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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 24 janvier 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Rapports sur des demandes en naturalisation
3) Projet de loi portant le budget du département de
la justice pour l’exercice 1848
4) Projet de loi accordant des crédits supplémentaires
au budget du département des affaires étrangères. Ordre de Léopold (Dechamps, d’Hoffschmidt, Osy, Dechamps, Osy,
de T’Serclaes, d’Hoffschmidt,
Delfosse, de Theux, de La Coste, d’Hoffschmidt,
(+responsabilité ministérielle) (Verhaegen, Tielemans), Mercier,
(+responsabilité ministérielle) Delfosse, Rogier)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 605) M. de Villegas procède à l'appel
nominal à deux heures et quart.
M. Troye lit le procès-verbal
de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de
Villegas présente l'analyse des pièces qui ont été
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
. « Plusieurs
habitants de Falaën demandent que chacun puisse, sans devoir être muni d'un
port d'armes, détruire ou faire détruire, à l'aide d'une arme à feu, les
lièvres, lapins et perdreaux qui viennent détruire ses propriétés. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
_______________
« La dame Mackers,
veuve du sieur Crispin, garde forestier, demande une augmentation de pension ou
un secours. »
- Même renvoi.
_______________
« Le sieur
Lerat, ancien employé de l'administration des accises, prie la chambre de lui
faire obtenir les mêmes fonctions. »
- Même renvoi.
_______________
« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent
qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »
- Renvoi à la
commission des pétitions, et dépôt sur le bureau pendant la discussion des
budgets.
_______________
« Les membres des conseils communaux de
Nassogne, Forrières, Grune, Bande, Masbourg, Awenne, prient la chambre de
rejeter le projet de loi relatif aux droits de succession. »
- Renvoi à la section
centrale chargée d'examiner le projet.
_______________
M. Scheyven informe
la chambre qu'il est retenu chez lui par une indisposition.
- Pris pour
information.
RAPPORTS SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION
M. Destriveaux. - Messieurs, j'ai l'honneur
de déposer sur le bureau, au nom de la commission des naturalisations, divers
rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront
imprimés et distribués. Le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR L’EXERCICE 1848
Vote sur l’ensemble du projet
61 membres prennent
part au vote.
Le budget est adopté
à l'unanimité de ces 61 membres. Il sera transmis au sénat.
Ont pris part au vote
: MM. Anspach, Bricourt, Broquet-Goblet, Cans, d'Anethan, Dautrebande, David,
de Bonne, de Breyne, Dechamps, de Chimay, de Clippele, de Corswarem, Dedecker,
de Denterghem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de la Coste, Delfosse, de
Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Roo, de Sécus, Destriveaux, de
Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hoffschmidt,
Dolez, A. Dubus, Eenens, Eloy de Burdinne, Fallon, Frère-Orban, Henot,
Herry-Vispoel, Jonet, Lange, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Moreau, Osy,
Pirmez, Raikem, Sigart, Simons, Tielemans, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte,
Van Cutsem, Vandensteen, Veydt, Vilain XIIII, et Liedts.
PROJET DE LOI ACCORDANT DES CREDITS SUPPLEMENTAIRES AU BUDGET DU DEPARTEMENT DES AFFAIRES ETRANGERES
M. le président. - Je demanderai à M.
le ministre des affaires étrangères s'il se rallie à la réduction de 27,591 fr.
50 c. proposée par la commission.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Non, M. le
président.
M. le président. - En conséquence la
discussion est ouverte sur le projet de loi de crédit supplémentaire de 160,072
fr. 17 c. présenté par le gouvernement. Le projet de loi se composant d'un seul
article, la discussion sur l'ensemble se confond avec la discussion de
l'article.
M. Dechamps. - Je demanderai si
M. le ministre des affaires étrangères a l'intention de répondre aux
observations consignées dans le rapport de la section centrale.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - J'attendrai la
discussion.
M. Osy, rapporteur. - Je demande la
parole.
M. Dechamps. - Comme dans le
rapport de la commission il y a très peu de motifs énoncés pour justifier le
refus de voter le crédit supplémentaire pour décorations, je désirerais que
l'honorable M. Osy, qui vient de demander la parole, parlât le premier comme
rapporteur. Comme j'ai ici à me défendre, je prendrai la parole à mon tour.
M. Osy, rapporteur. - En soutenant le
rapport que j'ai eu l'honneur de faire, je ne pourrais que répéter ce qui est
dans le rapport. Je demanderai la parole pour réfuter l'honorable M. Dechamps,
s'il combat mon rapport. Je crois donc que c'est à l'honorable M. Dechamps à
parler le premier. Je prendrai la parole après lui.
M. Dechamps. - Soit ! Je viens
donc combattre la proposition que la commission fait à la chambre de refuser le
crédit supplémentaire demandé relativement aux décorations de l'ordre de
Léopold.
Je n'accepte en
aucune manière, et je pense que mes honorables collègues des ministères
précédents (et j'y comprends l'honorable ministre des affaires étrangères
actuel) n'accepteront, pas plus que moi, le reproche entaché, selon moi, d'une
extrême exagération, adressé aux divers ministères précédents sous l'administration
desquels un déficit relatif aux décorations de l'ordre de Léopold a été créé.
J'ai peine à
comprendre que ce soit à l'égard de ce crédit d'une importance aussi secondaire
et d'un caractère aussi inoffensif, que la section centrale s'est armée bravement
de la mesure extrême d'un rejet de crédit.
Je m'occuperai
spécialement de celles de ces décorations qui ont été données à l'étranger,
d'abord parce qu'elles concernent des faits que je connais mieux et qui se
rattachent plus directement à ma responsabilité.
En deuxième lieu, ce
sont précisément les décorations accordées à l'étranger, qui ont fait l'objet
des critiques énoncées dans le rapport de la section centrale et dans les
discussions antérieures, et à l'égard desquelles des préventions se sont répandues
dans le pays.
Je soumettrai d'abord
â la chambre une observation générale et qui sans doute la frappera tout autant
que j'en ai été frappé moi-même.
Je comprends que des
membres d'une opposition parlementaire soient en défiance et pleins de
susceptibilité à l'égard des décorations accordées à des Belges à l'intérieur ;
toute opposition parlementaire a l'habitude, je ne dis pas avec raison, mais a
l'habitude de considérer les décorations données à l'intérieur comme des moyens
d'influence politique employés par le ministère dans l'intérêt de son maintien
au pouvoir. Comme toute opposition veut le renversement du ministère qu'elle
combat, je comprends, à certain degré, sa défiance et sa préoccupation
relativement à l'usage qui peut être fait d'une faculté qu'elle considère comme
un moyen d'influence politique.
Mais je ne puis
comprendre comment et par quels motifs cette défiance inquiète existerait à
l'égard des décorations accordées à l'étranger. Ces décorations sont-elles,
peuvent-elles être jamais un moyen d'influence politique, d'influence
électorale, d'influence quelconque, dans les mains d'un ministre, dans un
intérêt ministériel ou dans un intérêt de parti? Evidemment non ; ces
décorations accordées à l'étranger n'ont aucune signification politique. Alors
de quoi se préoccupe-t-on, et quel intérêt peut vous émouvoir ? Ce n'est pas un
intérêt financier, ce n'est pas un crédit supplémentaire de 18 mille francs â
répartir sur quatre exercices qui peut soulever une question de nature à
occuper sérieusement la chambre.
C'est donc en vue
d'une idée politique que la chambre se déciderait au vote déraisonnable qu'on
lui propose d'émettre. Eh bien ! il n'y a pas ici de question politique.
Que sont en
définitive les décorations accordées à l'étranger ? Dans quel but les
accorde-t-on ? Les décorations sont données à l'étranger à des souverains, à
des ministres, à des hommes influents dans la politique, dans l'administration,
dans les lettres, les sciences et les arts. Dans quel but les accorde-t-on ?
Dans le but de créer au dehors des sympathies personnelles, de conquérir des
influences personnelles au profit de l'intérêt belge. Voilà quel doit être le
but des décorations accordées à l'étranger.
Messieurs, tous les
ministres qui ont été à la tête du département des affaires étrangères,
j'ajouterai tous les hommes qui ont occupé des positions diplomatiques dans de
grands centres politiques à l'étranger, ne me démentiront pas quand je dirai
que, dans les négociations commerciales, nous avons rencontré souvent comme obstacle,
je ne dis pas comme principal obstacle, mais cependant comme obstacle réel,
l'absence de ces moyens d'influence personnelle qu'on aurait pu utiliser au
profit de nos intérêts nationaux.
Nous oublions trop
que la Belgique est une jeune nation, qu'elle est la dernière venue dans la
famille européenne, que par conséquent elle a dû créer successivement tous ses
rapports internationaux et diplomatiques avec les autres gouvernements ; elle a
dû conclure coup sur coup des traités de commerce, de navigation et autres
destinés à nouer des liens d'intérêts avec les autres pays.
Il a fallu en vertu
d'un usage consacré universellement en échanger des décorations à la suite de
l'ouverture de ces relations diplomatiques et de la conclusion de ces traités.
Je ne veux pas attacher plus d'importance qu'il ne faut à ce moyen d'influence
que je considère comme secondaire, mais quand nous voyons des autres nations
plus vieille que la (page 606) nôtre, dont les rapports internationaux sont
établis depuis des siècles, ne pas dédaigner de recourir à ces moyens
d'influence, je vous le demande, pourquoi la Belgique irait-elle les refuser?
Ainsi, je le répète,
je conçois jusqu'à un certain point que les membres d'une opposition
parlementaire se préoccupent des décorations accordées à l'intérieur à des
Belges parce qu'ils y verraient un moyen d'influence politique. Mais cette
considération n'existe pas relativement à des décorations accordées à
l'étranger, qui sont dépourvues de tout caractère et de tout but politique
quelconque.
