Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente
Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 15 janvier 1847
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projet de loi portant le budget du département de la justice pour l’exercice
1847. Discussion générale. Culte israélite, accaparement des établissements de
bienfaisance par le clergé, indépendance de la cour de cassation, nomination
partisane de juges de paix (d’Anethan)
3)
Motion d’ordre relative à l’emploi des sommes accordées au gouvernement pour
venir au secours des classes nécessiteuses par suite de la crise linière. Canal
de Schipdonck et chemin de fer de Bruxelles à Gand (Delehaye,
de Bavay), entretien du chemin de fer de l’Etat (de Baillet, de Bavay), service
de la Meuse à Liége (de Tornaco), ordre du jour (Rodenbach), canal de Schipdonck et chemin de fer de
Bruxelles à Gand (Delehaye), service de la Meuse à
Liége (Delfosse), ordre du jour (de
Garcia), service de la Meuse à Liége (Delfosse, de Bavay, Brabant, Lesoinne)
4)
Projet de loi relatif au régime des postes
5)
Projet de loi augmentant le personnel du tribunal de première instance de
Nivelles (Delehaye)
6)
Projet de loi portant le budget du département de la justice pour l’exercice
1847. Discussion générale. Nomination partisane de juges de paix, préférence
accordée aux établissements de bienfaisance catholique, affaire Retsin (Veydt, d’Anethan), établissements
pénitentiaires (notamment construction de nouvelles prisons, recours aux
religieux comme gardiens, traitements du personnel administratif) (Loos), affaire Retsin, nomination partisane d’un juge de
paix, traitement des auditeurs militaires (Delehaye, d’Anethan), clôture de la discussion générale (Lys)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 491)
M. Huveners fait l’appel
nominal à 1 heure et quart.
M. de
Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ;
la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« « Le sieur Guille et
Marcelis, brigadier et sous-brigadier des douanes, réclament l'intervention de
la chambre pour obtenir la Croix de Fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_______________
« Plusieurs propriétaires d'abeilles en ruches, demeurant à Sinay,
demandent la suppression des droits d'entrée sur les ruches qu'ils transportent
dans les polders hollandais, pour laisser les abeilles butiner sur les fleurs.
»
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
_______________
« Plusieurs bourgmestres et des
vétérinaires prient la chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, des
projets de loi sur l'enseignement agricole, sur l'exercice de la médecine
vétérinaire et sur l'organisation de l'école vétérinaire de l'Etat. »
- Renvoi aux sections centrales qui seront chargées d'examiner les
projets de loi.
_______________
M. Thyrion demande un congé de quelques jours, pour cause
d'indisposition.
- Le congé est accordé.
_______________
Sur la proposition de M. le président,
la chambre renvoie à l'examen des sections de janvier, les projets de loi
relatifs :
1° A un crédit de 173,000 fr. pour la restauration de l'hôtel de la cour
des comptes ;
2° A la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs ;
3° A la création d'une société d'exportation ;
4° A un crédit pour travaux relatifs au canal de Schipdonck, projets de
loi renvoyés précédemment aux sections de décembre qui n'ont pu s'en occuper.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE
LA JUSTICE POUR L’EXERCICE 1847
Discussion générale
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M.
Verhaegen est revenu hier sur la plupart des griefs qu'il avait articulés
contre mon administration, à une séance précédente. Je pense que les réponses
que j'ai faites aux différentes observations qu'a présentées l'honorable membre,
sont tellement péremptoires qu'il est fort inutile de revenir sur la plupart
des objets qui ont déjà été traités. J'en appelle avec confiance au souvenir de
la Chambre relativement à l'attaque et à la défense.
Je ne fatiguerai donc pas la chambre de redites. Je me bornerai à
répondre à quelques faits auxquels j'ai omis de donner une réponse dans a
première séance, à rencontrer un fait nouveau allégué par l'honorable M.
Verhaegen, A à répondre de nouveau aux faits sur lesquels il est revenu avec
une nouvelle insistance.
Messieurs, un grief nouveau allégué contre moi par l'honorable M.
Verhaegen consiste dans l'exposé des motif si complet, selon lui, que j'aurais
fait à l'occasion du projet de loi portant augmentation du personnel du
tribunal de Louvain.
J'avais mentionné dans l'exposé des motifs que la cour d'appel de
Bruxelles, consultée aux termes de la loi de 1841 avait, par sa délibération,
déclaré qu'il n'y avait pas lieu d'augmenter le nombre des audiences de ce
tribunal. J'en avais conclu qu'il était indispensable, vu l'arriéré existant,
d'augmenter le personnel dudit tribunal, et j'ai présenté un projet de loi en
ce sens. La cour d'appel aurait, il est vrai, ajouté que s'il n'était pas
nécessaire d'augmenter le nombre des audiences, il n'était néanmoins, malgré
l'arriéré reconnu et prouvé par des chiffres, pas nécessaire non plus
d'augmenter le personnel du tribunal. De manière que la cour d'appel semble me
placer dans une véritable impasse.
Il m'a paru inutile de mentionner l'opinion de la cour d'appel, relative
à l'augmentation du personnel, parce que l'exposé des motifs d'une loi est
destiné à en prouver l'utilité et la convenance, et non à discuter les motifs
sur lesquels on peut se baser pour la combattre.
J'ai voulu établir dans l'exposé des motifs que j'avais fait tout ce qui
dépendait de moi pour amener l'évacuation des affaires du tribunal de Louvain,
sans en augmenter le personnel. C'est-à-dire que j'avais demandé à la cour
d'appel son opinion sur la possibilité d'augmenter le nombre et la durée des
audiences ; je n'avais rien autre chose à signaler dans l'exposé des motifs
pour justifier la présentation du projet de loi.
Quant à la délibération entière de la cour, il est ridicule de supposer
que j'aie eu envie de la celer à la chambre. Pourrait-on croire que j'aie voulu
cacher une pièce dont j'indiquais l'existence dans l'exposé des motifs lui-même
? Mais il y a plus, cette pièce qui aurait pu être ajoutée comme annexe au
projet de loi, n'y a pas été jointe parce que j'ai voulu la distribuer en même
temps que les tableaux que j'avais à compléter et à l'aide desquels l'opinion
de la cour d'appel me semblait réfutée. Ces tableaux étaient en voie
d'exécution lorsque l'interpellation de l'honorable M. Delehaye m'a été faite,
et je n'aurais pas eu besoin de cette interpellation pour mettre sous les yeux
de la chambre, avec les différents tableaux qui lui servent de réfutation, la
délibération de la cour d'appel.
Voilà l'explication que j'ai à donner ; il me semble qu'elle ressortait
du reste suffisamment déjà de l'exposé des motifs lui-même, dans lequel, je le
répète, la délibération de la cour se trouve mentionnée.
Je n'en dirai pas davantage sur ce grief, dont j'ai quelque peine à
comprendre la portée.
Le second point, messieurs, que je dois aborder, c'est le reproche
adressé au gouvernement relativement à sa conduite à l'égard du consistoire
israélite.
L'honorable. M. Verhaegen, qui d'habitude est assez peu favorable aux
demandes faites pour le clergé catholique, s'est empressé de prendre fait et
cause pour le consistoire israélite ; il a fait plus, il m'a accusé sur une
simple allégation de ce consistoire, sans même qu'aucun fait ait été allégué.
L'honorable M. Verhaegen vous a lu une lettre adressée à mon honorable
collègue, M. le ministre de l'intérieur, et dans laquelle le consistoire se
plaint de mon administration, sans toutefois, je le répète, articuler un seul
fait.
La chambre appréciera la convenance qu'il y a eu, de la part du
consistoire israélite, à communiquer une lettre qu'il adressait à un ministre,
et à mettre un député à même de la lire avant même que le ministre en ait eu
connaissance. Je livre cette observation à la chambre, qui appréciera par là la
convenance des procédés du consistoire israélite, qui croit pouvoir se
permettre de se plaindre de mes procédés à son égard.
Mais au reste, messieurs, de quoi s'agit-il ? Quelles sont les
prétentions du consistoire israélite ? Voyons si elles sont fondées ; voyons
ensuite si ma réponse est injuste et peu convenable.
D'abord je vous dirai que sous mon administration rien, absolument rien
n'a été changé à ce qui se pratiquait jadis. Le consistoire israélite a
continué à jouir sous mon administration de l'allocation dont il jouissait sous
les administrations précédentes, et la répartition s'en est faite de la même
manière. Ainsi je ne vois pas comment le consistoire israélite pourrait
m'adresser un reproche qu'il n'adresserait pas en même temps aux ministres qui
m'ont précédé.
Mais enfin que voulait le consistoire israélite ?
D'abord il avait demandé une augmentation de traitement pour le grand
rabbin. Or, messieurs, le rabbin jouit d'un appointement de 4,000 francs. Avant
la révolution de 1830, il ne touchait pas une obole.
Il est aussi alloué au budget pour les ministres officiants du culte
israélite à Bruxelles une somme de 2,500 fr. qui, répartis entre deux ministres
officiants, si tant est que deux ministres sont nécessaires à Bruxelles pour
une population israélite aussi peu considérable, donnent encore à ces ministres
un traitement infiniment supérieur à celui des succursalistes.
Le consistoire israélite avait adressé une seconde réclamation pour des
frais de bureau, et relativement à quelques autres objets ; eh bien, messieurs,
de ces différents chefs le culte israélite avait relativement autant que le
culte protestant, et relativement beaucoup plus que le culte catholique. Ce
n'est pas tout ; la prétention la plus extraordinaire, je dois le dire, qui
soit émanée du consistoire israélite, la prétention la plus extraordinaire
était celle-ci : Le consistoire voulait qu'on mît purement et simplement à sa
disposition toutes les sommes allouées au budget pour le culte israélite. Que
la somme dût être ou non dépensée, qu'elle fût ou non nécessaire, le
consistoire demandait qu'on la lui attribuât définitivement. (page 492) Si on agissait ainsi pour e
culte catholique, ce culte bénéficierait, si je puis m'exprimer ainsi,
bénéficierait tous les ans d'une somme de plus de 80,000 fr., qui demeure
ordinairement sans emploi par suite des décès et vacances de place, et qui
reste ainsi acquise au trésor.
Le consistoire israélite trouve préférable de voir mettre à sa
disposition toute la somme de 11.000 fr. sans qu'il soit tenu de l'affecter
spécialement aux objets auxquels elle est destinée. Et plus tard, messieurs,
lorsqu'il y aurait des dépenses imprévues à faire, il aurait sans doute fallu
demander de nouveaux crédits.
Voilà, messieurs, les prétentions que j'ai repoussées, voilà les
prétentions que je repousserai toujours, et je pense avoir agi en cette
circonstance comme je devais le faire ; si une prétention semblable, ce qui
certainement n'aura pas lieu, si une prétention semblable émanait du clergé
catholique, je la repousserais avec autant d'énergie que j'en ai mis à repousser
celle du consistoire israélite.
Maintenant, messieurs, puisque l'on a trouvé bon de considérer ma
conduite non seulement comme peu équitable, mais même comme inconvenante, je
demanderai la permission à la chambre de lui lire la lettre du 9 juin 1846, par
laquelle je répondais au consistoire israélite, et où je faisais connaître les
motifs pour lesquels je ne croyais pas pouvoir accéder à sa demande.
« Le 9 juin 1846.
« Au consistoire israélite à Bruxelles.
« Messieurs,
« J'ai reçu votre lettre du 8 mai dernier, n°1060, et je ne puis que me
référer à celles que j'ai eu l'honneur de vous adresser précédemment. Ce sont
les comparaisons que vous avez cru vous-mêmes devoir faire avec les autres
cultes, qui m'ont forcé d'entrer dans des détails pour vous faire voir que le
résultat de cette comparaison n'est pas à votre désavantage. J'ai été amené à
démontrer que votre culte est aussi bien traité que les autres cultes non
catholiques, et relativement beaucoup mieux que le culte catholique.
« Je dois en outre vous faire remarquer, messieurs, que le culte
protestant ne jouit pas comme le vôtre d'un traitement de chef suprême. L'on
peut au reste assimiler le traitement du grand rabbin à celui du premier
pasteur de Bruxelles, et les traitements des deux ministres officiants à celui
du deuxième pasteur, et alors la différence bien minime semblera justifiée par
le chiffre des religionnaires de chacun de ces deux cultes.
« J'ai déjà eu l'honneur de vous faire observer dans ma lettre du 17
janvier dernier, qu'il n'était pas possible d'affecter des traitements élevés à
un nombre de ministres hors de proportion avec le nombre des religionnaires ;
le grand rabbin, bien que chef suprême, n'en remplit pas moins ses fonctions à
Bruxelles, et dès lors il est difficile de comprendre la nécessité de deux
autres ministres, sous lui.
« Dans la même lettre, j'ai émis l'opinion que la somme de 300 fr. qui
vous est allouée pour frais de secrétariat, et celle de 1,000 fr. accordée au
synode protestant, sont proportionnées au nombre et à l'importance des
communautés des deux cultes ; vous avez en outre 400 fr. pour le secrétaire.
« Le crédit ouvert au budget est destiné à pourvoir aux divers
besoins connus et éventuels du culte ; il n'est donc pas possible d'affecter,
comme vous le demandez, aux traitements seuls la totalité de la somme.
« J'ai rappelé le 1er mai dernier à la députation permanente, votre
demande de subsides pour travaux 1° à exécuter à la synagogue, 2° pour ceux du
cimetière.
« Recevez, etc.
« Le ministre de la justice,
« (Signé) J. d'Anethan. »
La demande dont il s'agit à la fin de cette lettre fut transmise à la
députation permanente de la province de Brabant, qui n'a pas encore fait
rapport sur cette demande.
Je pense, messieurs, que la lecture de cette lettre fait voir combien
est peu fondée l'observation qui a été faite à mon honorable collègue le
ministre de l'intérieur, par le consistoire israélite. Si ces messieurs
reconnaissent avoir été bien traités par M. le ministre de l'intérieur, je
pense que, pour ne pas manquer à l'impartialité, ils doivent me rendre la même
justice. Mais ce qui est extraordinaire, messieurs, c'est de voir le
consistoire israélite se plaindre de ce que je le traite avec moins d'égards
que mon prédécesseur, précisément au moment où je lui allouais une somme pour
rétribuer un ministre qui irait donner l'instruction et les soins religieux aux
israélites détenus.
Voici cette lettre :
« Du 13 janvier 1847.
« Au président du consistoire israélite de Belgique, à Bruxelles.
« Satisfaisant à votre missive du 16 novembre dernier, n° 1095, j'ai
l'honneur de vous faire savoir que rien ne doit s'opposer à ce que MM les
ministres officiants de la communion israélite ne puissent, à l'instar des
ministres des autres cultes, visiter leurs coreligionnaires détenus dans les
diverses prisons de l'Etat/
« La situation de mon budget ne me permet de disposer pour ce service et
pour tenir lieu de frais de voyage et de toute indemnité, que d'une somme
globale de cinq cents francs. Dans cette somme est même comprise celle de deux
cents francs allouée jusqu'à ce jour à M. Delameuse, ministre officiant à Gand,
pour soins donnés à ses coreligionnaires détenus à la maison de force.
