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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 9 mai 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition
relative à une pension publique (Eenens)
2) Projet de loi instituant le système commercial des
warrants
3) Projet de loi autorisant la société générale à
faire une nouvelle émission de billets de banque. Garantie de l’Etat et
affectation aux caisses d’épargne, politique monétaire (Delfosse,
(intérêt d’une banque nationale) T’Kint de Naeyer, Delfosse, Cogels)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1603) M. A. Dubus procède à l'appel
nominal à 2 heures et un quart.
La séance est
ouverte.
M. Troye donne lecture du
procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. A.
Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le conseil communal
de Saint-Laurent demande une loi qui assure la liberté et le secret du vote
dans les élections, qui déclare incompatible dans certains cas le mandat de
conseiller communal avec les fonctions de membre du conseil de fabrique
d'église ou d'une administration de bienfaisance, et qui prononce une
incompatibilité entre les fonctions de juge de paix et le mandat de conseiller
provincial, lorsque ces magistrats sont élus dans leur canton.
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du projet de loi sur la réforme parlementaire, et puis renvoi
à la commission des pétitions.
_________________
« Le sieur Vander
Elst demande que le projet de loi concernant l'achèvement des chemin de fer
concédés de Jurbise à Tournay et de Saint-Trond à Hasselt contiennent une
disposition qui oblige la société concessionnaire à leur payer l'indemnité qui
leur est due comme auteurs primitifs du projet de chemin de fer de Jurbise à
Tournay. »
- Renvoi a la section
centrale chargée d'examiner le projet de loi.
_________________
« Le sieur Dupont soumet à la chambre le
projet d'établissement d'une banque gouvernementale des travailleurs, qui
aurait le droit exclusif d'émettre du papier-monnaie. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du projet de loi relatif à l’émission des billets de
banque.
_________________
« Le sieur Van Assche prie la chambre de
statuer sur sa demande, tendant à ce que ses habitations louées à la semaine
soient exemptes de toute imposition ou du moins que les locataires seuls soient
tenus au payement des contributions et prie la chambre de réviser la loi sur
les expulsions. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
« Le sieur Cras, ancien commis des accises,
réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
M. Eenens. - Je demande que la
commission soit invitée à faire un prompt rapport : le pétitionnaire a des
titres bien réels à l'augmentation qu'il réclame.
- Cette proposition
est adoptée.
_________________
« Plusieurs habitants de Gheel prient la
chambre de revenir sur la classification de cette commune parmi les communes
d'une population supérieure à 10,000 habitants. »
- Même renvoi.
_________________
« Plusieurs habitants de Peers demandent qu'il
soit interdit au greffier de la justice de paix du canton de faire le commerce.
»
- Même renvoi.
_________________
« Les membres de plusieurs administrations
communales dans la province du Luxembourg prient la chambre de rejeter la
demande qui tend à ce que les deux millions de cautionnement déposés par les
compagnies concessionnaires du chemin de fer du Luxembourg soient employés à la
canalisation de l'Ourthe. »
- Même renvoi.
PROJET DE LOI AUTORISANT LA SOCIETE GENERALE A FAIRE UNE NOUVELLE EMISSION DE BILLETS DE BANQUE
M. Delfosse. - Messieurs, on
nous avait promis que le rapport de l'honorable M. d'Elhoungne serait distribué
hier soir ; on ne l'a distribué que ce matin ; je n'en fais pas un reproche au
bureau : je suis convaincu que le retard a été indépendant de sa volonté.
Je ne demande pas non
plus la remise d'une discussion dont je comprends toute l'urgence ; mais je me
réserve, pour le cas où la discussion générale serait close aujourd’hui, de
demander que la discussion des articles ne commence que demain, afin qu'on
puisse encore, à l'occasion de l'article premier qui contient le principe de la
loi, émettre des observations d'une nature générale.
Il serait fâcheux,
dangereux même que la discussion d'un projet aussi important, d'une nature
aussi délicate, ne reçût pas tous les développements dont elle est susceptible.
L'honorable rapporteur a dit, avec raison, que la question est une de celles
qui doivent se résoudre avec fermeté et promptitude ; j'ajouterai, toutefois :
après mûre réflexion. J'ai eu, pour ce qui me concerne, le temps de lire le
rapport de l'honorable M. d'Elhoungne, mais je n'ai pas eu le temps d'en faire
une étude suffisante.
