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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 février 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Dumont, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 820) M. Van Cutsem procède à l'appel nominal à 1 heure.

M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Cutsem communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur François-Dominique Rynaerds, cultivateur à Eysden, né à Venloo, demande la naturalisation ordinaire. »

« Même demande du sieur J.-B. Dujardin, tisserand à Néchin, né à Leers (France). »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Les notaires du canton de Saint-Nicolas demandent la prompte discussion du projet de loi sur le notariat. »

« Même demande des notaires cantonaux de l'arrondissement de Gand. »

- Renvoi à section centrale qui a été chargée d'examiner le projet.


« Les notaires du canton de Wetteren demandent la prompte discussion du projet de loi sur le notariat, le maintien du nombre actuel des notaires et une disposition qui réserve aux notaires le droit exclusif de procéder aux ventes des biens immeubles. »

- Même renvoi.


« Les administrations communales de Lichtervelde, Zwevezeele et Ruddervoorde demandent la prompte mise en culture du Vry Geweyd et la nomination d'une commission chargée du défrichement de cette bruyère. »

M. Rodenbach. - Messieurs, la pétition dont on vient de faire l'analyse et que j'ai été chargé de remettre à la chambre, nous a été adressée par les collèges échevinaux de Lichtervelde, Zwevezeele et Ruddervoorde.

Ces trois régences demandent que le Vry Geweyd soit compris dans le projet de loi e^t qu'il soit pris des mesures réglementaires pour arriver à son défrichement.

Je prierai la chambre de bien vouloir ordonner le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur le défrichement. Mais comme elle indique plusieurs mesures réglementaires à prendre, je demanderai aussi son renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

- Cette proposition est adoptée.


« Le comte Isidore de Looz-Corswarem demande que la commune de Westwezel soit autorisée à aliéner ses bruyères afin d'en faciliter le défrichement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les défrichements.


« Le sieur Van Campenhout demande que les traitements des fonctionnaires publics au-dessus de 500 francs soient soumis à une retenue de 5 p. c. en faveur des classes nécessiteuses. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Pilton demande que les chevaux que les maîtres de poste doivent tenir, soient exempts de la contribution établie par la loi de 1822, jusqu'à ce qu'on ait pris des mesures relativement à la poste aux chevaux. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Everghem, demande que les étoupes soient prohibées à la sortie, et que les lins soient soumis à un droit de sortie de 50 p. c. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


« Le sieur Père, juge de paix du canton de Couvin, demande qu'une loi établisse une loterie composée de deux millions de numéros à un franc, dont le produit, déduction faite de la somme à répartir en primes et des frais, serait destiné à soulager la misère des Flandres. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Louis-Joseph Prévost, instituteur à Bruxelles, frappé d'une paralysie, demande une pension civique pour la part qu'il a prise aux combats de la révolution. »

M. Jonet. - Je proposerai à la chambre de renvoyer cette requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport. C'est une pétition qui a quelque rapport avec celle du major Boine.

- Cette proposition et adoptée.


« Le sieur Christophe Lamberty demande la canalisation de l'Amblève. »

M. d’Hoffschmidt. - Cette pétition mérite de fixer l'attention de la chambre ; ce n'est pas un simple vœu qu'émet le pétitionnaire, c'est un véritable et lumineux mémoire sur la canalisation de l’Amblève qu'il présente à la chambre. Ce mémoire démontre tous les avantages qui résulteraient de cette canalisation, pour un grand nombre d'industries importantes. Je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale qui a été chargée de l'examen du budget des travaux publics. Elle n'a pas encore terminé son travail, elle pourra examiner cette pétition et la comprendre dans son rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Moreau demande la suppression des ateliers de travaux organisés dans les dépôts de mendicité et dans les prisons. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres des conseils communaux de Lanaye, Canne, Eben Emael, Wonck, Roclenge, Bassange et Vlylingen demandent que le chef-lieu de l'ancien canton de justice de paix de Maestricht soit établi à Eben-Emael. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'établissement du canton de justice de paix de Sichen.


« Le sieur Block, sous-lieutenant pensionné, demande le remboursement de la retenue qui a été opérée sur son traitement depuis le 1er janvier 1840 jusqu'au 1er novembre 1841. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les administrations communales du canton de Maestricht-sud et celles des communes environnantes demandent la construction d'une route de Riempst à Hallembaye. »

M. Simons. - Je demanderai le renvoi à la section centrale du budget des travaux publics. Déjà une première pétition relative au même objet a été adressée à la chambre et renvoyée par elle à la section centrale du budget des travaux publics. Je désirerais que le rapport pût être fait avant la discussion de ce budget.

- La proposition de M. Simons est mise aux voix et adoptée.


« Le sieur Guillaume Van Esschen, sous-ingénieur au chemin de fer de l'Etat, déclare être le véritable auteur du système de locomotion aérienne dont le docteur Van Hecke s'est attribué l'inventeur. »

M. Lejeune. - M. Van Esschen prétend être le véritable inventeur de la locomotion aérienne, dont il a été question, il y a quelques jours, dans cette enceinte. Je ferai remarquer à la chambre que la marque de sympathie qu’elle a accordée au docteur Van Hecke est fondée sur le jugement très explicite d'un corps savant. Le sieur Van Esschen ne fait qu'alléguer un fait qui n'est appuyé d'aucune appréciation, d'aucune décision. Cette allégation ne peut infirmer en rien la décision prise par la chambre à la suite de la communication, qui lui a été faite, du rapport de l'Académie des sciences de Paris.

Je sais que les sieurs Van Hecke et Van Esschen ont été en relations, il y a une dizaine d'années, pour chercher un moteur aérien ; mais ils se sont séparés, et depuis lors, le docteur Van Hecke a inventé, paraît-il, un système essentiellement différent, système qui a été apprécié par l'Académie des sciences de Paris ; ce jugement vous a été mis sous les yeux. Nous nous sommes intéressés à une invention belge, nous n'avons pas décidé une question de priorité. Il y aurait une chose fort simple, ce serait de faire produire et de comparer les dessins des appareils ; on s'assurerait facilement s'il est question d'un système tout à fait différent et s'il est vrai, comme on veut le prétendre, que le sieur Van Hecke n'est que le copiste du sieur Van Esschen.

M. Delfosse. - Nous ferions bien de laisser l'examen de toutes ces questions à l'Académie des sciences, plus compétente que nous pour les résoudre.

M. Rodenbach.- On a adressé la communication faite par le docteur Van Hecke à M. le ministre de l'intérieur ; je ne vois aucun inconvénient à ce qu'on lui renvoie également la réclamation de celui qui, dans ce moment, se prétend le véritable inventeur.

Il prétend que l'appareil dont il réclame l'invention est tout autre. On n'a qu'à comparer les deux inventions pour s'en assurer.

Cela en vaut la peine, puisque cette invention fait sensation à Paris.

J'appuie donc le renvoi à M. le ministre de l'intérieur, pour qu'il cherche la vérité.

M. de Bonne. - Je partage l'opinion que vient d'exprimer l'honorable M. Rodenbach. Seulement j'ajouterai que le renvoi à M. le ministre de l'intérieur lui procurera la facilité de consulter les corps savants, l'Académie des sciences de Belgique ; car je ne pense pas que M. le ministre puisse apprécier ces découvertes, sur le vu des appareils. Ce sera à l'Académie des sciences à faire un rapport, qui pourra être communiqué à la chambre, par l'intermédiaire de M. le ministre de 1 intérieur.

M. de Garcia. - Je crois que la chambre doit se borner à prendre cette pétition pour notification. Celle pétition a pour objet une contestation sur une découverte nouvelle. Or, toute découverte constitue, pour son véritable auteur, un droit de propriété ; les chambres, pas plus que le gouvernement, ne sont juges de ces questions. S'il y a contestation, les tribunaux sont seuls compétents pour statuer sur une matière semblable.

On pourrait donc recevoir la pétition comme protestation sans plus, et sans entendre en aucune manière préjuger la question de savoir à qui appartient le mérite de la découverte dont s'agit.

M. Dumortier. - J'avais demandé la parole, pour faire la même remarque. Il est évident que nous devons nous borner à prendre les observations de M. Van Esschen purement et simplement pour notification

(page 821) S'il a une réclamation à faire sur la question de propriété, il pourra s'adresser aux tribunaux. S'il s'agit d'un brevet d'invention, il pourra s'adresser à M. le ministre de l'intérieur. Mais la chambre ne peut intervenir dans la question soulevée par M. Van Esschen.

Lorsque nous avons donné à M. Van Hecke une marque de sympathie en renvoyant à M. le ministre de l'intérieur le rapport de l'Institut de France sur sa découverte, nous n'avons eu qu'un but : celui de prouver que la Belgique n'est pas indifférente aux belles et grandes découvertes que font ses enfants.

Si un autre Belge réclame la priorité de l'invention, nous sommes incompétents pour résoudre cette question. Les corps savants eux-mêmes se considèrent comme incompétents sous ce rapport.

Vous en avez eu la preuve dans le rapport de l'Institut de France qui vous a été transmis. Ce corps savant déclare qu'il n'entend préjuger en rien la question de priorité de l'invention. C'est que ces questions appartiennent à un autre ressort que celui des sciences.

M. Van Esschen pourra réclamer, sur ce point, auprès de qui de droit.

Nous avons fait notre devoir, en donnant une marque de sympathie à un de nos concitoyens pour une découverte qui peut être considérée comme le commencement du dernier mot de la locomotion aérienne.

Maintenant nous devons nous borner à prendre la lettre de M. Van Esschen pour notification.

J'appuie cette proposition, qu'a faite l'honorable M. de Garcia.

M. d’Hoffschmidt. - Je partage entièrement l'opinion des deux honorables préopinants. Il me paraît impossible que la chambre prononce directement le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur. Ce serait contraire au règlement, puisque, d'après l'une de ses dispositions, toute pétition doit d'abord être renvoyée à une commission.

D'autre part, il ne nous appartient pas, comme on l'a dit avec raison, de préjuger une question de priorité.

Informé par les journaux que l'on réclame la priorité d'une invention, qu'il prétend être sienne, le pétitionnaire réclame à son tour. Cela n'est pas de notre compétence.

La chambre doit donc se borner à prendre la pétition pour information ; rien de plus.

Je suis donc d'avis, comme les honorables membres, qu'on ne doit pas adopter le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

M. Rodenbach. - Je ferai remarquer à l'honorable membre que le renvoi à M. le ministre de l'intérieur n'est pas du tout contraire au règlement. Nous avons des précédents, et entre autres celui du renvoi de la lettre de M. Van Hecke et de la décision de l'Académie des sciences de Paris.

Cependant je me rallie à la demande qui a été faite de prendre simplement la pétition pour notification.


M. le secrétaire donne lecture de la lettre suivante :

« Bruxelles, 18 février 1847.

« M. le président,

« Retenu chez moi par suite d'une maladie grave, je n'ai pu assister à la discussion du projet de loi sur le défrichement des bruyères qui intéresse si essentiellement la province à laquelle j'appartiens. J'aurais cependant désirer ajouter quelques mots à ce qui a été dit par mes honorables collègues du Luxembourg, et je prie la chambre de me permettre de les faire insérer au Moniteur.

« Je suis, M. le président, votre très humble serviteur.

« M. Zoude. »

M. Lebeau. - Messieurs, je sens fort bien que la position de l'honorable M. Zoude mérite des considérations ; nous y prenons tous le plus vif intérêt. Cependant il ne faut pas légèrement poser un précédent. Je ne pense pas qu'un collègue qui n'assiste pas à nos séances, puisse faire considérer son opinion extraparlementaire comme faisant partie de nos discussions. Rien n'empêche du reste que sous forme de lettre on fasse insérer dans le Moniteur telle opinion que l'on veut émettre ; mais la chambre n'a pas à s'occuper de cette insertion et ne peut la comprendre dans le cercle de ses travaux.

M. le président. - Si la chambre partage cette opinion, il sera entendu qu'elle n'a rien à décider sur la lettre de M. Zoude.

M. Lebeau. - Je me hâte de dire encore une fois, qu'il n'y avait dans mes observations rien de personnel à l'honorable M. Zoude, pour qui je professe de l'estime. Mais j'agirais de même à l'égard du meilleur de mes amis.


M. le secrétaire continue l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« La chambre de commerce de Bruges demande que la Société d'exportation ne puisse opérer sur des marchés d'Europe ni se livrer à la fabrication et qu'elle étende ses opérations à tous les produits de la Belgique. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la formation d'une société d'exportation.


« Le conseil communal de Bruges prie la chambre de porter à 37,000 francs le crédit demandé pour la continuation des travaux d'approfondissement du canal d'Ostende. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.