« Je vous prie, M. le président, de me faire connaître de quelle manière
il conviendrait, dans l'intérêt du service, de faire la répartition de cette
somme de 500 fr.
« Le ministre de la justice.
« (Signé) J. d'Anethan. »
Et pourtant les israélites détenus ne sont qu'au nombre de 12 ; ce qui
fait au-delà de 41 fr. par individu.
En présence de la manière dont je me suis conduit, pour faire respecter
la liberté des cultes, pour assurer à chacun d'eux la protection qui lui est
due, je ne conçois pas les attaques dont j'ai été l'objet de la part de
l'honorable M. Verhaegen, lequel, je dois le répéter, a pris en main les
intérêts du culte israélite sur une simple lettre adressée à M. le ministre de
l'intérieur, par ledit consistoire, et dans laquelle on se bornait à se
plaindre de procédés inconvenants, sans signaler les demandes exagérées,
j'allais dire ridicules, que le consistoire m'avait faites.
J'arrive maintenant à l'affaire des béguinages. L'honorable M. Verhaegen
m'a reproché, dans cette circonstance, d'avoir cherché à enlever le bien des
pauvres, pour rétablir des corporations abolies par les lois de la république
française.
L'honorable M. Verhaegen a avancé un fait sur lequel je dois donner une
explication, explication que j'ai promise à l'honorable M. Verhaegen, puisqu'au
moment où il articulait le fait, j'ai déclaré que je ne me le rappelais pas.
Je veux parler du prétendu mémoire qui aurait été imprimé par les soins
de mon département, mémoire qui aurait été l'ouvrage des avocats de
l'archevêché. Voici les paroles que l'honorable M. Verhaegen a prononcées dans
la séance du 13 janvier :
« Dans un mémoire imprimé chez Bols-Wittouck, à Bruxelles, en septembre
1845, et rédigé par les avocats de l'archevêque, mémoire qui n'a été confié
qu'aux adeptes, on soutient, etc.
« Et ce mémoire, vrai type d'exagération, quoique rédigé dans l'intérêt
de l'épiscopat, a été imprimé par les soins d'un employé supérieur du ministère
de la justice ; les épreuves ont été corrigées dans les bureaux du ministère et
les frais d'impression ont été prélevés sur les dépenses imprévues du budget. »
Quand je suis arrivé au ministère, cette question avait déjà été
soulevée. Un de mes prédécesseurs, l'honorable M. Leclercq, avait, sous la date
du 16 mars 1841, adressé aux gouverneurs une circulaire dans laquelle il leur
demandait leur avis sur cette question. Les avis des gouverneurs furent
examinés, non par la division des cultes, mais par la division de législation,
au point de vue du droit.
Une note en fut faite par un employé de mon département ; cette note
était destinée à appeler l'attention des gouverneurs sur les différents points
qu'elle traitait : elle résumait toute la législation.
Celte note, quelque bien faite qu'elle fût, ne m'avait pas convaincu de
l’exactitude de la conclusion qu'elle contenait ; je m'étais réservé mon
opinion sur une question aussi importante ; je voulais attendre, pour me
prononcer, que l'instruction fût complète.
Cette note n'était pas destinée à l'impression ; mais uniquement à être
envoyée aux gouverneurs pour les consulter sur différentes questions de droit qu'elle
développait, et qui me semblaient de nature à mériter un examen approfondi.
Après l'envoi décidé aux gouverneurs, on jugea utile de faire imprimer
cette note qui n'émanait pas, je le répète, des avocats de l'archevêque, mais
bien de mon département, et cette impression fut décidée pour éviter, au bureau
d'expédition, l'obligation de copier plusieurs fois une note si volumineuse ;
ces impressions ont lieu fréquemment dans les départements ministériels, quand
il y a des circulaires un peu longues à copier ; c'est une chose dont le
ministre s'occupe rarement ; c'est l'affaire du secrétaire général qui est
chargé d'assurer la prompte expédition des affaires.
C'est ce qui est sans doute arrivé cette fois. Au moins, je me rappelais
tellement peu que cette note eût été imprimée, qu'un honorable représentant qui
en avait entendu parler, est venu m'en demander un exemplaire, et que je lui ai
répondu que je ne savais pas qu'une note sur cet objet fût imprimée ; cette
circonstance m'a été rappelée tantôt par non honorable ami, M. Van Cutsem.
M. Van Cutsem. - C'est comme cela ; vous m'avez même prié de vous en
remettre un exemplaire.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Voilà ce qui est arrivé relativement
à cet imprimé. Cela n’aura plus lieu désormais, attendu qu'une presse
autographique existe maintenant au ministère, au moyen de laquelle on
autographie les circulaires un peu longues.
Toujours est-il que j'avais raison de dire à l'honorable M. Verhaegen
que j étais intimement convaincu qu'aucun mémoire qui aurait été fait pour une
autre autorité et à mon insu n'avait été payé sur les fonds de mon département.
J'ai même ajouté que j'étais convaincu qu'aucun fonctionnaire de mon
département n'avait corrigé les épreuves d'un mémoire rédigé par les soins des
avocats de l'archevêque. Ce que j'avais dit était donc parfaitement exact.
L'honorable M. Verhaegen avait appris qu'une note qu'il a appelée un mémoire
avait été imprimée chez Bols-Wiltouck. Mais il a eu tort de supposer que cette
note avait été rédigée par les avocats de l'archevêque, attendu qu’elle avait
été faite par un fonctionnaire très capable de mon département à qui le soin en
avait été confié.
Ce fonctionnaire a résumé la législation ; il a fait un travail
consciencieux et un travail dont je reconnais tout le mérite, sans partager
toutes les opinions de l'auteur. Comment est-il possible qu'on fasse un grief à
un ministre de vouloir (page 493)
s'éclairer sur une question pareille, alors qu'il y avait des réclamations
faites depuis 1839 ? Qu'on m'eût fait un grief, comme je l'ai dit hier, d'avoir
pris une décision contraire à la loi ou à la justice, je l'aurais compris ;
mais qu'on me fasse un grief de m'éclairer, d'élucider une question difficile,
c'est ce que je ne conçois pas.
Je suis d'accord avec l'honorable M. Verhaegen que la question des
béguinages, c'est-à-dire de la reprise des biens aux hospices pour les rendre
aux béguinages, est une question que le gouvernement ne peut pas trancher.
Mon intention n'est pas de le faire ; c'est, je le reconnais, une
affaire qui me paraît du ressort des tribunaux et qui ne pourrait pas utilement
être décidée par l'autorité administrative.
Je pense en avoir dit assez sur ce point.
Je passe maintenant à un grief beaucoup plus sérieux, je dois le dire :
il s'agit de la conduite que j'aurais tenue vis-à-vis de membres de la cour de
cassation.
Je regrette vivement que l'honorable M. Verhaegen ne soit pas présent
pour entendre la réponse que je compte lui donner. C'est une question
personnelle et très grave ; j'aurais désiré que l'honorable membre pût
m'entendre. Je suis, au reste, disposé à attendre, pour m'expliquer sur ce
point, qu'il soit présent à la séance. (Non
! Non !)
M. Rodenbach. - C'est sans précédent.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Voici ce disait l'honorable M.
Verhaegen (je prie la chambre de faire bien attention aux paroles de
l'honorable membre et aux reproches graves qu'elles contiennent) :
« Or, M. le ministre de la justice s'est permis de consulter ou de faire
consulter sur la question de la mainmorte, décidée par la cour d'appel de
Bruxelles, certains membres de la cour de cassation qui seront obligés de
s'abstenir lorsque cette cour sera appelée à prononcer sur le pourvoi que nous
annonce l'honorable M. de Theux. Inutile de dire que les membres consultés sont
indépendants et par caractère et par position de toute influence cléricale et
que leur réponse n'a pas été favorable à l'opinion du gouvernement. Mais il
fallait les écarter et les empêcher de prendre part à la décision sur le
pourvoi : c'est un abus que je ne puis assez flétrir et contre lequel je
proteste de toute la force de mon finie. »
Eh bien, l'honorable M. Verhaegen a raison : si le ministre de la
justice s'était rendu coupable des faits dont a parlé l'honorable membre, on ne
pourrait assez flétrir sa conduite Mais, je dois le dire, il n'y a pas un mot
de vrai dans toutes ces allégations. Remarquez que, d'après le dire de
l'honorable M. Verhaegen, il y aurait eu de ma part intention coupable, que
j'aurais consulté des conseillers à la cour de cassation, dans l'opinion
desquels je n'avais pas confiance, non pour avoir leur avis, mais uniquement
pour les empêcher de juger une affaire spéciale pendante devant les tribunaux.
L'honorable membre faisait allusion à une affaire récente, à l'affaire des
sœurs hospitalières de Braine-Lalleud, décidée récemment par la cour d'appel et
maintenant déférée à la cour de cassation.
J'avais prié l'honorable M. Verhaegen de vouloir bien nommer les
conseillers dont il avait entendu parler. Il a pensé qu'il n'était pas
convenable de les nommer en public. Je l'ai prié de me les nommer en
particulier. Il a déféré à cette demande : il m'a nommé non plusieurs
conseillers mais un seul. Je ne prononcerai pas le nom de cet honorable
magistrat ; mais je vais lire à la chambre la lettre qu'il m'a écrite ; et je
mettrai la signature sous les yeux de l'honorable M. Verhaegen, s'il le désire.
Je liens d'abord à ce qu'il soit constaté que l'honorable M. Verhaegen
ne m'a nommé qu'un seul conseiller et je demande à la chambre si, d'après ses
paroles, on ne devait pas croire qu'il avait fait allusion à un grand nombre de
membres de la cour de cassation.
Voici la lettre.
« Monsieur le ministre,
« On vous a rapporté que j'aurais dit que je devrais m'abstenir dans des
affaires concernant des questions de mainmorte parce que vous m'auriez consulté
sur des questions de cette nature, et vous me demandez si réellement j'ai tenu
ce discours et, en cas d'affirmative, à quoi j'ai voulu faire allusion.
« Vous savez mieux que personne, M. le ministre, que depuis plus de deux
ans je n'ai pas eu l'honneur de vous parler, et que vous ne m'avez point
consulté personnellement sur aucune question de droit, pas même par l'entremise
d'un tiers ; il est vrai néanmoins qu'il y a environ deux ans et demi vous avez
consulté le comité consultatif pour les affaires des fondations en faveur de
l'instruction sur une question qui vous était soumise et qui présentait quelque
analogie avec les questions de mainmorte dont les tribunaux sont aujourd'hui
saisis. Cette question devait sa naissance à une donation que voulait faire une
parente de M. Malou à une association religieuse dont elle était la supérieure,
donation qui n'a pas été approuvée.
« J'étais alors comme aujourd'hui membre du comité consultatif, et si
j'avais cru que mon intervention dans l'avis du comité devait me faire abstenir
de prendre part au jugement de questions semblables devant la cour, de plus
mûres réflexions m'ont démontré que mon opinion était erronée.
« J'ai l'honneur d'être votre serviteur, etc.
« Le 14 janvier 1847. »
Je pense qu'en présence des explications contenues dans cette lettre
j'avais bien le droit de dire à l'honorable M. Verhaegen qu'il avait été
complétement induit en erreur sur les faits qu'il avait énoncés.
M. Delehaye. - Et l'affaire du greffier !
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - La réponse sur l'affaire du
greffier ne se fera pas attendre.
J'espère pouvoir démontrer que les accusations dont j'ai été l'objet de
ce chef ne sont pas plus fondées que celles relatives aux consultations que
j'aurais demandées à des conseillers à la cour de cassation pour les empêcher
de remplir les devoirs de leur charge.
Vient maintenant, dans la série des griefs, la nomination du greffier,
dont a parlé l'honorable M. Verhaegen. Vous aurez sans doute remarqué,
messieurs, le système qu'on semble vouloir faire prévaloir. Il suffit qu'un
candidat soit appuyé par un membre de la majorité pour qu'à l'instant même il
devienne indigne, incapable d'exercer aucune fonction publique. Dès qu'un
membre de la majorité approuve une nomination faite, on crie au favoritisme ;
doit-on par hasard considérer toutes les personnes qui ont des opinions
conformes à celles des membres de la majorité, comme des parias dans le pays ?
Qu'avons-nous vu en effet ? Lorsque mes honorables amis, MM. Desmet et
Clep, sont venus déclarer que les nominations qui avaient été faites dans les
arrondissements dont ils connaissent un peu mieux les besoins que l'honorable
M. Verhaegen, ont été accueillies avec une faveur marquée, cet honorable membre
n'a-t-il pas dit que l'appui que trouvaient ces nominations sur les bancs de la
droite justifiait toutes les accusations ?
Songez-y donc, messieurs, il suffit d'être appuyé par un seul d'entre
vous, pour que ce soit un titre de réprobation aux yeux de l'opposition !
Elle reste fidèle à son système d'exclusion, elle voudrait qu'on ne
nommât que des candidats suivant son cœur, et partageant toutes ses doctrines.
Cela vous donne l'avant-goût de ce que ferait la minorité si elle avait le
pouvoir. Simple minorité, elle veut déjà exclure des candidats qu'elle
considère comme favorables à la majorité. Que ferait-elle donc, si jamais, ce
qu'à Dieu ne plaise, elle devenait majorité !
Ce que le gouvernement doit faire, c'est de rechercher des personnes
capables et honorables pour remplir des fonctions publiques. Mais ce qu'un
gouvernement ne doit pas faire, ce que pour ma part je ne ferai jamais, c'est
d'appeler aux fonctions publiques des personnes qui ont posé des actes
ouvertement et ostensiblement hostiles au gouvernement. Quant à ces personnes,
tant que je serai à ce banc, je ne proposerai jamais leur nomination. Aucun
ministère passé n'a agi autrement, et je ne crains pas de le dire, aucun
ministère futur n'agira d'après d'autres principes. Adopter une autre conduite,
ce serait enlever au gouvernement toute force, ce serait lui enlever toute
considération.
J'admets que la chambre exerce sur tous les actes de l'administration un
certain contrôle. Je ne repousse pas même ce contrôle relativement aux
nominations, en tant surtout qu’il s'agisse d'examiner si les titulaires ont
les qualités voulues pour obtenir des fonctions publiques. Mais il faut ne pas
pousser trop loin cet examen ; il faut éviter surtout les personnalités envers
des absents ; il faut éviter de porter atteinte à la réfutation des personnes
qui ne sont pas là pour se défendre.
La chambre remarquera aussi qu'il y a une discussion que le gouvernement
ne peut accepter ; c'est celle qui consisterait à expliquer à la chambre les
motifs pour lesquels tel candidat n'a pas été nommé. Pour aborder cette
discussion, il faudrait souvent dévoiler des détails qui seraient bien pénibles
pour les candidats qui ont échoué. Le gouvernement fait son devoir en ne les
nommant pas, mais il ne doit pas les traduire à la barre de l'opinion en
faisant connaître les motifs pour lesquels ils n'ont pas été nommés.
La position ne serait pas égale s'il était permis d'attaquer les
nominations qui ont été faites, en soutenant qu'un autre candidat avait plus de
titre ou de mérite ; car le ministre, sans manquer à son devoir, sans manquer
aux fonctionnaires qui lui ont donné des avis confidentiels, ne pourrait faire
connaître à la chambre les motifs pour lesquels il a été forcé d'écarter
certains candidats.
