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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 21 février 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 868) M. de Villegas procède à l'appel nominal à 2 heures 1/4.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Villegas présente, l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Brauwers, docteur en médecine à Louvain, présente des observations contre la disposition du projet de loi sur le notariat, relative aux honoraires. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Plusieurs électeurs, propriétaires, industriels, négociants, cultivateurs, etc., à Braine-le-Château, prient la chambre de rejeter toute proposition d'emprunt ou d'impôt nouveau. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif au droit de succession.


« La veuve Rysenaer réclame l'intervention de la chambre pour que son fils Albert Cornet, engagé volontaire au 10ème régiment de ligne, obtienne un congé temporaire. »,

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Longest se plaint du refus de communication de pièces sur lesquelles on s'est basé pour le faire renvoyer de ses fonctions de bourgmestre de la commune de Farges. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Couvin prient la chambre de prendre des mesures propres à soulager la misère qui règne à Couvin et dans les environs. «

M. de Baillet-Latour. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission, avec invitation de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Kinroy demande le rétablissement des droits d'entrée sur le bétail. »

« Même demande des conseils communaux d'Ophoven et de Kessenich. »

- Renvoi à la commission d'industrie.


« L'administration communale de Lambusart prie la chambre de s'occuper du projet de loi relatif à la délimitation des communes de Lambusart et de Moignelée. »

- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet.


« Le conseil communal d'Embourg demande que cette commune soit réuni au canton de Louvegnez, dont le chef-lieu serait transféré à Beaufays. »

- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.


« Le sieur Dufresnoy présente des observations concernant le projet de loi sur le notariat. »

« Mêmes observations des sieurs Wadeleux et Van Overstraeten»».

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. Faignart, retenu chez lui pour des affaires urgentes, demande un congé de quelques jours.

- Accordé.


Même demande de M. de Garcia.

- Accordé.

Projet de loi qui exempte des droits de timbre et d'enregistrement les actes des conseils de prud'hommes

Discussion générale

M. T'Kint de Naeyer. - Messieurs, d'après le rapport qui vous» été présenté par l'honorable M. Broquet-Goblet, vous avez remarqué que l'opinion de la section centrale s'est divisée sur le principe général du projet de loi qui est soumis à vos délibérations. Je demanderai à la chambre la permission de lui soumettre quelques considérations en faveur de ce projet de loi, qui a été réclamé par tous les conseils de prud'hommes du royaume, et qui est destiné à compléter la pensée qui a présidé à leur institution.

Les affaires de commerce sont très peu susceptibles de formalités ; ce sont des actions de chaque jour, que d'autres de même nature doivent suivre chaque jour ; il faut donc qu'elles puissent être décidées chaque jour. Cette opinion a été émise par l'illustre auteur de l’Esprit des lois ; si elle est d'une vérité incontestable en matières commerciales, elle ne l'est pas moins en industrie.

Il faut que le fabricant et l'ouvrier, dans les questions quotidiennes que soulève le travail, trouvent pour ainsi dire sous la main, sans perte de temps et d'argent, des arbitres plutôt que des juges. C'est dans ce but que les conseils de prud'hommes ont été établis par la loi du 18 mars 1806, et qu'une plus grande extension leur a été donnée par la loi du 9 avril 1842.

Les services que ces justices de paix de l'industrie rendent avec tant de désintéressement sont consignés dans les rapports annuels que le gouvernement a publiés. Il en résulte que sur cent affaires il n'y en a guère que quatre qui ont été renvoyées au bureau général ; toutes les autres ont été conciliées ou sont restées sans suite par l'abandon de la plainte. La confiance des justiciables n'a donc pas fait défaut, l'institution y a puisé ses premiers éléments de succès. Mais la mission des conseils a souvent été entravée par l'élévation des droits de timbre et d'enregistrement qui grèvent leurs actes ; celui d'Anvers fait observer avec beaucoup de raison, dans une pétition qui porte la date du 25 octobre 1847, que les ouvriers aiment généralement mieux faire le sacrifice de leurs prétentions à charge de leurs maîtres que de s'engager dans un procès dont les frais absorberaient et dépasseraient peut-être la valeur de l'objet en litige. Les maîtres sont arrêtés par la crainte de n'obtenir gain de cause qu'au risque de subir des frais de justice dont ils ont la certitude de n'être jamais indemnisés.

Ces abstentions présentent un double inconvénient dont il est impossible de se dissimuler la gravité ; d'un côté, elles donnent aux querelles le temps de s'aigrir, de s'envenimer, de dégénérer en ressentiments haineux ou de se traduire en coalitions ; d'un autre côté, elles ont pour résultat inévitable d'encourager par l'espoir de l'impunité les négligences ou les malversations des ouvriers qu'il est si important de prévenir et de réprimer. Cette opinion a été partagée et soutenue par les conseils de Gand, d'Anvers, d'Alost, d'Ypres et de Termonde. Celui de Gand, le plus ancien de la Belgique, puisque son institution remonte à 1810, avait pris en 1833 l'initiative de réclamations dont l'expérience vient chaque jour démontrer la justice. L'honorable auteur de la loi de 1842 était sans doute pénétré des mêmes convictions lorsqu'il soumit à l'examen de la section centrale, chargée d'examiner le projet de loi, un amendement tendant à exempter des droits de timbre et d'enregistrement les actes et pièces relatives aux poursuites ou actions devant les conseils de prud'hommes, pour toute somme n'excédant pas 100 francs.

Cet amendement fut repoussé par la section centrale par le motif que les droits de timbre et d'enregistrement forment un impôt et qu'aucune classe de citoyens ne doit en être exemptée. Cette interprétation de l'article 112 de la Constitution est sans doute trop rigoureuse, d'autant plus que le second paragraphe dit expressément qu'une exemption ou modération d'impôt peut être établie par la loi et que les mots « en faveur de l'agriculture, de l'industrie, du commerce ou des indigents », qui se trouvaient dans le texte primitif, n'ont été supprimés que pour éviter les omissions qui pourraient avoir eu lieu.

L'article 5 de la loi de 1842 qui applique aux poursuites intentées ou aux actions à soutenir par des indigents devant les conseils de prud'hommes, les articles 7 et 8 de l'arrêté loi du 21 mars 1815 et les articles 3 et 4 de l'arrêté du 24 mai 1824 consacrent d'ailleurs le principe de l'exception dans l'espèce.

L'article 70 de la loi du 22 frimaire an vu, et l'article premier de la loi du 13 brumaire an VII, ont consacré plusieurs exemptions de la formalité du timbre et de l'enregistrement.

La loi contenant institution de la garde civique dit, titre VI, article 93, que tous les actes de procédure du conseil de discipline seront sur papier-libre et que tous les actes, jugements et arrêts seront enregistrés gratis ; enfin, si ma mémoire est fidèle, je crois que les contrats des actes de concession de chemin de fer jouissent aussi de la même immunité.

(page 880) Pour être féconde, la mesure doit s'appliquer à toute la famille industrielle ; la justice des prud'hommes ne devrait pas seulement être économique, elle devrait être gratuite pour tout le monde, pour les maîtres comme pour les ouvriers. Aujourd'hui le pro Deo ne profite qu'au très petit nombre ; les ouvriers employés dans les fabriques jouissent la plupart d'un salaire qui les met à l'abri du besoin, et il est assez rare d'en trouver dans une position qui leur donne des droits à l'obtention d'un certificat d'indigence.

Je n'ai pas besoin d'insister sur la lenteur des formalités, sur le temps que l'ouvrier doit perdre pour se procurer le certificat du receveur des contributions, la légalisation de la signature du receveur par le commissaire de district, le certificat de l'administration communale, et enfin la requête sur timbre à adresser au président du conseil.

Que de démarches, que de longueurs, alors surtout qu'il s'agit habituellement de sommes de 5 à 50 francs, quelquefois même du montant d'une seule journée ! Dans son exposé des motifs, M. le ministre des finances insiste particulièrement sur la minime importance pécuniaire des affaires soumises au conseil des prud'hommes ; on comprend combien il est nécessaire de les terminer à bon marché et avec promptitude, car c'est en industrie surtout que le temps vaut de l'argent. Je puis affirmer que le pro Deo n'a jamais été demandé devant le conseil de Gand.

Si la nécessité d'une réforme est admise en ce qui concerne les poursuites et actions devant les conseils de prud'hommes, il y a des motifs plus puissants encore peut-être pour l'appliquer aux autres actes de cette juridiction et notamment aux mesures conservatrices de la propriété des marques et des dessins. Les actes qui constatent le dépôt des dessins sont assujettis à des droits de timbre et d'enregistrement souvent plus élevés que le prix réel des objets.

La variation des dessins est en général aussi grande que leur durée est éphémère. Les exigences de la mode pèsent surtout d'une manière remarquable sur l'industrie dentellière qui dans notre pays donne du travail à plus de 50 mille ouvrières. Le conseil d'Anvers, que j'ai déjà eu occasion de citer, présente à ce sujet des considérations très importantes. Les dentelles, dit-il, sont un objet de luxe qui doit son principal mérite à la nouveauté. La variation incessante des dessins, jointe à l'exiguïté de leur valeur, ne permet pas aux fabricants de faire de grands sacrifices pour s'en assurer la propriété. Les frais seraient plus supportables si, pour faire un dépôt, ils pouvaient attendre qu'ils aient réuni une collection nombreuse de dessins ; mais pour ne pas rester en butte à la contrefaçon, ils sont obligés de déposer leurs dessins au fur et à mesure qu'ils les font exécuter.

On conçoit qu'à force de se répéter, ces dépôts, dont le coût est toujours le même qu'il y ait un ou cent dessins à la fois, deviendraient pour les fabricants une charge exorbitante et tout à fait hors de proportion avec l'importance de l'objet.

Vous remarquerez, messieurs, qu'en accordant à l'industrie une protection efficace contre le plagiat et la mauvaise foi, vous protégez aussi l'ouvrier dont le salaire est souvent forcément abaissé par la lutte ruineuse que le maître doit soutenir avec la contrefaçon qui n'a pas eu les frais de l'invention à payer.

L'exemption des droits de timbre et d'enregistrement sera un nouvel encouragement pour toutes les classes d'industriels, en donnant à chacun un moyen facile d'obtenir un titre préliminaire qui les mettra à même, en cas de besoin, de revendiquer ses droits devant la justice supérieure.

Pourquoi les dessins et les modèles ne jouiraient-ils pas du même privilège que les œuvres littéraires, qu'un simple dépôt protège contre la contrefaçon ?

En France, messieurs, on a reconnu depuis longtemps la nécessité de faire peser moins lourdement sur les conseils de prud'hommes les droits de timbre et d'enregistrement. Le ministre des finances, de concert avec le ministre de l'intérieur, a rendu, le 20 juin 1809, une décision générale, qui admet des tempéraments et des exceptions que le fisc a dû repousser, en Belgique, en présence des dispositions claires et précises des lois existantes. D'après ces dispositions, les procès-verbaux, jugements et actes sont enregistrés gratis, toutes les fois qu'ils constatent que l'objet total de la contestation n'excède pas une somme de 25 francs.

