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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 avril 1848 (après-midi)
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Fixation de l’ordre des travaux de la chambre.
Emprunt forcé (de Garcia), droits sur les sucres (de Garcia, de Brouckere, Le Hon, Veydt, de
Brouckere, Lejeune)
3) Rapports sur des pétitions
4) Projet de loi d’emprunt forcé. Nécessité de
recourir à cet emprunt. A : économies dans les dépenses de l’Etat ; B :
répartition de la charge (notamment entre contribution foncière et contribution
personnelle et villes et campagnes) ; C : mesure alternatif sous la forme du
cours légal donné aux billets de certaines banques (+soutien à la société
générale et banque de Belgique) ; D : situation sociale du pays ( C, B (Moreau), A (personnel diplomatique et marine militaire),
mesures alternatives (impôt sur le tabac, monopole des assurances par l’Etat),
B, C (d’Hoffschmidt), B (de
Tornaco), fait personnel (Lebeau), B, C (Veydt), C (d’Elhoungne), fait
personnel (Anspach), C (Rogier, d’Elhoungne, Rogier), fait
personnel et/ou rappel au règlement (Malou, Manilius, d’Elhoungne, Malou)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Verhaegen., vice-président.)
(page 1380) M. de Villegas. procède à l'appel nominal à midi et un quart.
La séance est ouverte.
M. A. Dubus. donne lecture du.
procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. de Villegas. communique à la chambre
l'analyse des pièces qui lui sont adressées.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Bernard-Martin
Wille, sous-lieutenant des douanes à Aelbeke, né à Rotterdam, demande la naturalisation
ordinaire avec exemption des droits d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la
justice.
_______________
« Le sieur François
Smoudt, commis négociant à Ixelles, demande de pouvoir recouvrer la qualité de
Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger sans
l'autorisation du Roi, et prie la chambre de l'exempter du droit
d'enregistrement auquel est assujettie la naturalisation. »
- Même renvoi.
_______________
« Plusieurs habitants de Perwez demandent que
les électeurs de l'arrondissement de Nivelles, appelés à procéder au choix de
représentants ou de sénateurs, puissent se réunir à leur chef-lieu de canton,
ou qu'au moins le chef-lieu électoral de l'arrondissement soit transféré de
Nivelles à Wavre. »
- Renvoi à la commission
des pétitions.
_______________
« Quelques habitants de Fayt-lez-Seneffe
demandent l'abrogation de (page 1381)
la loi sur les pensions des ministres, la réduction de quelques traitements, la
révision de la loi sur l’enseignement primaire, du décret du 30 décembre 1809
et de la loi du 18 mars 1838, et un impôt sur le luxe.»
- Même renvoi.
_______________
« Plusieurs habitants d'Alost demandent des
économies dans les dépenses de l'Etat, un impôt sur le luxe, des jetons de
présence au lieu d'indemnité pour les membres de la chambre, la réforme
parlementaire et l'ajournement de la dissolution des chambres. »
- Même renvoi.
_______________
« Le sieur Lejeune présente des observations
contre le projet de loi d'emprunt. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du projet de loi.
_______________
Par message du 19 avril, le
sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi sur les irrigations.
- Pris pour notification.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. de Garcia (pour une motion d’ordre).
- Messieurs, je crois que chacun de nous désire terminer le projet de loi sur
lequel nous discutons. Hier, à la fin de la séance, nous n'étions pas en nombre
pour fixer une séance du soir. Je crois cependant important qu'on en fixe une
aujourd'hui, et dès l'ouverture de la séance j'en fais la proposition.
- Cette proposition est
mise aux voix et adoptée.
La chambre décide qu'elle
se réunira à 7 heures du soir.
M. de Garcia (pour une motion d’ordre).
- Messieurs, je propose de mettre à l'ordre du jour la proposition nouvelle sur
l'impôt du sucre. En faisant cette proposition, je n'entends pas qu'on discute
immédiatement cette proposition, mais je demande qu'après les vacances elle
figure à l'ordre du jour pour être abordée franchement. Car, messieurs, il ne
suffit pas de léguer à nos successeurs des dépenses ; ils ne se plaindront pas,
soyez-en bien convaincus, ils ne se plaindront pas que vous leur léguiez aussi
quelques voies et moyens nouveaux.
M. de Brouckere. - Je crois que la mise à
l'ordre du jour de cette proposition ne préjuge rien. Le rapport est fait, la
loi peut être discutée quand la chambre le voudra.
Sous ce rapport, je ne
m'oppose pas à la mise à l'ordre du jour ; mais je dois déclarer dès
aujourd'hui que je crois qu'il sera très difficile à une chambre placée dans la
position où nous nous trouvons d'examiner une loi comme celle des sucres.
M.
Le Hon. -
Je me joins à l'honorable M. de Garcia pour appuyer la mise à l'ordre du jour
de la proposition de l'honorable M. Mercier ; mais je crois devoir faire une
observation contraire à celle de l'orateur qui vient de parler, afin qu'il ne
se forme aucun préjugé quant à la discussion immédiatement après les vacances.
Car, si jamais proposition a soulevé une question très importante de revenu
public, et mérite la sollicitude la plus bienveillante et la plus sérieuse de
la chambre, c'est assurément celle-là.
Dans la séance d'hier, on
imputait au ministère d'avoir négligé et écarté même à dessein, quelques voies
et moyens dont l'instruction était achevée, notamment le nouveau système
d'impôt proposé sur les sucres. Je dis que la chambre se doit à elle-même, et
doit à l'attente du pays, d'examiner et de résoudre cette question avant la fin
de la session actuelle, si la chose est possible.
M. le ministre des finances
(M. Veydt). - Messieurs, la discussion
de la loi des sucres ne rencontrera jamais, en aucun cas, d'obstacle en moi. Je
suis prêt à y prendre part quand la chambre le voudra ; mais dans les circonstances
actuelles je demanderai, au moins, que le ministre des finances ait le temps
d'étudier la question. Il faut donc qu'il soit bien entendu que la discussion
viendra seulement après les vacances. S'il n'y avait pas d'interruption dans
les travaux de la chambre, je déclare que je serais dans l'impossibilité
d'aborder la discussion.
M. de Brouckere. - Nous sommes tous
d'accord sur la convenance de mettre la loi des sucres à l'ordre du jour, mais
avec la réserve que cette mise à l’ordre du jour ne préjuge rien.
M. Lejeune. - Messieurs, une chose
est bien certaine, c'est que la nouvelle loi des sucres ne pourra pas être mise
à exécution avant le 1er juillet prochain, car je ne pense pas que la chambre
veuille se déjuger à cet égard. La section centrale du budget des voies et
moyens avait proposé des modifications à la loi des sucres. La chambre, à la
presque unanimité, a rejeté les propositions de la section centrale, et a
décidé que la législation actuelle continuerait à subsister jusqu'au 1er
juillet.... (Interruption.) Ce n'est
pas le fond de la question ; ce que je dis se rapporte à l'ordre du jour. Je
dis que si la loi nouvelle, qui serait votée ne peut être mise en vigueur qu'au
1er juillet, il n'y a pas tant de hâte à la discuter. Si la dissolution des
chambres devait avoir lieu sous peu de temps, je dirai aussi que la question
est assez grave pour en laisser la solution à la législature qui viendra après
nous et qui pourrait la discuter avant le 1er juillet.
- La proposition de M. de
Garcia est mise aux voix et adoptée.
RAPPORTS DE PETITIONS
M. Jonet, au nom de la commission
de circonscription cantonale, fait rapport sur les pétitions suivantes. - « Plusieurs
habitants de Westwezel, Loenhout, Esschen et Calmpthout demandent que le
chef-lieu du canton de Brecht soit transféré à Westwezl. »
« Les membres du conseil
communal de Brecht présentent des observations contre la demande tendant à
transférer à Westwezel le chef-lieu du canton. »
La commission propose le
renvoi à M. le ministre de la justice.
- Cette proposition est
adoptée.
PROJET DE LOI D’EMPRUNT FORCE
Discussion générale
M. Moreau. - Messieurs, en soutenant
hier les amendements que l'honorable M. Lys vous a présentés et que j'avais
déjà défendus dans les sections, je vous disais que, selon moi, la Belgique
pouvait émettre encore pour 10 millions de papier-monnaie sans craindre de le
voir se déprécier.
Cette opinion paraît être
partagée par la plupart des membres de la chambre et par le ministère lui-même,
car s'il ne consent pas à recourir à ce moyen efficace pour soulager les
contribuables, c'est qu'il le réserve pour l'avenir, c'est qu'il se dispose à
l'employer en faveur de certaines institutions de crédit, aujourd'hui, à ce
qu'il paraît, périclitantes et que l'intérêt public commanderait de soutenir.
Je comprends qu'il est bien
pénible pour le ministère comme pour la chambre de voir tout à coup surgir un
danger là où certes le gouvernement était en droit de rencontrer un puissant
appui ; je reconnais que ce ne sont pas les membres du cabinet qui ont créé les
difficultés présentes, que ce ne sont pas eux qui ont placé la Belgique dans la
nécessité de s'imposer encore de nouveaux sacrifices pour venir en aide à
certains établissements financiers dont ils ont signalé, il n'y a pas bien
longtemps, la mauvaise direction.
Mais, messieurs, la chambre
peut-elle prendre en considération, les faits qu'on vient de lui faire
connaître ? Peut-elle dès aujourd'hui en apprécier toute la portée, toutes les
conséquences en connaissance de cause ? Peut-elle en un mot, en préjugeant une
question qui n'est soumise à son examen qu'incidemment, ne pas adopter une
mesure qu'elle reconnaîtrait être avantageuse aux intérêts du pays ? J'ose donc
espérer que le gouvernement, reconnaissant qu'une émission de papier-monnaie
peut très bien se faire dans les circonstances actuelles, se ralliera à cette
proposition
Messieurs, les billets au
porteur, que nous proposons de créer, sont quelque chose, de plus qu'un
papier-monnaie, proprement dit. En effet, ils sont d'abord garantis par le
gouvernement et ensuite par un domaine de l'Etat libre de toute charge, qui est
affecté spécialement par hypothèque pour en assurer, dans un temps limité, le
remboursement.
Ils sont de plus productifs
d'intérêt, c'est là un caractère spécial qu'on ne rencontre pas ordinairement
dans le papier-monnaie. Je dirai tantôt pourquoi on a jugé nécessaire de donner
cet avantage à leurs détenteurs.
Je n'ignore pas qu'il y a
une grande différence entre l'argent et le papier-monnaie, que le premier est
une véritable marchandise possédant une valeur intrinsèque, tandis que le
second n'est qu'un signe représentatif du numéraire n'ayant par lui-même aucune
valeur.
Je sais que si la quantité
de papier-monnaie émise en Belgique était telle qu'elle fût sans rapport avec
les besoins du capital circulant, ce papier, quelles que fussent même les
garanties qui en assureraient la bonté, perdrait de sa valeur et ferait hausser
le prix puisqu'il est constant que même une trop grande abondance d'argent
monnayé dans la circulation agit défavorablement sur le cours du change.
Toutefois, je ne pense pas,
comme je l'ai déjà dit, que ce danger soit à craindre aujourd'hui, alors que la
plus grande partie du numéraire reste cachée, et est retirée de la circulation.
Mais y eût-il même à
craindre que ces dix millions fussent de trop dans la circulation, il me paraît
qu'ils ne pourraient exercer aucune influence bien fâcheuse ni sur les prix, ni
sur le cours du change, car il ne faut pas oublier qu'ils produisent des
intérêts, qu'ainsi cette espèce de papier-monnaie peut tantôt jouer le rôle de
numéraire en alimentant la circulation, tantôt être considéré par le détenteur
comme un placement de fonds, comme un capital fixe puisqu'il donne des
intérêts.
Ainsi suivant que les
besoins des transactions exigeront plus de valeurs en circulation, ce papier
pourra prendre le caractère de capital roulant ou restera, je puis le dire, un
capital immobile.
Il est certain que le
principal avantage que l'on trouve dans l'argent monnayé est celui de
constituer un capital mobile pouvant, par la facilite de sa circulation, servir
aux transactions de toute espèce, car l'argent enfoui dans les coffres forts
reste évidemment improductif ; il peut sans doute être utile, puisqu'il
conserve sa valeur, mais il ne donne de véritables avantages que lorsqu'il
circule ; c'est donc la circulation de l'argent qui le rend productif.
Si, par conséquent, on peut
rendre jusqu'à certain point et dans certaines limites le capital fixe, mobile,
lui donner le caractère de capital roulant, on fait une chose qui intéresse au
plus haut degré les progrès des richesses.
Or, messieurs, vous faites,
selon moi, cette chose utile en créant le papier-monnaie que je propose, car il
porte en lui-même une garantie spéciale et. déterminée par l'hypothèque qui en
assure le remboursement, et il peut entrer dans la circulation et même en
sortir en conservant, par les intérêts qu'il produit, une certaine valeur qui
augmente chaque jour, vous pouvez, donc ce me semble, sans froisser aucun
intérêt, voter cette émission nouvelle de papier-monnaie.
D'après le système que nous
proposons et après avoir soustrait du montant de l'emprunt à faire cette somme
de dix millions, nous demandons, (page
1382) messieurs, que le restant soit supporté par les fonctionnaires et les
pensionnés de l'Etat et par les 4,000 contribuables payant les cotes les plus élevées
des impositions foncière et personnelle réunies.
Il me sera facile, ce me
semble, de justifier ces deux bases de l'emprunt.
Pour les traitements nous
demandons, messieurs, qu'on fasse la même retenue que celle qui a été opérée
par la loi du 5 avril 1831.
Aujourd'hui comme alors les
besoins du trésor étaient pressants ; il y avait stagnation dans les affaires
et il s’agissait de maintenir l'ordre, le travail et de s'imposer des
sacrifices pour consolider l'indépendance de la Belgique. Cette mesure a reçu
son exécution sans susciter le plaintes, et les mêmes causes, les mêmes
circonstances la justifient assez sans qu'il soit nécessaire de l'appuyer par
d'autres considérations.
Si, messieurs, les bases
que le gouvernement propose pour asseoir l'emprunt sont admises, il est
constant qu'il sera réparti d'une manière plus ou moins inégale, qu'il ne
pèsera pas sur les contribuables en raison de leurs facultés, de leurs revenus.
Tel qui par sa fortune pourrait très bien supporter cette charge extraordinaire,
qui pourrait faire au gouvernement cette avance de fonds sera épargné, tandis
que tel autre, malgré de pressants besoins, payera beaucoup trop.
Il faut, messieurs, selon
nous, prendre l'argent où il est, et ne pas le chercher où il ne se trouve
point.
Il faut que ceux-là qui ont
le plus d'intérêt à conserver ce qu'ils possèdent contribuent largement à ce
qui se fait principalement pour garantir ce qu'ils ont. D'après le système que
nous proposons, il n'y aura que ceux qui en général peuvent payer qui seront
tenus de participer à l'emprunt.
Tandis que, suivant le
projet de loi, vous transformez en prêteurs, en bailleurs de fonds, des
personnes qui sont loin d'avoir assez pour elles-mêmes ; vous exigez que
ceux-là auxquels ce serait peut-être un devoir pour l'Etat de donner de
l'argent, lui en prêtent au contraire,
Ce que j'avance, messieurs,
n'a rien d'exagéré ; ce que je dis est tellement vrai, tellement senti par tout
le monde, qu'il se forme sur différents points du pays des associations dont le
but louable est de diminuer les charges que l'emprunt doit faire peser trop
lourdement sur certains contribuables.
Ces personnes qui
s'associent avec cette intention charitable reconnaissent donc que l'emprunt,
assis sur les bases proposées, ne sera pas équitablement réparti, qu'il
atteindra nécessairement des citoyens qui ne pourront le payer.
L'établissement de cette
nouvelle espèce d'institution charitable, destinée à corriger en quelque sorte
une loi non encore votée, à en atténuer les effets désastreux, prouve à
l'évidence que la loi qu'on vous propose de décréter est mauvaise, qu'il y a
quelque chose de mieux à faire et que, si l'on fait un appel aux classes aisées
de la société en votant la proposition dont il s'agit, elles montreront dans
cette occasion qu'elles savent faire abnégation de leurs intérêts particuliers,
lorsqu'il s'agit du bien général.
Le système, messieurs, que
nous avons l'honneur de vous proposer est sans nul doute plus simple, beaucoup
moins compliqué et plus juste que celui présenté par le gouvernement.
Quoi de plus facile, en
effet, que d'employer, pour connaître le revenu foncier de chacun des
contribuables, les moyens dont on veut faire usage pour s'assurer du revenu des
rentiers ? Le nombre des propriétaires payant certaine quotité de contribution
foncière assez élevée, ne doit pas, ce me semble, dépasser celui des
possesseurs de rentes hypothécaires, et ainsi le dépouillement des déclarations
que nous demandons qu'on exige des premiers pourra se faire avec autant de
facilité, que le triage des renseignements que les seconds doivent fournir.
Sans doute il ne sera pas
facile de vérifier sur-le-champ l'exactitude de ces déclarations ; mais le
sera-t-il davantage de rechercher si telle ou telle rente n'a pas été omise, si
elle n'a pas été remboursée. La peine d'ailleurs que la loi comminera contre
les auteurs de fausses déclarations suffira pour prévenir en général la fraude
et il faut espérer que les Belges aisés auxquels on demandera ces avances
montreront assez de patriotisme pour ne pas tâcher de se soustraire aux
obligations que la loi leur imposera.
Si, messieurs, dans notre
système nous prenons la contribution foncière et la contribution personnelle
pour une des bases de l'emprunt, ce n'est pas pour le faire peser de toute
manière sur la propriété, mais nous considérons l'impôt foncier comme la mesure
du revenu des contribuables que nous croyons être les mieux à même de venir en
aide, dans les circonstances actuelles au trésor de l'Etat.
Nous ne nous dissimulons
pas que cette mesure, ce moyen d'apprécier le revenu est encore bien imparfait,
bien incomplet, mais à défaut de temps et de renseignements suffisants, nous
avons pensé qu'il pouvait nous servir de guide et que s'il laissait échapper à
l'emprunt quelques habitants qui devraient y prendre part, il nous donnait du
moins un résultat satisfaisant et que tous nous devons désirer celui de ne
demander de l'argent qu'à ceux qui peuvent le mieux en prêter.
Après avoir examiné d'une
manière générale les bases de l'emprunt, qu'il me soit permis, messieurs, de
vous présenter quelques considérations spéciales sur la troisième.
L'emprunt a pour troisième
base, les propriétés foncières non bâties tenues en location.
Je ne puis, messieurs, en
aucune manière, adopter cette base, parce que je la regarde comme injuste,
comme causant le plus grand préjudice a l'agriculture.
Elle est injuste,
messieurs, parce qu'elle consacre l'inégalité dans la répartition.
Elle est préjudiciable à
l'agriculture parce qu'elle atteint directement et indirectement ceux qui ont
besoin de tout leur argent pour faire fructifier la terre.
Et d'abord, messieurs, en
exigeant du fermier une partie de l'emprunt, on frappe une seconde fois le
revenu foncier, mais seulement celui que recueille le locataire. Si un grand
propriétaire exploite par lui-même sa ferme, il concourra bien à l'emprunt en
raison de l'impôt foncier, mais il n'y participe pas en raison du produit qu'il
retire de cet immeuble, comme étant, si je puis le dire, son propre fermier,
comme exploitant.
Ainsi, si vous cultivez une
ferme à titre de locataire, vous payerez ; mais si vous en êtes propriétaire et
que vous l’exploitiez vous-même, vous ne payerez pas davantage que tout autre
propriétaire.
En un mot, si, étant
propriétaire d'une ferme, vous en tenez une autre en location de même
contenance, vous contribuerez à l'emprunt d'après la première et la troisième
base, c'est-à-dire, et comme propriétaire et comme locataire ; mais si vous
cultivez la vôtre, on vous demande moins. Je ne sais même ce que l'on fera
payer si on exploite une ferme dans laquelle on possède une part médiocre (part
qu'il sera bien difficile au fisc de reconnaître) ; car on cultive, en ce cas,
une partie de cet immeuble comme propriétaire et une partie comme locataire.
Je ne comprends pas en
vérité pourquoi on a fait cette distinction entre le propriétaire cultivateur
et celui qui n'est que locataire.
Messieurs, il y a plus ;
si, quoique propriétaire la côte de la contribution foncière que vous payez
dans la commune est rangée dans le quart des cotes non imposées, vous ne faites
aucune avance de fonds à l'Etat ; mais soyez seulement locataire de quelques
pouces de terrain, cultivez seulement de quoi nourrir une vache ou recueillir
quelques denrées alimentaires pour votre ménage, on vous impose ; car quand il
s'agit de locataires on leur fait payer l'emprunt quel que soit le montant
d'imposition foncière.
Enfin, messieurs, quantité
de terrains très productifs donnent des revenus considérables sans être élevés
; tels sont grand nombre de prés de pâture, les bois et les forêts, et par cela
seul que l'on recueille les fruits de ces terrains directement sans
l'intermédiaire d'une tierce personne, en dispense leurs revenus de servir de
base à l'emprunt.
Vous le voyez, messieurs,
si on conserve cette base de l'emprunt, on commettra bien des injustices ; bien
des anomalies choquantes auront lieu.