- La chambre,
consultée, décide que si la discussion générale du projet de loi concernant une
nouvelle émission de billets de banque est close aujourd'hui, ce sera sous la
réserve qui a été indiquée par M. Delfosse.
PROJET DE LOI INSTITUANT LE SYSTEME COMMERCIAL DE WARRANTS
M. le
ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai
l'honneur de soumettre aux délibérations de la chambre un projet de loi portant
institution du système des warrants.
- Il est donné acte à
M. le ministre des affaires étrangères de la présentation de ce projet de loi qui
sera imprimé et distribué, ainsi que l'exposé des motifs qui l'accompagne.
- La chambre le
renvoie à l'examen des sections.
PROJET DE LOI AUTORISANT LA SOCIETE GENERALE A FAIRE UNE NOUVELLE EMISSION DE BILLETS DE BANQUE
Discussion générale
M. T’Kint de
Naeyer. - Messieurs, la loi du 20 mars, présentée comme une
mesure de salut public, a été discutée cl volée d'urgence, mais on n'a pas
tardé à reconnaître que ce n'était qu'un palliatif. Je crains que le projet de
loi qui est soumis en ce moment aux délibérations de l'assemblée n'ait encore
le même caractère, car personne jusqu'à présent n'a cru pouvoir affirmer d'une
manière positive l'efficacité de la mesure.
La commission
spéciale a considéré l'affirmative, non comme certaine, mais comme très
probable. Le rapport de la section centrale, si remarquable, d'ailleurs, par
l'élévation des idées et la profondeur des vues, renferme aussi des réserves
importantes.
En effet, messieurs,
quand on jette les yeux sur les documents qui nous ont été soumis, on est
frappé de voir qu'un capital de plus de deux cent millions a été complètement
immobilisé par des spéculations exagérées, en dépit d'un système de mutualité
et de prêts qui semblait si ingénieusement combiné.
On s'égare au milieu
de ce dédale de sociétés qui se sont successivement engendrées et alliées au
point de se confondre et de rendre une appréciation exacte impossible, à moins
qu'elle ne puisse porter sur l'ensemble.
Quelle que soit
l'opinion que l'on se forme sur la situation de la Société Générale, en
admettant même la pleine et entière suffisance de l'actif, l'e prit le moins
prévenu doit reconnaître qu'il y aurait lieu de qualifier en termes plus
énergiques que ceux d'imprudence ou de témérité, la gestion d'une banque qui,
après quelques semaines de crise, a été contrainte de venir s'abriter sous le
crédit de l'Etat qu'elle avait mission de soutenir.
Je n'ai pas l'intention
de faire un réquisitoire contre une société que la législature sera bientôt
appelée à juger définitivement, lorsqu’il s’agira de
prononcer sur la question du retrait de son privilège.
Je
voterai pour le projet du gouvernement amendé par la section centrale, parce
que je le considère comme une mesure transitoire; la loi renferme des
restrictions et des moyens de contrôle qui présentent, au point de vue de
l’intérêt public, des garanties suffisantes; elle évite d’ailleurs les
secousses et les perturbations d’une liquidation forcée. Mais là se bornent, il
me semble, les avantages qui doivent résulter de la mesure; c’est en vain que
l’on compterait désormais sur la Société Générale pour donner plus d’extension
aux facilités que le commerce et l’industrie non « patronnés »
réclament dans leurs transactions devenues si pénibles.
Les
articles de l’actif qu’il sera possible de mobiliser seront absorbés, d’une
part, par les besoins de la caisse d’épargnes et le payement des obligations,
et de l’autre par un grand nombre d’établissements industriels que l’on devra
soutenir à tout prix.
Je ne
parlerai pas du portefeuille d’escompte déjà si insignifiant. A quoi se
réduira-t-il si l’on en extrait les valeurs qui pourront être
« renouvelées », mais qui ne sont pas réalisables pour le moment ?
J’espère
,messieurs, que le gouvernement, qui a pris l’initiative de grandes réformes
politiques, ne reculera pas devant celles que le système démocratique que nous
inaugurons rend nécessaires dans l’ordre financier; le crédit, qui est aux
peuples ce que la vie est au corps de l’homme, doit être organisé sur une base
large et forte ; il doit fonctionner dans l’intérêt de tous et cesser
d’être l’apanage de l’agiotage qui a provoqué la crise autant peut-être que les
événements politiques eux-mêmes.
