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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 19 avril 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Rapports sur des pétitions
3) Projet de loi d’emprunt forcé. Nécessité de
recourir à cet emprunt. A : économies dans les dépenses de l’Etat ;
B : répartition de la part (notamment entre contribution foncière et
contribution personnelle) ; C : mesure alternatif sous la forme du cours
légal donné aux billets de certaines banques (+société générale et banque
de Belgique) ; D : situation sociale du pays (C, A (de Liedekerke), A, B (Lebeau),
impôt mobilier (sur les coupons de rente de l’Etat), C (Cogels),
A, B, C, A (Rogier), A, B (de La
Coste), C (Malou), A, C (Moreau)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1367) M. de Villegas procède à
l'appel nominal à midi et un quart.
La
séance est ouverte.
M.
T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la
dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. de Villegas
communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«
La chambre des avoués près le tribunal de première instance de Namur prie la chambre
de s'occuper du projet de loi qui modifie les tarifs en matière civile. »
-
Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
_________________
« Les habitants de Gembloux se plaignent
de l'augmentation d'impôt qui est exigée des patentables de cette commune.»
-
Renvoi à la commission des pétitions.
_________________
«
Les membres de l'administration communale de Quaregnon prient la chambre de
voter les fonds nécessaires à la construction du canal de Jemmapes à Alost, et
du canal de Mons à la Sambre, ou d'autoriser le gouvernement à employer, pour
l'exécution de ces canaux, les 2 raillions de cautionnement qui se trouvent
dans les caisses de l'Etat. »
-
Renvoi à la commission des pétitions.
_________________
Par
message du 18 avril, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de
loi sur l'organisation des monts-de-piété.
-
Pris pour notification.
RAPPORTS DE PETITIONS
M.
Destriveaux fait rapport sur les pétitions suivantes. - «
Les administrations communales d'Havelange, Miecret et Maffe demandent le
rétablissement de l'ancien canton d'Havelange. »
«
Les membres du conseil communal de Rommershoven demandent la réunion de cette
commune au canton de Bilsen. »
Il
propose le renvoi de ces requêtes à M. le ministre de la justice.
-
Cette proposition est adoptée.
_________________
M. Lys
fait rapport sur les pétitions suivantes. - « Le conseil communal d'Embourg
demande que cette commune soit réunie au canton de Louvegnée, dont le chef-lieu
serait transféré à Beau-fays. »
«
Le conseil communal de Fraipont prie la chambre de rejeter la demande tendant à
ce que le chef-lieu du canton de Louvegnée soit transféré à Beaufays ».
« Le
conseil communal de Gomzé-Andoumont prie la chambre de rejeter la demande
tendant à transférer à Beaufays le chef-lieu du canton. »
Il
propose le renvoi au département de la justice.
-
Cette proposition est adoptée.
PROJET DE LOI D’EMPRUNT FORCE
Discussion générale
M. de
Liedekerke. - Messieurs, lorsque, après les grands
événements survenus dans un pays voisin, le gouvernement vint demander aux
chambres de voter une avance considérable sur les contributions ordinaires à
titre d'emprunt, il rencontra dans leur sein un accord qui était le premier
signe de ce patriotisme et de cette concorde, qui n'ont cessé de les animer
pour tout ce qui tenait aux vrais intérêts du pays.
La
Belgique tout entière a ratifié, j'oserai presque dire par ses acclamations, la
conduite de ses représentants, et la voix du pays a été unanime pour accueillir
avec le même sentiment de sagesse et de conservation les sacrifices qu'on lui
imposait et les puissantes réformes qui s'opéraient subitement dans ses lois.
C'est
que, messieurs, ce pays si antique dans l'histoire de la liberté a compris que
si ses droits politiques, sa constitution politique, les prérogatives
constitutionnelles dont il jouit, cette libre faculté d'exprimer ses vœux, ne
suffisaient pas pour étendre et consolider ses libertés, pour marcher enfin
avec son siècle, puisque la loi du mouvement est celle du monde, il a compris
que s'il fallait pour cela avoir fatalement recours à la violence et au
désordre, c'en serait fini des bienfaits de la civilisation morale et
intellectuelle, et qu'il irait bientôt, condamné par ses propres excès, toucher
aux confins d'une barbarie nouvelle.
Cette
pensée sérieuse et vraie ne s'est pas affaiblie, elle s'est, au contraire,
fortifiée au spectacle des vicissitudes étonnantes qui nous entourent, que
l'esprit ne saisit qu'à grand peine, tant est excessive leur rapidité, et tant
leur dénouement final échappe aux regards les plus pénétrants.
S'il
s'est donc élevé une dissidence entre la section centrale et le ministère, si
dans les rangs de cette assemblée, il y a des opinions diverses quant au mode à
suivre pour faire face à toutes les exigences de la situation, il n'en résulte
pas une hostilité préméditée ni active contre le ministère même, mais la preuve
d'appréciations diverses et bien naturelles, si l'on considère la haute
importance d'une question aussi compliquée, que celle qui nous occupe.
Sans
doute la responsabilité de ceux qui sont au pouvoir dans des circonstances si
extraordinaires est immense, leurs devoirs sont délicats, nombreux et graves,
il faut savoir en faire la part ; mais, messieurs, nous aussi nous avons nos
obligations et notre responsabilité, nous aussi nous ne sommes point ici pour
consentir précipitamment à tout ce qui doit être imposé au pays sans user
d'abord de ce droit de libre examen et de contrôle qui est notre prérogative,
et qu'il serait aussi contraire à nos devoirs qu'à nos intérêts de déserter un
seul instant. Aussi est-ce dans cet esprit que je demande la permission à la
chambre de lui présenter quelques observations sur le projet qui lui est
soumis.
D'abord,
je m'associe entièrement au principe qui a inspiré la section centrale et
auquel s'est rallié le ministère, de ne voter les crédits et les dépenses que
jusqu'au 1er septembre. Il n'est pas douteux, je pense, que les chambres
avaient cependant le droit de voter les uns et les autres jusqu'au moment
qu'elles pourraient considérer comme utile aux intérêts du pays ; mais c'est
pour cela même qu'il était bon de ne pas trop l'engager, et de laisser à nos
successeurs le soin de voter ce que les événements, les circonstances
réclameront de nouveau pour le bien-être public.
Ce
qui a prévalu dans votre section, ce qui prédominera dans vos esprits,
messieurs, c'est la ferme volonté de mettre le gouvernement à même de faire
face à tous les engagements de l'Etat, de soutenir la puissance de son crédit,
c'est de lui donner les moyens de maintenir la tranquillise intérieure, de
préserver nos frontières de toute violation, c'est enfin d'aider, autant que
cela est compatible avec les ressources du pays, les classes les plus exposées
aux rudes épreuves de la misère.
Et
qu'on ne dise point, messieurs, que nous luttons avec l'impossible, que nous
tenions des efforts disproportionnés, qu'ambitionner le repos, la paix, la
marche ordonnée et régulière de toutes choses au sein de la tempête qui remue
l'Europe est insensé ! Non, messieurs, non, cela n'est pas chimérique,
cela n'est point impossible pour un peuple qui se sent, qui a foi dans son
avenir, qui est fermement résolu à se maintenir lui-même et par lui-même, et
qui, après avoir joui des bienfaits de la prospérité, y a puisé d'autant plus
de force pour lutter avec les vents contraires et surmonter leur violence.
La
question des travaux publics, celle de l'armée ont été résolues ; vous avez
décidé ce que vous pensiez devoir être alloué pour ces dépenses indispensables
à la sécurité et à la tranquillité générales. C'est donc là un débat vidé, sur
lequel il serait superflu de revenir, et qui l'a été utilement, sagement quant
au but, quoiqu'on pût différer quant à l'élévation même des chiffres.
Restait,
messieurs, la question des bons de trésor. Parmi les charges auxquelles vous
avez à faire face se range en première ligne votre dette flottante. Dans les
temps ordinaires, elle n'offre aucun danger, parce que la circulation des
capitaux, étant facile et abondante, permet à l'administration des finances de
trouver, en échange de remboursements obligatoires, des ressources nouvelles et
instantanées. Mais dans des moments de crise, sons la menace de calamités
imprévues, ces capitaux qui avec leurs intérêts ne sont prêtés à l'Etat qu'à de
courtes échéances lui créent des embarras soudains, parce que poussé au-delà de
ses ressources ordinaires, n'ayant plus les capitaux privés à sa disposition,
il ne peut ni remplir ses engagements, ni les renouveler.
Voilà,
messieurs, le danger des bons de trésor, qui se trahit dans ce moment avec une
irrésistible évidence. Puisse-t-il du moins dans l'avenir exercer une influence
assez salutaire pour prévenir le retour à de semblables erreurs, et à un
système qui n'est point d'accord avec nos loueurs, nos habitudes, et notre
courage financier. C'est, messieurs, la crainte de ne pouvoir renouveler les
bons du trésor, la nécessité dés lors du les rembourser intégralement qui vous
contraignent de demander un emprunt aussi élevé aux ressources du pays.
Si
donc l'on pouvait parvenir à éviter une partie de ces remboursements si élevés,
sans cependant manquer à aucun engagement, l'on eût à la fois maintenu la foi
publique, et ménagé le présent.
C'est
ce qui avait inspiré à votre section un plan qui satisfaisait à toutes les
exigences, apportait un grand secours au crédit, respectait toutes les
obligations, et sauvait le pays de charges trop accablantes.
Obtenir
des banques le renouvellement des bons du trésor dont elles étaient les
détenteurs, mais en autorisant une nouvelle émission de billets qui ainsi
donnait le pouvoir de n'interrompre aucunes de leurs opérations, se créer
simultanément les fonds nécessaires pour rembourser ceux des détenteurs qui
refuseraient à l'échéance de renouveler leur billets, offrir aux particuliers
le placement de leurs fonds soit en rentes sur l'Etat, soit en domaines,
fortifier et utiliser le crédit, tirer parti de vos richesses (page 1368) dormantes, voilà quel était
le système aussi ingénieux que praticable de votre section centrale. Et quelle fut,
messieurs l'objection que fit le ministère ? C'est qu'il croyait que l'émission
des 34millions déjà autorisée dépassait ce que le pays pouvait supporter de
billets !
Comment
! quand le capital métallique de la Belgique évalué à 300 millions a rapidement
décru et qu'il est tombé à cent ou cent cinquante millions, quand les
particuliers resserrent les fonds qu'ils livraient à la circulation, quand les
capitaux placés en rentes sur l'Etat ne trouvent que de |rares acheteurs à la
bourse et sont aussi immobilisés, quand le taux des billets émis avant les
événements de février s'élevait à 23 millions, et que vous ne l'avez ainsi
augmenté que de 11 millions, pour étendre les opérations de crédit qui se
concentraient auparavant dans quelques grands centres du pays entier, vous
soutiendriez sérieusement qu'il ne peut pas supporter une augmentation de 16
millions ? Ah ! messieurs, ce serait étrangement se méprendre sur nos besoins
et nos ressources !
Mais
ces billets eussent-ils été follement créés sous une sorte d'hallucination
financière, sous le coup d'une imprévoyante terreur, sans qu'ils eussent en
eux-mêmes la force de vivre, de se soutenir, et de mériter la confiance
publique ? Non, messieurs, on leur faisait prendre racine dans le sol, on les
hypothéquait sur vos biens domaniaux, hypothèque spéciale, connue, et dont la
valeur éclate au grand jour.
Ainsi
avec les garanties les plus complètes vous fortifiiez le crédit, vous lui
fournissiez des ressources nouvelles et abondantes, vous pouviez limiter
l'emprunt à 9 ou 10 millions, et épargner les contribuables inférieurs,
réservant ainsi pour les éventualités futures des ressources extrêmes.
Mais
tandis que vous refusez de donner au crédit dans un moment propice, favorable,
tout l'essor nécessaire pour qu'il puisse venir largement, facilement au
secours de l'industrie et du commerce, tandis que vous rejetez la plus
admirable conséquence qui en fût dérivée, celle d'éviter la partie la plus
notable de l'impôt dont vous frappez le pays à coups redoublés, pensez-vous donc
échapper à la nécessité invincible de devoir sous peu compléter votre loi du 20
mars ? Messieurs, j'ai la conviction profonde que dans peu de jours, dans peu
d'instants, peut-être, le ministère sera contraint de demander l'extension de
la loi du 20 mars et d'élever le chiffre d'émission primitivement fixe pour les
billets de banque. Le concours des circonstances, des besoins réels,
l'impossibilité de laisser fléchir le plus grand établissement d'escompte et de
circulation domineront une volonté qui
paraît si arrêtée aujourd'hui, et il cédera à des nécessités pressantes
et irrésistibles, qu'il eût été plus salutaire de prévenir.
Messieurs,
les paroles de M. le ministre des travaux publics étaient hier assez
transparentes pour qu'on pût en inférer que c'était cette prévision même qui
rendait impossible pour le gouvernement d'accepter la combinaison de la section
centrale. Mais comment ! vous jugeriez pouvoir accepter, devoir proposer
en faveur d'une compagnie particulière, ce que vous repousseriez pour le pays
tout entier ! Comme si l'un méritait une faveur dont l'autre fût indigne !
comme si au cas où la rivalité existerait, l'intérêt du pays ne devait pas
prédominer tout autre !
Mais,
messieurs, cette rivalité, cette concurrence n'existent pas ! Ce qui est vrai,
c'est la parenté, la connexité des intérêts ; ce qui est vrai, c'est que vous
deviez par une seule mesure les satisfaire tous deux, c'est que vous pouviez
soulager le contribuable, et par un puissant effort subvenir aux besoins de ce
grand établissement, que vous n'avez qu'imparfaitement entrevus il y a un mois.
Eh bien, par vos hésitations ou par vos calculs, que je ne découvre point, vous
tenez la chambre en suspens, vous l'appelez à délibérer sur votre loi
d'emprunt, tandis qu'elle entrevoit d'autres exigences, d'autres propositions,
dont elle devrait être clairement, immédiatement saisie. Pourquoi donc ne pas
aborder franchement, ouvertement toute la question ? pourquoi la réserver dans
l'ombre ? pourquoi ne pas découvrir hardiment la plaie, et nous indiquer vos
remèdes ? Messieurs, je crois que cette marche eût été bien supérieure à celle
que paraît suivre le ministère, et que
vos résolutions eussent été à la fois plus réelles et plus efficaces ! Mais ces
doutes, cette inexactitude, cette irrésolution sont, paraît-il, inhérentes au ministère.
Au
commencement de cette session, M. le ministre de l'intérieur et son honorable
collègue des travaux publics nous traçaient le plus sombre tableau de nos
finances, et le gouffre profond vers lequel se roulaient nos millions semblait
prendre sous leurs paroles des proportions effrayantes. Je fus attristé comme
bien d'autres de cette funeste image, mais je me consolais en espérant que les
premiers efforts de ceux qui étaient si pénétrés de notre situation ne les
laisseraient reposer ni jour ni nuit qu'ils n'eussent proposé aux chambres les
moyens nouveaux propres à combler cet abîme. Et que vîmes-nous apparaître ? Une
malencontreuse loi sur les successions, frappée de réprobation dès sa
naissance, enfouie dans l'oubli, par je ne sais quelle section centrale et dont
la réapparition me paraît désormais
douteuse.
Aucune
autre mesure réparatrice ne fut proposée, aucun projet de loi soumis à votre
examen, qui put élever nos ressources et combler notre déficit avéré, et il
semblait qu'avoir indiqué le mal pût suffire, et qu'il était superflu de tenter
un remède ultérieur quelconque.
Il
y avait la loi sur les assurances dont les études étaient avancées et pouvaient
être promptement achevées ; il y avait une loi possible sur les tabacs ; il y
avait la loi sur les sucres. Qu'est-il avenu de tout cela, messieurs ? Quelques
espérances, des délais et la continuation d'une situation déplorable ?
Voilà
les actes du ministère, voilà ce qu'il a fait pour alléger une situation si
critique, dénoncée par lui-même, et compliquée de ses alarmes répétées. Mais je
me trompe ; dans ce moment même, soit qu'il voulût semer autour de lui des
illusions, soit qu'il voulût s'étourdir, il ne reculait devant aucune dépense,
et il s'enfonçait sans mesure comme sans hésitation dans les plans les plus
gigantesques, semant d'une main prodigue les projets de vastes travaux, et
croyant sans doute nous enrichir en nous proposant des dépenses nouvelles et
incessantes. Et qu'il me suffise, pour l'attester, de rappeler à votre mémoire,
messieurs, le projet de loi de 78,000,000, qui, réuni aux crédits nouveaux
demandés pour le canal latéral, en élevait le chiffre définitif à 81,800,000
fr.
Aussi,
si je n'écoutais que le sentiment d'une défiance que ne légitime que trop le
système poursuivi par le cabinet actuel, je redouterais de voter l'emprunt qui
vous est demandé et qui fait peser de tout son poids une si oppressive
fiscalité sur le pays entier.
Car,
messieurs, en ces jours de complications sociales où l'enchaînement des liens
politiques, financiers, industriels, commerciaux, varie à l'infini, avoir
recours aux expédients les plus simples n'est pas toujours attester qu'on
comprenne suffisamment toutes les difficultés de la situation.
Le
projet du ministère, qu'il a consenti à modifier moins encore quant aux
chiffres que quant au temps, ce projet est d'une simplicité parfaite, mais qui
par cela même m'effraye à juste titre.
Quel
est, en effet, son calcul ? C'est celui de prendre l'argent aux uns pour le
donner aux autres, calcul fort facile, très compréhensible, mais qui n'épargne
aucune douleur à ceux qui en sont l'objet ! Et pour moi, comme pour bien
d'autres, il y avait certes un mécanisme plus ingénieux que celui qui tend à
frapper, après des années qui n'ont point été abondâmes ou heureuses, le
contribuable qui, selon l'expression triviale, mais juste de M. de Villèle, est
le baudet de tous les régimes.
Mais,
messieurs, s'il est vrai que le plan du ministère n'est pas le meilleur, s'il est
vrai qu'il ne réunit pas les conditions vraiment désirables, s'il est hors le
doute pour moi, du moins, que celui qu'indique le rapport de votre section
centrale avec tant d'unanimité lui est de beaucoup supérieur, il n'en reste pas
moins certain que vous ne pouvez songer à accepter ce dernier en face des
déclarations ministérielles.
