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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 24 février 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi relatif au mode de nomination (et de
révocation) des bourgmestres en dehors du conseil communal. Avis conforme de la
députation permanente (Delfosse, Castiau,
(+pouvoir constitutionnel du Roi) (de Mérode, Rogier), de Theux, Vandensteen, Lebeau, Delehaye, Malou, Rogier,
Lebeau, Delfosse, Malou, Rogier, de
Brouckere, Delehaye, Mercier,
Malou, Dolez, Castiau,
de Brouckere, Dubus (aîné), Rogier, Mercier, Maertens, Rogier, Malou,
Castiau, Dolez, Mercier, Frère-Orban, Bruneau, Dubus (aîné), de Corswarem, Dubus (aîné), Rogier, Castiau, Delehaye)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence
de M. Verhaegen,
vice-président.)
(page 907) M. de Villegas procède à l'appel nominal à 1 heure.
M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente. La
rédaction en est adoptée.
M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Augustin-Jacques Lacroix, caporal au
6ème régiment de ligne prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à
recouvrer la qualité de Belge. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
_________________
« Le sieur Mattecroes réclame contre le prix
d'adjudication des chaussures pour l'armée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_________________
« Les
membres de l'administration communale de Heyd demandent le rétablissement du
droit d'entrée sur le bétail. »
« Même demande des membres de l'administration
communale de Gerdingen. »
- Renvoi à la commission permanente d'industrie.
_________________
Par message en date du 22 février, le sénat informe
la chambre qu'il ne sera donné aucune suite à la demande de naturalisation du
sieur Dieudonné Daubourg, ex-musicien au 2ème régiment de ligne.
- Pris pour notification.
PROJET DE LOI RELATIF AU MODE DE NOMINATION DES BOURGMESTRES EN DEHORS
DU CONSEIL COMMUNAL
Discussion de l’article unique
M. le président. -
La parole est à M. Delfosse.
M. Delfosse. - M. le ministre de l'intérieur s'est félicité,
dans son premier discours, de n'avoir trouvé d'adversaires que d'un côté de la
chambre. « On m'a reproché, a-t-il dit, de ne pas faire assez, mais personne ne
m'a reproché de faire trop « ; M. le ministre de l'intérieur a regardé
cette position, qui lui est faite, comme un progrès dans les mœurs, et il s'en
est félicité. Moins heureux que M. le ministre de l'intérieur, j'ai entendu
l'honorable M. Castiau dire que je ne fais pas assez ; j'ai entendu M. le ministre
de l'intérieur dire que je faisais trop. Mais je suis loin de m'en plaindre, je
m'en félicite, au contraire, car cela me prouve que j'ai su me tenir en garde
contre deux espèces d'exagération.
L'honorable M. Castiau avec lequel je suis plus
d'accord qu'il ne le pense, s'imagine que je m'écarte des règles de la logique
parce que je consens à autoriser, sous certaine condition et pour des cas très
rares, la nomination du bourgmestre en dehors du conseil. L'honorable M.
Castiau me reproche, à ce sujet, je ne sais quelle contradiction. J'ai dit que
le bourgmestre, ayant deux espèces d'attributions, devait aussi avoir un double
mandat, qu'au point de vue des intérêts communaux qui lui sont confiés, il doit
avoir un mandat des électeurs de la commune, au point de vue de l'exécution des
lois, dont il est chargé, il doit avoir un mandat, une nomination du
gouvernement. Je reste fidèle à cette opinion, mais je dois bien tenir compte
des faits ; je dois bien reconnaître qu'il peut y avoir, dans certains cas,
impossibilité d'appliquer la règle que je trouve bonne.
Je l'ai dit et je le répète, le bourgmestre doit, à
la fois, recevoir son mandat et des électeurs de la commune et du gouvernement
; mais puis-je rejeter une exception à cette règle pour les cas où il serait
impossible de l'appliquer ? Je voudrais bien que l'honorable M. Castiau
m'indiquât comment, avec son système absolu, il serait possible de nommer un
bourgmestre, lorsque aucun membre du conseil ne voudrait accepter. D'autres cas
peuvent se présenter où il y aurait nécessité pour le gouvernement de choisir
le bourgmestre en dehors du conseil. Voici une hypothèse. Je suppose une petite
commune ; un homme influent, un propriétaire parvient à s'y faire nommer membre
du conseil communal. Il désire être bourgmestre et il exerce sur les membres du
conseil une influence telle qu'aucun d'eux ne voudrait accepter les fonctions
qu'il convoite.
Le gouvernement est donc
obligé de le nommer, il ne peut pas en nommer un autre alors même que cet homme
serait taré dans l'opinion publique, alors même qu'il aurait été condamné par
la justice pour un fait déshonorant ! Et ceci n'est pas une pure hypothèse ;
j'ai connu un bourgmestre qui avait été condamné pour escroquerie. Je le
demande à l'honorable M. Castiau, lui qui tient tant à la moralité, s'il n'est
pas bon, s'il n'est pas moral que le gouvernement puisse dans ce cas, nommer le
bourgmestre en dehors du conseil.
M. Castiau. - C'est réellement là un fait presque
incroyable ; les (page 908)
condamnés pour escroquerie ne peuvent pas même être élus ; comment donc
pourraient-ils être conseillers communaux ou bourgmestres ?
M. Delfosse. - Je ne veux citer ni le nom du bourgmestre ni le
nom de la commune, mais je certifie le fait. Je concède à l'honorable M.
Castiau qu'on a violé la loi en conférant les fonctions de bourgmestre à un tel
homme.
Mais si cet homme, au lieu d'être condamné pour
escroquerie, l'avait été pour un fait ne tombant pas sous l'application de
l'article 12 de la loi communale, en aurait-il été moins indigne de la
confiance du gouvernement ?
L'honorable M. Castiau a indiqué trois moyens
auxquels on pourrait recourir : l'honorable membre voudrait qu'on pût forcer
quelqu'un à être bourgmestre ; on serait bourgmestre comme on est soldat,
malgré soi ; je ne pense pas que la chambre soit fort tentée d'accueillir cette
idée. L'honorable membre a indiqué ensuite l'envoi de commissaires spéciaux et
la dissolution du conseil ; je n'ajouterai rien à ce qui a été dit sur ces
deux points par M. le ministre de l'intérieur.
Messieurs, j'ai répondu, à la fin de la séance
d'hier, à l'honorable M. Castiau qui m'avait reproché de ne pas faire assez. Je
crois avoir démontré que mon honorable ami veut faire trop. Je répondrai
maintenant à M. le ministre de l'intérieur qui m'a reproché de faire trop, et
j'espère démontrer que M. le ministre de l'intérieur ne veut pas faire assez.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). Eh bien !
venez-le faire à ma place.
M. Delfosse. - Nous pouvons discuter avec calme. Je ne parle
pas dans l'intention de vous fâcher.
Je ne blâmerai pas M. le ministre de l'intérieur de
la position qu'il prend, mais mon opinion est qu'il ne veut pas faire assez ;
j'espère que je suis libre de l'exprimer.
M. le ministre de l'intérieur a repoussé mon
amendement parce qu'il le considère comme allant au-delà du programme
ministériel, dans les termes duquel M. le ministre déclare qu'il entend rester.
M. le ministre de l'intérieur a proclamé une politique qui est à la fois une
politique de progrès et de résistance.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - De
progrès et de conservation.
M. Delfosse. - De progrès dans les limites indiquées ; de
résistance au-delà ;
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - De
résistance contre les exagérations.
M. Delfosse. — Vous résistez à une proposition qui n'est certes
pas exagérée.
Je ne dirai en ce moment qu'un mot sur la
déclaration de M. le ministre de l'intérieur ; c'est que la position qu'il
convient au ministère de prendre ne m'empêchera jamais, quelles que soient mes
sympathies pour les hommes qui le composent, d'exprimer franchement et
consciencieusement mes opinions.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Et
réciproquement.
M. Delfosse. - Il y a, messieurs, deux partis à prendre,
lorsqu'on a ses amis au pouvoir, on peut les appuyer et voter avec eux sur
toutes les questions importantes, sauf à les avertir de leurs fautes
amicalement, et en quelque sorte à huis clos ; c'est le système qui a été
recommandé et pratiqué par l'honorable M. de Theux.
On peut aussi ne pas reculer devant la
manifestation publique d'un désaccord sur certaines questions. La triste
expérience que l'ancienne droite a faite du premier système m'engage à préférer
le second. Je le crois plus franc et en même temps plus habile.
J'arrive à mon amendement.
Je vous avoue, messieurs, que je ne croyais pas mon
amendement d'une nature aussi compromettante. Je ne croyais pas, en le
présentant, pousser le ministère au-delà de son programme, encore moins à
l'exagération. Je croyais, au contraire, que mon amendement était dans les
termes et dans l'esprit du programme.
Le gouvernement vous propose de poser une limite au
droit de nomination des bourgmestres. Je vous propose de poser en même temps une
limite au droit de révocation.
Je vous le demande, messieurs, ma proposition
n'est-elle pas une conséquence rigoureuse, directe de la proposition du
gouvernement ? Si le gouvernement, en faisant sa proposition, a agi
conformément à son programme, comment mon amendement, qui n'est qu'une
conséquence de la proposition du gouvernement, pourrait-il être une déviation
au programme ? Le législateur a, dans tous les temps, établi une corrélation
étroite entre le droit de nommer un fonctionnaire et le droit de le révoquer.
La loi de 1836 avait posé une limite au droit de
nommer le bourgmestre ; elle avait en même temps posé une limite au droit de le
révoquer ; la loi de 1842 était conséquente. La loi de 1842, ayant fait
disparaître la limite au droit de nommer, a fait en même temps disparaître la
limite au droit de révoquer. La loi de 1842 était conséquente aussi. Mais ne
serions-nous pas inconséquents si, alors que nous rétablissons la première
limite, la limite au droit de nommer, nous ne rétablissions pas aussi une
limite au droit de révoquer ? Si ma proposition est exagérée, celle du
gouvernement l'est aussi. Elles sont toutes deux de la même nature. Elles
rentrent toutes deux dans les termes du programme.
M. le ministre de l'intérieur a présenté contre mon
amendement quelques observations qui m'ont peu touché, qui ne m'ont pas même
paru sérieuses. M. le ministre de l'intérieur a dit qu'il n'y a pas
d'inconvénient à consulter la députation permanente, sur la question, de savoir
s'il y a lieu de nommer les bourgmestres en dehors du conseil, mais qu'il y
aurait un grand inconvénient à la consulter sur le point de savoir s'il y a
lieu de révoquer un bourgmestre. La députation permanente, d'après M. le
ministre de l'intérieur, soumise à des influences électorales, n'offrirait pas
des conditions d'impartialité suffisantes pour se prononcer sur une telle
question.
C'est précisément le contraire qui est vrai. Si,
comme M. le ministre de l'intérieur le suppose, la députation permanente se
trouve sous l'influence de préoccupations électorales, elle craindra bien plus
de froisser tout un conseil, en déclarant qu'il n'y a pas dans le conseil un
seul homme apte à remplir les fonctions de bourgmestre, que de froisser un seul
homme, le bourgmestre qu'il s'agirait de révoquer.
Si la raison donnée par M. le ministre de
l'intérieur était vraie, si la députation permanente n'offrait pas des
conditions d'impartialité suffisantes, cette raison s'appliquerait également
aux échevins, et cependant il y a une disposition encore en vigueur, qui ne
permet pas de révoquer les échevins sans l'avis conforme de la députation
permanente, et M. le ministre de l'intérieur ne propose pas d'abroger cette
disposition. Je dis à M. le ministre de l'intérieur que si la raison de
défiance qu'il a donnée contre la députation permanente est vraie, elle est
vraie pour la révocation des échevins comme pour la révocation des bourgmestres
; si on ne veut pas consulter la députation pour le bourgmestre, on doit, sous
peine d'être inconséquent, proposer l'abrogation de la disposition qui exige
l'avis conforme de la députation pour la révocation des échevins.
J’ai fait d'ailleurs observer hier que la
députation permanente délibère à huis clos et qu'elle peut en conséquence se
prononcer sans crainte et sans danger sur les questions de personnes qu'on lui
soumet. Ne prononce-t-elle pas sur le sort des miliciens, et ses décisions en
cette matière ne peuvent-elles pas donner lieu à plus de haines, à plus
d'inimitiés que la décision qu'elle prendrait, une fois par extraordinaire, sur
la révocation d'un bourgmestre ?
Je pense avoir fait justice de la première raison
donnée par M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur a encore dit qu'il
n'y a pas de raison pour se défier du gouvernement, qui, d'après lui, aurait
plutôt une tendance à l'indulgence qu'à la sévérité ; et que le droit de
révocation des bourgmestres n'est pas illimité, qu'on ne peut les révoquer que
dans le cas d'inconduite notoire ou de négligence grave.
Cette garantie, que M. le ministre de l’intérieur
trouve si forte, ne me rassure nullement. Sans doute la loi porte qu'on ne
pourra révoquer un bourgmestre qu'en cas d'inconduite notoire ou de négligence
grave, mais qui est juge de l'existence de ce cas ? A qui l'appréciation
est-elle laissée ? Au ministre seul ; c'est le ministre seul qui décide s'il y
a inconduite notoire ou négligence grave. Il y a eu, et je crains bien qu'il
n'y en ait encore, il y a eu des ministres qui étaient très disposés à trouver
coupables de négligence grave ou d'inconduite notoire des bourgmestres qui leur
étaient hostiles dans les élections ou qui leur déplaisaient pour d'autres
motifs.
Je connais des bourgmestres très capables, très
fermes, très honorables, entourés de l'estime de leurs concitoyens, qui auraient
bien certainement été révoqués, il y a quelques années, s'il n'avait fallu
alors l'avis conforme de la députation permanente ; mais comme on était sûr que
la députation permanente ne donnerait jamais son assentiment à une pareille
mesure, force a bien été d'attendre l'expiration de leur mandat pour leur
donner des successeurs.
Je ne sais vraiment comment M. le ministre de
l'intérieur peut trouver une garantie suffisante dans la disposition de la loi
qui porte qu'on ne pourra révoquer qu'en cas d'inconduite notoire ou de
négligence grave.
La loi qui a créé l'ordre civil de Léopold ne
contenait-elle pas aussi une disposition de même nature ? Ne disait-elle pas
qu'on ne pourrait conférer la décoration que par un arrêté motivé et pour
services rendus au pays ? Cette disposition a-t-elle été une garantie dans
l'exécution ? N'a-t-on pas décoré une foule de gens sans valeur et même des
gens méprisés ?
D'ailleurs, messieurs, s'il n'y a nulle raison de
se défier du gouvernement, si MM. les ministres passés, présents et futurs ont
été, sont et doivent être de petits saints, pourquoi se défie-t-on d'eux quand
il s'agit de la nomination en dehors du conseil ? Pourquoi pose-t-on une limite
à la faculté de nommer en dehors du conseil ? Pourquoi dans ce cas une garantie
contre l'arbitraire ministériel, et pourquoi pas dans l'autre cas ? Pourquoi
aussi ne pas donner au gouvernement le droit de révoquer les échevins sans le
concours de la députation permanente ?
Je ne cesserai de le dire à M. le ministre de
l'intérieur : tant qu'il soutiendra son système et qu'il ne proposera pas
l'abrogation des dispositions de la loi communale, concernant les échevins, il
sera inconséquent.