Je suppose même que
le grief dont a parlé l'honorable M. Osy, dans son rapport, soit aussi fondé
qu'il l'est peu, à mes yeux : je suppose que des décorations trop nombreuses
aient été accordées à l'étranger, je vous le demande, quel mal y aurait-il,
quel intérêt belge et national aurait été blessé? Si des décorations avaient
été accordées à l'étranger en trop grand nombre, on n'aurait fait que conquérir
des influences personnelles, utiles pour la Belgique. Je demande donc par quel
genre de considérations la chambre accepterait la proposition étrange qui lui
est faite par la section centrale.
Messieurs, est-il
vrai, comme le dit la section centrale, que depuis la création de l'ordre et
surtout pendant les quatre dernières années, il y aurait eu une véritable prodigalité
dans les nominations faites dans l'ordre de Léopold ?
Messieurs, pour la
période qui a précédé l'année 1841, voici comment l'honorable M. Lebeau,
ministre des affaires étrangères en 1841, répondait aux mêmes reproches qui
avaient été articulés à l'occasion d'un crédit supplémentaire qui avait été
présenté pour cet objet.
« Je ne puis
souffrir, disait-il, que l'on dise que le gouvernement a mis de la profusion
dans les décorations de l'ordre de Léopold ; je ne puis pas souffrir qu'on dise
que le gouvernement a avili l'ordre par la manière dont il a fait les
distributions soit à l'intérieur, soit à l'étranger. J'ai fait allusion à
l'usage consacré partout. Consacré par nos antécédents, par toutes les
administrations ; j'ai dit que lorsqu'à la suite de négociations, il se conclut
des traités de commerce, des traités de navigation, il est d'un usage universel
d'accorder des décorations. Je m'élève surtout contre l'imputation d'avoir mis
de la prodigalité dans la dépense résultant des décorations. » Après avoir
établi que le déficit provenait de l'administration précédente, M. Lebeau
ajoute : « Le cabinet précédent a usé, sous sa responsabilité, et avec une
discrétion que chacun pourra apprécier, du droit de conseiller à S. M. d'user
de la prérogative que la loi lui attribue. »
Messieurs,
l'honorable M Lebeau a, par les raisons que je viens de rappeler, vengé son
administration de 1841 et les administrations qui l'avaient précédée, du
reproche de profusion et de prodigalité qu'on articulait déjà à cette époque.
J'ajouterai,
messieurs, à l'appui de ces observations, que je puis affirmer sans crainte
d'être démenti, que parmi les Etats monarchiques d'un rang analogue à la
Belgique, la Hollande, la Bavière, le Portugal, Naples, et d'autres Etats de la
même importance, qu'il n'en est aucun qui ne distribue annuellement plus et
beaucoup plus de décorations à l'intérieur et à l'étranger que la Belgique ne
l'a fait jusqu'à présent.
J'affirme qu'il n'est
aucun Etat monarchique de l'Europe qui ait proportionnellement fait moins de
dépenses de ce genre que l'Etat belge. C'est un fait que je constate. S'il
était nécessaire d'étendre cette discussion, ce que la chambre, probablement,
ne permettrait pas de faire, je pourrais citer des chiffres et des faits à cet
égard, et si l'on conteste mon assertion, je le ferai. Voilà pour le reproche
de prodigalité, en ce qui concerne la période qui a précédé l'année 1841.
Mais, messieurs,
est-il vrai que cette prodigalité aurait du moins existé pendant les quatre
dernières années durant lesquelles le déficit dont il s’agit a été créé ? Eh
bien, messieurs, je vais répondre à ce grief.
Je distingue,
d'abord, comme on l'a toujours fait, l'ordre militaire de l'ordre civil. La chambre
sait, en effet, que lorsque l'ordre a été institué, et dans toutes les
discussions qui ont eu lieu depuis, on a toujours distingué entre l'ordre civil
et l'ordre militaire ; aucune objection, je crois, n'a été faite contre les
décorations accordées pour services militaires.
Eh bien, messieurs,
le nombre des décorations civiles accordées à l'étranger a été à peu près le
même depuis 1841. En effet, ce nombre a été en 184 de 42, en 1843 de 51, en
1843 de 35, en 1844 de 87, en 1845 de 57, en 1846 de 56 et en 1847 de 45.
Ainsi, messieurs,
sauf l'année 1844, pendant laquelle le nombre des décorations a été un peu plus
considérable, le nombre a presque toujours été le même, et depuis 1844, il a
diminué au lieu d'augmenter, comme semble le croire l'honorable rapporteur de
la section centrale.
Pendant les deux
années de mon administration, j'ai proposé à Sa Majesté d'accorder à l'étranger
113 décorations civiles. Sous l'administration de mon honorable prédécesseur,
il en a été accordé 147. Je ne fais pas cette observation comme une critique
adressée à mon honorable prédécesseur. Je suis, au contraire, convaincu que
s'il était ici, il ne lui serait pas difficile de justifier les actes qu'il a
posés ; il l'a fait, du reste, dans les discussions des budgets. Je suis
convaincu que ces actes sont parfaitement justifiables, mais c'est précisément
parce que je les considère comme tels, que je m'en sers comme point de
comparaison avec mon administration et que je dis que tandis que mon honorable
prédécesseur a proposé 147 décorations, je n'en ai proposé que 113.
Eh bien, messieurs,
sur ces 113 décorations que j'ai proposées au Roi, il en est 50, presque la
moitié, se rattachant aux traités qui ont été conclus, le traité du 13
décembre, avec la France, le traité du 29 juillet, avec les Pays-Bas, le traité
avec le royaume de Naples, la convention douanière, en exécution du traité du
1er septembre, avec le Zollverein, la convention postale avec la Prusse, la
convention postale avec la France, l'ouverture du chemin de fer belge-français,
acte international, qui a donné lieu à des décorations de part et d'autre, les
conventions d'abolition des droits d'aubaine et d'extradition avec les Etats
secondaires de l'Allemagne.
Eh bien, messieurs,
j'affirme que si l'on déduisait du chiffre total de 113 décorations qui ont été
accordées à l'étranger sous mon administration, celles qui se rattachent à des
traités, j'affirme, dis-je, que j'ai donné un moins grand nombre de décorations
de courtoisie à l'étranger qu'il n'en a été accordé sous la plupart des
administrations précédentes. Je désire sincèrement que le ministère actuel
puisse vous présenter des crédits supplémentaires, même élevés, pour couvrir
les dépenses de décorations échangées par suite de traités avantageux au pays.
Messieurs, j'arrive à
un autre grief que la section centrale a cru devoir articuler, relativement au
crédit supplémentaire. On a commis, dit-elle, une irrégularité, on a dépassé
les crédits, et l'on n'a présenté que tardivement le crédit supplémentaire pour
couvrir le déficit.
On a rappelé dans le
rapport de la section centrale l'exemple posé par l'honorable M. Lebeau en
1841, lorsque étant, à son entrée au ministère des affaires étrangères, en
présence d'un déficit, il s'est empressé de demander un crédit supplémentaire.
Eh bien, je ne fais
aucune difficulté de reconnaître que j'aurais dû suivre et que j'aurais suivi
cet exemple, si le déficit m'avait été assez tôt révélé. Quand l'honorable
rapporteur aura été ministre, il comprendra que, quoiqu'un ministre soit, en droit,
responsable de tous les actes et de tous les détails de son administration,
cependant, en fait, il est beaucoup de ces détails qui peuvent lui échapper
avec la meilleure foi du monde. Ainsi, la chambre sait que dans les premiers
temps de mon administration comme ministre des affaires étrangères, mon
attention presque tout entière a été absorbée par les longues et difficiles
négociations avec la France et les Pays-Bas ; en présence de pareilles
préoccupations, j'ai pu, sans me rendre, je crois, coupable d'un grand crime,
être distrait de la question de comptabilité de l'ordre de Léopold.
Mon attention n'a pas
été assez fixée ou assez attirée sur ce point ; mais je reconnais qu'il y a
inattention et, si l'on veut, irrégularité ; mais quand le déficit m'a été
révélé, je ne suis empressé, lors de la discussion de mon budget et sur les
observations mêmes de l'honorable M. Osy, de déclarer explicitement que le
déficit existait, et que je présenterais un crédit supplémentaire pour le
couvrir. Je n'ai donc rien caché à la chambre.
Messieurs, il est une
raison que la chambre appréciera et qui lui fera comprendre que le crédit pour
l'ordre de Léopold peut être plus facilement dépassé que les autres crédits des
budgets.
Chaque ministre a
l'initiative des propositions pour les nominations dans l'ordre de Léopold,
chaque département ministériel puise au trésor commun de l'ordre. Or, il est
bien plus facile pour un ministre de surveiller l'emploi d'un crédit de son
budget, lorsque cet emploi lui est dévolu exclusivement, que lorsque ce crédit
est commun aux divers départements.
Du reste, messieurs,
si l'honorable M. Osy et les membres de la majorité de la section centrale
tiennent beaucoup à considérer comme une faute l'inattention que je viens
d'expliquer, inattention qui consiste à n'avoir pas présenté assez tôt la
demande d'un crédit supplémentaire pour régulariser la comptabilité de l'ordre
de Léopold, mon Dieu, messieurs, je donnerai volontiers satisfaction ê la
section centrale ; seulement elle me permettra de croire que cette faute ne
pèse pas très lourdement sur ma responsabilité.
Maintenant, je ne
sais pas si la chambre attend de moi que je lui soumette de longues
observations sur la question de la responsabilité personnelle et pécuniaire que
la majorité de la section centrale voudrait faire peser sur les administrations
sous lesquelles le déficit a eu lieu.
Si une pareille
proposition, si la demande d'un pareil vote était faite par des membres
appartenant à une opposition parlementaire, en présence d'un ministère qu'elle
veut renverser, je me permettrais encore, dans ce cas, de dire qu'une telle
proposition, la demande d'un tel vote, est un procédé peu convenable, surtout
lorsqu'il s'agit d'un objet aussi peu
important en lui-même. Mais je laisse à la chambre le soin de qualifier une
telle proposition, lorsqu'elle a pour objet, par une espèce d'essai
d'opposition posthume el rétrospective, de frapper des ministres qui ne sont
plus au pouvoir, qui sont rentrés dans la vie privée, et dont quelques-uns ne
sont pas ici pour se défendre.