En
temps ordinaires, lorsqu'on n'a d'autre crainte que celle d'exciter l'agitation
politique toujours inséparable d'un pays libre, lorsque des principes divers,
des systèmes opposés peuvent se heurter sans péril, et que les esprits n'ont
d'autre préoccupation que celle d'un succès paisible et légal, lorsqu'une
interruption momentanée dans l'action directe, suivie, du pouvoir est ainsi
sans danger, et que d'autres hommes publics peuvent s'essayer à la direction
des grands intérêts du pays sans nuire à la chose publique, alors il peut être
sans inconvénient de poursuivre le succès d'un système ; il est possible, en
vertu du jeu naturel de l'organisation constitutionnelle, d'en tenter le
triomphe. Mais qui de nous, messieurs, ne sent que nous n'avons point cette
liberté, qu'elle nous est ravie et qu'il faut, avant tout, soutenir le pouvoir
exécutif ?
Le
soutenir, parce que lui seul peut et doit veiller, avec efficacité, à la tranquillité
intérieure.
Le
soutenir parce que l'interruption d'une heure, d'un instant, dans l'énergie
administrative pourrait être déplorable.
Le
soutenir, parce que des hommes nouveaux, quelque capables qu'ils fussent, le
seraient toujours moins que ceux qui ont le fil de toutes les affaires.
Le
soutenir, au nom de la paix qui règne entre les partis qui divisaient naguère
le pays, et parce que ce qui domine la situation, c'est le besoin souverain
d'union et d'harmonie, qui fait notre force depuis plusieurs semaines.
C'est
que, sans donner raison au ministère, messieurs, nous ne pouvons point lui
donner tort, c'est qu'il puise dans la situation des forces extraordinaires et
respectables, et que nous ne pouvons pas repousser son système financier ; bien
que, quant à moi, je ne m'associe qu'imparfaitement à la responsabilité qui
pèsera sur lui, parce que je ne lui crois pas des chances certaines de succès.
Mais,
quel que soit mon dissentiment sur le projet, son but rachète tout à mes yeux,
et il doit suffire pour rallier tous les esprits et tous les cœurs.
Puisse-t-il
suffire à tous les besoins jusqu'au 1er juillet ! puissent les ressources, le
patriotisme du pays, lui faire traverser paisiblement, sûrement, la crise qui
nous enveloppe.
Que
la Belgique tout entière se pénètre de cette pensée : que le moment est venu de
se montrer digne de sa nationalité, et que, par son attitude elle décidera de
son avenir !
Il
est des heures solennelles, où les nations doivent consentir aux plus grands
sacrifices, parce que ce n'est qu'à ce prix qu'elles peuvent consacrer la
perpétuité de leur existence.
Nous
sommes, je ne crains pas de le dire, dans un de ces moments suprêmes qui
peut-être dans le cours de ce siècle ne se renouvellera plus. N'en soyons ni
effrayés, ni découragés.
La
Belgique par sa fermeté, son union, l'unanimité de ses sentiments, a offert un
spectacle magnifique. Tandis que tout autour d'elle s'agitait, s'ébranlait et
s'écroulait, alors que le flot des révolutions venait se briser sur ses
rivages, seule elle est restée paisible, pratiquant et améliorant ses lois.
Nous
avons suivi et honoré la vraie liberté, celle qui n'impose sous de noms
spéciaux, sous de vaines formules, la servitude ni au producteur, ni à
l'industriel, ni au fabricant, ni au consommateur, celle qui respecte (page 1369) le prolétaire, le banquier,
le riche, le pauvre, le national et l'étranger, voilà celle que nous avons
suivie et pratiquée comme digne de la civilisation chrétienne.
Persévérons dans cette noble voie, aidons ainsi aux
progrès sérieux de l'humanité, conservons intact le glorieux dépôt de nos
traditions historiques, car il faut le répéter, la liberté est ancienne dans
nos provinces, nos annales l'attestent et elle ne s'est que réveillée en 1830.
Consolidons, améliorons, fortifions notre nationalité ! Il y a peu de jours
l'étranger pouvait nous regarder comme l'école de la liberté, je le dis sans
orgueil, mais avec un juste sentiment de la valeur de nos institutions civiles
et politiques : soyons aussi le modèle des peuples libres en prouvant par notre
attitude que la carrière des révolutions peut se fermer, qu'elle est close chez
nous, mais que celle du progrès est à jamais ouverte.
Faisons
d'énergiques, d'infatigables efforts pour un but aussi élevé, faisons tout ce
que nous indiquent la sagesse, la prudence humaine et là où elles cessent,
remettons-nous-en avec confiance à la Providence.
M. Lebeau. -
Messieurs, si je pensais du ministère actuel la moitié de ce que l'honorable
préopinant vient de dire sur les intentions et sur la conduite du cabinet, je
n'hésite pas à déclarer que je me croirais d'autres devoirs que ceux que
l'honorable préopinant s'impose. Si je croyais, non seulement que le ministère,
en payant un tribut naturel, inévitable, à la fragilité humaine, s'est
gravement trompé sur les moyens de faire face aux nécessités de la situation ;
mais si j'allais jusqu'à supposer que la loyauté des intentions n'est pas
restée intacte et qu'on aurait voulu, en quelque sorte, tromper la législature,
je croirais manquer à ma dignité personnelle, je croirais manquer à tout ce que
je me dois à moi-même comme membre d'un parti politique, en me résignant à
promettre solennellement à ce ministère le concours de mon vote. Si vous voulez
prêter votre concours sincère au gouvernement, sur lequel pèse dans ce moment
un fardeau qui effrayerait beaucoup d'autres hommes, ne commencez pas par lui
ôter la plus grande partie de sa force, ne commencez pas par chercher à le tuer
moralement, à le ruiner dans la confiance et dans l'estime publique.
M. de
Liedekerke. - Je demande la parole.
M. Lebeau. -
Et si vous n'avez pas, en parlant ainsi du cabinet, le courage de le renverser
et de prendre sa place, au moins par vos amis politiques, taisez-vous du moins,
et laissez le environné de la considération publique et armé de la force morale
dont il a besoin, non pour son parti, mais pour tous les partis, pour
vous-même, pour le pays tout entier.
Un grand nombre de membres.
- Bravo ! bravo ! (Applaudissements.)
M. Lebeau. –
Messieurs, je m'occupe, et, je me hâte de le dire, avec un sentiment beaucoup
moins pénible, d'un autre honorable orateur. Un homme, au talent brillant, que
chacun de nous sait apprécier, aux sentiments les plus patriotiques, a
développé hier la thèse, devenue naturellement à l’ordre du jour à l'occasion
d'une demande de ressource extraordinaire, la thèse des économies. En entendant
cet honorable orateur, j'ai éprouvé de nouveau un profond regret ; c'est que
les pétitions envoyées à la chambre et réclamant des économies dans les
dépenses de l'Etat, pétitions qui ont été l'objet d'un rapport remarquable fait
par l'honorable M. Tielemans, n'aient pas été l'objet d'une discussion spéciale.
Je crois qu'il eût été facile, tout en reconnaissant que la réduction des
dépenses de l'Etat doit être la pensée de tout le monde dans cette chambre, en
dégageant cette thèse du vague où elle gît aujourd'hui, de prouver que là
encore il y a de grandes exagérations.
Oui,
je n'en doute pas, après une discussion spéciale et approfondie sur cette thèse
d'économies radicales à opérer dans nos budgets, on verrait qu'il y a là un
grave mécompte pour les idées qu’on se fait aujourd'hui.
Je
n'hésite pas à déclarer que, même dans l'état actuel de notre organisation
politique et administrative, il y a peu de pays gouvernés avec plus de
modération et plus de probité, sous le rapport financier, que la Belgique. Je
prouverais, tout en accordant les économies compatibles avec une bonne
administration, qu'il faut se renfermer, sous ce rapport, dans des limites
assez modérées, si l'on ne veut s'exposer à désorganiser tous les services
publics.
Messieurs,
on se trompe continuellement ; on suppose qu'un pays libre peut, mieux que tout
autre, se gouverner essentiellement à bon marché.
On
croit ensuite qu'un petit pays, un pays de second ordre doit nécessairement
avoir une administration moins coûteuse, relativement .parlant, qu'un Etat de
premier ordre.
Ce
sont là deux erreurs. Dans un pays libre, où toutes les garanties populaires
sont largement organisées, les rouages politiques et administratifs sont
beaucoup plus nombreux que dans un pays qui ne connaît pas la liberté
politique. Dans un Etat de second ordre, par cela seul que ses frais généraux,
si je puis parler ainsi, se répartissent sur un moindre nombre de têtes, on a
nécessairement à supporter des dépenses plus considérables.
L'indépendance
coûte cher, et si l'ancien royaume des Pays-Bas existait encore aujourd'hui, et
qu'il n'y eût pas une Belgique indépendante, vous n'auriez pas à pourvoir seuls
aux frais des grands pouvoirs de l'Etat, des chambres législatives. Vous
n'auriez pas à faire seuls les frais d'une cour de cassation, d'une haute cour militaire,
d'une cour des comptes, d'un conseil des mines, d'une commission des monnaies,
des diverses administrations centrales, etc. Je n'en finirais pas, si je
voulais montrer ce que coûte l'indépendance d'un pays, quand on veut rapetisser
cette grande question de l'indépendance nationale à des considérations purement
matérielles.
J'ai
entendu hier parier de gros traitements dont il fallait faire prompte justice.
Eh bien, messieurs, prenons les plus gros traitements dans l'administration
intérieure du pays, prenons les traitements des ministres ; je le demande aux
plus intrépides réformateurs : y a-t-il moyen de faire subir de notables
réductions au traitement des membres du cabinet belge, traitement qui est
inférieur à ceux d'un secrétaire général et même d'un chef de division dans
d'autres pays ?
Et
notre organisation diplomatique, dans laquelle on croit entrevoir des moyens de
rétablir l'équilibre entre les recettes et les dépenses du budget, savez-vous
quel est le chiffre total de la dépense affectée à notre diplomatie ? Environ
800,000 fr., y compris les consulats.
Je
veux qu'on opère des réductions sur les dépenses ; je déclare que je les crois
possibles. Je crois que les événements si graves qui ont éclaté dans presque
toutes les monarchies européennes, en modifiant l'esprit et la forme de ces
gouvernements, peuvent permettre à la Belgique de faire une certaine réduction
sur le chiffre de la diplomatie.
J'accorde
de ce chef une réduction peut-être de cent à deux cent mille francs. Et en fait
de réductions de ce genre, prenons-y garde ; n'oublions pas que nous avons la
prétention d'être un gouvernement démocratique et qu'il se pourrait bien qu'en
réduisant outre mesure les traitements de la diplomatie, vous en fissiez le
monopole d'une seule classe dans le pays. Savez-vous en quoi notre diplomatie
est riche, où il y a profusion ? Je vais vous le dire : ce n'est pas du tout en
traitements, c'est en titres, titres qui ne coûtent pas grand-chose au budget.
Je vais vous le prouver : nous avons des ministres résidents accrédités à
certaines cours. Savez-vous quel est le traitement de ces ministres résidents ?
15,000 fr. C'est-à-dire presque la moitié moins que la petite et très économe
république suisse donne à tel de ses chargés d'affaires.
Voilà
la profusion avec laquelle sont traités nos agents diplomatiques, sauf quelques
rares exceptions que M. le ministre des affaires étrangères parviendra, je
crois, facilement à justifier. Mais soit, j'accorde une réduction sur le budget
des affaires étrangères. J'en accorde volontiers une sur la marine. Je crois
que personne ne prendra ici bien vivement le parti de la marine belge. Mais
quand vous aurez ôté de la marine le chapitre du pilotage, qui entraînerait
dans le budget des voies et moyens une réduction au moins équivalente ; quand
vous aurez tenu compte de quelques bâtiments qui servent à la protection et à
la police de la pêche, vous aurez de ce chef une réduction peut-être aussi de
200,000 fr. *
J'admets
pour la diplomatie et pour la marine une réduction de 400,000 fr. C'est à peu
près 10 c. par tête ; et c'est à peu près sur le centième de la dépense totale
de l'Etat, qu'il s'agit de trouver cette économie.
Messieurs,
c'est une étrange illusion que d'entendre la bonne administration d'un pays, en
ne la voyant, en ne voyant la prospérité nationale nulle part ailleurs que dans
la réduction des charges publiques, et en poursuivant ce système avec une
rigoureuse logique. Je voudrais bien savoir comment nous parviendrons à faire
faire au gouvernement tout ce qui est demandé, quotidiennement et énergiquement
demandé, par les mêmes hommes qui viennent ici préconiser la thèse des
économies quand même ?
Vous
voulez éteindre le paupérisme, c'est au nom du paupérisme que vous demandez une
réduction dans les charges publiques ; mais ne remarquez-vous pas que c'est
pour arriver autant qu'un gouvernement le peut à l'extinction du paupérisme que
nous avons successivement grossi les budgets de l'Etat, et par suite, que nous
avons dû demander aux contribuables de nouveaux voies et moyens ?
Comment
! ce sont d'honorables membres qui représentent ici dignement les districts qui
sont en proie aux plus vives souffrances, ceux même qui, dans d'autres
circonstances, signalaient à la sollicitude des pouvoirs publics, comme un des
meilleurs moyens d'alléger la misère dans les Flandres, les grands travaux
publics, la construction de canaux, la construction de routes, l'introduction
d'industries nouvelles, l'organisation de sociétés d'exportation, la création
de comptoirs d'escompte ; ce sont ces honorables membres qui, d'accord avec
nous, ont été jusque forcer la main au cabinet lui-même pour des dépenses de
travaux publics ; ce sont d'honorables membres qui, ainsi que nous, assiègent
les bureaux ministériels, pour demander que le gouvernement vienne aider à
créer des comptoirs d'escompte, sans lesquels on est menacé de voir les
ateliers se fermer et des populations entières jetées sur le pavé sans travail
et sans pain ; ce sont ces mêmes membres, dis-je, qui viendraient prétendre
qu'on peut pourvoir à tout cela, à toutes ces nécessités urgentes, et réduire
les charges de l'Etat ! Je ne saurais, quant à moi, concilier des choses aussi
diamétralement contradictoires.
Messieurs,
à Dieu ne plaise cependant,(je ne voudrais pas qu'on tirât cette conséquence de
mes paroles), que je prétende qu'il n'y ait absolument rien à faire sous le
rapport des économies ; et je dois rendre cette justice au cabinet, que
personne n'est plus préoccupé que lui de cette nécessité ; qu'il n'en est
plus aux paroles. Avez-vous oublié que le ministre des finances, en déposant
les premiers budgets des dépenses de 1849 et le budget des voies et moyens, a
déclaré qu'on avait opéré sur les budgets de 1849 comparés aux budgets de 1848
une réduction supérieure à un million et demi ?
Il
est extrêmement facile de s'élever contre les gros budgets, contre les charges
qui accablent les contribuables, dès qu'on ne dégage pas cette thèse du vague
où elle est restée jusqu'ici ; ce que je regrette vivement. Il a été parlé par
toutes les oppositions, en France depuis 17 ans, de la prodigalité du
gouvernement de juillet ; on a représenté un (page 1370) revirement dans sa politique, un changement bien moins
grave que celui qui s'est opéré récemment, comme devant amener une réduction
notable dans le budget de la France. Eh bien, une révolution autrement radicale
que celle que le pessimisme le plus noir ou l'optimisme le plus ardent pouvait
entraîner, s'est accomplie.
Dans
une revue périodique très estimée, un projet de budget vient d'être exposé pour
la République française. Il l'est par un républicain sincère et qui s'avoue
tel. Et savez-vous à quoi il arrive ? A un budget d'un milliard trois cents
millions, c'est-à-dire presque le double du budget de l'empire et supérieur au
chiffre des budgets de la restauration.
Voilà,
messieurs, quand on sort des généralités, quand on sort du vague, qu'on touche
au positif, qu'on laisse la poésie de l'opposition pour entrer dans la prose du
pouvoir, voilà où l'on arrive. Alors, c'est le jour des désappointements, c'est
le jour des mécomptes.
Je
demande pardon à la chambre d'être resté aussi longtemps dans ces généralités.
Je crois qu'elles se rattachent plus ou moins au sujet, et j'ai hâte maintenant
d'aborder l'objet actuellement en discussion.
Je
serais bien surpris si les allocations demandées par le gouvernement pouvaient
rencontrer une vive opposition dans cette chambre. Il m'est impossible de ne
pas croire que la Belgique restera fidèle à ses antécédents.
En
1831, messieurs, après un douloureux déchirement, lorsque l'industrie était
frappée dans toutes ses sources par l'interruption violente de ses relations,
en 1831, dès les premiers jours, le congrès national vota presque à l'unanimité
un premier emprunt forcé de 25 millions de francs.
Quelques
mois après, un second emprunt forcé de 25 millions fut également voté à la
presque unanimité. D'honorables membres de l'opposition d'alors, M. Gendebien,
M. Defacqz, M. Van de Weyer, refusèrent-ils leur concours au gouvernement du
pays ? En aucune façon. Ils proposèrent seulement un nouveau mode d'emprunt,
qui ne fut pas accueilli, mais qui, je me hâte de le dire, n'avait rien de
commun avec tous les expédients qui ont été proposés à l'occasion du projet
actuel. Le chiffre de 25 millions fut adopté à l'unanimité moins une voix : et
dans une séance postérieure, une somme de 12 millions de francs fut votée pour
le budget de la guerre, aussi presque à l'unanimité.
A
la même époque, messieurs, nous recevions d'un pays bien autrement obéré que la
Belgique, nous recevions de la Hollande l'exemple de l'effort que peut faire te
patriotisme d'un peuple qui veut rester indépendant. Immédiatement après la
suppression des deux fractions du royaume des Pays-Bas, la Hollande faisait un
emprunt volontaire de 90 millions, emprunt volontaire, mais susceptible de se
convenir en emprunt forcé, si la tentative d'emprunt volontaire n'avait pas
réussi.
Il
y a deux ans, dans des circonstances beaucoup moins graves que celles où nous
nous trouvons aujourd'hui, uniquement pour rétablir l'ordre dans les finances,
la Hollande a également fait l'effort d'un emprunt volontaire de près de 100
millions de francs qui aurait été converti en emprunt forcé. (Interruption.) Une partie, si je ne me
trompe, était convertible en emprunt forcé, si l'emprunt volontaire n'avait pas
réussi.