Est-ce par hasard parce que le bourgmestre aurait
un peu plus d'attributions que les échevins, qu'il devrait avoir moins de
garanties et qu'il faudrait le livrer à l'arbitraire ministériel ? Mais cette
différence dans les attributions, qui ne porte guère que sur l'exécution des
lois de police, (page 909) n'a pas
été jugée suffisante pour motiver le droit donné au gouvernement dénommer,
quand il le voudrait, les bourgmestres en dehors du conseil ; il serait peu
rationnel, peu logique, de s'en prévaloir pour ne pas poser de limite au droit
de révocation.
J'avais signalé un inconvénient qui me paraissait attaché
au système du gouvernement ; j'avais dit qu'il serait possible que si un
bourgmestre était révoqué sans l'avis de la députation, peut-être contre le gré
de la députation, aucun de ses collègues membres du conseil ne voulût prendre
sa place. Il serait possible aussi que la députation, mécontente de la
révocation, n'autorisât pas le gouvernement à choisir le bourgmestre en dehors
du conseil. C'est là un inconvénient grave ; la prérogative royale pourrait
être compromise.
M. le ministre de l'intérieur m'a répondu que
c'était là une considération subtile ; subtile, je le veux bien ; mais le cas
peut se présenter, et s'il se présente, je demande à M. le ministre comment il
se tirera d'embarras ? A moins qu'il n'ait recours à l'un des moyens indiqués
hier par l'honorable M. Castiau ; à moins qu'il ne force les gens à être
bourgmestre malgré eux, à moins qu'il ne fasse des bourgmestres comme on fait
des soldats, ou bien qu'il n'obtienne de la chambre le droit de dissoudre les
conseils communaux, je ne vois pas comment il en sortira. Je défie les plus
habiles, M. le ministre tout le premier, d'en sortir.
Je persiste à croire qu'il
serait sage, prudent, de rétablir la loi de 1836. Cette loi avait donné une
garantie aux bourgmestres comme aux échevins ; et ce n'est pas sans une
discussion approfondie que cette disposition y avait été introduite. Si elle a
été modifiée en 1842, c'est qu'on modifiait la disposition relative à la
nomination ; comme conséquence, il fallait modifier aussi la disposition
relative à la révocation. Puisque-vous faites justice de la modification
relative à la nomination des bourgmestres, vous devez également faire justice
de l'autre changement qui n'était que le corollaire, que la conséquence du
premier. La plupart d'entre vous ont confiance dans le ministère ; mais les
ministères passent ; souvenez-vous du passé et craignez l'avenir ; c'est quand
on a un bon ministère qu'il faut obtenir des garanties pour l'époque où l'on en
aura de mauvais.
M. de Mérode. -
Messieurs, la question de la nomination des bourgmestres, circonscrite ou non
circonscrite dans la sphère étroite du conseil communal, est une question
purement d'ordre civil et politique.
En ouvrant le Moniteur de juillet 1834, je trouve
que MM. Dubus, Dumortier, Doignon, Desmet et Dellafaille soutenaient, avec la
plus vive préoccupation des envahissements du pouvoir, que le bourgmestre
devait être exclusivement choisi par le Roi, dans le conseil. J'y vois que MM.
Rogier, Lebeau et Goblet, avec lesquels j'étais membre du conseil des
ministres, défendaient la nomination royale librement faite dans la commune,
conformément à la faculté formellement établie à cet égard dans l'article 108
de la Constitution ; j'y vois, en outre, que l'honorable M. Fallon, qui
représentait ordinairement l'opinion intermédiaire entre les partis principaux,
ne voulait pas davantage que cet article n'eût aucun effet dans l'organisation
communale, et, dans un discours remarquable qui mériterait d'être relu
maintenant d'un bout à l'autre, il défendait le pouvoir exécutif supérieur
contre l'intervention électorale dans la nomination du chef de la commune. La
réunion d'habitants à laquelle nous conservons le nom de commune, disait-il,
n'est autre chose qu'une fraction de l'Etat dans un cercle plus étroit que la
réunion d'habitants que nous appelons la province. Comme la province dans ses
intérêts exclusivement provinciaux, la commune dans ses intérêts exclusivement
communaux, doit jouir de toutes les libertés que la Constitution garantit aux
agrégations d'habitants, comme à chaque habitant en particulier ; mais aussi en
ce qui regarde les lois de l'Etat et les mesures d'ordre et d'intérêt général,
la commune doit être soumise tout autant que la province à l'action directe et
immédiate du pouvoir exécutif. Mais le motif le plus fort que faisait valoir
l’honorable M. Fallon, c'était le principe de la responsabilité du pouvoir
exécutif, si important dans notre Constitution.
« On peut confier, disait-il, la surveillance de la
police municipale, proprement dite, au collège du bourgmestre et des échevins,
parce que le concours de l'intérêt public et de l'intérêt communal existe
réellement ; mais en ce qui concerne l'exécution des lois, des règlements
et des mesures d'administration générale, je pense, avec le gouvernement (et le
gouvernement c'était MM. Rogier, Lebeau, Goblet, Coghen, que ce doit être
exclusivement là l'affaire de son agent, et qu'en ce point l'intervention des
échevins est incompatible avec la responsabilité ministérielle. La première
chose à laquelle on doit donc veiller dans l'institution communale, c'est de
satisfaire en premier lieu à l'intérêt général dans ses rapports avec l'intérêt
communal, et, par conséquent, c'est l’action du bourgmestre, comme agent du
gouvernement, qu'il faut d'abord assurer. »
« Quant à moi, messieurs (continuait-il), je ne
connais d'autre moyen de concilier cette action avec la responsabilité
ministérielle, qu'en laissant au gouvernement le droit de choisir l'agent du
pouvoir exécutif en dehors comme en dedans du conseil. »
Je me détermine d'autant plus aisément à adopter ce
système, qu'il ne porte aucune atteinte à l'action libre et indépendante de
l'administration communale en tout ce qui regarde ses intérêts domestiques, et
qu'il satisfait du reste entièrement aux exigences de la loi constitutionnelle.
N’oublions pas, en effet, que, suivant l'article 31 de la Constitution, ce ne
sont que les intérêts exclusivement communaux, et rien de plus que nous pouvons
abandonner aux administrations communales. Ce système est, d'ailleurs, celui
que vous avez adopté dans la loi provinciale et, quant à moi, je ne vois pas de
raison de ne pas appliquer à la commune les principes que nous avons crus
propres à l'organisation provinciale. La province a un conseil, une députation
et un chef d'administration sous le titre de gouverneur ; la commune aura un
conseil des échevins pour députation et un chef d'administration sous le titre
de bourgmestre. Le gouverneur est choisi librement par le Roi (non seulement
dans la province, mais dans le royaume entier), il assiste au conseil et n'y
délibère pas, et cependant il préside la députation et délibère avec elle. Rien
n'empêche de mettre le bourgmestre dans la même position, alors qu'il a été
choisi en dehors du conseil, il assistera au conseil sans y avoir voix
délibérative, il présidera les collèges des échevins et délibérera avec eux.
Dans cette combinaison il y aura uniformité de principe dans l'organisation des
provinces et des communes, et je n'y aperçois rien qui puisse raisonnablement
alarmer les susceptibilités communales. L'action du conseil reste libre et
indépendante. Aucune voix étrangère à l'élection populaire ne prend part aux
délibérations.
Le collège des échevins, qui est exclusivement
saisi et qui doit être exclusivement saisi de l'exécution journalière de ce qui
est d'intérêt communal, est formé de manière que la majorité reste à l'élection
populaire, en dehors du conseil et du collège ; le bourgmestre n'est que
l'agent du pouvoir exécutif dans ce qui a exclusivement rapport à l'exécution
des lois et des règlements d'administration générale, et ce n'est plus là
l'affaire de la commune.
En tout ce qui touche les intérêts généraux, en ce
qui regarde l'action du pouvoir exécutif, le bourgmestre est le principal agent,
non pas de la commune, mais dans la commune, et à coup sûr en cette qualité
l'élection populaire ne lui est pas plus applicable qu'an gouverneur de la
province ou à tout autre agent de l'administration de l'Etat. Ce système,
messieurs (ajoutait toujours l'honorable et savant jurisconsulte), ce système
qui n’est autre, comme vous le voyez, que le système même que vous avez déjà
adopté pour la province, a en outre cet avantage que, dans le cas où un conseil
communal ne présenterait aucun membre qui pût ou qui voulût se charger des
fonctions de bourgmestre, circonstance qui pourra fort bien se rencontrer plus
souvent qu'on ne pense, le service public ne restera pas en défaut. Il
terminait en ces termes ses observations, aussi vraies en 1848, c'est-à-dire, après
quatorze années, qu'en 1834. « Nous avons dans l'organisation produite par les
arrêtés du gouvernement provisoire, de nombreux exemples vivants que ce n'est
pas toujours celui qui a passé par la filière électorale qui est entouré de
plus de considération ; un bourgmestre sera considéré non pas précisément parce
qu'il est sorti de l'urne électorale, mais parce qu'il saura concilier avec
fermeté et sans craindre le résultat d'une élection subséquente, le double
devoir qu'il a à remplir tant dans les intérêts généraux de l'Etat que dans les
intérêts spéciaux de la commune. Si, dans le double rôle que doit remplir le
bourgmestre, on craint de le placer, comme agent du pouvoir exécutif, sous les
exigences du pouvoir, pense-t-on que, comme agent de la commune, les exigences
de l'élection populaire ne sont pas tout autant à craindre pour l'exécution
rigoureuse des règlements d'administration publique ? Quant à l'affaiblissement
du pouvoir dans la nomination d'un bourgmestre pris en dehors du conseil, je
suis aussi de ceux qui pensent que l'on n'affaiblit le pouvoir qu'alors que,
dans le cercle légal de ses attributions, on lui refuse une action entièrement
libre, qu'alors qu'on lui impose fa loi de n'avoir d'autre agent qu'un agent
sorti de l’urne électorale. »
Pour avoir, messieurs, le droit de vous répéter ces
passages si concluants du discours de M. Fallon, j'ai pris la peine de les
extraire du Moniteur en les copiant, ce qui donne plus de peine assurément que
d'en écouter la lecture.
A ces considérations, voici quelques-unes de celles
que je présentais en 1842, il y a six ans et qui s'appliquaient non pas aux
intérêts généraux, mais aux intérêts de la liberté, pour chaque citoyen.
Messieurs, disais-je, l'indépendance louable (toute indépendance ne l'est pas)
disparaît chez les fonctionnaires par bien des causes diverses en Belgique.
Jusqu'ici (je parlais, bien entendu, avant la politique nouvelle, qui prévaut
maintenant contre les fonctionnaires les plus estimables), jusqu'ici ce n'est
pas la crainte du gouvernement qui les inquiète, celui-ci se trouve surveillé,
soutenu de toutes parts ; il a une responsabilité morale, parce que ses actes
sont des actes de personnes connues par leur nom, obligées de l'apposer au bas
de leurs arrêtés ; mais le pouvoir qui confère les places par élection, où
est-il saisissable ? Où est la responsabilité de l'intrigue, de la cabale qui
joue un si grand rôle dans les élections, comme cela est de toute évidence ?
Elle n'est nulle part, et le citoyen vexé par un pouvoir exécutif élu ne sait à
qui s'en prendre. C'est là le grand vice de la loi communale actuelle, elle met
le pouvoir exécutif à la merci de l'élection, et qu'est-ce que le résultat de
l’élection partout où il y a deux opinions contraires ? C'est le triomphe de la
majorité sur la minorité, 50 votants sont dominés par 51 votants, est-il bon
que les 51 volants aient le dessus, non seulement pour le pouvoir délibérant de
la commune, mats aussi pour la nomination du pouvoir exécutif ? Et croyez-vous
que 40 électeurs communaux, qui contre 60 par exemple formât une minorité de
deux cinquièmes n'ont pas droit à quelque garantie à quelque protection contre
leurs adversaires ?
Où la trouveront-ils, cette garantie, cette
protection, si tout dans, la communs est livrée à la majorité du conseil, du
bourgmestre et échevins, c'est-à-dire le pouvoir entier ? Dans l’Etat
constitutionnel, les individus (page 910)
qui appartiennent aux minorités subissent sans doute la loi de la majorité,
mais ce n'est que sous des rapports généraux : les personnes ne sont pas en
perpétuel contact comme dans la commune, là chaque jour il faut supporter le
vae victis que le parti dominateur impose au parti dompté. Si un pouvoir
modérateur venu d'une autre source ne peut changer le fond des choses, il en
adoucit la forme, il exécute avec impartialité, il protège les uns comme les
autres, parce qu'après tout le pouvoir central d'où émane cette autorité locale
ne peut être aussi étroit que les coteries de ville et de village. Je ne parle
pas ici dans l'intérêt de l'ordre administratif ; le produit de l'enquête dont
les détails sont consignés au Moniteur est sous vos yeux ; mais je soutiens
l'intérêt de la liberté qui ne se conserve que par la division des pouvoirs.
Or, il n'y a pas division et véritable équilibre des pouvoirs dans la commune
sous le régime actuel, comme il y a division des pouvoirs dans l'Etat. A
Bruxelles, ville de plus de cent mille âmes, le Roi est censé posséder le droit
de choisir un bourgmestre dans le conseil. Eh bien, ce droit est presque illusoire
parce que la plupart des conseillers communaux ne peuvent être bourgmestre,
soit à cause de leurs affaires, soit à cause de leurs fonctions judiciaires ou
autres. J'honore infiniment, ajoutais-je, M. le chevalier Wyns de Raucour ;
mais grâce au système exclusif de la loi communale il est quasi indispensable,
et cependant, qui croira que Bruxelles ne renferme plus d'hommes libres,
capables de jouir aussi comme bourgmestre de la confiance des habitants ?
Ces hommes sans doute ne sont pas en très grand nombre,
mais on doit espérer qu'il en existe plus d'un ou deux dans toute la cité.
L'imperfection humaine entraîne, je le répète, pour assurer la plus grande
liberté possible combinée avec l'ordre, la division des pouvoirs. Dans l'ordre
judiciaire, celui qui fait la loi, ne l'applique ni peu ni beaucoup. Que
dirait-on d'un parlement qui prendrait une part quelconque au jugement des
causes ? L'élection est bonne à produire un pouvoir délibérant, elle est
mauvaise quand elle produit un pouvoir d'exécution. C'est ce qui, chez nous,
annule la garde civique. Des soldats qui nomment et révoquent des officiers
leur obéissent mal, des administrés qui nomment leur administrateur deviennent
des maîtres, et leur chef apparent subit leur influence au lieu de leur imposer
l'autorité des lois. Et comme celles-ci sont après tout destinées à protéger le
faible contre le fort, le premier est toujours le plus exposé à souffrir, quand
elles n'ont point de tuteur indépendant de l'esprit factieux. Celui qui ressent
davantage l'absence de la police, ce n'est pas à coup sûr le turbulent, car il
en profite ; et si le pouvoir est quelque peu sous le coup de la turbulence,
certes c'est au détriment des gens tranquilles. Turbulence et élection sont
malheureusement liées plus ou moins comme arbitraire et autorité monarchique le
sont également plus ou moins. L'art gouvernemental consiste à combiner leur
action réciproque. Laissez à l'élection le pouvoir législatif, la surveillance
des actes du pouvoir agissant ; mais ne lui donnez jamais l'exécution des lois,
parce qu'elle y est impropre.
