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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 1 mai 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétitions relatives à une créance due par le gouvernement (Delfosse) et au projet de liaison ferroviaire entre Gand
et Bruxelles (Verhaegen)
2) Motion d’ordre relative
à une demande de crédit supplémentaire au budget des travaux publics (Osy)
3) Motion d’ordre relative
aux entraves apportées par le gouvernement français aux exportations de toiles
en lin (de Villegas, Dechamps,
de Haerne, Malou)
4) Projet de loi relatif
aux denrées alimentaires. Droits sur les céréales, situation sociale (Verhaegen, de La Coste, (+droits
sur le bétail) (Castiau, de Theux,
Anspach), Rogier, Delfosse, Osy, Veydt),
budget du département de l’intérieur, situation sociale (notamment dans les Flandres)
(de La Coste, de T’Serclaes,
d’Hoffschmidt, de Theux, Rogier, de Haerne, de T’Serclaes)
5) Projet de loi portant le
budget du département des travaux publics pour l’exercice 1847. Service de la
Meuse à Liége (de Bavay, de
Terbecq, Delfosse, Lesoinne),
projet de chemin de fer entre Bruxelles et Gand (Malou, de Terbecq, Delehaye)
6) Fixation de l’ordre des
travaux de la chambre. Société d’exportation linière (Delehaye,
Dechamps)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1660) M. Huveners procède à
l'appel nominal à midi et un quart.
M.
de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est
approuvée.
M. Huveners communique à
la chambre les pièces qui lui sont adressées.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le conseil
communal de St-Genois prie la chambre de résoudre affirmativement les trois
questions posées dans le rapport sur les pétitions qui ont pour objet la
distribution de la graine de lin de Riga et des droits de sortie sur les lins
bruts.
« Même demande des sieurs
Van Autrine, Derveaux et autres membres du comité linier de Ruysselede. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du rapport.
_________________
« Plusieurs habitants de
St-Trond présentent des observations contre le projet de faire aboutir au
faubourg St-Pierre la route de Hannut et proposent de relier cette route à la
rue de Tirlemont. »
- Renvoi à la commission
des pétitions.
_________________
« Le sieur Constant Jabouille, professeur au
collège communal de Liège, né à Broich (Prusse), demande la naturalisation
ordinaire. »
- Renvoi au ministre de
la justice.
« Le sieur Toussaint, entrepreneur de
travaux publics, à Liège, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le
payement d'une somme qui lui est due pour travaux exécutés dans le hangar aux
affûts de la citadelle de Liège. »
M. Delfosse. - Je demande que la pétition soit
renvoyée à la commission avec invitation défaire un prompt rapport. Le
pétitionnaire a travaillé pour le département de la guerre, il devait être payé
deux mois après la réception des travaux. Les travaux sont reçus depuis un an,
et on ne les paye pas.
- La proposition de M.
Delfosse est adoptée.
« Le conseil communal d'Assche demande qu'il
soit fait des modifications au tracé du chemin de fer direct de Bruxelles à
Gand par Alost, proposé par M. l'ingénieur Desart. »
M. Verhaegen. - Cette pétition se rattache au
chemin de fer de Bruxelles à Gand. Je demande le renvoi à la commission, avec
invitation d'en faire un prompt rapport.
- Cette proposition est
adoptée.
_________________
Par message en date du 30
avril, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi qui modifie
la législation sur la milice.
- Pris pour notification.
MOTION D’ORDRE
M. Osy. - Au nom de la section centrale
chargée, l'année dernière, d'examiner la demande de crédit supplémentaire du
département des travaux publics, je suis chargé de dire que dans la courte
session du mois d'août dernier, M. le ministre avait demandé un crédit
supplémentaire de 633,000 fr. ; que la section centrale a proposé d'admettre la
liquidation de 60,000 fr. et d'ajourner le reste, parce que les pièces
justificatives manquaient. Depuis, la section centrale a attendu les pièces
justificatives, et nous ne les avons pas reçues.
M. le président nous
ayant engagés à nous occuper de la liquidation du crédit ajourné, je suis
chargé de dire à la chambre qu'il est impossible de le faire, et que la
responsabilité du retard ne doit pas tomber sur la section centrale, mais sur
le ministre. Quand nous aurons les pièces, nous pourrons nous occuper de cet
objet.
M. le président. - Cette communication sera portée à
la connaissance du ministre.
MOTION D’ORDRE
M. de Villegas. - Je veux
entretenir la chambre d'un fait grave qui intéresse au plus haut point
l'industrie linière, et dénoncer au pays les nouvelles entraves apportées par
le gouvernement français à l'exportation de nos toiles. J'avais l'intention
d'en parler dans la discussion du projet de loi relatif à la société
d'exportation ; mais d'après les explications (page 1661) données hier, la chambre n'étant guère disposée à
aborder cette discussion dans les circonstances actuelles, force m'a été de
demander la parole aujourd'hui.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Veuillez attendre la présence de M. Dechamps.
M. de Villegas. - Mon
interpellation s'adresse à MM. les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères.
M. de Theux étant présent à la séance, pourra prendre note de mes observations
et les communiquer à son collègue.
M. le président. - La parole est maintenue à M. de
Villegas.
M. de Villegas. - Il est reconnu
que les toiles des environs de Termonde à Lokeren et à Wetteren, sont
fabriquées avec du lin plus fin que celles qui proviennent des marchés de
Courtray, Audenarde, Bruges et Thielt, et qu'au moindre bouillissage, elles
prennent une couleur plus claire et plus blanchâtre.
Ces toiles, destinées au
blanchiment en France, ont toujours été considérées comme ayant le caractère
d'écrues et ont été acceptées par la douane française sans contestation aucune.
Depuis quelque temps, les
fabricats de cette espèce ont été saisis à la frontière et soumis au double
droit, comme toiles blanches et non conformes aux échantillons types. Cette
nouvelle manière d'agir de la part de l'administration douanière a jeté la
perturbation dans l'industrie et le commerce.
Je me suis fait l'organe
des doléances du commerce, en adressant à M. Dechamps, ministre des affaires
étrangères, il y a près d'un mois, une réclamation faite par un négociant en
toiles d'Audenarde, contre les mesures vexatoires et arbitraires prises
récemment par la France, dans le but de restreindre nos exportations déjà si
minimes. Je suis convaincu que M. le ministre des affaires étrangères a appuyé
cette réclamation, mais je doute qu'elle ait été accueillie. Les raisons de mon
doute, les voici : Les vexations douanières n'ont pas discontinué, et les
saisies de toiles se multiplient. Un négociant de la ville de Renaix a adressé
à M. le ministre de l'intérieur une vive réclamation à ce sujet. Je désire
savoir si cette réclamation a été remise à M. le ministre des affaires
étrangères qui a le commerce dans ses attributions. Je l'ai lue dans un journal
de Renaix. Voici dans quels termes énergiques le réclamant s'exprime :
« M. ***, commissionnaire
en douane à ***, m'écrit, sous la date du 20 avril courant, que deux pièces de
toile faisant partie d'une de mes expéditions du 17 courant, ont été saisies
par la douane, comme dépassant le type de toile écrue. J'ai dû, afin d'éviter
des embarras sans fin, consentir à ce qu'il les déclarât comme blanches, ce qui
me met dans la dure nécessité de subir le double droit d'entrée en France. Je
m'empresse de porter ce fait à votre connaissance, et vous prie de remarquer,
M. le ministre, que cette prétention de la part de la douane française est
d'autant plus inqualifiable, qu'à différentes reprises déjà j'ai expédié pour
la même destination et par la même voie, non pas dix, vingt pièces, mais
jusqu'à deux et même trois cents pièces de même nature et couleur, toutes ayant
été fabriquées par mes ouvriers, avec la même partie de fil, et conformes à
l'échantillon ci-inclus que je vous prie de faire examiner par des connaisseurs
afin de vous convaincre que le fil est bien naturel et qu'il n'a subi aucune
préparation ni aucun blanchiment quelconque. Les entraves apportées par
l'administration française à l'introduction de nos produits en France, pour peu
qu'elles continuent leur marche ascendante, auront pour résultat certain, dans
un avenir peu éloigné, d'empêcher toute relation avec ce pays, quant aux
produits liniers. Et d'abord, pour ce qui me concerne, elles me forceront à
renoncer à la fabrication que j'ai entreprise dans le but de venir au secours
de nos tisserands sans travail, ce qui serait tout à fait déplorable dans la
cruelle position où se trouve la classe ouvrière de notre ville.
« C'est pourquoi j'ai
recours à vous, M. le ministre, afin que, placé comme vous l'êtes à la tête du
département de l'intérieur et partant, chargé de la défense de nos intérêts à
tous, vous preniez telles mesures que, dans votre haute sagesse, vous jugerez
propres au maintien de nos droits. Songez, d'ailleurs, M. le ministre, que nos
provinces, déjà décimées par le paupérisme, sont encore quelque peu soutenues
par l'industrie linière, et que le coup de mort leur sera porté le jour où nos
fabricats seront expulsés du territoire français.
« J'appelle aussi votre
attention sur un vice qui existe, me semble-t-il, dans nos codes de douanes.
Pourquoi, par exemple, les deux pièces de toile dont il est ici question, après
avoir été refusées comme écrues par la douane français, rencontrent-elles chez
nos douaniers des difficultés aussi insurmontables pour leur rentrée en
Belgique que pour leur introduction en France ? Il était cependant bien facile,
me semble-t-il toujours, de constater leur origine belge, et ces toiles étant
belges, ne devraient pas être reniées par leur mère. Il n'en est pas ainsi
cependant.
« Le pitoyable état des
populations des Flandres, amené par la décadence de l'industrie linière, et la
sollicitude toute particulière que vous portez aux souffrances de nos
malheureuses provinces, me font espérer, M. le ministre, que vous prendrez ma
plainte en sérieuse considération. »
Ces faits, messieurs,
sont très graves ; ils prouvent que le gouvernement français n'exécute pas
franchement et loyalement la convention du 13 décembre 1845. J'avais pressenti
ce défaut de franchise et de loyauté. Lors de la discussion de cette
convention, j'eus l'honneur de demander à M. le ministre des affaires
étrangères des explications sur la circulaire du 22 mai 1845, relative aux
types. Je disais dans la séance du 6 juillet dernier :
« Le système des types a
été établi par la circulaire française du 22 mai 1845. L'application de ce
système a donné lieu à des vexations nombreuses et à des saisies arbitraires.
M. le ministre des affaires étrangères a dit, samedi dernier, que
l'amélioration des échantillons types que nous avons obtenue est
très-considérable.
« Je demande à cet égard
des explications plus catégoriques et plus précises que celles que le gouvernement
nous a déjà données. M. Dechamps entend-il parler des échantillons déposés sur
le bureau et dont font mention les notes diplomatiques des 12 et 13 décembre
dernier, annexées au rapport de M. Desmaisières ? Mais je lui répondrai, dans
ce cas, qu'il n'y a pas de quoi se vanter des avantages obtenus, puisque les
tracasseries douanières n'ont pas discontinué et que naguère encore elles ont
été dénoncées à cette tribune. Si d'autres modifications ont été introduites,
et si d'autres échantillons types ont été arrêtés et convenus entre les
négociateurs belges et français, je demande à les connaître, avec les garanties
d'exécution franche et loyale qui auraient été stipulées. »
M. le ministre des
affaires étrangères me fit la réponse suivante : « Je vais renouveler des
explications que j'ai déjà eu l'honneur de donner à la chambre, et, autant que
possible, je les préciserai davantage.
« D'abord je dois faire
remarquer à la chambre que sur l'observation que l'honorable M. de Villegas m'a
faite, j'ai vérifié que les types déposés sur le bureau ne sont pas ceux que
j'avais remis à la section centrale, et qui ont été adoptés, pendant la
négociation, pour servir de règle à la douane. D'après la circulaire du 22 mai
1845, quatre types avait été choisis ; un cinquième type intermédiaire a été
introduit, entre le premier et le second, pour les toiles de 8 à 9 fils. Je
dois dire que le choix de ces types nous a paru favorable, puisque nous n'avons
pas trouvé, parmi 60 échantillons de toile recueillis dans les Flandres, des
nuances plus blanches pour chacune de ces cinq catégories.
« Ainsi, il a été porté
remède à ce qui existait en vertu de la circulaire du 22 mai. Nous avons des
types qui nous sont plus favorables et qui nous garantissent contre
l'arbitraire de l'administration française ; mais la déclaration de M. le
ministre des affaires étrangères de France, annexée au traité, nous donne une
garantie de plus. Lorsqu'il sera présenté à la douane des toiles écrues
exceptionnelles, non conformes aux types, la commission des experts à Paris les
jugera en vertu du caractère réel de l'écru, comme avant le 22 mai, et non en
conformité des types mêmes. Les toiles conformes aux types ne pourront plus
être l'objet de contestations en douane ; les toiles écrues qui, exceptionnellement,
n'y seraient pas conformes, seront jugées en dehors des types d'après les mêmes
règles qu'avant la circulaire du 22 mai 1845. C'est une amélioration évidente.
»
Vous
voyez, messieurs, que, malgré les paroles rassurantes données par M. le
ministre des affaires étrangères, mes prévisions se sont réalisées et que les
vexations douanières ne se sont pas fait attendre. Je ne crains pas de
qualifier sévèrement la conduite du gouvernement français, en disant qu'il a
violé la foi jurée.
M. le ministre
des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je dois déclarer que, depuis le traité du 13 décembre
dernier, le gouvernement n'avait reçu jusqu'ici aucune réclamation du commerce
linier, relativement à la question des nuances de toiles qui avaient été si
longtemps controversées entre les deux pays. Ainsi, messieurs, la réclamation à
laquelle l'honorable M. de Villegas vient de faire allusion, et qui m'a été
transmise, il y a peu de temps, par le département de l'intérieur, est, si je
ne me trompe, la première qui soit parvenue au gouvernement depuis l'exécution
du traité du 13 décembre.
Il en résulte donc que je
ne puis admettre comme vrai ce que vient de dire l'honorable préopinant, qu'il
avait bien prévu, lorsqu'il avait prédit que la France exécuterait d'une
manière déloyale le traité intervenu entre les deux pays.
Messieurs, cette
réclamation a fait l'objet d'un examen attentif. J'ai d'abord soumis les
échantillons des toiles saisies, par la douane, à des experts qui m'ont, en
effet, déclaré qu'ils considéraient ces toiles comme toiles écrues.
J'ai fait au gouvernement
français une réclamation formelle reposant sur la déclaration du ministre des
affaires étrangères de France, M. Guizot, qui a été annexée au traité, et
d'après laquelle, en effet, on ne considérait les types remis à la douane que
comme une indication générale qui doit servir de règle aux agents de la douane.
Mais d'après cette déclaration, d'après le sens que nous lui avons donné et
que, je crois, on lui donne en France, lorsque des toiles exceptionnelles,
comme je l'ai dit alors, en dehors des nuances conformes aux types seront
présentées à la douane de France et seront déclarées toiles blanchies en vertu
des types, ces toiles pourront être soumises à la commission des experts de
Paris et être jugées, non pas d'après la règle exclusive des types, mais
d'après le caractère réel de l'écru.