Resterions-nous,
messieurs, dans les circonstances où nous sommes aujourd'hui, au-dessous de ce
que nous avons été en 1831 ? Resterions-nous au-dessous même de ce que nous
fûmes en 1839, dans des circonstances moins graves ? Ecoutez ce que disait
alors un membre de l'opposition : « Quand un peuple calcule par livres,
sous et deniers, ce que doit coûter la défense de ses droits et de sa
nationalité, il ne lui reste qu'à céder toujours jusqu'à ce qu'il devienne la
proie du dernier conquérant.» Voilà ce que disait l'honorable M. de Puydt.
Il
ne faut d'ailleurs pas s'y tromper ; les sacrifices qu'on vous demande
aujourd'hui, la Belgique eût été condamnée à les faire en très grande partie,
même sans le grand événement du 24 février. Vous avez entendu ici, de la part
d'un honorable orateur qui ne saurait être suspect en cette occasion, vous avez
entendu hier l'honorable M. Orban parler des folies du passé, en parler avec
plus d'énergie et plus d'amertume que n'eût pu le faire un membre siégeant sur
ces bancs. L'honorable M. Orban a largement prodigué dans cette circonstance la
maxime : « Amicus Plato, sed magis amica veritas. » Il est peut-être fâcheux
qu'il s'en soit souvenu si tard et qu'elle ressemble plus ou moins, en ce
moment où le terme de notre mandat approche, à une disposition testamentaire.
Ce
qui m'a le plus surpris dans le discours de l'honorable député du Luxembourg,
c'est ce qu'il a appelé, de la part du, ministère, ses complaisances pour les
créanciers de l'Etat. Allant un peu loin, ce me semble, dans des questions où
la chambre n'a pas trop à voir, l'honorable député a fait presque comparaître à
votre barre un honorable membre du barreau de Bruxelles. Cet honorable membre
du barreau de Bruxelles a le tort de figurer dans un exposé de crédit
supplémentaire de M. le ministre des travaux publics pour une somme assez
considérable ; mais, messieurs, la somme fût-elle ce qu'a énoncé l'honorable M.
Orban, cela prouve-t-il que ce créancier soit si pressant qu'il harcèle M. le
ministre des travaux publics, ou bien cela prouve-t-il, au contraire, qu'il a
tenu compte de la situation du trésor public, tout au moins qu'il s'est montré
assez patient, puisqu'il aurait laissé accumuler ses honoraires jusqu'à un chiffre
considérable ? Cela prouverait plutôt en sa faveur que contre lui. Mais, dans
tous les cas, je crois que nous n'avons pas le droit de faire intervenir dans
nos débats des personnes qui y sont complètement étrangères et qui ne peuvent
pas même se défendre contre les insinuations dont elles sont l'objet à cette
tribune. La complaisance pour les créanciers ! Mais manquer à cette
complaisance, quand on s'adresse à quelques personnes, cela s'appelle manquer
de probité, et quand le manque de complaisance s'adresse à tout le pays,
j'appelle cela la banqueroute.
Je
l'ai dit tout à l’l'heure, le pays n'eût pas échappé à la nécessité de
sacrifices extraordinaires. Ainsi l'urgence d'un emprunt volontaire était
avouée par des membres du cabinet précédent. Dans le sein d'une de nos
assembles législatives, il était annoncé qu'il y aurait nécessité pour le
cabinet ancien de recourir à un emprunt.
Eh
bien, le gouvernement actuel a eu le projet de faire un emprunt : il a présenté
un projet de loi pour obtenir l'autorisation d'en contracter un ; mais sous
l'impression produite par des circonstances beaucoup plus graves, il est arrivé
au cabinet actuel ce qui était arrivé au cabinet de 1831. Quand, en 1831, le
cabinet a demandé un emprunt forcé de vingt-cinq millions, c'était après avoir
essayé, muni qu'il était de l'autorisation du congrès national, d'obtenir un
emprunt volontaire. L'analogie des situations a amené l'analogie des actes.
Mais
dans les circonstances actuelles, bien plus qu'en 1831, l'emprunt forcé est la
seule ressource à laquelle un gouvernement puisse avoir recours. Et quand
j'entends dire qu'il était impossible de trouver un moment plus inopportun pour
demander au pays un emprunt forcé, c'est à peu près comme si l'on se lamentait
de ce qu'il y a d'inopportun dans la révolution du 24 février.
La
seule question sérieuse n'est pas la nécessité d'un emprunt forcé. Une
discussion utile ne peut porter que sur la quotité et sur les bases de
l'emprunt.
Sur
la quotité, le cabinet, déférant à des scrupules manifestés par une grande
partie de cette chambre, a consenti à ajourner une partie de ses propositions.
On lui en a fait un reproche, tant il est difficile, pour un cabinet surtout,
de plaire à tout le monde, et avec un courage et une indépendance
parlementaire, dont je voudrais voir donner plus souvent des preuves,
l'honorable M. Anspach a dit, avec raison peut-être, que le ministère avait été
un peu loin en cédant aux scrupules qui se sont manifestés sur certains bancs
de cette chambre.
Je
ne saurais, quant à moi, m'associer à cette espèce de réprobation dont on a
voulu atteindre les convictions patriotiques et le courage de l'honorable M.
Anspach.
Qu'on
ne s'y trompe pas, tous les pouvoirs ont leurs courtisans, et il est possible
que l'on craigne de leur dire aussi crûment la vérité que l'a fait l'honorable
M. Anspach.
Vous
le savez, le pouvoir, aujourd'hui, n'est plus isolé et placé au haut de la
société ; il est au milieu de nous et à côté de nous. Ce pouvoir a aussi ses
courtisans et il peut arriver qu'en ayant l'air de vouloir défendre les
intérêts du pays, on fasse la cour à ce nouveau pouvoir et qu'on adresse des
réclames électorales.
Messieurs,
quelle que soit la divergence des opinions qui se manifestent à l'occasion du
mode de l'emprunt, il est un vœu commun à toutes les opinions, j'oserais dire à
tous les membres de cette chambre : c'est que les petits contribuables soient
ménagés.
Le
ministère avait déjà pris, dans son projet de loi, l'initiative de cette pensée
; il s'est associé, du moins par l'intention et par les propositions remises
sur le bureau, au vœu de la législature sur ce point.
Ici
je répondrai d'abord à l'honorable M. Van Huffel que les impôts indirects, les
seuls qui atteignent directement les classes nécessiteuses, restent intacts.
Quant à l'impôt direct, la patente est complètement exceptée. Dans la
contribution personnelle, les petites cotes sont épargnées ; elles l'étaient
dans les intentions et dans la proposition du cabinet ; elles le sont dans
l'amendement de la section centrale ; elles le seront sans doute dans le vote
de la chambre. Tout ce qu'a fait le ministère, tout ce qu'a fait la section
centrale, tout ce que fait l'initiative individuelle ; tout cela révèle une
tendance commune : c'est celle de prendre l'impôt surtout là où l'argent se
trouve.
Je
suis obligé de rencontrer ici incidemment l'honorable député de Marche, Je ne
sais où il a trouvé des faits qui puissent justifier cette singulière
assertion, que la contribution personnelle et mobilière est payée exclusivement
par les riches, tandis qu'il n'y en a pas une qui soit l'objet d'une plus
grande réprobation, de la part des classes moyennes et même de classes
au-dessous de la moyenne.
Et,
par exemple, pour ne citer qu'une seule classe de contribuables, je parlerai
des aubergistes. Certes, s'il y a une classe sur laquelle la contribution
personnelle pèse d'une manière véritablement inique, c'est bien celle-là. Car
le mobilier de certains aubergistes est imposé au même taux que le mobilier
d'un millionnaire. Eh bien, vous frappez les aubergistes dans cette base de
leur contribution principale au moment même où ces appartements meublés à si
grands frais, où ces nombreux domestiques destinés à servir les voyageurs,
sont, les uns vides, les autres les bras croisés.
Qui
donc, messieurs, se trouve principalement menacé par le projet d'emprunt ?
C'est la propriété immobilière ; et encore de toutes parts fait-on les efforts
les plus louables et les plus sincères pour alléger la charge qui doit
principalement porter sur la propriété immobilière.
Et,
messieurs, tout en admettant qu'aujourd'hui la propriété immobilière ait sa
part des souffrances générales, je dirai cependant que cette propriété a
longtemps joui d'une sorte de privilège que je ne veux pas rappeler ici, pour
ne pas jeter dans nos débats la moindre aigreur. Je dirai qu'il y a d'ailleurs
un accroissement notable depuis 1830 dans les valeurs immobilières ;
j'ajouterai que l'argent de tous les contribuables n'a pas peu concouru à ce
résultat, par les innombrables routes, par les (page 1371) canaux et par les développements de la voirie vicinale
aux frais du trésor public.
Cependant
je veux aussi me défendre, à l'égard de la propriété immobilière, de toute
exagération. Je sais que tel grand propriétaire pourrait, aujourd'hui que le
numéraire se cache, offrir inutilement des hypothèques plus que rassurantes
sans trouver de l'argent.
Toutefois
je dirai, en présence des dangers auxquels le pays a échappé jusqu'ici, mais
qui sont loin d'être conjurés pour toujours, je dirai que personne n'est plus
intéressé que la propriété immobilière à faire un effort suprême. Je dirai à la
propriété immobilière : Prenez garde de voir passer la frontière à de
redoutables problèmes qui remettent en question la propriété elle-même ! Prenez
garde qu'en vous élevant contre un droit de succession modéré que tous les
réformateurs en matière d'impôts réclament comme une des contributions les
mieux assises, les plus légitimes ; prenez garde qu'en refusant ce léger tribut
demandé à la propriété, vous n'exposiez cette propriété qui aurait refusé de
prendre une légitime part dans les dépenses publiques, à perdre aux yeux du
pays une partie du prestige qui ne doit cesser de l'entourer comme base de
toute société civilisée.
Vous
refuseriez d'inscrire dans le catalogue de vos recettes un droit de succession
modéré en ligne directe, avec exemption pour les classes inférieures, et vous y
laisseriez subsister cet odieux impôt du sel qui est inscrit dans nos budgets
pour une somme d'environ 5 millions ! Craignez, messieurs, craignez de la part
d'une population qui a montré jusqu'ici un esprit d'ordre, un patriotisme, une
résignation admirable ; craignez de redoutables comparaisons entre le refus que
vous feriez d'un côté et le maintien que vous prononceriez de l'autre !
Mais
qu'avons-nous besoin de recourir à la propriété foncière ? Qu'avons-nous besoin
de recourir aux grands propriétaires ? Nous avons une mine inépuisable sous la
main : nous avons les traitements des fonctionnaires publics ! Ah ! les
fonctionnaires publics sont ici de véritables boucs d'Israël ; on ne saurait
jamais assez les grever. Vainement seront-ils imposés, quelques-uns comme
propriétaires d'abord, beaucoup comme locataires sous le rapport de l'impôt
personnel ; ils seront encore imposés dans leurs traitements ; soit, je le veux
dans une proportion très large ; mais je ne voudrais pas qu'on put entrevoir
presque toute la solution de la grande question qui nous occupe, dans le très
modeste patrimoine des fonctionnaires publics belges, presque sans exception.
Il
est une autre base d'emprunt ; j'avais appelé l'attention de la section
centrale sur cette base, et je vois avec regret que la question n'ait pas même
été agitée ; je veux parler des fonds publics nationaux. Je sais que des
objections graves ont été puisés dans les moyens d'exécution ; je reconnais
moi-même que les objections sont graves ; mais sont-elles insolubles ? Ce qui
est possible, ce qui est pratiqué en Angleterre, est-il impossible en Belgique
? En Angleterre, on n'appelle pas cela la banqueroute ; on n'appelle pas cela
manquer de foi à ses créanciers ; on fait cela en Angleterre, et l'Angleterre
est encore le premier pays du monde pour le crédit public, preuve que, dans
l'opinion des créanciers de l'Angleterre, la question de la taxe des rentes n'a
jamais été considérée comme une atteinte portée à la foi du contrat.
Je
désire sincèrement que cette question soit un jour examinée, dût-elle conduire
à un nouveau système d'impôt. Il y a là une question de justice distributive à
résoudre entre les contribuables ; et vous feriez taire des réclamations très
vives, très générales et qui, au premier aspect, sont loin de paraître sans
fondement, en mettant cette question à l'étude.
Si,
dans les circonstances graves où nous sommes, il était permis de faire valoir
quelques considérations d'un ordre secondaire, il ne serait pas difficile de
faire comprendre à la chambre que les dépenses auxquelles vous allez consacrer
de nouveaux moyens peuvent trouver, pour le pays même et au point de vue
matériel, d'utiles compensations.
Si
vous continuez à assurer le maintien de l'ordre intérieur, de manière à
justifier, j'ose le dire, l'admiration et l'estime de l'Europe entière, vous
verrez arriver sur le sol belge une foule d'étrangers qui ne marchent pas sans
des capitaux, et si, ailleurs de sanglantes collisions venant à se produire,
nous parvenons à maintenir notre neutralité, si nous parvenons à la faire
respecter, eh bien, d'autres compensations attendent encore la Belgique.
La
Hollande, enveloppée dans la guerre qui éclata, au siècle dernier, entre la
France et l'Angleterre, à propos des Etats-Unis d'Amérique, fut accablée par la
vengeance de la Grande-Bretagne. La Hollande avait pris parti pour la France ;
mais les Pays-Bas autrichiens étaient restés neutres au milieu de ce grand
conflit. Voici ce qui arriva, au dire d'un de nos meilleurs historiens :
«
Cette guerre si funeste à la Hollande, dit cet historien, avait amené en
Belgique un mouvement d'affaires commerciales qu'on n'y connaissait plus depuis
longtemps. La neutralité de notre pays avait attiré à Ostende et à Bruges une
partie du commerce que les hostilités éloignaient des ports voisins. Anvers
sentit encore une fois tout ce qu'elle avait perdu avec la liberté de l'Escaut.
»
Aujourd'hui
l'Escaut est libre et placé sous la protection du droit public européen ; des
traités d'alliance et d'amitié ont été conclus avec la France et l'Allemagne,
avec d'autres Etats de l'Europe et avec les Etats-Unis. Je n'ai pas besoin de
faire comprendre à la chambre jusqu'à quel point des compensations analogues
peuvent être le prix de l'attitude ferme et digne que la Belgique a su prendre.
Je
ne veux pas terminer, messieurs, par ces considérations d'un ordre matériel ;
j'aime mieux en appeler, pour le succès du projet de loi, à ces sentiments de
patriotisme qui ont éclaté avec une unanimité si touchante et si noble, j'aime
mieux en appeler à ces sentiments nationaux que j'ai vus se produire, non
seulement sous le frac et l'uniforme, mais encore sous la blouse de l'ouvrier,
du prolétaire.
Ne
craignons pas de déclarer hautement et franchement à quoi nous voulons affecter
une grande partie des ressources extraordinaires qui nous sont demandées ;
c'est au maintien de nos armements, au maintien de notre armée sur un pied
respectable. Ai-je besoin de dire, ne m'exposerai-je pas au ridicule par une
pareille protestation, que notre altitude ne peut être que défensive ; qu'elle
n'exclut pas les sentiments d'estime, de fraternité, qui doivent, quelle que
soit la forme de leur gouvernement, unir le peuple belge avec ses voisins, et
bientôt, nous l'espérons, tous les peuples entre eux ?
Mais
si je veux le maintien de notre armée sur un pied respectable, c'est surtout
pour son influence préventive. L'armée, c'est souvent en cela que git la difficulté
de défendre l'utilité de cette institution, l'armée agit surtout bien moins
parce qu'elle réprime, que parce qu'elle prévient, même à la frontière.
Croyez-vous que si on n'avait pas su au dehors que le gouvernement, par une
sollicitude dont je m'applaudis, dont je le remercie au nom du pays, au nom de
mes commettants, avait pris des mesures pour couvrir notre frontière, les
tentatives qui ont eu lieu ne se fussent pas produites sur une base plus large,
avec plus de chances de succès ?
Messieurs,
qu'il me soit permis de faire entendre en terminant quelques paroles d'un
estimable ami, dont chacun de nous, dans des circonstances aussi solennelles,
surtout, doit déplorer l'absence.
« Disons-nous bien, disait mon honorable ami,
l'honorable député de Bruges, disons-nous bien qu'une nation qui veut mériter
ce nom, doit trouver en elle-même son premier appui. Soyons justes envers tous
nos voisins, ne faisons pas injure à la loyauté et à la sagesse de leur
gouvernement. Mais quand nous-mêmes nous céderions à d'indignes faiblesses, sur
quelles vertus surnaturelles compterons-nous donc chez eux pour les croire à
jamais insensibles aux tentatives qui seraient l'ouvrage de nos mains, et
toujours prêts à se dévouer avec un héroïque désintéressement au soutien de ceux
qui n'auraient rien fait pour se maintenir ? Dieu lui-même ne soutient pas ceux
qui délaissent leur propre cause. Aide-toi, le ciel l'aidera. C'est le précepte
de la morale privée ; c'est surtout celui de la morale des nations. Grande ou
petite, vieille ou jeune, aucune jamais ne l'a méconnu longtemps avec impunité.
»
M. Cogels.
- Messieurs, je ne suivrai pas pour le moment l'honorable préopinant dans
l'examen des différentes bases de l'emprunt forcé. Je réserve cet examen pour
la discussion des articles. Je me bornerai donc à répondre à une nouvelle base
que l'honorable préopinant a indiquée, et dont il n'a été fait mention ni dans
la proposition du gouvernement ni dans les indications de la section centrale.
Je veux parler de l'impôt sur les coupons de rentes sur l'Etat.