« Le conseil communal de Bruges prie la chambre d'adopter le projet de loi qui a pour but entre autres l'amélioration du régime des eaux du sud de Bruges. »

- Même renvoi.


M. le ministre de l’intérieur adresse à la chambre divers documents propres à l'éclairer dans la nomination des membres du jury d'examen.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces documents.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demanderai à la chambre de vouloir bien fixer un jour pour la nomination des membres du jury d'examen ; le sénat étant réuni, il pourrait également procéder alors aux nominations qu'il a à faire. Je proposerai jeudi prochain.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi relatif à la négociation et à la cote des chemins de fer

Rapport de la section centrale

M. Pirmez présente le rapport de la section centrale qui a examiné la proposition de M. Osy tendante permettre la cote des actions des chemins de fer à la bourse, sous certaines conditions.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Sur la proposition de M. le ministre des finances (M. Malou), la chambre fixe la discussion de cette proposition à la suite des objets qui se trouvent à l'ordre du jour.

Projet de loi réprimant les offenses à la personne royale

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) donne lecture du projet de loi suivant et de l'exposé des motifs qui l'accompagne. (Nous donnerons ce projet de loi.)

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet, et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi sur le défrichement des terrains incultes

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion continue sur l'article premier et les amendements qui s'y rapportent.

M. Desmet. - Messieurs, depuis que l'article premier a été modifié, j'y donnerai volontiers mon assentiment.

Il me semble que l'amendement présenté par l'honorable M. d'Huart à cet article doit ôter tout scrupule pour la question constitutionnelle, et que ce ne sera que quand l'utilité publique, l'intérêt général sera reconnu, que le gouvernement agira. L'utilité, la nécessité, je dirai même la nécessité urgente existe, que l'on prenne des mesures pour augmenter la culture des céréales. Ceci n'est que trop démontré quand on consulte la statistique commerciale et que l'on voit que l'entrée des grains surpasse de 600,000 à 700,000 hectolitres la sortie. Cependant on devrait être étonné que le manque des grains soit si fort, et qu'il n'y a pas trente ans, la Belgique avait trop de grains pour sa consommation ; ce ne peut être la culture qui en est diminuée ; car si celle des colzas a enlevé une part à celle des céréales, la part enlevée a été compensée par les dérodages, et par l'amélioration en général de l'agriculture ; ce ne peut être que l'immense augmentation de la population. Mais, quelle que soit la cause du manque, nous ne devons apprécier que le fait que nous avons trop peu de grains pour notre consommation et que nous en avons besoin de l'étranger ; c'est surtout dans ce moment-ci que le manque nous est sensible et même inquiétant, et sur ce point je dois attirer l'attention du gouvernement, parce que nous voyons tous les jours augmenter le prix des grains, et peut-être aurons-nous de la difficulté à nous procurer les grains dont nous avons besoin jusqu'à la récolte prochaine. Ce n'est pas que je veuille faire allusion à la nouvelle des journaux que la Russie aurait fermé ses ports à la sortie des grains ; mais une nouvelle qui paraît être exacte, c'est qu'aux Etats-Unis les prix des grains et farines ont subi une forte hausse. Je ne dis pas que la Belgique ait trop peu de grains jusqu'à la récolte prochaine ; mais le gouvernement ne doit pas perdre de vue cet objet, surtout qu'aujourd'hui l'Angleterre, la France et d'autres pays encore éprouvent de grands besoins et font des provisions extraordinaires et peut-être beaucoup au-delà de leurs besoins.

Je dis donc que c'est un fait que personne ne peut contester, qu'il faut, autant que possible, augmenter la culture des terres ; il faut donc chercher les meilleurs moyens pour arriver le plus facilement à ce but. D'après moi, ces moyens sont le dessèchement, le défrichement et l'amélioration de la culture ; c'est-à-dire tâcher de faire produire les terres et ensuite tâcher d'augmenter la quantité des engrais. et ici je dirai, en passant, que c'est bien dommage que l'on ait, pour ainsi dire, tué nos distilleries de grains, car ce n'est que par les engrais produits dans les étables des distilleries que l'on peut trouver un bon engrais pour bien cultiver les terres défrichées.

Le premier moyen que je viens d'indiquer, est celui du dessèchement, car si vous saviez combien de produits agricoles nous perdons annuellement par le défaut de l'écoulement des eaux des terres basses, des terres des vallées, qui, à cause de ce défaut, restent très longtemps humides et ne donnent aucun produit ! Et ce n'est pas seulement la Campine qui souffre de ce chef, mais aussi les Flandres, et je dirai toute la Belgique ; car depuis longtemps le dessèchement des terres basses a été négligé.

Puisque je parle de dessèchement, je dirai, messieurs, que j'ai surtout demandé la parole pour témoigner mon étonnement de ce que, dans la séance de samedi dernier, à l'occasion de la bruyère dont je viens de parler, deux membres de cette chambre aient plaidé une thèse assez étrange, en prétendant que la propriété dont il s'agit appartient à» l'Etat et qu'il peut la réclamer. Si ce n'est pas là une propriété communale dans toute la rigueur du mol, il n'est pas moins certain que la dotation faite par le seigneur de Wynendaele l'a été primitivement aux habitants de cette seigneurie pour jouir de toutes les récoltes que ce terrain produirait, et elle fut faite à perpétuité. Qu'est-ce donc qu'une propriété quand l'usufruit est perpétuellement à un tiers ? On peut certainement soutenir qu'une telle propriété a quelque objet, que la véritable propriété est à l'usufruitier, et que c'est lui seul qui peut en tirer les prix de vente, si l'on mettait ce terrain à vendre.

Je n'ai pas bien pu comprendre l'argumentation de l'honorable M. Maertens, qui, à ce qu'il paraît, a voulu soutenir que par la culture de céréales les habitants usufruitiers du vry-geweyd perdraient leur usufruit et en seraient expropriés au profit de l'Etat. Quoi ! du moment qu'on cultivera des céréales sur le terrain, ces habitants doivent cesser d'être usufruitiers et ne pourront plus jouir des profits de la dotation qui leur a été faite à perpétuité !

Je n'ai pu comprendre ce raisonnement... Lorsque ce bien a été donné, c'a été pour que l'on jouît de tous les produits quelconques qu'il produirait et cela perpétuellement ! Ceci me paraît évident ; et quel est le droit que l'on peut avoir dans un bien quand on n'a pas la jouissance des produits ?...

A cette occasion, je rappellerai que tout à l'heure on a présenté l'analyse d'une pétition dans laquelle on demande que le vry-geweyd de Lichtervelde puisse obtenir l'avantage qu'on a accordé à la Campine. Le projet de loi ne concerne pas telle ou telle partie spéciale du pays ; il s'applique à tout le pays. Je prie donc M. le ministre de l'intérieur pour qu'une partie de l'allocation du demi-million soit réservée aux habitants usufruitiers du vry-geweyd, pour les aider à faire les dessèchements dont cette bruyère a besoin, car ce terrain pèche surtout en ce que les eaux n'ont point d'écoulement et que, par cette cause, des marais se sont formés dans différents endroits et ne produisent rien. Si, donc, l'on trouve utile de faire aliéner cette bruyère, je pense que l'on ne pourra le faire sans que l'on ait auparavant fait des travaux pour la dessécher, et surtout une rigole maîtresse qui conduirait les eaux à la rivière ou au canal de Bruges à Gand ; car quand cette rigole sera creusée et que l'on verra que le dessèchement de ce terrain est praticable, on le vendra le triple ou le quadruple que l'on en obtiendrait, si l'on procédait à l'aliénation avant que ces travaux soient faits.

Je crois donc que sur la somme demandée pour dessécher et irriguer les bas-fonds, on devrait en accorder une partie au dessèchement du vry-geweyd, et je ne puis douter que le gouvernement le fasse ; dans le moment on en obtiendrait un double avantage. Ce sera une belle occasion-de procurer de l'ouvrage aux pauvres qui sont en grand nombre dans les contrées où se trouve le pâturage du vry-geweyd.

Quand votre rigole sera faite, vous vendrez les biens beaucoup mieux qu'à présent. Maintenant vous ne pouvez vendre que des marais dont vous n'obtiendriez qu'un très bas prix, tandis que vous auriez un prix très élevé si vous aviez fait seulement la rigole principale qui doit rendre la culture possible.

Quoi qu'il en soit, ce bien qui contient 3 ou 400 hectares, quelque prix qu'on en obtienne, ne peut jamais revenir à l'État ; si on le vend, ce doit être au profit des habitants.

Nous avons une grande quantité de terrains incultes qu'il faut tâcher de cultiver. Après les irrigations, il faut avoir recours au défrichement.

Le meilleur moyen de défrichement, d'après mon opinion, c'est l'augmentation de la population, afin de pouvoir défricher au moyen de la petite culture ; ensuite la construction de routes et de canaux et l'introduction de l'industrie afin de faire arriver la population. On est dans l'erreur quand on croit faire du défrichement l'objet de spéculations. Le défrichement en grand est impossible ; il ne peut réussir que par la petite culture.

Dans la Campine, tout le monde voit le projet de loi avec faveur ; on veut vendre pour défricher, il n'y a pas de contestation. Quant à la Constitution, elle est hors de cause. La distinction qu'on a voulu faire entre l'intérêt général et l'utilité publique n'est qu'une dispute de mots ; l'objet de l'article 11 est l'intérêt général.

Or, y a-t-il un intérêt général plus manifeste que celui de nourrir le pays, et de faire produire au sol les céréales nécessaires pour la population ?

J'engage le gouvernement à ne pas faire de ventes en masse, parce que, si la spéculation s'en mêle, au lieu de cultiver des céréales, on fera des sapinières, ce dont nous n'avons pas besoin ; les prix des sapins sont si bas qu'on ne peut plus les vendre ; la Campine doit venir à Alost pour vendre ses sapins.

Le moyen proposé ne présente pas les mêmes avantages pour le Luxembourg. Cependant l'amendement de l'honorable M. d'Huart prévient des inconvénients qu'on a craints ; quand il n'y aura pas utilité publique, on ne vendra pas. Je conçois très bien que le Luxembourg, en voyant le paupérisme qui s'est développé dans les Flandres tandis qu'il y a échappé jusqu'à présent, redoute de voir vendre ce qui jusqu'à présent a fourni combustible et comestible à sa population. En effet les administrations communales doivent y penser à deux fois avant de laisser vendre ces propriétés ; mais l'amendement de M. d'Huart obvie à tout cela.

Je répète, en terminant, que le domaine de Vry Geweyd n'a jamais été considéré comme bien de l'Etat ; c'est un bien communal ; si on le vend, ce doit être au profit des habitants.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, en vous proposant mon amendement à l'article premier de la loi sur le défrichement des terrains incultes, je n'ai pas eu l'intention d'imposer mon système, mais bien de donner quelques idées qui me paraissaient être de nature à modifier l'article premier du projet de loi en discussion.

Je ne suis pas opposé au système d'expropriation des biens communaux d'une manière absolue. C'est simplement dans le cas où l'administration communale persisterait à laisser improductives les bruyères communes dont la régie leur est attribuée, que j'autoriserais par mon vote l'expropriation ; quant à l'expropriation pour cause d'utilité générale ou publique, les principes sont admis et je les respecte.

L'autorisation donnée au gouvernement d'exproprier les propriétés communales restées en bruyères, ou terrains improductifs quand même, me paraît être dangereuse, exorbitante, et elle ne cadre pas avec mes principes qui sont de chercher, par la douceur et par la persuasion, à atteindre un but utile.

Je donnerais même l'autorisation au gouvernement d'infliger des peines légères contre les opposants à la mise en produit de leurs bruyères, en même temps que je l'autoriserais à accorder des faveurs aux communes qui consentiraient à mettre immédiatement en produit les terrains incultes.

Dans la séance du 10 février, j'ai signalé un mode de jouissance des biens communaux en friche et improductifs.

C'est l'abandon d'une portion de terrain communal à chaque habitant en jouissance pour un laps de temps déterminé, mais assez long, pour 40 années au moins.

C'est un bon moyen de parvenir à mettre en produit les bruyères communales, j'en ai acquis l'expérience par ce qui a été fait dans plusieurs communes.

C'est avec discernement qu'on doit procéder au partage d'une partie des landes entre les habitants. Si, par exemple, on en assignait une trop forte portion à chaque ménage, on s'exposerait à ne pas réussir à la voir défricher convenablement et promptement. Le proverbe dit que, quand il y a trop à faire, souvent on ne fait rien.