Messieurs, la réclamation a été faite dans ce sens au
gouvernement français. Mais elle n'a été faite que depuis trop peu de jours
pour que j'aie pu recevoir jusqu'à présent une réponse. Mais je puis dire que
le gouvernement n'a pas oublié cet intérêt, qu'il regarde comme très grave
parce qu'il se rattache à l'interprétation du traité, et qu'il ne négligera
aucun effort pour défendre les intérêts belges.
M. de Haerne. - Je demande la parole.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - On a fixé un objet à l'ordre du jour. L'honorable M. de Villegas a
demandé des explications qui lui (page 1662) ont été données. Je demande que la
chambre ne laisse pas s'engager une longue discussion sur l'industrie linière
et qu'elle aborde son ordre du jour.
M. de Haerne. - J'ai quelques mots à dire, je ne
serai pas long.
Plusieurs membres. - L'ordre du jour !
M. le président. - Vous pourrez trouver une autre
occasion de présenter vos observations.
M. de Haerne. - Je n'aurais eu qu'un mot à dire.
Mais puisque la chambre ne paraît pas disposée à m'entendre, je renoncerai à la
parole, en regrettant qu'elle ne me permette pas de donner les explications que
je juge nécessaire.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DENREES ALIMENTAIRES
Discussion des articles
Article premier
M. le président. - La chambre passe à la discussion
sur les articles.
« Art. 1er. A partir du
1er octobre 1847 jusqu'au 1er octobre 1848 continueront d'être libres à
l'entrée : le froment, le seigle, l'orge, le sarrasin, le maïs, les fèves, les
vesces, les pois, l'avoine, les fécules de pommes de terre et d'autres
substances amylacées, les pommes de terre, le riz.
« Le gouvernement pourra,
en outre, accorder pour le même terme la remise totale ou partielle des droits
d'entrée sur les farines et gruaux, sur le bétail et sur toutes denrées
alimentaires non désignées au présent article.
« Il sera perçu sur ces
objets un droit de balance de dix centimes par mille kilog. »
M. Osy a proposé
d'ajouter à la fin du paragraphe premier les mots : « Les viandes séchées,
salées ou fumées ».
M. Rogier a proposé de
substituer au 1er octobre 1848, le 31 décembre 1848.
M. Verhaegen. - Messieurs, ainsi que j'ai eu
l'honneur de vous le dire hier, lorsqu'il s'agit de prendre des mesures propres
à assurer l'alimentation du pays, toutes les considérations de parti s'effacent
; aussi je le déclare tout d'abord, si l'amendement de l'honorable M Rogier
avait la portée que lui a assignée dans la séance d'hier l'honorable M.
Dumortier, je n'hésiterais pas à le repousser, car je ne veux pas d'un droit
fixe sur les céréales qui aurait pour corollaire la libre exportation des
grains. Le droit fixe, dans tous les temps, serait, dans mon opinion, la perte
de l'industrie agricole et, pour mon compte, je n'accorde pas moins de
sympathies à cette industrie qu'à toutes les autres. Les principes du
libre-échange appliqués aux denrées alimentaires, je ne les adopterai jamais ;
ce n'est pas à dire que je sois libre-échangiste quant aux autres produits.
C'est une question que je me réserve d'examiner en temps et lieu, et sur
laquelle je n'entends pas énoncer d'opinion en ce moment. La libre exportation
des céréales dans tous les temps serait, messieurs, un acte d'imprudence et
d'imprévoyance, auquel je ne voudrais pas donner les mains ; car, si nous avons
à stipuler parfois dans l'intérêt de l'industrie agricole, qui mérite nos
sympathies, je le répète, aussi bien que les autres industries, nous avons
aussi, et même avant tout, à prendre les mesures nécessaires pour assurer les
droits des consommateurs, en d'autres termes, pour assurer la subsistance du
peuple.
Mais, messieurs,
l'amendement de l'honorable M. Rogier n'a pas la portée que lui a assignée
l'honorable M. Dumortier, et je regrette beaucoup qu'on se soit placé sur un
terrain qui n'est pas celui de la discussion, car nous n'avons à nous occuper
que du projet de loi et des amendements qui s'y rattachent, c'est-à-dire des
mesures que commandent les circonstances. Aussi je n'en dirai pas davantage sur
ce point. J'ai voulu seulement faire connaître mon opinion, afin qu'on ne me
rendît pas solidaire de certains doctrines, qui ne sont pas les miennes.
Non, je le répète,
l'amendement de l'honorable M. Rogier n'a pas la portée qui lui a été donnée,
et c'est en repoussant cette portée que je le voterai. Je vais vous dire en
quelques mots les motifs qui me guideront dans ce vote.
Messieurs, toute mesure
qui doit avoir pour effet d'assurer d'une manière plus large l'approvisionnement
des marchés recevra mon assentiment, et en même temps je voterai toutes les
sommes dont le gouvernement croirait avoir besoin pour alléger les souffrances
des classes nécessiteuses.
Dans mon opinion, le
gouvernement ne fait pas assez ; il ne montre pas assez de prévoyance ; et, en
combattant l'amendement de l'honorable M. Rogier, il se fait illusion, comme il
s'est fait illusion dans l'exposé des motifs du projet de loi.
Cet exposé des motifs
porte entre autres :
« La défense
d'exportation, décrétée par la loi du 22 novembre dernier, subsistant jusqu'au
1er octobre prochain, l'espoir fondé d’une bonne récolte nous permet de
rentrer, à partir de cette époque, dans l’état normal, quant au régime de
l'exportation. »
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Lisez le paragraphe jusqu'au bout.
M. Verhaegen. - « Néanmoins, le gouvernement aura
la faculté de défendre l'exportation pendant l'intervalle du 1er octobre 1847
au 1er octobre 1848, si les circonstances l'exigent. »
Je me proposais bien de
vous lire cette dernière phrase, qui n'est qu'un correctif insignifiant, et qui
n'offre pas l'espoir d'une récolte abondante.
A mon avis, il serait
dangereux de partager, à tous égards, l'espoir du gouvernement.
En effet, messieurs, il
est assez singulier d'entendre le gouvernement s'expliquer ainsi le 28 avril
1847, lorsque, dans le Moniteur du 30, je trouve un passage qui est loin d'être
aussi consolant. Il est vrai que le Moniteur ne donne qu'un extrait d'un autre
journal ; mais, en l'insérant, il le fait sien.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Non, non.
M. Verhaegen. - A quoi donc sert le Moniteur ?
Voici, du reste, ce que
je trouve dans le Moniteur du 30 avril
« Partout la végétation
lutte avec énergie contre les vents froids qui règnent, et les céréales
prennent, aux environs de Bruxelles, une belle apparence. Les escourgeons
quoique retardés sont assez beaux pour donner déjà du fourrage vert. Nous en
avons vu quelques pièces en partie coupées. Quelques-unes d'entre elles étaient
déjà fumées et labourées afin de recevoir des pommes de terre. Les seigles sont
très beaux pour le temps. Il y a déjà des froments assez vigoureux, mais un
grand nombre de pièces ont été frappées de la rouille. Cependant elles
paraissent disposées à reprendre le dessus. Il ne faudrait que de la chaleur
pour placer les récoltes dans une situation entièrement satisfaisante. »
Voilà donc une première
considération qui est de nature à ne pas nous rassurer, à moins que le
gouvernement ne puisse et ne veuille démentir le Moniteur, ce qui serait à
désirer dans l'intérêt public.
Messieurs, j'aime
beaucoup mieux recevoir un démenti des événements que de me fier à l'abondance
de la récolte prochaine et d'endormir dans une fausse sécurité.
Ensuite consultons les
mercuriales. Ces mercuriales sont réellement effrayantes ; hier, messieurs, sur
le marché de Bruxelles, le froment s'est vendu de 41 fr. 72 c. à 43 fr. 53 c.
l'hectolitre, et le seigle de 33 fr. 55 c. à 34 fr. 46 c. A Louvain, le froment
s'est vendu jusqu'à 44 fr. 46 c. et le seigle jusqu'à 36 fr. 25 c. Cela est
sans doute bien loin d'être rassurant.
M. le ministre de
l'intérieur pense-t-il que si la récolte prochaine était abondante, même
extraordinairement abondante, les prix fléchiraient immédiatement au point
d'atteindre le taux normal ? Croit-il que les prix, qui sont aujourd'hui de 43
à 44 francs, tomberaient à 20, à 22 fr. immédiatement ou dans le cours de
l'année ? Pour mon compte, je ne le pense pas.
En France, on fixe
généralement le prix normal du froment à 20 fr., et en Belgique, ceux qui ne
procèdent pas par exagération le portent à 21 fr. ; pour moi, je n'excéderai
jamais cette limite. Eh bien, pour descendre à ce taux, il faudrait que le prix
du froment baissât de plus de moitié.
Messieurs, quel que soit
l'espoir qu'on puisse nourrir, je ne pense pas que, d'ici à trois ou quatre
ans, nous puissions arriver à l'état normal ; et l'expérience des années
précédentes est là pour nous donner d'utiles enseignements. Nous avions eu en
1813 et 1816 des récoltes mauvaises. Les prix en 1816 et 1817 ont été à peu
près ce qu'ils sont aujourd'hui, la récolte très abondante de 1817 ne les a pas
fait fléchir comme on paraît le croire. Les prix qui étaient d'abord de 41 fr.
ont lentement fléchi et, au 1er mars 1818, ils étaient encore de 30 ; en 1819
ils sont tombés à 25 ou 24, et il a fallu plusieurs années pour arriver à un
taux normal.
Et remarquez-le,
messieurs, aux époques que nous signalons, il y avait abondance de pommes de
terre et de plus libre entrée des céréales.
D'après tout cela,
peut-on sans légèreté concevoir l'espoir que nourrit M. le ministre de
l'intérieur ? Beaucoup s'en faut. Parlera-t-on après cela des
approvisionnements que peuvent nous procurer les récoltes des rives de la mer
Noire, de la Baltique et d'autres pays ?
Le journal auquel faisait
allusion hier M. le ministre des affaires étrangères répond à ce qui n'est qu'une
nouvelle illusion. Quoiqu'elles ne soient guère consolantes, je crois devoir
vous mettre sous les yeux les paroles du Journal des Débats, car mieux vaut
connaître la vérité lorsqu'il s'agit de prendre des mesures en vue de l'avenir,
que de se bercer d'un espoir trompeur :
« Un avilissement,
dit-il, du prix des grains pour l'année prochaine est contraire à toutes les
probabilités. Les grains ne peuvent dès l'année prochaine retomber entièrement
à leur niveau accoutumé que dans le cas où la nature donnerait à tous les
climats en même temps une récolte extraordinairement abondante ; or on sait
qu'elle n'a pas l'usage de répandre ainsi ses faveurs sur tout le monde en même
temps.
« Le déficit qu'éprouvent
tous les pays de l'Europe en pommes de terre n'est pas une de ces pertes qu'on
répare aisément et en une saison. Il faudra, selon toute apparence, des années
pour y subvenir ; ainsi on doit croire que le prix des blés s'en ressentira
plus ou moins pendant longtemps. Encore une fois, ce n'est pas à dire que nous
soyons menacés de voir longtemps les prix de 40 fr. et plus l'hectolitre. Mais
une hausse deux fois, quatre fois moindre est déjà fâcheuse.
« Il est en Europe une
grande nation chez laquelle l'absence des pommes de terre se fera sentir longtemps
de manière à élever le prix des grains sur le marché général du monde. C'est
l'Angleterre. Les excédants disponibles des pays producteurs de grains sont en
moyenne beaucoup plus limités qu'on le suppose. L'Irlande seule, privée qu'elle
est des pommes de terre sur lesquelles elle vivait, suffirait à absorber en
totalité le blé que les pays producteurs réunis exportent année moyenne.
« Admettez, en
effet, qu'il faille nourrir avec du blé retiré du marché (page 1663) général quatre millions d'Irlandais, sur huit et demi ;
à trois hectolitres par tête, ce sera douze millions d'hectolitres. Or, si on
recherche dans les documents commerciaux ce qu'exportent moyennement la
Baltique, la mer Noire et les Etats-Unis ensemble, on verra que c'est en
dessous de cette quantité et non pas en dessus. En un mot, l'Irlande est, cette
année, et semble devoir être pendant un assez long laps de temps une cause
d'enchérissement pour les grains sur le marché général du monde.»
Pour mon compte, je dois
le dire, je partage ces craintes, et je crois que le ministre de l'intérieur
montre trop de sécurité ; c'est, messieurs, dans cet état de choses que nous
avons à examiner s'il ne convient pas de prolonger le temps fixé par le projet
de loi.
L'honorable M. Rogier le
porte au 31 décembre, au lieu du 1er octobre. Donner cette garantie au
commerce, ce n'est pas favoriser le commerce, c'est assurer les subsistances
pour les temps de crise où nous vivons.
Ne nous le dissimulons
pas : on crie souvent contre le haut commerce ; mais il faut dire ici la vérité
tout entière : le haut commerce, dans ces derniers temps, nous a rendu des
services signalés. S'il y a eu des accapareurs, je ne pense pas qu'ils se
soient trouvés dans le haut commerce. Il y aurait peut-être des mesures à
prendre ailleurs, je n'ai pas à les signaler.
Je vois dans la
proposition de l'honorable M. Rogier une garantie de plus dans les
circonstances fâcheuses où nous nous trouvons. Pourquoi ne pas adopter cette
garantie ? La seule raison que donne le ministre, c'est que la récolte
prochaine paraît devoir être abondante, et qu'alors il n'y aura plus de motif
pour prolonger la mesure. Si cela est vrai, quel inconvénient y a-t-il à
prolonger de six semaines la durée de la loi ? Les chambres se réunissent au 10
novembre, et si, alors, elles pouvaient croire que les choses se trouvent dans
la position que suppose M. le ministre, elles pourraient toujours adopter
d'autres mesures. La considération présentée par M. le ministre n'est donc pas
de nature à nous arrêter.
Comme la proposition de
M. Rogier donne une garantie de plus, dût-elle être inutile, mon vote lui sera
favorable. C'est ainsi que tout en n'adoptant pas ce qui a pu être dit en
dehors de la question, j'adopterai l'amendement qui a servi de prétexte à une
discussion oiseuse, dangereuse même.
Messieurs, avant de
terminer, je crois de mon devoir de dire encore quelques mots relativement aux
mesures à prendre pour le moment. Le gouvernement demande 300,000 fr. pour
mettre les classes pauvres à même de planter des pommes de terre. Je regrette
que cette mesure n'ait pas été présentée plus tôt, car elle n'atteindra
d'ailleurs pas, du moins entièrement, le but qu'on se propose.
Les raisons données par
M. le ministre à ce retard sont qu'il y a eu jusqu'à présent d'autres moyens pour
venir au secours des classes nécessiteuses, dont quelques-unes pouvaient encore
avoir une certaine quantité de pommes de terre pour se nourrir et quelques
autres pouvaient être secourues par les communes et les bureaux de
bienfaisance. Je ne pense pas, messieurs, que ces considérations soient de
nature à nous toucher. Je pense, au contraire, que si on avait donné aux
malheureux des pommes de terre pour la plantation, alors qu'ils en avaient
encore pour se nourrir, les pommes de terre données pour la plantation auraient
réellement été plantées.
Mais maintenant celles
qu'on va distribuer ou l'argent qu'on distribuera pour en acheter serviront non
à la plantation mais à l'alimentation. Les choses en sont venues à ce point, je
le dis de science certaine, qu'au fur et à mesure qu'on plante des pommes de
terre on vient les déterrer ;on déterre la nuit ce qui a été planté le jour !