Faire de l'élection la panacée libérale par
excellence, c'est vraiment tomber dans l'erreur la plus grossière. Elle a son
rôle nécessaire dans un gouvernement modéré ; elle est comme le sel, si bien
placé dans les aliments quand on n'en outre pas la dose, mais qui les rend
insupportables quand on l'y jette à pleines mains ; c'est ce que fait la loi
communale actuelle, elle livre dans la commune presque tout à l'élection ; la
part de l'autorité royale n'y est pas nulle tout à fait mais peu s'en faut.
Voilà, messieurs, ce que je disais en 1842 comme en
1834, d'accord avec M. le ministre de l'intérieur de cette époque, M. Rogier,
d'accord avec l'article 108 de la Constitution qui déclare que l'élection
directe n'est point nécessaire à l'égard des chefs des administrations
communales et laisse complètement à la législature le droit d'attribuer la
nomination du bourgmestre au Roi.
On ne peut donc concevoir que le même ministre
vienne attribuer des intentions réactionnaires à ceux qui ont tenu le langage
qu'a tenu l'honorable M. Fallon, en 1834, confirmé par son vote de 1842 ; à
ceux qui ont tenu le langage que je tiens moi-même aux deux époques et
toujours, et que je viens de vous rappeler. J'ai parlé comme je parlerai tant
que j'aurai la parole, en ami de la liberté, en ancien ami de la Grèce, en
ancien adversaire de ceux qui pendaient Riego, bien que ses partisans se soient
plus tard montrés persécuteurs détestables, en ami de la Pologne, en adversaire
du système destitutionnel et véritablement réactionnaire qui pèse sur la
Belgique aujourd'hui et la fera dévier, s'il continue, du noble système du
congrès vers le dur régime des nouveaux dominateurs de la Suisse, qui déjà ne
peuvent plus supporter la moindre contradiction par la presse.
Messieurs, j'ai donc raison de ne pas vouloir que
l'attribution dont le Roi est en possession, quant à la nomination du
bourgmestre dans et hors du conseil, lui soit enlevée pour être remise à la
discrétion de la députation. D’abord la députation étant encore un pouvoir élu
sans responsabilité quand la députation agit par caprice ou esprit de parti,
comment la saisir ? Les chambres réunies ne peuvent rien contre une députation ;
tandis qu'une minorité même faible dans les chambres, quand elle est douée de
quelque énergie, peut souvent retenir la mauvaise volonté d'un ministre.
La commune de Froid-Chapelle, canton de Beaumont,
qui avait naguère 60 mille francs en caisse et possède 15 mille livres de
rente, était livrée à une faction créée par le bourgmestre, qui était parvenu à
éliminer du conseil tous les principaux habitants. Là, malgré la richesse
communale, pas un chemin empierré, pas de mur au cimetière, pas de pont, des
écoles en ruine. Je la visitai par esprit serviable, il y a trois ou quatre
ans, sous le ministère de M. Nothomb, et aussitôt je réclamai la faculté de
nomination d'un bourgmestre hors du conseil, qu'il possédait, en lui déclarant
que, s'il n'en usait point, je signalerais à la session prochaine les énormes
abus dont j'avais connaissance de visu. Bientôt un bourgmestre pris hors du
conseil y porta remède ; mais qu'aurais-je dit à la députation, où j'ai lieu de
croire que le bourgmestre mauvais trouvait de l'appui ? Rien, messieurs ! car
la députation n'a pas la moindre responsabilité. Dernièrement celle du Brabant
a confirmé très promptement la destitution d'un excellent secrétaire du
district de Nivelles, à l'appui de laquelle on n'apportait aucun motif ; puis elle
a cassé sept ou huit fois la révocation du secrétaire de Coulture-St-Germain,
comme vous l'avez su tous par le procès intenté à Bruxelles aux membres du
conseil communal de ce lieu. Eh bien, messieurs, j'ai le tort extrême, si l'on
veut, d'aimer la responsabilité du pouvoir exécutif.
J'aime mieux pouvoir
demander raison de leurs actes à des ministres, bien qu'aujourd'hui le banc
ministériel soit très avare d'explications, que de n'avoir aucune prise sur un
corps tout à fait insaisissable.
En second lieu, messieurs, c'est amoindrir le
pouvoir royal que de lui enlever un droit conforme à la Constitution, quand ce
droit lui est légitimement acquis. Et lorsque j'ai été à Londres offrir la
couronne belge au prince de Saxe-Cobourg avec M. de Brouckere et de Foere, il
nous fit des objections graves sur l'insuffisance du pouvoir accordé au chef de
l'Etat par notre Constitution de 1830...
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - C'est
inconvenant.
M. le président. - Je dois rappeler à M. de Mérode que le nom du Roi ne peut pas être
mêlé à une discussion. L'observation qu'il vient de faire est complètement
déplacée.
M. de Mérode. - Je
rends compte de ma mission.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Il ne
s'agit pas de votre mission.
M. de Mérode. - Si vous
ne voulez pas m'entendre, je ferai imprimer mon discours.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je ne
demande pas que l'honorable membre interrompe son discours ; je demande au
contraire qu'il continue. Je me suis permis de l'interrompre pour lui faire
observer qu'il était contraire à nos usages, je dirai même aux convenances
parlementaires, de faire intervenir ici l'opinion personnelle du Roi.
Je crois que l'honorable M. de Mérode, quand il y
aura réfléchi, regrettera cette partie de son discours. Je l'engage à
continuer. Je n'ai pas eu l'intention, d'ailleurs, de gêner en rien la libre
expression de ses opinions.
M. de Mérode. - Si M.
le président m'y autorise, je continuerai.
M. le président. - En faisant une observation à l'honorable membre, je n'ai pas voulu
l'empêcher de continuer son discours.
Plusieurs membres. - Passez cette partie du discours.
M. de Mérode. - Je ne
puis passer une partie de mon discours. Au reste, ce qui me reste à dire ne
concerne que moi.
Nous reconnûmes l'impossibilité de la modifier,
mais nous assurâmes le prince que dans les lois organiques nous ferions nos
efforts pour que l'autorité royale obtînt tout ce que la loi fondamentale
permettait de lui attribuer. La même chose lui fut dite par la députation plus
nombreuse qui vint lui porter le décret d'élection de sa personne par le
congrès, en l'engageant à l'accepter, service immense que rendit le prince à la
Belgique, alors dans une position si dangereuse.
Je n'ai pas deux paroles, messieurs ; j'ai tenu
loyalement ma promesse, et d'autant plus volontiers, qu'elle était entièrement
conforme, dans ma conviction, aux intérêts du pays, aux intérêts de la justice
pour tous et de la liberté pour tous, non pas, il est vrai, aux vues
ambitieuses du despotisme exercé en nom collectif des majorités locales sur les
minorités locales ; mais celui-là je l'ai en aversion plus grande que
l'absolutisme unitaire, parce qu'il joint la déception à la tyrannie, et qu'il
est en conséquence plus pénible à subir et plus dangereux.
M. de Theux. - Dans la séance d'hier, on a parlé de nominations
faites en dehors du conseil, en vue de moyens électoraux, d'influences
électorales. J'avoue que, pour mon compte, je n'ai fait aucune nomination dans
ce sens. Mais comme cette assertion assez générale serait de nature à produire
quelque impression sur l'esprit des lecteurs de nos débats, je crois qu'il serait
juste que M. le ministre de l'intérieur fît publier dans le Moniteur la liste
des communes où le bourgmestre a été nommé hors du conseil, et l'époque des
nominations. Je crois que ce serait un acte de justice envers mon
administration et celle de mes prédécesseurs.
Les motifs qu'on a donnés pour modifier la loi de
1842, en ce qui concerne la nomination des bourgmestres, ont été reproduits par
l'honorable M. Delfosse, pour demander également la modification de la
disposition relative aux révocations. Quant à moi, je n'appuie pas l'amendement
de l'honorable M. Delfosse...
M. Delfosse. - J'en suis charmé.
M. de Theux. - Bien que je reconnaisse que plusieurs
révocations de fonctionnaires publics ont eu lieu sous l'administration
actuelle, d'après mon opinion, par des motifs électoraux. Malgré cette opinion,
je ne voterai pas pour ôter au gouvernement le droit de révoquer le bourgmestre
avec les limites que veut poser à ce droit l'honorable M. Delfosse. L'abus est
moins à craindre quand le droit existe sans limites.
(page 911)
Rarement, les révocations profitent à ceux qui les font. Alors qu'elles sont
légitimes, il s'y attache toujours une espèce de défaveur ; il y a toujours
dans l'opinion une tendance à blâmer l'usage que le gouvernement fait de son
autorité ; à plus forte raison en sera-t-il ainsi si les motifs de révocation
ne sont pas en réalité conformes à ceux déterminés par la loi. Il s'élèvera
alors une telle réprobation que la révocation ne sera pas tentée une deuxième
fois.
L'honorable ministre de l'intérieur m'a reproché
d'avoir en quelque sorte manqué à la transaction convenue tacitement dans la
chambre, en 1836, à l'époque de la confection de la loi.
J'ai déjà eu l'occasion de dire que, bien que je
fusse convaincu que la loi de 1836 était insuffisante pour le pouvoir exécutif,
que cette insuffisance avait été démontrée par plusieurs faits, cependant j'ai refusé,
en 1839, d'ouvrir une enquête, qui eût fait supposer de ma part l'intention de
provoquer des modifications à la loi communale.
Mais, messieurs, l'enquête ayant été ouverte en
1840 sous le ministère dont faisait partie l'honorable M. Rogier, et en 1841
l'honorable M. Nothomb, ayant saisi la chambre d'un projet de modifications de
la loi communale en ce qui concerne la nomination des bourgmestres. j'aurais
cru, en combattant ces modifications, manquer à la conviction que j'avais déjà
acquise de la réalité de motifs suffisants pour y admettre des modifications ;
et ce qui s'est dit hier dans cette discussion, et par M. le ministre de
l'intérieur et par l'honorable M. Delfosse lui-même, et par l'honorable M. de
Brouckere, prouve que dans leur opinion il y avait en effet dans la loi de 1836
insuffisance pour le pouvoir exécutif.
Dès lors la nécessité d'une modification est encore
reconnue aujourd'hui comme elle a été reconnue en 1842, et la discussion ne
roule que sur le moyen de donner à l'autorité centrale une suffisance d'action.
Le moyen adopté en 1842 était-il préférable à celui
qu'on vous propose ou à tout autre qu'on pourrait nous proposer encore ? Voilà
sur quoi le débat roule ; mais quant au fond, quant à la nécessité d'apporter
une modification quelconque à la loi de 1836, les opinions sont unanimes.
L'honorable M. Castiau lui-même l'a admis en
consentant à substituer à la dissolution du conseil communal la faculté de
prendre le bourgmestre, dans certains cas, en dehors du conseil. C'est avouer
qu'il est possible dans quelques circonstances que le gouvernement ait besoin
de plus de moyens d'action que la loi de 1836 ne lui en accordait.
Pour moi, messieurs, je n'ai pas été d'avis, et
l'honorable ministre de l'intérieur l'a rappelé dans la séance d'hier, de
cumuler au profit du gouvernement divers moyens d'action. Ainsi en 1835, j'ai
abandonné la dissolution des conseils communaux, qui était proposée. Mais je
demandais alors pour le Roi, pour le gouvernement, la faculté de prendre le
bourgmestre en dehors du conseil.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Vous
l'avez également abandonnée.
M. de Theux. - J'ai dû l'abandonner, parce que la chambre a
voté contrairement à mon opinion, et que le motif du refus de la chambre
d'accorder au Roi le droit de choisir le bourgmestre en dehors du conseil,
n'était pas un motif suffisant de priver le pays d'une organisation communale
qui était commandée par la Constitution. Il valait mieux attendre que
l'expérience de la loi portât ses fruits et amenât une autre conviction dans la
représentation nationale. Cet événement s'est réalisé. Cette nécessité a été
reconnue en 1842 ; elle est reconnue encore aujourd'hui par tous les orateurs
qui ont pris part à la discussion. Ainsi que je l'ai fait observer, on ne
diffère que sur les moyens.
J'aurais donc droit, messieurs, si je tenais à
cette faiblesse, de dire qu'en 1838, qu'en 1842 mon opinion était à certains
égards plus libérale que ne l'était l'opinion de l'honorable ministre de
l'intérieur en 1833, lorsqu'il présentait à la chambre un projet de loi qui
cumulait divers moyens d'action au profit du gouvernement, je ne dirai pas
contre les institutions communales, mais contre la volonté de l'action communale.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Ce
projet de loi est celui que vous avez préparé.
M. de Theux. - Mais cette espèce de popularité de libéralisme,
je ne la recherche en aucune espèce de manière. Les libertés sont assez
garanties dans le pays. Ce qu'il est nécessaire de garantir, c'est l'action du
gouvernement. Il est évident pour tout homme qui réfléchit que depuis très
longtemps, dans tout le pays, l'action du gouvernement va toujours en
s'affaiblissant ; et je pense que s'il y a un danger, c'est de précipiter
l’action de cet affaiblissement ; surtout avant que le peuple ne soit
suffisamment habitué à l'usage d'une liberté encore plus grande, si toutefois
elle est possible, si toutefois elle est compatible avec le maintien de
l'ordre.
Messieurs, il ne s'agit donc ici que de deux
moyens, celui présenté par M. le ministre de l'intérieur de choisir le
bourgmestre en dehors du conseil, sur l'avis conforme de la députation, et celui
consacré par la loi de 1842.
Quant à moi, je l'ai
fait pressentir dans la séance d'hier, ayant mûrement réfléchi, ayant entendu
les diverses raisons qui ont été alléguées, j'avoue que je trouve que le
principe de la loi de 1842 est le plus conforme à nos institutions politiques,
en ce qu'il laisse toute entière la responsabilité ministérielle et que de ce
chef il offre plus de garanties au public. Car ce que je disais tantôt des
révocations dont je ne crains pas les abus, alors qu'elles peuvent même être
faites contrairement à mon opinion, je le dirai aussi des nominations en dehors
du conseil ; je ne crains pas les abus, alors même qu'une administration
contraire à mon opinion détient le pouvoir ; parce que je suis persuadé que si
le pouvoir faisait un usage fréquent et abusif de cette faculté, cet abus
retournerait contre mes adversaires.
Ainsi ayant mûrement délibéré sur toute la
discussion que j'ai entendue, je persiste à soutenir que le système de 1842 est
réellement plus libéral, et d'autre part plus conforme aux vrais principes
constitutionnels, et pour ce motif je ne voterai pas la proposition du
gouvernement.
M.
Vandensteen. - Je ne
dirai, messieurs, que quelques mots pour motiver mon vote.
Aujourd'hui, comme en 1842, il reste établi que la
loi de 1836 présente une lacune en ce sens, que l'autorité responsable est,
dans certains cas, mise dans l'impuissance de pourvoir à une bonne organisation
de la commune, lorsque, par suite d'une coalition, le refus d'accepter des
fonctions de bourgmestre s'est produit.