Les
faits que nous avons en ce moment sous les yeux, l’exemple des banques
américaines qui se sont écroulées par centaines, celui des Joint Stok banks qui
ont menacé de couvrir l’Angleterre de ruines, démontrent la légitimité de l’action
législative, chaque fois que, comme le disait un économiste célèbre, il s’agit
de prévenir une fraude ou de certifier un fait. Si l’intervention de l’Etat
dans les mouvements si compliqués et si délicats du commerce et de l’industrie
présente des dangers, il lui appartient toujours de rectifier les écarts des
efforts individuels.
La
circulation ne peut donc pas être livrée à l’incertitude ou au fatalisme du
laisser faire; elle a besoin d’être gouvernée selon les époques, selon les pays
et selon l’intensité des crises.
Le
droit de battre monnaie est une prérogative de la souveraineté nationale, qu’il
ne faut jamais aliéner et qui doit, il me semble, s’étendre au papier aussi
bien qu’à l’or et à l’argent. Lorsque l’Etat met son empreinte sur l’un des agents
de la circulation, en lui donnant un cours forcé, il contracte évidemment
l’obligation d’en garantir le titre. Il ne faut pas que le billet de banque
puisse être comparé aux billets à ordre, dont la valeur est souvent appréciée
en raison de la solvabilité des endosseurs.
Une
valeur réelle pour base, l’unité dans l’émission et la certitude d’un
remboursement final, telles sont les conditions essentielles de l’existence du
papier-monnaie.
Pour
que ces principes puissent être mis en pratique, l’établissement d’une banque
nationale avec des attributions nettement définies par la loi et une
administration placée sous le contrôle du gouvernement et des chambres, est
indispensable. Il est bien entendu que j’ai eu vue une banque où l’élément financier et l’élément industriel seraient
complétement séparés. Ses opérations, limitées à ses ressources, se borneraient
à l’escompte. Au moyen de sa caisse et de son portefeuille elle serait à même
de faire face à toutes ses dettes.
Une
émission de papier qui se présenterait sous de semblables auspices serait
accueillie avec confiance et serait sans peine, et en peu de temps, substituée
à l’ancienne circulation. Les billets recevraient en quelque sorte cette valeur
physique qui met l’or et l’argent à l’abri de la dépréciation; car plus les
garanties morales seront élevées, plus il sera facile de faire pénétrer le
papier dans tous les canaux de la circulation et de le préserver du choc de la
défiance populaire.
A ceux
qui craindraient de conférer au gouvernement un pouvoir exorbitant dont il
serait tenté d’abuser dans les moments difficiles, je répondrai que cette
appréhension n’est pas fondée dans un pays constitutionnel et qu’au besoin le
département des « émission », entièrement séparé de celui de l’
« escompte », pourrait être placé sous la direction de commissaires
spéciaux à nommer par la législature. Cette théorie n’est pas neuve, elle a été
défendue par Ricardo et par Wilson; sir Robert Peel en a jusqu’à un certain
point consacré le principe dans le bill de 1844. La Russie a une banque qui
s’occupe exclusivement de la création, de l’émission et de l’échange des
billets.
J’espère
que la chambre me pardonnera de donner trop d’étendue peut-être aux
considérations que j’ai l’honneur de lui soumettre; je ne me dissimule pas
toutes les difficultés qui pourraient entraver la fondation d’une banque
nationale dans les circonstances actuelles. Je suis heureux de voir que c’est
uniquement sur la question d’opportunité que je diffère ici avec l’honorable
rapporteur de la section centrale; il reconnaît qu’une banque nationale
répondrait « à un besoin réel et qui chaque jour se révèle avec plus d’intensité. » Je
vous avoue, messieurs, que l’appui de mon éloquent ami me fortifie
singulièrement dans mes convictions et me porte à insister auprès du
gouvernement pour qu’il ne tarde pas à poser un acte vigoureux et décisif en
rapport avec les périls de la situation. Je persiste à croire que les mesures
que nous allons adopter éloigneront momentanément le danger, mais ne
parviendront pas à le conjurer.
L’exemple
de la fondation de la banque d’Angleterre en 1694 est déjà loin de nous. Le
gouvernement anglais était alors dans de grands embarras financiers occasionnés
en partie par l’abus de l’impôt et par la difficulté d’emprunter, à cause du
peu de confiance que la révolution inspirait généralement.
