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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 11 mai 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Verhaegen, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1627) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi et un quart. La séance est ouverte.

M. Troye donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Louis Bertraim, forgeron à Herve, né à Lendersdorp (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Michiels réclame l'intervention de la chambre pour obtenir un jugement contre l'avocat qu'il avait chargé de défendre ses droits dans une affaire de succession. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Neufchâteau prie la chambre de rejeter la demande tendant à ce que les deux millions de cautionnement déposés par la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg soient employés à la construction du canal de l’Ourthe. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants d'Andenne demandent la construction d'un pont sur la Meuse près de cette ville.

« Même demande de plusieurs habitants des communes du canton d'Andenne. »

M. de Garcia. - Cette pétition a pour objet de demander l'exécution d'un travail assez considérable à Andenne. Dans cette localité beaucoup d'ouvriers sont dans ce moment sans travail à cause des circonstances calamiteuses où se trouve le pays. En conséquence, je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition.

- Cette proposition est adoptée.


« Un grand nombre d'habitants de Liège prient la chambre de rejeter le projet de loi qui supprime l'impôt du timbre sur les journaux. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.


« La chambre de commerce d'Alost présente des observations contre le projet de loi qui rend l'emploi du papier timbré obligatoire pour les effets de commerce. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.

Projet de loi qui transfère à Fexhe-lez-Slins le chef-lieu de la justice de paix du canton de Glons

Rapport de la commission

M. Destriveaux. - Messieurs, au nom de la commission des circonscriptions cantonales, j'ai l'honneur de déposer le rapport sur le projet de loi relatif au transfert du chef-lieu de la justice de paix du canton de Glons, de la commune de Glons à celle de Fexhe-Slins.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Le jour de la discussion sert ultérieurement fixé.

Projet de loi autorisant une nouvelle émission de billets de banque de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale

Motion d'ordre

M. Osy (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai eu l'honneur de présenter hier un amendement à l'article 5 du projet dont nous nous occupons. Pour abréger la discussion, je demanderai que cet amendement soit renvoyé à la section centrale.

M. de Brouckere. - Je demande que rien ne soit préjugé. Il est possible que nous votions aujourd'hui l'article 5. Attendons, pour décider si l'amendement sera renvoyé à la section centrale, que nous voyions s'il y a nécessité et possibilité.

M. Osy. - J'ajournerai ma demande. Si nous ne votons pas aujourd'hui sur l'article 5, mon amendement pourra être renvoyé à la section centrale.

Discussion des articles

Article premier

M. Delfosse. - Messieurs, l'honorable d'Elhoungne a parlé hier avec beaucoup de verve et de talent. Mais le talent ne peut pas faire qu'une idée fausse soit vraie, qu'un système dangereux soit utile. Il en est des idées que la magie seule de la parole fait passer, comme de ces monnaies des Mille et une Nuits, qui paraissaient d'or et d'argent lorsqu'on les recevait, et qui, lorsqu'on voulait les dépenser, n'étaient plus qu'un papier sans valeur.

En entendant l'honorable M. d'Elhoungne attaquer avec autant de vivacité les adversaires du projet de loi, je me suis fait un instant illusion ; j'ai cru entendre, non le rapporteur de la section centrale, mais un avocat de la Société Générale.

Si cette société avait pu être admise à se faire représenter dans cette enceinte par un défenseur spécial, elle n'aurait certes pu en choisir un plus habile ni un plus chaleureux.

M. d'Elhoungne. - Ni un moins disposé à l'être, soit pour elle soit pour personne.

M. Delfosse. - Je félicite la société d'avoir trouvé dans les convictions pures et désintéressées de l'honorable M. d'Elhoungne ce qu'elle se serait trouvée heureuse de payer au poids de l'or.

M. d'Elhoungne. - Mes intentions n'ont pas besoin de vos éloges.

M. Delfosse. - Je rends compte de l'impression que votre discours a produit sur mon esprit. J'en ai, je pense, le droit.

L'honorable M. d'Elhoungne m'a reproché trois choses : J'ai critiqué le projet de loi avec une stérilité d'idées désespérante ; je n'ai pas eu le courage de formuler un système ; j'aurais dû rassurer le pays sur la situation de la Société Générale.

J'ai critiqué le projet avec une stérilité d'idées désespérante. Soit. Je ne veux pas engager ici une lutte d'amour-propre et je n'ai la prétention d'avoir, ni l'abondance d'idées ni la souplesse de parole qui permettent à l'honorable M. d'Elhoungne de plaider, avec succès, les causes les plus désespérées.

Je n'ai pas eu le courage de formuler un système. Il me semble cependant que j'en avais formulé un : je m'étais prononcé ouvertement contre le projet de loi et pour le sursis et, dans le cas où le sursis serait accordé, pour la garantie par l'Etat de certains dépôts faits à la caisse d'épargne. Je veux, je m'en suis expliqué suffisamment, que l'Etat garantisse la caisse d'épargne, ce qui peut être considéré comme l'épargne des petits travailleurs, mais nullement les dépôts qui doivent être assimilés à des placements ordinaires. Je proteste de toutes mes forces contre la doctrine émise par M. le ministre des finances, que l'Etat devrait garantir la caisse d'épargne tout entière. Un tel système serait la ruine de l'Etat.

Si je n'ai pas donné de grands développements à l'idée d'un sursis et de la garantie par l'Etat, c'est que je croyais ces développements inutiles ; je craignais aussi que mon discours ne parût trop long. Il devait surtout paraître tel à l'honorable M. d'Elhoungne qui n'y a trouvé qu'une stérilité d'idées désespérante.

La question du sursis appartient au gouvernement ; il sera probablement appelé à la résoudre, si le projet de loi est rejeté. La question de la caisse d'épargne pourra faire l'objet d'une discussion spéciale lorsque nous serons arrivés à l'article 9 du projet de loi. Mon estimable ami M. Destriveaux a fait entendre hier, sur cette question, de nobles paroles, et je ne crois pas montrer un bien grand courage, en déclarant que je m'y rallie.

J'arrive au troisième reproche que l'honorable M. d'Elhoungne m'a adressé. Je n'aurais pas dû effrayer le pays sur la situation de la Société Générale ; j'aurais dû, au contraire, le rassurer.

J'aime à croire que l'honorable M. d'Elhoungne n'a pas réfléchi à la portée de ses paroles, et qu'il a été entraîné, dans la chaleur de l'improvisation, au-delà de sa pensée.

(page 1628) J'aurais dû rassurer le pays sur la situation de la Société Générale !...

Qu'est-ce à dire ? J'avais de graves doutes ; devais-je me déclarer convaincu ? Je regardais l'intervention de l'Etat comme fatale ; devais-je la proclamer salutaire ? L'honorable M. d’Elhoungne croit que les créanciers de la Société Générale ne perdront rien, il le croit sincèrement, il a raison de le dire. Mais moi qui avais des doutes, et des doutes graves, je ne pouvais pas tenir le même langage : c'eût été de l'hypocrisie.

Je n'ai pas la prétention de lutter contre l'honorable M. d'Elhoungne en fait de talent, mais j'ai la prétention de comprendre aussi bien que lui le mandat que les électeurs m'ont confié. J'ai été envoyé dans cette enceinte pour dire franchement, consciencieusement ma pensée, toute ma pensée, sur les questions et surtout sur les questions graves qui nous sont soumises. Ce devoir, aucune considération ne m'empêchera jamais de le remplir.

Si je voulais imiter l'honorable M. d'Elhoungne, je pourrais aussi lui adresser quelques reproches ; je pourrais lui reprocher, par exemple, d'avoir dénaturé ma pensée. J'avais exprimé l'opinion que les demandes de remboursement pourraient bien affluer, parce que les placements en fonds publics sont dans les circonstances actuelles beaucoup plus avantageux que les placements à la caisse d'épargne. Que m'a répondu l'honorable M. d'Elhoungne ? Il s'est écrié qu'il serait heureux que les dépôts de la caisse d'épargne fussent employés en achats de fonds publics ; que cela relèverait le crédit de l'Etat ; que j'avais tort de m'en effrayer, que j'étais en veine de m'effrayer.

