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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 21 janvier 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition
relative au payement d’arrérage d’une rente à charge de l’Etat (de T’Serclaes)
2) Projets de loi accordant des crédits
supplémentaires au budget du département des travaux publics (Osy)
3) Projet de loi portant le budget du département de
la justice pour l’exercice 1848. Discussion des articles. Etablissements de
bienfaisance. Droit pour le gouvernement de refuser un legs fait à une
fondation charitable, entraves à l’exercice de la charité privée (Tielemans, (+liste
civile du Roi) de Bonne, Sigart,
(+liste civile du Roi) d’Anethan, Sigart,
d’Anethan, (+expulsion de l’aumônier des bureaux de
bienfaisance de Bruxelles) de Mérode, de Haussy, Verhaegen, de Mérode, Malou, de Haussy)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 577) M. de Villegas procède à l'appel
nominal à midi et demi.
M.
T’Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ;
la rédaction en est approuvée.
M. de
Villegas présente l'analyse des pétitions adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Bastin, ancien gardien de deuxième
classe à la maison d'arrêt de Liège, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
_________________
« Le sieur Pierre-Jean Dupon, journalier à
Bruxelles, né à Bergeyck (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre
de la justice.
_________________
« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent
qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »
- Renvoi à la
commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion des
budgets.
_________________
« Le sieur Dupont, conseiller communal à
Thuin, réclame contre un arrêté de la députation permanente du conseil
provincial du Hainaut qui divise cette commune en sections, et contre l'élection
communale qui a été faite, conformément à cet arrêté. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
_________________
« Plusieurs meuniers d'Anvers et de la
banlieue demandent que les droits à l'entrée des farines étrangères soient
rétablis et que le gouvernement fasse vérifier la qualité de ces farines. »
- Renvoi à la
commission permanente de l'industrie.
_________________
« Le sieur Vandrez, commissaire de police à
Soignies, demande un supplément de traitement du chef des fonctions de
ministère public qu'il remplit près le tribunal de simple police. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du budget de la justice.
« Le sieur Heyvaerts réclame l'intervention de
la chambre pour obtenir le payement des arrérages d'une rente à charge de
l'Etat.»
M. de T'Serclaes. - Il s'agit dans
cette pétition d'arrérages d'une rente inscrite au grand-livre d'Amsterdam. Le
gouvernement a payé onze années ; il oppose à quatre années d'arrérages la
prescription quinquennale. C'est une question d'équité. Je recommande cette
affaire à l'attention de M. le ministre des finances. Je demande le renvoi de
la pétition à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt
rapport.
- Ce renvoi est
prononcé.
_________________
M. Rodenbach annonce
par lettre à la chambre qu'il a eu le malheur de perdre son frère. II demande
un congé qui est accordé.
PROJETS DE LOI ACCORDANT DES CREDITS SUPPLEMENTAIRES AU BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS
M. Osy, au nom de la
section centrale du budget des travaux publics, dépose le rapport sur deux
projets de loi de crédit supplémentaire, concernant le département des travaux
publics.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR L’EXERCICE 1848
Discussion des articles
Chapitre IX - Etablissements de bienfaisance
Article premier
M. le président. - La discussion continue
sur l'ensemble du chapitre IX, Etablissements de bienfaisance.
(page 584) M. Tielemans. - Messieurs, vous
avez entendu hier un discours remarquable, et qui, je pense, a fait impression
sur tous les esprits. Quelque opposés que nous soyons de sentiments sur le fond
de ce discours, une égale attention a été prêtée à l'orateur par les deux côtés
de cette chambre. Je viens réclamer la même faveur.
Je réclamerai quelque
chose de plus : moins habitué que l'honorable M. d'Anethan à traiter de si
graves questions devant vous, j'ai besoin de votre indulgence.
Je commence par
rendre hommage à l'honorable M. d'Anethan pou la méthode avec laquelle il a
traité les questions que soulève l'arrêté du 30 décembre 1847. Il a trouvé dans
cet arrêté une double violation de la dernière volonté de feu M. le curé
Lauwers, dans les dispositions qu'il a faites au profit des pauvres de la ville
de Bruxelles.
Il a traité
séparément chacune de ces violations, et je vais le suivre sur ce terrain.
La première violation
consiste en ce que le gouvernement n'aurait pat exécuté la volonté du testateur
quant à la chose donnée.
La deuxième consiste
en ce que cette volonté n'aurait pas été respectée davantage relativement au
mode d'exécution.
Quant au premier
point, messieurs, je ne serai pas long.
L'honorable M.
d'Anethan vous a dit qu'il y avait quatre choses à considérer dans les affaires
de ce genre : d'abord, l'état mental du défunt ; en second lieu, l'origine des
biens donnés ou légués ; en troisième lieu, la position des héritiers naturels
du défunt ; et finalement, la position des hospices ou des établissements en
faveur desquels la disposition a été faite.
Quant à l’état mental
du défunt, il a affirmé un principe sur lequel je ne puis être d'accord avec
lui. Il a dit qu'il appartient au gouvernement d'apprécier l'état mental du
défunt et de se régler, dans les dispositions qu'il a à prendre, d'après cette
appréciation. Je croyais, quant à moi, et je persiste à croire qu'il
n'appartient nullement à l'autorité administrative, que l'autorité judiciaire
est seule compétente pour apprécier les questions de captation, d'aliénation
mentale, en un mot, les défauts de capacité dans le testateur. Tant que les
tribunaux n'ont pas prononcé sur ces questions, le testament subsiste vis-à-vis
du gouvernement, et le gouvernement est obligé de le respecter. Que si
quelqu'un a intérêt à attaquer le testament, il le peut. Mais le gouvernement
n'y a jamais d'intérêt lorsque c'est en faveur de ses établissements publics que
la disposition est prise. Ce n'est donc pas au gouvernement à attaquer le
testament de ce chef.
La seconde chose à
considérer, a dit l'honorable M. d'Anethan, c'est l'origine des biens. Ici je
ne puis pas davantage me trouver d'accord avec lui.
Les lois, si je ne me
trompe, n'admettent aucune distinction de biens ; c'est même un principe qu'il
a fallu proclamer d'une manière expresse dans la législation nouvelle après la
révolution de 1789, parce qu'autrefois les distinctions de biens avaient une
grande influence sur les dispositions testamentaires. Aujourd'hui je ne sais si
l'on a l'intention de ressusciter ces distinctions. Mais je serais porté à le
croire, puisqu'on a remonté au concile de Trente pour affirmer que les curés
sont obligés canoniquement de laisser aux pauvres le résultat de leurs
économies. Ce serait tout bonnement introduire un privilège dans notre
législation au détriment des curés. Si le concile de Trente, sous ce rapport,
pouvait être obligatoire, il ne resterait plus qu'à contraindre même les curés
à donner aux pauvres les économies qu'ils délaissent en mourant.
Mais est-il bien vrai
que les sommes léguées par M. le curé Lauwers aux pauvres de Bruxelles étaient
le fruit de ses économies ?
Le fait, messieurs,
est inexact. Vous comprendrez sans peine qu'un curé, qui n'aurait pas de biens
personnels, ne peut, sur son traitement fort modique et sur un casuel qui est
assez modique aussi, économiser une somme de 125,000 fr. Si le curé Lauwers
avait fait cette économie, j'en serais fâché pour sa mémoire ; car une des
obligations essentielles des curés, c'est de dépenser annuellement leurs
économies en faveur des pauvres de leur paroisse ; et on n'accumule pas 125,000
fr., lorsque l'on remplit ce devoir canonique.
Que cette somme de 125,000
francs ne provienne pas des économies faites par M. le curé Lauwers sur son
traitement et sur son casuel, c'est une chose qui n'est douteuse pour aucun des
habitants de la ville de Bruxelles, et moi-même, messieurs, je me souviens
d'avoir siégé, il y a quelques années, dans un procès qui intéressait le curé
Lauwers : il s'agissait, dans ce procès, de la copropriété qu'avait le curé
Lauwers dans l'abbaye du Parc près de Louvain, avec toutes ses dépendances. Je
me rappelle parfaitement bien qu'à cette époque des revenus annuels lui étaient
payés de ce chef. Je ne sais ce qu'est devenue cette abbaye ; je ne sais si la
copropriété qu'en avait alors M. Lauwers a cessé depuis et si la somme de
125,000 fr. n'est peut-être pas le prix de cette copropriété, qu'il a
abandonnée je ne sais à qui.
L'honorable M.
d'Anethan a dit, messieurs, que la troisième chose à considérer par le
gouvernement, dans les dispositions testamentaires qui sont faites en faveur
des pauvres, c'est la position des héritiers du défunt. Je ne connais pas les
parents de M. le curé Lauwers. Ces parents sont-ils pauvres ou ne le sont-ils
pas, c'est là une question de fait que je n'ai pas mission d'examiner et sur
laquelle je pense que M. le ministre de la justice nous donnera des éclaircissements.
Lui seul peut connaître au juste ce qui a rapport à la situation de fortune des
héritiers du défunt ; mais, quant à moi, je ne puis m'empêcher de faire une
observation très simple. J'ai relu l'arrêté du 30 décembre 1847 et j'y ai vu
que la commission administrative des hospices, le conseil communal de
Bruxelles, la députation du conseil provincial du Brabant, enfin M. le ministre
de la justice, ont été unanimement d'accord, pour affirmer que la famille du
curé Lauwers est dans une position peu aisée. Quelles sont, messieurs, les (page 585) autorités les plus
compétentes pour apprécier de pareils faits ? Ce sont celles dont les avis ont
été visés dans l'arrêté du 30 décembre 1847 et, pour moi je m'en réfère
complètement à ces avis, sauf à entendre les explications ultérieures de M. le
ministre de la justice.
Du reste, messieurs,
il y a, pour l'appréciation de la fortune des personnes, il y a des
considérations d'un ordre tout particulier ; il ne faut pas que des héritiers
soient absolument pauvres pour que le gouvernement ait égard à leur position
s'ils ont été complètement oubliés dans les dispositions testamentaires d'un
parent. Il y a là des degrés de fortune relative qui doivent être jugés suivant
la position sociale des individus. C'est d'après cette position que le
gouvernement s'est prononcé dans l'affaire qui nous occupe, et il l'a fait à un
juste point de vue.
Enfin la quatrième
chose à considérer est la situation des hospices. Messieurs, les hospices de
Bruxelles ont, je crois, une assez belle position ; je conviens cependant que
les pauvres ne sont jamais assez riches. Mais ici encore, faut-il se régler
exclusivement sur les besoins d'un établissement légataire pour répudier ou
accepter les libéralités faites à son profit ?Reconnaissons-le franchement,
messieurs, c'est à l'administration des pauvres à juger d'abord sa position
financière, et lorsque l'autorité communale, la députation provinciale et le
gouvernement sont d'accord avec elle pour décider, comme dans l'affaire de M.
Lauwers, qu'un legs doit être réduit dans l'intérêt d'une famille déshéritée,
la chambre peut être rassurée sur l'équité d'une pareille décision.
Je n'insisterai pas
davantage sur ce premier objet du discours auquel je réponds. Je passe au
deuxième.
L'honorable M.
d'Anethan a soutenu en second lieu que la dernière volonté de feu M. Lauwers a
été violée par le mode d'exécution que l'arrêté du 30 décembre 1847 impose à
cette volonté. A cette question, il s'en rattache une foule d'autres ; je ne
les examinerai pas une à une ; mais je ferai une première distinction qui n'a
pas été faite par l'honorable M. d'Anethan et qui me paraît capitale dans cette
matière.
Messieurs, il y a,
vous le savez, deux espèces de charité ; la charité publique et la charité
particulière ou privée. La charité particulière échappe complètement aux
prescriptions de la loi ; elle se produit par des dons manuels, par ce qu'on
appelle vulgairement des aumônes ; et vous le comprenez sans peine, l'Etat ne
saurait atteindre ni régler ce genre de libéralités. En un mot, la loi a voulu
que la seule règle de la charité privée fût la conscience, et elle a laissé à
la conscience sa plus complète liberté.
Aussi, dans toute la
législation que nous avons sur les établissements de bienfaisance et des
fabriques d'église, vous ne trouverez pas une seule disposition qui défende aux
curés de recevoir directement de la main à la main les dons qu'on veut leur
faire, pour être distribués immédiatement, à titre de charité privée.
Mais, messieurs, la
charité publique est tout autre chose ; celle-là a ses règles, elle a ses
formes ; parce que le patrimoine des pauvres est chose sacrée, parce que les
règles et les formes de la charité publique sont les garanties du patrimoine
des pauvres, parce qu'il est impossible de conserver ce patrimoine, si vous
supprimez les règles et les formes établies par la loi pour sa conservation.
C'est donc au nom des pauvres, au nom de la loi et de la religion, que je vais
répondre sur ce point au discours de l'honorable M. d'Anethan.
Je vous demande pardon,
messieurs, de remonter un peu haut pour traiter cette question ; mais puisqu'on
est remonté hier au concile de Trente, quelques pas de plus en arrière ne nous
égareront pas, et je m'engage d'ailleurs à ne pas remonter jusqu'au chaos.
Messieurs, vous n'ignorez
pas que la législation romaine traite longuement, et je pourrais dire
complaisamment, des œuvres pies. Voici les principes qu'elle consacre :
Chacun peut disposer,
comme il l'entend, de ses biens en faveur les pauvres.
Chacun a le droit de
régler lui-même sa fondation et le mode de l'administrer.
Mais d'autre part,
toutes dispositions en faveur des pauvres sont placées, quant à l'exécution,
sous la main des évêques auxquels, à cet effet, les préfets de province
devaient prêter l'appui de leur autorité. Enfin et indépendamment de cette
garantie déjà si puissante, que l'on trouvait dans la surveillance des évêques
et dans l'autorité des préfets de province, la loi voulait que tout citoyen eût
le droit de contraindre en justice, non seulement les administrateurs de
fondations, mais encore les évêqueq eux-mêmes, dans le cas où ils resteraient
en défaut de remplir les dispositions ou volontés dernières du testateur.
Vous voyez,
messieurs, quelles garanties la loi romaine donnait aux pauvres pour assurer leur
patrimoine.
Voyons maintenant
quelles garanties la religion elle-même a ajoutées à celles de la loi.
Le concile de Trente,
dans sa session 7ème, chapitre XV, portait :
« Les ordinaires
auront soin que tous les hôpitaux généralement quelconques soient fidèlement et
diligemment gouvernés par les administrateurs, de quelque nom qu'on les appelle
et de quelque manière qu'ils soient exempts. »
Dans sa session
22ème, chapitre VIII, il disait :
« Les évêques seront
exécuteurs de toutes les dispositions de piété, soit testamentaires, soit entre
vifs...
« Ils connaîtront,
suivant les ordonnances des saints canons, et tiendront la main à l'exécution
de toutes les choses généralement quelconques qui sont établies pour le service
de Dieu, pour le salut des âmes ou pour l'entretien et le soulagement des
pauvres, nonobstant toute coutume, privilège ou règlement contraire. »
Enfin le chapitre IX
ajoutait : « Les administrateurs tant ecclésiastiques que laïques d'hôpitaux,
confréries, communautés, monts-de-piété, etc., sont tenus de rendre compte tous
les ans de leur administration à l'Ordinaire. »
Ainsi, messieurs, la
religion est venue joindre son autorité à celle de la loi pour mettre le
patrimoine des pauvres à l'abri de toute spoliation, malversation ou
altération. En un mot, ce patrimoine était placé sous la double tutelle de
l'Eglise et de l'Etat.
Du reste, et pour le
dire en passant, le concile de Trente n'a fait que reproduire à cet égard les canons
ou ordonnances, consacrées par une foule de bulles et de conciles plus anciens.
Cette double
législation civile et religieuse a été suivie sans aucune interruption jusqu'à
la fin du siècle dernier.
Un seul principe y a
été ajouté ; et il est dû à l'usage plutôt qu'à une disposition expresse de la
loi ; c'est que les rois, nous dirions aujourd'hui l'autorité temporelle, le
gouvernement, sont les tuteurs naturels, les protecteurs-nés des pauvres et
qu'ils ont le droit d'exercer une surveillance suprême et sur les
administrateurs de fondations pieuses, et sur les évêques.
Eh bien, messieurs,
c'est en présence de principes et de lois si sages, si nécessaires, si
respectables par leur ancienneté, que l'on vient aujourd'hui prétendre que
l'Etat et l'Eglise se sont trompés ; que les biens donnés ou légués aux pauvres
peuvent et doivent être livrés au premier venu ; qu'il suffit de la volonté
d'un testateur, rien que de la volonté d'un testateur, pour régler
l'administration de ces biens, leur emploi, la distribution de leurs revenus,
sans que l'Eglise ni l'Etat aient même le droit d'en contrôler la gestion.
Je ne dirai pas où
conduirait ce système, vous le comprendrez sans peine. Je vous demanderai
cependant la permission d'en faire l'application au testament même qui a donné
lieu à cette discussion.