A défaut de désignation de la somme faisant la matière du différend, les citations, significations ou actes, ainsi que les procès-verbaux du bureau de conciliation ou les jugements du conseil, sont soumis à un droit fixe de 1 franc.

Les procès-verbaux constatant des contraventions aux lois ou règlements en vigueur, les soustractions de matières premières, etc., sont enregistrés gratis.

Les certificats de dépôts de dessins délivrés aux fabricants reçoivent gratis la formalité.

Les trois registres tenus par le conseil de prud'hommes pour y inscrire :

1° Le dépôt des dessins fait par les fabricants ;

2° Les livres d'acquit ;

3° Le nombre de métiers et le nombre d'ouvriers de tous genres employés dans la fabrique, sont aussi exemptés du droit de timbre.

En Belgique des difficultés se sont élevées au sujet des formalités de timbre et d'enregistrement des actes des prud'hommes ; dans certaines localités, elles ont eu lieu moyennant payement des droits ; dans d'autres, elles ont eu lieu gratis, conformément à la décision de 1809.

Une instruction ministérielle du 25 août 1847, qui m'a été communiquée, rétablit l'uniformité sur ce point, en se renfermant dans l'interprétation rigoureuse de la loi de 1842 qui n'admet d'exception qu'en faveur des indigents et dans laquelle il n'y a aucune disposition autorisant l'enregistrement et le visa pour timbre gratis.

Le seul moyen de faire droit aux réclamations de l'industrie, c'était de soumettre à la législature un projet de loi sur la matière. Celui que le gouvernement vous a présenté, messieurs, réalise une première amélioration, dont la pratique et l'expérience ont démontré la nécessité.

Au milieu de la divergence d'opinions qui s'est manifestée dans les sections et dans la section centrale même, on a soutenu un système qui tendrait à n'accorder l'exemption des droits qu'à l'ouvrier présumé indigent par sa seule qualité d'ouvrier. Si cette opinion prévalait, messieurs, nous porterions évidemment atteinte au principe qui établit l'égalité de tous devant la loi. La famille industrielle serait divisée en deux camps et l'institution de paix qu'on lui a donnée deviendrait bientôt la source de luttes fâcheuses et de prétentions excessives.

Le bon sens de l'ouvrier l'a défendu jusqu'à présent contre les tentatives de ceux qui ont cherché à lui prouver que les maîtres étaient ses ennemis naturels ; il n'a jamais fait un appel inutile à leur équité.

La plupart des différends sont portés devant les bureaux de conciliation par les ouvriers eux-mêmes. Dans l'importante circonscription judiciaire de Gand sur 222 contestations il n'y en a que 21 dans lesquelles les chefs d'ateliers ont figuré comme plaignants. Voudrait-on, en présence de ces faits, armer l'ouvrier contre le maître, l'engager en quelque sorte à repousser la voie de la conciliation afin d'aggraver pour son maître les conséquences d'une condamnation ?

Il y a, d'ailleurs, entre certaines catégories de maîtres et d'ouvriers une transition pour ainsi dire insaisissable. Le tailleur qui travaille avec un ou deux ouvriers pour un entrepreneur d'un ordre plus élevé, le tisserand, la dentellière, tous ceux enfin qui, d'après l'article premier de l'arrêté organique du 10 novembre 1845 sont passibles du droit de patente, sont-ils plus à même que l'ouvrier proprement dit de faire l'avance de frais qu'ils sont en quelque sorte certains de ne jamais recouvrer ?

La justice des prud'hommes dont la mission est bien moins d'appliquer un texte de loi que de s'adresser à la raison de l'homme, à son cœur, est pour l'industrie un véritable conseil de famille. Il ne faut pas craindre d'en rendre l'accès trop facile, il vaut mieux que celui qui croit avoir des griefs puisse toujours les soumettre à une juridiction rapprochée, qui statue promptement et presque sans frais, que de laisser des germes de discorde ou de haine se développer entre ceux qui travaillent et ceux qui font travailler.

La diminution des frais n'a donné lieu, en France, à aucun inconvénient, à aucun abus, durant une période de treize années ; de 1830 à 1842, il n'y a eu pour 184,514 affaires que 5,178 jugements. Dans ces calculs, il n'est question ni des conciliations obtenues par les prud'hommes volontairement appelés comme arbitres, ni des conciliations opérées d'après les avis du président ou des secrétaires, ni des contestations que la juridiction connue a empêché de faire naître. 174,487 affaires ont donc été terminées à l'amiable et éteintes sur-le-champ sans qu'il en contât aux parties plus de 30 centimes pour chaque affaire.

On paraît craindre que la loi n'ait pour effet de diminuer les conciliations ; mais on perd sans doute de vue que, lorsque les affaires seront portées devant le bureau général, elles resteront passibles des frais taxés par le titre XI de la loi de 1809. Les droits de timbre et d'enregistrement doivent être remboursés en sus des allocations du tarif.

Vous attacherez sans doute, messieurs, une grande importance à l'opinion des conseils eux-mêmes. Bien loin de craindre l'augmentation des affaires ou l'abus, ils réclament énergiquement l'exemption de l'impôt, afin de rendre plus fécondes toutes les applications du principe de l'institution. Cette institution, messieurs, fait honneur à notre époque ; c'est un premier élément de la solution de grandes difficultés sociales.

Je comptais saisir cette occasion pour demander à M. le ministre des affaires étrangères et de la marine, que je regrette de ne pas voir ici, si les conseils de prud'hommes pêcheurs, qui avaient été institués par les arrêtés des 23 messidor an IX et 26 prairial au XI, à Ostende et à Blanckenberghe, ont été maintenus.

J'ai remarqué que, dans la loi de 1842, il n'est fait mention que de celui d'Ostende, et dans les rapports annuels insérés au Moniteur, ces conseils ne sont cités ni l'un ni l'autre. La prud'homie des pécheurs existe dans les principales villes maritimes de France ; elle était connue à Marseille dès le XVème siècle. « Si la bonne foi s'exilait de la terre, dit Mirabeau, lorsqu'il présenta les délégués de cette magistrature à l'assemblée nationale, les prud'hommes en seraient encore l'image. »

- M. Verhaegen remplace M. Liedts au fauteuil.

M. d'Anethan. - Je partage l'opinion de l'honorable préopinant sur l'utilité des conseils de prud'hommes. Quand on examine ce qui s'est passé en France de 1830 à 1844, on voit les effets salutaires que produit cette institution. Pendant ces 14 années, il y a eu 198,403 affaires portées devant les bureaux particuliers des conseils de prud'hommes. Sur ce nombre, 176,710 affaires ont été conciliées.

Ce qui a eu lieu en France prouve donc quels services rend cette institution, et combien on a sagement fait d'y donner de l'extension, en Belgique, par la loi du 9 avril 1842.

Chez nous, en 1844, sur 849 affaires, 745 ont été conciliées ; 30 seulement ont été plaidées. En 1845, sur l,060 affaires, 850 ont été conciliées ; 44 seulement ont été plaidées. Ce résultat semble ne rien laisser à désirer.

(page 881) En présence de ces faits, je suis à me demander quelle nécessité il peut y avoir de changer la loi de 1842. L'utilité des conseils de prud'hommes, qui a été parfaitement démontrée par l'honorable préopinant, m'engage dans cette circonstance à demander au gouvernement s'il a l'intention de faire droit à la réclamation qui lui a, je pense, été adressée depuis longtemps relativement à l'établissement d'un conseil de prud'hommes à Bruxelles. En 1843, la chambre de commerce de Bruxelles a fait relativement à cet objet une demande dont le fondement a été reconnu par la commission instituée au département de la justice pour chercher les moyens de venir en aide aux classes ouvrières. Le conseil communal de Bruxelles s'est récemment aussi occupé de cet objet.

Je désirerais savoir s'il y a sur ce point des difficultés que je ne prévois pas ou si le gouvernement est disposé à doter la ville de Bruxelles d'une institution qui est destinée à rendre de très grands services.

A propos du conseil de prud'hommes de pêcheurs, dont a parlé l'honorable préopinant, il a été soulevé, si je me le rappelle bien, une question de légalité. Je ne me souviens pas quelle solution a été donnée par le gouvernement à cette question, sur laquelle le département de la justice a été consulté, si mes souvenirs sont fidèles.

Je désirais, avant de présenter mes observations sur le projet de loi, déclarer que, loin d'être contraire à l'institution des prud'hommes, je l'entoure de toutes mes sympathies, et qu'ainsi les observations que j'ai à faire n'ont rien d'hostile à l'institution même.

Voyons d'abord quel a été le but de la loi qui nous est aujourd'hui soumise. Le gouvernement veut, dit-il, faciliter la mission de conciliation que doivent remplir les prud'hommes. Voilà le but de la loi. D'après l'exposé des motifs, la loi n'en a pas d'autre. Les motifs invoqués par l'honorable M. T'Kint ne sont pas ceux qui ont déterminé le gouvernement ; il ne s'est occupé, l'exposé des motifs en fait foi, que des moyens de faciliter la conciliation par conseils de prud'hommes.

Après avoir reconnu ce but, voyons quels motifs ont fait penser au gouvernement qu'il y avait lieu de modifier la loi de 1842.

Je lis dans l'exposé des motifs : « Cette juridiction, qui concilie les parties plutôt qu'elle ne prononce sur leurs différends, voit souvent ses efforts entravés par les frais qu'ont entraînés les droits de timbre et d'enregistrement sur les actes et pièces de la procédure. L'article 5 de la loi du 9 avril 1842 a déjà fait disparaître une partie de ces entraves, en autorisant les indigents à réclamer le pro Deo devant le conseil des prud'hommes. L'expérience a démontré l'insuffisance de cette disposition ; les frais considérables qu'il a fallu faire pour amener la comparution des parties ont souvent été un obstacle à la conciliation. »

Ainsi, messieurs, la présentation du projet de loi a été motivée par les frais très considérables qui sont faits devant les conseils des prud'hommes, et qui, d'après le gouvernement, entravent souvent la conciliation, but principal de l'institution des prud'hommes.

Messieurs, si tout ce qui se passe dans cette chambre ne devait pas être sérieux, si l'on ne devait pas considérer comme sérieux toutes les propositions soumises à la législature, on pourrait se demander si c'est bien sérieusement que le projet que nous discutons vous est proposé.

Comment, messieurs, dans l'exposé des motifs on vous parle des frais considérables qui entravent la conciliation des parties devant les conseils de prud'hommes, et en quatre ans il y a eu 362 fr. de frais devant les neuf conseils, ce qui fait à peu près 10 fr. annuellement, répartis sur huit ou neuf cents affaires. Je vous laisse à juger, d'après cela, combien sont effrayants les frais occasionnés par l'état des choses actuel, et de quelle valeur est l'assertion que ces frais sont de nature à entraver les tentatives de conciliation !