Désiré Orman a été nommé greffier de la justice de paix de Lessines. Je
tiens, messieurs, à rapporter également d'une manière complète les paroles qu'a
prononcées dans la séance d'avant-hier l'honorable M. Verhaegen. Je tiens à
rapporter ces paroles, bien qu'il me semble que dans la chambre l'honorable
membre avait été un peu plus loin encore que ne le porte le Moniteur ; et ma
réponse indique suffisamment que je n'ai pas répondu précisément aux paroles
qui se trouvent imprimées.
Voici ce que le Moniteur dit : « En 1838 déjà, à la mort de son
beau-père, M. Jouret-Orman avait sollicité la place de greffier de la justice
de paix de Lessines, et quoiqu'il eût été porté d'abord comme candidat sur les
tableaux de présentation, les rapports qui furent adressés ensuite a M. le
procureur général de Fernelmont lui ayant été des plus défavorables, il échoua
dans sa demande. »
Si mes souvenirs sont fidèles et si j'ai bien compris les paroles qui
ont été prononcées par l'honorable M. Verhaegen, il avait dit d'une manière
formelle qu'Orman avait été écarté par M. de Fernelmont, tandis que ' j'avais
soutenu qu'il avait eté présenté par lui ; et sous ce rapport j'avais dit à
l'honorable M. Verhaegen qu'il se trompait, qu'il avait été induit en erreur.
L'honorable membre, dans la version qui se trouve au Moniteur, reconnaît
qu'Orman avait été porté comme candidat sur le tableau, mais il ajoute que les
rapports qui furent adressés ensuite à M. le procureur général étant des plus
défavorables, il échoua dans sa demande. Or, il n'existe aucune espèce de
rapport défavorable à Orman à la suite de la (page 494) présentation qui avait été faite par le procureur
général ; M. le procureur général n’a pas varié dans la présentation qui
avait été faite, et aucune espèce de rapport postérieur au rapport officiel,
n’existe relativement à cette nomination.
J'ai donc eu raison de dire qu'en 1838, Désiré Oman avait été présenté
par les autorités judiciaires, et que les rapports, loin d'être défavorables à
son égard, avaient été des plus favorables. L'honorable membre soutient
néanmoins que les rapports ont été défavorables. Je déclare de la manière la
plus positive que l'on a encore une fois induit l'honorable membre en erreur.
M. Delfosse. Cependant il n'a pas été nommé.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Delfosse me dit
qu'il n'a pourtant pas été nommé. Je n'ai pas dit qu'il avait été nommé ; car
s'il l'avait été, il n'aurait plus eu à demander la place maintenant. Mais il
voudra bien reconnaître qu'il avait été présenté par un magistrat dans lequel,
je pense, l'honorable membre aussi bien que moi a la plus grande confiance.
M. Delfosse. - Je n'en sais rien. Je n'ai pas vu les pièces.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - En 1846, le sieur Orman se
présente de nouveau. En présence des pièces de 1838, en présence des nouveaux
rapports que j'avais reçus, j'ai pensé, messieurs, que c'était à lui que
revenait la place de Lessines. Je l'ai pensé, malgré les demandes, malgré les
recommandations qui m'avaient été faites pour différents autres candidats.
J'ai pensé que celui qui avait été présenté en 1838, que celui qui à
cette époque déjà avait été jugé digne, par des magistrats compétents,
d'occuper cette place, que celui qui l'avait déjà remplie antérieurement,
devait avoir la préférence sur un jeune homme, quoique celui-ci eût depuis
occupé cette même place.
Mais, dit-on, Orman avait été condamné. Il avait été condamné à 3 mois
d'emprisonnement, et vous saviez, ou du moins vous auriez dû savoir cette
condamnation.
On a été plus loin, et à la séance d'avant-hier j'ai entendu dire pour
la première fois qu'Orman avait été condamné non pas une fois, mais trois fois
pour des faits plus ou moins graves et que j'ignore encore maintenant ; j'ai
fait demander à Tournay, immédiatement après la séance, des extraits des
jugements qui ont pu être rendus. J'ai écrit également à Lessines pour avoir un
extrait du jugement dont a parlé l'honorable M. Verhaegen. Toujours est-il que
c'est pour la première fois dans la chambre avant-hier que j'ai entendu parler
des condamnations ultérieures qui auraient été prononcées contre Orman.
J'avais dit, messieurs, dans une séance précédente que si même j'avais
connu la condamnation de 1826, la seule dont il ait été question jusqu'à la
séance d'avant-hier, cette condamnation ne m'aurait pas paru un titre
d'exclusion perpétuelle pour un homme qui avait été condamné à trois mois
d'emprisonnement à l'âge de 20 ans.
Je pourrais donc ne pas répondre à tout ce qui a été dit relativement à
la connaissance que j'aurais dû avoir de cette condamnation, parce que, je le
répète, cette condamnation n'était pas à mes yeux un titre d'exclusion
perpétuelle de toute fonction publique à l'égard du sieur Orman.
Je vais maintenant rappeler les faits :
Le 14 du mois de septembre, le juge de paix de Lessines se transporta au
ministère de la justice et eut un entretien avec M. le secrétaire général de
mon département. M. le juge de paix lui dit qu'il venait pour me faire
connaître qu'Orman avait été jadis condamné. Le secrétaire général lui répondit
:
« Vous auriez dû faire cette communication plus tôt ; maintenant il est
trop tard, le sieur Orman est nommé. » Le juge de paix ajouta :
« Le juge suppléant se retirera probablement ; il ne consentira pas à
siéger avec Orman. »
Le secrétaire général me fit part de ces circonstances, et je lui
manifestai mon étonnement de ces faits que j'avais ignorés jusqu'alors. Pour
combattre ce que j'ai dit à cet égard, on invoque une conversation que j'aurais
eue avec un M. Janssens qui se serait rendu dans mon cabinet au mois d'août. Je
crois d'abord qu'il y a erreur de date, parce que pendant le mois d'août
j'étais absent de Bruxelles.
M. Delfosse. - Vous avez été absent tout un mois ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai été absent pendant trois
semaines.
M. Delfosse. - Cela ne fait pas tout le mois d'août.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - On a dit que c'était au
commencement du mois d'août et je suis parti le 1er. Du reste peu importe, la
visite a eu lieu. Mais avant de m'en occuper, je dois dire un mot de la
démission du juge suppléant. Le juge suppléant a envoyé sa démission le 18
septembre et il mentionne dans cette démission, non pas ces nombreuses
condamnations dont parlait l'honorable M. Verhaegen, mais une seule et unique
condamnation, celle de 1826.
Ainsi, messieurs, ces condamnations ne devaient pas être tellement
publiques puisque le juge suppléant lui-même, qui siégeait à Lessines depuis
longtemps, n'en rapporté qu'une et la plus ancienne, dans la démission qu'il
adressait au Roi. Le juge de paix suppléant, qui a donné sa démission d'une
manière si inconvenante, aurait dû commencer par poser un autre acte : il
aurait dû, pour être conséquent, donner aussi sa démission de membre du conseil
communal, attendu que l’individu qu'il se permettait de flétrir dans sa lettre
au Roi, était son collègue dans ce conseil communal. (Interruption.) Je maintiens ce que j'ai dit ; il est d'après moi
inconvenant qu'un juge suppléant d'une justice de paix donne sa démission dans
les termes dont s'est servi ce juge, contre un de ses collègues au conseil
communal à côté duquel il siégeait depuis un an. Cette démission adressée au
Roi en de semblables termes est non seulement une injure pour Orman, c'est
encore une injure pour les électeurs nombreux qui ont appelé Orman à siéger au
conseil communal.
J'arrive à la conversation que j'ai eue avec un certain M. Janssens. La
chambre concevra, sans doute, que je n'ai pas conservé un souvenir aussi exact
de ce qui a pu se passer entre nous, que M. Janssens lui-même. Je reçois au
ministère, peut-être 30 ou 40 personnes par jour et je suis assez habitué à
entendre des postulants ou des protecteurs de postulants dénigrer leurs
concurrents, pour attacher peu d'importance aux paroles de cette nature. Le
sieur Janssens, si je me le rappelle bien, est venu recommander un individu
nommé Piovoyeur.
Cet individu avait donc pour concurrent non seulement Orman, mais encore
Lepoivre et il est possible, il est même probable que le sieur Janssens n'aura
pas dit grand bien de l'un ni de l'autre de ces concurrents.
Mais, messieurs, au moment où cette conversation eut lieu, les rapports
ne m'étaient pas encore tous parvenus, et j'attendais que l'instruction fût
complète pour m'occuper de cette affaire. Si donc M. Janssens m'a parlé des
antécédents d'Orman, il est fort probable que ses indications n'ont pas fait
une grande impression sur mon esprit, et lorsque les rapports me parvinrent,
rapports qui tous étaient muets à l'égard des condamnations contre Orman, cette
conversation n'a point pu me revenir à la mémoire. J'en appellerai à tous ceux
qui ont occupé non seulement les fonctions ministérielles, mais même des
fonctions administratives quelconques, et je leur demanderai si un gouverneur,
un procureur général, peut conserver un souvenir exact de toutes les
imputations dirigées contre les concurrents qui se présentent pour solliciter
des places vacantes.
Je pense donc, messieurs, que c'est tout à fait à tort que l’on a voulu
induire de cette conversation qu'au moment de la nomination, le 6 septembre,
j'étais parfaitement renseigné sur tous les détails dont on est venu entretenir
la chambre. Je déclare que ces détails m'étaient parfaitement inconnus lors de
la présentation faite au Roi du sieur Orman pour la place dont il s'agit ; mais
je dis de nouveau que si la seule condamnation dont le juge suppléant parlait
dans sa démission, m'avait été connue, cela ne m'eût pas empêché de nommer le
sieur Orman, qui, malgré cette condamnation, semblait avoir plus de titres que
tous ses concurrents.
Messieurs, on vous signale le sieur Orman comme étant un homme incapable
et peu considère. Dans une séance précédente l'honorable M. Verhaegen est venu
lire de très beaux certificats qui ont été accordés au concurrent d'Orman ;
l'honorable membre a ajouté que le sieur Orman n'aurait pas pu en produire de
semblables. Eh bien, j'ai à la main un certificat qui a été délivré à Orman le
15 juin 1846 ; ce certificat est de la teneur suivante :
« Nous, soussignés, déclarons en faveur de la vérité que M. Désiré
Orman, ancien commis-greffier, conseiller communal de Lessines, et membre du
bureau de bienfaisance de cette ville, jouit de l'estime publique et qu'il est
digne par sa conduite civile et religieuse de remplir les fonctions qu'il
sollicite de greffier de la justice de paix du canton de Lessines.
« Nous attestons en outre, qu'à cause des services que M. Orman rend
depuis longtemps à la chose publique, sa nomination serait vue avec plaisir
dans le canton. »
Ce certificat est signé par les bourgmestre et échevins de presque
toutes les communes du canton.
En principe, je suis fort peu partisan des certificats qu'on obtient de
celle nature ; mais j'ai cru devoir en donner connaissance à la chambre,
uniquement parce que l'honorable M. Verhaegen avait dit que le sieur Orman
n'avait pas produit de certificats semblables à ceux qu'avait produits son
concurrent.
Maintenant la nomination du sieur Orman ayant été faite, et la
condamnation de cet individu m'ayant été annoncée, j'ai demandé des
renseignements à mon honorable ami M. Dubus, qui était à même de me les fournir
en sa qualité de président du tribunal de Tournay ; je m'en rapporte à
l'honorable M. Dubus, et je le prierai de dire si la lettre que je lui ai
écrite n'indiquait pas mon étonnement de la condamnation que j'avais apprise
depuis la nomination.
M. Dubus (aîné). -
Cela est vrai.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Dubus a répondu à
cette communication ; "honorable membre m'a donné l'autorisation de lire
les deux lettres qu'il m'a écrites à ce sujet. Voici la première de ces lettres
:
« Monsieur le ministre et cher collègue,
« Désiré Orman a effectivement été condamné, le 18 mars 1826, par le
tribunal correctionnel de Tournay, pour un délit perpétré le 13 novembre 1825.
« Le fait pour lequel il a été condamné n'inculpait en rien sa
probité. II avait résisté, le soir, dans un cabaret du village des Acren, au
bourgmestre qui venait rétablir l'ordre, et il avait repoussé avec voies de
fait le garde champêtre. Il était jeune, et des libations trop copieuses lui
avaient ôté le libre usage de sa raison.
«Vous verrez, par la copie ci-jointe du jugement, que le ministère
public lui-même le recommanda à l'indulgence du tribunal.
(page 495) « Il fut néanmoins
condamné à trois mois d'emprisonnement ; Les tribunaux étaient alors en général
plus sévères qu'aujourd'hui, et Orman étant étranger à la commune où le délit
avait été commis, l'autorité communale a sans doute saisi cette occasion de
demander que l'on fît un exemple.
« Quoi qu'il en soit, il s'est écoulé près de vingt et un ans depuis
lors. Orman s'est corrigé ; il s'est marié, il a travaillé, il s'est conduit en
bon père de famille, il a rempli tous ses devoirs d'honnête homme et de citoyen
; et il a conquis l'estime publique. Depuis 1833, il exerce à Lessines les
fonctions honorables de membre du bureau de bienfaisance : et aux élections
d'octobre 1845 il a été élu membre du conseil communal de sa ville natale ; il
est même celui qui a réuni le plus grand nombre de voix.
« Je ne vois pas, dans ces circonstances, quel parti on pourrait
aujourd'hui tirer contre sa nomination, d'une peccadille de sa jeunesse.
« Au reste, j'attends des renseignements plus précis, que je
m'empresserai de vous transmettre.
« Agréez, monsieur le ministre et cher collègue, l'assurance de ma haute
considération.
« Tournay, 17 octobre 1846.
« Dubus aîné. »
Voici la seconde lettre de l'honorable M. Dubus, laquelle contient les
renseignements qu'il avait bien voulu m'annoncer :
« M. le ministre et cher collègue,
« Je viens ajouter quelques mots à ma lettre du 17 de ce mois,
concernant le sieur Désiré Orman.
« Il n'était âgé que de 20 ans lors de la scène du cabaret du 13
novembre 1825. Il paraît qu'il voulait protéger un de ses ouvriers, que le
garde champêtre avait expulsé. Cette affaire, oubliée et qui mériterait de
l'être, n'a pas empêché que M. Orman ne se soit attiré, par sa conduite
honorable depuis lors, la considération de tous.
« Lorsqu'il a été nommé, en 1833, membre du bureau de bienfaisance de la
ville de Lessines, où il y a plus de deux mille indigents, il a obtenu les voix
de tous les membres du conseil communal et il paraît avoir été constamment élu
depuis à la même unanimité.
« Aux élections communales d'octobre 1845, une élection particulière
devait être faite en remplacement d'un conseiller démissionnaire : M. Orman
était sur les rangs ; son élection était contestée et il avait pour concurrent
une personne honorable. Cependant il a été élu par 118 suffrages contre 33
obtenus par son compétiteur. Cette forte majorité me paraît prouver
suffisamment l'estime qu'on lui porte et doit servir de réponse suffisante à
l'emploi que l'on pourrait faire du jugement de 1826.