Je me borne à
indiquer en passant une autre observation d'une nature délicate ; je l'indique
sans la discuter ; je veux parler de la convenance qu'il y aurait à rejeter,
pour la première fois depuis 1830, un crédit et rattachant à l'usage légitime
d'une prérogative royale, de la seule prérogative royale dans nos rapports avec
l'étranger. Je demande s'il est (page
607) convenable... (Interruption.)
Certainement on a le droit constitutionnel de le faire, et je ne veux nullement
mettre en doute la complète responsabilité des ministres pour tous les actes
contresignés par eux, mais je parle d'une question de convenance qu'il devrait
me suffire d'indiquer pour être compris. Je finis par une dernière observation
; je suppose pour un moment que la chambre rejette le crédit supplémentaire, et
que les personnages à l'étranger, par exemple, qui auront reçu ces décorations
sous les ministres que vous auriez frappés d'un blâme pour cet acte même, je
suppose que ces personnages, comprenant la dignité politique autrement que la
chambre ne l'aurait comprise, et ne voulant pas que des ministres soient punis
de la bienveillance qu'ils ont eue pour eux, renvoient leurs décorations avec
les arrêtés royaux qui les accompagnaient.
Je le demande à la
chambre, croit-elle que la Belgique aurait gagné par-là beaucoup en dignité, en
influence à l'étranger, et que ce vote aurait des résultats bien utiles pour le
pays?
Je termine par une considération. La chambre, en
refusant par son vote le crédit qui lui est demandé, qu'aurait-elle fait ? Elle
aurait décidé que l'Etat ne paye pas un de ses créanciers ; mais elle n'aurait
pas décidé qui payerait. Ce vote serait sans résultat possible, et les
ministres des diverses administrations qu'on aurait voulu frapper, se refusant
à payer ce créancier de l'Etat, il n'y aurait aucune loi en vertu de laquelle
on pourrait les y forcer.
Je vous laisse le
soin de qualifier un vote sans sanction et sans résultat.
Je ne crois pas
devoir traiter sérieusement une pareille question ; je pense que les
observations que j'ai présentées suffiront pour déterminer la chambre à ne pas
admettre la proposition de la section centrale.
M. Osy. - D'après le discours
que vous venez d'entendre, on dirait que c'est moi qui suis en cause, tandis
que j'ai fait un rapport au nom d’une section centrale. Il nous dit que la
proposition faite à la chambre est un acte d'opposition parlementaire. Je
demanderai à tous les membres de la section centrale, si je ne me suis pas
abstenu, et si un membre de la majorité parlementaire de l'année dernière n'a
pas insisté le plus fortement pour que le crédit soit refusé. Je demande si ce
n'est pas exact. Eh bien, ce n'est pas par opposition que la section centrale
propose de refuser le crédit demandé ; mais la majorité a cru qu'il était plus
que temps d'arrêter le gouvernement, quel qu'il soit, dans ce système, de
dépasser les crédits qu'on lui accorde. Si nous ne le forçons pas à rester dans
les limites des crédits, il est inutile de voter à l'avenir les budgets,
surtout après ce que nous a dit M. Dechamps en terminant son discours, que les
ministres ne sont pas responsables. Je ne partage pas cette opinion. C'est
celui qui fait une dépense illégale qui doit payer ; sans cela, il n'y aurait
plus de responsabilité ; les ministres pourraient dépenser tout ce qu'ils
voudraient au-delà des crédits votés ; il serait inutile de passer notre temps
à discuter les budgets.
Depuis bien des années
plusieurs ministres ont demandé qu'on augmentât l'allocation pour l'ordre de
Léopold ; toujours la législature s'y est opposée. Chaque fois qu'en en a parlé
dans cette enceinte, on a répondu qu'il fallait s'en tenir à l'allocation votée
jusque-là. En 1840, lors de l'avènement du ministère Lebeau, au mois d'avril,
on a trouvé que les 10 mille francs étaient dépensés ; qu'a fait l'honorable M.
Lebeau ? A l'ouverture de la session, il est venu demander un crédit
supplémentaire de cinq mille francs. Ce crédit a été critiqué par un ancien
membre de la majorité, qui a voté contre. Ce n'est donc pas par opposition que
je repousse le crédit supplémentaire qui vous est demandé ; j'ai donné des
preuves que ce sont les choses qui me guident et non les hommes que j'ai devant
moi. J'ai toujours dit qu'il fallait faire des budgets réels, qu'on devait nous
faire connaître exactement tous les besoins ; en examinant le budget des
travaux publics, nous avons également dit que le gouvernement devait mieux
calculer ses prévisions.
L'honorable M.
Dechamps vous dit que nous sommes une nation jeune, que nous avons pour cela à
donner plus de décorations ; je lui répondrai que, quand la loi de
l'institution de l'ordre de Léopold a été votée, elle a rencontré une grande
répugnance ; l'ordre civil a été repoussé an premier vote et il n'a été admis
au second vote qu'à une voix de majorité. Dès ce moment on devait savoir qu'il
fallait être très réservé dans les collations de décorations tant à l'étranger
que dans le pays. L'Angleterre ne donne pas de décorations, l'Autriche n'en
donne que pour des services du plus haut mérite, mais la France en donne
beaucoup et on a voulu suivre l'exemple de la France. On aurait dû imiter les
autres nations anciennes, on ne doit pas s'en tenir, pour imiter, à ce qui se
fait chez son plus proche voisin.
Vous savez que sous
l'ancien gouvernement on a prodigué les décorations et que ce fut un sujet de
grief ; c'est ce dont s'étaient souvenus les membres qui siégeaient au congrès,
quand on leur avait proposé la loi de l'institution de l'ordre de Léopold ;
nonobstant on fut bientôt plus prodigue de décorations qu'on ne l'avait été
sons le gouvernement précédent ; on oublia l'ancien grief. Il ne faut pas
remonter bien loin pour voir ce qui s'est fait.
Dans le premier
semestre de 1847 ; on a donné l’ordre le plus élevé, le grand cordon, à un
ministre étranger qui n'a résidé que dix-huit mois en Belgique, et qui n'a pas
fait la moindre convention avec la Belgique. On a donné le même ordre à son
prédécesseur qui avait fait le traité du 1er septembre ; maintenant si vous
donnez à celui qui a fait un traité dont nous avons tous à nous louer, le
traité du 1er septembre, le même grade à celui qui n'a rien fait, n’est-ce pas
dérangeant ? A l’étranger, j'ai entendu dire, à propos de la prodigalité de
l’ordre de Léopold, des choses que je n'oserais pas répéter.
Si vous donnez
l'ordre le plus élevé à un envoyé qui n'a rien fait, que donneriez-vous à son
successeur s’il faisait une convention d’une grande importance? Vous ne
pourriez pas créer un ordre plus elevé, vous seriez obligé de lui donner la
même décoration.
Nous avons fait, par
l'entremise d'un de nos honorables collègues, une convention avec une puissance
italienne. Je vous laisse à deviner à combien de décorations elle a donné lieu.
Nous le voyons dans le Moniteur du 19 juillet. Il a été accordé à cette
occasion trois grands cordons, deux décorations de grand officier (deuxième
classe de l'ordre) et trois décorations de commandeur. Ainsi voilà, pour une
convention qui n'est pas encore ratifiée, six décorations, dont trois du grade
le plus élevé. Je suis persuadé que les grandes puissances ne font pas des
prodigalités pareilles.
Il faut, messieurs,
que je vous dise un mot de la note du membre de la commission qui n'a pas voulu
se joindre à ses collègues pour rejeter le crédit. Je vous demanderai la
permission d'en lire la dernière phrase.
« La chambre
avisera ; mais on pense qu'elle pourrait consentir à accorder, encore pour
cette fois, un crédit supplémentaire, avec la clause proposée par la section
centrale pour celui de la marine. »
Vous voyez que ce
membre de la commission, sans avoir été favorable à l'allocation, dit lui-même
que, pour cette fois, il l'accorde et que si cela se renouvelle, il ne
l'accordera pas. Il est donc dans les mêmes principes que nous. La différence,
c'est que nous voulons rejeter aujourd'hui la dépense, tandis qu'il la
rejettera à l'avenir.
Comme je l'ai, dit il
n'y a pas eu d'hostilité contre l'ancien ministère. Nous déplorons tous que le
gouvernement dépasse les crédits portés au budget. Nous avons pensé qu'il était
plus que temps de prendre une mesure pour arrêter tous les ministres dans cette
voie. C'est dans ce but seul que nous avons fait cette proposition de
réduction.
Si vous ne l'admettez pas, la responsabilité
ministérielle ne sera qu'un vain mot, on pourra continuer de faire comme par le
passé ; car le ministère est obligé de vider un sac bien lourd. Les dépenses
arriérées, legs du dernier ministère, s'élèvent à cinq millions pour lesquels
on a dû nous présenter des crédits supplémentaires.
Je le répète en
terminant, la proposition de la commission n'a rien d'hostile pour l'ancien
ministère. Elle n'a d'autre but que d'arrêter le gouvernement dans la voie des
dépenses utiles et de le contraindre à se renfermer dans les limites des
crédits alloués par les chambres.
M. de T'Serclaes. - On ne peut se
dissimuler qu'il existe dans la chambre, et jusqu'à certain point dans le pays,
une sorte de prévention contre la manière dont le gouvernement a fait usage de
la loi du 11 juillet 1832, instituant l'ordre de Léopold. J'ai pensé qu'à
l'occasion de ce débat, la chambre me permettrait de lui citer des chiffres et
des faits propres à éclairer l'opinion publique et de contribuer ainsi, pour ma
part, à conserver à cette institution nationale le respect que l'on doit ti
toutes les institutions du pays.