Messieurs, cette observation seule suffirait, me paraît-il, pour prouver qu'il était complétement inutile de venir occuper la chambre d'une question qui se réduit à diminuer de quelques centimes par affaire les frais qu'entraîne la procédure devant le conseil des prud'hommes.

Voyons au reste quels sont réellement ces frais.

Aux termes de l'article 58 du décret du mois de juin 1811, les parties peuvent volontairement comparaître devant les conseils de prud'hommes et lorsque la comparution volontaire a lieu, lorsque les parties demandent toutes deux la conciliation, ou consentent à la tenter, il n'y a aucuns frais à faire.

Lorsque les parties ne veulent pas se rendre volontairement devant les conseils de prud'hommes, quel est l'acte que l'on pose pour amener cette comparution ? Un exploit n'est pas nécessaire, mais il suffit d'une simple lettre écrite par le secrétaire du conseil des prud'hommes, et cette lettre coûte 30 centimes.

Ainsi, aucuns frais, si les deux parties comparaissent volontairement et sont véritablement animées du désir de la conciliation ; 30 centimes, si l'une des parties veut faire assigner l'autre, à l'aide d’une lettre écrite par le secrétaire du conseil.

Si, messieurs, sur cette lettre, sur cette première tentative, les parties ne comparaissent pas, la citation est donnée par l'huissier du conseil et cette citation coûte 1 fr. 25.

Voilà les seuls frais que l'on peut faire avant d'arriver devant le conseil des prud'hommes pour tenter la conciliation. C'est, au maximum, 1 fr. 25 c, ou 1 fr. 55 c. si l'on a d'abord assigné les parties par une lettre écrite par le secrétaire du conseil des prud'hommes.

D'après l'exposé des motifs et d'après le discours que vous venez d'entendre, ne serait-on pas tenté de croire qu'on a fait disparaître ces frais ? Pas du tout. Le projet de loi ne touche pas ces frais. Il les laisse subsister ; le projet n'est, en effet, relatif qu'aux droits de timbre et d'enregistrement. Il en résulte donc que l'ouvrier qui voudra citer son maître en conciliation devra nécessairement, si vous adoptez le projet, payer soit 30 centimes, soit 1 fr. 25.

Sous ce rapport il n'y a donc pas de changement. L'obstacle qui, d'après l'opinion du gouvernement, met des entraves à la conciliation, on le laisse subsister pour la plus grande partie. Le projet de loi fait renaître une disposition qui existait sous l'empire de la loi de mars 1806, d'après laquelle les prud'hommes devaient juger sans frais ni forme de procédure. Voilà ce que portail la loi de 1806, le projet actuel, en reproduisant cet article, laisse subsister tous les frais créés postérieurement à 1806, par le décret de 1809.

Examinons maintenant, messieurs, si l'exemption complète du droit de timbre et d'enregistrement est de nature à faciliter, à favoriser la conciliation, comme le prétend l'exposé des motifs. Je pense, messieurs que cette exemption aura un résultat tout à fait contraire, car lorsqu'on se trouve devant une juridiction et que l'on peut procéder sans frais, on est bien plus disposé à continuer l'instance que dans le cas où on peut craindre d'avoir à supporter des frais quelconques ; dans ce dernier cas, l'ouvrier ou le maître ne continuera pas le procès, à moins qu'il n'ait des chances d'obtenir gain de cause.

Je pense donc, messieurs, que la loi actuelle sera loin d'augmenter chez les parties les idées de conciliation. Examinant la question à un autre point de vue, je suis même d'avis que le projet amènera un résultat complètement opposé à celui qu'on veut atteindre.

En effet, messieurs, quel doit être le but du gouvernement ? Il doit avoir pour but de venir en aide aux ouvriers, d'empêcher qu'ils ne soient complètement à la merci des maîtres, de donner aux ouvriers les moyens de soutenir leurs droits contre leurs maîtres avec une certaine égalité de position.

Les facilités que la loi en vigueur accorde aux ouvriers ne sont pas de nature, sans doute, à jeter la discorde dans la famille industrielle, comme le pense l'honorable M. T'Kint de Naeyer. Je ne pense pas que les maîtres aient souffert des facilités que la loi de 1842î accorde aux ouvriers ; je ne pense pas que les maîtres aient plus à craindre des dispositions de la loi de 1842, que les personnes non négociantes ou industrielles qui ont à intenter des procès et qui sont obligées parfois de plaider contre des individus ayant obtenu la faveur du pro Deo. (Interruption.)

Je trouve que l'honorable M. T'Kint de Naeyer, qu'il me permette de le lui dire, s'est beaucoup trop préoccupé de la position des maîtres, et qu'il ne s'est pas assez préoccupé de celle de l'ouvrier.

Il n'est pas difficile d'établir que la loi de 1842 est infiniment plus favorable à l'ouvrier que le projet de loi actuel.

Faisons connaître d'abord la différence entre les deux législations.

D'après la loi de 1842, l'ouvrier et le maître étaient mis sur la même ligne ; mais, si l'ouvrier se trouvait dans le cas d'indigence, prévu par la loi de 1824, il avait le droit d'intenter son action gratuitement. Etait-ce une simple exemption des droits de timbre et d'enregistrement, qui était dans ce cas accordée à l'ouvrier ? Non, c'était un véritable pro Deo, tel que l'établit la loi de 1824. Or cette loi, quand elle autorise les juges à accorder le pro Deo, comprend dans l'exemption le droit de timbre et d'enregistrement, les frais de greffe et d'expédition, les amendes judiciaires, les honoraires d'avoué et d'huissier. Voilà l'avantage que l'ouvrier, sous l'empire de la loi de 1842, pouvait obtenir ; voilà l'avantage qu'on lui enlève en grande partie par le projet de loi en discussion.

Aux termes de ce projet, l'ouvrier ne pourra obtenir qu'une seule faveur, tout comme le maître : c'est de ne faire ni timbrer ni enregistrer l'exploit qu'il fera signifier, c'est d'obtenir que le greffier du conseil des prud'hommes lui donne une expédition sur papier libre de la délibération qu'il aura obtenue. Mais quant aux frais à payer au greffier, à l'huissier, quant aux droits d'expédition, tous ces frais l'ouvrier devra les supporter ; vous lui enlevez donc la faveur que lui accordait la loi de 1842, en lui appliquant la loi de 1824.

La position de l'ouvrier sera donc empirée par le projet qui est maintenant soumis aux délibérations de la chambre.

En vain dit-on que le pro Deo est difficile à obtenir, qu'il faut s'adresser au conseil des prud'hommes, produire des certificats.

Messieurs, je pense que si l'ouvrier est bien fondé dans son action, il n'hésitera pas à solliciter le pro Deo et qu'il l'obtiendra sans peine. Quelle difficulté y a-t-il à demander un certificat d'indigence et à le faire viser par le commissaire d'arrondissement ? Cela se pratique tous les jours.

Ce qui fait reculer devant la demande du pro Deo, c'est que le pro Deo ne s'accorde pas uniquement sur le vu de la demande ; il faut que le conseil des prud'hommes se soit assuré que la demande n'est pas dénuée de fondement. Or, y a-t-il le moindre danger à tarder pendant quelques jours à intenter une action à son maître ? Je pense qu'eu égard à la nature des affaires qui se traitent devant les conseils des prud'hommes, ce délai est sans aucun inconvénient ; je pense en outre que les frais à faire devant le conseil des prud'hommes sont très peu importants pour les maîtres ; et dès lors le maître ne reculera pas devant un procès, même si son adversaire peut plaider gratis.

Si le pro Deo peut avoir des inconvénients devant la justice ordinaire, ces inconvénients ne peuvent pas exister devant un conseil de prud'hommes ; devant la justice ordinaire, celui qui plaide pro Deo peut (page 882) traîner une affaire pendant de longues années et la 'rendre très-onéreuse pour la partie adverse.

Mais devant les conseils de prud'hommes où on se borne à faire un simple exposé des faits sur lesquels un jugement est rendu à l'instant, il n’est pas à craindre que de grands frais puissent surgir. Le maître est toujours vis-à-vis de l'ouvrier dans une position telle qu'il ne peut avoir à craindre que l'ouvrier abuse du pro Deo.

L'honorable M. T'Kint vous l'a dit, le pro Deo n'a guère été demandé par les ouvriers.

M. T'Kint de Naeyer. - A cause de ces difficultés !

M. d'Anethan. - Ces difficultés sont imaginaires. Je ne pense pas que les ouvriers aient réclamé contre les difficultés dont la demande du pro Deo est entourée. Si vous voulez être conséquents, diminuez ces difficultés, mais n'enlevez pas aux ouvriers le bénéfice que le pro Deo leur accorde. Il est impossible de sortir de ce cercle. Le pro Deo accorde aux ouvriers plus que la loi nouvelle ; la loi nouvelle enlève les avantages du pro Deo pour la majeure partie, elle laisse subsister des frais considérables résultant des articles 59, 60 et 61 du décret de 1809. Je ne conçois donc pas les bienfaits que procurera la loi nouvelle.

Je ne pense pas que les maîtres aient reculé devant l'obligation de payer un droit d'enregistrement pour un exploit ; les ouvriers ne se sont pas plaints, puisqu'ils ont davantage par la loi actuelle que par la loi proposée. Je demande qui s'est plaint.

A propos d'une loi plus importante, de la loi du notariat, on a dit qu'il n'y avait pas de plainte contre la loi existante, qu'il n'y avait pas de pétition, qu'en conséquence il n'y avait pas lieu de s'occuper de modifications à y apporter. Je demande s'il y a eu des plaintes sérieuses qui soient de nature à être prise en considération. Quant aux maîtres, je ne comprendrais pas leurs plaintes ; quant aux ouvriers, je le répète, vous rendez leur position pire.

Je ne vois donc pas par quels motifs le projet actuel peut être défendu. Vous voudrez bien remarquer que d'après la loi actuelle, il y a une exemption générale de droit de timbre et d'enregistrement ; ainsi il n'y a aucun recouvrement possible sur la partie condamnée. Avec la loi de 1824, au contraire, quand le défendeur a obtenu le pro Deo, la partie adverse est passible de tous les frais, et c'est justice ; par la loi actuelle, l'exemption est étendue ; ainsi d'après la loi nouvelle un maître intente une action à un ouvrier, il succombe, il ne doit payer aucun droit. Je demande où est la justice, l'utilité de cette mesure ? Pourquoi accorder cette exemption devant le conseil des prud'hommes, quand, en aucune matière, on ne l'accorde devant les juges de paix. Le système actuel me paraît donc préférable ; il donne une garantie suffisante, il assure aux ouvriers des avantages ; le système nouveau consacre un privilège en faveur des maîtres et des ouvriers aisés devant la juridiction des prud'hommes. Je ne vois pas pourquoi on établirait ce privilège au détriment du trésor public et des ouvriers eux-mêmes.

