourrais notamment citer l'honorable M. Delfosse qui en 1844 a
dit qu'il partageait eu tous points la doctrine que j'avais émise sur cette
question.
M. Delfosse. - Je n'ai
pas voté comme vous.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Il ne s'agit pas du vote,
mais de la doctrine. Je suis trop rarement d'accord avec l'honorable M. Delfosse
pour ne pas citer avec plaisir la circonstance où cet accord a existé.
L'honorable M. Verhaegen a ensuite passé en revue
différentes nominations. Il a cité notamment la nomination d'un juge de paix à
Herzeele, et celle d'un juge de paix à Dixmude.
L'honorable membre a dit que j'avais nommé juge de
paix à Herzeele un saunier et à Dixmude un docteur en médecine ; qu'il y avait
pourtant pour ces deux emplois des candidats très recommandables qui se
présentaient.
Messieurs, je n'ai jamais pensé qu'il fût
indispensable d'être docteur en droit pour obtenir une place de juge de paix,
pas plus que la chambre ne l'a pensé, pas plus que l'honorable M. Delfosse ne
l'a pensé, pas plus qu'un honorable collègue que nous avons perdu il y a
quelque temps, l'honorable M. Savart, ne l'a pensé lui-même. Car ces deux
honorables membres avaient proposé l'un et l'autre des amendements lorsqu'il
s'est agi de la loi sur l'ordre judiciaire ; l'honorable M. Delfosse proposait
une disposition portant qu'on pourrait nommer comme juges de paix des personnes
qui auraient été, non pas docteurs en droit, mais candidats en droit ; et
l'honorable M. Savart voulait que l'on pût également nommer à ces fonctions les
personnes qui auraient été juges suppléants pendant cinq ans ou qui auraient
exercé pendant le même temps des fonctions administratives. La chambre,
messieurs, n'a pas même voulu mettre cette restriction aux droits du
gouvernement ; elle a pensé qu’il était indispensable dans certaines circonstances
de pouvoir faire des choix en dehors des catégories mêmes que fixaient
l'honorable M. Delfosse et l'honorable M. Savart.
M. Delfosse. - La
chambre ne s'est pas prononcée.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - La chambre a rejeté votre
amendement.
M. Delfosse. - C'est
une erreur. Il y a eu renvoi à l'examen d’une commission.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Je croyais me rappeler
que vous aviez vous-même demandé la discussion immédiate. Il est possible que
je me trompe et que votre amendement a été renvoyé à une commission ; mais
enfin cette restriction ne se trouve pas dans la loi.
Je fais, du reste, cette observation uniquement
pour prouver que l'opinion de l'honorable M. Delfosse et de l'honorable M.
Savart était qu'il n'était pas indispensable d'être docteur en droit pour être
nommé juge de paix.
Or, messieurs, qu'ai-je fait pour Herzeele ? J'ai
proposé, comme juge de paix un homme éminemment recommandable, un homme
éminemment capable, qui avait été juge suppléant à Ninove pendant onze ans.
Il se présentait, en effet, des avocats de mérite
qui demandaient cette place ; je ne veux pas discuter leurs titres. Je pense,
messieurs, avoir rempli mon devoir en prouvant que le candidat nommé convenait
à la place ; mais j'ajouterai que j'avais ici un motif spécial pour ne pas
nommer un des jeunes avocats qui se présentaient, et voici ces motifs :
Les titulaires antérieurs n'avaient jamais demeuré
à Herzeele ; ils habitaient Gand, et ils se rendaient une fois par semaine à
Herzeele pour y remplir leurs fonctions ; aussi étaient-ils à peine connus du
canton. M. le procureur général à la cour d'appel de Gand m'a conseillé
fortement, dans cette circonstance, de tâcher d'avoir comme juge de paix à
Herzeele un individu qui, si je puis m'exprimer ainsi, considérerait la place
comme son bâton de maréchal, et non comme un marche-pied qui devait le conduire
à d'autres fonctions. Il m'a fait sentir qu'il était indispensable d'établir
dans ce canton un magistrat qui y résiderait, un magistrat que les personnes de
la localité considéreraient comme devant rester d'une manière permanente dans
le canton ; et c'est par ce motif, qu'en présence (page 478) de l'intention qu'avait manifestée le titulaire actuel de
se fixer à Herzeele, j'ai cru devoir le nommer.