Je regarde comme une
chose des plus fâcheuses pour l'ordre de Léopold, que les lois qui le
concernent, les détails de son organisation et les circonstances des
nominations soient aussi peu connus.
Dès 1834, le ministre
des affaires étrangères avait jugé utile, malgré la publicité négative du
bulletin officiel, de faire imprimer en brochure la liste complète des
personnes qui avaient obtenu la décoration jusqu'à cette époque. Combien un
semblable travail ne serait-il pas plus utile aujourd'hui !
L'honorable M.
Dechamps s'était entendu avec un littérateur distingué du pays pour livrer à
l'impression une collection qui aurait renfermé tous les arrêtés de nomination,
toutes les discussions des chambres concernant l'ordre de Léopold, et des
notices historiques et biographiques sur les principales nominations.
Ce travail, presque
complet, existe en manuscrit : j'en recommande la publication à la sollicitude
de l'honorable ministre des affaires étrangères ; il fait honneur à l'habile
professeur qui s'en est occupé.
J'entre en matière.
L'ordre de Léopold,
suivant le tableau communiqué par M. le ministre des affaires étrangères, comprend
3,265 décorations données, Vous n'ignorez pas qu'il faut faire entre les
décorations une quadruple distinction.
Il y a 1° les
décorations accordées à des Belges ; 2° les décorations accordées à des
étrangers. Les décorations accordées à des Belges sont de deux espèces. Il y a
les décorations civiles et les décorations militaires. La même distinction doit
être faite pour les nominations à l'étranger. Ainsi nous avons quatre
catégories de membres de l'ordre de Léopold : les décorations civiles et les décorations
militaires accordées à des Belges ; les décorations civiles et les décorations
militaires accordées à des étrangers.
De ce chiffre total
de 3,265 décorations données, je commence par soustraire les 1,100 croix
accordées à des militaires. Jamais, depuis l'institution de l'ordre, on ne
s'est élevé, ni dans cette chambre, ni dans le sénat, contre, les décorations
pour services militaires. Les chambres, depuis 1832, ont voté 321,000 fr. pour
les pensions de l'ordre militaire. Ces pensions ont toujours été traitées avec
une faveur marquée, et nos diverses lois ont permis, par un privilège spécial,
le cumul de toute pension, soit civile, soit militaire, avec la pension de
l'ordre.
Ce crédit n'a jamais
donné lieu à aucune critique. Je puis donc (page 608) éliminer complètement du débat ce qui concerne les
décorations militaires
Cette déduction
faite, il reste 2,165 décorations données.
Ce chiffre, je le
divise en deux. Je déduis d'abord 1,100 décorations accordées à des étrangers et
dont je m'occuperai tout à l'heure ; il reste 1,065 décorations accordées par
le Roi à des Belges après dix-sept années de règne !
Si les renseignements
donnés par M. le ministre des affaires étrangères sont exacts, il n'y en a pas
eu une seule de plus.
Je n'hésite pas à le
dire, le gouvernement a montré une grande sobriété dans la collation de l'ordre
civil. Je dis dans l'ensemble ; je ne veux pas entrer dans les cas
particuliers. Il peut y avoir eu des erreurs commises. Mais l'exception
confirme la règle. Si l'une ou l'autre décoration a été donnée mal à propos,
personne ne dira que cette circonstance doive jeter du discrédit sur l'ordre
national.
Le Roi a décerné un
assez grand nombre de décorations, mais dans des grades tout à fait inférieurs.
Pour les hauts grades qui doivent être le prix de services éminents, de
services tout à fait supérieurs, de tous les côtés de la chambre on reconnaîtra
que l'on a été très réservé.
A commencer par les
grands cordons, le Roi n'en a donné que quatre à des Belges, depuis
l'institution de l'ordre.
Ce nombre est réduit
à deux aujourd'hui par le décès des titulaires, tous deux des hommes qui
faisaient honneur à notre patrie, et dont le mérite était apprécié non
seulement en Belgique, mais en Europe, le comte de Mérode-Westerloo, et le
comte d'Aerschot.
Le Roi a accordé huit
décorations de grand officier notamment aux honorables présidents de cette
chambre et du sénat. Aucune critique ne s'est jamais élevée contre ces
décorations si bien placées.
II a été accordé 42
décorations de commandeurs à d'anciens ministres.
Enfin, 145
décorations d'officiers ont été décernées à des personnages qui avaient rendu
des services notables au Roi et au pays.
Je dis donc qu'il a
été fait un usage convenable du crédit voté par vous, et que dans un pays où
depuis 17 ans de si grandes choses ont été effectuées, où les hommes qui ont de
leurs propres mains élevé le trône du Roi ne portent pas encore le grand cordon
de l'ordre ; je dis que l'on n'est pas admissible à critiquer l'usage que la Couronne
a fait de la faculté que l'article 76 de la Constitution lui a laissée.
Cette sobriété de
distinctions â l'intérieur a produit un autre résultat dont il faut tenir
compte ; c'est que le gouvernement ayant toujours donné les hauts grades de
l'ordre de Léopold avec une grande parcimonie, a ôté par cela même une grande
partie de leur prestige dans l'intérieur du pays aux décorations (erratum, p. 640) de l'étranger qui ont,
je le reconnais, été accordées en très grand nombre en Belgique. Ainsi on voit
en Belgique ce qu'on ne voit presque en aucun Etat de l'Europe : de simples
chevaliers de l'ordre de Léopold, portant ce qu'on appelle la petite croix,
revêtus de grands cordons d'ordres étrangers.
J'en viens aux
décorations données à l'extérieur.
Je commencerai par
rappeler que lorsque le projet de loi portant l'institution d'un ordre national
a été présenté à la chambre, on s'est fortement appuyé sur la nécessité pour la
Couronne de rendre à l'étranger les marques de courtoisie qu'Elle était dans le
cas de recevoir. Et que cette expression de marques de courtoisie ne vous
étonne pas, messieurs. Ouvrez le rapport fait au nom de la section centrale par
l'honorable M. Dumortier, et vous y verrez ces mots : « La conclusion des
traités et le futur mariage du Roi rendent
nécessaire l'adoption du projet de loi. »
Dans l'année de
l'institution de l'ordre, on a décerné un grand nombre de décorations à l'armée
française, qui avait pris la citadelle d'Anvers, et était venue délivrer notre
territoire de l'occupation étrangère : celles-là étaient à coup sûr noblement
méritées ; eh bien, messieurs, veuillez voir le compte rendu de la séance du 10
septembre 1833, et vous y lirez de quelle manière on qualifiait alors le juste
hommage rendu au courage de nos voisins.
En 1838, les chambres
ont voté une loi qui crée un cinquième grade dans l'ordre de Léopold. Quels ont
été les motifs allégués pour la création de ce cinquième grade ? Ces motifs ont
uniquement été les exigences de la réciprocité à exercer envers l'étranger.
Dans l'exposé des motifs présenté par le gouvernement, dans le rapport fait à
la chambre, dans le rapport fait au sénat, on n'a parlé que de la nécessité
dans laquelle on se trouvait d'accorder des décorations équivalentes à celles
qui étaient accordées à des Belges par d'autres souverains. Le projet a été
adopté à l'unanimité des voix moins une, celle de l'honorable M. Gendebien.
L'honorable M.
Dechamps vous a développé les considérations politiques qui légitiment l'usage
que l'on a fait de l'ordre de Léopold, vis-à-vis les puissances étrangères. On
pourrait en ajouter beaucoup d'autres encore, mais cela me semble inutile. Les
ministres des affaires étrangères qui se sont succédé, ont eu soin d'éclairer
complètement la chambre sur cette question. L'honorable M. Lebeau, l'honorable
M. Goblet ont dit quels étaient les usages, quelles étaient les nécessités qui
incombaient au gouvernement. (Erratum, p.
640) Il serait grand temps que, dans un pays où le Roi, à part la haute
influence personnelle qui est si justement reconnue en Europe à notre
souverain, n'a pas d'antre moyen réel d'exercer une influence quelconque à
l'étranger, que la distribution intelligente de quelques décorations où il n'y
a de fonds secrets d'aucune sorte, il serait grand temps, dis-je, de regarder
cette question comme définitivement vidée quant au principe.
La majeure partie des
croix de l'ordre de Léopold placées â l'étranger a été accordée à des sujets
français.
J'attirerai ici votre
attention sur une circonstance dont on n'a pas tenu assez compte : Sous
l'ancien gouvernement, les Belges décorés de la Légion d'honneur par Napoléon
étaient par cela même médiocrement bien vus du gouvernement, et ceux qui
avaient de justes titres à faire valoir s'en gardaient bien, parce que ces
demandes étaient accueillies avec défaveur à Bruxelles et à la Haye. Après
1830, on s'est cru dans I obligation de demander à la France un grand nombre de
décorations pour des services qui remontaient à l'époque de l'empire. Or, il
est d'usage que, quand un souverain accorde à un Etat des décorations, il en
obtienne en réciprocité un nombre pareil.
Il ne faut pas
méconnaître, messieurs, ce que le gouvernement a fait de son côté pour empêcher
qu'il n'y eût des abus dans la collation des décorations à l'étranger. Ainsi,
on avait remarqué que des Belges sollicitaient souvent des insignes d'autres
ordres que celui du pays, écrivaient des lettres aux souverains étrangers,
envoyaient des ouvrages, faisaient même des démarches personnelles qui
nuisaient à la considération de la Belgique. Le gouvernement a senti la
nécessité de mettre un terme à cet état de choses, et un arrêté du 25 mai 1845,
pris sur la proposition de l'honorable général Goblet, a statué que « aucun
Belge n'obtiendrait l'autorisation de porter les insignes d'un ordre étranger,
à moins que ces distinctions n'aient fait l'objet d'un concert préalable entre
le gouvernement belge et celui qui les a conférés. »
Ainsi dans tous les
cas, il faut un accord préalable, et une réciprocité concertée entre les deux
cours.
Ainsi, le
gouvernement a fait ce qui était en lui pour empêcher que l'échange de
décorations ne fût amené forcément et en dehors de ses prérogatives légitimes.
