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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 23 février 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi relatif à l’exécution de travaux
publics et autres mesures d’intérêt général (budget du département des travaux
publics). Canal de Schipdonck et canal de Zelzaete à la mer du Nord (d’Elhoungne, Rogier)
3) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire
pour l’achèvement du canal latéral à la Meuse
4) Projet de loi portant le budget de la dette
publique pour l’exercice 1849
5) Projet de loi visant à exempter des droits de
timbre et d’enregistrement les actes des conseils de prud’hommes (d’Hoffschmidt)
6) Projet de loi relatif au mode de nomination (et de
révocation) des bourgmestres en dehors du conseil communal. Avis conforme de la
députation permanente (Delfosse, Castiau,
Rogier, de Brouckere, de La Coste, Castiau, de Theux, Rogier, Delfosse)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence
de M. Liedts.)
(page 898) M. de Villegas procède à l'appel nominal
à 2 heures 1/4.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du
procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.
M. de Villegas présente l'analyse des
pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Plusieurs électeurs communaux de Chimay prient la chambre d'augmenter le
nombre des conseillers communaux de cette ville. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_________________
« Les demoiselles Vandebeursche, fermières à
Warneton, réclament l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du
chef de bestiaux perdus par suite de maladies contagieuses.»
- Même renvoi.
_________________
«
L'administration communale de Beeringen demande le rétablissement du droit
d'entrée sur le bétail. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
_________________
« Les secrétaires communaux de
l'arrondissement d'Ypres demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoi au ministre de l'intérieur.
PROJET DE LOI RELATIF A L’EXECUTION DE TRAVAUX PUBLICS ET AUTRES MESURES D’INTERET GENERAL
M. le ministre des finances (M. Veydt) dépose un
projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics et autres mesures
d'intérêt général. Il donne lecture de l'exposé des motifs et du projet de loi
qui sont ainsi conçus : (Nous publierons ce document.)
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE POUR L’ACHEVEMENT DU CANAL LATERAL A LA MEUSE
M. le ministre des finances (M. Veydt). présente ensuite un projet de loi ayant pour objet
d'accorder au gouvernement un crédit supplémentaire de 3,640,000 fr. pour
l'achèvement du canal latéral à la Meuse.
- La chambre ordonne l'impression et la
distribution de ces deux projets de loi et les renvoie à l'examen des sections.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE LA DETTE PUBLIQUE POUR L’EXERCICE 1849
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, je dépose le budget de la dette publique pour l'exercice de
1849. Les autres budgets du même exercice vous seront soumis en quelque sorte,
de jour en jour, et de manière qu'ils soient tous présentés avant la fin du
mois.
- La chambre ordonne également l'impression et la
distribution de ce budget et le renvoi à l'examen des sections.
MOTION D’ORDRE
M. d'Elhoungne. - Je demanderai au gouvernement s'il verrait quelque inconvénient à
faire un projet de loi séparé des deux premiers articles du projet général qui
vient d'être présenté, articles qui se rapportent au canal de Schipdonck et au
canal de Zelzaete. Ces deux canaux sont déjà votés par la législature, et
l'exécution en est aussi urgente que celle du canal latéral à la Meuse. Or,
comme le projet que M. le ministre vient de nous soumettre est très étendu et
très développé, je voudrais soustraire l'exécution des canaux dont il s'agit
aux retards que le projet général pourrait éprouver.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je
crois que l'observation de l'honorable M. d'Elhoungne est de nature à être
reproduite en sections. M. le ministre des travaux publics n'étant pas présent,
il ne peut pas répondre à l'honorable membre. L'interpellation, du reste,
pourra être renouvelée. Rien d'ailleurs ne doit entraver l'examen du projet en
sections.
PROJET DE LOI TENDANT A EXEMPTER DES DROITS DE TIMBRE ET
D’ENREGISTREMENT LES ACTES DES CONSEILS DE PRUD’HOMMES
Second vote des articles et vote sur l’ensemble
M. le président. - Le premier amendement introduit dans le projet
consiste dans la suppression du premier paragraphe de l'article premier, qui
était ainsi conçu :
« L'article 5 de la loi du 9 avril 1842 est abrogé
et remplacé par la disposition suivante. »
Ensuite on a substitué aux mots : « Dorénavant
seront exemptés, etc.» ceux-ci : « sont exemptés, etc.»
M. le ministre des affaires étrangères
(M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai demandé la parole pour répondre à une interpellation
qui a été faite en mon absence, lors de la première discussion, par l'honorable
M. T'Kint de Naeyer. L'honorable membre a témoigné le désir de savoir si les
conseils de prud'hommes pêcheurs institués par les arrêtés du 23 messidor an IX
et du 26 prairial an XI, à Ostende et à Blankenberghe, ont été maintenus. Je
répondrai à l'honorable membre que de ces conseils de prud'hommes pêcheurs
institués à Ostende et à Blankenberghe, il ne reste plus, en quelque sorte,
aucun souvenir ; les seuls conseils de prud'hommes que l'empire ait légués à la
Belgique sont ceux de Gand et de Bruges. Lors de la discussion de la loi de
1842, sur les conseils de prud'hommes de gouvernement avait proposé d'y insérer
une disposition tendant à autoriser l'institution de conseils de prud'hommes
pêcheurs à Ostende et à Anvers.
Cette proposition fut fortement combattue par la
section centrale et la chambre n'accorde point l'autorisation demandée. On
trouve dans le rapport de la section centrale sur cette question les
considérations assez nombreuses qui ont fait repousser la proposition du
gouvernement.
Dans l'état actuel des choses, le gouvernement ne
pourrait donc instituer de conseils de prud'hommes pêcheurs, comme l'honorable
M. de Naeyer semblait le demander ; il lui faudrait pour cela une nouvelle
disposition législative.
- La suppression de la première partie de l'article
premier, adoptée provisoirement au premier vote, est définitivement adoptée.
M. le président. - A l'art. 2 la chambre a ajouté les deux paragraphes
suivants :
« Ces certificats seront enregistrés gratis. »
« Le droit de trois francs pour le
procès-verbal de dépôt des marques et dessins au conseil de prud'hommes est
supprimé. »
- Ces deux paragraphes sont définitivement adoptés.
On passe à l'appel nominal.
74 membres ont répondu à l'appel.
72 membres ont répondu oui.
1 membre (M. de Tornaco) a répondu non.
1 membre (M. Bricourt) s'est abstenu. En
conséquence le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Dechamps, de Chimay, de
Clippele, de Corswarem, de Denterghem, de Haerne, de La Coste, Delfosse,
d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, de
Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, d'Hane, d'Hoffschmidt,
Dubus (aîné), Eenens, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Herry-Vispoel, Jonet,
Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries,
Mercier, Moreau, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier,
Rousselle, Sigart, Simons, Thienpont, Tielemans, T’Kint de Naeyer, Tremouroux,
Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Renynghe, Veydt, Wallaert,
Zoude, Anspach, Biebuyck, Bruneau, Castiau, Clep, Cogels, Dautrebande, David,
de Bonne, de Breyne, de Brouckere et Liedts.
M. le président. - M. Bricourt, qui s'est abstenu, est invité à
faire connaître les motifs de son abstention.
M. Bricourt. - Je n'ai pas voulu voter pour le projet parce
qu'il consacre un privilège en faveur des fabricants ; je n'ai pas voulu voter
contre, parce qu'il pose un acte de justice envers les ouvriers.
PROJET DE LOI RELATIF AU MODE DE NOMINATION DES BOURGMESTRES EN DEHORS
DU CONSEIL COMMUNAL
Discussion de l’article unique
« Article unique. Les dispositions de la loi
du 30 juin 1842, relative à la nomination du bourgmestre hors du conseil, sont
modifiées comme suit :
« Les mots : « le bourgmestre et »,
retranchés par cette loi du deuxième paragraphe de l'article 2 de la loi communale
du 30 mars 1836, y sont rétablis, et, par suite ce paragraphe est ainsi conçu :
« Le Roi nomme le bourgmestre et les échevins dans
le sein du conseil. »
(page 899)
Le paragraphe 3, ajouté au même article par ladite loi du 30 juin 1842, est
remplacé par la disposition suivante :
« Néanmoins, le Roi peut, de l'avis conforme de la
députation permanente nommer le bourgmestre hors du conseil, parmi les
électeurs de la commune âgés de 25 ans accomplis. »
M. Delfosse. - Messieurs, le bourgmestre a deux espèces
d'attributions. Il est chargé des intérêts communaux ; il est chargé de
l'exécution des lois. Au premier point de vue, il doit surtout avoir la
confiance des habitants de la commune ; au deuxième point de vue, au point de
vue de l'exécution des lois, il doit surtout avoir la confiance du
gouvernement.
La nomination du bourgmestre par le Roi, mais dans
le sein du conseil, était une transaction acceptable entre divers principes,
entre divers intérêts ; c'était une combinaison destinée à les concilier.
Ils ont donc été bien mal inspirés ceux qui en 1842
ont donné au Roi le droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil ; ils
ont porté par-là une grave atteinte aux droits des communes ; ils ont froissé
un des sentiments les plus vifs du pays. Les Belges, nous Liégeois surtout, ont
toujours attaché un grand prix au maintien de leurs franchises communales.
Nous avons soutenu en 1842 que cette modification à
la loi communale, qui n'avait en apparence, et d'après les protestations du
gouvernement d'alors, qu'un but administratif, serait dans la pratique une arme
politique au moyen de laquelle on chercherait à influencer les élections. Nos
prédictions se sont réalisées ; bien des bourgmestres, mus par la crainte de se
voir plus tard retirer leurs fonctions, ont dû appuyer ou tout au moins faire
semblant d'appuyer les candidats du gouvernement. Vous pouvez, messieurs, juger
si cette crainte était fondée, par le fait qu'aux portes de Liège seulement,
dans trois communes voisines, on a nommé le bourgmestre en dehors du conseil
malgré les vives réclamations des habitants.
Je n'ai plus guère du reste le courage d'adresser
des reproches aux hommes de l'ancienne politique ; ils sont assez punis de
leurs fautes, des mesures violentes auxquelles ils ont eu recours, par la
réaction qui s'est opérée dans les esprits et qui a puissamment contribué à
leur chute ; mais je félicite le gouvernement d'avoir rejeté loin de lui une
arme dangereuse, une arme qui blesse souvent ceux qui s'en servent.