Cette
mesure avait été soulevée dans la quatrième section qui avait posé à ce sujet
une question au gouvernement. Le gouvernement y a répondu. Je crois utile de
reproduire ici la réponse, la voici :
«
Dans l'opinion du gouvernement, il serait juste et équitable que les porteurs
de notre dette constituée puissent être atteints dans le projet d'emprunt
actuel ; mais comme presque toute la dette est au porteur, et que les coupons
des obligations se négocient, il aurait fallu dire « se payent », sur
toutes les places, Paris, Londres et Francfort, il en résulte qu'il ne peut pas
connaître le propriétaire des obligations dont ces coupons dérivent. »
En
effet, sans parler des inconvénients qu'un tel impôt peut avoir pour le crédit,
il eût été presque impossible d'en faire l'application, parce que les coupons
se payant à Paris et à Londres, vous ne pouvez savoir s'ils appartiennent à des
Belges ou à des étrangers. En Angleterre, on admet cette distinction, et l'on
ne prélève pas l'impôt sur les inscriptions au grand-livre d'Angleterre, en
faveur des étrangers. D'ailleurs en Angleterre, il n'y a pas d'impôt spécial
sur les arrérages des rentes sur l'Etat ; ils sont imposés comme faisant partie
du revenu ; ils sont compris dans le revenu général. C'est ainsi que l'avocat
qui serait détenteur d'une inscription de 300 liv. sterling de rente payerait
l'impôt sur cette rente, indépendamment de l'impôt de même nature qu'il
payerait sur le bénéfice qu'il tirerait de sa profession.il en est de même de
toutes les professions, de toutes les industries.
Il
y a à cela une cause particulière, c'est qu'en Angleterre n'y a pas de patentes
proprement dites, il n'y a que des licences, auxquelles un petit nombre de
professions sont soumises.
Ce
sont les seules observations que j'aie à faire pour le moment sur la base
indiquée par l'honorable M. Lebeau.
Lorsque
j'ai demandé la parole dans la séance d'hier, je comptais principalement
répondre au discours prononcé par M. le ministre des travaux publics.
Il
est indispensable de pourvoir à des besoins tout à fait extraordinaires,
nécessités par des circonstances imprévues. Il est indispensable de pourvoir,
par des moyens héroïques, exceptionnels, à des circonstances tout à fait
exceptionnelles. C'est un point sur lequel je pense que tout le monde est
d'accord. Je ne pense pas qu'il y ait une voix dans cette chambre qui s'élève
pour contester cette vérité.
L'Etat
doit satisfaire religieusement à toutes ses obligations. C'est encore un point
sur lequel la section centrale est parfaitement d'accord avec le gouvernement.
Si quelques objections ont été soulevées à ce (page 1372) sujet, jamais ii n'a été fait aucune proposition
formelle de manquer aux engagements de l'Etat.
Ainsi
la seule question qui nous divise, ce sont les moyens de pourvoir à ces
.besoins ; c'est la question de savoir s'il est bien convenable d'épuiser de
prime abord toutes nos ressources actuelles.
Eh
bien, malgré l'assentiment général obtenu par le gouvernement sur la question principale,
l'emprunt n'a été bien accueilli, ni dans la chambre, ni dans le pays ; car il
n'est pas une seule section où il ait été adopté entièrement ; il n'est pas une
seule section où il n'ait donné lieu à un très grand nombre d'observations ; et
toutes les pétitions qui nous sont venues jusqu'au 4 avril, étaient contraires
à l'emprunt.
Hier,
M. le ministre des travaux publics a témoigné son étonnement de cette
opposition ; elle est cependant toute naturelle ; en effet, le projet nous est
venu sans aucun exposé de motifs.
On
s'est borné à dire : « Pour parer aux besoins urgents résultant des
circonstances. » Si je pouvais me servir de certaines expressions en usage dans
la banque, je dirais qu'il nous était venu avec une lettre de recommandation
extrêmement banale, accompagnée d'une lettre de crédit, un peu forte, d'un
correspondant habitué à puiser largement dans notre caisse.
Il
fallait donc connaître l'emploi du crédit, à quoi il était destiné. Nous
n'avons eu là-dessus aucun renseignement. De là une foule de questions et
d'observations des sections, position extrêmement difficile et ingrate pour la
section centrale ; car les membres de la section centrale, quoique
n'abandonnant pas leur libre arbitre, quoique s'étant réservé pleinement la
liberté de leur opinion, ont cependant un mandat à remplir ; ils représentent
dans la section centrale l'opinion des sections qui les y ont envoyés ; il est
de leur devoir de faire valoir les observations de leur section ; il est de
leur devoir de rechercher par tous les moyens à alléger autant que possible les
charges du contribuable, à réserver pour un avenir, qui n'est pas loin de nous,
des ressources dont il ne faut pas faire un usage indiscret.
La
section centrale avait donc cru pouvoir réduire considérablement le montant de
l'emprunt qui avait été demandé au contribuable ; elle avait-cru qu'on pouvait
revenir sur. une proposition qui avait été malheureusement écartée lors de la
discussion du 20 mars.
M.
le ministre des travaux publics nous a parlé d'une situation obérée dont avait
été chargé le cabinet actuel ; ce sont les bons du trésor qui pèsent le plus
sur cette situation, car, pour ce qui concerne le déficit, le défaut
d'équilibre dans nos budgets, la difficulté n'était pas majeure ; elle pouvait
le devenir par les circonstances ; mais dans l'état normal, nous avions plutôt
un excédant à espérer qu'un déficit à craindre.
Reste
donc les bons du trésor. M. le ministre des travaux publics a cités les
expressions dont s'est servi l'honorable M. Malou, rapporteur de la section
centrale, pour le budget des voies et moyens de 1844. Il a dit qu'il n'avait
été fait aucun droit à ses réclamations. Il me permettra de lui faire observer
qu'il se trompe. En 1844, il a été fait droit à cette réclamation. Sous le
ministère de l'honorable M. Mercier, une consolidation de 10 millions de bons
du trésor a eu lieu ; la dette flottante a été réduite à 7 millions environ,
somme que le pays peut supporter sans inconvénient.
Seulement
depuis lors, de nouvelles demandes de crédits ont eu lieu constamment.
Toujours, dans la discussion du budget des voies et moyens, on faisait voir le
danger des bons du trésor, et immédiatement après on en réclamait l'emploi,
chacun dans un intérêt particulier. Tous nous avons cédé plus ou moins à cet
entraînement ; tous, ne pouvant nous défendre de ce moyen si facile de se
procurer de l'argent, nous avons voulu plus ou moins avoir notre part du
gâteau.
Voilà,.
messieurs, ce qui a donné naissance à cette création de bons du trésor, et je
crois qu'ici tous, ou presque tous, nous pouvons nous avouer coupables. Il faut
espérer que les circonstances actuelles serviront d'utile leçon et que, pendant
quelques années au moins, on sera plus prudent.
.Messieurs,
venons-en aux propositions faites d'abord par la section centrale et qui ont
été écartées par le gouvernement par une de ces fins de non-recevoir qui ont dû
nécessairement imposer à la section centrale un silence complet.
La
section centrale avait d'abord proposé la consolidation éventuelle des bons du
trésor. M. le ministre l'a combattue comme étant tout à fait illusoire ; et, en
effet, dans les circonstances actuelles la mesure ne serait pas exécutable.
Mais nous avons vu dans nos fonds publics des variations si promptes, si
subites, que la section centrale avait cru pouvoir sagement se réserver une
éventualité. Ainsi dans le cas où les fonds publics que nous avons vus monter
seulement le 2 1/2 p. c. de 25 à 33, le 5 p.c. de 48 à 63, dans le cas, dis-je,
où ils auraient atteint le chiffre que la section centrale avait fixé comme
maximum, pour ne pas consentir à une consolidation trop onéreuse, je crois que
le gouvernement aurait fait sagement de profiter de ce mouvement pour opérer la
consolidation d'une partie de la dette flottante et pour prévenir les dangers que
de nouveaux événements auraient pu amener.
Venait
ensuite la vente de domaines. Je ne regarde pas une opération pareille comme
une mesure illusoire. Je crois, messieurs, que si l'on consacrait cette mesure
par la loi, on verrait bientôt des détenteurs de bons du trésor se présenter
pour acquérir des domaines. Car dans l'état de défiance où se trouvent surtout
les personnes peu habituées aux affaires, il en est beaucoup qui chercheront à
convertir leur papier en biens-fonds, lorsqu'elles en trouveront l'occasion. Je
dirai même que dans les rentes récentes de biens-fonds qui ont eu lieu, il n'y
a pas eu cet abaissement de prix qu'on aurait pu craindre, surtout pour les
petites propriétés. On a vu au contraire les ventes se faire à un taux beaucoup
plus élevé que les estimations faites d'abord.
Vient
maintenant le grand moyen d'une émission supplémentaire de seize millions de
billets de banque.
Cette
mesure n'avait nullement été présentée par la section centrale, ainsi que M. le
ministre l'a dit, comme un serpent caché sous les fleurs ; elle n'avait pas le
moindre venin. On ne l'avait pas présentée comme un moyen accessoire, mais
comme le moyen principal, comme le plus saillant de tous les moyens auxquels on
aurait recours.
Cette
émission de seize millions de bons du trésor a été combattue par le ministère,
non pas par les motifs que l'honorable M. Frère a indiqués hier ; je crois
qu'ici sa mémoire n'a pas été fidèle.
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - Très fidèle.
M. Cogels.
- Il est bien vrai qu'il a fait entrevoir plus ou moins le danger dont on nous
a parlé hier. Mais il a été loin de le faire d'une manière explicite, pas même
aussi explicite que dans la séance d'hier. Ici j'en appelle au témoignage de
tous mes collègues de la section centrale.
M.
le ministre des travaux publics a principalement combattu la mesure pour le
danger qu'elle présentait en elle-même. Je ne reproduirai pas ici ses
arguments, parce que je ne voudrais pas porter le moindre préjudice à une
mesure à laquelle le gouvernement semble disposée recourir lui-même dans une
époque peu éloignée, et cela dans l'intérêt d'un établissement financier,
tandis qu'il l'a repoussée dans l'intérêt des contribuables, dans l'intérêt de
l'Etat.
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.
M. Cogels.
- Je m'attacherai principalement, messieurs, à défendre la mesure elle-même. La
section centrale, du moins quelques-uns de ses membres avaient, dès le 20 mars,
réclamé une émission supplémentaire de dix millions. Ils avaient proposé alors
de porter le maximum des émissions à 44 millions et non à 50 millions, comme on
l'a dit par erreur dans la séance d'hier. Ils croyaient que cette émission ne
serait pas exagérée. Ils avaient pour cela des motifs très plausibles. M. le
ministre s'est borné à invoquer le témoignage de personnes compétentes dans la
matière. Eh bien, les membres de la section centrale ont invoqué le témoignage
d'autres hommes également compétents. Quant à moi, je me bornerai à rappeler ce
qui s'est passé dans un autre pays.
M.
le ministre nous a cité hier la France, l'Autriche, la Russie. Il nous a dit la
grande dépréciation qu'avaient éprouvée le papier-monnaie, à l'époque de Law,
et les assignats à l'époque de la révolution de 1789.
Messieurs,
il n'y a ici aucune analogie possible à établir. Le système de Law était un
vaste système d'agiotage. Il n'y avait aucun contrôle ; il y avait une émission
de papier-monnaie combinée avec des actions du Mississipi, avec des actions qui
montaient à 300, 400, 500 p. c. Ce n'était en un mot qu'une vaste maison de jeu
établie dans la rue Quinquampois et n'offrant pas la moindre garantie.
Les
assignats étaient émis pour une somme de 42 milliards, et loin d'avoir l'espoir
d'un remboursement prochain en numéraire, il y avait une certitude positive,
c'est que jamais ils ne seraient remboursés eu numéraire.
En
Autriche il en a été à peu près de même. Les émissions de l'Autriche, dont on a
parlé, ne consistaient pas en billets de banque ; elles consistaient en
papier-monnaie, papier qui a été tarifé par l'Etat au cinquième de la valeur
métallique. On nous a dit hier toute l'exagération de ces émissions.
Ce
n'est pas lorsque l'émission a été restreinte dans de justes limites que le
papier-monnaie a repris sa valeur. C'est lorsqu'on a substitué à ce papier sans
valeur des billets de banque qui représentaient des espèces et qui avaient la
valeur d'une lettre de change à vue.
En
Russie il en fut de même. Plusieurs ukases ont fixé la valeur du rouble-papier
; de sorte que c'était là une monnaie d'Etat qui avait une valeur officielle,
mais inférieure à la monnaie métallique. La proportion établie quelque temps à
25 p. c. de la valeur a été élevée ensuite à 27 3/4 p.c. environ, si ma mémoire
est fidèle.
L'Angleterre,
en 1797, s'est trouvée dans une position qui présentait beaucoup d'analogie
avec la nôtre, à cette différence près que les embarras du grand établissement,
en faveur duquel on a dû recourir à la mesure exceptionnelle, provenaient des
énormes avances qu'il avait faites au gouvernement. Ici ce n'est pas le cas.
On
ne permit pas alors à la banque d'Angleterre de suspendre le payement en
espèces ; on fit plus, le payement en espèces fut interdit ; ; ce sont là les
termes du restriction-act. La circulation était, en février 1797, de 9,674,180
liv., et en 1800, trois ans :après, elle s'était élevée à 16,844,470 liv.
Je
ne parle que des émissions de la banque d'Angleterre ; j'aurai l'occasion de
parler plus tard des émissions des banques locales. Pendant ces trois années,
les billets valaient quelque chose de plus que le pair, c’est-à-dire qu'on les
préférait à l’or. De 1803 à 1809, l'émission varie de quinze millions à
dix-huit millions et demi, et la valeur des billets, quoique ce soit l'époque
de la rupture de la paix d'Amiens, la valeur des billets ne tombe pas
au-dessous de 97 3/8 %, c'est-à-dire 2 5/8 de perte.
En
1812, les différentes émissions vont à 23,408,320 liv. et la valeur des billets
baisse à 79 1/4 p. c, c'est-à-dire à 20 3/4 p. c. de perte, mars notez bien,
messieurs, que cette baisse ne résulte pas de la forte émission seulement, la
baisse résulte des opérations de change provenant des besoins de l'Angleterre
pour ses armées ; car depuis 1809 à 1810, (page
1373) l'Angleterre avait pris part avec ses propres armées à la guerre du
continent ; il lui fallait alors remettre de l'or en Espagne et c'est par
les achats d'or faits pour les remises à l'armée, que les billets baissaient,
ou pour mieux dire que le prix de l'or s'élevait.
Chose
étrange ; à l’époque où toutes les craintes avaient cessé, où l'empire avait
disparu, où l'Angleterre n'avait plus d'ennemi, où ses relations avec le
continent avaient repris, c'est alors que nous voyons la plus forte baisse, car
en 1814, les billets de banque descendent à 74 7/8, c'est-à-dire à 25 p. c. de
perte. Cette baisse résulte encore des remises que l'Angleterre est obligée de
faire sur le continent ; elle est due, en outre, à une opération qui a été
perdue de vue, c'est la fabrication de pièces de 20 francs pour compte de
l'Angleterre, à la monnaie de Lille, faite à cette époque ou un peu plus tard.
En
1815 les émissions montent à 27,261,650 livres, et croyez-vous, messieurs, que
les billets baissent ? Pas le moins du monde ; les billets remontent parce que
les besoins d'envoyer de l'or sur le continent avaient diminué et que le
continent avait, au contraire, des remises à faire en Angleterre. Le change se
rétablit donc un peu en faveur de l'Angleterre, et les billets remontèrent à 83
1/4 p. c.
En
1818 les émissions s'élèvent à 27,770,970 livres, et à cette époque les banques
provinciales s'étendent partout ; croyez-vous qu’il y ait une dépréciation ?
Pas du tout ; les billets montent à 97 3/8 p. c.
En
1819, voici, messieurs, la circonstance la plus, remarquable de toutes, en août
1819, les émissions tombent à 25,252,690 livres, et la loi qui ordonne la
reprise des payements est votée, car cette loi est du 2 juillet 1819, et c'est
pour cela que j'ai pris l'époque du mois d'août ; eh bien, vous croyez
peut-être que les billets vont monter au pair ? Non, ils tombent à 95 1/2, et
voulez-vous connaître la cause de cette baisse ? Ce sont les grandes opérations
faites pour compte du gouvernement français par les banquiers anglais, qui
s'étaient chargés du grand emprunt français de 1818.
Nous
pouvons donc dire, sans crainte de nous tromper, que les billets de
l'Angleterre ont circulé pendant 24 années, sans éprouver aucune dépréciation
par eux-mêmes par la nature des billets, et que la dépréciation qui a eu lieu
doit être principalement attribuée à des opérations de change. Ce sont de ces
variations qui ont lieu encore maintenant sur le change anglais, mais qui se
renferment dans des limites beaucoup plus étroites. Je comptais parler aussi
des banques provinciales de l'Angleterre, dont le nombre s'est élevé jusqu'à
900 en 1813, dont la débâcle a été effrayante quelques années plus tard, mais
je ne veux pas abuser de votre attention. J'ai voulu prouver seulement que
l'Angleterre avait vécu et triomphé de bien des obstacles, pendant 24 années,
avec une circulation en papier.
Eh
bien, messieurs, d'après cela, je pense qu'en Belgique, avec toutes les
garanties dont nous entourerions les billets, nous pourrions nous attendre aux
mêmes effets.
Il
y a plus, c'est qu'à la suite de la mesure prise le 20 mars, et à laquelle j'ai
à regret donné mon assentiment, car c'est le vote qui m'a coûté le plus, c'est
de tous les votes que j'ai émis dans cette enceinte celui où j'ai subi le plus
cruellement la loi d'une dure nécessité ; à la suite de cette mesure, dis-je,
il fallait craindre de voir non pas exporter, mais cacher, thésauriser le
numéraire ; ainsi, quelle que soit la somme des billets émis, ce sont eux qui
devront faire l'office de principal agent de la circulation, et dès lors il
faut que cet agent de la circulation soit suffisant pour tous les besoins du
pays.
M.
le ministre nous a dit que la gêne provenait plutôt de l'absence d'affaires que
de l'absence de crédit.
Jamais,
messieurs, la gêne n'est résultée de l'absence d'affaires ; au contraire,
l'absence d'affaires ramène l'abondance des capitaux. C'est ainsi que dans la
crise de 1847 on a vu affluer à la banque d'Angleterre une grande masse de
capitaux qui ont fait tomber l'escompte à 21 1/2p. c, en janvier et février
1848, de 8 à 10 p. c, où on l'avait vu en octobre 1847.