Je suppose pour un
instant que feu M. le curé Lauwers, au lieu d'instituer comme administrateurs
suprêmes et sans contrôle de ses libéralités, les curés très honorables des
paroisses de Bruxelles, ait institué pour cette administration quelques-uns de
ses amis ; ces amis auraient en mourant laissé leur droit à leurs héritiers
qui, à leur tour, l'auraient laissé à d'autres, et d'héritiers en héritiers, on
pourrait arriver à des faillites, à des banqueroutes, à des détournements, à
l'épuisement complet de ce qui avait été légué.
Le système que
l'honorable M. d'Anethan cherche à introduire mène là. Je vous le demande, ce
système ne serait-il pas désastreux pour le patrimoine des pauvres ?
Il ne me reste plus
maintenant qu'à examiner le point de savoir si nous avons eu des législateurs
assez malencontreux pour le consacrer. J'entre donc dans l'examen de la
législation qui a succédé à celle de l'ancien régime.
Vous savez que,
depuis 1789, les lois françaises ont sécularisé la charité publique ;
c'est-à-dire que des mains de l'épiscopat cette matière a passé dans celles de
l'autorité civile. Dès lors, il a fallu transporter à cette autorité le rôle de
tutelle ou de surveillance qu'avaient autrefois les évêques.
Je ne prétends pas
examiner si ce système vaut mieux que celui qui existait auparavant. On peut
différer d'opinion à cet égard : je laisse les opinions entièrement libres.
J'examine la législation telle qu'elle est.
Quelles sont les
règles nouvelles, les formes, les garanties que cette législation a consacrées,
pour la conservation du patrimoine des pauvres ? Les lois du 10 vendémiaire et
du 7 frimaire an V ont institué des commissions administratives. Ces
commissions sont devenues dès lors les représentants, les mandataires légaux
des pauvres ; et à ce titre, elles ont remplacé de plein droit les
administrateurs particuliers que les fondateurs d'autrefois avaient préposés à
l'exécution de leurs œuvres.
Ce n'est pas tout :
ces commissions administratives, ces mandataires nouveaux ont été placés, par
les mêmes lois de vendémiaire et de frimaire an V, d'abord sous l'autorité
immédiate des administrations communales, en second lieu sous la surveillance
de l'autorité départementale ou provinciale et finalement sous la haute tutelle
du gouvernement. Ainsi trois degrés de surveillance sont établis pour empêcher
que les commissions administratives des hospices et des bureaux de bienfaisance
ne dévient, soit de la volonté des bienfaiteurs de ces établissements, soit des
règles tracées pour la bonne administration des biens que la charité publique a
donnés aux pauvres.
Ces mêmes lois
disposent ensuite que les libéralités faites au profit des établissements
charitables seront acceptées et administrées par les mandataires légaux dont je
vous parlais tout à l'heure, par ces mêmes commissions administratives que la
loi a placées sous la triple surveillance de l'autorité communale, de
l'autorité provinciale, de l'autorité centrale.
Enfui, messieurs,
pour assurer ce système nouveau d'administration, pour le garantir de toute
innovation qui pourrait le compromettre, le législateur a eu soin d'insérer
dans le Code civil, au titre des Actes entre vifs et testamentaires, une
disposition qui ne permet plus à aucun donateur ni testateur d'introduire dans
leurs actes de libéralité, des dépositions qui seraient contraires aux lois en
général, et par conséquent aux lois spéciales qui organisent la charité
publique.
(page 586) Ce système est complet, il ne laisse rien à désirer ; il
ne présente pas la moindre lacune. Aussi a-t-il traversé tous les régimes
politiques que nous avons subis depuis l'an V. Si quelques modifications sont
survenues dans cet intervalle, elles ont été introduites, non pour changer le
système, mais pour satisfaire, sur des points accessoires, à des réclamations
auxquelles on a pu se rendre sans danger.
Ainsi, en l’an X,
quelques chefs de famille, qui avaient autrefois fondés des lits dans les
hospices de Paris, demandèrent au premier consul la faculté, qu’ils s’étaient
réservé dans les actes de fondation, de désigner à l’avenir les pauvres qui
occuperaient ces lits. Le premier consul ne vit aucune difficulté à consentir à
ce que ces fondateurs ou leurs représentants continuassent à jouir d’un droit
qu’ils avaient exercé sous l’ancien régime. Cela ne touchait en rien au système
légal de l’administration des pauvres.
Il rendit donc, le 28
fructidor an X et le 16 fructidor an XI, deux décrets par lesquels il rétablit
dans l'exercice de leurs droits les fondateurs ou leurs héritiers, qui
s'étaient réservé dans leurs actes de fondation la faculté de conférer des lits
aux personnes indigentes de leur choix.
;Ces décrets sont-ils
applicables aux fondations nouvelles ? C'est une question qui n'a point
d'à-propos ici ; mais ce qu'il importe de remarquer, c’est que le droit de
conférer des lits dans les hospices a été rétabli, non d'une manière générale,
absolue, mais seulement au profit des fondateurs qui se l’étaient réservé
expressément, à eux et à leurs héritiers.
Toutes autres
personnes, et notamment celles qu'on pourrait appeler successives, comme les
curés, les évêques, les chefs de magistrature, les bourgmestres, tous les
titulaires enfin d'un office, d'une dignité ou d'une fonction, sont exclues du
bénéfice des décrets de l'an X et de l'an XI, c'est-à-dire que si des actes de
fondation ancienne leur avaient autrefois attribué le droit de conférer des
lits dans les hospices, ce droit ne pourrait revivre à leur profit ; et la
raison en est fort simple : car, par cela même qu'on aurait accordé à ces
personnes les droits que les décrets rétablissent pour les fondateurs et pour
leurs héritiers, on aurait tout bonnement rétabli l'ancien régime, c'est-à-dire
les substitutions et la mainmorte.
Plus tard, l'empereur
fit un pas de plus. D'autres réclamations lui avaient été présentées qui
avaient pour objet le rétablissement d'un autre droit analogue à celui sur
lequel il avait disposé par ses décrets de l'an X et de l'an XI ; c'était le
droit de concourir à la direction des établissements que d'anciens fondateurs
avaient dotés et d'assister aux délibérations relatives à l'administration des
biens de ces fondations.
L'empereur ne vit
encore aucune difficulté à faire une nouvelle concession sur ce point ; mais il
la fit avec la précaution expresse de maintenir le système légal de la charité
publique dans toute son intégrité. En effet, il rendit, le 31 juillet 1806 un
décret ainsi conçu :
« Art. 1er. Les
fondateurs d'hospices et autres établissements de charité, qui se sont réservé,
par leurs actes de libéralité, le droit de concourir à la direction des
établissements qu'ils ont dotés, et d'assister, avec voix délibérative, aux
séances de leurs administrations, ou à l'examen et vérification des comptes,
seront rétablis dans l'exercice de ces droits, pour en jouir concurremment avec
les commissions instituées par la loi du 16 vendémiaire et par celle du 7
frimaire an V, d'après les règles qui seront fixées par le ministre de
l'intérieur, sur une proposition spéciale des préfets et l'avis des commissions
instituées par les lois précitées, et à la charge de se conformer aux lois et
règlements qui dirigent l'administration actuelle des pauvres et des
hospices. »
« Art. 2. Les
dispositions de l'article précédent seront appliquées aux héritiers des
fondateurs décédés qui seraient appelés par les actes de fondation à jouir des
droits mentionnés audit article. »
Ainsi, messieurs, le
décret du 31 juillet 1806 est positif : il maintient le système légal de l'an V
; le droit qu'il rétablit en faveur de certaines personnes consiste uniquement
à concourir à la direction des établissements qu'elles ont dotés, à la charge
de respecter les lois et les règlements de l'administration actuelle des
pauvres et des hospices, et ce droit n'est encore une fois rendu qu'aux
fondateurs et à leurs héritiers, à l'exclusion des personnes successives dont
j'ai parlé tantôt et qui ne pourraient en jouir que par substitution.
Enfin, messieurs,
l'empereur qui, comme vous le savez, prétendait, dans les derniers temps de
l'empire surtout, réunir sur sa tête tous les pouvoirs, a rendu à cette époque
quelques décrets spéciaux pour la création de certains établissements nouveaux.
Ces décrets ne peuvent être invoqués ni pour ni contre le système général de la
législation ; ils font spécialité dans ce système. Je citerai pour exemple
le décret qui institue l’établissement d’Harscamp à Namur. Il a la force d’une
loi spéciale, et seulement pour l’établissement qui l’a obtenu, sans préjudice
des lois générales de l’an V.
Voyons maintenant,
messieurs, quelle est la nature des doits que les décrets de l’an XI et de 1806
ont restitué aux anciens fondateurs et à leurs héritiers ?
Dans l’ancienne
législation ces droits étaient purement civils ; ils naissaient d’un
testament ou d’une donation ; c’étaient là qu’ils prenaient leur source et
par conséquent leur caractère. Le testateur conférait à certaines personnes le
droit d’administrer les biens qu’il donnait aux pauvres ; il conférait à
d’autres le droit d’en percevoir les revenus, celui de les distribuer en
aumônes, celui de surveiller sa fondation, etc., et tous les droits ainsi
accordés par le testateur soit dans son acte de donation, soit dans son
testament, étaient des droits civils que les parties, en cas de contestation,
pouvaient revendiquer devant les tribunaux et sur lesquels les tribunaux seuls
étaient appelés à prononcer.
Lors donc que les
décrets de l'an XI et de 1806 ont rendu certains droits aux fondateurs et à
leurs héritiers, ces droits n'ont pu revivre qu'avec leur nature primitive,
avec leur nature de droits civils, susceptibles d’être débattus devant les
tribunaux.
Je tenais, messieurs,
à fixer votre attention sur ce point, parce qu’il est capital dans la
discussion qui va suivre.
Qu'a dit l'honorable
M. d'Anethan ? Il a reconnu lui-même tout
le système de la législation que je viens de vous exposer, et je suis
persuadé qu’il est parfaitement d'accord avec moi en tout ce que j'ai dit sur
ce système jusqu'à présent ; mais il a ajouté qu'après l'établissement du
royaume des Pays-Bas, il est intervenu des règlements nouveaux sur
l’administration des villes et des communes rurales, et que dans ces règlements
il existe des dispositions qui abrogent complètement la législation antérieure
sur l'administration de la bienfaisance publique.
C’est sur ce point,
messieurs, que je vais lui répondre. Ecartons d'abord une erreur de fait
involontaire. L'honorable M. d'Anethan a pensé que les règlements auxquels il
attribue l’effet exorbitant d'avoir changé le système légal de la charité
publique, sont de 1817 et 1818 ; ces règlements ne contiennent pas un mot sur
cet objet. Ce sont ceux de 1824 et 1825 qu'il a voulu invoquer. Mais peu
importe ! De quoi s'agit-il ? Il s'agit de savoir, et c'est là la vraie question,
il s'agit de savoir si des droits civils qui n'étaient pas reconnus par la loi
avant 1814 ont été rétablis par des règlements administratifs en faveur des
personnes qui auraient été ou qui seraient à l'avenir instituées par des
fondateurs ou des testateurs, soit pour l'administration des biens, soit pour
la surveillance des établissements fondés.
Eh bien, messieurs,
si des droits civils ont dû être rétablis, je vais vous prouver à la dernière
évidence, je crois, qu'ils n'ont pu l'être que par une loi.
J'ouvre la loi
fondamentale de 1815 et j'y lis, article 5 : « L'exercice des droits civils est
déterminé par la loi. »
Cet article,
messieurs, ne peut présenter le moindre doute : l'exercice des droits civils
est déterminé par la loi, c'est-à-dire que la loi seule peut régler la
jouissance des droits civils.
Vous remarquerez en
outre, messieurs, que l'article 5 de la loi fondamentale ne fait aucune
distinction entre les personnes naturelles et les personnes fictives qui
jouiraient des droits civils : il parle d'une manière générale.
Voyons maintenant ce
que dit la même loi fondamentale des règlements sur l'administration des
communes et des provinces. Elle porte :
« Art. 132. Les
régences des villes sont organisées de la manière qui sera adoptée par les règlements
que proposent les régences existantes, ou des commissions spéciales nommées par
le Roi.
« Ces règlements
seront adressés aux états provinciaux, qui les soumettent, avec leurs
observations, à l'approbation du Roi. »
L'article 154
reproduit la même disposition pour les administrations du plat pays. Il serait
inutile d'en répéter la lecture.
Enfin l'article 152
dispose :
« Des règlements
faits par les états provinciaux sanctionnés par le ; Roi, déterminent le mode
d'exercer le pouvoir qui leur est attribué par la loi fondamentale et en
conséquence d'icelle. »
Eh bien, messieurs,
il suffit de mettre l'article 5 relatif aux droits civils, en regard des
articles 132, 152 et 154, que je viens de vous lire, pour être amené à une
distinction extrêmement simple, extrêmement logique : tout ce qui concerne les
droits civils ne peut être établi que par une loi ; tout ce qui concerne les
administrations provinciales ou communales peut être établi par des règlements.
Voilà le système de
la loi fondamentale de 1815. On pourrait croire, par quelques actes que le roi
des Pays Bas a posés dans le temps, que je donne à la loi fondamentale de 1815
une fausse interprétation en distinguant ainsi les droits civils et
l'administration, et je sens le besoin de m'étayer, à cet égard, d'une autorité
que je vais vous faire connaître.
Vous vous rappelez,
messieurs, que la loi fondamentale fut présentée à l'acceptation des notables
par un commissaire du Roi. Ce commissaire était M. le comte de Thiennes. M. le
comte de Thiennes, en présentant cette loi fondamentale à l'acceptation des
notables, leur adressa un discours dans lequel il disait :
« La loi fondamentale
a dû se borner à proclamer (dans la langue de nos ancêtres) nos libertés
nationales et provinciales, les pouvoirs publics ; toutefois il est conforme à
l'état intérieur des provinces, ou mieux de la nation, que les règlements qui
doivent les organiser, soient désignés. »
Et en effet, je vous
ai cité les articles 132, 152 et 154 qui les désignent.
M. le comte de Thiennes
ajoute :
« La plupart des
bases sur lesquelles elles étaient fondées, la plupart des corporations tant
civiles que religieuses, la plupart des institutions politiques, et même les
hommes, leurs biens, leurs mœurs, leurs habitudes, leurs usages, leurs libertés
ont été détruits et anéantis par la révolution.
« Si nous nous
reportions tout à coup vers l'ancien état des choses, et si nous réédifiions ce
qui a été renversé, si nous démolissions ce qui a été fait, uniquement parce
que ces choses ont été établies pendant les orages de la révolution, nous nous
jetterions nous-mêmes dans une (page 587)
révolution. Le mieux, est, quant à présent, de prendre un milieu dans les
extrêmes : des plaies aussi profondes ne se ferment qu'à la longue.
« II appartient à la
sagesse de l'administration, au Roi, de concert avec les états généraux,
d'apprécier ce qui devra être conservé pour le bien-être de la patrie, et ce
qu'il importe, dans ces circonstances, de modifier, de rétablir et d'améliorer,
sans rouvrir nos vieilles blessures. »
Messieurs, vous
l'avez entendu, c'est au Roi, de concert avec les états généraux, qu'il
appartient d'apprécier ce qu'il faut rétablir des anciennes corporations
religieuses ou civiles des anciennes institutions, des usages, des libertés qui
avaient été détruits et anéantis par la révolution.
Le Roi, de concert
avec les états généraux, messieurs, c'est la législature ; la loi seule par
conséquent devait faire, sur tous ces objets, ce que les circonstances
permettaient de faire, pour ne pas rouvrir d'anciennes blessures.
Ce n'est donc pas,
messieurs, dans les règlements d'administration communale ou provinciale, que
nous irons chercher ce qu'il faut pour rétablir ces anciens usages, ces
anciennes libertés, ces anciens droits de fondation, ces anciennes corporations
religieuses ou civiles ; nous attendrons la loi, et jusqu'ici aucune loi n'a
apparu pour régler ces objets.
On a prêté beaucoup
de choses à l'ancien roi des Pays-Bas ; mais je ne connais personne qui lui ait
prête davantage que l'honorable M. d'Anethan ; il lui prête d'avoir décrété,
par des règlements d'administration communale, que toute la législation
antérieure sur le système légal de la charité publique est abolie.
Voici les
dispositions sur lesquelles se fonde l'honorable M. d'Anethan :
Le règlement des
villes, en date du 19 janvier 1824, contient une disposition ainsi conçue :
« Art. 68. Le conseil
nomme les membres des administrations des hospices publics, des établissements
de charité et de l'administration générale des pauvres de la ville, pour autant
qu'il n'ait pas été décidé autrement à cet égard par les actes de fondation.
Cette nomination aura lieu, etc. »
Le règlement du 23
juillet 1825 contient la même disposition.
Que faut-il entendre
par ces mots « actes de fondation » ? Cela doit-il s'entendre des
actes entre vifs ou testamentaires que chacun peut faire, aux termes du Code
civil ? Non certes ; les actes de fondation sont des dispositions faites par un
testateur ou un donateur et acceptées par le gouvernement ; tant que ces deux
conditions ne sont pas réunies, disposition, d'un côté, et acceptation de
l'autre, il n'y a pas de fondation, il n'y a pas d'acte de fondation. Ainsi,
dans l'espèce de M. le curé Lauwers, l'acte de fondation n'est pas le seul
testament du curé Lauwers ; c'est ce testament tel qu'il a été accepté par
l'arrêté royal du 30 décembre 1847 : voilà l'acte de fondation.