Dans le début on ne devrait pas, selon moi, accorder dans le partage plus d'un hectare à chaque ménage en jouissance. L'obligation de défricher et de mettre en produit cette portion abandonnée en jouissance, dans les quatre années à partir de cet abandon, devrait être imposée, c'est-à-dire avant l'expiration de quatre années.

Si les administrations communales trouvaient d'autres moyens de mettre en produit les biens incultes, libre à elles de suivre le mode qu'elles croiraient le plus convenable ; mais dans tous les cas une époque devrait être fixée pour que le défrichement fût terminé.

Cette disposition est réglementaire et doit être appliquée avec discernement aux diverses localités et selon les circonstances.

Si, contre toute attente, des administrations communales se refusaient à mettre en produit leurs biens incultes, après cinq ans à partir de la promulgation de la loi, la députation du conseil provincial entendue et sur son avis conforme, le gouvernement serait autorisé à exproprier les terrains incultes de ces communes.

Il me paraît qu'au moyen de ces dispositions, on parviendrait à un résultat satisfaisant et qu'on éviterait une mesure violente à laquelle il me répugne de consentir ; en thèse générale, ce n'est que comme exception qu'elle peut être autorisée. Tels sont mes principes.

Je crois devoir terminer ici mes observations en ce qui concerne le défrichement des bruyères et des terrains incultes appartenant aux communes.

Ma tâche ne serait pas remplie, si je me bornais à ce qui concerne les landes communales. Il existe des bruyères et des landes possédées par des particuliers, et l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous soumettre a bien plus de rapport à cette espèce de propriétés qu'elle n'en a à la propriété communale.

On partagera cette opinion, si on fait attention que sur 300 mille hectares de terrains incultes et presque improductifs qui sont de qualité à produire, 100 mille hectares de terres en bruyères au plus appartiennent aux communes, tandis que 200 mille hectares appartiennent à des individus contre lesquels la loi ne prend aucune disposition afin de les obliger à rendre plus productifs les landes qu'ils possèdent, et qui cependant produisent quelque chose et qui ne payent aucun impôt à l'Etat.

Je me trompe, l'hectare de bruyère paye un ou deux centimes d'impôt foncier annuellement.

Un hectare qui, il y a trente ans, était chargé de bruyères, appartenant à la même classe, en ce qui concerne la nature du sol, qu'un hectare qui aujourd'hui se trouve encore en bruyère, cet hectare de l'ancienne bruyère défrichée paye un impôt foncier de trois et quatre francs quand l'hectare de terre de même qualité par sa nature restée en bruyère ne paye qu'un centime à raison d'un revenu fixé à 10 centimes. Ce mode d'impôt a favorisé le fainéant ou l'insouciant et a frappé l'homme actif qui a contribué au bien-être public, au bien-être général.

Je vous le demande, messieurs, est-ce ainsi que l'on a entendu le cadastre ? Je ne le crois pas. En ce qui concerne les terres arables, les opérations cadastrales prouvent que je suis dans le vrai.

Pour frapper l'impôt foncier, les différentes espèces de terre ont été divisées eu classes d'après leur nature en leur assignant un revenu imposable sur lequel on devait répartir l'impôt foncier, et on n'a eu aucun égard au plus ou au moins de produits qu'en obtenait le propriétaire.

Lors de la formation du cadastre, des propriétaires mauvais cultivateurs ont réclamé sur le revenu imposable assigné à leurs propriétés, ils ont prétendu que le revenu qu'ils obtenaient de telle pièce de terre était loin de valoir le produit de telle autre.

La réponse ne s'est pas fait attendre, on leur a dit : Votre terre est de même nature et qualité que la terre que vous considérez comme supérieure à la vôtre ; si vous n'obtenez pas autant de produit que le cultivateur (page 823) propriétaire contre lequel vous réclamez, vous ne devez vous en plaindre qu'à vous-même ; cultivez mieux, et vous aurez le même produit sur votre terre que votre voisin obtient sur la sienne.

Cette disposition aurait, selon moi, dû être appliquée aux bruyères. Le possesseur de bruyères qui néglige de les mettre en produit doit-il être exempt de l'impôt foncier ? La bruyère doit-elle être considérée comme landes improductives ? Je ne le crois pas ; en suivant ce principe ce serait favoriser la fainéantise au moins, pour ne rien dire de plus.

Les employés du cadastre ont classé les différentes espèces de terres cultivées, leur ont assigné une valeur imposable, non d'après la valeur de leurs produits, mais bien d'après ce qu'elles pouvaient produire comparativement avec d'autres terres de même qualité.

Si on a agi de cette manière pour les terres cultivées, on aurait dû suivre la même marche pour établir le revenu imposable des bruyères, on aurait dû les imposer, non d'après leurs produits mais bien d'après ce qu'elles pouvaient produire. En d'autres termes, les agents du cadastre auraient dû les diviser par classes comme ils l'ont fait pour les terres arables et leur assigner un revenu imposable d'après leurs qualités. Au lieu d'agir de cette manière, on a considéré les terres chargées de bruyères comme terres vagues, à l'impôt d'un centime représentant un revenu de dix centimes. Cette opération était fort commode, on en conviendra.

Messieurs, on est dans l'erreur quand on suppose que les bruyères des Ardennes sont improductives. Je vais prouver que les propriétaires de bruyères intelligents retirent certain produit de ces terrains. Sur un laps de temps de 18 ans ils louent un hectare de bruyère pour sartager une fois au prix de 80 fr., ci 80 00

C'est le seigle qui en est le produit ; dans le seigle on y sème des genêts, qui, au bout de quatre années, valent environ 80 fr., ci 80 00

Trois ans après, la deuxième récolte de genêts vaut 50 fr. par hectare, soit 50 00

Dix années de pâturage à raison de 2 fr. par hectare, soit 20 00

Total, fr. 210 00

Il résulte donc qu'un hectare de bonne bruyère donne, en 18 années, un produit de fr. 210 ; qui, divisé par 18, donne annuellement un revenu de fr. 12. Si j'ajoute 6 fr. pour la jouissance de la chasse sur un hectare de terre, pendant 18 ans, les propriétaires des bonnes bruyères payent 1 à 2 centimes pour un revenu de 12 fr. ; tandis que celui qui a défriché sa bruyère paye 3 et 4 fr. pour un revenu au plus de 50 fr. On conviendra qu'il y a là injustice.

D'après ce qui vient d'être établi, doit-on être surpris que les bruyères restent dans l'état où elles sont ?

Ces faits justifient la proposition que j'ai soumise à la chambre, une augmentation d’ impôt graduée et progressive-, et mieux vaudrait encore procéder à l'expertise des bruyères, comme cela a eu lieu pour les terres arables, afin de connaître le montant de ce qu'elles peuvent produire ; en d'autres termes, pour fixer le revenu par suite d'une bonne culture, et de le frapper de l'impôt foncier immédiatement, d'après le revenu présumé, comme on l'a fait pour les terres arables.

Chaque commune des Ardennes a d'anciennes bruyères défrichées, qui payent l'impôt foncier. On devrait fixer le revenu imposable des bruyères par analogie et par comparaison de la nature du sol.

Afin d'encourager le défrichement, on pourrait affranchir les bruyères mises en culture ou converties en bois, pendant un nombre d'années assez long.

Selon moi, c'est le seul moyen d'obtenir un bon résultat.

Avant de terminer, je dois encore appuyer sur l'injustice de faire payer 3 ou 4 fr. d'impôt foncier sur une terre défrichée, estimée d'un produit net de 30 à 36 fr., quand un hectare de bruyère de qualité égale en ce qui concerne la qualité du sol, ne paye que 1 ou 2 centimes sur un revenu de 12 fr. qui représente 6 centimes ou pour un revenu égal à une terre d'ancienne bruyère, qui, défrichée, paye 3 fr. d'impôt foncier au moins.

On doit convenir que le mode suivi est loin de provoquer le défrichement des bruyères. Tout au contraire.

Loin de favoriser le propriétaire qui néglige de faire produire sa propriété, il devrait être puni, tandis que celui qui fait des dépenses dont le résultat est d'augmenter la production, devrait être favorisé.

Eh bien, messieurs, je vous l'ai démontré, c'est le système opposé qui est suivi en Belgique.

Le producteur paye trois francs par hectare de terre qu'il possède ; le négligent ne paye qu'un centime à un centime et demi.

On nous dira peut-être que le gouvernement qui fera procéder à l'expertise des bruyères, est intéressé à en établir le revenu à un taux élevé, vu que c'est sur ce revenu qu'on établira l'impôt foncier ; cette observation serait fondée si l'impôt foncier était un impôt de quotité, mais il n'en est pas ainsi. L'impôt foncier est un impôt de répartition dont le montant est voté tous les ans par la législature.

En résumé, si vous voulez obtenir le défrichement des bruyères, favorisez les propriétaires qui défrichent, par une exemption d'impôt ;

Frappez de contributions les bruyères qui sont laissées en friche et de nature à produire.

Que cet impôt soit établi, non d'après les produits actuels, mais par rapport à la qualité du sol et d'après les produits qu'elles sont susceptibles de donner.

C'est ainsi qu'on s'est conduit pour établir le revenu des terres labourables. Pourquoi en est-il autrement en ce qui concerne les terres en friche et susceptibles de donner des produits ?

Si on admettait ce mode, on verrait, en peu d'années, les bruyères produire des céréales, des fourrages, du bois ; on verrait la race bovine ardennaise s'améliorer ainsi que la race ovine. Et la grande partie des bruyères disparaîtrait et les produits alimentaires seraient considérablement augmentés, particulièrement la viande, le seigle et l'avoine ; et, dans un temps peu éloigné, nous nous affranchirions du tribut que nous payons à l'étranger, qui nous procure les bois du Nord.

Je termine en invitant le gouvernement à méditer les idées que je viens d'émettre, et à formuler un nouvel article premier, ayant égard aux moyens que j'ai signalés, et qui consacre en principe que l'expropriation ne pourra avoir lieu qu'autant que les communes persisteraient dans la volonté de laisser leurs biens communaux en mauvaise pâture ; que pour autant qu'il aura été reconnu qu'ils sont de nature à produire des céréales, des fourrages ou du bois.

M. d’Hoffschmidt. - J'ai demandé la parole seulement pour présenter quelques amendements. Je n'ai pas voulu laisser clore la discussion sur l'article premier avant de vous soumettre ces amendements, parce qu'une fois la discussion close, je n'aurais plus été admis à les présenter.

Voici comment ces amendements sont conçus :

« En cas d'adoption du principe d'expropriation consacré par l'article premier du projet du gouvernement, je propose les amendements suivants :

« Art. 1er, § 1er. Remplacer les mots : « Soit à des communautés d'habitants qui en font usage par indivis, » par les mois suivants : « Soit à des sections de communes ».

« Ajouter à la fin du § 1er : « Et les habitants par une information de commodo et incommodo. »

« Ajouter ensuite un paragraphe nouveau ainsi conçu :

« Dans tous les cas, le gouvernement devra faire lever le plan de la propriété qu'il est question d'aliéner et procéder à son expertise. »

« Art... nouveau. La faculté accordée au gouvernement par les articles précédents (1 et 2), ne pourra s'appliquer qu'au tiers seulement des terrains incultes appartenant à chaque commune ou section de commune. L'aliénation des deux autres tiers ne pourra s'opérer qu'avec l'assentiment du conseil communal. »

Voici les motifs qui m'ont dirigé dans la présentation de ces amendements :

Dans l'article premier tel qu'il est présenté par le gouvernement, on trouve la phrase suivante : « La vente des terrains incultes, bruyères, sarts, vaines pâtures et autres reconnus comme tels par le gouvernement, dont la jouissance ou la propriété appartient soit à des communes, soit à des communautés d'habitants qui en font usage par indivis ». Or, par cette dernière expression on pourrait entendre que la loi s'applique à ce qu'on appelle en Ardennes des quartiers.

Ce sont de véritables propriétés particulières, indivises entre plusieurs particuliers, transmissibles, qu'on peut aliéner, hypothéquer ; les administrations communales n'ont rien à y voir. Déjà l'honorable M. Eloy de Burdinne a demandé des explications sur ce point à M. le ministre de l'intérieur qui a répondu que le projet de loi ne s'appliquait pas à des propriétés possédées par indivis par des particuliers, mais aux propriétés possédées par des sections de commune. Je ne vois pas pourquoi on ne modifierait pas la loi dans le sens indiqué par M. le ministre de l'intérieur, la loi serait plus claire. C'est ce qui m'a déterminé à présenter l'amendement dont il s'agit.