Le projet de loi n'est pas, à la vérité, un retour
pur et simple à la loi communale de 1836. Il permet encore de nommer le
bourgmestre en dehors du conseil, de l'avis conforme de la députation
permanente ; mais cette dernière condition nous donne la garantie qu'on n'usera
de la faculté de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, que dans des cas
extrêmement rares, que dans le cas où il n'y aurait pas moyen de trouver dans
le conseil un seul homme pouvant ou voulant accepter les fonctions de bourgmestre.
Il peut y avoir, dans le conseil, des membres
exclus des fonctions de bourgmestre à raison de certaines fonctions qu'ils
exercent. D'autres membres du conseil peuvent refuser les fonctions de
bourgmestre, parce qu'ils ne se croiraient pas capables de les remplir,
d'autres encore parce qu'ils n'auraient pas assez de temps à consacrer à la
chose publique. Ce cas se présentera rarement, mais il peut se présenter ; s'il
se présente, il faut bien qu'il y ait possibilité de nommer un bourgmestre.
L'intervention obligée de la députation permanente, corps électif, digne de
confiance, doit nous rassurer tous contre l'abus qu'on pourrait faire de cette
disposition. Je donne donc mon adhésion au projet du gouvernement.
Mais ce projet est incomplet, en ce qu'il laisse
subsister l'ordre de choses, créé en 1842, quant à la révocation du
bourgmestre. D'après la loi de 1836, le Roi n'avait pas le droit pur et simple
de révoquer le bourgmestre. Ce droit de révocation était subordonné à certaines
conditions ; on ne pouvait l'exercer que de l'avis conforme de la députation
permanente. La loi de 1842, ayant donné au Roi le droit de nommer le
bourgmestre en dehors du conseil, était conséquente en lui donnant également le
droit de révoquer ce fonctionnaire. Mais aujourd'hui que nous révisons la loi
de 1842 en ce qui concerne la nomination du bourgmestre, il me semble que, pour
être conséquents, nous devons la modifier aussi en ce qui concerne la
révocation ; nous devrions rendre à cette catégorie de fonctionnaires les
garanties qui leur étaient données par la loi de 1836 et qui subsistent encore
en faveur des échevins. Aux termes de la loi de 1836, les échevins et le
bourgmestre ne pouvaient être révoqués que de l'avis conforme de la députation
permanente. La loi de 1842 a modifié cette disposition, quant aux bourgmestres,
et l'a laissée subsister quant aux échevins. Je demande le rétablissement pour
le bourgmestre de cette disposition, qui existe encore pour les échevins. C'est
le but de l'amendement suivant que j'ai soumis à la section centrale et que
j'ai l'honneur de soumettre à la chambre :
(L'honorable membre donne lecture de l'amendement.)
Cet amendement, que j'avais soumis à la section
centrale, n'a pas été adopté. Cinq membres seulement étaient présents ; 3
membres se sont prononcés contre mon amendement ; 1 membre s'est abstenu, et
naturellement je me suis prononcé pour.
Le rapport de l'honorable M. Lebeau indique quelles
sont les raisons qui ont engagé la majorité de la section centrale à rejeter
mon amendement. Il y en a deux.
Voici la première :
« Cette proposition a été combattue. On a dit que
ce n'était pas contre cette partie de la loi de 1842, transférant du gouverneur
au Roi ce droit de révocation et n'exigeant plus le concours de la députation
provinciale, que l'opinion publique avait réclamé. On a ajouté que, plus en
contact par ses relations et par son mandat avec les personnes, la députation
pourrait être moins libre d'exprimer, au moins officiellement, son avis dans
cette circonstance. » ; Arrêtons-nous à
cette première raison.
On dit que l'opinion publique n'a pas réclamé
contre cette modification à la loi communale.
Messieurs, l'opinion publique n'avait pas à
réclamer. Aussitôt qu'on donnait au Roi le droit pur et simple de nommer le
bourgmestre, on ne pouvait, sans être inconséquent, réclamer contre le droit
donné au Roi de le révoquer. Mais si l'on fait disparaître l'un de ces
changements à la loi communale, l'autre modification doit également
disparaître. Les deux dispositions sont corrélatives. Lorsque le Roi a le droit
pur et simple de nommer le bourgmestre, il doit avoir le droit pur et simple de
le révoquer. Si la nomination est subordonnée à certaines conditions, si elle
est renfermée dans certaines limites, il est sage, il est convenable de poser
aussi une limite au droit de révocation, limite qu'on peut admettre sans
inconvénient ; c'est l'avis conforme de la députation permanente.
L'honorable rapporteur dit que la députation, plus
en contact par ses relations et par son mandat avec les personnes, pourrait
être moins libre d'exprimer, au moins officiellement, son avis dans cette
circonstance. J'ai meilleure opinion des députations permanentes. Je crois que
lorsqu'il se présentera des motifs graves de révoquer un bourgmestre, les
membres de la députation permanente ne reculeront pas devant l'accomplissement
de leur devoir.
Les craintes que l'on manifeste sont d'ailleurs
imaginaires. Les séances des députations permanentes ne sont pas publiques. Les
membres d'une députation permanente peuvent se prononcer sans le moindre danger
sur des questions de personnes. La responsabilité qui porte sur un corps entier
est moins lourde pour chacun, rien n'empêche alors d'exprimer librement son
opinion. Je ne puis partager les craintes exprimées par l'honorable rapporteur
que les membres des députations permanentes ne seraient pas libres, n'auraient
pas une liberté suffisante pour l'expression de leur opinion sur les questions
de personnes qui seraient soulevées.
Si les raisons données par l'honorable rapporteur
étaient vraies, elles s'appliqueraient également aux échevins. Si les membres
des députations permanentes n'ont pas assez de liberté pour exprimer leur
opinion sur des questions personnelles, pourquoi laissez-vous subsister la
disposition qui exige l'avis conforme de la députation permanente pour la
révocation des échevins ? Vous ne proposez pas d'abroger cette disposition.
C'est ce qui prouve que vos craintes ne sont pas sérieuses, qu'elles ne peuvent
pas l'être.
Passons à la deuxième raison donnée par M. le rapporteur
contre mon amendement.
« On a opposé aussi la disposition de la loi
de 1842, qui remet au bourgmestre seul l'exécution des lois et règlements de
police, disposition qui n'est point attaquée. En cas de négligence grave dans
cette partie de ses attributions, qui se lie si intimement au maintien de la
tranquillité publique, la révocation immédiate de ce fonctionnaire peut devenir
une impérieuse nécessité. Or, la députation provinciale ne siège pas d'une
manière permanente et ne peut pas toujours être immédiatement réunie. »
Voici l'objection : Il pourrait y avoir des cas
d'urgence, des cas où l'on n'aurait pas le temps de réunir la députation
permanente, où il y aurait nécessité de révoquer le bourgmestre à l'instant
même. Permettez-moi d'abord une observation. Vous savez, messieurs, que lorsque
le bourgmestre est malade ou absent, il est remplacé par un échevin, c'est
alors un échevin qui est chargé de l'exécution des lois de police. Et cependant
la loi en vigueur exige l'avis conforme de la députation permanente pour la
révocation de cet échevin Je n'admets pas, du reste, avec M. le rapporteur
qu'il n'y aurait pas moyen de réunir la députation permanente en temps utile ;
il y a presque toujours au chef-lieu un nombre suffisant de membres de la
députation permanente pour qu'on puisse la réunir en cas d'urgence. Si
l'objection était fondée, elle prouverait contre l'avis de M. le rapporteur.
D'après la loi de 1836 le gouverneur décide, après
avoir pris l'avis de la députation permanente ; d'après la loi de 1842, on ne
prendra sans doute pas un arrêté royal sans avoir consulté le gouverneur. C'est
une cause de retard. M. le rapporteur fait valoir l'urgence, et tout en donnant
ce motif à l'appui de son opinion, il préfère un système qui donne lieu à bien
plus de lenteurs : il faudra l'avis du gouverneur, il faudra que le ministère
délibère, il faudra un arrêté royal. Je soutiens qu'on peut arriver à un
résultat bien plus prompt en remettant la loi de 1836 en vigueur.
Si le gouverneur peut révoquer, de l'avis conforme
de la députation permanente, on ira bien plus vite que s'il faut une décision
du ministre, précédée d'un avis du gouverneur et ensuite un arrêté royal. C'est
justement en entrant dans les idées de M. le rapporteur et en reconnaissant
avec lui qu'il est des cas où il faut pouvoir agir promptement, que l'on doit
désirer le retour à la loi de 1836.
Il y a encore, messieurs, à l'appui de mon
amendement, des considérations très fortes et sur lesquelles j'appelle toute
votre attention. Remarquez bien qu'en règle générale les bourgmestres seront
pris dans le conseil ; ils ne seront nommés en dehors du conseil que dans des
cas extrêmement rares.
(page 900)
C'est un acte très grave que de révoquer un bourgmestre, membre du conseil,
probablement investi de la confiance de ses collègues, et plus probablement
encore de la confiance du corps électoral ; un acte semblable ne saurait être
entouré de trop de garanties dans l'intérêt du gouvernement lui-même.
Lorsque le gouvernement voudra révoquer un bourgmestre,
membre du conseil, je dis qu'il devra se compter heureux d'avoir l'appui d'un corps
électif, d'un corps composé d'hommes jouissant de la confiance de leurs
concitoyens. Le gouvernement trouvera dans cet appui une force qu'il doit être
le premier à désirer. Ce n'est donc pas seulement pour que les bourgmestres ne
soient pas livrés à l'arbitraire ministériel, c'est dans l'intérêt du
gouvernement lui-même qu'il faut exiger l'avis conforme de la députation
permanente pour la révocation des bourgmestres aussi bien que pour le droit de
nomination en dehors du conseil.
Il est encore une considération sur laquelle
j'appelle l'attention toute particulière de M. le ministre de l'intérieur et de
la chambre, et qui prouve que le gouvernement pourrait se trouver compromis si
sa prérogative n'était pas subordonnée à l'avis conforme de la députation
permanente.
Je suppose un bourgmestre choisi dans le conseil ;
le gouvernement à tort ou à raison (MM. les ministres peuvent se tromper avec
les meilleures intentions ), le gouvernement à tort ou à raison, révoque ce
bourgmestre sans prendre l'avis de la députation permanente ; le gouvernement
peut croire de très bonne foi qu'il y a des motifs suffisants de révoquer ce
bourgmestre ; mais il peut arriver que ce bourgmestre révoqué jouisse de la
confiance de ses collègues, et qu'aucun d'eux ne veuille le remplacer.