L'honorable
préopinant a parlé de la décoration donnée par le Roi à un ancien ministre. Je
pense qu'il a voulu faire allusion à M. de Sydow, ministre de Prusse. Il a
trouvé singulier que M. de Sydow, en quittant la Belgique, eût obtenu la
grand-croix de l'ordre de Léopold, tandis qu'il n'était intervenu, pendant
qu'il était accrédité à Bruxelles, aucun traité entre la Belgique et la Prusse.
Messieurs,
l'explication de ce fait est extrêmement naturelle. Je ne veux pas m'étendre
sur les motifs particuliers de satisfaction que pouvait avoir notre auguste
souverain envers M. de Sydow. La chambre n'a pas à s'occuper de ce point, qui
pourrait, du reste, expliquer la marque de distinction accordée à ce ministre.
Mais je dirai qu'il est d'usage que lorsqu'un souverain est content des bons
services d'un ministre étranger, il lui accorde, lorsqu'il part, une preuve de sa
bienveillance. Ce serait même un motif légitime de plainte, si un ministre
accrédité pendant un certain temps près d'une cour, la quittait sans une
manifestation quelconque de bienveillance du souverain. Les autres cours ont, à
cet égard, plus de latitude que celle de Belgique. .
Ainsi, dans plusieurs
Etats de l'Europe, on se contente de donner une tabatière ou un autre cadeau
diplomatique. Cet usage, qui peut paraître risible au premier abord, n'existe pas
en Belgique ; le Roi, lorsqu'il veut donner une marque de bienveillance à un
diplomate étranger, lui accorde la croix.
M. de Sydow,
messieurs, n'avait pas seulement été ici ministre de Prusse. Il avait
antérieurement occupé l'office de chargé d'affaires près de la cour de
Bruxelles. Il avait donc été successivement accrédité deux fois près de notre
gouvernement.
Enfin, d'après les
usages diplomatiques généralement reçus, on ne peut donner à un envoyé
extraordinaire et ministre plénipotentiaire de l'une des grandes puissances que
la décoration du premier rang, et le gouvernement belge a été exposé à voir
refuser notre décoration parce qu'il avait remis la plaque de second rang à un
envoyé extraordinaire,
Je ne sais,
messieurs, s'il faut ajouter encore quelques mots sur les sommes allouées par
la législature pour l'achat des bijoux. Cependant je crois que cela n'est pas
inutile.
Depuis l'institution,
les chambres ont voté, pour l'administration de l'ordre de Léopold, la
confection des matrices et l'achat des décorations, d'abord une somme annuelle
de 7,000 fr., et, à partir de 1839, une somme de 10,000 fr. Une seule fois, un
crédit supplémentaire de 5,000 fr. a été demandé par l'honorable M. Lebeau.
Quant aux propositions que le gouvernement aurait pu avoir faites pour
augmenter le crédit, propositions auxquelles il est fait allusion dans le
rapport de la section centrale, depuis douze ans que j'ai des rapports étroits
avec le département des affaires étrangères, aucun ministre, à ma connaissance,
n'a demandé l'augmentation du chiffre de 10,000 fr.
Une première fois la
chambre a voté un crédit de 60,000 francs, c'était en 1833, et il est assez
curieux de voir aujourd'hui comment ce crédit a été justifié par l'honorable M.
de Muelenaere. Les renseignements fournis à la section centrale par M. de
Muelenaere et qui ont porté la chambre à voter le chiffre, portent ce qui suit
:
« Voici la liste
des décorations demandées :
« 25
grands-croix, à 550 fr. : 8,750 fr.
« 60
commandeurs, à 300 fr. : 18,000 fr.
« 100 officiers,
à 130 fr. 13,000 fr.
« 500 chevaliers
à 30 50 fr. : 15,000 fr.
« Total :
fr. 51,750.
« Les plaques en
métal sont payées par la liste civile. »
(page 609) D'après les prévisions de cette époque, l'ordre de
Léopold ne devait comprendre que 500 chevaliers. Eh bien, dès la même année, on
en nommait plus de 600 dans l'armée française, qui tous avaient mérité cette
distinction à la prise de la citadelle d'Anvers ; si, depuis lors, on n'avait
pas obtenu des réductions dans le prix des bijoux, le crédit annuel serait
resté fort en dessous des besoins constatés.
Si nous comparons,
messieurs, le chiffre de dix mille francs aux crédits qui figurent pour le même
objet aux budgets des autres Etals, il paraîtra certainement fort minime. Je ne
parle pas des frais de chancellerie des ordres qui existent ailleurs, puisque
la chambre a déclaré qu'elle n'en voulait pas en Belgique ; c'était avant 1830,
pour l'ordre de Guillaume, 4,000 fl. de traitement au chancelier seulement, et
autant au chancelier de l'ordre du Lion Belgique, sans compter le salaire des
employés.
Mais si l'on met le crédit pour l'achat de décorations
de notre budget en regard de celui qui figure au budget de la Hollande, par
exemple, on trouve que sur la somme de 90,800 fl. alloués pour les deux ordres de
ce pays le chiffre pour l'achat des décorations, dans un Etat plus petit que le
nôtre, s'élève à 3,800 florins, c'est-à-dire 8,042 francs ; en outre, le roi
des Pays-Bas a un troisième ordre de chevalerie, celui de la Couronne de Chêne,
dont la dépense n'est pas comprise dans ce chiffre. Au surplus, messieurs, dans
les Pays-Bas et ailleurs, les bijoux donnés aux décorés doivent être rendus à
l'Etat en cas de promotion ou de décès. Eh bien, si cette mesure existait chez
nous, il est probable que dès à présent aucun crédit ne serait plus nécessaire
pour achat de décorations.
Je pense, messieurs,
que ces faits suffiront pour vous faire comprendre plus exactement
l'organisation de l'ordre de Léopold et la mesure des sacrifices que le pays a
faits pour cette institution que, je le répète, il est dans l'intérêt de tous
de rendre respectable et respecté.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je commencerai par
faire remarquer à la chambre qu'il y avait nécessité absolue de demander un
crédit supplémentaire pour achat de décorations de l'ordre de Léopold. En
effet, lorsque le cabinet actuel est arrivé aux affaires, non seulement le
crédit de 10,000 francs porté au budget de 1847 était entièrement épuisé, mais
il y avait déficit sur plusieurs années précédentes. Il était donc
indispensable de demander un crédit supplémentaire pour pouvoir rentrer dans
l'état normal.
Il y avait un
précédent de la chambre pour nous guider aussi dans cette circonstance ; car en
1840, lorsque le ministère de cette époque arriva au pouvoir, l'honorable M.
Lebeau, alors ministre des affaires étrangères, se trouvant aussi en présence
d'un déficit, est venu demander à la chambre un crédit supplémentaire, et la chambre
a voté le crédit à l'unanimité moins deux voix, celle de l'honorable M. de
Garcia et celle de M. Seron.
Aujourd'hui,
messieurs, la commission qui a examiné le projet ne suit pas ce précédent, mais
elle vient proposer à la chambre de rejeter le crédit supplémentaire. Je ne
puis nullement me rallier à une semblable proposition. Je crois que ce serait
vraiment là un rigorisme trop absolu.
Chaque année,
messieurs, des demandes de crédit supplémentaires sont soumises à la
législature, et jusqu'à présent une proposition de rejet n'a point encore été
faite ; ce serait donc là une innovation qui n'aurait point d'exemple dans nos
annales parlementaires.
Je crois aussi que la
commission ne devrait pas fortement insister en faveur de sa proposition, car
je crois qu'elle aura atteint le but principal qu'elle veut atteindre. Ce but,
c'est que le crédit ne soit plus dépassé à l'avenir. Eh bien, messieurs, je
prends volontiers l'engagement, et le cabinet entier est d'accord, de rester
dans les limites du crédit de 10,000 francs porté annuellement au budget.
Je crois qu'il y a là
suffisance pour les besoins de l'ordre de Léopold. S'ul se présentait cependant
une circonstance tout à fait exceptionnelle, tout à fait extraordinaire, qui
forçât à dépasser les limites du budget, je m'empresserais de la faire
connaître à la législature et de demander le supplément qui serait nécessaire.
Eh bien, messieurs,
lorsque cet engagement est pris et lorsque, d'un autre côté, les observations de
la commission et la discussion à laquelle elles ont donné lieu dans cette
enceinte, viennent ajouter une nouvelle garantie pour l'avenir, je ne vois pas
pourquoi la chambre irait adopter une mesure aussi rigoureuse que celle qui est
proposée et qui consisterait, en définitive, à faire payer aux ministres
précédents le déficit que présentent les crédits en question.
J'attirerai aussi
l'attention de la chambre sur ce qu'une pareille mesure pourrait avoir de
défavorable à l'ordre de Léopold lui-même, aux yeux de l'étranger. Il est
évident que si ceux qui ont reçu la décoration de l’ordre de Léopold, à
l'étranger, surtout depuis quatre années, apprenaient que leur décoration dût
être payée par les ministres qui ont proposé au Roi de la leur décerner, cela produit
ail un effet très défavorable à l'ordre lui-même.
Messieurs, je ne
crois pas avoir à discuter les motifs qui ont déterminé mes honorables
prédécesseurs à dépasser les crédits portés au budget ; je crois qu'eux seuls
sont à même de justifier leurs actes et de faire connaître les circonstances
qui les ont engagés à les dépasser.
Du reste, l'honorable
M. Dechamps a déjà rempli cette tâche, en ce qui le concerne ; je regrette que
M. le général Goblet ne siège plus ici ; je suis persuadé qu'il aurait aussi présenté
des motifs à l'appui de ce qu'il a fait, à cet égard, sous son administration.
Je dois convenir
cependant qu'au point de vue des crédits qui sont portés annuellement au
budget, ce qui annonce de la part de la législature la volonté formelle que la
somme allouée ne soit pas dépassée, la mesure est sujette à critique ; mais
pour apprécier les décorations qui ont été accordées, et les sommes qui ont été
dépensées, il faut s'être trouvé dans les circonstances à propos desquelles
elles ont été décernées.