J'ai l'honneur de fixer
l'attention du gouvernement sur ce point, c'est une chose grave. La
distribution né parera pas aux inconvénients qu'on signale. La première
condition est de vivre ; ceux qui n'auront rien prendront pour se nourrir les
pommes de terre qu'on leur distribuera pour planter. Je voterai les 500,000 fr.
et même plus si on le demande, mais j'appelle l'attention du gouvernement sur
le fait que je viens «le signaler.
Peut-être y aura-t-il des
mesures à prendre pour éviter la continuation de cet état de choses déplorable,
M. Vilain XIIII. - C'est très facile à empêcher ; il
n'y a qu'à herser les terrains où sont plantées les pommes de terre.
M. Verhaegen. - Que le gouvernement donne ses
instructions aux autorités locales. Je me borne à signaler le fait, comme très
grave.
Il y a encore d'autres
mesures qui se rattachent aux circonstances actuelles et que devrait prendre le
gouvernement, notamment quant à la surveillance des marchés : sur beaucoup de
marchés, il y a une quantité de ventes fictives et par conséquent de prix
fictifs. Des sacs de grains déposés dans des entrepôts particuliers sont
représentés aux marchés suivants, et font l'objet de spéculations incessantes,
toutes au détriment de la classe nécessiteuse. J'ai l'honneur de fixer sur ce
point l'attention de M. le ministre de l'intérieur.
Il ne faut pas se
dissimuler que les prix des grains sont élevés, et plus ils le sont, plus les
prétentions de certains spéculateurs deviennent grandes.
Malheureusement, il n'est
que trop vrai que beaucoup de cultivateurs demandent du temps à leurs
propriétaires pour pouvoir attendre des prix plus exorbitants encore. Il serait
à désirer que les propriétaires refusassent tout répit, et fissent des
poursuites immédiates pour éviter ces spéculations odieuses. '
M. Mercier. - C'est le petit nombre.
M. Verhaegen. - Ce sont des faits de notoriété
publique qui doivent fixer l'attention sérieuse du gouvernement.
Je n'entrerai pas dans
d'autres détails, et pour cause ; il est de ces questions irritantes dont les
développements deviendraient dangereux.
M. le président. - M. de La Coste propose, par sous-amendement à l'amendement
de M. Rogier, d'ajouter à l'article premier la disposition suivante :
« Le terme fixé ci-dessus
pourra être prorogé, par le gouvernement jusqu'au 31 décembre 1848. »
M. de La Coste. - S'il y a dans l'incertitude où
nous sommes relativement au prix futur des grains quelque chose d'assuré, c'est
qu'après une certaine période de prix élevés il y aura une réaction inévitable
parce que les prix élevés augmentant la culture dans ces pays qui sont les
greniers de l'Europe, amènent une production qui finit par être surabondante et
en très peu d'années hors de proportion avec les besoins, ce qui produit une
baisse inévitable et rapide.
Quand cette réaction
aura-t-elle lieu, c'est ce que je ne sais pas. Nous serons à la session
prochaine un peu plus éclairés sur cette question ; nous pourrons établir des
prévisions un peu plus fondées.
Voilà pourquoi un grand
nombre de membres de cette chambre pensent que l'amendement de l'honorable M.
Rogier est inutile et que nous pourrons faire, dans la session prochaine, ce
qu'il propose de faire aujourd'hui.
Cependant, je pense que
les mesures que vous voulez prendre devront leur force morale à l'unanimité de
la chambre. Je pense qu'il y aurait de l'inconvénient à ce qu'on pût croire que
ceux qui s'opposent à la proposition de l'honorable M. Rogier, par le motif que
je viens de dire, sont moins émus que d'autres par les besoins du peuple, et
moins disposés à faire ce qui est nécessaire pour pourvoir à ses besoins.
Voilà
pourquoi je propose de substituer à la mesure absolue et impérieuse, que
propose l'honorable M. Rogier, une simple faculté qui serait donnée au
gouvernement.
M. Rogier déclare céder son tour de parole à
M. Castiau.
M. Castiau. - Je viens appuyer l'amendement de
l'honorable M. Rogier, tout en le remerciant d'avoir bien voulu me céder son
tour de parole. Je suis étonné que cet amendement ait rencontré un seul
contradicteur dans cette assemblée. Je suis également étonné que l'honorable M.
de La Coste ait cru devoir sous-amender cet amendement complètement inoffensif,
et convertir en une simple faculté accordée au gouvernement le droit que M.
Rogier voulait écrire dans la loi. El comment ne pas s'étonner et de
l'opposition que rencontre cet amendement et des modifications qu'on veut y
introduire ?
De quoi donc est-il
question dans ce modeste amendement qu'on veut grandir hors de toute proportion
? S'agit-il de proclamer le principe de la liberté illimitée du commerce des
grains ? S'agit-il de décider aujourd'hui toutes les graves questions qui se
rattachent à cette matière ? S'agit-il de se prononcer entre le droit fixe et
l'échelle mobile et de ressusciter ainsi les longs débats que toutes ces
questions ont provoqués déjà dans cette assemblée ? Non vraiment. L'amendement
de l'honorable M. Rogier n'affiche aucune de ces prétentions radicales. Il ne
pose et ne résout aucune question de principe. C'est tout simplement une
question de date.
Il s'agit de remplacer la
date du 31 octobre 1848 par celle du 31 décembre 1848. Voilà, messieurs, tout
l'objet du débat qui nous divise en ce moment.
Et quel était le but de
M. Rogier en vous faisant son inoffensive proposition ? Uniquement, messieurs,
de vous laisser le temps et de vous fournir l'occasion de procéder à un examen
impartial et réfléchi de la législation des céréales. C'est un hommage qu'il voulait
rendre à la souveraineté parlementaire. Comment donc expliquer les résistances
qui ont accueilli une proposition inspirée par un sentiment de respect pour vos
prérogatives ?
Mon étonnement augmente
encore quand je vois que le premier adversaire que rencontre l'amendement c'est
l'honorable. M. Dumortier. C'est lui qui, hier, s'est élevé avec toute la
chaleur et la véhémence de sa parole, contre l'amendement de M. Rogier qui, je
le répète, n'avait d'autre but que de provoquer la révision de la loi de 1834.
Et cependant M. Dumortier ne doit-il pas être lui-même rangé parmi les
adversaires de cette loi ? N'en a-t-il pas demandé lui-même et proposé la
révision, en signant la fameuse proposition des 21 ?
Il l'a fait, je le sais,
non pas dans l'intérêt des idées libérales, et des classes les plus nombreuses,
mais dans l'intérêt des propriétaires dont il a plaidé si chaleureusement la
cause devant vous. Il trouvait, en vous présentant sa proposition il y a deux
ans, que le prix moyen de 20 francs n'est pas assez élevé ; il voulait que le
prix rémunérateur fut fixé à 24 fr. au minimum pour l'entrée des céréales
étrangères. Il voulait ainsi aggraver encore les rigueurs de la loi de 1834.
Comment donc M. Dumortier n'a-t-il pas appuyé, l'amendement de M. Rogier puisque
cet amendement en provoquant la révision de la loi, amenait la discussion de sa
proposition des 21.
L'honorable M. Dumortier
aurait saisi cette occasion de développer ses idées sur les avantages du prix
élevé des céréales, s'il avait eu toutefois ce triste courage, après le démenti
que les événements ont donné à ses doctrines et à ses prévisions.
; Pour motiver cette
étrange opposition à l'amendement si inoffensif de M. Rogier, l'honorable
membre a fait apparaître devant vous (page
1664) l'invasion des grains étrangers. Il semble que des avalanches de
grains vont affluer sur les rives de la Baltique et de la mer Noire, et à
descendre sur nous et inonder la Belgique. Pour justifier ses craintes et ses
terreurs, n'a-t-il pas été jusqu'à prétendre que le prix des céréales, dans ces
contrées lointaines, tombait habituellement à huit et même à quatre francs
l'hectolitre ?
Pour toute réponse,
messieurs, je renverrai l'honorable membre, dont. je regrette l'absence, mais
dont les paroles n'en doivent pas moins être énergiquement réfutées, je
renverrai, dis-je, l'honorable membre à des détails, à des renseignements
officiels en quelque sorte, car ils émanent d'un fonctionnaire, du gouvernement
russe ; ils se trouvent dans le Moniteur Belge, au 14 avril 1847.
Il y trouvera la
réfutation la plus énergique de ses assertions erronées. Il verra qu'il n'est
pas vrai que les grains tombent à huit ou quatre fr. dans aucun port de la
Russie, et qu'à Odessa, par exemple, le prix du froment est d'habitude de douze
à treize fr.
M. Dubus (aîné). - C'est une erreur.
M. Castiau. - J'engage l'honorable membre qui
m'interrompt à consulter ces documents et à les réfuter, non par une simple
dénégation, comme il le fait, mais par des renseignements qui auraient le même
caractère d'authenticité et d'autorité.
Admettant, pour Odessa,
le prix moyen de 12 à 13 francs il faut y joindre les frais de transport, les
frais d'assurance, les frais de commission, les frais d'avarie, etc. Tous ces
frais s'élèvent encore de 6 à 8 francs ; ce qui porte le prix de l'hectolitre à
Marseille à 20 francs, c'est précisément là le taux moyen que vous avez adopté
dans votre loi de 1834.
Du reste, messieurs,
toutes les assertions de l'honorable M. Dumortier fussent-elles exactes, cette
invasion des grains du Nord n'existerait encore que dans l'imagination de
l'honorable membre. Elle serait impossible, pour la récolte de 1848, dans les
trois mois qu'on vous demande d'ajouter à la force obligatoire de la loi. Il y
a impossibilité matérielle à ce que dans ce délai de trois mois, on puisse
recevoir de l'intérieur de la Russie un seul hectolitre de grain de la nouvelle
moisson, car la récolte y est tardive. Il faut du temps encore pour battre le
grain, car les bras manquent ; le battage du grain dure pendant plusieurs mois.
A côté de ces difficultés se place celle des transports. Et savez-vous,
messieurs, comment les transports ont lieu dans l'intérieur de la Russie ? Ils
ont lieu par chevaux ou à dos d'hommes. Puis arrivent les pluies abondantes de
l'automne et plus tard les glaces qui interrompent la circulation. De sorte
qu'il paraît impossible, de toute impossibilité, que le grain de la récolte de
1848 puisse arriver dans vos ports avant le 31 décembre de cette année. Les
craintes exprimées par M. Dumortier n'ont donc pas l'ombre de fondement.
Mais vous, messieurs, qui
semblez disposés aujourd'hui à repousser cette prorogation de trois mois,
pendant lesquels il n'arrivera pas, sans doute, un seul hectolitre de grain de
l'intérieur de la Russie, dans les ports belges, ne voyez-vous pas que vous
serez amenés, par la force des choses, à proroger le délai qui est déterminé
par la loi ? Vous refusez aujourd'hui ce délai de trois mois qui vous est demandé
par l'honorable M. Rogier, mais vous serez peut-être forcés d'accorder non pas
un délai de trois mois, mais un délai de trois ans, et de maintenir la libre
entrée des céréales pendant tout ce temps.
Car je ne partage pas
l'optimisme des honorables MM. Dumortier et de La Coste. Je ne crois pas à
cette heureuse réaction, à cette baisse rapide de prix qu'ils prévoient dans le
cours de cette année. Nul, d'abord, ne sait ce que sera la récolte de 1847.
Quant à moi, je n'ai pas l'honneur d'appartenir à l'Académie des sciences, ni
de prendre part à la rédaction de l'Annuaire de l'observatoire. Je ne suis donc
pas prophète. Mais, sans avoir la prétention d'être prophète, et surtout
prophète de malheur, je répète que je ne puis partager les espérances que l'honorable
M. Dumortier exprimait hier avec tant d'assurance, et dont l'honorable. M.
deLla Coste vient se rendre l'écho aujourd'hui.
Je suis étonné de
l'assurance avec laquelle on nous prédit dès aujourd'hui le bienfait d'une
abondante récolte pour cette année. Quoi ! nous sommes au mois de mai, et la
température est encore la température de l'hiver ! La végétation s'arrête,
languit et s'énerve ! La récolte, quelle qu'elle soit, par suite de ces
circonstances fâcheuses, et qui, en se prolongeant, pourraient devenir
alarmantes, sera différée d'un mois, de six semaines peut-être.
Je conçois que ce retard
ne nous alarme pas en ce moment outre mesure ; mais, du moins, il devrait
arrêter l'optimisme de certaines espérances. Je dis que dans ce moment
difficile et avec la progression du prix des céréales, c'est déjà un grand
malheur que ce retard dans la récolte qui doit prolonger le malaise de
populations nombreuses.
Et non seulement, je n'ai
pas foi, pour 1847, dans cette heureuse réaction que vient de nous annoncer M.
de La Coste, mais je doute fort qu'elle se réalise en 1848 et en 1849.
N'avez-vous pas, à cet égard, l'expérience des faits ? L'honorable M. Verhaegen
vous a tout à l'heure cité des précédents qui exigent de nous, en ce moment, de
sérieuses méditations. Ce n'est pas la premier fois malheureusement que nous
avons à déplorer des disettes et des crises alimentaires. On vient de vous
rappeler un exemple des conséquences d'une disette, un désastreux exemple qui
n'est pas encore effacé de nos souvenus, quoique nous en soyons séparés par
plus de trente ans, l'exemple de la disette de 1816. Une année abondante est
arrivée à la suite de cette véritable catastrophe de 1816.
Croyez-vous donc que les
prix soient tombes tout à coup au taux normal ? Non, les prix ont conservé leur
fermeté, les prix en 1847 se sont maintenus à 35 fr., prix exorbitant, prix
désastreux pour les populations. L'année suivante, la récolte réalise encore
toutes les espérances ; le prix des céréales ne baisse que de quelques francs
et s'élève encore à 26 ou 27 fr. Ce n'est enfin qu'à la suite de plusieurs
années et de récoltes heureuses que le prix des céréales fléchit définitivement
et.en revient au taux normal.
En présence de tels
précédents, comment est-il possible, je le demande, de refuser d'inscrire dans
la loi le nouveau délai de trois mois que vous demande l'honorable M. Rogier ?
Je ne puis assez vous le répéter, gardez-vous de vous laisser aller à de
trompeuses espérances ! Quoi qu'il arrive, quelle que soit l'abondance de la
récolte, je crois pouvoir affirmer que le prix des céréales en Belgique ne
tombera pas en 1848 et 1849 au-dessous de votre chiffre de 20 fr. qui est,
dites-vous, le prix normal.
Et pourquoi, messieurs ?
C'est qu'indépendamment des causes générales que je viens d'exposer, une sorte
de révolution économique et sociale s'est effectuée en Angleterre ;
l'Angleterre, ce pays des privilèges aristocratiques et des prohibitions,
l'Angleterre ouvre enfin ses ports à l'introduction des céréales et des denrées
alimentaires. L'aristocratie a redouté la colère du peuple et la grande
propriété a sacrifié une partie de ses privilèges.
C'est là maintenant que
vont affluer les céréales de tous les pays du monde et de la Belgique
elle-même, car elle a à nourrir non seulement ses habitants, mais aussi ses
trois ou quatre millions de mendiants en Irlande.
