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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 avril 1848 (soir)
Sommaire
1) Projet de loi d’emprunt forcé.
a) Discussion générale. Caractère patriotique de
l’emprunt et nécessité d’y recourir. A : économies dans les dépenses de l’Etat ;
B : répartition de la charge (notamment entre contribution foncière et
contribution personnelle et villes et campagnes) ; C : mesure alternatif sous
la forme du cours légal donné aux billets de certaines banques (+soutien à
la société générale et banque de Belgique) ; D : situation sociale du pays (A,
garde civique (Destriveaux), (de
Chimay, Bruneau, Delfosse,
Malou), fait personnel (de La Coste),
C, impôt mobilier, B (sur les titres de la dette) (de
Corswarem)
b) Discussion des articles. Répartition de la charge.
Part de la contribution foncière (Veydt, Mercier, Veydt, Verhaegen,
Cogels, Veydt, Faignart,
de Denterghem, (+niveau général de taxation et
non-perception de l’emprunt forcé) (Delehaye, Rogier), Mercier, Delehaye, Lys, de
Theux, Veydt)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1412) M. Huveners procède à l'appel
nominal à 7 heures et demie.
PROJET DE LOI D’EMPRUNT FORCE
Discussion générale
M. le président. - La discussion
continue sur le projet d'emprunt.
M. Destriveaux. - Messieurs, après les
discussions profondes et lumineuses que nous avons entendues aujourd'hui, je
croyais pouvoir me dispenser de porter la parole et rendre service à
l'assemblée en la laissant reposer son attention sur tout ce qui a été dit.
Cependant j'éprouve
en ce moment le besoin de motiver en quelques mots le vote que je me propose
d'émettre en faveur de la mesure qui nous est présentée par le gouvernement.
Il est des choses,
messieurs, sur lesquelles je ne reviendrai pas. Le passé est jugé, les
récriminations ne changeraient pas la nature de la situation, je crois devoir
me les interdire.
Le présent nous
presse, l'avenir semble nous menacer encore. Dans cette situation, quels
devoirs nous sont imposés ? ceux de peser nos ressources, d'en combiner
l'emploi et de tâcher de faire que la Belgique, sauvée de la crise qui la
menace, conserve entre les nations son rang de nation libre, son rang de nation
morale et respectable par sa moralité.
On a parlé à juste
titre d'économies, on a indiqué les objets que les économies pouvaient et
devaient atteindre. Malheureusement les économies sont lentes et les besoins
sont urgents.
Répéterai-je ce que
les orateurs ont dit avant moi, qu'il faut, dans l'organisation générale de
l'administration, supprimer les rouages inutiles ? Répéterai-je qu'il faut
porter partout un esprit d'économie sévère, atteindre les fonctionnaires de
l'Etat par différents moyens et surtout par la réduction des traitements ?
Je suis éloigné comme
tout bon citoyen, de l'augmentation mal calculée des emplois et des traitements,
qui n'est en dernier résultat qu'un prélèvement illégitime sur les revenus de
l'Etat. Mais je suis également éloigné de cette espèce d'économie qui tomberait
en lésine, celle qui sans acception de l'élévation des fonctions, de leur
utilité pour le pays, des talents et des travaux qu'on a le droit d'exiger des
hommes appelés à les remplir, ne voudrait leur donner qu'une rémunération
dérisoire de la vie qu'ils dévouent à l'utilité publique.
Ayez des
fonctionnaires instruits, laborieux ; supprimez les incapacités, supprimez les
emplois parasites ; mais maintenez et traitez dignement ce qui est utile.
On veut que les
fonctions donnent la dignité, ce n'est pas le nom qui entraîne la dignité,
c'est la manière dont on les remplit.
Il faut que le fonctionnaire
soit tranquille sur son existence ; il ne faut pas le placer dans la pénurie,
dans l'étreinte des besoins. Car alors, s'il est faible, il songera peut-être,
en s'égarant dans sa conscience, à des mesures supplémentaires que la
délicatesse désavouerait.
Messieurs, il est un
point sur lequel on s'est souvent appesanti ; vous avez pressenti d'avance que
je veux parler de l'armée.
Ce n'est pas le
moment, je le sais, de proposer des réformes, de parler d'économies,
lorsqu'aujourd'hui l'armée est appelée à la défense de notre territoire, non
pas contre une invasion que je ne redoute pas de la loyauté de ceux qui nous
environnent, mais contre des tentatives désordonnées, telles que celle que nous
avons déjà eu à repousser.
La force armé est
préventive, a dit un habile orateur. Il a raison ; mais il est deux espèces de
direction préventive ; à l'extérieur, à l'intérieur. Sous le premier rapport,
on a pris des mesures que je regarde comme légitime ; mais doivent-elles être
durables ? J'espère que non ; j'espère que dans peu de temps on verra ceux qui
pourraient nous donner des inquiétudes forcés par les lois mêmes du pays dans
lequel ils vivent, respecter les barrières qui les séparent des autres Etats.
Alors la question
d'économie se reproduira tout entière ; et cette autre direction préventive de
la force armée, cette autre direction purement interne n'aura pas besoin d'être
protégée par une force armée régulière, par ce que nous appelons l'armée.
II y a peu de jours,
nous avons décrété une loi qui, appelant chaque citoyen à servir son pays, mais
à le servir pour la paix, l'ordre intérieur, assure l'un et l'autre. Devant
cette force essentiellement préventive de désordre à l'intérieur, disparaît la
nécessité permanente de l'emploi de celle autre force destinée à être
préventive contre l'extérieur, la nécessité permanente de réunir sous les
drapeaux un nombre aussi considérable de soldais. Alors des économies pourront
être réalisées, elles feront légitimes, et parce qu'elles seront légitimes,
elles seront indispensables.
Je passe rapidement
aujourd'hui sur cet important sujet, mais je fais un appel au ministère qui
siège sur ces bancs, aux hommes dans les mains de qui les rênes du gouvernement
sont placées, et j'espère que cet appel sera entendu, parce qu'avant de céder à
toute espèce de préjugés, à ceux qui séduisent si facilement les hommes, ils
obéiront à une autre voix qui est celle de la patrie : ils seront citoyens,
avant de désirer l'appareil brillant des armes, avant de désirer le simulacre
des combats.
Dans cet état de
choses, des moyens qu'on a présentés comme héroïques sont offerts à nos
méditations. Je ne discuterai pas dans ce moment les détails de tous ces moyens
; je réserve mes observations, si je crois utile de les faire, pour les
développer lors de la discussion des articles ; mais qu'il me soit permis
aujourd'hui de relever une erreur bien grave à mes yeux, de relever une
critique plus ou moins amèrement exprimée et qui dans mon intime conviction est
souverainement injuste.
Il aurait fallu,
a-t-on dit, voler les ressources extraordinaires pour l'année entière ; par
patriotisme, nous n'aurions pas dû reculer devant une semblable détermination.
Eh bien, messieurs,
je suis un de ceux qui en sections ont été partisans déclarés du délai qui est
fixé aujourd'hui, et je ne pense pas avoir obéi à un autre sentiment qu'à celui
du patriotisme. Le patriotisme ne réside pas exclusivement dans un abandon
passionné ; la prudence est du patriotisme aussi, et quand il s'agit d'imposer
à la nation tout entière de grands sacrifices, je crois qu'on ne peut pas faire
un reproche de la prudence.
En ne votant des
ressources extraordinaires que jusqu'au 1er septembre prochain, moi et mes
honorables collègues, qui ont partagé mon opinion, aurions-nous obéi à cette
pensée que j'appellerai presque odieuse, qui serait méprisable ? Aurions-nous
pressenti l'avènement prochain d'une autre législature ? Me serais-je dit :
Arrivant ici pour quelques jours, je vais repousser le fardeau d'une
responsabilité qui m'épouvante, et j'attendrai que d'autres, venant peut être à
ma place, soient obligés de la supporter à leur tour, de voter quand moi, dans
une crainte honteuse, je me serai abstenu ? Non, messieurs, j'aurais voté pour
l'année entière, s'il n'y eût eu que ce moyen de donner au pays les ressources
convenables ; je n'aurais pas hésité un seul instant. Mais je me suis dit :
Ai-je donc bien le droit, dans mon mandat, d'étendre la durée des sacrifices
jusqu'aux dernière limites du terme ? Est-ce que je puis connaître la pensée et
les sentiments du pays tout entier, et savoir jusqu'à quel point il partage mon
opinion sur la convenance des moyens que nous votons aujourd'hui ?
Mais j'ai été arrêté dans cette pensée que la
législature, selon qu'elle sera composée après celle qui existe aujourd'hui,
les conditions nouvelles du choix auquel elle devra son mandat pourront amener
dans sa composition des éléments également nouveaux. Je me suis dit, en parlant
ainsi : Mon vote n'est qu'un appel implicite au pays ; s'il l'approuve, si par
son choix nous étions renvoyés dans cette enceinte, en présence de graves
complications, de dangers imminents, peut-être, forts de l'approbation qu'il
nous aurait donnée, revêtus d'un nouveau et saint mandat, nous voterions dans
l'étendue de la loi qu'il nous imposerait, mais certains de nos pouvoirs, dans
leur nature et leur durée, toutes les mesures nécessaires pour assurer la
tranquillité, la liberté, la nationalité de la Belgique.
Voilà dans quel sens
je voterai les dépenses d'une manière limitée pour le temps, et quels principes
me guideront dans une situation différente. J'ai dit.
M. de Chimay. - Je regrette
vivement d'être amené, par la durée même de nos débats, à demander la parole
pour justifier mon vote. Depuis deux mois l'union patriotique de tous les rangs
de la chambre réalisait les vœux que j'exprimais naguère en dehors de cette
enceinte, avec toute la chaleur d'une ardente conviction, et qu'un de nos
spirituels collègues assimilait méchamment alors aux bucoliques fictions de
Bernardin de Saint-Pierre. J'étais loin sans doute de prévoir quelle
catastrophe sociale serait le prix de cette union. Mais enfin elle existe,
messieurs, elle a prouvé à l'Europe entière tout ce que la Belgique possède de
force nationale et d'indépendance. Telle est à mes yeux l'importance, la
grandeur de ce noble résultat, que si l'égoïsme n'était une tache pour les
peuples comme pour les individus, je ne sais jusqu'à quel point nous serions
admis à qualifier de désastreux l'événement immense qui pèse sur l’Europe
entière.