En terminant, l'honorable M. T'Kint s'est occupé d'un objet qui n'a pas été traité dans le projet de loi ou du moins, pour m'expliquer plus clairement, dans l'exposé des motifs, d'un objet qui n'a eu aucune influence sur le gouvernement pour l'engager à présenter le projet dont nous nous occupons. L'honorable membre me dit : Et l'article 2 ! L'article 2 porte : « Pareille exemption est accordée pour les registres dont la tenue est prescrite aux prud'hommes par les dispositions antérieures, ainsi que pour les certificats desdits registres, qui peuvent être délivrés par eux aux intéressés. »

Ici quelle est l'exemption que l'on prononce ? L'exemption pour le registre.

Je ne sais si l'honorable membre désire produire un amendement. Mais je lis : « Pareille exemption, etc. » Voilà la seule exemption écrite dans le projet de loi : l'exemption du timbre pour les registres.

Quant aux actes de dépôt, ils sont soumis à des frais taxés par le décret de 1809 qu'on doit payer au secrétaire qui reçoit ces dépôts. Tous ces frais sont maintenus ; c'est-à-dire qu'il accorde un avantage aux secrétaires des prudhommes, car les registres doivent être tenus aux frais de ces fonctionnaires, en vue des émoluments qui leur sont accordés. Ces émoluments vous les laissez subsister, et les frais de registre vous les supprimez ou du moins vous les réduisez !

Y a-t-il un motif pour faire cet avantage aux secrétaires de prud'hommes ? J'attends qu'on le prouve. Au reste je ne ferai pas les mêmes difficultés pour l'article 2 que pour l'article premier, car à l'article premier on consacre une injustice et on fait, d'après moi, quelque chose de préjudiciable à la classe ouvrière ; par l'article 2 on ne fait préjudice qu'au trésor, et encore on préjudice très peu considérable.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, l'honorable M. T'Kint a complétement exposé les motifs qui ont engagé le gouvernement à présenter le projet de loi qui se discute en ce moment. L'honorable M. d'Anethan, au contraire, s'est attaché à critiquer le projet et à énumérer les raisons pour lesquelles, d'après lui, il eût mieux valu ne pas en occuper la chambre.

L'idée qu'il s'agit de réaliser avait déjà fixé l'attention du ministère qui nous a précédés. L'honorable M. Dechamps, en sa qualité de ministre du commerce, s'appuyant sur des dispositions en vigueur sous le régime de l'empire, avait demandé à son collègue des finances si l'exemption des droits de timbre et d'enregistrement ne pouvait pas être accordée pour les actes et pièces relatifs aux affaires de la compétence des prud'hommes et surtout pour les registres destinés à constater la propriété des marques et dessins et pour les certificats à délivrer aux fabricants. Le ministre des finances, après avoir examiné la question au point de vue de la légalité, émit l'avis qu'il ne lui était pas permis d'accorder de pareilles exemptions, ni pour les droits de timbre ni pour les droits d'enregistrement. En France, à une autre époque, des exemptions ou réductions de droit avaient été introduites par simples mesures ministérielles et par analogie ; mais notre Constitution met obstacle à ce qu'il en soit de même en Belgique.

C'est alors que j'ai cru devoir prendre le parti de faire connaître quelles sont les règles à suivre, et que j'ai publié la circulaire à laquelle l'honorable T'Kint de Naeyer fait allusion.

Le conseil des prud'hommes d'Anvers, dans une pétition qu'il a adressé au gouvernement, l'année dernière, a fort bien expliqué que pour donner à l'institution tout le développement désirable il était nécessaire d'accorder l'exemption des droits d'enregistrement et de timbre. Les conseils de prud'hommes de Gand, d’Ypres, de Termonde, de Saint-Nicolas et d'Alost ont adhéré à cette demande. Dès qu'il a été constaté que les intérêts du trésor ne sont pas ici eu cause, il nous a paru qu'il y avait lieu de présenter un projet de loi.

Les conseils de prud'hommes, qui sont sans doute de bons juges en cette matière, ont émis l'avis que la loi de 1842, qui a déjà produit d'excellents résultats, est cependant incomplète sous ce rapport. Le ministre qui a présenté le projet avait, dès le principe, proposé la disposition dont la chambre s'occupe, du moins en ce qui concerne l'article premier. Mais la section centrale qui fut chargée de l'examiner ne se montra pas favorable, et le ministre de l'intérieur, successeur de l'honorable comte de Theux, ne jugea pas à propos d'insister. Il s'en référa à la sagesse de la section centrale. Si la chambre avait été appelée à statuer, alors l'exemption aurait été probablement adoptée, comme j'espère qu'elle le sera aujourd'hui.

En effet l'expérience en a constaté l'utilité. L'honorable M. d'Anethan dit qu'un changement n'est pas nécessaire en présence de la disposition de l'article 5 de la loi du 9 avril 1842. Mais cet article n'est applicable qu'aux ouvriers indigents qui ne forment heureusement que le petit nombre. Les ouvriers employés dans les fabriques, obtiennent très rarement des certificats d'indigence ; fussent-ils dans le cas de les obtenir, ils ne les demandent pas ; un sentiment les retient, et ce sentiment les honore. Nous voulons, sans distinction, étendre la mesure à tous les ouvriers, l'étendre aux fabricants eux-mêmes et à cette grande famille d'industriels de toutes les classes. C'est seulement alors que l'industrie recueillera tous les fruits de l'institution des prud'hommes que tout le monde s'accorde à louer.

Si le gouvernement ne veut pas plus que l'exemption des droits de timbre et d'enregistrement, c'est que son intention n'est pas d'aller au-delà de ce qui lui est demandé par les conseils eux-mêmes. Et que résultera-t-il de la loi ? Un surcroit de besogne pour les conseils, sans aucun profit pour eux, puisque leurs fonctions sont gratuites. Je crois que dans leurs démarches ils n'ont été guidés que par l'intérêt public et du moment qu'il n'en résulte pas un préjudice pour le trésor, tout motif d'opposition vient à cesser.

Les considérations qui précèdent concernent spécialement l'article premier. Quant à l'article 2, qui ne rencontre pas la même opposition de la part de l'honorable M. d'Anethan, voici l'application qui en sera faite. Les conseils des prud'hommes doivent tenir trois sortes de registres : le registre pour l'inscription des livrets d'acquit que l'on délivre pour chaque nouveau qui s'établit et le registre destiné à constater le nombre d'ouvriers employés dans une fabrique et celui des métiers en activité. Ces deux registres ne sont pas considérés comme étant assujettis au timbre. Enfin un troisième, dont il est parlé à l’article 16 du décret de 1809 ; ce registre, le plus important de tous, parce qu'il sert à constater la propriété des dessins, doit port en papier timbré, parce qu'il peut y avoir lieu de le produire en être justice.

L'exemption du timbre qui est demandée à ce sujet l'est plus encore pour les certificats constatant l'inscription et le dépôt. Toutes les fois qu'un dessin est inventé, le fabricant en fait le dépôt au conseil des prud'hommes, et le secrétaire l'inscrit, en lui donnant un numéro d'ordre et une date.

L'intéressé reçoit ensuite un certificat qui est soumis au timbre. Ici la charge du timbre est forte et met obstacle à l'usage général de cette utile disposition.

L'honorable M. T'Kint a parfaitement expliqué que, dans toutes les villes manufacturières, le nombre et la variété des dessins sont considérables, et comme il importe au fabricant de s'en assurer la propriété dès qu'ils paraissent, il ne peut attendre qu'il en ait réuni plusieurs pour n'avoir qu'un seul droit à payer.

Nous avons considéré le projet de loi présenté comme simple en lui-même, comme n'étant certes pas de nature à occuper longtemps, la chambre et je suis porté à croire qu'elle le jugera comme nous.

Mais, malgré sa modeste importance, il est certain que l'industrie y attache beaucoup de prix et qu'elle accueillera son adoption avec plaisir.

Je me borne à ces observations, me réservant de prendre la parole sur les articles.

M. Bricourt. - Messieurs, d'après la loi de leur organisation, les conseils des prud'hommes sont appelés à terminer par la conciliation ou à juger les contestations qui s'élèvent entre les marchands, fabricants, (page 883) chefs d'ateliers, contremaîtres, ouvriers, compagnons et apprentis. Les justiciables des conseils des prud'hommes ne sont donc pas seulement des ouvriers, mais aussi des maîtres, des fabricants. Il en résulte que la proposition qui vous est faite d’exempter des droits de timbre et d'enregistrement tous les actes qui ont lieu devant cette juridiction profitera aux uns comme aux autres.

Il y a plus, il est certains actes qui n'intéressent que les fabricants exclusivement et qui jouiront aussi du même privilège. Ainsi les procès-verbaux dressés pour constater le dépôt de leurs marques, ainsi encore les expéditions de ces procès-verbaux.

Je ne peux trop approuver la mesure proposée, en tant qu'elle s'applique aux ouvriers. C'est, à mes yeux, un retour vers le principe d'après lequel la justice devrait être gratuite pour tout le monde, puisqu'elle est le premier devoir de la société. C'est en outre l'application d'un autre principe qui exempte de l'impôt celui qui ne possède que l'exact nécessaire pour vivre.

Mais je ne peux donner la même approbation au projet de loi, en ce qui concerne les fabricants. Les fabricants, en général, sont riches ou au moins vivent dans l'aisance. S'il y a des exceptions, elles sont nécessairement très rares, et partant elles ne doivent point arrêter le législateur ; car, quelque chose qu'il fasse, il n'arrivera jamais à formuler une loi qui, dans l'application, ne laissera rien à désirer.

Selon moi, il ne fallait donc rien innover à l'égard des fabricants. Il fallait les laisser dans la même condition que les justiciables des tribunaux ordinaires, à moins de généraliser la mesure et de l'appliquer à toutes les juridictions et à tous les citoyens.

Les raisons applicables aux uns le sont également aux autres. En effet, si les droits de timbre et d'enregistrement auxquels sont soumis les actes de procédure doivent être considérés comme des impôts, pourquoi les fabricants en seraient-ils plutôt affranchis que les justiciables des autres tribunaux ? Si, au contraire, on les envisage comme un moyen de prévenir la multiplication des procès, la même crainte n'existe-t-elle pas aussi à leur égard ?

Viendra-t-on invoquer l'intérêt de l'industrie ? Je serais au désespoir d'apprendre, messieurs, que notre industrie pourrait avoir besoin de semblable protection. D'ailleurs n'y a-t-il pas d'autres branches de notre travail national qui auraient droit à la même faveur ? Les agriculteurs, les producteurs en général n'ont-ils pas les mêmes droits à vos sympathies ?