Messieurs, je ne m'en suis pas effrayé le moins du monde ; je suis de l'avis de l'honorable M. d'Elhoungne ; cela relèverait le crédit de l'Etat, .cela serait heureux. Mais qu'ai-je dit ? J'ai dit que les demandes de remboursement affluant, créeraient de nouveaux embarras à la Société Générale, et pourraient fort bien nécessiter une troisième intervention de l'Etat dans les affaires de cette société. Est-ce vrai, oui ou non ? Et qu'a-t-on répondu à cela ? Rien.

L'honorable M. d'Elhoungne n'a pas non plus jugé à propos de répondre à une question extrêmement grave que j'avais posée. Si l'on puise, au profit delà Société Générale, l'émission possible du papier-monnaie, comment trouvera-t-on les 30 millions qu'il faudra à l'Etat à partir du mois de septembre prochain ?

Aura-t-on recours à un troisième emprunt forcé ou à une troisième émission de papier-monnaie ? Voilà une question que j'avais posée et sur laquelle l'honorable M. d'Elhoungne, qui m'a reproché une grande stérilité d'idées, n'a pas dit un seul mot.

Il est vrai que l'honorable membre a un moyen très simple de se tirer d'affaire, quand ces sortes de questions se présentent ; il s'abstient ; l'honorable membre, qui m'a reproché hier de manquer de courage, a eu le grand courage de s'abstenir sur la dernière loi d'emprunt forcé.

M. d'Elhoungne, rapporteur. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Je n'attacherai pas aux reproches que m'a adressés l'honorable M. Delfosse une importance que ces reproches n'ont pas. Je vois que l'honorable membre fait deux parts dans ses reproches. La première s'adresse au discours que j'ai prononcé à la séance d'hier et qui paraît déplaire beaucoup à l'honorable membre : je la lui abandonne sans difficulté. La seconde paraît rejaillir sur mon caractère (dénégation de M. Delfosse) ; celle-là, je la dédaigne.

M. Liedts remplace M. Verhaegen au fauteuil.

(page 1628) M. Verhaegen. - Messieurs, je n'entrerai pas dans les détails des opérations de la Société Générale, je ne m'occuperai pas non plus des questions de personnes ; je ne veux ni blâmer ni approuver ; il peut y avoir eu des imprudences, des fautes commises ; ceux qui ont commis ces fautes, ces imprudences, en seront sans doute les premières victimes ; mais malheureusement ils entraîneront dans un désastre commun grand nombre de familles qui n'ont à se reprocher que d'avoir eu trop de confiance dans certains noms.

Je laisse donc de côté tous les détails qui sont étrangers au point culminant du débat. Avons-nous un autre parti à prendre que celui proposé par le gouvernement ?

Voilà, messieurs, la seule question que nous avons à résoudre. Personne, dans cette enceinte, ne formule un système qui soit destiné à prendre la place du système du projet de loi, et dès lors avons-nous bien la faculté de faire un choix ? Mon honorable ami, M. Delfosse, pense avoir répondu au discours si pressant, si lumineux de l'honorable M. d'Elhoungne en disant qu'il faut que l'on donne un sursis à la Société Générale, en même temps qu'on vient au secours des petits déposants à la caisse d'épargne.

Mais je me hâte de lui faire remarquer que ce n'est pas là formuler un système ; présenter des observations critiques sans conclure, c'est tenter de démolir sans prendre l'engagement de reconstruire, c'est prolonger une discussion qui ne peut amener aucun résultat utile pour le pays. L'honorable M. Delfosse veut forcer la Société Générale à accepter un sursis qu'elle ne demande pas, mais quel moyen propose-t-il pour atteindre ce but ? Aucun.

C'est au gouvernement, dit-il, qu'appartient l'initiative ! Soit ; mais le gouvernement a usé de cette initiative, dès lors ceux qui partagent une opinion contraire sont tenus, non seulement de venir la défendre à la tribune, mais encore de formuler une proposition dans ce sens et au besoin de la mettre à exécution, comme ministres, s'ils obtiennent l'appui de la législature. Je tiens ici à l'honorable M. Delfosse le même langage que je tenais il y a peu de temps à un autre honorable collègue ; je lui dis : Si vous avez un système que vous croyez préférable au système du gouvernement, présentez-le, donnez-lui l'autorité de votre nom, et engagez-vous à venir, à tout événement, le défendre au banc ministériel ; les principes du régime représentatif le veulent ainsi ; à ceux qui prennent la responsabilité du rejet d'un projet de loi, surtout dans des moments de crise, incombe sans contredit l'obligation de proposer autre chose, car une stérilité de la part de celui qui renverse deviendrait réellement désespérante, comme l'a dit hier l'honorable M. d'Elhoungne, puisqu'elle pourrait compromettre le salut de l'Etat.

L'honorable M. Delfosse se prononce pour le sursis sans toutefois formuler de proposition, et dans le discours qu'il vient de prononcer, il n'a fait que répéter ce que disait hier sur ce point l'honorable M. Lebeau. Il faut, dit-il, qu'on accorde un sursis à la Société Générale, il le faut, parce que dans le fait le sursis existe ; parce que, de fait, il y a cessation de payements, et par suite faillite.

Si l'honorable M. Delfosse avait établi ses prémisses, il aurait pu justifier sa conséquence ; mais je vais démontrer que les prémisses sont fausses.

L'honorable M. Delfosse et avant lui l'honorable M. Lebeau, ont traité une véritable question de droit. La Société Générale, d'après eux, serait en état de faillite parce qu'elle aurait cessé ses payements ; et cette cessation de payements ils la font remonter jusqu'au 20 mars dernier, date de la loi sur l'émission des billets de banque ayant cours forcé. Ainsi, voilà bien entendu, au 20 mars 1818 la Société Générale aurait cessé ses payements, et pour parler le langage de la loi (car il faut aller jusque-là) ; elle aurait publiquement cessé ses payements, et l'acte constituant la cessation publique de payements serait une loi que nous avons votée !

Or, qu'a fait la loi du 20 mars 1848 ?

Par son article premier elle dispose que « les billets de banque de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale et ceux de la Banque de Belgique seront reçus comme monnaie légale dans les caisses publiques et par les particuliers. »

Pour être logiques, il faut donc que MM. Delfosse et Lebeau aillent jusqu'à soutenir qu'à dater du 20 mars la Banque de Belgique aussi bien que la Société Générale avait cessé ses payements, et par suite qu'elle était en état de faillite, et c'est évidemment ce que ni M. Lebeau ni M. Delfosse ni M. Cogels n'oseraient prétendre ; car eux comme moi sont pleinement convaincus de la solvabilité, je dirai même de la prospérité de la banque de Belgique.

La distinction qu'on voudrait faire n'est pas dans la loi. La loi est claire, précise, positive ; elle s'applique à l'un comme à l'autre des deux établissements financiers du pays. Ainsi l'argument prouve trop. Si la Société Générale est en état de faillite, la Banque de Belgique est en état de faillite ; je dirai plus, la Banque de France est aussi en état de faillite.

La banque de France qui avait, si je ne me trompe, un capital primitif de 69 millions, a été autorisée à émettre pour 350 millions de billets, ayant cours forcé sans garantie et sans contrôle. Oserait-on soutenir que parce qu'elle a usé de cette autorisation elle a cessé ses payements ?

Mais pourquoi la Société Générale aurait-elle cessé ses payements à dater du 20 mars, elle qui avait un capital de 63 millions ? Ce serait, à en croire nos honorables contradicteurs, parce qu'on a donné cours forcé à ses billets, dont le chiffre a été porté à 20 millions, ce serait parce que ses billets ont été déclarés non remboursables : d'abord est-ce bien exclusivement dans l'intérêt de la Société Générale que cette mesure a été prise ? N'est-ce pas autant dans l'intérêt public qu'elle a été adoptée par la législature et par le gouvernement ? Etait-il possible de faire autrement, lorsque nos voisins avaient pris l'initiative d'une émission de papier-monnaie, qui devait enlever à la circulation une grande quantité de numéraire ?

C'était donc principalement par des considérations d'intérêt public que l'émission des 20 millions de billets de banque a été autorisée.

Mais est-il vrai que si cette mesure n'avait pas été prise, la Société Générale aurait dû cesser ses payements ? Examinons : la Société Générale avait, dit-on, seize millions de billets de banque en circulation, et on allait lui en demander immédiatement le remboursement en écus ; c'est là une première supposition que rien ne justifie.