Messieurs, un des
membres de la section centrale, qui a fait insérer dans le rapport ses
observations particulières, prétend que si le crédit de 19,000 fr. était
rejeté, il retomberait sur tous les ministères depuis 1814, y compris le
ministère actuel.
Je dois faire une observation à cet honorable membre ;
c'est que le ministère actuel, loin d'avoir dépassé la limite du crédit porté
au budget, est resté même au-dessous de celte limite. Le ministère a été nommé
le 12 août, au 1er janvier il y avait donc 4 mois 20 jours qu'il était aux
affaires ; or, il n'a dépensé pour décorations qu'un peu plus de 1,000 fr. Il
est donc resté au-dessous des limites qui lui étaient assignées par le budget.
Je ferai remarquer,
en outre, que la plupart de ces décorations ont été accordées par suite de
l'exposition industrielle et de l'exposition agricole, et que le pays a
applaudi sans réserve à cette distribution. Ainsi, du moment que le cabinet est
resté en dessous de la somme dont il pouvait disposer par suite du vote annuel
de la législature, je ne pense pas qu'il y ait lieu de lui adresser le moindre
reproche.
M. Delfosse. - Messieurs, je ne
suivrai pas l'honorable M. de T'Serclaes dans son excursion statistique sur
l'ordre de Léopold ; je reconnais volontiers que l'honorable membre est plus
compétent que moi en cette matière et qu'il aurait moins que personne besoin de
l'ouvrage dont il a néanmoins demandé la publication, et que je crois inutile ;
je me bornerai à expliquer, en peu de mots, les motifs qui m'ont engagé à
m'associer à la majorité de la section centrale.
Messieurs, rien n'a
contribué à gâter et à perdre les prédécesseurs des ministres actuels, comme
l'indulgence trop grande que l'ancienne majorité a toujours eue pour eux, comme
la facilité avec laquelle elle a toléré les abus ; si l'ancienne majorité avait
mis plus de fermeté, plus d'énergie dans le contrôle qu'elle était appelée à
exercer sur les actes du pouvoir, le gouvernement, devenu plus circonspect, eût
commis moins de fautes, et le corps électoral ne se serait peut-être pas montré
aussi sévère dans l'arrêt qu'il a rendu le 8 juin.
Messieurs, vous vous
souvenez tous des nombreuses demandes de crédits supplémentaires qui nous ont
été constamment soumises, pour des dépenses faites en dehors du budget, et sans
l'autorisation préalable des chambres. Ces crédits supplémentaires étaient
tellement considérables qu'on pouvait regarder le vote des budgets comme une
garantie illusoire, comme une vaine formalité.
Je ne sache pas, et
ce fait vient d'être signalé par M. le ministre des affaires étrangères, que
l'ancienne majorité ait eu le courage de rejeter une seule de ces demandes de
crédits supplémentaires. Elle se plaignait, il est vrai, des irrégularités qui
étaient commises ; elle allait même quelquefois jusqu'à les blâmer avec
amertume, jusqu'à menacer le ministère de le rendre personnellement
responsable, si elles se reproduisaient encore.
Mais, messieurs, les
ministres ne tenaient aucun compte, ils se riaient même de cette menace qui ne
se réalisait jamais, semblables à ces enfants gâtés dont les parents, trop
faibles pour punir, se bornent à gronder, quelle que soit la gravité de la
faute.
Je reconnais qu'il y
a dans les budgets un certain nombre d'allocations, sujettes à de telles éventualités
qu'elles peuvent facilement être dépassées sans le concours et même à l'insu du
ministre, et j'admets dans ce sens et dans cette limite les observations qui
ont été présentées tout à l’heure l’honorable M. Dechamps. Il faut, pour être
juste, tenir compte de cette circonstance, de ces éventualités qui ne dépendent
pas d'un ministre, dans l'examen des demandes de crédits supplémentaires ; il
faut surtout les accueillir, s'il est démontré que l'Etat a profité des
dépenses faites, qu'il en a retiré une utilité égale ou à peu près égale à la
charge qu'elles font peser sur le pays.
Mais, messieurs, il
faut bien reconnaître aussi qu'il n'y a pas moyen de placer dans cette
catégorie le crédit supplémentaire qui nous est demandé pour l'ordre de
Léopold.
Je pose en fait et
chacun de vous admettra qu'il n'y a pas au budget d'allocation à laquelle il
soit plus facile de se renfermer que dans celle-là ; et quelle utilité, je vous
le demande, le pays a-t-il retirée des décorations accordées dans les derniers temps
avec si peu de discernement et tant de prodigalité? Il ne s'agit pas seulement,
comme l'honorable M. Dechamps voudrait le faire croire, de décorations
accordées à des étrangers, à l'occasion de traités internationaux ; il s'agit
surtout de décorations conférées, à l'approche des élections, pour services
électoraux, à des hommes qui en étaient peu dignes. C'était là un de ces petits
moyens auxquels les ministres qui ont été renversés le 8 juin avaient recours
pour influencer les élections, moyen doublement coupable en ce qu'il frappait
de discrédit un ordre qui ne peut avoir de valeur qu'autant qu'il est réservé
au vrai mérite, et en ce qu'il était une atteinte portée à la moralité
publique.
L'honorable M.
Dechamps nous a parlé de prérogative royale. Qu'il me permette de le lui dire,
il a eu grand tort en faisant intervenir le nom du Roi dans ce débat ; je ne
connais pas de prérogative royale qui ne soit subordonnée au contreseing et à
la responsabilité ministérielle. Lorsque (page
610) l'honorable M. de Theux
est venu, il y a quelques années, blâmer dans cette enceinte la décoration
conférée à un honorable citoyen qu'il avait lui-même investi de hautes
fonctions et que les électeurs de la ville de Liége avaient jugé digne de
siéger au conseil communal, l'honorable M. de Theux commettait une haute
inconvenance, mais il n'attaquait pas la prérogative royale.
Messieurs, c'est pour
les raisons que je viens d'indiquer, c'est surtout parce que je ne veux en
aucune manière, prêter mon concours à des tripotages électoraux, que je me suis
associé à la majorité de la section centrale. Si vous partagiez notre avis, si
vous preniez une résolution conforme aux conclusions que nous avons eu
l'honneur de vous soumettre, cette résolution aurait une immense portée, non comme
peine pécuniaire, car, qu'est-ce qu'une somme de 19 mille francs à payer par un
certain nombre de ministres dont la plupart sont largement pensionnés pour des
services qu'ils n'ont pas rendus, qu'est-ce qu'une peine aussi légère après
celle que le corps électoral leur a infligée le 8 juin ? Votre résolution
aurait une immense portée, en ce qu'elle serait une leçon pour l'avenir, et un
avertissement salutaire pour le pouvoir.
Messieurs les ministres me diront peut-être qu'ils
n'ont besoin ni de leçon ni d'avertissement, qu'ils connaissent leurs devoirs
et qu'ils sauront les remplir. J'ai, messieurs, une grande confiance dans le
ministère, je connais ses bonnes intentions et son bon naturel ; mais je
connais aussi les écueils du pouvoir, ils sont grands. Je pourrais me borner à
dire à MM. les ministres que s'ils peuvent répondre d'eux, ils ne peuvent pas
répondre de leurs successeurs. J'irai plus loin et je leur dirai : Les écueils
du pouvoir sont grands ; pour les éviter, vous n'aurez pas trop des conseils et
des avertissements, quelquefois de la sévérité de vos amis.
M.
de Theux. - Messieurs, nous n'acceptons en aucune
manière, comme une peine, le résultat des élections du 8 juin ; que l'honorable
M. Delfosse en soit bien persuadé. Dans tous les gouvernements représentatifs,
les élections amènent souvent, non seulement des changements de cabinet mais
des changements de système. Le pays a plus tard à apprécier s'il a à se
féliciter des modifications qui ont eu lieu à la suite des nouvelles élections.
Ceci rentre dans le domaine de l'histoire. Ce n'est pas en présence d'une
administration déchue, d'une politique renversée et d'une administration et
d'une politique nouvelles, qu'on peut apprécier, pour le pays, le mérite des
élections. C'est l'histoire, plus impartiale que les hommes qui ont pris part
aux luttes électorales et aux débats parlementaires, qui fait à chacun sa juste
part.
L'honorable membre a
parlé de profusion de décorations données dans un sens électoral. Je proteste
de toutes mes forces contre une semblable allégation. J'insiste pour que M. le
ministre des affaires étrangères veuille bien faire droit à la demande de
l'honorable M. de T'Serclaes concernant la publication du travail relatif à
toutes les décorations données depuis l'institution de l'ordre.
En ce qui concerne
les deux dernières années, je ferai remarquer que si on fait la comparaison des
décorations données en 1846 et en 1847, on trouvera que le nombre des
décorations données en 1846 dépasse de beaucoup celui de 1847, quoiqu'en 1846
il n'y ait pas eu d'élections.
Messieurs,
l'honorable membre, comme de coutume, a fait le procès à l'ancienne majorité,
en raison d'une prétendue complaisance ou facilité qu'elle aurait montrée pour
les ministères précédents, en ce qui concerne les demandes de crédits
supplémentaires ; quand je dis : ministères précédents, je parle de tous les
ministères qui ont gouverné le pays depuis 1831 ; car il ne s'agit pas du
dernier ministère dans cette affaire. Eh bien, pour réfuter les assertions de
l'honorable membre, il faudrait reprendre une à une toutes les demandes de
crédits supplémentaires et établir une discussion qui ne prendrait pas une
séance, mais que nous ne pourrions pas terminer en 15 jours. Aussi me
garderai-je bien d'entreprendre cette tâche.