Ne détruisons pas,
messieurs, de si précieux antécédents. Je comprends toute la gravité des
intérêts matériels qui sont en jeu : peu initié aux rouages financiers d'ingénieuses
combinaisons qui peuvent varier à l'infini, je n'entends ni approuver ni
critiquer, d'une manière absolue, tel ou tel système, telle ou telle
conviction. Mais j'aurais désiré, je l'avoue, que tous les concours si
loyalement offerts et acceptés, toutes les lumières produites pendant le long
et laborieux enfantement de la (page
1413) section centrale, eussent compris qu'il fallait, avant tout, laisser
au débat public la spontanéité, le caractère d'union, qui eussent ajouté un
nouveau et patriotique fleuron à la couronne de la chambre expirante.
Si tel est le tort de
quelques-uns, celui du ministère est peut-être, selon moi, de ne pas aborder à
la fois la difficulté tout entière et sans restriction. L'incertitude, ne
l'oublions pas, messieurs, c'est la mort du crédit, et je regrette qu'il croie
devoir la prolonger.
Il me semble aussi,
messieurs, que le côté politique a été trop sacrifié au côté économique de la
question. Le concours que l’on demande aux uns, les sacrifices que l'on impose
aux autres sont grands, sans doute. Mais reconnaissons, messieurs, que si
l'année dernière, en pleine paix, en pleine sécurité, on était venu dire :
Voulez-vous rester Belges au prix de deux années de contributions ? Beaucoup,
si ce n'est tous, eussent offert leur vie, à défaut de fortune. Serions-nous
donc plus avares aujourd'hui, qu'il s'agit non plus seulement de conserver une
patrie, mais la vraie liberté, notre état social tout entier ? Evidemment, non,
messieurs. J'ai la ferme conviction que le vote définitif de la loi, tout
imparfaite, tout incomplète qu'elle puisse être, fera disparaître jusqu'à la
dernière trace d'une division possible sur le système de l'impôt, mais que tous
sans exception répudieraient, M. Rogier, le premier, j'en suis certain, si aux
yeux du pays elle pouvait un instant revêtir une apparence politique.
Pour moi, messieurs, je me félicite, en donnant à la
loi mon vote approbatif, de pouvoir mettre d'accord quelques affections
personnelles avec la voix de ma conscience. Cette voix me dit que dans la
suprême et décisive épreuve que la Providence réserve à la Belgique, le
ministère du 12 août a bien mérité du pays et de la Constitution. Je n'ai pas à
défendre ses fautes, s'il en commet, ni toutes ses doctrines financières ; mais
je n'oublierai pas que c'est à son habile énergie, à son dévouement, que nous
devons peut-être de délibérer en paix et librement aujourd'hui sur le maintien
et le développement rationnel et progressif de nos institutions.
Je suis heureux,
messieurs, de lui rendre publiquement cet hommage, et de lui assurer que le
sincère et loyal concours que je lui ai prêté depuis le début de cette grande
crise, ne lui fera défaut, ni au dedans, ni au dehors de cette enceinte.
M. Bruneau. - Messieurs, lors
de sa présentation, le projet de loi qui vous est soumis fut reçu, on ne peut
pas se le dissimuler, avec une certaine répulsion dans les sections et dans le
pays tout entier. Depuis lors ce projet a subi des modifications assez
importantes et on peut dire aussi que l'opinion publique a subi des
modifications plus grandes encore. En effet, aux pétitions nombreuses qui ont
assailli la chambre lors de la présentation du projet de loi d'emprunt, pour en
demander le rejet, ont succédé des pétitions dans un sens opposé. Depuis, les
événements ont montré la sagesse des mesures proposées par le gouvernement et
la nécessité de faire face aux premiers besoins, à ce qu'exigeait la situation
du pays.
Depuis lors, il n'y a
plus eu un Belge qui eût balancé, placé qu'il était entre les quelques poignées
d'or qu'on lui demandait, et la défense de ses institutions, la sûreté de sa
famille et de ses propriétés.
En particulier,
l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, n'a pas reçu la part qu'il
doit avoir dans les faveurs du budget, cependant il n'hérite pas à apporter sa
part dans les sacrifices demandés au pays.
A côté de ce
sentiment de dévouement, il en est un autre qui exercera dans l'avenir une
immense influence sur les destinées futures de la Belgique, c'est le sentiment
d'économie. L'honorable M. Van Huffel, l'a dit, l'économie sera inscrite sur le
drapeau des élections futures, comme un autre mol a été inscrit sur le drapeau
des élections passées. Ce ne sera plus le drapeau de l'opposition, mais celui
du gouvernement. Nous avons pour garantie la parole donnée par MM. les
ministres dans les séances précédentes et les actes qu'ils ont posés déjà. Le
projet présenté a rencontré trois espèces d'opposants : les uns ne veulent pas
de l'emprunt, les autres l'acceptent comme une nécessité, mais proposent
d'autres moyens d'y pourvoir ; d'autres enfin, ce sont les neutres, en
reconnaissant la nécessité de l'emprunt, refusent les moyens d'y faire face en
s'abstenant. Je le dis à regret, je ne m'attendais pas à voir figurer dans
cette dernière catégorie l'honorable M. d'Elhoungne ; son caractère, la
virilité de son talent, devaient, selon moi, lui faire prendre une autre
position.
Parmi ceux qui se
sont opposés à l'emprunt se trouve l'honorable M. Orban, qui a pris la parole
dans une précédente séance. Cet honorable membre vous a dit qu'on avait montré
plus de sollicitude pour les créanciers de l'Etat que pour les contribuables.
Mais en présence des créanciers de l'Etat, les contribuables sont des
débiteurs. Sans doute, on doit moins ménager les droits des débiteurs que ceux
des créanciers.
Je regrette que
d'honorables membres aient cherché à soulever un antagonisme entre les villes
et les campagnes.
L'honorable M. de La
Coste nous a dit, dans une séance précédente, que ce n'était pas seulement la
propriété qui était menacée, que le capital l'était aussi. On peut dire que le
capital apporte dans le sacrifice qu'impose la situation un contingent plus
fort que la propriété. Ce n'est pas le gouvernement qui demande ce sacrifice,
ce sont les événements.
Quels sont les sacrifices qu'on demande à la propriété
? Ce n'est pas le capital, c'est une partie de son revenu et même une partie
assez peu considérable. Vous savez que l'impôt foncier ne représente pas le
dixième du revenu. Le commerce contribue pour une part bien plus considérable ;
là ce n'est pas seulement le revenu qui est mis en jeu, c'est le capital ; il
n'est pas une seule position financière industrielle qui soit à l'abri d'une
catastrophe ; on se trouverait heureux si on pouvait en sortir non pas en
perdant une partie du revenu, mais tout le revenu si le capital restait entier.
Les financiers ne font-ils pas un sacrifice immense quand ils voient réduire de
moitié la valeur des capitaux qu'ils détiennent ?
Différents orateurs ont
cru nécessaire de mettre en avant différents systèmes pour faire face aux
dépenses. Je crois inutile de passer en revue ces différents systèmes.
M. Delfosse. - Messieurs, les
discours prononcés dans la première partie de la séance, par l'honorable M.
d'Elhoungne et par M. le ministre de l'intérieur, m'avaient en quelque sorte
décidé à renoncer à la parole. Mais j'ai changé d'avis, après avoir entendu
l'honorable M. Malou, parlant en qualité d'ancien ministre ; je tiens à lui répondre.
L'honorable membre a
essayé, pour la centième fois, mais toujours en vain, de se replacer sur le
piédestal dont, comme l'a dit l'honorable M. d'Elhoungne, il a été renversé le
8 juin. Si l'on en croyait l'honorable M. Malou… (Interruption.)
Un membre. - Ce sont encore
des récriminations.
M. Delfosse. - Messieurs, on a
entendu l'honorable M. Malou ; on s'est même écarté du règlement pour lui
donner la parole. Si l'on ne veut pas que je lui réponde, la chambre n'a qu'à le
déclarer.
Plusieurs membres. - Parlez !
parlez !
M. Delfosse. - 'Si l'on en
croyait l'honorable membre, l'histoire devrait parler un jour de lui avec
admiration. Il serait un ministre des finances incomparable, l'homme des
économies, celui qui pouvait seul nous conduire dans la terre promise, dans
cette terre que l'honorable M. Van Huffel nous a montrée avec raison comme le
seul refuge contre les tempêtes qui nous menacent.
L'honorable M. Malou,
l'homme des économies, qu'il veuille donc nous dire quelles économies il a
réalisées pendant son passage de deux ans au ministère des finances. J'ai beau
chercher, je n'en vois pas une seule. A son entrée comme à sa sortie, je ne
vois que des charges nouvelles.
L'honorable M. Malou
a, il est vrai, résisté à des demandes de travaux publics. Il n'a voulu ni du
chemin de fer d'Alost, ni de la dérivation de la Meuse.
Quand je dis,
messieurs, qu'il n'en a pas voulu, je me trompe ; nous étions alors à la veille
des élections, il ne fallait pas donner, mais il fallait promettre.
Il fallait que les
agents ministériels pussent dire aux électeurs liégeois : Si vous votez bien,
vous aurez la dérivation de la Meuse ; aux électeurs d'Alost et de Gand : Si
vous votez bien, on fera le chemin de fer d'Alost ; pendant qu'on disait à ceux
de Termonde : Si vous votez bien, on ne le fera pas.
Voilà, messieurs, le
secret des fins de non-recevoir que le ministère de cette époque nous a
opposées pour ajourner l'exécution de ses promesses. Car, on n'oserait le nier,
des promesses nous avaient été faites. J'en appellerais au besoin à l'honorable
M. de La Coste, ancien gouverneur de la province.
M. de La Coste. - C'est
complètement inexact.
M.
Delfosse. - Vous l'avez dit vous-même. J'en appelle au
Moniteur.
Nous sommes encore,
messieurs, à la veille des élections. (Interruption.)
Plusieurs membres. - Venons à
l'emprunt.
M. Malou. - Laissez donc
parler.
M. Delfosse. - Les murmures de
la droite m'engagent à m'asseoir. On a entendu l'apothéose de l'honorable M.
Malou faite par M. Malou lui-même. On ne veut pas que je lui réponde !
Plusieurs membres. - Non ! non !
Parlez ! parlez !
M. Malou. - Je demande que la
chambre veuille bien entendre les nouvelles attaques de l'honorable M.
Delfosse, comme elle a eu l'indulgence d'entendre ma réplique à l'honorable M.
d'Elhoungne. Je prie mes honorables amis de ne pas interrompre, si étranger que
cet objet puisse paraître à la discussion.