Le deuxième amendement oblige le gouvernement à demander l'avis des habitants mêmes de la commune ; c'est ce qui se pratique aujourd'hui, quand il s'agit de vente de biens communaux ; non seulement l'administration communale prend l'initiative, par une délibération motivée ; mais les habitants, les chefs de ménage, sont invités à émettre leur avis par une information de commodo et incommodo. Je ne vois pas pourquoi cette disposition salutaire ne serait pas introduite dans la loi même, c'est une garantie de plus pour les communes et les habitants. En second lieu quand il s'agit d'aliéner une propriété communale, on en lève le plan et on fait procéder à son expertise. C'est une nouvelle formalité que nous devons exiger. Voyez la loi de 1810 sur les expropriations, elle entoure de formalités minutieuses les expropriations pour cause d'utilité publique. Eh bien, je croîs que nous devons faire de même.

Tels sont les motifs des amendements dont je viens de vous donner connaissance.

Quant à l'article nouveau que je propose, j'attendrai, pour en développer les motifs que la chambre ait pris une décision sur la disposition qui contient le principe d'expropriation.

Si ces dispositions étaient adoptées, je développerais les motifs qui m'ont engagé à présenter mes autres amendements.

M. Osy. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Messieurs, nous avons devant nous une quantité d'amendements et même des amendements qui sont tout à fait contraires les uns aux autres ; l'honorable M. de Mérode nous propose simplement une loi sur les irrigations, tandis que le gouvernement nous propose une loi sur les défrichements.

Je crois, messieurs, que le mieux serait de renvoyer tous les amendements à la section centrale et d'ajourner cette discussion à deux ou trois jours jusqu'après le rapport de la section centrale ; sans cela nous n'en finirons pas.

Je propose donc, messieurs, l'ajournement de cette discussion a lundi. L'ordre du jour est assez chargé pour que nous puissions nous occuper d'autres objets.

(page 824) La section centrale pourra nous faire rapport samedi, et nous reprendrons lundi l'examen du projet qui nous occupe.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la section centrale doit se réunir demain pour l'examen des amendements proposés par l'honorable M. d'Huart.

Postérieurement au dépôt de ces amendements, l'honorable comte de Mérode a proposé un amendement tendant à réduire simplement la loi aux irrigations. Cet amendement n'a pas été renvoyé à la section centrale.

Maintenant l'honorable M. d'Hoffschmidt vient de proposer deux amendements dont la portée est très faible ; car ils tendent simplement à consacrer par la loi ce qui se fait déjà en vertu des dispositions administratives. Il demande qu'il y ait un procès-verbal de commodo et incommodo, qu'il y ait un plan des propriétés à exproprier et une expertise. Cela ne peut souffrir aucune difficulté, puisque, je le répète, il s'agit de mesures déjà prescrites administrativement.

L'honorable M. d'Hoffschmidt demande en outre qu'au lieu de parler de communautés d'habitants, on dise : sections de communes. Messieurs, ces mots sections de communes ne répondraient pas entièrement au but. Je reconnais que tout ce qui est propriété privée est en dehors de la portée de la loi ; cela a été établi clairement. Mais il arrive que des habitants ont droit à la jouissance de certains biens communaux sans qu'ils forment pour cela une section de commune ; de ce nombre se trouvent les habitants qui ont droit à la jouissance du vry-geweyd. Il faut, particulièrement pour atteindre cette localité, maintenir la rédaction du projet primitif. Mais je le déclare de nouveau, il est clair que jamais le projet ne pourra s'appliquer aux quartiers, du moment où ces quartiers constituent une propriété privée.

Quant au paragraphe premier de l'article premier, qui consacre la faculté d'expropriation, vous vous trouvez en présence du projet du gouvernement adopté par la section centrale, et de l'amendement de l'honorable M. de Mérode, qui propose de limiter simplement la loi aux irrigations. Je demande que la chambre veuille vider cette question. Y aura-t-il un droit d'expropriation général, comme le propose le gouvernement, ou y aura-t-il un droit d'expropriation limité comme le propose l'honorable M. de Mérode ? Je ne vois aucune difficulté à continuer la discussion sur ce point.

Je vois, au contraire, des inconvénients assez sérieux à l'ajournement proposé par l'honorable M. Osy D'ici à lundi rien n'empêche que l'on ne prépare de nouveau des amendements et des discours, et que la discussion ne recommence. Je crois qu'au point où la discussion en est arrivée, alors que chacun a présent à la mémoire les arguments pour et contre, il vaudrait mieux vider la question posée dans le paragraphe premier de l'article premier. La section centrale saurait alors aussi à quoi s'en tenir quant aux amendements qui ont été déposés.

M. de Mérode. - Messieurs, comme vous l'a très bien expliqué M. le ministre de l'intérieur, mon amendement restreint le droit d'expropriation forcée aux terrains qui seraient susceptibles d'un système d'irrigation. Mais quelque autre membre de cette chambre a fait observer que mon amendement n'excluait pas d'autres motifs d'expropriation qui pourraient être indiqués dans les articles suivants.

Rien ne s'oppose donc à ce qu'on vote sur l'article premier et à ce qu'on adopte ou rejette mon amendement suivant ce qu'on jugera convenable. Mais, je le répète, mon amendement n'est pas exclusif de l'extension donnée à l'expropriation forcée pour d'autres cas. Je ne me rappelle pas quel est le membre qui a fait valoir cette considération dans la dernière séance.

Je crois donc, messieurs, que la chambre est suffisamment éclairée, et qu'après une aussi longue discussion, elle peut passer au vote.

M. le président. - M. le ministre de l'intérieur demande que la chambre se prononce sur le principe consacré par le paragraphe premier de l'article premier. Je pense que M. le ministre ne s'oppose pas à ce que, lorsque la chambre aura voté sur ce principe, les amendements présentés soient renvoyés à la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - M. le président, je pense qu'il n'y a rien à renvoyer à la section centrale.

Je ne diffère sur la rédaction de l'article premier, avec l'honorable M. d'Hoffschmidt, qu'en ce que cet honorable membre désire y introduire les mots « sections de commune » au lieu de « communautés d'habitants ». J'ai dit les motifs pour lesquels je m'opposais à cette substitution.

L'honorable membre demande qu'il y ait une enquête de commodo et incommodo, qu'il y ait un plan des propriétés à exproprier et une expertise. S'il désire que cela soit consigné dans la loi, je ne m'y oppose pas, puisque cela existe déjà d'après les règlements administratifs.

Les autres amendements, sauf celui de l'honorable comte de Mérode, sont déjà renvoyés à la section centrale. Demain vous aurez l'avis de la section centrale, et je pense que rien ne s'opposera à la continuation de la discussion.

On pourrait même dès maintenant discuter l'article premier en entier ; car les amendements de l'honorable M. d'Huart ne sont en aucune manière en opposition avec l’article premier. Les dispositions qu'il vous propose ne sont que des articles additionnels.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, il est certain qu'il y a maintenant beaucoup de confusion dans la discussion. Une foule d'amendements ont été présentés dans notre dernière séance ; et je viens également d'en présenter quelques-uns, qui à la vérité ne sont pas à beaucoup près aussi importants que celui qui nous a été soumis par l'honorable M. de Mérode, puisqu'ils ne s'appliquent qu'aux formalités de l'expropriation.

Il serait donc peut-être préférable, même dans l'intérêt de la discussion, d'adopter la motion de l'honorable M. Osy, non pour renvoyer la suite de l'examen du projet à lundi, mais pour la renvoyer au moment où la section centrale pourra nous présenter son rapport.

Il est certain, messieurs, que l'opinion même de la section centrale sur les amendements de l'honorable M. d'Huart et de l'honorable M. de Mérode peut avoir des conséquences pour l'article premier tel qu'il est présenté. Dès lors, je crois que M. le ministre de l'intérieur devrait se rallier à la motion d'ordre qui nous est présentée.

Je ne vois pas pourquoi nous continuerions la discussion maintenant où il y a de la confusion, où nous ne sommes pas d'accord sur ce qu'il s'agit d'adopter, tandis qu'après la présentation du rapport de la section centrale nous serions à même de nous prononcer en connaissance de cause ; nous aurons pu alors nous former une opinion sur l'ensemble des dispositions qui doivent constituer la loi.

Je sais bien que mes amendements n'ont pas une importance assez grande pour qu'ils puissent arrêter la discussion, mais il est possible que d'autres amendements viennent s'ajouter à ceux que j'ai présentés.

Je pense donc, messieurs, que sans retarder la discussion jusqu'à lundi, nous ferions bien de la suspendre, au moins jusqu'après la présentation du rapport de la section centrale, qui aura lieu probablement à l'ouverture de la séance de demain.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Ce qu'il y a de clair, messieurs, c'est que la motion de l'honorable M. d'Hoffschmidt n'avancerait rien, et qu'elle aurait au contraire pour effet de nous faire perdre la séance d'aujourd'hui ; car on n'est pas préparé à discuter d'autres projets.

Un membre. - On pourrait continuer à discuter la question de l'expropriation.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - S'il y a des orateurs qui veulent traiter encore la question de l'expropriation, rien ne s'y oppose ; mais la chambre pourrait statuer, dès à présent, sur le premier paragraphe de l'article premier. D'ailleurs, lorsque l'honorable M. Mast de Vries a présenté, samedi dernier, son rapport, il a été bien entendu que la chambre statuerait sur l'article premier, après la clôture de la discussion.

Il n'y a véritablement de nouveau que l'amendement proposé par l'honorable M. de Mérode. Or, messieurs, il y a seulement en présence deux questions : acceptera-t-on l'expropriation en règle générale, comme le gouvernement le propose, ou l'acceptera-t-on seulement pour le cas limité d'irrigation, comme le propose M. de Mérode ? Cette position de la question me paraît extrêmement claire, et il est impossible que la chambre ne la comprenne pas.

Quant aux amendements de l'honorable M. d'Huart, ils se bornent à accorder au gouvernement deux facultés nouvelles, celle d'ordonner la location par baux à long terme et celle d'ordonner dans certains cas le partage des terrains communaux entre les habitants de la commune, mais ces amendements ne sont nullement contraires à l'article premier. L'honorable M. d'Huart a déjà appuyé l'article premier et se trouverait à la séance si une indisposition ne l'avait empêché d'y assister ; mais il m'a informé qu'un refroidissement le retient chez lui.

M. d’Hoffschmidt. - M. le ministre de l'intérieur dit qu'on perdrait la séance, si l'on ajournait la discussion du projet de loi sur les défrichements ; c'est là une erreur, puisqu'il y a à l'ordre du jour d'autres objets sur lesquels on est suffisamment préparé.

Remarquez, messieurs, qu'en n'ajournant pas le vote, nous aurions, en quelque sorte, l'air de dire à la section centrale qu'elle ne nous fournira aucune nouvelle lumière sur l'article premier ; car, plusieurs des amendements se rapportent à cet article, notamment celui de M. de Mérode et celui de M. Eloy de Burdinne.

J'ai la conviction, messieurs, que tout ce que nous ferons avant que la section centrale nous ait présenté son rapport, n'avancera pas beaucoup la discussion de la loi. Cependant, si la chambre veut passer outre, je n'insisterai pas.

M. Eloy de Burdinne. - Je vous avoue, messieurs, que je me trouverais très embarrassé si je devais voter en ce moment sur l'article premier. Comme j'ai eu l'honneur de le dire, il me répugne de donner au gouvernement l'autorisation d'exproprier les biens des communes, et il me serait impossible d'adopter l'article premier s'il n'est pas modifié de la manière que j'ai indiquée ou de toute autre manière qui soit propre à me donner satisfaction ; je voudrais ne me prononcer que quand la section centrale nous aura présenté ses vues à cet égard. D'ailleurs, puisque les amendements ont été renvoyés à la section centrale, il me semble qu'il est convenable d'attendre son rapport avant de prendre une décision.

Je le répète, messieurs, dans le moment actuel, il m'est impossible de voler pour l'article premier, et s'il est mis aux voix tel qu'il est maintenant rédigé, je le repousserai, tandis que je pourrais l'adopter s'il était modifié.