Messieurs, quant au juge de paix de Dixmude, il
n'est pas docteur en droit. Mais je dois dire qu'il m'aurait été bien difficile
de satisfaire même aux conditions que voulait poser l'honorable M. Delfosse
dans l'amendement qu'il avait proposé, attendu que, pour cette place, il ne
s'est présenté aucun docteur en droit. Il n'y avait que deux candidats, et
celui qui a été nommé a été spécialement recommandé par toutes les autorités.
Je crois, messieurs, par ces explications, avoir
suffisamment justifié les nominations de Dixmude et d'Herzeele.
J'ai déjà, messieurs, donné des explications
suffisantes, me paraît-il, relativement aux motifs qui m'avaient dirigé lorsque
j'avais engagé les fonctionnaires auxquels je demande des avis, à ne pas me
faire de présentations, mais uniquement à m'indiquer ce qu'ils pensent de
chaque candidat. Je ne reviendrai pas sur les explications que j'ai données à différentes
reprises sur cet objet.
Je regrette de ne pouvoir donner dans ce moment les
explications que désire l'honorable M. Verhaegen relativement à la nomination
du notaire Vander Schueren à Denderwindeke. Je n'ai pas présents à la mémoire
les motifs pour lesquels ce changement de résidence a été autorisé. Si on le
désire, je rechercherai le dossier et je pourrai donner ces explications.
L'honorable membre a ensuite parlé des actes de
cautionnement qui jadis étaient reçus par tous les notaires indistinctement
auxquels s'adressait l'individu qui devait fournir le cautionnement. Messieurs,
il est vrai que non pas moi, mais M. le ministre des finances a autorisé les
receveurs à désigner eux-mêmes le notaire à l'individu qui devait fournir le
cautionnement.
Mais, messieurs, les receveurs sont responsables
des cautionnements, et en conséquence ils ont un intérêt dans l'acte qui doit
être passé. Ils doivent désirer que le notaire qui reçoit cet acte soit un
homme capable, un homme en qui ils aient toute confiance. Il était donc naturel
de leur donner le choix du notaire, de manière à couvrir complétement leur
responsabilité.
Voilà l'explication de cet acte de mon honorable
ami M. le ministre des finances.
Je crois, messieurs, dans les mutations auxquelles
j'ai consenti pour le notariat, mutations assez rares, beaucoup plus rares du
moins que celles qui ont eu lieu sous mes prédécesseurs, avoir toujours agi
dans l'intérêt du public.
L'honorable membre a cependant cité deux cas ; il a
dit qu'une mutation avait été refusée à Liège et qu'une mutation avait été
accordée à Dinant.
Le motif, messieurs, est fort simple. D'abord Liège
est une résidence de première classe, et on doit plus difficilement permettre à
un notaire de troisième classe de passer à un notariat de première classe, qu'à
un notaire de troisième classe de passer à un notariat de seconde classe, comme
à Dinant. Mais dans l'affaire de Dinant, il s'agissait du fils d'un ancien
notaire qui avait été nommé dans une commune des environs de Dinant et qui a
désiré saisir une occasion de reprendre en quelque sorte l'héritage de son
père. Or, messieurs, un pareil motif n'existait pas pour Liège. D'ailleurs, je
dois le déclarer, je n'ai agi, dans l'affaire de Dinant, que de l'avis conforme
de toutes les autorités sans exception.
L'honorable membre, messieurs, a commis deux
erreurs lorsqu'il a parlé des notariats de Warnelon et de Messines. Le notariat
qu'il se plaint de ne pas voir rempli, l'est depuis assez longtemps.