Qu'arrivera-t-il dans ce cas ? Le gouvernement sera obligé de nommer un
bourgmestre en dehors du conseil ; mais il ne pourra pas faire cette nomination
sans l'avis conforme de la députation permanente, et si la députation
permanente, mécontente de ce que l'on se serait passé d'elle pour révoquer le
bourgmestre, convaincue qu'il n'y avait pas de motifs suffisants pour le
révoquer, refusait un avis conforme pour la nomination en dehors du conseil, le
gouvernement se trouvera ainsi dans l'impossibilité de nommer.
Le gouvernement se
trouverait dans une impasse ; il ne pourrait pas nommer un bourgmestre dans le
conseil, puisque aucun membre du conseil ne voudrait accepter ; il ne pourrait
pas nommer en dehors du conseil, puisque la députation permanente refuserait de
donner un avis conforme. Vous voyez, messieurs, combien la position du
gouvernement serait fausse, combien la prérogative royale serait compromise.
Je le répète, messieurs, il serait sage de
rétablir, en ce qui concerne la révocation du bourgmestre, la disposition de la
loi de 1836, qui n'a été abrogée en 1842 que parce qu'on donnait au
gouvernement le droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil. Il faut
quelquefois, dans l'intérêt même du gouvernement, se garder de trop étendre ses
prérogatives. Il arrive qu'on l'affaiblit en croyant le fortifier.
M. Castiau. - Messieurs, j'imiterai la modération de langage
de mon honorable ami M. Delfosse. Si les auteurs des lois réactionnaires de
1842 étaient encore au pouvoir, certes mes attaques tomberaient tout à la fois
et sur les personnes, et sur les mesures que j'ai eu cent fois déjà à
critiquer. Mais maintenant, que l'opinion publique a fait justice des hommes
qui étaient venus imposer à la chambre les mesures impopulaires dont on propose
l'abrogation, je crois, messieurs, devoir épargner les personnes et réserver
toutes mes attaques pour les mesures dont on ne saurait trop fortement flétrir
le caractère et les tendances.
Ces lois de 1842 vous permettent d'apprécier le
terrain que les institutions libérales ont perdu en Belgique depuis 1830.
En 1830, c'était l'ère de l'émancipation et du
libéralisme ; alors la nomination des bourgmestres était abandonnée aux
électeurs, et l'usage qu'ils avaient fait de cette prérogative prouvait qu'ils
en étaient dignes.
En 1836, le pouvoir annonçait déjà ses projets
d'envahissement et le désir de partager avec les électeurs ce droit de
nomination. Alors fut portée une première atteinte au droit des électeurs. On
décréta que le pouvoir central nommerait les bourgmestres et les échevins dans
le sein du conseil.
Enfin, en 1842, la réaction marche la tête haute ;
elle ne se contente plus de cette nomination au sein du conseil communal, elle
réclame l'arbitraire et le droit d'imposer aux communes des administrateurs
qu'elles repoussent. En même temps elle usurpe le droit de destituer, qu'elle
ne pouvait exercer que conjointement avec les députations permanentes.
Ainsi la loi de 1842 a porté une double et grave
atteinte à la loi de 1836 ; d'abord, quant au droit de nomination, puisque le
pouvoir a été investi de la faculté de faire cette nomination en dehors du
conseil ; ensuite, pour les révocations des bourgmestres, puisque, d'après la
loi de 1836, les révocations ne pouvaient avoir lieu que de l'avis conforme de
la députation permanente.
Que fait le projet de loi en discussion ? A-t-il
pour effet de faire tomber cette double atteinte à nos institutions municipales
et de donner à l'opinion la satisfaction qu'elle réclame ?
L'honorable M. Delfosse vient de traiter la
question de révocation ; il a montré que, sous ce rapport, le projet de loi ne
faisait rien et respectait l'œuvre réactionnaire de 1842. Ainsi la garantie que
la loi de 1836 avait stipulée et qui consistait à demander l'avis conforme de
la députation, cette garantie réclamée par l'intérêt public et le droit de
commune est également repoussée et ne se rencontre pas dans les propositions du
gouvernement.
S'est-on montré plus libéral pour le droit de
nomination ?
Ici, je le reconnais avec mon honorable ami, une
garantie est stipulée ; on conserve bien encore au pouvoir le droit de faire
les nominations en dehors du conseil communal, mais c'est à la condition de
l'avis conforme de la députation permanente.
Mon honorable ami a donné son assentiment à cette
mesure, il la croit suffisante ; eh bien, je regrette de me trouver en
dissentiment avec lui sur ce point ; j'appuie de toutes mes forces l'amendement
qu'il a présenté, quant à la révocation qui tend à se replacer sous l'empire de
la loi de 1836 ; mais il me semble que, pour être conséquent, il eût dû appuyer
l'amendement que je compte vous présenter à mon tour et qui a pour but de
remettre également en vigueur la loi de 1836, pour ce qui concerne les
nominations des bourgmestres.
En effet, pour vous prouver qu'il faut en revenir
purement et simplement à la loi de 1836, que mon honorable ami a considérée
comme une loi de transaction, pour prouver qu'il faut nécessairement que le
gouvernement choisisse et choisisse d'une manière absolue le bourgmestre au
sein du conseil communal, je m'emparerai des paroles mêmes de mon honorable
ami. Il vous a dit que le bourgmestre avait un double caractère, qu'il était à
la fois le représentant du pouvoir central et le représentant du pouvoir
municipal.
Eh bien, si le bourgmestre a ce double caractère,
il faut donc aussi que ce double caractère se retrouve dans son mandat ; il
faut donc que ce mandat émane à la fois et des électeurs et du pouvoir central.
Ainsi, c'est une nécessité logique, autant qu'une nécessité patriotique pour
mon honorable ami de reconnaître dans cette circonstance que, même avec la
modification proposée par le gouvernement, on anéantit ce double caractère que
le bourgmestre doit nécessairement conserver, car ce n'est point parce qu'on
aura stipulé l'intervention de la députation permanente, que le bourgmestre
conservera son caractère d'agent municipal. Choisi en dehors du conseil, même
avec l'assentiment de la députation, ce ne sera plus, quoi qu'on fasse, qu'un
commissaire royal.
Evidemment, je ne reconnais plus là la logique
toujours si juste et si sévère de mon honorable ami. Pourquoi donc a-t-il cru
devoir faire fléchir ici la rigueur de son principe ? Pourquoi admet-il un
système qui a pour effet de briser ce caractère d'agent communal pour faire du
bourgmestre le représentant exécutif du pouvoir central ?
C'est parce que, dit-il, il peut y avoir refus
d'accepter ces fonctions, et que le refus unanime des conseillers communaux
rendrait l'administration impossible.
Mais je vous le demande en conscience, de telles
hypothèses peuvent-elles se réaliser ? Mon honorable ami lui-même a déclaré que
les cas qu'il prévoyait étaient des cas irréalisables. Ce mot tranche la
question. Faisons-nous des lois pour des cas irréalisables, pour des fictions,
pour des chimères ?
Mais loin de partager les craintes de mon honorable
ami, loin de croire que des espèces de coalitions de refus s'organiseront au
sein des conseils communaux, je crains bien plutôt d'autres tendances et un
entraînement tout opposé.
Tout le monde sait, en effet, comment on se dispute
aujourd'hui dans les communes la possession des fonctions municipales. Que
d'ambitions ne soulèvent-elles pas de toutes parts !
Ainsi, les craintes de mon honorable ami me
paraissent exister uniquement dans son imagination, ainsi que les cas
irréalisables dont il parlait tout à l'heure.
Du reste, si, par impossible, une pareille
coalition existait de la part de tout un conseil communal, il y aurait moyen
d'y pourvoir, sans blesser les droits des communes, sans renoncer à
l'obligation que nous voulons imposer au gouvernement de choisir son délégué au
sein des élus de la commune.
Ce moyen, c'est de déclarer que ceux qui refusent
les fonctions publiques et surtout les fonctions électives, se frappent volontairement
d'une sorte de dégradation civique et de les frapper de la privation permanente
ou momentanée de leurs droits politiques. Cette pénalité serait-elle trop
rigoureuse pour ceux qui, élus par la confiance de leurs concitoyens à des
fonctions électives, répondraient par des refus à des marques de confiance et
de sympathie ?
C'est là, ce me semble, une lacune qui existe dans
nos institutions représentatives ; elles manquent de sanction. Si les devoirs
civiques étaient rendus obligatoires, on n'aurait pas à redouter les refus
purement hypothétiques que l'honorable membre paraît craindre.
Sans me préoccuper davantage de craintes
chimériques, je pense donc qu'il faut en revenir purement et simplement à la
loi de 1836 ; je crois que cette loi n'a donné déjà que trop de latitude, de
force et d'omnipotence au pouvoir central, et qu'il faut lui imposer
l'obligation de faire ses choix au sein du conseil communal sans compromettre
en rien les exigences du service administratif.
Rappelez-vous, en effet, messieurs, quelles sont
toutes les prérogatives réservées dans la loi de 1836 en faveur du pouvoir
central. D'abord le droit de nommer les bourgmestres et échevins au sein du
conseil communal ; or, vous savez que le conseil communal se compose d'un
nombre assez considérable de membres, puisque dans certaines communes, le
nombre des membres du conseil est de 31. Il y règne donc assez de latitude pour
le choix. Puis, le droit de révocation des bourgmestres et échevins, dont mon
honorable ami vous signalait l’importance il n'y a qu'un instant.
Indépendamment de ce droit de nomination et de
révocation, à l'aide duquel il domine les administrations communales, le
pouvoir exerce (page 901) encore une
véritable tutelle, une tutelle exorbitante parfois, sur les actes ; des
administrations communales. Ne sont-elles pas placées souvent dans un état
d'asservissement vis-à-vis du pouvoir central ? Tous leurs actes importants ne
sont-ils pas soumis à son assentiment ? Elles n'ont pas même le droit de
destituer un pauvre secrétaire communal, leur agent immédiat, l'homme de leur
confiance, celui des faits duquel elles doivent répondre. L'inférieur peut se
mettre en révolte contre ses chefs, dont et il ne peut être destitué par eux !
Voilà ce terrible pouvoir municipal on se fait un épouvantail et contre lequel
on réclame des mesures exceptionnelles !
Soyons justes, messieurs, et reconnaissons que le
pouvoir central n'a déjà que trop de moyens d'action sur les administrations
communales. Elles ne peuvent faire un pas ou un mouvement sans son autorisation
spéciale.