Ainsi donc cette partie de
l'impôt sera non seulement injuste, mais comme je l'ai dit et vais le prouver,
elle nuira essentiellement à l'agriculture.
Que demande-t-on, en effet,
aujourd'hui de toute part ? C'est que l'on accorde à l'agriculture une
protection non pas consistant en de vaines paroles ou en promesses éphémères,
mais une protection réelle et efficace. Or, messieurs, ce dont les hommes
compétents en cette matière se plaignent le plus, c'est que les capitaux
manquent à l'agriculture ; tous ils reconnaissent qu'il faut créer des banques
agricoles, qu'il faut augmenter et fortifier par tous les moyens possibles le
crédit agricole.
En effet, messieurs, l'on
comprend aisément qu'il est impossible d'améliorer la terre, d'opérer des
défrichements sans fonds, sans argent, et l'on sait que celui-là qui se
trouverait dans l'impossibilité de maintenir pendant une seule année son
terrain en bon état de fertilité éprouve le plus grand préjudice.
Cependant, messieurs, quel
sera le résultat immédiat de l'emprunt ? Evidemment d'enlever à l'agriculture
du royaume, d'après le projet primitif, plus de 3 millions de fr., réduits
aujourd'hui à 1,500 mille fr., que l’on tire directement de la poche des
habitants qui cultivent, qui font fructifier le capital foncier, 1,500 mille
fr. qui étaient destinés, par ceux qui en seront privés, à se procurer souvent
du bétail, des engrais, à faire exécuter des travaux de toute espèce et
productifs.
Si, messieurs, vous
adoptiez cette base de l'emprunt, vous commettriez une grave inconséquence, car
d'un côté vous voteriez chaque année des fonds pour l'amélioration de
l'agriculture que vous lui enlèveriez de l'autre dans une proportion bien plus
forte. Vous auriez voté des crédits considérables pour favoriser le
défrichement, et à peine ces terres meubles auront-elles donne quelques chétifs
produits, quelque revenu, que vous viendrez l'entamer en exigeant de celui-là
même qui aura mis ces terrains en valeur une part de ses produits, une part de
ce qui pour lui est un véritable capital productif.
Il n'y a pas bien
longtemps, messieurs, que sous prétexte que le revenu agricole du fermier ne
paye rien à l'Etat, sous prétexte qu'il est exemple du droit de patente, on a
cherché à l'imposer, à en faire une nouvelle matière à impôt.
Il n'y a pas bien longtemps
que dans un projet de loi sur la contribution personnelle on a voulu imposer
les bestiaux de toute nature.
Vous n'avez pas oublié,
messieurs, comment ce projet de loi a été reçu par le pays, que la répulsion
qu'il a éprouvée de toute part a été telle qu'il n'a pas eu même l'honneur de
subir une discussion.
Eh
bien, je regrette vivement que le ministère semble vouloir représenter cette
malheureuse idée, et la présenter aujourd'hui sous une forme nouvelle. Je
regrette que, comme dans ce fameux projet de loi, on veuille actuellement
atteindre le revenu du cultivateur locataire, comme on voulait en ce temps
frapper son capital productif dans ses bestiaux, et par conséquent dans leurs
produits.
Je regrette que l'on mette
en avant cette mesure, qu'on l'exhume de nouveau alors que l’industrie
agricole, comme toute autre, est en souffrance, car il ne faut pas se faire
illusion, dans ces temps calamiteux les cultivateurs de plusieurs provinces, et
je citerai particulièrement ceux de l'arrondissement qui m'envoie ici, sont
loin de vivre avec aisance, de posséder même plus que le strict nécessaire.
(Erratum, p. 1436) Je repousserai donc de toutes mes forces la
troisième base de l'emprunt.
(page 1383) M. le ministre des affaires étrangères (M.
d’Hoffschmidt). - Messieurs, je pensais laisser le soin de
défendre le projet de loi à d'honorables collègues plus versés que moi dans les
questions financières ; mais le débat se prolongeant beaucoup plus que je ne
m'y attendais, et ayant même revêtu hier un certain caractère d'irritation, je
crois devoir, à mon tour, prendre part à la discussion.
Avant d'aborder les
objections qui ont été faites contre le projet de loi, je dirai quelques mots
de la question d'économie qui a été si éloquemment développée par un honorable
député de Gand. Ma tâche, du reste, a été singulièrement simplifiée hier par
l'honorable M. Lebeau, et il me restera même peu de chose à dire après lui.
Cependant, comme on a
principalement cité deux branches d'administration qui appartiennent au
département des affaires étrangères, comme devant être la source de larges
économies ; que non seulement on en a parlé dans cette enceinte, mais que de
nombreuses pétitions sont venues les réclamer, je crois qu'il est bon de
revenir sur ce sujet, qu'il est bon de dissiper les illusions qui tendraient à
croire que là est une source d'économies extrêmement féconde ; et qui
pourraient même avoir une certaine influence sur le chiffre de l'emprunt
proposé.
Messieurs, mes honorables
collègues vous l'ont déjà dit, le ministère est aussi convaincu que qui que ce
soit de l'impérieuse nécessité d'introduire de larges économies dans les
budgets de l'Etat. La question est de savoir jusqu'où iront ces économies, car
personne n'entend sans doute qu'on en vienne à une espèce de désorganisation
administrative qui ne permettrait plus en quelque sorte à la machine
gouvernementale de marcher.
Messieurs, qu'on me
permette de le rappeler, déjà avant le 24 février, le ministère était entré, en
présentant les budgets pour l'exercice de 1849, dans la voie des réductions.
En effet, comparés aux
budgets de l'exercice actuel, ils présentent une diminution d'environ
1,500 ;000 fr. ; et dans mon budget particulier qui était presque toujours
resté immuable, ou qui, s'il avait subi des modifications, les avait subies
dans le sens des augmentations ; eh bien, dans mon budget particulier pour
1849, j'ai déjà proposé une réduction de plus de 100,000 fr.
Maintenant que des
événements tout à fait extraordinaires ont jeté la perturbation dans les
finances de tous les pays, ont tari en quelque sorte les sources de la richesse
publique, en présence des charges que ces événements nous imposent, nous
sentons plus que jamais l'impérieuse nécessité d'entrer plus avant encore dans
la voie des économies.
Aussi, messieurs, toutes
les économies que nous pourrons réaliser d'ici à la convocation de la nouvelle
législature, nous nous empresserons de les faire ; et lorsque l'on examinera
les budgets de 1849 des réductions nouvelles plus fortes que celles que nous
avions proposés primitivement seront soumises aux chambres.
La chambre n'entend pas
sans doute que j'entre dans l'examen de ces réductions, car il n'y aurait pas
de raison pour qu'à propos de l'emprunt on ne passât en revue tous les budgets
de l'Etat.
Je me bornerai à rappeler
ce que vous disait hier l'honorable M. Lebeau, c'est qu'en définitive la
diplomatie ne coûte pas même, comme on l'a dit hier, 800 mille francs, car il
faut déduire de cette somme les consulats rétribués, que personne, je crois, ne
veut réduire ni supprimer, puisque au contraire on a toujours encouragé le
gouvernement à en augmenter le nombre ; or si on déduit les dépenses destinées
aux consulats et aux frais consulaires, la diplomatie coûte annuellement
environ 650 mille francs. Notre diplomatie a été établie d'après les usages
européens, et les traitements de nos agents, consacrés par de nombreux votes,
sont, comme on l'a souvent démontre, inférieurs à ceux des agents de la
diplomatie européenne.
Dira-t-on que nos agents
peuvent faire de larges économies sur leur traitement ? Je puis assurer la
chambre qu'il n'est pas un seul membre du corps diplomatique qui ait fait des
économies, et que la plupart doivent avoir recours à leur fortune personnelle.
On a parlé des titres
accordés à notre diplomatie. Mais ce n'est pas le titre qui fait la charge pour
le contribuable, c'est le traitement. Peu importe le titre si le traitement
n'en est pas plus élevé. On a dit que nous ne devions pas avoir d'ambassadeurs
; d'abord nous n'en avons jamais eu qu'un seul, et son traitement n'est pas
plus élevé que celui du ministre plénipotentiaire qui l'avait précédé, et
d'ailleurs sous peu nous n'aurons plus d'ambassadeur.
Nous avons aussi des
ministres résidents ; c'est encore un titre qu'on a accordé à des agents sans
leur donner un traitement plus élevé qu'à de simples chargés d'affaires.
Si, messieurs, je présente
ces observations, ce n'est pas que je me refuse à réaliser des économies sur ce
chapitre ; elles entrent au contraire tout à fait dans mes vues. Je suis
persuadé même que les agents qu'elles atteindront comprendront que, dans les
circonstances où nous nous trouvons, il faut, dans l'intérêt du pays, céder à
de légitimes exigences.
Quant à la marine
militaire, il s'agit de savoir si elle doit être entièrement supprimée. Nous
examinerons franchement cette question, nous la discuterons de bonne foi devant
la nouvelle législature, mais il me semble qu'une institution qui existe en
Belgique depuis 1830 mérite bien un examen spécial avant qu'on en vienne à la
suppression. Je suis persuadé du reste qu'on s'est exagéré les économies qu'il
est possible de faire sur ce chapitre.
Le chapitre de la marine,
qu'on a appelé longtemps le budget de la marine, s'élève à 1,305,000 francs. Ne
croyez pas, messieurs, qu'on puisse faire disparaître entièrement ce chiffre :
il y a plusieurs articles qui dans tous les cas devront nécessairement être
maintenus ; ce sont ceux qui sont destinés à des services productifs qui
rapportent à l'Etat plus qu'ils ne coûtent.
Ainsi les recettes du
pilotage sont portées au budget pour 625,000 fr., les commissariats maritimes
pour 35,800 fr., le service d'Ostende à Douvres pour 312,000 fr., le passage de
l'Escaut pour 45,448 fr. Total, 1,018,248 fr.
Si nous déduisons cette
somme du chiffre de 1,300,000 fr. il restera en définitive comme excédant de
dépense 287,000 fr.
Notre marine militaire se
compose de : un brick, le Duc de Brabant ; une goélette, la
Louise-Marie ; deux canonnières (il y en avait 3 ; j'en ai supprimé une).
Le brick et la goélette occasionnent annuellement une dépense de 200,000 fr.
En admettant la suppression
de ces deux navires et en laissant les deux canonnières pour surveiller la
quarantaine, on n'obtiendrait pas la réduction de la totalité de cette somme,
parce qu'il y a un certain nombre d'officiers et de sous-officiers, que vous ne
pouvez mettre sur le pavé.
Ce sont des hommes qui,
pour suivre cette carrière, se sont livrés à de longues études, ont couru des
dangers réels, ont montré un zèle, et une fidélité à toute épreuve pour le
service de l'Etat. Ils sont donc dignes de toute votre sollicitude. En leur
donnant le traitement de non-activité, cela reviendra à une somme de 63,000
fr., ce qui réduirait donc l'économie à 137,000 fr. Ajoutez cette économie à celle
de 200,000 fr. qu'indiquait hier l'honorable M. Lebeau comme possible sur les
traitements du corps diplomatique, vous arriverez au chiffre de 337,000 fr.
Vous le voyez donc,
messieurs, cette réduction ne peut exercer la moindre influence sur la proposition
qui vous est faite, sur le chiffre de l'emprunt.
J'aborde maintenant,
messieurs, les objections qui ont été faites contre le projet de loi.
La nécessité de l'emprunt
n'a été contestée par personne ; on la reconnaît de toutes parts. Les orateurs
qui ont pris la parole annoncent même qu'ils désirent mettre le gouvernement en
mesure de satisfaire toutes les exigences de la situation. On ne diffère que
sur le mode ; la section centrale propose un autre système.
Nous nous en occuperons
tout à l'heure.
Puisqu'on reconnaît que le
ministère a bien fait de demander l'emprunt qu'il était impossible de s'en
dispenser, qu'il ne pouvait avoir recours qu'au pays, on croirait que du moins
on lui tiendra compte des difficultés de la situation, qu'on lui épargnera d'injustes
accusations. Eh bien, messieurs, dans la séance d'hier, le cabinet a été, au
contraire, l'objet des reproches les plus amers.
Un honorable député qui
avait pris rarement la parole dans nos débats, que nous ne connaissions jusqu'à
présent que par sa modération, a tout à coup attaqué le ministère avec une
vivacité, je dirai même avec une violence qui a surpris tout le monde. Et
pourquoi l'honorable député de Dinant a-t-il montré tant d'aigreur contre le
ministère ? Je suis encore à me le demander.
Est-ce parce qu'il
reconnaît que l'emprunt n'est pas nécessaire ? Pas du tout, messieurs ; il a
déclaré même en terminant qu'il voterait en faveur du projet de loi.
Est-ce parce qu'il
blâmerait l'application de l'emprunt ? Non, l'honorable M. de Liedekerke a déclaré
que l'application qu'on en faisait à l'armée, aux travaux publics, avait été
sagement réglée.
Est-ce qu'il reprocherait
au ministère de ne pas avoir rempli ses devoirs dans les circonstances graves
où nous nous sommes trouvés, de n'avoir pas pris des mesures pour faire
respecter le territoire, pour maintenir l'ordre à l'intérieur ? Non, messieurs,
tout le monde rend, je crois, cette justice au ministère, y compris M. de
Liedekerke, qu'il s'est montré à la hauteur de sa mission.
Est-ce que l'honorable membre
prétendrait qu'on n'a pas conservé avec les puissances étrangères, dans ces
temps difficiles, les relations les plus amicales ? Non, messieurs, nous
sommes, je crois, dans une position diplomatique on ne peut meilleure vis-à-vis
de toutes les puissances, sans exception. Jamais la Belgique n'a été aussi
respectée, aussi considérée dans tous les pays qu'elle l'est actuellement, tant
au midi qu'au nord.
En quoi consistent donc les
reproches qu'il nous fait ? Les voici : M. de Liedekerke nous reproche de ne
pas avoir présente aux chambres une loi sur les sucres, de ne pas avoir
présenté une loi sur le tabac ; enfin de ne pas avoir soumis à la législature
le projet de loi sur les assurances. Voilà la cause de son irritation.
Messieurs, l'honorable
membre n'ignore pas que, quant à la question des sucres, il y a une loi votée
l'année dernière, qui ne doit expirer que le 1er juillet, et qui constitue un
engagement pris vis-à-vis du commerce et de l'industrie ; loi qui a été
présentée par l'honorable M. Malou qui, je crois, a toutes les sympathies de
l'honorable M. de Liedekerke. Eh bien, jusqu'à l’expiration de cette loi, il ne
pouvait pas être question d'en mettre une autre en vigueur.
Une loi sur les tabacs ?
Mais l'honorable M. de La Coste le disait hier : l'honorable M. Mercier a, dans
le temps, présenté une loi, pour l'augmentation des droits sur les tabacs, et
cette loi a été repoussée dans cette enceinte ; elle a valu de vifs reproches à
l'honorable M. Mercier, et elle a été combattue surtout par qui ? par
l'honorable M. Malou.
Enfin, quant au projet sur
les assurances, le ministère n'est pas opposé au principe des assurances par
l'Etat. Mais l'honorable M. de Liedekerke (page
1384) a-t-il parfaitement étudié cette matière ? Croit-il qu'on peut
discuter immédiatement cette loi et en faire l'application ? Messieurs, c'est
une des lois les plus difficiles ; c'est une des questions les plus sérieuses
qu'on puisse soumettre à cette chambre. Nous l'avons examinée dans le sein du
conseil des ministres, et malgré les études dont cette question avait déjà été
l'objet, nous avons trouvé que la question n'était pas assez mûrie. Il nous
manquait même les renseignements statistiques les plus indispensables pour
juger en connaissance de cause et pour que nous pussions soumettre la question
à la chambre.
Voilà, messieurs, en
définitive, les griefs de M. de Liedekerke. Voilà à quoi ils se réduisent.
Aussi, je le répète, l'honorable préopinant, après nous avoir attaqués aussi
vivement, a fini par déclarer qu'il voterait en faveur du projet de loi.
Seulement il nous en laisse, dit-il, la responsabilité ; c'est-à-dire qu'il
accepte les bénéfices de la loi, mais qu'il en rejette les charges : c’est plus
commode.
Voyons, messieurs, ce que
pouvait, ce que devait faire le ministère dans les circonstances graves où il
s'est trouvé. Voyons la situation qui lui était faite et au moment de son
avènement et au 24 février.
On vous l'a dit hier,
messieurs, l'impérieuse nécessité de l'emprunt était constatée, reconnue depuis
longtemps. Elle l'était déjà il y a deux ans ; elle l'était par l'ancien
cabinet lui-même ; elle l'était par tout homme qui a l'habitude de s'occuper
des affaires du pays. N'avait-on pas en effet déjà, avant l’avènement du
ministère, une dette flottante extrêmement élevée ? N'avait-on pas devant soi
les besoins du chemin de fer ? les besoins pour l'achèvement des travaux déjà
décrétés ; pour ceux entrepris et à entreprendre dans l'intérêt des Flandres ?
Il fallait faire face à tous ces besoins ; c'était indispensable, et on ne
pouvait le faire que par un emprunt.
Le cabinet, quand il est
arrivé aux affaires, n'a pas dissimulé la situation financière ; il a fait
connaître la nécessité de l’emprunt. Mais vous le savez, pendant l'hiver, une
crise financière des plus graves pesait sur le pays et sur tous les marches du
monde. Le moment n'était donc pas favorable pour s'occuper d'un emprunt. Et
quand bien même un emprunt eût été contracté pendant l'hiver, savez-vous ce qui
serait arrivé ? C'est que l'emprunt n'aurait pas été payé, comme cela est
arrivé pour l'emprunt français.
Ainsi, sur ce point il est
impossible d'adresser le moindre reproche au ministère.
C'est donc dans cette
situation, c'est lorsque l'obligation impérieuse de contracter un emprunt était
constatée et pleine d'urgence, que les événements du 24 février ont éclaté.
Il y avait à pourvoir aux
besoins du passé que je viens d'énumérer. Il y avait à pourvoir aux besoins du
présent. Il fallait prendre des mesures pour le maintien de l'ordre, pour préserver
le territoire de toute attaque. Il fallait constituer une neutralité forte qui
est la base de notre politique et qui a déjà été proclamée des 1840 dans cette
enceinte aux applaudissements du pays.
Il fallait enfin,
messieurs, pourvoir aux nécessités de l'avenir ; il fallait empêcher qu'une
masse d'ouvriers ne fût jetée sur le pavé et ne portât le trouble dans le pays.
Telle a été la situation
grave, difficile, dans laquelle s'est trouvé le ministère au milieu des dangers
politiques dont il était entouré.
Eh bien, messieurs, il ne
s'est pas découragé. Il a eu confiance dans le pays. Cette confiance n'a pas
été trompée ; elle ne le sera pas encore.
Que pouvait-il faire,
messieurs, pour parer aux exigences financières ? Faire un emprunt, soit
au-dehors soit au-dedans du pays. Eh bien, l’emprunt au-dehors du pays a été
tenté ; on a cherché à éviter aux contribuables les sacrifices qu'on leur
demande actuellement. Des tentatives ont été faites, poursuivies sur les
grandes places financières de l'Europe. Un instant nous avons espéré pouvoir
réaliser cet emprunt. Mais, malgré toute notre persévérance, malgré les soins
que nous y avons mis, malgré des influences puissantes, nous n'avons pu
réussir. Ce n'est point cependant à cause d'une défiance dans le crédit de la
Belgique que nos offres n'ont point été acceptées, mais c'est à cause de
circonstances extraordinaires qui empêchaient toute espèce de prêt. Tout autre
pays, tout autre gouvernement aurait échoué comme nous.
Messieurs, c'est le 15 mars
que nous avons reçu la nouvelle qu'il ne restait aucun espoir de réaliser un
emprunt à l'étranger, et le 16 mars nous avons présenté le projet actuel. Aucun
retard n'était permis.
Eh bien, messieurs, lorsque
le projet de loi qui vous est soumis est présenté dans des circonstances
pareilles, lorsque nous ne cédons qu'à l'impérieuse nécessité, il semble qu'on
doit en tenir compte au ministère. Il faut qu'on soit juste envers lui. Ce
n'est pas le ministère, messieurs, qui a créé le déficit. Ce n'est pas lui, à
coup sûr, qui est cause de ces graves perturbations qui entraînent de si
lourdes charges pour le pays. Ce n'est donc point par légèreté ni pour sa
satisfaction personnelle, qu'il présente l'emprunt ; c'est parce qu'il lui est
impossible de se soustraire à une implacable nécessité.
Messieurs, un de mes
honorables collègues du Luxembourg a aussi adressé au ministère des reproches
très vifs. Il en est un qu'il m'est impossible de passer sous silence, c'est
celui qui se rapporte à la province de Luxembourg.
Je sais parfaitement et je
n'entends pas le dissimuler, que l'emprunt n'est pas populaire dans, les
campagnes du Luxembourg. Je sais qu'on y aura de grandes difficultés d'y
satisfaire. Cependant si nous en jugeons parce qui s'est passé pour le premier
emprunt. par l’empressement avec lequel il a été payé, pourquoi ne pas croire
qu'on fera de nouveaux efforts pour le deuxième ?