Plusieurs membres. - Appuyé ! appuyé !
M. Delfosse. - Nous sommes
encore à la veille des élections. Faudrait-il chercher dans ce fait
l'explication de certaines paroles que l'on fait entendre, de certaines colères
qui se révèlent, de certaines conversions qui s'opèrent ? Je ne sais, mais s'il
en était ainsi.je connais assez mon pays pour être sûr que cette fois encore on
se bercerait d'étranges illusions.
Je conviens du reste
volontiers que l'honorable M. Malou n'a jamais montré de vives sympathies pour
les travaux publics, qui peuvent cependant devenir une source de richesse,
lorsqu'ils sont sagement conçus et loyalement exécutés. Les sympathies de
l'honorable membre étaient ailleurs ; il y a entre l'honorable membre et le
ministère du douze août une ligne de démarcation bien tracée : mais, comme
l'honorable M. d'Elhoungne, je conteste les éloges que M. Malou s'est donnés
pour avoir résisté à l'entraînement irréfléchi, selon lui, qui nous poussait à
demander de grands travaux d'utilité publique.
Veuillez-vous
rappelez, messieurs, le langage que je tenais à l’honorable M. Malou, lorsqu’il
avait la direction de nos finances. Je n’ai pas cessé un instant de lui
signaler l’imprudence, les dangers d’une émission trop considérable de bons du
trésor. Je l'ai pressé, conjuré même de les consolider (page 1414) au moyen d'un emprunt dont la quotité eût permis en même
temps de doter le pays d'un système complet de routes et de canaux.
Si l'on avait alors
suivi nos conseils, notre position serait admirable. Nous aurions les moyens de
donner partout du travail à la classe ouvrière et nous n'aurions pas une dette
flottante ou arriérée de 37 millions suspendue sur nos têtes comme l'épée de
Damoclès.
Tout le danger de la
situation est là, messieurs ; il est dans l'existence d'une dette de 37
millions dont l'échéance est actuelle ou prochaine. C'est cette dette qui nous
force, pour faire face à nos engagements, à imposer de lourds sacrifices au
contribuable. Sans elle, le premier emprunt forcé de douze millions eût suffi.
Quelles raisons
l'honorable M. Malou a-t-il fait valoir pour repousser nos conseils ? Le
moment, disait-il, n'était pas favorable pour contracter un emprunt, le taux de
nos fonds publics était trop bas. On n'aurait pu le contracter qu'à des
conditions onéreuses.
Savez-vous,
messieurs, quel était alors le taux de nos fonds publics ? Le 5 p. c. était à
98 ; le 4 et demi p. c. à 95, et il était tellement possible de contracter un
emprunt, que l'Angleterre, mieux avisée que nous, en a contracté un à l'époque
dont je parle, et que la France en a aussi contracté un peu de temps après.
C'est, en dernier résultat, pour éviter une perte légère que l'honorable M.
Malou a exposé le pays à de sérieux embarras.
Mais, nous disait
tantôt l'honorable membre, avant de contracter un emprunt, il aurait fallu
faire les fonds pour couvrir l'intérêt et l'amortissement ; et il n'y avait que
deux moyens : des charges nouvelles ou des économies.
Eh bien ! oui, vous
deviez faire des économies. Mais vous n'en vouliez pas faire, et c'est là votre
condamnation.
El comme si ce n'était
pas assez de cette imprévoyance, comme si le danger tant de fois signalé de la
dette flottante n'était pas assez grave, l'honorable M. Malou, ce ministre des
finances incomparable, a pris une mesure qui faisait des obligations de la
dette flottante, des espèces de bons payables à vue, une mesure par suite de
laquelle le trésor reçoit en payement des impôts un papier sans valeur, alors
qu'il lui faudrait de l'argent.
Quand on a été aussi
imprévoyant, quand on a commis d'aussi grandes fautes, on ne doit pas espérer
de briller avec éclat dans les pages de l'histoire, on doit avoir des
prétentions plus modestes, on doit surtout montrer plus d'indulgence pour ses
successeurs.
Quoi que l'honorable
M. Malou ail pu dire, le grand projet de travaux publics soumis aux chambres
par le ministère du 12 août n'était pas un acte de prodigalité ; c'était, une
appréciation intelligente des besoins du commerce et de l'industrie, et des
dangers d'une dette flottante exagérée. Ce projet n'avait qu'un défaut, c'était
d'en laisser encore subsister une trop forte partie. Je n'hésite pas à le
déclarer, si les circonstances n'avaient rendu momentanément impossible la
discussion et le vote de ce projet par les chambres, son exécution eût fait
honneur au ministère du 12 août, et lui eût assuré dans l'histoire une page
plus brillante que celle qui est réservée à l'honorable M. Malou.
Messieurs, deux mots
encore sur l'emprunt. Le temps nous presse, il faut être court.
Nous sommes tous d'accord
pour faire face à nos engagements. C'est un devoir sacré. La Belgique, qui
n'est forte que de son droit et de la justice de sa cause, serait perdue le
jour où elle méconnaîtrait le droit, le jour où elle cesserait d'être juste.
Nous sommes aussi tous
d'accord pour donner au gouvernement les moyens de couvrir les dépenses qui ont
été votées. Quels seront ces moyens ? C'est ici que le dissentiment commence.
D'honorables
collègues, au patriotisme desquels je me plais à rendre hommage, voudraient
remplacer par une nouvelle émission de billets de banque ayant cours forcé, une
partie de l'emprunt que le gouvernement propose.
Le gouvernement
persiste dans sa proposition, mais le dissentiment n'est pas aussi sérieux
qu'on se l'imagine ; le gouvernement ne repousse pas d'une manière absolue une
nouvelle émission de billets de banque dans la proportion indiquée par
d'honorables collègues, seulement il croit sage de la réserver pour les besoins
ultérieurs qui sont inévitables, auxquels nous ne pourrons pas échapper ; et je
n'entends pas parler ici des besoins d'un grand établissement financier, je
parle des besoins de l'Etat, des besoins connus, constatés.
Je partage sur ce
point l'opinion du gouvernement et j'adopterai son projet, en me réservant
toutefois d'appuyer les amendements qui, sans en dénaturer le but et la portée,
pourraient en améliorer les dispositions.
Je ne terminerai pas sans exprimer, comme d'honorables
collègues, la satisfaction que j'ai ressentie en entendant M. le ministre des
travaux publics déclarer, en répondant à l'honorable M. Van Huffel, que son
intention et celle de ses collègues était d'opérer des réformes radicales dans
les dépenses de l'Etat. Là, messieurs, est notre voie de salut.
J'aime à croire que
le gouvernement prenant pour lui le conseil que M. le ministre de l'intérieur
donnait hier à un honorable membre de la droite, joindra les actes aux paroles,
et qu'il se ralliera aux amendements qui pourront être proposés pour faire
participer dans une proportion plus large la classe des fonctionnaires aux
sacrifices qui pèsent si cruellement sur toutes les classes de la société.
M. de La Coste (pour un fait
personnel). - Puisque l'honorable M. Delfosse a invoqué mon témoignage, je
dirai en peu de mots ce que je sais des faits dont il a parlé.
Il est très vrai qu'à
la fin de l'année 1846, j'ai eu des raisons de croire que les travaux de
dérivation de la Meuse avaient l'approbation du gouvernement ; il est encore
très vrai qu'après cela, le cabinet n'est pas tombé d'accord sur leur exécution
immédiate, qu'il s'est élevé à cet égard un dissentiment entre moi, agent du
gouvernement, et le ministère, et qu'après avoir, comme j'ai cru de mon devoir,
envoyé au gouvernement ma démission, j'ai voté contre lui pour satisfaire à ma
parole.
Mais, messieurs, ces
faits se passaient à une époque éloignée des élections et il n'est pas à ma
connaissance que l'on ait fait aucun usage de promesses relativement à ces
travaux pour exercer de l'influence sur les élections.
M. Malou. - On n'en a fait
aucun.
M. de Corswarem. - Messieurs, nous
nous trouvons en présence de 26 millions de dépenses votées ou de dettes
exigibles. Dès à présent, messieurs, nous sommes obligés de payer ces 26
millions, et il ne s'agit plus de discuter si nous devons, oui ou non, faire
des fonds pour les acquitter.
Une grande partie de
ces 26 millions a été votée par la chambre contre mon opinion. J'ai cru que
l'on faisait des dépenses qui auraient pu, sans inconvénient, être ajournées à
une autre époque. Mais la majorité de la chambre en a décidé autrement, et je
dois accepter la décision de la majorité.
Il ne s'agit donc
plus aujourd'hui de savoir ce que nous pourrons ou ce que nous ne pourrons pas.
Nous devons payer 26 millions. On est d'accord sur ce point.
Seulement, il y a
divergence sur le mode de payement.
Le gouvernement veut
que les fonds nécessaires à l'apurement de ces 26 millions soient fournis par
l'emprunt forcé. La section centrale et un grand nombre de membres voudraient
qu'une émission de papier-monnaie contribuât, en grande partie, à solder cette
dette ; d'autres membres veulent qu'au lieu d'un emprunt forcé, on ait recours
à l'impôt.
Ainsi, toutes les
divergences d'opinion consistent dans le mode de ressources auquel nous devons
recourir pour nous tirer de l'embarras où nous nous trouvons en ce moment. Dans
la première partie de cette séance, les organes du gouvernement ont déclaré
qu'il leur fallait aujourd'hui l'emprunt forcé, et demain ou après-demain une
émission de papier-monnaie, en un mot qu'il leur faut l'un et l'autre.
Je regrette que cette
déclaration n'ait pas été faite pins tôt, je suis certain que si elle eût été
faite à la section centrale, le dissentiment qu'on a vu s'élever n'aurait pas
surgi du tout.
Aujourd'hui le
gouvernement dit qu'il faut de l'argent pour lui, et que bientôt il faudra une
émission de papier pour venir au secours d'un établissement public.
Je comprends cette
façon d'agir. Il est certain que si nous avons dès aujourd'hui recours à une
émission de papier-monnaie pour satisfaire aux obligations du gouvernement, il
nous serait tout à fait impossible de demander de l'argent aux contribuables
pour venir au secours d'un établissement particulier.
Si nous devons donner
de l'argent à quelqu'un, c'est au gouvernement ; si nous devons autoriser une
émission de papier, nous devons l'autoriser en faveur de l'établissement.