On a donc là toutes les garanties contre la
possibilité d'actes contraires à l'intérêt général.
Dira-t-on qu'on peut craindre la négligence des
bourgmestres, et leur refus de concours ? Un refus de concours ! c'est
impossible en présence de l'article 88 de la loi communale qui confère au
gouverneur ou à la députation en cas de négligence des fonctionnaires municipaux,
le droit d'envoyer des commissaires spéciaux remplacer en quelque sorte l'administration,
s'emparer du pouvoir et faire ce que l'autorité municipale aurait dû faire
elle-même.
Vous avez donc des garanties de toute espèce pour
faire tomber les mesures imprudentes et fâcheuses que pourraient prendre les
administrations communales ; et vous avez encore la garantie la plus énergique
contre la négligence des autorités communales ; que vous faut-il donc de plus
et qu'avez-vous besoin de ce droit de nomination des bourgmestres en dehors des
conseils communaux ? Il n'y a donc, en réalité, aucun motif sérieux pour
conserver aujourd'hui, même avec la restriction qu'on impose, l'œuvre
réactionnaire de 1842.
C'est avec une sorte de honte, je l'avouerai, que
je vois nos administrations municipales traitées avec moins de faveur que les
conseils municipaux de France. Ce droit de nomination, qu'on persiste à
réclamer au profil du pouvoir central, n'existe pas en France. Là, le pouvoir
exécutif ne peut, dans aucun cas, faire ses choix en dehors du conseil.
Cependant la France, vous le savez, est le pays de la centralisation par
excellence ; c'est là qu'on exagère le plus les prétendues nécessités d'un
pouvoir fort ; c'est là que tous les pouvoirs se sont successivement brisés par
l'abus de la force ; c'est le pays qui, après avoir servi d'exemple au monde, a
vu s'évanouir toutes ses libertés et ses droits. Il ne lui en restait plus
qu'un seul, le droit inviolable des réunions, et, à l'heure où je parle, ce
dernier des droits va tomber et disparaître dans le sang qui coule. Voilà où en
est aujourd'hui la grande et noble France !
Eh bien, irez-vous placer aujourd'hui nos
institutions municipales au-dessous même et à la queue des institutions
municipales de la France ?
Je ne puis le croire. La Belgique dans tous les
temps s'est placée, surtout pour les franchises communales, à la tête des
autres peuples ; il faut qu'elle conserve cette place d'honneur. C'est donc
pour effacer de nos institutions la trace des mutilations qu'y ont portées les
mesures réactionnaires de 1842 que j'engage la chambre à adopter l'amendement
que j'ai l'honneur de présenter pour rétablir dans toute sa pureté la
disposition de la loi de 1836, relative à la nomination des bourgmestres.
M. le président. - Un amendement vient d'être déposé par M.
Castiau. Il est ainsi conçu :
« Les dispositions de la loi de 1842,
relatives à la nomination et à la révocation des bourgmestres, sont révoquées,
et les articles 2 et 56 de la loi du 30 mars 1836 sont remis en vigueur dans
les termes suivant : »
(Suit le texte de ces articles.)
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, je commence par déclarer aux honorables auteurs des amendements, que
je me propose de les repousser. Nous croyons, messieurs, être restés dans des
limites sages, en nous bornant à demander pour le gouvernement le droit de
nommer le bourgmestre en dehors du conseil pour des raisons administratives et
par conséquent avec l'avis conforme de la députation. Voilà dans quelles
limites le projet de loi a été présenté. Voilà dans quelles limites il avait
été annoncé aux chambres dans le programme ministériel qui a reçu la sanction
de la grande majorité de cette chambre.
A l'occasion de ce projet de loi, comme à
l'occasion des autres projets, nous tenons à faire dès le principe de la
discussion cette déclaration que i nous n'irons pas au-delà des propositions du
gouvernement.
L'on dit que l'extension qu'on veut donner aux
propositions du gouvernement, relativement à la nomination du bourgmestre, est
réclamée par l'opinion publique.
C'est l'honorable M. Castiau qui a mis en avant (un ou deux mots illisibles) voir son opinion
réfléchir en quelque sorte l'opinion publique. L'honorable membre, suivant moi,
est dans l'erreur. L'opinion publique ne réclame pas ce que l'honorable membre
croit devoir réclamer, la chambre ne le réclame pas davantage ; dans les sections
aucune proposition n'a été faite ayant pour objet de refuser au gouvernement,
dans tous les cas, la nomination en dehors du conseil.
M. Castiau. - C'est une erreur ; j'en ai fait la proposition
dans la section où je me trouvais avec l'honorable M. Rogier.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je
n'étais pas présent ; et, dans tous les cas, je constate que cette opinion est
restée isolée et qu'il n'y a été donné aucune suite.
M. Castiau. - Elle a été rejetée ; mais elle n'est pas restée
isolée.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je
n'aperçois donc pas les symptômes de l'opinion publique ou d'une opinion
favorable, qui se serait formée dans cette chambre pour une pareille
proposition.
Messieurs, jusqu'ici deux orateurs seulement ont
critiqué le projet du gouvernement, en disant que nous faisions trop peu. Je
vois avec plaisir que d'autres orateurs ne viennent pas soutenir que nous
faisons trop. Sous ce rapport, je ne puis que me féliciter du progrès et du
calme qu'on peut remarquer dans l'opinion publique.
Je ne blâme pas l'honorable M. Castiau d'exprimer
ici son opinion. Qu'elle soit ce qu'on veut bien appeler plus avancée que la
mienne, plus avancée même que celle de l'honorable M. Delfosse, il n'y a rien à
redire à cela ; l'honorable M. Castiau reste parfaitement conséquent avec ses
principes, avec ses antécédents. Je ne lui demande pas de changer de position ;
il voudra me permettre de garder la mienne.
Je dois combattre l'amendement de l'honorable M.
Delfosse qui a pour but de soumettre la révocation des bourgmestres à l'avis
conforme de la députation.
Je fais observer à cet égard (et cette observation
s'applique également à l'amendement de l'honorable M- Castiau) que l'opinion
publique qu'on a invoquée ne réclame pas ces modifications à la loi communale
de 1842. Nulle part, je n'ai entendu réclamer ces modifications. La proposition
n'a pas été faite par les sections. Je regrette qu'elle ail tout à coup surgi
dans la chambre.
M. Delfosse. - Je l'ai proposée à la section centrale.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Il n'en
a pas été question dans les sections. Si elle a été produite à la section
centrale, c'est par l'auteur même de la proposition. Le cas est le même pour
l'honorable M. Castiau.
On trouve une sorte d'analogie, de connexité entre
la disposition qui donnerait au gouvernement le droit de nommer en dehors du
conseil, de l'avis conforme de la députation, et celle qui ne lui accorderait le
droit de révoquer le bourgmestre que sous la même réserve.
Mais il n'y a pas la moindre analogie entre l'un et
l'autre cas. Dans le cas de nomination en dehors du conseil, sur quelle
circonstance la députation est-elle consultée ? Ce n'est pas sur la question de
savoir si telle ou telle personne a les qualités nécessaires pour être
bourgmestre. Elle est consultée sur la question de savoir si les nécessités
administratives exigent que le bourgmestre ne soit point choisi dans le sein du
conseil. Voilà sur quels faits la députation est consultée et non sur un nom
propre,
La situation est tout autre, quand il s'agit de
prononcer sur une question de convenance administrative ou sur un nom propre.
El ici l'observation de la section centrale ne porte pas à faux, comme on l'a
dit. Il est difficile à des corps électifs, plus ou moins dépendants des
électeurs, et d'électeurs influents comme les bourgmestres des communes, de
donner une opinion impartiale sur la révocation de tels fonctionnaires.
Quant à l'abus que le gouvernement pourrait faire
de ce droit de révocation, on semble perdre de vue que ce droit n'est pas
illimité, qu'il est subordonné à des conditions très précises, tellement
précises, tellement étroites que la plupart du temps le gouvernement, sous
l'empire de la législation actuelle, est dans l'impossibilité de débarrasser
une commune d'un bourgmestre qui ne lui convient pas.
Pour que le gouvernement puisse exercer le droit de
révocation vis-à-vis d'un bourgmestre, il faut que ce bourgmestre se soit rendu
coupable d'inconduite notoire, ou de négligence grave. Hors ce cas, le
gouvernement est tout à fait impuissant pour révoquer un bourgmestre qui ne
suffit pas à la bonne direction des affaires de la commune. Ainsi, qu'un
bourgmestre soit arrivé à l'âge de la décrépitude, qu'il soit physiquement
incapable d'administrer la commune, il continuera de garder la place de
bourgmestre (ce cas s'est présenté), et le gouvernement, malgré le vœu des
électeurs, sera impuissant pour lui substituer un bourgmestre plus capable.
Si l'on consultait le tableau des révocations qui
ont eu lieu, on verrait qu'il n'a pas été fait abus du droit de révocation ; et
limité d'une manière sévère, comme il l'est par l'article 56, il n'est pas
possible qu'il en soit fait abus.
On dit (on a donné cet argument comme le plus
considérable de ceux qu'on a fait valoir) qu'il y aurait un grand danger pour
le gouvernement à révoquer le bourgmestre sans l'avis conforme de la
députation, et voici à quelles suppositions on s'est livré. Ou a dit : le
gouvernement révoquera légèrement.
M. Delfosse. - Je n'ai pas dit légèrement. J'ai dit à tort ou à
raison.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - C'est
dire à tort ou à travers ou, comme je disais ; légèrement. Si c'est à bon
droit, l'hypothèse tombe. Quand donc le gouvernement aura révoqué légèrement un
bourgmestre, la députation sera offensée et lorsque le gouvernement lui
demandera de nommer le nouveau bourgmestre hors du conseil, elle donnera par
esprit de vengeance une réponse négative. D'abord il faut supposer que quand le
gouvernement aura révoqué un bourgmestre, il ne trouvera dans le conseil
personne capable de le remplacer.
C'est une supposition qui le plus souvent ne se
réalisera pas. Le gouvernement révoquera un bourgmestre pour inconduite notoire
ou pour négligence grave ; il trouvera dans le conseil des personnes capables
de le remplacer el dès lors la députation n'aura pas à intervenir. S'il révoque
légèrement et qu'il en résulte un blâme ou des embarras pour lui il subira les
conséquences de sa faute.
(page 902)
Cet inconvénient même engagera le gouvernement à se conduire avec
circonspection.