M. Rodenbach. - Depuis
trois mois.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Quant au notariat de Messines,
il est vacant seulement depuis deux mois, et il m'a été impossible de présenter
au Roi aucune espèce de nomination, parce que les rapports des autorités qui
ont été consultées ne me sont pas encore parvenus.
L'honorable membre, messieurs, vous a entretenus de
la promesse que j'aurais faite à un premier clerc de notaire de Bruxelles,
d'obtenir une nomination, s'il voulait aider le gouvernement dans les efforts
qu'il suppose avoir été faits pour une élection récente.
Messieurs, je dois déclarer de la manière la plus
formelle que les renseignements qui ont été fournis à l'honorable membre sont
complétement inexacts, et je dois dire que je ne me figure même pas la personne
à laquelle il a voulu faire allusion. J'attends encore, messieurs, de la
loyauté de l'honorable membre qu'il veuille bien me communiquer, en
particulier, s'il ne veut pas le dire dans la chambre, le nom de la personne à
laquelle il a voulu faire allusion, et je m'engage bien volontiers, lui, M.
Verhaegen, en tiers, à avoir une conversation avec cette personne.
L'honorable membre, passant à une autre partie de
mon administration, s'est attaché spécialement aux prisons. Il vous a dit que
jadis on nommait comme gardiens d'anciens militaires et que maintenant on
remplaçait les gardiens par des frères ignorantins.
Messieurs, quel est le ministre qui a proposé au
Roi un arrêté portant que les anciens militaires seraient, à l'exclusion de
toute autre personne, appelés aux fonctions de gardiens des prisons ? C'est le
ministre qui a l'honneur de vous parler dans ce moment, et à cette occasion
j'ai reçu des félicitations en pleine chambre de la part de l'honorable M.
Pirson. Cet arrêté que j'ai soumis au Roi, est encore exécuté, et l'on peut
voir dans le Moniteur, si l'on se donnait la peine de le lire, que presque tous
les gardiens qui sont nommés sont d'anciens militaires. Ainsi, messieurs, ce
qu'a dit l'honorable M. Verhaegen à cet égard est encore complétement inexact ;
les faits sont là pour lui donner un démenti complet.
Je ne m’attendais pas, messieurs, d'être accusé de
violer la liberté des cultes. Il me semble qu'au commencement de cette séance,
j'ai pris la défense de cette liberté avec assez d'énergie pour ne pas mériter
ce reproche, et que mon discours en réponse aux théories de l'honorable M. de
Bonne avait bien pour base le principe de la liberté des cultes et du maintien
de cette liberté.
M. de Bonne. - Je
demande la parole.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Mais l'honorable membre
m'attaque pour une circulaire du 20 janvier ; et cette circulaire que l'honorable
membre prétend que je n'ai pas osé reproduire en entier dans mon recueil
imprimé, oblige simplement les aumôniers qui sont en rapport avec les employés
des prisons à faire un rapport non pas à moi, mais à la commission des prisons.
L'honorable membre dit que dans mon recueil imprimé je n'ai pas osé signalé
l’aumônier comme devant faire un rapport. Je tiens, messieurs, à prouver à la
chambre que cette circulaire se trouve presque en entier dans le recueil que je
tiens à la main.
En effet j'y lis :
« La conduite des employés étant de nature à
exercer une certaine influence sur celle des détenus, et devant en tous cas
correspondre aux vues de l'administration, MM. les directeurs et aumôniers des
prisons voudront bien s'expliquer en toute liberté à cet égard dans leurs
rapports annuels prescrits par l'article 69 du règlement du 4 novembre 1821 et
par la circulaire du 7 février 1833. »
M. Verhaegen. - Voici
les mots omis : « Et mentionner ceux qui ne s'acquitteraient pas convenablement
de leur devoir. »
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Il me semble qu'un rapport,
pour signifier quelque chose, doit indiquer les personnes qui se conduisent
bien, celles qui remplissent, celles qui négligent leurs devoirs.