« Agréez, etc.
« Tournay, 20 octobre 1846.
« Dubus aîné. »
Voilà, messieurs, l'opinion d'un homme dont la parole fait autorité dans
cette chambre ; vous voyez que la condamnation de 1826, la seule que, je connusse
alors, l'honorable M. Dubus lui-même la considérait comme la répression d'une
véritable peccadille de jeunesse ; vous voyez que, de l'avis de l'honorable
membre, le sieur Orman était suffisamment réhabilité par les nombreux mandats
électoraux dont il a été honoré.
J'ai cru devoir entrer dans ces détails un peu minutieux peut-être,
parce que j'ai pensé que dans cette circonstance je ne devais laisser aucune
allégation sans réponse.
MOTION D’ORDRE
M. Delehaye. - Messieurs, il y a à peu près un an que la chambre a
mis à la disposition du gouvernement, des fonds pour le creusement du canal de
Schipdonck ; jusqu'aujourd'hui, le gouvernement n'a rien fait. Un des motifs
principaux qui ont engagé la chambre à voter ces fonds, a été de donner du
travail à la classe ouvrière. Lorsque le gouvernement a demandé l'allocation de
ce crédit, il y avait une étude faite ; un tracé était arrêté ; ce n'est que
depuis quelque temps que le gouvernement a cru devoir modifier ce tracé ; il
est résulté de là un retard vraiment déplorable ; de sorte qu'il n'est pas
permis d'espérer qu'on mettra la main à l'œuvre avant deux mois. C'est
seulement demain que je suis appelé à Gand pour assister à l'enquête de commodo
et incommoda ; je suis informé que la commune de Somergem s'oppose d'une
manière sérieuse au nouveau tracé ; cette opposition, si elle était fondée,
peut entraîner de nouveaux retards très considérables. Je demanderai à M. le
ministre des travaux publics, dont les lenteurs ont provoqué cet état de choses
; je lui demanderai, dis-je, quelle sera sa conduite si l'opposition de la part
de la commune de Somergem était fondée.
Je dois d'abord faire observer que le conseil communal de Somergem à
l'unanimité a protesté contre le nouveau tracé, tracé autre que celui que le
gouvernement était tenu de suivre, conformément au vote de la chambre. La
chambre a voté textuellement le canal de Schipdonck ; par la modification qu'on
a fait subir au tracé, ce ne sera plus le canal de Schipdonck, ce sera le canal
de Deurne.
Je ne veux pas émettre mon opinion sur le nouveau tracé ; je ne suis pas
assez compétent pour critiquer le travail nouveau ; mais je fais au
gouvernement un grief de cette modification, parce qu'elle peut lui servir de
prétexte pour de nouvelles lenteurs. Pour ne pas lui laisser ce pr »texte,
j'indiquerai au gouvernement un moyen de ne pas suspendre l’exécution des
travaux, malgré les réclamations qui peuvent surgir. Le nouveau tracé répond au
tracé primitif sur une distance de 2 lieues et demie ; il ne diffère de
celui-ci que de 5 à 600 mètres.
Si le gouvernement pense, comme je le crois, que la réclamation de la
commune de Somergem soit fondée, rien ne l'empêche de faire commencer les
travaux, à partir de Deynze jusqu'à l'endroit où le nouveau tracé dévie de la
ligne première ; de cette manière, on pourrait donner du travail à la classe
ouvrière, et la réclamation de Somergem n'amènerait pas la suspension du
creusement de cette partie du canal. Je ne veux pas, pour le moment, examiner
la réclamation de Somergem à fond. Demain, je le répète, je dois aller à Gand
pour assister à l'enquête de commodo et incommodo, et ce ne sera qu'alors que
je pourrai juger d'une protestation que je serais porté à croire non fondée, si
je tiens compte de l'intelligence incontestable de celui qui est chargé des
travaux dans la Flandre orientale.
Messieurs, j'ai une autre observation à faire. Je déclare à M. le
ministre des travaux publics que les lenteurs apportées dans les travaux de
construction décrétés par la chambre sont telles que je me verrai dans la
nécessité de voter contre son budget, si, avant la discussion, les travaux du
canal de Schipdonck ne sont pas commencés. Je me verrai forcé encore de voter
contre son budget, s'il ne déclare pas catégoriquement, maintenant que toutes
les enquêtes sont faites, quelle décision il compte prendre relativement au
chemin de Gand à Bruxelles par Alost.
Il ne faut pas qu'on s'abrite toujours derrière
des enquêtes pour ne rien faire. Le gouvernement a entre les mains une enquête
bien faite, loyalement faite ; ce document, il faut que le gouvernement le
respecte puis qu'il émane de lui. Au reste, lors de la discussion du budget des
travaux publics, j'interpellerai formellement M. le ministre, et de sa réponse
dépendra mon vote. Je désire qu'il fasse connaître son intention, qu'il ne
s'enferme plus dans des réticences, qu'il nous dise s'il adopte lé tracé par
Denderleeuw ou par Merchtem. Que le gouvernement se prononce et toutes les
discussions cesseront.
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay). -
Messieurs, l'honorable membre a appelé l'attention de la chambre sur ce
qu’il appelle les lenteurs du ministre
des travaux publics ; d'après lui, il semblerait que le ministre des travaux
publics ne cherche que des prétextes pour ne rien faire. Je crois pouvoir dire
que cette imputation est radicalement injuste ; tous ceux qui examineront les
affaires de près reconnaîtront la vérité de ce que j'avance.
Pour le canal de Schipdonck, je n'ai pas cherché à temporiser, j'ai
pressé les ingénieurs de tout mon pouvoir ; la question examinée de plus près a
été trouvée moins simple qu'on ne l'avait pensé d'abord ; on a cru devoir faire
de nouvelles études. J'aurais compromis gravement ma responsabilité et je
n'aurais pas rempli les intentions de la chambre, en exécutant le tracé
primitif quand on pouvait en faire un meilleur ; j'ai pensé qu'il fallait
marcher bien et sûrement plutôt que sous l'impression d'une précipitation
fébrile.
Je dis donc qu'il n'y a pas de lenteurs à m'imputer ; je ne cherche
jamais des prétextes pour ajourner l'exécution des travaux.
Si l'honorable M. Delehaye juge convenable de voter contre mon budget,
libre à lui, mais les motifs qu'il déclare devoir le guider dans son vote sont
non fondés et son vote serait un vote injuste.
L'honorable membre a demandé si je ferais droit à la réclamation de la
commune de Somerghem. Cette réclamation ne m'est pas connue ; je ne sais par
conséquent à quel parti je m'arrêterai ; cependant je reconnais que le moyen
qu'indique l'honorable membre est praticable ; si une partie du projet donne
lieu à des réclamations, on pourra tenir cette partie du tracé en suspens et
commencer les travaux sur les parties non contestées.
L'honorable membre doit savoir aussi bien que moi que le personnel
chargé du service des ponts et chaussées dans la Flandre orientale est fort
bien composé ; qu'il est composé de fonctionnaires capables et zélés et que, si
ces fonctionnaires viennent seulement de me transmettre les pièces nécessaires
à la mise en adjudication des travaux, c'est qu'il était impossible que les
choses marchassent autrement.
Ce que je puis dire, c'est que le travail a été réclamé par moi à
diverses reprises et de la manière la plus instante. Je pourrais communiquer
les dossiers à l'honorable membre ; il reconnaîtrait, j'en ai la certitude,
qu'aucun retard ne peut m'être imputé.
L'honorable député de Gand a
également entretenu la chambre du chemin de fer direct de Bruxelles sur Gand
par Alost, et il a encore accusé le ministre des travaux publics de
temporisation.
Cette question a une certaine importance, tout le monde doit en être
convaincu ; c'est l'ingénieur, auteur du premier travail, au talent duquel
l'honorable membre rend hommage, qui m'a demandé de suspendre la convocation de
la commission d'enquête, attendu qu'il avait reconnu la nécessité de faire un
travail supplémentaire ; il s'en occupe, et ce travail doit être maintenant
très-avancé.
M. de Baillet. - Dans la séance du 23 décembre dernier, malgré
l'absence de M. le ministre des travaux publics, j'ai pris la parole pour
demander quelques explications an sujet de l'adjudication de 68 mille billes en
sapin. C'est avant-hier 13 que devait avoir lieu l'adjudication de la seconde
partie de ces 68 mille billes. Je prie donc M. le ministre de vouloir bien
faire connaître à la chambre quels sont les motifs qui l'ont déterminé à faire
un essai sur une échelle aussi considérable, lorsqu'il est évident que l'emploi
du chêne offre de grands avantages de durée, d'économie, et qu'en outre, en
employant le chêne on favorise les grands propriétaires du pays, on favorise
l'industrie nationale, et on procure du travail et du pain à la classe ouvrière
dans un moment où il est indispensable de lui en donner.
M. le ministre peut-il nous signaler en faveur de l'emploi du sapin du
Nord des avantages qui soient de nature à compenser les désavantages nombreux
que j'ai énumérés dans la séance du 23, et qui sont en résumé cherté, peu de
durée, danger pour les voyageurs ; privation pour l'industrie et le travail
national d'une protection qui leur est dur, enfin contribution (page 495) forcée au profit de
l'étranger auquel nous livrons notre numéraire dans un temps où la rareté s'en
fait sentir ?
On ne peut pas objecter la cherté du chêne, car le prix moyen des billes
en chêne adjugées en décembre dernier, a été de 5 fr.25 c ; et on a offert au
département des travaux publics 36,000 billes sciées dans les anciennes
dimensions à raison de 5 fr. 25 c. pièce.
Je saisirai la même occasion pour rappeler à M.
le ministre la réclamation que je lui ai adressée au sujet de l'inexécution de
la partie de route de Charleroy à Florenne par Châtelet. Un subside, a été
alloué à l'entrepreneur de cette route, à la condition que la section de
Morialmé à Florenne serait construite et livrée à la circulation dans les neuf
mois de l'arrêté qui est en date du 25 septembre dernier. Bientôt cinq mois se
sont écoulés et les travaux ne sont pas commencés ; les réclamations me
parviennent de tous côtés, sous peu de jours je dois présenter encore à la
chambre des pétitions dont l'envoi m'est annoncé. Il est urgent que M. le
ministre prenne des mesures efficaces pour assurer la prompte exécution de
cette route. L'industrie de la forgerie y est vivement intéressée, et il est
encore ici cette grande question qui domine toutes les autres dans les
circonstances présentes, celle du travail à fournir aux classes ouvrières. Il
est peu convenable que l'on néglige comme on le fait les nombreuses occasions
qui se présentent de faire exécuter des travaux utiles, et même urgents, alors
que l’on devrait faire exécuter des travaux moins urgents et moins utiles dans
le seul but de venir au secours des classes qui souffrent.
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je dois
faire remarquer qu'il y a erreur dans le nombre de billes de sapin du Nord que
l'honorable membre a indiqué comme devant faire l'objet d'une adjudication publique.
Ce nombre n'est pas de 68,000, mais de 50,000 pièces. L'honorable membre pense
que les billes en chêne doivent avoir la préférence sur celles en sapin du
Nord, dans l'intérêt des grands propriétaires du pays. C'est un point que je
n'entends pas contester. Je n'ai nulle intention d'être hostile aux grands
propriétaires ; je désire, au contraire, que leurs bois trouvent un bon
placement et je crois que, dans les circonstances actuelles, ce placement se
trouvera facilement.
L'honorable membre a invoqué le prix de 5 fr. 25 c. auquel des billes en
chêne ont été adjugées en décembre dernier. Je sais que le prix des billes en
chêne a notablement baissé aux dernières adjudications. Mais je crois pouvoir
affirmer que cette baisse est due à la résolution prise par le gouvernement
d'appeler une certaine quantité de bois étrangers en concurrence avec les bois
du pays.
L'honorable membre doit savoir qu'il y a un an environ, les billes en
chêne se payaient 7 fr. A ce prix, le renouvellement des billes aurait fini par
entraîner pour le trésor une charge excessive. Mon premier devoir est envers le
chemin de fer, et le deuxième tout au plus envers les propriétaires.
L'honorable membre prétend que les billes en sapin du Nord sont chères,
ont peu de durée et présentent du danger pour les voyageurs.
Je pense que ces assertions peuvent être contestées.
L'adjudication seule pourra faire connaître si les billes en sapin du
Nord sont avantageuses ou désavantageuses sous le rapport du prix. C'est une
erreur que de croire qu'elles soient d'un mauvais emploi.
C'est une erreur encore que de croire que l'emploi du sapin soit
dangereux pour les voyageurs. En Angleterre, où l'on marche sur les chemins de
fer avec une vitesse bien supérieure à celle en usage chez nous, on fait exclusivement
usage de bois de sapin. Tous les directeurs de chemins de fer anglais affirment
que le sapin du Nord est le bois dont ils tirent le meilleur parti. L'important
pour la sécurité des voyageurs n'est pas d'employer tel ou tel bois, de
préférence à tout autre. C'est surtout de retirer des voies les billes qui sont
devenues défectueuses.
Ce qui m'a été bien démontré, c'est que l'administration, pour les
billes du chemin de fer, tournait dans un cercle vicieux. Si l'on avait
continué à employer exclusivement des billes en chêne, les renouvellements se
seraient élevés à un prix excessif, et seraient devenus une charge bien lourde
pour le trésor de l'Etat.
Force donc m'a été de renoncer à l'emploi exclusif de cette essence de
bois.
Je me suis fait une loi de faire l'essai de toutes les essences de bois,
sans en excepter le sapin du Nord, dont l'emploi est considéré, en Angleterre,
comme très avantageux.
Ici encore, j'ai fait en sorte de profiter de l'expérience acquise
ailleurs.
Si le sapin du Nord revenait à un prix aussi élevé que celui du chêne,
je pense qu'il y aurait lieu de ne pas approuver l'adjudication et d'en revenir
au chêne.
L'honorable membre m'a également
interpellé au sujet de la route de Morialmé à Florenne. C'est une route
concédée sur laquelle le gouvernement n'a pas une action aussi directe que sur
les travaux qu'il fait exécuter par lui-même. D'après les renseignements qui me
sont parvenus, la difficulté tient à ce que les propriétaires sur les terrains
desquels la route doit être assise, demandent des prix exagérés pour la cession
de leurs terrains. C'est là ce qui empêche de mettre la main à l'œuvre.
Je crois savoir que le concessionnaire a donné pleins pouvoirs au
bourgmestre de Florenne pour acquérir des terrains en son nom. Jusqu'ici l'acquisition
n'a pu se faire nonobstant cette latitude.
S'il y avait mauvais vouloir de la part du concessionnaire, je
n'hésiterais pas à employer à son égard les moyens que le cahier des charges
met à la disposition du gouvernement.
M. de
Tornaco. - Je profiterai aussi de la présence de M. le
ministre des travaux publics pour lui adresser une interpellation. Je sais
qu'elle trouverait plutôt sa place dans la discussion du budget des travaux
publics ; mais cette discussion peut encore être ajournée pendant quelques
semaines, et les inquiétudes concernant l'objet dont je vais m'occuper vont
toujours croissant ; je veux parler de la dérivation de la Meuse !