M. Verhaegen. - On dit, messieurs, que nous allons voter sur une question de principe. Quant à moi, je le veux bien, parce que mon opinion est faite sur la question de principe. Mais alors décidez tout d'un coup que vous ne renverrez pas l'amendement de M. de Mérode à la section centrale, car si vous voulez le lui renvoyer, comme je comprends qu'on veut le faire, il faut bien laisser à la section centrale le temps d'émettre une opinion. Or, en votant sur la question de principe, vous vous prononcez par cela même sur l'amendement de M. de Mérode ; deux principes opposés sont en présence : le ministère, si je comprends bien sa thèse, demande l'expropriation de tous les terrains communaux qui sont incultes, sans exception ; M. de Mérode demande, au contraire, que l'expropriation (page 825) pour cause d'utilité publique se restreigne à ceux de ces terrains dont on a besoin pour arriver à l'irrigation, ce qui, d'après moi, comporte l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans le sens de la Constitution, et ce que je ne considère pas dès lors comme une atteinte à la propriété. Voilà donc deux principes diamétralement opposés, qui sont en présence, et si la chambre se prononce pour l'un de ces principes, il ne s'agit plus de renvoyer l'amendement de M. de Mérode à la section centrale. (Interruption). On dit qu'il est renvoyé.

Des membres. - Non ! non !

D’autres membres. - Ils sont tous renvoyés.

M. Verhaegen. - On dit d'un côté : « Ils sont tous renvoyés, » et d'un autre côté on dit qu'ils ne sont pas renvoyés.... (Interruption.)

Messieurs, en prenant la parole, je n'ai eu d'autre but que d'engager la chambre à ne pas faire une inconséquence. Je dis, quant à moi, que mon opinion est faite sur les deux questions qui se trouvent en présence et qui sont diamétralement opposées l'une à l'autre, et si l'on veut décider que l'amendement de M. de Mérode ne sera pas renvoyé à la section centrale, mais qu'on l'appréciera dès à présent en votant sur la question de principe, si l'on veut suivre cette marche, j'y consens volontiers ; mais comme on prétend, d'un autre côté, que l'amendement est renvoyé à la section centrale, il faudrait alors commencer par défaire ce qui a été fait. Maintenant, qu'on se mette d'accord, l'amendement de M. de Mérode a-t-il, oui ou non, été renvoyé à la section centrale ?

M. le président. - L'amendement de M. de Mérode n'a pas été renvoyé à la section centrale ; la proposition de M. Osy tend à ce qu'il lui soit renvoyé ainsi que les autres amendements.

M. de Mérode. - Peut-être mon amendement n'a-t-il pas été formellement renvoyé à la section centrale. Mais dès que la section centrale sera appelée à donner son avis à la chambre sur tout ce qui a été présenté, il est évident qu'elle devra s'occuper de mon amendement comme des autres ; car il est assez important pour qu'elle s'en occupe, sans y avoir été formellement invitée.

Si l'on veut voter dès aujourd'hui, je ne m'y oppose pas, mais ce n'est pas par le motif que la section centrale ne devait pas s'occuper de mon amendement ; c'est par un autre motif que je ne connais pas.

M. Osy. - Je croyais que l'amendement de l'honorable M. de Mérode avait été renvoyé à la section centrale. Puisqu'il n'en est pas ainsi, je crois que nous pouvons continuer la discussion.

Je retire donc ma proposition.

M. le président. - La proposition étant retirée, la discussion est reprise sur l'article premier.

La parole est à M. Rogier.

(page 827) M. Rogier. - La grande confusion qui règne dans la discussion révèle une chose, c'est que le projet de loi qui nous est soumis n'a pas été suffisamment élaboré ; c'est qu'il n'a pas été préparé, peut-être, avec un ensemble de vues, une fixité de principes et de système tels que la majorité de la chambre ait pu s'y rallier tout d'abord, et que M. le ministre lui-même ait pu y trouver la force de détruire presque immédiatement et cette multitude d'objections et cette nuée d'amendements, qui, jusqu'ici, sont tombés sur le projet de loi.

Je suis le premier à reconnaître les intentions du ministère dans cette question. Je crois que le ministère a eu des vues louables. En présence de la situation malheureuse d'une partie de la population, en présence de la crise des denrées alimentaires, le ministère a songé aux moyens de donner à l'agriculture une impulsion nouvelle. Il a voulu mettre en pratique une idée souvent produite par les organes de l'opinion publique, l'idée des défrichements.

Cette idée, je le reconnais, est très bonne en elle-même ; mais je le répète, je crois que le gouvernement ne s'est pas entouré de lumières suffisantes ni arrêté à des principes assez fixes.

Le projet de loi renferme deux dispositions qui se combattent l'une l'autre ; l'article premier et l'article 2 sont en quelque sorte en révolte l'un avec l'autre.

Pour arriver aux défrichements, il y a une mesure préalable sur laquelle toutes les opinions sont d'accord dans cette chambre et au-dehors. Pour arriver aux défrichements, il faut des travaux publics. Ces travaux sont de diverse nature. Spécialement dans la Campine, il faut des travaux d'irrigation ; c'est là le point de départ indiqué par l'ingénieur Kummer, et d'où l'on est parti pour demander à la chambre les crédits nécessaires à l'exécution des premiers travaux.

Mais, outre l'argent, l'ingénieur réclamait une autre faculté, celle d'obtenir l'expropriation des biens communaux, alors que les communes feraient résistance.

En cet état de choses, que le gouvernement, voulant arriver au défrichement par des travaux d'irrigation ou autres, vienne demander à la législature le droit d'exproprier les communes qui feraient opposition à l'exécution des travaux dont l'exécution préalable est nécessaire pour les défrichements, je le conçois. Je crois que tout le monde serait d'accord pour donner ces pouvoirs au gouvernement et, pour ma part, je suis disposé à les lui voter immédiatement, si tant est qu'il soit nécessaire de lui donner de nouveaux pouvoirs, et que la législation actuelle ne lui suffise pas.

J'irai même plus loin. Et ici je me rapproche de l'amendement de l'honorable M. de Mérode, si je l'ai bien compris.

Je crois que le gouvernement pourrait demander à la législature le droit d'exproprier les terrains vagues, non pas seulement dans la limite des besoins des travaux publics, mais même au-delà de cette limite, et dans un certain rayon, sauf, après les travaux exécutés, à revendre les différentes parcelles et à s'indemniser ainsi des frais qu'auraient entraînés les travaux.

Voilà un système, système assez grand en lui-même pour faire l'objet d'une loi. Je crois que le gouvernement aurait dû, quant à présent, se borner là.

Car de quoi s'agit-il ? De défrichement de terrains incultes. Pour défricher de terrains incultes, qu'y a-t-il à faire d'abord ? Des travaux préparatoires, des travaux d'amélioration.

Une fois ces travaux exécutés, qu'y a-t-il à faire ? Commencer les défrichements. Si les communes, après qu'on les a mises en mesure de défricher, résistaient obstinément, alors vous puiseriez votre droit d'expropriation dans les travaux mêmes que vous auriez faits, pour les mettre à même de défricher.

Mais soyez-en sûrs, lorsque, par vos travaux préparatoires, vous aurez amélioré les conditions de culture et mis les communes en position de défricher, les ventes et les défrichements se feront en quelque sorte d'eux-mêmes. Les communes seront intéressées à vendre ; il arrivera pour toutes les localités ce qui est arrivé pour les communes où les ventes de certaines bruyères, favorisées de travaux d'irrigation, se sont élevées à des sommes considérables.

Ce qu'ont voulu, avant tout, les autorités consultées, c'est que des travaux préalables au défrichement fussent exécutés. Convient-il, dès lors, qu'il soit procédé immédiatement au morcellement des bruyères communales ? N'est-ce pas le contraire qui devrait avoir lieu ? Aussi voyons-nous M. l'ingénieur Kummer demander, en vue de ses travaux projetés, qu'il soit sursis à l'aliénation des bruyères communales.

Et en effet, quand il s'agit d'exécuter des travaux publics et notamment des travaux d'irrigation, il est bien plus facile d'avoir affaire à des terrains communaux appartenant à un seul propriétaire, qu'à des terrains morcelés entre cinquante ou cent propriétaires.

Il y a en quelque sorte contradiction à vouloir, d'une part, procéder au morcellement des propriétés, et, d'autre part, à demander l'exécution de travaux publics sur ces mêmes propriétés.

Les morceler après qu'on aura exécuté les travaux préparatoires, je le conçois ; mais les morceler avant ces travaux, c'est aller au rebours de l'esprit pratique et du sens commun.

Ainsi, messieurs, logiquement, pratiquement, c'est au principe de l'article 2 de la loi que M. le ministre de l'intérieur aurait dû d'abord s'attacher- ; c'est ce principe dont il aurait dû demander l'extension aux chambres, si tant est qu'il ne trouvât pas dans la législation actuelle des moyens suffisants.

L'opinion que j'émets ici ne m'est pas purement personnelle. Je puis l'appuyer d'une foule d'observations particulières exprimées dans l'enquête, d'ailleurs assez confuse, qui accompagne le projet de loi. Tout le monde était d'accord sur la nécessité de travaux préalables. Je laisse de côté le Luxembourg. Après les observations qui ont été présentées, je ne sais si M. le ministre de l'intérieur a l'intention d'appliquer la loi au Luxembourg. Je connais plus particulièrement la Campine, et c'est surtout de la Campine que j'entretiens en ce moment la chambre. Voici le résumé des opinions émises par diverses autorités : « C'est dans l'emploi d'un système raisonné d'irrigation, que nous faisons consister toute la prospérité future de la Campine. » (Opinion de M. Ruminer.)

« La création de prairies artificielles (condition sine qua non) ne peut être efficace qu'exécutée d'après un système d'ensemble combiné, et convenablement approprié à la nature et à la disposition des localités.

« Pour être efficace, pour être praticable, la création des prairies artificielles ne peut être abandonnée à l'industrie particulière. » (Le même.)

« Les voies de communication de tout genre sont pour l'agriculture les premiers éléments de prospérité. Nos landes ne se défricheront pas tant que les voies de communication ne les sillonneront pas de toutes parts ; les routes leur sont nécessaires, les canaux indispensables. » (Conseil supérieur d'agriculture.)

« Le gouvernement fera l'acquisition à titre définitif, pour plus tard en faire la cession, après que les terrains auront acquis toute l'amélioration dont ils sont susceptibles. » (Opinion de M. l'inspecteur Wodon.)

« En préparant à l'irrigation quelques parcelles de bruyères, mises à sa disposition par deux communes, le gouvernement a assuré à celles-ci un bénéfice de 160 francs par hectare ; d'autres localités recueilleront des avantages plus grands encore de travaux publics. » (M. Kummer.)

« Si chaque zone irrigable ne peut convenablement être exploitée par un seul individu, moins encore pourrait-elle, dès à présent, être divisée en plusieurs lots et ainsi livrée à l'industrie privée, car il y aurait alors évidemment impossibilité d'effectuer l'irrigation d'après un système raisonné, uniforme, partant d'une seule et même volonté, d'une seule action. » (Le même.)

« Si plusieurs individus devenaient les acquéreurs d'une zone irrigable, il arriverait indubitablement que chacun voudrait établir des rigoles d'alimentation de la manière qui serait pour lui la plus avantageuse, la-plus économique. » (Le même.)

« Tracer au préalable les chemins vicinaux et d'exploitation, les rigoles nécessaires au dessèchement des marais, à l'écoulement des eaux, les ouvrages d'art à établir. Les dépenses seraient prélevées sur le prix des ventes. » (M. de Corswarem, au sein du conseil provincial du Limbourg.)

« Le gouvernement doit avant tout sillonner la Campine de canaux et faire étudier les moyens propres à utiliser les canaux pour les irrigations. » (Rapport de la commission du conseil provincial du Limbourg.)

« C'est à lui seul, c'est au gouvernement qu'appartient la noble mission de fertiliser la Campine.

« La législation, en mettant à la disposition du gouvernement les fonds annuels en harmonie avec les mesures à prendre pour l'exécution de ce vaste projet, aura préparé la voie de cette œuvre de civilisation. » (Députation provinciale du Limbourg.)

« Les communes reconnaîtront d'elles-mêmes le besoin de vendre dès le moment où la construction des canaux sera suffisamment avancée. » (Députation d'Anvers, 1844.)

« Les communes finiront par demander la vente à laquelle elles s’opposent. » (M. l'inspecteur Josson.)

« Après l'achèvement des travaux, après que le gouvernement aurait pu se rendre compte de la valeur acquise, il soumettrait en vente publique.

« Du produit de vente, il payerait le prix d'achat, prélèverait les dépenses effectuées, rembourserait le reste aux communes, se réservant un quart des bénéfices.

« Je demande qu'il soit sursis à toute rente de bruyères communales. » (M. Kummer.)