Du reste qu'on ne fasse pas le gouvernement plus
sévère, plus despote qu'il ne l'est en réalité. Quand il s'agit de procéder à
des révocations, le gouvernement, en général, est toujours beaucoup plus
disposé à l'indulgence qu'à la sévérité.
Le gouvernement est en
général ami du statu quo en ce qui concerne les personnes. Il faudrait qu'arrivé
par une réaction tout à fait violente, il fut entraîné lui-même dans des voies
violentes pour qu'on eût à craindre qu'il fût fait abus d'un pareil droit.
Je dois donc, messieurs, finir comme j'ai commencé,
en déclarant que je ne me rallie pas aux amendements proposés par l'honorable
M. Delfosse et par l'honorable M. Castiau. Si des amendements dans un sens
contraire étaient proposés, je les combattrais également. Le gouvernement, je
le répète, se renferme dans les limites qu'il a posées dans son programme, et
qu'il a reproduites dans son projet de loi.
M. de Brouckere. - Messieurs, l'opposition que fait l'honorable M. Castiau au projet du
gouvernement est fondée sur cette considération que, dans tous les conseils
communaux, on trouvera toujours au moins un homme capable d'être bourgmestre et
disposé à accepter ces fonctions. Il est donc complètement inutile, d'après
l'honorable membre, de prévoir le cas où, dans l'intérêt du bien public, il
faudrait prendre le bourgmestre en dehors du conseil. Messieurs, je puis
déclarer à la chambre que, dans ma carrière administrative, j'ai rencontré des
cas où il y avait impossibilité absolue de trouver, parmi les conseillers
communaux, un bourgmestre, ou capable, ou qui voulût accepter ; et si
l'honorable M. Castiau veut en avoir la preuve, je le prie de relire l'enquête
qui a été publiée en 1842 ; il y trouvera une lettre du gouverneur de la
province d'Anvers, datée de 1841, et par laquelle il signalait au gouvernement
une commune où le conseil communal était au complet et où aucun membre de ce
conseil ne voulait accepter les fonctions de bourgmestre. « Aucun de ces
membres, dit cette lettre, ne veut accepter les fonctions de bourgmestre, et
cela sans qu'ils donnent, pour les refuser, d'autres motifs que leur
éloignement pour les affaires publiques ou leur prétendue incapacité. »
Et remarquez-le bien, messieurs, le gouverneur
s'était lui-même rendu dans la commune ; il avait fait des instances près des
membres du conseil individuellement, et chacun avait persisté dans sa
résolution. Il y avait donc impossibilité à donner à cette commune un chef
définitif, un chef tel que la loi veut qu'il y ait dans chaque commune.
Je pourrais, messieurs, citer d'autres cas encore,
non moins réels, et qui prouveraient à l'honorable M. Castiau que
l'impossibilité dont on a parlé n'est pas une fiction.
La loi du 30 mars 1836 présentait donc évidemment
une lacune en ce qui concerne la nomination des bourgmestres. C'est, messieurs,
ce qui a amené la modification votée en 1842. Mais, dans la majorité qui a voté
cette modification, il se trouvait, j'en suis certain, un grand nombre de
membres qui ne voulaient adopter qu'une mesure administrative. Or, qu'est-il
arrivé ? C'est que le gouvernement a abusé de cette mesure purement
administrative ; c'est qu'il en a fait une mesure politique ; c'est qu'il y a
puisé des moyens d'influence dont il a profité à l'occasion des élections ; et
voilà, messieurs, ce qui a amené les récriminations contre cette modification à
la loi de 1836 ; et voilà ce qui a mis en quelque sorte le gouvernement dans la
nécessité de revenir à une législation plus sage.
Selon moi, messieurs, le projet du gouvernement
répond à toutes les nécessités et prévient tous les abus.
II répond à toutes les nécessités ; car il est
certain que lorsqu'il sera impossible de trouver dans une commune un
bourgmestre convenable, la députation permanente du conseil provincial
n'hésitera pas à émettre l'avis qu'il y a lieu à prendre le bourgmestre en
dehors du conseil.
Il préviendra les abus, parce qu'aucune députation
permanente dans le royaume ne consentira à ce qu'on prenne un bourgmestre en
dehors du conseil dans des vues politiques, dans des vues d'influence.
Elle ne consentira pas à ce que, comme cela est
arrivé dans le passé, au lieu de prendre un bourgmestre en dehors du conseil
dans l'intérêt de la commune, on le fasse contre l'intérêt de la commune.
Messieurs, l'honorable M. Castiau, revenant un peu
sur ses pas, a cependant prévu le cas où le refus de tous les membres du
conseil communal d'accepter les fonctions de bourgmestre, rendrait la position
du gouvernement difficile. Quel remède propose-t-il ? Il vous propose d'insérer
dans la loi...
M. Castiau. - Je n'ai pas proposé.
M. de Brouckere. - L'honorable M. Castiau, bien qu'il ne le propose pas, indique comme
remède au mal qu'il signale lui-même, l'insertion dans la loi de l'obligation
pour tous les conseillers communaux d'accepter les fonctions de bourgmestre
lorsqu'ils en seront requis, et tout récalcitrant serait condamné à la
privation de ses droits civils, ou au moins privé de sa place de conseiller
communal.
Messieurs, je dis d'abord qu'un semblable système
porterait atteinte à notre système électoral. Car il dépendrait du gouvernement
d'éloigner ainsi du conseil communal certains conseillers qui lui déplairaient.
M. Castiau. - Comment ?
M. de Brouckere. - En les nommant bourgmestres.
Je suppose, et ce cas se réaliserait plus d'une
fois, que dans un conseil communal, il se trouve un conseiller qui ne soit pas
en position de pouvoir accepter les fonctions de bourgmestre, et dont il
conviendrait au gouvernement de se défaire. Le moyen serait très simple. Il
l'appellerait aux fonctions de bourgmestre et force serait au conseiller
récalcitrant, à celui qui ne voudrait pas accepter, de renoncer à son mandat de
conseiller. On éloignerait ainsi du conseil un élu de la commune.
Mais le système de
l'honorable M. Castiau aurait bien un autre inconvénient ; ce serait celui
d'éloigner des conseils communaux un grand nombre d'hommes capables, d'hommes
jouissant de la confiance des habitants. En effet, combien ne se trouve-t-il
pas de citoyens honorables qui ambitionnent l'honneur de représenter la commune
comme conseillers, et qui ne se sentent ni les dispositions ni les talents
nécessaires pour être le chef de la commune ?
Combien ne se trouve-t-il pas de ces citoyens qui
peuvent consacrer quelques jours par mois aux intérêts de la commune et qui ne
peuvent pas y donner le temps de chaque jour ! Eh bien, tous ces hommes,
vous les éloignerez nécessairement du conseil communal, et je n'hésite pas à
dire que ce serait là un très grand mal.
D'après ces considérations, je déclare que, fidèle
aux opinions que je professais en 1842, je voterai pour le projet présenté par
le gouvernement.
M. de La Coste. - Messieurs, je pense que nous sentons tout
l'intérêt de ne pas faire aujourd'hui une loi qui puisse devenir une arme de
parti, une arme électorale. Aucun de nous ne peut prévoir quelle sera sa
position à une époque plus ou moins éloignée, et si l'arme qu'il aurait forgée
ne serait pas employée à le combattre lui-même et ses principes.
Messieurs, le projet suppose trois propositions : d'abord
qu'il est certains cas où il est indispensable que le gouvernement puisse nommer
en dehors du conseil ; en second lieu, que cette faculté doit être accompagnée
de garanties qui en préviennent l'abus, surtout au point de vue politique ;
enfin que la garantie proposée par le gouvernement est celle qui atteint le
mieux ce but. Je crois, messieurs, que si l'on n'admet pas ces trois propositions,
on ne peut admettre le projet de loi.
Messieurs, de ces trois propositions, les deux
premières, je dois le dire, sont assez conformes à mon opinion ; mes doutes se
rapportent à la troisième.
Avant néanmoins d'en venir, messieurs, aux
observations que je désire vous soumettre, quant au point principal, quant à la
proposition du gouvernement, je dirai un mot de celle de l'honorable M.
Delfosse. Je pense que, dans l'état actuel, la garantie pour les bourgmestres
est plus grande que si l'amendement de M. Delfosse était adopté. M. le ministre
de l'intérieur, en annonçant, avec une franchise el une fermeté à laquelle je
rends hommage, en annonçant, dis-je, qu'il repousserait cet amendement, a
déclaré qu'il trouvait des garanties complètes dans la loi actuelle. Je crois
les garanties de la loi actuelle sinon aussi complètes qu'on pourrait le
désirer, plus complètes au moins qu'elles ne le seraient si la députation
intervenait, si son concours était non seulement consultatif, mais obligatoire.
Messieurs, je vous prie de croire que mon intention n'est pas de jeter le
moindre soupçon, le moindre doute sur le patriotisme et l'esprit de justice qui
caractérisent les députations, mais je les considère à un point de vue
abstrait, je considère leur position dans notre organisation politique, et je
dois dire qu'en me plaçant à ce point de vue, je craindrais que leur concours
ne diminuât les garanties des bourgmestres au lieu de les augmenter.
Je craindrais, messieurs, que les entraînements de
la politique n'agissent davantage sur les députations qu'ils ne peuvent agir
sur le ministère, et que celui-ci, trouvant sa responsabilité couverte par la députation,
ne fût plus disposé à admettre les révocations, que s'il était laissé à son
propre arbitre, s'il devait porter toute la responsabilité de ces actes.
L'honorable M. Delfosse a dit : Mais quand vous
aurez révoqué un bourgmestre et que vous viendrez après cela, ne trouvant
personne pour le remplacer, dans le conseil, que vous viendrez demander le
concours de la députation pour procéder à son remplacement, en dehors du
conseil, dans quelle position vous trouverez-vous ?
Eh bien, messieurs, ici je donne parfaitement
raison à l'honorable M. Delfosse. Le gouvernement se trouvera dans une position
fausse, dans une position où je ne crois pas que nous devons le placer ; car,
messieurs, quelle que soit la forme du gouvernement sous laquelle nous vivions,
le gouvernement sera toujours l'expression de l'unité nationale, qui se trouve
ici en face des représentants d'une province, des représentants d'une
circonscription limitée. Eh bien, messieurs, ces mêmes motifs combattent, selon
moi, la proposition du gouvernement. L'exemple en est dans l'amendement de M.