Au commencement de la session, le gouvernement a introduit dans le
discours de la couronne un paragraphe où il reconnaît l'urgence des travaux à
faire aux voies navigables. Naturellement le gouvernement devait comprendre
dans ces travaux et en première ligne la dérivation de la Meuse, attendu que
c'est un des travaux qui ont fixé depuis le plus longtemps l'attention
publique.
La chambre, en adoptant l'amendement que nous avons eu l'honneur de
proposer, avait adopté aussi l'opinion du gouvernement, quant aux voies
navigables.
Depuis, un membre du gouvernement s'est engagé par une promesse à
présenter ou à faire présenter un projet de loi dans le cours de la session.
Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si tous les faits que
j'ai cités ne sont que de vaines formalités, si le gouvernement compte donner
satisfaction aux intérêts liégeois, avec des paroles et de simples promesses.
J'aime à croire que tous ces
arguments, quelque étranges qu'ils paraissent, sont complétement étrangers à la
politique. Il serait déplorable que la tactique politique envahît le domaine
des intérêts matériels.
Quoi qu'il en soit, je déclare à M.
le ministre des travaux publics que, quand la discussion de son budget
arrivera, je saurai décliner toute responsabilité de l'ajournement des travaux
de dérivation, el la faire retomber sur celui qui doit la supporter.
Je demande que M. le ministre des travaux publics veuille bien me
répondre.
M. Rodenbach. - Si la chambre ne continue pas son ordre du jour, je
demanderai également la parole pour adresser une interpellation à M. le
ministre des travaux publics.
M. Delehaye. - Je suis vraiment étonné que le gouvernement déclare
qu'il n'a pas eu connaissance de la délibération du conseil communal de
Somerghem. Je sais que cette délibération a été renvoyée au bourgmestre pour
avoir son avis. Il faut donc bien que le gouvernement en ait eu connaissance.
Il y a plusieurs semaines qu'elle a été prise. J'en tiens en main une copie.
Si M. le ministre ne sait pas ce qui se passe à son département, ce
n'est pas à moi qu'il doit s'en prendre.
Je persiste à penser que si le gouvernement avait voulu déployer un peu
plus d'activité, depuis longtemps on aurait mis la main à l'œuvre.
L'instruction de cette affaire est depuis longtemps terminée au
département des travaux publics. Ainsi M. le ministre des travaux publics
pouvait prendre une résolution qui l'aurait mis à même de faire mettre la main
à l'œuvre aussitôt que le temps l'aurait permis. Pourquoi ne pas avoir mis les
travaux en adjudication ? C’était le moyen de permettre à l'entrepreneur de
prendre toutes ses dispositions préalables.
Quant au chemin de fer de Gand à Bruxelles, je dois dire à M. le
ministre des travaux publics qu'il se trompe, car M. Desart a publié un mémoire
en réponse à celui qu'un ingénieur, défenseur des intérêts de Termonde, a cru
devoir publier, et à la faveur duquel le gouvernement se tient les bras
croisés.
Au reste je le préviens dès à présent que, dans la discussion de son
budget, je le mettrai en demeure de se prononcer. Il ne pourra plus se
prévaloir de ce que le travail n'est pas achevé pour demander un nouvel
ajournement.
M. le ministre nous disait dernièrement qu'il était trop ministre des
travaux publics pour ne pas être un peu ministre des finances.
S'il était un peu ministre des finances il saurait qu'en commençant les
travaux à certaines époques de l'année on les obtient à meilleur compte, parce
qu'il y a plus de bras inoccupés.
Ainsi M. le ministre des travaux
publics qui se targue de ses connaissances financières les perd complétement de
vue, quand il s'agit de l'exécution des travaux dont il est chargé par un vote
de la chambre.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay).
- Je demande la parole.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Delfosse. - J'avais demandé la parole pour témoigner mon
étonnement de ce que M. le ministre des travaux publics n'ait pas jugé à propos
de répondre aux questions si pressantes et si naturelles de mon honorable
collègue M. de Tornaco.
Je ne puis pas forcer M. le ministre des travaux publics à prendre la
parole, pas plus que je ne puis empêcher la chambre de prononcer la clôture,
mais chacun appréciera ce silence vraiment inconcevable.
M. de Garcia. - Je n'ai
pas l'intention de parler en faveur du ministre, en cherchant à le dispenser de
prendre la parole ou de répondre à des interpellations. Mon but n'a pas une portée
aussi étroite, il tend à ne pas perdre un temps précieux pour la juste
appréciation des matières qui nous sont soumises. Alors que nous sommes saisis
du budget de la justice qui présente des questions très graves, nous anticipons
sur la discussion du budget des travaux publics. Véritablement, messieurs, et
chacun doit en convenir, il n'y a pas grand inconvénient à ajourner à quinze
jours les interpellations sur les questions sur lesquelles on désire une
explication de M. le ministre.
(page
497) Je partage l'opinion de l'honorable M. Delfosse et de l'honorable M.
de Tornaco sur la nécessité de travailler à la Meuse, et d'avance je déclare
que j'aurai des observations à présenter à cet égard. Mais je crois qu'en
occupant aujourd'hui la chambre de cet objet, nous n'avancerons pas les choses
; au contraire, nous en retardons la discussion utile. Pour ce motif je demande
la clôture sur les divers incidents se rattachant aux travaux publics.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. Delfosse. - Je ne crois pas violer la décision que la chambre
vient de prendre en invitant M. le ministre des travaux publics à donner le
plus tôt possible à la section centrale chargée de l'examen de son budget, les
renseignements qu'elle a demandés, au sujet de la dérivation de la Meuse.
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay). - De cette
façon la question sera introduite d'une manière plus régulière, et j'aurai
l'honneur de répondre aussi bien que possible à la question qui me sera posée
par la section centrale
M. Delfosse. - Le plus tôt possible.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay).
- Aussitôt que la question de la section centrale me sera parvenue.
M. Delfosse. - D'après ce qu'ut» honorable collègue, membre de la
section centrale, nous a dit, il y a quelques jours, cette demande doit vous
être parvenue et c'est une indisposition qui vous aurait empêché de répondre.
M.
Brabant. - Jusqu'ici aucune question n'a été adressée à
M. le ministre des travaux publics relativement à la dérivation de la Meuse.
Une ou deux sections ont exprimé le vœu de connaître les intentions du
gouvernement à cet égard. Ce vœu a été soutenu à la section centrale par les
rapporteurs des sections ; mais jusqu'à présent rien n'a été transmis à M. le
ministre.
M. Lesoinne. - C'est moi qui ai dit que cette question avait été
posée à la section centrale ; mais j'ai ajouté que l'honorable rapporteur avait
été malade et que c'était là la cause pour laquelle cette question n'avait pas
été transmise à M. le ministre des travaux publics.
PROJET DE LOI RELATIF AU REGIME DES POSTES
M. le
ministre des travaux publics (M. de Bavay). - J'ai
l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi qui tend à apporter diverses
modifications aux dispositions en vigueur sur le régime des postes.
- Il est donne acte à M le ministre de la présentation de ce projet de
loi ; il sera, ainsi que les pièces qui l'accompagnent, imprimé et distribué.
La chambre le renvoie à l'examen des sections.
PROJET DE LOI AUGMENTANT LE PERSONNEL DU TRIBUNAL
DE PREMIERE INSTANCE DE NIVELLES
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai l'honneur de déposer un
projet de loi tendant à augmenter le personnel du tribunal de Nivelles.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de
loi ; il sera, ainsi que l'exposé des motifs qui l'accompagne, imprimé et
distribué.
La chambre le renvoie à l'examen des sections.
M. Delehaye. - Je demanderai à M. le ministre s'il y a un rapport
de la cour d'appel joint à ce projet ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Non.
M. Delehaye. - La cour d'appel n'a-t-elle pas été consultée ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Non.
M. Delehaye. - C’est plus commode.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE
LA JUSTICE POUR L’EXERCICE 1847
Discussion générale
M. Veydt.
- Messieurs, la théorie que l'honorable député de Thielt a soulevée hier dans
cette chambre, et qui tendait à enlever à la législature l'examen ou le
contrôle des nominations attribuées au pouvoir exécutif, a été complétement
réfutée par l'honorable député de Bruxelles, qui a parlé à la fin de la séance
d'hier. Je pense, messieurs, que nous sommes restés tous convaincus que nous
avons ce droit de contrôle et d'examen, que nous sommes souvent dans
l'obligation d'en faire usage, que c'est un devoir pour nous.
En effet, messieurs, le régime constitutionnel a pour objet d'imposer à
la politique des principes et des règles, de faire prédominer les intérêts
généraux sur les intérêts privés, le public sur les hommes et sur les partis.
Le pouvoir exécutif a t-il rempli cette destination en ce qui concerne
les nominations qui sont une des principales parties de ses attributions, qui
souvent caractérisent à elles seules tout son système ? Nous avons, messieurs,
le droit d'examiner cette question.
Que deviendrait, sans cette investigation exercée au grand jour,
l'article de la Constitution qui dit que tous les Belges sont admissibles aux
emplois ? Il y aurait beaucoup d'appelés et peu d'élus ; bientôt les élus ne
seraient plus que les protégés des ministres ou ceux qui auraient en leur
faveur les recommandations les plus puissantes. Les droits acquis, les titres
véritables n'auraient de chances de prévaloir sur elles que par hasard.
Il y a plus, messieurs, je crois que nous devons exercer ce droit de
contrôle dans l'intérêt de MM. les ministres eux-mêmes. Un des plus pénibles
devoirs du poste élevé qu'ils occupent est de lutter contre l'empire des
préférences. Il leur faut résister à des affections et à des sentiments
auxquels il est doux de céder dans la vie privée et qui finiraient par
l'importer, si les nominations ne pouvaient pas devenir plus tard l'objet d'un
débat public.
Messieurs, je reconnais ici, avec l'honorable député de Thielt, que par
cela même que des noms propres sont mêlés à ces débats, il est de notre devoir
d'y apporter la plus grande réserve. En notre qualité de membres de la chambre,
nous sommes en quelque sorte investis d'un pouvoir invisible et presque d'une
véritable dictature. Dès lors nos paroles ont une très haute portée et nous
devons y apporter de grands ménagements ; c'est la règle que je m'efforcerai
toujours de suivre.
Je suis heureux en ce moment de n'avoir pas à m'occuper de nominations
déjà faites. L'interpellation que j'ai adressée, hier, à M. le ministre de la
justice avait un autre but. Je lui ai demandé pourquoi une place n'était pas
remplie. Je lui ai dit que s'il voulait attendre que celui qui la remplit à
présent par intérim eût atteint sa majorité, il faudrait arriver jusqu'à la fin
de 1848 : la place est vacante depuis le mois de mai 1845. Pour atteindre le
but qu'on se propose, il faudrait la laisser inoccupée pendant trois ans et
demi. Je demanderai si une place qui peut rester vacante pendant si longtemps
est une place qui doit encore être remplie ? Ne serait-ce pas reconnaître
qu'elle est complétement inutile ?
Messieurs, à cette occasion, et en présence de faits que M. le ministre
ne démentira pas, cherchons les motifs de cette faveur extraordinaire. La
famille du titulaire décédé, les égards qui peuvent lui être dus peuvent avoir
exercé de l'influence sur M. le ministre de la justice ; je ne lui en ferai pas
un reproche. Je conçois qu'une pareille influence exerce son empire pendant
trois mois, pendant six mois même, et je serais peut-être le premier à la
subir.
Mais quand il s'agit d'un délai de près de quatre ans, il doit y avoir
des considérations qui sortent de la sphère ordinaire, des considérations
politiques, en un mot. Le canton où cette place est restée vacante, à la
demande des personnes auxquelles M. le ministre désire être agréable, a rendu
des services électoraux très grands et qui remontent à plusieurs années.
C'était en 1841, et si alors ce canton n'avait pas rendu de pareils services,
je crois que l'opinion à laquelle j'appartiens aurait eu depuis celle époque
une ou deux voix de plus dans cette enceinte.
Aux élections dernières les mêmes sentiments se sont manifestés dans ce
canton. L'opposition n'est-elle pas fondée à trouver là toute l'explication de
la conduite de M. le ministre de la justice ? Pour moi personnellement je ne
puis me défendre de croire que c'est bien le véritable motif de cette faveur
exorbitante. Je suis curieux de voir si elle sera continuée jusqu'en 1848.
Alors, j'aurai l'occasion d'y revenir.
J'ai dit, messieurs, que je ne m'occuperais pas des nominations. Il en
est une cependant dont je dirai deux mois. Il a été pourvu à la nomination de
la justice de paix de Brecht. Savez-vous, messieurs, quel a été l'obstacle à la
nomination de l'un des candidats plus recommandable, je ne crains pas de le
dire, sous le rapport de la capacité que celui qui a été choisi ? C'est d'avoir
eu pour appui l'un de mes honorables collègues d'Anvers. Je suis prêt à prouver
à M. le baron d'Anethan ce que j'avance ici, car je comprends qu'il ne convient
pas d'apporter de pareilles révélations à la tribune.
Ainsi donc, les candidats que l'opinion libérale appuie doivent
s'attendre à être écartés ; ils deviennent des parias, l'expression dont s'est
servi M. le ministre de la justice par dérision, et, qui cependant n'est que
trop réelle.
J'arrive à un autre point, aux établissements de bienfaisance.
L'honorable M. Verhaegen disait hier que ces institutions, lorsqu'elles sont
dirigées par des congrégations religieuses, avaient constamment la préférence
dans la distribution des subsides accordés par le département de la justice.
J'ai des faits nouveaux à l'appui de cette assertion, qui a cependant été
combattue par M. le ministre. Il s'agit, messieurs, d'une commune de la
Campine, dont les ressources sont excessivement exiguës, de la commune de
Lille.
Elle a a sa charge un aliéné qui dérange si complétement les finances du
bureau de bienfaisance, que l'équilibre est rompu entre ses recettes et ses
dépenses. L'administration communale s'est imposé des sacrifices. De plus,
l'administration de la province, conformément à l'article 69 de la loi provinciale,
a accordé un subside, et malgré cela l'équilibre n'a pu être rétabli.
La députation permanente a fait les plus vives instances pour obtenir de
M. le ministre de la justice qu'il vint en aide à cette commune. II s'y est
constamment refusé.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'est vrai.
M. Veydt.
- Eh bien, je ne puis me défendre, en présence de tout ce qui se passe au
ministère de la justice, de l'idée que ce refus n'a lieu que parce que M. le
ministre de la justice a une tendance marquée à favoriser les établissements de
bienfaisance dirigés par des corporations religieuses.
En ce qui me concerne, je préférerais infiniment donner des subsides aux
bureaux de bienfaisance qui sont contrôlés, d'abord par la commune, ensuite par
la députation. Alors nous savons ce que deviennent les subsides qui sont
accordés, et certes c'est une précieuse garantie.
Un autre exemple, messieurs, pris aussi dans la province d'Anvers, c’est
l'hospice de Boom, qui a été élevé l'année dernière et contre l'établissement
duquel il y avait d'abord des objections sérieuses, parce que les fonds
nécessaires pour en assurer le service, n'étaient pas assurés. Néanmoins, M. le
ministre a cru pouvoir passer outre en autorisant la fondation de cet hospice.