Eh
bien, messieurs, la seule question que nous ayons à nous poser maintenant,
c'est celle de savoir si 50 millions sont trop ou trop peu pour tous les
besoins de la circulation. A l'époque où la loi du 20 mars a été discutée, on
pouvait élever des doutes sur ce point ; mais depuis lors les événements sont
venus justifier complètement l'opinion de la section centrale et sont venus
donner un démenti formel à l'opinion qui avait été soutenue par les hommes
compétents que M. le ministre des travaux publics paraissait avoir consultés.
En effet, qu'avons-nous vu ? La circulation, au 20 mars, était, pour les deux
banques, de 12 millions à peu près.
Le
10 avril, elle était de 19 millions ; c'est le chiffre que nous donne le
Moniteur du 12 avril, et je pense qu'actuellement elle doit avoir dépassé 20
millions. Avons-nous vu une dépréciation sur nos billets ? Nullement. Je ne
parle pas de quelques localités de provinces, mais sur nos marchés principaux,
il n'y a pas de dépréciation ; ainsi, à Bruxelles, chez les changeurs, on prend
des billets à un demi p. c ; ce n'est certes pas là un bénéfice exagéré ; à
Anvers, pour des sommes considérables, on obtient à peine 1/8 p. c..
Eh
bien, depuis lors nous avons vu notre crédit se relever, nos transactions
redevenir plus faciles. Dans l'intervalle qui sépare l'événement du 24 février,
de la loi du 20 mars, une transaction de huit à dix mille francs en fonds
nationaux était presque impossible à Bruxelles ; on y fait aujourd'hui des
transactions pour, des centaines de mille francs sur les fonds publics..
Le
change se présente sous un aspect aussi favorable. C’est. ainsi que le change
sur Londres, qui avait monté jusqu'à fr. 26 et au-delà, est retombé, il y a
quelque temps, jusqu'à 25.40 à 50, taux normal ; le change sur Amsterdam subit
maintenant des variations, mais ces variations ne sont pas le résultat de la
dépréciation des billets. Dès lors, ne pouvons-nous pas préjuger que lorsque
nos billets seront mieux connus, une émission de 50 millions pour la Belgique
ne sera pas exagérée, que la circulation actuelle, peut-être dans un avenir
prochain, sera reconnue insuffisante ?
Et
voilà ce que le ministère, dans la séance du 20 mars, considérait comme un don
funeste. Ce n'eût cependant jamais été pour lui un don funeste, que pour autant
qu'il l'eût bien voulu, puisque l'article 4 de la loi lui laissait la faculté
de régler l'importance de l'émission ; il n'aurait donc pas dû refuser l'arme
qu'on lui offrait, sauf à n'en faire que l'usage qu'il aurait jugé convenable ;
il ne devait donc pas accepter cette faculté comme un don funeste. C'est
principalement encore à ce point de vue que le ministère a combattu la section
centrale. La section centrale n'a renoncé à son projet, que lorsque le
gouvernement est venu en quelque sorte l'y forcer, quand il est venu poser
devant elle une question de cabinet, et menacer en quelque sorte les membres de
la section centrale d'un siège aux bancs ministériels. La
section centrale ne voulant pas plus que la majorité la chute du ministère,
voulant encore moins sa place, s'est alors exécutée ; et quoiqu'il n'y ait dans
nos codes aucune loi qui pût nous condamner aux bancs ministériels, nous
n'avons voulu être cause d'aucune complication fâcheuse. La section centrale
renonçant donc à présenter son projet à la chambre, s'est empressée d'examiner
éventuellement les propositions qui lui étaient faites. C'est seulement après
cette déclaration de la section centrale que le ministère a accepté
éventuellement l'émission supplémentaire de 16 millions qu'il avait refusée
d'abord. C'est ainsi que les choses se sont passées.
Maintenant
la section centrale a accompli son mandat pour autant qu'il lui a été possible
de l'accomplir. Je ne sais pas encore exactement devant quelle proposition nous
nous trouvons. J'attendrai le cours de la discussion pour me déterminer sur
l'attitude que j'aurai à prendre. Je me bornerai à présenter quelques
observations sur les articles, quand nous y serons arrivés.
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je commencerai
par répondre à l'allusion par laquelle l'honorable préopinant a terminé son
discours.
Lorsque
la section centrale a proposé au gouvernement un plan financier auquel celui-ci
n'a pas cru devoir se rallier, il a déclaré en même temps à la section centrale
que si le plan proposé par les membres qui la composaient était réputé par elle
préférable à celui du gouvernement, le ministère engageait sérieusement les
membres de la section centrale ou d'autres à mettre ce plan financier à
exécution.
Il
est à remarquer que la section centrale était composée d'hommes non étrangers
aux affaires ; elle renfermait dans son sein trois anciens ministres des
finances, et deux membres de la chambre auxquels, dans différentes
circonstances, si je ne me trompe, des ouvertures ont été faites pour entrer au
même ministère.
Le
cabinet fit plus : loin de vouloir entraver les dispositions que ses
successeurs éventuels auraient cru devoir prendre dans l'intérêt du pays, il
fit la déclaration formelle que non seulement il n'établirait pour lors pas de
débat sur les propositions de la section centrale, mais qu'il les voterait
silencieusement, sans faire de l'opposition au sein de la chambre. J'en appelle
aux souvenirs de tous les membres de la section centrale...
Plusieurs voix.
- C'est très vrai !
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier). - Voilà l'attitude que nous
avons prise devant la section centrale. Nous repoussons loin de nous la pensée,
dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons tous, chambres, pays et
gouvernement ; bien loin de nous la pensée de chercher, par une opposition ou
virulente ou doucereuse, à jeter des entraves dans la marche d'un nouveau
cabinet.
On
a pu le remarquer : depuis quelque temps, l'opposition qui, à la première nouvelle
d'un grand danger, semblait avoir disparu, comme dessous terre, se réveillait,
se ranimait, s'irritait de plus en plus, à mesure que le danger semblait
s'éloigner, à mesure que, grâce aux efforts du gouvernement, soutenus par la
confiance du pays, la sécurité renaissait.
Et
cette opposition que nous voyons reparaître de jour en jour plus manifeste,
nous ne la blâmons pas, nous l'acceptons ; nous ne lui demandons pas même de
revêtir des formes modérées, nous ne lui demandons pas même d’être juste. Nous
sommes, je ne crains pas de le dire, assez forts dans l'opinion publique pour
braver au besoin cet inconvénient intérieur cumulé avec les dangers de
l'extérieur ; nous sommes forts dans l'opinion, parce que l'opinion sait que le
gouvernement est confié à des hommes de bonne foi et, oserai-je le dire ? à des
hommes de fermeté et de courage. Aussi, le dernier des reproches que je
pourrais accepter de la part de l'opposition, c'est celui qui tout à l'heure
nous était adressé dans un langage acerbe, le reproche de timidité, de
faiblesse.
Ou
avons-nous été timides ? Quand avons-nous été faibles ? Nous avons hésité. Oui,
et je dirai tout à l’heure quand et pourquoi nous avons hésité.
Mais
avons-nous hésité dès le premier jour d'un danger révélé, (page 1374) avons-nous hésité à prendre une attitude qui a rendu la
confiance au pays entier ? Avons-nous été timides dans nos réformes politiques,
faibles à défendre l'ordre ? Avons-nous hésité à venir demander à la chambre
les moyens de faire face aux événements, aux besoins urgents qui en sont sortis
? Sous les impressions des premiers événements, ce n'était pas alors de
demander trop au pays qu'on nous faisait le reproche, c'était de demander trop
peu ; ce n'était pas les 8 douzièmes de la contribution foncière que nous devions,
disait-on, demander au pays, c'était la totalité d'une année, et au-delà. Voilà
comment parlaient plusieurs de ceux qui depuis sont venus nous accuser si
injustement de grever le pays de la manière la plus onéreuse !
Les
besoins auxquels nous devons pourvoir, les voici : ils n'ont pas changé de
nature, ils n'ont pas diminué d'urgence. Les besoins de l'armée, on ne les
discute plus, les dépenses sont volées ; les besoins de l'ordre que nous
voulons assurer et que nous parviendrons, nous l'espérons, à assurer par le
travail et seulement par le travail les besoins de l'ordre, il y a été aussi
pourvu dans une certaine mesure ; les dépenses demandées par le département de
l'intérieur, les dépenses demandées par le département des travaux publics ont
été votées à l'unanimité moins une voix qui s'est prononcée contre, et une
autre qui s'est abstenue.
Un
troisième besoin non moins urgent, non moins impérieux que ces deux-là, est-il
nié, est-il contesté ? Je veux parler des besoins de notre honneur public, de notre
dette ; est-il quelqu'un dans cette chambre qui ose soutenir que la situation
de la Belgique soit telle après un mois de crise qu'elle doive recourir à la
suspension de paiement, à la banqueroute, à tout ce qui dégrade un pays et
avilit un gouvernement ?
Ces
besoins de la dette publique vous n'y avez pas encore pourvu, mais je n'hésite
pas à dire, vous y pourvoirez. Je considère comme acquis le vote des moyens de
pourvoir aux besoins de la dette publique. Voilà donc trois ordres de besoins
auxquels nécessairement, inévitablement on a dû pourvoir. Ces trois ordres de
besoins emportent la somme de 38 millions 150 mille fr., en y comprenant 2
millions 800 mille fr. qui restent encore à voter pour le département des
travaux publics.
Après
les besoins publics, je rappellerai les besoins que l'on a qualifiés tout à
l'heure d'intérêts particuliers, mais intérêts particuliers qui par leur
importance, leurs nombreuses ramifications s'élèvent à la hauteur d'un intérêt
public, les besoins, en un mot, de certains établissements financiers auxquels
les circonstances nous imposent le devoir de venir en aide.
En
présence des divers moyens que nous avons consciencieusement proposés pour
satisfaire à ces divers et impérieux besoins, on est venu nous reprocher notre
entêtement, notre roideur à repousser des réductions ? et cependant
qu'avons-nous fait ? Dieu veuille qu'un jour et la chambre et nous-mêmes nous
n'ayons pas à nous en repentir, qu'avons-nous fait dans la situation pleine
d'incertitude où se trouve encore l'Europe ? Nous avons consenti, en quelque
sorte, à accepter une existence précaire, à vivre au jour le jour jusqu'au 1er
septembre 1848.
Comme
si, après le 1er septembre 1848, toutes les incertitudes, tous les dangers
devaient disparaître. Je dis qu'en acceptant cette sorte de transaction nous
avons peut-être été trop loin ; que, loin d'avoir montré en ceci un entêtement
condamnable, nous avons peut-être (et sous ce rapport, j'accepte le reproche de
l'honorable M. Anspach), eu la faiblesse de trop céder.
J'arrive
aux moyens que nous avons proposés pour couvrir les besoins que je viens de
rappeler ; aux moyens que nous n'avons pas hésité à proposer, quelque pénible
qu'ait été pour nous une pareille tâche ? Le moyen que nous avons proposé,
c'est l'emprunt.
L'emprunt
! Est-ce donc une mesure nouvelle en Belgique ! Est-ce donc une mesure tout à
fait extraordinaire ? Mais à l'époque où notre nationalité venait de se fonder,
à une époque où peut-être le danger était moindre qu'aujourd'hui, le congrès
national, votait sans hésitation, sans récrimination, sans opposition, un
emprunt forcé ; il le votait à de plus dures conditions que celles qui vous
sont proposées.
L'emprunt
forcé portait, par exemple, sur la contribution personnelle. Que lui
demandait-il ? 80 p. c. En outre l'emprunt forcé ne portait pas d'intérêt avec
lui. Aujourd'hui nous ne demandons que la moitié de la contribution personnelle
et l'emprunt porte avec lui un intérêt, et si au lieu de contribuer à semer
l'alarme et le découragement, je ne dirai pas parmi les classes riches, mais
parmi les classes peu aisées, qui peut-être ne comprennent pas sous son
véritable jour l'emprunt demandé, on leur faisait comprendre que ce n'est pas
un impôt, mais une avance faite à l'Etat, qui porte intérêt comme toutes les obligations
de l'emprunt belge, je crois qu'on rendrait un service plus signalé au pays que
par l'espèce de terreur que dans la séance d'hier et dans celle d'aujourd'hui
plusieurs membres ont jeté dans l'esprit de nos populations, comme si au bout
d'un mois de crise le pays était réduit à la plus complète impuissance, à la
plus épouvantable misère.
L'emprunt
qu'on vous demande va-t-il donc peser d'une manière désastreuse sur les classes
pauvres, pour lesquelles on témoigne ici une sollicitude que nous partageons,
et que nous saurons, je l'espère, mettre de plus en plus eu pratique. '
Jusqu'ici
les classes pauvres, les classes malheureuses n'avaient pas passé pour posséder
la propriété foncière. Il paraîtrait qu'aujourd'hui la propriété foncière, par
je ne sais quelle transformation communiste, se trouve possédée par les pauvres
gens. C'est en faveur des pauvres gens que l'on réclame. Les pauvres petits
contribuables ne pourront pas payer !
Messieurs,
si j'étais, moi, un de ces grands propriétaires qui prennent si vivement à cœur
le sort des pauvres petits contribuables, savez-vous ce que je ferais ? Je me
mettrais à la tête de l'emprunt volontaire, et pour ces pauvres petits
contribuables, dans chaque commune, je rembourserais les petites cotes. Voilà
comment je prouverais mon patriotisme. Car il ne s'agit pas, messieurs, de
faire du patriotisme en discours, en paroles ; il faudrait savoir ici, comme
toujours, pour être un citoyen complet, joindre les actes aux paroles. On vient
nous parler en termes très éloquents de l'avenir brillant qui est réservé au
pays, qui est destiné à l'humanité. Eh bien, je ramène cette poésie sur les
grands progrès de l'humanité, je la ramène à la pratique pure et simple de
l'humanité de tous les jours. J'invoque cet esprit d'humanité en faveur des
pauvres petits contribuables pour lesquels on prodigue de grandes, de
magnifiques paroles, qui ne valent pas, dans l'occurrence, une bonne et petite
action de bienfaisance.
M. de
Liedekerke. - Chacun comprend et pratique ses devoirs comme
vous.
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier). - On m'a donné des leçons ;
je me permets de donner des conseils.
M. de
Liedekerke. - Je n'en ai pas donné, je n'en accepte pas.
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier). - Qu'on les accepte ou non,
je les maintiens.
Messieurs,
le gouvernement n'a pas eu recours à l'impôt. S'il avait suivi ce qui se passe
dans d'autres pays, ce qui s'est passé dans d'autres circonstances en Belgique
même, c'est à l'impôt, exclusivement à l'impôt, qu'il aurait eu recours. En
recourant à l'emprunt, il a cru devoir ménager l'intérêt des contribuables,
prendre en considération la position que leur avaient faite deux années
malheureuses. Il a ensuite fait tous ses efforts pour arriver à ce résultat que
l'emprunt ne portât, autant que possible, que sur les classes qui fussent à
même de le payer.
Veut-on
chercher, veut-on indiquer d'autres moyens d'arriver à ce but ? Quand nous
arriverons aux articles, qu'on les propose. Nous ne faisons pas de ceci une
question d'amour-propre.
Si
l'on nous indique un moyen, un moyen assuré d'épargner le petit contribuable,
eh, mon Dieu ! nous nous rallierons immédiatement à ce moyen. Non pas,
messieurs, que j'attribue à ce qu'on appelle les petits contribuables ce
mauvais vouloir ou même cette impuissance qu'on lui suppose. Je crois que le
petit contribuable n'a chargé personne de parler d'une manière aussi violente
en sa faveur. Je crois qu'il y a chez le petit contribuable beaucoup de
patriotisme et de dévouement, beaucoup de résignation, et je suis convaincu que
le petit contribuable ne sera pas le dernier à venir apporter sa part dans la
dette publique.
Quant
à ceux qui seraient dans l'impuissance matérielle d'apporter leur part, j'ai
indiqué tout à l'heure le moyen de leur venir en aide.
Messieurs,
l'emprunt étant sévèrement jugé par la section centrale, elle a dû nous
indiquer un autre moyen. Pas d'impôt ! pas d'emprunt ! mais du papier-monnaie !
34 millions ont été votés ; encore seize millions. Seize millions ne suffiront
pas ? Encore du papier-monnaie ! Du papier-monnaie partout et pour tout. (Interruption.) Permettez : Ou vous irez
plus loin que vos 10 millions, ou vous nous donnerez raison.
Messieurs,
si je n'avais ici qu'à consulter mon amour-propre, je devrais me féliciter de
voir comment est défendue cette idée d'une émission de papier-monnaie pour
compte de l'Etat, idée que je me suis permis d'émettre à plusieurs reprises
dans nos discussions depuis plusieurs années, idée qui fut alors traitée
d'utopie, idée qui fut repoussée par la grande majorité, par beaucoup de mes
collègues qui l'appuient aujourd'hui. Je me féliciterais de voir quel accueil
cette idée reçoit aujourd'hui de divers côtés. J'ai, en effet, dans diverses
discussions déjà anciennes, demandé si le gouvernement ne pourrait pas, comme
certaines banques, à l'aide du crédit public, émettre dans une certaine mesure
des billets de l'Etat. Je faisais cette observation surtout à propos des bons
du trésor. Je trouvais qu'il y avait une sorte de duperie pour l'Etat à émettre
des billets portant intérêt, avec échéance fixe, au lieu d'émettre un
papier-monnaie sans intérêt ayant cours libre ou forcé. Mais cette idée était
alors généralement repoussée. Elle était combattue notamment par un
représentant de Bruxelles qui avait une autre qualité en dehors de cette
enceinte et qui avait sous ce rapport alors l'avantage de ranger de son côté la
presque unanimité des avis dans ces sortes de questions. Il repoussait alors le
papier-monnaie de l'Etat. C'était avec cet honorable membre que j'avais les
discussions les plus fréquentes.
Je
ne parle pas d'une discussion de l'an passé dans laquelle un honorable ministre
des finances répondant encore à cette idée d'une émission de papier-monnaie,
sur laquelle j'étais revenu, disait que c'était le dernier degré de la
dépréciation de la monnaie.
Les
circonstances, messieurs, nous ont amené aujourd'hui à proposer une certaine
émission de papier-monnaie ayant cours forcé. Comme dans l'opinion que
j'exprimais autrefois, je ne m'étais jamais élevé à la hauteur de 30 millions
pour les époques tranquilles, pour les époques de confiance publique, j'avoue
que je fus effrayé à l’idée d’émettre tout à coup pour 34 millions de
papier-monnaie garanti par l'Etat. Je cédai cependant, parce que dans les
circonstances actuelles, il faut savoir faire le sacrifice de certaines
opinions, alors qu'une majorité (page
1375) respectable se manifeste pour l'opinion contraire, et que les
nécessités de la situation l'exigent.