En présence de cette
libre entrée des grains en Angleterre, en présence de ces immenses besoins de
la population anglaise, il est impossible que la réaction de la hausse ne se
fasse pas longtemps sentir en Belgique. Personne ici n'oserait préciser
l'époque où le prix du grain rentrera dans ses conditions normales.
Comment donc, encore une
fois, repousser en ce moment la simple proposition d'un ajournement de trois
mois, qui vous permettrait d'examiner enfin avec maturité et calme le problème
si difficile et si redoutable des céréales ?
J'abandonne, messieurs,
la question des céréales pour arriver bien vite à la question du bétail, et je
la traite rapidement parce que je vois que la chambre est en proie à je ne sais
quelle impatience qui semble la pousser à brusquer la clôture et à étouffer la
discussion. Je réclame cependant quelques instants encore son attention et ses
méditations, car il n'est pas de question qui soit plus digne d'intérêt et de
sympathie que cette question de l'alimentation publique, et quand vous
consacrez des séances, des semaines, des mois entiers parfois à de misérables
questions d'intérêts locaux, vous pourriez bien, ce me semble, consacrer
quelques heures, quelques séances, au besoin, à une question de vie ou de mort
pour les populations qu'elle intéresse.
La libre entrée des
céréales, messieurs, entraîne nécessairement la libre entrée du bétail, et
cependant M. de Theux a séparé ces deux questions.
M. de Theux vient
demander la faculté de proroger la suspension du droit d'entrée sur le bétail ;
il ne veut pas qu'on inscrive cette prorogation dans la loi.
Pourquoi cette
distinction ? Puisque c'est la loi qui proclame la libre entrée des céréales,
la logique, la raison, l'intérêt public, l'humanité enfin, conseillaient d'y
insérer le même privilège pour le bétail ; cependant M. le ministre de
l'intérieur entend se réserver la faculté de régler cette importante matière en
vertu d'arrêtés royaux. Je ne veux pas, quant à moi, déposer l'arbitraire qu'il
réclame entre les mains de M. le ministre de l'intérieur. Je ne le veux pas,
parce que je connais ses doctrines sur l'importation du bétail. Je ne le veux
pas précisément, à cause du langage peu rassurant qu'il a tenu encore hier sur
cette question.
Je dis, messieurs, que je
ne le veux pas, parce que je redoute les doctrines de M. le ministre de
l'intérieur. En effet, quand il s'est agi de réclamer dans cette enceinte la
libre entrée des bestiaux, quand l'opposition a fait d'énergiques efforts pour
obtenir la libre entrée, qui donc était notre adversaire, M. le ministre de
l'intérieur ?
El que disait M. le
ministre de l'intérieur ? Il prétendait dans des phrases assez embrouillées il
est vrai, mais qui laissaient cependant percer je ne sais quelle pensée de
froide impassibilité, que la viande n'était pas faite pour les prolétaires,
qu'ils étaient désintéressés dans la question, comme si la viande devait être à
tout jamais la nourriture des estomacs aristocratiques et ne devait jamais
entrer dans l'alimentation des classes ouvrières....
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je prie M. Castiau de ne pas détourner mes paroles de leur
véritable sens. Je demande la parole.
M. Castiau. - Je suis heureux d'entendre M. le
ministre de l'intérieur demander la parole. J'espère qu'il expliquera les
expressions que je lui reproche ou plutôt qu'il les rectifiera, car, il doit
l'avouer, son langage a fait une douloureuse impression et sur nos bancs et sur
le public.
En dehors de la chambre
surtout, ces paroles ont donné lieu a d’énergiques accusations contre M. le
ministre. (Interruption.)
Eh bien, que M. le
ministre de l'intérieur parle et se justifie, dans l'intérêt de son caractère
et de sa réputation. J'accueillerai avec empressement les explications qui
prouveraient que les paroles auxquelles je fais allusion, n'ont pas la portée
qu'on leur a généralement attribuée.
Quoi qu'il en soit,
messieurs, et malgré la rectification annoncée par (page 1665) M. le ministre de l'intérieur, je n'en persiste pas
moins à demander que la loi tranche la question. Son langage n'est pas fait, il
faut en convenir, pour nous inspirer la moindre confiance. En effet, messieurs,
ne l'avez-vous pas entendu, dans la séance d'hier, dire que la suspension
provisoire de la taxe sur les bestiaux provoque des plaintes auxquelles il ne
semble que trop disposé à faire droit, en la rétablissant.
Messieurs, s'il est vrai
que ces plaintes existent et soient aussi vives qu'on le prétend, le devoir du
gouvernement est précisément d'éclairer les populations, de leur faire voir la
véritable cause de la dépréciation du bétail dans quelques-unes de nos
provinces. Car enfin l'importation du bétail étranger a-t-elle été assez
importante pour justifier ces plaintes ? Mais l'honorable M. Rogier nous a
fourni les chiffres de la statistique sur cette question ; qu'en résulte-t-il ?
Que sous le régime de la liberté on n'a introduit que 400 têtes de bétail en
plus que sous le régime de la taxe. Eh bien, si les population du Limbourg se
plaignent, si elles ne peuvent pas vendre avantageusement leur bétail, ce n'est
pas à cause de la concurrence du bétail étranger ; c'est une conséquence de la
misère qui sévit non seulement au sein des classes pauvres, mais qui a fini par
frapper les classes moyennes ? Ceux qui jadis mangeaient du pain, n'en ont plus
aujourd'hui de quoi satisfaire leur faim, et ceux qui mangeaient de la viande
sont obligés aujourd'hui de s'en tenir au pain. Toutes les consommations, celle
de la viande comme toutes les autres, toutes les consommations se sont
restreintes. C'est là, ce me semble, qu'il faut chercher la véritable cause de
la difficulté qu'éprouvent les cultivateurs du Limbourg à vendre leurs
bestiaux.
Et vous qui êtes si
attentif à ce qui se passe dans la province du Limbourg et sur la frontière
hollandaise, savez-vous ce qui se passe, à l'heure qu'il est, sur une autre
frontière, sur la frontière de France, dans le département du Nord ? Eh bien,
voici un fait qui vous prouvera jusqu'où la misère est poussée dans certaines
de nos provinces, et combien il importe, dans l'intérêt de toutes les classes
de la population, d'ouvrir nos frontières à toutes les denrées alimentaires.
Un négociant français.
honorable et digne de toute confiance, m'assurait ce matin qu'on ne trouvait
plus de chevaux à abattre à Lille. En savez-vous la cause ? C'est que les
chevaux destines à être abattus seraient dirigés maintenant vers la Belgique et
serviraient maintenant à l'alimentation des localités les plus pauvres des
provinces flamandes ? Voilà la dernière ressource, messieurs, qui resterait à
des hommes, à des concitoyens, à des frères faits comme nous à l'image de Dieu
!
Ce récit est-il vrai ?
J'aime encore à en douter, quoiqu'il m'ait été attesté, je le répète, par un
des habitants les plus honorables du département du Nord.
Mais si le fait est
exact, n'est-il pas de nature à soulever vos consciences et à révolter tous vos
sentiments ?
Et c'est en présence de
ces révélations poignantes qui nous arrivent de toutes parts, que le
gouvernement oserait aujourd'hui encore exprimer des doutes et des hésitations
sur la libre entrée du bétail ! Il persisterait à refuser d'insérer dans la loi
cette libre entrée du bétail, qui est le corollaire nécessaire de l'entrée
libre des céréales ! Oh ! non, dans l'intérêt de l'humanité, dans l'intérêt du
gouvernement, dans l'intérêt de l'ordre public, dans l'intérêt de nos
populations, dans l'intérêt de la masse des consommateurs, j'espère qu'il ne
s'opposera pas plus longtemps à ce que cette libre entrée du bétail reçoive la
consécration de la loi ! Oui, je demande formellement qu'elle soit prononcée
par la loi.
Je reprends donc
l'amendement de l'honorable M. Osy, qui, après l'avoir présenté, l'a retiré je
ne sais pour quel motif.
Eh bien ! cet amendement
que l'honorable M. Osy a eu le tort de retirer, je le reprends. Je demande que
la chambre en délibère. Je le demande surtout pour que l'on sache enfin s'il se
trouvera une majorité dans cette enceinte pour repousser la libre entrée du
bétail, au milieu de la crise alimentaire la plus violente et la plus
douloureuse que ce pays ait éprouvée depuis trente ans.
Un dernier effort de
bienveillance encore, messieurs ! Permettez-moi de répondre quelques mots,
quelques mots seulement, au long et brillant panégyrique que M. le ministre des
affaires étrangères nous a présenté, a l'occasion de cette loi, du
gouvernement, du ministère, et conséquemment de sa personne. En vérité, j'en
suis étourdi encore ; car je n'ai jamais assisté à une ovation plus personnelle
et plus éclatante.
L'honorable M. Rogier
avait été pour le ministère d'une extrême bienveillance. Il lui avait adressé
des remerciements et des félicitations pour la présentation d'un projet de loi
qui répondait à nos communes convictions. Ces remerciements et ces
félicitations n'ont pas suffi, paraît-il, pour la glorification du ministère.
M. Dechamps a prétendu n'en avoir rien entendu, quoiqu'il n'y ait peut-être pas
dans cette chambre un membre qui ait l'ouïe plus exercée ; et à l'aide de cette
surdité plus ou moins volontaire, il a pu enlever l'encensoir des mains de M.
Rogier pour se le briser lui-même contre la figure. Avec quel bonheur il a
placé le gouvernement belge au-dessus de tous les autres gouvernements de
l'Europe, et les ministres belges au-dessus de tous les autres ministres ! Il
ne s'est point contenté d'élever sa personnalité bien au-dessus des ministres
prussiens, il s’est placé au-dessus des ministres français, au-dessus du plus
grand ministre de l'Angleterre, au-dessus de Peel lui-même. Dans l'ardeur de
ses entraînements oratoires, j'ai vu le moment où il allait élever de ses
mains, dans cette enceinte, pour sa statue, un piédestal aussi haut que la plus
haute des pyramides. (Interruption.)
Depuis, je le reconnais loyalement, en lisant son discours dans le Moniteur, je
n'y ai plus retrouvé à un si haut degré ce caractère d'ovation ministérielle
qui m'avait choqué dans son improvisation ; la modération de l'écrivain avait
remplacé l'exaltation de l'orateur. Il semblait avoir couvert son discours, non
pas d'une poussière d'or, mais d'une poussière de modestie, qu'on veuille bien
me passer cette expression. Le panégyrique était moins brillant et les éloges
étaient plus adoucis. Cependant M. le ministre n'en persistait pas moins à
réclamer pour le nouveau ministère, et pour lui spécialement, l'honneur d'avoir
pris l'initiative de la suspension des lois sur les denrées alimentaires et
d'avoir ainsi donné des leçons de prudence gouvernementale à la Belgique, à
l'Europe et au monde.
Avant d'aller plus loin,
que M. le ministre me permette de combler une lacune qui me paraît exister dans
ses souvenirs. Ce n’est ni lui, ni M. de Theux, ni M. Malou qui a pris
l'initiative des mesures libérales qui ont eu notre sanction. C'est un ministre
libéral, c'est l'honorable M. Van de Weyer. A lui donc l'honneur qu'entend
s'approprier M. Dechamps ! Et en y réfléchissant, une pensée me frappe : Ne
serait-ce pas, par hasard, pour le punir de cette initiative autant que des
quelques idées libérales qu'il avait jetées dans un projet de loi, que
l'honorable M.de Theux a tant applaudi à la déconvenue de l'honorable M. Van de
Weyer et s'est empressé de prendre sa place ?
J'en reviens à la
glorieuse initiative dont vous parlait M. Dechamps. Si le ministère a rendu un
immense service au pays et s'il mérite des couronnes civiques pour avoir
suspendu pendant deux ans les lois sur les céréales, l'opposition n'aurait-elle
pas le droit à son tour de réclamer sa part de triomphe et de gloire ?
N'a-t-elle pas repoussé cent fois les taxes sur les denrées alimentaires ?
N'a-t-elle pas combattu la loi de 1834 ? N'a-t-elle pas cent fois attaqué les
aggravations ? N'a-t-elle pas, il y a quelques mois à peine, réclamé cette
prorogation de la suspension de la loi de 1834, que le ministère nous refusait
alors avec une opiniâtreté qui semblait invincible ? N'est-ce pas elle enfin
qui, pendant des mois entiers, a réclamé la libre entrée du bétail, que le
ministère n'a consentie que lorsque l'émeute commençait à agiter quelques-unes
de nos villes ?
Et cependant,
l'opposition qui a tant fait pour éviter les dangers et les malheurs de la
crise que nous traversons, l'opposition n'a pas cru devoir imiter M. le
ministre et emboucher la trompette parlementaire pour sonner des fanfares en
son honneur !
Soyons donc juste pour
tout le monde, pour le ministère comme pour l'opposition.
Non, messieurs, non, ce
n'est pas le ministère, ce n'est pas même l'opposition qui doit avoir l'honneur
de l'initiative de la libre entrée des céréales et de la libre entrée du
bétail. Il a fallu une autorité plus puissante que celle de l'opposition pour
étouffer les répugnances île nos ministres et les arracher à leur incurable
immobilité. cette autorité, devant laquelle nos ministres ont dû s'incliner,
cette autorité irrésistible, c'est la misère qui ronge nos populations, c'est
la faim qui les décline, c'est la crainte que l'excès de la misère n'entraînât
de déplorables désordres. En adoptant les mesures qu'on a tant exaltées, le ministère n'a droit ni à nos éloges ni à notre
reconnaissance ; il a rempli le plus rigoureux et le plus pressant des devoirs,
il n'a fait qu'obéir à la puissance, à la fatalité des faits. Qui aurait
hésité, qui pouvait hésiter dans de telles circonstances ? Mais le ministre
qui, lorsque la misère énerve et tue nos populations, le ministre qui, dans des
circonstances aussi critiques, aurait en main le moyen d'adoucir de telles
souffrances, de sauver nos frères, et qui repousserait impitoyablement ce moyen
de salut, un tel ministre ne passerait-il pas, qu'on me pardonne l'expression,
pour un bourreau ou pour un monomane ? Oh ! celui-là n'aurait pas droit certes
à ces honneurs du Panthéon que M. Dechamps se décernait à lui-même et, pour
l'honneur de l'humanité, on voudrait voir sa place marquée dans un hospice
d'aliénés.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, vous aurez remarqué comme moi que le discours
de l'honorable membre a deux portées, diamétralement contradictoires. La
première partie de son discours a été un discours à la hausse des denrées
alimentaires ; c'était un discours d'alarmiste, un discours tel qu'il aurait pu
sortir de la bouche d'un spéculateur, voire même d'un accapareur.
Dans une autre partie de
son discours, l'honorable membre, je le dis à regret, s'est associé à ce que le
journalisme a de plus méprisable, en ce qu'il détourne les paroles d'un
ministre, d'un membre de cette chambre de leur véritable signification.