Nous avons entendu,
dans la première partie de la séance d'aujourd'hui, deux amis bien dévoués du
ministère exprimer des opinions divergentes sur ce point ; cependant le
ministère n'a pas trouvé que ces anciens amis voulussent constituer une
nouvelle opposition, et je dois convenir que j'ai entendu avec un regret
profond certains membres du cabinet déclarer que l'ancienne majorité voulait
lui faire de l'opposition, voulait ressusciter l'ancienne opposition, parce que
quelques-uns de ses membres n'étaient pas d'accord avec lui sur la manière dont
on se tirerait de l'embarras dans lequel nous nous trouvons en ce moment.
Les anciens amis du
ministère qui aujourd'hui ne sont pas de son opinion, ne veulent pas plus faire
une nouvelle opposition que les membres de l'ancienne majorité ne veulent
ressusciter l'ancienne opposition ; tous ont émis consciencieusement leur avis,
et je ne crois pas que nous devions inférer de la franchise avec laquelle ils
se sont exprimés que les uns ou les autres aient voulu créer de nouveaux
embarras au ministère.
On nous a déclaré
aussi que, si la chambre ne votait pas l'emprunt dans les mesures qui nous sont
proposées, le cabinet se retirerait.
Je conviens qu'après
toutes les crises que nous avons traversées, crise alimentaire, crise
financière, crise industrielle, crise politique, il ne nous manquerait plus que
d'avoir une crise ministérielle, pour couronner l'œuvre de nos malheurs, et
j'en conviens, j'ai souvent voté des dépenses que je n'approuvais pas tout à
fait, pour n'avoir pas une crise ministérielle, lorsque mes amis personnels
étaient assis au banc ministériel.
Aujourd'hui qu'ils
n'y sont pas, je voterai encore certaines mesures que je n'approuverais pas,
pour éviter une crise ministérielle, si elle devait résulter de mon défaut de
concours. Ce n'est pas pour soutenir des hommes, c'est pour conserver la
tranquillité et l'ordre dans le pays que j'ai voté certaines mesures
précédemment, que je les vote aujourd'hui, et que je les voterai tant que
j'aurai l'honneur de faire encore partie de la législature.
Messieurs, le vote de
la loi qui nous est présentée me semble une nécessité que nous devons subir. A
mon avis, il ne reste qu'à examiner deux points.
Le premier, c'est de
savoir si nous devons pourvoir aux dépenses nécessaires jusqu'au 1er septembre
ou jusqu'au 1er janvier ; le deuxième, c'est de savoir si les bases proposées
sont les meilleures.
Les membres du
cabinet et plusieurs membres de cette chambre ont regretté que la section n'ait
pas proposé des voies et moyens jusqu’au (page
1415) 1er janvier prochain. Je ne suis pas de cet avis. Je crois que la
chambre a raison de ne voter des voies et moyens que jusqu'au 1er septembre.
Telle qu'elle est
composée aujourd'hui, et en présence de ses antécédents, il lui est impossible
de décréter les économies à peu près radicales que l'on demande. La prochaine
législature, telle qu'on nous l'a déjà annoncée, sera une législature
d'économie, de sévérité dans l'administration.
Je crois donc qu'il
faut laisser à nos successeurs la faculté de voter non seulement les fonds qui
seront nécessaires, mais aussi les dépenses auxquelles il faudra faire face
avec ces fonds.
Il n'est d'ailleurs
pas dit que les besoins au 1er septembre seront exactement les mêmes qu'ils
sont aujourd'hui. On nous a promis des économies ; j'ai foi dans ces promesses,
et j'espère que si la situation est telle qu'elle est aujourd'hui, on pourra
satisfaire aux besoins avec une somme moindre que celle qui est réclamée en ce
moment. Il est, au surplus, fort incertain si, au 1er septembre, les besoins ne
seront pas beaucoup plus grands ou infiniment moindres qu'ils ne le sont
aujourd'hui.
Si l'armée peut
rester sur le pied où elle se trouve actuellement, 18 millions de dépenses
extraordinaires lui suffiront pour atteindre le 1er janvier ; mais si elle doit
être mise sur le pied de guerre, il lui faudra un surcroit de dépenses de 47
millions pour atteindre le 1er janvier. Et si les événements qui vont se passer
dans un pays voisin nous permettaient de diminuer considérablement notre armée,
alors les 18 millions ne lui seraient pas du tout nécessaires.
Ainsi, je pense que,
dans aucun cas, nous ne pouvons prévoir dès à présent, quels seront les besoins
auxquels il faudra pourvoir au 1er septembre, et je pense, par ces raisons, que
nous faisons sagement de laisser à la législature future le soin de pourvoir
ultérieurement aux dépenses.
Quant à ce qui est,
messieurs, des bases sur lesquelles l'emprunt est assis, on nous en a signalé
une qui n'est pas atteinte ; ce sont les fonds publics. On nous a dit qu'il
aurait fallu demander l'emprunt sur les fonds publics, aussi bien qu'on le
demande sur la propriété foncière. Il y a d'abord une question de principes à
examiner avant d'entrer dans la question d'application.
Il est évident que
dans quelque temps nous devrons contracter un nouvel emprunt. Si alors nous
décidons qu'un impôt quelconque sera imposé aux détenteurs des obligations de
cet emprunt, il va sans dire que les prêteurs calculeront en conséquence et
qu'ils feront payer au gouvernement sur le capital la retenue qu'il voudra leur
faire sur les intérêts. Je suppose que vous vouliez imposer les fonds publics
d'un dixième de leur revenu annuel et contracter un emprunt à 5 p. c. Le
bailleur de fonds vous dira : Vous me proposez un emprunt à 5 p. c, mais vous
voulez imposer un dixième comme impôt ; alors je ne conserve que 4 1/2, et si
je puis contracter au pair à 5 p. c, je ne contracterai plus qu'à 90 du moment
que vous me laissez seulement 4 1/2. Voilà, messieurs, pour les emprunts à
contracter.
Une deuxième
question, c'est celle de savoir jusqu'à quel point l'on pourrait imposer les
emprunts déjà contractés. Il est évident que lorsqu'on a contracté ces
emprunts, les bailleurs de fonds n'ont nullement pu supposer qu'un jour on leur
imposerait une retenue ou une charge quelconque ; sans quoi ils auraient déduit
le capital de cette retenue de la somme qu'ils nous ont fournie. Je crois donc
que dans les circonstances ordinaires il n'y aurait pas justice, il n'y aurait
pas loyauté à imposer les emprunts déjà contactés ; mais, dans les circonstances
extraordinaires où nous nous trouvons en ce moment, où nous demandons des
ressources extraordinaires à ceux qui peuvent en fournir et même presque à ceux
qui ne peuvent pas en fournir, et que ce n'est pas un impôt que nous demandons,
que ce n'est qu'un emprunt, je crois qu'il y aurait équité à demander aussi
l'emprunt aux détenteurs de fonds publics si la chose était possible ; mais
lorsque vous aurez décrété que les fonds publics seront également une base de
l'emprunt, alors se présenteront les difficultés de les atteindre, qui vous ont
déjà été signalées par l'honorable M. Cogels. Nous ne pourrions frapper que
ceux dont les détenteurs sont dans le pays : mais ces derniers n'auraient qu'à
envoyer les coupons sur les places étrangères pour échapper à l'emprunt. Je
crois donc, messieurs, que cette base ne peut nous être d'aucune utilité en ce
moment.
Il est alors une
autre base, que la section centrale a rejetée et contre laquelle plusieurs
orateurs se sont déjà prononcés, contre laquelle je me prononce également ;
c'est la troisième base, celle des fermages. Dans ce moment, messieurs, il est
impossible de demander la moindre chose aux fermiers, locataires de propriétés
immobilières.
En présence de la
dépréciation extraordinaire des fruits de la terre, le fermier n'a pas le moyen
de contribuer dans l'emprunt. D'après la mercuriale que nous avons encore vue
dans le Moniteur d'aujourd'hui, le prix moyen du froment est de 4 fr. 1 /2
au-dessous du prix rémunérateur généralement admis. Lorsque nous aborderons la
discussion des articles, je proposerai donc que les fermiers-locataires soient
exemptés de l'emprunt ; mais comme cette exemption nous priverait d'une partie
des ressources dont nous avons besoin, je proposerai également que les retenues
sur les pensions et traitements soient plus considérables que celles qui ont
été proposées par le gouvernement et par la section centrale. Déjà depuis hier,
j'ai déposé à cet égard un amendement sur le bureau ; mais j'attendrai que nous
en soyons à la discussion des articles, pour le développer. Seulement quand
nous arriverons à la troisième base, je demanderai que la chambre veuille
premièrement discuter la cinquième, qui est la retenue sur les pensions et
traitements, et voir si on peut augmenter ces retenues et dispenser ainsi les
fermiers-locataires de prendre part à l'emprunt.
De toutes parts. - La clôture !
- La clôture est
prononcée.
Discussion des articles
Article premier
M. le président. - Il conviendra
peut-être de tenir l'article premier en suspens jusqu'à ce qu'il ait été statué
sur les autres, dont l’articles premier n'est que la récapitulation.
M. Mercier. - Il me semble
qu'il vaut mieux discuter d'abord l'article premier, car si l'une des bases
n'était pas adoptée, il faudrait éventuellement trouver sur les autres la somme
nécessaire pour couvrir le déficit.
- La chambre décide
que l'article premier est tenu en suspens.
Article 2 (dernière proposition du
gouvernement)
« Art. 2 (dernière proposition du gouvernement).
La première partie de l'emprunt sera égale au montant de la contribution
foncière, déduction faite des centimes additionnels au profit des provinces et
des communes. Le premier tiers est exigible le 20 mai 1848 ; le deuxième tiers
le 15 juin et le dernier tiers le 15 juillet suivants.
« Elle sera payée,
dans la proportion de leurs cotes respectives, par les trois quarts des
propriétaires, usufruitiers ou autres redevables, les plus imposés dans chaque
commune, nonobstant toute convention contraire. »
- La section centrale
propose la rédaction suivante, pour le dernier paragraphe :
« Elle sera payée,
dans la proportion de leurs cotes respectives, par les propriétaires,
usufruitiers ou autres redevables les plus imposés, payant ensemble les 7/8 de
la contribution foncière dans chaque commune, nonobstant toute convention
contraire. »
M. le ministre des finances (M. Veydt) déclare qu'il ne se
rallie pas à cet amendement.