En 1842, j'ai voté les modifications à la loi
communale de 1836, parce que j'avais été frappé des inconvénients qui nous
avaient été signalés à cette époque. Ces inconvénients sont les mêmes
aujourd'hui ; le remède indiqué alors, et qui a été employé, n'a point produit
d'heureux résultats, il faut bien le reconnaître. Je ne veux pas rechercher ici
les causes de ce non-succès, il me suffit de le signaler. Quant à moi, je ne
pense pas qu'il y ait inconvénient à revenir sur la mesure qui a été adoptée en
1842.
Je ne puis cependant admettre la proposition qui
nous est faite par le gouvernement, qui aurait pour effet de confier à une
autorité irresponsable une attribution qui placerait encore dans la commune un
fonctionnaire d'une catégorie autre que les fonctionnaires de la généralité du
pays.
Sous ce rapport, nous ne satisfaisons pas à
l'opinion publique qui s'est manifestée si violemment contre la loi de 1842 ;
nous sanctionnerions encore une catégorie de fonctionnaires d'exception, et
c'est un des griefs faits à la loi de 1842. Suivant moi, il n'y a que deux
systèmes rationnels, ou la nomination du bourgmestre, dans tous les cas, en
dehors du conseil ; ce système n'est pas proposé, je n'ai pas à l'examiner ; ou
revenir purement et simplement à la loi de 1836, comme l'a proposé l'honorable
M. Castiau.
Je sais bien, messieurs, qu'il pourra arriver dans
certains cas, que par suite d'une coalition, il y aura impossibilité pour le
gouvernement de nommer un bourgmestre. Eh bien, je vous l'avoue, dans ces cas
je ne verrais pas de difficulté à ce que le gouvernement fît un appel à de
nouvelles élections, et lorsqu'on saura dans la commune que le gouvernement a
cette faculté, je suis convaincu qu'il aura très rarement besoin d'en faire
usage.
Je crois, messieurs, qu'en
admettant le retour pur et simple à la loi de 1836, nous satisfaisons beaucoup
plus largement à l'opinion qui a été généralement manifestée dans le pays,
qu'en adoptant la proposition du gouvernement ; car, en admettant cette
proposition, nous débarrasserions le gouvernement de la responsabilité qui lui
incombe et qui doit surtout peser sur lui lorsqu'il s'agit d'un fait aussi
grave que la nomination d'un bourgmestre en dehors du conseil ; nous
déplacerions, en un mot, cette responsabilité, non pas au profit de la commune
ou de l'élément électif, mais au profit d'une autorité qui doit seule être
responsable, et cela pour placer cette autorité sous le contrôle d'un corps
irresponsable, la députation ; c'est ce que je ne puis admettre. Aussi je
l'avoue, je préfère le retour pur et simple à la loi de 1836, et je voterai
l'amendement de l'honorable M. Castiau.
(page 916)
M. Lebeau, rapporteur. - Messieurs, cette discussion a déjà pris tant de
développement que je serais le premier à en demander la clôture, si je ne
croyais, devoir en acquit du mandat de la section centrale, présenter quelques
observations. C'est assez dire que je serai très bref.
Personne, messieurs, dans cette enceinte, si ce
n'est peut-être l'honorable député de Nivelles, n'a professé et pratiqué, en
matière d'administration communale, des principes absolus.
La revue rétrospective à laquelle il s'est livré,
et à l'occasion de laquelle il a tiré au moins autant sur ses amis que sur ses
adversaires, a fourni la preuve que la longue discussion qui a abouti à la
transaction de 1836 n'a été qu'une série de tâtonnements, d'essais et de
transactions de la part de presque tous les membres des différents côtés de la
chambre.
L'honorable membre a essayé de démontrer que,
fidèle à ses antécédents, il n'a jamais abandonné une occasion de renforcer ;
de fortifier la prérogative royale, qui tend, dit-il, au grand danger du pays
et du maintien de l'ordre, à s'affaiblir chaque jour. J'ai regret, messieurs,
qu'une telle préoccupation n'ait point agi sur l'esprit de l'honorable membre
et de ses honorables amis, quand un ministère, qui devait avoir leur confiance,
est venu demander pour la prérogative royale un acte de confiance que
l'honorable membre a été le premier à refuser. Je parle de la loi sur le jury
d'examen.
M. de Theux. - C'est tout autre chose.
M. Lebeau. - Je sais bien que la question de la liberté d'enseignement est mise
par vous, messieurs, bien au-dessus de la liberté communale ; mais qu'il me
soit permis de le dire, vous parliez, quelques années avant 1842, de la liberté
communale comme l'honorable M. de Theux semble parler, en ce moment, de la
liberté d'enseignement. Je n'ai pas besoin, et je n'ai nul désir de chercher à
expliquer pourquoi ce revirement d'opinion s'est produit à l'égard de la loi
communale.
Si la proposition actuelle était jugée en elle-même,
je serais d'avis, avec un des honorables préopinants, qu'elle n'a pas une bien
grande portée ; toute l'importance de la loi actuelle est due aux circonstances
qui ont amené et dans lesquelles on a exécuté la loi de 1842.
La loi de 1842, messieurs, a apparu d'abord dans
cette enceinte comme devant répondre à des nécessités graves et purement
administratives. Voilà sous quelles couleurs elle s'est présentée ici ; et bien
que son origine la rendît, pour une partie de cette chambre, déjà très
suspecte, il eût été possible, en lui conservant sincèrement le caractère qu'on
semblait vouloir lui attribuer, et en établissant à l'évidence que
d'impérieuses nécessités administratives demandaient qu'on touchât à la
transaction de 1836, il eût été possible que la loi rencontrât sur nos bancs
plus de sympathie qu'elle n'y en a trouvé. Mais, à peine celle loi eût-elle
pénétré dans cette chambre, qu'une opinion qui semblait dominer plutôt que
suivre et appuyer le cabinet, est venue dénaturer essentiellement le caractère
purement administratif de la loi, en élaguant les garanties que l'auteur même
du projet y avait insérées pour lui conserver, sinon ce caractère, au moins
l'apparence de ce caractère purement administratif.
Ainsi, messieurs, on vous l'a rappelé, le gouvernement
ne pouvait faire usage du pouvoir exceptionnel qu'il demandait que pour des
motifs graves et après avoir entendu la députation permanente du conseil
provincial. Eh bien, si réellement on voulait conserver à cette loi un
caractère purement administratif, il fallait tout au moins y laisser cette
double garantie morale. Cette double garantie, vous l'avez effacée du projet de
loi, et s'il y avait encore eu sur nos bancs quelques hommes assez aveugles
pour se tromper sur le caractère de la loi, vous auriez déchiré le bandeau qui
leur couvrait les yeux.
(page 917)
Votre loi a donc été une véritable loi politique, une véritable loi d'expédient
et voilà ce qui lui donne de l'importance, voilà ce qui donne de l'importance
au projet de loi actuel. C'était une loi d'expédient, une loi électorale sous
les couleurs mensongères d'une amélioration purement administrative. Voilà
pourquoi le pays l'a répudiée et pourquoi le ministère a bien fait de revenir à
la transaction de 1836, en conservant, par une exception désormais inoffensive,
ce que l'expérience peut avoir conseillé de praticable et de purement
administratif.
Deux amendements, messieurs, ont été proposés.
Celui de l'honorable M. Castiau, je ne dois en dire que quelques mots après ce
que l'honorable M. de Brouckere vous en a dit hier. L'honorable M. Castiau a si
bien reconnu qu'il n'y avait de remède sérieux à opposer aux inconvénients
signalés par l'honorable M. de Brouckere, que la dissolution, que, malgré
l'espèce de réprobation qui semble peser sur ce mot de dissolution qui, la
première fois qu'il a fait apparition dans cette enceinte, a été qualifié de
conception doctrinaire, l'honorable M. Castiau n'a pas reculé devant cette
mesure inscrite dans la loi française. Il a fallu que l'honorable membre fût
bien convaincu qu'il n'y avait que ce moyen sérieux de résoudre la difficulté
qui se présente dans le cas où il est impossible de nommer dans le conseil,
pour qu'il soit venu vous proposer lui-même d'en revenir à la dissolution.
C'est le système français ; eh bien, je crois que
ce système n'a pas même encore aujourd'hui, malgré les appuis divers qu'il a
rencontrés, la chance de faire fortune dans cette enceinte ; je crois qu'il
faudrait des nécessités administratives nombreuses, sincèrement et publiquement
constatées, pour que la chambre consentît à introduire ce principe dans notre
législation provinciale et communale.
L'amendement de l'honorable M. Delfosse a déjà été,
dans le sein de la section centrale et de la part de M. le ministre de
l'intérieur, fortement combattu. Je crois que l'on confond ici deux
prérogatives très différentes pour la députation provinciale ; la prérogative
qui est proposée dans le projet de loi est d'une nature très différente de la
prérogative que voudrait reproduire l'honorable M. Delfosse.
Messieurs, remarquez bien que quand la députation
sera consultée (si elle ne prend pas l'initiative, ce qui, à mon avis, doit
arriver le plus souvent ; je crois que l'initiative du gouvernement sera
l'exception) ; lorsque la députation se prononce sur la question de savoir s'il
faut choisir le bourgmestre en dehors du conseil, la députation n'a pas à
statuer sur des questions de personne.
Vainement l'honorable M. Delfosse dira-t-il que la
députation, en déclarant qu'il y a convenance, utilité, nécessité même de
choisir en dehors du conseil, elle donne en quelque sorte un brevet
d'incapacité au conseil tout entier. Mais non ; dans tous les cas qui vous ont
été exposés par des hommes dont l'expérience administrative n'est pas
contestable, c'étaient les conseils eux-mêmes qui suppliaient, en quelque
sorte, le gouvernement, croyant à tort qu'il en avait les moyens légaux, de
choisir en dehors d'eux-mêmes ; c'est parce qu'aucun d'eux ne voulait être
bourgmestre que le gouvernement se trouvait dans l'impossibilité de pourvoir
aux besoins de l'administration dans la commune. Eh bien, je crois que, par la
force des choses, ce doit être à peu près dans des cas analogues que le
gouvernement pourra faire usage des pouvoirs exceptionnels qu'il vient vous
demander.
Maintenant, quant au choix de la personne, il est
tout entier sous la responsabilité du gouvernement ; la députation statue sur
une question de chose, elle constate une nécessité administrative ; mais quant
au choix de la personne, elle n'y intervient nullement, je le répète, il est
tout entier dans le domaine et sous la responsabilité du gouvernement.
Autre chose est de prononcer la destitution d'un
bourgmestre ; là, il s'agit d'une pure question de personne, devant laquelle
les députations provinciales hésiteront, reculeront et se résigneront bien
difficilement à engager leur responsabilité ; et cela d'autant plus que pour
provoquer à la destitution d'un bourgmestre dans l'état actuel de la
législation, la députation doit préalablement flétrir le fonctionnaire, car,
d'après la loi actuelle, le bourgmestre ne peut être révoqué que pour
inconduite notoire ou pour négligence grave. Eh bien, je dis que, pour exercer
une attribution qui peut gravement compromettre la réfutation d'un citoyen, il
faut en quelque sorte l'action gouvernementale elle-même. Je crois que ce
pouvoir, dans les mains de la députation, serait un pouvoir tout à fait énervé,
une véritable lettre morte.
Je sais bien que je fais un peu le procès à la loi
de 1836, en ce qui concerne la révocation des échevins ; mais j'ai déjà dit que
la loi de 1836 avait été faite après deux ou trois ans de tâtonnements et un
peu, qu'on me passe l'expression, par pièces et morceaux.
Cela existera encore pour les échevins, et c'est
là, selon l'honorable M. Delfosse, une anomalie choquante.
Je conçois qu'à certains égards, il y a anomalie ;
mais pour les bourgmestres il y a cependant une raison de plus que pour les
échevins, de maintenir intacte la loi de 1842 sous ce rapport.
Ce moyen, je l'ai déjà fait valoir en section
centrale ; M. le ministre de l'intérieur l'a reproduit ; c'est l'exécution des
lois et règlements de police, qui peut avoir une très importance ; cette
exécution peut exiger des mesures promptes, immédiates, un changement immédiat
du bourgmestre ; ce qui dans notre petit pays, sillonné de chemins de fer, est
très facile à obtenir du pouvoir central.
L'honorable M. Delfosse trouve étrange que la
députation, qui interviendra pour la nomination, n'intervienne pas pour la
révocation. D'abord, je ferai remarquer à l'honorable M. Delfosse que la
députation n'interviendra dans la nomination qu'exceptionnellement ; elle
n'interviendra pour la nomination que dans les cas très rares où cette
nomination sera faite en dehors du conseil. Dès lors, l'induction qu'on
pourrait tirer du droit de nomination ne pourrait s'étendre qu'au cas de
révocation de ces bourgmestres d'exception.
On dit que le pouvoir central serait placé dans une
position singulière si la députation, lorsque le gouvernement le croit utile,
se refusait à déclarer qu'il y a nécessité de choisir en dehors du conseil ;
mais pourquoi voulez-vous que la députation refuse, lorsque vous avez eu soin
d'inscrire dans votre loi une précaution qui lui donne un caractère purement
administratif, lorsque le gouvernement ne sortira pas de là, lorsqu'il ne
méconnaîtra pas l'esprit de la loi ? Pourquoi voulez-vous que la députation
résiste ? La députation n'est-elle pas la première frappée des obstacles qui
nuisent à ses bonnes relations avec les communes ? N'est-ce pas la députation
elle-même qui presque toujours prendra l'initiative ? Que si le gouvernement
voulait, par des motifs politiques, choisir en dehors du conseil, et si la
députation résiste, oh ! alors, elle fera bien ; elle aura compris le but de la
loi que nous faisons, et c'est le gouvernement qui l'aura méconnu. La
députation résistera, c'est ce que nous voulons.
Messieurs, je ne puis pas comprendre que
d'honorables membres, qui ont exercé des fonctions administratives, qui ont été
eu rapport et avec le pouvoir central et avec les administrations communales ;
je ne puis pas réellement concevoir comment ils mettent toujours ainsi le
gouvernement central en suspicion, comment ils croient que tout est passion,
désordre au faîte, que tout est vertu, sincérité, loyauté à la base.
Vous ne voulez pas supposer
que les ministres seront des petits saints, soit ; mais pourquoi supposez-vous
que les fonctionnaires communaux, jusque dans les localités les plus infimes
sont des petits saints, des hommes impeccables ? Si j'avais à choisir, quant à
moi, entre les dangers du despotisme ministériel et ceux du despotisme local,
dans notre gouvernement représentatif, je n'hésiterais pas à affronter de
préférence les dangers du despotisme ministériel, de ce pouvoir qui agit sous
le soleil de la publicité, sous le contrôle législatif, sous les yeux du pays
tout, entier, plutôt que les dangers d'un pouvoir qui, dans des localités
secondaires, éloignées des centres de publicité, peut si aisément et si
impunément abuser de leur isolement et de leur obscurité. Dans l'ignorance où
leurs administrés peuvent si longtemps demeurer, combien il leur est plus
facile qu'à des ministres de pressurer la population au profit de leurs
passions et quelquefois de leurs intérêts les plus égoïstes ! Voilà à quoi je
préférerais de beaucoup les dangers du despotisme ministériel, si j'avais un
choix à faire ; mais je ne veux de despotisme nulle part ; et j'ai la
conviction, comme l'ont, j'en suis sûr, les honorables MM. Castiau et Delfosse,
que la loi qui vous est soumise ne constituera de despotisme au profit de
personne.