Je sais, messieurs, qu'il
serait beaucoup plus populaire aux yeux des habitants des campagnes du
Luxembourg de voter contre l'emprunt que de voter pour l'emprunt. Mais,
messieurs, cette position, je n'ai point voulu l'accepter. Puisque je me
trouvais à la tête des affaires dans un moment aussi critique, aussi difficile,
j'ai voulu accepter toute la responsabilité, toutes les conséquences de cette position.
Il est possible que la présentation de ce projet de loi puisse même
compromettre ma réélection. Eh bien, cela ne m'a point arrêté. J'aurais
considéré comme une véritable lâcheté de chercher à me soustraire aux
nécessités de la situation. J'ai voulu m'associer à mes honorables collègues et
amis dans ces circonstances difficiles et ne point hésiter à présenter avec eux
le projet de loi qui vous est soumis, et j'en accepte toute la responsabilité.
L'emprunt, a dit
l'honorable M. Orban, fait peser de lourdes charges principalement sur le
Luxembourg, et cette province ne jouit pas de ses avantages. Examinons,
messieurs, quelle sera l'application principale de l'emprunt.
Il s'agit d'abord de
satisfaire aux engagements de l'Etat ; en second lieu, d'organiser les mesures
nécessaires pour la défense du territoire et le maintien de l'ordre.
Eh bien, je le demande à
l'honorable M. Orban, le Luxembourg n'est-il point intéressé à ce que l'Etat
paye ses dettes ? Ne fait-il point partie de l'être moral qu'on appelle l'Etat
? N'y a-t-il pas là une question d'honneur pour le Luxembourg, comme pour le
reste du pays ? Ensuite, le Luxembourg n'est-il pas aussi intéressé que toutes
les autres provinces au maintien de l'ordre ? Si des troubles avaient lieu, si
des bandes envahissaient notre territoire, est-ce que cette province n'en
souffrirait pas ? Ne serait-elle pas exposée aux désordres et, par conséquent,
à des charges beaucoup plus lourdes que celle qu'on lui demande, enfin à toutes
les calamités qu'entraînent le trouble et l'anarchie ?
Il est vrai que des crédits
ont été demandés pour travaux publics et pour d'autres provinces que le
Luxembourg. Messieurs, d'abord une partie de ces crédits ont aussi pour objet
de satisfaire à des engagements déjà contractés, d'exécuter des travaux utiles
pour donner de l'ouvrage à ces grandes agglomérations d'ouvriers qui doivent
avant tout attirer l'attention du gouvernement. C'est là, une question d'ordre
public autant qu'une question d'humanité.
Le Luxembourg,
malheureusement, n'a plus beaucoup d'espoir, pour le moment du moins, de voir
exécuter cette grande voie de communication qui lui avait donné tant
d'espérances ; mais il lui reste encore des routes à faire, et mon honorable
collègue, M. le ministre des travaux publics, vous a dit qu'une somme assez
considérable est consacrée en ce moment à l'exécution de routes dans le
Luxembourg.
M. le ministre des travaux
publics (M. Frère-Orban). - Plus de deux cent mille francs.
M. le ministre des affaires étrangères (M.
d’Hoffschmidt). - Cela prouve que le gouvernement est loin de
ne pas songer à une province à laquelle je suis, quant à moi, si profondément
dévoué.
Messieurs, l'honorable M.
Orban a aussi parlé d'une mesure qu'il a, dit-il, conseillée au ministère, et
qui consistait à dispenser de l'emprunt ceux dont l'impôt n'atteint pas une
certaine somme.
Messieurs, cette idée,
l'honorable M. Orban n'en est pas le premier inventeur ; on l'a signalée
souvent au ministère ; moi-même, je dois le dire, j'en ai parlé plusieurs fois
à mon honorable collègue, M. le ministre des finances ; mais pourquoi
n'a-t-elle pas été adoptée ?
Je le regrette beaucoup,
mais c'est tout uniment parce qu'il n'a pas été possible de réunir les éléments
d'appréciation nécessaires. Le gouvernement et M. le ministre des finances, en
particulier, n'aurait pas mieux aimé que d'appliquer un semblable système,
parce qu'il est toujours entré dans les vues du gouvernement d'épargner la
charge du l'emprunt aux classes inférieures ; mais il a été reconnu, je le
répète, qu'il y avait impossibilité matérielle de réunir les éléments
nécessaires pour l'application de ce système.
J'arrive, messieurs, aux
objections plus sérieuses qui ont été présentées contre l'emprunt.
Qu'il me soit permis de le
constater : en définitive toutes les divergences d'opinion se résument en ceci
: Faut-il émettre en déduction de l'emprunt une certaine quantité de billets de
banque ayant cours forcé ou de papier-monnaie ?
Messieurs, je suis loin de
repousser l'éventualité d'une augmentation de papier-monnaie ; je suis loin
d'être convaincu que le pays ne peut pas supporter en papier-monnaie un chiffre
supérieur à 34 millions. Je suis persuadé au contraire qu’il peut en supporter
bien davantage. Mais, messieurs, devons-nous nous empresser d'abuser de ce
moyen ? Devons-nous aller d'un bond, en quelque sorte, jusqu'à la dernière
limite des émissions ? Voilà ce que nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas
accepter.
On diffère sur la question
de savoir quelle est la quantité de papier-monnaie qui peut être supportée par
la Belgique. En effet, il est impossible d'avoir des données certaines à cet
égard ; on ne peut déterminer ce chiffre d'une manière mathématique en quelque
sorte ; mais un point sur lequel on doit être d'accord, c'est sur les principes
qui règlent cette matière.
Ainsi, il faut trois
conditions, pour qu'un papier-monnaie conserve sa valeur ; il faut 1° que la
quantité n'en dépasse pas les besoins de la circulation ; 2° il faut que le
public ait confiance dans les garanties qui sont données soit par un
établissement, soit par le gouvernement ; il faut en troisième lieu que les
émissions ne se succèdent pas trop rapidement. Si vous (page 1385) lancez immédiatement dans la circulation tout le
papier-monnaie qu'un pays peut supporter, il est évident qu'une dépréciation
considérable en résulterait inévitablement.
L'expérience faite dans
d'autres pays vient à l'appui de ce que j'avance. Que nous apprend cette
expérience ? C'est que la dépréciation vient de deux causes, d'abord de l'excès
du papier-monnaie, mais aussi de la promptitude avec laquelle on a fait coup
sur coup les émissions.
L'on a cité la France et
l'Angleterre où l'on a usé du papier-monnaie. Eh bien, en France, le
papier-monnaie qu'on appelait les assignats, n'a pas été seulement déprécié
lorsqu'il y en a eu 40 milliards en circulation, mais il l'a été dès les
premières années, il l'a été parce qu'on a fait des émissions successives trop
rapprochées. Je vais vous en donner la preuve.
La première émission des
assignats date de 1789. Elle fut de 400 millions. Bientôt après les émissions
se succédèrent. Vers la fin de 1790, il y avait 1,200 millions en circulation.
En 1792, 2 milliards 200 millions. En 1794, 6 milliards en circulation. A la
fin de 1795, on en avait fabriqué plus de 40 milliards.
La dépréciation commença
avec les premières émissions. Elle fut de 10 p. c. vers le commencement de
1791. 37 p. c. vers la fin de 92. 55 p. c. à la fin de 93. 78 p. c. à la fin de
94.
Aux assignats ont succédé
les mandats territoriaux.
Une loi de 1796 en a créé
pour 2 milliards 400 millions, hypothéqués par 3 milliards de propriétés.
Quelques mois après, on
n'en voulait plus.
Et alors est arrivée cette
époque où l'on devait donner 10,000 fr. pour une paire de bottes.
En Angleterre, l'on n'a pas
autant abusé du papier-monnaie. Cependant les causes que j'ai signalées ont
amené aussi une certaine dépréciation que vous a fait connaître hier
l'honorable M. Cogels dans le savant discours qu'il a prononcé sur les
fluctuations des billets de la banque d'Angleterre.
Aussi longtemps que
l'émission a été maintenue dans certaines bornes, jusqu'en 1811, la
dépréciation n'a pas existé ; mais en 1811 jusqu'en 1814, l’émission a
considérablement augmenté, et a été portée jusqu'à 27 millions sterling ; alors
la dépréciation est devenue très forte pour un pays comme l'Angleterre, elle a
été de 25 ou même de 27 p. c. ; et remarquez ce que ne vous a pas fait
connaître hier l'honorable M. Cogels, c'est que c'est en 1811 que le cours des
billets de la banque d'Angleterre a été rendu obligatoire. Jusque-là il n'y
avait eu que suspension de payements.
Messieurs, il est un pays,
qu'on n'a pas cité dans la discussion et qui mérite de l'être en matière de
papier-monnaie, c'est la Prusse. En Prusse, le papier-monnaie existe encore, et
il a toujours parfaitement réussi. Il existe depuis 1806, mais les émissions
ont toujours été faites avec lenteur, et l'on n'a jamais dépassé certaines
limites. En 1813, la circulation n'était que de 8 millions de thalers ; elle
est actuellement de 25 millions de thalers, et l'on a décidé qu'en 1849, il y
aurait une réduction de 6 millions de thalers.
Mais la banque royale a le
droit d'émettre 21 millions de billets de banque, qui entreront peu à peu dans
la circulation, et d'après cela, le papier-monnaie peut atteindre 40 millions
de thalers, ce qui fait à peu près à 10 fr. par habitant. Dans la même
proportion, cela reviendrait pour nous à une quantité équivalant à 44 millions
de francs.
En Prusse, le
papier-monnaie s'est toujours conservé au pair ; une des causes principales de
ce fait, c'est la lenteur et la prudence avec laquelle on a fait les émissions.
Messieurs, ces
renseignements doivent nous servir dans les circonstances actuelles ; ils nous
démontrent que pour le papier-monnaie il ne faut pas aller immédiatement
jusqu'à la dernière limite de ce qui peut être supporté par le pays.
Il ne faut pas nous le
dissimuler, il se présentera bientôt une nécessité aussi impérieuse que celle
devant laquelle nous nous trouvons en ce moment, et qui probablement exigera
une nouvelle émission de 20 millions. C'est là un motif décisif pour qu'on
n'adopte pas le système de la section centrale.
Ce système devient impossible
en présence d'une semblable éventualité que vous présente un très prochain
avenir, et qui portera déjà le chiffre des billets à 64 millions. Nous n'avons
du reste rien d'absolu sur le maximum du chiffre à émettre. C'est une ressource
qui nous sera encore nécessaire, mais dont il ne faut pas se hâter d'abuser.
Mais dans le moment actuel,
en présence d'une éventualité à laquelle nous ne pourrions pas nous dispenser
de pourvoir, sans exposer le pays à un véritable cataclysme financier, la plus
vulgaire prudence nous engage à ne pas admettre le système de la section
centrale.
Mais, a dit l'honorable M.
Malou, et c'est son plus grand argument, il ne faut pas que les établissements
prives profitent seuls de ce moyen ; il faut que le pays en profite en même
temps. Cet argument n'est pas solide. Sans doute le pays doit profiler du
papier-monnaie ; mais si nous avons accordé cette faveur à des établissements
particuliers, ce n'est pas uniquement dans l'intérêt de ces établissements ; si
nous l'avions fait uniquement dans ce but, nous serions fort coupables ; c'est
dans l'intérêt du pays que la grande mesure du 20 mars a été prise. Le crédit
de ces établissements se lie étroitement au crédit public.
Vous ne pouvez pas séparer
ces deux intérêts. Vous ne pouvez pas séparer le maintien des caisses
d'épargne, des grands établissements industriels, des caisses d'escompte des
intérêts les plus vitaux du pays.
Ainsi quand on autorise de
semblables émissions en faveur d'un établissement particulier, c'est parce que
l'intérêt public le réclame impérieusement, c'est parce qu'il se rattache
étroitement à cet intérêt privé, sans cela on ne devrait pas le faire.
On
a reproché au gouvernement de ne pas se montrer conciliant vis-à-vis de la
section centrale. A-t-on donc oublié que le gouvernement s'est rallié à la
proposition de réduire le chiffre de l'emprunt à 27 millions ? N'a-t-il pas
fait ainsi un grand pas dans la voie de la conciliation ? Maintenant on veut,
au nom de la conciliation, qu'il aille jusqu'à adopter le système tout entier
de la section centrale ; jusqu'à abdiquer en quelque sorte ses convictions ! Ce
ne serait plus dès lors le ministère qui gouvernerait, ce serait la section
centrale. Si elle veut l'application de ses idées, c'est à elle et non à nous
d'en accepter la responsabilité ; mon honorable collègue, le ministre de
l'intérieur, l'a déclaré hier, je le déclare à mon tour : si on veut
l'application d'un système qui n'est pas le nôtre, que d'autres s'en chargent ;
nous nous engageons même à appuyer dans son exécution le nouveau cabinet. Car,
quand il s'agit des plus grands intérêts du pays, quand il s'agit de mesures de
salut public, il faut réunir toutes les forces de la nation, il faut l'union,
la concorde. Nous n'accepterons donc pas le système de la section centrale. Si
la chambre veut l'adopter, la section centrale ou d'autres membres qui
partageront ses vues devront le mettre à exécution.
M. de Tornaco. - Messieurs, en entrant
dans cette discussion, j'éprouve le besoin de me défendre tout d'abord de toute
influence qu'aurait pu exercer sur moi le discours qu'a prononcé M. Lebeau dans
la séance d'hier, discours, messieurs, qui m'a paru une sorte de réquisitoire
contre la propriété, discours plein de menace contre la propriété. Des discours
semblables, messieurs, n'ont point accès auprès des hommes indépendants, auprès
des hommes libres et dignes de l'être. Aussi je répudie toute influence qui
pourrait être attribuée à de pareils discours.
Messieurs, si certaine
propriété devait courir des dangers, toutes les propriétés y seraient exposées
en même temps ; il n'y aurait pas de distinction entre la propriété foncière et
les autres, toutes seraient menacées ou frappées à la fois. Si la propriété foncière
était attaquée particulièrement, car c'est de celle-là qu'on a parlé plus
spécialement, elle trouverait, qu'on veuille bien le croire, des défenseurs
nombreux qui ne se borneraient point à de vaines déclamations.
Il est vrai de dire que
ceux qui possèdent la plus grande partie du sol, les cultivateurs ne
connaissent pas parfaitement leurs droits, ne connaissent pas parfaitement
leurs intérêts ; on leur a refusé jusqu'à présent cet enseignement agricole que
je n'ai cessé de réclamer pour eux depuis que je suis entré dans cette enceinte
; malgré la manière dont ils ont été traités sous ce rapport, ils connaissent
assez leurs intérêts pour se grouper, pour s'entendre, s'associer et montrer au
besoin qu'il y a du courage sous le sarrau comme sous l'habit. Les discours
comme celui auquel je fais allusion produisent un effet contraire à celui
auquel on aspire ; aussi c'est malgré ce discours que je voterai pour
l'emprunt.
Je voterai, messieurs,
l'emprunt dans les limites qui ont été indiquées par le gouvernement le 3 de ce
mois. Le gouvernement a fait des concessions aux demandes des sections et de la
section centrale ; en agissant ainsi, il n'a pas montré de faiblesse ; il a
fait preuve de tact ; il a fait preuve du sentiment des convenances.
Il existe assez de pouvoirs
qui, sous le nom de libéralisme, usurpent les attributions, empiètent sur les
droits de leurs successeurs. Il est bon que, de temps à autre, un pouvoir
vraiment libéral se montre animé du sentiment de haute convenance et de profond
respect à l'égard des droits de celui qui est appelé à le remplacer.
Il me serait difficile,
messieurs, de ne pas adopter le projet d'emprunt : j'ai voté les neuf millions
demandés pour l'armée ; j'ai accordé les fonds réclamés pour donner du travail
aux ouvriers, et je suis loin, certes, de vouloir refuser les moyens de payer
nos dettes, de satisfaire aux exigences de la probité publique.
Sans aucun doute, j'aurais
préféré que l'emprunt eût été allégé par l'émission d'une certaine quantité de
papier-monnaie. Mais, puisque le gouvernement croit ne pas devoir recourir à
cette mesure, en ce moment, j'adopterai purement et simplement les bases
d'emprunt qu'il nous a proposées. En agissant ainsi, j’entends donner au
gouvernement une marque de confiance, à laquelle il a droit ; je désire le
soutenir, l'encourager dans l'accomplissement de sa tâche difficile.
Il y a cependant une des
bases de l'emprunt à laquelle je suis opposé. C'est la troisième, concernant
les fermiers. Je ferai connaître, au besoin, mes motifs d'opposition, lorsque
nous serons arrivés à la discussion sur les articles. Toutefois pour qu'on ne
se méprenne pas sur mes intentions, je déclare dès maintenant que s'il était
nécessaire que cette partie de l'emprunt, qui, d'après le projet, doit peser
sur le fermier fût maintenue, je consentirais à ce qu'elle fût reportée du
fermier sur le propriétaire lui-même.
Après ces déclarations,
qu'il me soit permis de présenter quelques observations critiques sur les bases
de l'emprunt que je consens à voter.
La chambre m'accordera,
j'espère, un peu d'indulgence ; car, suivant toutes les probabilités, c'est la
dernière occasion qui me sera présentée de défendre, dans cette enceinte, les
intérêts agricoles, à la défense desquels j'ai été engagé à m'attacher plus
spécialement, dès l'origine de mon mandat.
Messieurs, le mot de
partialité a été prononcé. Jamais, en effet, jamais projet de loi n'a porté le
cachet d'une partialité plus frappante.
Deux emprunts nous ont été
demandés successivement : l'un est de (page
1386) 12 millions, nous l'avons voté ; l'autre est de 25 à 27 millions. Ces
deux emprunts font un total de 37 à 39 millions.
Eh bien, c'est à peine
croyable, de ces 37 à 39 millions, 32 frappent le capital agricole. Peut-être,
dans aucun pays, on n'a vu l’exemple d'un fait semblable.
Je me sers à dessein des
expressions de capital foncier, de capital agricole.
Sur des plaintes déjà
exprimées en ce sens, on a prétendu qu'une partie notable de l'impôt foncier
pèse sur les villes ; mais telle est la force de la vérité qu'il est arrivé
qu'un honorable ministre, tout en voulant prouver cette assertion, a réellement
prouvé le contraire.
Que vous a dit M. le
ministre des travaux publics ? Il vous a dit : « L'impôt foncier pèse sur les
villes, ainsi que sur les campagnes ; dans les villes on paye par tête, 3 fr.
64 c. d'impôt foncier. Dans les campagnes, on paye, par tête, 4 fr. 44 c. »
Mais cet honorable ministre avait sans doute oublié qu'un instant auparavant il
avait dit que la population des villes est de 1,100,000 âmes, et la population
des campagnes de 3 millions 300,000 âmes.
Si les habitants des
campagnes sont trois fois aussi nombreux que ceux des villes, si les mêmes
habitants des campagnes payent par tête un quart de plus environ que ne payent
par tête les habitants des villes, il est bien certain que ces derniers ne
payent qu'une très minime part à l'impôt foncier, elle est tellement faible
qu'on peut dire que l'impôt foncier presque tout entier frappe l'habitant des
campagnes, ou, si l'on veut, le capital agricole.
Messieurs, un fait aussi
remarquable, aussi saillant, aussi déplorable que la partialité qui vous a été
signalée, ne peut s'expliquer que par des illusions, des préventions ; je suis
persuadé que l'honorable M. Lebeau dont le discours a fait l'objet de mes critiques,
je suis persuadé que cet honorable membre qui a fait entendre des paroles un
peu vives à l'adresse de la propriété foncière, est lui-même sous l'influence
de ces illusions. Qu'il me soit permis, puisqu'il vient de rentrer dans la
chambre, de dire, en passant, que je n'ai pas le moindre doute sur la droiture
de ses intentions. Mais je suis convaincu qu'il se fait illusion comme beaucoup
d'autres.
A entendre certaines
personnes, à lire certains écrivains, on croirait qu'il n'est pas de
propriétaire qui ne possède 40 à 50 mille livres de rente.
Ce sont des préventions ;
ce sont des préjugés que l'on doit attribuer sans doute à la vue de quelques
propriétaires opulents, à la vue d'un certain nombre d'autres qui sont riches
ou le paraissent.
Lorsque les résultats du
recensement agricole seront connus, j'ose croire que les préjugés dont je parle
disparaîtront. On reconnaîtra alors que le nombre des grands propriétaires est
restreint et que ceux qui supportent peut-être au-delà des deux tiers de
l'impôt foncier ne sont pas des grands propriétaires.
Messieurs, la partialité
dont le projet de loi est entaché est d'autant plus choquante qu'on peut
comparer plus facilement les sources où l'on va puiser avec l'objet de la
dépense à laquelle l'emprunt va s'appliquer.
Un des premiers objets est
l'armée.
Pourquoi l'armée a-t-elle
été augmentée ? On vous l'a dit bien des fois, c'est en grande partie pour
maintenir l'ordre dans le pays. Qui donc trouble l'ordre ? Où l'ordre est-il
troublé ? A coup sûr, ce n'est pas chez nos paisibles campagnards. Ceux-là
travaillent et rentrent dans leur famille, après le travail ; ceux-là ne
s'agitent point et ne se laissent point agiter, et pourtant c'est à ces
habitants paisibles que vous demandez presque tout l'emprunt dont il s'agit.