M. Mercier. - Déjà ici,
messieurs, nous rencontrons l'inconvénient de ne pas avoir discuté d'abord
l'article premier, car si l'une des bases n'avait pas été adoptée par la chambre,
il faudrait peut-être augmenter celle de l'article 2 ou une autre ; nous
agissons donc d'une manière irrégulière en commençant par l'article 2.
Après cette
observation, messieurs, je vais motiver la proposition de la section centrale.
J'aurais désiré que
M. le ministre des finances eût indiqué les motifs pour lesquels il ne se
rallie pas à la proposition. Quant à moi, je la trouve, à tous égards,
préférable à celle du gouvernement, en ce qu'elle exemple un plus grand nombre
de petits contribuables de la participation à l'emprunt.
En effet, ainsi que
la section centrale l'a déjà expliqué, si on déduit des rôles de la
contribution foncière dans un certain nombre de communes, prises au hasard,
tous les contribuables ne payant que dix francs, il se trouvera que plus des
deux tiers des contribuables seront exempts.
II en sera ainsi notamment dans les communes du
Brabant et du Hainaut. On a objecté, ainsi que l'indique également le rapport,
que dans une partie des communes d'autres provinces, les cotes ne sont pas
aussi élevées, en général, que dans le Brabant et le Hainaut, et que, par
conséquent, en déduisant les cotes de 10 fr., on n'atteindrait qu'un trop petit
nombre de contribuables. C'est pour éviter cet inconvénient que la section
centrale a proposé son amendement, qui atteint le même but, et qui s'applique à
toutes les communes du royaume. De cette manière, plus des deux tiers des
contribuables seront dispensés de prendre part à l'emprunt ; tandis que,
d'après la proposition du gouvernement, il n'y en aurait que le quart ; de
sorte que des cotes extrêmement petites seraient encore entrées dans l'emprunt,
et c'est là ce que nous devons éviter.
Je me bornerai pour
le moment à ces observations, et j'attendrai, pour y répondre, les objections
que l'on pourrait faire au système de la section centrale.
(page 1435)
M. le ministre des finances (M. Veydt). - La proposition de la section centrale n'est
pas d'une exécution plus difficile que celle du gouvernement, qui a préféré
prendre un nombre fixe de contribuables pour leur faire payer la totalité de la
part de toute une commune dans l'emprunt ; il l'a préféré, parce qu'il résulte
de l'appréciation faite par l'administration que ce mode permet de savoir mieux
ce que l'on fait et où l'on va. En décrétant, comme la section centrale, que ce
sera à un tantième en somme que l'on s'arrêtera, il pourra se faire que
quelques contribuables payeront entre eux la totalité de l'emprunt pour leur
commune et qu'il y aura beaucoup de contribuables exempts et qui cependant
seraient en état de payer. Cela n'est pas juste ; il y aura de grandes
inégalités. Je sais que l'honorable M. Mercier a fait le relevé des cotes dans
un certain nombre de communes et qu'il en résulte un argument favorable au
système qu'il défend ; mais ces communes ne sont qu'au nombre de neuf ; elles
sont dans de bonnes conditions qu'on ne rencontre pas généralement. Je pourrais
citer la commune de Gheel, où il y a, pour payer 29,571 francs, 2,669
contribuables ; ce qui fait en moyenne à peu près onze francs.
(page
1415) M.
Verhaegen. - Messieurs, je m'étais fait inscrire pour parler sur
l'ensemble de la loi et je me proposais de présenter quelques observations pour
motiver mon vote. La clôture de la discussion générale ne me permet pas de
suivre le plan que je m'étais tracé, mais, en retranchant tous les détails, je
trouverai le moyen de faire connaître en quelques mots mon opinion.
Messieurs, je voterai
pour l'emprunt tel qu'il est proposé par le gouvernement, parce qu'il m'est
impossible de faire autrement.
D'abord, je le
confesse en toute humilité, ma compétence en matière financière n'est pas bien
grande, et je dois me borner, lorsqu'une question financière s'agite, à juger
en âme et conscience et d'après mon gros bon sens les divers systèmes, si
divers systèmes sont formulés en propositions. Je me garderai bien de formuler
moi-même un système.
Personne ne conteste,
aujourd'hui la nécessité de créer des ressources au trésor, tant pour payer les
dettes du passé que pour satisfaire aux besoins urgent du présent et aux
éventualités de l'avenir. La controverse n'existe plus que sur les bases de
l'emprunt, toutefois celle controverse ne se traduit pas en système.
Messieurs, le système
du gouvernement est le seul qui nous soit soumis. J'ai entendu, il est vrai, de
très bons discours ; j'ai entendu ce matin surtout des dissertations très
habiles : (je fais allusion ici au discours de mon honorable ami, M.
d'Elhoungne). Mais toutes ces dissertations ne se terminent point par des
conclusions. Si l'honorable député de Gand était venu présenter un système,
s'il avait appuyé ce système de l'autorité de son nom, s'il l'avait pris sous
sa responsabilité, en un mot s'il s'était chargé de venir le soutenir au banc
des ministres, dans le cas où le système ministériel venait à échouer, alors je
me serais fait un devoir d'examiner à fond les vues de l'honorable membre et
peut-être me serais-je déterminé à (page
1416) en adopter quelques-unes. Mais mon honorable M. d'Elhoungne a fait
des observations tort judicieuses, sans doute ; il nous a présenté une
dissertation très habile ; mais cette dissertation est restée purement
théorique ; elle ne s'est terminée par aucune conclusion, et son auteur a fini
par nous dire qu'il s'abstiendra.
Eh bien, messieurs,
quant à moi, je ne pense pas pouvoir déserter le combat.
Je crois en mon âme
et conscience devoir voter, dire oui ou non.
Un seul système est
présenté, c'est celui du gouvernement ; aucun autre n'est développé, aucun
autre n'a été patronné ; il m'est donc impossible de voter autrement que je ne
l'ai annonce en commençant, et cela avec d'autant plus de raison que le
gouvernement fait de l'adoption de son système une question de cabinet. Je ne
fais pas un reproche au gouvernement de cette résolution. Le gouvernement dans
la position difficile où il se trouve placé, ayant un système sur l'ensemble de
la crise financière, ayant des convictions profondes sur ce point, a le droit
d'aller jusqu'au bout ; si d'autres pensent avoir un système meilleur, je crois
qu'il est de leur devoir de le présenter, de le défendre et de s'engager au
besoin à venir le défendre au banc ministériel. Si telle était la position, notre
choix eût été libre ; mais dans la position que je viens de dessiner, nous
n'avons pas à choisir ; force est donc de voter pour le système du
gouvernement.
Messieurs, j’eusse désiré, il est vrai, une meilleure
répartition de l’emprunt, comme en tout temps, j’ai manifesté l’intention de
faire une meilleure répartition des impôts ; mais des répartitions ne
s’improvisent pas. J’espère que le gouvernement, dans l'intervalle d'une
session à l'autre, se procurera les statistiques nécessaires pour parvenir au
résultat que nous voulons tous atteindre, à savoir : frapper les classes aisées
et dégrever les classes nécessiteuses. Ce serait le cas d'établir le chiffre
total des contributions de chacun, de prendre un certain nombre de
contribuables et de repartir les emprunts, s'il y a lieu d'en décréter de
nouveaux, sur les plus imposés en établissant même une progression ; c'est
encore une opinion que j'ai déjà exprimée. Mais mon désir, quelque vif qu'il
soit à cet égard, ne peut pas me conduire à critiquer le système du
gouvernement puisque pour arriver là il faut du temps. Ces considérations sont
suffisantes pour motiver mon vole qui sera approbatif.
M. Cogels. - J'avais peine à
m'expliquer pourquoi le gouvernement ne se ralliait pas à l'amendement de la
section centrale ; par les explications que vient de donner M. le ministre des
finances, j'ai acquis la preuve qu'il ne l'a pas bien compris, car cet
amendement a pour objet d'atteindre le but que le gouvernement se proposait et
que sa proposition n'atteignait pas. Il est certain qu'en faisant frapper les
contributions sur les trois quarts des plus imposés en nombre, vous atteindrez
dans la plupart des communes les petites cotes, tandis qu'en la faisant porter
sur les 7/8 plus imposés, en somme vous exemptez une foule de petits
contribuables qui seraient atteints par le projet du gouvernement.
Je pose un exemple.
Je suppose une
commune de 1,050 contribuables.
10 à 600 : 6000
15 à 400 : 6,000
20 à 300 : 6,000
25 à 250 : 5,000
30 à 100 : 3,000
50 à 50 : 2,500
100 à 10 : 1,000
800 à 5 : 4,000
Cela fait 33,500 francs de contribution. D'après le
système du gouvernement, quelle est la conséquence ? Vous atteignez d'abord les
350 plus forts imposés qui ne font que le tiers en nombre ; vous devez encore
prendre sur les moins imposés ceux qui payent, 5 francs et en frapper à peu
près la moitié.
D'après le système de
la section centrale, vous prenez les 7/8 en somme, et vous exemptez
complètement les 800 petits contribuables.
Cette proportion ne
se retrouvera pas exactement, mais on retrouvera quelque chose d'analogue dans
plusieurs communes. Je pose en fait qu'en imposant les 7/8 en somme, plus vous
favoriserez les petits propriétaires, pins vous aurez d'exemptions, plus vous
éviterez d'embarras aux percepteurs. La section centrale n'a pas voulu
contrarier les vues du gouvernement ; au contraire, elle a voulu aller plus
loin, et n'imposer que celui qui est véritablement en état de payer.
(page 1435)
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, le gouvernement serait prêt à se
rallier à la proposition de la section centrale s'il la croyait préférable ; ce
n'est pas pour faire prévaloir un système contre elle qu'il le combat.
Mais après examen
attentif fait de la proposition, il m'a paru qu'elle pouvait conduire à faire
peser le payement de l'emprunt sur un trop petit nombre de propriétaires et à
en exempter par conséquent un grand nombre qui seraient en état de payer.
Je le répète, on ne
sait pas où l'on va avec le système de la section centrale ; en l'appliquant à
un plus grand nombre de communes, on a trouvé qu'il n'avait pas les avantages
qu'il présentait, appliqué aux neuf communes de choix citées par l'honorable M.
Mercier.
Telles sont les
considérations que j'ai à faire valoir ; c'est une affaire d'appréciation.
Suivant moi, il vaut mieux s'arrêtera un nombre fixe payant pour la totalité.