L'honorable M.
d'Anethan me fait un signe négatif. Eh bien ! la même question s'est élevée en
1836, lorsqu'on a discuté la loi communale, et savez-vous comment s'est exprimé
à cet égard l'honorable M. Dubus ? Je vais vous lire ce qu'il disait :
« Il est bien
entendu, disait-il, qu'il s'agit d'actes approuvés par l'autorité compétente.
Jusque-là il n'existe pas de fondation. La fondation n'a d'existence que quand
l'approbation que la loi exige a été donnée, etc. »
Ainsi, l'honorable M.
Dubus était parfaitement d'accord avec moi sur ce point ; il n'y a d'acte de
fondation que lorsque la volonté du testateur a été acceptée, approuvée par le
gouvernement.
M. Dubus (aîné). - J'ai dit aussi
qu'il fallait accepter la fondation telle que le testateur l'avait faite, sans
la mutiler, sans en rejeter une partie en acceptant l'autre.
M. Tielemans. - C'est une autre
question ; mais dans votre opinion, il n'y a d'acte de fondation qu'autant que
la fondation a été acceptée par le gouvernement, cela est incontestable.
Maintenant,
messieurs, quelles sont les obligations que la loi impose au gouvernement,
quant à l'acceptation des dispositions d'un fondateur ? Ces obligations sont
écrites dans le système légal de la charité publique que j'ai expliqué tout à
l'heure et dans l'article 900 du Code civil.
Cet article porte
textuellement que toute condition contraire aux lois, qui se trouverait dans un
acte de dernière volonté, sera réputée non avenue ; disposition essentielle
pour maintenir le système des lois antérieures sur la charité publique.
Dès lors, messieurs,
les règlements de 1824 et de 1825 n'ont rien changé à. ce qui existait ; ils
n'ont pas reconnu aux testateurs des droits que la législation antérieure leur
refusait.
Mais il en serait
autrement, que ces règlements seraient sans effet à cet égard ; car, je le
répète, il s'agit de droits civils, et la loi fondamentale de 1815 a réservé
cette matière à la législature.
J'arrive maintenant à
la loi communale de 1836 ; je n'aurais, à la rigueur, qu'un mot à dire sur
cette loi, et ce mot ne tendrait qu'à répéter l’observation par laquelle l'honorable
M. d'Anethan a terminé hier son discours.
C'est que la loi de
1836 n'a pas voulu innover. Tout est là ; cela répond à tout.
Maintenant, qu'on
n'ait pas voulu innover, c'est ce que je vais établir par .la discussion même de
cette loi, et je ne serai pas long.
D'abord l'article 84
de la loi communale commence par dire que le conseil communal nomme les membres
des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance.
Puis l'article ajoute
: « Il n'est pas dérogé, par les dispositions qui précèdent, aux actes de
fondation qui établissent des administrateurs spéciaux. »
Vous voyez,
messieurs, que les termes de cette disposition sont, à peu de chose près, les
mêmes que ceux des articles 68 et 40 des règlements de 1824 et de 1825 ; là il
était dit : « Pour autant qu'il n'ait pas été décidé autrement par les actes de
fondation. »
Il y a cependant ici
quelque chose de plus. Pour quiconque est habitué à lire des lois, les termes :
« Il n'est pas dérogé par les dispositions qui précèdent, » ont un sens qui
n'est jamais ambigu ; on n’a pas même besoin de lire la suite pour savoir ce
que cela veut dire : « Il n'est pas dérogé par les dispositions qui
précèdent.... » à quoi ? Mais à ce qui existe ; c'est-à-dire qu'on n'a pas voulu
innover ; les termes mêmes :« Il n'est pas dérogé, etc., » indiquent donc par eux-mêmes le maintien des
lois antérieures sur la matière en question.
Maintenant la
discussion à cet égard est tellement positive, que je n'aurai besoin que de la
lire.
Dans la séance du 15
février 1836, M. Jullien demande la suppression du paragraphe en question. « Il
ne peut, dit-il, concerner le passé, car autrement il aurait un effet
rétroactif ; il ne peut donc concerner que l'avenir, et alors il est inutile,
en présence de l'article 910 du Code civil.
Si la disposition
n'est pas utile pour l'avenir, elle ne peut avoir pour objet que de rétroagir
sur le passé. S'il en est ainsi, quel sera son effet ? Les familles qui ont
fait autrefois des donations ou des fondations, à la condition de les
administrer, en réclameraient l’administration ; les évêques, le clergé, les
fabriques réclameront des bureaux de bienfaisance les fondations originairement
faites à leur profit ou dont ils devaient être les administrateurs. De cette
manière, les bureaux de bienfaisance et les administrations des hospices seront
dépossédés, et il ne leur restera plus rien ou que peu de chose.
« Ce ne sont pas là
des craintes chimériques, etc. »,
Il termine en disant
qu'il persistera dans sa proposition jusqu'à ce qu'on lui ait prouvé que la
disposition ne peut pas avoir l'effet qu'il suppose.
La question était
donc nettement posée ; il s'agissait de savoir si on voulait innover, ou si
l'on s'en tiendrait à la législation existante, c'est-à-dire, aux lois de l'an
V et à l'article 910 du Code civil.
Voici ce que répond
l'honorable M. de Theux, alors ministre de l'intérieur :
« Les appréhensions
de M. Jullien n'ont pas le moindre fondement. Les règlements des villes et du
plat pays contiennent la disposition en discussion. Le retranchement proposé
aurait pour effet, non pas de conserver le droit actuel, mais de frustrer la
volonté des fondateurs, contrairement au droit en vigueur. »
M. Dubus aîné appuie
ensuite et répète la déclaration de M. de Theux, et alors M. Jullien retire sa
proposition en ces termes :
« Puisque je vois que
la loi ne peut pas avoir d'effet rétroactif et qu'elle ne s'appliquera qu'aux
donations actuellement gérées par des administrations spéciales et faites sous
l'empire des lois qui le permettaient, je retire ma proposition. »
Ainsi, messieurs,
d'après la discussion comme d'après le texte de l'article, il est évident que
l'on n'a pas voulu innover ; on a voulu au contraire maintenir le système des
règlements de 1824 et 1825, lesquels eux-mêmes étaient restés fidèles à la
législation antérieure.
En résumé, messieurs, la charité publique est
organisée par des lois. Ces lois ont fixé les règles et les formes à suivre
dans l'administration des établissements et des secours publics. Ces règles et
ces formes sont les seules garanties qu'il y ait aujourd'hui pour la
conservation du patrimoine des pauvres ; et ce sont ces règles que l'on
voudrait aujourd'hui complètement anéantir ! Je le demande à l'honorable M.
d'Anethan lui-même, si d'un côté il était permis aux testateurs de faire telle
disposition qu'il leur plaît, parce qu'on a toujours le droit de faire l'aumône
par soi-même ou par autrui, et que, de l'autre, le gouvernement n'ait aucun
moyen d'empêcher que les biens donnés ou légués passent en des mains infidèles
ou inhabiles, que devient le patrimoine des pauvres ? Quel sera l'avenir
réservé aux secours publics ? On ne répondra pas à cette question ; en y
répondant, on condamnerait le système que je viens de combattre.
(page
577) M. de Bonne. - Messieurs, ma position
est fort délicate. Membre depuis dix ans du conseil général des hospices de
Bruxelles, je ne puis combattre la critique qu'a faite dans la séance d'hier
l'honorable M. d'Anethan. Et cependant, je ne puis par mon silence vous laisser
penser que toutes ses allégations sont fondées.
Chargé
particulièrement du contentieux, j'ai fait le rapport sur la donation
testamentaire de feu le curé de l'église de Finisterae, il y a plus de six mois
de cela.
Je me souviens
cependant que j'ai examiné la question de savoir si la désignation des
distributeurs des aumônes, mise dans le testament, devait être considérée comme
une condition, et j'ai pensé, alors comme aujourd'hui, que ce n'était pas une
condition.
Le donateur a eu pour
but de donner aux pauvres. La mention de leur procurer la jouissance de son
bienfait par l'entremise de telle ou telle personne qu'il a désignée, peut-elle
être considérée comme étant une condition de l'existence de sa donation ?
Je ne le pense pas,
je ne l'ai pas pensé, parce que si de cette distribution par les curés eût dû
dépendre l'existence du legs, de la donation, il se serait expliqué
positivement. Bien certainement le testateur eût prévu le cas de l'inexécution
de cette condition s'il en avait fait une condition, et il aurait alors, par
prévision, disposé de sa succession d'une autre manière.
Je persiste donc à
penser que la cause déterminante' a été les sentiments de charité du testateur envers
les pauvres et nullement l'attribution aux curés de distribuer le produit de
son bienfait.
L'article 900 du Code
civil me semble avoir reçu une juste application, et c'est ce que mon honorable
ami M. Tielemans vous a démontré.
Après m'être
expliqué, comme je viens d'avoir l'honneur de vous le dire, dans le rapport que
j'ai fait alors, j'avais à parler de la réclamation que faisaient les parents
du testateur ; c'était encore là une question fort délicate. Les parents,
quoique ne pouvant être rangés dans la classe pauvre, n'étaient cependant pas
dans la classe aisée. Ils étaient précisément à cette limite que le moindre
malheur pouvait leur faire franchir.
La preuve, c'est ce
que vous a dit hier M. d'Anethan, l'un est tapissier, l'autre cordonnier, Eh bien,
sont-ils cités comme étant au premier rang des industriels ? Je ne l'ai pas
entendu et je ne le pense pas.
Dans cette
circonstance, qu'ai-je fait ? J'ai dit que, tout en reconnaissant que les
héritiers naturels du testateur n'étaient pas dans l'aisance, je ne pensais pas
qu'il appartenait au conseil général des hospices de tracer la ligne de
conduite que devait ou pouvait suivre le gouvernement.
(page 578) Le conseil général des hospices adopta mon avis, qui
avait pour objet de demander à l'administration communale l'envoi en
possession.
Le conseil communal
fut d'avis d'accorder une part de la succession aux héritiers du donateur.
La commission
permanente du conseil provincial, adoptant cet avis, fixa même la part à la
moitié.
L'honorable M.
d'Anethan a prétendu que la distribution par les curés était légale ; le
contraire vous a été démontré, et si l'administration des hospices a remis les
fonds de certaines fondations à des curés pour en faire la distribution, elle a
commis une erreur, rectifiée maintenant depuis l'établissement d'un comité de
charité dans chaque paroisse, lequel comité a pour président le curé et, à son
défaut, l'un des vicaires.
Je dois ici faire
remarquer que la règle adoptée par l'administration de la bienfaisance, de
distribuer les secours par paroisse à raison et proportionnellement au nombre
des indigents de chacune d'elles, est la mesure la plus efficace et la plus
rationnelle.
Ce mode de
répartition n'est en aucune manière contraire aux intentions des donateurs qui
ont eu pour but de gratifier les pauvres d'une paroisse plutôt que d'une autre.
Et cela parce que
leur intention est inexécutable et leur but impossible à atteindre.
Vous allez le
comprendre de suite. Les indigents se logent à la semaine, tout au plus au
mois. Ils voyagent comme les taupes aujourd'hui d'un côté et demain d'un autre.
Si, dans une
paroisse, la distribution des secours était plus grande, une émigration des
autres paroisses y viendrait bientôt rétablir l'équilibre.
Vous voyez que ce
serait en vain qu'on voudrait établir une différence.
Quant à la
connaissance plus grande que les curés peuvent avoir de la position des
indigents, d'après M. d'Anethan, je ne puis l'admettre. Je pense que les
honorables citoyens choisis et nommés par le conseil de régence dans chaque
paroisse, d'un dévouement exemplaire, qui donnent leurs soins à la distribution
des secours après avoir visité ceux qui les réclament ou qui en ont besoin,
donnent une garantie tout aussi grande de leur bon emploi que MM. les curés
s'ils étaient exclusivement chargés de ce soin. Au reste, comme je l'ai dit,
les curés sont présidents de droit du comité de chaque paroisse.
On conçoit que le
service des autels, l'administration des secours de la religion ne permettent
pas à tous les curés de visiter tous les pauvres, comme le font les 12 à 15
membres du comité de chaque paroisse.
Un dernier point me
reste à traiter, c'est l'allégation faite par M. d'Anethan de l'abandon par les
curés de donner leur concours aux comités de charité.
Je me vois obligé de
mettre la plus grande circonspection dans ma réponse.
Des 11 comités de
charité de Bruxelles, 3 seulement ont été abandonnés par leur curés.
Cet abandon a
plusieurs causes, et je ne sais si je dois les faire connaître toutes ?
Il en est que je puis
faire connaître. Le comité d'une paroisse avait pris à sa charge une sœur de
charité au prix de 500 fr., le conseil des hospices n'admit pas cette mesure,
et refusa de laisser passer en compte la somme de 500 fr.
Voici pourquoi :
1° Parce que cette mesure
entraînait le traitement bien imparfaite domicile ; des logements malpropres,
un mauvais air, la réunion de plusieurs individus dans un petit local sont des
causes de maladie et même de sa propagation ;
2° La médicamentation
ne pouvait être laissée à cette sœur et les médecins des pauvres ne pouvaient
surveiller le traitement.
Pourquoi aurait-on
laissé établir une habitude, un usage funeste dans ses conséquences lorsqu'il y
a des hôpitaux desservis par les hommes les plus capables ?
Le comité a été blessé
de ce refus, il a donné sa démission presque en masse ; il a été remplacé.
Un autre comité,
celui de la paroisse de Finisterrae, s'est retiré pour un autre motif.
Il a pensé qu'il
était, lui, légataire du curé Lauwers, que c'était à lui qu'il fallait remettre
le legs et que c'était à lui à en disposer.
Etabli par le conseil
des hospices, n'étant que son délégué, n'ayant aucun caractère de personne
civile, il n'était pas possible d'admettre de semblables prétentions. Il a même
fallu recourir à la justice réglée pour faire décider que ce comité n'avait pas
le droit d'assister à la levée des scellés. L'insuccès l'a mécontenté, ii s'est
également retiré.
Mais ces deux comités
sont rétablis, et d'autres bons citoyens ont bien voulu se charger de
l'administration des secours dans ces deux paroisses.
Un troisième comité
s'est aussi retiré, ou plutôt le curé refuse de venir, comme autrefois,
présider la réunion des membres qui représentent la paroisse de Gaudeuberg.
Il est un autre point
dont j'hésite à vous entretenir, tant il est délicat. Cependant je ne puis me
dispenser de le faire. J'en parlerai avec toute la réserve possible.
Ce que j'ai à vous
dire est relatif au troisième comité. Leurs Majestés ont beaucoup d'aumônes,
beaucoup de charités ; elles viennent au secours de beaucoup et de bien grandes
infortunes ; souvent notre administration est appelée à donner des
renseignements pour que ces bienfaits soient bien distribués. Depuis quelques
années, une somme de 30 mille fr. chaque année était donnée par Leurs Majestés
pour venir au secours des malheureux de la capitale ; ces secours étaient
adressés aux comités de charité et repartis proportionnellement entre eux.
Mais le dernier
secours n'a plus été adressé aux comités de charité, il a été adressé à MM. les
curés. Ce secours était accompagné d'une lettre dont nous avons dû avoir copie.
Je vous demande la permission de vous donner lecture d'un passage de cette
lettre :
L'intendant de la
liste civile s'est exprimé de cette manière :
« Bruxelles, 15
décembre 1647.
« Monsieur le curé,
« J'ai l'honneur,
etc., etc.
« Il est essentiel en
effet de ne pas perdre de vue que les secours accordés par le Roi, dans cette
saison, sont des secours extraordinaires et que, d'après le vœu de S. M., ils
ne doivent point entrer en ligne de compte avec ceux qui sont alloués par
l'administration générale des hospices ou dont cette administration contrôle la
répartition et l'emploi.
« Des doutes s'étant
élevés touchant le mode de distribution des cartes que j'ai l'honneur de vous
envoyer, je crois, M. le curé, devoir entrer à ce sujet dans quelques
explications qui vous feront mieux comprendre les intentions du Roi.
« Convaincu que par
la nature de vos fonctions, qui vous mettent en contact journalier arec la
classe nécessiteuse, vous êtes plus à même que personne de connaître ses
besoins, le Roi désire que dans la désignation des familles à secourir voire
voix soit surtout écoutée et qu'une grande partie des cartes soient délivrées
directement par vous.
« Je pense qu'en
général les choses se passent ainsi. Mais s'il en était autrement et qu’il
surgît sur ce point des difficultés dans le sein du conseil que vous présidez,
vous seriez autorisé, M. le curé, à retenir pour vous la moitié des cartes
ci-jointes et à ne mettre à la disposition du comité que la moitié restante.
« Dans le cas enfin
où la nouvelle donnée par quelques journaux serait exacte et où vous auriez
cru, ce que je regarderais comme fâcheux, devoir vous retirer du comité de
votre paroisse, S. M., renonçant à regret au concours d'une institution qui,
bien entendue, peut rendre des services réels, vous abandonnerait exclusivement
la distribution des cartes de secours.