Si l'on avait demandé le remboursement en écus de tous les billets de banque en circulation, la banque, ajoute-t-on, n'aurait pas pu satisfaire à ses obligations et elle aurait dû cesser ses payements ; deuxième supposition aussi peu justifiée que la première, car la banque avait certaines ressources qu'elle pouvait réaliser au moyen de grands sacrifices, il est vrai, mais ces ressources suffisaient aux besoins du moment et dès lors elle ne devait pas cesser ses payements.

Si la Société Générale avait une circulation de 16 millions de billets de banque, elle avait pour y faire face, d'abord six millions de bons du trésor, immédiatement exigibles, ensuite son encaisse et enfin pour dix à 12 millions de fonds belges qu'elle pouvait jeter sur le marché au risque d'une grande dépréciation, je le reconnais, mais au moyen desquels elle aurait pu satisfaire aux besoins les plus urgents. N'était-il pas de l'intérêt public d'éviter une pareille dépréciation ? C'est encore une raison qui peut être jointe à beaucoup d'autres, pour dire que la mesure du 20 mars n'était pas exclusivement dans l'intérêt de la Société Générale, qu'elle se rattachait aussi et principalement à des considérations d'intérêt public.

Il n'est donc pas vrai de dire que la Société Générale avait cessé ses payements au 20 mars 1848 et se trouvait en état de faillite ; pourquoi donc, malgré elle, lui accorderait-on un sursis aujourd'hui ?

Pour accorder à un particulier ou à un établissement un sursis, la première condition requise est qu'il y ait une demande de la part de celui qui, ne pouvant faire face à ses engagements quoique son actif dépasse son passif, juge à propos de recourir au bénéfice de l'arrêté-loi de 1814. On n'accorde pas une faveur à quelqu'un malgré lui ; c'est la première fois qu'on s'imagine de donner à un établissement quelconque un sursis en vertu d'une loi.

Vient maintenant la question qui se rattache aux caisses d'épargne.

Les honorables MM. Delfosse et Lebeau reconnaîtront, j'espère, avec l'honorable M. d'Elhoungne que les caisses d'épargne sont un moyen de moralisation pour la classe ouvrière, et qu'il faut maintenir ces institutions au prix des plus grands sacrifices.

(page 1639) Depuis longtemps les hommes d'Etat sont unanimement d'accord, que c'est au gouvernement à se charger des caisses d'épargne ; mais pour que le gouvernement s'en charge d'une manière efficace, d'une manière avantageuse à la classe ouvrière, il faut que le prestige attaché à ces institutions reste intact ; il faut que les caisses d'épargne ne passent pas entre les mains du gouvernement dans un état de discrédit.

Or, messieurs, quel est le système de mon honorable ami M. Delfosse quant aux caisses d'épargne ? D'après lui, on accorderait au sursis à la Société Générale et le gouvernement serait autorisé, en vertu d'une disposition spéciale de la loi, à venir au secours des petits déposants. Eh bien, je n'hésite pas à le dire, ce système est destructif de toute caisse d'épargne, et je vais vous le démontrer.

Si le sursis est opposable à certaines catégories de déposants, et d'après le système de l'honorable M. Delfosse ces catégories seraient les plus nombreuses, car l'exception qu'il propose serait très restreinte, alors la caisse d'épargne ne peut plus fonctionner, elle est frappée de néant à moins de supposer qu'il puisse encore se trouver un seul homme assez ennemi de ses propres intérêts pour se soumettre d'avance aux conséquences d’un sursis frappant dans l'avenir comme dans le passé ; et remarquez-le bien, messieurs, l'honorable M. Delfosse ne propose pas de remplacer au moins immédiatement les caisses d'épargne existantes par des caisses d'épargne placées sous le contrôle du gouvernement.

M. de Mérode. - Il y en a une à la banque de Belgique.

M. Verhaegen. - Croyez-vous que vous ferez beaucoup de bien à la caisse d'épargne de la banque de Belgique en tuant la caisse d'épargne de la Société Générale ? Moi je crois que l'atteinte portée au crédit d'un établissement financier est très fâcheuse pour un établissement similaire ; il est toujours dangereux d'encourager des rivalités, surtout en temps de crise ; l'expérience est là pour démontrer cette vérité.

Ainsi, messieurs, avec le système de l'honorable M. Delfosse, on tue les caisses d'épargne, si utiles aux classes ouvrières, tandis que le projet de loi les maintient intactes entourées de tout le prestige du crédit public. (Interruption.)

Mon honorable ami, qui m'interrompt, voudra bien me répondre. S'il a une proposition à faire, qu'il la présente régulièrement. (Nouvelle interruption.)

Messieurs, le projet de loi, je l'ai déjà fait remarquer, se coordonne dans ses diverses dispositions ; si, d'un côté, on a créé de nouvelles ressources, par une émission de billets de banque non remboursables, cette ressource est exclusivement affectée (et c'est là ce qui doit fixer notre attention) est exclusivement affectée au service de la caisse d'épargne. Une autre disposition du projet annonce la création d'une caisse d'épargne sous le patronage de l'Etat, et il y est dit qu'on pourra transférer à cette caisse les livrets de la caisse actuelle. Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que les divers articles du projet de loi forment un ensemble qui ne peut pas être divisé, et qu'en acceptant l'un, il faut accepter l'autre.

Messieurs, je le répète, il est un point qui me paraît aujourd'hui incontesté et qui est d'ailleurs incontestable, c'est qu'il faut maintenir intacte l'institution des caisses d'épargne, et beaucoup d'orateurs se sont exprimés à cet égard d'une manière telle que je me crois autorisé à dire que, dans l'opinion de la majorité, le gouvernement ne peut pas se dispenser de prendre à lui la caisse d'épargne établie près de la Société Générale. Aussi, messieurs, dans la section dont je faisais partie, une proposition avait été formulée dans ce sens ; elle avait pour objet de décréter que le gouvernement prendrait immédiatement à son compte la caisse d'épargne et se chargerait des 45 millions moyennant garantie ; je crois même que mon honorable ami, M. Lebeau, n'était pas éloigné d'accueillir cette proposition. (Interruption.)

Oui, messieurs, cette proposition avait été formulée et avait trouvé de l'appui chez plusieurs membres .Je ferai même appel dans l'occurrence à l'honorable membre qui en était l'auteur.

Messieurs, s'il en était ainsi, est-ce que la proposition qui nous est faite par le gouvernement n'est pas de nature à être accueillie ? A quoi après tout doivent servir les 20 millions qu'on nous demande par le projet ? A rembourser les dépôts faits à la caisse d'épargne : eh bien si, contre toute attente, ces 20 millions ne suffisaient pas, l'on aurait payé un à-compte de 20 millions sur 45 et il ne resterait plus qu’à statuer plus tard sur les 25 millions restant, alors qu'on traiterait de la reprise des caisses d'épargne par l'Etat.

Maintenant il y a lieu de croire, tant d'après les pièces qui nous ont été soumises, que d'après les assertions réitérées d'hommes très compétents dans la matière, il y a, dis-je, lieu de croire qu'au moyen de la nouvelle émission de 20 millions, la Société Générale pourra soutenir son crédit, et qu'une liquidation ne deviendra pas immédiatement nécessaire.

Pourquoi ne pas tenter cette chance, lorsque d'ailleurs aucune perte pour le trésor n'est possible, au moins probable ? Pourquoi froidement préparer la chute d'un établissement financier dont les ramifications sont immenses et s'exposer à toutes les conséquences de cette chute, peut-être même à une perturbation générale ? Quant à moi je ne veux pas assumer la responsabilité d'une mesure aussi désastreuse.

Mais, dit-on, il n'est pas permis de donner à certains créanciers de préférence sur d'autres, il faut que tous soient mis sur la même ligne.

Il faut que tous soient mis sur la même ligne.,. Cela veut-il dire qu'il n'est plus permis à un négociant ou à un établissement de traiter à une époque quelconque avec un ou plusieurs de ses créanciers ? J'admets que le système de mes honorables amis MM. Delfosse et Lebeau serait fondé, si le négociant ou l'établissement était en état de faillite au moment du traité ; mais c'est précisément ce qui est contesté dans l'espèce. Si, comme je l'ai démontré, la Société Générale n'a pas cessé ses payements, si elle n'est pas en état de faillite elle peut stipuler et la loi peut sanctionner cette stipulation.