Delfosse que M. le ministre repousse avec raison, mais dans lequel M. Delfosse,
à son tour, a raison contre M. le ministre, quand il en tire les conséquences.
Les mêmes motifs qui me font craindre les entraînements d'opinion dans le
concours obligé de la députation pour les révocations, me les font craindre
aussi, lorsqu'il s'agira de nominations en dehors du conseil.
Je ne vous le cache pas, messieurs, je vous dirai
ma pensée tout entière, je crains que tantôt le gouvernement ne se trouve
paralysé dans l'exercice de la prérogative que vous lui conserveriez, et que
tantôt, au contraire, ayant sa responsabilité couverte par un corps
irresponsable et pouvant ainsi faire plus qu'il ne devrait faire, il ne se
trouve pour ainsi dire forcé à le faire.
(page 903)
Puisque l’on assure qu'il y a des abus, j'aimerais mieux, messieurs, que ces
abus fussent prévenus en augmentant, en renforçant la responsabilité
ministérielle qu'en la déplaçant. Ce n'est pas à moi, messieurs ; ce serait au
gouvernement à indiquer les moyens d'atteindre ce but ; mais je n'y vois aucune
impossibilité.
On pourrait, par exemple, imiter ce qui se fait
dans d'autres pays en certaines occasions, savoir exiger le contreseing de tous
les ministres. On pourrait encore, et je crois que cela existe en France,
accorder seulement au gouvernement la faculté de nommer à la commune un
administrateur provisoire pour un temps limité. Enfin, messieurs, il y a
différents moyens qui pourraient être recherchés et trouvés sans qu'on dût
avoir recours à celui qui est proposé.
Ainsi, messieurs, lorsque
nous aurons à voter sur l'amendement de l'honorable M. Castiau, je me
trouverai, je l'avoue, dans un certain embarras, car je me trouverai entre une
proportion que je condamne en principe et une proposition qui ne me satisfait
pas complétement parce que dans la pratique elle ne pourvoit pas à tout.
Voilà, messieurs, les observations que je crois devoir
soumettre à la chambre, et je vous avoue que si les explications qui me seront
données ne lèvent point ces objections, elles auront une grande influence sur
mon vote.
M. Castiau. - L'honorable ministre de l'intérieur a bien voulu
reconnaître la franchise et l'indépendance de mes opinions. Il vous a dit qu'en
proposant mon amendement, je restais parfaitement conséquent avec tous mes
antécédents et les opinions que j'ai exprimées dans toutes les circonstances et
à vingt reprises différentes dans cette enceinte. Je le remercie de cet aveu
et, à mon tour ; je suis prêt à rendre hommage à la franchise, à l'indépendance
et à la loyauté des convictions de l'honorable ministre. Malheureusement, sur
ce point encore, il y a entre nous un dissentiment profond, et la chambre me
permettra de faire un nouvel effort en faveur d'une opinion qu'on veut bien
reconnaître être l'expression d'une conviction consciencieuse.
M. le ministre de l'intérieur commence par déclarer
qu'il avait renfermé la proposition du gouvernement dans les limites de la
modération et de la sagesse, et que, dans aucun cas, il n'irait au-delà.
Il me semble que je ne suis pas sorti de ces
limites, vous proposant mon modeste amendement.
De quoi s'agit-il donc, en définitive ? Ai-je
demandé une disposition nouvelle, une disposition bien effrayante, le retour à
la nomination directe des bourgmestres par les électeurs ? Mais, non, vraiment
; j'ai demandé bien humblement, bien timidement, le rétablissement de la
disposition de la loi de 1836. Viendra-t-on dire que la loi de 1836 avait un caractère
d'exagération et de danger ? Mais tous l'ont proclamée une loi de transaction, dans
laquelle on n'avait que trop accordé aux exigences de la centralisation.
Il me semble donc que la critique indirecte que m'a
adressée M. le ministre de l'intérieur, si elle était fondée, au lieu de
frapper mon amendement, retomberait sur la législation de 1836, sur cette
législation qui, quand elle a été attaquée en 1842, a trouvé d'énergiques et de
chaleureux défenseurs dans cette enceinte et sur tous les bans de l'opposition
libérale.
Il m'était arrivé de prétendre que l'opinion
publique réclamait la modification que j'avais l'honneur de soumettre à la
chambre. M. le ministre de l'intérieur m'a contesté le droit de parler, dans
cette circonstance, au nom de l'opinion publique ; Je n'en ai pas le mandat ;
soit.
Mais M. le ministre ne me contestera pas, du moins,
le droit de parler au nom de l'opposition libérale tout entière. C'est cette
opposition tout entière qui s'est soulevée en 1842 dans cette enceinte contre
les modifications qu'on a proposées alors à la loi communale, et surtout celle
relative à la nomination du bourgmestre en dehors du conseil communal. On
m'interrompt pour me dire qu'elle a voté la disposition que le gouvernement
propose. Oui, elle l'a votée ; mais c'est après avoir échoué sur la question de
principe. Elle l'a votée, mais avec répugnance, en désespoir de cause, et comme
pis-aller.
Ainsi donc je suis autorisé à soutenir que toute
l'opposition libérale, en 1842, a protesté contre la nomination des
bourgmestres eu dehors des conseils. C'est donc au nom de cette majorité que je
parle en ce moment, et l'on ne me contestera pas ce droit. J'avais, du reste,
également le droit, ce me semble, d'invoquer le jugement du pays et de parler
au nom de l'opinion publique ; car l'opinion publique, qu'on ne l'oublie pas, a
frappé d'une réprobation générale, absolue, unanime toutes ces lois
réactionnaires, sans exception ; elle a frappé d'un véritable anathème national
toutes ces modifications où elle ne pouvait voir qu'une pensée de réaction, de
colère et de haine contre nos principales institutions, contre nos institutions
libérales.
Et puisque M. le ministre de l'intérieur a eu la
franchise de déclarer qu'il n'irait pas au-delà des propositions du
gouvernement, jdelui dirai avec la même franchise que dans toutes les
dispositions qui seront soumises à la chambre et qui seront relatives à l'œuvre
réactionnaire de 1842, je me ferai un devoir de proposer le retour pur et
simple à la loi de 1836. C'est une expiation que nous voulons infliger à nos
adversaires. Depuis 1842, l'opinion du pays attend une réparation énergique et
décisive. Qu'on ne s'y trompe pas, ce sont ces lois réactionnaires qui ont
comblé la mesure, et qui ont si vivement agité le pays. Ce sont ces lois, c'est
l'émotion qu'elles ont produite, ce sont les répugnances qu'elles ont inspirées
qui ont soulevé la majorité des électeurs et amené la chute de l'ancien
ministère.
Les élections du 8 juin n'étaient qu'une
protestation contre les mesures réactionnaires que nous poursuivons
aujourd'hui. J'avais donc le droit de parler au nom de l'opinion publique. Mes
paroles n'étaient que l'écho affaibli de la protestation énergique qui a
renversé la vieille politique et ses représentants.
Du reste, M. le ministre de l'intérieur n'a pas
poussé plus loin sa réfutation en ce qui me concerne ; il s'est borné à ces
quelques considérations générales ; mais qu'il me permette de le lui rappeler,
il n'a pas répondu aux objections que j'avais eu l'honneur de soumettre à la
chambre à l'appui de mon amendement.
J'avais dit que la proposition du gouvernement,
tendant à faire nommer le bourgmestre en dehors du conseil, même avec l'avis
conforme de la députation permanente, était à la fois inutile et dangereuse ; -
j’ai dit que cette prérogative exceptionnelle était inutile, parce que le
gouvernement était armé d'attributions assez nombreuses pour diriger, contenir
et, au besoin, dominer les administrations communales : droit de nomination,
droit de révocation, droit d'approbation et droit d'annulation. N'eût-il pas
toutes ces attributions, qu'il lui suffirait de recourir, en cas de négligence
ou de mauvais vouloir, au droit exorbitant que lui confère l'article 88 de la
loi communale, et d'envoyer aux frais personnels des administrateurs, dans les
communes récalcitrantes, des espèces de proconsuls ministériels qui se mettent
en lieu et place des administrations communales ? Que faut-il craindre encore,
armé d'une prérogative aussi exorbitante ?
J'ai dit que la disposition était dangereuse ; en
effet, l'assentiment de la députation permanente fera-t-il cesser l'hostilité
qui existera nécessairement entre ce bourgmestre, ce commissaire royal, nommé
en dehors des éléments du conseil communal, et le conseil communal lui-même ?
L'intervention de la députation permanente donnera-t-elle la consécration
populaire à ce bourgmestre ? Le choix fait en dehors du conseil communal, ne
sera-t-il pas en définitive une espèce d'injure et au conseil communal lui-même
et au corps électoral, et à toute la population de la commune ?
Eh bien, un pouvoir qui se présente ainsi
déconsidéré, ainsi flétri d'avance, ce pouvoir est impuissant pour faire le
bien et pour administrer ; l'homme qui est frappé dans la commune d'un tel
discrédit qu'il n'a pu arriver aux modestes fonctions de conseiller communal,
verra s'affaiblir el s'avilir dans ses mains l'autorité dont vous allez le
revêtir. Il y aura là un conflit perpétuel, un principe permanent de lutté et
de déchirement.
L'avis conforme de la députation permanente n'empêchera
pas ces conflits de naître entre ce bourgmestre imposé à la commune par le gouvernement
et le conseil communal appuyé sur les électeurs et souvent sur la population
entière.
On n'a pu invoquer contre cette opinion qu'un
exemple, qu'un exemple unique ; c'est celui qui a été cité par l'honorable M.
de Brouckere. L'honorable membre a feuilleté le Moniteur qui paraît être devenu sa lecture habituelle, car il
le parcourt encore en ce moment, et il a trouvé que, dans je ne sais quel coin
de la province d'Anvers, il y avait eu une commune où les conseillers municipaux
avaient refusé, avec une unanimité embarrassante, le mandat de bourgmestre. Et
c'est pour ce fait unique, qui n'a pas de précédents et qui ne peut guère se
reproduire, qu'on persiste à réclamer l'adoption d'une loi exceptionnelle !
Répondant à l'honorable M. Delfosse, qui avait
produit la même hypothèse, je disais que, dans ce cas, il y aurait lieu
peut-être de déclarer que ceux qui se coalisent pour refuser des fonctions
publiques et rendre l'administration impossible méritaient d'être frappés d'une
sorte de dégradation civique et dépouillés de leur mandat de conseiller
municipal.