(page 911) M. Delehaye. - Messieurs, les différents orateurs qui ont parlé
jusqu'à présent se sont attachés exclusivement à signaler les inconvénients des
propositions faites par leurs adversaires.
Il y aurait un moyen facile de prévenir tous ces
inconvénients, ce serait le retour pur et simple à la législation antérieure à
1836, c'est-à-dire à la nomination directe des bourgmestres et échevins par les
électeurs.
Je me garderai bien de faire cette proposition, de
crainte d'être accusé de trop avancé, alors surtout que mon honorable ami M.
Delfosse lui-même a été qualifié de trop avancé pour une proposition bien moins
innocente.
Le motif qui m'avait engagé à demander la parole,
c'était pour exprimer mon étonnement du silence de la section centrale sur une
proposition qui avait obtenu un accueil très favorable dans la section à
laquelle j'avais l’honneur d'appartenir.
Convaincu que la loi de 1842 n'avait été qu'une loi
réactionnaire, j'avais demandé qu'on revînt à la loi de 1836, pour ce qui
concerne l'exécution des lois et règlements de police.
Par cette loi, c'est le collège des bourgmestre et
échevins qui est chargé de ce qui se rapporte à la police ; par la loi de 1842,
c'est le bourgmestre seul qui connaît de ces affaires.
Dans les grandes localités, il peut être utile au
bourgmestre de consulter ses collègues dans des moments de trouble ; alors des
mesures prises par cinq individus imposeront plus de confiance ; elles seront
mieux accueillies et environnées de plus de considération et de respect.
D'un autre côté il arrive
souvent dans les grandes localités que, dans le choix du bourgmestre, on
s'attache plus à la position sociale qu'aux (page 912) connaissances des lois et règlements de police qui ne
s'acquièrent que par des longues études et une grande pratique.
En adoptant ma proposition, vous donnez aux
bourgmestres ainsi élus à l'approbation de la majorité, de sages collègues, aux
lumières desquels ils peuvent avoir recours au moment du danger.
Je propose de rétablir l'article 90.
(page 917)
M.
Malou. -
Messieurs, je ne prolongerai pas beaucoup ce débat ; je tiens seulement à
expliquer sommairement les motifs de mon vote.
La loi communale a été l'objet de longues
discussions de 1833 à 1836. Les discussions de 1842 ont longtemps occupé la
chambre ; toutes les opinions doivent être formées.
On a qualifié hier et aujourd'hui de réactionnaire
la loi de 1842. J'ai compris l'emploi de ce mot la première fois qu'on l'a
prononcé et même jusqu'au 8 juin inclusivement, mais maintenant et surtout
depuis la présentation du projet qui est soumis à la chambre, je ne le
comprends plus.
Lorsqu'on discute la question de la nomination des
bourgmestres, il ne s'agit pas de l'intérêt de l'un ou de l'autre parti, mais
de savoir, quelle est, d'après notre organisation politique, la part à faire au
gouvernement dans l'administration de la commune, soit qu'on considère les
intérêts de l'unité nationale ou de la fraction, c'est-à-dire de la commune
elle-même. Le dissentiment peut donc porter sur une question de centralisation,
de pouvoir plus ou moins fort ; mais il n'y a pas là de question de parti. La
qualification de réactionnaire est aussi imméritée pour la loi de 1842, que si
on l'appliquait à la loi actuellement soumise à la chambre ; en effet, cette
loi n'est pas le retour pur et simple à la loi de 1836 ; elle conserverait donc
aussi, aux yeux de certaines personnes, quelque venin réactionnaire, s'il m'est
permis d'employer ce mot.
En 1842, j'ai pensé que nous trouvions dans nos
institutions un système analogue qui devait être appliqué à la commune. Notre
loi provinciale est peut-être la seule qui ait subi l'épreuve du temps sans
avoir été attaquée, sans avoir été modifiée.
J'avais proposé, en 1842, de donner au bourgmestre
une position analogue à celle du gouverneur ; malheureusement cette proposition
a été rejetée par partage de voix.
Je crois encore aujourd'hui que ce système doit
être préféré, au point de vue des deux intérêts : de l'unité, de la
centralisation et en même temps de la liberté communale dans ce qu'elle a de
positif, en ce qu'elle a pour objet de sauvegarder les intérêts de tout genre
de la communauté.
Cependant (les motifs en sont tellement simples que
je me dispenserai de les énoncer) je m'abstiendrai de proposer de nouveau ce
système. Il présente, comme la loi de 1836, un avantage très grand à mes yeux
sur la loi de 1842 et sur la proposition du gouvernement. Cet avantage consiste
en ce qu'il n'y a pas dans ce système, non plus que dans le système de la loi
de 1836, deux catégories de bourgmestres. Il n'y a qu'un (page 918) droit commun, le même pour tout le pays. C'est
dans notre pays, avec les idées qui y règnent, un très grand avantage. C'est ce
qui me fait penser que si nous devons modifier la loi de 1842, il vaut mieux
revenir purement et simplement à la loi de 1836 que d'adopter un système qui ne
satisfait à aucun intérêt, qui compromet la dignité du gouvernement, qui
intervertit la hiérarchie administrative.
Je suis frappé de cette considération : le
gouvernement a la prérogative de nommer le bourgmestre en dehors du conseil.
Je ne pense pas que ce soit parce que le cabinet se
défie de lui-même qu'il propose de n'avoir ce droit désormais qu'avec l'avis
conforme de la députation du conseil provincial. C'est une faculté qu'a
maintenant le gouvernement ; il dépend de lui de ne faire application de la
disposition de la loi que quand il a obtenu l'avis conforme de la députation du
conseil provincial.
A ce point de vue, le projet de loi est réellement
inutile. II n'est pas seulement inutile : en effet, il y a intérêt évident à
maintenir l'unité dans l'application des lois.
Or que faites-vous par le projet actuel ? Vous
donnez lieu à la possibilité qu'il s'établisse quant à la nomination des
bourgmestres, autant de jurisprudences qu'il y aura d'opinions diverses dans
les députations permanentes. II peut arriver qu'une députation soit favorable à
la nomination du bourgmestre en dehors du conseil, tandis qu'une autre y sera
systématiquement hostile. Nous aurons un droit communal dans une province,
suivant l'opinion actuelle de la députation, dans une autre province une
institution communale réellement différente, et les mêmes changements dans la
députation permanente, selon que les éléments en changeront.
Ce que je dis des députations doit se combiner avec
les changements de gouvernement. Ainsi l'on croit qu'on fait disparaître les
inconvénients, qu'on donne des garanties contre les mesures politiques. Ce
serait supposer qu'aucune députation ne sera désormais d'accord avec le
gouvernement pour prendre, dans une circonstance donnée, une mesure politique.
Mais le contraire peut arriver ; arrivera souvent. Selon que la députation sera
composée dans un sens ou dans un autre, elle pourra donner un avis conforme
même pour une mesure politique. Sous ce rapport la garantie me paraît
complètement illusoire.
Je ne pense pas que dans la loi communale ni dans
la loi provinciale on trouve un seul cas où l'action du gouvernement serait
subordonnée à l'avis conforme de la députation permanente.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je ne
conçois pas que vous ne l'ayez pas vu.
M. Malou. - Je me suis fait produire les termes de la loi de
1836. Ce n'est pas le gouvernement qui agit, c'est le gouverneur.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Oh !
M. Malou. - Je suis charmé d'avoir provoqué l'interruption.
L'article 86 de la loi du 30 mars 1836 porte :
« Le gouverneur peut, sur l'avis conforme et motivé
de la députation permanente du conseil provincial, suspendre et révoquer, pour
inconduite notoire ou négligence grave, le bourgmestre et les échevins. »
Mais l'anomalie que je signale ne se trouve pas là.
Si le gouverneur qui délibère avec la députation voit son opinion subordonnée à
celle de la députation, ce n'est pas une interversion de pouvoir, comme lorsque
le gouvernement, le pouvoir royal voit son action maintenue ou annulée, selon
que veut ou ne veut pas la députation permanente : c'est une position
subalterne, je ne veux pas dire une position d'humiliation. C'est une anomalie
; c'est le bouleversement complet de la hiérarchie administrative.
Ces considérations me porteront à voter pour
l'amendement de l'honorable M. Castiau et contre l'ensemble du projet de loi.
(page
912) M.
le président. - L'amendement déposé par
B. Delehaye a pour objet de rétablir l'article 90 de la loi communale tel qu'il
a été voté en 1836 ; c'est-à-dire de rétablir le n°4°, qui chargeait le collège
des bourgmestre et échevins de l'exécution des lois et règlements de police et
de supprimer le paragraphe final ajouté à cet article par la loi du 30 juin
1842, et ainsi conçu :
« Le bourgmestre est chargé de l'exécution des lois
et règlements de police ; néanmoins, il peut, sous sa responsabilité,
déléguer cette attribution, en tout ou en partie, à l'un des échevins. »
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je
continue à combattre la proposition de mon honorable ami M. Castiau, soutenue
et appuyée par l'honorable M. Malou, et, je pense, aussi par l'honorable M. de
Theux.
M. de Theux. - J'ai dit que c'était un moyen pour remédier aux
inconvénients ; mais je ne l’ai pas appuyé ; je ne me suis pas expliqué.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). -
L'honorable M. de Theux ne serait donc pas encore sorti de ses hésitations ?
M. de Theux. - Oh ! je n'hésite pas.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). -
Quoiqu'il en soit, il m'a paru que l’honorable membre inclinait vers la
proposition de mon honorable ami M. Castiau. Nous attendrons le vote pour
constater son opinion définitive.
Je dis que je continue de combattre la proposition
de mon honorable ami M. Castiau soutenue par l'honorable M. Malou.
Pourquoi ? Parce que je pense qu'elle ne peut pas
remplir le but que le gouvernement a voulu atteindre en présentant le projet de
loi. La loi qui vous est soumise est une loi toute pratique et tout administrative.
En cela elle diffère de la loi qui a été, non pas proposée, en 1842, par le
gouvernement, mais qui a été improvisée dans la chambre, imposée jusque certain
point au gouvernement.
La loi de 1842, par les circonstances qui ont
précédé et qui ont suivi sa mise à exécution, a été une véritable loi de parti,
une loi politique et qu'on a pu jusqu'à certain point qualifier de
réactionnaire par l'exécution qu'elle a reçue en diverses provinces.
L'honorable M. de Theux a protesté en son nom
contre les allusions qui ont été faites relativement à certaines nominations
toutes politiques dans certaines provinces. Je dois à la loyauté de déclarer,
et mon discours le faisait entendre hier, que je n'ai pas fait allusion à
l'honorable M. de Theux en ce qui concerne ces nominations. J'avais dit hier
qu'à peine la loi de 1842 avait été votée, il en avait été fait abus dans un
intérêt politique. Je n'avais donc pu faire allusion à l'honorable M. de Theux,
qui alors n'était pas au pouvoir.
Je dis que la loi, telle qu'elle vous est
présentée, est une loi toute pratique, tout administrative, et qui servira à
dépouiller la loi de 1842 du caractère politique qui, au grand détriment de
l'administration, l'a marquée à son origine.
Que demandons-nous, messieurs ? Nous conservons
intact comme règle le principe qui a prévalu en 1836, c'est-à-dire la
nomination du bourgmestre dans le sein du conseil. Mais, nous demandons ce que
nous demandions en 1833 avec l'honorable M. de Theux contre l'honorable M.
Dechamps, contre l'honorable M. Dubus et plusieurs de ses amis ; nous demandons
pour le Roi la faculté de nommer en dehors du conseil, mais dans des cas tout à
fait exceptionnels, dans des circonstances tout administratives.
Qui est-ce qui sera appelé à constater ce besoin
administratif ? Qui est-ce qui sera appelé à déterminer le cas où il y a lieu,
dans l'intérêt de l'administration, de choisir un bourgmestre en dehors du
conseil ? Mais naturellement ce sont les députations, les corps qui tous les
jours sont en relation avec les communes, les corps qui sont les premiers
intéressés à informer le gouvernement que, dans telle commune, la marche des
affaires se trouve totalement entravée, parce qu'on ne peut trouver un
bourgmestre dans le conseil, soit que tous les conseillers refusent d'accepter
ces fonctions, soit qu'ils soient tout à fait incapables de les occuper. Le
gouvernement, averti, marche d'accord avec le corps administratif principal de
la province, il pourvoit à ce besoin administratif, et tout est dit. Il n'y a
pas ici de politique à craindre.
Je ne nie pas que l'élément politique ne pourra pas
s'introduire quelquefois dans les délibérations des députations provinciales.
Mais peut-on supposer que la députation subordonne cet intérêt très mince pour
elle, le fasse prédominer sur l'intérêt de l'administration ? Il faudra
supposer en outre, pour qu'il y ait abus, qu'il y aurait une sorte de
complicité entre le gouvernement et la députation dans un intérêt politique. Je
dis que c'est pousser la supposition beaucoup trop loin, que c'est même se
livrer à des suppositions injurieuses et pour la députation et pour le
gouvernement.
A-t-on, messieurs, indiqué des moyens pratiques
autres que celui proposé dans la loi, pour constater dans une commune la
nécessité de choisir le bourgmestre en dehors du conseil ? A-t-on d'autres
moyens plus administratifs, plus pratiques ? Qu’on les indique ; je serai prêt
à m'y rallier.
En 1833, lorsque j'ai demandé, suivant en cela le
projet de loi auquel avait grandement concouru l’honorable M. de Theux, lorsque
j'ai demandé la faculté pour le Roi de nommer en dehors du conseil, j'ai dît,
et j'ai ici des extraits de mes discours, qu'il ne pourrait être fait usagé de
cette faculté que par des motifs tout à fait exceptionnels, dans des cas très
rares, et j'ai ajouté à plusieurs reprises que le gouvernement n'attachait pas
une très grande portée à cette proposition. Cette proposition n'a pas été
accueillie.
En 1836, après deux années de discussions violentes
et pénibles, la chambre vota le principe de la nomination du bourgmestre dans
le sein du conseil. Mais elle vota aussi une autre mesure qui consistait à
faire nommer les échevins par les électeurs ou par le conseil communal. Cette
proposition ne fut pas accueillie au sénat. Elle revint à la chambre, et en
1836, par une grande transaction, presque toute la chambre vota le système de
la nomination du bourgmestre dans le sein du conseil. 82 voix, je pense,
adhérèrent à cette proposition. Je votai et mon honorable ami M. Lebeau vota
également pour cette proposition ; et l'honorable M. de Theux accepta cette
transaction comme très bonne ; il la présenta au sénat comme une chose
magnifique.il est vrai qu'il devait être pressé d'en finir. Car cette loi,
depuis deux ans, devait être une espèce de tourment pour le ministère.
Voici comment, en 1836, l'honorable M. de Theux
jugeait le système qui a prévalu alors, comment il le présentait au sénat dans
la discussion qui précéda le vote définitif :
« Le système consacré par la loi est un système de
transaction. Chacun a été d'avis qu'il fallait que le Roi participât d'une
manière quelconque dans l'organisation communale. Le système qui a prévalu est
celui qui est réclamé comme le plus adapté à nos usages, à nos habitudes et aux
mœurs du pays ; et aussi a-t-il été accueilli avec faveur. Sous ce rapport,
nous ne pouvons que nous féliciter que la chambre soit revenue au système
adopte par le sénat. »
Voilà en quels termes l'honorable M. de Theux
s'expliquait sur le système de 1836.