D'ailleurs, que signifie cette objection, lorsque les hommes les plus compétents sont venus déclarer de la manière la plus formelle que tous les créanciers de la Société Générale seront payés. Et il n'y a de doute possible que sur le point de savoir si, après le payement des dettes, il restera encore quelque chose pour les actionnaires. (Interruption.) L'honorable M. Delfosse n'est pas d'accord avec moi sur ce point ; aussi je ne faisais pas allusion l lui ; je faisais allusion à d'autres honorables collègues tout aussi compétents que mon honorable ami, et qui nous ont donné l'assurance que tous les créanciers de la Société Générale seront payés intégralement. Que signifie dès lors l'objection à laquelle je réponds ? Il n'y a pas de préférence possible si tous doivent être payés, un peu plus tôt, un peu plus tard.

Mais puisqu'on parle de préférence, voyons où l'on arriverait si le projet de loi venait à être rejeté. La Société Générale, sans la nouvelle émission des 20 millions, devrait-elle nécessairement cesser ses payements ? Il serait difficile à mes honorables contradicteurs d'établir cette thèse : je comprends bien que la Société Générale cesserait ses escomptes, qu'elle ne ferait plus d'avances aux sociétés industrielles qu'elle patronne, qu'elle ne ferait même plus d'avances au gouvernement qui est aujourd'hui son débiteur de plusieurs millions ; mais j'ai la conviction qu'elle exécuterait longtemps encore ses engagements de la caisse d'épargne et autres. Dès lors qui oserait contester que restant à la tête de ses affaires les payements qu'elle fait ne soient et puissent jamais faire l'objet de rapports ?

La préférence qu'obtiendraient ici certains déposants serait la conséquence de leur vigilance à l'égard d'un débiteur resté à la tête de ses affaires, et cette vigilance ne pourrait être l'objet d'aucune objection.

Tout ce qu'on a dit à l'égard de préférences à accorder par un établissement en faillite à des créanciers au détriment d'autres créanciers tombe donc à défaut de base.

En résumé voici à quoi se réduit la question : on veut accorder un sursis à un établissement qui n'est pas en état de faillite et qui ne demande pas de sursis, à un établissement qui jusqu'à présent peut continuer à marcher, tout en admettant qu'il puisse plus tard être arrêté dans ses opérations, si les circonstances défavorables se prolongent ; eh bien, tout ce que cet établissement aura fait dans l'intervalle sera valable. Vous n'atteignez donc pas le but que vous vous proposez, en rejetant le projet de loi, et en même temps vous détruisez l'institution des caisses d'épargne.

- La clôture est demandée.

M. de Garcia (contre la clôture). - Messieurs, je conçois qu'on doit avoir hâte d'arriver à la fin de cette discussion ; mais je vous prie de remarquer que le principe essentiel de la loi est dans l'article premier. Il est peu probable que si cet article est admis, les autres donnent lieu à une discussion bien longue. Je désire donc qu'elle soit continuée, et je m'oppose formellement à la clôture.

- La clôture est mise aux voix ; il y a doute ; la discussion continue.

M. de Haerne. - Messieurs, la chambre a hâte de terminer cette discussion ; je restreindrai dès lors mes observations autant que possible. J'aurais volontiers renoncé à la parole, si je n'avais pas entendu d'honorables membres hier, et l'honorable M. Verhaegen aujourd'hui faire valoir certaines considérations auxquelles je désire répondre, notamment en ce qui concerne les Flandres.

Le crédit, dont on a beaucoup parlé, est sans doute une des questions les plus importantes pour un pays, et surtout pour un pays éminemment industriel et commercial. Les établissements de crédit, qui sont destinés à favoriser la circulation des capitaux improductifs, sont en quelque sorte l'âme du commerce. Mais il faut pour, cela qu'ils répondent à leur but. Or, d’après tout ce qui a été dit dans les séances précédentes, d’après ce que les organes de l’opinion ont rapporté à plusieurs reprises, d’après ce que j’ose appeler l’opinion presque générale du pays, l’établissement dont il s’agit en ce moment n’a pas répondu à son but. La Société Générale, on vous l'a déjà dit, a trop borné son escompte, et, d'un autre côté, elle n'a pas rempli un autre but également important pour un établissement de cette nature, ce sont les prêts sur nantissement de fonds publics. Messieurs, quoi qu’on fasse, on ne pourra pas rendre la vie à ce vaste corps dont l’existence est compromise. Si je parle d’escompte et que je voie les bilans qui ont été précédemment présentés, j’y remarque qu’au 31 décembre 1846, sur un capital de 250 millions environ, l’escompte s’est borné à 15 millions, y compris les réescomptes faits par la Banque des Flandres, à la Société Nationale et à la Société Commerciale de Bruges.

Or, je dis que dans un pays comme le nôtre, un établissement de ce genre doit se rendre plus utile au commerce et à l'industrie. Messieurs, il n'y a qu'un vœu dans notre pays, pour la création d'une banque nationale. On dit, il est vrai, qu'on ne peut pas improviser un pareil établissement, j'en conviens. Mais il y avait quelque de chose à faire ; lorsque je jette les yeux sur le projet primitif du gouvernement, je crois y découvrir le germe d'un tel établissement, et je pense que si la section centrale avait donné les mains aux articles 9 et 10 du gouvernement, on pouvait arriver à la création d'une telle institution, non en l'établissant de prime abord sur un très grand pied, mais sur un pied respectable en attendant que les circonstances eussent pu la développer.

Je ferai encore une remarque qui me semble tout actuelle, c'est que par suite d'un projet de loi qui vient d'être présenté à la chambre et qui probablement recevra la sanction du corps législatif, la Société Générale sera obligée d'élargir considérablement son escompte, je veux parler du projet de loi relatif au timbre des effets de commerce. La Société Générale, d'après ses statuts, n’est pas autorisée à escompter les effets non timbrés, et vous savez que dans le pays la plupart des effets de commerce sont créés sur papier libre. D'après le projet de loi, le timbre sera obligatoire, et la Société Générale ne pourra plus refuser l'escompte de ces effets. Voilà de nouvelles objections, de nouvelles difficultés qui renforcent celles déjà exposées et qui prouvent que la demande de la Société Générale ne se bornera pas à 20 millions, mais qu'elle ira au-delà. On peut s'attendre à de graves embarras pour le commerce, vu surtout l'organisation vicieuse des comptoirs d'escompte qui fonctionnent assez mal, surtout en province.

Pour sauver les Flandres dont a parlé hier, et dont je demande la permission de dire aussi quelques mots, plusieurs projets ont été présentés. Je rends justice au zèle, à la bonne volonté du gouvernement ; mais jusqu'ici tous ces projets n'ont pas pu recevoir une exécution entière, n'ont pas encore pu produire les résultats qu'on en espérait, et pour les juger à fond, j'attendrai jusqu'à ce que ces résultats aient pu être produits, ou que les Flandres aient pu en obtenir au moins quelque soulagement.

Mais pour le moment actuel où à la crise linière est venue succéder une crise industrielle générale qui sévit dans les villes comme à la campagne, notamment en ce qui concerne la fabrication des dentelles, il faut autre chose que des projets, et de toutes les mesures propres à activer les affaires un grand établissement animant le commerce et l'industrie, attirant à lui les capitaux improductifs pour les verser dans la circulation générale, est le moyen le plus efficace pour faire sortir le pays de la crise. J'appelle l'attention de la chambre sur ce point important, non seulement au point de vue de l'intérêt national, mais de l'intérêt des Flandres qu'on a promis de sauver au prix des plus grands sacrifices.

On parte d'économies ; personne n'est plus disposé que moi à adopter toutes les mesures d'économie qu'on présentera ; mais on ne peut pas les faire toutes à la fois, il faut les attendre du temps et des circonstances. Cependant il faut autre chose aujourd'hui, il faut du positif, du réel ; il faut des moyens prompts et efficaces à l'instant même.