Un membre. - Pourquoi
cette phrase ne se trouve-t-elle pas dans le recueil imprimé ?
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Parce que ce n'est qu'un
extrait. Je dois même dire une chose qui peut-être sera l'objet de dénégations
de la part de mes honorables adversaires : c'est la première fois que je lis
cet extrait imprimé. On n'exigera certainement pas que je collationne toutes
les pièces que je livre à l'impression. J'ai ordonné de recueillir toutes les
circulaires émanées de mon département ; la personne chargée de ce travail a
omis je ne sais pour quel motif cette phrase ; cette omission est
insignifiante, mais je n'en suis pas responsable.
Je croyais que l'honorable M. Verhaegen disait
qu'on avait omis dans le recueil imprimé le nom de l'aumônier, et il n'en est
rien.
Les aumôniers sont donc chargés de faire des
rapports ; et c'est là un grief. Messieurs, je crois que les rapports que font
les aumôniers aux commissions administratives des prisons sont fort utiles. Je
crois que les aumôniers étant continuellement en rapport avec les gardiens, il
est très important qu'ils fassent connaître aux commissions administratives la
manière dont ceux-ci se conduisent.
Je crois qu'alors que nous poursuivons avec zèle
l'œuvre de la moralisation des détenus, il est important que les aumôniers
signalent les gardiens qui se permettraient, par exemple, vis-à vis des
détenus, des propos qui seraient de nature à annihiler les effets de
l'instruction morale et religieuse. Je ne conçois donc pas que ce grief puisse
être articulé sérieusement contre mon administration.
L'honorable membre prétend que j'ai fait violence
aux consciences, en obligeant à changer dans les prisons la nourriture à
certains jours de la semaine, aux jours de carême et d'abstinence. Il suffit de
lire la circulaire du 8 janvier 1845, pour apprécier ce grief à sa juste
valeur. Différentes commissions administratives de prisons m'avaient demandé
si, aux jours maigres, on devait changer le régime alimentaire ; elles
n’avaient en conséquence demandé ce qu’elles avaient à faire sous ce rapport,
quand il y avait dans les prisons des individus de différentes religions ;
j’ai répondu à ces commissions administratives que c'était là une question de
ménage intérieur ; qu'elles devaient arranger cela selon les circonstances ;
que je ne croyais pas devoir me mêler de cette affaire. Il y a loin de là à une
violation quelconque exercée envers les détenus à raison de pratiques
religieuses.
Il y a plus ; il y a dans le prison d’Alost
quelques israélites auxquels, à certains jours de l’année, il est défendu de
manger certains aliments ; il m’a été rendu compte de ce fait ; j’ai
ordonné que ces jours-là on donnât à ces israélites une nourriture spéciale.
Voilà encore une fois comment j'ai violé la liberté des cultes et des
consciences.
L'honorable membre a dit que j'avais dépouillé les
hospices, enlevé le bien des pauvres, pour le faire passer à des corporations
religieuses. Je suis prêt à répondre à ce qu'a dit l'honorable membre
relativement à ces faits ; mais comme l'honorable préopinant a déclaré
l'intention d'établir une discussion spéciale sur cet objet, j'ajournerai
jusque-là ma réponse.
Arrivant à l'administration des cultes, l'honorable
M. Verhaegen a fait connaître à la chambre les biens immenses des séminaires et
des cathédrales ; il vous a dit que la loi était violée, parce que les
séminaires ne rentraient pas de comptes, comme le veut le décret de 1813.