Il y a plus, les trois
quarts des citoyens que vous arrachez à leurs familles, pour le service
militaire, viennent des campagnes.
Ainsi ceux qui payent
doivent aussi croupir dans les corps de gardes.
Messieurs, aujourd'hui que
la garde civique est définitivement organisée et d'une manière permanente, il
est à espérer que vos soldats ne serviront plus de gardes du corps ou de gardes
de ville, et que les villes sauront se garder elles-mêmes comme les campagnes
se gardent.
Une autre destination de
l'emprunt est de venir au secours de l'industrie, de soutenir le travail
industriel.
Ainsi, pour soutenir le
travail industriel, il faut arrêter le travail agricole ; pour venir au secours
du capital industriel, il faut toujours attaquer le capital agricole. Je
demande si la chose est très juste. Sans doute, messieurs, on n'eût pas pu
s'adresser aux industriels qui sont chargés d'ouvriers, qui ont besoin de tous
leurs capitaux ; la chose n'eût pas été raisonnable.
Mais il en est d'autres qui
auraient pu concourir d'une manière un peu plus efficace à l'emprunt. Nos
financiers, nos capitalistes, nos gros rentiers, quelle part vont-ils souscrire
à cet emprunt ? Quelle sera, par exemple, la part de telle ville où l'on
remarque une grande opulence, où l'on voit, en quelque sorte, ruisseler l'or ?
Quelle sera sa part ? Elle sera, je crois, extrêmement minime. Aussi, lorsqu'il
s'est agi de cette loi d'emprunt, le bruit a couru que ce projet avait été
élaboré par le conseil d'Etat, composé de financiers appartenant à une certaine
ville.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je demande la parole.
M. Loos. - Je la demande aussi.
M. de Tornaco. - Voilà, messieurs, le bruit
qui a couru. Ce bruit est arrivé à mes oreilles ; je le rends tel qu'il est
arrivé.
Messieurs, l'honorable M.
Lebeau, dans la séance d'hier, citait l'exemple des Hollandais à propos
d'emprunt, et cet exemple, à coup sûr, mérite d'être cité. Mais ce que
l'honorable M. Lebeau ne disait pas, c'est que l'exemple était surtout donné
par les financiers de la Hollande, par le haut commerce hollandais. On voyait
alors briller d'un vif éclat le patriotisme des financiers et des commerçants
hollandais. Ceux qui étaient loin de leur pays, répandus sur la surface du
globe, accouraient de toutes parts pour venir déposer leur offrande sur l'autel
de la patrie. Ce bel exemple, nous sommes à l'attendre dans notre pays ; en
attendant qu'il soit donné, que l'on cesse de diriger des attaques contre la
propriété foncière.
Messieurs, un troisième
objet de l'emprunt est le payement des dettes. Il est bien loin, à coup sûr, de
mes intentions, de refuser un emprunt qui doit remplir cette destination, un
emprunt qui doit contribuer au maintien de notre crédit public. Mais il n'en
est pas moins vrai que ces dettes n'ont pas été contractées au profit de
l'agriculture à qui vous vous adressez pour les payer. On fait grand bruit de
quelques chemins vicinaux pour lesquels vous votez chaque année 300,000 fr.
Voilà, en vérité, une grande cause de dettes ! Et encore ces 300,000 fr., comme
me le fait observer un honorable interrupteur, ne sont votés que depuis
quelques années !
On a fait aussi des routes
pour l'agriculture. Mais je pose en fait que si on réunit depuis 1830 tout ce
qui a été dépensé pour les chemins vicinaux, pour les routes, enfin pour tous
les travaux publics intéressant directement l'agriculture, la somme paraîtrait
bien minime, comparée à la part contributive de l'agriculture.
Messieurs, l'emploi de
l'emprunt qui est demandé, mis en regard de la source où on veut le puiser,
fait ressortir d'une manière éclatante la partialité de la loi. Malheureusement
cette comparaison qu'on peut faire à l'occasion de l'emprunt, on pourrait la
faire par le passé.
C'est une habitude de faire
payer la dépense à ceux qui n'en profitent pas. Il y a longtemps que toutes les
fonctions du gouvernement semblent se borner à cette opération. Les dupes sont
les cultivateurs, les propriétaires, qui dit l'un dit l'autre, en un mot, ceux
qui vivent du capital agricole. Voilà sans doute le privilège dont a voulu
parler M. Lebeau ; car j'ai en vain creusé ma mémoire pour découvrir un autre
privilège dont la propriété foncière aurait joui.
Si l'on avait quelques
doutes, quelques incertitudes sur la mauvaise politique financière que l'on
suit depuis quelques années, l'étude de quelques grands faits qui se produisent
servirait efficacement à les dissiper.
Que voyons-nous quand nous
comparons les populations de notre pays ? Nous voyons l'opulence,
l'accumulation des richesses dans certaines villes, dans la capitale surtout.
Nous y voyons régner le luxe, un luxe exagéré ; et quoi que l'on ait pu me
répondre dans une autre occasion, quoique l'on ait pu même employer à mon égard
des expressions peu obligeantes, je maintiens mon opinion. Je dis que ce luxe
effréné, ce luxe exagéré qui porte les familles à sortir de leurs ressources,
est fâcheux, est nuisible. Luxe, corruption, désordre, sont trois faits qui se
suivent dans la vie des peuples comme dans la vie des hommes.
Pendant que nous voyons
l'opulence, la richesse s'accumuler d'une part, nous voyons la misère allant
toujours croissant dans les campagnes ; dans toutes les campagnes, nous voyons
l'émigration, les maladies, la mort.
Je crois, messieurs, que
des faits aussi éclatants d'opposition ne sont pas sans cause, et les
véritables causes sont : l'inégalité des charges, l'inégalité de la
distribution des avantages.
Messieurs, quand je fais
ces observations, veuillez bien le croire, c'est en acquit d'un devoir, c'est
en conséquence de convictions inébranlables chez moi.
Loin de moi l'intention de
vouloir établir un antagonisme entre les diverses parties du pays, entre les
divers habitants du pays. Personne plus que moi n'est porté à l'union, à la
conciliation, à une entente cordiale des divers habitants du pays. Mais pour
que cette union, pour que cette entente cordiale existe d'une manière loyale,
il faut que l'association ne soit pas une société léonine.
Le gouvernement, mes amis
politiques, feront bien, je pense, d'arrêter leur esprit sur les réflexions que
je viens de faire.
Aujourd'hui les divisions
d'opinions politiques vont en s'affaiblissant dans notre pays ; ces divisions
entre les opinions considérables du pays deviennent de jour en jour moins
profondes ; peu d'intérêts politiques réels et sérieux demeurent en effet en
discussion. L'attention publique se portera naturellement sur les intérêts
matériels, d'autant plus qu'elle y sera conviée par notre situation financière.
Il est à remarquer d'ailleurs que les grandes questions qui sont agitées
aujourd'hui se résument ou se résolvent (erratum,
p. 1436) en intérêts positifs ou matériels.
Nul
doute que dans le temps d'examen et de discussion où nous vivons à la
suprématie d'opinion, la direction des affaires ne doivent appartenir à celui
qui voudra et saura répartir le plus justement les charges publiques et les
avantages en vue desquels les charges sont payées, sont supportées.
Aujourd'hui l'injustice est
frappante dans le projet de loi d'emprunt.
En toute autre
circonstance, j'aurais repoussé un pareil projet de loi ; en ce moment je me
crois en devoir de le voter. Je considère mon vote comme un acte de dévouement
à mon pays. Les contribuables, j'en suis persuadé, considéreront aussi le
payement d'un emprunt aussi lourd et aussi mal réparti, comme une preuve de
leur attachement à l'ordre, à la paix et à la liberté de la patrie.
(page 1387) M. Lebeau. - Je demande la parole pour un fait
personnel.
M. le président. - Il n'y a rien qui vous soit personnel dans le
discours de M. de Tornaco.
M. de Tornaco. - J'ai déclaré qu'il n'y avait
rien de personnel dans mes paroles.
M. Lebeau. - Les protestations de
l'honorable préopinant, que, du reste, il avait devancées en rendant hommage à
mes intentions, et l'impatience de la chambre, son désir de ne pas voir interrompre
par des débats personnels une discussion de cette importance, m'engageront à
renoncer à la parole. Je me borne à faire appel aux souvenirs de la chambre et
à la prier de vouloir bien me juger, non pas d'après le commentaire de
l'honorable préopinant, mais d'après le texte même de mes paroles.
(page 1434) M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, le discours de l'honorable collègue que nous venons d'entendre et qui atteste son patriotisme et son attachement au pays, augmentera encore le regret que nous inspire la résolution qu'il annonce à la chambre et dans laquelle, je l'espère, il ne persistera point. Si cette résolution pouvait être irrévocable, la chambre perdrait encore, à quelques jours d'intervalle, un orateur dont elle apprécie également les sentiments francs et loyaux, l'indépendance et la fermeté de caractère.
J'ai demandé la
parole au moment où l'honorable M. de Tornaco s'est fait l'écho d'un bruit que
je ne considérais pas comme de nature à être reproduit dans cette enceinte. Ce
bruit, messieurs, n'a rien de fondé ; le coupable du projet d'emprunt, le
premier et seul coupable, si coupable il y a c'est moi.
Il a été conçu au
ministère des finances, sans que j'eusse consulté mes collègues sur aucun autre
point que sur la nécessité de faire face aux besoins du pays et sur l'étendue
des sacrifices à imposer.
J'ai élaboré le projet
avec les fonctionnaires de l'administration, je me suis éclairé de leur
expérience et, lorsqu'il était formulé, je l'ai apporté à mes collègues comme
base de nos délibérations, sans que l'honorable M. Osy en ait connu le premier
mot. (Interruption.)
Je cite le nom de cet
honorable membre, parce que c'est à lui que le bruit se rapporte. Je puis l'en
avoir entretenu dans une conversation, un jour ou deux avant la présentation,
lorsque tout était arrêté et comme je l'ai probablement fait avec d'autres membres
de cette chambre ; mais mon honorable ami est resté complètement étranger à la
conception et à la rédaction du projet. Voilà, messieurs, la vérité sur un
bruit que l'on s'est plu à reproduire et auquel l'honorable député de Liège
vient de faire allusion.
L'honorable M. Osy
m'a fait souvent une observation qui était parfaitement fondée. Il me disait :
vous perdez du temps ; vous savez, comme moi, que l'avance des huit douzièmes
est tout à fait insuffisante ; que vous devez de nécessité en venir à un deuxième
emprunt ; hâtez-vous, prenez vos mesures afin de pourvoir sans retard aux
besoins de la situation. C'était exact ; depuis la présentation du projet de
loi, plus d'un mois s'est encore écoulé ; aujourd'hui nous n'avons plus de
temps à perdre ; il faut, le plus tôt possible, assurer des rentrées au trésor.
Si, indépendamment
des bases du projet, on avait pu s'adresser efficacement à d'autres sources de
fortune, si les porteurs de nos fonds publics, dont on a parlé, avaient pu être
appelés à participer à l'emprunt forcé, je ne crains pas de le dire, malgré les
rudes atteintes portées à ces valeurs, jamais (page 1435) aucune réclamation ne se serait élevée de la part d'une
ville qui est réputée, à tort ou à raison, en posséder beaucoup.
Plusieurs moyens de procurer
des ressources à l'Etat ont été indiqués, combinés ; mais il est arrivé, comme
toujours dans de semblables circonstances ; l'administration, prise au dépourvu
pour de si grands besoins, a dû s'adresser presque exclusivement à la propriété
foncière. C'est sans doute là une fâcheuse nécessité ; on comprend tout ce
qu'il y a de juste et de vrai dans l'opinion de ceux qui ont soutenu souvent
dans cette enceinte que la propriété, au lieu d'être frappée de ces différents
centimes additionnels, devrait être ménagée dans des temps ordinaires pour
avoir les moyens de venir en aide à l'Etat, dans des circonstances
extraordinaires comme celles où nous nous trouvons maintenant.
On a parlé, comme
d'une ressource, d'imposer des centimes additionnels sur les contributions
indirectes ; mais ce moyen n'offrirait pas une somme suffisante pour permettre
de dégrever une des bases de l'emprunt dans une proportion quelque peu sérieuse
; ensuite ce ne sont pas là des ressources immédiates, ni certaines quant à la
quotité du chiffre. D'ailleurs, la rentrée des impôts indirects sera affectée
par les circonstances. Le gouvernement ne trouverait pas en eux l'auxiliaire
infaillible dont il a besoin dans l'intérêt du pays.
On a parlé de tirer
parti d'une nouvelle législation sur les sucres, de l'introduction du monopole
sur les tabacs, d'une législation sur les assurances. Tous ces moyens sont
entre vos mains, messieurs ; il vous appartient de les examiner et de les
réaliser, si vous les croyez justes et bons ; mais en supposant qu'on y mette
toute la diligence possible, les produits qui pourraient en résulter ne peuvent
être que pour l'avenir ; ce qui nous préoccupe, ce qui nous presse, c'est le
présent, ce sont des ressources immédiates dont nous avons besoin.
Je vous avoue, messieurs,
que quand la discussion a commencé il me semblait en quelque sorte superflu que
le gouvernement prît la parole sur la nécessité de l'emprunt. Vous avez voté
les dépenses, vous avez fixé vous-mêmes, par-là, le chiffre total, et dès lors,
il ne s'agissait plus que de savoir quel moyen nous devions employer pour
l'atteindre. Nous avons proposé un moyen, le seul immédiatement réalisable et
efficace suivant nous ; mais si l'on peut nous en indiquer un meilleur, nous
sommes prêts à l'accepter, nous l'accepterons avec reconnaissance, pourvu qu'il
remplisse les mêmes conditions. Notre plus belle mission serait de concilier
les intérêts du pays avec les intérêts des contribuables, en les ménageant
autant que faire se peut.
Ce n'est pas encore
le moment d'entrer dans les détails du projet : à l'occasion de chacune des
bases proposées, nous comptons faire valoir les raisons pour les justifier.
Ce que le
gouvernement propose est non pas irréprochable ni à l'abri d'inconvénients
sérieux ; mais peut-on faire autre chose sans manquer le but qui est de créer
une ressource immédiate de 25 millions de francs ; là est la question qui doit
être résolue.
L'honorable M. de
Tornaco a dit : « La propriété foncière sera considérablement chargée ; elle le
sera pour des intérêts qui ne sont pas les siens, pour des dépenses qui sont
faites dans un autre but que le sien ».
Eh bien, messieurs,
en jetant les yeux sur le relevé des dépenses qui ont été couvertes par des
bons du trésor, je vois que l'agriculture y a une large part. Permettez-moi
d'examiner quelques-unes de ces dépenses.
Le canal de la
Campine, le canal de jonction de la ville de Turnhout au canal de la Campine,
les travaux à la vallée de l'Escaut pour activer l'écoulement des eaux, le
recreusement du Moervaert, le réendiguement du polder de Lillo, l'amélioration
du régime des eaux au sud de Bruges, les sections des canaux de Zelzaete et de
Schipdonck, le crédit pour les mesures relatives aux défrichements et aux
irrigations, le crédit extraordinaire pour la construction et l'amélioration de
routes, voilà certes des travaux auxquels le bien-être de l'agriculture n'est
pas indiffèrent, dont plusieurs ont ses intérêts pour but principal et il y en
a pour des millions.
Ce sont des sommes
qui ont été dépensées, non pas seulement dans l’intérêt des villes, mais aussi
dans l'intérêt des campagnes, surtout dans leur intérêt.
Il est extrêmement
fâcheux, sans doute, que, dans une circonstance comme celle-ci, l'Etat soit
obligé de se songer du remboursement des bons du trésor et de faire face à des
dépenses, faites dans des moments plus heureux, au moyen d'emprunts anticipés.
Si nous n'avions pas
cette somme de vingt-sept millions de noyre dette flottante, que la législature
s'est laissée aller à voter avec la prévision qu'elle serait couverte par
l'emprunt consolidé dans des circonstances favorables, oh ! alors l'embarras ne
serait presque rien pour nous. Mais en ce moment, nous supportons rudement le
poids des bénéfices que nous avons recueillis, en temps de paix, de toutes ces
dépenses d'intérêt public. Il faut que nous ayons le courage de faire face à
cette situation.
J'ai remis à toutes
les sections une note relative aux bons du trésor. Dans l'appréciation qu'il
avait faite du chiffre total de l'emprunt, le gouvernement avait porté seize
millions de bons du trésor à échoir jusqu'au premier septembre. La section
centrale en a déduit une somme de deux millions ; nous l'adoptons ; je l'ai
moi-même indiquée.
Mais, demandons-nous,
quand ce chiffre sera voté,quelle sera la situation ? Nous serons en mesure de
faire face aux bons du trésor qui seront présentés au remboursement jusqu'au
1er septembre. Cela ne suffit pas, car il y a les bous à des échéances
postérieures et jusqu'en février 1849, qui peuvent être donnés eu payement des
impôts ; il faudrait être en état de compenser la lacune qui en résultera pour
les rentrées eftectives d'ici au 1er septembre. Ce n'est pas une hypothèse,
cela est déjà arrivé. Ainsi, dans le courant du mois de mars, il a été donné en
payement, des bons au lieu d'écus, pour une somme de 945,000 fr. et dans cette
somme il y avait 478,000 fr. à des échéances postérieures à la date du 1er
septembre.Voilà un vide dans les rentrées, auquel il n'est pas pourvu par les
ressources qui seront fournies par l'emprunt. Et tant que les circonstances
actuelles dureront et qu'il y aura des bons en circulation, le trésor est
exposé à recevoir du papier dont il n'aura plus que faire pour parer aux
dépenses. Cette considération ne peut être perdue de vue ; elle doit appeler
l'attention sérieuse de la chambre comme du gouvernement.
La question de
l'émission des billets de banque a été traitée par plusieurs orateurs. Si elle
est résolue dans ce sens qu'une émission plus forte que celle qu'autorise la
loi du 20 mars dernier, est possible, si cette opinion finit par prévaloir, il
y aurait là un moyen de mettre le trésor à couvert pour tous les cas de ces
rentrées anticipées de nos bons.
Avant de terminer, je
dirai quelques mots relativement à la province de Luxembourg.
L'honorable M. Orban,
dans la séance d'avant-hier, a dit : « L'avance des huit douzièmes se paye
très difficilement dans le Luxembourg, elle ne rentrera pas ; vous aurez un
grand déficit. »
Non, messieurs, la
rentrée des huit douzièmes se fait ou plutôt s'est faite admirablement,
patriotiquement, dans tout le pays. A la date du 10 avril, et c'est une chose
qui mérite d'être signalée, sur 12,239,833 fr., il a été payé 11,791,018 fr.,
de sorte qu'il ne restait à recouvrer que 448,815 fr.
La province de Namur
est au premier rang ; elle n'est en retard que pour 1 43.100 p. c.
Après elle, vient la
province d'Anvers, et je suis heureux d'avoir à la citer ici ; elle a payé
1,043,638 sur 1,062,972. Sa part encore due, à la date du 10 avril, n'égale que
1 82/100 p. c.
Il y a une différence
pour le Luxembourg, il est vrai, mais cette différence n'est pas si grande
qu'on se l'imagine. Les avertissements de payer y ont d'ailleurs été distribués
un peu plus tard : Sur 439,174 fr. il restait dû 75,751 fr., soit 17 25/100 p.
c. Pour tout le royaume la moyenne de l'arriéré est 3 67/100 p. c.
Je termine, messieurs, en citant un dernier exemple de
cet élan de la nation ; c'est une chose bien digne de remarque. Un propriétaire
du Hainaut a offert aux habitants peu aisés de sa commune de leur rembourser
les petites cotes du premier emprunt ; il en a réuni pour 128 fr., et en
mettant les récépissés à la disposition du gouvernement il m'a écrit qu'il n'a
pu employer une somme plus forte, parce que plusieurs contribuables peu aisés
ont tenu à payer eux-mêmes leur quote-part à l'Etat.
Voilà du patriotisme,
tel que je le conçois, tel que la nation le comprend. (Très bien.)
(page
1387) M.
d'Elhoungne. - Je n'ajouterai rien à la réponse si concluante que M. le
ministre des finances vient de faire au discours de mon honorable ami M. de
Tornaco.
La chambre comprendra de
reste que je diffère en tout point d'opinion avec mon honorable ami. Le temps
qui nous presse m'a fait renoncer au plaisir de le réfuter ; et je dis plaisir,
messieurs, parce qu'habituellement répondre à l'honorable membre ce n'est pas
une tâche si facile.
Messieurs, la discussion
actuelle, quoi qu'on fasse, soulève l'examen tout entier de l'état de nos
finances. Ce débat replace ainsi sous nos yeux, avec une triste évidence, les
erreurs, les illusions, les fautes du passé.
Il nous fait toucher le
côté le plus douloureux de la situation actuelle, il nous montre les
difficultés les plus menaçantes du présent ; et ce débat doit cependant être
dominé par cette pensée que c'est dans notre système financier qu'il faut
opérer les réformes, trouver les ressources pour toutes les améliorations
vraiment populaires, vraiment démocratiques, vraiment sociales, et par cela
même les plus impérieuses de l'avenir.