Mais
à peine les 34 millions furent-ils présentés dans cette chambre que l'on nous
proposa tout d'un coup 10 millions de plus. Nous refusâmes ces 10 millions,
pourquoi ? Parce que nous crûmes qu'avant d'étendre cette première expérience,
nous devions pouvoir en apprécier les résultats. Nous nous souvenions de ce qui
s'était passé pour les bons du trésor qui avaient cependant en eux-mêmes un
double frein, celui de l'échéance fixe et celui de l'intérêt. Nous savions avec
quelle rapidité déplorable, avec quel entraînement souvent regretté, on s'était
laissé aller à augmenter le chiffre de la dette flottante ; et ne voulant pas,
dès ce premier pas dans le système du papier-monnaie, nous laisser entraîner de
la même manière, nous résistâmes, et je crois que nous avons eu raison de
résister.
L'idée
ne fut point abandonnée. Dans la section centrale chargée d'examiner la
nouvelle loi d'emprunt, elle fut reprise et, cette fois, on ne nous offrit plus
dix millions, on nous en proposa seize.
Dans
la section centrale nous ne voulûmes point de seize millions de papier en
remplacement de seize millions à déduire de l'emprunt, mais (et la section
centrale en a pris note) nous ne repoussâmes point d'une manière absolue et
définitive l'idée d'une nouvelle extension à donner au papier-monnaie, si les
résultats obtenus par la première émission nous prouvaient que l'on pouvait
aller plus loin sans inconvénient.
Faut-il
admettre une nouvelle émission de seize millions de papier-monnaie et réduire
d'autant les sommes à provenir de l'emprunt ? Messieurs, si nous voulons faire
ce que. la nécessité présente nous commande, il nous faudra à la fois et
l'emprunt et l'émission de papier-monnaie.
L'emprunt,
dans les limites où nous l'avons renfermé, ne pourvoit qu'aux besoins du passé,
et à peine aux besoins du présent. L'emprunt nous laisse désarmés à partir du
1er septembre 1848 et déjà nous pouvons prévoir au-delà du 1er septembre 1848
des besoins aussi réels, aussi sérieux que ceux qui existent aujourd'hui.
Ces
besoins sont de deux sortes : les besoins généraux du pays et les besoins
d'établissements particuliers auxquels on ne peut refuser une sorte de
caractère public. Je puis aussi parler en toute liberté de ces établissements
particuliers, que, par une insinuation des plus malveillantes, on nous a
reproché de faire passer, en quelque sorte, avant l'intérêt public. Je n'ai
jamais été partisan fanatique de ces établissements particuliers. Sans méconnaître
leur utilité à certains égards, j'ai souvent combattu, dans cette enceinte,
leur influence, leur action sur la direction générale des affaires et du crédit
du pays.
Ce
qui arrive aujourd'hui, messieurs, nous l'avons plusieurs fois prédit. Nous
avons prédit que, dans des circonstances données, des embarras pourraient
survenir à ces établissements particuliers, et que ces embarras retomberaient
de tout leur poids sur l'Etat. Loin de moi, messieurs, de revenir sur les
opinions que j'exprimais alors ; ce n'est pas le moment d'ajouter à la
situation pénible où peuvent se trouver ces établissements. D'ailleurs, ils
n'ont pas été sans rendre des services ; et à l'heure qu'il est, je les
considère encore comme une institution à maintenir, à conserver intacte.
C'est
pour maintenir ces institutions que peut-être nous serons amenés, ainsi qu'on
l'a dit, à vous proposer de nouveaux moyens. Sera-ce, messieurs, par du
papier-monnaie que vous aiderez l'établissement auquel on a fait allusion, que
vous l'aiderez à faire face à certaines dettes, dont l'ordre public exige le
payement ? Aux 16 millions que vous offrez dans l'emprunt, joindrez-vous 20
millions pour payer ces dettes ou refuserez-vous de satisfaire à ce besoin d'un
établissement particulier ? Prenez-y garde. 16 et 20 font 36, 36 et 34 cela
ferait 70 millions de papier-monnaie. Eh bien, messieurs, je n'hésite pas à le
dire, si vous vouliez aujourd'hui suppléer à l'emprunt par du papier-monnaie,
si vous vouliez pourvoir aux besoins de l'Etat par du papier-monnaie, vous
seriez obligés de pourvoir aux besoins de cet établissement, non plus par du
papier-monnaie mais par l'emprunt. Votre emprunt sera-t-il alors plus populaire
? Viendrez-vous demander aux contribuables de l'argent pour le donner à un
établissement particulier ? Messieurs, c'est cependant là le but où vous
marchez, à moins qu'on ne veuille venir nous soutenir, par je ne sais quel
aveuglement, que le pays peut, tout à coup, dès aujourd'hui, supporter une
émission immédiate de papier-monnaie, de 70 millions de francs.
Je
ne désire point prolonger cette discussion générale ; nous aurons l'occasion
probablement de revenir sur la question de l'émission du papier-monnaie. Je
n'en dirai pas davantage pour le moment.
Il
est un dernier moyen que l'on a indiqué et vraiment, je m'y arrêterai peu,
d'autant plus que la section centrale n'y a pas beaucoup insisté. Ce moyen de
pourvoir aux besoins de la situation consiste à faire des économies. Le système
des économies, nous l'acceptons, nous l'avons pratiqué déjà, nous continuerons
à le pratiquer, mais les économies ne peuvent subvenir aux nécessités urgentes
de la situation. Nous aurons malheureusement d'autres applications à faire de
nos économies ; nous aurons à appliquer nos économies à combler peut-être
pendant quelques années le déficit de nos budgets. Sans doute, il ne faut pas
s'alarmer trop vite, mais il ne faut pas non plus se rassurer trop tôt. Parce
que tel jour, à telle heure, dans la capitale d'un pays voisin, une
manifestation aura paru réussir dans l'intérêt de l'ordre, il ne faut pas
croire que, dans les circonstances où se trouve l'Europe, l'ordre va être
rétabli partout et pour toujours. Non, messieurs, nous sommes, je le crains,
entrés dans une période critique, dans une période laborieuse, difficile ; ce
que nous avons supporté jusqu'ici ne sera peut-être rien, comparé à ce que nous
aurons à supporter. N'exagérons pas, je vous en supplie, les misères de la
situation. Plût à Dieu que cette situation, que l'on dépeignait hier comme si
misérable, devint pour un temps la situation définitive du pays !
Peut-être,
messieurs, peut-être parviendrons-nous, et ce serait un bien grand honneur et
un bien grand bonheur pour le pays, pour le gouvernement, peut-être
parviendrons-nous à vaincre tous les dangers qui peuvent encore nous menacer.
Peut-être
parviendrons-nous à maintenir la Belgique dans la bonne position que vous lui
avez faite et que nous lui avons faite. C'est là, messieurs, l'espoir qui nous
encourage dans la tâche si difficile, si laborieuse qui nous incombe ; cela
nous console des attaques injustes ou violentes dont nous pouvons être l'objet
; cela même nous fait accepter ces attaques avec indulgence. Nous tenons compte
des intentions ; nous désirons qu'on apprécie aussi les nôtres. Si tout à
l'heure nous avons répondu avec une sorte de vivacité, c'est que nous avions
cru rencontrer dans le discours d'un honorable préopinant certaines allusions à
la loyauté de nos intentions.
Quoi qu'il en soit, et pour conclure, messieurs, soyez
convaincus d'une chose, c'est que vous ne maintiendrez bonne votre position
politique qu'à la condition d'avoir une position financière la meilleure
possible, la plus forte possible.
Voulez-vous
vous fortifier politiquement, nationalement ? Fortifiez-vous financièrement, non
par des théories, non par des expédients d'un résultat au moins problématique ;
mais fortifiez votre trésor par l'impôt, par l'emprunt ; fortifiez-vous par le
crédit national sagement maintenu, sagement exploité. Sous ce rapport,
j'accepterai donc aussi le papier-monnaie, mais dans une certaine limite ; et
aujourd'hui, comme autrefois, je saurai résister aux excès du papier-monnaie,
qu'il s'appelle bons du trésor, bons de caisse, billets de banque ou assignats.
M. de La Coste.
- Messieurs, je m'applaudis, et je parle avec une franchise que personne ne
suspectera ; je m'applaudis de voir les affaires aux mains d'hommes dont la
présence au pouvoir lui assure le concours d'une opinion, sans attiédir le
dévouement d'une autre pour le pays et ses institutions. Je les félicite encore
de n'avoir pas désespéré du salut du pays.
Si
je croyais aider mieux le gouvernement à franchir les difficultés de la
situation par un vote silencieux que par ma parole, je me rassiérais à
l'instant, je me tairais.
Mais,
messieurs, je dois le dire, je pense que nous avons un autre devoir à remplir.
Je pense que de même, si je puis me permettre cette comparaison, que les
sympathies sincères que nous offrons aux autres peuples ne sont pas des
sympathies serviles, mais les sympathies d'un peuple libre, de même le concours
que nous offrons à notre gouvernement doit être le concours d'hommes libres et
que par conséquent il doit être librement débattu.
Je
le crois d'autant plus que notre silence, lorsque de tous côtés se dressent en
face de nous, et souvent contre nous, des tribunes, que notre silence serait
une sorte d'abdication qui ôterait à notre concours toute sa force, toute son
efficacité.
M.
le ministre a paru regretter d'avoir trop cédé aux instances de la chambre et
de la section centrale ; il a paru craindre d'avoir même par-là compromis pour
ainsi dire la situation.
Messieurs,
si cette crainte était fondée, il faudrait revenir sur ce qui a été fait ; ou
plutôt, comme rien n'est fait encore, il faudrait accepter l'emprunt dans toute
son étendue.
Mais
n'oublions donc pas que d'ici à un temps assez prochain siégera une autre
chambre, une chambre renouvelée qui puisera une nouvelle force dans un concours
plus large de la nation et qui ne portera pas les déplorables cicatrices des
coups mutuellement portés dans nos luttes. Ces cicatrices, du moins, la main de
la nation en les touchant les aura effacées.
D'ailleurs,
dans l'intervalle, ne pourra-t-il pas surgir quelques vues nouvelles en
finances, qui tendent à alléger le fardeau, à le rendre plus égal ? C'est avec
raison que M. le ministre de l'intérieur vient de dire que le patriotisme ne
doit pas s'exhaler en vaines paroles ; il doit, dans les circonstances où nous
sommes, se manifester par le dévouement, par les sacrifices. Mais l'intérêt
est-il exclusif ? N'est-il pas générai au contraire, et les sacrifices ne
doivent-ils pas avoir le même caractère ?
L'honorable
M. Lebeau a vu la propriété seule menacée. Eh ! messieurs, il y a bien autre
chose en jeu ! Avec la propriété est mis en question bien plus que la
propriété, car je craindrais qu'elle n'emportât avec elle la liberté et la
civilisation. Mais, avant même la propriété, est mis en question le capital.
S'il est apparu quelquefois un antagonisme dangereux, faux, qui n'est au fond
que mesquine jalousie, entre le capital et la propriété, il s'est manifeste
maintenant un antagonisme bien plus menaçant entre le travail et le capital, un
antagonisme dont il est trop à craindre que le (page 1376) résultat ne soit la perte du capital et la
suspension du travail qui est la vie du peuple. . .
Messieurs,
les considérations mêmes dans lesquelles est entré M. le ministre de
l'intérieur, les dangers de l'avenir, le fardeau que l’avenir nous réserve
peut-être, tout doit nous faire rechercher avec un soin très sérieux, très
profond les moyens d'égaliser le fardeau.
Il
en est des forces sociales, comme des forces humaines ; répartissez un poids
sur tout le corps, il sera porté légèrement ; faites-le porter sur un point seul,
le fardeau devient insupportable. Ainsi, un impôt d'un poids très lourd peut
être supporté, sans trop gêner les allures d'un peuple, lorsque ce poids est
réparti également.
En
suivant une marche contraire, on arrive peut-être à l'impossible, on arrive
très certainement à l'injustice.
Je
ne connais, pour moi, d'autre règle de justice en matière d'impôt que l'égalité
de répartition, c'est-à-dire que chacun y contribue dans la mesure de ses
moyens, de ses ressources, en ménageant cependant ceux pour qui ces ressources
sont les moindres, en épargnant entièrement, si c'est possible, ceux dont les
ressources suffisent à peine pour pourvoir à leurs besoins.
Mais,
messieurs, ces ressources, il est difficile de les connaître, c’est pour cela
qu'on cherche à les atteindre par la diversité des impôts, par les impôts
directs et par les impôts indirects.
Messieurs,
il y a dans notre situation matérielle des enseignements qui ne doivent pas
être perdus.
L'un
de ces enseignements se rapporte à ce qu'on a appelé les folies du passé ;
lorsque l'honorable M. Cogels hasarda quelques justifications à cet égard, j'ai
remarqué à ma droite des membres qui n'ont pas assisté aux sessions précédentes
et qui indiquaient par leurs gestes que cela ne les regardait pas. Qu'ils me permettent
de le leur dire, leur innocence tient un peu à leur jeunesse, et si la session
s'était écoulée sans événement extraordinaire, eux aussi seraient au nombre des
coupables.
La
vérité est que tout le monde est coupable, et nous et la presse et les administrations
provinciales et les administrations communales et le gouvernement et les
électeurs. Il serait heureux que nous profitassions du moins de l'enseignement
que nous donne à cet égard notre situation pour résister à de pareils
entraînements. Que fait-on ? On vote des travaux parce qu'ils sont utiles ;
messieurs, tous les travaux sont utiles ; on emprunte ; on cherche ensuite
péniblement à pourvoir aux intérêts des emprunts toujours supérieurs aux
produits des travaux. Alors la difficulté commence à se montrer ; on demande
des produits aux sucres, et deux grandes villes s'y opposent.
On
dit maintenant, et je le crois, qu'il faut s'adresser au tabac ; l'honorable M.
Mercier a essayé de le faire ; s'il avait commis quelque crime, il n'aurait
pas rencontré de réprobation plus
violente.
Il
aurait fallu, mais c'est malheureusement une idée dont la réalisation
demanderait des temps plus prospères, il aurait fallu agir en sens contraire.
Il aurait fallu se créer des ressources suffisantes et prendre les fonds
nécessaires pour les travaux sur ces ressources, sur l'excédant des nos
revenus.
Notre
situation s'améliorerait ainsi constamment et des excédants toujours croissants
pourraient être employés sans cesse en travaux nouveaux.
Il
est un autre enseignement que nous donne encore notre situation.
On
voit de quelle importance est cette ressource de la propriété foncière à
laquelle on reproche un privilège qu'elle a partagé avec d'autres sources de la
richesse publique, qu'elle a partagé dans un moindre degré, qu'elle ne possède
plus, on voit même qu'il est utile que cette richesse foncière soit inégalement
répartie, car c'est cette inégalité qui crée le superflu, et si le superflu
n'existait pas, si les propriétaires étaient réduits au nécessaire, nous
chercherions en vain à le leur arracher. Mais ce serait se faire illusion que
de considérer cette ressource comme inépuisable. La richesse foncière a des
bornes, elle est évaluée par le cadastre à un revenu de 160 millions.
Je
pense, il est vrai, que cette somme ne la représente pas complètement ; mais si
les prix des céréales continuaient à tomber, si la valeur des maisons baissait,
par suite des circonstances, il pourrait se faire que cette atténuation
disparût ; déjà pour les bois l'évaluation se trouve supérieure à la réalité,
du moins dans les localités que je connais. Il ne faut pas non plus se faire
illusion sur la richesse des propriétaires ; on voit dans les grandes villes
quelques familles qui affichent un certain luxe ; mais ce luxe est souvent
menteur, il cache souvent bien des difficultés secrètes ; souvent il est
alimenté, non par la propriété foncière seule, mais aussi par la fortune en
portefeuille.
M.
le ministre de l'intérieur a paru étonné qu'on parlât de propriétaires
malaisés. Je crois qu'il y en a même de très pauvres. Mais après tout, ne
doit-on pas une équitable répartition même aux riches et à la classe moyenne ou
aisée ?
Messieurs,
le principal reproche que je fais aux bases de l'emprunt qui nous est proposé,
c'est l'inégalité avec laquelle il pèsera sur les contribuables. Evidemment il
y aura des fortunes très médiocres qui seront fortement atteintes et des
millionnaires qui payeront peu de chose. Pour ma part, je voudrais de bon cœur
pouvoir m'unir aux membres qui désirent exempter la contribution personnelle,
mais alors ces fortunes-là seraient entièrement exemptées.
Pour
moi, je ne crois pas à l'antagonisme du travail et du capital qui n'est que le
travail antérieur, du capital et de la propriété qui n'est que le capital
immobilisé. Je ne crois pas à l'antagonisme des villes et des campagnes, je
crois à la solidarité des intérêts ; mais je crois que cette solidarité doit
avoir pour base l'équité.
Non,
messieurs, il n'y a pas d'antagonisme entre les villes et les campagnes ; les
petites villes sont très intimement liées d'intérêt avec les campagnes ;
beaucoup de villes intermédiaires sont à peu près dans le même cas ; si ou
voulait supposer un antagonisme, ce ne pourrait être qu'entre les grands
centres de population, d'exploitation ou d'industrie, et les campagnes ; mais
c'est là une idée fatale que nous devons repousser de toutes nos forces ; et le
moyen d’empêcher cet antagonisme, c'est d'être équitable, d'être juste pour
tout le monde.
Je
n'entrerai pas dans le détail de tout ce qu'on pourrait dire en réponse aux
observations faites à cet égard par M. le ministre des travaux publics : il me
suffira de faire observer que si les grandes villes contribuent
considérablement aux charges de l'Etat par la contribution foncière, la
contribution personnelle, les impôts de consommation, c'est que toutes les
richesses du pays y affluent, c'est qu'une grande partie ces budgets et des
fortunes privés s'y dépose.