Mais, dira-t-on encore, les actes de procédure devant les conseils des prud'hommes n'ont produit en cinq années qu'une très faible somme, une somme de 362 fr. pour tout le royaume, soit 72 fr. par année. S'il en est ainsi, pourquoi cet impôt pèse-t-il si fort aux fabricants ? A quoi bon l'exemption que l'on sollicite avec tant d'insistance ? Car vous n'ignorez pas que cette question a déjà été soumise à la section centrale en 1842, par M. le ministre de Theux, et qu'elle a été rejetée par elle.

Pour moi, il y a dans la proposition qui vous est soumise quelque chose de plus important que l'intérêt pécuniaire ; c'est le maintien du principe qui veut que tout le monde, hormis celui qui n'a pas de superflu, soit soumis à l'impôt.

Si vous admettez des exceptions en faveur d'une classe quelconque de citoyens, vous établissez un privilège. Vous posez en outre un précédent qui peut devenir dangereux ; car vous vous engagez indirectement à accorder les mêmes avantages à d'autres citoyens qui ne manqueraient pas non plus de motifs pour donner une apparence de raison à leurs réclamations, ou vous vous exposez à consacrer une injustice envers eux.

Je pense donc que si l'on voulait donner aux classes indigentes et aux classes ouvrières une preuve d'intérêt et de sympathie, ce qu'il y avait de mieux à faire, c'était de généraliser en leur faveur le principe que les indigents sont admis à jouir de l'exemption des frais de justice, et de rendre plus facile l'exercice de ce droit.

Aujourd'hui, l'obtention de cette exemption exige l'accomplissement de formalités assez nombreuses. Il faut un certificat du receveur des contributions, un autre de l'administration communale. Ces certificats doivent ensuite être légalisés par le commissaire de district ou par le gouverneur ; puis, il faut obtenir l'autorisation du juge qui entend la partie adverse, si la demande est sujette à appel.

Evidemment toutes ces démarches sont très onéreuses pour le pauvre, non seulement en ce qu'elles lui font perdre beaucoup de temps ; mais encore parce qu'elles l'obligent à des dépenses pour se rendre près du commissaire du district ou près du gouverneur, qui peuvent être fort éloignés de sa résidence.

Ne serait-il pas plus juste et plus équitable d'étendre la faveur du pro Deo devant les justices de paix et les conseils de prud'hommes, à tous les ouvriers quelconques, pour toutes les actions purement personnelles n'excédant pas cent francs et sur la simple production de leur livret, ou d'un certificat du commissaire de police ou de l'échevin qui en fait fonctions, constatant leur qualité d'ouvriers ou de journalières ?

Cette mesure aurait l'avantage de s'appliquer aux ouvriers de l'agriculture comme aux ouvriers de l'industrie et à tous les travailleurs quelconques. Elle aurait encore l'avantage de laisser tous les contribuables sur un pied d'égalité et sans introduire de privilège en faveur d'aucun d'eux. Enfin, elle se justifie par la considération qu'elle ne peut avoir de conséquences sensibles pour le trésor, que celui qui est ouvrier ou journalier est par là même présumé se trouver dans une position qui ne permet pas qu'il soit soumis à l'impôt, et que les actions purement personnelles qu'il intente ont presque toujours pour objet le payement de son salaire.

Je ne ferai pas, messieurs, de cette idée l'objet d'une proposition formelle, à moins que je ne rencontre quelque appui dans la chambre. Je me bornerai à la livrer à vos méditations et à m'en rapporter à votre judicieuse appréciation.

Permettez-moi, messieurs, un dernier mot pour répondre à une opinion qui a été émise dans la section centrale. On a dit : « Qu'il ne fallait faciliter les recours aux conseils des prud'hommes que principalement dans un but de conciliation, qu'on s'éloignerait de ce but et que l'on rendrait les parties moins disposées à transiger, si elles n'avaient pas la crainte de supporter, en définitive, tout ou partie des frais du procès. » Quelque respect que je professe pour le talent de l'honorable membre qui a présenté cette objection, je ne peux pas partager son opinion.

Toute transaction suppose, de la part des plaideurs, l'abandon d'une partie de leurs prétentions respectives et par conséquent l'abandon partiel du droit de l'une d'elles. Lorsque le riche et le pauvre se trouvent en présence, c'est le premier qui naturellement devrait faire le plus grand sacrifice. Mais il faut bien l'avouer, c'est le contraire qui arrive le plus souvent, parce que le riche ne craint pas les frais d'un procès. Il s'en fait même quelquefois une arme contre son adversaire qui, pour ne point courir les risques d'une procédure longue et dispendieuse, se voit contraint à accepter un arrangement, quelque désavantageux qu'il soit.

Si l'on considère les transactions comme un bienfait, si l'on en veut à tout prix, que l'on multiplie les formalités judiciaires, que l'on crée plus de difficultés encore qu'il n'en existe aujourd'hui dans notre système de procédure, que l'on augmente surtout les frais, et l'on obtiendra toujours ces transactions que l'on préconise. Mais alors, ce ne sont pas des transactions volontaires que l'on provoquera, ce seront des transactions forcées, par conséquent injustes.

Quant à moi, je pense que ce que nous devons avant tout avoir en vue, c'est de rendre aussi faciles que possible les abords de la justice. Le temple de la justice doit, comme le temple de Dieu, être ouvert à tous ; au pauvre comme au riche, au pauvre surtout.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le gouvernement, à la demande de plusieurs conseils de prud'hommes, vous a présenté le projet de, loi en discussion, projet qui tend à exempter des droits de timbre et de d’enregistrement les actes des conseils de prud'hommes. Le but de cette proposition, comme on vous l'a dit, est de développer une institution qui a déjà produit d'excellents résultats dans notre pays, et de laquelle on peut en espérer de plus grands encore. Vous avez vu que l'exemption proposée n'avait qu'un résultat tout à fait insignifiant pour l'intérêt du trésor. L'honorable M. Bricourt, en appuyant le principe du projet, en a fait cependant la critique à certains égards. L'honorable membre voudrait que l'exemption ne profitât qu'aux ouvriers et nullement aux fabricants.

Selon lui, l'exemption au profit des fabricants constituerait un privilège en matière d'impôt. L'honorable membre va plus loin ; il voudrait qu’on généralisât la mesure et qu'on étendît l'exemption en faveur des ouvriers indigents en les affranchissant des nombreuses formalités qui sont à remplir pour l'obtention d'un pro Deo et même qu'ils jouissent de ce bénéfice devant la justice de paix, pour autant que la valeur des actions n'excédât pas une somme déterminée.

Messieurs, il m'est impossible de me rallier à l'opinion de l'honorable M. Bricourt. Il est à craindre, quoi qu'il en ait dit, que si l'ouvrier seul jouit de la faveur de l'exemption, il n'en abuse quelquefois, même souvent contre le fabricant et qu'il ne se montre disposé à se concilier, sachant que le maître contre lequel il plaide doit supporter des frais dont il est exempté.

D'un autre côté, messieurs, il faut le reconnaître, les poursuites des fabricants contre les ouvriers sont extrêmement rares. L'honorable M. TKint de Naeyer vous a dit, je crois, que sur 200 et des actions portées devant le conseil des prud'hommes de Gand, il n'y en avait que 20 ou 28 intentées par des fabricants ; et presque toujours, lorsque des fabricants se décident à assigner leurs ouvriers, c'est à bon droit qu’ils le font. Car ils ont intérêt à ne pas vexer les ouvriers par des poursuites inutiles.

Eh bien, messieurs, que résulterait-il du système de l'honorable M. Bricourt qui voudrait n'appliquer la faveur de l'exemption qu'aux seuls ouvriers ? Il en résulterait que lorsque le fabricant gagnerait son procès, les frais qu'il aurait dû faire retomberaient sur l'ouvrier qui devrait y être condamné. Ainsi vous voyez que cette distinction, qu'on voudrait faire entre le fabricant et l'ouvrier, quant à l'exemption, tournerait au préjudice de ce dernier.

D'ailleurs, le but de la loi a principalement été de faire disparaître des formalités gênantes, des formalités qui entraînent des lenteurs et qui sont de nature à entraver le cours des actions devant les conseils des prud'hommes et à rendre difficile l'accès de cette juridiction.

L'honorable M. Bricourt pense qu'il y aurait un privilège en matière d'impôts en faveur des fabricants. Je crois qu'il n'existe pas de privilège, mais seulement une exemption d'impôt que l'article 112 de la Constitution permet à la législature d'accorder dans certaines circonstances. Il y (page 884) aurait plutôt privilège si l'on accordait l'exemption à tous le ouvriers sans distinction des indigents et des non indigents ; alors il y aurait un privilège au moins apparent, tandis qu'en généralisant la mesure, en l'appliquant en général à tous les actes qui sont relatifs aux poursuites qui ont lieu devant les conseils des prud'hommes, il n'y a qu'une exemption d'impôt que des motifs d'intérêt public justifient suffisamment.

L'honorable M. Bricourt voudrait étendre le bénéfice de l'exemption à tous les ouvriers et journaliers, même devant la justice de paix.

Messieurs, cette mesure serait beaucoup plus grave. Elle serait de nature à porter une certaine atteinte aux intérêts du trésor. Mais il ne peut y avoir aucune espèce d'identité entre les conseils des prud'hommes et les justices de paix.

Les justices de paix constituent une juridiction ordinaire, elles sont le premier degré de la hiérarchie judiciaire. Les individus de toutes les classes de la société sont justiciables des justices de paix ; les indigents y comparaissent quelquefois, mais très rarement, et lorsqu'ils y comparaissent, la faveur du pro Deo leur est accordée par la loi, moyennant certaines formalités.

Les conseils des prud'hommes au contraire forment une juridiction tout à fait exceptionnelle, une magistrature en quelque sorte de famille, qui ne connaît que des petits différends entre les maîtres et les ouvriers, des affaires de ménage, d'intérieur d'ateliers, de fabriques ; de ces affaires qui doivent être promptement décidées, parce que l'intérêt public réclame la célérité, les retards dans les décisions des contestations pouvant dans certaines circonstances entraîner le chômage des ateliers ou des métiers, ou au moins donner heu à des dommages-intérêts plus ou moins importants.

Vous voyez donc qu'il n'y a pas d'assimilation à faire entre les justices de paix et les conseils des prud'hommes. D'ailleurs, comme je viens de le dire, devant les justices de paix, les indigents ne paraissent que rarement, qu'exceptionnellement, tandis que devant le conseil des prud'hommes, ce sont toujours de simples ouvriers qui sont en cause.

Il y a donc des motifs spéciaux pour leur accorder une exemption qui tournera même en leur faveur, lorsque le fabricant sera demandeur, parce qu'en cas de condamnation, ils n'auront pas de frais ou que très peu de frais à supporter.