On dit toujours, et l'honorable M. Verhaegen vient de répéter tout à l'heure cette objection, qu'on n'improvise pas une institution telle qu'une banque ; non, messieurs, mais l'article 9 du projet de loi, combiné avec l'article 10, établissait le principe ; si j'ai bien compris le sens de ces deux articles, il me semble que l'idée qui a présidé à leur rédaction consiste à ériger une banque nationale ; il y est dit que le gouvernement prend pour lui une partie de la caisse d'épargne, qu'il arrêterait mes statuts d'après lesquels cette caisse devra être gérée.

Si le gouvernement ne veut pas laisser improductifs les fonds qu'il demande à prendre à sa charge, il ne pouvait mieux les employer qu'à l’escompte ; et alors les comptoirs d'escompte fonctionneraient, bien. Voilà donc la banque établie dans l'opinion du gouvernement lui-même. Qu'on ne vienne pas objecter, comme l'a fait hier l’honorable rapporteur et aujourd'hui l'honorable M. Verhaegen, que nous rejetons tout sans rien établir. Je renverse la question et je dis : C'est le gouvernement qui a proposé de faire quelque chose, c'est la section centrale qui rejette la proposition du gouvernement ; la section centrale, en adoptant cette proposition, en l'élargissant, en y donnant plus d'extension, serait parvenue à faire quelque chose d'utile et de véritablement efficace.

Mais, après tout, devons-nous prendre l'initiative d'un autre projet ? Nous en avons le droit, mais non le devoir. Quand on repousse le projet de loi pour telle ou telle raison, il n'est pas nécessaire de mettre à la place un système nouveau ; on est libre de discuter et de rejeter le projet présenté, sauf à laisser au gouvernement sa part de responsabilité pour les conséquences, et le soin de présenter un autre s'il le juge convenable.

C'est ainsi que je considère la portée de mes votes et de mon mandat. Du reste, quoi que l'on fasse, on ne sauvera pas la Société Générale du discrédit où elle est tombée, non quant à sa solvabilité que je ne révoque pas en doute, mais quant aux services qu'elle était appelée à rendre comme banque par l'escompte et par les prêts sur effets publics. Quoi qu'il en soit, messieurs, de la possibilité de créer une institution qui réponde au but que je viens de signaler, peut-on accepter le projet tel qu'il est ? Je ne le pense pas. Les principaux motifs pour lesquels je crois devoir m'opposer au projet en discussion se rattachent à l’émission du papier-monnaie.

(page 1629) Cette émission pourrait produire de graves inconvénients, de grands froissements, surtout pour la difficulté de faire les petits payements, de payer les ouvriers. Ce danger vous a été signalé dans une pétition du commerce de Courtray, dont j'ai demandé le dépôt sur le bureau pendant cette discussion.

Je dois le dire, déjà de pareils froissements se font sentir. C'est surtout dans le cas d'une dépréciation que ces froissements seraient dangereux ; c'est pourquoi il faut faire tout ce qui est possible pour éviter cette dépréciation.

Je sais que, pour une émission de papier-monnaie, on exige différentes conditions, différentes garanties dont il faut qu'on entoure cette mesure. Ainsi il faut d'abord que le papier-monnaie soit garanti par des fonds qu'on puisse facilement réaliser. En second lieu, il faut qu'il y ait une limite, posée par les besoins de la circulation. En troisième lieu, il faut aussi qu'on n'émette pas une trop grande quantité en une seule et même fois.

Voilà les précautions principales qu'on a fait valoir, si je ne me trompe, dans la première discussion, dans la discussion du projet de loi du 20 mars. D'après un auteur allemand que je tiens en main, dont je traduirai la pensée, il y a une autre précaution à prendre pour empêcher la dépréciation du papier-monnaie, si fatale au commerce et à l'industrie. Le moyen dont je veux parler se rapporte aux habitudes d'un pays. Ces habitudes quant à la circulation du papier-monnaie jouent un très grand rôle dans la question.

Vous savez qu'il n'y a pas de pas qui soit dans une situation aussi fâcheuse que la Belgique à cet égard. Il n'y a pas de pays qui soit aussi mal disposé que la Belgique à recevoir du papier-monnaie, parce que jamais le papier-monnaie, jamais même le papier remboursable n'a été en circulation en Belgique si ce n'est dans quelques grandes villes. Si le papier était reçu en Belgique, comme en Prusse par exemple, ou si l'on pouvait espérer qu'on s'y habituera bientôt, je ne ferais pas cette observation ; mais je ne suis pas rassuré à cet égard. Il y a donc là un élément de dépréciation non seulement dans les préjugés qui proviennent de l'émission des assignats d'une autre époque, préjugés qui sont encore vivaces dans la classe ouvrière, surtout dans les campagnes,, mais encore dans la crainte d'une trop grande émission ; car vous savez que les opinions sont divisées sur la quantité de papier-monnaie qu'il faut pour répondre aux besoins de la circulation.

le cite encore à cet égard l’auteur dont je viens de parler ; le comte Cancrin, ancien ministre des finances de Russie, qui a émis l’opinion que la crainte seule qu'on peut concevoir d'une trop grande émission suffit pour opérer une dépréciation du papier-monnaie. J'ajouterai la crainte de l'émission de faux billets, qui n'est pas très fondée, je l'avoue, en temps de paix, mais qui devient très sérieuse en temps de guerre. C'est ainsi qu'on a accusé le gouvernement français d'avoir émis de faux assignats russes en 1812.

Ajoutons à cela l'ignorance où se trouvent beaucoup de personnes quant à la solidité du papier-monnaie et maintes autres considérations qui proviennent du défaut d'habitude en cette matière.

Les conclusions que je tire des observations que je viens d'avoir l'honneur de vous présenter sont qu'il faut apporter les plus grandes précautions, les plus grands ménagements dans l'émission du papier-monnaie pour ne pas en émettre en trop grande quantité à la fois, ce qui arriverait selon moi, d'après le projet de loi, s'il était adopté.

C'est par ces observations que je crois répondre à l'honorable M. Verhaegen, qui a perdu complétement de vue la considération d'une trop grande émission de papier-monnaie. Il n'en a pas dit un mot. C'est cependant le meilleur argument sur lequel se sont étayés les honorables orateurs que vous avez entendus hier et qui se sont prononcés dans le même sens, que moi.

L'honorable M. Verhaegen, répondant à l'honorable M. Delfosse, dit que le gouvernement ne pourra pas, ne voudra pas accorder de sursis à la Société Générale. Mais, si j'ai bien compris la question telle qu'elle a été posée par l'honorable M. Lebeau et par d'autres orateurs, on ne demande pas que le gouvernement accorde de lui-même un sursis ; mais on dit que par suite du rejet du projet de loi, la Société Générale demanderait elle-même un sursis et que le gouvernement serait obligé de l'accorder. C'est ainsi que la question doit être comprise ; c'est la marche toute naturelle qui se présente en matière de sursis ; la Société Générale serait placée dans la position où serait un négociant ordinaire qui devrait recourir à un sursis. Ce serait au gouvernement à voir s'il y aurait des motifs suffisants pour l'accorder. J'ai la conviction que ces motifs existent.

Il faudrait dire, ajoute l'honorable M. Verhaegen, que la banque de Belgique se trouve dans la même position que la Société Générale, parce qu'en vertu de la loi du 20 mars, la banque de Belgique est comprise pour 10 millions dans l'émission de billets de banque garantis par l'Etat.

On n'a pas dit dans la séance d'hier que la Société Générale se trouve en état de sursis de droit. On a dit qu'elle s'y trouve de fait. L'honorable M. Verhaegen dit : La banque de Belgique se trouve donc de fait dans le même cas. La conséquence n'est pas rigoureuse, parce que, quand il s'agit de fait, c'est une question d'appréciation. Libre à chacun de nous de conclure, d'après les circonstances où se trouve chacun de ces établissements, que la Société Générale ou la banque de Belgique ou toutes deux, à la fois se trouvent en état sursis, ou plutôt dans le cas de devoir recourir à ce moyen.

C'est ainsi, du moins, que je comprends, moi, la question.

Dans tous les cas, si le sursis pouvait être évité, ce serait tant mieux. Mais quoi qu'il arrive, nous ne devons pas moins, dans l'intérêt général du pays, nous opposer à une émission excessive et trop rapide de papier-monnaie.

C'est le point capital auquel je m'attache. C'est par ce motif que je ne puis accepter le projet présenté.