J'ai déjà fait connaître l'année dernière les
motifs pour lesquels je pensais qu'il ne fallait pas exiger de comptes ;
j'ajouterai que ces comptes n'ont jamais été rendus ; j'ai dit alors que, du
reste, il n'était pas nécessaire, (page
479) dans l'intérêt de l'Etat, d'obtenir la production annuelle de ces
comptes ; mais j'ai ajouté que je me faisais rendre compte, en temps opportun,
de la situation des séminaires, pour savoir s'il était convenable de maintenir
les allocations portées dans le budget en faveur de ces établissements. Je veux
parler des bourses créées en vertu du décret de 1807 et d'arrêtés postérieurs ;
je fais également allusion aux 8,000 francs qui ont été accordés aux séminaires
en 1834.
L'honorable M. Verhaegen reconnaîtra sans doute
avec moi que l'honorable M. Rogier, contresignataire de l'arrêté royal
d'allocation des 8,000 fr., s'était assuré qu'à cette époque les séminaires
avaient besoin de cette somme. J'aime à croire qu'à cette époque l'honorable M.
Rogier s'est fait produire les comptes ; quant à moi je puis déclarer que je
n'allouerais jamais une somme annuelle de 8,000 fr. à un établissement
quelconque, sans qu'il eût préalablement justifié de l'insuffisance de ses
ressources.
Depuis 1834, la richesse des séminaires a-t-elle
augmenté dans une proportion si forte qu'il soit possible de supprimer
totalement l'allocation ? Non, messieurs, cinq des séminaires diocésains ont
tous les ans des déficits : les comptes qui m'ont été fournis le constatent. Un
seul séminaire a un boni : c'est le séminaire de Liège ; toutefois ce séminaire
est bien loin d'avoir les revenus dont parle l'honorable M. Verhaegen.
Le séminaire de Liège a un revenu de 141,138 fr. 14
; il a des charges pour 93,075 fr. 88 ; dans le revenu de 141,138 fr. 14, sont
compris 11,000 fr. pour l'arriéré des années précédentes ; il résulte de là que
le séminaire de Liége a un boni réel de 37,062 fr. 26 c. Mais il faut remarquer
que des emprunts considérables, excédant 300,000 fr., ont été faits par le
séminaire de Liège ; que ce séminaire doit payer les intérêts de ces 300,000
fr. et amortir le capital. Quand on aura amorti cette dette au moyen du boni
annuel, on pourra alors examiner, et alors seulement, s'il y a lieu de réduire
l'allocation portée au budget en faveur de ce séminaire.
Quant à la cathédrale de Liège, elle a un revenu de
110,636 fr. 58 c, et elle a une charge de 103,926 fr. 62 c. ; de manière qu'il
y a un boni de 6,709 fr. 96 c, boni qui est destiné à l'entretien des
bâtiments. Or. avec cette somme on ne peut pas entretenir convenablement la
cathédrale, s'il y a des travaux un peu importants à faire. Du reste, la
cathédrale ne demande pas de subside ; si elle en sollicitait pour la
restauration des bâtiments ou pour toute autre dépense obligatoire, nous
aurions alors à examiner si sur le boni annuel de 6,700 francs, la cathédrale
n'a pas pu faire des économies suffisantes pour pouvoir faire face à cette
dépense, sans recourir au gouvernement.
Je croyais avoir, dans le cours de mon
administration, amélioré, autant qu'il était en moi, le service de la
bienfaisance publique. Si je ne craignais d'abuser des moments de la chambre,
je pourrai rappeler tout ce qui a été fait à cet égard depuis que j'ai
l'honneur de diriger le département de la justice.
Je pourrais rappeler plusieurs institutions,
notamment les comités de charité de la ville de Bruxelles, comités de charité
dont la ville se glorifie avec juste raison ; ces comités ont été organisés à
l'aide de règlements émanés du département de la justice ; je pourrais prouver
que pour toutes les institutions quelconques, tout ce qui a été fait de bon et
d'utile a été exclusivement fait à l'aide d'instructions et de conseils émanés
de mon département.
L'honorable M. Verhaegen ne fait même pas grâce à
cette partie de mon administration ; voudrait-il lui attribuer la diminution
des dons et legs en faveur des établissements de bienfaisance ?