Mais
l’exemple qui nous est donné par un pays voisin paraîtra sans doute plus
concluant. Je veux parler de la réorganisation de la banque de France.
La
crise moins compliquée en Belgique présente cependant des symptômes analogues.
Les portefeuilles sont engorgés et magasins sont encombrés de marchandises.
Tous les intermédiaires du crédit ont cessé ou restreint leurs opérations ; les
négociants et les industriels escomptent péniblement leurs valeurs; les
recouvrements sont difficiles ; dans plusieurs localités il n’y a plus
d’antre ressource que les messageries.
La loi
sur les warrants que M. le
ministre des finances vient de déposer sur le bureau, facilitera les transactions
en marchandises ; mais pour qu’elle soit efficace, elle doit s’appuyer sur
des escomptes plus abondants.
Pour
satisfaire aux exigences, aux demandes de crédit qui affluent de toutes parts,
l’émission des billets devra croître jusqu’à ce que confiance renaisse.
Mais
pour que cette émission puisse avoir lieu sans inconvénients, sans
arrière-pensée, le gage réel qu’elle représente doit croître dans la même
proportion. Il ne faut pas oublier que c’est seulement lorsque les effets
circulants ne sont plus en rapport avec le capital réalisable qu’une
dépréciation sérieuse est à redouter.
En
rendant la confiance aux esprits, on ne doit pas désespérer d’attirer même en
ce moment les capitaux intimidés et inactifs vers un établissement de crédit
dirigé par le pays et placé sous sa sauvegarde. L’Etat ne pourrait-il pas lui
faire une dotation en domaines à titre d’avances, et la fusion des éléments
réalisables de toutes les banques du pays ne formerait-elle pas immédiatement
un noyau d’actionnaires ? Je pense qu’une semblable mesure ne présenterait pas
des difficultés invincibles, puisque d’une part, les garanties seraient
singulièrement fortifiées, el l’autre l’unité du billet faciliterait la
circulation en diminuant la méfiance.
Des
succursales fortement organisées dans les grands centres industriels feraient
droit à des réclamations incessantes et répartiraient le crédit à tous, dans la
proportion des besoins légitimement constatés et des garanties offertes.
Je
n’ai pas l’intention de discuter la somme de billets qu’il serait possible de
mettre en circulation dès à présent; cette question a été traitée récemment par
des hommes qui font autorité dans cette chambre. Je crois que leur appréciation
est loin d’être exagérée, d’autant plus qu’elle s’accorde avec celle du
gouvernement dans un temps normal. En effet, la Société Générale était
autorisée, avant l’arrêté royal du 26 juin 1837, à émettre les billets au
porteur pour une somme de 44,035,000 fr., et l’émission de la banque de
Belgique pouvait être portée à 20 millions. Ainsi, sans tenir compte de la
circulation de la banque de Flandre, de la banque commerciale d’Anvers, de la
banque liégeoise, de la Société de commerce de Bruges, on ne redoutait pas une
somme de billets qui n’eût guère été inférieure à 70 millions.
Si
maintenant on tient compte de la quantité de numéraire très considérable que la
paniques a immobilisée et immobilisera encore aussi longtemps que le crédit ne
se sera pas dégagé des entraves de la nécessité, je pense que le public doit
être rassuré, d’autant plus que, d’après les principes que je voudrais faire
prévaloir, il ne s’agirait pas de multiplier à l’infini les signes du crédit;
ils représenteraient dans tous les cas une
valeur qui existe en immeubles, en marchandises et en solvabilité personnelle.
Nous resterions dans les vrais principes de la science économique, en rendant
disponibles, dans une sage mesure, les fruits du travail antérieur pour le
travail subséquent.
La direction unique à
laquelle la circulation serait soumise aurait en outre l'avantage de faciliter
la formation d'une réserve métallique que l'échange des billets pour les
besoins des villes manufacturières et industrielles et les petites transactions
en général rend indispensable.. Elle permettrait de contracter l'émission
elle-même lorsque le numéraire enfoui reparaîtra.