On vous a dit aussi que la Société Générale pourrait jeter sur le marché des fonds belges et provoquer une dépréciation plus considérable que celle qui existe déjà, ce qui serait un grand malheur pour le pays. Je conviens du mal qui en résulterait ; mais je pense que cela n'est pas à craindre, parce que la Société Générale ne s'exposera pas aux pertes considérables qu'elle aurait à subir de ce chef ; elle se ferait encore plus de tort qu'elle n'en ferait au pays.

D'un autre côté, je conclus de là que la mesure proposée a pour but caché mais réel de soutenir la Société Générale dans ses entreprises industrielles, plutôt que de venir au secours de la caisse d'épargne ; et dans le moment actuel l'intention de la chambre ne peut être d'accorder un tel privilège à la Société Générale, à l'exclusion de tant d'autre sociétés qui pourraient revendiquer le même droit. On pourrait dire : Si la Société Générale, dans le cas du rejet du projet de loi, a l'intention de se sauver en négociant les fonds publics qu'elle possède, pourquoi ne fait-elle pas ce sacrifice en faveur de la caisse d'épargne ? C'est qu'elle préfère son intérêt à celui des déposants ; mais devons-nous la suivre sur ce terrain ? Je reconnais tout ce que cet intérêt a de respectable, je reconnais les services que la Société Générale a rendus à diverses industries, à la classe ouvrière ; mais l'intérêt général qui se rattache au but de cette institution doit l'emporter.

Notre but, comme le prouvent l'exposé des motifs et toute l'économie de la loi, est de venir au secours des caisses d'épargne, et surtout de sauver par un acte d'humanité les dépôts sacrés de l'artisan, les fruits de son travail, de ses économies, de ses sueurs.

Le système des catégories, messieurs, quoi qu'on en dise, est celui qui me semble le plus rationnel.

On vous a dit que ce système était inadmissible, qu'on ne pouvait pas scinder les dépôts de la caisse d'épargne, que si l'on veut répandre des dépôts des artisans, on doit répondre de tous les dépôts.

Je m'adresse, messieurs, à l'honorable ministre des finances ainsi qu'aux honorables MM. Verhaegen et d'Elhoungne, qui ont dit qu'on ne pouvait pas distinguer entre les dépôts, qu'il fallait reprendre tout ou rien. La raison qu'on allègue, si j'ai bien annoté les objections qui ont été faites, c'est que si vous ne sauvez pas toute la caisse d'épargne, on dira que l'Etat ne paye pas, que la caisse d'épargne est abandonnée : c'est au moins l'observation qui a été faite par l'honorable M. d'Elhoungne ; et il en résulte, a dit cet honorable membre, qu'on n'aura plus de confiance dans l'institution des caisses d'épargne. Ce sera un grand malheur pour le pays.

Voilà le raisonnement dans toute sa force. Mais je ne l'accepte nullement, et voici comment j'y réponds : je dis que ceux qui feront leurs demandes en remboursement, sauront bien si on les rembourse, oui ou non. Les artisans, les travailleurs de la classe inférieure qui viendront demander leurs remboursements, sauront par le fait si on les rembourse, et nous voulons les rembourser. On ne dira dons pas qu'on ne peut les rembourser.

Dans tous les cas ce préjugé ne peut exister que dans la classe ignorante. Or, c'est précisément pour les classes les moins éclairées que nous proposons le remboursement. En un mot on saura que la caisse d'épargne reste une véritable caisse d'épargne, mais non une caisse de comptes courants.

Vous voyez donc que cette objection est nulle ; qu'elle n'a aucune portée.

Messieurs, j'aurais encore bien des choses à dire sur l'érection d'une nouvelle caisse d'épargne ; mais je ne veux pas abuser des moments de la chambre. Du reste, d'après les observations qui ont été faites tout à l'heure, je crois qu'un tel projet sera formulé lors de la discussion des articles, et je me propose de l'appuyer, si les circonstances l'exigent.

M. de Mérode. - On trouvera .peut-être, et cela a été énoncé, soit dans quelques feuilles politiques, soit dans cette enceinte, que nous ne votons pas avec assez de décision prompte l'émission de vingt millions de billets de banque avec cours forcé pour assurer à la Société Générale la possibilité de satisfaire aux remboursements qui lui sont trop précipitamment demandés sur sa caisse d'épargne.

Avant-hier encore, messieurs, malgré le travail habilement conçu de M. le rapporteur de la commission auquel nous devons de vifs remerciements pour la part très active et certainement très laborieuse qu'il a prise à la solution d'une question si grave et si difficile, je ne me sentais pas suffisamment éclairé pour voter en connaissance de cause même incomplète ; le débat, qui ne s'est sérieusement entamé que dans la dernière séance, par les soins et la persistance de M. Delfosse, a beaucoup contribué à me tirer de l'incertitude absolue où j'étais plongé. Le délai qu'a sollicité l'honorable membre nous a valu d'entendre ses observations très sérieuses, et le développement remarquable que leur a donné M. Lebeau.

Dans les circonstances où nous sommes placés, messieurs, non par notre faute, mais à cause de la révolution profonde qui remue à côté de nous la nation la plus forte du monde, par ses 36 millions d'hommes et leur existence compacte et centralisée, qui ne fait pas leur bonheur et leur liberté, puisqu'ils sont contraints, quelle que soit leur tendance (page 1630) propre, de suivre tous les mouvements d'une grande capitale ; dans ces circonstances, dis-je, ii est impossible que nous donnions chez nous satisfaction pleine et entière à un intérêt quelconque, nous sommes obligés de frapper les contribuables par des impôts prélevés pour l'année entière, en y ajoutant des emprunts forcés ; nous sommes obligés de froisser ceux qui ont des créances payables en écus en leur ordonnant de recevoir au lieu d'or et d'argent des billets ; nous sommes obligés d'enlever aux familles des jeunes gens qui leur sont nécessaires, pour augmenter l'effectif de l'armée, nous ne pouvons empêcher les porteurs de rentes sur l'Etat de subir une énorme dépréciation de leur capital, lorsqu'ils veulent le réaliser ; et puis tout à coup nous nous éprenons d'un zèle tout à fait exclusif et spécial en faveur des déposants à une caisse de la Société Générale, parce qu'elle est appelée caisse d'épargne, lorsqu'il plaît aux déposants de venir réclamer tous ensemble la plus grande partie de leur mise, et nous voulons, coûte que coûte, satisfaire à ce besoin ou à cette inquiétude exagérée de tous les déposants sans distinction quelconque entre eux, comme si parmi les contribuables, qui n'ont rien aux caisses d'épargne, il ne se trouvait pas des Belges beaucoup plus pauvres et menacés de recourir à l'usure ou à la vente d’une partie e ce qu'ils possèdent pour acquitter les charges que leur impose la situation. Prenons garde, messieurs, de nous laisser influencer par des mots entraînants comme l'expression « caisses d'épargne » ; car, je le répète, les malheureux parmi nous ne sont point ceux qui ont pu faire des épargnes, mais plus souvent ceux qui n'en possèdent aucune, et auxquels le percepteur des taxes vient demander impérieusement, au nom de la puissance publique, leur strict nécessaire.