Tous les orateurs qui m'ont
précédé ont compris que telle était la portée de cette discussion ; et c'est
sans doute ce qui a engagé l'honorable M. Malou à prononcer la cinquième ou
sixième oraison funèbre du ministère qu'il a eu, le 8 juin, tué sous lui. Je
dois nécessairement une réponse à l'honorable M. Malou. Cet honorable membre ne
conteste pas que le passé nous a légué en dépenses arriérées, en crédits
complémentaires, en anticipations sur les crédits à venir, 9 millions ; et en
dette flottante 28 millions ; ensemble un déficit de 37 millions.
Voici, formulé nettement,
le système que l'honorable M. Malou a pratiqué comme ministre des finances, et
qui a produit ce brillant résultat : ajourner le payement des dettes
administratives échues ; dépasser les crédits portés aux budgets votés ;
anticiper sur les crédits des budgets futurs ; maintenir, grossir une dette
flottante, plutôt que de recourir à l'emprunt !
Je ne parlerai ni des crédits
supplémentaires et complémentaires, ni des anticipations de crédits ; je crois
que c'est un point acquis au débat. M. le ministre des travaux publics, dans la
discussion du mois de décembre dernier et dans le discours qu'il a prononcé au
commencement de la discussion actuelle, a poussé la démonstration à la dernière
évidence.
Quant à maintenir, à
perpétuer une dette flottante considérable, c'est tellement un système chez
l'honorable M. Malou, qu'il est superflu de le démontrer. Relisez ses discours ;
rappelez-vous ses actes. Lors de la discussion du mois de décembre on l'a vu
professer cette doctrine avec ferveur. C'est elle encore qui a inspiré cet
arrêté du 20 juin 1847, qui, pour donner une plus grande activité à la
circulation des bons du trésor, décida qu'ils seraient admis comme écus en
payement de l'impôt. Vainement dans la séance du 2 décembre, l'honorable M.
Mercier signalait tous les dangers d'une pareille mesure ; vainement il
montrait qu'au moment où les recettes seraient le plus indispensables, en cas
de crise, il arriverait que le trésor public ne recevrait que des bons,
c'est-à-dire, pour employer l'expression de M. le ministre des travaux publics,
des chiffons de papier. M. Malou ne s'alarmait pas.
Et l'honorable M. Mercier
allait même plus loin ; il a prédit que si une pareille crise se compliquait du
remboursement des caisses d'épargne, cela devait créer la situation la plus
désastreuse. Or, cette situation existe aujourd'hui : l'œuvre de M. Malou a
déjà porté ses fruits.
M. Malou étant à la tête
des finances a repoussé systématiquement l'emprunt.
M. Malou. - Je m'en félicite.
M. d'Elhoungne. - Vous vous en félicitez ;
nous allons voir ce qu'il y a au fond de ces félicitations. L'honorable M.
Malou préférait les bons du trésor à l'emprunt : mais qu'est-ce que cela
signifie ? Messieurs, cela veut dire que l'honorable M. Malou aimait mieux
emprunter à court terme, avec l'obligation de rembourser et avec la perspective
de ne pouvoir ni rembourser, ni renouveler, si la moindre crise survenait ! M.
Malou, je le sais, niait l'opportunité d'un emprunt. Il niait cette
opportunité, quand le besoin en était avoué, quand il était constant, quand il
était urgent ; il niait l'opportunité, quand cette opportunité était une
question d'existence, une question de vie ou de mort pour des milliers de nos
concitoyens ; il la niait quand l'Angleterre d'abord et plus tard la France lui
donnait un exemple décisif ; quand tout conseillait de ne pas laisser le pays
dans une situation financière obérée, menaçante, quelle que fût d'ailleurs la
crise commerciale ou financière, parce que, quand un pays est dans une
situation fausse, il faut en sortir, n'importe à quel prix, et le plus tôt le
mieux. M. Malou contestait l'opportunité de l'emprunt, et il était obligé de
déclarer l'emprunt inévitable. Le gouvernement, disait-il, attendait seulement,
et dans cette attente il risquait la fortune du pays, que les conditions de
l'emprunt fussent un peu moins onéreuses ?
Dans la discussion
financière du mois de décembre, M. le ministre de l'intérieur, lui aussi,
faisait vainement entendre à M. Malou des paroles prophétiques, il lui
demandait :
« Avez-vous pourvu aux
éventualités de l'avenir ? Je m'étonne que des hommes, qui ont la prétention de
lire aussi bien dans l'histoire de l'avenir que dans l'histoire du passé, je
m'étonne, dis-je, que ces hommes considèrent la situation comme tellement à
l'abri de tout danger, comme tellement entourée de sécurité, que nous puissions
nous permettre de vivre au jour le jour, sans songer à ce que le lendemain peut
nous apporter de graves périls et de graves obligations ! A-t-on songé à la
position que la moindre crise européenne ferait à la Belgique, dégarnie de
ressources financières ? Ne faudrait-il pas être dépourvu de la prévoyance la
plus vulgaire pour ne pas songer sincèrement à améliorer la situation
financière du pays, de manière à parer aux événements que l'avenir peut faire
peser sur lui ? »
Et savez-vous ce que
répondait l'honorable M. Malou ? Voici ses paroles :
« La situation, nous
dit-on, sera-t-elle meilleure plus tard ? Pourrez-vous, mieux qu'aujourd'hui,
contracter un emprunt ? Je m'étonne, en présence des faits qui se passent dans
le pays sous le rapport financier, qu'on me demande si la situation sera
meilleure plus tard. Ce que je sais, c'est qu'elle n'est pas opportune
aujourd'hui. Pour le surplus je pourrais répondre par un mot que j'ai entendu
prononcer autour de moi et qui me paraît parfaitement juste : je sais qu'il
pleut aujourd'hui, mais je ne puis vous dire quel jour il fera beau. »
Vous voyez quelle était la
réponse de l'honorable M. Malou, réponse spirituelle comme toujours : « Il
voyait la pluie, il attendait le beau temps. » Mais il n'avait pas assez de
coup d'œil politique et financier pour pressentir la tempête ! il ne prévoyait
pas que dans une grande monarchie, au moment de passer de la tête d'un
vieillard sur la tête d'un enfant, la couronne pouvait se briser sur les pavés
d'une barricade ; il ne voyait pas que l'Italie, s'agitant sous l'inspiration
du grand pontife qui conduit les destinées de la chrétienté, éprouvait déjà cet
ébranlement sourd, ces profonds tressaillements qui font jaillir la liberté du
sein des peuples comme la lave d'un volcan. M. Malou ne savait pas que la
question de la succession au trône d'Espagne n'était pas alors une question à
toujours résolue, comme heureusement elle l'est aujourd'hui !
Après cela. l'honorable M.
Malou vient se vanter avec complaisance d'avoir résisté aux demandes de
dépenses qui partaient des bancs de la gauche ! Oui, quand en 1846 nous
demandions les travaux nécessaires pour délivrer nos provinces du fléau de
l'inondation, nous sollicitions le gouvernement, nous le pressions de faire un
emprunt nécessité par les besoins du pays, l'honorable M. Malou résistait !
Oui, quand en février 1847, à propos du projet de loi sur les défrichements,
nous pressions le gouvernement de prendre en main avec courage, avec énergie,
avec dévouement la grande question des Flandres ; nous demandions l'exécution
de nombreux travaux publics ; nous disions qu'il ne fallait pas reculer devant
une question d'argent, quand il s'agissait d'une question d'humanité,
l'honorable M. Malou résistait et nos malheureux compatriotes mouraient de faim
!
L'honorable M. Malou a
résisté aux dépenses ! Mais quelles étaient donc ces dépenses ? Je suppose que
l'honorable membre fait allusion à la dérivation de la Meuse et au chemin de
fer d'Alost. Eh bien ! vous avez dit vrai : c'était en effet pour vous forcer
la main, pour vaincre votre inertie systématique, que nous avons fait ces
propositions. Mais, dites, que serait-il arrivé si, par des moyens que je ne
veux pas rechercher, vous n'aviez pas obtenu le rejet au deuxième vote ? Car
vous aviez échoué dans la discussion, dans la lutte au grand jour ; et c'est
dans les coulisses, dans le mystère que vous avez ramené à vous les hommes qui
ont changé d'avis ou qui se sont éloignés au second vote ! Mais je le répète,
que serait-il arrive si nous avions conservé l'avantage, si nous avions forcé
la main à l'honorable M. Malou ? Ce qui serait arrivé, messieurs, c'est que le
gouvernement aurait dû faire l'emprunt ; c'est que l'on aurait fermé le gouffre
du déficit ; c'est que nous aurions aujourd'hui en caisse, disponibles pour les
besoins extraordinaires, les millions de l'emprunt réalisé 1 Ah ! si M. Malou
avait pris cette grande et salutaire mesure, bien que son adversaire politique,
je ne serais pas le dernier à rendre hommage à son administration et à lui
payer le tribut de ma reconnaissance.
Il ne faut pas s'y tromper,
messieurs, l'administration qui nous a légué tant d'embarras et de périls a
commis une faute immense, une de ces fautes qui condamnent un système, et dont
on ne peut ni se laver, ni se relever. Cette administration, elle n'a su se
montrer ni prudente, ni résolue. Elle a été timide pour faire le bien, elle a
été hardie et téméraire pour faire le mal. Chose étrange et que l'honorable M.
Malou semble ne pas comprendre encore, cette administration a fait trop ou trop
peu. Elle a fait trop, parce que tout son système financier était un système,
et le plus dangereux système, d'expédients. Elle a fait trop peu, parce que,
reculant devant la seule mesure décisive dans l'état de nos finances, un
emprunt, elle a refusé à des populations malheureuses des secours suffisamment
larges, et au pays des travaux nécessaires, des entreprises fécondes.
(page 1388) En deux mots, messieurs, ne pas payer ses dettes,
anticiper sans cesse sur les crédits et les emprunts futurs, voilà toute la
doctrine financière de l'honorable M. Malou.
Savez-vous comment cela
s'appelle, messieurs ? Cela s'appelle la théorie de la banqueroute.
C'est une justice à rendre
au cabinet actuel qu'il avait pressenti le danger de cette situation. Au début
de cette session, il avait présenté une loi d'impôt pour créer les voies et
moyens pour couvrir les intérêts de l'emprunt, qui seul pouvait mettre fin à
une situation si tendue.
Pour ma part, je regrette
vivement l'opposition que le projet du ministère a rencontrée, et M. Malou
était à la tête de cette opposition. Je regrette qu'on n'ait pas examiné avec
plus d'empressement et de sollicitude ce projet. Je regrette que le
gouvernement se soit laissé décourager, ou du moins arrêter, retarder dans ses
intentions, au sujet de l'emprunt, et qu'il ait écouté des conseils, plutôt que
de suivre sa première inspiration.
Peut-être n’a-t-il pas
assez tenu compte de ce fait que, pendant la crise qui sévissait en Angleterre
et en France, beaucoup de nos capitalistes ont racheté aux bourses de Londres
et de Paris des fonds belges qu'on y vendait avec plus d'empressement que les
fonds anglais et français. Or, ces capitalistes et tous les spéculateurs avec eux
devaient naturellement se montrer défavorables à tout nouvel emprunt.
Déjà surpris par la durée,
par l'étendue et la gravité de la crise, ils devaient pousser à l'ajournement
de l'emprunt, jusqu'au moment où ils auraient pu se défaire plus favorablement de
leurs fonds belges des emprunts antérieurs. Mais c'était là un intérêt
particulier ; l'intérêt général exigeait l'emprunt sous peine d'aboutir à la
situation si difficile qui se développe aujourd'hui.
Telle est, messieurs, la
part du passé. Il était bon de la faire pour répondre catégoriquement à ces
éternelles apologies dont l'honorable M. Malou est à la fois l'auteur et le
héros, et qui ressemblent singulièrement à des récriminations contre nous, et
contre le cabinet.
Enfin, il ne suffit pas à
l'honorable M. Malou de déifier son système, de vouer à une apothéose sans fin
ce ministère tombé sous la réprobation du pays, réprobation légitime autant
qu'énergique. Mais il se croit le droit de faire de la situation qu'il a créée
par ses fautes, un grief contre ceux qui l’ont remplacé au pouvoir. Il semble
que l'honorable M. Malou veuille en appeler à la chambre de la justice du pays.
J'espère que désormais
l'honorable membre voudra bien laisser au passé ce qui appartient au passé, et
subir sans se révolter, sans murmurer l'arrêt, le juste arrêt que le pays a
prononcé. (Applaudissements aussitôt
réprimés par M. le président.)
Après avoir fait la part du
passé, il faut faire la part des besoins du présent, dans lesquels
naturellement le passé joue un grand rôle.
Les dépenses arriérées et
complémentaires, les bons du trésor, les crédits pour les départements de
l'intérieur et des travaux publics, et les dépenses extraordinaires du
département de la guerre s'élèvent à 37 ou 38 millions, jusqu'au 1er septembre.
En déduisant les 12 millions produits déjà par les huit douzièmes de la
contribution foncière, il reste 25 à 26 millions auxquels il faut immédiatement
faire face.
Mais, vous le savez, les
besoins immédiats ne se bornent pas là. Il en est d'autres auxquels il ne nous
est pas moins impérieusement imposé de pourvoir. J'entends parler d'un fait que
vous connaissez tous, les exigences prochaines de la position d'un grand
établissement de crédit. Il y a là de si grands intérêts engagés, que
l'impassibilité est impossible, et en cela je partage l'avis du gouvernement,
pour autant du moins que je puisse pressentir par ce débat l'opinion du
gouvernement.
Je pense, dans tous les
cas, avec l'honorable M. Malou, que le gouvernement et les chambres doivent
examiner avec soit cette position, et en tenir sérieusement compte. Il serait
imprudent de ne pas faire entrer dans nos calculs, de deux choses l'une, ou les
besoins immédiats de cet établissement financier, tels qu'il les signale, ou
les ressources qu'il faudra réaliser dans l'hypothèse (très improbable, je
l'espère), où l'on déterminerait cet établissement à liquider.
Si de ces deux voies vous
choisissez la première, c'est 20 millions auxquels il faut faire face : ils
sont destinés aux caisses d'épargne.
Si, après mûr examen, on
condamnait cet établissement à une liquidation immédiate, alors les besoins
sont plus grands encore. En effet, il en résultera que vous devriez retirer de
la circulation 20 millions de billets de banque déjà émis sous la garantie de
l'Etat. Il vous faudra ensuite affecter 10 millions aux remboursements des
dépôts de la caisse d'épargne (car les dépôts de 1 à 1,000 fr. s'élèvent à
cette somme) et il est impossible que l'Etat n'intervienne pas. Il faudra, en
troisième lieu, affecter au moins 10 millions à l'escompte, car vous ne pourrez
pas aggraver la crise que la liquidation suscitera nécessairement, en privant
le commerce et l'industrie de la ressource que lui offre sous le rapport de
l'escompte l'établissement auquel je fais allusion.
Ainsi dans l'une hypothèse
20 millions à ajouter aux prévisions ; dans l'autre hypothèse 40 millions ; et
ce sont là des besoins immédiats.
Ce n'est pas tout cependant
; après les besoins du passé, après les besoins impérieux du présent, vous ne
pouvez perdre de vue les besoins de l'avenir. Il est impossible d'isoler une
situation financière. Elle ne peut se détacher ni du présent ni de l'avenir.
De même que le passé pèse
lourdement sur le présent, de même le présent pèsera sur l'avenir. On peut,
sans doute, échelonner les payements, les dépenses. On peut ne pourvoir
actuellement qu'aux besoins prévus jusqu'au 1er septembre. Mais n'arrêtez pas
vos regards au 1er septembre, car vos actes porteront plus loin. C'est
l'ensemble de la situation qui doit être présent à nos esprits. Il faut donc
peser les besoins, |es nécessités de l'avenirs comme du présent.
L'avenir, messieurs, il
commence au 1er septembre. C'est bien près de nous, vous le voyez ; et il peut
se prolonger dans cet état de crise (tout le monde est d'accord là-dessus)
d'une manière indéfinie. Heureux s'il ne survient pas des complications
nouvelles et plus graves ! Voici les dépenses qui sont dès maintenant
certaines. Quatre millions pour le département de la guerre ; M. le ministre
ayant réduit à un million par mois la dépense extraordinaire à dater du 1er
septembre. Il faudra faire face ensuite à 12 millions de bons du trésor qui
échoient également après le 1er septembre. Il faudra compléter, en troisième
lieu, les crédits déjà votés en partie pour les départements de l'intérieur,
des travaux publics. Si vous vous portez au secours de l'établissement
financier, auquel j'ai fait allusion tout à l'heure, vous aurez probablement à
allouer une somme assez ronde pour les remboursements de la caisse d'épargne
postérieurement au 1er septembre, ainsi que pour autre chose encore qui échoit
quelques mois plus tard. Si, au contraire, vous n'intervenez pas pour
consolider et remanier cet établissement financier, alors il tous faudra des
ressources non moins considérables pour fonder un établissement nouveau, un
établissement national qui est indispensable au pays.
Vous aurez, si l'on décrète
l'emprunt forcé, une nouvelle dépense permanente au budget, le service des
intérêts. En revanche, vous aurez une diminution en partie permanente, en
partie accidentelle, dans les recettes.
En effet, vous aurez une
diminution dans les recettes, non seulement parce que les recettes ordinaires
vont se ralentir, mais parce que les non-valeurs seront considérables par suite
de la crise. Ce n'est pas sans raison que M. le ministre des travaux publics a
parlé d'un déficit de 5 à 6 millions dans les recettes ordinaires.
Outre ce déficit
accidentel, je compte sur une diminution permanente, car il y a des impôts
auxquels vous devrez renoncer dans un avenir très rapproché. Je citerai l'impôt
du timbre des journaux ; sa suppression est devenue une nécessité politique.
Pourrez-vous ensuite ne pas toucher à l'impôt du sel ? Cela me paraît
impossible dans un avenir peu éloigné.
Vous aurez cependant des
dépenses nouvelles à faire, et des dépenses permanentes à ajouter à votre
budget. Il ne s'agit pas seulement des intérêts de l'emprunt forcé. Mais vous
aurez, avant toute chose, à augmenter la dotation de l'enseignement populaire,
de l'enseignement agricole, dont l'honorable M. de Tornaco a parlé, aussi bien
que de l'enseignement primaire et de l'enseignement professionnel. C'est là une
mesure inévitable ; la mesure la plus pressante. Car je le déclare, à mes yeux,
augmenter la dotation de l'enseignement populaire, faire pénétrer l'instruction
dans les masses, me paraît aussi urgent qu'aucune réforme politique. Il faudra
largement pourvoir à ce besoin. C'est le véritable besoin du siècle, c'est
celui qui nous presse, et auquel il faut pourvoir sans retard, si l'on ne veut
voir l'avenir aussi menaçant pour nous que le présent est terrible pour les
pays où ce grand intérêt du peuple a été méconnu.
Voilà la situation telle
qu'elle m'apparaît avec ses exigences, avec ses nécessités. Ainsi que je l'ai
dit, ce n'est pas là une situation que vous pouvez envisager en l'isolant, vous
ne pouvez prendre dans cette situation deux, trois, quatre mois pour y faire
face. Vous devez la considérer dans son ensemble, sur cet ensemble calculer vos
ressources, et vous demander jusqu'où vous pouvez aller. Certes, les dépenses
qu'il y aura à faire, vous pourrez les disposer en plusieurs relais. Mais avant
de mettre le pied sur la route, il faut la choisir. Avant de décréter les
sacrifices, d'en commencer la longue série, il s'agit d'adopter, d'arrêter un
système. Il serait téméraire de s'engager dès le début dans une voie qui
pourrait rendre l'avenir plus difficile, les questions de l'avenir plus
insolubles.
C'est, messieurs, en me
plaçant à ce point de vue que je viens soumettre à la chambre et au
gouvernement, non pas un système, Dieu m'en garde ! je n'ai ni cette
prétention, ni l'expérience, ni les connaissances spéciales nécessaires ; mais
je viens soumettre et à la chambre et au ministère les réflexions que cette
discussion m'a suggérées.
Le gouvernement a un
système. Il a un système qui remplit à certains égards les conditions que
j'indiquais tout à l'heure, puisque c'est un système qui embrasse l'ensemble
des besoins, l'ensemble de la situation en se prolongeant dans l'avenir.
Ce système, messieurs,
voici comment il se formule : « Pouvoir aux besoins du trésor public par des
emprunts forcés ; soutenir les établissements de crédit, dans l'intérêt de
l'industrie et du commerce, par des émissions de papier-monnaie, de papier
inconvertible. » Ce système a déjà fonctionné dans une certaine limité, puisque
vous avez voté un premier emprunt forcé de 12 millions ayant pour base l'impôt
foncier, et que vous avez autorisé une émission de 30 à 34 millions de
papier-monnaie, de billets de banque ayant cours légal.
Aujourd'hui on nous demandé
26 à 27 millions d'emprunt forcé ;et l’on annonce que ce n'est pas le dernier ;
et en même temps on nous fait pressentir une nouvelle émission de billets,
émission qui pourra être portée, dans l'éventualité que j'ai indiquée tout à
l’heure à 20 millions de francs.