Si ce système était si excellent, s'il répondait si
bien à nos mœurs en 1836, pourquoi l'honorable M. de Theux, en 1842, a-t-il
trouvé ce système si mauvais ?
M. de Theux. - Il était bon quant au fond ; mais il laissait
toujours à désirer quant aux exceptions.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Ce
n'est donc pas nous qui avons changé d'avis, c'est l'honorable M. de Theux.
Quant à nous, nous avons toujours soutenu, de 1836 à 1848, le système qui a
prévalu en 1836.
M. de Theux. - J'ai changé, parce que j'ai succombé.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Vous
voyez comment vous vous êtes expliqué au sénat sur le projet de loi qui vous
avait occasionné une défaite. Il faut avouer qu'on ne peut pas être vaincu
d'une manière plus douce et accepter avec plus de grâce la loi du vainqueur.
Messieurs, je ne voudrais pas prolonger outre
mesure ces débats. La loi communale, à diverses époques, n'a déjà que trop
occupé la chambre. Si cependant, messieurs, nous ne mettons pas une sorte de
point d'arrêt, une limite sérieuse aux velléités de modifications et
d'amendements qui se manifestent, je crains que la chambre ne soit de nouveau
entraînée dans des discussions qui pourraient prendre toute la fin de la
session, alors que nous avons à l'employer si utilement.
L'honorable M. Delehaye vient de joindre un
amendement à ceux de ses honorables amis. J'ignore si cet amendement a aussi
des chances d'être soutenu par les honorables membres de la droite ; mais s'il
en est ainsi, nous aurons encore une discussion fort longue. Je combats
l’amendement de l'honorable M. Delehaye. Je me renferme dans les propositions
du gouvernement. Je ne fais point en ceci acte d'une opiniâtreté étroite et
aveugle ; si je voyais une véritable amélioration dans les propositions faites,
je n'hésiterais pas à m'y rallier ; mais il me semble que la modification n'est
nullement nécessitée, je ne dirai point par les besoins politiques, mais par
les besoins administratifs.
Je dois donc la combattre. Ne point mettre, dès le
principe, des limites à ces amendements, ce serait engager la chambre dans une
voie d'où il lui serait très difficile de sortir.
J'engage donc particulièrement ceux de mes
honorables amis qui ont l'habitude de voter avec le ministère, j'engage aussi
ceux de mes honorables adversaires qui veulent épargner à la chambre de longs
débats, je les engage à considérer si la voie la plus simple et la plus courte
ne serait pas de se rallier purement et simplement à la proposition du
gouvernement. Cette proposition, je le répète, a un but tout pratique, tout
administratif ; elle a aussi pour but de faire disparaître une cause
d'irritation dans le pays ; et sous ce rapport, messieurs, la loi a aussi un
côté politique.
J'ignore si l'amendement de l'honorable M.
Delfosse, en ce qui concerne la révocation, a quelque chance de succès ;
mais je dois persister à le combattre.
Je trouve que l'honorable M. Delfosse n'est pas
fidèle ici à cet (page 913) esprit logique et conséquent qui le distingue
d'ordinaire. L'honorable M. Delfosse établit entre deux ordres de faits
différents une analogie qui n'existe en aucune manière : de ce que la
députation est consultée par le gouvernement sur la question de savoir si dans
telle commune il faut choisir un bourgmestre en dehors du conseil, l'honorable
M. Delfosse conclut que la députation doit être consultée sur la question de
savoir si tel ou tel individu doit être destitué. Je concevrais l'analogie si
la députation était consultée quant à la personne à nommer bourgmestre ; je
concevrais dans cette hypothèse qu'on la consultât également quant à la
personne à destituer. Voilà où il y aurait connexité, analogie entre les dispositions
; mais l'analogie n'existe en aucune manière. La députation, dans le premier
cas, dans le cas où il s'agit de nommer un bourgmestre en dehors du conseil,
est consultée sur les besoins administratifs d'une commune, abstraction faite
de tout nom propre, tandis que dans le cas de destitution la députation
prononcerait non pas sur un fait administratif, sur des besoins administratifs,
mais sur un nom propre, sur le mérite de tel ou tel individu. Or voilà un droit
que je refuse nettement, catégoriquement à la députation.
M. Delfosse. - Il existe pour les échevins.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - J'ai
répondu à cela. Les fonctions d'échevins ne sont pas de la même nature que
celles de bourgmestre. Il y a une grande différence entre ces deux catégories
de fonctionnaires, quant à l'importance des fonctions et quant à la nature des
attributions. D'ailleurs, de ce qu'il y aurait dans la loi une inconséquence,
ce ne serait pas un motif pour en mettre deux.
Messieurs, je dirai, en finissant, un mot à
l'honorable M. Delehaye qui se plaint que le ministère l'a accusé
d'exagération, lui et quelques-uns de ses amis. Je n'ai point formulé cette
accusation, je ne considère point la proposition de l'honorable M. Delfosse ni
celle de l'honorable M. Delehaye comme étant marquées d'une grande exagération,
je les considère seulement comme inopportunes. Je crois que mes honorables amis
ne doivent point, pour satisfaire à des opinions plus ou moins individuelles,
ne doivent point, en toute circonstance, se croire dans la nécessité de
produire, sous forme de proposition, des opinions purement individuelles. Cette
marche, messieurs, je ne la crois pas bonne au point de vue parlementaire. Je
le dis sans détour, rien de mieux que de conserver son indépendance personnelle
; mais il y a dans une chambre d'autres devoirs à remplir que des devoirs à
remplir envers soi-même, et sous ce rapport, j'engagerai fortement mes
honorables amis, à moins qu'ils n'aient des raisons particulières pour entraver
en quelque sorte la marche de la discussion et pour s'opposer au ministère,
j'engagerai fortement ces honorables amis à vouloir bien, dans des
circonstances données, faire le sacrifice de quelques opinions individuelles,
et laisser au ministère toute sa liberté d'action.
Voyez, messieurs, si ces propositions ainsi faites
ne doivent point donner lieu à réfléchir, il est bon de s'expliquer avec
franchise.
L'honorable M. Castiau n'est-il pas frappé de ce
singulier rapprochement, que sa proposition se trouve appuyée par l'honorable
M. Malou ? Je me borne à faire ce rapprochement, je le livre aux méditations de
la nouvelle majorité.
Ainsi, messieurs, tout en conservant nos opinions
individuelles, notre indépendance respective, tâchons de procéder toujours avec
ensemble, avec bonne entente ; voilà à quelles conditions on est parti
parlementaire.
Le gouvernement a fait connaître depuis longtemps
quelle était son opinion ; cette opinion a été formulée dans un programme
officiel ; le ministère se considère comme lié par ce programme ; rester en
deçà de ce programme, comme aller au-delà, ce serait, quant à présent, manquer
à nos engagements, et nous n'y manquerons pas.
Qu'on appelle cela de la
résistance, soit. Nous sommes un ministère ami d'un progrès sage et réglé. Nous
l'avons dit : lorsqu'on voudra nous faire aller d'un pas trop rapide, nous
résisterons ; nous voulons améliorer, mais en conservant ; nous ne sommes
nullement disposés à nous laisser entraîner dans une voie où l'on voudrait nous
faire marcher d'un pas précipité. Si d'autres pensent que notre marche n'est
pas assez rapide, que les affaires publiques doivent être conduites avec plus
d'ardeur, dans la voie d'un plus large progrès, eh bien, à ceux-là nous
abandonnerons le soin de diriger les affaires ; et voici ce que nous promettons
: c'est qu'une fois au pouvoir, une fois investis de cette confiance intime et
générale qu'un parti donne au ministère venu à la suite du triomphe de
l'opinion que ce parti représente ; une fois en possession de ce pouvoir, nous
leur promettons notre concours loyal et permanent, et nous saurons alors faire
facilement, dans certaines questions, le sacrifice de nos opinions
personnelles, pour ne pas entraver la marche d'un ministère ami, qui offrira à
nos principes des garanties suffisantes.
(page 918)
M. Lebeau, rapporteur. - Messieurs, un honorable préopinant a paru
s'adresser particulièrement (je me trompe peut-être) au rapporteur de la
section centrale, lorsqu'il a contesté l'appréciation politique que l'on avait
faite de la loi de 1842. J'ai dit que, par les circonstances qui l'ont préparée
et qui l'ont suivie, il est clair pour tout le monde que la loi de 1842 a été
une loi politique et en ce sens une loi de réaction, mais une loi de réaction
qui, comme presque toutes les lois de réaction, s'est brisée à l'instant même
dans les mains de ceux qui l'avaient faite.
Messieurs, il n'a été fait usage de cette loi,
qu'on semble vouloir vous convier à maintenir, que de manière à compromettre
gravement aux yeux du pays le pouvoir même qui en avait fait usage. Dans toutes
les grandes localités où l’homme du gouvernement a été éliminé par la
réprobation électorale, vous n'avez pas osé faire usage de votre loi ; vous
n'avez fait usage de votre loi que dans quelques localités obscures,
secondaires, comme si vous aviez été en quelque sorte honteux de l'usage que
vous faisiez de cette loi. Vous avez dû respecter le vœu des électeurs dans les
grandes communes ; vous n'avez pas osé réinstaller dans le conseil ceux que les
électeurs en avaient chassés ; mais dans quelques villages vous vous êtes
vengés sur quelques conseillers provinciaux, qui avaient commis le crime de
n'être pas de votre avis dans les assemblées provinciales.
Eh bien, par votre inaction, comme par l'usage que
vous avez fait de cette loi, vous l'avez discréditée. (Interruption.)
Je parle du ministère de M. Nothomb, et en parlant
de ce ministère qui appartient à l'histoire, je parle de vous qui siégez sur
les bancs de la droite, car M. Nothomb était particulièrement appuyé par vous.
L'honorable M. Castiau doit être bien surpris, je
ne sais si je dois dire un peu effrayé, lui qui tant de fois a qualifié durement
les lois de 1842 ! Il se voit l'objet d'une sorte d'entente cordiale ; on lui
serre la main avec tendresse sur ces bancs que pourtant il n'a pas l'habitude
de caresser ! Et l'honorable M. Malou, qui semble disposé à ratifier, au nom de
son parti, cette entente cordiale, est le même qui, après avoir condamné en
1842 le système proposé alors comme entaché de la monstruosité grave de faire
deux espèces de bourgmestre, a cependant, son amendement une fois rejeté, voté
pour cette loi monstrueuse de 1842. Aujourd'hui il n'en veut plus à aucun prix,
et l'on est, sur les bancs où siège l'honorable préopinant, si respectueux de
la prérogative royale (prérogative dont on n'avait pas beaucoup de souci lors
de la loi du jury d'examen], qu'on ne vote pas le rejet de la proposition
ministérielle, mais qu'on veut en revenir à la loi de 1836, qui concentre le
choix du Roi nécessairement dans le sein du conseil. Je demande comment il faut
comprendre ce revirement si singulier en faveur de la prérogative royale ? Ou
ne veut pas revenir à la loi de 1842, car sans cela vous vous borneriez à
repousser la loi nouvelle, vous ne donneriez pas les mains au projet de faire
revivre la loi de 1836. Mon Dieu ! si nous nous livrions à des suppositions,
nous pourrions dire que la loi de 1836 était mauvaise parce que vous étiez
chargés de l'appliquer, et que la loi de 1842 vous paraît redoutable, parce que ce sont vos
adversaires qui sont maintenant chargés de l'exécuter.
Voilà comment on pourrait s'expliquer cette espèce
d'entente cordiale qui semble se préparer.
Eh bien, savez-vous à quoi on s'expose des deux
côtés ? Quoiqu'il arrive, vous n'aurez pas, vous ne pouvez pas avoir la loi de
1836 ; c'est pour le gouvernement, après ce qu'il a dit, une question d'honneur
; vous n'aurez pas la loi de 1836 dans son intégrité. L'honorable M. Castiau
lui-même ne la réclame pas. Voilà pour nos collègues de la gauche.
Vous, messieurs, qui siégez de l'autre côté, vous
ne l'aurez pas non plus.
Le ministère vous fera
encore moins cette concession, qu'il refuse à des amis politiques. Qu'en
résultera-t-il ? Une nouvelle journée des dupes, comme on en a vu naguère une,
aux dépens du trésor public, dans la question des sucres. Ce qui résultera ce
sera la loi de 1842, qu'on appliquera, il est vrai, non dans un sens politique.
Aussi longtemps, en effet, que je verrai le banc ministériel occupé comme il
l'est, lors même que vous n'écririez pas une garantie nouvelle dans la loi de
1842, je suis convaincu qu'on n'en ferait usage que dans un sens exclusivement administratif.
Quant à moi, je ne prêterai pas les mains à ce
qu'on fasse du résultat de cette discussion une duperie pour tout le monde.
(page 913) M. Delfosse. - Je n'ai pas compris la grande émotion que mon
amendement a causé à M. le ministre de l'intérieur. Je ne puis accepter la
leçon un peu étrange qu'il vient de nous faire. L'amendement que j'ai présenté
n'est certes pas de nature à compromettre le sort de la loi ; j'ai usé de mon
droit en le présentant ; le ministère a usé du sien en le combattant.
La chambre appréciera ; mais, quoi qu'il arrive de
cet amendement, le projet de loi sera, j'en suis convaincu, adopté à une forte
majorité ; il n'y aura donc pas de journée de dupes. C'est bien à tort que
l'honorable M. Lebeau a parlé d'une journée de dupes.
Quelque raison que le ministère ait de compter sur
mes sympathies, il ne peut pas espérer que je renoncerai au droit de présenter
les amendements qui me paraîtront utiles. Je puis me tromper, mais si je crois
qu'un amendement est utile, qu'il peut donner des garanties à nos libertés, mon
devoir est de le présenter, et ce n'est pas seulement comme M. le ministre de
l'intérieur veut le dire, un devoir envers moi-même, c'est un devoir envers le
pays et envers la cause que j'ai à cœur de défendre.
C'est ainsi que je
comprends mon devoir et que je continuerai, à le remplir. Plusieurs fois, en
1840, quand l'honorable M. Rogier était ministre, j'ai combattu des
propositions ministérielles, je m'en suis plus tard félicité, et il a dû s'en
féliciter lui-même car j'ai été plus fort pour lutter contre ses successeurs.
Voilà ce que j'avais à répondre à l'honorable M.
Rogier, je répète, en terminant, que je ne comprends pas la grande colère, que
mon amendement, certes bien inoffensif, lui a inspiré.
M. Malou. - Je ne comprends pas non plus l'émotion de M. le
ministre de l'intérieur et de l'honorable rapporteur de la section centrale.
M. Lebeau. - Je ne suis pas ému.
M. Malou. - II semble qu'il nous soit interdit à nous de
nous rallier en quoi que ce soit à un membre de la gauche. (Interruption.)
Si cela ne nous est pas interdit je ne comprends
pas pourquoi l'honorable M. Castiau serait surpris, effrayé je crois qu'il ne
l'est guère, de l'adhésion que je crois pouvoir donner à sa proposition.