En effet, messieurs, parmi les taillables que l'on croit aisés, parce qu'ils possèdent quelque bien au soleil, combien en est-il qui sont fatigués de dettes plus ou moins lourdes et parfois accablantes de diverse nature ! D'ailleurs, l'épargne a-t-elle exclusivement eu recours à la Société Générale ? Non, certainement. La banque de Belgique a aussi une caisse d'épargne, et parce qu'elle a pris des dispositions plus prudentes que la Société Générale, les déposants de petites sommes qui ont usé de son intermédiaire sont-ils moins dignes d'intérêt que les déposants plus fortunés qui ont pris pour agent l'autre banque ? |

Mais, en outre, messieurs, certains individus que l'on doit ranger dans les classes qui ne possèdent que leur travail personnel pour se créer un avenir, des domestiques, par exemple, et, j'en connais, ont acquis sur leurs épargnes un titre de rente belge. Ils ont eu confiance dans l'Etat, et s'ils veulent un remboursement qui ne peut s'effectuer que par la vente du titre, ils perdent 35 ou 40 p. c. sans que l'Etat, leur préteur direct, vienne le moins du monde les indemniser de cette perte. ; Ainsi donc vouloir affranchir une catégorie particulière de personnes qui ont fait des épargnes, de toute perle ou de tout délai dans les remboursements qu'elles peuvent désirer, c'est se complaire à créer un privilège à charge de l'Etat dans le moment même où chacun est appelé à subvenir aux besoins les plus pressants de l'Etat. Et qu'on ne dise pas que désormais l'épargne cessera de se produire parce que la Société Générale ne rembourserait pas intégralement et immédiatement tous les déposants qui lui ont confié leurs économies. Autant dire que les cultivateurs ne cultiveront plus leurs champs lorsque la grêle les aura ravagés, ou que dans une bataille les troupes auront foulé les récoltes aux pieds des hommes et des chevaux. La puissance de payer toujours ce qu'on a promis n'appartient, comme le disait hier M. Lebeau, a aucun établissement financier, car l'on a vu faillir à Paris et dans toute la France les plus solides maisons. Et pourquoi nos fonds publics baissent-ils de 40 p. c. malgré l'ordre parfait qui règne en Belgique ? Est-ce parce qu'on craint les mauvaises intentions du gouvernement, du peuple et des chambres belges ? Nullement ! c'est parce que la Belgique est placée comme un polder à côté d'une mer orageuse qui peut rompre ses digues et inonder la terre voisine. Et pourquoi les fonds anglais se maintiennent-ils au contraire à leur taux presque normal ? Parce que la mer sépare l'Angleterre du continent et que la puissance anglaise est de taille à résister aux événements. N'exagérons donc pas, si nous voulons rester dans le vrai, les moyens de crédit dont nous disposons comme nation. Ne créons jamais du papier d Etat avec cours obligatoire, parce que ce serait commettre un vol que de permettre des remboursements avec des valeurs dont aucun de nous ne peut garantir la durée.

L'Etat a le droit d'imposer les citoyens pour qu'ils viennent tous proportionnellement en aide à ses besoins ; mais si j'ai prêté une somme à un tiers, l'Etat n'a pas le droit de m'ordonner de recevoir en payement de ma créance la moitié ou les deux tiers de ce que j'ai remis à mon débiteur et de me ruiner au bénéfice d'un autre qu'il veut favoriser. C'est ce que vous expliquait très bien hier M. Pirmez : il vaut donc mieux, si le débiteur est momentanément insolvable par la force des circonstances, que l'Etat suspende l'obligation de ce débiteur et lui accorde un délai, que de s'exposer à créer des valeurs fictives en permettant de les employer en payement forcé de dettes légitimes ; car c'est là une véritable confiscation de tout ou partie de la créance, et si M. Pirmez a voté pour le cours forcé d'une certaine quantité de billets de la Société Générale, c'est qu'en demeurant dans cette limite on ne compromettait heu. Or, c'est précisément parce qu'on s'est déjà permis un acte très dangereux dans son principe, qu'il faut en être d'autant plus sobre à l'avenir et ne pas l'employer pour le remboursement d'une caisse d'épargne, mais le réserver pour le salut de l'Etat si la plus entière nécessitée l'exigeait.

Permettez-moi, messieurs, d'ajouter un mot sur l'avantage que nous offrent, en ce moment critique, les domaines de l'Etat que je me félicite plus que jamais d'avoir vivement défendus contre l'aliénation qu'on voulait leur faire subir ; car vous vous rappelez que je fis tous mes efforts pour éviter la vente de la forêt de Soignes à l'époque où elle fut remise au gouvernement par la Société Générale. En effet, le produit de ce beau et utile domaine public, qui a depuis lors gagné beaucoup de valeur, serait depuis longtemps dévoré pour la création de quelque chemin de fer de luxe ou quelque faible réduction d'impôt, insignifiante dans une époque de prospérité.

Aujourd'hui les biens de l'Etat peuvent évidemment servir de garantie spéciale à une émission de papier dans un système approchant de celui des los-renten ; car, messieurs, s'il est permis à l'Etat de les aliéner, il lui est non moins permis de les affecter comme garantie spéciale au payement de lettres de change particulières qu'il jugerait à propos de souscrire dans un pressant besoin, et c'est pour un pareil usage qu'il est essentiel de garder ces domaines forestiers, genre de propriétés d'ailleurs nécessaires au pays, et que les particuliers détruisent depuis que des partages successifs continuels en rendent la conservation plus difficile aux familles.

J'ai dit aussi, messieurs, précédemment, qu'une retenue de 20 p. c. devait être faite temporairement sur les coupons de rente belge, parce que, dans le cas de force majeure, tout ce qui est fondé sur l'existence de l'Etat doit contribuer à son salut quand il est en danger, et je n'hésite pas à dire que tout possesseur de rente belge doit préférer cette mesure à l'émission croissante de billets à cours forcé.

Résistons, messieurs, résistons à l'entraînement qui nous faisait émettre, avant la révolution de février, tous ces bons du trésor, aujourd'hui si lourds, et que nous remplacerions maintenant par des émissions de' billets de banque forcément assimilés à la monnaie d'or et d'argent, comme si nous possédions la pierre philosophale.

Un moment, messieurs, je m'étais flatté que la nouvelle république de France allait pousser l'Europe à la réduction des armées et des flottes qui lui coûtent si cher. La France, dans les circonstances où nous sommes, n'a rien à craindre d'aucun de ses voisins, et néanmoins on y achète des chevaux pour la guerre, on rappelle de nouveaux conscrits sous les armes, sans provocation de qui que ce soit, et M. Arago, ministre de !a guerre, vient de déclarer à l'assemblée nationale que l'armée française comptait cinq cent mille hommes et quatre-vingt-cinq mille chevaux. En bien, cette nouvelle extension de forces militaires est-elle rassurante ? est-elle de nature à nous faire espérer l'allégement prochain de nos charges publiques ? Certes personne n'oserait répondre affirmativement. Dès lors il est indispensable de ménager les ressources de l'Etat, de ne pas les faire légèrement et constamment intervenir dans les affaires privées. Un appui très grand a été donné tout récemment à la Société Générale par l'acceptation forcée de ses billets de banque, qu'on lui a en outre permis d'augmenter de 16 millions.

Messieurs, presque toutes les épargnes aujourd'hui sont placées en rentes sur l'Etat, ces rentes perdent plus du tiers de leur valeur capitale. C'est donc la nécessité du temps qui impose cette perte, et la caisse d'épargne de la Société Générale ne doit pas en être affranchie par un privilège exorbitant, puisqu'il serait appliqué à tous les déposants aisés ou pauvres sans restriction.

M. Moreau. - Nous devons tous vivement déplorer que, dans les circonstances critiques où se trouve la Belgique, le gouvernement voie surgir des embarras, naître des dangers, là où il aurait dû, au contraire, rencontrer un puissant appui.

Nous devons tous déplorer qu'un établissement créé pour fortifier le crédit public vienne le compromettre, alors que c'est un besoin pressant pour le pays de le voir renaître.

Je ne veux, messieurs, accuser spécialement personne, mais en présence de cet événement fâcheux, il m'est bien permis de demander comment il se fait que malgré les avertissements nombreux donnés par la presse, malgré les publications qui ont fait connaître à différentes reprises la mauvaise direction donnée à la Société Générale, malgré même les observations réitérées présentées par les membres de cette chambre, il m'est bien permis. dis-je, de demander comment il se fait que tous les ministres qui depuis dix ans et plus ont précédé ceux qui sont actuellement au pouvoir n'aient pas ouvert les yeux ; comment il se fait que bénévolement ils aient laissé marcher cette société, elle qui était caissière de l'Etat, dans la voie fausse qu'elle suit depuis si longtemps ; comment, enfin, ils aient attendu que le péril fût imminent avant d'apercevoir le précipice vers lequel elle était entraînée.

Je puis prouver, les pièces à la main, que de sages conseils n'ont pas fut défaut au gouvernement ; que dès 1842 et antérieurement on a prédit la catastrophe qui menace aujourd'hui la Société Générale, on a prédit qu'en cas de crise financière ou de commotion politique elle pourrait périr dans l'abîme qu'elle se creusait par les faux principes qu'elle prenait pour base du système vicieux qu'elle avait adopté.