M. le ministre de
l'intérieur vous a assez fait pressentir que dans l'avenir c'était là le
système auquel il faudrait s'arrêter : recourir à l'emprunt (page 1389) forcé pour les besoins de
l'Etat, recourir à des émissions de billets de banque, seulement dans l'intérêt
d'établissements financiers.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Rogier). -
Je n'ai pas dit que dans l'avenir on aurait encore recours à l'emprunt forcé.
M. d'Elhoungne. - M. le ministre me fait
observer qu'il n'a pas dit que dans l'avenir on aurait recours à l'emprunt
forcé. Mais il y aura la deuxième partie de l'emprunt actuel. Du reste, peu
importe. Car je démontrerai qu'en entrant dans la voie des emprunts forcés, on
est fatalement conduit à y persévérer, qu'on n'a plus le choix d'une autre
voie.
Il ne faut pas, messieurs,
se faire illusion sur ce que c'est que l'emprunt forcé. Hier, j'entendais M. le
ministre de l'intérieur dire : L'emprunt forcé, c'est un impôt remboursable
avec intérêts. C'est en effet cela : ce n'est pas autre chose ; et je tiens à
le constater. Car ce mot d'emprunt jette beaucoup de confusion dans les idées.
Il fait peut-être illusion à ceux qui demandent l'emprunt, sur les souffrances
que celui-ci impose aux contribuables ; et je crois pouvoir assurer que le
titre d'emprunt qu'on donne à cet impôt, n'en allège en rien les souffrances.
Un emprunt forcé a les inconvénients
de l'impôt ; il froisse comme l'impôt ; et n'a pas les avantages de l'emprunt.
Non seulement il grève le présent, mais il pèse sur l'avenir ; il grève le
présent comme l'impôt ; il pèse sur l'avenir comme l'emprunt.
Messieurs, je puis me tromper
; je suis neuf, je l'avoue, dans ces matières : mais je pense que le mode le
plus onéreux de faire de l'argent, c'est l'emprunt forcé. Voici les calculs qui
m'ont conduit à cette conclusion.
Je suppose un emprunt forcé
de 80 millions ; c'est à peu près la somme que le gouvernement indique.
Vous avez d'abord à tenir
compte des sacrifices multipliés que tous les contribuables doivent faire pour
payer l'emprunt. On demande à emprunter à des personnes qui ne sont ni
disposées à prêter, ni en position de le faire ; il faut par conséquent
qu'elles se procurent de l'argent à tout prix ; Dieu seul sait la somme de.
sacrifices et de souffrance que cela engendre sur toute la surface du
pays ! C'est un premier point à considérer.
En second lieu, je ne crois
pas exagérer en disant qu'il y aura sur un emprunt de 50 millions, 25 millions
de récépissés qui seront vendus avec une perte moyenne de 50 p. c. Cela fait
donc 12,500,000 fr. de perte directe pour les contribuables qui devront vendre,
c'est-à-dire pour les contribuables les plus pauvres, pour les contribuables
les plus gênés, pour ceux sur lesquels l'emprunt pèse le plus lourdement.
En troisième lieu un
emprunt forcé, vous devez le rembourser. Vous ne pouvez le rembourser avec les
recettes ordinaires du budget : il faut le rembourser avec un nouvel emprunt.
Vous ferez ce nouvel emprunt dans de mauvaises conditions de crédit. Vous le
ferez à la première lueur qui luira sur la crise et qui présagera une situation
moins tendre.(Interruption.) Comme
vous ne pourrez pas faire d'autres emprunts avant d'avoir remboursé les
emprunts forcés, votre premier emprunt volontaire devra évidemment servir à ce
remboursement. Que s'est-il passé en 1831 ? Les deux emprunts forcés de 10 et
de 12 millions de florins ont produit 46 millions de francs. On a remboursé
47,260,000 fr., différence en chiffres ronds, 1,200,000 fr. Mais on les a
remboursés avec l'emprunt de 100 millions qui a été négocié à 74,59, ce qui a
donné sur les 47,260,000 fr. remboursés une perte directe pour l'Etat de 12,055,612
fr. Ensemble 13,325,000 fr. de perte pour l'Etat sur le remboursement.
Additionnant 12,500,000 fr.
de perte directe pour les contribuables et 13,500,000 fr. de perte directe pour
l'Etat, j'arrive à une perte de 25 millions sur un emprunt forcé de 50
millions.
Mais il y a en outre des
pertes indirectes. En effet par un emprunt forcé, vous jetez sur la place les
coupons de l'emprunt forcé lui-même et plus tard l'emprunt volontaire qui
remplacera le premier.
Je suppose que, jetant 25
millions sur la place, vous n'occasionniez qu'une baisse de 3 francs sur la
dette consolidée ; cela fera, messieurs, sur les 562 millions de notre dette,
plus de 30 millions de perte indirecte.
Voilà comment opère un
emprunt forcé. Il y a perte directe pour le contribuable le plus pauvre, pour
le contribuable le plus intéressant, le plus digne de pitié ; il y a perte
directe pour l'Etat au moment du remboursement ; il y a perte indirecte par la
réaction si fâcheuse et si énergique qui se produit sur les titres de la dette
consolidée.
En présence de ces
chiffres, messieurs, il est impossible de prétendre qu'un emprunt forcé n'est
pas un moyen déplorablement onéreux, que ce n'est pas le plus dur et le dernier
auquel un puisse avoir recours.
Faut-il, après cela,
s'étonner que lorsqu'un emprunt forcé sabre ainsi le crédit public, celui-ci
s'alarme, que les fonds baissent, et que le pays s'alarme à son tour d'aussi
énormes sacrifices qui produisent d'aussi minces résultats ?
Je dis, messieurs, qu'un
emprunt forcé est nécessairement funeste au crédit public. En effet, il tient
la bourse sous le coup des ventes empressées des coupons de cet emprunt forcé
et sous le coup de l'emprunt qu'à la première lueur d'un rétablissement du
crédit, vous devrez nécessairement contracter pour rembourser l'emprunt forcé.
Je le demande, en présence d'une pareille anxiété, vos fonds peuvent-ils
éprouver le moindre mouvement de hausse ? Je demande si vous ne comprimez pas
vos fonds, si vous ne sacrifiez pas votre crédit public ? Cependant M. le ministre
de l'intérieur, dans le discours qu'il a prononcé hier, a manifesté l'espoir
que le rétablissement du crédit public viendrait nous aider à faire face à nos besoins futurs. Or, peut-on
raisonnablement espérer que votre crédit se rétablira, lorsqu'il sera sous une
menace incessante d'emprunts forcés faits ou à faire ?
On se récrie, et avec
raison, contre la prorogation forcée, à l'échéance, des bons du trésor ; on dit
et avec justice que ce serait là une mesure fâcheuse, une mesure funeste, une
mesure déplorable. Mais, messieurs, il faut aller au fond des choses : que
serait une prorogation de l'échéance des bons du trésor ? Ce serait un emprunt
forcé à charge des capitalistes qui peuvent prêter au gouvernement, qui ont
l'habitude de prêter au gouvernement, tandis que l'emprunt forcé, tel qu'on le
demande, est imposé à des personnes qui n'ont ni les moyens ni l'habitude de
prêter au gouvernement.
L'honorable M. Anspach doit
donc commencer à comprendre pourquoi le pays n'est pas aussi enthousiaste que
lui de l'emprunt forcé. Pensez-vous que le pays puisse être bien enchanté
d'apprendre qu'on va rembourser à la Banque de Belgique 8 millions de bons du
trésor qu'elle a en portefeuille avec de l'argent qui coûte aux contribuables
et à l'Etat 80 p. c. ? Je pense que notre honorable collègue comprendra qu’il y
a quelque chose de très sensé et de très respectable dans la répugnance que
l'emprunt forcé inspire au pays. Certainement, messieurs, nous sommes tous
d'excellents patriotes, nous sommes tous dévoués au pays ; tous, nous
donnerions pour le pays la dernière goutte de notre sang (comme on l'a dit) et
notre dernier écu ; mais encore faut-il voir si les sacrifices qu'on nous
demande sont rationnels, si leurs résultats sont en rapport avec leur
importance, et l'honorable M. Anspach n'a pas tenu assez compte de cette
question.
J'ai dit, messieurs, que
l'emprunt forcé, c'est du moins ainsi que je le comprends, et je serais fort
heureux qu'on me démontrât le contraire, j'ai dit que l'emprunt forcé doit être
funeste au crédit public et qu'il ferme la voie à tout autre emprunt. On tombe
donc dans une étrange contradiction : on veut payer les bous du trésor pour
relever le crédit public, et d'un autre côté on déprime le crédit public en
faisant peser un emprunt forcé sur la dette consolidée.
Et n'oubliez pas,
messieurs, que lorsque le crédit public est atteint, le crédit privé en ressent
le contrecoup. Où trouverez-vous, en effet, des banquiers qui consentent à
faire des avances sur lettres de change lorsqu'ils peuvent acheter des fonds
publics à vil prix ?
J'ai entendu invoquer, à
l'appui du projet, la facilité avec laquelle s'est opérée la rentrée de
l'emprunt que nous avons voté précédemment. Tout à l'heure encore l'honorable
ministre des finances nous faisait remarquer avec quel louable empressement,
avec quel patriotisme, digne des plus grands éloges, toutes les provinces
avaient payé leur part dans le premier emprunt forcé. Messieurs, je fais, comme
l'honorable M. Veydt, une très large part au patriotisme de nos populations ;
comme lui, je rends hommage à leur empressement, mais cependant je tiens compte
de certains faits. Nous avons demandé aux propriétaires, et aux propriétaires
seulement, le premier emprunt forcé ; nous avons fait cet appel à une époque de
l'année où ils n'avaient pas encore payé le moindre à-compte sur la
contribution foncière de l'exercice courant, à une époque où tout le monde
avait autant de facilité pour payer que de bonne volonté ; mais je demanderai
si depuis le premier emprunt forcé les impôts ordinaires sont rentrés avec la
même facilité ? Si M. le ministre des finances est forcé de convenir que les
recettes ordinaires se ralentissent, diminuent, il devra commencer à croire
aussi avec moi, que le deuxième emprunt ne pourra pas rentrer aussi vile que le
premier, non parce qu'il y a moins de patriotisme, moins d'attachement au pays
et à la nationalité, mais parce que les moyens des contribuables sont plus
épuisés.
L'honorable ministre de
l'intérieur et l'honorable M. Lebeau ont invoqué l'exemple de 1831. Certes,
messieurs, j'admire comme tout le monde la conduite que le congrès national a
adoptée dans des circonstances difficiles : mais il faut tenir compte aussi
d'autres circonstances, de circonstances singulièrement favorables. En 1831 on
sortait de plusieurs années de prospérité ; on ne sortait pas, comme
aujourd'hui, de deux années de crise affreuse. N'avons-nous pas eu, coup sur
coup, une double crise des subsistances ,une crise commerciale, une crise
financière, auxquelles se joint maintenant une crise politique ? En 1831 nous
n'avions pas non plus de dette constituée ; nous n'avions pas à nous préoccuper
du crédit public comme aujourd'hui ; nous n'avions pas à nous préoccuper de la
dépréciation que l'emprunt forcé pouvait faire éprouver aux fonds belges. Nous
n'avions pas à nous ménager, pour plus tard, la chance des emprunts volontaires
; car le premier emprunt à contracter devait servir à rembourser l'emprunt
forcé.
On a invoqué sans plus de
succès l'exemple de la Hollande, mais l'honorable M. Lebeau a omis de dire que
la Hollande n'a décrété l'emprunt forcé que comme un moyen coercitif pour
amener les capitalistes à souscrire à l'emprunt volontaire, et que jamais cette
menace n'a été mise à exécution.
Maintenant, messieurs, si
au système des emprunts forcés vous joignez le système de l'émission d'un
papier inconvertible, est-ce que vous ne cumulez pas les inconvénients de ces
deux systèmes ? Est-ce que l'union même des deux systèmes n'en multiplie pas
les inconvénients ? Pour moi, messieurs, poser cette question c'est la
résoudre, et je suis sûr que. le pays partagera cette opinion des que le
système combiné des emprunts forcés et du papier-monnaie aura fonctionné avec
quelque étendue.
Examinons en effet ce qui
peut résulter de ce double système.
Que toute émission d'un
papier inconvertible soit un mal, un très (page
1390) grand mal, une combinaison féconde en inconvénients de toute nature,
personne ne le contestera, et pour ma part, je le conteste moins que personne.
Toutefois, je crois qu'on a
un peu exagéré les inconvénients de ce système ; je regrette surtout que ces
inconvénients aient été si énergiquement présentés par les honorables membres
du cabinet. La matière du crédit est très délicate ; il faut la manier avec
beaucoup de précaution.
Une pensée néanmoins me
rassure : c'est que le pays, en voyant l’opposition que le papier-monnaie
rencontre dans le gouvernement, en voyant l'énergie avec laquelle le
gouvernement repousse la mesure, se convaincra aussi que le gouvernement n'en
abusera jamais, et qu'il ne s'y résignera que là où il lui sera démontré
qu'elle n'est ni imprudente, ni chanceuse.
Sans doute, on peut déjà
prévenir une partie des difficultés qui naissent du papier-monnaie, en modérant
sagement son émission ; on peut mettre une espèce de digue aux inconvénients
que le système engendre ; mais veuillez bien le remarquer, et l'histoire est là
pour confirmer ce que je dis, ce qui fait le plus en faveur d'un
papier-monnaie, quel qu'il soit, c'est l'état du crédit public, c'est l'attachement
du pays pour son gouvernement, pour ses institutions ; c'est la confiance qu'il
accorde à son gouvernement, c'est la parfaite conformité de vues et de
sentiments qui existe entre le gouvernement et le pays.
Reprenez la longue et
souvent bien triste histoire du papier-monnaie, et vous verrez que lorsqu'un
gouvernement n'a pas la confiance du pays, le papier-monnaie, tout excellent
qu'il puisse être, perd rapidement toute espèce de valeur. C'est ainsi qu'en
France, où les assignats, qui avaient cependant, dans le principe, un gage
solide, sont tombés le jour où le gouvernement français a manqué de force et de
stabilité, le jour où la nation n'a plus été avec le gouvernement en parfaite
conformité de sentiments et de vues.
Mais le papier-monnaie, qui
est praticable avec un gouvernement fort et considéré, est-il compatible avec
le système des emprunts forcés ? Messieurs, les emprunts forcés écrasent le
crédit public ; ils froissent le contribuable autant que l'impôt, car c'est une
illusion de croire que l'emprunt n'est pas aussi douloureux que l'impôt. Or,
veuillez remarquer qu'en matière de crédit, tout se lie, tout se tient, tout
est solidaire : le crédit public, le crédit privé, l'état des esprits ; il est
impossible que tous ces faits ne soient pas dans une connexion si intime que ce
que l'un éprouve, l'autre ne le ressente aussitôt.
Maintenant si vous
détruisez la confiance, en touchant un crédit public, si vous touchez à la
confiance par un système d'emprunts forcés qui doivent froisser et alarmer les
contribuables, comment voulez-vous émettre un papier-monnaie, qui ne se
soutient que par la confiance, qui ne se soutient que par la double action du
crédit public et privé ?
A l'appui de ces
observations que je soumets à la chambre et au gouvernement, je citerai à mon
tour l'exemple de l'Angleterre, qui se rapporte le plus à notre situation
actuelle. Lorsque le gouvernement anglais a ordonné que la Banque d’Angleterre
cessât ses payements, non seulement il est emparé du numéraire de la banque, il
lui a escompté ses bills de l’échiquier, mais il a encore émis des emprunts
bien plus considérables que jamais aucun gouvernement ne pourra en émettre.
Comment a-t-il pu faire
cela ? C'est par la magie du crédit, c'est parce que le crédit, ce gouvernement
l'a considéré comme la poule aux œufs d'or, et que pour la faire pondre il n'a
pas commencé par la tuer. (Interruption.)
.
M. le comte de Mérode me
dit : « On s'en souvient en Angleterre. » Certes, on s'en souvient, mais c'est
à ces grands efforts que l'Angleterre doit d'être la première nation du monde
et d'avoir triomphé dans une lutte gigantesque.
Mon Dieu ! je ne dis pas
qu'en principe le papier-monnaie ne recèle pas de grands périls ; personne plus
que moi n'est d'accord sur ce point avec MM. les ministres et sans doute aussi
avec la grande majorité de cette chambre. Mais, au milieu de ces dangers, le
papier-monnaie a cependant quelques avantages, et puisque nous avons accepté le
principe, tirons-en au moins ce qu'il a de bon. Dans une crise, le
papier-monnaie a d'abord l'avantage de ne pas froisser les contribuables, de ne
pas altérer le sentiment du pays, de ne pas multiplier les souffrances parmi la
population qui paye les impôts.
Un deuxième avantage du
papier-monnaie, c'est de provoquer sur le prix de toute chose une hausse
factice, si l'on veut, qui engendrera des inconvénients, si l'on veut encore,
mais qui aura cependant ce résultat, d'abord d'exciter dans les affaires une
activité quelque peu artificielle, mais qui dans ce moment serait très
bienfaisante ; ensuite de faire hausser les fonds publics avec le prix de tous
les autres produits, et par conséquent de donner un nouvel élan au crédit
public, ce qui vous permettrait d'user de ce grand ressort d'un gouvernement
libre. Oui, le papier-monnaie rouvre la porte du crédit public : les emprunts
forcés la ferment.
D'après ces considérations
l'emprunt forcé, à un point de vue général, est nuisible au crédit public ; et
il doit, par cela même, être nuisible aux billets, au papier-monnaie, à tout
cet échafaudage qui ne repose que sur la confiance, la confiance qui n'est
qu'un synonyme du mot crédit.
Maintenant je demanderai au
gouvernement s'il compte user du crédit public pour l'avenir ? Le gouvernement
répondra oui. Les besoins de l'avenir, je l'ai prouvé sont tels, que sans le
crédit on ne saurait comment y faire face. Le gouvernement, d'ailleurs, ne
s'est-il pas flatté déjà de pouvoir user du crédit pour renouveler une partie
des bons du trésor ?
Eh bien, je le répète,
c'est là une évidente inconséquence. Les emprunts forcés ne sont pas
compatibles avec le crédit public. Je serais heureux qu'on me prouvât le
contraire. Mais jusqu'à cette preuve, j'ai le droit de dire que si vous entrez
dans la voie des emprunts forcés, c'est une voie sans issue. Vous y resterez, comme
dans une impasse, aussi longtemps que durera la crise. Ce n'est pas un emprunt
forcé, c'est une longue série d’emprunts forcés que vous allez voter. Après les
emprunts forcés de cette année, vous aurez encore à recommencer l’année
prochaine et les années suivantes, si les destinées de l’Europe et les
convulsions qui l’agitent ne changent pas. Heureux encore si l'aspect des
affaires de l'Europe ne devient pas plus sombre et plus effrayant qu'à cette
heure ! (Interruption.)
L'honorable M. Lebeau me
dit : « Annoncez la fin du monde. » Je lui répondrai que, sans prophétiser la
fin du monde, on peut s'attendre à de grands événements quand on est en
présence de ces journées de février, qui nous ont fait parcourir si rapidement
le trajet d'un demi-siècle.
Pour prétendre que des
complications plus graves sont improbables, il faudrait, en vérité, fermer les
yeux sur ce qui s'est passé depuis deux mois, ou n'y avoir rien compris. Je
répéterai donc au gouvernement que s'il entend recourir plus tard à l'emprunt
volontaire, il doit peser mûrement les conséquences de l'emprunt forcé. De
même, si le gouvernement entend faire une nouvelle émission de papier monnaie,
il doit peser mûrement la réaction de l'emprunt forcé sur le papier-monnaie.
On dit, il est vrai, que là
n'est pas la question ; si on fait de nouvelles émissions, peu importe, dit-on,
comment, quand et avec quelles garanties elle se fera ; la seule question est
de savoir si on ose conseiller d'ajouter 16 millions pour acquitter les bons du
trésor, aux 34 millions déjà autorisés, et aux 20 millions dont l'émission est
déjà arrêtée en principe par le gouvernement. Je dois faire remarquer d'abord
que poser la question ainsi est une chose étrange, car on élimine de la
question tous les éléments de la solution. Avant de décider si on peut ajouter
16 millions à l'émission des billets, ne faut-il pas savoir si cette émission
marchera de front avec un emprunt forcé ? Ne faut-il pas savoir comment vous
ferez l'émission, quelles coupures vous adopterez ? Car le choix des coupures
entre pour beaucoup dans la somme que vous pouvez sans inconvénient faire
entrer dans la circulation.
Ne faut-il pas savoir
ensuite quelles garanties vous donnerez aux émissions nouvelles ? Car ces
garanties doivent exercer une grande influence sur le sort de l'émission totale
; et par conséquent sur les 16 millions à ajouter, comme sur les 34 millions
émis et les 20 millions qu'on nous fait assez clairement entrevoir.
Toutefois, je répondrai à
la question telle qu'elle est posée. Si vous abandonnez l'emprunt forcé ; si
vous faites un choix prudent et bien calculé de coupures pour la nouvelle
émission de billets ; si vous vous montrez scrupuleux pour les garanties à
affecter aux billets, je ne crains pas que les 16 millions, ajoutés à
l'émission dans l'intérêt de l'Etat, déterminent la dépréciation.