Je ne ferai qu'une
seule remarque, c'est qu'à mesure que le gouvernement a duré il a acquis une
plus grande expérience, une connaissance plus exacte des besoins des divers services
et pétitionné des crédits plus certains, plus proportionnés aux besoins réels
de ces services. Mais, messieurs, je me permettrai de rendre la chambre
attentive à ce point, c'est que plus les demandes de crédits supplémentaires
deviendront rares, plus les dépenses de l'Etat s'accroîtront. Cette
observation, je l'ai déjà faite à propos de la trop grande division des
dépenses en articles. J'ai dit en plusieurs occasions, et l'expérience a
justifié mes paroles, que plus on divise les dépenses en articles, plus le
ministère, pour n'avoir pas d'insuffisance, est obligé d'en majorer le chiffre.
Je dis aussi que plus
la chambre adressera de critiques sévères aux demandes de crédits
supplémentaires, plus les ministres grossiront les chiffres des divers articles,
pour ne plus se trouver dans le cas de venir avec des demandes semblables.
Je sais qu'il importe
que les dépenses soient, autant qu'il est humainement possible, prévues avec
exactitude dans le budget présenté à nos délibérations. Je le comprends parfaitement.
Mais vous serez toujours placés entre ce double écueil de voter des crédits
insuffisants et d’accorder des crédits supplémentaires, ou bien d'accorder à
l'avenir des crédits plus considérables que ne le réclament les besoins réels
du service. Or on sait que, quand un crédita été voté, il y a toujours une
grande tendance à le dépenser intégralement.
En ce qui concerne
l'excédant des dépenses sur certains crédits, quiconque a été quelque temps
dans l'administration sait parfaitement combien, en raison du travail dont te
ministre est personnellement chargé, il lui est difficile, malgré la plus
stricte surveillance, de ne pas être surpris à la fin de l’année par une
insuffisance de crédit, parce qu'il se révèle des besoins impérieux auxquels il
faut faire face, et que son attention n'a pas été suffisamment appelée sur la
situation du crédit, au moment où les dépenses ont été ordonnées. Cette
observation s'applique, non pas à des excédants considérables, mais à de
faibles excédants sur les crédits alloués.
Si l’on veut que les
ministres se renferment strictement à l’avenir dans les limites des articles du
budget, et qu'il ne soit plus accordé aucun crédit supplémentaire, à moins
qu'il n'y ait insuffisance d'après la législation existante, on ne trouvera plus
d'homme possédant quelque chose, qui veuille accepter la position ministériel.
Ou bien les ministres seront obligés d'exiger des cautionnements des employés
de l'administration pour tout excédant de dépenses sur les crédits et de les
rendre responsables lorsqu'ils n'auront pas suffisamment averti le ministre.
Voilà où vous conduirait une règle absolue.
Je n'aurais pas
présenté ces observations si l'honorable M. Delfosse n'était pas entré dans des
considérations politiques. J'aurais attendu une autre occasion où l'on aurait
discuté cette question des crédits supplémentaires, car l'objet dont il s'agit
est trop minime pour comporter une discussion étendue.
M. de La
Coste. - Je ne me serais pas occupé spécialement de
cette affaire, si je n'avais fait partie de la commission, et je n'aurais pas
demandé la parole, si l'opinion que j'ai émise dans la commission n'avait donné
lieu à des observations de la part de M. le ministre des affaires étrangères.
Je n'ai entendu adresser aucun reproche à M. le ministre, ni au cabinet actuel,
en énonçant un fait que je crois exact et qui me paraît confirmé par ce qu'a
dit ce ministre lui-même ; c'est-à-dire que le crédit comprend également une
somme pour des dépenses de. 1847 qui se rapportent au cabinet actuel.
M. le ministre des
affaires étrangères a dit qu'il n'avait pas dépassé les limites du crédit
alloué par les chambres. Je pense que cela doit s'entendre en ce sens qu'il n'a
pas dépassé la proportion de l'allocation, mais non qu'il n'a pas dépassé le
crédit, puisque celui-ci était déjà épuisé. Par conséquent, les nouvelles
dépenses ont été un nouveau surcroît d'excédant.
Je le répète, je
n'adresse à M. le ministre des affaires étrangères on au cabinet aucun
reproche. J'ai exposé la chose comme j'ai compris qu'elle est réellement, et,
en effet, si le crédit supplémentaire demandé n'était pas en partie destiné,
comme je l'ai supposé, à couvrir des dépenses faites par le cabinet actuel, il
faudrait nécessairement que le ministère nous demandât un autre crédit
supplémentaire pour les dépenses qui le concernent spécialement.
Comme il n'a pas fait
de proposition semblable, j'ai dû croire que cette dépense était comprise dans
le crédit en discussion. Mon observation n'a pas plus de portée ; elle ne va
pas plus loin.
Du reste, je n'ai pu me joindre à la commission, non
que j'attachasse à cette question une bien grande importance. Mais appelé à
donner mon opinion, je l'ai donnée loyalement. Je pense, eu effet, qu'il serait
fort rigoureux de rejeter le crédit et surtout, qu'il me soit permis de le dire
tout en respectant les opinions d'autrui, que cette rigueur ne serait pas très
bien placée, dans une occasion où notre refus nous mettrait dans un contact
plus ou moins désagréable avec l'étranger. Il vaudrait mieux, selon moi,
réserver une semblable sévérité pour une affaire purement domestique, pour une
affaire qui ne regarderait absolument que l'intérieur du pays.
En outre, je n'ai pas
foi dans les petites économies ; je crains qu'elles ne fassent tort aux
grandes. Lorsqu'une assemblée a fait l'effort de rayer quelques milliers de
francs, il semble que ses forces soient épuisées, et qu'elle ne puisse plus
retrouver la même rigueur lorsqu'il s'agit de dépenses beaucoup plus
considérables, et qui doivent avoir pour résultée d'aggraver bien autrement les
charges du pays.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je ne répondrai
que quelques mots à l'honorable préopinant, parce que je désire ne pas
prolonger cette discussion au-delà de ses limites naturelles. L'honorable
préopinant croit que si le crédit était rejeté, il incomberait au cabinet
actuel d'en payer sa quote-part, en raison des décorations qui ont été
accordées depuis le 12 du mois d'août. Il ne veut pas faire un reproche au
cabinet actuel, dit-il, mais cependant il le place sur la même ligne que les
ministères précédents.
Le cabinet actuel a fait ce qu'il devait faire : il a
présenté à la chambre, dès qu'elle s'est réunie, un projet de loi de crédit
supplémentaire ; il ne pouvait pas faire plus. Mais qu'arriverait-il si la
chambre rejetait ce crédit ? Ce serait un blâme, ou, si l'on veut, une pénalité
; ce serait en quelque sorte une amende que devraient payer les ministres qui
ont contresigne les arrêtés par lesquels ont été conférées les décorations.
Or, il faut en
convenir, on ne pourrait pas faire peser cette pénalité sur les ministres qui
sont restés bien au-dessous de ce que, proportion, gardée, il leur était permis
de dépenser pour cet objet. Ils ont été à la tête des affaires, en 1847,
pendant 4 mois 20 jours ; ils pouvaient dépenser plus du tiers du crédit, ou
3,810 fr. ; les décorations qui ont été accordées pendant ce laps de temps
n'ont coûté que 1,081 fr. Ils sont restés bien au-dessous des limites qu'il
leur était permis d'atteindre. Les observations de l'honorable préopinant ne
sont donc nullement applicables au ministère actuel.
(page 611) M. Verhaegen. - Les critiques dont
la demande d'allocation supplémentaire a été l'objet ne sont pas de nature,
comme l'a craint l'honorable M. de T'Serclaes, à jeter du discrédit sur l’ordre
de Léopold ; au contraire, je prétends qu'elles sont de nature à rehausser
l'ordre. En forçant le gouvernement à être moins prodigue dans la collation des
décorations, on fera attacher plus de prix à cette distinction.
Messieurs, il faut
bien dire à cet égard toute ma pensée. Aujourd'hui tout le monde est décoré ;
et bientôt la véritable distinction sera de ne pas avoir de décoration. C’est à
ce point de vue que je considère les choses, et je maintiens ce que j'ai eu
l'honneur d'avancer, que les observations critiques sont plutôt de nature à
rehausser l'ordre de Léopold.
Messieurs, mon
honorable ami M. Delfosse vous a dit, et j'irai même plus loin que lui, qu'il
serait inconcevable d'accorder un crédit supplémentaire pour encourager la
corruption électorale. Je dirai que ce serait une immoralité ; el ici je
réponds à l'honorable M. de Theux qui nous disait tantôt que jamais des
décorations n'ont été données pour des services électoraux. Je lui répondrai
qu'il s'est trompé, et que s'il voulait se rappeler quelques-unes de ces
décorations données, non pas seulement la veille ou le lendemain des élections,
mais le jour même, il ne tiendrait pas ce langage. Je me rappelle, et ici
j'aurai l'honneur de rafraîchir la mémoire de quelques-uns de mes honorables
collègues, qu'en 1845, au mois de juin, lorsque le gouvernement d'alors
combattait l'élection, dans l'arrondissement de Nivelles, d'un honorable membre
qui siège aujourd'hui parmi vous, on avait mis tout en œuvre, on avait mis en
campagne tous les employés de l'administration des finances, et ce fut alors
que certain employé de cette administration, un inspecteur, si je ne me trompe,
qui avait rempli son rôle à la satisfaction du gouvernement, fut décoré par
arrêté du jour même, signé à quatre heures de l'après-midi.
Messieurs, ce n'est
pas seulement pour des services électoraux qu'on a donné des décorations. Cette
distinction qu'on voudrait voir respecter, mais, vous vous le rappelez tous,
elle a été donnée comme une simple commission d'un emprunt pour Guatemala. Vous
le savez, il y a eu, dans cette occasion, deux décorations données, mais on n'a
pas osé insérer l'une des deux dans le Moniteur.
Qu'on ne vienne donc
pas dans cette enceinte nous donner des démentis. Des décorations ont été
données comme ressorts de corruption et d'intrigue ; et quand on dépasse le
crédit qui a été alloué pour atteindre un pareil résultat, je crois que le seul
moyen de rappeler le gouvernement à ses devoirs, c'est de laisser pour son
compte la somme excédant le crédit porté au budget.