Je ne dirai que quelques mots relativement aux caisses
d'épargne ; je crois que les économies du travailleur doivent être assurées
contre toutes les éventualités et placées comme un dépôt sacré sous la
protection de la nation entière. Je suis heureux de voir que ce principe a été
inscrit dans le projet de loi, mais il me semble que l'organisation définitive
des caisses d'épargne par l'Etat doit être soumise aux mûres délibérations de
la législature. J'émettrai dès à présent le vœu de les relier à l'établissement
de comptoirs cantonaux de prêts et d'escompte en faveur du petit commerce dans
les villes et ce l'agriculture dans les campagnes.
M. le président. - Personne n'est plus inscrit dans la
discussion générale. Quelqu'un demande-t-il encore la parole ?
M. Delfosse. - Je ne vois pas
d'inconvénient à ce qu'on commence la discussion de l'article premier ; mais il
est entendu que la discussion sur cet
article ne sera pas fermée aujourd'hui ; la décision que la chambre a prise
tout à l'heure doit être maintenue. (Oui !
oui !)
- La discussion
générale est close.
Discussion des articles
M. le président. - La chambre passe aux articles.
« Art. 1er. Le
gouvernement pourra autoriser une nouvelle émission de billets de banque de la
Société Générale pour favoriser l'industrie nationale. Cette émission,
uniquement affectée au service de la caisse (page 1605) d’épargnes de cette société, se fera au fur et à mesure
des besoins dûment constatés.
« La somme des
billets à émettre pour cet objet ne pourra excéder vingt millions de francs
(20,000,000).
« Ces billets sont
garantis par l'Etat. »
M. Cogels. - Messieurs,
j'avais attendu la discussion des articles pour abréger ces débats, auxquels
j'aurais désiré pouvoir me dispenser de prendre part ; car dans cette question,
à côté de très graves intérêts, sont venus se mêler, en dehors de cette
enceinte, de mesquins intérêts individuels. Je prie la chambre de croire que
j'y suis complètement étranger. Malgré l'intérêt imperceptible que j'ai dans un
autre établissement représenté à tort comme un rival jaloux et vindicatif, et
qui n'est en effet qu'un concurrent modeste et sage, je n'aurai en vue que
l'intérêt du pays, qui domine toute la question ; en second lieu, l'intérêt
d'un établissement considéré sous le point de vue de l'utilité publique.
L'intérêt du pays, voilà la question dominante. Il faut voir ou nous marchons
et à quoi nous nous engageons. Nous avons voté récemment deux emprunts forcés
de 37 millions que nous nous sommes engagés moralement à rembourser aussitôt
que nous aurions l'occasion de conclure favorablement un emprunt volontaire ;
nous avons déjà 34 millions de billets autorisés ; on nous en propose encore 32
millions, ce qui fait un ensemble de 66 millions, dont on peut distraire, il
est vrai, 12 millions dont l'émission a été autorisé au profit d'un
établissement qui est parfaitement en position de les retirer de la circulation
par ses propres moyens ; je suppose 9 millions d'insuffisance de ressources du
1er septembre au 31 décembre.
Vient ensuite le
reste de l'emprunt proposé le 21 février, 50 millions, et cette évaluation
n'est pas exagérée, car il faut pour y parvenir retrancher le chemin de fer de
Gand et la dérivation de la Meuse ; tout cela fait une somme de 150 .millions.
De ces 150 millions, 9 seront urgents ; cinquante pourront être réclamés dans
un avenir peu éloigné ; les 37 millions de l'emprunt forcé ne sont pas
exigibles ; cependant il y a un engagement moral, et aussitôt que nous
contracterons un emprunt pour d'autres besoins, le remboursement de l'emprunt
forcé devra y être compris ; restent les 54 millions de billets ayant cours
obligatoire, mesure exceptionnelle votée sous l'empire de la nécessité,
justifiable seulement par les circonstances exceptionnelles dans lesquelles on
se trouve, mesure que nous ne pourrons pas continuer à faire peser sur la
Belgique quand ces circonstances auront cessé.
Si dans un pays
voisin, que la secousse a atteint plus fortement que nous, on venait à
reprendre les payements en espèces, la Belgique ne pourrait pas rester le seul
pays où le papier-monnaie aurait cours obligatoire. Comment pourvoir à des
besoins aussi considérables, quand les emprunts à l'étranger sont devenus
beaucoup plus difficiles et le seront encore longtemps par suite de la crise
qui a affecté toutes les maisons de banque par la disparition des grands
prêteurs ? Espérer que la Société Générale reprenne par elle-même le payement
de ses billets en espèces dans un avenir peu éloigné, est une chose dont nous
ne pouvons pas nous flatter. Je n'entrerai pas dans l'examen en détail de la
situation de cette société. C'est un examen que je veux éviter.