« Agréez, etc. »
Messieurs, quel a été
le résultat de cette communication ? Quelques curés ont voulu se retirer (il
faut vous dire qu'il s'agissait des quêtes à faire comme elles se font
annuellement), les curés ont refusé de faire comme les années précédentes, et
d'accompagner les membres des comités qui faisaient leur tournée dans ces
paroisses. Un seul a persisté ; il a adressé à son comité de charité la lettre
suivante :
« Messieurs,
« Je regrette de ne
pouvoir accéder à votre demande, exprimée dans votre lettre sous la date du 30
décembre dernier.
« Comme les circonstances
m'ont obligé de me séparer du comité, il ne convient pas que par ma présence à
la quête, le public soit induit en erreur, qui pourrait n'avoir l'intention de
donner que parce qu'il croît que l'intervention du clergé lui garantit le bon
emploi de ses aumônes.
« Recevez,
messieurs, l'assurance de ma considération distinguée.
« (Signé) A.-J.-A ;
T'Sas, curé. »
Que résulte-t-il de
là ? C'est que l'administration laïque, l'administration communale est
incapable de faire une bonne distribution, qu'elle ne mérite pas qu'on ait
confiance en elle. Le curé, dans sa missive, le déclare positivement.
La conclusion de la
critique qu'a faite l'honorable M. d'Anethan des distributions faites par
l'administration des hospices est qu'il n'y a de bonne charité que celle qui
est faite par les curés, qu'ils présentent des garanties, qu'ils méritent seuls
qu'on ait confiance en eux.
Je n'ai, au nom de l'administration des hospices,
aucun reproche à faire à l'administration communale. Si celle-ci ne fait pas
davantage pour nous, si nous sommes en difficulté, c'est qu'elle n'a pas le
moyen de faire plus. Mais jusqu'à présent tous les secours qui ont été
distribués l'ont été par l'intermédiaire de citoyens honorables et avec le
concours du clergé. Si le clergé se retire de nous, c'est parce qu'il croit que
cette administration, cette distribution ne doit pas être partagée, mais
qu'elle lui revient tout entière.
M. Sigart. - Dans son discours
l'honorable M. d'Anethan s'est occupé de moi.
J'avais parlé à la
chambre intérêt social et économie politique. L'honorable M. d'Anethan a parlé
jurisprudence et concile de Trente. Nous étions chacun dans un monde différent
; nous ne devions pas nous rencontrer.
Mais si l'honorable
M. d'Anethan n'a pas rencontré mes opinions, de quel droit s'est-il permis de
les juger ? Je pourrais qualifier sévèrement le langage que s'est permis
l'honorable M. d'Anethan. Je laisserai ce soin à la chambre.
Je constate que l'honorable M. d'Anethan n'a
pas dit un mot, mais un seul mol tendant, cherchant à prouver que la charité
officielle serait sans danger. Or, c'est là la thèse que j'avais soutenue. Je
crois pouvoir encore lui porter le défi de la renverser.
(page 579) Mais l'honorable M. d'Anethan, avec ce ton de suprême
intelligence qui lui va si bien, a décidé que le fait seul de mon approbation à
un acte du ministère devait mettre le ministère en suspicion, (Interruption.)
Messieurs je ne me croyais pas si compromettant. Je
n'avais pas l'orgueil de me croire si terrible. Mais l'honorable M. d'Anethan
n'a-t-il pas pensé que lui aussi pouvait être compromettant ?
Je puis dire à
l'honorable M. d'Anethan, avec beaucoup plus de raison qu'il ne me l'a dit à
moi-même, que je tiens comme un éloge tout blâme du souteneur de Retsin.
M. d’Anethan. - Messieurs, je
m'abstiendrai de répondre à ce que vient de me dire de personnel l'honorable M.
Sigart ; l'honorable membre ne m'a probablement pas compris hier, lorsque j'ai prononcé
le discours auquel il vient de faire une courte réponse.
Je n'ai pas dit que
l'honorable M. Sigart, par son appui, compromettait le ministère. Je n'ai même
pas parlé de l'appui que l'honorable M. Sigart donnait à l'administration
actuelle. Je me suis borné à dire que les motifs qu'avait donnés l'honorable
membre pour appuyer l'arrêté de M. le ministre de la justice, m'avaient suffi
pour prendre la parole et pour attaquer cet arrêté, ne pouvant m'associer aux
motifs que l'on avait donnés pour l'approuver.
Il n'y avait dans mes
paroles aucune allusion offensante pour l'honorable M. Sigart. L'honorable
membre a exprimé une opinion que je ne partage pas ; j'ai usé de la liberté
grande de le dire, et dans des termes, je pense, très convenables ; l'honorable
membre doit me permettre, me semble-t-il, de dire que je diffère avec lui
d'opinion, sans m'obliger, sans me condamner à devoir répondre à toutes les
parties de son discours.
J'arrive à la partie
plus sérieuse de la discussion.
L'honorable M.
Tielemans a bien voulu traiter avec une grande bienveillance le discours que
j'avais prononcé hier. Je ne serai que juste en disant à mon tour que
l'honorable membre a eu tort ne faire en ce qui le concerne un appel à
l'indulgence de la chambre. On n'a pas besoin d’indulgence pour faire écouter
avec intérêt et avec un très grand intérêt un discours semblable à celui qu'a
prononcé l'honorable membre ; je me plais à le reconnaître.
Mais de même que
l'honorable membre nous a dit que mon discours ne l'avait pas fait changer
d'opinion, je dois déclarer de mon côté que celui qu'il a prononcé et auquel je
rends pleine justice, loin de modifier ma manière de voir, m’a plutôt confirmé
dans l'opinion que j'ai défendue hier devant vous.
J'aborde, messieurs,
et je le ferai aussi sommairement que possible, les différents points qui ont
été traités par mes honorables contradicteurs.
J'avais dit,
messieurs, que d'après moi, pour apprécier les dispositions faites à des
établissements de bienfaisance, il y avait quatre points principaux à examiner,
j'avais noté en première ligne l'état mental du testateur et en second lieu
l'origine des biens.
L'honorable M.
Tielemans n'admet pas ces deux bases, il nous dit qu'en ce qui tourne l'état mental
de l'individu qui a fait une disposition, c'est aux tribunaux, c'est à
l'autorité judiciaire seule qu'appartient le droit d'apprécier cet état.
Je suis parfaitement
d'accord avec l'honorable M. Tielemans, d'après le sens qu'il a donné à mes
paroles. Il est évident en effet que même si le gouvernement avait reconnu que
l'état mental d'un testateur était sain, et s'il avait en conséquence autorisé
l'acceptation par les hospices de la donation qui leur aurait été faite, les
héritiers légitimes ou d'autres légataires n'en auraient pas moins le droit de
contester cet état mental et d'attraire les hospices devant les tribunaux pour
leur faire restituer la donation qu'ils auraient acceptée avec l'autorisation
du gouvernement.
Mais ce n'est pas en
ce sens que j'ai dit que le gouvernement avait le droit d'examiner l'état
mental d'un testateur, j'ai exprimé l'opinion que le gouvernement, en examinant
s'il doit autoriser l'acceptation d'une donation, est tenu de s'assurer si la
personne qui a fait la donation n'a pas cédé soit à un caprice irréfléchi, soit
à la captation. Il est tenu de s'assurer si, au moment où la donation a été
faite, le donateur était réellement sain d'esprit.
Concevrait-on,
messieurs, que le gouvernement autorisât l'acceptation d'une donation qui
aurait été faite par un individu qu'il reconnaîtrait lui-même n'avoir pas été
sain d'esprit au moment où la donation était faite ? Le gouvernement, lorsqu'il
autorise l'acceptation d'une donation, pose un acte sérieux ; et dès lors il
doit s'assurer que la disposition a été faite d'une manière sérieuse, d'une
manière réfléchie, si rien en un mot ne vient sous ce rapport vicier l'acte.
L'honorable M.
Tielemans n'admet pas non plus que l'on doive se préoccuper, dans l'examen des
questions de la nature de celle que nous traitons, de l'origine des biens du
testateur, et à cet effet, il invoque les dispositions de l'article 732 du Code
civil, qui dit qu'en matière de succession, on ne s'enquiert pas de l'origine
des biens.
Sans doute personne
n'a envie de contester le sens de l'article 732 du Code civil. Mais vous
voudrez bien remarquer qu'en matière de donations à approuver par le
gouvernement, il s'agit d'une appréciation morale à faire ; il s'agit
d'examiner s'il y a eu lésion pour la famille dans l'acte qu'a posé la personne
qui a fait une donation à un établissement de bienfaisance.
Or, pour examiner
s'il y a eu lésion pour la famille, et on doit reconnaître qu'une des
appréciations les plus importantes à faire consiste à s'assurer d'abord si les
biens légués ont une origine patrimoniale donnant une espèce de droit ou du
moins un espoir fondé aux héritiers de la personne décédée ; droit ou espoir
qui ne peuvent exister quand il s'agit d'économies ne provenant pas de biens de
famille.
Il me paraît donc
évident que l'intérêt de la famille, qu'il faut surtout prendre en
considération, exige, pour qu'on fasse une appréciation exacte, une
appréciation saine de la disposition, qu'on examine quelle était l'origine des
biens dont la personne qui a fait la donation a disposé.
Je n'ai pas invoqué,
messieurs, le concile de Trente comme liant soit le gouvernement, soit les
tribunaux, soit la législature, et comme ayant porté quelques modifications à
l'article 732 du Code civil. Cependant, messieurs, je pourrais m'étonner que
l'honorable M. Tielemans ait trouvé étrange que j'aie cité le concile de
Trente, alors que l'honorable membre l'a cité lui-même, pour établir quelles
étaient les garanties que ce concile avait accordées pour maintenir intactes
les donations qui étaient faites aux pauvres.
L'honorable membre,
en citant le concile de Trente, relativement à cet objet, doit évidemment me
permettre de le citer lorsqu'il s'agit d'un devoir de conscience que cette loi
canonique impose aux ecclésiastiques. Cette loi n'était, d'ailleurs que la
reproduction de la législation romaine à laquelle il a fait lui-même appel, car
les principes que j'ai cités hier des lois canoniques et du concile de Trente,
se trouvaient déjà dans la loi 42 au Code de Episcopis et dans la novelle 131.
Ainsi, messieurs, je
pourrais opposer le droit romain, réglant les devoirs de conscience imposés aux
ecclésiastiques, aux citations que l'honorable M. Tielemans a faites de ce même
droit pour établir quelles étaient les garanties qu'il accordait aux institutions
de bienfaisance.
L'honorable membre
auquel je réponds n'a pas méconnu que des bases d'appréciation devaient se
trouver dans la situation des parents du testateur et dans la position
financière de l'établissement donataire ; mais, sans admettre ce que j'avais
dit sur la nécessité de constater l'origine des biens, l'honorable M. Tielemans
a soutenu en fait que les sommes qui se trouvaient en la possession de M. le
curé Lauwers ne provenaient pas d'économies de cet ecclésiastique, et
l'honorable membre a invoqué à cette fin un procès qui a été soumis à la cour
d'appel de Bruxelles et dans lequel il s'agissait d’une copropriété dans
l'abbaye du Parc.
M. le curé Lauwers
avait été moine dans cette abbaye ; en cette qualité, il possédait, non pas
sans doute des biens patrimoniaux, mais touchait un certain revenu. Ce revenu,
il l'a touché, en partie du moins, jusqu'à sa mort, et ce revenu a dû
contribuer à augmenter la somme des économies faites sur son casuel et sur son
traitement. Or, l'honorable M. Tielemans ne soutiendra pas que les revenus que
M. le curé Lauwers a touchés comme ancien moine du Parc, pussent appartenir à
sa famille. Quant à la copropriété, M. Lauwers l'a laissée à l'abbaye. Ainsi le
capital n'a pas même fait partie des sommes trouvées dans la succession de M.
le curé Lauwers.
L'honorable M.
Tielemans en a appelé aux explications de M. le ministre de la justice pour
savoir quelle est la position de la famille de M. le curé Lauwers. J'ai puisé
mon appréciation dans l'arrêté lui-même. J'ai dit que cet arrêté établissait
que les parents de M. le curé Lauwers n'étaient point dans la misère, qu'ils
étaient seulement dans une position peu aisée. J'ai même avancé, d'après mes
renseignements particuliers, que deux de ces parents exerçaient des métiers
assez lucratifs.
Quant à la situation
de l'établissement, l'honorable M. Tielemans peut demander à son voisin de
gauche, à l'honorable M. de Bonne, si l'honorable membre envisage comme
prospère la situation des hospices de Bruxelles ; et j'aurais peine à concevoir
que l'honorable membre déclarât que cette position est prospère alors que les
hospices, comme je le disais hier, font tous les ans des démarches pour obtenir
une augmentation de subsides. (Interruption.)
Et, d'après ce que me dit l'honorable M. Malou, les hospices reçoivent, même
maintenant, 300,000 francs.
M. de Bonne. - Deux cent mille.
M. d’Anethan. - Toujours est-il
que lorsque j'étais au ministère, ils ont demandé une augmentation de 150,000
francs.
Voilà, messieurs, ce
que j'avais à répondre à la première partie du discours de l'honorable M.
Tielemans.
L'honorable membre,
examinant ensuite les autres points que j’avais traités hier, a débuté en
disant qu'il y a deux espèces de charité : la charité publique, astreinte, dans
l'intérêt général, à certaines règles, et la charité privée, qui n'est
astreinte à aucune règle quelconque, qui doit conserver toute sa liberté
d'action, toute sa spontanéité. L'honorable membre a reconnu lui-même que rien
n'empêche les curés ni aucune autre personne de recevoir des dons manuels et de
les distribuer immédiatement. L'honorable membre a donc reconnu que si
l’administration des hospices venait à apprendre qu'une personne a remis à un
curé, par exemple, une somme pour en faire la distribution, l’administration
des hospices n'aurait pas le droit de s'y opposer et de revendiquer cette somme
pour en faire elle-même la distribution ; mais ce droit des particuliers, de
confier leurs aumônes à des curés, l'honorable M. Tielemans l'a restreint à des
dons manuels, à des dons à faire du vivant de l'individu qui veut faire cette
libéralité.
Eh bien, messieurs,
je demanderai à l'honorable membre comment il peut trouver légal ce qui se fait
dans ce dernier cas, et ne pas trouver, légal le même acte lorsqu'il se fait
par testament ? Veuillez bien remarquer, (page
580) messieurs, que d'après les termes de la disposition faite par M. le
curé Lauwers, on pourrait soutenir qu'il s'agissait de remettre aux curés la
somme tout entière ; il ne s'agissait pas là de placer le capital, et qu'ainsi
il n'était pas question de personnes successives, comme l'a dit M. Tielemans,
qui auraient pu être chargées éternellement de distribuer le revenu de ce
capital. D'après la disposition de M. le curé Lauwers, qui avait confiance dans
les curés, ses collègues, il désirait, paraît-il, que la somme intégrale leur
fût remise et que la distribution en fût faite par eux.
Ainsi, ce que le M.
curé Lauwers aurait pu, d'après l'opinion de l'honorable M. Tielemans,
lui-même, faire la veille de sa mort, ce qu'il aurait pu faire, en remettant
annuellement les sommes aux curés, il n'aurait pas pu le faire par une
disposition testamentaire ! Cette volonté qu'il pouvait exécuter de son vivant,
il ne pouvait pas obtenir qu'elle fût exécutée après sa mort en la consignant
dans un acte testamentaire ! J'attends encore la démonstration de la
différence qu'on veut établir entre ces deux modes d'exercer une libéralité.
L'honorable membre a
dit qu'il allait me répondre au nom des lois, au nom des pauvres et au nom de
la religion.
Je me permettrai de
douter que les pauvres de Bruxelles acceptent la réponse et l'acceptent comme
avocat en cette circonstance, alors que son système tend à les dépouiller de la
moitié de la donation qui leur avait été faite. J'ajouterai que mon système me
paraît plus d'accord avec les lois et la religion que celui de l'honorable
membre.
Un testateur, un
donateur est sans doute bien libre de ne rien donner, il est sans doute bien libre
de ne faire aucune disposition favorable envers les pauvres ; mais s'il veut en
faire une, de quel droit, je vous le demande, voulez-vous l'empêcher de
réaliser ses bienfaits comme il l'entend ? Si c'était une obligation légale
pour quelqu'un de donner aux pauvres, oh ! je conçois très bien alors que vous
disiez à cette personne : Vous ne pouvez pas vous affranchir de l'obligation
légale qui vous est imposée de donner telle somme aux pauvres, et vous êtes
tenu de la passer par telle filière pour la leur faire parvenir. Mais lorsque
c'est la volonté seule du donateur qui est cause du bienfait, je demande si
c'est plaider la cause des pauvres pour le futur, que de venir dire à cette
personne : Je vous impose des conditions que vous n'avez pas voulues, et par
ces conditions que je vous impose contrairement à votre volonté, par ces
conditions, je vais faire imposer à votre volonté une direction nouvelle ; je
vais modifier vos institutions bienfaisantes ; et votre volonté que vous avez
manifestée d'une manière bien claire, je vais la plier à je ne sais quelle
nécessité légale, et répandre vos bienfaits sans égard pour les règles que vous
avez tracées.