Du reste, s'il y a eu diminution quant aux dons aux
bureaux de bienfaisance et aux hospices, il y a eu aussi diminution quant aux
dons accordés pour le culte ; il y a eu diminution sur ces deux chapitres dans
la période des quatre dernières années. Ainsi, pendant les années de 1836 à
1840, les établissements de bienfaisance ont reçu 613,606 fr. ; les fabriques d'église
n'avaient reçu dans la même période que 511,738 fr. Pendant la période de
1840-1846, les bureaux de bienfaisance ont reçu 424,891 fr., les fabriques d'église
ont reçu 501,221 fr.
En parlant des années antérieures à 1836, nous
trouvons une diminution continue pour les établissements religieux, tandis que
pour les établissements de bienfaisance, dans la période de 1836 à 1840, il y a
une augmentation sensible sur les années antérieures.
En parlant des établissements de bienfaisance,
l'honorable M. Verhaegen a mentionné les béguinages auxquels, selon lui, je
voudrais restituer les biens administrés maintenant par les commissions des
hospices ; il a cité une circulaire d'un de mes prédécesseurs, M. Leclercq, par
laquelle il demandait des renseignements sur l'origine et l'administration des
biens des béguinages ; quand je suis arrivé au ministère des renseignements sur
cet objet avaient également été demandés par M. Nothomb qui a eu l'intérim du
ministère de la justice.
Ces renseignements, je les ai complétés. On ne peut
pas sans doute faire un reproche au gouvernement de prendre des renseignements
sur une question aussi importante que celle-là ; on pourrait lui faire un
reproche s'il prenait une décision contraire aux lois, contraire à l'intérêt
des hospices ; mais aucune décision de cette nature n'a été prise, et dès lors
ce grief n'a pas de fondement, car l'honorable membre ne pourrait pas citer une
disposition prise par moi, par laquelle j'aurais cherché à enlever aux hospices
les biens des béguinages.
L'honorable membre dit que je n'ai pas répondu à ce
qu'il a dit concernant un mémoire imprimé sur cette question. Tout ce que je
peux dire c'est que je n'ai aucun souvenir d'un mémoire de cette espèce. Si un fonctionnaire
de mon département a corrigé les épreuves d'un semblable mémoire, je n'en sais
rien ; c'est possible, mais je suis convaincu qu'aucun mémoire qui aurait
été fait pour une autre autorité et à mon insu n'a été payé sur les fonds du
ministère de la justice. Je m'informerai du fait et s'il a eu lieu, je le ferai
connaître à la chambre avec toutes les explications les plus complètes.
Maintenant j'arrive à la dernière accusation, à
celle relative à la nomination du greffier de Lessines. L'honorable membre a
fait un portrait très noir du fonctionnaire qui a été nommé, il l'a représenté
comme un homme incapable et flétri par plusieurs condamnations. Je dois dire
qu'au moment où la nomination a été faite, j'ignorais complétement la
condamnation dont M. Orman a été l'objet ; pour que l'honorable M. Verhaegen
acquière cette conviction, je lui offre la preuve qu'aucun des rapports qui ont
été faits ne mentionnait cette condamnation.
M. Verhaegen.- Et la démission motivée du suppléant.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Elle a suivi la nomination.
Je déclare donc que j'ignorais la condamnation, et je puis en fournir une
preuve péremptoire ; au surplus, je déclare que si même j'avais eu connaissance
de la condamnation prononcée en 1826 contre Orman, cela ne m'aurait pas empêché
de faire la nomination.
Un membre. - C'est
très fort.
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - C'est très vrai, et très
naturel. Veuillez m'écouter.
M. Verhaegen a prétendu, comme je le disais tout à
l'heure, que j'avais nommé un individu incapable et flétri par différentes
condamnations. Je dois dire que l'individu que l'honorable membre vient
d'attaquer d'une manière si grave et si compromettante a, il est vrai, été
condamné en 1826 à l'âge de 20 ans, pour voies de fait, à trois mois de prison.