Deux propositions ressortent à l'évidence de ces citations que j'aurais pu multiplier : la première, c'est que pour arriver au défrichement, il faut des travaux d'irrigation et autres ; la seconde, c'est qu'avant d'arriver à la vente, il faut que ces travaux aient eu lieu. et alors vous ne rencontrerez plus d'obstacles de la part des communes, soit pour le défrichement par elles-mêmes, soit pour l'aliénation de leurs terrains ; peut-être même serez-vous obligés d'arrêter en certaines localités un trop grand élan vers l'aliénation des biens communaux ; car quelque partisan qu'il puisse être du morcellement de la propriété, je ne crois pas que le gouvernement consente jamais à voir la totalité des biens communaux passer dans le domaine privé. Dans la situation actuelle des choses, y a-t-il nécessité urgente de forcer la main aux communes pour l'aliénation de leurs domaines ? D'après le tableau qui a été déposé sur le bureau par M. le ministre de l'intérieur, on a pu voir que, depuis un certain nombre d'années, beaucoup de communes ont (page 828) procédé à l'aliénation de leurs bruyères ; je dirai plus, c'est que s'il y a eu quelque ralentissement dans les ventes, la faute en est moins aux communes qu'à l'administration supérieure. Si je suis bien informé, les députations provinciales et le gouvernement lui-même, qui doit intervenir pour l'approbation, loin de pousser les communes aux aliénations, les ont souvent arrêtées par inertie ou même par opposition directe. Il est à ma connaissance personnelle qu'un assez grand nombre de demandes en aliénation sont restées pendant plusieurs années dans les bureaux de l'administration supérieure, sans recevoir de solution.

Je conçois que le gouvernement y ait mis de la réserve ; qu'il n'ait pas voulu favoriser l'aliénation des bruyères communales, alors qu'il ne devait pas en résulter d'avantages pour les communes, et qu'il leur ait dit : « Avant de vendre vos bruyères, attendez que les travaux d'amélioration aient été exécutés ; alors vous les vendrez avec plus d'avantages. » En cela le gouvernement faisait acte de bon tuteur, et je ne l'en blâme pas ; je lui demande seulement d'être conséquent avec lui-même.

Il est certain que lorsque, par des travaux sagement combinés, vous aurez préparé l'amélioration des bruyères communales, il arrivera de deux choses l'une : ou les communes se mettront en mesure de défricher par elles-mêmes, ou elles procéderont à des aliénations avantageuses.

Donc, pour ce principe de la loi qui tendrait à renforcer le pouvoir public pour arriver à l'aliénation des bruyères destinées aux travaux d'irrigation et même au-delà, à ce principe je donnerai ma pleine et entière adhésion ; mais il faut que ce principe soit mis en pratique avant d'arriver à l'aliénation forcée pour fait de non-culture. Rien ne presse d'ailleurs de vendre dès maintenant ; au contraire, si on veut avoir de plus grandes facilités pour l'exécution des travaux, il faut empêcher les communes de vendre maintenant leurs propriétés, car il en résulterait un morcellement qui ne peut que nuire aux travaux d'irrigation.

En France, de quoi se plaint-on à propos de l'exécution de la loi sur les irrigations ? On se plaint du grand morcellement des propriétés.

Messieurs, mon intention n'est pas d'entrer dans la grande question de principe relativement au droit que l'Etat revendique d'exproprier les communes pour cause d'utilité publique. Ce principe-là, je le reconnais, a de la hardiesse, et, pour ma part, il ne m'épouvante pas. Mais que l'on ne cherche pas à faire ici de vaines distinctions ; si le principe d'utilité publique peut être invoqué contre une commune pour fait de non-culture, le même principe peut être invoqué contre des particuliers.

M. de Tornaco. - C'est évident !

M. Rogier. - Une commune possède mille hectares qu'elle ne cultive pas ; dans la même commune un propriétaire possède mille hectares qu'il ne cultive pas ; si vous invoquez l'utilité publique contre la commune, vous devez également l'invoquer contre le particulier. L'utilité publique parle aussi haut contre l'un que contre l'autre. La seule différence est que la propriété communale appartient à une communauté d'habitants et que la propriété privée appartient à un seul maître. S'il n’y a pas similitude complète, il faut avouer qu'il y a une grande analogie, que cela se ressemble singulièrement et qu'il ne faudra pas faire un très grand pas pour arriver logiquement de la dépossession de la commune à la dépossession du propriétaire particulier pour fait de non-culture.

On cite ce trait d'un grand propriétaire breton possédant deux à trois mille hectares de terrains vagues : on lui faisait observer qu'il y aurait grand intérêt pour lui en même temps qu'il y aurait bonne action envers le public à procéder au défrichement de ces bruyères où s'élèveraient des fermes autour desquelles on verrait arriver des populations qui trouveraient là des moyens d'existence. Le grand propriétaire répondit : J'aime mieux y voir des lapins.

Je demande si vis-à-vis d'un pareil propriétaire refusant de cultiver des terres sous prétexte qu'il préfère y voir des lapins que des hommes, la doctrine d'expropriation pour cause d'utilité publique ne pourrait pas être invoquée aussi bien que vis-à-vis d'une commune ? C'est une question brûlante, je le sais ; mais je soutiens qu'il ne faudrait pas beaucoup forcer le principe pour le faire descendre de la commune à la propriété privée.

Messieurs, j'ai dit que cette loi ne me paraissait pas avoir été l'objet d'un examen très approfondi de la part du gouvernement. Je persiste à croire que le gouvernement n'a pas un but bien certain, et qu'alors même qu'il obtiendrait le grand principe de l'article premier, rien encore peut-être ne serait fait. Entraîné sans doute par les circonstances, le gouvernement a mis dans tout cela une grande précipitation. Les conseils communaux n'ont pas été consultés. Peut-être s'attendait-on à une opposition dont on n'aurait pas pu triompher. Le conseil supérieur d'agriculture a été consulté ; mais de quelle manière a-t-il été consulté ?

Voici ce qu'on trouve presque à chaque paragraphe de l'avis donné par le conseil d'agriculture, sur cet important projet de loi :

« Le temps pressait ; le temps presse et, malgré lui, le conseil doit se résigner à effleurer une matière qu'il aurait aimé à approfondir. Le conseil ne saurait insister sur toutes les questions comme il le désirerait ; c'est à peine s'il peut vous les indiquer. Le conseil, pressé par le temps, doit passer légèrement. Le terme dans lequel il doit vous soumettre son rapport, ne lui permet pas d'insister, etc. »

C'est toujours dans des termes pareils que le conseil supérieur s'explique, alors qu'il avait à délibérer sur un projet de loi d'une si haute importance.

De la part des autres corps qui ont été consultés, y a-t-il une opinion raisonnée, un ensemble de vues tel que le gouvernement ait pu y puiser des motifs de détermination, quant aux diverses questions qui se rattachent au projet de loi ?

Là encore, il y a une grande confusion dans les systèmes et dans les opinions.

Prenons pour exemple la grande question des colonies agricoles.

La députation provinciale du Limbourg se prononce pour, la commission d'agriculture de la même province se prononce contre. Il en est de même pour les fermes-modèles.

Je voudrais savoir quelle est, à l'égard des colonies agricoles, l'opinion du gouvernement.

Le gouvernement a invoqué en faveur de son projet de loi la situation des Flandres. Il nous a dit que, parmi les mesures qu'il avait proposées pour venir au secours de la situation malheureuse des Flandres, figurait son projet de loi.

Mais quant au point de savoir quelle relation il y a entre la mesure proposée et la situation des Flandres, M. le ministre l'a laissé dans l'ombre.

Je doute fort que M. le ministre soit favorable à un large système de colonisation. Eh bien, s'il n'est pas favorable à un large système de colonisation, qui consisterait à faire émigrer successivement le trop plein des populations flamandes dans les provinces où la terre est plus large pour les recevoir, je dis que si le gouvernement ne professe pas ce système, il ne faut, en aucune manière, rattacher le projet de loi à la situation des Flandres.

Le conseil d'agriculture repousse très loin l'idée de favoriser l'émigration des provinces flamandes dans le Limbourg et dans le Luxembourg. Il y est tout à fait contraire. Il me semble cependant que cette idée mériterait d'être approfondie. Le gouvernement devrait avoir une opinion formée. S'il est favorable à la colonisation, il doit apporter cette idée à la chambre, faire tous ses efforts pour la faire triompher.

Dans ce cas-là, la loi revêtirait un caractère d'utilité publique, qui serait évident à tous les yeux. Qu'arriverait-il ? Le gouvernement viendrait vous demander d'exproprier les communes, non pour livrer leurs propriétés aux mains d'un particulier, mais pour s'en emparer, lui gouvernement, représentant la nation, et y établir un système de culture, de défrichement, de colonisation en rapport avec les intérêts généraux.

Alors la loi aurait un tout autre caractère d'utilité publique. Beaucoup de critiques viendraient à tomber devant de pareils intérêts.

Mais le gouvernement ne vient pas demander cela. Il demande simplement de déposséder les communes pour vendre leurs propriétés au profit des particuliers. Sous ce rapport même, le projet présente beaucoup de lacunes. Ainsi, dans quelle proportion pourra-t-on exproprier les propriétés communales ? Quelles sortes de biens seront expropriées ? A cet égard, les avis sont divergents. Les uns veulent qu'on exproprie seulement les bruyères rapprochées des centres de population. D'autres au contraire disent : Il faut vendre seulement celles qui sont éloignées du centre de la commune, qui sont moins utiles aux habitants, leur étant moins accessibles.

On déclare que tout propriétaire sera frappé de déchéance si, après un certain nombre d'années, il n'a pas fait acte de culture. Mais le genre de culture sera-t-il facultatif ? Sera-t-il facultatif à un propriétaire de planter exclusivement des sapins ? Il est probable que c'est là surtout ce que feront les nouveaux propriétaires.

Cependant ce qui préoccupe le plus, dans la Campine, c'est la crainte de voir cette partie du pays transformée en une vaste sapinière.

De toutes parts, on repousse cette idée. Et cependant, si l'on n'assujettit pas le nouvel acquéreur à un certain genre de culture, je demande si tel ne serait pas le résultat de votre loi. Si vous permettez aux propriétaires de se borner à ensemencer les terres de sapins et à se croiser les bras, en attendant qu'ils grandissent je demande si les communes, quelque incapables qu'on les suppose de se livrer à des travaux agricoles, aidées, stimulées par l'administration supérieure et surtout par les travaux qu'elle décréterait, ne seraient pas en situation de se livrer à celle facile culture du sapin comme peuvent le faire les propriétaires ?

Tout n'a pas été dit sur les systèmes de propriété, quant au morcellement, ou quant à la concentration.

Les uns croient que pour arriver à un bon défrichement, il faut mettre la terre en pièces, répartir les terres incultes entre des milliers de propriétaires.

D'autres, au contraire, croient que la propriété concentrée en quelques mains, exploitée par quelques hommes intelligents au moyen de forts capitaux, est plus susceptible d'améliorations.

Je demande formellement à M. le ministre de l'intérieur si, dans son intention, la vente des propriétés communales doit tendre au morcellement de la propriété, c'est-à-dire si les lots vendus seront de petits lots et resteront nécessairement dans les mains des petits cultivateurs, ou s'il pense qu'il est utile que la propriété communale passe tout entière des mains de la commune dans les mains de quelques grands propriétaires. La vente aura-t-elle lieu par lots très divisés, ou bien, alors qu'elle aurait lieu par lots très divisés, permettra-t-on, comme cela se fait aujourd'hui, la vente par accumulation de lots ? Il est évident que si vous autorisez la vente par accumulation de lots, il arrivera que la propriété communale pourra passer dans les mains de quelques grands propriétaires. Est-ce là le but que M. le ministre de l'intérieur veut atteindre ?

Ensuite, messieurs, le gouvernement se réservera-i-il d'acquérir (page 829) certaines parties de bruyères, en vue de la question de colonisation ? Si le gouvernement n'a pas renoncé entièrement à cette idée, il y aurait inconséquence à dessaisir immédiatement les communes des biens qui pourraient passer utilement dans les mains de l'Etat. Car il est évident que si plus tard le gouvernement voulait en venir à un essai de colonisation, il lui serait bien plus difficile d'avoir affaire à la propriété privée, à la propriété morcelée que d'avoir affaire à la propriété communale. Il arriverait alors pour la colonisation par l'Etat ce qui arrivera nécessairement pour les travaux d'irrigation, si l'on procède à la vente de la propriété communale, avant d'avoir exécuté ces travaux d'irrigation. Il serait, messieurs, par trop inconséquent de vendre aux particuliers les terrains communaux pour les racheter ensuite, dans le cas où le gouvernement mettrait à exécution quelque grande idée de colonisation, et vous ne pouvez pas renoncer entièrement à une pareille idée.