Que me répond l'honorable M. de Brouckere ? « Le gouvernement
pourrait ainsi exclure du conseil communal un membre qui ne lui conviendrait
pas, en l'appelant aux fonctions de bourgmestre. »
Ainsi, il y a dans le conseil communal un membre
qui ne convient pas au gouvernement ; il est hostile ou incapable ; et le
gouvernement, se vengeant avec une abnégation toute chrétienne, irait confier à
cet adversaire la plus haute des fonctions municipales et tripler son influence
! Cette argumentation n'est pas sérieuse.
Il y a là une contradiction tellement choquante que
j'ai peine à comprendre qu'elle se soit trouvée dans la bouche de l'honorable
membre.
Mais prenez garde, a-t-il ajouté ; si vous allez
frapper d'une espèce de dégradation civique le conseiller communal qui refusera
les fonctions de bourgmestre, personne ne voudra plus accepter les fonctions de
conseiller communal.
Mais je ferai remarquer à l'honorable membre que
d'abord je n'ai pas fait de proposition à la chambre de ce chef ; c'est
simplement une idée générale que j'ai soumise aux méditations de la chambre, en
appelant son attention sur la nécessité de rendre obligatoire l'accomplissement
des devoirs civiques.
Quand j'ai exprimé l'opinion qu'il y aurait
peut-être lieu de priver de l'exercice de leurs droits politiques ceux qui,
sans motifs légitimes, refuseraient d'accomplir leurs devoirs civiques,
j'entendais que cette mesure s'appliquât au mandat de conseillers communaux et
surtout à toutes les fonctions électives. L'objection de l'honorable membre n'a
donc pas l'ombre de fondement.
(page 904)
On a traité, ce me semble, avec un peu trop de légèreté les observations que
j'avais eu l'honneur de vous soumettre sur la nécessité d'attacher une sanction
à l'exercice des droits et à l'accomplissement des devoirs civiques.
J'ai dit qu'il y avait là une lacune dans nos
institutions représentatives. Elles sont faites pour des citoyens zélés et
supposent partout l'abnégation le dévouement et le patriotisme.
Malheureusement, dans notre siècle si positif, l'on a tort de compter sur un
tel mobile, et quand le patriotisme fait défaut, il faut bien recourir aux
moyens coercitifs pour le réveiller. Puisque vous ne pouvez pas compter
uniquement sur le dévouement, il ne vous reste que la contrainte et la sanction
la plus énergique que vous puissiez donner à nos institutions électives, c'est
l'interdiction des droits civiques pour ceux qui les abdiquent volontairement
et sans motifs. Cependant je n'ai pas eu la pensée de faire de cette sanction
l'objet d'une proposition formelle ; c'est un sujet d'étude que j'ai voulu
soumettre à la chambre. Cette idée, je l'ai dit tout le premier, doit être mûri
; un jour peut-être elle pourra prendre place dans nos institutions, pour en
assurer l'exécution.
Si l'honorable membre la
repousse d'avance, s'il pense qu'il lui faut d'autres garanties contre le
danger passablement hypothétique dont il vous a parlé, je préférerais donner au
gouvernement le droit de dissoudre les conseils communaux plutôt que la
nomination des bourgmestres en dehors du conseil. La dissolution, ce n'est,
après tout, qu'un appel à la prérogative populaire, c'est le renvoi du
bourgmestre et des conseillers devant leurs juges naturels, les électeurs. Ce
droit ne m'épouvante pas. Car plus les élections sont fréquentes et mieux les
intérêts et les droits populaires sont défendus.
A tout prendre, donc, je le répète, je préférerais
donner au gouvernement le droit de dissolution, le droit d'en appeler aux
électeurs, que de lui conserver le droit de nommer le bourgmestre en dehors du
conseil, parce que ce droit, même soumis à l'approbation des députations
permanentes, sera toujours, pour toutes les communes où l'on en ferait usage,
un principe de lutte, de désordre et d'anarchie.
M. de Theux. - J'éprouve un véritable embarras de prendre part
à cette discussion, parce que je la trouve sans portée réelle, ni politique, ni
administrative. Cependant je ne puis me dispenser de dire quelques mots. Le
projet en discussion qui concerne la nomination des bourgmestres en dehors du
conseil, non plus que celui concernant le fractionnement des collèges, ne
portent aucune espèce de préjudice aux opinions politiques défendues par la
minorité de cette chambre. J'en trouve une preuve.
M. le ministre de l'intérieur en 1833 a soutenu
devant cette chambre un article en ce qui concerne la nomination des
bourgmestres, qui était entièrement conforme à la disposition de l'article 2 de
la loi communale actuellement en vigueur qu'il propose de révoquer. De plus,
dans le projet de 1833 on trouva le droit absolu de révoquer le bourgmestre,
sans en donner aucune espèce de motif.
Il est constant que quand M. le ministre de
l'intérieur en 1833 a soutenu cette thèse, quand l'honorable M. Nothomb et une
fraction de la minorité actuelle ont défendu la même thèse en 1842, il ne s'agissait
pas de faire prévaloir les intérêts spéciaux de la politique représentée par
cette minorité actuelle.
On a regardé comme réactionnaire la loi de 1842 ;
si cette loi était réactionnaire, le projet de 1833 l'était davantage encore,
puisqu'il allait beaucoup plus loin. En ce qui concerne la nomination des
bourgmestres, on veut par le nouveau projet empêcher qu'une considération
politique puisse dominer le choix en dehors du conseil ; on vous propose à cet
effet de dire qu'il ne pourra l'être que de l'avis conforme de la députation
permanente du conseil provincial. La députation, dit-on, n'émettra jamais que
des avis fondés sur des considérations administratives.
Pour moi, je considère cela comme une assertion, et
en aucune manière comme un principe ou comme une vérité. La députation est un
corps électif. L'expérience de 1836 à 1848 a prouvé que dans plus d'une
circonstance ces corps électifs se sont élevés à des positions politiques. Or
la politique ne dominera-t-elle jamais une députation quand elle émettra un
avis sur l'utilité de nommer le bourgmestre en dehors du conseil ? Pour moi, je
n'oserais pas l'affirmer. Si je le faisais, je manquerais à mes convictions.
Que conclure de là ? C'est que la prétendue
amélioration qu'on vous présente n'en est pas une, qu'au contraire la nouvelle
loi sera moins en harmonie avec les principes que la loi de 1842 ; car veuillez
bien le remarquer, la grande considération qui a dominé la discussion de 1842,
c'est qu'au Roi appartient le pouvoir exécutif, que ce pouvoir est exercé par
des ministres responsables avec le consentement et la signature du Roi. Or,
messieurs, peut-on assurer qu'il y aura partout exécution réelle des lois,
quand le pouvoir pourra se retrancher derrière un avis négatif de la députation
permanente du conseil provincial ?
Il pourra toujours dire : Les députations ne sont
pas disposées à accorder au gouvernement la faculté de nommer le bourgmestre en
dehors du conseil, le gouvernement n'est pas responsable des abus de pouvoir ou
de l'inexécution des lois dans telle ou telle circonstance.
Dans d'autres cas, le gouvernement après avoir fait
un choix politique en dehors du conseil, si on le lui reproche, répondra : «
Mais je suis à couvert, la députation a donné, un avis conforme ; elle a été
d'avis qu'il y avait lieu de nommer en dehors du conseil. » Ainsi, au point de
vue des libertés communales, le résultat le plus clair de la loi sera de mettre
le ministre à couvert de toute responsabilité. Aujourd'hui, si on fait un choix
en dehors du conseil, si ce choix soulève des difficultés administratives, on
reproche au ministre la nomination qu'il a proposée au Roi.
A l'avenir, quand il le fera de l'avis conforme des
députations, il se lavera les mains, il dira : Ce sont les députations qui sont
responsables. La responsabilité collective ne tombe sur personne, on ne saura
pas si l'avis a été donné à l'unanimité ou à la majorité. Comme il arrive
toujours en pareil cas, chacun tâchera de garder le secret le mieux qu'il
pourra. La députation étant un corps électif, tout corps électif désirant
perpétuer son mandat, chacun craindra toujours de faire connaître l'opinion
qu'il a émise, soit qu'il ait été sollicité par quelqu'un qui désirait être
nommé bourgmestre, soit qu'il craigne le ressentiment des conseillers communaux
qui auront vu, contre leur gré, introduire un bourgmestre étranger.
Je dis donc que la
disposition qu'on vous propose n'est réellement pas une amélioration, et
qu'elle ne préviendra en aucune manière les inconvénients politiques qu'on a
signalés et qu'on pourrait craindre.
Quant à moi, en aucune circonstance, quoique nous
ayons aujourd'hui une administration qui s'est posée en opposition avec nos
principes, je n'aurais pris l'initiative du rappel de cette loi. C'est avec
regret que je l'ai vu proposer.
J'attendrai le cours ultérieur des débats pour me
prononcer.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). -
L'honorable M. de Theux ne paraît pas encore avoir pris son parti sur le rôle
qu'il compte jouer au moment du vote. Après avoir combattu la proposition à la
fois comme insignifiante, et comme présentant certains dangers, l’honorable
préopinant finit en déclarant qu'il ne sait pas encore quelle sera en
définitive son opinion au moment du vote.
Je regrette que l'honorable préopinant, qui depuis
si longtemps occupe un rang distingué dans le parlement, qui a joué un rôle si
important dans les affaires, ne puisse dès maintenant nous donner son opinion
définitive sur la portée de cette loi.
L'honorable préopinant, cependant, fait ses efforts
(je dois le reconnaître) pour rapetisser, pour amoindrir autant que possible ce
projet. Serait-ce qu'en définitive il se croira peut-être dans l'obligation de
devoir voter avec nous, à la fin de cette discussion ? Eh bien, je dois le
déclarer, la proposition n'a, il est vrai, rien d'exorbitant, mais elle n'est
pas non plus aussi petite que voudrait la faire l'honorable préopinant ; il
faudrait au moins que les dispositions d’esprit de l’honorable préopinant et de
ses amis politiques fussent singulièrement changées, car, si j’ai bonne
mémoire, il n’y a pas un an que l’idée de voir de pareilles propositions faites
à la chambre faisait jeter des cris de frayeur à plusieurs amis de M. de Theux,
et, je pense, à l'honorable M. de Theux lui-même.
Mais enfin je veux bien permettre à l'honorable M.
de Theux d'employer ce moyen de se rallier à la proposition.
L'honorable M. de Theux qui, peut-être par
plusieurs motifs, devrait être sobre de revues rétrospectives.....