Mais faut-il pour cela, pour une faute de jeunesse, flétrir devant un parlement
un homme honorable et justement considéré ? En effet, messieurs, Orman a été
nommé membre du conseil communal à la presque unanimité, il est membre du
bureau de bienfaisance où il rend de grands services. Il m'a été signalé comme
un citoyen probe et estimé ; et, messieurs, il a reçu à cet égard des
témoignages flatteurs des nombreux membres des conseils communaux du canton où
il remplit ses fonctions.
Mais, messieurs, l'honorable M. Verhaegen a été
plus loin ; il a, se basant sur des renseignements inexacts, énoncé un fait
absolument faux ; l'honorable M. Verhaegen a dit : Orman, en 1838, avait déjà
demandé la place de greffier, il y avait des charges graves contre lui, voilà
pourquoi M. de Fernelmont l'a écarté alors.
Or, messieurs, loin que M. de Fernelmont ait écarté
le sieur Orman, il l'avait au contraire présenté, en 1838.
Je dirai plus, c'est que M. de Fernelmont ne
l'avait présenté qu'en suivant l'opinion de M. Cuvelier, alors procureur du roi
à Tournay. L'honorable M. Verhaegen peut encore prendre connaissance du dossier
; je lui montrerai les présentations écrites de la main de M. de Fernelmont et
de M. Cuvelier, en 1838. Les condamnations dont a parlé l'honorable membre
remontent à 1826 ; il n'en est pas dit un mot dans les documents de 1838. Et
l'on voudrait que quand je suis arrivé au ministère en 1845, j'aie deviné les
condamnations prononcées contre Orman, lesquelles n'étaient mentionnées nulle
part ! Il me semble donc que sous tous ces rapports cette nomination est
inattaquable.
Je crois, messieurs, avoir complétement répondu à
l'honorable M. Verhaegen.
M. Verhaegen. - Et les
pièces !
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Je ne sais de quelles pièces
veut parler l'honorable membre.
Ce qui est pour moi d'une grande importance, c'est
une pièce émanée, en 1838, d'un homme aussi honorable et que j'estime autant
que M. de Fernelmont, d'un magistrat impartial et consciencieux, que pendant ma
carrière magistrale j'ai appris à connaître et à respecter.
M. Verhaegen. - Et la
démission du suppléant de la justice de paix !
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan). - Je sais très bien qu'on
s'était arrangé de manière à vouloir m’intimider et m'obliger à nommer un candidat
dont je ne méconnais pas le mérite, mais qui, d'après moi, ne devait pas
l'emporter sur Orman. Je n'ai pas voulu céder ; de là l'irritation, le
mécontentement de certaines personnes.
J'ajouterai que la place que M. Orman occupe avait
été remplie par son beau-père, dont il avait été le commis-greffier pendant
plusieurs années, avant que son concurrent, qui était très jeune alors, ne pût
remplir des fonctions publiques.
Les antécédents de M. Orman justifient le choix que
j'ai fait ; on ne parviendra pas à flétrir ce citoyen honorable à cause d'un
jugement rendu contre lui, quand il avait 20 ans.
On a voulu, je le répète, m'imposer un candidat, on
a mis en avant qu'il était commis-greffier.
Sans doute, messieurs, lorsqu'il s'agit de nommer à
une place quelconque, il est bien naturel de donner la préférence à celui qui
est déjà fonctionnaire, parce que le gouvernement, en le nommant une première
fois a déjà pu apprécier son mérite.
Mais je n'admettrai jamais qu'un greffier qui nomme
son commis-greffier, sans l'intervention du gouvernement, puisse forcer par
cela même le gouvernement à nommer ce commis-greffier à l'emploi de greffier,
lorsqu'il devient vacant.
Le gouvernement avait un droit à exercer, un devoir
à remplir. On a voulu limiter son droit, il ne l'a pas souffert et en cela il a
rempli son devoir.
- La séance est levée à quatre heures trois quarts.