Cette idée, messieurs, mérite d'être étudiée ; elle mérite des enquêtes approfondies. La situation d'une partie du pays appelle des remèdes efficaces ; ces remèdes, il faut les chercher partout, il ne faut en négliger aucun, et je dis que le remède de la colonisation dans le pays et hors du pays n'a pas été suffisamment encore étudié. Mais en attendant qu'il le soit, en attendant que le gouvernement prenne un parti sur cette question, il serait imprudent, je le répète, de livrer entièrement à la propriété privée des domaines communaux qui devraient servir plus tard à la colonisation.

On aura beau faire, messieurs, le mal des Flandres est dans leur trop grande population. Diminuez cette population en transportant d'une contrée dans une autre les bras qui sont inoccupés, et alors vous aurez fait une chose grandement utile.

Il y a une certaine répugnance à favoriser l'émigration hors du pays. On considère la population comme un produit national en quelque sorte, comme un produit avantageux dont il ne faut pas se dépouiller. Je n'examine pas cette question. Je crois, en effet, qu'un pays bien gouverné doit être en mesure de soutenir toute la population ; mais il faut une bonne répartition. Eh bien, à ce point de vue, je dis que le gouvernement doit se réserver certains territoires où il soit maître d'établir certaines portions de population. Or, ce n'est pas, messieurs, en dessaisissant les communes de leurs domaines, en les livrant aux intérêts privés, que le gouvernement pourrait plus tard réaliser de pareilles idées ; ou il lui en coûterait alors des sommes considérables.

J'engage le gouvernement à se préoccuper fortement de cette question. Je sais ce qu'on objecte à la colonisation ; l'argent ! les millions ! Mais, messieurs, l'argent, nous le dépensons. Tous les ans, nous versons en aumônes des sommes considérables Nous continuerons probablement chaque année à grever notre budget de quelques millions qui se perdront en aumônes inutiles, ou à peu près inutiles. Selon moi, messieurs, quelques-uns de ces millions essayés en colonisation ne seraient pas entièrement perdus.

Les bureaux de bienfaisance qui, tous les jours, payent des sommes considérables pour l'entretien de leurs pauvres, pourraient aider le gouvernement dans une pareille mesure. Ils pourraient faire pour l'intérieur du pays ce que font les établissements de bienfaisance d'Allemagne pour faciliter l'émigration de leurs pauvres. Ils capitalisent cinq ou six années de leur dotation annuelle ; ils facilitent le départ des émigrants, leur assurent un petit pécule à leur arrivée, et de cette façon ils soulagent les communes du trop grand nombre de pauvres qu'elles renferment.

Je crois, messieurs, que les bureaux de bienfaisance du pays pourraient, en imitant ce qui se passe ailleurs, aider le gouvernement dans les dépenses qu'il aurait à faire pour le déplacement d'une partie de la population d'une province à l'autre. Du reste, je ne me prononce pas immédiatement sur ce système. Je le recommande seulement à l'attention du gouvernement, et je l'engage à se tenir prêt à pouvoir, au besoin, établir dans d'autres provinces le trop plein de population de quelques-unes des parties du pays.

Dans l'état actuel des choses, et vu le grand nombre de propositions qui menacent encore le projet de loi, je crois que M. le ministre de l'intérieur ferait bien de se renfermer dans l'article 2 de son projet. Si cet article peut encore étendre les pouvoirs de l'Etat, je serai le premier à lui accorder mon appui. Mais quant aux autres questions, il me semble qu'il doit procéder à une information nouvelle, s'entourer de nouvelles lumières, tâcher d'amener sur une mesure aussi importante une espèce de consentement commun. Loin de ce consentement commun, il existe dans cette enceinte une anarchie d'opinions qui n'est que le reflet de l'anarchie qui s'est manifestée de toutes parts dans les enquêtes. De pareilles mesures, pour être efficaces, doivent être soutenues par l'opinion générale. Or, messieurs, cette opinion ne s'est manifestée jusqu'ici que par une opposition dont vous avez pu juger la portée, ou par des avis contradictoires comme ceux qui ont été émis dans l'enquête. J'ai étudié attentivement tous les documents et je n'ai rencontré partout que contradictions, que confusion d'idées, qu'incertitude. Je croyais trouver dans l'avis du conseil supérieur d'agriculture un résumé de toutes ces opinions et enfin une opinion définitive ; mais loin de là, qu'est-ce que j'y ai trouvé ? « Le temps nous presse. Nous ne pouvons qu'effleurer cette question. Nous n'avons pas le temps d'insister. On voulait immédiatement un avis ; nous le donnons tel quel. » Comment voulez-vous, messieurs, en présence d'un système ainsi présenté, que l'opinion de la chambre puisse se former consciencieusement ? Nous avons entendu, de parc et d'autre, des discours très pratiques, d'bommes très compétents ; mais je fais un appel à tous ceux qui ont suivi attentivement les débats, ont-ils pu se former une conviction ? A part quelques représentants, peut-être, d'une province, où l'on s'est montré favorable à l'aliénation forcée et encore comme mesure postérieure sans doute à l'exécution des travaux préparatoires, les membres de cette assemblée hésitent parce qu'ils n'ont pas trouvé, en effet, de base à leur conviction ni dans les pièces qui nous ont été présentées et qui fourmillent de contradictions, ni dans l'opinion même du gouvernement, qui ne se présente point comme arrêtée sur plusieurs points essentiels de la loi.

La discussion ne menacerait pas de se prolonger à l'infini, si le gouvernement se bornait à demander ce qui fait l'objet de l'article 2 ; c'est-à-dire la faculté d'exproprier les biens communaux pour l'exécution de travaux publics. Muni d'un pareil pouvoir, le gouvernement pourrait exécuter tous les travaux préparatoires ; ces travaux exécutés, il pourrait mettre les communes en demeure de défricher, et si les communes ne défrichaient pas alors viendrait naturellement pour le gouvernement le droit d'exproprier ces communes pour cause d'utilité publique. Il puiserait ce droit même dans les travaux préparatoires qu'il aurait exécutés pour mettre les communes à même de défricher.

Une fois, messieurs, qu'on adopterait le principe de l'expropriation, il faudrait que ce principe marchât avec quelques mesures organiques ; il faudrait encore que le gouvernement désignât dans quelle proportion il expropriera les communes, quelles obligations seront imposées à l'acquéreur ; si l'on vendra par petits lots ou par lots accumulés, c'est-à-dire si l'on transformera les propriétaires en commun en propriétaires individuels ou bien en simples fermiers ou salariés de quelques grands propriétaires. Voilà tous principes qu'il s'agira de décider lorsqu'on viendra demander l'expropriation forcée ; mais je crois qu'une pareille loi ne sera plus nécessaire lorsque les travaux préparatoires auront été exécutés ; car alors ou les communes défricheront ou elles vendront parce qu'elles seront sollicitées de toutes parts à vendre, et parce qu'elles auront intérêt à vendre.

Voilà, ce me semble, messieurs, la marche qui aurait dû être imprimée aux mesures proposées par l'Etat. Je le reconnais encore, messieurs, et que M. le ministre de l'intérieur soit bien persuadé que je ne viens pas faire ici une opposition étroite à son projet, je rends justice à ses intentions ; je crois que M. le ministre a voulu arriver d'une manière plus prompte, plus énergique au défrichement des bruyères ; mais il s'est trop hâté, il a fait marcher ensemble deux mesures qui s'excluent, savoir l'exécution de travaux publics et le morcellement des propriétés communales ; tandis qu'il aurait dû commencer par exécuter les travaux préparatoires et ensuite, si la chose était nécessaire, demander la vente pour cause d'utilité publique. Ces travaux publics, messieurs, se rattacheraient bien plus directement à la misère des Flandres, que la vente des terrains communaux à des particuliers, car certes ce ne sont pas les malheureux flamands qui viendront acheter des bruyères, et avec des travaux publics, largement exécutés, on pourrait attirer un grand nombre de travailleurs et ce serait un moyen naturel de les fixer, en quelque sorte, dans les contrées où les travaux s'exécuteraient ; ils y trouveraient des moyens d'existence, et ils y contracteraient des habitudes auxquelles ensuite ils ne renonceraient pas.

Il ne faudrait pas craindre de demander des sommes considérables pour l'exécution de ces travaux. Au lieu de donner de très fortes sommes en aumônes, nous ferions mieux de les dépenser en travaux publics. Mais alors il faudrait que le gouvernement eût le courage de demander à l'impôt ou à l'emprunt ou à des ressources quelconques, les moyens de couvrir de pareilles dépenses.

Il ne suffit pas, messieurs, de faire de la philanthropie sans bourse délier ; c'est un moyen commode, mais dangereux. On dit d'un mauvais administrateur : Tel fait des libéralités qui ne paye pas ses dettes ; messieurs, un Etat ne doit pas se trouver dans une pareille position. Lorsque le gouvernement a reconnu la nécessité de faire une dépense publique, dépense que lui imposent les circonstances, que commande impérieusement la situation malheureuse d'une partie du pays, alors il ne faut pas craindre, messieurs, de demander les moyens de couvrir cette dépense. Le pire des moyens serait d'ajouter à la mauvaise situation économique du pays, une situation financière mauvaise. Notre situation financière actuelle pèse déjà et pèsera longtemps encore sur toutes les mesures que nous avons à prendre. C'est pourquoi je dois engager M. le ministre des finances à faire tous ses efforts pour que la situation financière soit telle qu'elle n'entrave pas la chambre lorsqu'il s'agira de voler des dépenses d'utilité bien reconnue.

Messieurs, ce n'est point par de petits moyens que vous porterez remède à de grands maux ; il faut pour les Flandres des remèdes puissants, il ne faut pas de demi-mesures. Ce n'est pas en distribuant misérablement en aumônes une somme de 1,500,000 fr. tous les ans que vous tirerez les Flandres de leur situation malheureuse ; il faut des mesures plus énergiques, plus larges, plus générales. Pour le moment, les principales de ces mesures consistent dans des travaux publics, entrepris sur une grande échelle. Pour faire ces travaux, il faut, je le sais, de l'argent. Eh bien ! il ne faut craindre d'en demander, si l'on est résolu d'arriver à quelques résultats sérieux.

Réclamer des mesures puissantes, et se présenter avec un trésor délabré et vide, ce serait le plus sûr moyen de ne rien obtenir des chambres ; mais si vous proposez des dépenses impérieusement exigées par les circonstances, et qu'en même temps vous proposiez des ressources pour couvrir ces dépenses, je crois que les chambres accorderaient les unes et les autres.

(page 830) Il y a dans les Flandres mêmes beaucoup de travaux publics à faire ; non pas seulement des travaux hydrauliques, mais beaucoup de voies vicinales, de routes nouvelles à paver. Il faut entreprendre ces travaux sans hésitation, et les conduire avec énergie. Dans le Luxembourg, dans le Limbourg et ailleurs, il y a aussi beaucoup de travaux à faire ; eh bien, faites exécuter ces travaux, et alors le défrichement s'opérera en quelque sorte de lui-même et les populations ouvrières ne vivront plus seulement d'aumônes.

Voilà dans quel sens je pourrais rattacher le projet de loi qui nous occupe à la situation des Flandres. Mais si ce projet a simplement pour objet de dépouiller brusquement les communes des biens qu'elles possèdent aujourd'hui, pour les remettre entre les mains de quelques particuliers, je dis que le projet alors n'a pas le moindre rapport avec la situation des Flandres. Si, au contraire, le projet renferme une extension de pouvoir donné au gouvernement pour arriver plus facilement à l'exécution de grands et nombreux travaux publics, ce projet alors n'intéresse pas seulement le pays d'une manière générale, mais il intéresse encore les Flandres d'une manière particulière.

C'est dans ce sens que je voterai l'article 2 du projet de loi qui tend à donner un pareil pouvoir au gouvernement, me réservant mon vote sur l’article premier.

(page 825) M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, si dans cette discussion il y a beaucoup de confusion, il ne faut pas s'en étonner : c'est qu'on y mêle confusément les questions de législation, les questions d'administration et les questions d'agriculture. Un tel champ est immense ; et, si on continue à le parcourir, nous sommes condamnés à n'arriver jamais au terme de la carrière. (Interruption.)

Toutes ces questions sont dans le projet de loi, me dit un honorable membre. Messieurs, dans le projet de loi, il n'y a qu'une seule chose, ce sont des questions de législation ; les questions d'administration et de culture sont restées et devaient rester en dehors de la loi.