J'arrive maintenant
aux dispositions légales qu'a invoquées mon honorable contradicteur. Ces
dispositions sont les arrêtés du 28 fructidor an X et du 10 fructidor an XI, et
le décret du 31 juillet 1806.
Messieurs, vous
remarquerez d'abord que par ces trois dispositions l'on faisait un premier
retour vers ce qui avait lieu avant 1790 ; la réparation était insuffisante,
était incomplète ; mais enfin c'était un retour vers des idées contraires à
celles qui avaient motivé les spoliations de 1790.
Ces arrêtés ont été
exécutés en France, et suivis d'autres décrets spéciaux, qui ne doivent pas
faire jurisprudence, il est vrai, mais qui indiquent au moins l'esprit dans
lequel avaient été conçues les trois dispositions qui les avaient précédées.
Ces arrêtés postérieurs consacraient, en matière de liberté des fondateurs, des
principes beaucoup plus larges encore que ceux des arrêtés de fructidor an XI
et du décret de 1806.
Je n'examinerai pas
jusqu'à quel point l'interprétation donnée par l'honorable M. Tielemans à ces
différents arrêtés est exacte ; je n'examinerai pas non plus si le mot
« héritiers », qui se trouve dans ces arrêtés, ne doit s'appliquer
qu'aux héritiers légitimes du testateur ; si cette disposition interdit au
testateur d'établir un fonctionnaire, ou des fonctionnaires successifs qui
seraient chargés d'exécuter ses volontés.
Du reste, messieurs,
je pense que par l'exécution même que ces différents décrets ont reçue, par
l'esprit qui les a dictés, il serait facile d'établir que la thèse de
l'honorable M. Tielemans ne doit pas être admise. Mais je ne dois pas examiner
à fond cette question, parce que la difficulté ne me paraît pas être là, parce
que la difficulté est tranchée par les règlements de 1824 et de 1825 dont
l'honorable Al. Tielemans s'est également occupé ; et je me trompe même en
disant que la difficulté est tranchée par les règlements de 1824 et de 1825 ;
la difficulté est tranchée par la loi communale de 1836, à laquelle nous devons
arriver en l'expliquant par les règlements de 1824 et de 1825.
Je n'examinerai pas
non plus si l'on doit considérer comme légaux et obligatoires les règlements de
1824 et de 1825, malgré l'exécution non contestée que ces règlements ont
toujours reçue ; je n'examinerai pas si, en présence de l'article 228 de la loi
fondamentale de 1815, qui mettait la bienfaisance publique parmi les objets
recommandés à la sollicitude spéciale du gouvernement, l'on ne doit pas
reconnaître au roi, souverain d'alors, la faculté d’avoir fait légalement les
règlements de 1824 et du 1825. Je n'ai pas besoin d'examiner cette question de
pur droit, bien qu'il ne soit pas difficile d'établir que ces arrêtés ont
toujours été et avec raison considérés comme obligatoires.
Quoi qu'il en soit,
messieurs, j'ai dit que ces règlements légaux ou non avaient eu pour but de
modifier ce qui existait relativement au droit des fondateurs, qu'ils avaient
eu pour but de leur permettre de nommer des administrateurs spéciaux pour leurs
fondations ; je n'ai pas dit que ces règlements avaient bouleversé tout ce qui
avait rapport à la bienfaisance publique ; qu'ils avaient fait table rase ;
mais j'ai dit qu'ils avaient introduit une modification aux dispositions
antérieures, relativement au droit réservé aux fondateurs de nommer des
administrateurs spéciaux.
Eh bien, ce droit
nouveau est écrit dans ces règlements de la manière la plus formelle, je vais
l'établir en peu de mots.
Si nous n'avions que
ces arrêtés à invoquer, je crois que la question de droit qui a été soumise par
l'honorable M. Tielemans devrait être examinée, puisqu'on pourrait alors
répudier l'autorité de ces règlements ; mais j'invoque ces règlements, non pas
au point de vue de la force obligatoire qu'ils ont pu avoir, mais comme
indiquant d'une manière évidente le sens de la loi communale de 1836, puisque
ces règlements ont été invoqués comme point de départ dans la discussion de
cette loi.
Maintenant quant à
l'interprétation même de ces règlements, j'avoue que j'ai quelque peine à
comprendre le raisonnement de l'honorable M. Tielemans. L'honorable membre nous
dit :« L'acte de fondation n'existe pas par le testament ; il n'existe d'acte
de fondation que lorsqu'il y a autorisation, » et l'honorable membre invoque, à
l'appui de cette thèse, les paroles de l'honorable M. Dubus.
Mais, messieurs,
l'acte de fondation existe évidemment ; dès l'instant où la volonté a été
manifestée par la personne qui fait la fondation, l'acte de fondation existe.
Mais la fondation elle-même n'existera d'une manière complète, légale et
définitive que par suite de l'autorisation.
Ainsi distinguons :
l'acte de fondation, c'est l'expression de la volonté de celui qui fonde ;
maintenant la fondation elle-même, avec toutes ses conséquences légales, ne
peut évidemment résulter que de l'autorisation qui aurait été accordée,
d'accepter cette fondation.
Ainsi, messieurs, en
présence des dispositions réglementaires que je cite, je ne conçois véritablement
pas sur quel fondement l'honorable M. Tielemans enlève tout droit, toute
liberté à celui qui voudrait faire une fondation ; car, messieurs, je vous prie
de faire attention à ce que je vais avoir l'honneur de vous dire.
La loi porte : « Il
n'est pas dérogé aux actes de fondation qui établissent des administrateurs
spéciaux ; » en d'autres termes, un fondateur peut établir des administrateurs
spéciaux.
L'honorable M.
Tielemans dit : Ce droit existe ; mais ce droit, vous ne pourrez l'exercer
qu'avec l'autorisation du gouvernement, et quand on s'adressera au gouvernement
pour obtenir cette autorisation, il la refusera se fondant sur ce que la loi
défend la disposition. Ainsi on aurait écrit dans la loi une faculté dont on ne
pourrait pas user. J'insiste sur cette proposition parce qu'elle me semble
renverser tout le système de M. Tielemans.
Vous faites un acte
de donation ou de fondation. Dans cet acte vous établissez un administrateur
spécial, vous usez du droit que vous donne le règlement de 1824. Mais cet acte
n'est pas complet ; il vous faut l'autorisation du gouvernement pour user
complètement de la faculté que la loi vous donne ; et quand vous arrivez auprès
de l'autorité pour avoir cette autorisation, elle vous répond : Je ne puis vous
autoriser ; la loi s'y oppose.
A quoi sert alors la
disposition qui consacre un principe de liberté et qui en même temps défend
d'en user ? Je ne comprends vraiment pas dans quel cas ou pourrait appliquer la
disposition à laquelle l'honorable membre donne une portée qu'elle ne me semble
pas avoir.
Voilà donc, d'après
moi, l'esprit des dispositions des règlements de 1824 et 1825. Liberté pleine
et entière pour l'individu qui fait une donation ou une fondation d'établir des
administrateurs spéciaux. Voilà le droit qui existait en 1836.
En 1836 on n'a pas
voulu innover ; je suis d'accord avec l'honorable M. Tielemans, ou n'a pas
voulu innover. Mais à quoi s'est-on référé ? Aux arrêtés de fructidor an X et
an XI et au décret de 1806. Non ; on s'est rapporté aux règlements de 1824 et
1825.
L'honorable M. Dubus
l'a dit d'une manière formelle ; l'honorable membre, caractérisant ces arrêtés,
a dit qu'ils avaient fait cesser de véritables griefs, avaient substitué une
législation nouvelle à une législation contre laquelle on s'était jadis tant
élevé.
C’est dans ce sens
que les règlements de 1824 et 1825 ont été interprétés en 1834 et en 1836 et il
ne s'est élevé aucune voix pour contredire les paroles de M. Dubus. Je ne sais
comment en présence de ces règlements on peut faire appel aux arrêtés de
fructidor an X et an XI qui ont été complètement mis de côté par les règlements
dont je viens d'entretenir la chambre.
Messieurs,
l’honorable membre a terminé son discours en disant : Que devient, avec le
système de M. d'Anethan, le patrimoine des pauvres ? Je pense que ce patrimoine
se trouvera bien de mon système, qui n'est que le maintien de l'état de choses
existant depuis 1824. Je pense que ce patrimoine augmentera même tandis qu'il
décroîtrait, ou du moins resterait probablement stationnaire si le système
préconisé par l'honorable M. Tielemans pouvait prévaloir.
Remarquez que quand
on s'est occupé de la loi communale, quand on a voté l'article 84, on s'est
préoccupé d'une chose, de la diminution possible des donations ; c'est pour faire
cesser ces craintes que l'article 84 a été voté et que M. Desmanet de Biesme,
qui ne méconnaissait pas pourtant les inconvénients signales par M. Gendebien,
a fini par se rallier à la disposition proposée par M. Dumortier.
Maintenant je demande
la permission de répondre un mot seulement à l'honorable M. de Bonne. Cet
honorable membre, n'a pas bien compris mes paroles ; je n’ai fait aucune
critique de la manière dont les secours étaient distribués à Bruxelles par
l’administration des hospices ; je me (page
581) suis borné à dire que, d'après l'arrêté pris relativement au testament
du curé Lauwers, les sommes à distribuer par les hospices entreraient dans la
caisse générale des hospices, avec la condition, il est vrai, d'en réserver une
plus grande part pour les pauvres de la paroisse du Finisterrae, et je me suis
demandé si les hospices avaient connaissance des volontés du curé Lauwers,
quant au mode et à la nature des distributions à effectuer.
Je suis loin de
critiquer la manière dont les hospices administrent le bien des pauvres, mais
je demande si les hospices ont une connaissance suffisante de la volonté du
testateur pour qu'on n'ait pas à craindre que cette volonté ne soit pas
respectée ; je demande si cette volonté ne sera pas plus sûrement exécutée par
les collègues que M. Lauwers avait chargés de la distribution de ses aumônes.
Je n'ai pas davantage
critiqué les comités de charité ; il ont été créés d'après des règlements
élaborés au département de la justice. J'ai tenu autant qu'il était en moi à ce
que ces comités fussent établis. Je déclare qu'ils sont en partie désorganisés,
puisqu'ils ne soit plus composés comme ils l'étaient d'abord, plusieurs curés
ayant jugé convenable de donner leur démission.
M. de Bonne. - Il y en a trois.
M. d’Anethan. - Je pense qu'il
doit maintenant y en avoir quatre.
Puisque l'honorable
M. de Bonne a cru devoir entretenir la chambre de ce qui s'est passé entre l'administration
des hospices et les comités de charité, la chambre me permettra d'en dire aussi
un mot.
Il est vrai que le
comité de Sainte-Gudule a donné sa démission ; la difficulté est venue de la
nomination d'une sœur de charité, nomination décidée à l'unanimité des membres
du comité. Cette sœur devait faire le service des malades à domicile.
L'administration des hospices a cru qu'elle ne pouvait pas admettre les 500 fr.
portés de ce chef, elle les a biffés du budget de ce comité. Sans examiner si
le comité avait le droit de faire ce qu'il a fait, bien que les articles 67 et
68 du règlement ne laissent pas de doute à cet égard, je dirai que cette sœur
était d'une grande utilité pour le soulagement des pauvres malades.
L'honorable membre a
dit qu'il fallait envoyer tous les malades aux hôpitaux. Mais il sait qu'il y a
plusieurs genres de maladies qu’on ne traite pas aux hôpitaux, notamment les
maladies chroniques, qu'on renvoie les malades convalescents chez eux, et
qu'alors ils ont encore besoin de soins.
Cette sœur rendait
aux personnes atteintes de maladies chroniques et aux convalescents les plus
grands services. Ce service est déjà organisé, m'assure-t-on dans d'autres
comités, il existe aussi à Paris où ces sœurs rendent de signalés services.
Je crois donc que
l'administration des hospices a eu tort de ne pas maintenir la nomination de
cette sœur de charité, qui loin d'être une charge, rapportait aux comités par
les aumônes qu'elle pouvait obtenir.
L'autre point qu'a
traité l'honorable M. de Bonne est relatif à la distribution des secours qui se
ferait entre les paroisses d'une manière égale, selon le nombre des personnes
inscrites sur la liste des pauvres.
M. de Bonne. - J'ai dit, d'une
manière proportionnelle.
M. d’Anethan. - Voici comment les
secours se distribuent. On met la moitié du produit des collectes à la
disposition des comités. L'autre moitié vient en déduction des sommes que les
hospices allouent.
Il y a eu contre ce
mode des réclamations qui ont motivé la dissolution des comités.
Je crois qu'il y a
quelque chose à faire, qu'il faut que les comités et l'administration des
hospices s'entendent.
Je pense qu'il y
aurait un moyen d'arriver à un résultat équitable, qui concilierait avec la
volonté des personnes qui contribuent aux collectes les intérêts bien entendus
des pauvres.
Mais je ne puis
m'empêcher de dire que la mesure prise par l'administration des hospices et qui
établit des distributions proportionnelles est contraire au règlement adopté
par les hospices, sous la foi duquel les comités de charité avaient accepté
leur mission. Sous ce rapport, l'honorable M. de Bonne sera d'accord avec moi.
Mais je pense avec lui qu'il y a lieu de modifier, quant à ce point, de commun
accord le règlement actuel.
En terminant,
l'honorable M. de Bonne vous a donné lecture d'une lettre de M. l'intendant de
la liste civile annonçant (si j'ai bien compris la lecture que l'honorable
membre en a donnée à voix très basse que Sa Majesté désirait que les secours
qu'elle alloue si généreusement fussent distribués par MM. les curés.
L'honorable membre me semble avoir fait la critique de la mesure adoptée. Il ne
m'appartient pas de prendre la défense des actes posés par le Roi ou par la
Reine.
M. de Bonne. - Je ne les ai
nullement critiqués.
M. d’Anethan. - L'honorable membre
m'avait paru critiquer la lettre de M. l'intendant de la liste civile. J'avais
cru lui entendre dire .« La conséquence à en tirer, est que les curés sont
seuls capables de distribuer convenablement les secours. C'est un blâme pour
l'administration des hospices. »
N'aurait-il pas été convenable de ne pas faire
intervenir les intentions royales dans cette discussion ? S'il faut laisser à
la charité privée sa spontanéité, sa liberté tout entière, comme l'a si bien
dit l'honorable M. Tielemans, il faut à plus forte raison ne pas critiquer
l'usage que fait de cette liberté la personne irresponsable à laquelle
l'honorable M. de Bonne a fait allusion.
M. de Bonne (pour un fait
personnel). - Je suis entièrement de cet avis.
L'honorable
préopinant, comme il vient de le dire, ne m'aura pas bien entendu. Je n'ai rien
dit qui ressemblât à une critique d'un acte du souverain, à qui je n'ai en
aucune façon contesté le droit de faire la charité comme il l'entend et à qui
il veut.
M. Sigart (pour un fait
personnel). - Je veux seulement établir que ma susceptibilité ne s'est pas
éveillée sans motif.
Voici les paroles de
l'honorable M. d'Anethan :
« Les éloges que
cet arrêté a valus hier à M. le ministre de la justice de la part de
l'honorable M. Sigart, les motifs surtout qui lui ont fait donner ces éloges
m'auraient seuls suffi pour prendre la parole. »
M. Malou. - On a le droit de
dire cela, ou il n'y a plus de liberté de tribune.
M. Sigart. - On n'a pas ce
droit ; on ne peut dire que mes éloges seuls forceraient quelqu'un à prendre la
parole en sens contraire.
M. d’Anethan. - Je regretterais
d'avoir le moins du monde offensé l'honorable M. Sigart. Si j'avais dit
quelques paroles offensantes, je m'empresserais de les retirer. Je n'ai
nullement eu l'intention de lui dire rien de désagréable. Je me suis borné à
faire connaître que les motifs donnés par l'honorable M. Sigart pour approuver
l'arrêté royal m'engageaient, moi qui ne partageais pas son opinion, à
protester contre ces éloges. C'était, ai-je dit, un motif de plus qui
m'engageait à prendre la parole. Mais il n'y avait rien là de personnel contre
l'honorable M. Sigart ; je m'empresse de le déclarer.
M. Sigart. - Je le crois,
puisque vous le dites maintenant ; mais ce n'est pas ce que vous avez dit hier.
M. de
Mérode. - Messieurs, je vous disais, avant-hier, que si
les personnes qui font, des pauvres, leurs héritiers, n'ont plus l'espoir de
voir respecter les dispositions qu'elles prennent en mourant, ou même pendant
leur vie, la charité se découragera, car la charité n'a pas toujours, il s'en
faut, confiance aux distributeurs qui s'imposent à elle. En général, quelles
sont les personnes les plus disposées à faire des legs aux pauvres, et dans
quelles familles se trouvent les héritiers qui regrettent le moins ou ne
regrettent pas du tout l'usage d'une partie de la fortune qui pourrait leur
revenir lorsqu'elle est appliquée en bonnes œuvres par un testament ? Je le
dis, messieurs, parce que c'est un fait assez difficile à contester, ce sont
les familles qui tiennent spécialement aux pratiques de la religion et aux
sentiments qu'elle inspire, et pourquoi ? Parce que ces sentiments portent
nécessairement et fortement le cœur et l'esprit vers une autre perspective que
l'existence du monde présent.