(page 1416) M. Faignart. - Messieurs, je partage l'avis du ministère
sur la nécessité d'avoir recours à des moyens extraordinaires, pour faire face
aux dépenses imprévues, qui résultent des circonstances où nous nous trouvons.
Mais si je reconnais
la nécessité d'un emprunt, je désire qu'il soit proportionné au strict besoin,
et qu'il y soit pourvu par les personnes qui puissent le fournir, et non par
des citoyens peu aisés, ou voisins de l'indigence.
En cela je ne suis
nullement d'accord avec le gouvernement ; bien que les amendements qu'il nous a
présentés rentrent dans le système que je me réservais de vous soumettre,
cependant, je ne trouve pas ces amendements assez complets pour que j'y donne
mon assentiment ; en effet, l'on vous propose de ne faire payer que les trois
quarts des propriétaires, usufruitiers ou autres redevables les plus imposés
dans chaque commune ; eh bien, je demanderai à M. le ministre, s'il s'est
assuré à quelles cotes il faudrait s'arrêter, pour n'avoir de participants à
l'emprunt que les trois quarts des contribuables. Quant à moi, messieurs, je
crois qu'il n'y aurait d'exemption que pour ceux dont la cote est très minime,
et qui sont ordinairement portés en carence ; ne trouvant pas cette exemption
assez large, je ne saurais m'y rallier.
Lorsque le projet
d'emprunt nous a été soumis, je me suis attaché à rechercher les moyens d'en
dispenser les petits contribuables ; à cette fin, je me suis adresse à quelques
receveurs de contributions, qui ont bien voulu me faire connaître de combien
d'articles étaient composés leurs rôles fonciers, avec indication du nombre de
contribuables payant moins de dix francs : j'y ai remarqué que plus des 2/3
payent moins de dix francs et environ le huitième de la contribution.
Je ne puis croire,
messieurs, que l'on pense sérieusement à faire supporter l'emprunt par un grand
nombre de contribuables, qui après avoir péniblement traversé deux années
calamiteuses, se trouvent dans l'impossibilité de répondre à votre appel,
malgré leur dévouement à l'ordre de choses actuel.
Il en outre à remarquer
que si les personnes imposées à moins de dix francs sont portées aux rôles
fonciers comme propriétaires, il arrive souvent qu'elles ne le sont réellement
que d'une manière fictive.
Il est un autre
motif, messieurs, non moins puissant ; c'est qu'en demandant aux deux tiers des
contribuables de toute la Belgique un emprunt qu'ils ne pourraient payer, vous
ne courriez le risque d'une profonde désaffection.
J'appelle l'attention du ministère sur cette
considération, et je crois pouvoir lui assurer que la somme minime qu'il
obtiendrait de ce grand nombre de contribuables ne ferait nullement
compensation avec l’écueil que je viens de signaler.
J'aurais proposé
d'exempter de l’emprunt le contribuable payant moins de dix francs, si
l'honorable M. Mercier, organe de la section centrale, n'était venu nous
soumettre un projet qui tend à ce but, et auquel, comme je viens de le dire, je
donne mon approbation.
En adoptant cette
proposition, vous demandez l'emprunt à des personnes qui peuvent y satisfaire
sans trop se gêner ; en un mot, vous demandez de l'argent à celui qui en
possède ; cela seul est juste, et je repousserai toute proposition qui s'en
écarterait.
M. de Denterghem. - Je serai aussi
bref que possible ; car je crois que la chambre a le désir d'en finir.
Je félicite le
gouvernement d'avoir senti qu'il faut exempter le petits contribuables. Je
serais plus disposé cependant à voter en faveur du système de la section
centrale qu'en faveur du système de M. le ministre des finances.
Tout à l'heure, je
croyais avoir mal compris M. le ministre des finances, car il me semblait que
ce qu’il avait dit prouvait que la proposition de la section centrale était
préférable à la sienne. Mon honorable ami, M. Cogels, vous a tout à l'heure
développé cette pensée d'une manière assez concluante ; car les observations de
M. le ministre des finances en-réponse aux allégations de l'honorable M.
Cogels, ne m'ont pas du tout satisfait. Les chiffres sont restés tels que
l'honorable M. Cogels les avait posés. Je n'entrerai pas plus longtemps dans la
question de chiffres que je laisse débattre par les hommes spéciaux.
Je me permettrai
d'énoncer un fait, qui n'a pas été énoncé dans cette enceinte et qui mérite
tout votre intérêt.
D'après ce que j'ai
entendu dire à plusieurs de mes collègues, il semblerait que le rentier, le
propriétaire fait toujours rentrer son revenu avec la même facilité. Il n'en
est pas du tout ainsi : le rentier est comme tout autre soumis aux
fluctuations, aux événements politiques. Lorsqu'il y a de la gêne dans le pays,
lorsqu'une crise financière pèse sur le pays, le propriétaire en souffre comme
tout autre ; ses rentrées sont suspendues ; il est obligé de faire crédit à ses
fermiers, à ceux à qui ils vendent du bois, etc.
Depuis plusieurs
années, les propriétaires sont dans une position difficile. Pendant deux ans,
les fermiers ont supporté une crise alimentaire. Il a fallu avoir des égards,
beaucoup d'égards pour eux ; car jusqu'à l'année dernière, la plupart d'entre
eux n'ont pas payé leurs fermages. Cependant il a fallu payer les
contributions, supporter les charges, et les dépenses de toute espèce comme de
coutume.
Remarquez que le
propriétaire a une foule d’obligations„ Il procure du travail à un grand nombre
de personnes. S’il, habite la ville, il y fait des dépenses, peut-on les
diminuer aujourd'hui ? A la campagne, c'est encore lui qui est appelé à fournir
du travail aux nécessiteux. Dans les Flandres, en raison des circonstances, on
a senti la nécessité de faire exécuter des travaux, que sans cela on n 'eût pas
faits.
En présence de ce
surcroît de dépenses, il a surgi une diminution de recettes ; et maintenant,
c'est à la même classe, déjà gênée, qu'incombe de fournir encore au
gouvernement les fonds dont il a besoin ; il ne faut pas s'en plaindre ;
mais il faut y avoir égard.
Dans la discussion générale, c'est' une des choses qui
m'ont frappé ; Je me suis demandé s'il était bien vrai qu'il convînt de
recourir en toutes circonstances à la classe qui produit le plus ; parce
qu'elle est la plus facile à atteindre. Certainement, l'intérêt du propriétaire
est, comme l'intérêt de tous, le maintien du calme et de la tranquillité dans
le pas. Mais peut-elle toujours suffire à cela ? A-t-on bienfait de commencer
par l'atteindre ?
(page 1417) Pour ma part, je suis tout disposé à voter l'emprunt que
le gouvernement a demandé. Je suis convaincu que tout le monde sent la
nécessité de fournir au gouvernement les sommes dont il a besoin pour faire
face aux circonstances difficiles que nous traversons, et je ne voudrais pas
faire surgir une nouvelle difficulté devant ses pas.
M. Delehaye. - J'ai accepté,
comme j'ai eu l'honneur de le dire, les diverses propositions qui nous ont été
faites pour maintenir l'ordre dans le pays.
Me confiant à la
loyauté de la France, et bien convaincu que notre armée était assez forte pour
repousser les folles tentatives de ces légions indisciplinées qui ont voulu
envahir noire pays, j'ai cru ne pas pouvoir aggraver les charges en augmentant
outre mesure nos forces militaires. Quoi qu’il en soit, messieurs, par respect
pour les décisions de la chambre, je veux donner au ministère les moyens de
mettre à exécution ce que vous avez voté. Mais après avoir médité sérieusement
la proposition de la section centrale, après avoir examiné les résolutions de
toutes vos sections, je suis réellement étonné qu'alors que tous vous avez été
d’accord sur la possibilité de remonter un peu votre crédit par le service des
billets ayant cours forcé, la section centrale n'ait pas fait de proposition.
On veut exempter le
quart des moins imposés. Mais ce quart des moins imposés méritent-ils seuls
votre sollicitude ? J'appartiens à une ville éminemment industrielle. Vous
savez que, depuis plusieurs années, l'industrie est dans un état de souffrance
qui ne peut être contesté, que plusieurs établissements industriels payent de
1,000 à 1,500 francs de contribution foncière. Tandis que vous exemptez des
contribuables qui pourraient payer la faible cote à laquelle ils sont imposés,
vous allez frapper de 3,000 à 4,000 francs de contributions des établissements
qui ne sont en activité que par suite du patriotisme de leurs propriétaires,
ou, si vous le voulez, parce qu'ils désirent maintenir la tranquillité
publique.
On vous a rappelé ce
qui s'est fait en 1831. Moi aussi, je faisais partie alors de la majorité. J'ai
voté deux emprunts en une année. Mais savez-vous à combien ils s'élevaient ?
Les deux emprunts, joints à toutes les contributions d'alors, ne montaient qu'à
105 millions. Aujourd'hui le budget des voies et moyens seul dépasse cette
somme.
Plusieurs membres. - Y compris le
produit des péages du chemin de fer.
M. Delehaye. - Je la sais : mais peu importe ; toujours
est-il que le budget des voies et moyens s'élève aujourd'hui à plus de 105
millions, tandis qu'en 1831, il ne s’élevait qu'à 61 millions.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Depuis 1830, on a réduit tous les impôts.
M. Delehaye. - Je cite des
chiffres auxquels il n'y a pas à répondre.
Je dis qu'en 1831 les
communes rurales ne fléchissaient pas sous le poids des impôts, tandis
qu'aujourd'hui il n'y pas de commune rurale où la taxe communale ne soit double
de la contribution personnelle.
Or, messieurs,
pouvez-vous, dans une position pareille, frapper de trois années de
contribution foncière, d'une double année de contribution personnelle, des
personnes à qui il est complétement impossible de répondre à votre appel ?
J'ai voulu remplir
avec conscience le mandat qui m'était donné. J'avais à cœur de venir au secours
du gouvernement ; moi aussi je désirais ardemment son maintien. Eh bien ! j'ai
consulté des personnes puis capables que nous d'apprécier la position du pays.
J'ai consulté des notaires à Gand et à Bruxelles, et ils m'ont donné
l'assurance qu'il était impossible que, dans le courant d'une seule année, le
pays payât trois années de contribution foncière. Comment voulez-vous, en
effet, que dans un moment où il a fallu épuiser toutes ses ressources, où il a
fallu dépenser toutes ses économies, on vienne encore, surtout dans certaines
provinces, payer la moitié de son revenu ?