Et ici je fais allusion à
la question du bétail. Qu'ai-je dit dans la séance dont a parlé l'honorable
préopinant ? On demandait la libre entrée du bétail dans l'intérêt de la classe
ouvrière el souffrante des Flandres ; eh bien, j'ai dit que demander la libre
entrée du bétail dans l'intérêt de ces malheureux, c'était en quelque sorte une
ironie, une insulte. Quoi ! manger de la viande fraîche, pour des gens qui ont
à peine du pain et des pommes de terre, n'est-ce pas une dérision véritable que
de le supposer ? Comment ! les pauvres mendiants des Flandres mangeraient de la
viande de boucherie, alors que la plupart des cultivateurs qui élèvent le
bétail à la sueur de leur front n'en mangent peut-être pas une fois l'an ! El
c'est dans l'intérêt de la classe ouvrière des campagnes que l'on demande la
libre entrée du bétail ! Je le répète, c'est une dérision ; n'ajoutons pas,
messieurs, une nouvelle amertume à des souffrances qui sont malheureusement
trop réelles.
Messieurs, le
gouvernement a pris un arrêté suspendant les droits de douane à l'entrée du
bétail ; il l'a pris aussitôt que les circonstances l'ont (page 1666) permis, alors que le cultivateur avait passé la plus
mauvaise saison de l'année, alors qu'il pouvait diminuer les sacrifices
qu'exige la nourriture du bétail ; cet essai, nous l'avons dit hier, n'a pas
été heureux pour le cultivateur, et il n'a pas porté de fruit pour le
consommateur de la viande.
Et d'ailleurs, de quel
droit viendrait-on faire un reproche au gouvernement de n'avoir pas pris plus
tôt une semblable mesure, lorsqu'un seul conseil communal de nos villes a cru
devoir imiter l'exemple du gouvernement, adopter le même principe, en
suspendant le droit d'octroi, bien autrement onéreux que le droit de douane ?
Car le droit d'octroi, outre qu'il est plus considérable en lui-même, pèse sur
tout le bétail, tant indigène qu'étranger.
Et d'ailleurs quel fruit
le conseil communal auquel je fais allusion a-t-il recueilli de sa généreuse
mesure ? On n'a pas tenu compte de la suppression du droit d'octroi, pas plus
que de celle du droit de douane, sur les viandes de première qualité dans la
ville où cette mesure a été prise.
Qu'est-il arrivé de là ?
C'est que les autres villes, voyant la nullité des résultats qui ont été
obtenus, n'ont pas voulu imiter cet exemple. Et si les droits d'octroi ont été
maintenus, ils l'ont été par des administrateurs qui sans doute sont à l'abri
des attaques de l'honorable M. Castiau ; car, suivant lui, son opinion est
triomphante dans toutes les villes, et les autorités qui ont maintenu ces
droits sont des autorités électives, des autorités municipales, représentant la
bourgeoisie.
L'honorable membre
n'a-t-il pas senti que les attaques qui sont dirigées si injustement contre le
gouvernement, tombaient bien plus directement sur les municipalités de toutes
nos villes ?
Mais, messieurs, en
France où les souffrances sont bien autrement grandes qu'ici ; en France où
l'on a vu élever le prix des grains dans certains départements, dès le
commencement de l'hiver jusqu'à 50 et des francs, le droit de douane sur le
bétail est encore maintenu dans toute son intégrité.
En Belgique, messieurs,
nous avons admis la libre entrée des viandes fumées, séchées et salées jusqu'au
1er octobre 1847 ; nous avons annoncé et même consenti à l'insertion dans la
loi de la libre entrée de ces viandes jusqu'au 1er octobre 1848. A-t-on fait
quelque chose de semblable en France ? En aucune manière. C'est en présence de
ces faits qu'on a le triste courage d'attaquer le gouvernement de son pays,
comme si c'était remporter un triomphe pour son opinion que d'avilir le
gouvernement. Quoi que vous fassiez, vous n'y parviendrez pas. Qu'il me soit
permis de le dire, ce n'est pas seulement le gouvernement de son pays qu'on
cherche à amoindrir, alors qu'on traite si dédaigneusement les actes qu'avait
cités M. le ministre des affaires étrangères, c'est le pouvoir législatif qu'on
amoindrit également, car les mesures prise aussi du domaine législatif.
M. Van de Weyer, d'après
l'honorable membre, aurait été renvoyé parce qu'il a eu le courage de permettre
l'entrée des céréales.
M. Castiau. - C'est une supposition.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C'est une supposition, dit l'honorable membre ; mais c'est
là une supposition injuste, une supposition indigne de l'honorable M. Castiau.
Mais est-ce M. Van de Weyer seul qui avait pris cette mesure ? Ses collègues M.
d'Anethan, M. Dechamps, M. Malou ne s'y étaient-ils pas associés ? N'était-ce
pas l'avis unanime du conseil des ministres ? Celui qui a l'honneur de vous
parler n'a-t-il pas été le rapporteur de la section centrale qui a examiné la
loi ? N'a-t-il pas pris de pareilles mesures dans des circonstances beaucoup
moins graves à diverses reprises, alors que l'honorable membre ne faisait pas
partie de cette chambre ?
L'honorable M. Verhaegen
a mis en doute les belles espérances de la récolte prochaine et il s'est fondé
sur les observations faites touchant quelques champs de froment des environs de
la capitale, dont les feuilles commençaient à jaunir. Heureusement ce n'est que
!a simple conséquence d'une température un peu froide, qui n'a rien de commun
avec la rouille. Je me suis assuré par l'autorité d'un de nos premiers
naturalistes que nos champs ne présentent aucune apparence de rouille. Je suis
heureux de le déclarer, car avant tout il importe de ne pas jeter l'alarme dans
le pays.
M. Verhaegen. - Alors, il y avait imprudence à
insérer cette nouvelle dans le Moniteur !
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable membre doit savoir que le ministère ne
s'occupe pas des nouvelles que le Moniteur insère dans ses colonnes. Sous le
rapport des nouvelles, il est comme tous les journaux.
M. Verhaegen. - Je suis heureux d'avoir donné lieu
à cette déclaration.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je savais, en la faisant, ne pas déplaire à l'honorable
membre.
J'ai eu l'honneur de vous
le dire, hier, j'ai reçu une lettre de la commission d'agriculture de la
province d'Anvers, qui porte en termes exprès, que nous avons la plus belle
apparence de récolte de froment et de seigle, qu'on puisse voir.
Voilà les expressions de
la lettre, c'est d'ailleurs conforme aux nouvelles que j'ai reçues des autres
provinces.
Messieurs, j'arrive à
l'amendement de M. Rogier. On a dit : Mais pourquoi s'arrêter plutôt à la date
du 1er octobre 1848 qu'à celle du 31 décembre ? C'est une date arbitraire. Non,
messieurs, ce n'est pas une date arbitraire, elle est fondée sur la nature même
des choses. A la date du 1er octobre 1848 on commencera à être en possession de
la récolte de 1848, c'est-à-dire qu'on sera en possession de deux récoltes
nouvelles, et quelques importations étrangères de la récolte de 1848 pourront
avoir été faites à cette époque.
D'autre part, il est
certain que le pouvoir législatif sera encore réuni à une époque assez avancée
pour adopter une nouvelle prorogation de la loi, si on trouvait que cela fût
utile. Toutefois, je ne m'opposerai pas à l'amendement de l'honorable M. de La
Coste, qui donne au gouvernement la faculté de proroger la loi jusqu'au 31
décembre. Cette faculté, nous en ferons usage, si les circonstances le rendent
nécessaire, et elle nous dispensera de devoir demander aux chambres de nouveaux
pouvoirs.
Ce à quoi je m'oppose,
c'est qu'on décrète maintenant la mesure, sans tenir compte d'aucune
circonstance.
Mais, dit-on, en 1848 les
prix seront encore élevés, attendu que les prix sont restés élevés en 1816, en
1817 et en 1818. J'adopte volontiers la comparaison delà situation de cette
époque avec la situation présente. Ainsi, en 1816, le prix du froment était de
31 fr. l'hectolitre, en 1817 de 35 fr. et en 1818 de 26 fr. Eh bien, prenons
les 3 années correspondantes 1845, 1846 et 1847 ; et ici remarquez que nous
ajoutons une proposition pour 1848 ; nous allons jusqu'à la quatrième année,
cependant en 1819 le prix était tombé à 18 fr.
Je désire qu'il en soit
ainsi. Si le prix était tombé à 18 fr. en 1848, faudrait-il encore proroger la
loi ? Je dis que non, ce serait une prévision pour la cinquième année, tandis
qu'à l'époque correspondante la cherté ne s'est fait sentir que pendant trois
années. Vous voyez que nous mettons à exécution des vues larges, mais en même
temps des vues conservatrices de tous les intérêts.
Le Journal des Débats,
dont on a invoqué l'autorité, que demandait-il ? La libre entrée jusqu'au 31
juillet 1848 ; nous la proposons jusqu'au 1er octobre 1848. Nous allons donc
plus loin. Pourquoi donc l'amendement de. M. Rogier ? C'est qu'il doit être dit
que jamais le gouvernement n'aura, aux yeux de certains membres de cette
chambre, fait suffisamment. En France, qu'avons-nous vu, quand le journal
ministériel a énoncé cette idée de permettre la libre entrée des céréales
jusqu'au 31 juillet 1848 ?
Les
journaux, des membres les plus distingués de l'opposition se sont mis à faire
de la protection agricole et à attaquer la pensée du Journal des Débats, qu'ils
supposaient être la pensée du ministère. C'est ainsi que dans tout gouvernement
représentatif, quel que soit le parti que prenne le gouvernement, il est
certain de rencontrer une opposition quelconque.
Pour nous, messieurs,
nous ne nous arrêterons pas à de semblables considération ?. La seule
considération qui nous guidera dans tous nos actes, ce sera l'intérêt général
du pays, et c'est le seul intérêt qui nous a guidés dans la proposition que
nous vous avons faite.
M. Anspach. - Messieurs, j'avais demandé la
parole pour reprendre la proposition de l'honorable M. Osy. L'honorable M.
Castiau s'en est chargé, en sorte que ma proposition devient inutile. Mais il
n'en est pas de même des considérations que j'avais à développer devant la
chambre pour motiver la reprise que je voulais faire de la proposition de
l'honorable M. Osy. Je prie la chambre de bien vouloir écouter ces
considérations.
Messieurs, l'honorable M.
Osy avait fait hier la proposition de mettre les objets désignés dans le
deuxième paragraphe de l'article premier sur le même pied que ceux désignés
dans le premier paragraphe du même article, c'est-à-dire de les rendre libres à
l'entrée.
L'honorable député
d'Anvers n'a pas persévéré dans cette proposition, et il s'est contenté de voir
ajouter au premier paragraphe les viandes séchées ou fumées, articles qui viennent
par mer ; je regrette que cette légère concession et de minces intérêts
commerciaux l'aient engagé à se relâcher sur une mesure d'un si grand intérêt
général ; quoi qu'il en soit, je reprends la proposition de l'honorable M. Osy,
je ne veux pas laisser au gouvernement la faculté de choisir le moment où il
lui conviendra de rendre libre de tous droits l'entrée des denrées
alimentaires, et dans de telles limites qu'il fixera pour la hauteur de ces
droits. Nous connaissons, à cet égard, l'opinion qui dirige le cabinet, dans la
crise actuelle, à la fin de laquelle j'espère que nous serons bientôt arrivés.
N'ayons-nous pas vu le ministère ne se résoudre qu'à la dernière extrémité à
prendre la mesure pour la libre entrée, malgré les avertissements de la chambre
? Moi-même, à deux reprises différentes, j’ai demandé à MM. les ministres s'ils
ne croyaient pas venu le moment où ils devaient faire usage de la faculté que
la loi leur laissait. Ce n'est que forcés par l'explosion de l'opinion publique
qu'ils s'y sont décidés ; le discours d'hier, de M. le ministre de l'intérieur,
vous a montré qu'il est toujours dans les mêmes dispositions ; en l'entendant
parler des plaintes qui lui avaient été faites, des effets désastreux sur les
prix de la libre entrée du bétail, je me suis demandé si, tout d'un coup, sans
que je m'en fusse aperçu, le prix de la viande avait diminué ! Ecouter de
pareilles doléances et en tirer des conséquences qu'on vient présenter à la
chambre, c'est montrer la tendance de M. le ministre ; cela rappelle une
ancienne régence de Bruxelles qui allait demander conseil aux bouchers pour
savoir s'il convenait de faire un règlement pour a boucherie ; comme on devait
s'y attendre, ils répondirent tous : Non. Heureusement on n'eut pas égard à
leur opinion.
Il est impossible de
croire que la libre entrée du bétail dans un temps de disette ne soit pas un
bien. Je n'admets pas la distinction de bétail gras et de bétail maigre : un
kilog. de viande maigre nourrit pour le moins autant qu'un kilog. de viande engraissée.
On ne s'enquiert pas de la qualité plus ou moins tendre, plus ou moins
succulente, lorsqu'il s'agit de se nourrir pour vivre ; il suffit que la
nourriture soit saine et (page 1667)
réparatrice. Différentes expériences ont été faites en Belgique sur la
propriété nutritive de la viande ; elles ont été controversées. Mais il vient
de se faire à Paris, devant tout ce que la science a de plus distingué, de
nouvelles expériences qui ont eu pour résultat la preuve qu'un quart de kilog.
de viande nourrit autant qu'un kilog. de pain. Il en résulterait que la viande,
au prix moyen de 1 fr. 20 le kil., équivaudrait pour le quart à 30 cent.,
nourrissant autant qu'un kilog. de pain, valant aujourd'hui, à Bruxelles, pour
la troisième qualité, 45 à 50 c. C'est donc une différence de plus de 50 p. c.
en faveur de la viande ; et on viendra nous dire que le pauvre n'est pas
intéressé dans la question !
Les centaines de mille
ouvriers dont le salaire est payé en argent en recevraient une diminution de 15
à 20 p. c. dans le coût de leur nourriture, et vous trouverez qu'il n'est pas
important de faire tout ce qu'il dépend de nous pour en arriver là ! Cela n'est
pas possible, messieurs ! Je reprends donc la proposition primitive de
l'honorable M. Osy, et comme il importe, dans des temps de disette, de
faciliter l'entrée de toutes les denrées alimentaires, je ne me borne pas à
demander l'entrée libre du bétail, mais de tous les objets relatés dans le
deuxième paragraphe de l'article premier.
D'après ce que j'ai dit
plus haut des dispositions de MM. les ministres, vous comprendrez que
j'appuierai de toutes mes forces l'amendement de l'honorable M. Rogier, pour
substituer la date du 31 décembre à celle du 1er octobre 1848. Lorsque les
chambres seront assemblées, ce ne sera qu'avec leur assentiment que des
changements pourront s'opérer.
J'aurais
voulu que cette mesure s'étendît jusqu'en 1849 ; cela aurait facilité les
engagements pour le commerce des grains, opérations de longue haleine, surtout
pour la mer Noire, puisqu'il faut calculer non seulement le transport d'Odessa
chez nous, mais encore le transport de l'intérieur pour l'approvisionnement de
ce port. Remarquez, messieurs, que vous serez toujours obligés d'en venir là,
car malheureusement il s'écoulera bien du temps avant que nous ne voyions le
prix des grains revenu à leur taux normal.
- La clôture est
demandée.
M. Rogier (contre la clôture). - J'espère
qu'on me permettra de donner quelques explications. Hier je n'avais pas insisté
sur la continuation de la discussion générale, parce qu'il avait été entendu
que je pourrais parler sur l'article premier.
Un membre. - Vous avez cédé votre tour de
parole.