Mon intention n'est pas de désapprouver cette (page 498) résolution ; mais alors M. le ministre devrait, pendant
la première année du moins, venir à son secours afin qu'il pût remplir sa
destination.
Si l'on agissait avec impartialité, on eût fait ici ce qu'on a fait à
Malines pour l'hospice d'Olivetten, qui a reçu des subsides. Pourquoi n'en
a-t-il pas été de même de l'hospice dont je viens de parler ? Parce que, encore
une fois, les ressources mises à la disposition du département de la justice
s'en vont ailleurs.
Il me répugne de citer le nom du condamné Retsin, mais il en a été parlé
hier, et M. le ministre a, en quelque sorte, fermé la discussion en disant que
la mise à la pistole de Retsin avait été refusée par M. le gouverneur de la
province. Cependant il est avéré, nonobstant ce refus, que ce condamné jouit
encore d'une position privilégiée, et je ne sais véritablement pas pourquoi.
Retsin se trouve malade, dit-on ; mais il y si une infirmerie à la maison
d'arrêt, de Turnhout. Pourquoi y occupe-t-il une chambre particulière qu'il a
fallu pourvoir de meubles ?
Les fenêtres de sa chambre ont aussi été changées afin de donner un jour
plus convenable. C'est toujours, messieurs, le même système ; c'est toujours
Retsin, objet d'une prédilection inconcevable et injustifiable.
La chambre me saura gré, je pense, de ne pas insister plus longtemps sur
un pareil sujet.
Voilà, messieurs, quels sont mes griefs. M. le ministre voudra bien y
répondre, et je désire qu'il en fasse disparaître le plus grand nombre. Sa
réponse déterminera mon vote sur le budget de son département ; mais à moins
que je n'obtienne satisfaction, je suivrai l'exemple de mon honorable ami M. le
baron Osy, en votant contre le budget en discussion.
J'ai un mot à ajouter qui concerne
une affaire d'administration sur laquelle je veux présenter une simple
observation en passant.
Autrefois, messieurs, les arrêtés royaux étaient envoyés par expédition
aux provinces. Revêtus pour copie conforme de la signature du secrétaire
général et du sceau du département, ils étaient classés dans les dossiers des
affaires auxquelles ils se rattachaient et en faisaient une des pièces les plus
importantes. Cette marche a cessé d'être suivie au département de la justice,
L'on se borne à renvoyer au Moniteur. J'ignore s'il en est de même pour tous
les ministères. L'innovation n'est pas heureuse. Désormais les dossiers seront
incomplets, il y aura des lacunes dans les archives provinciales, car il n'est
pas possible de placer un exemplaire du Moniteur dans chaque dossier. Je me
borne à signaler les inconvénients de ce système, sur lequel j'appelle, au
besoin, l'attention de M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, j'ai quelques mots à
répondre au discours que vous venez d'entendre, et je commencerai par donner
l'explication demandée par l'honorable M. Veydt, relativement à la vacance de
la place de Santhoven, que l'honorable membre attribue à des services
électoraux rendus probablement par le titulaire actuel. (Interruption.) Peu importe, je ne concevrais pas que, pour
récompenser des services électoraux, j'eusse laissé une place vacante. Si
j'avais voulu, comme on le suppose, avoir dans le canton un fonctionnaire
dévoué et influent, rien au monde ne m'eût été plus facile, car heureusement il
ne manque pas d'hommes attachés aux principes du gouvernement. Mais, messieurs,
pourquoi cette place est-elle restée vacante ? Je dirai d'abord que je ne
connais ni Vansprangh, ni personne de sa famille. Je dirai de plus que personne
ne m'a parlé de cette place, si ce n'est une fois l'honorable M. Osy, qui m'a
exprimé le désir de voir nommer le sieur Vanhissenhoven, qui est maintenant
nommé à Wilryck.
J'ajouterai que dès le mois de juin de l'année dernière, j'avais écrit,
à la suite des observations de l'honorable M. Osy, qu'il fallait annoncer dans
le canton que la place était vacante, pour donner l'éveil aux concurrents et
pouvoir dès lors faire un bon choix. Voici la lettre que M. le juge de paix de
Santhoven a écrite à M. le procureur du roi à Anvers :
« Santhoven, 18 juin 1846.
« Monsieur le procureur du roi,
-« En exécution des ordres que vous m'avez donnés, j'ai fait savoir dans
tout le canton, malgré que cela y était parfaitement connu, que la place de
greffier près de cette justice de paix était encore toujours vacante, sans que
jusqu'ici il soit venu à ma connaissance que quelqu'un se serait mis sur le
rang pour l'obtenir.
« J'attribue ce défaut de concurrence dans le canton, aux égards du
public envers le sieur Auguste Vansprangh qui la remplit depuis bien longtemps
avec distinction, et la sollicite à juste litre depuis la mort de son
grand-père qui en fut le titulaire.
« Le juge de paix du canton de Santhoven,
« Fonteyn. »
Le juge de paix annonçait donc qu'aucun candidat ne se présentait, et en
effet, à l'exception du seul candidat dont a parlé l'honorable M. Osy, et qui
n'en est plus un, puisqu'il a été nommé à Wilryck, à l'heure qu'il est il
n'existe pas de candidats pour la place de Santhoven autre que le
commis-greffier Vansprangh.
Le 20 septembre, le même juge de paix écrivait au procureur du roi la
lettre suivante :
« Santhoven, 20 septembre 1846.
« M. le procureur du roi.
« En exécution de votre dépêche d'hier, n° 4797, j'ai l'honneur de vous
expédier un document qui constate la date exacte de la naissance d'Auguste
Vansprangh, mon commis-greffier.
« J'espère bien qu'on ne viendra pas de nouveau à charge de ce jeune
homme pour le faire échouer, et que le gouvernement appréciera ses titres et
les devoirs dont il s'acquitte exemplairement envers sa malheureuse mère et une
nombreuse famille.
« En conséquence, j'ose venir invoquer de nouveau tout votre appui près
du ministère pour qu'on lui conserve sa position actuelle dont il se rend
digne, ainsi que tout le monde peut l'attester, et vous prie d'agréer d'avance
mes sincères hommages et reconnaissance.
« Le juge de paix du canton de Santhoven,
« J. Fonteyn. »
Voilà les lettres que le procureur général m'a transmises avec son avis
et celui du procureur du roi ; l'avis du premier président est dans le même
sens. Les motifs allégués justifient ce qui a été fait, et il est impossible de
pourvoir maintenant à la place vacante vu l'absence de candidats.
Je le répète, le service ne souffre pas ; le sieur Vansprangh est
commis-greffier en titre ; il peut l'être, parce qu'il est majeur, et que la
majorité seule est exigée pour les fonctions de commis-greffier.
Maintenant libre à l'honorable M. Veydt de penser que j'ai eu uniquement
en vue des services électoraux rendus par le sieur Vansprangh ou sa famille ;
mais la chambre appréciera les considérations que j'ai présentées, el qui
expliquent naturellement le fait.
L'honorable M. Veydt a entretenu la chambre des établissements de
bienfaisance ; pour le moment, je ne répondrai qu'un mot, relativement à une
objection de l'honorable membre, relative au secours qui aurait été refusé à
une commune pour l'entretien d'un aliéné.
Messieurs, la charge des aliénés est imposée à la commune et
subsidiairement à la province, mais nullement à l'Etat. La demande que m'a
faite la commune de Lille m'a été adressée par d'autres communes encore, mais
aucune de ces demandes n'a, je pense, été accueillie, et cela par un motif bien
simple. D'après les intentions de la chambre, les sommes qui me sont accordées
pour les aliénés sont destinées à la fondation ou à l'amélioration
d'établissements d'aliénés, et non à venir en aide aux communes dans
l'accomplissement des charges que la loi communale leur impose. Ainsi, ce dont
se plaint l'honorable M. Veydt, n'est que l'exécution littérale de la loi.
Quant à l'hospice de Boom, je crois avoir rencontré l'approbation de
l'honorable membre. J'ai fait en effet tout ce qui m'était possible pour
écarter les obstacles qui s'opposaient à la création de cet hospice. Je ne sais
si un subside a été demandé ; si la requête a été adressée, j'examinerai s'il y
a lieu d'accorder un subside.
Quant au secours qui a été alloué à un hospice de Malines, l'hospice
d'Olivetten, j'ai été principalement déterminé à provoquer cette mesure, par le
motif que l'hospice a accepté la condition de recueillir un certain nombre de
vieillards qui y seront placés par mon département, en considération de
services rendus à l'Etat. Si l'hospice de Boom veut se soumettre à une
semblable condition, et si ses ressources sont insuffisantes, je viendrai
volontiers à son aide si la commune et la province me secondent.
J'ajouterai que la création de l'hospice d'Olivetten à Malines est dû
uniquement à la charité privée de quelques personnes de cette ville ; mais que
cet hospice n'a aucun caractère de corporation religieuse.
L'honorable M. Veydt vous a encore parlé du condamné Retsin qui se
trouve incarcéré à Turnhout. A entendre l'honorable membre, on aurait fait une
nouvelle faveur à ce condamné.
Il n'en est rien : loin de lui avoir fait une
faveur, on l'a traité beaucoup plus sévèrement que d'autres, c'est-à-dire que
Retsin, au lieu d'être avec les autres détenus, se trouve dans un complet isolement.
Si l'on a travaillé aux fenêtres de sa cellule, on l'a fait par mesure de
précaution et pour mieux s'assurer contre toute tentative d'évasion, qu'on
aurait pu craindre, depuis que deux condamnés étaient parvenus à s'évader de la
prison de Turnhout, J'ai prescrit l'emploi des précautions les plus sévères ;
el j'ai appelé l'attention des autorités sur la responsabilité qui pesait sur
la personne chargée de la garde du condamné.
Retsin était dans une chambre sans feu ; ce n'est qu'à la suite d'une
déclaration du médecin, portant que Retsin ne pourrait pas résister à un pareil
régime, qu'on l'a autorisé à acheter un poêle pour chauffer la cellule dans
laquelle il se trouve.
Retsin est condamné, mais je ne pense pas qu'on veuille, quels que
soient les sentiments qu'inspire sa conduite, le faire mourir à petit feu.
M. Loos. - Quelle que
soit la répugnance que j'éprouve à refuser au gouvernement les crédits
nécessaires aux services publics, je ne pourrai donner un vote favorable au
budget en discussion, parce que je trouve que les crédits alloués au
département de la justice ne reçoivent point, de la part du ministre, une
application suffisamment intelligente el impartiale, conforme aux intentions de
la chambre et aux intérêts du pays.
L'année dernière je signalais les dépenses considérables exécutées dans
les maisons centrales de Gand, de Vilvorde et d'Alost, pour établir la
séparation des détenus pendant la nuit, tandis que nous étions saisis d'un
projet de loi qui établit la séparation complète de jour et de nuit.
Je vous disais que ces appropriations coûteuses seraient en pure perte
si la loi proposée venait à être votée. Que répondit le ministre ? Qu'en tout
état de cause, que la chambre adoptât, soit le système d'isolement (page 499) de nuit, soit celui de
l'isolement continuel, les travaux exécutés répondraient aux conditions exigées
par l'un et l'autre système.
Depuis lors, messieurs, j'ai visité les prisons, et je puis vous
garantir l'exactitude de ce que j'avais avancé, que la plupart de ces travaux
seront réellement en pure perte.
Les conditions exigées, sous le rapport des locaux, quant au système que
le projet de loi présenté à la fin de 1844 tend à introduire, se trouvent
déterminées dans le volume que le gouvernement nous a fait distribuer. Eh bien,
je puis garantir que ces conditions n'ont pas été observées dans les
constructions exécutées. Je n'exagère rien, en évaluant à près d'un million,
les dépenses faites depuis peu d'années à nos anciennes maisons centrales. Au
lieu de consentir à ces dépenses, le devoir du ministre, depuis la présentation
de son projet de loi, était d'insister auprès de la chambre pour en obtenir la
discussion et, en attendant, il ne devait ordonner que les travaux strictement
nécessaires.
On aurait ainsi évité, d'une part, des dépenses inutiles, et d'autre
part on serait resté dans la légalité. Je dis, messieurs, qu'on serait resté
dans la légalité ; et en effet, je ne pense pas qu'il soit très légal
d'exécuter une loi avant qu'elle soit votée. C'est cependant ce qui se passe,
on nous propose d'introduire un nouveau moyen de répression non prévu par nos
lois pénales, la détention isolée, et déjà des dépenses considérables sont
faites dans plusieurs localités pour mettre ce moyen à exécution.
En France l'introduction du système d'emprisonnement individuel a donné
lieu dans les chambres législatives à des discussions longues et approfondies.
Si l'on n'a pas été unanime pour approuver le nouveau moyen de répression, tout
le monde a été d'accord pour reconnaître que, ce système admis, il fallait
nécessairement réduire le temps de l'emprisonnement attribué aux crimes et
délits par le Code pénal en vigueur.
Cette nécessité, M. le ministre de la justice la reconnaît lui-même dans
les développements à l'appui de son projet de loi, et cependant, messieurs, les
nouvelles prisons s'élèvent ; y enfermera-t-on les condamnés ou les prévenus
avant d'avoir fait subir à nos lois pénales les modifications reconnues
équitables ?
Pourquoi, messieurs, le ministre de la justice, reconnaissant l'urgence
de la réforme pénitentiaire, n'a-t-il pas insisté auprès de la chambre pour
faire mettre à son ordre du jour le projet de loi présenté dans la séance du 3
décembre 1844 ?A-t-il craint que la discussion ne fût point favorable au projet
? Je ne puis le supposer, la discussion si lumineuse des chambres françaises a
fini par convaincre chacun de la nécessité de la réforme proposée. Mais alors
pourquoi ne pas rappeler le projet à l'attention de la chambre ?
M. le ministre croit-il que l'intervention de la chambre en cette
matière n'est pas indispensable ? M. l'administrateur des prisons semble être
de cet avis, puisque dans son rapport au ministre, en date du 16 mai 1846, il
dit que les lois donnent au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour créer de
nouvelles prisons. M. le ministre partage-t-il cet avis ? Alors pourquoi a-t-il
présenté son projet de loi ?
Ce qui est évident pour moi, c'est que le ministre veut procéder par
faits accomplis et de cette manière forcer la main à la législature. En effet,
en présence d'énormes dépenses qui auront été faites pour élever des maisons
pénitentiaires d'après le système présenté, pouvez-vous, messieurs, ne pas
l'adopter et rendre ainsi toutes ces dépenses inutiles ? Evidemment non.
Car ne croyez pas, messieurs, ce qu'on vous dit, qu'une maison
construite en vue de l'un des deux systèmes puisse utilement servir en
exécution de l'autre.
Dans le système de l'emprisonnement en commun, il faut de vastes
ateliers, réfectoires, préaux, etc. ; dans l'autre, il ne faut rien de
semblable, et les dépenses de cette nature seraient faites en pure perte. M. le
ministre de la justice l'a si bien compris lui-même, que l'année dernière,
quand je lui fis le reproche de vouloir introduire le système nouveau avant de
l'avoir fait admettre par la législature, il me répondit (séance du 19 février
1846) :
« Messieurs, on me suppose l'intention arrêtée de supprimer la maison de
St-Bernard et de placer les individus qui y sont détenus dans une autre prison
construite à grand frais. Mais je ne puis avoir de parti à cet égard ; une loi
sur le nouveau régime pénitentiaire en Belgique est présentée, c'est seulement
quand elle sera votée qu'il sera question de nouvelles prisons ou d'appliquer
celles qui existent.