L'honorable M. Rogier, dans le discours qu'il vient de prononcer, n'a envisagé la question de défrichement que sous une seule face : il n'a parlé que de défrichements qui peuvent s'opérer à l'aide et avec le concours du gouvernement. Mais évidemment c'est là le côté le plus restreint de la question ; la grande question, c'est la mise dans le commerce des terrains communaux qui restent aujourd'hui incultes, parce qu'ils sont demeurés la propriété des communes. Voilà, je le répète, la grande question. C'est ainsi qu'elle a été traitée par les anciens souverains de la Belgique ; c'est à ce point de vue que la question a été instruite par mou prédécesseur, l'honorable M. Nothomb : témoin sa circulaire du mois de juin 1843.

Messieurs, à entendre l'honorable préopinant, on pourrait croire que le gouvernement doit en quelque sorte se faire l'entrepreneur du défrichement de tous les terrains communaux, qu'il doit partout porter son concours, qu'il doit porter partout l'argent du trésor.

Mais, messieurs, si déjà nous rencontrons de l'opposition au projet, je crois que l'opposition serait bien autrement grande, si la question avait été présentée à ce point de vue. Nous pensons qu'il appartient aux particuliers devenus propriétaires des terrains communaux, de faire tous les frais du défrichement ; nous croyons que le gouvernement ne doit intervenir que là où il peut conduire l'eau des canaux, ou des rivières, ou îles sources qui pourraient être utilisées.

Et encore dans ce cas, ne s'agit-il que de travaux véritablement préparatoires que les particuliers ne pourraient pas bien exécuter, sans la direction des ingénieurs des ponts et chaussées ; même les travaux d'irrigation qui peuvent être convenablement faits par les particuliers, doivent leur être abandonnés. C'est ainsi qu'à l'égard de quelques bruyères, qui ont été mises en état de recevoir les travaux définitifs d'irrigation, le gouvernement s'est borné uniquement aux travaux préparatoires : travaux de nivellement, construction d'aqueducs, de grandes rigoles ; les terrains ainsi préparés, ont été mis en vente, et c'est aux particuliers, devenus propriétaires, qu'il appartient de faire les véritables travaux de défrichement.

Vous voyez donc, messieurs, que si nous acceptions la proposition de l'honorable M. de Mérode, qui a obtenu le suffrage de l'honorable préopinant, nous ne résoudrions qu'un petit côté de la question, question qui est agitée depuis des siècles, question qui est agitée d'une manière spéciale depuis 1843 et sur laquelle se porte toute l'attention du public et des corps administratifs.

L'honorable membre a pensé que le conseil d'agriculture n'avait pas été mis à même d'apprécier la grande question sur laquelle il a été consulté.

C'est là une erreur : le conseil d'agriculture dit lui-même dans son rapport que dès le mois d'avril de l'année dernière, il a été saisi de l'affaire, qu'il a été mis à même de prendre connaissance de nombreux documents sur la question de défrichement ; c'est en pleine connaissance de cause que le conseil adhère aux principes consacrés par le projet du gouvernement.

Maintenant, que le conseil d'agriculture ait déclaré que le temps lui manquait pour traiter en détail toutes les questions pratiques d'agriculture ; le moment n'était pas venu de demander au conseil d'agriculture un avis détaillé sur les questions d'agriculture. Ce qu'on lui demandait, c'est si, dans son opinion, il y avait lieu de tâcher d'amener le défrichement des terrains incultes, et si le principe proposé pouvait être utilement adopté. Sur ce point le conseil n'a pas hésité, il a même été d'avis que le gouvernement aurait pu se dispenser de demander l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial ; car il est tellement porté au défrichement qu'il a craint que les députations de certaines provinces n'agissent pas avec assez de liberté et de franchise, en faveur des défrichements.

Je répondrai à quelques observations de détail de l'honorable membre. Il nous fait observer qu'il faut éviter d'autoriser maintenant la vente des terrains communaux, et d'en opérer ainsi le morcellement, qu'il conviendrait que le gouvernement les acquît, pour faire avec plus de facilité les dispositions nécessaires pour les irrigations. Ce conseil est sans doute bon ; aussi le gouvernement l'a-t-il mis en pratique depuis longtemps : à tel point que dans la prévision de la présentation d'une loi ; le gouvernement a arrêté les ventes des terrains communaux jusqu'à ce que les travaux d'appropriation pour les irrigations fussent exécutés.

L'honorable membre dit qu'il est inutile de presser, de forcer les conseils communaux de vendre les biens des communes ; que le gouvernement a dû lui-même apporter des obstacles aux ventes proposées par les conseils communaux, et que les députations les ont également empêchées.

Je dirai que les députations ne peuvent pas s'opposer à la vente de biens |communaux ; elles ne peuvent que donner un avis, et c'est le gouvernement qui décide.

Puisque le gouvernement n'a pas adhéré à des vues imprudentes proposées par des conseils communaux, il s'ensuit que la législature peut avoir pleine confiance dans la prudence du gouvernement, il s'ensuit que le gouvernement ne veut pas décréter étourdiment la vente de terrains communaux quand ces terrains devraient être réservés pour être vendus plus tard dans des conditions meilleures que celles proposées par les conseils communaux eux-mêmes. Ce qui s'est passé jusqu'ici sera fortifié par la nécessité de l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial.

Pour l'aliénation forcée, il y aura donc : premier degré, examen de la commune ; deuxième degré, examen de la députation, nécessité d'avis conforme, avec la décision du gouvernement. Voilà des garanties très larges.

L'honorable membre prétend que le principe pose peut s’étendre aux propriétés privées, qu'il y a une parfaite identité entre la propriété communale et la propriété privée. L'analogie existe, mais l'identité n'existe pas, attendu que le particulier disposant de son bien en maître absolu, suit la plupart du temps l'impulsion de son intérêt ; mais il n'en est pas de même des conseils communaux ; ils ne sont qu'administrateurs ; il y i a dans une assemblée des motifs divers qui peuvent déterminer les résolutions. Le particulier n'a que ces deux motifs pour déterminer la sienne, sou intérêt ou son agrément.

Or je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'agrément à voir des terrains en friche, des bruyères. Il est probable, quand un particulier ne défriche pas immédiatement des terrains, que son intérêt s'y oppose, soit que ces terrains soient d'une mauvaise nature ou qu'ils soient mal situés. Je crois que c'est là le sort des propriétés privées, parce que les communes se sont débarrassées en premier lieu des propriétés les moins susceptibles de culture. Du reste il est certain que des propriétaires font de grands frais pour le défrichement de terres incultes qui leur appartiennent : un grand nombre ont entrepris des défrichements sur une grande échelle ; ces entreprises augmenteront encore par suite de la facilité des communications qui est le but des diverses allocations portées aux budgets de l'Etat et des provinces.

Et ici, messieurs, je reviens encore à la première observation de l'honorable M. Rogier, qu'il ne fallait mettre en vente que les terrains communaux pour lesquels le gouvernement a fait des dépenses. Mais le gouvernement a fait des dépenses considérables qui tendent à faciliter le défrichement, quand il a fait construire des routes, des canaux, des chemins vicinaux ; car toujours on a entendu s'élever ce cri, dans les provinces de Luxembourg, de Limbourg, de Namur et de Liège, comme dans la Campine. Donnez-nous des routes, des chemins vicinaux, et nous défricherons !

La législature a agi largement, elle a consacré de grandes sommes à (page 826) ces travaux ; dès lors, il existe une obligation morale pour ces localités qui ont reçu les bienfaits du trésor, de mettre en valeur ou en rapport les terrains aujourd'hui incultes.

L'on vous demande, messieurs, si le projet est destiné, en quelque sorte, à enlever aux Flandres le trop plein de leur population. Non, telle n'est pas la destination du projet. Sans doute, par suite du défrichement, un certain nombre de familles des Flandres peut s'établir spécialement dans la Campine, ainsi que le conseil provincial d'Anvers en a exprimé le vœu ; la députation permanente du Luxembourg n'est pas même contraire à l'établissement d'un certain nombre de cultivateurs des Flandres sur son territoire ; mais ce que les provinces où il s'agit de faire des défrichements ne veulent pas, c'est l'établissement de gens dénués de toute espèce de moyens, qui deviendraient une charge d'entretien pour ces localités.

Dans ce moment même, il est question de l'établissement d'un certain nombre de familles des Flandres, qui, déjà, ont contracté des engagements pour le défrichement d'un domaine privé dans la province d'Anvers.

Ce qui se fait dans cette circonstance se fera nécessairement dans d'autres. Pour cela il faut du temps et un concours du gouvernement, concours nécessairement modéré ; car il ne s'agit pas de jeter des millions et des millions pour obtenir la transplantation de la population.

Les travaux qui se feront dans la Campine et dans les Ardennes ne seront-ils donc d'aucune utilité pour les Flandres ? Mais indépendamment d'une certaine émigration qui pourra se faire, il y aura une utilité évidente. Lorsque le canal de la Campine a été exécuté, il l'a été principalement par la population des Flandres. Du moment que vous aurez augmenté le travail dans plusieurs provinces, il arrivera que la population de ces provinces perdra de plus en plus la tendance à l'émigration.

En ce moment, la députation du Luxembourg constate qu'il y a une tendance à l'émigration, que tous les ans, deux à trois mille habitants émigrent de cette province.

Il est constant que des habitants de la Campine émigrent également.

Qu'on encourage le travail dans ces localités ; les habitants, y trouvant plus de ressources, auront moins de tendance à faire concurrence aux habitants des Flandres dans d'autres localités. Toute population, occupée chez elle, cesse de faire concurrence à une autre population. Ainsi, d'une manière indirecte, vous arrivez à un résultat certain.

Supposons, par exemple, que les grandes fabriques des grandes villes viennent à chômer ; la population des campagnes, qui, d'année en année, se rend dans les grandes villes, ne s'y rendrait plus et ferait concurrence au restant de la population rurale qui manque déjà d'occupation dans certaines localités.

Ce qui arrive par le travail des manufactures, arrivera par le travail agricole, plus étendu.

Et puis, est-il indifférent pour les Flandres, pour le pays, qu'il y ait augmentation de production de céréales, de bétail, de bois même ? Mais si le pays produit ce dont il a besoin, on exportera d'autant moins de numéraire ; ce qui viendra en aide au travail des manufactures, aux habitants, pour la consommation.

D'autre part, est-il indifférent à l'Etat que les ressources du trésor augmentent ? Certainement la mise en culture de tous ces terrains en friche est une source d'accroissement de revenu pour le trésor dans l'avenir.

On nous demande si le genre de culture sera facultatif, si l'on pourra ensemencer de sapins tout le sol de la Campine ?

Evidemment non. Lorsqu'on pourra craindre excès de culture de sapins, on se conformera à l'avis des députations permanentes qui ont signalé ce danger.

On stipulera le genre de culture auquel on pourra se livrer, ou plutôt on exclura le genre de culture qui ne sera pas profitable.

M. de Tornaco. - Qui achètera ces terres ?

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Chaque fois que le sol sera préparé pour faire des prairies ou des terres labourables, on trouvera assez d'amateurs. L'expérience justifie cette assertion.

A côté des cultures vous devez créer des abris ; or, les bois de sapin offrent les abris les plus faciles et les meilleurs.

On demande si l'on vendra par grands lots ou par petits lots. Je réponds : On vendra par grands lots et par petits lots. On vendra par petits lots où cela sera à la convenance des habitants, où cela pourra conduire au défrichement par les habitants de la commune même.

On vendra par grands lots, dans les parties éloignées du centre de la commune, dont le défrichement ne peut être effectué ni par des habitants de la commune, ni par de petits propriétaires, où il sera nécessaire d'employer un capital considérable. Là il faudra des lots étendus pour déterminer le capitaliste à consacrer ses fonds à ces travaux ; ce qu'il ne ferait pas pour cultiver par-ci par là un hectare de terre.

Le gouvernement réservera-t-il certains terrains communaux, quand il s'agira d'établir de nouvelles communes, de nouveaux hameaux ? Certainement il le fera.

M. Rogier. - La loi ne le dit pas.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Assurément non ; cela est abandonné à l'administration. Il est impossible de faire une loi qui prévoie tous les cas.

C'est le vice de la discussion à laquelle se sont livrés les honorables préopinants ; ils ont voulu établir une règle uniforme, ce qui est impossible ; les mesures doivent varier à l'infini. Ce sont des points qui doivent être réglés par l'administration.

Véritablement, je regrette d'être rentré dans la discussion générale ; car il est impossible de prendre la parole sans tomber dans des redites.

Il est évident qu'il ne s'agit que de décréter un principe. L'exécution doit être abandonnée à l'administration centrale qui s'aidera des lumières des administrations provinciales et locales, et dans les cas de difficultés extraordinaires qui pourraient surgir, des lumières de personnes compétentes qu'elle investirait d'une mission spéciale.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à quatre heures et demie.