M. Rogier. – Il est vrai que j'ai cédé mon
tour de parole à l'honorable M. Castiau. Mais je ne crois pas avoir démérité
pour cela de la complaisance de la chambre.
Je crois qu'on n'a jamais
refusé à l'auteur d'une proposition de donner quelques explications.
M. Delfosse (contre la clôture). - J'aurais
aussi quelques courtes observations à présenter, je demande que la chambre
veuille bien m'entendre.
- La clôture de la
discussion est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Le premier amendement à mettre aux
voix est celui de M. Rogier qui tend à substituer la date du 31 décembre 1848 à
celle du 1er octobre 1848.
- L'appel nominal est
demandé.
L'amendement de M. Rogier
est mis aux voix par appel nominal.
81 membres répondent à
l'appel nominal.
28 votent pour
l'amendement.
53 votent contre.
En conséquence,
l'amendement de M. Rogier n'est pas adopté.
Ont voté pour
l'amendement : MM. Veydt, Anspach, Cans, Castiau, David, de Baillet, de Bonne,
Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Naeyer, de Tornaco, d'Hoffschmidt, Dolez,
Fleussu, Kervyn, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Orts, Osy,
Pirson, Rogier, Sigart et Verhaegen.
Ont voté contre : MM.
Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Biebuyck, Brabant, Clep, Dechamps, de Corswarem,
Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, de Lannoy, de
Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Muelenaere, de Renesse, de
Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes,
de Villegas, d'Huart, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont,
Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Huveners, Jouet, Lejeune, Liedts, Maertens,
Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Simons,
Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde et Vandensteen.
Le sous-amendement de M.
de La Coste tendant à ajouter à l'article un paragraphe ainsi conçu : « Le
terme fixé ci-dessus pourra être prorogé par le gouvernement jusqu'au 31
décembre 1848, » est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Deux additions sont proposées au
premier paragraphe : d'abord, l'une proposée par M. Castiau, et qui, si elle
était adoptée, ferait disparaîtra le paragraphe 2 ; elle consiste à ajouter
après les mois les pommes de terre et le riz, ceux-ci : le bétail.
- Cet amendement est mis
aux voix par appel nominal :
82 membres répondent à
l'appel nominal.
26 votent l'adoption.
55 votent le rejet.
1 (M. Osy) s'abstient.
En conséquence, l'amendement
n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption : MM.
de Tornaco, Dolez, Fleussu, Kervyn, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys,
Manilius, Orts, Pirson, Rogier, Sigart, Verhaegen, Veydt, Anspach, Cans,
Castiau, David, de Bonne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Naeyer.
Ont voté le rejet : MM.
de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de
T'Serclaes, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dubus, ainé, Dubus (Albéric),
Dumont, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Huveners, Jonet, Lejeune, Liedts,
Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Pirmez, Rodenbach, Scheyven,
Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Van den Eynde, Van den Steen, Vilain
XIIII, Wallaert, Zoude, Biebuyck, Brabant, Clep, de Baillet, Dechamps, de
Corswarem, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, de
Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Muelenaere, de
Renesse et de Roo.
M. Osy. - Messieurs, je forme les vœux les
plus sincères pour que la libre entrée du bétail soit prorogée jusqu'à la fin
de 1848 ; mais par suite des renseignements fournis par M. le ministre de
l'intérieur, je veux laisser toute la responsabilité au gouvernement, et je me
contenterai de la disposition qui lui laisse la faculté de proroger la libre
entrée.
- La chambre adopte
l'amendement de M. Osy, qui est relatif aux viandes séchées, salées et fumées.
L'article premier est
ensuite adopté dans son ensemble.
Article additionnel
M. le président. - Il y a un article nouveau proposé
par M. Osy et conçu en ces termes :
« Les dispositions
de l'article précédent seront applicables à tout navire belge ou étranger, dont
les papiers d'expédition constateront que le chargement en grains ou autres
denrées comprises dans la présente loi aura été complété et le départ effectué
d'un port étranger quelconque avant le 1er septembre, même dans le cas où il
n'entrerait dans un port belge qu'à une époque postérieure au 1er octobre 1848.
»
Le gouvernement s'est
rallié à cet amendement.
M. Osy. - Messieurs, hier en développant mon
amendement, j'ai dit que si l'on prorogeait la loi jusqu'au 31 décembre, il
faudrait également, dans l'article dont M. le président vient de donner
lecture, substituer la date du 1er décembre à celle du 1er octobre. Par suite
de l'adoption de l'amendement de l'honorable M. de La Coste, je proposerai
maintenant un second paragraphe ainsi conçu :
« Cette disposition sera
prorogée jusqu'au 1er décembre 1848, si la présente loi est prorogée jusqu'au
31 décembre de la même année. »
- L'article 2 nouveau est
mis aux voix et adopté avec cette addition.
Article 2 (devenu article 3)
« Art. 2 (qui devient
l'art. 3). Le gouvernement pourra, pendant le même terme, interdire la sortie du
froment, du seigle, de l'orge, du sarrasin, de l'avoine, des fèves et vesces,
des pois, des pommes de terre et de leurs fécules, des farines, sons et
moutures de toute espèce, du pain, du biscuit et du gruau. »
- Adopté.
Article additionnel
M. le président. - Voici un article 4 nouveau qui
vient d'être déposé par M. Veydt :
« Les effets de la loi du
23 mars 1847 pourront être prorogés par le gouvernement, en tout ou en partie,
jusqu'au 31 décembre 1848. »
M. Veydt. – Il me suffira de quelques mots,
messieurs, pour développer l'amendement que je viens d'avoir l'honneur de
déposer sur le bureau.
La loi du 22 novembre
1846, qui va être remplacée par le projet dont nous nous occupons, a pour
corollaire une petite loi d'une date récente. Elle accorde la remise du droit
de tonnage en faveur des importations, pour la consommation des denrées
alimentaires et, en second lieu, elle défend l'emploi des pommes de terre pour la
distillation.
La durée de cette loi ne
s'étend pas au-delà du 1er décembre 1847. Je crois que son sort doit être lié à
celui de la loi générale sur la libre entrée des denrées alimentaires : elle en
fait, en quelque sorte, partie. Toutefois, messieurs, c'est au gouvernement que
je laisse le soin de proroger les effets de la loi du 35 mars dernier, si les
circonstances continuent à l'exiger. Tel est l'objet de mon amendement, qui
formera, s'il est adopté, un article additionnel à la loi.
- L'article 4 nouveau,
proposé par M. Veydt, est mis aux voix et adopté.
« Art. 3 (qui devient
l'art. 5). Il est ouvert au département de l'intérieur, sur l'exercice 1847, un
crédit supplémentaire de trois cent mille francs (fr. 300,000) pour mesures
relatives aux subsistances.
« Ce crédit formera
l'article unique du chapitre ... du budget de l'exercice 1847. »
M. de La Coste. - Messieurs, les observations que
j'ai présentées relativement à cet article, dans la discussion générale, ont
bien été appuyées par l'honorable M. Desmet ; mais, sauf cet appui, il me
semble qu'elles n’ont pas trouvé beaucoup de faveur dans la chambre. Je
m'abstiendrai donc de présenter un amendement. Cependant, j'aurais désiré que
le ministère demandât une somme plus forte, ne fût-ce que pour avoir une
certaine réserve, dont il aurait pu faire usage ou ne pas faire usage, d'après
les circonstances.
M. de T’Serclaes. - Messieurs, je n'ai point voulu
prendre part à la (page 1668) discussion générale, parce que je
pensais avec plusieurs membres de cette chambre, que la discussion des grandes
questions de principes que la matière soulève n'était pas en ce moment utile ;
j'ajoute qu'à mes yeux cette discussion pouvait être dangereuse, en présence
des craintes si vives qui agitent nos populations à l'endroit des subsistances.
Messieurs, j'ai des
observations à présenter sur l'article 3 (ancien). Je crains, avec plusieurs
des honorables préopinants, et je voudrais que M. le ministre de l’intérieur
nous rassurât à cet égard d'une manière complète, je crains, dis-je, que le
crédit de 300,000 fr. ne soit tout à fait insuffisant pour satisfaire aux
justes demandes d'un grand nombre de localités. M. le ministre de l'intérieur
nous a dit qu'on a dépensé, en 1840, 302,000 fr. ; or, cette année, les besoins
sont beaucoup plus grands, la misère bien plus accablante que l'année dernière.
Si donc le gouvernement ou quelqu'un de nos honorables collègues voulait
proposer un chiffre plus élevé, je déclare que je m'y rallierais avec
empressement.
Messieurs, je saisirai
cette occasion pour appuyer les observations faites dans la discussion
générale, à propos des subsides demandés par certaines villes. Il est des
villes qui renferment, en dehors de l'agglomération, une population rurale
nombreuse en proie aux mêmes souffrances que les populations
foraines ; il est des villes dont la prospérité et la grande population ne
datent que de quelques années ; ces localités n'ont point, relativement aux
besoins des indigents, les mêmes ressources que les villes anciennes où la
charité a amassé depuis des siècles des trésors pour les pauvres. Il est juste,
ce semble, et conforme aux intentions du législateur, que les grandes communes
dont je parle participent aux sommes votées par les chambres, comme le
plat-pays.
J'espère que le
gouvernement ne tardera point à faire droit aux justes réclamations qui ont été
adressées de ce chef.
M. d’Hoffschmidt. - Je désire aussi, messieurs, que le
chiffre proposé à l'article 3 soit suffisant pour faire face à tous les besoins
; mais je désire en même temps qu'il soit réparti entre toutes les parties du
pays. Je ne sais s'il en a été ainsi du crédit de 1,500,000 fr. ; mais ce que
je sais parfaitement, c'est que la province à laquelle j'ai l'honneur
d'appartenir, a reçu excessivement peu sur ce crédit. Cependant de grandes
souffrances existent dans le Luxembourg, surtout dans les Ardennes. J'appelle
l'attention du gouvernement sur ce point, et je le prie de ne pas perdre de vue
cette circonstance que la loi dont nous nous occupons ne peut exercer aucune
influence en faveur des populations du Luxembourg, en ce qui concerne la libre
entrée des grains. En effet, les céréales arrivant dans nos ports de mer ne
peuvent, à cause des énormes frais, être transportées jusque dans notre
province. C'est là, ce me semble, une considération puissante pour qu'on vienne
en aide aux populations du Luxembourg par des subsides. Cependant le gouvernement
a montré toujours une grande indifférence pour les Ardennes.
Quant à moi, j'ai adressé
diverses réclamations à M. le ministre de l'intérieur ; je lui ai adressé des
pétitions, je lui ai écrit des lettres pour obtenir des subsides, notamment pour
mon arrondissement et je n'ai jamais reçu de réponse ; aucune mesure, je crois,
n'a été prise. Je dois donc insister pour que le gouvernement vienne en aide à
ces populations pendant qu'il en est encore temps. Je crois devoir aussi faire
observer que dans cette province la charité privée est
tout à fait impuissante parce qu'il y a trop peu de personnes aisées pour
l'exercer d'une manière efficace ; les communes, de leur côté, sont trop
dénuées de ressources pour venir en aide aux pauvres, et les bureaux de
bienfaisance n'existent, en quelque sorte, que nominalement. Ce n'est donc que
le pouvoir tutélaire du gouvernement qui puisse donner des secours efficaces à
nos populations pauvres, et c'est pourquoi je crois remplir un devoir, au
moment où nous allons nous séparer, en appelant l'attention toute spéciale de
M. le ministre de l'intérieur sur la situation de la province de Luxembourg.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je m'empresse de déclarer qu'aucune province ne sera
exclue de la distribution du subside ; je crois qu'il sera utilement employé
dans toutes les provinces.
Je pense, messieurs, que
la somme demandée sera suffisante pour l'usage auquel elle est destinée.
On a craint que la mesure
ne fût un peu tardive. Je crois, d'après les motifs qui ont été exposés à
l'appui du projet, que c'était le moment le plus opportun
que nous pussions choisir. D'autre part je dois déclarer à a chambre que pour
éviter tout retard j'ai déjà, pressentant ses dispositions favorables, expédié
aujourd'hui aux gouverneurs des provinces une instruction complète sur l'emploi
du crédit. Ainsi, messieurs, le jour où la loi sera publiée le crédit pourra
recevoir son emploi
Quant au crédit de
1,500,000 francs, aucune province n'a été exclu de la répartition de cette
somme. Le gouvernement a fait tout ce qui était en lui pour opérer la
distribution la plus juste, selon l'esprit de la loi.
M. Rogier. - C'est très à tort, messieurs, que
l'honorable député de St-Nicolas vient de nous dire qu'il est inopportun et
dangereux de soulever dans cette enceinte des discussions sur la question des
denrées alimentaires, sur la question de l'alimentation de nos populations. Je
ne puis laisser passer une pareille assertion sans y répondre. Je crois que ce
qu'il y a d'inopportun et de dangereux, c'est d'étouffer ces discussions, c'est
d'agir, comme l'a fait tout à l'heure la majorité, à laquelle appartient
l'honorable député de St-Nicolas. Ainsi ne pensait pas, messieurs, un honorable
membre dont j'avais recueilli l'opinion pour la communiquer à la chambre, un
des membres les plus honorables et les plus éclairés du sénat, un des membres
dont les lumières malheureusement manquent aujourd'hui au parlement belge ;
celui-là, messieurs, croyait qu'il était utile d'agiter de pareilles questions
au sein du parlement, celui-là ne croyait pas qu'il fût inopportun et dangereux
de s'occuper, en présence des populations, des besoins premiers des population.
Oui, je regrette, messieurs, de ne pas avoir eu l'occasion de vous citer cette
opinion que j'ai religieusement recueillie, l'opinion du regrettable et
honorable vicomte Biolley.
Pour
moi, je ne regrette pas d'avoir soulevé la question. Elle reviendra encore.
Elle doit revenir souvent, jusqu'à ce que le parlement ait enfin trouvé un
remède efficace. Je ne m'explique donc point le reproche articulé contre la
discussion qui a eu lieu à l'occasion du projet de loi et, pour ma part, je le
répète, et j'espère que mes amis feront de même, nous reviendrons souvent sur
cette question.
M. de Haerne. - De même que plusieurs honorables
préopinants, je regrette, messieurs, que le crédit demandé pour les
subsistances ne soit pas plus élevé. Je pense que si ce crédit était porté au
double, il ne serait pas trop considérable.
Dans la séance d'hier, M.
le ministre de l'intérieur nous a dit que, pendant les derniers mois, il y a eu
suffisamment du travail dans les villes, que le travail ne manquait que dans
les campagnes. Je crois, messieurs, que cette opinion n'est pas tout à fait
exacte ; il y a eu du travail dans quelques villes, mais on ne peut pas dire
que le travail ait été suffisant dans toutes les villes.
Comme l'a dit tout à l'heure
l'honorable M. de T'Serclaes, il y a des villes où, à côté d'une population
urbaine considérable, se trouve une population rurale également forte. Cette
dernière population est dans les mêmes conditions que la population des
campagnes, et devrait dès lors participer toujours à la distribution des
subsides qui sont demandés pour les campagnes.
Il est vrai que le
travail dans les campagnes a manqué pendant les derniers mois, pendant tout
l'hiver ; cette circonstance a surtout pesé sur la population rurale des
Flandres, où la crise est toujours très intense, par suite de la crise de
l'industrie linière.