D'après cela,
messieurs, lorsqu'un testateur pieux donne de son vivant tout ou partie de sa
fortune disponible aux pauvres, il tient beaucoup à la qualité des exécuteurs
testamentaires qu'il choisit pour l'exécution de ses intentions. Et presque
toujours il désire que ses dons portent non seulement des fruits utiles au
soulagement des misères corporelles, mais aussi des misères spirituelles de l'indigent
qu'il veut assister et secourir.
L'arrêté du
gouvernement, qui a si singulièrement disposé de l'héritage de M. le curé
Lauwers, n'a tenu nul compte de ces considérations importantes ; il a livré cet
héritage à la commission administrative des hospices, malgré la volonté du
fondateur qui n'avait peut-être point personnellement confiance dans cette
commission, dont la formation successive lui était inconnue.
Et n'est-il pas
quelquefois permis, messieurs, d'éprouver de la défiance sur les pouvoirs
officiels qu'on imposerait à la charité ? Je voudrais pouvoir me démontrer le
contraire à moi-même ; mais tel n'est point l'effet produit sur ma conviction
par les faits qui sont parvenus depuis longtemps à ma connaissance et tout
récemment encore.
Il est constant, par
les archives de l'hôpital Saint-Jean, qu'une chapellenie et une aumônerie y fut
fondée dès l'année 1226 et que le prêtre chargé de les desservir eut toujours
sa résidence dans l’établissement, où sa présence est souvent urgente pour les
cas fortuits ; ensuite que depuis le XVIIème siècle il y a toujours eu un
vicaire de l'aumônier résidant aussi dans l'hospice jusqu'en 1813 ou 1814.
Depuis quelques
années un vaste édifice s'est élevé sur le boulevard de Bruxelles pour
remplacer l'ancien hôpital Saint-Jean, précédemment placé au centre des
populations. Le pauvre gagne-t-il à cette transplantation qui nécessite un
transport beaucoup plus long des malades jusqu'à l'asile de la douleur ?Je n'ai
pas à traiter cette question, mais il en est une qui n'est pas douteuse pour
moi quand je me demande si cet immense palais de la misère ne peut plus
contenir une pauvre chambre pour le prêtre qui doit y être le principal
consolateur du mourant. Or, sachez-le, messieurs, tandis que la bureaucratie et
ses sommités surtout sont si largement et si parfaitement établis dans ce lieu
de souffrance, la commission administrative des hospices a découvert depuis
quelques semaines qu'il était impossible d'y maintenir l'aumônier dans son
logement.
Elle a découvert
aussi que, vu sans doute l'accroissement de la maison et de ses hôtes après
l'énorme augmentation de la capitale et de ses faubourgs, le traitement du
vicaire de l'aumônier devenait superflu. Elle l'a retranché, et qu'est-il
advenu de ces nobles et saintes économies d'espace et d'argent ? L'aumônier a
dû louer, à ses frais, le plus près qu'il a pu de l'hôpital, un refuge pour lui
et son vicaire, et ce dernier ne recevant plus rien de la charité officielle
qui règle les destinées de l'hospice, l'aumônier principal entretient lui-même
ce vicaire indispensable ; (page 582)
je dis indispensable, messieurs ; car quelle que soit la générosité du
vénérable ecclésiastique chargé de la tâche sublime d'assister à la mort tant de
malheureux, il ne s'associerait point un second prêtre qui trouverait sa place
ailleurs si le besoin pressant des pauvres malades n'exigeait de sa part le
sacrifice auquel il se soumet avec le véritable sentiment libéral d'un ministre
de l'Eglise.
En effet, sa
paroisse, messieurs, indépendamment de la Maternité ou il se fait 6 à 7 cents
baptêmes, se compose de 300 fidèles ordinairement, et si quelque épidémie
frappe le peuple, elle s'élève à 50 ou 100 p. c. de plus et ces fidèles quelle
est leur situation ? Est-ce l'existence normale de la santé comme dans les
paroisses communes ? Non, c'est une réunion d'êtres presque tous couchés sur le
lit de douleur et dont plusieurs sont destinés à une mort prochaine. En effet,
il ne se passe point de semaines sans que l'aumônier soit appelé pendant la
nuit près de quelqu'un parmi ses ouailles et, dans un temps d'épidémie, c'est
probablement tous les jours.
Et maintenant qu'il a
été éconduit de l'intérieur de ce monde d'affligés, il doit traverser les rues
qui l'en séparent et les cours qui le divisent, pour se rendre au chevet de
l'agonisant, peut-être trop tard parfois ; et la commission des hospices
n'a pas craint d'encourir cette responsabilité si grande, cette responsabilité
sans limites, puisqu'elle concerne ce qui n'est plus circonscrit dans les
bornes du temps. Et cependant bien que plus on moins influencé par de tristes
enseignements, notre peuple a-t-il renoncé aux espérances de la vie future par
les mérites du repentir, appuyé sur le sacrifice du Calvaire ? Non, messieurs.
Après les combats de 1830, j'ai visité les blessés dans les divers asiles qu'on
leur avait préparés, et j'ai su que tous, sans exception, et en tout cas
l'exception confirmerait la règle, avaient reçu avec bonheur les secours de
l'Eglise. Lorsque j'étais commissaire belge au quartier général du maréchal
Gérard, à Tirlemont, je visitai le petit hôpital de cette ville, et là je
trouvai les corridors encombrés de soldats français étendus sur la paille, les
lits étant occupés déjà par les malades du lieu ; et qui s'occupait d'eux après
la visite du médecin ? Personne, si ce n'est l’aumônier, qui ne les quittait
point ; et je me rappellerai toujours un pauvre jeune homme du centre de la
France, bien gravement malade, qui l'appelait souvent et lui disait : M. le
pasteur, venez près de moi !! Et l'aumônier bienveillant, se couchant chaque
fois à côté de lui sur la paille, recevait ses confidences, dernières
peut-être, et le consolait ; puis, messieurs (vous m'excuserez si je vous parle
encore de moi-même), ce spectacle m'ayant touché profondément, j'allai trouver
le doyen et nous parcourûmes ensemble toutes les maisons aisées de la ville,
pour recueillir des paillasses et des vieux draps de lit, afin de coucher un
peu mieux ces militaires délaissés, car je ne vis point se présenter au milieu
d'eux d'officiers, distraits sans doute par d'autres occupations ; car
lorsqu'on est malheureux c'est toujours, chez nous comme en France, l'attention
du prêtre qu'on trouve en première ligne. Aussi n'est-il pas cruel de le voir
expulsé de l'hospice, par je ne sais quel despotisme philanthropique auquel on
veut assujettir cette charité que nous comprenons, nous, d'une manière si
différente ?
En effet, messieurs.,
la bureaucratie réglementaire minutieuse qui dépense trop souvent, en
direction, inspection, contrôle et papiers couverts de chiffres bien alignés,
cinq francs pour faire des économies de cinq sous, tourmente aussi fréquemment
les sœurs, filles de cette même charité que nous aimons et que nous saurions
faire pratiquer par elles directement, comme l'ont voulu nos pères, sans tant
de dépenses et de pédantisme administratif.
Je connais,
messieurs, dans un lieu qui m'intéresse particulièrement parce que j'y ai passé
plusieurs années de ma jeunesse, un hôpital qui ne possède que trois mille
francs de revenu, lequel dirigé comme une famille par trois sœurs aidées d'un
domestique et d'une servante, fournit année commune deux mille journées de
malades ; or la moindre bureaucratie dévorerait tout ce maigre patrimoine, qui
cependant fructifie si bien dans les mains de la charité libre.
Oui, messieurs, je le
dis à regret, nos sœurs hospitalières, que les fondateurs pieux de nos hospices
avaient voulu mettre à leur tête, sont transformées aujourd'hui en servantes
soumises à tous les caprices, à toutes les inventions, à toutes les
restrictions que le génie moderne sait si bien combiner contre tout ce qui est
le produit du sentiment religieux. Et l'acte moralement barbare que je ne puis
trop signaler à votre attention, c'est-à-dire l'expulsion de l'aumônier que
l'on a exclu de sa chambre, dans ces immenses bâtiments où l'on trouve
cependant des salons fort bien meublés pour les fonctionnaires laïques,
prouvent de reste que les plaintes que je vous présente, bien à regret, ne sont
pas des chimères.
Après tout, quelle
est la prétention que nous faisons valoir aujourd'hui dans ce débat, amené par
une circonstance singulière ? La prétention de soigner les pauvres selon les
vues de notre conscience et de nos lumières propres, non pas selon les idées et
les vues d'autrui.
Si l'honorable rabbin
de la synagogue de Bruxelles faisait un legs destiné aux pauvres Israélites et
dont il confierait la distribution à l'un de ses confrères, croyez-vous que je
voudrais voir cette mission attribuée à la société si respectable de
Saint-Vincent-de-Paule ? Non, messieurs, non, jamais. Sachons donc conserver la
liberté, qui loin de nuire à personne a toujours fait tant de bien, et si la
politique nouvelle doit compromettre, comme elle l'a fait par des destitutions
préventives, la vraie liberté politique, qu'elle respecte au moins la libellé
de la charité, ou bien elle en tarira infailliblement les sources, et
l'indigent sera victime d'un fatal système, suite de la prétendue protection du
gouvernement.
L'honorable M. d'Anethan a parfaitement démontré les
motifs qui devaient engager celui-ci a sanctionner le testament de feu M.
Lauwers, car toutes les considérations les plus élevées se présentent en faveur
de cette sanction.
Aussi les amis des pauvres
ne peuvent trop déplorer la détermination bâtarde et arbitraire qui a été
prise, parce qu'elle est de nature à ôter toute confiance aux âmes généreuses
qui feront des dispositions testamentaires en faveur des pauvres.
M. le
ministre de la justice (M. de Haussy). - Il appartenait à
l'honorable magistrat qui siège dans cette enceinte et qui a si bien établi
dans son savant ouvrage la thèse qui forme la base de l'arrêté du 30 décembre,
de venir le premier en démontrer la parfaite légalité.
J'aurai donc bien peu
de chose à dire pour vous prouver que cet arrêté est irréprochable en fait
comme en droit.
Messieurs, les faits
vous sont connus.
Feu M. le curé
Lauwers, par son testament, avait disposé de toute sa fortune au profit des
pauvres de Bruxelles ; la moitié pour ceux de la paroisse du Finisterre,
l'autre moitié pour ceux des autres paroisses de Bruxelles. Et, par ce même
testament, il déclarait que sa succession devait être mise à la disposition des
curés respectifs de ces paroisses.
Remarquez, messieurs,
qu'il ne s'agissait pas là de la distribution d'une simple aumône à faire par
MM. les curés, mais qu'il s'agissait de mettre à leur disposition exclusive
tout le patrimoine, toute la succession de M. l'abbé Lauwers, c'est-à-dire que
MM. les curés auraient été chargés de gérer, d'administrer, de placer les
capitaux et de distribuer le revenu ; en un mot, les administrations de
bienfaisance et des hospices devaient complètement s'effacer et n'avaient
absolument rien à faire dans la gestion de la succession du testateur.
Cependant, messieurs, l'administration des hospices devait accepter le legs de
M. l'abbé Lauwers. Car, remarquez-le, on n'a pas été jusqu'à prétendre que
cette administration ne devait pas intervenir et que d'autres eussent qualité
pour accepter.
Ainsi dans le système
de nos adversaires, l'administration des hospices devait se présenter au
gouvernement pour solliciter l'acceptation du legs de M. Lauwers, et ensuite,
elle aurait dû mettre le tout à la disposition de MM. les curés de Bruxelles
sans avoir à examiner ni à s'enquérir de l'usage qu'ils en auraient fait.
Messieurs,
l'exécution de cette disposition, si elle avait pu avoir lieu de cette manière,
entraînerait virtuellement la suppression de l'administration des hospices en
l'excluant dans tous les cas semblables de l'administration des biens légués.
L'administration des
hospices, messieurs, a réclamé contre cette disposition, ou plutôt elle a
demandé que le gouvernement la modifiât conformément aux lois existantes. Je
donnerai lecture à la chambre de l'extrait de la délibération du conseil
général des hospices de Bruxelles :
« Considérant
que la clause par laquelle le testateur met le produit du. legs universel à la
disposition de MM. les curés de Bruxelles, constitue en faveur de ceux-ci une
véritable fondation inconciliable avec l'organisation et le régime légal de la
bienfaisance ; que le droit d'intervention qu'il a attribué à d'autres qu'à ses
héritiers naturels est contraire à l'esprit des arrêtés des 20 fructidor an X
et 16 fructidor an XI, desquels il résulte implicitement que les testateurs et
donateurs n'ont pu depuis lors établir de fondations nouvelles en faveur
d'étrangers en raison des titres, fonctions, offices ou dignités dont ils
pourraient être revêtus ;
« Considérant que le
droit de distribuer les secours aux pauvres, conformément à la loi, est une des
principales attributions déférées aux bureaux de bienfaisance, par les lois
d'intérêt général et d'ordre public qui régissent la matière et qu'en
conséquence la clause prémentionnée du testament, qui tend à enlever cette
attribution au conseil général d'administration des hospices et secours de la
ville de Bruxelles, en mettant à la disposition de personnes étrangères le
produit du legs universel, fait aux pauvres de cette ville, est contraire à la
loi et que dès lors elle doit être réputée non écrite aux termes de l'article
900 du Code civil ;
« Considérant que,
quoiqu'il soit constant que le testateur n'ait rien recueilli de la succession
de ses parents et que tout l'avoir qu'il a délaissé provienne de ses économies,
la position gênée de ses héritiers naturels et leur proche degré de parenté
justifient leur réclamation contre l'oubli du défunt à leur égard, et méritent
d'attirer l'attention du gouvernement ;
« A résolu :
« Qu'il y a lieu
de solliciter de l'autorité supérieure l'autorisation nécessaire pour accepter
« (…) 2° Le legs
universel, fait par le même aux pauvres de Bruxelles, savoir : pour une moitié
à ceux de la paroisse de Finisterrae, et pour l'autre moitié au pauvres, des
autres paroisses.
« Le conseil laisse à
l'appréciation du gouvernement la réclamation des héritiers naturels du
testateur au partage de la succession de ce dernier. »
La délibération du
conseil général des hospices a été soumise au conseil communal, conformément à
la loi communale, et le conseil a approuvé cette délibération dans tout son
contenu.
« La section du
contentieux, est-il dit dans la délibération du conseil communal, manifeste le
désir que la réclamation des proches parents sans fortune du défunt curé
Lauwers, adressée au roi contre les (page
583) dispositions testamentaires de celui-ci qui les privent presque
entièrement de la succession, soit appuyée, afin que leur intérêt puisse être
concilié d'une manière équitable arec celui des pauvres institués ses
légataires universels. »
Enfin, messieurs, la
délibération du conseil communal est soumise à la députation permanente du
conseil provincial et voici l'extrait de la délibération qui m'a été transmise
par le président de ce conseil, l'honorable président de la chambre :
« Vous remarquerez,
M. le ministre, que le conseil communal de Bruxelles s'est associé au désir
exprimé par sa section du contentieux pour que la réclamation des proches
parents sans fortune du curé Lauwers soit prise en bienveillante considération
par l'autorité supérieure.
« La députation
permanente, se ralliant aux considérations et avis énoncés dans les
délibérations précitées, estime, M. le ministre, qu'il convient d'accorder au
conseil général des hospices de Bruxelles l'autorisation qu'il sollicite, sauf
pour la part de la succession qui sera attribuée aux héritiers légaux, part
qui, dans l'opinion de la dépuration, devrait être fixée au moins à la moitié
du produit net de la succession. »
Vous voyez donc,
messieurs, que le conseil des hospices qui devait, aux termes des lois,
accepter la succession, que le Conseil communal, tuteur-né des administrations
de bienfaisance, que la députation permanente qui exerce son contrôle sur ces
administrations, que toutes ces autorités ont été d'accord pour appuyer la
réclamation des pauvres parents de l'abbé Lauwers.
Ajoutez à cela,
messieurs, que ces héritiers étaient appuyés par une foule de personnes
recommandables, que le dossier est plein de certificats, d'attestations, de
sollicitations émanées des personnes les plus honorables, de membres de la
législature, de plusieurs respectables ecclésiastiques. Toutes ces pièces ne
peuvent être inconnues de l'honorable M. d'Anethan puisque, depuis près d'un an,
elles reposent dans les dossiers du département de la justice .
Je le demande,
messieurs, en présence des avis favorables de toutes les autorités, en présence
de toutes les preuves acquises de la presque indigence des héritiers de feu M. Lauwers,
le gouvernement pouvait-il se refuser à leur donner une juste part dans la
succession du défunt ? Je crois pouvoir le dire, si l'honorable M. d'Anethan
avait encore été au ministère de la justice lorsque l'arrêté du 30 décembre a
été pris, il n'aurait pas serait fait, il n'aurait pas osé faire autrement que
je ne l'ai fait.
Je dois faire
observer, messieurs, qu'il existe plusieurs précédents, plusieurs exemples
d'arrêtés par lesquels le gouvernement a statué dans des cas identiques et a
ordonné, en faveur des héritiers du défunt, des réductions plus ou moins
considérables suivant les circonstances, suivant la position de ces héritiers.