Pourquoi suis-je disposé à adhérer à cette
proposition ? Parce que je la trouve plus logique, plus utile que celle du gouvernement.
Il n'y a pas eu de négociation, il y a eu entente cordiale sur les principes ;
je m'en félicite. Je ne pense pas que cela puisse déplaire à M. le rapporteur.
J'ai déclaré deux choses, j'ai dit que je voterais
pour l'amendement, mais que je voterais contre l'ensemble de la loi. Qu'est-ce
que cela veut dire ? Que je veux le maintien de la loi de 1842, mais que si la
majorité voulait modifier cette loi, je préférerais le mode indiqué par M.
Castiau, la nomination du bourgmestre dans le conseil pour toutes les communes
du royaume, avec le droit de dissolution. Je suis loin de ne plus vouloir de la
loi de 1842, c'est parce que j'en veux, que mes successeurs peuvent en avoir
besoin que je vote dans ce sens.
Je ne rentrerai plus dans
le fond de la question qui a été agitée ; je dois cependant ajouter un mot. Je
crois devoir m'expliquer sur les observations de M. le ministre de l'intérieur.
Je désire qu'on en revienne à la loi de 1830,
corrigée par le droit de dissolution ; mais si l'honorable ministre de
l'intérieur voulait élever la question à la dignité d'une question de cabinet,
je m'abstiendrais sur l'amendement de M. Castiau.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je ne crois pas m'être exprimé avec colère, je
crois avoir donné des conseils dictés par l'intérêt de l'opinion que mon
honorable ami M. Delfosse défend. Je répondrai à l'honorable M. Malou que je ne
suis pas autorisé à élever la question qui s'agite à la hauteur d'une question
de cabinet. Je laisse donc à l'honorable membre la liberté de son vote. Je
serais désolé de le gêner, je suis convaincu que l'honorable M. Malou tient
beaucoup au maintien du cabinet.
M. de Brouckere. - En principe, je suis loin d'être contraire à l'amendement proposé par
l'honorable M. Delehaye ; je verrais sans regret, je n'hésite pas à le dire,
dans les grandes villes surtout, la police restituée au collège des bourgmestre
et échevins, comme cela existait avant la loi de 1842, mais je crois que la
chambre est fort peu disposée à discuter la proposition de l'honorable M.
Delehaye et j'ajouterai qu'une semblable proposition peut difficilement être
discutée dans une assemblée comme celle-ci sans avoir été soumise à un examen
préparatoire. Il ne faudrait pour vous le prouver que rappeler que ce n'est pas
seulement l'article 90 de la loi communale qu'il faudrait modifier, mais encore
les articles 94, 123 et 126.
D'après cela, j'engage l'honorable M. Delehaye à ne
pas insister sur son amendement qui n'a aucune espèce de change d'être admis.
M. Delehaye. - Je ne dirai qu'un mot. M. le ministre de
l'intérieur en me répondant a exprimé la pensée que ma proposition était le
résultat d'une inspiration personnelle. C'est une erreur, cette proposition m'a
été suggérée par un homme pratique, un échevin d'une grande ville. Dans toutes
les grandes villes on a reconnu l'importance de rétablir le n°4 de l'article 90
de la loi communale et on le demande.
- La discussion est close.
Vote de l’article unique
M.
le président. - S'il n'y a pas
d'opposition, je mettrai d'abord aux voix l'amendement de M. Castiau.
Plusieurs membres. - Oui ! oui !
D'autres
membres. - Non ! non !
M. Mercier. - L'honorable M. Castiau n'a-t-il pas proposé la
dissolution éventuelle des conseils communaux ?
M. le président. - Il n'a pas été adopté de proposition en ce sens.
M.
Malou. - Si la
proposition de M. Castiau était adoptée, comme c'est un amendement, il y aurait
évidemment un second vote ; on pourrait alors proposer la dissolution, comme
conséquence d'un amendement adopté.
Quant à l'ordre du vote, je crois qu'on doit voter
d'abord sur cette disposition : « Le Roi nomme le bourgmestre dans le sein du
conseil » ; (page 914)
puis sur le droit de révocation, puis enfin sur le paragraphe qui abroge la
disposition de la loi de 1842.
M. Dolez. - Si l'on met aux voix cette disposition : « Le Roi nomme le
bourgmestre dans le sein du conseil » nous voterons tous pour, puisque nous
sommes tous d'avis que ce doit être la règle. Ne vaudrait-il pas mieux mettre aux
voix cette question : « Rétablit-on la loi de 1836 ? »
M. Castiau. - Ma proposition n'a pas d'autre portée.
M. Dolez. - Eh bien, que l'on mette aux voix la question
comme je viens de la poser.
M. de Brouckere. - La question est extrêmement simple. C'est le rétablissement de la loi
de 1836, en ce qui concerne la nomination des bourgmestres.
M. Dubus (aîné). -Je voulais faire la même observation. L'honorable
M. Castiau propose de rétablir la loi de 1836, en ce qui concerne la nomination
et la révocation des bourgmestres. On demande que cette proposition soit mise
aux voix par division.
M. Castiau. - C'est cela.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - La proposition de l'honorable M. Castiau,
restreinte comme elle l'est (car il n'a pas proposé de donner au gouvernement
le droit de dissolution), c'est le rejet de la proposition du gouvernement. Je
demande la priorité pour la proposition du gouvernement.
Le gouvernement admet en principe la nomination du
bourgmestre dans le sein du conseil. Il demande seulement une exception dans
certains cas à constater par la députation permanente.
Je demande qu'avant de mettre aux voix la question
de principe, on mette aux voix la question soulevée par le deuxième paragraphe
: « Y a-t-il lieu de donner au gouvernement le droit de nommer le bourgmestre
hors du conseil, de l'avis conforme de la députation permanente ? » Voilà au
fond la proposition du gouvernement, dont M. Castiau propose le rejet.
En un mot, je demande que le dernier paragraphe du
projet de loi soit mis aux voix le premier.
M. Mercier. - Tout amendement doit être mis aux voix avant la
proposition du gouvernement ; c'est là une règle dont je ne pense pas qu'on ait
jamais dévié. Je me trouverais, quant à moi, dans un grand embarras si l'on
suivait une autre marche dans cette circonstance, et je me verrais forcé de
m'abstenir. J'ai voté, en 1842, contre la proposition de l'honorable M.
Fleussu, parce que je ne voulais pas subordonner l'action du gouvernement à
l'avis conforme de la députation permanente, ce qui me semblait placer le
pouvoir central dans une position peu convenable ; j'ai cru, toutefois, qu'il
était utile que la députation permanente fût entendue, et que la nomination
hors du conseil n'eût lieu que pour des motifs graves ; j'ai fait dans ce sens
une proposition qui n'a pas réuni la majorité. D'un autre côté, je n'ai pas
accepté la loi de 1842, et mon intention n'est pas de la laisser subsister. Me
trouvant en présence de deux propositions, je donne la préférence à celle de
l'honorable M. Castiau, dans la pensée qu'au deuxième vote une disposition
relative à la dissolution des conseils communaux y sera ajoutée.
Mais si la proposition de
M. Castiau n'était pas adoptée, je préférerais celle qui nous est soumise par
le gouvernement à l'état de choses actuel.
Par ces considérations, qui sans doute existent
pour beaucoup d'autres, membres, il me semble qu'il est indispensable de voter
en premier lieu sur la proposition de l'honorable M. Castiau, ce qui est
d'ailleurs de droit, d'après notre règlement.
M. Maertens. - Je soutiens également qu'il faut commencer par
mettre aux voix l'amendement de l'honorable M. Castiau et voici pourquoi :
Je n'ai jamais voulu et je ne veux pas encore de la
loi de 1842. Cette loi existe aujourd'hui et pour la remplacer deux
propositions sont en présence, celle de l'honorable M. Castiau et celle du
gouvernement. Je préfère la première, qui est le retour pur et simple à la loi
de 1836. Si cette proposition est rejetée, j'adopte alors celle du
gouvernement, qui, pour moi, vaut mieux que la loi de 1842. Il faut donc, pour
que je puisse librement exprimer ma pensée, commencer par mettre aux voix la
proposition de M. Castiau, qui est la plus large, qui n'admet aucune restriction.
Si on commence par mettre
aux voix la proposition du gouvernement, je me trouverais dans l'impossibilité
de voter. En effet, si je réponds affirmativement sur la proposition du
gouvernement, je me prononce directement contre la proposition de M. Castiau,
que je veux au contraire adopter. Si je rejette la proposition du gouvernement,
je ne suis pas sûr de voir adopter la proposition de M. Castiau, je cours grand
risque de voir maintenir la loi de 1842. Il faut donc, pour que tout le monde
puisse prendre part au vote, que l'on donne la priorité à la proposition de M.
Castiau. Il faut qu'on nous laisse l'occasion de voter sur celle proposition,
que, pour mon compte, j'ai déjà admise dans la sixième section, dont je faisais
partie conjointement avec l'honorable M. Castiau.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Il faut
qu'il n'y ait de surprise pour personne dans le vote. La proposition de
l'honorable M. Castiau votée purement et simplement, c'est le rejet de la
proposition du gouvernement.
Pour le second vote, on suppose qu'une autre
proposition surgira. Mais une proposition de cette importance aurait dû être
déposée dès le premier vote. Nous aurions pu en apprécier la portée, les
conséquences sur l'adoption du principe qu'on vous propose de voter d'une
manière absolue et sans restriction dès le premier vote. Vous ne pouvez, dans
la perspective d'une proposition nouvelle à introduire au second vote, vous
prononcer dès aujourd'hui sur un pareil principe.
Si dès maintenant la proposition de donner au
gouvernement le droit de dissoudre les conseils communaux était faite, était
votée, je concevrais jusqu'à un certain point que l'on pût adopter le retour à
la loi de 1836. Mais il faut qu'une proposition de cette importance ne vienne
pas à l'improviste, d'une manière accessoire, d'une manière tout à fait
hypothétique, exercer une influence décisive sur le premier vote. Il faut que
cette proposition soit déposée dès maintenant ; alors nous en apprécierons la
portée, les conséquences.
Veut-on introduire le droit de dissolution dans la
loi communale ? Qu'on en fasse la proposition. Je fais un appel à l'honorable
M. Castiau. S'il veut introduire ce principe nouveau dans la loi communale,
qu'il le propose ; nous le discuterons. Il ne faut fournir à aucun membre un
prétexte, une excuse de son vote.
Je sais que plusieurs membres qui se posent comme
les défenseurs de la prérogative royale, vont dire : Nous avons voté pour la
disposition qui force le Roi à choisir dans le sein du conseil ; mais nous lui
réservons une bien plus belle prérogative, nous lui réservons le droit de
dissolution pour le second vote. Voilà derrière quels prétextes ceux qui se
sont posés ici comme les défenseurs de la prérogative royale vont se retrancher
pour faire essuyer un échec à la proposition du gouvernement.
Je demande donc qu'une proposition de cette
importance soit déposée sur le bureau. Voilà ce que je demande à la loyauté de
l'honorable M. Castiau et à la loyauté de son honorable associé M. Malou.
Je demande que la chambre s'explique d'abord, et
ceci est clair pour tout le monde, sur cette première question : Y a-t-il lieu,
dans certains cas, de nommer le bourgmestre hors du conseil, de l'avis conforme
de la députation permanente ?
J'ai le droit de demander que la chambre vote
d'abord sur cette disposition ; elle ne peut tromper personne ; elle est claire
pour tout le monde. La première disposition : « le Roi nomme les bourgmestre et
échevins dans le sein du conseil, » je l'adopte en principe, mais j'ajoute : «
néanmoins dans certains cas, le Roi pourra nommer hors du conseil, de l'avis
conforme de la députation. »
Est-il entendu qu'après
avoir voté le principe, je puis encore me réserver de voter sur l'exception ? (Non ! non !) Mais si ce n'est pas entendu,
il m'est impossible de voter sur votre proposition, et cependant je suis en
principe favorable à cette proposition.
Votons sur ce qui fait véritablement l'objet de la
discussion ; votons sur l'exception. Je demande que l'on mette d'abord aux voix
l'exception proposée par le gouvernement.
M. Malou. - Je ne parlerai que sur la position de la
question.
L'honorable M. Rogier a fait un appel à ma loyauté.
Autant que lui, je désire qu'il n'y ait de surprise pour personne, que personne
ne soit gêné dans l'expression de son vote.
La proposition de l'honorable M. Castiau est un
amendement. L'article 24 du règlement veut, en termes exprès, que les
amendements soient mis aux voix avant la proposition principale.
On nous
provoque à proposer dès maintenant le droit de dissolution. D'après le
règlement, c'est au second vote seulement que cette proposition doit être
faite, parce que si la proposition de l'honorable M. Castiau était adoptée,
cette disposition serait la conséquence d'un amendement admis au premier vote.
On dit qu'en principe tout le monde est partisan de
la nomination du bourgmestre dans le sein du conseil. Assurément, il en est
ainsi. Mais il est entendu, et l'honorable M. Castiau l'a déclaré plusieurs
fois, que la disposition qu'il propose est le retour à la loi de 1836,
c'est-à-dire le rejet de l'exception.
M. Castiau. - M. le ministre fait appel à ma loyauté et
m'engage à compléter mon amendement en y joignant le droit de dissolution. Je
ne puis que lui adresser le même appel et lui rappeler la proposition que j'ai
eu l'honneur de lui faire hier. Veut-il, oui ou non adhérer à l'amendement que
j'ai eu l'honneur de faire. Mais s'il refuse, je ne me crois pas tenu, dans
l'incertitude ou je suis sur l'adoption de mon amendement, de me rendre à son
lui, à lui dire de prononcer.
M. Dolez. - Je veux faire une seule remarque. Il me semble
que dans la pensée de l'auteur de l'amendement, l'une disposition est
inséparable de l'autre ; qu'il existe entre les deux dispositions une liaison
intime. Je ne crois donc pas que l'on puisse procéder comme on le propose,
qu'on puisse voter pour la première proposition et réserver la seconde pour le
second vote. Il faudrait donc une proposition complexe portant que le choix du
bourgmestre devra se faire dans le sein du conseil, mais que le Roi aura le
droit de dissolution.
J'ajouterai une dernière considération. Il faudrait
d'abord déterminer quelle sera la nature du conseil communal. Le conseil
communal sera-t-il sujet à dissolution ou ne le sera-t-il pas ? C'est en vue de
la possibilité de dissolution que quelques membres et que l'honorable M.
Castiau lui-même nous proposent le retour à la loi de 1836. Il faudrait savoir
préalablement si la chambre adopte ce droit de dissolution, et, quant à moi,
j'avoue que si la proposition en était faite, j'hésiterais fort à m’en (page 915) déclarer partisan. Je crois
qu'au nom des libertés communales, je me prononcerais énergiquement contre
cette proposition. (Interruption.)
Plusieurs membres. - Qu'on rouvre la discussion !
M. le président. - La chambre veut-elle rouvrir la discussion ?
Des
membres. – Oui !
oui !
D'autres
membres. - Non ! non !
M. Dolez. - Je disais donc que je ne pouvais comprendre que l'on vînt demander à
la chambre de décréter en principe le retour à la loi de 1836, en lui faisant
entrevoir la perspective d'une proposition nouvelle qui viendra plus tard.