Je crois que, pour venir
efficacement au secours des populations souffrantes, on devrait augmenter le
chiffre de 300,000 fr. J'ajouterai une raison que la chambre saisira
facilement.
Cette année-ci, on a semé
beaucoup moins de lin qu'à l'ordinaire. La culture du lin diminue d'année en
année. Les petits fermiers surtout sèment moins, soit parce qu'ils ne font
guère plus de toile, soit parce qu'ils n'osent plus vendre à crédit aux
tisserands. La cherté des céréales est une autre cause, el une des principales
causes de la diminution de la culture.
Comme les prévisions à
l'égard du prix des céréales ne sont pas rassurantes, il est à croire, et même
on a déjà constaté par le fait que cette année on a semé moins de lin que
l'année précédente, dans l'espoir de réaliser des bénéfices plus considérables
par la culture des céréales.
Je pose donc en fait que
la récolte du lin sera très faible cette année, à moins que le temps ne soit
particulièrement favorable, et comme l'étranger continue à accaparer cette
matière première, il est à craindre que la classe ouvrière ne se trouve encore
dans l'impossibilité d'acquérir le lin qui lui fournit par le travail des
moyens de subsistance auxquels les secours en argent, les aumônes ne peuvent
suppléer.
On a dit, et moi-même je
l'ai avancé plusieurs fois dans cette enceinte, que les subsides, accordés les
années précédentes pour mettre la classe ouvrière à même de se procurer la matière
première sont souvent arrivés trop tard. Or, si cette année, vous vous bornez à
accorder des subsides aussi insignifiants, et que vous attendiez la session
prochaine pour en voter de nouveaux, on aura fait main basse sur la nouvelle
récolte du lin, les prix seront devenus excessifs et il sera impossible à la
classe ouvrière de se procurer la matière première, il sera impossible aux
communes et aux particuliers d'organiser le travail. Le vote de ces crédits
devrait toujours avoir lieu avant que les lins nouveaux soient vendus.
Jusqu'ici on a fait constamment le contraire. C'est la principale cause pour
laquelle le travail n'a été qu'imparfaitement organisé.
C'est à cela qu'on doit
attribuer en grande partie le manque de travail qui, de l'aveu de M. le ministre,
s'est fait remarquer dans nos campagnes.
L'organisation du travail
est le seul moyen d'éviter les inconvénients de la taxe des pauvres et
d'extirper le paupérisme. De cette manière vous quintuplez, vous décuplez même
quelquefois les valeurs des subsides. Les faits le prouvent de la manière la
plus évidente. J'ai la conviction que, si l'on voulait s'y prêter sérieusement,
on parviendrait à cette organisation dont j'ai parlé tant de fois, sans nuire à
l'industrie non secourue.
Je
propose à la chambre de porter le subside à 600,000 fr. pour donner du travail.
C'est une économie que vous ferez, puisqu'en convertissant les subsides en
salaire, vous les multipliez, et que vous évitez par là les secours plus
considérables que vous devriez donner en aumônes. Stimulez donc par ce moyen
les efforts des autorités communales, et vous atteindrez le but que vous avez
en vue et qui consiste à assurer aux pauvres le pain du travail.
- La proposition de M. de
Haerne est appuyée.
M. de T’Serclaes. - Je dois quelques mots de réponse
à l'honorable M. Rogier. Ma pensée était de réserver entièrement la question de
doctrine, de principe, sur laquelle je ne me croyais pas appelé en ce moment à
me prononcer. Je n'ai aucunement voulu faire allusion aux divers systèmes, de
droit fixe, d'échelle mobile, de libre entrée absolue. J'ai dit que je croyais
la discussion de ces questions inutile et prématurée, (page 1669) quant à présent, parce que le projet ministériel
satisfait aux exigences actuelles de la situation, et que personne n'attaque le
projet de loi en lui-même. J'ai ajouté que le débat sur ces points de théorie,
me semblait dangereux aujourd'hui. C'était là de ma part une opinion purement
personnelle, dans laquelle je crois devoir persister.
- La proposition de M. de
Haerne est mise aux voix et n'est pas adoptée.
L'article est mis aux
voix et adopté.
Article 4 (devenu article 6)
« Article final. La
présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
Second vote des articles et vote sur l’ensemble du projet
La chambre décrète
l'urgence.
Elle confirme
successivement les amendements introduits dans le projet de loi lors du premier
vote. On passe à l'appel nominal.
Le projet de loi est
adopté à l'unanimité des 84 membres qui ont répondu à l'appel nominal. Il sera
transmis au sénat.
Ont pris part au vote :
MM. Anspach, Biebuyck, Brabant, Cans, Castiau, Clep, d'Anethan, David, de
Baillet, de Bonne, Dechamps, de Corswarem. Dedecker, de Foere, de Garcia de la
Vega, de Haerne, de La Coste, de Lannoy, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de
Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Muelenaere, de Naeyer, de
Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de
Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dolez,
Dubus (ainé), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Eloy de Burdinne,
Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Le Hon,
Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries,
Mercier, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart,
Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen,
Veydt, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DES
TRAVAUX PUBLICS POUR L’EXERCICE 1847
Second vote des articles
Chapitre II. - Ponts
et chaussées, canaux et rivières, polders, ports et côtes, bâtiments civils,
personnel des ponts et chaussées
Article 3
M. le président. Le premier
amendement se rapporte à l'article 3, qui a été réduit à 22,000 fr.
M. le ministre des travaux
publics (M. de Bavay). - Messieurs, la chambre a fait des réductions sur
différents articles de mon budget. Je persiste à considérer ces réductions
comme regrettables ; je voudrais qu'elles n'eussent pas été faites. Mais j'ai
la conviction qu'il y a de la part de la chambre un parti pris de ne pas
revenir sur sa détermination.
Je n'insisterai donc
pas sur les arguments que j'ai déjà fait valoir, et que je ne pourrais guère
que reproduire. Je pense qu'il serait superflu de discuter de nouveau ces
différentes modifications.
- La chambre confirme
successivement les différentes réductions adoptées au premier vote.
Article 14 (nouveau)
M. le président. - Un article
nouveau portant le n°14 a été introduit ; il est ainsi conçu : « Premiers
travaux à la dérivation de la Meuse, : fr. 400,000 fr. »
M.
le ministre des finances (M. Malou). - La question de la dérivation de la Meuse a
donné lieu, lors du premier vote, à d'assez longs débats. L'usage de la chambre
n'est pas de rouvrir les débats au second vote ; toutes les opinions sont
formées, je me bornerai donc à dire que nous maintenons les principes que nous
avons posés lors de la première discussion.
Nous demandons encore
qu'on ne préjuge pas la dépense de la dérivation de la Meuse avant que les
questions indiquées dans les débats n'aient été préalablement résolues.
M. de Terbecq. - J'ai demandé la parole pour motiver mon vote
en peu de mots.
Lorsque les
honorables députés de Liège ont demandé 400,000 francs pour la dérivation de la
Meuse, j'ai considéré cette dépense comme nécessaire, et je l'ai votée. Ma
conviction, à cet égard, n'est point changée. Mais depuis que la chambre a
admis, dans la séance de samedi dernier, le principe de nouvelles dépenses très
considérables qui doivent inévitablement augmenter, dans une énorme proportion,
la dette nationale, force m'est de revenir sur ma résolution. Je voterai, en
conséquence, contre l'amendement.
Lorsque le
gouvernement se trouvera à même de nous proposer la dérivation de la Meuse, je
me prononcerai en faveur de l'exécution des travaux qui auront été reconnus
nécessaires.
M. Delfosse. - Je ne puis pas
empêcher l'honorable préopinant de voter à la seconde épreuve autrement qu'il
ne l'a fait à la première ; mais il m'est impossible d'admettre la raison qu’il
vient de donner de ce changement. L'honorable préopinant veut bien reconnaître
que les travaux pour lesquels nous avons demandé un crédit sont des travaux
nécessaires, urgents ; les considérations que nous avons invoquées lors du
premier vote avaient fait impression sur lui. Pourquoi n'est-il plus du même
avis ? C'est, dit-il, parce qu'une autre dépense a été admise. Mais quand
l'honorable membre a voté la première fois pour notre proposition, il ne savait
pas quelle serait la décision de la chambre sur le chemin de fer d'Alost ; il
ne le sait pas davantage aujourd'hui, il est dans la même incertitude ; il ne
savait pas si la chambre se prononcerait pour cette ligne, il ne le sait pas
encore ; la seule raison que l'honorable membre indique pour expliquer sa
conduite, n'a donc rien de plausible. L'honorable membre est libre de voter
comme il l'entend, je n'ai qu'un mot à lui dire : il a voté consciencieusement
la première fois, qu'il suive cette fois encore l'impulsion de sa conscience.
Mon intention n'est
pas de reproduire les considérations que j'ai développées lors du premier vote.
J'admets jusqu'à un certain point l'observation de M. le ministre des finances,
que la chambre pourrait passer au second vote sans discussion nouvelle ; la
première discussion a eu, je le reconnais, toute l'étendue désirable ;
permettez-moi cependant,, messieurs, de vous présenter encore quelques
observations ; elles pourront être utiles pour ceux de nos honorables collègues
qui n'étaient pas présents lors du premier vote. Je vois avec satisfaction que
les bancs de la chambre sont en ce moment très bien garnis ; c'est sans doute
aux votes importants que la chambre est appelée à émettre, que nous devons la
présence de beaucoup d'honorables collègues que nous avons rarement l'avantage
de voir. Je m'en félicite ; puisse le pays avoir aussi à s'en féliciter !
Il est constant,
messieurs, je l'ai démontré l'autre jour, que l'amélioration de la Meuse nous a
été promise depuis longtemps : elle nous a été promise non seulement par tous
les gouvernements qui se sont succédé, mais encore par tous les ministères qui
ont administré la Belgique depuis 1830. Le ministère actuel nous a fait les
mêmes promesses que ses prédécesseurs ; M. le gouverneur de Liège, dans une
lettre écrite sous l'inspiration du ministère au moment de l'ouverture de la
session, a même fait connaître à l'un de ses administrés qu'un projet de loi
relatif à la dérivation de la Meuse serait présenté prochainement. Il y a en
notre faveur des promesses formelles qu'on ne peut nier, qui résultent de
pièces authentiques. On ne peut pas nier non plus la nécessité, l'urgence des
travaux ; on ne nous oppose plus que de pitoyables fins de non-recevoir.
Le projet de M.
l'ingénieur Kummer se compose de deux parties distinctes : l'une est relative à
la navigation, l'autre aux inondations. Nous ne demandons pas que vous vous
prononciez actuellement sur la première partie de ce projet ; M. Kummer propose
d'améliorer la navigation de la Meuse au moyen d'un système de barrages
mobiles. Il veut donner à la Meuse, dans la traverse de Liège, un tirant d'eau
de 2 m 10, et la mettre ainsi en rapport avec les canaux de Meuse et Moselle et
de Liège à Maastricht.
Le conseil des ponts
et chaussées n'a pas encore approuvé cette partie du projet, et quand le
conseil en aura reconnu l'utilité, quand l'essai qu'il propose de faire aura
réussi, vous n'hésiterez pas, j'en suis sûr, à en ordonner l'exécution.
Vous ne voudrez pas laisser
plus longtemps la Meuse dans l'état où elle se trouve par suite de l'incurie,,
de la négligence des divers gouvernements qui se sont succédé.
Messieurs, avant la
révolution française, la Meuse était navigable pendant la plus grande partie de
l'année, la navigation était rarement interrompue, les fréquents curages que
l'on avait soin d'opérer maintenaient un tirant d'eau suffisant ; depuis on a
par incurie laissé former des atterrissements ; les chemins de halage se sont
détériorés, la navigation est hérissée de toutes sortes d'entraves et de
difficultés.
De là un grand
dommage pour nos établissements industriels ; dommage d'autant plus grand que
nos voisins, plus prévoyants que nous, ont amélioré leurs voies navigables.
Ainsi la Prusse a amélioré la Roer. La Roer se trouve dans un état tel que des
navires d'un fort tonnage peuvent la parcourir en tout temps. La Prusse et
l'Angleterre peuvent en tout temps transporter leurs charbons en Hollande,
notre principal et en quelque sorte notre seul marché ; nous ne pouvons y
transporter les nôtres que pendant deux ou trois mois de l'année. Nous en
sommes réduits là que la Meuse n'est plus navigable que pendant deux ou trois
mois de l'année. Quand les eaux sont basses, le tirant d'eau est insuffisant ;
quand les eaux sont hautes, les chemins de halage sont impraticables.
A moins que la
chambre ne veuille sacrifier l'industrie belge à l'industrie étrangère, elle
fera cesser cet état de choses ; elle ne reculera pas devant la dépense que
l'exécution de la première partie du projet de M. Kummer pourrait entraîner.
Mais, comme j'ai eu
l'honneur de le dire, il ne s'agit pas pour le moment de cette partie du projet
de M. Kummer. Nous devons attendre qu'elle ait reçu l'approbation du corps des
ponts et chaussées. Ce n'est qu'après que l'on aura fait un essai du système de
M. Kummer, que le conseil des ponts et chaussées donnera définitivement son
avis.
La partie du projet
de M. Kummer, pour laquelle nous demandons un commencement d'exécution, c'est
celle qui tend à prévenir les inondations.
Nous vous avons,
messieurs, fait distribuer une carte ; vous pouvez voir sur cette carte combien
le lit de la Meuse est rétréci dans la traverse de Liège ; lorsque les eaux
sont hautes ce lit est insuffisant pour leur écoulement. Il arrive souvent que
Liège est inondé plusieurs fois pendant le même hiver, ces inondations causent
les plus grands ravages, elles compromettent la fortune, la santé, la vie même
d'un grand nombre de nos concitoyens. Il est, messieurs, des moments, et malheureusement
ils ne sont pas rares, où l'on ne peut, sans courir les plus grands dangers,
procurer des aliments aux familles dont les habitations sont envahies par les
eaux.
Il est urgent, on
n'oserait le nier, de parer à ce mal. C'est un devoir pour le gouvernement ;
devoir d'autant plus impérieux, que c'est en grande partie par son fait que le
danger des inondations est devenu plus grave.
On a cru que les
travaux exécutés par l'administration communale avaient contribué à accroître
le mal. C'est une erreur ; remarquez messieurs, que le canal de la Sauvenière,
par lequel une partie des (page 1670) eaux s'écoulait
autrefois, lorsqu'elles étaient hautes, avait une pente extrêmement faible ; la
pente de ce canal n'était que de 26 centimètres sur une longueur de 1,800
mètres ; c'était, en été, un véritable cloaque exhalant des émanations
pestilentielles. Il était impossible de le conserver sans compromettre la santé
des habitants.
D'ailleurs ce canal
ne conduisait pas les eaux en aval de Liège, il les conduisait au centre même
de la ville, il ne mettait pas la ville à l'abri des inondations. Seulement
c'était une autre partie de la ville qui était inondée. La suppression du canal
de la Sauvenière n'a donc pas exercé l'influence que quelques personnes lui
attribuent.
L'honorable comte de
Mérode disait l'autre jour que la suppression de ce canal avait été un acte
inconsidéré de l'administration communale. Je soutiens, au contraire, qu'elle a
été un acte de bonne administration, réclamé par les motifs les plus impérieux.