Voilà, messieurs, ce que disait M. le ministre le 19 février dernier, et
le 23 du mois d'août il décrétait par arrêté royal la construction d'un nouveau
pénitencier pour au moins 500 détenus à Louvain.
Savez-vous, messieurs, quel est le chiffre de la dépense qui doit
résulter de l'exécution de cet arrêté royal ? Consultez les documents que le
gouvernement vous a mis entre les mains et vous verrez que le minimum de la
dépense doit être évalué pour 500 détenus à 1,350,000 fr. soit à raison de 2,700
par détenu ; et c'est par arrêté royal qu'une semblable dépense pourrait èlre
établie ? Encore, messieurs, si quelque circonstance permettait de préjuger
l'opinion de la chambre ! Mais rien de semblable n'existe, la chambre ne s'est
pas jusqu'à présent occupée de la question.
Pourquoi donc, M. le ministre s'est-il tant pressé ? Au mois de février,
il déclare qu'il ne peut être question de nouvelles prisons avant le vote de la
loi, et au mois d'août suivant, il décrète une prison à Louvain.
J'examinerai tout à l'heure les motifs exposés par M. le ministre ; mais
ayant de passer à cet examen, voyons la vraisemblance des bruits qui ont
circulé sur les véritables motifs qui ont guidé M. le ministre, bruits qui ont
eu du retentissement dans cette chambre. En effet, mon honorable ami, M. le
baron Osy, reprocha naguère à M. le ministre de ne vouloir la suppression de la
maison Saint-Bernard qu'afin de pouvoir établir une prison à Louvain ; le
ministre protesta contre cette assertion, qu'il prétendit être fausse. La
presse alla plus loin, elle prétendit que la prison de Louvain était une
promesse électorale et qu'elle s'établirait malgré toutes les évolutions
administratives qui pourraient faire croire à des intentions contraires. Les
journaux du gouvernement repoussèrent ces allégations comme calomnieuses. Que
pourront-ils répondre aujourd'hui, en présence de l'arrêté royal du 23 août et
de la malheureuse coïncidence de cette date avec celle de la convocation du
collège électoral de Louvain ? Je n'ajouterai rien à ce singulier
rapprochement.
Passons maintenant au mérite de la mesure en elle-même. Le ministre se
fonde principalement sur l'encombrement de la prison de St-Bernard, et
l'augmentation toujours croissante des condamnés correctionnels. Je me hâte de
reconnaître que la progression du nombre des condamnés est malheureusement bien
réelle. Mais lorsqu'une maladie contagieuse se déclare dans le pays, se
borne-t-on à agrandir les cimetières ? Evidemment non, on en recherche les
causes, on applique les remèdes. C'est ce qu'on a fait dans beaucoup de pays
pour arrêter la contagion sociale qui peuple les prisons. On a reconnu que les
moyens de répression en vigueur étaient inefficaces, que la réunion des
détenus, dans les mêmes locaux tant le jour que la nuit, était une cause de
corruption. On a voulu y porter remède, et les philanthropes qui dans divers
pays se sont occupés de la question, ont pensé, qu'en isolant les détenus on
arrêterait la corruption, on diminuerait le nombre des condamnés récidifs.
L'expérience est venue confirmer ces prévisions, et l'on a pu reconnaître qu'il
ne serait pas nécessaire d'augmenter les prisons, mais de les changer. Ne
devant pas augmenter le nombre des prisons, que restait-il à faire ? Il fallait
approprier celles que l'on possède au nouveau régime que l'on veut introduire,
et au lieu de créer une nouvelle maison à Louvain, il fallait tirer parti des
locaux et des vastes terrains de St-Bernard. Mais, dira-t-on, St-Bernard est
insalubre.
Pour moi, Saint-Bernard n'est pas un lieu insalubre ; il n'est pas plus
envisagé comme insalubre par M. le ministre de la justice ; mais il s'agissait
d'établir une prison à Louvain, et pour cela il fallait manœuvrer à l'avance ;
on a même dû brusquer le dénouement ; car sans attendre le vote de la loi, on a
décidé l'établissement de la prison à Louvain ; on a commencé une dépense qui
sera considérable sans avoir consulté la chambre.
Cet acte n'est pas sage ; il fallait, comme je l'ai dit, utiliser les
locaux de Saint-Bernard ; car, savez-vous pour combien entrent dans la
construction de la nouvelle prison les bâtiments qui à Saint-Bernard sont dans
le meilleur état ? Ils entrent pour la moitié. Cette évaluation, je la trouve
encore dans le mémoire qui vous a été communiqué par M, le ministre de la justice
lui-même.
Les locaux généraux tels que la boulangerie, la buanderie, les bureaux,
les magasins, la caserne, toutes ces dépendances d'une maison cellulaire,
entrent pour moitié dans les frais de construction. Je vous ai indiqué que la
prison de Louvain, d'après l'évaluation minimum, coûterait 1,350 mille francs ;
ainsi, avec 700 mille francs vous auriez obtenu le même résultat à
Saint-Bernard.
Il n'est pas dit qu'avec le nouveau système pénitentiaire, il faille une
deuxième prison. On aurait établi à Saint-Bernard une prison cellulaire pour 5
ou 6OO détenus, et le reste de la prison aurait été provisoirement maintenu
dans le système actuel. Avec des cellules rayonnant comme dans quelques prisons
nouvelles, le terrain était suffisant à Saint-Bernard pour faire le nombre de
cellules nécessaire. Si ce qui se passe dans d'autres pays se réalise en
Belgique, il n'existera plus d'autre prison que celle de Louvain.
Le système nouveau prévenant la contagion et les récidives, le nombre
des détenus ne dépassera pas, avant peu d'années, je l'espère, la contenance de
la prison de Louvain ; ainsi on arrivera au but qu'on s'était proposé, la
suppression de Saint-Bernard. Comme j'ai l'espoir que nous obtiendrons du
nouveau système le même résultat en Belgique qu'on a obtenu dans d'autres pays,
je dis que la prison de Saint-Bernard sera superflue ; car nous serons tous
d'accord pour ne pas maintenir deux prisons quand une seule pourrait suffire.
Ainsi, messieurs, à mes yeux le principe de dépense que vient déposer M.
le ministre, se trouve établi illégalement, et les dépenses faites dans les
autres prisons se trouvent avoir été faites inutilement. J'ai visité des
prisons, et je puis dire que de toutes les constructions faites depuis deux
ans, aucune n'est faite dans le système proposé par M. le ministre de la
justice et qu'il a présenté à la législature.
J'ai visité le pénitencier d'Alost où se trouve un quartier cellulaire ;
mais je n'ai pu y reconnaître aucune des conditions que M. le ministre a
énumérées dans son projet à l'imitation de ce qui a été fait en Angleterre et
en France.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Ce n'est pas sous mon
administration que ces constructions ont été faites, mais sous celle de
l'honorable M. Leclercq.
M. Loos. -
L'infirmerie, du moins, a été faite par vous. A Gand on veut établir le système
cellulaire ; on enferme les détenus dans une cellule qui leur sert de logement
et d'atelier.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - On ne les y fait pas travailler.
M. Loos. - Il y a
quelque temps, des cellules qui existaient à Gand depuis trente ans, ont été
changées ; ces cellules avaient été primitivement faites pour un seul détenu ;
puis changées, de deux on en a fait (page
500) une et on y a mis cinq détenus ; M. le ministre les a fait à grands
frais rétablir pour un seul détenu.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Et je crois avoir par là rendu un
grand service à la morale.
M. Loos. - Je partage
l'opinion de M. le ministre, je pense que les détenus ne devaient pas être
réunis pendant la nuit ; mais était-ce le moment de faire des dépenses
considérables, alors qu'un projet de loi changeant le régime pénitentiaire
était soumis à la chambre ?
L'année dernière j'ai demandé le dépôt sur le bureau des dépenses qu'on
se proposait de faire pour 1846 ; j'ai reconnu qu'on voulait dépenser 230,000
fr dans les anciennes maisons de détention. Ces dépenses n'ont servi qu'à
corriger un peu le système actuel. Si M. le ministre avait compris les
véritables intérêts du pays, après avoir présenté un projet de loi en 1844, il
aurait dû en démontrer l'urgence à la chambre et demander un vote ; ce projet
serait aujourd'hui voté.
Mous savons que M. le ministre ne peut pas ordonner à la chambre de
l'occuper d'un projet de loi ; c'est ce que M. le ministre m'a déjà répondu.
Cependant, quand le gouvernement veut que la chambre s'occupe d'un projet de
loi, il a les moyens de l'obtenir ; il l'a prouvé en faisant voter naguère un
projet de loi presque séance tenante par la chambre, et le lendemain par le
sénat. S'il avait insisté sur l'urgence du projet d'organisation des prisons, il
serait voté en ce moment. Mais je commence à croire qu'il n'avait pas grand
intérêt à ce que cette discussion eût lieu, bien qu'il en eût fait ressortir
l'urgence dans l'exposé des motifs ; c'est le désir d'établir une prison à
Louvain qui a dominé toute cette question.
L'année dernière, je signalais à la chambre l'inconvénient qu'il y avait
d'introduire dans le régime des prisons des religieux comme gardiens.
Je conviens que l'introduction des religieux dans les hôpitaux et dans
les infirmeries des prisons est un bienfait. Je reconnais aussi qu'ils y ont
rendu de grands services ; mais aussi je crois que ce sont les seuls services
qu'ils soient capables de rendre. Vouloir les transformer en gardiens, c'est
dénaturer leur caractère, c'est bouleverser la police et l'ordre qui doivent
régner dans les prisons.
S'il n'y avait des religieux que dans les hôpitaux, si l'on ne voulait
pas les transformer en gardiens, je crois que le nombre des religieux mis à la
disposition du gouvernement serait suffisant, et que le gouvernement pourrait
supprimer à ces établissements les subsides considérables qu'ils obtiennent
aujourd'hui.
Quand il s'agit de secourir des malheureux, on ne marchande pas les
moyens. Je ne critique donc pas le surcroît de dépenses résultant de l'introduction
des religieux dans les hôpitaux, quoique les dépenses soient le quadruple de ce
qu'elles étaient auparavant.
Mais quand des religieux on veut faire des gardiens, il s'agit là non
plus de secourir des prisonniers, mais de les garder. On pourra me répondre que
les religieux ont à rendre dans les prisons un autre service, | qu'ils
réussiront dans la moralisation des détenus. M. le ministre de la justice me
fait un signe affirmatif. Je crois donc que c'est son but. Eh bien, je dis que
le but du ministre sera complétement manqué. Les religieux n'ont ni
l'instruction, ni l'éducation nécessaires pour moraliser les détenus. (Interruption.) Sans doute l'instruction
des détenus, en raison des classes de la société auxquelles ils appartiennent,
n'exige pas des connaissances très étendues de la part de ceux qui en seraient
chargés, Mais la population des prisons est une population corrompue ; et en
lui tenant e langage qu'on tient avec succès auprès des habitants simples de la
campagne, on n'obtient aucun résultat. Je dirai plus : on obtiendrait un
résultat contraire.
J'en ai eu la preuve : j'ai entendu des religieux qui étaient dans une
prison en qualité d'infirmiers, et qui faisaient aux prisonniers de la morale à
leur manière.
Au lieu d'obtenir quelque résultat avantageux sous le rapport moral, ils
ne provoquaient que des éclats de rire.
Ce fut à tel point que l'aumônier de la prison, homme instruit et
capable, ayant l'expérience des prisons, a dû intervenir pour prier les frères
de ne plus se mêler de faire aux détenus de la morale à leur manière. Quoi
qu'il en soit, lorsque l'on aura introduit dans les prisons le nouveau système,
on pourra y introduire des religieux, avec cette mission de moralisation, parce
qu'alors on pourra parler de morale avec quelque espoir de succès à quelques
hommes qui ne seront plus réunis aux plus mauvais.
Dans tous les cas je persiste à désirer qu'on ne transforme pas les
religieux en gardiens. Qu'on leur donne, si l'on veut, une mission de
moralisation ; mais pour cela les frères de Roulers et de Malines ne peuvent
convenir. Il faut des hommes, instruits, ayant étudié le cœur humain, les
passions des hommes, et pouvant y opposer des arguments à la portée des
individus auxquels ils s'adressent.
Je vois dans les subsides accordés aux maisons où l'on forme les frères
et les religieux destinés au service des prisons, un moyen indirect d'établir
des corporations religieuses ; car savez-vous ce qu'a coûté à l'Etat chacun des
religieux qui sont dans les prisons ? D'abord l'Etat a payé leur éducation ;
chaque établissement reçoit un subside de 7,000 fr. ; et la population de
chaque maison n'est, je crois, que de sept individus. Du moins, à Malines, leur
nombre n'était pas plus considérable. Ainsi quand un religieux entre dans une
prison, il a déjà coûté à l'Etat au-delà de 2,000 fr.
L'éducation qu'il a reçue lui permet d'être infirmier ; mais elle ne va
pas au-delà.
Je dis donc que ce sont, en réalité, des subsides pour établir des
maisons religieuses.
Je ne méconnais pas, je l'ai déjà dit, les services que peuvent rendre ;
les religieux comme infirmiers. Mais vouloir les employer dans les prisons à
tout autre service, à toute autre destination, c'est vouloir obtenir un
résultat contraire au but qu'on se propose.
L'an dernier, dans la discussion des articles du budget de la justice,
j'ai signalé à votre attention une irrégularité qui se commettait dans les
dépenses. Certains employés recevaient, indépendamment de leur traitement, une
indemnité de logement.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'était très irrégulier.
M. Loos. - M. le
ministre le reconnaît ; il s'est hâté de faire cesser cette irrégularité. El
comment ?Il y avait quelques malheureux gardiens dont les appointements avaient
été diminués, auxquels on avait accordé, sous la dénomination d'indemnité de
logement, un véritable supplément de traitement qui en rétablissait le taux
primitif, de manière à leur permettre d'exister. On leur a supprimé cette
indemnité, ce qui équivaut à une véritable diminution d'appointements.
J'ai dit que M. le ministre de la justice avait reconnu cette
irrégularité et l'avait fait cesser. Je dois ajouter que la cour des comptes
avait rejeté la dépense. (Dénégations de
la part de M. le ministre de la justice.)
Si elle n'a pas rejeté la dépense, elle aura fait des observations. (M. le ministre de la justice fait un signe
affirmatif.)
Mais un employé qui avait une indemnité de logement de 400 francs, et
qui n'y avait pas droit, puisqu'il logeait dans la prison, l'a perdue sans
doute, mais l'a retrouvée sous la forme d'une augmentation de traitement.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). – Il y a eu un arrêté général,
M. Loos. - Il y a eu,
pour cet employé, une disposition spéciale du ministre.