J'avoue que depuis que j'ai l'honneur de siéger
parmi vous, c'est la première fois que je vois procéder de la sorte. (Interruption.) Le gouvernement maintient
sa proposition. Nous sommes donc en présence d'une proposition complète, celle
du gouvernement, et d'une proposition qui, de l'aveu de son auteur et de ses
partisans, est parfaitement incomplète. Je dis que, dans un pareil état de
choses, la chambre doit prononcer d'abord sur la proposition complète, celle
qui provoque un premier vote sérieux.
M.
Mercier. -
Messieurs, nous sommes saisis d'un amendement bien déterminé. Nous avons à
voter sur cet amendement avec toutes les chances qu'il peut avoir d'être suivi
ou de ne pas être suivi d'une autre proposition, et également avec les chances
qu'aurait cette dernière d'être ou de n'être pas adoptée lors du second vote.
Chacun, dans sa conscience, appréciera ce qu'il aura à faire ; toujours est-il
que nous sommes en présence d'une proposition formelle et que nous devons nous
prononcer sur cette proposition.
Quant à la difficulté qui a été présentée tout à
l'heure par l'honorable ministre de l'intérieur, elle n'est que dans les mots.
Je serai embarrassé, disait M. le ministre, parce que j'adopte en principe la
proposition de l'honorable M. Castiau, et que je ne veux qu'une exception à
l'application de ce principe. Voilà précisément en quoi consiste la différence
entre les deux propositions : il y a une exception dans la proposition du
gouvernement et il n'y en a pas dans celle de l'honorable M. Castiau. Il me
semble donc que M. le ministre de l'intérieur ne doit éprouver aucun embarras.
Il doit voter contre la proposition de M. Castiau.
M. le ministre des
travaux publics (M. Frère-Orban). -
Messieurs, un amendement n'est pas un amendement parce qu'on le qualifie ainsi
; il ne l'est que parce que la nature de la proposition lui donne réellement ce
caractère. Qu'est-ce que l'honorable M. Castiau propose ? Il propose la
première partie du projet de loi. Il propose ce que le gouvernement propose
également : les bourgmestres sont nommés dans le sein du conseil.
M. Castiau. - Exclusivement.
M. le ministre des
travaux publics (M. Frère-Orban). - Ce
n'est donc que le mot « exclusivement » qui constitue l'amendement,
et qu'est-ce que c'est que cet amendement ? C'est le rejet du projet du
gouvernement. C'est donc le projet du gouvernement qui doit avoir la priorité ;
sans cela il y aurait surprise.
M. Bruneau. - La discussion qui vient d'avoir lieu prouve que
l'objet principal n'est plus l'amendement de M. Castiau, mais que l'objet
principal serait la disposition à introduire sur la dissolution des conseils
communaux. (Interruption.) C'est pour
une motion d'ordre que j'ai demandé la parole. Je propose de rouvrir la
discussion pour examiner la question de la dissolution qui, dans l'opinion d'un
grand nombre de membres, est le corollaire indispensable de la proposition de
M. Castiau.
M. Dubus (aîné). - Je viens demander à la chambre et à M. le
président, l'exécution du règlement. Toutes les propositions incidentes qui
vous sont faites tendent uniquement à mettre le règlement de côté et à y
substituer un règlement arbitraire fait pour la circonstance actuelle.
D'après l'article 24 du règlement les amendements
sont mis aux voix avant la proposition principale. Eh bien, la proposition de
M. Castiau est-elle un amendement ? Ou a essayé de le nier tout à l'heure, mais
c'est véritablement nier l'évidence.
Le gouvernement propose de modifier la loi de 1842
en ce sens que le Roi pourrait choisir le bourgmestre en dehors du conseil, moyennant
l'avis conforme de la députation permanente. M. Castiau, lui, va plus loin que
le gouvernement, il va plus loin qu'une simple modification à la loi de 1842
qui concerne la nomination des bourgmestres, il demande l'abrogation complète
de cette loi et le rétablissement de l'article de la loi de 1836 qui porte que
le Roi nomme les bourgmestres dans le sein du conseil. Evidemment c'est là un
amendement au projet du gouvernement.
Mais, dit-on, l'amendement emporte le rejet de la
proposition du gouvernement. Eh ! sans doute, tout amendement important emporte
le rejet d'une disposition quelconque. Est-ce que pour cela vous ne devez pas
mettre l'amendement aux voix avant la proposition principale ?
On dit, messieurs, qu'il y aurait surprise. Je ne
comprends pas qu'il puisse y avoir surprise. Chacun comprend parfaitement bien
la question.
Y aurait-il surprise en ce sens que plusieurs
membres pourraient n'adopter l'amendement de M. Castiau que dans la supposition
qu'au second vote il sera suivi d'un autre amendement introduisant dans la loi,
au profit du pouvoir exécutif, le droit de dissolution des conseils communaux,
amendement qui pourrait n'être pas présenté ou n'être pas adopté ? Mais,
messieurs, en quoi y aurait-il là surprise ? N'aura-t-on pas le vote sur l'ensemble,
et ceux qui auraient l'opinion dont je viens de parler ne pourraient-ils pas
rejeter, au second vote, soit l'amendement de M. Castiau, soit la loi dans son
ensemble, si la proposition dont il s'agit n'y avait pas été introduite ?
M. le président. - Je crois qu'il faut en finir. S'il n'y avait pas de doute sur
l'exécution du règlement, le bureau saurait faire son devoir ; mais comme on
n'est pas d'accord à cet égard, je dois consulter la chambre. Je vais donc
consulter la chambre sur la question de savoir si on donnera la priorité à la
proposition du gouvernement.
Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal sur la
question de savoir si la priorité dans le vote sera accordée à la proposition
du gouvernement.
Voici le résultat de cette opération :
90 membres ont répondu à l'appel nominal.
53 ont répondu oui.
37 ont répondu non.
En conséquence, la priorité est accordée à la
proposition du gouvernement.
Ont répondu oui : MM. Veydt, Anspach, Bruneau,
Cans, Clep, Cogels, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de
Brouckere, de Denterghem, Delehaye, Delfosse, de Muelenaere, Desaive,
Destriveaux, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d'Hane, d'Hoffschmidt, Dolez,
Dumont, Duroy de Blicquy, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Jonet,
Lange, Lebeau, Loos, Lys, Manilius, Moreau, Orts, Osy, Pirmez, Pirson,
Rodenbach, Rogier, Rousselle, Scheyven, Sigart, Simons, Tielemans, T'Kint de
Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Van Cutsem et Verhaegen.
Ont répondu oui : MM. Vilain
XIIII, Wallaert, Zoude, Biebuyck, Castiau, d'Anethan, de Bonne, Dechamps, de
Chimay, de Clippele, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La
Coste, de Liedekerke. de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Sécus, de
Theux, de T'Serclaes, d'Huart, Dubus aîné, Dubus (Albéric), Eenens, Eloy de
Burdinne, Lesoinne, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Raikem,
Thienpont, Vanden Eynde, Vandensteen et Van Renynghe.
M.
le président. - Je mets aux voix la
proposition du gouvernement.
Des membres. - L'appel nominal !
M. de Corswarem. - Je demande la division de l'article.
M. le président. - La chambre vient d'accorder la priorité à la proposition du
gouvernement ; elle a donc décidé que cette proposition devait être mise aux
voix.
M. Dubus (aîné) (pour un fait personnel). - Messieurs, on vient de
renverser le règlement ; eh bien, d'après le règlement qu'on veut de nouveau
renverser, la division est de droit, dès qu'un membre la réclame ; or, la
division est réclamée ; quand on donne la priorité à une proposition, il ne
s'ensuit pas que chacun ne puisse user du droit de la faire diviser.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, je n'admets pas avec l'honorable M. Dubus que le règlement ait été
renversé. (Interruption.)
Je prends la défense de la chambre dans cette
circonstance ; elle n'a fait que suivre les errements qu'où a suivis lors de la
discussion de la loi communale. Je pourrais montrer que dans cette discussion
si longue où l'honorable M. Dubus a joué un si grand rôle d'opposition, la
chambre a été amenée peut-être vingt fois à voter par questions, et cela sur la
proposition de cet honorable membre. Il n'y a pas eu alors de renversement de
règlement, ou si le règlement a été renversé, il l'a été par le fait de
l'honorable M. Dubus.
Quand j'ai demandé la priorité pour la proposition
du gouvernement, c'était pour tout l'article ; l'honorable M. Castiau, par sa
proposition, divisait celle du gouvernement ; or, la chambre n'a pas accordé la
priorité à la proposition de l'honorable M Castiau ; par là même elle a décidé
qu'elle voterait sur toute la proposition du gouvernement ; diviser maintenant
la proposition, ce serait revenir sur le vote que la chambre vient d'émettre
sur la question de priorité.
- Personne ne demandant la parole, on passe à
l'appel nominal sur la proposition du gouvernement.
Il est procédé à l'appel nominal. En voici le
résultat :
88 membres répondent à l'appel.
62 membres ont répondu oui.
18 membres ont répondu non.
8 membres se sont abstenus.
En conséquence la proposition du gouvernement est
adoptée.
Ont répondu oui : MM.
Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Anspach, Biebuyck, Bruneau, Cans, Clep,
Cogels, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, de
Clippele, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delfosse, de Muelenaere. Desaive,
Destriveaux, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d'Hane, d'Hoffschmidt, Dolez,
Dumont, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Jonet, Lange, Lebeau,
Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Mast de Vries, Moreau, Orts, Osy, Pirmez,
Pirson, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, (page 916) Tielemans, T'Kint de Naeyer,
Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Van Cutsem, Van Renynghe et Verhaegen.
Ont répondu non : MM. d'Anethan, de Corswarem, de
Garcia, de la Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode,
de Sécus, de Theux, de T'Serclaes, d'Huart, Dubus (aîné), du Roy de Blicquy,
Eloy de Burdinne, Malou, Raikem, Van den Eynde.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de
leur abstention.
M. Castiau. - J'aurais voté en faveur de la proposition du
gouvernement, si l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer avait eu les
honneurs du vote. S'il avait été repoussé loyalement par l'assemblée, j'aurais
accueilli comme pis-aller la proposition du gouvernement ; mais par suite de la
marche qui a été suivie, mon amendement ayant été écarté sans qu'il m'ait été
possible d'exprimer mon vote, je ne pouvais voter la proposition du
gouvernement, que je ne devais accepter que comme pis-aller.
M. de Bonne. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que mon
honorable ami, M. Castiau. Je voulais voter d'abord pour la proposition de M.
Castiau, et, à défaut de cette proposition, mon intention était de voter pour
celle du gouvernement. Il ne m'a pas été permis de le faire. Voilà pourquoi je
me suis abstenu.
M. Dechamps. - La décision de la chambre sur la question de
priorité ne m'a pas laissé une liberté suffisante pour voter.
M. Eenens. - Je n'ai pas voulu voter pour la proposition du
gouvernement, parce que j'aurais préféré celle de M. Castiau sur laquelle il ne
m'a pas été permis de voter ; je n'ai pas voulu voter contre, parce, que je la
préfère à ce qui existe.
M. Maertens. - Les observations que j'ai présentées dans la
discussion expliquent mon abstention.
M. Mercier. - Je me suis abstenu pour les motifs allégués par
l'honorable M. Castiau, qui sont ceux que j'avais déjà énoncés dans la
discussion qui s'est élevée sur la question de priorité.
M. Orban. - Je me suis abstenu par les motifs énoncés par M.
Dechamps.
M.
Vandensteen. - Je me
suis abstenu par les mêmes motifs.
M. le président. - Nous passons à la proposition de M. Delfosse, qui est ainsi conçue :
Après ces mots : « relatives à la
nomination », ajoutez : « et à la révocation ».
Supprimez les mots : « hors du conseil ».
Ajoutez le paragraphe suivant :
« Le § 1er, ajouté à l'article 56 de la loi
communale, par la loi du 30 juin 1842, est supprimé.
« Le mot : « bourgmestre », retranché,
par cette loi, du même article, y est rétabli, et par suite l'article est ainsi
conçu :
« Le gouvernement peut, sur l'avis conforme,
etc., suspendre et révoquer les bourgmestre et échevins. »
Plusieurs voix. - L'appel nominal.
M. le président. - Il va être procédé à cette opération.
En voici le résultat : 78 membres sont présents.
1 (M. de La Coste) s'abstient.
77 prennent part au vote.
19 votent pour l'adoption.
58 votent contre. La chambre n'adopte pas.
Ont voté pour l'adoption : MM. Vilain XIIII,
Biebuyck, Castiau, David, de Bonne, Delfosse, Destriveaux, de Tornaco, d'Hane,
A. Dubus, Eenens, Eloy de Burdinne, Herry-Vispoel, Lesoinne, Tremouroux,
Rousselle et Van Renynghe.
Ont voté contre : MM.
Veydt, Wallaert, Zoude, Anspach, Bruneau, Cans, Clep, Cogels, d'Anethan,
Dautrebande, de Baillet-Latour, de Breyne, Dechamps, de Clippele, de Corswarem,
de Denterghem, de Haerne, Delehaye, de Mérode, de Muelenaere, Desaive, de
Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dolez,
Dubus aîné, du Roy de Blicquy, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Lange, Lebeau, Loos,
Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orban, Orts, Osy,
Pirmez, Pirson, Raikem, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Tielemans,
T'Kint de Naeyer, Troye, Van Cleemputte, Van Cutsem et Verhaegen.
M. de La Coste motive son abstention sur ce que la
proposition lui a paru connexe avec la proposition du gouvernement qu'il a
rejetée.
M. le président. - Il reste à la chambre à statuer sur l'amendement de M. Delehaye.
M. Delehaye. - J'aurais voulu que ma proposition eût fait
l'objet de l'examen de la section centrale. Mais pour ne pas en compromettre le
sort, je la retire en me réservant de la reproduire ultérieurement.
M. le président. - La chambre considère-t-elle comme ayant eu lieu sur l'ensemble du
projet de loi le vote par appel nominal qui a eu lieu sur l'article unique
propose par te gouvernement ? Ou bien croit-elle nécessaire de procéder de
nouveau au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet ?
M. Delehaye. - Cela me paraît indispensable. En effet on peut n'avoir
voté pour l'article proposé par le gouvernement qu'avec l’intention de voter
pour les autres propositions, et, par suite de leur rejet, vouloir voter contre
l'ensemble du projet de loi.
- Il est procédé au vote par appel' nominal sur
l'ensemble du projet de loi.
En voici le résultat :
Nombre des votants, 72.
62 membres votent pour l'adoption.
10 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l'adoption : MM. Veydt, Vilain XIIII,
Wallaert, Zoude, Anspach, Biebuyck, Bruneau, Cans, Clep, Cogels, David, de
Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, de Clippele, de Haerne,
Delehaye,, Delfosse, de Muelenaere, Desaive, Destriveaux, de Terbecq, de
Tornaco, de Villegas, d'Hane, d'Hoffschmidt, Dolez, Dumont, Fallon,
Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys,
Maertens, Manilius, Mercier, Orts, Osy, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart,
Simons, Thienpont. T'Kint de Naeyer,
Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Van Cutsem et Verhaegen.
Ont voté contre : MM. d'Anethan, de Corswarem, de
Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Theux, de T'Serclaes, d'Huart, Malou
et Raikem.
La séance est levée à 5 heures.