Messieurs,
quel est le motif pour lequel un hectare de terre se vend en Campine un millier
de francs, dans d'autres cantons trois ou quatre mille francs, et à Bruxelles
dix fois autant ? C'est parce qu'à Bruxelles la richesse trouve dix fois plus
de jouissances, le commerce dix fois plus, de facilites, l'industrie et la
banque dix fois plus de moyens de bénéfices.
Si
Anvers voulait céder l'Escaut à Bastogne, Bastogne, devenu port de mer,
supporterait volontiers toutes les charges qui peuvent peser sur Anvers, et
payerait même peut-être le million que nous coûte le remboursement du péage sur
l'Escaut. Je pense que le député de Bastogne accepterait volontiers le marché.
M. le ministre des affaires étrangères
(M. d’Hoffschmidt). - Très volontiers.
M. de La
Coste. - L'agriculture, dit-on, ne paye pas patente. Mais
qu'est-ce donc que l'impôt foncier ? C'est une erreur de croire que l'impôt
foncier soit uniquement une redevance du sol. C'est un impôt sur l'agriculture,
sur l'industrie agricole. Cela est évident ; car si cela n'était pas ainsi, la
terre en Campine devrait payer autant que dans le pays de Waes. C'est la même
qualité ; c'est le même sol. Pourquoi y a-t-il une
différence ? C'est en raison du travail agricole et du capital agricole, qui
pendant une longue période se sont enfouis dans les campagnes du pays de Waes.
S'ils se retiraient un instant, elles retourneraient à leur stérilité. Il est
donc vrai de dire que l'impôt foncier qui se règle d'après le produit de la
terre (car il n'est pas immuable) est la patente du laboureur. Cette patente
vous rapporte douze millions, tandis que la patente de toutes nos splendides
industries, de toutes nos exploitations de mines, de notre commerce en gros et
en détail ne produit que 3 millions à l’Etat.
Je
bornerai là mes observations. Je n'avais demandé la parole que pour répondre à
M. le ministre des travaux publics sur les points que je viens ne toucher.
- M.
Verhaegen. remplace M. Liedts au fauteuil.
M. Malou.
- En entendant, à la séance d'hier, l'honorable ministre des travaux publics
reproduire des accusations dont la gestion financière des prédécesseurs du
cabinet actuel avait été l'objet ; en entendant, à la séance d'aujourd'hui,
l'honorable ministre de l'intérieur faire allusion à une opposition politique,
qui ne serait pas même modérée, je me suis demandé si l'on avait, en un seul
instant, oublié tout ce qui s'est passé depuis que la crise a éclaté. Ne nous
a-t-on pas vus, depuis qu'un intérêt national est en jeu, faire violence en
quelque sorte à nos antécédents, à nos convictions, pour soutenir, appuyer,
fortifier le ministère. Mais si l'on devait entendre par là que, dans un
gouvernement de libre discussion, il ne nous reste, selon une expression
employée tout à l'heure, que le droit de nous taire lorsque notre opinion n'est
pas d'accord avec celle du cabinet, à l'instant je résignerais mon mandat.
Toutes
les opinions consciencieuses, nationales, qui ont foi en elles-mêmes ont le
droit de se produire ici, aux risques de ceux qui les émettent.
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier). - Vous ne m'avez pas
compris. C'est un droit, c'est un devoir.
M. Malou.
- Nous sommes d'accord.
Ce
droit, j'en userai ; ce devoir, je le remplirai, mais avec modération, en
m'opposant à la proposition soumise à vos débats.
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier). - C'est ce que nous
demandons. Il y a manière de le faire.
M. Malou.
- J'avais l'intention de présenter à la chambre le parallèle de la gestion
financière des cabinets qui ont précédé l'avènement du ministère actuel, et de
la gestion financière du cabinet du 12 août ; mais je ne le ferai qu'à moitié,
pour ne pas imiter, en paraissant faire des récriminations, l'exemple qu'a
donné M. le ministre des travaux publics, lorsqu'il est revenu sur des
accusations dont je croyais que le débat solennel du mois de décembre avait
suffisamment fait justice. Je ne ferai donc que la moitié du parallèle
concernant la gestion antérieure au 12 août.
Au
pouvoir, on doit s'attendre à toutes les accusations. Mais ce qu'on n'avait pas
vu encore, ce qu'on voit aujourd'hui, c'est que le cabinet qui avait subi des
attaques, parce qu'il était trop économe, est par ceux-là (page 1377) mêmes qui l'ont combattu sur ce terrain, accusé
aujourd'hui d'avoir été trop dépensier.
En
cinq années, on avait consacré aux travaux publics une somme de 20 à 22 millions,
et le cabinet qui nous a proposé d'un seul coup une loi de 78 millions de
dépenses, sans indiquer des voies et moyens, reproche à ses prédécesseurs
d'avoir en 5 ans, non pour des entreprises nouvelles, non pour courir en
quelque sorte les aventures des travaux publics, mais pour achever des travaux
commencés, laissé se créer une dette flottante de 20 à 25 raillions.
Au
préjudice d'une situation politique, la veille des élections, le cabinet dont
j'avais l'honneur de faire partie a résisté à ceux qui, selon l'expression de
l'honorable M. Lebeau, voulaient lui forcer la main pour des dépenses nouvelles
; il a résisté parce qu'il n'a pas voulu que la dette flottante ou constituée
(peu importe, car quel que soit le nom c'est toujours votre dette) fût prématurément
augmentée de 20 millions.
M. d'Elhoungne. -
Je demande la parole.
M. Malou.
- Je vois avec plaisir que l'honorable député de Gand demande la parole. Mais, qu'il
veuille bien le remarquer, je ne condamne pas ces dépenses en principe. Je dis
que nous avons eu raison de les ajourner, lorsque les projets n'étaient pas
suffisamment mûris, lorsque à nos yeux l'emprunt dont ils devaient être
l'occasion ne pouvait être prochain ; nous aurions ainsi fatalement augmenté la
dette flottante, sans .pouvoir recourir à la création d'une dette constituée.
Assurément
dans plusieurs débats relatifs aux travaux publics, sous l'administration à
laquelle j'avais l'honneur d'appartenir, on a reconnu qu'un jour viendrait où
il serait nécessaire de convertir en dette constituée une partie de notre dette
flottante ; c'est même sous l'empire de cette pensée que je me suis abstenu
d'émettre des bons du trésor à longue échéance, mesure excellente, si nous
n'avions pas eu en perspective un emprunt.
Mais
ces circonstances ne sont pas venues. Nous savions que tant que durerait la
crise alimentaire, il n'y aurait qu'une voie de salut : c'était d'économiser ;
c'était d'empêcher qu'on ne se lançât trop rapidement dans la voie si facile à
suivre de la création de bons du trésor. C'est ainsi que nous avons compris et
rempli notre devoir ; c'est ainsi que nous avons répondu d'avance aux
accusations qui se renouvellent encore aujourd’hui.
J'ajouterai
même que si la possibilité de réaliser l'emprunt avait existé pour nous, nous
aurions cru devoir faire à la consolidation de la dette flottante une part plus
large que celle que le cabinet lui avait assignée dans le projet qui vous a
soumis le 20 ou le 22 février. En effet, en proposant 78 millions de dépense en
présence d'une dette flottante de 29 à 30 millions, on proposait de ne
consolider que 8 millions de la dette flottante.
M.
le ministre des finances (M. Veydt). - Sur le tiers
de la somme.
M. Malou.
- Vous vouliez rester pendant un temps indéterminé, puisque vous ne prévoyiez
pas l'époque où vous pourriez faire les fonds pour le reste de la dépense, vous
vouliez rester chargés d'une dette flottante de 20 millions.
Telle
est mon observation ; je n'ai rien à en retirer, et c'est dans ce sens que j'ai
dit que vous ne faisiez pas dans votre projet une part aussi large qu'il
convenait à la consolidation de la dette flottante.
Mais
si vous croyiez pouvoir garder indéfiniment une dette flottante de 20 millions,
êtes-vous bien recevable de nous reprocher d'avoir fait dans cinq années de
paix, en présence de tant d'exigences qui affligeaient le gouvernement, d'avoir
fait en travaux utiles, en travaux qui étaient en grande partie le complément
d'une œuvre nationale, une dépense de 20 à 25 millions.
Aujourd'hui,
quelles qu'en soient les causes, quels que soient les coupables (pour moi je me
justifie, je n'accuse personne), les faits sont là. Nous avons à pourvoir non
seulement au maintien du travail, aux besoins de l'armée, mais aux exigences de
notre dette flottante.
On
nous dit, et c'est une observation sur laquelle on insiste beaucoup, on nous
dit : Le côté faible de la situation de la Belgique, c'est le système
financier. Il faut améliorer, il faut fortifier notre situation financière ; il
faut l'améliorer, la fortifier par l'impôt, par l'emprunt.
Le
but est bon, louable ; mais sur les moyens on est dans une erreur complète. Par
l'emprunt, par l'impôt augmenté en maintenant les bases actuelles, vous
affaiblissez votre situation financière, lorsque l'emprunt ou l'impôt ne sont
pas nécessaires, inévitables. S'il est un principe vrai, c'est que l'argent est
dix fois mieux placé entre les mains des particuliers, au point de vue de
l'économie sociale, qu'entre les mains du gouvernement. Si vous pouviez
aujourd'hui supprimer tous vos impôts, demandez-vous, messieurs, quel serait
l'élan, quelle serait l'impulsion que vous donneriez à l'activité nationale, au
travail, à la richesse de toutes les classes de citoyens ! Vous ne le pouvez
pas ; mais au moins en posant cette hypothèse, ne vous ai-je pas fait toucher
du doigt à tous, que lorsque vous décrétez l'emprunt ou l'impôt, vous
n'améliorez pas votre situation financière ? Comme économie sociale, vous
l'affaiblissez au contraire.
Par
l'emprunt vous faites plus. Vous n'affaiblissez pas seulement votre situation
actuelle, vous affaiblissez indéfiniment voue situation. Il semble qu'en créant
un emprunt on s'enrichisse. Mais en créant un emprunt, vous léguez des charges
à l'avenir. Lorsque vous avez une dette flottante que vous convertissez en
dette constituée, vous n'améliorez pas votre situation ; vous changez la nature
d'une dette, et vous laissez l'avenir chargé des intérêts et de l'amortissement
de cette dette.
Ainsi,
en créant des emprunts dont la nécessité ne serait pas démontrée, vous me direz
vainement que vous améliorez votre situation financière. Je répondrai que vous
créez un obstacle de plus à l'amélioration de votre situation, parce que, pour
l'avenir, vous n'aurez plus l'équilibre entre vos recettes et vos dépenses,
qu'en y portant une somme nécessaire pour les intérêts et l'amortissement de
cette dette.
Je
crois, messieurs, ne pas devoir insister sur une vérité aussi élémentaire que
je regrette d'avoir vu méconnaître jusqu'à présent.
Je
ne parle ici que de la question d'économie sociale ; mais permettez-moi
d'indiquer une observation sur le côté politique de cette question.
L'impôt
est la fibre la plus sensible, la plus généralement irritable de toutes celles
que l'on peut toucher dans notre pays. Il ne faut pas inutilement et même sans
une évidente nécessité modifier notre régime d'impôt pour l'aggraver.
Et
pour le dire en passant, que vous appeliez cela impôt ou emprunt, peu importe
aux contribuables, c'est un sacrifice que vous leur demandez, et ce sacrifice,
quelle que soit la forme, agite naturellement les populations. Quant à la force
du gouvernement, mais on l'a dit, le contribuable aime son gouvernement, y est
attaché en raison de ce qu'il lui laisse, et non en raison de ce qu'il lui
prend.
Messieurs,
il y a dans les circonstances actuelles un motif de plus pour que cette vérité
soit reconnue, soit pratiquée par tout le monde. Ce motif, je le puise dans les
incertitudes de l'avenir ; je le puiserais au besoin dans le discours que vient
de prononcer M. le ministre de l'intérieur.
La
crise peut durer longtemps : l'avenir peut être plus sombre. Vous aurez
peut-être de plus grands besoins auxquels vous devrez pourvoir. Mais s'il en
est ainsi, cherchons donc, cherchons tous, avec une patriotique abnégation de
nos opinions personnelles, le moyen de laisser aux contribuables plus de
facultés pour le travail, plus de ressources pour vous aider vous-mêmes avec
une grande énergie, si un jour, vous en avez besoin. N'épuisez donc pas d'un
seul coup tout ce que vous pouvez espérer de lui, alors que vous avez d'autres
moyens de lui épargner ce sacrifice. Il me semble vraiment, messieurs, voir un
général qui commence une campagne difficile et qui ordonne à son artillerie
d'épuiser toutes ses munitions à la première bataille.
Je
n'ai posé jusqu'à présent que le principe qui me sert de point de départ. Je
crois avoir prouvé qu'il est utile et de l'intérêt bien entendu du pays de
laisser au contribuable la plus grande partie de ses ressources ; petits et
grands contribuables, je ne fais aucune distinction ; je me préoccupe
exclusivement de l'intérêt général du pays.,
Ce
principe admis, voyons s'il est nécessaire de demander aujourd'hui au
contribuable 27 millions, après lui en avoir demandé 12, et en lui annonçant
qu'on lui en demandera encore avant la fin de l'année.
Et
d'abord, messieurs, les facultés imposables d'un pays, sans nuire à sa
prospérité, à ses intérêts, ne sont pas indéfinies dans les circonstances
prospères.
Si,
par exemple, la paix, l'activité de votre industrie coïncidaient avec un moment
où vous croirez devoir demander au contribuable, indépendamment des 117
millions qui forment notre budget des recettes, une somme égale à la moitié de
votre budget des voies et moyens, combien, dans cette hypothèse, serait grand
le mal réel, profond que vous porteriez dans toutes les classes de la société !
Eh
bien, messieurs, c'est là ce qu'on s'apprête à demander dans un moment de
crise.
Nous
avons à pourvoir au service de notre dette flottante.
Ici
encore il me suffira de poser les faits tels qu'ils sont. Aujourd'hui je suis,
je suppose, porteur d'un bon du trésor de 1,000 francs. Le bon échoit, je vais
le toucher. Que doit-on me donner ? On doit me donner un billet de mille
francs. Je suppose maintenant que la mesure proposée par la section centrale
soit adoptée ; que donnera-t-on au porteur d'un bon du trésor qui viendra le
présenter au remboursement ? On lui donnera un billet de mille francs. Eh bien,
messieurs, quelle est la différence entre les deux systèmes ? Est-ce que l'un
c'est la banqueroute au bout d'un mois de crise, est-ce que l'autre c'est le maintien
de l'antique loyauté belge, à laquelle nous voulons tous rester fidèles ? Non,
messieurs, les deux systèmes sont identiquement les mêmes quant aux porteurs de
notre dette flottante ; la seule différence consiste en ce que dans le premier
il n'y a qu'un billet de mille fr. en circulation, tandis que dans le système
de la section centrale il y en a un deuxième. Telle est, dans toute sa
simplicité, notre système, et je demande après cela, si l'on peut encore venir
dire que nous voulons la banqueroute.
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas dit que le
fait de donner un billet de banque contre un bon du trésor constitue la
banqueroute ; j'ai dit que le fait de ne pas rembourser la dette constitue la
banqueroute.
M. Malou.
- Je suis heureux d'avoir mal compris cette partie du discours de M. le
ministre de l'intérieur.
Je
disais donc, messieurs, que le système de la section centrale constitue une
exécution aussi complète, aussi loyale de tous les engagements pris par l'Etat
que le système du gouvernement.
Il
ne reste donc que deux questions à examiner ; peut-on, sans danger, mettre en
circulation une plus grande quantité de billets de banque, et cette mesure
n'est-elle pas conseillée par les vrais intérêts du pays.
(page 1378) Peut-on mettre en
circulation une plus grande quantité de billets de banque ? Si MM. les
ministres ont hésité le 20 mars, et selon moi ils ont eu tort d'hésiter, s'ils
n'ont pas voulu, dans une même loi, comprendre tous les besoins qu'on pouvait
prévoir quant à la circulation du papier, ils ne peuvent plus, ce me semble,
hésiter aujourd'hui. En effet, si je suis bien informé, l'on doit aujourd'hui
avoir atteint, ou à très peu de chose près, le maximum de la loi, et cependant
quelle gêne en résulte-t-il dans la circulation ? Quels avantages, au
contraire, comme l'honorable M. Cogels le démontrait tout à l'heure, n'en sont
pas résultés ? Cette loi n'a-t-elle pas été bien accueillie par l'opinion et
sanctionnée par l'expérience ?
L'honorable
ministre de l'intérieur rappelait tout à l'heure qu'il avait souvent rencontré
pour adversaires plusieurs membres de la section centrale et notamment celui
qui vous parle en ce moment, lorsqu'il proposait d'émettre une certaine
quantité de billets. Je me rappelle, en effet, que dans la discussion de la loi
sur la fabrication de la monnaie d'or, l'honorable M. Rogier soutenait qu'il
conviendrait d'émettre, sous la simple garantie de l'Etat, à peu près pour 20
millions de papier-monnaie.
Persistant
dans cette opinion, l'honorable ministre croit, aujourd'hui, qu'on ne peut pas,
sans danger dépasser le chiffre de 34 millions. Messieurs, je suis d'une
opinion complètement opposée. Dans des circonstances normales, lorsqu'il y
avait déjà 22 millions de billets de banque dans la circulation, en ajouter 20
autres c'était déjà dépasser le chiffre qui effraye aujourd'hui M. le ministre.
Mais dans les circonstances actuelles, le pays pourrait plus facilement donner
emploi à 60 ou 80 millions de papier de circulation qu'il ne pourrait en
supporter 40 en temps ordinaire. Cela est de toute évidence, puisque vous avez
précisément de la gêne dans la circulation, faute d'un agent suffisant.
Il
est une autre considération. Supposez un instant que vous émettiez des billets
de banque de la valeur de 10,000 fr. chacun, et demandez-vous combien vous
pourrez en placer dans la circulation ? Je crois que vous ne pourriez pas en
émettre pour 10 millions sans amener une dépréciation très forte ; mais si vous
émettez des billets d'une circulation plus facile, de petites coupures
descendant jusqu'à 5 fr., vous pourrez peut-être sans inconvénient, ou plutôt
au grand profit du public, aller jusqu'à 60 ou 80 millions. L'extension à
donner à vos émissions dépend donc, en grande partie, des coupures que vous
ferez. Vous êtes à même d'étendre les limites de ce que vous pouvez mettre en
circulation.