Messieurs, on a fait observer que presque toutes les affaires portées devant les conseils de prud'hommes étaient terminées par la conciliation, et un membre de la section centrale a inféré de là qu'il y aurait peut-être danger à innover et à changer un état de choses dont le résultat est satisfaisant.

Sans doute, messieurs, le résultat est satisfaisant, mais il pourrait l'être davantage encore. Si l'économie était plus grande, si les formalités étaient moins gênantes, si l'expédition des affaires devant les conseils des prud'hommes était plus prompte, il en résulterait que beaucoup d'ouvriers, beaucoup de fabricants même qui hésitent à porter leurs différends devant cette juridiction, seraient naturellement portes à le faire. Il en résulterait aussi que des localités qui jusqu'ici n'ont pas voulu admettre cette institution bienfaisante seraient plus disposées à l'accueillir.

M. Broquet-Goblet, rapporteur. - Messieurs, les orateurs entendus jusqu'ici sont tous d'accord sur un point : c'est sur les avantages de l'institution des conseils des prud'hommes tant pour le passé que pour l'avenir.

Chacun désire voir étendre une institution si utile ; seulement on n'est pas d'accord sur les moyens. L'honorable M. d'Anethan préfère le système établi par la loi de 1842 ; quant à moi je partage l'opinion qui a porté le gouvernement à présenter le projet. Je ferai remarquer à la chambre que le principe de la loi en discussion se trouvait déjà dans la loi de 1806 qui a institué un conseil de prud'hommes à Lyon. Nous lisons en effet dans l'article 6 de la loi de 1806 :

« Le conseil des prud'hommes est institué pour terminer par la voie de conciliation les petits différends qui s'élèvent journellement, soit entre des fabricants et des ouvriers, soit entre des chefs d'ateliers et des compagnons ou apprentis.

« Il est également autorisé à juger jusqu'à la somme de 60 francs sans formes ni frais de procédure et sans appel, les différends à l'égard desquelles la voie de conciliation aura été sans effet. »

Ainsi, messieurs, dès le principe, l'intention du législateur était que les affaires portées devant les conseils de prud'hommes fussent jugées sans formes ni frais de procédure.

Or, messieurs, qu'est-ce que nous voulons aujourd'hui ? Nous voulons nous rapprocher autant que possible de ce qui était écrit dans la loi de 1806. Le contraire paraît s'être établi dans la pratique, puisque, par la loi de 1842, on a cru devoir introduire le pro Deo et que maintenant il faut une loi nouvelle pour en revenir au système de 1806. On veut donc messieurs, rendre à l'institution son caractère primitif. Or, messieurs, ce n'était pas une faveur accordée aux indigents, c'était une mesure générale par laquelle on avait voulu faciliter l'accès à la juridiction dont il s'agit.

Quant à l'article 2, il n'est pas moins utile. Voici en quels termes il est conçu :

« Pareille exemption est accordée pour les registres dont la tenue est prescrite aux prud'hommes par les dispositions antérieures, ainsi que pour les certificats desdits registres, qui peuvent être délivrés par eux aux intéressés. »

Les dessins, messieurs, n'appartiennent pas toujours à des fabricants ; ils sont quelquefois la propriété d'un ouvrier. Dans certaines industries, les ouvriers sont eux-mêmes fabricants. Il en est ainsi des dentellières, par exemple. Eh bien, les dentellières n'ont pas, ordinairement, le moyen de payer les frais dont il s'agit et lorsqu'une ouvrière intelligente est parvenue à inventer quelque dessin, elle ne peut pas en conserver la propriété, parce qu'elle ne remplit pas les formalités, et elle ne remplit pas les formalités parce qu'elle doit payer quelque chose de ce chef. C'est pour faire disparaître cet inconvénient que l'article 2 est présenté.

Maintenant, messieurs, je répondrai quelques mots à certaines objections qui ont été faites.

On avait dit dans la section centrale, et l'honorable M. d'Anethan a répété tout à l'heure, que le projet de loi est moins favorable aux indigents que l'ancienne loi, puisque, d'après la loi proposée, les indigents n'obtiennent pas un huissier gratis. Cette observation est fondée, et je pense qu'elle pourrait donner lieu à l'adoption d'un amendement. Mais il faut bien remarquer que les faveurs de la loi de 1842 ne l'accordent qu'aux ouvriers indigents, tandis que la loi dont nous nous occupons s'applique à tous les ouvriers.

Je pense, du reste, qu'il conviendrait de supprimer le premier paragraphe de l'article premier, ainsi conçu : « L'article 5 de la loi du 9 avril 1842 est abrogé et remplacé par la disposition suivante. » Alors les indigents continueraient à trouver le moyen de plaider gratuitement ; ils continueraient à jouir des avantages que la loi de 1842 leur accorde.

Sous l'empire de la loi de 1842, messieurs, lorsque l'ouvrier succombe il doit rembourser au maître les frais qu'il a faits ; si vous admettez également le maître et l'ouvrier à plaider sans avoir à supporter la formalité du timbre et de l'enregistrement, alors l'ouvrier qui perd son procès n'aura rien à rembourser au maître, puisque celui-ci n'aura rien payé.

Je pense, messieurs, que l'amendement que j'ai indiqué est de nature à faire tomber l'objection de l'honorable M. d'Anethan, et à parer à l'inconvénient qui résulterait du rejet de l'article quant aux frais à supporter par l'ouvrier indigent en cas de perte de son procès. L'honorable député de Louvain avait dit aussi qu'on ne devait guère s'occuper du projet parce que les frais dont il s'agit seraient peu considérables. Ainsi, dit l'honorable membre, lorsqu'un ouvrier traduit son maître devant le conseil de prud'hommes, il le fait au moyen d'une lettre qui coûte 30 c, et si le maître ne comparaît pas, il peut lui faire une signification par huissier qui ne coûte qu'un franc 25 c.

Mais, messieurs, si vous n'admettez pas l'exemption proposée du timbre et de l'enregistrement, il faudra ajouter à cette somme de 1 fr. 25, celle de 3 fr. 50. Or, un ouvrier peut bien quelquefois dépenser 1 fr. 25 c. sans qu'il puisse dépenser 4 fr. 75. L'exemption aura donc une utilité réelle.

L'honorable M. Bricourt veut du pro Deo pour les ouvriers seulement ; il n'admet pas que cette faveur puisse être commune aux maîtres. Mais, messieurs, comme je vous le disais tout à l'heure, il y a des industries où les maîtres et les ouvriers sont bien près les uns des autres ; il y en a où le fabricant et l'ouvrier sont tellement confondus que, dans la pratique, ou ne saura pas quel est l'ouvrier et quel est le maître. Je crois donc, messieurs, que le système de l'honorable M. Bricourt serait inexécutable.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, nous ne voyons aucun inconvénient à la suppression du premier paragraphe de l'article premier que propose l'honorable rapporteur de la section centrale, et cette suppression fait tomber l'objection faite par l'honorable M. d'Anethan, que la loi de 1842 était plus favorable aux indigents que la loi proposée. En effet, les ouvriers indigents qui voudront profiter du bénéfice du pro Deo, conformément aux arrêtés de 1815 et de 1824, pourront toujours en faire la demande en observant les formalités prescrites par ces arrêtés. Mais l'exemption des droits de timbre et d'enregistrement, tant pour les actes et pièces relatifs aux poursuites que pour les registres dont il est fait mention à l'article 2, cette exemption sera commune aux ouvriers indigents et non indigents, ainsi qu'aux maîtres ou fabricants.

Au surplus, messieurs, l'objection a bien peu de portée en réalité, parce que vous avez vu que les ouvriers ne sollicitent pas même le pro Deo et que dans une ville comme Gand où il y a le plus grand nombre d'affaires portées devant le conseil des prud'hommes, aucun ouvrier jusqu'ici n'a demandé encore à jouir de ce bénéfice.

M T’Kint de Naeyer. - L'honorable M. d'Anethan considère le projet de loi comme n'ayant aucune utilité. Je ferai d'abord observer à la chambre que telle n'était pas l'opinion de l'honorable M. de Theux lorsqu'il soumit à la section centrale chargée de l'examen de la loi de 1842, un amendement tendant à établir l'exemption pour les affaires soumises aux conseils de prud'hommes.

En France, on paraît aussi avoir, dès le principe, compris la nécessité d'une modération d'impôts, puisque l'ordonnance de 1809 accorde un grand nombre d'exemptions que j'ai rappelées tout à l'heure.

Et, en effet, messieurs, pour vous mettre à même de juger de l'importance des affaires qui sont soumises aux conseils de prud'hommes, je demanderai la permission à la chambre de lui donner un aperçu succinct des affaires déférées au conseil de Gand.

« Livrets et congés.

A. Difficultés pour la délivrance des livrets et congés, résultant :

« 1° Du refus de congé pour inexécution d'engagements soit, quant aux tisserands, pour le refus de tisser la chaîne de congé, et, quant aux (page 885) ouvriers travaillant à la journée, pour le refus de faire leur quinzaine. - Contestations sur l'époque où commence et finit la quinzaine, etc.

« 2° Du refus de congé par suite du non remboursement des avances sur le salaire. - Contestations sur le chiffre de ces avances et sur les retenues à faire.

« B. Difficultés résultant de l'inscription de dettes sur le livret. - Contestation sur la quotité de ces dettes, sur leur nature. - Contestations sur la retenue à opérer sur le salaire au profit de l'ancien maître pour l'extinction de ces dettes.

« C. Difficultés résultant de l'admission d'ouvriers non munis de livret ou de congé du maitre entre les mains duquel le livret a été abandonné.

« Salaire. -Refus de salaire pour inexécution d'engagement. - Contestations sur la nature et la durée des engagements. -Contestations sur la quotité des salaires, etc., etc.

« Malfaçon. - Difficultés résultant de l'imposition d'amendes pour malfaçon. - Contestations sur la quotité de l'amende et sur l'objet pour lequel elle a été imposée.

« Discipline dans les ateliers. - A. Difficultés pour les amendes imposées pour infraction aux règlements et usages intérieurs établis dans les ateliers, tels qu'inexactitude pour se rendre au travail ou le quitter aux heures déterminées ; absences autres que pour des motifs graves. - Contestations sur ces motifs, etc.

« B. Plaintes des fabricants pour retard dans l'achèvement des pièces. - Contestations sur les excuses présentées, sur la qualité et la quantité des matières premières et des matières fabriquées. - Contestations sur les délais à accorder pour finir l'ouvrage, etc., etc. »

Vous le voyez, messieurs, les affaires soumises aux conseils des prud'hommes sont d'une nature tellement exceptionnelle que je ne comprends pas l'opposition que le projet de loi pourrait rencontrer.