Je le dirai même à la chambre, j'ai trouvé dans les dossiers relatifs à
l'instruction d'affaires analogues, des avis émanés de plusieurs de mes
prédécesseurs ; j'en trouve un, entre autres, qui est émané de l'honorable M.
Ernst au sujet d'une disposition de même nature faite par la dame Hecquet de
Berenger. Je demanderai à la chambre la permission de lui donner communication
d'une partie de la dépêche adressée à ce sujet par l'honorable M. Ernst au
ministre de l'intérieur, avec lequel il ne se trouvait pas d'accord, et vous y
verrez l'opinion de l'honorable M. Ernst, qui, vous le savez, messieurs, était
un jurisconsulte très profond et très éclairé.
« Mais afin de
concilier autant que possible la volonté de la testatrice et le vœu des lois
qui confèrent aux administrations des hospices la gestion des biens des
pauvres, on pourrait stipuler dans l'acte d'acceptation des legs dont il
s'agit, qu'ils seront consacrés exclusivement à secourir les pauvres du culte
évangélique et ceux des paroisses désignées, sauf à laisser intervenir dans la
négociation du placement des capitaux légués, et dans les distributions de ces
secours, les conseils de fabrique des différentes paroisses et le consistoire
de l'église évangélique, chacun pour ce qui le concerne, de concert avec
l'administration des pauvres. »
(Ici je crois que
l'honorable M. Ernst allait déjà beaucoup trop loin.)
« Moyennant cet
arrangement facile à régler, le principe resterait sauf, et les intentions de
la testatrice seraient remplies évidemment, car elle n'a voulu que doter les
pauvres de telle ou telle paroisse, et nullement les églises elles-mêmes. Elle
n'a point eu la prétention non plus de créer une fondation placée sous la
tutelle d'administrateurs spéciaux, dans le sens de l'article 84 de la loi
communale que vous citez (article dont l'interprétation dans ce sens est
d'ailleurs sujette à controverse.), et il paraît assez évident qu'elle n'a été
mue que par la présomption erronée que les églises étaient appelées à
recueillir les libérables faites aux pauvres, ignorant sans doute le but et la
nature de l'institution des bureaux de bienfaisance.
« Admettre un
principe contraire aux vues ci-dessus exprimées, ce serait créer dans une même
localité plusieurs institutions de même nature, agissant isolément, sans accord
et sans unité ; ce serait donner lieu à de doubles emplois dans la distribution
des secours ; ce serait semer le désordre et la confusion dans la gestion
des biens des pauvres, et faire manquer complètement le but que la législation
des institutions de bienfaisance s'efforce d'atteindre. »
Eh bien, messieurs,
vous voyez que l'honorable M. Ernst, qui faisait d'ailleurs une concession que
je crois être en dehors de la loi, l'honorable M. Ernst était, au fond, dans
les vrais principes et voulait maintenir l'autorité et les droits des
administrations de bienfaisance.
Une autre affaire
s'est présentée il y a quelques années au sujet d'un legs fait au consistoire
protestant ou à la diaconie protestante de Maria-Hoorebeke. Cette affaire a
encore été instruite au département de la justice, et il est intervenu un
arrêté qui a également maintenu les droits du bureau de bienfaisance, en
accordant cependant à la diaconie protestante, à titre de transaction, un
certain droit d'intervention dans l'administration du legs fait par la
testatrice, et je trouve dans le dossier de cette affaire une note qui a été
préparée à cette époque par l'honorable M. Malou, et dans laquelle on rappelle
les mêmes principes que M. Ernst développe dans la dépêche dont je viens de
donner lecture :
« Je conçois (dit
l'honorable M. Malou) surtout en présence des précédents et des usages locaux
sur lesquels on se fonde, que l'on admette, quant au mode d'exécution du legs,
une espèce de transaction, par exemple, que la diaconie soit autorisée à
désigner au bureau de bienfaisance les pauvres protestants, ou même qu'elle
reçoive du bureau une partie du produit des biens pour la distribuer elle-même
aux pauvres de son culte ; mais je ne concevrais pas que l'on transigeât sur le
principe de l'attribution de la propriété. Le mode d'exécution peut et doit
varier suivant les clauses de l'acte de fondation ou les circonstances de
chaque affaire. Mais le principe doit rester intact. Si on l'abandonne en
faveur d'une diaconie protestante, il faudra l'abandonner pour une fabrique
d'église protestante, pour les synagogues, etc.
« Vous substituerez
ainsi l'institution religieuse à l'institution civile ; vous fractionnerez les
moyens de bienfaisance qu'il faut s'attacher, au contraire, à centraliser, si
l'on veut que la charité légale s'exerce avec intelligence et avec équité. »
Or, à quelques
nuances près, relatives à la part d'intervention qu'on voulait laisser dans la
dernière espèce à la diaconie protestante, et dans la première aux fabriques
des églises catholiques ; à ces nuances près, l'honorable M. Malou ne faisait
autre chose qu'exposer et soutenir les principes que nous défendons.
M. Malou. - Je vous demande
pardon.
M. le
ministre de la justice (M. de Haussy). - Cela est évident,
d'après cette note qui est paraphée par M. Malou.
Je dirai maintenant
quelques mots sur le point de droit. Il a été développé avec tant de lucidité
par l'honorable M. Tielemans qu'à la vérité il ne me reste presque plus lien à
dire.
L'honorable M. d
Anethan a prétendu que j'avais violé les dispositions de l'article 84 de la loi
communale. Que porte cet article ?
« Le conseil
communal nomme, 2° les membres des administrations des hospices et des bureaux
de bienfaisance. Cette nomination est faite, etc.
« Il n'est pas
dérogé, par les dispositions qui précèdent, aux actes de fondation qui
établissent des administrateurs spéciaux. »
Messieurs, comme vous
l'a dit l'honorable M. Tielemans, cette dernière disposition « il n'est pas
déroge etc. » n'a rien innové ; elle a laissé intacte toute la législation
existante à l'époque où la loi communale de 1836 a été publiée. Cette formule
législative (et je m'adresse à tous les jurisconsultes qui sont dans cette
enceinte) ne signifie autre chose que te maintien de ce qui existe. Or, quelles
étaient les dispositions existant à l'époque de la publication de la loi
communale de 1836o ?
A cette époque, quoi
qu'en ait pu dire l'honorable M. d'Anethan, il n'y avait d'autres dispositions
en vigueur que les dispositions des lois de l'an V qui établissent des
administrations de bienfaisance et des hospices et qui déterminent leurs droits
et leurs attributions ; plus les dispositions de quelques décrets
exceptionnels, tels que ceux du 28 fructidor an X, du 10 fructidor an XI et du
3 juillet 1806.
Or, les dispositions
de ces trois décrets sont des exceptions à la lo1 générale qui avait centralisé
dans les bureaux de bienfaisance et les hospices toute l'administration de la
charité légale.
Et en quoi consistent
ces exceptions ? Elles ont pour objet d'abord d'attribuer aux fondateurs de
lits dans les hospices le droit de collation, c'est-à-dire le droit de désigner
les indigents qui occuperont les lits fondés, soit par eux, soit par les autres
; le décret de 1806 a, en outre, pour objet de, permettre aux fondateurs
d'hospices complets de concourir avec les administrations de bienfaisance, à
l'administration des hospices qu'ils auraient fondés. Voilà les seuls droits
que la législation française ait reconnu en faveur des anciens fondateurs.
On ne conteste pas
que cette législation n'eût été eu vigueur jusqu'à la loi fondamentale de 1815.
Eh bien, sous le gouvernement des Pays-Bas, a-t-il été dérogé à cette
législation ? La loi fondamentale n'y a dérogé en aucune manière. On a prétendu
que les règlements des villes et du plat pays de 1817 y avaient dérogé ;
l'honorable M. Tielemans a fait observer que ces règlements ne contenaient
aucune disposition à cet égard ; c'est seulement dans les règlements révisés de
1824 que le roi Guillaume a inséré la disposition dont on se prévaut
aujourd'hui, pour prétendre que toutes les anciennes fondations auraient été
par cela même reconnues, et auraient retrouvé l'existence qu'elles avaient
perdue et même qu'il aurait pu en être créé de nouvelles avec des
administrateurs spéciaux.
Eh bien, les
dispositions des règlements de villes et du plat pays ne disent pas cela, et
dans tous les cas, elles ne pourraient pas le dire, parce qu'elles ne peuvent
être interprétées que de la même manière que la disposition de l'article 84 de
la loi communale, c'est-à-dire dans le sens du maintien de la législation
préexistantes « Le conseil, dit l'article 68 du règlement des villes, (page 584) nomme les membres des administrations
publiques, des établissements de charité et de l'administration générale des
pauvres de la ville, pour autant qu'il n'ait pas été décidé autrement à cet
égard par les actes de fondation ; cette nomination aura lieu, etc. »
« Pour autant
qu'il n'ait pas été décidé autrement à cet égard par les actes de
fondation »... Prétendra-t-on que par cette phrase seule le roi Guillaume ait
entendu abroger toute la législation antérieure, rapporté les décrets de l'an
X, de l'an XI et de 1806, fait revivre toutes les fondations qui avaient été
réunies et confondues dans les administrations des bureaux de bienfaisance et
des hospices ?
Il est impossible de
le prétendre. Ce n'est pas ainsi qu'on abroge des lois ; ce n'est point par une
exception, par une réserve, qui ne peut avoir d'effet qu'autant qu'elle soit
justifiée par une loi antérieure ; ce n'est pas dans ces termes qu'on peut
soutenir raisonnablement, juridiquement, que le roi Guillaume aurait abrogé
toute la législation antérieure, concernant les fondations charitables.
Mais il y a plus : le
roi Guillaume le pouvait-il ? avait-il le droit de faire de semblables arrêtés
? Le roi Guillaume avait, de concert avec les administrations provinciales et
communales, le droit de faire des règlements d'administration pour les villes
et le plat pays ; et l'article 7 de la loi fondamentale portait que les
dispositions de ces statuts, relatives aux droits et à l'admissibilité
mentionnés dans l'article précédent (article 6), telles qu'elles seraient en
vigueur à l'expiration de la dixième année qui suivrait la promulgation de la
loi fondamentale, seraient censées faire partie de cette dernière loi. Remarquez
que les dispositions de ces statuts ne pouvaient, à l'expiration du terme de
dix ans, devenir légales, être considérées comme faisant partie de la loi
fondamentale, qu'autant qu'elles eussent pour objet les droits et
l'admissibilité mentionnés dans l’article 6. Or, quels étaient ces droits ?
Celui de voter dans les villes et dans les campagnes.
Ainsi c'est seulement
sous ce rapport que les dispositions des statuts dont parle l'article 7 de la
loi fondamentale, étaient censées faire partie de cette loi à l'expiration du
terme de 10 ans ; mais à tout autre égara, et pour des dispositions d'un ordre
différent, il était impossible que ces arrêtés eussent jamais un effet légal et
surtout qu'ils eussent pour résultat d'abroger la législation antérieure.
Ainsi vous le voyez, messieurs, les règlements des
villes et du plat pays qui, d'ailleurs, n'ont jamais été publiés légalement qui
jamais n'ont été insérés au Bulletin officiel, tellement on les considérait
comme dépourvus de tout caractère de légalité, n'ont jamais fait partie de la
législation ; comment donc en présence des dispositions que je viens de citer,
ces règlements auraient-ils pu avoir l'effet abrogatif qu'on veut leur donner ?
Je n'ajouterai rien à
ces observations ; seulement, je ferai remarquer que cette question est d'une
grande importance, car si elle était susceptible de recevoir une solution dans
cette discussion et que cette solution fût contraire aux principes posés dans
l'arrêté du 30 décembre, il en résulterait en quelque sorte la suppression des
administrations publiques de bienfaisance, dont les pouvoirs seraient paralysés
par la volonté des testateurs, sans que le gouvernement pût rien faire pour
empêcher l'effet de ces dispositions et les faire exécuter d'une manière
conforme aux prescriptions de la loi.
(page 587) M. Verhaegen. - Messieurs, j' ai
demandé la parole pour répondre à quelques observations qui viennent de vous
être soumises par MM. d'Anethan et de Mérode.
D'après les discours
de ces honorables membres, il ne s'agit de rien moins que de la mise en
suspicion de l'autorité civile au point de vue de la charité publique. D'après
eux, il faut au clergé le monopole de la charité, comme il lui faut le monopole
de l'instruction, comme il lui faudra successivement le monopole de toutes les
branches de l'administration du pays. Les leçons du passé sont donc restées
stériles, et il y a des hommes assez aveugles pour oser encore aujourd'hui
préconiser le gouvernement théocratique !
Les orateurs auxquels
je réponds, pour arriver au résultat qu’ils ont en vue, sont obligés de faire
table rase de nos institutions, tandis que nous, pour les combattre, nous
n'avons qu'à invoquer la législation existante sur l'administration du
patrimoine des pauvres.
Mon honorable ami, M.
Tielemans, et, après lui, l'honorable ministre (page 588) de la justice, ont démontré à l'évidence que
par l'article 84 de la loi communale, il n'a été en rien dérogé à la
législation française, dont ils vous ont rappelé les textes et l'esprit. Si, en
1834 et 1836, lors de la discussion de la loi communale, quelques membres de la
représentation nationale, qui n'appartenaient pas à notre opinion, ont pu
espérer de rendre au clergé ce que la révolution française leur avait enlevé et
ce qu'ils osent encore aujourd'hui appeler une spoliation, ces espérances n'ont
été produites que d'une manière très timide, et, dans tous les cas, elles ne se
sont pas réalisées, car l'article 84 de la loi, tel qu'il a été voté, n'a rien
décrété de semblable.
Qu'il me soit permis,
messieurs, pour compléter cette démonstration, d'ajouter quelques courtes
observations à celles qui vous ont été soumises par mes honorables amis.
Avant tout cependant,
je demanderai à mes honorables contradicteurs qui avant-hier encore reprochaient
à mon honorable ami M. de Bonne de vouloir transformer la chambre en Sorbonne,
comment il se fait qu'eux aujourd'hui se transforment en cour de justice ?
N'est-ce pas là une contradiction qui n'est due qu'à l'esprit de parti ?
Vous ne perdrez pas
de vue, messieurs, que deux questions distinctes ont été traitées devant vous
par l'honorable M. d'Anethan au sujet de l'arrêté royal concernant les
dispositions testamentaires de feu M. le curé Lauwers. L'une constitue une
question de convenance, l'autre une question de légalité, une question de
droit.
Quant à la première
question, la chambre, j'en conviens, à mission de l'examiner : d'un côté le
gouvernement a été vivement attaqué, sa conduite quant à l'appréciation des
faits a été sévèrement scrutée. D'un autre côté le gouvernement a été
chaudement défendu et il s'est défendu lui-même avec cette conviction et cet
accent que donne le bon droit. Aussi je n'ai rien à ajouter à tout ce qui a été
si bien dit, si bien développé sur ce point.
Quant à la seconde
question, celle de légalité, la seule autorité compétente pour la juger c'est
l'autorité judiciaire, et si mes honorables adversaires respectent réellement
cette autorité, comme ils l'ont prétendu dans une séance précédente, qu'ils
s'adressent donc aux cours et tribunaux ou qu'ils donnent aux curés, auxquels
ils s'intéressent, le conseil de prendre cette voie pour faire apprécier
l'arrêté qu'ils critiquent.
Ici devant la chambre
la discussion soulevée par l'honorable M. d'Anethan ne peut aboutir à aucun
résultat, ne peut être suivi d'aucun vote, d'aucune résolution, d'aucune
sanction, puisqu'il n'a été déposé aucune proposition ; tandis que les
tribunaux saisis de la question, qui se résume en définitive en une question de
droit civil, reconnaissant leur compétence, examineront si l'arrêté royal qui
fait l'objet de l'attaque est ou non conforme aux lois en vigueur.
Si l'illégalité
venait à être reconnue, l'autorité judiciaire proclamerait les droits de MM.
les curés, sans avoir égard à l'arrêté qui serait considéré alors comme non
opérant conformément à l'article 108 de la Constitution ; si au contraire la
légalité était admise, la question serait à jamais tranchée et un blâme de la
part de la chambre ne serait plus possible.
Je doute fort que mes
honorables contradicteurs, qui protestent toujours de leur respect pour les
cours et tribunaux lorsqu'il ne s'agit que de jugements ou d'arrêts
d'incompétence, tiennent encore le même langage lorsque les tribunaux et les
cours se déclarant compétents, viendront un jour anathématiser les prétentions
exorbitantes du clergé en matière de charité publique ; et messieurs, les
décisions à intervenir sur ce point ne sont douteuses pour personne, car en
France comme en Belgique, l'autorité judiciaire a déjà plus d'une fois par des
arrêts solennels condamné la thèse soutenue par l'honorable M. d'Anethan ; lui,
à coup sûr, ne pourra plus récuser cette autorité, puisque dans une
circonstance analogue, il l'a indiquée comme la seule autorité compétente pour
juger le différend.