Je commence par
déclarer qu'après m’être livré à une mûre appréciation, je crois que l'intérêt
des créanciers de la Société Générale est tout à fait sauf, qu'ils n'ont
absolument rien à craindre, que seulement ils devront attendre assez longtemps
pour rentrer dans leurs fonds, parce qu'une grande partie du capital est
engagée de manière à exiger une liquidation extrêmement longue, laborieuse et
difficile. Il y a là une somme considérable en valeurs, bonnes si vous le
voulez, mais qui ne sont pas réalisables dans le moment actuel, et qui
probablement ne seront pas réalisables d'ici à longtemps.
Ici, je me fonde sur
les leçons de l'expérience. Nous avons vu une crise industrielle à la fin de
1838. De 1838 à 1848, nous avons eu un intervalle de 10 années, qui a présenté
des moments de prospérité et de marasme pour l'industrie. Cependant je ne crois
pas que l'on puisse espérer que la période de 1848 à 1858 soit une période plus
favorable que celle dont je viens de parler.
Pour toutes les
personnes qui ont l'expérience des affaires, qui ont suivi les transactions,
non seulement des bourses de Belgique, mais encore de celles de l'étranger, il
est évident que la réalisation d'actions industrielles jusqu'à concurrence de
10 à 11 millions est presque impossible d'ici à quelque temps. Ainsi, dans un
autre établissement, c'est avec la plus grande peine qu'on est parvenu à rendre
mobile dans une période de près de dix années, une faible partie de huit
millions, des meilleures valeurs.
Quelle sera donc la
situation du pays ? De devoir procéder par un emprunt à la convertibilité des
billets de banque, qui ont été créés, aussitôt que vous croirez devoir
suspendre la mesure prise le 20 mars.
Voilà donc le danger
de la situation en général, et qui, je l'avoue, a contribué à me faire émettre
le vote que j'ai émis en section centrale, contre l'article premier. J'aurais
voulu réduire les 20 millions dans des proportions dont je vais parler, en
m'occupant de l'objet principal : les caisses d'épargne.
On demande 20
millions pour les caisses d'épargne. D'abord, il faut commencer par reconnaître
que l'Etat ne doit rien, qu'il n'y a absolument aucune obligation légale pour
l'Etat de se charger du remboursement des fonds déposés aux caisse d'épargne.
On me dit qu'il y a
une garantie morale. Mais cette garantie n'est pas née d'aujourd'hui ; elle
n'existe pas, ou bien elle a toujours existé, et, en ce cas, tous les
ministères qui se sont succédé sont également coupables. J'en excepte cependant
je ministère qui siège maintenant sur ces bancs. Je connais ses principes sur
cette question : il n'a pas eu le temps de s'en occuper.
Si tous les
ministères avaient reconnu, cette garantie morale, ils auraient eu tort de ne
pas s'emparer immédiatement des caisses d'épargne, car, accepter la garantie
morale d'un maniement de fonds, dont on n'a pas le contrôle, d'un placement
dont on ne recueille pas les fruits, eût été d'une haute imprudence.
En effet, dans quelle
situation nous trouvons-nous placés maintenant ? Nous avons abandonné à un
établissement particulier le droit de recevoir les fonds de l'épargne, et non
pas seulement ces fonds ; car, il y a côté des fonds d'épargne des capitaux
déposés plutôt en compte courant qu’à titre de fonds d'épargne, et dont nous
proposons de garantir également le remboursement.
Nous avons abandonné
ces fonds à un établissement particulier qui en a joui, qui en a fait emploi,
en partie, dans notre dette flottante. Il nous a pris à 4 1/2 et 5 p. c. des
bons du trésor dont nous avons fait très exactement le remboursement. Nous
aurons maintenant, indépendamment de cela, à rembourser les fonds qui ont été
affectés à l'achat de ces bons du trésor. Ainsi, si l'Etat s'était chargé des
caisses d'épargne, ses obligations seraient réduites de moitié.