L'honorable M. d'Anethan m'a reproché de m'être préoccupé des maîtres plus que des ouvriers. Messieurs, le fait est que je me suis surtout préoccupé des maîtres qui sont dans une position peu aisées ; car, il y a entre certaines catégories de maîtres et d'ouvriers une transition imperceptible ; il suffit, pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur l'arrêté organique du 10 novembre 1845 ;

Je crois d'ailleurs, messieurs, que les objections qui ont été présentées proviennent surtout de ce que l'on confond trop souvent la mission du conseil de prud'hommes, véritable conseil de famille, avec celles des tribunaux d'un ordre plus élevé.

J'appuie la proposition qui a été faite par l'honorable rapporteur de la section centrale relativement au maintien de l'article 5 de la loi de 1842, et j'espère que le gouvernement s'y ralliera.

Quant à l'article 2 de la loi qui est en discussion, c'est, sans contredit, la partie la plus importante et la plus utile de la loi.

Les nombreuses pétitions qui ont été adressées au gouvernement insistent particulièrement sur la nécessité d'accorder l'exemption de l'impôt, pour les registres du conseil et les certificats et pièces qu'il délivre.

L'ordonnance française de 1809 que j'ai déjà eu occasion de citer plusieurs fois accorde la même immunité.

Je pense, messieurs, qu'il n'entre pas dans la pensée de mes honorables contradicteurs d'imposer à l'industrie nationale des entraves extraordinaires qui n'existent pas dans un pays voisin.

M. d'Anethan. - Messieurs, je regretterais dans cette circonstance de ne pas me trouver d'accord avec mon honorable ami M. de Theux ; du reste, je ne sais quelle est l'opinion de cet honorable membre, relativement à la question qui nous occupe, et je ne comprends pas l'argument que l'honorable préopinant veut tirer de cette divergence d'opinion.

M. le ministre de la justice, en consentant à la suppression proposée par l'honorable M. Broquet, a dit que cette suppression n'aura qu'une très petite portée, attendu qu'il n'y a que très peu d'ouvriers qui demandent le pro Deo. Je crois que cette qualification convient plus à la loi elle-même, qu'à la proposition spéciale dont il s'agit. Si jusqu'ici un petit nombre d'ouvriers se sont adressés aux conseils de prud'hommes pour obtenir le pro Deo, ce n'est pas à dire pour cela que cette mesure soit inutile ; il est possible, probable même que si les ouvriers pouvaient s'adresser directement et sans frais aux conseils de prud'hommes, il y aurait plus d'affaires devant ces conseils, mais n'y aurait-il pas aussi beaucoup plus de mauvais procès ?

Dans le projet de loi en discussion, il y a deux ordres d'idées. Il s'agit d'abord, dans l'article premier, des contestations entre les maîtres et les ouvriers ; il s'agit là des actes de procédure ; c'est principalement au sujet de cet article que j'ai présenté mes objections qui sont restées sans réponse.

Relativement à l'article 2, je reconnais encore une fois que la disposition qui y est contenue n'a pas la même portée ; je dois dire cependant que l'article 2 est loin d'atteindre le but qu'on se propose. Cet article est à peu près insignifiant.

Comment ! vous supprimez les droits de timbre et d'enregistrement pour un procès-verbal de dépôt, et vous laissez subsister les droits d'expédition pour ce même procès-verbal. On parlait tout à l'heure des ouvrières dentellières ; eh bien, si ces ouvrières sont dans un état de gêne tel qu'elles ne peuvent pas supporter le droit de timbre, comment est-il possible, si l'on veut les aider, qu'en supprimant le droit de timbre, on ne supprime pas aussi le droit d'expédition ?

Je ferai ici observer, quant à l'article 2, que la suppression des droits de timbre et d'enregistrement ne devrait pas empêcher un enregistrement en débet. Des procès peuvent surgir fréquemment au sujet de la priorité du dépôt d'un dessin ; je pense que dans cette circonstance il est important d'enregistrer le dépôt qui a été fait et l'expédition du procès-verbal ; de ce dépôt, de manière à assurer la date du dépôt. Si l'on ne veut pas faire de frais, qu'on enregistre en débet.

Pour atteindre le but qu'on s'est proposé par le projet de loi, il fallait bien plutôt supprimer les honoraires et autres frais de ce genre, que les droits de timbre et d'enregistrement. Car ces frais et ces honoraires sont bien plus élevés que les droits de timbre et d'enregistrement.

Les conseils de prud'hommes ont réclamé, dit-on ; je le conçois ; les conseils de prud'hommes n'ont évidemment aucun intérêt à ce que les registres soient timbrés ; mais le secrétaire a un grand intérêt à ce qu'ils ne le soient pas. Tout ce qui a rapport aux registres doit être payé par le secrétaire, au moyen de la rétribution qui lui est accordée et vous supprimez les droits de timbre... (Interruption.)

L'honorable membre qui m'interrompt me dit que les timbres sont payés à part ; mais par qui sont-ils payés ? (Nouvelle interruption.) Les timbres du registre sont payés par les parties, me dit-on ; mais c'est impossible.

Je conçois que les parties remboursent le timbre de l'expédition du procès-verbal extrait du registre ; mais le timbre du registre lui-même est payé, je pense, par celui qui tient le registre. Pourquoi donc cette exemption ? Mais je me trompe, je crois au moins me rappeler que M. le ministre des finances a dit tout à l'heure qu'il fallait exempter du timbre du registre.... (Interruption.)

Quoi qu'il en soit, il me paraît évident que dans les conseils de prud'hommes, comme dans les tribunaux de commerce, le timbre du registre doit être payé par celui qui tient le registre.

Messieurs, en supprimant le paragraphe premier de l'article premier, on fait cesser, je le reconnais, les principales objections que j'avais fait valoir, parce qu'en maintenant la disposition de la loi de 1842, on conserve aux ouvriers les droits dont ils jouissent en vertu de cette loi. Je reconnais qu'on fait disparaître une grande partie de mes objections ; mais pourtant je dois continuer à dire que vous accordez une faveur qui n'est pas justifiée. Les ouvriers indigents seront dans une position aussi favorable qu'en 1842 ; mais je demande de nouveau : Pourquoi accorder devant le conseil des prud'hommes, aux ouvriers, qui ont quelque fortune, une exemption qu'on n'accorde pas devant les juges de paix ?

Mais, dit M. le ministre de la justice, devant les justices de paix, peu d'indigents comparaissent ; ce sont des procès d'une autre nature qu'on y soutient ; les indigents ont rarement des affaires à débattre devant les juges de paix. M. le ministre est dans l'erreur ; il ne fait pas attention qu'il existe notamment une loi sur le déguerpissement et que les procès relatifs à cet objet sont intentés devant les juges de paix ; ces procès concernent généralement des malheureux, qui n'ont pas le moyen de payer leur loyer et qui, par conséquent, sont en droit de demander le pro Deo. Pour ces affaires et bon nombre d'autres, il y a des indigents qui comparaissent devant les juges de paix. Il y a plus, dans les villes où il n'y a pas de conseils de prud'hommes, les juges de paix les remplacent. La loi de 1842 indique les villes dans lesquelles il y a possibilité d'établir des conseils de prud'hommes ; dans les autres villes ce sont les juges de paix qui en font les fonctions.

Quand une affaire de même nature que celles dont connaissent les conseils de prud'hommes sera portée devant ces juges de paix, on devra payer les droits de timbre et d'enregistrement, tandis que devant un conseil de prud'hommes on n'aurait rien de semblable à payer. Est-ce là de la justice, est-ce là de l'égalité ?

Pour une affaire semblable, devant la justice de paix, on est obligé de payer des droits dont on est dispensé devant le conseil des prud'hommes : j'avoue que je n'aperçois pas le motif de cette différence, le motif pour lequel on veut accorder une faveur à des individus qui peuvent payer tous les droits. Ce qui s'est passé depuis l’établissement de l'institution, ses résultats sont assez avantageux pour en être satisfait et ne pas venir bouleverser la législation en cette matière et accorder un privilège que la justice ne réclame pas du tout.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, la disposition à laquelle j'ai voulu faire allusion est l'article 16 de la loi du 18 mars 1806, ainsi conçu : « Les dépôts de dessins seront inscrits sur un registre tenu ad hoc par le conseil des prud'hommes, lequel délivrera aux fabricants un certificat rappelant le numéro d'ordre du paquet déposé et constatant la date du dépôt. »

D'après le décret de juin 1809, ce registre est soumis au timbre. Son article 8 porte : « Il sera dressé procès-verbal de ce dépôt sur un registre en papier timbré, ouvert à cet effet et qui sera coté et paraphé par le conseil des prud'hommes. Une expédition de ce procès-verbal sera remise au fabricant pour lui servir de titre contre les contrefacteurs. »

C'est ce registre et ces certificats que nous proposons d'exempter du droit de timbre. L'honorable préopinant a fait dans son premier discours une observation qui tendait à ne point étendre l'exemption au registre ; il a dit que ce ne sont pas les parties qui payent ces timbres, mais bien les secrétaires des conseils, qui sont salariés. Pourquoi dès lors leur faire cette faveur aux dépens du trésor ? Mais l’honorable M. T'Kint a répondu que cette charge retombe en définitive sur les justiciables ; pour nous, messieurs, il nous a paru que les autres registres étant exemptés du droit de timbre, il y avait lieu de sanctionner une mesure analogue pour le registre destiné à l'annotation des dépôts des marques et dessins. (page 886) Ce qui importe cependant le plus, c'est l'exemption des certificats constatant les dépôts. Le droit que la loi exige à présent est un grand obstacle à ce qu'il soit tiré parti de ce moyen si efficace d'ailleurs pour assurer la propriété du fabricant.

Quant à la loi en elle-même, on est revenu sur cette objection qu'il ne s'agit que d'une affaire de minime importance, pour laquelle il ne fallait pas présenter un projet qui tend à bouleverser les règles généralement suivies en matière d'impôts.

Si le projet pouvait vraiment avoir cette tendance, de bouleverser ce qui existe dans notre législation ; il eût mieux valu sans doute s'en abstenir. L'article 112 de la Constitution dit bien qu'en matière d'impôt on ne peut accorder d'exemption ni de modération ; mais c'est du pouvoir exécutif qu'il a entendu parler, et il a réservé au législateur d'accorder ces sortes d'avantages toutes les fois qu'il le croirait utile. De nombreux exemples pourraient être cités où il a été fait emploi de cette faculté. Convient-il d'agir de même en cette circonstance ? C'est la question à résoudre.

M. Lebeau. – Ce sont d'ailleurs des actes et non des personnes qu'il s'agit d'exempter.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Oui. Les actes et les pièces d'une procédure spéciale.

Dans l'état actuel des choses, je ne puis que le répéter les droits de timbre et d'enregistrement sont considérés à bon droit comme un obstacle à ce que la juridiction et l'influence des conseils de prud'hommes s'étendent et se développent.