En effet, messieurs, dès
qu'il n'y a plus d'emprunt forcé, il y a une cause de dépréciation qui
disparaît, une gêne pour le crédit public qui disparaît ; vous créez du
papier-monnaie, mais vous annoncez en même temps qu'il y a 16 millions de moins
à demander aux contribuables, dans le présent, et moins de sacrifices à leur
demander dans le lointain, puisque le crédit public reste intact.
Or, croyez-vous que 36
millions d'émission de billets dans des circonstances si favorables, avec une
réduction de seize millions dans les sacrifices présents et une réduction des
sacrifices futurs, croyez-vous qu'une pareille émission ne sera pas mieux
accueillie qu'une émission de 20 millions, dans l'intérêt exclusif d'un grand
intérêt privé, accompagnée de 25 millions d'emprunt forcé ? Je dis qu'une
émission faite sous des auspices aussi favorables que le retrait de l'emprunt
pour une notable partie, serait moins odieuse aux contribuables ; elle serait
mieux accueillie, et à raison de cette réduction immédiate des charges, et
parce qu'elle offrirait de plus un soulagement évident pour l'avenir. Je ne
crains pas de le déclarer : ce système serait le plus populaire ; et tout ce
qui se dit, et tout ce qui s'écrit là-dessus le prouve.
Ceci m'amène à parler de la
coupure des billets. Si on portait l'émission à 70 millions et qu'on abaissât
les coupures de manière à mettre les billets à la portée d'un plus grand nombre
de citoyens, d'un plus grand nombre de bourses, d'un plus grand nombre de
transactions ; de manière qu'ils pussent remplacer le numéraire dans les
opérations les plus modestes, qui sont aussi les plus nombreuses, et dans leur
ensemble les plus considérables, la circulation serait plus forte, plus
étendue, et pourtant plus coulante.
Par les petites coupures,
l'émission deviendrait moins lourde sur le marché ; elle serait donc plus
importante en somme, et moins répulsive.
Mais, dira-t-on, au moyen de
ces petites coupures, vous allez chasser de la circulation ce qui y reste
encore de numéraire ; vous allez supprimer, vous allez tarir la circulation
métallique. Dans toutes les transactions, vous y substituerez le papier.
Messieurs, je ne conteste pas ce qu'il y a de vrai dans cette objection ; mais
elle existe dans le système du gouvernement lui-même : si le gouvernement émet
encore 20 millions de billets, et il s'est suffisamment expliqué pour qu'on
regarde ce fait comme certain, cela fera 54 millions avec l'émission de 34
millions déjà décrétée. Eh bien, il faudra nécessairement faire de petites
coupures ; car on (page 1391)
ne pourrait faire pénétrer 54 millions dans la circulation sans petites
coupures ; tout le monde le reconnaît.
Vous aurez donc l'inconvénient
de chasser le numéraire, tout comme en émettant 70 millions. Vous aurez par-là
créé le motif d'augmenter, dans une proportion plus forte, l'émission, et vous
ne l'augmenterez pas ; et vous courrez le risque que le numéraire étant chassé
brusquement, la trop petite quantité du papier émis n'amène la contraction du
marché monétaire, une gêne dans les affaires, une crise de la circulation à
joindre à la crise financière et politique qui vous travaille ! Messieurs,
cette considération peut s'appuyer d'une expérience concluante. Lors des
émissions en Angleterre de banknotes inconvertibles, les notes de 1 à 4 livres
se sont accrues plus rapidement que les coupures supérieures.
Voici le mouvement officiel
de ces émissions :
Billets de plus de 5 livres.
En 1797, 11,114,120
liv. ; en 1800, 16,844,470 liv. ; en 1805, 17,871,170 liv. ; en
1810, 21,019,600 liv. ; en 1815, 27,261,650 liv.
Billets au-dessous de 5
livres.
En 1797, 867,585 liv., en
1800, 1,471,54 liv. ; en 1805, 4,860,160 liv. ; en 1810, 5,860,420
liv. ; en 1815, 9,035,250 liv.
Ces petites banknotes, une
fois répandues dans la circulation, sont devenues un tel besoin, que quand, en
1823, le bill relatif au payement en numéraire a été mis en exécution, on a dû
maintenir pendant onze ans les petites coupures de 1 et de deux livres
sterling. En 1835 ou 1836, si je ne me trompe, une grande crise éclata ; la
banque d'Angleterre se trouva sur le point de suspendre ses payements ; le
hasard fit retrouver dans un coin une caisse de petites banknotes qu'on avait
oublié de détruire ; on les mit en circulation comme monnaie, et la banque fut
sauvée, et la panique s'apaisa.
Messieurs, j'ai dit, en
troisième lieu, qu'on devait se montrer scrupuleux sur les garanties. C'est une
condition essentielle encore de l'opinion que j'ai exprimée. Que si on me
demande en quoi les garanties devront consister, je répondrai :
Pour les 20 millions que
vous vous proposez d'émettre, je vous laisse juge, vous gouvernement, des
garanties à stipuler, et que seul vous connaissez et pouvez apprécier.
Quant aux seize millions,
destinés à faire face aux bons du trésor, la section centrale avait indiqué une
garantie suffisante dans l'affectation de la forêt de Soignes. Si la garantie
que le gouvernement se propose de stipuler pour les vingt millions à émettre,
est aussi solide que celle que la section centrale avait indiquée au
gouvernement, pour les seize millions qu'elle conseillait d'émettre, sous ce
rapport, il n'y aura rien à désirer.
Sans me dissimuler, je le
répète, que l'émission du papier-monnaie puisse avoir de graves inconvénients,
quand l'émission est excessive, je dois dire quelques mots sur le point très
délicat et très essentiel de savoir quelle somme le pays peut supporter. Je
n'entends pas trancher la question. Je soumets très humblement à la chambre,
aux hommes spéciaux qu'elle renferme, les observations que le débat me suggère.
Si l'on considère notre
circulation en numéraire, on doit reconnaître qu'une émission de 70 millions de
papier-monnaie n'a rien d'exagéré. J'ai entendu évaluer à 200 millions le
numéraire en circulation dans le pays. L'honorable M. de Liedekerke l'a évalué
hier à 300 millions. J'ai consulté une personne très expérimentée en cette
matière, qui en fait une étude toute spéciale, et elle m'a affirmé sans
hésitation que l'on peut aller plus loin, et porter le numéraire de notre
circulation normale de 4 à 500 millions. Ce qui confirme cette estimation,
c'est qu'on arrive aux mêmes données par différentes combinaisons. Ainsi citons
à ce sujet deux calculs de probabilités, et en cette matière, on ne peut avoir
que des probabilités, que des approximations.
On a reconnu en France,
depuis Turgot jusqu'à nos jours, que le budget des recettes équivaut à peu près
au quart de la circulation monétaire ; ce rapport n'a pas changé. On peut donc
dire qu'en France le budget des recettes est à cette circulation comme 1 est à
4.
Or, la circulation d'un
pays est en rapport avec sa richesse, son activité, son revenu. Le budget est
assis plus ou moins exactement, plus ou moins équitablement sur les mêmes
bases. On peut donc admettre qu'en Belgique le même rapport existe, d'autant
plus qu'en Belgique il y a plus d'activité commerciale et que, relativement, la
Belgique est plus riche que la France.
Or, en prenant quatre fois
le budget des voies et moyens, nous avons 400 millions pour notre circulation
monétaire.
Si maintenant on considère
que la Belgique équivaut au huitième de la France, une circulation de 4
milliards en France donne encore une fois pour la Belgique une circulation de
500 millions.
On peut donc, sans craindre
de se tromper beaucoup, évaluer notre circulation monétaire à 4 ou 500
millions. Elle est plutôt au-delà qu'en deçà. 70 millions de papier-monnaie
n'ont donc rien d'effrayant. Cette émission ne pourrait jeter le désordre dans
le crédit, ni altérer notablement les relations du commerce et de l'industrie.
Messieurs, en voyant ce que
des établissements anglais et français fondés sur le crédit ont pu émettre de
papier-monnaie, on acquiert plus encore la conviction que la Belgique pouvait
aisément supporter une émission de 70 millions.
Ainsi, malgré la crise qui
commençait, la caisse Gouin avait en circulation au 31 décembre en billet sà
terme, sans compter les bons de caisse, 29,772,000 fr. Elle avait eu précédemment
de 35 à 40 millions. La caisse Ganneron avait également 10 millions 200 mille
francs. Quand on voit ce que le crédit peut faire pour de simples
établissements privés, on se demande ce qu'à plus forte raison le crédit peut
faire pour la Belgique, qui n'est pas seulement un pays de probité, mais un
pays de gouvernement représentatif, de grande publicité, où tout se passe à la
clarté du soleil ; où les discussions des pouvoirs publics doivent
nécessairement éclairer la nation sur les vrais et grands intérêts de l'Etat,
et où toute mesure qui devrait déshonorer le pays par la banqueroute serait
repoussée avec indignation sans avoir même les honneurs d'un débat sérieux.
Je conclus donc, messieurs,
comme l'honorable M. Malou l'a fait hier, en exprimant l'opinion que la
Belgique peut sans inconvénient supporter une émission de papier-monnaie de 70
millions.
Il me reste à donner
quelques explications sur un dernier point, que je n'ai pas encore abordé.
En émettant du
papier-monnaie pour faire face aux bons du trésor, on n'aura pas tout fait
encore. Il ne suffira pas de substituer cette émission à l'emprunt forcé. Il
restera, d'après les calculs du gouvernement, neuf millions de dépenses
auxquelles il faudra pourvoir jusqu'au 1er septembre prochain. Eh bien ! je suis
tellement convaincu que l'emprunt forcé est une mesure désastreuse, qu'il faut
éviter à tout prix, que je suis prêt à voter ces 9 millions plutôt à titre
d'impôt qu'à titre d'emprunt. Je vais plus loin : je déclare que si l'on
démontre ne pas pouvoir faire une nouvelle émission de 16 millions
papier-monnaie, je voterai plutôt pour 25,000,000 d'impôt que pour 16,000,000
d'emprunt forcé. Cette déclaration, je l'espère, prouvera au gouvernement que
je suis prêt à concourir aux mesures que réclame la situation. L'impôt est
impopulaire, il ne prête pas aux illusions. Mais en me prononçant pour l'impôt,
je suis moins touché des convenances immédiates, actuelles, des contribuables
que de l'intérêt du crédit public, qui est supérieur à mes yeux, parce qu'en lui
est l'avenir tout entier, parce qu'en lui seul on peut trouver les ressources
pour que les besoins d'un avenir très prochain ne viennent pas écraser les
contribuables déjà exténués par des emprunts forcés plusieurs fois renouvelés.
C'est, messieurs, cette considération qui me guide et me détermine.
Messieurs, en supposant
l'émission de 16 millions de billets de banque pour couvrir la dette flottante
exigible jusqu'au 1er septembre, voici comment on pourrait créer des ressources
pour les autres dépenses.
On demanderait à titre
d'impôt :
1° Six douzièmes du
foncier, soit 9,000,000 fr.
2° Taxe sur les rentes et
retenues sur les traitements, soit 2,000,000 fr.
3° Remboursement de la
Banque de Belgique, soit 2,000,000 fr.
Total : 13,000,000 fr.
Et comme l'estimation n'est
que de 9,000,000 fr., il resterait un excédant de 4,000,000 fr.
Cet excédant, que le
gouvernement n'a pas pris la précaution de se ménager dans son estimation de 25
millions, aurait pour but de compenser le vide qu'éprouvera le trésor public par
suite du ralentissement dans la rentrée de l'impôt, et par suite de la
diminution probable des recettes.
Mais, veuillez-le
remarquer, lorsque vous aurez pourvu, par l'adoption du projet du gouvernement,
à 16 millions pour le remboursement de bons du trésor à échoir jusqu'au 1er
septembre, ou à 14 millions, déduction faite des 2 millions que doit restituer
la Banque de Belgique, on conserve 9 à 10 millions pour faire face aux autres
dépenses. Mais, dans ce système, il n'y a pas de marge pour faire face au
ralentissement des rentrées de l'impôt, ni à la diminution probable des
recettes. Pour moi, je crois nécessaire d'avoir une somme réservée pour cet
objet. C'est une observation qui m'a été faite hier par M. le ministre des
travaux publics ; je dois l'en remercier, car j'en reconnais toute la justesse,
alors surtout qu'une négociation de bons du trésor, comme anticipation sur les
recettes ordinaires, n'est plus praticable.
Il y a un autre point, plus
important encore, qui doit fixer notre attention. M. le ministre des finances a
signalé ce fait que le trésor public pourrait, d'ici au 1er septembre, recevoir
une grande quantité de bons du trésor non échus en payement de l'impôt. On
pourra acquitter les droits de douanes, des droits d'enregistrement, des droits
d'accise, et la contribution foncière en bons du trésor, échéant
postérieurement au 1er septembre ; ces bons, une fois rentrés au trésor, ne
sont plus que des chiffons de papier au moyen desquels la trésorerie ne peut
payer aucun service public, aucune dépense publique.
Pour faire face à cette
éventualité, je pense qu'il suffirait de donner au gouvernement le droit de
disposer de l'ancien encaisse, qui s'élève à 13 millions de notre 4 p. c. Avec
la hausse qu'éprouvent chaque jour nos fonds, je suis sûr que M. le ministre
des finances pourra (page 1392)
prochainement placer de ce 4 p. c. à des conditions moins onéreuses, avec moins
de sacrifices que n'en implique l'emprunt forcé.
Messieurs, je bornerai là
ces observations que la chambre a écoutées avec une bienveillance dont je
crains d'avoir abusé. En terminant comme en commençant, je fais la même
déclaration : il me semble qu'il y avait des combinaisons qui permettaient
d'éviter au pays la dure nécessité d'être condamné aux emprunts forcés, soit à
temps, soit à perpétuité. Je n'ai pas la prétention de formuler un système ; ce
sont de simples observations que je soumets au gouvernement, à la chambre, afin
que les hommes spéciaux que cette assemblée compte en si grand nombre puissent
les examiner, dans l'intérêt du présent et plus encore.de l'avenir. Je n'ai pas
besoin d'ajouter qu’au point de vue des économies, je me rallie complètement
aux observations de mon honorable et éloquent ami M. Van Huffel ; il n'a rien
laissé à ajouter.
Pour
me résumer, je déclare que si le gouvernement consent à une émission de seize
millions de billets, et à substituer pour le reste des besoins l'impôt à
l’emprunt, mon vote sera affirmatif ; que même, si le gouvernement me démontre
qu'on ne peut créer pour seize millions de billets, pour compenser une pareille
somme de bons du trésor, et que s'il demande 25 millions d'impôt, je les
voterai plutôt l'impôt que l'emprunt ; enfin, que si le gouvernement persiste
dans son système, comme mon opposition s'adresse à un principe économique que
je crois mauvais et non aux hommes, je m'abstiendrai. (Agitation.)
M. Anspach. - Je demande la parole
pour un fait personnel.
M. le président. - Je ne pense pas que le discours de l'orateur,
renferme rien qui vous soit personnel.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable députe de Gand a
parfaitement constaté dans la première partie de son discours les besoins de l'Etat,
les besoins résultant de la liquidation du passé, ceux du présent, ceux de
l'avenir. Dans l'appréciation de ces besoins, il a même été au-delà de mon
discours d'hier ; et cependant, dans ce discours, je ne m'étais pas montré bien
rassuré sur l'avenir.
J'accepte donc ses
appréciations, j'accepte toutes ses évaluations. Mais c’est parce que je suis
entièrement de l'opinion de l’honorable M. d'Elhoungne sur l'importance des
besoins du pays, que je dois repousser d'une manière absolue les conclusions renfermées
dans la seconde partie de son discours.
En présence de ces besoins
si nombreux, si étendus, que vient en définitive nous proposer l’honorable
député de Gand pour faire face aux nécessites qu’il signale ? Seize millions de
papier-monnaie et neuf millions d’impôt, en tout 25 millions.
Messieurs, nous considérons
comme indispensables : d'abord 25 millions a percevoir des contribuables à
titre d'emprunt ou à titre d'impôt, comme on voudra ; plus, pour faire face à
des éventualités non pas d'un avenir très éloigné, mais pour faire face à des
éventualités de demain, d’après-demain, nous demandons au-delà de 25 millions ;
nous aurons probablement à le demander au papier-monnaie.
Pour combattre l'emprunt
forcé, l'honorable député de Gand représente le gouvernement comme ayant érigé
en système deux principes qui se combattent, l'un l'autre, qui sont
inconciliables : le principe de l'emprunt forcé combiné avec l'émission du
papier-monnaie.
Messieurs, le gouvernement
n'est pas guidé, dans les propositions qu'il vous fait, par un système absolu.
Ce n'est pas en exécution d'un système préconçu que le gouvernement est venu,
dès le surlendemain des événements qui ont surgi à nos portes, demander au pays
des ressources au moyen de l'emprunt forcé pour faire face à la situation. Ceci
n'est pas du tout un système, ce n’est pas un système pour le passé, c'est
encore moins un système pour l'avenir.
Jamais, et sous ce rapport
la base d'une partie principale du discours de l'honorable député de Gand
croule complètement, jamais le gouvernement n'a érigé ici en système pour
l'avenir l'emprunt forcé, combiné avec le papier-monnaie.
L'emprunt forcé est le
premier moyen qui s'est présenté à nous pour faire face aux besoins de la
situation. Je sais que nous pouvions recourir simplement, brutalement à l'impôt
pur et simple, au lieu de demander au contribuable un impôt remboursable
portant intérêt. Mais si nous avions procédé par cette voie, je demande, en
présence des réclamations qui ont surgi dans cette enceinte contre l'emprunt,
contre l'impôt remboursable et portant intérêt, je demande ce qu'auraient été
ces réclamations si elles n'eussent pas éclaté bien plus vives, bien plus
unanimes !
Sans doute, l'honorable M. d'Elhoungne
s'est livré, je le reconnais, à une dissertation très ingénieuse sur les
avantages de l'impôt, comparé à l'emprunt forcé. Mais, qu'il me permette de le
lui dire, le contribuable ne comprend pas ces hautes finesses financières ; le
contribuable, quoi qu'on en dise, aimera toujours beaucoup mieux payer à l'Etat
un emprunt dont il sera remboursé avec les intérêts, que de livrer aux caisses
de l'Etat un impôt qu'il ne verra pas lui revenir directement.
On soutient que l'emprunt
forcé va produire ces trois résultats : frapper d'abord le contribuable,
exercer une influence fâcheuse sur les fonds publics et forcer plus tard le
gouvernement à de nouveaux sacrifices, alors qu'il sera obligé d'emprunter pour
le remboursement de l’emprunt forcé.
Sans être, messieurs,
partisan très exalté de l'emprunt forcé, je ne puis cependant lui reconnaître
ces effets fâcheux qu'on vient de signaler.
D'abord, dit-on, l'emprunt
forcé va frapper le contribuable ; sans doute, messieurs, mais il le
frappera moins que l'impôt, pour lequel l'honorable M. d'Elhoungne a fait
connaître sa préférence. L'emprunt forcé, en supposant que le contribuable soit
obligé de vendre ses récépissés à 50 p. c. de perte, supposition que je
n'admets pas, surtout si l'on a soin d'éclairer le public au lieu de l'alarmer,
mais enfin en supposant que le contribuable perde 50 p. c, ce seront 50
centimes additionnels qu'il aura payés au lieu de la totalité de l'impôt.
Je le répète, la
dépréciation n'ira pas jusque-là, surtout si les contribuables, qui ont besoin
d'être éclairés, reçoivent des lumières de la part de ceux qui peuvent les leur
donner, et si les plus malheureux, au lieu de recevoir de simples conseils,
reçoivent des secours efficaces. Si les petites cotes sont rachetées par ceux
qui doivent avoir confiance dans le crédit public, on ne verra pas arriver une
semblable dépréciation. Eh bien, messieurs, il va de soi que nul contribuable
ne viendra demander de payer un impôt au lieu d'un emprunt, c'est-à-dire de
payer 100 au lieu de payer, dans la supposition la plus défavorable, 50.
On dit que l'emprunt forcé
exercera une influence fâcheuse sur le crédit public. Sortons des hypothèses,
voyons les faits : lorsque le premier emprunt forcé a été émis, avons-nous vu
une telle dépréciation ? Loin de là, et je suis convaincu que les ressources
que nous allons demander aux contribuables sont de nature à relever les fonds
publics, au lieu de les déprécier.
On dit : Lorsque vous
voudrez rembourser l'emprunt forcé, il faudra faire un emprunt et un emprunt
onéreux, qui entraînera le pays dans une perte considérable ; il arrivera,
dit-on, ce qui est arrivé en 1831, où l'on a dû rembourser l'emprunt forcé au
moyen d'un emprunt très onéreux.
Eh bien, messieurs, il y a
une différence entre l'emprunt forcé de 1831 et l'emprunt forcé de 1848 :
l'emprunt forcé de 1831 était à échéance fixe. L'Etat avait pris l'engagement
de le rembourser en 1832 ; l'emprunt de 1848 n'aura pas cet inconvénient ;
l'Etat n'est point forcé de le rembourser à échéance fixe, c'est-à-dire qu'il
prendra son temps, qu'il choisira le moment le plus favorable pour procéder au
remboursement de l'emprunt. La différence est donc grande. Il y en a une de
plus, l'emprunt de 1848 porte intérêt à 5 p. c. tandis que l'emprunt de 1831 ne
portait pas intérêt.