M. de Theux. - Je n'ai aucun motif de les craindre.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Pardon,
vous en avez plusieurs et de très graves.
L'honorable M. de Theux est venu me rappeler 1833.
Il s'étonne qu'en 1848 je vienne faire une proposition que je n'avais pas faite
dans un projet de loi de 1833. D'abord je pourrais dire qu'entre 1833 et 1848
il s'est passé 15 ans. Quelque bon conservateur que je sois, j'entends des
bonnes institutions, je n'ai pas pris l'engagement de rester à quinze ans
d'intervalle parfaitement conséquent avec toutes mes opinions.
Mais je ne puis accepter l'espèce de récrimination
qu'a voulu m'infliger l'honorable M. de Theux. Il est vrai que dans le projet
de 1833, la nomination du bourgmestre sans limite était proposée, mais il est
vrai aussi qu'en 1836, sous l'administration de l'honorable M. de Theux, de son
aveu, avec son assentiment il y a eu une réaction qui a passé dans la loi
communale. L'honorable M. de Theux l'a acceptée.
Pourquoi en 1842, n'y est-il pas resté fidèle ?
Pourquoi d'une loi de transaction a-t-il fait une véritable loi de transaction
? En 1842, nous avons combattu la proposition soutenue alors par M. de Theux,
en nous appuyant sur la transaction de 1836. Nous avons pu avoir en 1833 des
défiances sur les effets du système, système qui a prévalu en 1836, mais ce
système a fonctionné jusqu'en 1842 sans aucun embarras grave pour
l'administration supérieure. Aucun intérêt gouvernemental ne nécessitait ce changement
relatif à la nomination du bourgmestre, pas plus que les autres changements
apportés à la loi communale. Mais la suite l'a bien prouvé, on a voulu alors
trouver dans la loi communale une arme de parti, une arme politique, voilà
l'origine de la loi que nous avons combattue en 1842.
Cela est tellement vrai qu'à peine en possession de
cette loi, le gouvernement en a fait abus, non pour pourvoir à la bonne
administration des communes, mais pour introduire dans les conseils communaux
des bourgmestres, hommes politiques, agents électoraux. Ainsi, s'il y a ici
quelque inconséquence à signaler, ce n'est pas de 1833 à 1848, mais de 1836 à
1842.
Je n'en fais pas un reproche à l'honorable
préopinant, je voudrais qu'on s'épargnât ces récriminations, ces sortes de
retours vers le passé. Du reste, je les accepte sans peine pour mon compte ; je
n'ai rien à regretter de mon passé, ni rien à en retrancher.
On dit que l'avis conforme de la députation
n'offrira aucune garantie à la commune, je crois le contraire.
(page 905)
L'honorable M. de Theux me permettra de prendre mes preuves non dans de simples
hypothèses, mais dans des faits réels. Plusieurs communes d'une province
libérale ont eu à subir les conséquences politiques de la loi de 1842 : sans
qu'il y eût des motifs autres que des motifs purement politiques, leur
bourgmestre fut nommé hors du conseil. Si à cette époque le gouvernement avait
dû prendre l'avis conforme de la députation, pour décider si, au point de vue
administratif, il y avait lieu de nommer les bourgmestres hors du conseil dans
ces communes, bien certainement, messieurs, cet avis conforme n'aurait pas été
donné, et le gouvernement aurait été arrêté dans cette voie réactionnaire, dans
cette voie toute politique, vis-à-vis des communes où il espérait gagner de
l'influence à l'aide de ce moyen, moyen qui ne lui a pas réussi.
Voilà donc, messieurs, des circonstances où la
députation peut servir de barrière utile aux entraînements du pouvoir, et peut
parfaitement garantir la commune contre des actes arbitraires.
Sans doute, la députation est un corps électif ;
sans doute, la politique entrera aussi pour quelque chose dans les décisions
des députations ; mais de tous nos corps électifs, la députation est
certainement celui où la politique est appelée à jouer le moindre rôle.
L'intérêt politique est l'intérêt secondaire dans la députation ; l'intérêt
administratif est, au contraire, son intérêt de tous les jours.
La députation a tous les jours affaire avec les
communes ; elle est la première intéressée à ce que les administrations
communales marchent régulièrement, soient dirigées par de bons bourgmestres.
Voilà l'intérêt permanent, l'intérêt quotidien de la députation, et je ne crois
pas que cet intérêt puisse jamais être effacé dans l'esprit de ses membres par
un intérêt politique.
J'ai peut-être tort, messieurs, d'insister aussi
longtemps pour défendre une proposition qui, à vrai dire, n'est pas très
fortement attaquée par nos honorables adversaires.
Je dots maintenant répondre un mot à notre
honorable ami M. Castiau.
L'honorable M. Castiau trouve, comme l'honorable M.
de Theux, la proposition inutile ; il la trouve également, à certain point de
vue, dangereuse. Le choix, dit-il, en dehors du conseil sera une injure, un
outrage par les communes ; de là de grands embarras pour le gouvernement ; de
là peut-être des perturbations continuelles.
Avec les réserves introduites dans la loi, le choix
du bourgmestre en dehors du conseil ne sera jamais considéré comme une injure
ou comme un outrage pour des habitants de la commune. Ce sera lorsque la
nécessité administrative aura été constatée, ce sera souvent à la demande des
habitants de la commune eux-mêmes, à la demande des conseillers communaux que
le bourgmestre sera choisi en dehors du conseil. Quelquefois la commune a
grandement à souffrir de l'absence d'un bourgmestre convenable ; il arrive
quelquefois que le conseil lui-même verrait avec plaisir un bourgmestre choisi
en dehors de son sein ; et sous ce rapport, loin d'être un outrage à la
commune, la nomination du bourgmestre en dehors du conseil pour des motifs
administratifs, sera presque toujours reçue avec reconnaissance par la commune.
La proposition, dit-on, est inutile, parce que le
gouvernement a en mains d'autres moyens de pourvoir à la direction des affaires
de la commune, si un bourgmestre venait à lui manquer : et voici les trois
moyens qui sont mis à la disposition du gouvernement par l'honorable M.
Castiau. Je vais faire juge l'honorable M. Castiau lui-même de la libéralité de
ces moyens. Pour ma part, je les repousse comme par trop violents, trop
énergiques, excepté cependant le dernier.
Avec l'interdiction de choisir les bourgmestres en
dehors du conseil, si aucun conseiller ne veut accepter les fonctions de
bourgmestre, que fera le gouvernement ?Le gouvernement, dit-on, enverra un
commissaire spécial à demeure dans la commune, aux frais des administrateurs,
une espèce de proconsul au petit pied qui viendra, au nom du gouvernement,
administrer cette commune et l'administrer à ses frais jusqu'à ce qu'il lui
plaise de fournir au gouvernement un bourgmestre.
M. Castiau. - C'est la disposition de la loi.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Le
gouvernement envoie des commissaires spéciaux, lorsque des conseils communaux
sont en retard de fournir quelque renseignement sur une affaire. Mais ce n'est
pas du tout ici le cas. Il faudrait faire un étrange abus de la loi pour
appliquer cet article au cas où un bourgmestre viendrait à faire défaut dans
une commune. Ce moyen serait extrêmement violent, il serait
ultra-gouvernemental, et je m'étonne que l'honorable membre ait cru devoir
l'indiquer.
On ne veut pas que le gouvernement, dans certains
cas et de l'avis conforme de la députation permanente, puisse choisir un
bourgmestre en dehors du conseil ; et en même temps on reconnaîtrait au
gouvernement le droit d'envoyer, sans avis quelconque et à perpétuité, dans la
commune, un commissaire spéciale faisant les fonctions de bourgmestre !
Vraiment ce raisonnement ne tient pas.
Un second moyen est indiqué par l'honorable M.
Castiau, c'est de nommer des bourgmestres malgré eux sous peine d'être destitué
comme conseillers communaux. Eh bien, je vais lui poser une hypothèse. Je
suppose que les honorables ministres qui nous ont précédés sur ce banc trouvant
que l'honorable M. Castiau, dans un conseil communal, leur faisait une
opposition désagréable, aient pensé à lui confier le titre de bourgmestre.
L'honorable M. Castiau, fidèle à ses principes, aurait repoussé de pareilles
fonctions venant de pareilles mains. Voilà l'honorable M. Castiau destitué de
sa place de conseiller communal.
Le second moyen ne vaut pas mieux que le premier,
et pour ma part, je ne pourrais l'accepter.
Vient le troisième moyen, et j'avoue qu'ici je suis
heureux de me trouver d'accord avec l'honorable M. Castiau. Du reste, j'espère
que nous serons souvent d'accord, tout en nous réservant sur .certaines
questions.
L'honorable M. Castiau dit : Un troisième moyen,
c'est là dissolution. Eh bien, l'honorable M. Castiau veut-il de ce troisième
moyen ? Veut-il le proposer à la chambre ?
M. Castiau. - Si vous voulez renoncer au projet du
gouvernement, je fais de ce moyen l'objet d'une proposition formelle.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Ceci
nous jetterait dans un tout autre ordre d'idées. Mais je reconnais qu'avec le
droit de dissolution, la proposition du gouvernement perdrait beaucoup de sa
nécessité.
M. de Mérode. - Cela ne
changerait rien.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Mais en
1833 j'ai soutenu dans cette enceinte qu'il fallait accorder au gouvernement le
droit de dissoudre les conseils provinciaux. Ce droit, j'ai été presque seul à
le soutenir, très peu de membres de la minorité d'aujourd'hui ont donné leur
adhésion à l'opinion que j'exprimais alors au nom du gouvernement.
Ce droit de dissolution était consacré aussi dans
le projet de loi communal. L'honorable M. de Theux y a renoncé. Il ne l’avait
pas trouvé convenable dans la loi provinciale ; il ne l'a pas soutenu dans la
loi communale.
Veut-on aujourd'hui
introduire cet élément nouveau dans notre législation ? En principe je n'y suis
pas contraire. Mais ce serait une modification extrêmement grave et peu
attendue dans ce moment. Je ne la repousse pas en principe, je le répète ; je
l'ai soutenue. Mais je pense qu'à propos delà loi en discussion nous ne pouvons
pas improviser tout un nouveau système.
Je crois, messieurs, avoir répondu aux observations
et de l'honorable M. de Theux et de l'honorable M. Castiau, et je persiste à maintenir
la proposition du gouvernement.
M. Delfosse commence un discours qui sera continué demain.
Nous donnerons demain ce discours en entier.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.