Ce que nous aurions à
faire maintenant pour la caisse d'épargne serait presque insignifiant ; il faudrait
en retrancher les 28 millions de bons du trésor. Si ces 28 millions s'étaient
trouvés dans les fonds de la caisse d'épargne, nous n'aurions à pourvoir qu'à
15 ou 16 millions, et moins peut-être, car bon nombre des dépôts actuels
auraient été exclus, et tout serait liquidé.
Dès lors je ne puis
admettre que cette garantie morale ait été reconnue. Je crois même me rappeler
que, sur l'interpellation faite au gouvernement lorsque l'honorable M. Mercier
était au ministère, il a répondu que le gouvernement ne reconnaissait ni une
garantie légale ni une garantie morale des dépôts faits à la caisse d'épargne.
Ce que le pays va
faire est donc un véritable acte de munificence. Dès lors, il faut voir quels
sont les citoyens qui ont droit à cet acte de munificence ; et quels sont ceux
qu'on pourrait raisonnablement en écarter sans manquer ni aux lois de l'honneur
ni aux lois de la délicatesse.
Il y a dans les
caisses d'épargne, et c'est là le véritable but de leur institution, les sommes
qui proviennent de l'accumulation des économies et qui sont destinées à former
ainsi un capital ; il y a ensuite les dépôts qui proviennent des petits
capitaux déjà formés, et il y a les dépôts qui proviennent de grands capitaux
dont on cherche seulement à faire un emploi temporaire et qui ne sont, en fait,
que des dépôts en compte courant, déguisés sous le nom de dépôts à la caisse
d'épargne.
Eh bien, je crois que
le gouvernement ne doit sa sollicitude qu'aux domestiques et aux ouvriers ; à
celui qui n'a pas été à même de juger en personne ; qui a vu l'Etat derrière la
Société Générale et qui a confié ses fonds à la caisse d'épargne, croyant à
cette garantie de l'Etat.
Voilà les seules
catégories auxquelles l'Etat doit étendre sa munificence. En la restreignant
dans ces limites, nous n'aurions à rembourser, d'après une note qui se trouve
au rapport qui vous a été distribué ce matin, qu'une somme de 12 millions
environ ; c'est-à-dire les dépôts faits par les trois premières catégories :
les ouvriers, les domestiques et les détaillants ; les premiers pour 2,981,134
francs ; les seconds pour 7,032,406 fr. ; les troisièmes pour 2,501,754 fr. ;
et nous pourrions fort bien laisser les 31 millions restants jouir de la seule
garantie qu'ils entendaient s'assurer, lorsque les dépôts ont été faits, sans y
ajouter la nôtre et sans augmenter ainsi les obligations qui déjà peuvent nous
créer de très graves embarras.
Voilà, messieurs, les
motifs qui m'ont fait voter à la section centrale comme je l'ai fait.
D'ailleurs,
messieurs, je vous le demande, vous accorderiez ici à des personnes qui sont
dans une certaine aisance, qui peuvent attendre, qui ne voient pas même leurs
capitaux compromis, vous leur accorderiez un remboursement immédiat de leurs
capitaux, lorsque vous-mêmes vous recourez, pour vos propres besoins, à un
emprunt forcé, lorsque vous imposez un prêt à celui qui a souvent besoin
d'emprunter lui-même pour vous prêter.
Je crois que puisque
vous ne devez pas (si vous deviez, je vous dirais : Exécutez-vous : ), ce n'est
pas le cas d'accorder une faveur à des personnes qui peuvent attendre et qui
doivent concourir à soulager les embarras du gouvernement et non à les
accroître.
Il est encore un
autre motif qui m'a fait voter cintre l'article premier ; c'est qu'en accordant
les 20 millions, vous n'éloignez qu'une partie de la difficulté. C'est ce que
déjà l'honorable préopinant qui a pris la parole dans la discussion générale, a
fait remarquer.
En effet, on dit que
l'on croit et que cette probabilité pourrait devenir presque une certitude,
qu'avec les 20 millions que nous donnons, nous pourvoirons à tous les besoins
que la Société Générale pourra, au moyen de ses propres ressources, satisfaire
à toutes les autres demandes.