J'aurais
tort, messieurs, d'insister sur ce point puisque l'on nous annonce d'une
manière indirecte, mais cependant suffisamment claire, qu'il y aura lieu
d'augmenter l'émission. Eh bien, qu'il me soit permis de reproduire la pensée
qui m'a dominé dans la discussion de la loi du 20 mars et qui nous a dominée
tous dans la section centrale. C'était, messieurs, lorsqu'on battait monnaie, de
ne point battre monnaie au profit d'un établissement particulier, mais
d'associer d'une manière quelconque le contribuable belge aux avantages de la
mesure.
Cette
pensée,. lorsque vous pouvez, sans faillir à vos engagements, la réaliser, en
servant les besoins de la circulation, lorsque vous avez pour vous une
expérience complète ; cette pensée, tous nous devons chercher à la réaliser.
Si
la crise n'était pas venue, les banques auraient renouvelé leurs bons du
trésor, comme elles l'ont fait dans d'autres circonstances ; vous eussiez
substitué à l'engagement qui existe de la part du gouvernement à l'égard des
banques, un engagement nouveau du même genre.
Le
résultat de la mesure que la section centrale propose est précisément de
constituer le gouvernement débiteur des banques pour une somme égale à la part
qu'elles ont aujourd'hui dans la dette flottante ; il n'y a pas autre chose
dans la proposition de la section centrale.
L'on
nous effraye de l'immensité des émissions possibles. Mais d'où vient que les
émissions ont été exagérées ? De ce qu'on faisait du papier-monnaie un
expédient, de ce qu'on ne mettait pas à côté du papier de circulation une
garantie réelle.
Que
fait-on pour les banques en temps ordinaire ? On dit à une banque bien
organisée : « Vous ne pouvez pas émettre des billets, si vous n'avez pas en
regard de votre circulation en papier le tiers de cette circulation en espèces.
» C'est la règle de prudence généralement admise pour constituer les banques en
temps normal. Et nous, que faisons-nous ? Nous autorisons les banques à émettre
une certaine quantité de papier, nous nous faisons donner par elles la
contre-valeur entière ; nous y ajoutons la garantie de l'Etat ; et, par
l'émission que la section centrale indiquait, l’on voulait affecter en outre à
ce papier de circulation une garantie spéciale, immobilière, qui est plus forte
que toute la circulation.
Et
vous pourriez craindre que dans de telles circonstances le papier vînt à se
déprécier !1 Mais ce papier ne pourrait se déprécier que si, par une discussion
imprudente sur le système même, vous veniez à faire naître des craintes qui ne
seraient pas légitimes, d'après le caractère, le but de la mesure en elle-même.
Vous
avez donc un frein contre les émissions illimitées, vous avez la certitude que
l'on ne dépassera pas les besoins réels.
Messieurs, à un autre point de vue encore, vous devez
prendre cette mesure. Vous ne pourrez pas faire admettre par le pays, après la
loi du 20 mars, une deuxième loi qui n'ait pas pour caractère d'associer à
l'émission du papier de circulation, sous une forme ou sous une autre,
l'intérêt positif, immédiat du contribuable. Vous serez amenés, je le sais, à
faire quelque chose en faveur d'un établissement dont les intérêts, qu'on les
appelle particuliers ou non, se lient intimement à la fortune de tous, au
maintien de la situation politique ; mais vous devrez associer à cette mesure,
si vous voulez qu'elle soit reçue dans le pays, l'intérêt de tous les
contribuables : c'est ce que nous avons voulu faire, c'est ce que vous serez
amenés à faire vous-mêmes.
Dans
les considérations que je viens de présenter, se trouvent les motifs de mon
vote. Je ne voterai pas pour l'emprunt tel qu'il est proposé, parce que je le
crois inutilement onéreux ; je ne voterai pas pour l'emprunt, parce que, dans
mon opinion, il excède non seulement les besoins, mais les ressources actuelles
du pays ; je ne voterai pas l'emprunt, parce qu'on n'a pas admis un moyen
simple et légitime de le réduire ; enfin je ne voterai pas l'emprunt, parce
qu'on n'y rattache pas, pour la résoudre en même temps, la question inévitable
et nécessairement connexe que je viens d'indiquer.
M. Moreau. -
Messieurs, les grands événements qui se passent autour de nous et qui viennent
d'étonner et d'agiter le monde entier, ont créé chez presque tous les peuples
des besoins pressants et impérieux auxquels il est indispensable de satisfaire.
Ces
secousses violentes que plusieurs nations ont ressenties presque au même
instant ont fortement ébranlé le crédit, base de la richesse publique, et jeté
une épouvantable perturbation dans l'industrie et les relations commerciales.
C'est
dans de pareils moments que l'on doit vivement regretter de trouver les caisses
du trésor à peu près vides ; c'est dans de telles crises que l'on doit vivement
regretter, non seulement de ne pouvoir disposer d'aucun fonds de réserve
sagement accumulé pour les temps calamiteux, mais encore d'être en présence de
dettes considérables qu'il est urgent de solder sous peine de porter l'atteinte
la plus grave au crédit public.
Dans
cet état de choses, que nous devons tous déplorer, permettez-moi, messieurs, de
vous indiquer une des causes qui, ce me semble, n'a pas peu contribué à rendre
mauvaise la position financière de la plupart des Etats de l'Europe.
C'est,
selon moi, parce que les gouvernements se sont obstinés à dépenser en pure
perte et d'une manière improductive un capital immense pour l'entretien
d'armées trop fortes en temps de paix, qu'ils ont obéré davantage de jour en
jour leurs finances, et qu'ils ont été forcés ou d'imposer aux populations des
charges nouvelles, ou de se procurer des fonds au moyen d'emprunts contractés
souvent à des conditions bien onéreuses !
Il
faut le reconnaître, messieurs : que, de choses n'aurait-on pas faites avec une
partie de cet argent, pour l'amélioration matérielle et morale du peuple !
En
Belgique, si depuis 1834, pendant 14 ans, le budget de la guerre n'avait pas
absorbé environ un demi-milliard (497,086,140 fr. 71 c.), nous ne nous
trouverions pas en présence d'un déficit occasionné par une dette flottante
trop forte, et nous ne serions pas dans la dure nécessité de devoir frapper nos
concitoyens d'un emprunt forcé, alors surtout que la plupart d'entre eux ont le
plus grand besoin de toutes leurs ressources pour se procurer peut-être des
objets de première nécessité. Et si pendant ces dernières quatorze années, on
avait réalisé d'autres économies que je ne puis indiquer parce que le moment
n'est pas opportun, si on avait ménagé davantage les deniers publics,
serions-nous, messieurs, je vous le demande, appelés à délibérer aujourd'hui
sur le projet de loi que nous discutons ?
Un
regard en arrière que tous nous pouvons jeter, je dirai quasi avec tristesse
vers le passé, nous fait voir, nous fait reconnaître dans les événements
présents un grand enseignement pour l'avenir. On comprendra bientôt, il faut
l'espérer, qu'il est nécessaire de faire de larges économies, et qu'il est
temps de ne plus vivre au jour le jour comme on l'a fait jusque maintenant,
sans se soucier en quelque sorte du lendemain, car, si lorsqu'on a besoin
d'argent il est assez commode de recourir à un emprunt, c'est un moyen qui n'en
est pas moins ruineux et qui dénote chez les gouvernements comme chez les
particuliers le défaut de prévoyance, d'ordre et d'économie.
Mais
si des fautes ont été commises, il faut en subir les conséquences, il est
urgent de parer aux nécessités présentes, et le moyen que propose le
gouvernement pour atteindre ce but consiste dans un emprunt force.
Il
me semble, messieurs, que pour que cet emprunt puisse se justifier, deux
conditions sont nécessaires, la première, c'est qu'il soit restreint dans les
limites des besoins.
La
seconde, c'est qu'il n'excède pas les ressources des contribuables.
Examinons
donc si le projet d'emprunt dont il s'agit renferme ces deux conditions qui
seules, selon moi, peuvent le légitimer.
Cet
emprunt, comme le dit la section centrale, est destiné à faire face à trois
catégories de dépenses : la dette flottante, l'armée et le maintien du travail.
Dans
les circonstances où se trouve le pays, personne ne contestera qu'il ne soit
urgent de venir en aide aux industries qui sont en souffrance, qu'il soit de
toute justice de procurer du travail au plus grand nombre possible d'ouvriers,
en un mot, à tous ceux qui demandent à gagner honorablement de quoi pourvoir à
leur subsistance.
Aussi,
c'est parce que je suis convaincu qu'il faut, comme on l’a dit avec raison,
maintenir l'ordre par le travail, que je n'ai pas hésité à voter tous les
crédits destinés à être employés d'une manière si utile et si efficace pour le
pays.
C'est
par ce motif que, sans vouloir méconnaître les services que peut rendre la
force armée, j'aurais désiré qu'une partie des fonds que l'on a votés pour le
département de la guerre eût été affectée à l'exécution de travaux publics
nécessaires et qu'on peut faire faire actuellement à des conditions plus
favorables que dans d'autres temps.
(page 1379) Ce dont le peuple a besoin,
ce qu'il demandé au gouvernement, ce sont des mesures sages qui lui assurent
autant que possible du travail et du pain. Les deniers publics employés dans
certaines limites à venir au secours de l'industrie et du commerce procurent
sans nul doute plus de bien-être au pays que ceux destinés à augmenter outre
mesure la force publique, car l'on sait que c'est le malaise du peuple qui est
une des causes les plus actives d'agitations et de désordres.
L'emprunt
doit donc nécessairement couvrir cette catégorie de dépenses.
Mais
en est-il de même des seize millions demandés pour opérer le remboursement des
bons du trésor échéant avant le 1er septembre ?
On
a agité, messieurs, la question de savoir si, dans la situation financière de
la Belgique, on pouvait avec justice demander à un emprunt forcé prélevé sur
presque tous les habitants de quoi rembourser des effets publics qui sont en
général en la possession de personne à l'abri du besoin ?
On
s'est demandé si l'Etat, comme les particuliers qui, quoique solvables, sont
momentanément gênés dans leurs affaires, ne pouvait pas invoquer le bénéfice
d'un sursis et postposer à des temps meilleurs le remboursement de la dette
flottante en accordant même aux détenteurs des bons du trésor, quelques
avantages à titre d'indemnité ou de compensation ?
Résoudre
ces questions affirmativement, ce serait, selon moi, donner au crédit public un
coup terrible dont il ressentirait longtemps les atteintes ; ce serait tarir
pour longtemps cette source puissante de richesse et aggraver le malaise actuel
qui se fait sentir dans les affaires. Car le crédit vit de confiance ; la
moralité et la probité des nations comme des particuliers en forment la base la
plus solide.
Il
faut donc que la Belgique tienne fidèlement tous ses engagements, qu'elle ne se
déshonore pas ; son honneur et son intérêt l'exigent. Nous devons donc
sans hésiter accorder au gouvernement les seize millions qu'il demande pour
rembourser les bons du trésor échéant avant le 1er septembre.
Nous
avons dit, messieurs, en deuxième lieu, que l'emprunt ne devait pas excéder les
ressources des contribuables. Voyons si le projet de l'emprunt, tel qu'il est
proposé, n'atteint pas trop fortement les habitants dans leur avoir, et s'il
n'y aurait pas quelque chose de mieux à faire pour alléger les charges bien
lourdes qu'on veut leur imposer.
On
ne doit pas se le dissimuler, messieurs, le projet du nouvel emprunt a jeté
l'alarme dans le pays. Si les Belges montrent avec raison de l’amour, de
l’attachement pour leur nationalité, pour toutes les institutions qu’ils se
sont données en 1830, s'ils sont disposés à faire les plus grands sacrifices
pour les défendre, il ne faut pas oublier que ces sacrifices trouvent leur
limite dans l'impossible ; il ne faut pas oublier qu'après trois années calamiteuses,
bien des habitants auxquels, d'après le projet de loi, on demande cependant des
avances ne pourront les effectuer sans se priver des ressources qui leur sont
indispensables soit pour satisfaire eux-mêmes à leurs engagements, soit pour
maintenir leur petit trafic, l'exercice de leur profession.
Or,
messieurs, je pense qu'il est un moyen d'alléger considérablement les charges
des contribuables, et de donner en même temps au gouvernement de quoi pourvoir aux
besoins urgents de l'Etat, et le mettre à même de remplir ponctuellement tous
ses engagements.
Ce
moyen est celui qu'a eu l'honneur de vous proposer mon honorable ami M. Lys.
Il
consiste, comme vous le savez :
1°
à émettre pour dix millions de papier-monnaie hypothéqué spécialement sur la
forêt de Soignes et produisant intérêt à 3,65/100 p. c.
2°
A faire supporter le restant de l'emprunt par les plus hauts cotisés, et ceux
qui jouissent de traitements ou de pensions à charge du trésor public.
Permettez-moi,
messieurs, de vous présenter aussi brièvement que possible quelques
considérations à l'appui de cette proposition.
D'abord
je suis intimement convaincu que l'on a commis une faute, et une grande faute,
en rejetant par quelques voix seulement les dix millions de papier monnaie que
la section centrale avait proposé d'émettre lors de la discussion de la loi du
20 mars. La Belgique, qui comptait déjà en circulation 24 millions de billets
banque, et cela pour ainsi dire sur le place de Bruxelles, et dans certain
rayon avoisinant, et 28 millions de bons du trésor, pouvait très bien, comme
elle le peut encore aujourd'hui, supporter cette émission de billets ayant
cours forcé. Je n'ignore pas qu'il y a peut-être quelque danger à proposer
après ce vote semblable mesure ; je n'ignore pas qu'une émission nouvelle
de papier-monnaie, même dans des limites très restreintes, pourra susciter
quelque crainte chez les détenteurs de ces valeurs ; on ne voit en effet que
trop combien la peur exerce une influence fâcheuse, et sur la circulation du
numéraire, et sur le crédit public et privé ; et je conçois qu'il faille
marcher avec beaucoup de prudence, avec prévoyance dans la voie que je propose
de suivre.
Cependant,
messieurs, si la mesure est bonne, si on peut convaincre ceux qu'une crainte
exagérée effraye qu'ils se trompent, si on peut les rassurer, pourquoi, cédant
à des sentiments timorés, n'adopteriez-vous pas une proposition qui, loin
d'avoir un résultat fâcheux, diminue au contraire les charges trop lourdes
qu'on veut faire peser sur nos concitoyens, et leur laisse les capitaux
nécessaires pour maintenir le travail.
Qu'on
ne s'y trompe pas, moins l'emprunt sera élevé, plus la confiance, le crédit
public se rétabliront, plus les habitants conserveront des fonds suffisants
pour faciliter les transactions, les escomptes et donner du travail, chose si
nécessaire à la classe ouvrière.
Je
regrette, messieurs, que le ministère ne se rallie pas à cette proposition
telle qu'elle est formulée par mon honorable ami M. Lys, parce que je la crois
bonne, parce que je la considère comme pouvant être très avantageuse au pays.
Sans
doute, il est difficile de déterminer la quantité de papier-monnaie qu'un pays
peut supporter, il est difficile de fixer les limites que cette émission ne doit
pas dépasser.
Ce
problème si intéressant n'a pas encore été résolu ni par les économistes, ni
par les hommes pratiques ; sa solution est donc laissée à l'appréciation de
chaque individu, qui ne peut se former sur ce point une opinion qu'en tirant
des conséquences des faits qui se passent journellement sous ses yeux.
Cependant,
messieurs, quant à moi, je suis convaincu que les dix millions de
papier-monnaie que je propose de mettre en circulation n'ébranleront pas le
crédit public et n'amèneront aucune dépréciation dans cette valeur.
Beaucoup
de personnes, connaissant mieux que moi les finances, partagent ma conviction,
et le ministère lui-même, à ce qu'il me
paraît, ne voit pas de bien grands inconvénients à adopter cette mesure
; car d'après le rapport de la section centrale, il reconnaît lui-même la
possibilité d'émettre pour quinze millions de cette monnaie, puisqu'il demande
la faculté de faire au besoin cette émission.
S'il
résiste à prendre aujourd'hui semblable mesure, c'est qu'il la réserve pour l'avenir,
c'est qu'il prévoit que, dans certaines circonstances données, il y aura pour
le gouvernement nécessité, impérieuse de se procurer de nouvelles ressources
pour parer à des événements bien fâcheux.
Mais
ces faits nouveaux récemment révélés doivent-ils arrêter l'exécution d'une
mesure bonne, surtout dans la situation financière actuelle de la Belgique ?
Voyez,
messieurs, je vous prie, quelle est notre position. D'un côté nous prétendons
que nous pouvons créer pour dix millions de valeurs et dégrever de pareille
somme nos concitoyens qui souffrent d'une crise présente, d'une stagnation
actuelle dans les affaires ; nous soutenons que nous pouvons instantanément
alléger le fardeau qu'ils doivent supporter, les soulager du payement d'une
partie de l'emprunt ; et de l'autre le gouvernement paraît être d'accord avec nous ; seulement il
ne veut pas, si je puis le dire, dégager le présent, de crainte de grever
l'avenir ; il ne veut pas nous faire jouir d'un bien immédiat et dont nous
pourrions ressentir de suite l'heureuse influence, parce qu'il appréhende un
mal futur.
En
un mot passez-moi la comparaison, il ne veut pas nous sauver d'une tempête,
tout au moins d'une tourmente qui n'est pas sans péril pour le vaisseau de
l'Etat parce qu'a l’horizon s'amoncelleraient des nuages qui feraient présager
un orage.
Eh
bien, messieurs, il me paraît que, placé dans une semblable situation, chacun
de nous aurait bientôt pris une bonne résolution, celle de se sauver avant tout
d'un danger présent.
Nous
connaissons le mal actuel, le remède qu'il réclame, mais nous ignorons
l'étendue des désastres intérieurs qui paraissent menacer le pays. Est-il donc
bien certain que la Belgique déjà si éprouvée doive encore supporter des coups
auxquels elle était loin de s'attendre ? Est-il bien certain qu'elle doive
payer chèrement des fautes qu'elle n'aurait commises que par trop de confiance
?
L'heure
étant avancée, je remettrai à demain, si la chambre m'y autorise la suite de
mes observations. (Oui ! oui !)
- La
séance est levée à 4 heures trois quarts.