Messieurs, comme on
vous l'a fort bien dit, la circonstance est favorable pour prendre une
semblable mesure, parce que la somme n'est pas trop forte. Si elle était trop
élevée, l'exécution ne la mesure que nous appuyons deviendrait, dans certaines
circonstances, impossible.
Au reste, messieurs,
nous trouvons ailleurs des exemples de pareilles mesures. Vous vous rappelez
qu'en France, en 1829, lorsqu'il s'est agi d'apurer les comptes des années
précédentes, on trouva que M. de Peyronnet avait fait une dépense assez
considérable, je crois qu'elle était d'une quarantaine de mille francs, pour
une salle à dîner. On raya cette somme des comptes et on la laissa à charge de
M. de Peyronnet.
C'est ce qu'on vous propose de faire dans cette
circonstance. L'ordre de Léopold, croyez-le bien, n'y perdra rien, et la leçon qui
sera donnée aura une grande utilité. La dignité de l'ordre, je le dis encore,
ne pourra qu'y gagner. Moins il y aura de décorations, et plus elles auront de
l'importance.
Je pense donc que la
chambre fera chose très sage que de se rallier à la conclusion de la section
centrale ; et pour mon compte, en le faisant, je croirai avoir rempli un devoir
de bon citoyen.
M. Tielemans. - Messieurs, je me
demande où nous conduira le vote que la section centrale provoque. L'honorable
M. Dechamps vous a adressé une question extrêmement simple ; il vous a demandé
: En définitive, qui payera? L'honorable M. Osy lui a répondu que les ministres
payeraient, parce qu'ils sont responsables. C'est aussi mon avis ; tout
ministre est tenu, sous sa responsabilité, de ne pas dépasser les crédits
alloués. L'ancien ministère payera donc.
Mais comment
payera-t-il ? Et voyons où notre vote nous conduira. C'est là une question très
grave, et sur laquelle je vous demande d'appeler un instant votre attention.
Messieurs, la dépense
est faite ; il y a des créanciers qui doivent être payés de cette dépense. Ils
s'adresseront à l'Etat, parce que c'est à l'Etat qu'ils ont fourni, parce que
c'est l'Etat qui est censé en possession des objets livrés. Il a eu beau les
remettre à des personnes du pays ou à des personnes étrangères, il n'en est pas
moins vrai que l'Etat est censé en possession des objets fournis. On demandera
donc d'abord payement à l'Etat, et l'Etat sera condamné à payer.
L'Etat aura, j'en conviens, son recours contre le
ministre. Mais comment les ministres, à leur tour, seront-ils traduits en
justice pour avoir excédé le crédit voté par les chambres? Il ne faudra ni plus
ni moins qu'une mise en accusation ; et je vous demande si votre intention est de
porter un vote qui ait cette conséquence?
Je ne connais pas
d'autre moyen de procéder que celui-là. Les créanciers s'adresseront à l'Etat.
L'Etat sera condamné à payer. L'Etat aura son recours contre les ministres par
la voie de la responsabilité ministérielle. Voilà la portée du vote. Pour moi,
je l'accepte, mais je veux que tout le monde en soit averti.
M. Mercier. - Je crois de mon
devoir de déclarer à la chambre que l'honorable M. Verhaegen est dans l'erreur,
quand il pense que la décoration accordée à un fonctionnaire qu'il a indiqué
lui aurait été décernée pour services électoraux ; j'affirme sur l'honneur que
la décoration à laquelle il a été fait allusion était promise à cet honorable
fonctionnaire par M. le ministre de l'intérieur, plus d'un an avant les
élections, pour les services qu'il avait rendus en qualité de colonel de la
garde civique ; plusieurs décorations ont été décernés, à différentes
époques, pour de semblables services. La coïncidence des dates, signalée par
l’honorable député de Bruxelles, peut être fâcheuse, puisqu’elle a donné lieu à
des observations ; cependant je ferai observer que s'il se fût agi, comme on
l'a supposé, de stimuler le zèle électoral d'un fonctionnaire, on eût été assez
maladroit de ne prendre l'arrêté qui accorde la décoration que le jour même de
l'élection. Du reste, je l'affirme de nouveau, ce fait est complètement
étranger aux élections de l'arrondissement de Nivelles.
M. Delfosse. - Je dois dire un
mot en réponse à l'honorable M. Tielemans. Si l'observation de l'honorable
membre pouvait être prise en considération, il en résulterait que la chambre ne
pourrait rejeter aucune demande de crédit supplémentaire. Une opinion qui
conduit à ce résultat, que la chambre serait forcée d'admettre toutes les
demandes de crédits supplémentaires présentés par le gouvernement, ne peut pas
être admise ; elle est bien certainement fausse.
L'honorable M. Tielemans paraît croire qu'on ne peut
avoir raison d'un ministre qui a mal géré, qu'au moyen d'une mise en
accusation. C'est une erreur : la mise en accusation doit être réservée pour
des cas graves, pour des faits que l'on peut qualifier de crimes ; mais le
droit qu'a la chambre de mettre les ministres en accusation ne préjudicie en
aucune manière à la responsabilité pécuniaire qui peut peser sur eux. Il est
certain qu'un ministre qui dépasse sans motifs plausibles le mandat qu'il a
reçu des chambres peut être pécuniairement responsable. C'est là une doctrine
qui n'a jamais été contestée et dont la chambre française, l'honorable M.
Verhaegen vous l'a dit tantôt, a fait l'application à M. de Peyronnet.
(page 613) M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ainsi, messieurs,
que l'a fait observer noire honorable collègue des affaires étrangères, le
cabinet actuel peut se considérer comme tout à fait désintéressé dans la
question soulevée devant vous. La chambre comprendra qu'un sentiment de
convenance nous engage à combattre les propositions de la section centrale ;
toutefois en votant contre cette proposition nous n'entendons pas approuver
explicitement ou implicitement ce qui a pu être fait par les administrations
précédentes dans la collation d'un certain nombre de décorations. Nous croyons
que, sous ce rapport, il y a eu, à diverses époques, des abus véritables.
Nous croyons, en
outre, qu'il y a eu à diverses époques des coïncidences fâcheuses. Certains
services, oubliés jusque-là, ont paru tout à coup se révéler à quelques jours
de date des élections, notamment dans certains districts où les ministres qui
avaient les décorations dans leurs attributions, étaient portés et étaient
combattus.
Nous croyons que ces
coïncidences étaient fâcheuses, et nous n'entendons pas approuver aujourd'hui
ce que nous avons blâmé, ce que bien certainement nous aurions blâmé si nous
étions resté dans les rangs de l'opposition.
L'honorable M.
Dechamps a pensé que cette matière était d'une nature délicate, trop délicate,
en quelque sorte, pour être soumise, de la part de la chambre, à un examen
sévère ; il a cru voir dans la collation des décorations une prérogative plus
ou moins personnelle de Sa Majesté. Messieurs, nous ne partageons pas l'opinion
de l'honorable M. Dechamps à cet égard ; nous croyons que l'acte qui consiste à
conférer une décoration ou un titre de noblesse à un citoyen belge ou à un
citoyen étranger, que cet acte rentre très directement dans les matières sur
lesquelles la chambre peut exprimer un jugement et un blâme.
Aucune de ces
décorations, aucun de ces titres ne peut être conféré sans le contreseing
ministériel, sans la responsabilité ministérielle et, en conséquence, le
ministère doit rendre compte à la chambre de tous les actes ainsi posés. Nous
ne connaissons point, en cette matière, d'acte qui puisse échapper à la
responsabilité d'un ministre. Je ne puis donc, pour ma part, je ne puis donc
point blâmer les observations très justes, à beaucoup d'égards, présentées par
plusieurs de mes honorables amis relativement à certaines décorations dont il a
été fait un éclatant, un regrettable abus. Seulement la chambre comprendra que
le ministère actuel ne peut point, sans manquer en quelque sorte aux
convenances, s'associer à la proposition faite par la section centrale. Il
votera donc contre cette proposition.
(page
611) M. le président. - Si personne ne
demande plus la parole, je déclarerai la discussion close sur l'ensemble de
l'article.
Plusieurs membres. - La division ?
M. le ministre des
affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). – J’ai des
observations à présenter sur la rédaction que la section centrale propose au
deuxième paragraphe.
M. le président. - Je mettrai aux
voix la division.
- La division est
adoptée.
Vote sur l’article unique
« § 1er. 1,777 fr., à
l'article 4 du chapitre premier : Pensions des fonctionnaires, employés,
et gens de service. »
- Adopté.
« § 2. 19,000 fr. à
l'article 7 : Livraison de bijoux, rubans, etc. (décorations de l'ordre de
Léopold). »
Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé au
vote par appel nominal.
En voici le résultat
:
62 membres ont
répondu à l'appel.
34 ont répondu oui.
28 ont répondu non.
En conséquence, le
chiffre est adopté.
Ont répondu oui : MM.
de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Roo, de Sécus, de Terbecq,
de Theux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, d'Huart, Fallon, Frère-Orban, Lejeune,
Liedts, Mercier, Orban, Pirmez, Raikem, Rodenbach, Rogier, Simons, Troye, Van
Cutsem, Vandensteen. Veydt, Vilain XIIII, Zoude, d'Anethan, Dechamps, de
Chimay, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem.
Ont répondu non : MM.
Delfosse, Desaive, Destriveaux, de Tornaco, de Villegas, Eenens, Henry-Vispoel,
Jonet, Lange, Lesoinne, Loos, Lys, Moreau, Osy, Sigart, Tielemans, Tremouroux,
Van Cleemputte, Verhaegen, Anspach, Bricourt, Broquet-Goblet, Cans,
Dautrebande, David, de Bonne, de Breyne, de Garcia de la Vega.
La suite de la
discussion est remise à demain.
- La séance est levée
à 4 heures trois quarts.