Eh bien, messieurs,
ceci est tout à fait éventuel, ceci dépend de circonstances qu'il nous est
impossible de prévoir. Si l'horizon politique continue à s'éclaircir,
certainement cette prévision pourrait se réaliser ; mais aussi, songez-y bien,
le moindre nuage pourrait provoquer de nouvelles demandes de remboursements et
entraîner le gouvernement à faire de nouveaux sacrifices qui deviendraient des
plus pénibles, des plus dangereux, ou bien le mettre dans cette position
d'avoir accordé aux plus (page 1606)
pressés une faveur qu'il se verrait dans la dure nécessité de refuser ensuite à
ceux qui ont eu assez de confiance pour attendre. Je crois dès lors que nous
devons chercher autant que possible à prendre une mesure complète et à faire en
sorte que ce que nous allons faire pour la caisse d’épargne nous permette de
vider la question sans avoir à y revenir.
Il est encore une
autre considération. En accordant le remboursement aux déposants des deux
dernières catégories, vous leur faites une faveur que vous refusez à des
déposants qui y ont bien plus de droit, à ceux qui, sur l’avis de la Société
Générale, ont converti leurs dépôts en obligations à un ou deux ans ; pour
ceux-là vous ne faites absolument rien ; et cependant parmi ces déposants
il en est qui se trouveraient peut-être dans les premières catégories, dans les
catégories de ceux qui ont le plus de droit à votre sollicitude.
Quant à ce qui
concerne l'émission des billets, la somme de ces émissions, quoiqu'elle soit
double de ce qui avait été proposé dans une autre circonstance, je ne dirai pas
que j'y vois un danger ; je pense que le pays pourra supporter cette
circulation, et je ne reproduirai pas ici les arguments que l'on a fait valoir
alors pour jeter d'avance du discrédit sur la mesure qu'on est obligé d'adopter
aujourd'hui.
Je dirai cependant
que, dans certaines circonstances, il pourrait y avoir une légère dépréciation
momentanée, parce qu'on pourrait voir un certain nombre de billets venir
s'accumuler dans un terme rapproche dans les mains les plus timides.
Lors de la discussion
de l'emprunt, l'honorable ministre des affaires étrangères a fait remarquer,
avec beaucoup de justesse, que l'une des conditions de l'émission d'un
papier-monnaie était de faire cette émission successivement, de ne pas jeter à
la fois une trop grande quantité de papier dans la circulation.
Maintenant,
messieurs, bien que cela se rattache à un autre article, je dirai un mot des
garanties qui nous sont offertes. Ces garanties peuvent être bonnes ; je les
considère comme bonnes, car d'abord nous avons la garantie de l'établissement,
et cette garantie, je la crois bonne, puisque j'ai dit, tout à l’heure, que les
créanciers n'avaient rien à craindre ; mais, messieurs, vous faites un prêt sur
nantissement, vous prenez un gage, et quel est le but du gage ? C'est que vous
puissiez l'exécuter. Or, il vous serait impossible d'exécuter le gage, car vous
le déprécieriez à tel point que vous feriez le plus grand mal au crédit public,
aux industries auxquelles le gage se rattache. Vous ne pouvez donc exécuter ni
le débiteur, ni le gage qui devrait suppléer au manque de solvabilité immédiate
du débiteur.
Je trouve donc que !a
question principale à examiner et que la commission s'était posée, ne doit pas
être résolue comme la commission l'indique. Voici la question que la commission
s'était posée :
« La question pratique,
dit-elle, consistait à savoir si la mesure réclamée par la Société Générale
serait efficace quant à elle, sans être onéreuse pour l'Etat. »
« Efficace »…
je viens d'expliquer mes doutes à cet égard ; « onéreuse pour
l’Etat » ... : je dirai qu'elle serait onéreuse en ce sens, qu'elle
ferait peser sur l'Etat une obligation à laquelle il devrait satisfaire dans
certaines circonstances, sans pouvoir recourir à son débiteur.
Messieurs, je me
bornerai pour le moment à ces considérations ; je pense qu'elles justifient
suffisamment le vote que j'ai émis ; je me réserve de prendre la parole si des
objections me sont faites, et de présenter des observations sur d'autres
articles qui se rattachent à celui-ci et dont je ne parle pas pour le moment,
afin d'abréger la discussion.
M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole sur
l'article premier ?
Puisque personne ne
demande la parole, la suite de la discussion sur l'article premier est remise à
demain, conformément à une décision que
la chambre a prise tout à l'heure.
- La séance est levée
à 3 heures 1/4.