Déjà, sous le gouvernement français on avait senti la nécessité d'entreprendre
de grands travaux pour remédier aux inconvénients qui résultaient de la faible
pente du canal de la Sauvenière. Permettez-moi, messieurs, de vous lire à ce
sujet quelques lignes d'un mémoire de M. l'ingénieur Guillery. (Interruption.)
Messieurs, l'idée que
la suppression du canal de la Sauvenière est la cause de tous les embarras,
exerce une fâcheuse influence sur plusieurs membres de cette chambre ; je tiens
à démontrer qu'ils sont dans l'erreur et je ne puis mieux faire, pour cela, que
de lire le passage suivant de M. l'ingénieur Guillery :
« Sous le
gouvernement français, on avait eu l'intention de corriger ce défaut de pente,
source de frais continuels et d'interruption dans le passage des bateaux. A cet
effet, les ingénieurs du département de l'Ourthe avaient présenté un projet
d'amélioration qui consistait, d'une part, dans un redressement du coude des
Augustins, à partir d'un point au-dessous de la chapelle du Paradis avec chemin
de halage le long des maisons derrière Saint-Jacques jusqu'au rivage des
Croisiers. et, d'autre part, dans un prolongement du canal ; l'eau qui l'aurait
alimenté eût donné le moyen de transformer la promenade d'Avroy en un vaste
bassin offrant une gare des plus sûres et des plus utiles, dont le manque est
une privation coûteuse pour le batelage. On doit regretter que les événements
de 1814 aient mis à néant un travail qui eût été pour Liège un bienfait
inappréciable, et pour la navigation un avantage qu'elle ne peut plus se
promettre.
« C'est maintenant
dans cet ancien bras de la rivière, trop longtemps négligé, que viennent
dégorger les immondices de plusieurs égouts de la ville, et leur séjour sans
écoulement y occasionne des exhalaisons pestilentielles, cause des plus vives
et des plus justes plaintes. »
Vous voyez,
messieurs, que déjà en 1814, alors que le canal n'était pas supprimé, il y
avait également de grands travaux à entreprendre, des travaux non moins
considérables que ceux dont nous vous demandons l'exécution. Le gouvernement
belge fera-t-il moins pour nous en 1847 que ce que le gouvernement français
voulait faire en 1814, ce qu'il aurait certainement fait s'il n'avait pas été
renversé ? Et cependant alors la situation était bien moins grave, bien moins
critique qu'elle ne l'est devenue par le fait même de notre gouvernement ;
c'est là un point dont M. le ministre des travaux publics est convenu dans une
discussion qui a eu lieu au sénat.
J'aurais, messieurs,
beaucoup d'autres choses à vous dire, mais je ne veux pas abuser de votre
attention ; j'aime à croire que les considérations développées dans la première
discussion, et dans les pièces qui vous ont été distribuées, vous engageront à
adopter notre amendement.
Un mot, avant de
terminer, sur la tendance du ministère à faire revenir la chambre des
résolutions qu'elle a prises. Vous avez voté dernièrement un projet de loi
relatif aux monnaies d'or. Vous aviez décidé que cette monnaie aurait une
certaine valeur intrinsèque. Le ministère est venu au second vote vous proposer
de réduire cette valeur, vous y avez consenti.
Lorsque vous avez
discuté la loi sur la milice, j'étais parvenu à faire passer un amendement
favorable aux miliciens ; j'avais obtenu que le service fût moins long et moins
pénible. Le gouvernement est venu vous proposer de revenir sur cette
résolution, vous y avez consenti.
Cette fois encore, on
vous propose de revenir sur la résolution que vous avez prise. Vous avez décidé
qu'il y aurait un commencement d'exécution pour les travaux de la Meuse. Vous
avez posé un acte de justice et d'humanité qui ne serait que l'accomplissement
de promesses solennelles faites depuis longtemps ; et cependant malgré toutes
ces considérations le ministère vient vous proposer de revenir sur votre résolution.
Que MM. les ministres
soient inconséquents, qu'ils soient versatiles, nous y sommes habitués. Mais la
chambre doit conserver plus de dignité, elle ne doit pas se déconsidérer en se
façonnant à leur image.
Messieurs, vous avez
eu d'excellentes raisons pour adopter notre amendement. Ces raisons subsistent
encore ; je ne puis croire que la majorité de la chambre suive l'exemple du
député de Termonde, dont la conduite paraîtra inexplicable ; la majorité de la
chambre sera plus conséquente, moins versatile que le ministère.
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- Il ne l'est, au contraire, pas du tout.
M. Delfosse. - Elle sera surtout
plus juste. M. le ministre des finances oublie les promesses qui nous ont été
faites.
Lorsqu'il
s’agit d'une loi ordinaire, un changement de résolution peut passer inaperçu.
Mais lorsqu'il s'agit d'une question aussi grave que celle-ci, un tel
changement produirait le plus fâcheux effet. Votre premier vote a causé dans le
pays une grande satisfaction, une satisfaction légitime. On s'est dit qu'il y
avait, dans la chambre, des sentiments de justice, des sentiments d'équité,
plus forts que les considérations politiques, plus forts que le dévouement de
la majorité au ministère. Vous avez, messieurs, posé un bel acte, gardez-vous
de le rétracter, ne terminez pas votre carrière par une inconséquence, ne
rentrez pas dans vos foyers sous le poids d'une palinodie et d'une injustice !
- La clôture est demandée.
M. Lesoinne. - Je demande la
parole contre la clôture. Je n'ai pas, messieurs, l'habitude de prendre souvent
la parole dans cette enceinte, et lorsqu'il m'arrive de la prendre, je suis
très court. Je promets de ne pas parler pendant plus de trois minutes.
Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. le président. - Si l'on n'insiste
pas sur la demande de clôture, la parole est à M. Lesoinne.
M. Lesoinne. - Messieurs, je ne
reviendrai pas sur la discussion qui a eu lieu précédemment, je me bornerai à
dire quelques mots pour justifier le crédit que nous demandons. La coupure à
exécuter en aval de la fonderie de canons, pour laquelle nous réclamons cette somme
de 400,000 francs, est un travail mixte. Elle doit servir à l'écoulement des
eaux pendant les inondations, sans gêner en rien la navigation en temps
ordinaire ; mais elle permet en même temps au gouvernement de donner une
meilleure direction au canal latéral, de construire un bassin à Coronmeuse et
l'exempte d'exproprier des propriétés bâties pour une somme de 150,000 à
200,000 francs.
Ce travail aura en
outre pour résultat d'améliorer le halage de la Meuse, en amont de Herstal ; ce
halage est extrêmement dangereux et presque tous les ans des chevaux y
périssent.
Enfin, l'exécution de
ce travail, qui peut sans inconvénient être immédiatement mis en adjudication,
laisse au gouvernement toute la latitude et le temps nécessaire pour examiner
les plans de M. l'ingénieur en chef Kummer, et s'assurer de leur efficacité,
tant pour la question des inondations que pour celle de la navigation.
J'espère donc que la
chambre voudra bien maintenir l'allocation qu'elle nous a accordée au premier
vote.
- La clôture est prononcée.
Il est procédé au
vote par appel nominal sur l'amendement. 84 membres sont présents.
39 adoptent.
42 rejettent.
Trois membres (MM.
Dumont, Eloy de Burdinne et de Roo) se sont abstenus.
En conséquence,
l'amendement n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption :
MM. Desmaisières, Desmet, de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez,
Fleussu, Goblet, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys,
Maertens, Manilius, Orts, Osy, Pirson, Rogier, Vandensteen, Verhaegen, Veydt,
Anspach, Cans, Castiau, David, de Baillet, de Bonne, de Brouckere, de Haerne,
de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Naeyer.
Ont voté le rejet :
MM. de Sécus, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, d'Huart, Dubus (aîné), Dubus
(Albéric), Dubus (Bernard), Fallon, Henot, Huveners, Lejeune, Liedts, Malou,
Mast de Vries, Mercier, Orban, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont,
Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Biebuyck,
Brabant, Clep, d'Anethan, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Foere, de Garcia
de la Vega, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, de
Renesse.
M. Dumont. - Je me suis
abstenu, parce qu'il m'a été impossible d'assister à la première discussion qui
a eu lieu sur cette affaire importante.
M. Eloy de Burdinne. - Je reconnais
qu'il est nécessaire de parer aux accidents dont Liège est menacé ; mais, d'un
autre côté, j'ai des doutes, et des doutes fort graves sur le point de savoir
si les travaux proposés répondront à l'attente de ceux qui en demandent
l'exécution immédiate. Or, je ne veux pas voter une dépense énorme sans être,
au moins jusqu'à un certain point, certain du succès.
M. de Roo. - Je me suis
abstenu pour les mêmes motifs que j'ai fait valoir dans la première discussion.
-
Les amendements introduits dans les articles 26 et 47 du chapitre II sont
successivement mis aux voix et définitivement adoptés.
Chapitre III. –
Chemins de fer, postes
Article premier
« Art. 1er. Acquisition de terrains,
indemnités aux propriétaires, ouvrages d'art et revêtements de talus, compris
dans la section d'Alost à Wetteren, du chemin de fer direct entre Bruxelles et
Gand par Alost : fr. 275,000 «
M.
le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le ministère fera, en ce qui
concerne le chemin de fer d'Alost, la déclaration qu'il a faite tout à l'heure
pour la Meuse. Sans vouloir rouvrir la discussion, nous disons que le principe
d'une pareille dépense ne doit pas être admis incidemment par le budget. (Aux voix ! aux voix !)
(page 1671) M. de Terbecq. - Je demande la parole.
- La clôture est
demandée.
M. de Terbecq. - Je demande à
pouvoir m’expliquer.
M. Delehaye demande que la
clôture soit prononcée.
M. de Terbecq insiste pour avoir
la parole.
De toutes parts. - La clôture ! la
clôture !
- La clôture est mise
aux voix et prononcée.
Il est procédé au
vote par appel nominal sur l'article.
83 membres sont
présents.
40 adoptent.
42 rejettent.
1 (M. Rodenbach)
s'abstient.
En conséquence
l'article n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption :
MM. de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt,
Fleussu, Goblet, Jonet, Kervyn, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys,
Maertens, Manilius, Orts, Pirson, Rogier, Thienpont, Troye, Verhaegen, Veydt,
Anspach, Cans, Castiau, David, de Baillet, de Bonne, de Brouckere, de Haerne,
Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Meester, de Naeyer, de
Roo.
Ont voté le rejet :
MM. de Sécus, de Terbecq, de T'Serclaes, d’Huart, Dubus (aîné), A. Dubus, B.
Dubus, Dumont, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Huveners, Lejeune, Malou, Mast
de Vries, Mercier, Orban, Osy, Pirmez, Scheyven, Simons, Van Cutsem, Vanden
Eynde, Vandensteen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Biebuyck, Brabant, Clep,
d'Anethan, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, de
La Coste, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de Renesse. !
M. Rodenbach. - Je me suis
abstenu par les motifs que j'ai fait valoir au premier vote.
- Les autres
amendements introduits dans le projet sont successivement mis aux voix et
définitivement adoptés sans discussion.
Vote sur l’ensemble du projet
M. le président. - Je mets aux voix
le texte du projet de loi du budget du département des travaux publics.
« Article unique. Le
budget du ministère des travaux publics est fixé, pour l'exercice 1847, à la
somme de 16,301,110 francs 55 centimes. »
- Adopté.
___________________
On passe à l'appel
nominal sur l'ensemble du budget.
80 membres répondent
à l'appel nominal.
65 répondent oui.
14 répondent non.
1 membre (M. de
Naeyer) s'abstient.
En conséquence, le
budget est adopté. Il sera transmis au sénat. I
Ont répondu oui : MM.
Anspach, Biebuyck, Brabant, Cans, Clep, d'Anethan, de Baillet, Dechamps, de
Corswarem, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, de Haerne, de la Coste, de
Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de
Saegher, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, de
Villegas, d'Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus
(Bernard), Dumont, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn,
Lange, Le Hon, Lejeune, Liedts, Loos. Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier,
Orban, Osy, Pirmez, Pirson. Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye,
Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.
Ont répondu non : MM.
Castiau, David, de Bonne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Meer de Moorsel, de
Tornaco, Jonet, Lesoinne, Lys, Manilius, Orts et Verhaegen.
M. le président. - M. de Naeyer, qui
s'est abstenu, est prié de faire connaître les motifs de son abstention.
M. de Naeyer. - Messieurs, je
n'ai pas voulu voler contre le budget parce que j'ai pleine et entière
confiance dans la droiture des intentions de M. le ministre des travaux
publics. Mais j'ai eu occasion de lui faire observer dans une autre
circonstance qu'il y a autour de lui des hommes-obstacles qui gênent et
entravent son action, lors même qu'il s'agit de faire droit aux réclamations
les plus légitimes et les plus justes. ;
Je le déclare
formellement, je n'ai aucune confiance dans ces hommes-obstacles en ce qui
concerne les besoins du pays pour l'établissement de nouvelles voies de
communication. Voilà pourquoi je me suis abstenu.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. le président. - Lundi, séance publique à 2 heures. Le premier objet à
l'ordre du jour est le projet de loi portant réduction des péages sur la Sambre
canalisée.
M. Delehaye. - Et la loi sur la société
d'exportation ?
Des membres. - La chambre a décidé que le projet
sur la Sambre aurait la priorité.
M. Delehaye. – Quant à ce projet, il n'y a pas de
péril en la demeure ; mais il y a urgence à voter la loi sur la société
d'exportation. Si la chambre ne met pas ce projet de loi à l'ordre du jour de
lundi, il ne sera pas voté dans le cours de la session. J'ai lieu de croire que
le gouvernement lui-même a poussé à ce que ce projet de loi ne soit pas discuté
dans cette session ; je demande que M. le ministre des affaires étrangères
veuille bien s'expliquer sur ce point.
M. le ministre
des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l'honorable membre dit qu'il a des raisons de
croire que je pousse à faire ajourner le projet de loi relatif à la société
d'exportation. Ma réponse sera bien simple : c'est que j'ai présenté le projet
de loi dès le 24 décembre 1846, assez à temps pour que la chambre pût le
discuter dans le court de cette session. Si les travaux par lesquels les
sections centrales ont été absorbées, n'ont pas permis à la section centrale,
qui a été chargée de l'examen de ce projet, de déposer son rapport avant le 17
mars dernier, il n'a pas dépendu du gouvernement qu'il en fût autrement. J'ai
demandé alors la mise immédiate à l'ordre du jour du rapport de M. Desmaisières ;
quelque temps après, la chambre a donné la priorité au budget des travaux
publics, et certainement il n'était dans les prévisions de personne que la
discussion de ce budget pût durer trois semaines.
Messieurs, je veux
seulement faire cette simple remarque que si le temps vient à manquer pour
discuter ce projet que je regarde comme très important, ce ne sera pas au
gouvernement qu'il faudra s'en prendre, mais aux longues discussions qui ont
mené la chambre jusqu'à la veille des élections.
La chambre a pris hier
une décision par laquelle elle a mis à la fin de notre ordre du jour les
projets de loi sur les sucres, sur la société linière et sur le notariat.
Je suis prêt à discuter
le projet de société d'exportation s'il arrive à l'ordre du jour ; je désire
que la chambre trouve le temps de s'en occuper sérieusement et convenablement,
mais je ne vois pas de motif pour changer la détermination qu'elle a prise
hier.
- La séance est levée à 3
heures et demie.