Je sais bien qu'on me
répondra que les riches propriétaires peuvent emprunter. Mais on sait à quelles
conditions onéreuses on emprunte aujourd'hui, et lorsque vous venez à chaque
instant annoncer qu'il faudra faire de nouveaux sacrifices, ne voyez-vous pas
que vous rendez la position de ceux qui doivent emprunter plus difficile encore
?
Un notaire de Bruxelles, qui fait de nombreuses
affaires, m'a affirmé que, malgré une triple et quadruple hypothèque, il lui
avait été impossible de trouver dix mille francs à emprunter.
Messieurs, en
présence de ces faits, pouvons-nous admettre le projet qui nous est soumis ? Je
regrette de devoir le dire, mais mon mandat de député m'impose le devoir de
dire toute la vérité : j'ai la conviction intime que lorsque votre emprunt sera
décrété, il ne pourra être payé. (Interruption.)
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.
M. Delehaye. - Je suis ici pour
dire la vérité, et ce n'est pas vous, ce sont les électeurs qui me jugeront. Ce
n'est d'ailleurs pas pour moi une question personnelle, une question
électorale. Je crois au surplus avoir prouvé que ces sortes de questions
avaient peu d'influence sur moi, et le jour où il ne me sera plus permis
d'exprimer mon opinion, je cesserai de faire partie de la chambre.
Messieurs, si l'on
nous avait proposé le remboursement des bons du trésor au moyen de l'émission
de billets de banque ayant cours forcé, j'aurais donné mon assentiment à cette
proposition ; mais si le gouvernement persiste dans son projet, je me verrai
dans la triste nécessité, non pas de m'abstenir, mais de voter contre.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'avais compris que l'honorable
député de Gand se proposait de fournir au gouvernement les moyens de couvrir
les dépenses qui avaient été votées contre son assentiment. Je comprenais cette
position que se faisait l'honorable membre. Il avait refusé la dépense ; il
votait, contraint par une espèce de force majeure, les recettes. La position
était bonne. Ceux qui toutefois ont voté les dépenses et qui voteront les
recettes, auront tenu, suivant moi, une conduite plus conséquente et plus
courageuse.
M. Delehaye. - Je demande la
parole.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Mais tout à l'heure, en annonçant qu'il
voterait les recettes, l'honorable député de Gand n'a pas craint d'annoncer,
appuyé, dit-il, sur les renseignements d'hommes plus compétents que les
représentants de la nation, sur les renseignements fournis par un notaire de
Bruxelles, par un notaire de Gand, il n'a pas craint d'affirmer que si l'impôt
était voté par la représentation nationale, cet impôt ne serait pas payé.
Nous ne pouvons pas
admettre, messieurs, un. pareil langage dans cette enceinte. Le législateur
doit proclamer que les lois, qu'il croit devoir décréter dans l'intérêt public,
dans les cas de nécessité publique, que ces lois seront exécutées, et les
représentants de la nation doivent être les premiers, devraient être les
premiers à faire un appel à l'obéissance à la loi.
Messieurs, la
contribution que nous demandons au patriotisme du pays, l'impôt remboursable,
l'impôt portant intérêt, que nous demandons à certaines classes de la nation,
cet impôt sera payé. Qu'on prenne note de ma déclaration ; elle aura, j'en suis
persuadé, des effets plus réels que la déclaration de l'honorable député de
Gand, et je ne doute pas que ses commettants eux-mêmes ne soient les premiers à
lui donner un démenti.
Messieurs, le pays ne
doit pas être trompé. Il n'est pas vrai qu'il gémisse sous le poids d'impôts
accablants. Il n'est pas vrai que depuis 1830 les impôts aient été sans cesse
croissants. Ce qui est vrai, c’est que, dans aucun autre pays peut-être en
Europe, on ne jouit d'un système de contribution à la fois plus doux et plus
modéré dans le fond et dans la forme.
Ce qui est vrai,
c'est que depuis 1830, nous avons successivement réduit la plupart de nos
impôts d'une manière que j'oserai dire imprudente. Nous les avons réduits
jusqu'à concurrence de 18 millions de francs. On vous a déjà donné le tableau
de ces réductions ; c'est peut-être une occasion de le remettre en lumière ;
car il importe que le pays ne soit pas trompé.
Voici las impôts que
nous avons supprimés ou réduits depuis la révolution ; on citera ensuite, si
l’on peut, les impôts nouveaux que nous avons votés.
Abattage :
3,300,000 fr.
Loteries :
1,000,000 fr.
Timbre : 70,000
fr.
Legs : 150,000
fr.
Accises sur les vins
indigènes : 70,000 fr.
Accises sur les
bières : 300,000 fr.
Contribution foncière
sur les passages d'eau : 125,000 fr.
Impôt mouture. - Je
sais que cet impôt odieux, que l'opposition d'avant 1830 avait renversé, devait
être supprimé. Mais en même temps que la suppression avait été arrêtée par le
gouvernement précédent, on le remplaçait par des contributions nouvelles égales
au montant de l'impôt mouture. Ces contributions s'élevaient à la somme de
3,200,000 fr. Nous les avons supprimées.
Distilleries. - Vous
vous rappelez, messieurs, la large brèche qu'une proposition émanée d'un membre
de cette chambre fit à l'impôt des distilleries. Ce n'est pas aller trop loin
que d'évaluer cette brèche à 3 millions. Depuis lors, on a frappé les débitants
d'une patente qui donne environ 900,000 fr. ; la perte est donc encore de plus
de 2,000,000 fr.
Les successions. Le
serment a été supprimé, et de ce seul chef, de l'aveu de tout le monde, il y a
eu de recettes en moins. 1,000,000 fr.
L’impôt foncier, par
suite de la péréquation cadastrale, a été dégrevé dans les deux Flandres et
dans la province d'Anvers, ce qui a amené une réduction de 407,000 fr.
L’impôt personnel a
continué d'exister tel qu'il était établi avant 1830, et la perception s'en est
opérée d'après les déclarations faites avant 1830, malgré l'accroissement
successif des fortunes particulières pendant 18 années, et parmi ces 18 années
nous pouvons dire, avec vérité, qu'il y en a eu beaucoup de prospères. De ce
chef, messieurs, on a évalué la diminution de l'impôt à la somme bien faible,
selon moi, de 440,000 fr.
Faut-il, messieurs,
rappeler la réduction dans le taux des patentes, évaluée à 700,000 francs ; la
réduction sur la patente des bateliers, évaluée à 80,000 francs ; la réduction
des droits sur les canaux, sur le canal de Pommeroeul à Antoing, sur le canal
de Charleroy, sur le canal de la Sambre ? De ce chef, encore, messieurs, et ces
évaluations, je les trouve exagérées en moins, de ce chef encore, nous avons
enlevé au trésor, plus d'un million...
M. Malou. - 1,400,000 francs.
(page 1418) M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Nous
avions, messieurs, avant 1830 des centimes additionnels sur les bases suivantes
:
Vins étrangers, 35
centimes
Eaux-de-vie
indigènes, 35 centimes
Liquides alcooliques,
35 centimes
Sucres, 35 centimes
Enregistrement, 35
centimes
Greffe, 35 centimes
Hypothèques, 35
centimes
Successions, 35
centimes
Timbre, 35 centimes
Voilà, messieurs,
quels étaient les centimes additionnels en 1830. Voici ce qu'ils sont
maintenant :
Vins étrangers, 26
centimes, indépendamment du dégrèvement de près d'un million de francs, par
suite du traité avec la France.
Eaux-de-vie
indigènes, plus de centimes additionnels.
Bières et vinaigres,
26 centimes au lieu de 35.
Enregistrement, 30
centimes au lieu de 35.
Greffe, 30 centimes
au lieu de 35.
Nous savons à quelle
occasion ces 30 centimes ont été maintenus.
Ils avaient pour
objet d'assurer à la magistrature inamovible qui, j'espère, restera toujours
inamovible dans notre libre pays, de lui assurer une rémunération convenable,
de rendre de plus en plus la magistrature, cette garantie de l'ordre public et
de la liberté, de la rendre de plus en plus indépendante et ferme.
Messieurs, je
pourrais encore vous signaler un grand nombre de réductions dans nos recettes
et il serait difficile de citer une seule loi qui ait eu pour but d'augmenter
une base quelconque de nos impôts directs. Des droits de douane ont été
augmentés, mais ils l'ont été dans l'intérêt bien ou mal entendu, mais dans
l'intérêt de l'industrie indigène.
Si, messieurs, nous
avons réduit considérablement tous nos impôts, nous avons aussi diminué
beaucoup de nos dépenses. Tout à l'heure on a fait allusion aux traitements des
fonctionnaires publics ; eh bien, comparez les traitements des fonctionnaires
publics d'aujourd'hui, et je ne dis pas qu'il ne faut pas les réduire encore ;
vous en ferez ce que vous voudrez ; mais enfin comparez les traitements des
fonctionnaires publics d'aujourd'hui avec les traitements des fonctionnaires
publics d'autrefois, et voyez si, sous ce rapport encore, la révolution de 1830
a grevé le pays.
Ainsi, messieurs,
lorsqu'on vient repousser de nouvelles charges, il ne faut point mettre en
avant cette raison fausse, qui consisterait à dire que, depuis 1830, le pays a
constamment marché dans une voie d'augmentation d'impôts. Cela est complètement
inexact, complètement démenti par les faits.
Ce qu'on dit de l'impossibilité de supporter ces
charges est encore inexact. La gêne dont on vient de parler existait il y a un
mois comme aujourd'hui. Eh bien, comment s'est opérée la rentrée des premiers
huit-douzièmes de la contribution foncière, ainsi que les contributions
ordinaires. Jamais, à aucune époque, les rentrées ne se sont faites avec une
telle exactitude, avec une telle promptitude. Vous avez consulté un notaire de
Bruxelles et un notaire de Gand ; allez consulter tous les percepteurs de
contributions : ils vous diront que jamais, à aucune époque, les populations ne
se sont montrées plus empressées de venir déposer leur offrande sur l'autel de
la patrie. Allez les consulter, voilà la réponse qu'ils vous donneront, voilà
le démenti qu'ils donneront à vos déclarations !
M. Mercier. - L'honorable député
de Gand avait, en quelque sorte, interpellé les membres de la section centrale
; il avait demandé pourquoi l'un de ces membres n'avait pas proposé, en son
nom, la mesure relative aux billets de banque. Mais la section centrale s'est
expliquée dans son rapport ; elle a indiqué par quels motifs de conciliation et
de prudence elle s'est abstenue de faire une proposition formelle. Si un membre
de la chambre pense que la section centrale a eu tort d'eu agir ainsi, pourquoi
ne prend-il pas lui-même l'initiative ?