Mais je dois ajouter qu'ici encore, M. le ministre a des préférences,
C'est un employé, messieurs, qui a été constamment signalé à l'attention de M.
le ministre comme ne remplissant que très imparfaitement ses fonctions. Mais
cet employé est encore un de ces hommes, selon son cœur, qui a rendu des
services à certaine opinion, et qui, à ce titre, a droit aux faveurs
ministérielles. (Interruption.)
M. le ministre dit que c'est un excellent homme. J'ai dit et je crois
que c'est un brave homme d'après vous...
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Et un des bons fonctionnaires.
M. Loos. - Mais
remplissant très imparfaitement ses fonctions. La prison dont il est le chef
n'a jamais été plus mal tenue que depuis qu'il s'y trouve. La commission
administrative des prisons qui surveille cette maison l'a constamment signalé à
votre attention comme un mauvais employé.
Les faveurs, du reste, ne se sont pas arrêtées à des indemnités de
logement.
Le prédécesseur de cet employé avait vainement réclamé auprès de M. le
ministre de la justice, pour obtenir une augmentation de frais de bureau. La
population de la maison ayant augmenté, les écritures de toute nature s'étant
considérablement accrues par suite de diverses mesures qui avaient été prises
par le département de la justice, le prédécesseur de l'employé actuel avait
constamment réclamé une augmentation de personnel pour son bureau ; constamment
cette demande a été rejetée.
Mais depuis que l'employé actuel se
trouve en fonctions, déjà plus d'une augmentation a été accordée, et je vois
encore au budget qui nous est présenté un crédit de 600 fr. pour frais de
bureau. De sorte que cette demande qui ne pouvait être accordée avant l'arrivée
de l'employé actuel, s'accorde aujourd'hui, non pas sur la demande du
gouverneur de la province, non pas sur la demande de la commission
administrative, mais s'accorde d'emblée et directement par M. le ministre de la
justice.
Messieurs, j'ai à faire valoir encore quelques considérations à l'égard
du budget de la justice. Mais je les réserverai pour la discussion des
articles.
M. Delehaye. - Messieurs, mon intention n'est pas d'entrer dans la
discussion qui vient d'avoir lieu. Je comprends que chacun de vous, comme tout
le pays, a dû être douloureusement affecté de voir que chaque fois qu'il
s'agissait du budget du chef de la magistrature, son administration donne lieu
à des attaques fondées, à des attaques qui doivent réellement faire peine à
chacun de nous. Il est étonnant que élans un pays qui est connu par sa probité,
par sa moralité, par la franchise de son caractère, ce soit précisément le chef
de la magistrature qui donne lieu aux attaques les plus violentes et en même
temps les plus fondées.
Messieurs, on vous a dit et plusieurs membres ont déjà appuyé sur cette
considération, que le condamné Retsin n'était pas traité comme d'autres
prisonniers. Je ne veux pas, messieurs, pousser la discussion plus loin. Mais
je dirai que le gouvernement n'oserait pas traiter Retsin comme les autres
prisonniers, parce que Retsin, d'un seul mot, pourrait le mettre à sa place. On
vous a dit quels étaient les titres de Retsin à la bienveillance du
gouvernement.
Quant à moi je connais ces titres, et un des membres de la droite les
connaît comme moi. Retsin, pendant toute sa vie, n'a été qu'un des agents
secrets du gouvernement, et lorsqu'un des membres les plus estimables de la
droite s'est mis pour la première fois sur les rangs pour arriver à la chambre,
c'était Retsin qui, au nom du gouverneur de la Flandre orientale, allait
trouver les bourgmestres pour les engager à voter contre ce membre.
(page 501) Voilà, messieurs,
les motifs pour lesquels Retsin est l'objet de la bienveillance du
gouvernement, et pour lesquels on n'oserait pas le traiter comme les autres
prisonniers.
Je sais très bien que M. le ministre de la justice peut nier le fait.
Quel est donc le fait que M. le ministre de la justice n'ait pas nié jusqu'ici
? Mais si je voulais interpeller un membre de la chambre, dont le témoignage ne
serait pas contesté par M. le ministre de la justice, il verrait que ce que je
viens de dire est fondé.
Du reste, messieurs, je n'en dirai pas davantage à cet égard, parce
qu'il m'en coûte de présenter au pays et à l'étranger des faits qui, quoique
posés par le chef de la magistrature, sont de nature à faire rougir.
M. le ministre de la justice, en répondant à quelques interpellations de
mon honorable ami, M. Verhaegen, vous a dit qu'en présentant son projet de loi
relatif à l'augmentation du personnel du tribunal de Louvain, il avait eu
l'intention de nous communiquer le rapport de la cour d'appel de Bruxelles.
C'est encore une allégation que rien ne légitime. Car remarquez que je
n'ai fait mon interpellation que quinze jours ou trois semaines après que le
rapport vous était présenté, et si vous lisez le rapport du gouvernement, vous
verrez qu'il était dans son intention de nous cacher la délibération de la cour
d'appel de Bruxelles. Car si M. le ministre avait voulu nous communiquer cette
délibération, il l'aurait fait dans des termes tout autres. Il nous a présenté
des considérations qui prouvent à toute évidence qu'il voulait nous soustraire
cette pièce.
En effet, messieurs, que dit-il ? Il dit, dans sa demande à l’appui
de l’augmentation du personnel, que la cour d’appel est d’avis qu’il ne fait
pas augmenter les heures d’audience. Mais la cour d’appel avait à statuer sur
deux questions : la première, s'il fallait augmenter les heures d'audience, et
la seconde, s'il fallait augmenter le personnel. Or la cour a déclaré qu'il n'y
avait pas lieu à augmenter ni les heures d'audience, ni le personnel.
Vous voyez donc, messieurs, qu'il était entré dans les combinaisons du
gouvernement, qu'il était entré dans les calculs de M. le ministre de ne pas
nous soumettre le rapport de la cour d'appel ; que ce n'est que sur mon
interpellation qu'il s'est décidé à nous le soumettre.
Messieurs, on vous a parlé d'un juge de paix qui avait obtenu sa
nomination, parce que jusqu'à présent ses prédécesseurs avaient résidé à Gand,
tandis que lui résidait dans le canton. Il s'agissait du juge de paix
d'Herzeele.
Messieurs, ce juge de paix peut avoir promis de résider dans le canton ;
mais ce que je puis affirmer, c'est que jusqu'à présent il n'y est pas
domicilié.
Mais il est une autre considération qui devait s'opposer à cette
nomination.
Le juge de paix actuel d'Herzeele, comme homme privé, est un homme digne
de l'estime et de la sympathie générale, mais comme magistrat, comme homme
appelé à rendre la justice, il est entièrement incapable. Le juge de paix
d'Herzeele n'a pas la moindre idée du droit civil. Et remarquez que, si je
tiens ce langage, c'est que j'ai appris le fait d'un homme qui a pu apprécier
le mérite du juge de paix d'Herzeele, lorsqu'il remplissait les fonctions de
juge suppléant.
Comme juge suppléant, il a fallu constamment que le juge de paix actuel
s'abstînt. Et, messieurs, y a-t-il là rien d'étonnant ? C'est un homme très
estimable, sous tous les rapports, c'était un négociant très recommandable,
mais il n'a jamais fait la moindre étude du droit, il ne possède aucune
connaissance en droit. Qu'est-ce qui lui a valu sa nomination ? Mais ne nous le
dissimulons pas, c'est son dévouement électoral, son dévouement au ministère.
On dit qu'il a été nommé parce qu'il avait rempli les fonctions de juge de paix
comme suppléant. Mais il y a bien des juges suppléants qui avaient siégé en celle
qualité depuis très longtemps et qui n'ont pas été nommés juges de paix lorsque
cette place est devenue vacante. Je citerai, par exemple, le suppléant de la
justice de paix de Waerschoot, qui était sous tous les rapports non moins
recommandable que celui d'Herzeele. Eh bien, il n'a pas été nommé ; pourquoi ?
Parce qu'il ne possédait pas les connaissances nécessaires pour remplir les
fonctions de juge de paix.
Et, messieurs, j'ai pu un peu apprécier l'un et l'autre de ces
fonctionnaires ; si je ne connais pas personnellement l'un d'eux, je le connais
par les rapports d'une personne qui est parfaitement à même d'en juger, et je
suis convaincu que le suppléant de Waerschool, que le gouvernement n'a pas
voulu nommer, a beaucoup plus de connaissances que celui qui a été nommé à
Herzeele, parce que le premier a rempli ses fonctions pendant un grand nombre
d'années, tandis que l'autre ne les a jamais remplies.
Je n'en dirai pas davantage, messieurs, sur ce point ; mais j'ai la
conviction intime que, dans presque tous ses actes, M. le ministre de la
justice n'est guidé que par un seul ordre de considérations, par des
considérations politiques. Je l'ai dit encore l'année dernière, je le répète
aujourd'hui, et je crois l’avoir suffisamment démontré.
Ainsi, messieurs, en ce qui concerne Retsin, le gouvernement ne peut pas
le traiter autrement qu'il le traite, et en ce qui concerne les nominations, M.
le ministre de la justice ne se laisse guider que par des considérations
politiques. Voilà ce que je crois avoir prouvé à la chambre.
L'objet principal pour lequel j'ai demandé la parole, c'est une
interpellation que je dois adresser au gouvernement, et que je lui adresse
d'autant plus volontiers que ceux qu'elle concerne ne sont pas, en général, des
hommes très influents dans les élections. J'ai été chargé, messieurs, de vous
faire rapport sur le projet de loi relatif à l'augmentation des traitements de
la magistrature. J'ai proposé alors de ne rien statuer sur ce qui concernait
les auditeurs militaires. Les auditeurs militaires s'étaient trouvés
jusqu'alors dans la même position que les procureurs du roi dans les
arrondissements où ils remplissaient leurs fonctions. Il a été entendu alors
qu'il continuerait à en être de même.
Eh bien, messieurs, jusqu'à présent
le gouvernement n'a rien fait pour mettre les auditeurs militaires dans la
position où ils devraient se trouver, eux cependant qui joignent aux fonctions
de procureur du roi les fonctions pénibles de juges d'instruction. Il est vrai
que ce sont des hommes très peu à même de se livrer aux intrigues électorales
et que la nature de leurs fonctions leur donne très peu d'influence sous ce
rapport. Je conçois donc que le gouvernement, avec les dispositions que nous
connaissons à M. le ministre de la justice, ne s'occupe pas beaucoup de ces
fonctionnaires, qu'il n'ait pas pour eux une sympathie bien grande ; mais je
lui demanderai cependant s'il compte nous présenter bientôt un projet de loi
tendant à régulariser leur position et à mettre leur traitement en rapport avec
l'importance des fonctions qu'ils exercent.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Delehaye, revenant
encore sur l'affaire de Retsin, a dit que le gouvernement ne pouvait pas le
traiter comme les autres prisonniers, attendu qu'il avait des révélations à
craindre de la part de Retsin. Eh bien, messieurs, je déclare que le
gouvernement n'a aucune espèce de révélation à craindre de la part de ce
condamné. Jamais, à ma connaissance, Retsin n'a reçu du gouvernement aucune
espèce de mission, aucun espèce de mandat ; et le gouvernement, je le répète,
n'a rien à redouter de ce chef.
Du reste, messieurs, les faits parlent assez haut ; ils répondent ici
suffisamment aux paroles de l'honorable M. Delehaye. J'ai dit que Retsin est
traité à Turnhout avec plus de sévérité que ne le sont ordinairement les
condamnes qui ont obtenu l'autorisation de subir une peine correctionnelle de
plus de 6 mois dans une maison d'arrêt.
La décision relative à la pistole prise par M. le gouverneur d'Anvers
est là pour confirmer ce que j'avance. La santé de Retsin a été compromise par
le régime auquel il était assujetti. Des rapports ont été faits à cet égard, et
c'est seulement lorsqu'il a été démontré que l'humanité réclamait certaines
modifications à la sévérité du régime suivi à son égard, qu'un poêle a été
placé dans la cellule qu'il occupe. Mais, je le répète, il est encore
aujourd'hui traité plus sévèrement que ne le sont ordinairement les autres
prisonniers de la même catégorie, auxquels la faveur de la pistole a été
souvent accordée.
L'honorable M. Delehaye est revenu aussi sur les allégations de
l'honorable M. Verhaegen en ce qui concerne l'exposé des motifs du projet de
loi relatif à l'augmentation du personnel du tribunal de Louvain.
Je me borne à rappeler que je ne conçois pas qu'on puisse me supposer
l'intention de cacher le rapport de la cour d'appel, alors que j'indiquais
moi-même ce rapport, qui devait nécessairement être produit dans la discussion.
Je déclare de plus qu'au moment où l'honorable M. Delehaye a demandé
l'impression du rapport dont il s'agit, les chiffres étaient préparés pour la
publication des tableaux que je voulais faire imprimer avec ce rapport.
L'honorable membre a parlé de nouveau de la nomination du juge de paix
d'Herzeele, et je suis heureux que dans cette circonstance l'honorable M.
Delehaye ait reconnu que pour une autre justice de paix, au moins, j'avais bien
fait de ne pas nommer un candidat qui avait antérieurement mal rempli ses
fonctions.
M. Delehaye. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Qui n'aurait pas été à la hauteur
de ses fonctions. Mais si j'ai bien fait à Waerschoot, j'ai également bien agi
à Herzeele L'honorable membre pense que celui qui a été nommé est incapable, je
ferai observer que le juge de paix qui a été nommé à Herzeele avait rempli
pendant 11 ans ces fonctions comme juge suppléant, à Ninove et que j'avais reçu
non seulement sur sa moralité mais aussi sur sa capacité les renseignements les
plus flatteurs du juge de paix de Ninove, qui était plus à même que personne de
l’apprécier. (Interruption.)
Je dis donc que les renseignements reçus sur le compte du juge de paix
d'Herzeele lui étaient favorables, tant sous le rapport de la moralité que sous
celui de la capacité ; je dis de plus que la circonstance que j'ai alléguée a
été pour moi déterminante : c'est que le juge de paix qui serait nommé,
habiterait d'une manière permanente la commune d'Herzeele.
Un mot, messieurs, sur les auditeurs militaires.
L'honorable M. Delehaye m'a demandé si je songerais bientôt à faire améliorer
la position des auditeurs militaires. Une proposition avait été faite en faveur
de ces magistrats, lors de la discussion de la loi qui a augmenté les
traitements des membres de l'ordre judiciaire ; je m'étais rallié à cette
proposition qui a été rejetée par la chambre, et je ne pense pzs que ce soit
après un intervalle d'un ou de deux ans qu'il soit possible de proposer à la
chambre de revenir sur une semblable décision.
- La clôture est demandée.
M. Lys (contre la clôture). - Messieurs, si
je suis forcé d'ajournés mes observations jusqu'à la discussion des articles,
je serai nécessairement amené à provoquer une nouvelle discussion générale ;
j'ai à parler des églises cathédrales, des séminaires, du déplacement des
desservants ; des orateurs me répondront, et le débat pourra dès lors devenir
plus ou moins long. C'est donc pour ménager le temps de la chambre, que je la
prie de ne pas clore aujourd'hui la discussion générale.
- La clôture est mise aux voix par appel nominal. La chambre n'est plus
en nombre.
La séance est levée à 5 heures.