L'année dernière,
messieurs, je vous ai parlé de la fondation Stalens à Audenarde, à laquelle
l'honorable M. d'Anethan a naguère attaché son nom. cette fondation, qui
remonte à 1646 ou 1647, consiste dans l’établissement d'une ou deux écoles de
filles pauvres à Audenarde dont l'administration a été laissée par le
fondateur, entre autres aux curés de Sainte-Walburge et de Paemel.
Les hospices
d'Audenarde, nonobstant l'opposition de MM. les curés, ont pris
l'administration de cette école, toutefois après y avoir été autorisés par
l'autorité compétente, et se sont maintenus dans cette administration. M.
d'Anethan, pendant son passage an ministère de la justice, a fait de vains
efforts pour engager les hospices d'Audenarde à renoncer à un droit dont ils
jouissaient depuis un grand nombre d'années ; il invoquait alors aussi
l'article 84 de la loi communale, quoiqu'il fût question d'une fondation très
ancienne et que, se mettant en contradiction avec lui-même, il prétende
aujourd'hui que d'après la discussion de 1834 et 1836, sur laquelle il s'est
appuyé, cet article ne peut pas avoir d'effet rétroactif ; eh bien, nonobstant
les missives réitérées de M. le ministre de la justice d'alors, nonobstant
l'autorité qu'a toujours un membre du gouvernement lorsqu'il s'adresse à une
administration publique, les hospices eurent le courage de persister dans leur
résistance, et par lettre du 30 juin 1845 ils firent connaître à M. le ministre
que tous les membres présents à une assemblée extraordinaire convoquée à cet
effet avaient été unanimement d'avis : « que l'interprétation donnée par le
gouvernement à l'article 84 de la loi communale était contraire au véritable
esprit de la loi. »
Ce fut ensuite de
cette réponse formelle que M. le baron d'Anethan écrivit aux prétendus
administrateurs de la fondation Stalens auxquels il s'intéressait si vivement :
« qu'en présence de la résolution du conseil des hospices la seule voie
qui leur fut offerte pour obtenir l'administration de la fondation était
d'avoir recours aux tribunaux. ».
Si en 1845 M. le
baron d'Anethan a poussé les curés de Sainte-Walburge et de Paemel à intenter
une pareille action, pourquoi en 1848 a-t-il tenu une autre conduite envers MM.
les curés de Bruxelles ? En leur indiquant la voie des tribunaux, la seule qui
leur fût ouverte, il aurait épargné à la chambre un temps bien précieux.
Maintenant,
messieurs, puisque le mal est fait et qu'il est indispensable que nous ne
laissions pas sans réponse des attaques aussi vives que déplacées, vous voudrez
bien me permettre quelques réflexions succinctes sur le fond de la question.
L'honorable M.
d'Anethan se demandait dans son discours d'hier, pourquoi M. le curé Lauwers
n'aurait pas pu faire, le lendemain de sa mort, ce qu'il aurait pu faire la
veille. (Interruption). Vous riez, messieurs,
et avec raison, mais la phrase qui provoque vos rires n'est pas la mienne ;
c'est celle de l'honorable M. d'Anethan, telle que je l'ai transcrite au moment
où elle sortait de sa bouche ; que ce soit un lapsus linguae, je l'admets ;
aussi je vais la rétablir telle qu’il a cru la prononcer. M. d'Anethan a voulu
dire : « pourquoi M. Lauwers n'aurait-il pas pu disposer pour un temps où il ne
serait plus de la même manière qu'il aurait pu disposer pendant sa vie ? »
Et à cette question ainsi posée je réponds par une autre question ; je me
demande pourquoi un père ayant des enfants pourrait pendant sa vie, sans
toutefois faire aucun acte entre vifs ou testamentaire, dilapider toute sa
fortune, dépenser de la main à la main, en aumônes, par exemple cent mille
francs et plus, alors qu'il ne pourrait pas entamer la légitime de ses enfants
en disposant par un des moyens que la loi civile a décrétés pour assurer la
volonté d'un donateur ou d'un testateur.
Vous voyez,
messieurs, que la question que je viens de poser répond en tous points à celle
posée par l'honorable M. d'Anethan. En effet, lorsque j'ai besoin d'appeler à
mon aide le secours delà loi civile pour assurer l'exécution d'un acte entre
vifs ou testamentaire, je ne puis atteindre mon but qu'en commençant par obéir
à cette loi civile que j'invoque et en remplissant les formalités intrinsèques
et extrinsèques qu'elle prescrit.
Maintenant de quoi
s'agit-il dans l'occurrence ? Il s'agit de savoir si un legs fait aux pauvres
peut entrer dans une autre caisse que dans celle indiquée par toutes les lois
comme étant la caisse commune des pauvres, et si l'administration peut en être
attribuée à d'autres établissements ou à d'autres personnes que les lois ont
spécialement commis à cet effet.
Ne perdons pas de vue,
messieurs (c'est une observation importante), que le legs a été fait non pas à
MM. les curés des différentes paroisses de Bruxelles, mais aux pauvres mêmes.
Il est bien vrai que le testateur a dit que le tout serait mis à la disposition
de MM. les curés, mais toujours est-il que les pauvres seuls sont institués ses
légataires.
Voici les termes de
la disposition :
« Art. 11. J'institue
comme mes héritiers universels les pauvres de la paroisse de Finisterrae pour
une moitié, et les pauvres des autres paroisses primaires et succursales de
Bruxelles pour l'autre moitié, et je veux que le tout soit mis à la disposition
des curés respectifs. »
Encore une fois ce
sont donc les pauvres qui peuvent se dire les seuls légataires de M. le curé
Lauwers.
D'après l'article 957
du Code civil, une donation faite aux pauvres ne peut être acceptée que par
l'établissement public que la loi indique et qui constitue une personne civile.
Aussi, dans l'occurrence, MM. les curés des différentes paroisses de Bruxelles
n'ont-ils pas prétendu avoir qualité pour accepter le legs de feu M. Lauwers.
Comment donc aujourd'hui auraient-ils qualité pour s'en emparer, même à
l'exclusion de l'administration des hospices ?
D'après l'article
919, « les dispositions entre vifs ou par testament, au profit des hospices,
des pauvres d'une commune ou d'établissements d'utilité publique, n'ont leur
effet qu'autant qu'elles sont autorisées par un arrêté royal, » et c'est cet
article qui sert de base à l'arrêté en discussion. L'article 910 n'a pas pour objet
d'établir une vaine formalité, il confère au gouvernement une grande mission,
celle de réparer l'injustice de certains testateurs en faveur de parents
pauvres, ou de remédier aux conséquences de la suggestion et de la captation
qui ne s'exerce que trop au lit des mourants.
Le gouvernement, en
attribuant la moitié de la succession de feu M. Lauwers à ses héritiers légaux,
qui sont peu favorisés de la fortune, et en réduisant jusqu'à due concurrence
le legs universel fait aux pauvres, n'a pas, comme l'a prétendu l'honorable M.
d'Anethan, substitué sa volonté à celle du testateur, car, en réalité, il n'a
fait que réduire le legs de moitié, ou, en d'autres termes, il n'a fait
qu'autoriser l'acceptation seulement pour moitié, comme il en avait le droit,
puisque pouvant le plus, il pouvait nécessairement le moins. Si les héritiers
du sang ont été désignés comme devant recueillir l'autre moitié de la
succession, ce n'est que surabondamment, car la loi les appelait à défaut d'une
institution entre vifs ou testamentaire, elle les appelait pour une partie,
comme elle les appelait pour le tout.
Reste
l’administration de la partie du legs attribuée aux pauvres, et qui a été
confiée par le gouvernement aux hospices civils. Ici encore, la conduite du
gouvernement se justifie pleinement par la législation existante.
Messieurs, il vous a
été prouvé à l'évidence par d'honorables amis qui (page 589) ont parlé au commencement de cette séance, que
tout ce qui a rapport à la bienfaisance publique se trouve établi par la législation
française, qui a traversé toutes les commotions révolutionnaires depuis 1789,
et qui est restée debout, nonobstant l'article 84 de la loi communale de 1836.
Cette législation
consiste dans les lois des 16 vendémiaire et 16 messidor an VII, qui ont sécularisé
dans chaque municipalité, sous le nom d'hospices civils, placés sous
l'administration municipale, tous les établissements de charité qui existaient
encore à cette époque, ayant pour objet de soulager les malades, les orphelins,
et enfants abandonnés, les infirmes et les vieillards ;
Dans l'arrêté du 23
brumaire an V et la loi du 16 messidor an VII qui ont décrété que les revenus
de tous les hospices civils situés dans une même commune ne formeraient qu'une
seule et même masse quoique leurs dotations fussent originairement séparées ;
Dans les arrêtés des
16 fructidor an VIII et 27 prairial an IX, d'après lesquels les revenus de la
bienfaisance à domicile ne peuvent former dans chaque commune qu'un seul fonds
d'entretien pour tous les indigents de son territoire sans distinction de
catégorie ; enfin dans la loi de frimaire an VII qui veut qu'en cas
d'insuffisance de ces revenus, chaque municipalité soit chargée tant envers les
bureaux de bienfaisance qu'envers les hospices civils d'y suppléer par des subsides
annuels.
Ce système de la
charité publique ainsi légalement organisée n'a pas été attaque par nos
honorables contradicteurs, mais ils ont prétendu qu'il n'avait pas survécu aux
arrêtés de l'an X et de l'an XI, au décret de 1806, aux règlements de 1824 et
1825 et surtout à l'article 84 de la loi communale. Examinons :
De quoi s'agissait-il
dans les arrêtés des 28 fructidor an X et 16 fructidor au XI ? Il s'agissait là
exclusivement de fondations de lits dans les hospices de Paris et il vous a été
démontré clairement que ces arrêtés devaient être restreints dans leurs justes
limites. Je ne reviendrai pas sur cette démonstration.
Il en est de même du
décret impérial du 31 juillet 1806, dont l'honorable M. d'Anethan a tiré
cependant de si fausses conséquences, et quant à ce décret, j'irai, je dois le
dire, dans mes observations un peu plus loin que n'est allé l'honorable
ministre de la justice. Je dirai entre autres que le décret de 1806 n'est
applicable qu'à d'anciennes fondations, à des fondations créées avant cette
époque et qu'il n'a jamais pu s'appliquer à des fondations nouvelles ; son
texte comme son esprit ne laissent pas à cet égard l'ombre d'un doute.
L'article premier du
décret porte en termes :
« Les fondateurs
d'hospices et autres établissements de charité, qui se sont réservé, par leurs
actes de libéralité, le droit de concourir à la direction des établissements
qu'ils ont dotés et d'assister avec voix délibérative aux séances de leurs
administrations ou à l'examen et vérification des comptes, seront établis dans
l'exercice de ces droits, pour en jouir concurremment avec les commissions
instituées par la loi du 16 vendémiaire et par celle du 7 frimaire an V,
d'après les règles qui seront fixées par le ministre de l'intérieur, sur une
proposition spéciale des préfets et surs l'avis des commissions instituées par
les lois précitées, et à la charge de se conformer aux lois et règlements qui
dirigent l'administration actuelle des pauvres et des hospices. »
Ainsi ceux qui
« ont fond »é, ceux qui « ont doté seront rétablis », ce
qui se borne à dire que, quant aux fondations existantes au 31 juillet 1806,
les administrateurs seront réintégrés dans les attributions qui leur avaient
été précédemment enlevées, contrairement au vœu des fondateurs, mais sous
certaines conditions et moyennant l'accomplissement de certaines formalités.
Vous voyez, messieurs, qu'il ne s'agit pas là le moins du monde, de fondations
nouvelles.
Mais le décret de
I806 fût-il même applicable à des fondations crées depuis son émanation, ce que
je conteste, toujours resterait-il incontestable que ceux qui l'invoquent
doivent se soumettre aux conditions qu'il impose et aux formalités qu'il
prescrit. Ainsi, les administrateurs ne peuvent être rétablis dans l'exercice
de leurs droits que pour en jouir « concurremment » avec les
commissions instituées par la loi du 16 vendémiaire et par celle du 7 frimaire
an V ; ce rétablissement ne peut avoir lieu que d'après les règles qui seront
fixées par le ministre de l'intérieur, et il faut au préalable une proposition
spéciale des préfets et l'avis des commissions des hospices ; enfin, ce
rétablissement ne peut se faire qu'à la charge de se conformer aux lois et
règlements qui dirigent l'administration actuelle des pauvres et des hospices.
Eh bien, dans
l'espèce on prétend pouvoir se mettre au-dessus de toutes ces conditions, de
toutes ces formalités ; on soutient que MM. les curés de Bruxelles ont le droit
de s'emparer du legs de M. Lauwers et d'en faire la distribution à l'exclusion
des administrations des hospices ; on soutient que leur droit ne se borne pas à
prendre une certaine part à cette administration, mais qu'il va jusqu'à prendre
la pince des hospices ; on soutient encore que les règles à fixer par le
ministre, la proposition spéciale des préfets, l'avis des hospices ne sont plus
nécessaires pour pouvoir invoquer la faveur du décret ; on soutient enfin qu'il
ne faut plus se conformer aux lois et règlements qui dirigent l'administration
actuelle des pauvres et que le patrimoine de ceux-ci peut être abandonné au bon
plaisir d'administrateurs particuliers, ecclésiastiques ou laïques. Nous le
demandons à tout homme impartial, pareille thèse est-elle seulement présentable
?
Vous ne parlerons pas,
messieurs, des règlements de 1824 et 1825, car il vous a été prouvé à satiété
que ces règlements sont inconstitutionnels et dans tous les cas qu'ils n'ont
pas la portée qu'on leur donne.
Enfin une dernière
question se présente, c'est celle qui se rattache à l'interprétation du dernier
paragraphe de l’article 84 de la loi communale. Cette disposition de loi
a-t-elle abrogé la législation préexistante sur la charité publique ? A-t-elle
sapé dans sa base cette belle organisation que nous a léguée la révolution de
1789 ? S'il pouvait en être ainsi, nous devrions nous hâter de modifier
l'article 84. Mais, messieurs, il n'en est rien, et à cet égard encore les
honorables orateurs qui ont parlé avant moi ont laissé fort peu à ajouter.
Tout ce qui reste de
l'article 84 de la loi communale, c'est que rien n'est innové à la législation
en vigueur sur la bienfaisance publique et notamment en ce qui concerne les
fondations qui établissent des administrateurs spéciaux conformément aux lois
existantes.
Or, d'après les lois
existantes, ce n'est pas le seul acte constatant la volonté du fondateur qui
constitue la fondation ; il n'y a en définitive de fondation que lorsque l'acte
a reçu son complément par l'approbation du gouvernement.
Ensuite, il ne peut
plus être question d'administrateurs spéciaux que pour les seules fondations
créées avant le 31 juillet 1806, ainsi que je l'ai démontré il n'y a qu'un
instant, et dans tous les cas le décret de 1806 fût-il applicable aux
fondations nouvelles, les administrateurs spéciaux ne pourraient continuer leur
gestion qu'aux conditions et avec les formalités requises par ce décret, comme
je l'ai encore démontré, et c'est dans ce sens seul que l'article 84 in fine
peut avoir quelque effet. En deux mots il résulte de cet article que les
administrateurs spéciaux seront maintenus conformément au décret du 31 juillet
1806 qui constitue déjà une exception aux lois organiques de la charité
publique.
Donner à l'article 84 une portée plus grande serait
constituer les testateurs en véritables législateurs en leur permettant de
créer autant de personnes civiles qu'ils le jugeront à propos : bientôt on
voudra aussi, en vertu de l'attribut de propriété comme on l'entend, attribuer
aux testateurs le droit de constituer des fidéicommis, des majorats !..
Je n'ai plus qu'un
mot à ajouter, messieurs, si la charité publique reste confiée comme elle doit
l'être à l'autorité civile, il n'y a plus de captation possible. Inde irae !
(page 584) M. de
Mérode (pour un fait personnel). - M. Verhaegen, messieurs,
vient de m'accuser d'avoir réclamé un monopole, tandis que je n'ai soutenu que
la liberté pure et simple, pour M. Verhaegen comme pour moi ou tout autre, de
désigner l'exécuteur testamentaire d'un legs en faveur des pauvres ; et bien
loin d'avoir sollicité un monopole quelconque, je l'ai combattu de toutes mes
forces, et j'en ai signalé les inconvénients très graves que je connais ; mais
dans un langage qui n'est jamais le mien : liberté signifie monopole, et
monopole signifie la liberté.
M. Malou. - Je demanderai que
M. le ministre de la justice veuille bien déposer demain sur le bureau une
copie textuelle de l'arrêté royal qui est intervenu dans l'affaire du testament
de M. de Berenger et de celui qui est intervenu dans l'affaire concernant les
pauvres de Maria-Hoorebeke. Je demanderai également à M. le ministre, puisqu'il
a bien voulu invoquer comme une autorité une note émanée de moi, qu'il ait
l'obligeance de déposer aussi cette note ou une copie de cette note sur le
bureau. Il y a encore une autre affaire qui a de l'analogie avec celle-ci c'est
un legs qui a été fait par les époux Maes Van Oye aux pauvres de Bruges. Je
désirerais aussi que l'arrêté relatif à cette affaire fût déposé sur le bureau.
M. le
ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne vois aucun
inconvénient à déposer ces pièces. Ce sont des arrêtés royaux. Je les
apporterai demain.
- La séance est levée
à 5 heures.