Du reste, quant à
l'emprunt, il n'est pas en notre pouvoir, sans manquer à la foi publique, sans
compromettre le salut, de l'Etat, de ne pas voter les ressources alors que la
plupart des dépenses sont déjà faites. (Interruption.)
Si toutes les dépenses
ne sont pas faites elles sont votées, et elles sont inévitables ; celles qui ne
sont pas encore consommées sont précisément celles qui doivent maintenir
l'armée sur un pied respectable et soutenir le travail dans le pays. Ces
dépenses sont indispensables.
Je n'ai pas pris la
parole, tout à l'heure, dans la discussion générale, parce qu'elle a été close
avant que mon tour fût arrivé. Mais je déclare que je voterai pour l'emprunt,
quelque regret que j'éprouve de ne pas voir adopter la mesure proposée par la
section centrale pour l'alléger.
Je viens maintenant à
l'article en discussion et à l'amendement qui a été proposé par la section
centrale.
L'honorable ministre
des finances a semblé craindre que les propriétaires les plus imposés ne
fussent surchargée par cette proposition.
Mais je ferai
observer que, dans tous les cas, ces propriétaires réunis ne peuvent être
surchargés que du huitième de la contribution foncière, et je maintiens que la
proposition de la section centrale atteint plus complètement le but que le
gouvernement a en vue.
Il peut y avoir des exceptions dans quelques
localités, mais dans la généralité des communes, les 2/3 des contribuables ne
participeront pas à l'emprunt d'après notre système, tandis que d'après la
proposition du gouvernement, un quart seulement des contribuables seraient
exemptés.
J'engage beaucoup la
chambre à voler la proposition de la section centrale qui a pour but de
soustraire une foule de petits contribuables à des charges qu'ils ne peuvent
supporter.
- On demande la
clôture.
M. Delehaye. - J'ai demandé la
parole pour un fait personnel.
M. le président. - Vous avez la
parole pour un fait personnel.
M. Delehaye. - M. le ministre de
l'intérieur vient de déclarer qu'il n'y a pas grand courage à soutenir le thème
que je défends. Eh ! messieurs, la manière dont les paroles de M. le ministre
de l'intérieur viennent d'être accueillies dans les tribunes prouve, au
contraire, qu'il faut un grand courage pour soutenir l'opinion que je soutiens
et surtout pour la soutenir à Bruxelles où l'emprunt est l'objet d'un si grand
enthousiasme.
On me dit que les
huit douzièmes de la contribution foncière ont été payés. Mais qui a jamais
contesté que le contribuable paye ce qu'il peut payer ? Je n'ai pas dit que le
contribuable se refuserait à payer, mais j'ai dit qu'il ne pourrait pas payer ;
or, en payant les 8/12, ils se sont par là même mis dans l'impossibilité de
payer les impôts ordinaires.
Ou a prétendu qu'en
avançant les faits que j'ai cités, je voulais faire ma cour aux électeurs. Eh
bien, messieurs, j'avais à peine cessé de parler qu'un honorable collègue, un
magistrat à qui la loi sur les incompatibilités ne permettra pas de se représenter
devant les électeurs, un honorable député d'Audenarde, est venu me déclarer que
ce que j'avais dit était vrai, et que mes paroles seraient confirmées par
l'événement.
Je n'ai pas dit non
plus que les traitements de tous les fonctionnaires publics sont trop élevés.
Mais j'ai dit qu'il y avait trop de fonctionnaires publics ; et pour qu'on ne
m'accuse plus de vouloir faire ma cour aux électeurs, je dirai que puisqu'on
nous a promis des réformes radicales, j'espère qu'on aura soin de présenter à
la législature prochaine un projet de loi destiné à permettre au gouvernement
de ne pas pourvoir aux places qui deviendraient vacantes.
J'espère que M. le
ministre de l'intérieur fera cesser ce scandale que l'on voit à l'université de
Gand, où une partie des professeurs ne donnent pas de leçons ; M. le ministre
des finances, lui aussi, a des économies radicales à faire. Comment peut-on
concevoir qu'à Bruxelles il doive y avoir huit receveurs de contributions,
tandis qu'il n'y en a que deux à Anvers, à Liège et à Gand ? Comment concevoir
qu'à Malines il doive y avoir un personnel aussi considérable pour le chemin de
fer, où l'on compte tant d'abus, comme l'a constaté M. de Man d'Attenrode ?
Voilà des
modifications radicales devant lesquelles, je l'espère, le ministère ne
reculera pas, non plus que dans d'autres administrations que j'ai signalées et
déjà, sur lesquelles viennent d'attirer l'attention de la chambre, deux amis de
Gand.
On me dit que depuis
la révolution les contributions ont toutes subi des réductions.
Mais M. le ministre
de l'intérieur ne nous dit pas quelles immenses contributions pèsent sur les
communes. (Interruption.)
M. le président. - Ce n'est pas un
fait personnel.
M.
Delehaye. - Je n'en dirai pas davantage.
Je finis par la
déclaration que dans mes paroles il n'y a rien d'hostile au ministère. Je
regrette qu'il n'ait point connu la situation du pays.
Je veux lui donner
tous les moyens qu'il demande pour exécuter les lois que nous avons votées ;
mais ne voulant pas mettre une grande partie des contribuables dans la triste
nécessité de ne pouvoir payer ce qu'on exigerait d'eux, je voterai contre la
loi, si le système de la section centrale est repoussé.
M. le président. - La clôture a été
demandée.
M. Lys (sur la clôture). -
J'ai proposé an amendement par lequel j'ai voulu faire peser l'emprunt sur les
4,000 plus imposés dans la contribution foncière et personnelle ; je crois
qu'il faudra statuer sur l'amendement avant de faire statuer sur l'article.
- La clôture de la
discussion est mise aux voix et n'est pas prononcée.
M. de Theux. - Messieurs, je ne
veux pas rentrer dans la discussion générale ; j'étais cependant inscrit, et je
complais présenter quelques observations. La tournure que le débat vient de
prendre me fait un devoir de dire quelques mots.
Messieurs, je suis
persuadé que l'emprunt, tel que nous le voterons, sera payé ; il le sera, parce
que le pays a confiance en lui-même, parce que le pays a un grand but à
atteindre : la conservation de sa sûreté extérieure et intérieure.
Je ne veux pas
m'associer à toutes les alarmes qu'on a exprimées dans la discussion générale
sur notre situation financière ; pour moi, j'ai la plus grande confiance que le
pays n'a plus à courir aujourd'hui les dangers qu'ils a courus à la suite de la
révolution de 1830 ; sa situation actuelle est bien autrement favorable qu'elle
ne l'était à l'époque de 1831 où il eut des charges tout aussi considérables à
supporter ; la révolution avait alors interrompu toutes nos relations
commerciales ; toutes nos industries étaient en stagnation ; tous les travaux
avaient cessé ; le peuple encombrait partout les places publiques.
Aujourd'hui les
travaux continuent paisiblement, nos principales relations commerciales sont
conservées, et notre industrie est loin d'avoir cessé ses travaux.
(page 1419) Une seule chose est regrettable : c'est que l'emprunt ne
puisse pas être réparti plus équitablement ; mais je le reconnais, il y a dans
ce moment impossibilité de le diviser ; comme j'aurais voulu le voir diviser,
on s'exposerait à trop de mécomptes, si on l’étendait à d'autres bases.
Mais j'espère que,
dans l'intervalle de cette session à l'autre, le gouvernement aura eu le temps
de méditer, si de nouvelles charges sont nécessaires, sur d'autres ressources
pour y pourvoir ; notamment, je signale ici certains cautionnements dont on a
parlé, qui pourraient être très utiles dans des circonstances comme celle-ci.
On a parlé de la
hauteur de notre budget des recettes, mais on a omis de dire qu'il est composé
en grande partie de péages qui ne figuraient pas au budget de 1830. D'autre
part, on a oublié de dire que le pays a obtenu des améliorations immenses par
suite de tous les travaux publics faits depuis 1830 qui tous ont concouru à
augmenter sa prospérité.
On a aussi parlé des charges des communes ; sans
doute, elles sont augmentées, mais on a oublié que partout des améliorations
importantes avaient été introduites ; pour ne parler que de l'instruction
primaire, elle coûte près d'un million aujourd'hui, tandis qu'en 1830 la somme
qu'on y consacrait était extrêmement faible. Je m'arrête, car je me laisserais
entraîner trop loin si je continuais la comparaison des deux situations.
Je proteste de
nouveau de la confiance la plus absolue dans l'Etat belge, tant au point de vue
politique qu'au point de vue financier.
- La discussion est
close.
L'amendement de M.
Lys est mis aux voix. Il n'est pas adopté.
M. le ministre des finances (M. Veydt) déclare se rallier à
l'amendement de la section centrale.
Cet amendement est
mis aux voix et adopté, ainsi que l'ensemble de l'article 2 amendé.
Article 3
« Art. 3
(modifié par la section centrale) Par exception à la règle établie par
l'article précédent, seront ajoutés aux contribuables mentionnés à l'article
précédent.
« a. Les
propriétaires ou redevables non domiciliés dans la commune où les biens sont
situés, et qui se trouveront rangés dans la catégorie exemptée d'après le
montant de leurs cotes ;
« b. Les
propriétaires des maisons occupées et pour lesquelles le terme d'exemption de
la contribution foncière, accordée par la loi du 28 mars 1828 (Journal officiel
n° 8), n'est pas expiré.
« Toutefois, les
propriétaires de ces maisons, domiciliés dans la commune où elles sont situées,
ne participeront pas à l'emprunt lorsque leurs cotisations de ce chef, réunies
à la contribution foncière assise sur les autres propriétés qu'ils possèdent
dans la même commune, les rangeront dans la catégorie exemptée. »
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Ces amendements sont la conséquence du
principe qui vient d'être adopté.
- L'article 3 est mis
aux voix et adopté.
Article 4
« Art. 4. Pour
déterminer la cotisation des maisons dont il est parlé au littera b de
l'article 3, le marc-le-franc de la contribution foncière de l'exercice courant
sera appliqué à la valeur locative de ces maisons réglée aux rôles de la
contribution personnelle du même exercice, après déduction d'un quart. »
- Adopté.
Plusieurs voix. - A demain ! à
demain !
- La séance est levée
à 10 1/2 heures.