On a fait beaucoup en faveur de ces institutions en 1842 ; il s'agit de quelques facilités de plus et qui peuvent être accordées sans préjudice réel pour le trésor. La chambre est sans doute suffisamment au courant pour se prononcer en parfaite connaissance de cause.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. L'article 5 de la loi du 9 avril 1842 est abrogé et remplacé par la disposition suivante :

« Dorénavant seront exemples des formalités et droits de timbre et d'enregistrement les actes, jugements et autres pièces relatifs aux poursuites ou actions devant les conseils de prud'hommes exclusivement.»

M. Broquet-Goblet propose de supprimer le premier paragraphe et de rédiger l'article comme suit :

« Sont exemptés des formalités (…) exclusivement. »

M. Raikem. - Je crois devoir rappeler que la première section avait proposé de remplacer les mois « d’enregistrement » par ceux « enregistrés gratis », parce que, comme on sait, l'enregistrement sert à donner aux actes une date certaine. C'est sous ce rapport que la formalité a été envisagée.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, une courte explication me semble propre à démontrer que la rédaction présentée pour l'article premier est préférable.

L'intention est seulement de supprimer les droits d'enregistrement pour les actes et pièces produits devant les conseils de prud'hommes. Ce but atteint, il faut songer à empêcher qu'une pièce qui aurait servi devant un conseil de prud'hommes et qui y aurait été enregistrée gratis ne puisse être produite dans d'autres circonstances ou devant d'autres tribunaux. Ce serait au préjudice du trésor.

Quant à la fixité de la date, ne peut-elle pas résulter des actes mêmes de citation ou de poursuite ?

Ainsi, s'il s'agit d'un exploit d'huissier, il en est fait mention sur le répertoire où tout huissier est tenu d'inscrire, jour par jour, les actes de son ministère.

Pour les procès-verbaux de consignation, il y a la mention au registre du secrétaire du conseil des prud'hommes, qu'il est obligé de tenir au courant ;

Enfin, en ce qui concerne la date des jugements, elle est constatée par la feuille d'audience du conseil.

M. Raikem. - Je me suis borné à renouveler l'observation d'une section. L'enregistrement a été introduit pour donner date certaine aux actes. C'est ce qui a donné lieu à mon observation qui avait pour objet d'attirer l’attention sur le but de la formalité. Mais si M. le ministre regarde comme tout à fait suffisants les autres moyens dont il vient de parler, la formalité, dans son opinion, serait superflue. Il me sera permis cependant de rappeler que dans une instruction donnée en France, le 20 juin 1809, on avait décidé que les exploits et autres actes de la procédure devant les conseils de prud'hommes pour des objets non excédant 25 fr. seraient enregistrés gratis. Le gouvernement impérial avait sans doute en quelques motifs pour assujettir ces actes à l'enregistrement gratis qui n'était une charge pour personne.

En supprimant entièrement la formalité de l'enregistrement, on fait exception à une disposition de la loi du 22 frimaire an VII portant que les exploits d'huissier qui ne sont pas enregistrés dans le délai de 4 jours seront nuls.

Du reste, mon but a été d'appeler l'attention sur l'objet de la formalité ; et dès que M. le ministre trouve d'ailleurs des garanties pour assurer la date, je ne crois pas devoir présenter d'amendement.

M. le président. - Je ferai observer à l'honorable membre que la section centrale a statué sur la proposition de la première section et qu'elle l'a rejetée par parité de suffrages (3 contre 5). Je lui demanderai s'il la reproduit comme amendement.

M. Raikem. - Non, M. le président.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ferai observer que l'enregistrement n'est pas nécessaire pour donner date certaine à des actes reçus par des officiers ministériels agissant dans l'ordre de leurs fonctions. Ainsi un acte notarié a date certaine du jour de sa confection ; Ce n'est pas l'enregistrement qui lui donne date certaine. Il doit en être de même des exploits d'huissier, des actes reçus par les secrétaires des conseils de prud'hommes agissant dans le cercle de leurs attributions. A la vérité, une disposition de la loi de frimaire an VII déclare nuls les exploits d'huissiers non enregistrés dans les cinq jours. Mais si l'on exempte de l'enregistrement les exploits relatifs aux poursuites devant les conseils de prud'hommes, cette disposition bien certainement.ne sera plus applicable à ces actes.

Je ne crois donc pas que la formalité de l'enregistrement, gratis soit nécessaire pour donner date certaine aux actes dont il s'agit.

- L'amendement de M. Broquet est mis aux voix et adopté.

L'article premier est adopté avec cet amendement.

Article 2

« Art. 2. Pareille exemption est accordée pour les registres dont la tenue est prescrite aux prud'hommes par les dispositions antérieures, ainsi que pour les certificats desdits registres, qui peuvent être délivrés par eux aux intéressés. »

M. d'Anethan. - Quoique la proposition dont il a été question dans la section centrale à propos de l'article premier, n'ait pas eu de succès, je crois devoir la reproduire à l'article 2. Je propose donc d'ajouter à cet article un paragraphe portant : « Ces certificats seront enregistrés gratis.» Je sais très bien, comme l'a dit M. le ministre de la justice, que lorsqu'il s'agit d'actes reçus par des officiers publics, date certaine leur est acquise, avant que la pièce ait été enregistrée. Mais M. le ministre de la justice reconnaîtra avec moi que l'enregistrement est nécessaire ou du moins très utile pour empêcher les antidates.

Quand il s'agit d'intérêts aussi importants, quand il s'agit d'assurer la propriété de dessins, et surtout la priorité du dépôt, on ne saurait être trop prudent, on ne peut s'en rapporter uniquement aux écritures tenues par le secrétaire du conseil de prud'hommes.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. d'Anethan tend à accorder une garantie de plus. Je la veux comme lui et par conséquent je ne fais aucune opposition à son amendement. Voici cependant une crainte qu'il m'inspire. Il s'agit, à l'article 2, principalement de dessins. Pour diverses fabriques, pour celles de la dentelle, par exemple, l'adoption de nouveaux dessins est chose fréquente ; le dépôt, pour assurer la propriété, doit en avoir lieu au conseil des prud'hommes. A la suite de ce dépôt, il est délivré un certificat qui devra être enregistré.

Je crains que, pour une chose qui se reproduira sans cesse, il n'y ait trop de formalités et par conséquent trop de besogne. Je n'ai pas d'autre considération à faire valoir contre la proposition de l'honorable membre qui, je le répète, tend à assurer d'autant mieux la propriété des marques et des dessins des fabricants.

M. Tielemans. - Messieurs, d'après ce que disait tantôt l'honorable rapporteur M. Broquet, l'article 2 aurait une portée plus grande que son texte ne semble comporter au premier abord. M. Broquet nous a dit que cet article exempterait des droits de secrétariat ou d'expédition établis par le décret du 11 juin 1809, les procès-verbaux constatant le dépôt des marques. Je désirerais savoir de M. le ministre des finances ou de M. le ministre de la justice, si c'est bien dans ce sens qu'il faut entendre l'article.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Ce n'est pas dans ce sens qu'il faut entendre l'article. Il ne peut être question que de l'exemption des droits de timbre ou d'enregistrement. Les autres frais constituent, à proprement parler, un salaire, qui continuera à être payé comme auparavant.

M. Tielemans. - Dans ce cas, je déposerai un amendement.

Vous savez, messieurs, que la loi du 22 germinal an XI exige, pour conserver la propriété des marques et des dessins, que le dépôt en soit fait d'abord au greffe du tribunal de commerce ; et de ce chef il est perçu un droit de greffe.

Le décret du 11 juin 1809 sur les conseils de prud'hommes a exigé ensuite un second dépôt des mêmes marques au secrétariat de ces conseils ; et pour l'expédition du procès-verbal de ce dépôt, il est dû un nouveau droit de trois francs.

Il est évident qu'il y a là un double emploi. Je voudrais donc que l'on se contentât de l'un des deux dépôts, ou que l'on exemptât l'autre de tous frais. Je proposerai un amendement dans ce sens.

M. d'Anethan. - Messieurs, si j'ai bien compris l'honorable M. Tielemans, il veut maintenir les deux dépôts ; mais il veut exempter l'un des dépôts de certains frais qui seraient maintenus pour l'autre.

Messieurs, il me semble qu'il y aurait là une véritable injustice pour l'un des deux fonctionnaires qui devrait délivrer l'acte gratis. Pourquoi, alors que le secrétaire du conseil des prud'hommes reçoit le dépôt comme le greffier du tribunal de commerce, l'un devra-t-il le recevoir gratis et l'autre pourra-t-il se faire donner 3 fr. pour la même besogne ? J'avoue que je conçois difficilement comment une pareille mesure pourrait se concilier avec les principes de rigoureuse justice.

Je conçois qu'en matière de pro Deo on oblige les officiers ministériels à prêter gratuitement leur ministère ; mais lorsqu'il s'agit de personnes qui ne sont pas indigentes, pourquoi seraient-elles servies gratis et pourquoi (page 887) enlèverait-on à un fonctionnaire un droit qui lui est alloué par la loi ?

M. Tielemans. - L'honorable M. d'Anethan nous dit qu il y aurait une sorte d'injustice à priver les secrétaires des conseils de prud’hommes de la rétribution de 3 fr. qu'ils perçoivent pour l'expédition du procès-verbal de dépôt.

Les secrétaires, si je ne me trompe, sont salaries par l’Etat. Il me semble donc qu'ils peuvent faire cette besogne gratuitement. Mais ne le fussent-ils pas, je trouverais toujours fort injuste que la loi imposât une double formalité dans un seul et même but et fît payer deux fois le salaire de cette formalité.

M. T'Kint de Naeyer. - Ce que vient de dire l'honorable M. Tielemans est parfaitement exact. Les secrétaires des conseils des prud'hommes ont un salaire fixe, et dans beaucoup de localités, ils se contentent de ce salaire. Ainsi le secrétaire du conseil des prud'hommes de Gand a la générosité de ne réclamer aucun salaire pour les pièces qu'il délivre.

M. le président. - Voici l'amendement présenté par M. Tielemans :

« Le droit de 3 fr. pour le procès-verbal de dépôt des marques et dessins, est supprimé. »

- La discussion est close.

L'amendement proposé par M. d'Anethan est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Je vais maintenant mettre aux voix l'amendement de M. Tielemans.

M. Tielemans. - M. le président, il faudrait y ajouter les mots « aux conseils des prud'hommes, » sans cela, l'amendement pourrait porter sur le dépôt au tribunal de commerce.

- L'amendement, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

L'article 2 est ensuite adopté avec les amendements qui y ont été introduits.

Le vote définitif du projet est renvoyé à après-demain.


Sur la proposition de M. le président, la chambre met à l'ordre du jour les projets de lois relatifs à la circonscription des cantons de justice de paix de Lennick-Saint-Quentin et d'Ellezelles, ainsi que le projet de loi relatif à la composition des cours d'assises.

La séance est levée à 5 heures.