J'ai dit, messieurs, qu'en
supposant qu'on nous accordât seize millions de papier-monnaie il n'en faudrait
pas moins, pour fournir au trésor public les 25 millions que nous demandons
aujourd'hui, un emprunt forcé. Si l'honorable M. d'Elhoungne a une préférence
marquée pour l'impôt substitué à l'emprunt, s'il croit que l'intérêt du pays
sera plus utilement servi par l'impôt pur et simple que par l'emprunt
remboursable et portant intérêt, eh bien, nous l'avons déjà dit, la voie est
ouverte aux propositions. Qu'il en fasse une ! Mais comme lui-même a déclaré
qu'il fallait donner au gouvernement tous les moyens que la situation réclame,
ce ne sera pas 9 millions qu'il faudra demander à l'impôt, ce sera, je le
répète, 25 millions.
J'ai dit, messieurs,
qu'avec 25 millions demandés à l'emprunt et non pas au papier-monnaie, nous
ferons face à nos obligations du moment, à nos besoins actuels et que, pour le
papier-monnaie, nous en ferons usage pour nos besoins de l'avenir, besoins déjà
constatés aujourd'hui.
Messieurs, je dois revenir
ici sur une observation qui a été présentée par mon honorable ami, M. le
ministre des finances, et qui a une grande importance. Lorsque nous demandons
seize millions à l'emprunt forcé pour rembourser nos bons du trésor, nous ne
sommes pas encore arrivés au bout de la dette flottante ; il reste encore douze
millions de bons du trésor, échéant après le 1er septembre 1848. Ces bons du
trésor, s'ils restent entre les mains des détenteurs, ne nous tourmentent pas,
ne nous inquiètent pas d'ici au 1er septembre ; mais ces bons du trésor,
remarquez-le bien, ne resteront pas entre les mains des détenteurs ; ces douze
millions de bons du trésor vont venir dans nos caisses à titre de
contributions, ils vont se rembourser d'eux-mêmes, car l'honorable M. Malou,
dans d'excellentes intentions, je veux le reconnaître, a décidé qu'ils seraient
admis en payement des impôts. Ainsi, messieurs, d'ici à peu de temps, au lieu
de recevoir douze millions de contributions en écus, nous recevrons douze
millions de bons du trésor que nous ne pourrons plus émettre, et qui, par
conséquent, constitueront le trésor public en déficit de douze millions. Je
demande si c'est aussi par une nouvelle émission de papier-monnaie que
l'honorable M. d'Elhoungne entend couvrir ce déficit. (Interruption.) Je viens de vous dire pourquoi je reconnais la
nécessité du papier-monnaie, mais au-delà de 25 millions.
Je
constate des besoins au-delà des 25 millions. Ces besoins, ce sont les 12
millions de bons du trésor qui, à la vérité, n'échoient pas en ce moment, mais
qui aujourd'hui se remboursent d'eux-mêmes en payement d'impôt.
Nous ne demandons pas à
l'emprunt les moyens de couvrir ces bons du trésor ; mais il nous faudra les
moyens de les remplacer dans nos caisses ; sinon nous aurons 12 millions de
recette en moins.
M. d'Elhoungne. - Voulez-vous me
permettre un mot d'explication ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Volontiers !
M. d'Elhoungne. - Vous demandez 25
millions pour payer 14 millions de bons du trésor et puis les dépenses déjà
votées par la (page 1393) chambre,
soit 11 millions. Voilà tout votre projet. Maintenant vous demandez le moyen de
remplacer dans les caisses de l'Etat les 12 millions de bons du trésor qui,
échéant après le 1er septembre, pourront être versés en payement des
contributions, ce qui laissera un déficit dans les recettes. Eh bien ! j'ai
tenu compte de ce besoin.
En effet, n'ai-je pas fait
observer tout à l'heure que le fait signalé par l'honorable ministre des
finances était parfaitement exact, et qu'il fallait le faire entrer dans nos
calculs ? C'est pour cela que j'ai conseillé, dès que l'état de la bourse le
permettrait, de négocier du 4 p. c. de l'ancien encaisse. J'aurais accordé cela
très volontiers. Maintenant en sus des 25 millions d'emprunt forcé, vous
demandez 12 millions pour lesquels vous voulez émettre du papier-monnaie, afin
de parer aux bons du trésor, échéant après le 1er septembre. Eh bien ! je vous
prie de calculer, à votre tour, à quelle émission vous arrivez déjà, si d'une
part vous émettez encore du papier-monnaie jusqu'à concurrence de 20 millions
pour un établissement particulier, et que vous y ajoutiez 12 millions pour
faire face aux bons du trésor, échéant après le 1er septembre. Ce ne sont pas
nos calculs qui sont incomplets ; ce sont vos premières prévisions que les
faits modifient.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Nous ne refusons pas le papier-monnaie de
l'honorable M. d'Elhoungne, nous ne refusons pas le papier-monnaie de la
section centrale ; mais nous disons que ce papier est destiné à couvrir des
besoins au-delà de ceux qui sont constatés. Mon honorable ami. M. le ministre
des finances, a indiqué le nouveau besoin de 12 millions ; je n'ai fait que
développer l'observation de mon honorable ami ; on était donc averti de ce
besoin de douze millions. Vous devez donc nous donner le moyen de parer à cette
éventualité. D'un autre côté, on a dit avec vérité qu'en ce moment les rentrées
du trésor se faisaient d'une manière plus lente, qu'il existe des déficits dans
certaines recettes. En effet, bien que notre situation politique soit
relativement très bonne, nous aurons un déficit probable dans les produits de
la douane, des accises et du chemin de fer.
Eh bien, l'honorable M.
d'Elhoungne, qui a si bien fait comprendre la nécessité pour l'Etat de voir
au-delà du lendemain, de faire face aux besoins de l'avenir, l'honorable M.
d'Elhoungne doit tenir compte aussi de cette éventualité, et ce n'est pas avec
les seize millions de papier-monnaie qu'il pourra y pourvoir. Il nous faut donc
au-delà de seize millions.
En résumé, lorsque,, par un
esprit de conciliation, de modération extrême dont j'espère que nul de nous
n'aura à se repentir, nous avons réduit notre demande à 25 millions, nous avons
dit notre dernier mot et nous le répétons.
Le papier-monnaie, nous
l'admettons ; mais je viens de faire voir à quelle éventualité prochaine une
émission de papier-monnaie devra nécessairement pourvoir.
Je n'ai pas fait allusion
aux nécessités que présente la situation d'un établissement financier ; si l'on
vient à son aide, cela exigera encore une émission de papier-monnaie. Il faut
tenir compte de cette émission éventuelle dans le relevé général des billets
que nous aurons à émettre.
Les 25 millions que nous
demandons, si le système de l'honorable M. d'Elhoungne prévaut, devraient être
réclamés aura de l'emprunt, mais de l'impôt.
L'honorable membre
prendra-t-il sur lui de proposer la substitution de l'impôt à l'emprunt ? Alors
je demande où sera la possibilité pour ses collègues de s'associer à sa
proposition ?
M. d'Elhoungne. - C'est une opinion isolée.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Sans doute cette opinion est ingénieuse ; elle est
défendue dans beaucoup de livres, par des financiers distingués ; elle est également
défendue d'une manière très distinguée par l'honorable M. d Elhoungne. Mais
nous sommes malheureusement ici aux prises avec la réalité, avec les nécessités
présentes, et nous n'avons pas le temps de discuter des théories ; nous avons
des besoins certaines, et nous n'avons pas de ressources actuelles,
réelles ! Des espérances, des hypothèses, des utopies, ne rempliront pas
les caisses du trésor ; or, le trésor a besoin d'être rempli. Dans le moment
actuel, chacun de vous peut comprendre que, vu les charges extraordinaires qui
pèsent sur nous, vu le ralentissement inévitable dans la rentrée des impôts, vu
la réduction dans l'impôt même, le trésor n'est pas dans une situation
florissante.
Messieurs, les événements
que nous subissons, si nous avions pu les prévoir à jour fixe comme nous les
avions pressentis, si nous avions pu prévoir qu'à tel jour, tel événement
forcerait le pays à faire sur lui-même un grand effort financier, et que le
gouvernement fût venu vous présenter sans aucun autre effort d'imagination,
l'emprunt forcé que vous discutez, vous auriez été en droit de vous plaindre de
sa stérilité, de son imprévoyance. Mais les moyens, les mesures que nous avons
présentées ont dû se ressentir des événements ; nous avons été surpris par le
mal, nous avons dû improviser le remède.
Depuis qu'il est présenté,
en a-t-on proposé d'autres plus sûrs, plus efficaces ? Je ne le pense pas.
Avons-nous exige des sacrifices au-delà des besoins de la situation ? Nul n'ose
le dire, puisque déjà les besoins ont été reconnus les dépenses votées. Si un
reproche pouvait nous être adressé, l'honorable député de Gand aurait pu nous
faire celui de trop céder, dans la demande des allocations, au désir de
conciliation, de modération. A l'heure qu'il est, moi, je le dis, les deux
millions qui ont été votés au département de l'intérieur sont à la veille
d'être épuisés, pour satisfaire aux besoins urgents d'un grand nombre de
localités.
Car enfin de quoi se
compose l'Etat ? L'Etat, c'est la représentation de toutes les communes du
royaume. Quelle est la situation de nos communes ? Les communes se trouvent,
chacune chez elle, aux prises avec les mêmes difficultés qui assiègent l'Etat ;
de tontes parts, chacune des administrations communales du pays vient demander
aide, assistance au gouvernement ; il faut entretenir le travail partout,
partout maintenir l'ordre par le travail. Que répond l'Etat à ces communes, qui
forment sa famille, qui sont la chair de sa chair, les os de ses os ?
Nous répondons : Que la
représentation nous donne les moyens de vous venir en aide, et nous répartirons
ces secours votés par la représentation nationale. Si ces allocations viennent
à nous faire défaut, nous sommes dans l'impuissance de vous venir en aide.
Voilà la situation au vrai. Voilà les besoins auxquels il faut pourvoir. Je
suis persuadé que si la chambre comptait un plus grand nombre de représentants
des communes, de bourgmestres et d'échevins, nous trouverions le concours le
plus actif, le plus énergique pour les demandes que nous faisons en ce moment.
Et, messieurs, descendez un
moment vous-mêmes dans vos consciences. Je ne ferai pas d'appel personnel, mais
la plupart d'entre vous, n'avez-vous pas été sollicités, excités par vos
commettants, à demander au gouvernement cette assistance que le gouvernement
vient vous demander aujourd'hui ? On craint, je le sais, en présence de
certaine éventualité, l'impopularité qui peut s'attacher à un vote dont le
résultat sera de forcer la main aux contribuables. Mais, messieurs, retenez-le
bien, les représentants populaires ne seront peut-être pas ceux qui, sans
mauvaises intentions d'ailleurs, auraient refusé au gouvernement les moyens de
venir en aide aux besoins généraux du pays, de venir en aide aux communes ; les
représentants impopulaires pourraient bien être ceux qui auraient refusé ces
moyens.
Je livre ces réflexions à
votre attention ; je ne fais pas appel à des sentiments d'égoïsme ou à des
calculs électoraux ; j'aime mieux maintenir la chambre dans les sentiments
qu'elle a exprimés dès les premiers jours, dans ces sentiments de l'intérêt
public, de l'intérêt général, dans ces sentiments de confiance qu'elle avait
montrés aux premiers actes du ministère.
Depuis lors, le ministère
a-t-il cessé de mériter cette sympathique confiance qui a éclaté de toutes
parts dès le premier jour du danger commun ? Avons-nous démérité de votre
confiance, de la confiance du pays ? Ne sommes-nous pas parvenus, par nos
efforts, à maintenir cet ordre si précieux, si envié des autres pays de
l'Europe ? N’est-ce rien que cela ? Loin de nous le fol orgueil de vouloir
rattacher à notre administration de pareils résultats ; le principal, le
premier honneur en revient au pays lui-même, aux chambres qui, en ces
circonstances,, ont si dignement représenté le pays.
Pour que nous puissions
continuer à marcher du même pas, pour que cet accord si intime, si puissant,
qui a présidé à nos efforts communs aux premiers jours de danger, puisse
exercer une salutaire influence sur le pays entier, il faut qu'il se manifeste
encore, non par de simples discours, mais par des votes.
Vous êtes les représentants
des intérêts du pays, vous êtes les appréciateurs des intérêts généraux, vous
n'êtes pas les représentants des intérêts particuliers. Soyez convaincus que la
popularité viendra plus tard à ceux qui, dans ce moment, loin d'avoir désespéré
du salut du pays, ont pensé qu'il n'était pas incapable de supporter les
charges qu'on est forcé de lui demander.
La
popularité sera pour ceux qui ont confiance dans le pouvoir, pour ceux qui,
rentrés dans leurs foyers, feront un nouvel appel au dévouement, au
désintéressement de leurs concitoyens.
Je crois en avoir dit assez
pour faire connaître à la chambre la position du cabinet devant le vote que
nous attendons. Il nous serait impossible moralement et matériellement de
continuer la direction des affaires, si nous n'obtenions pas de la chambre,
dans les limites auxquelles nous avons consenti à le réduire, l'emprunt que
nous demandons.
M. Malou (pour un fait personnel.)
- Il y a, dans ces circonstances actuelles entre l'honorable député de Gand et
moi, tant de points sur lesquels nous sommes d'accord, j'éprouve une sympathie
si vraie pour son talent, que je ne veux pas insister beaucoup sur les
accusations violentes qu'il m'a prodiguées.
Qu'il me soit permis de
faire remarquer d'abord la position que l'honorable membre lui-même vient de
prendre, en quelque sorte, sur un piédestal entre le ministère dont je faisais
partie et le ministère actuel, et les blâmant également l'un et l’autre.
M. d'Elhoungne. - Je vous ai même un peu
renversé.
M. Malou. - On nous dit en effet
qu'au 8 juin le pays avait prononcé un arrêt que nous devions accepter sans murmures.
D'après tous les débats qui ont eu lieu, je devais croire qu'au 8 juin le pays
avait décidé une question politique entre les partis qui se disputaient la
prépondérance. Si j'avais pu croire qu'il s'agit de juger une question
financière, je n'aurais pas manqué d'en mettre le bilan sous les yeux de tous
les électeurs et j'aurais attendu avec confiance leur décision. Cette question
n'a pas besoin d'oraison funèbre, elle porte en elle même sa justification.
Elle peut attendre la décision et l'épreuve de l'avenir.
A quoi se réduisent tous
ces griefs ? Vous n'avez pas pourvu aux éventualités de l'avenir. (Interruption.)
Plusieurs membres. - Ce n'est pas là un fait
personnel.
(page 1394) M.
Malou. - Messieurs, soyez indulgents, tolérants. La
propriété la plus chère à l'homme politique, n'est-ce pas son passé, ne sont-ce
pas ses antécédents ? Lorsque je viens me défendre, j'exerce un droit ; à ce
titre j'ai droit à votre indulgence.
On nous accuse en premier
lieu de n'avoir pas pourvu aux éventualités de l'avenir, et le même orateur
nous dit que le pays, pendant ces deux ans, s'est trouvé dans un état de crise
affreuse.
Ainsi l'on nous fait un
grief de ne pas avoir pourvu aux éventualités de l'avenir, lorsque le pays
avait tant de peine à pourvoir aux pénibles nécessités du présent.
M. d'Elhoungne. - Vous n'avez pas pourvu
davantage à ces nécessités.
M.
Malou. - J'y viendrai. Mais je ne puis pas tout dire à la
fois. On m'a donc fait un premier grief de ne pas avoir pourvu aux éventualités
de l'avenir, lorsque le pays se trouvait dans un état de crise affreuse.
L'accusation se réfute d'elle-même.
Vous n'avez pas prévu, nous
dit-on encore, les événements qui étaient à l'horizon. Suis-je donc le seul qui
devais prévoir ce que vous-mêmes n'avez pas prévu ? Vous n'avez pas prévu les
révolutions qui viennent soudainement d'ébranler toute l'Europe. Et répondant à
une interruption de l'honorable M. Lebeau, vous reconnaissez vous-même qu'au 15
février 1848, il ne pouvait prévoir ce qui est arrivé quelques jours plus tard.
M. le ministre de
l'intérieur vient de reconnaître à son tour qu'il n'avait point prévu ces
grands et terribles événements. Moi seul, à ce qu'il semble, je devais les
prévoir deux ans d'avance.
M. Manilius. - Je demande la parole
pour un rappel au règlement. D'après le règlement, lorsqu'on demande la parole pour
un fait personnel, on ne l'a qu'à la condition de se renfermer dans le fait
personnel. Nous sommes vingt inscrits pour parler. Un membre ayant obtenu la
parole pour un fait personnel ne peut enlever à ses collègues leur tour de
parole. On ne l'a jamais toléré. Je ne m'oppose pas à ce que l'honorable membre
ait la parole pour un fait personnel. Mais il ne doit pas s'en écarter.
M. d'Elhoungne. - J'ai hâte de faire
remarquer que d'après les précédents de la chambre, comme d'après les règles de
la justice, lorsqu'un ancien ministre a été spécialement critiqué, on lui
accorde, quoi qu'il ne soit plus ministre, son tour de parole privilège. S'il
n'en avait pas été ainsi, l'honorable M. Malou n'aurait pu, dans la discussion
du mois de décembre dernier, prendre cinq fois la parole. La chambre a laissé
librement parler M. Malou, à cette époque. Pourquoi ne le laisserait-elle pas
parler aujourd'hui ? Je demande que la parole soit maintenue à l'honorable
orateur.
Plusieurs membres. - Très bien !
- La chambre, consultée par
M. le président, décide que la parole sera maintenue à M. Malou.
M. le président. - La chambre a prononcé ; je vous prie,
messieurs, de ne plus interrompre l'orateur.
M. Malou. - Je remercie la chambre
de son vote presque unanime, je remercie surtout mon honorable adversaire. Il
comprend ce qu'exige un gouvernement de libre discussion.
Le dernier grief, c'est de
ne pas avoir assez dépensé, de ne pas avoir fait l'emprunt. Vous auriez dû
faire l'emprunt, nous dit-on, mais le pouvions-nous ? Comment pourriez-vous me
prouver que l'emprunt était possible ? Je dis honorablement possible. Sans doute, lorsqu'on veut emprunter à tout
prix, on peut toujours emprunter. Mais un pays comme la Belgique, s'il veut
sauvegarder l'avenir de son crédit, doit emprunter à de bonnes conditions ; il
doit donc avoir égard aux circonstances, consulter notamment l'état des places
financières. Dites-moi, car vous connaissez très bien ces questions, si pendant
mon passage aux affaires, des circonstances se sont jamais présentées où un
emprunt favorable, le seul que la Belgique puisse vouloir, fût possible.
On oublie trop tôt les
faits. Je n'ai besoin que de les rappeler pour justifier ma gestion financière.
Ils en sont la justification devant la chambre comme devant tous ceux qui
voudront apprécier impartialement l'histoire de nos finances..
Vous n'avez pas fait
d'emprunt ! nous dit-on enfin ; mais il fallait d'abord créer des ressources
pour le faire.
On aurait dû commencer par
créer des voies et moyens, ou par introduire dans le service des économies. A
mon point de vue, et je crois avoir raison en économie financière, je ne
pouvais pas proposer l'emprunt sans avoir obtenu les ressources destinées à le
couvrir.
Mais il y a plus :
l'emprunt était inutile à cette époque, en ce sens qu'en réalisant des
ressources, et notamment celles que vient d'indiquer l'honorable M.
d'Elhoungne, les dépenses n'étant pas encore décrétées, nous n'aurions pu faire
qu'un emprunt de quelques millions qui ne vous aurait pas soulagés.
Mais j'aurais fait
l'emprunt, je le suppose un instant. Croyez-vous qu'il nous serait resté
beaucoup pour pourvoir aux besoins de la crise actuelle ?
Vous auriez fait l'emprunt,
et vous auriez augmenté tout aussitôt la dépense. J'en trouve la preuve dans le
discours de l'honorable membre, qui voulait nous forcer la main pour faire
l'emprunt en obligeant à porter cet emprunt à 20 millions de plus.
Ainsi aujourd'hui vous ne
trouveriez pas des ressources dans un emprunt fait à une autre époque.
Mais je dois déclarer
franchement, messieurs, que ces deux grandes dépenses eussent-elles été votées,
on ne nous aurait pas forcé la main. Nous étions résolus à ne pas faire cette
dépense avant que la nouvelle chambre eût jugé si elle devait avoir lieu et eût
créé les voies et moyens nécessaires.
Je ne répondrai pas à une
autre partie du discours de l'honorable membre, en ce qu'il m'accuse d'avoir
dépassé les crédits, d'avoir anticipé sur les dépenses, d'avoir ajourné le
payement des dettes. Je me réfère à l'exposé de la situation du trésor que mon
honorable successeur a fait distribuer aux chambres.
- La séance est suspendue à
4 heures et demie pour être reprise à 7 heures.