Cette société qui, au lieu de se borner aux opérations de banque prescrites par ses statuts, les enfreignait ouvertement en se faisant industrielle, en immobilisant non seulement ce qui lui appartenait, mais encore l'argent qui lui était confié par les déposants à la caisse d'épargne, a toujours, on ne sait trop pourquoi, été considérée comme inviolable, comme entièrement en dehors de l'action du gouvernement, dont elle maniait cependant les deniers ; c'était l'arche sainte à laquelle il était défendu de toucher sous peine d'être foudroyé.

Je ne veux pas, messieurs, entrer, pour le moment, dans des détails et procéder à l'examen du bilan dont certes il est bien difficile de reconnaître (page 1631) l'exactitude et d'apprécier le contenu au moyen des documents qui nous ont été fournis.

Quoiqu'il y ait beaucoup de choses à dire sur ce point, je me contenterai de vous présenter quelques observations, quelques considérations qui motiveront mon vote.

La question, messieurs, qui est soumise en ce moment à notre examen, est, si je ne rac trompe, celle-ci, en la réduisant à sa plus simple expression.

La Société Générale doit aux déposants de la caisse d'épargne des sommes présentement exigibles, s'élevant à environ 42 millions : or, dit-on, elle ne peut rembourser le tout ou partie de cette somme sans se priver de fonds disponibles qui lui sont nécessaires pour alimenter les établissements industriels qui sont placés sous son patronage ; il faut donc venir à son secours sous peine de voir chômer ses charbonnages, ses usines nombreuses, sous peine de mettre sur le pavé grand nombre d'ouvriers sans travail, et à cet effet, on doit lui permettre de créer, sous la garantie de l'Etat, 20 millions nouveaux de papier-monnaie.

L'on affirme donc que ce qui met dans la gêne la Société Générale, c'est uniquement la nécessité de rembourser dès maintenant l'argent déposé à la caisse d'épargne.

Si donc, par une mesure quelconque, on parvient à décharger la Société Générale de cette obligation de rembourser, celle-ci pourra se soutenir et marcher sans que les établissements industriels qu'elle protège restent en souffrance, puisqu'on pourra, comme auparavant, fournir leurs caisses et parera leurs besoins.

Mais, messieurs, la proposition qui vous est faite par le gouvernement pour atteindre ce but sera-t-elle efficace ? Il est certes bien permis d'en douter. Je ne pense pas que la Société Générale (comme du reste on l'a hier démontré) puisse, au moyen de 20 millions, en rembourser 40 et plus surtout si elle continue à donner des fonds pour maintenir le travail dans ses usines. Il ne faut pas, messieurs, se faire illusion, les 20 millions seront insuffisants pour faire face aux demandes de remboursement, et il est bien à craindre qu'en les accordant, nous ne posions un précédent fâcheux qui nous entraînera par la suite à faire encore une nouvelle émission du papier-monnaie pour une somme peut-être très considérable.

Si, messieurs, on reconnaît qu'il y a quelque chose à faire pour garantir les intérêts de ceux qui ont placé leur argent à la caisse d'épargne, caisse que plusieurs personnes ont considérée à tort, mais de bonne foi, comme fonctionnant sous la garantie du gouvernement ;

Si l'on reconnaît qu'il est de toute justice de sauvegarder autant que possible cet argent placé dans ces caisses à titre de dépôt et qu'on a eu le grand tort d'immobiliser ;

Si l’on reconnaît surtout qu'il serait peu équitable, peu humain de ne pas rembourser les fonds qui forment le petit pécule de l'artisan et de l'ouvrier laborieux et économe ;

Eh bien, messieurs, plusieurs moyens se présentent pour obtenir ce résultat satisfaisant, et il suffirait, selon moi, que l'Etat garantît les dépôts faits à la caisse d'épargne, d'une manière générale, qu'il remboursât les 3,655,556 fr., montant des 14,340 livrets de 1 à 800 francs, et même, si l'on veut, d'autres livrets qui seraient en mains de personnes que l'on présumerait par leur position avoir besoin de leur argent.

Je consentirais même à ce que l'Etat donnât aux autres déposants qui en feraient la demande, une inscription au grand-livre de la dette publique, au pair et au taux de 4 p. c. Chacun d'eux, d'ailleurs, aurait la faculté de laisser à ses risques et périls son argent à la caisse d'épargne actuelle, ou de transférer sa créance à la caisse que le gouvernement veut créer en reculant l'époque de l'exigibilité de sa dette.

Cette mesure, messieurs, serait selon moi plus efficace que celle proposée par le gouvernement, sans être bien onéreuse pour l'Etat.

D'abord elle aurait pour elle cet immense avantage de séparer les affaires de la Société Générale des caisses d'épargne de montrer au pays que l'Etat n'intervient pas pour venir au secours delà banque, que s'il s'impose peut-être des sacrifices, c'est uniquement en faveur des créanciers de la caisse d'épargne.

Cette proposition serait efficace, messieurs ; elle garantirait pour ainsi dire tous les intérêts compromis, elle procurerait à grand nombre d'habitants les plus malheureux, les plus dignes de toute notre sollicitude, le remboursement de leurs créances, remboursement qui devrait autant que possible se faire en argent, car si c'est au moyen de papier-monnaie qu'on paye les livrets de 1 à 800 fr., il est bien à craindre que les porteurs en général peu instruits ne se défassent de ce papier en essuyant de fortes pertes et ne deviennent victimes de leur manque de confiance dans cette espèce de monnaie.

Elle serait efficace, car elle donnerait à tous les autres déposants des sûretés qui certes ne sont pas à dédaigner. Veuillez, messieurs, le remarquer ; comme on l'a dit avec raison, en strict droit, le gouvernement n'est nullement tenu de garantir les dépôts faits à la caisse de la Société Générale, c'est donc un acte de faveur qu'il pose, c'est en quelque sorte un privilège qu'il crée au profit de cette espèce de créanciers d'un établissement privé. Ceux qui ont placé cet argent de cette manière, doivent donc accepter avec reconnaissance ce que nous voulons bien faire pour eux, et dans les circonstances critiques où nous nous trouvons, bien des créanciers seraient charmés, seraient heureux de jouir de semblables garanties.

Il y a plus, messieurs : si vous décidez que tous les déposants de la caisse d'épargne seront indistinctement et intégralement remboursés, vous créez deux catégories parmi ceux qui ont confié leur argent aux caisses d'épargne de la capitale.

En effet ceux qui ont porté leur argent à la banque de Belgique devront se contenter de recevoir des fonds publics, tandis que ceux-là qui, comme créanciers de la Société Générale, étaient momentanément placés dans une condition moins favorable, toucheront, si la mesure qui est proposée est adoptée, le remboursement entier du montant de leurs livrets. Je n'ignore pas, messieurs, que l'on objectera que les statuts de la caisse de la Banque de Belgique établissent cette condition, qu’ainsi ces créanciers sont liés par la loi du contrat ; mais en fait, messieurs, n’est-il pas vrai que la plupart des déposants n’ont pas su qu’en cas de crise on ne leur remettrait que des effets publics au lieu de leur argent ; et je demande s'il y a justice de leur opposer cette fin de non-recevoir alors que l'on rembourserait à d'autres déposants, placés comme je l'ai déjà dit dans des conditions moins favorables, la totalité de leurs créances.

Au contraire, si aux uns comme aux autres on donne à peu près les mêmes valeurs lorsqu'ils veulent être remboursés, on évite cet inconvénient bien grave, selon moi, de ranger dans des catégories bien différentes, des créanciers porteurs pour ainsi dire des mêmes titres.

J'ai prouvé, je pense, que l'opération que j'indique sera efficace ; il me sera facile d'établir qu'elle ne peut être bien onéreuse pour le pays.

Les hommes les plus compétents déclarent que les créanciers de la Société Générale seront entièrement payés. S'il en est ainsi, si même le gouvernement ne peut rentrer dans ses avances que dans un temps plus ou moins éloigné, il ne perdra rien, il restera créancier de la Société Générale au même titre que les autres créanciers, et dans le cas où la Société Générale ne pourrait satisfaire à ses engagements, payer la totalité de ses dettes, l'Etat ne devrait encore supporter que la perte que sa créance essuierait. Il est bien entendu du reste, messieurs, que le gouvernement devrait intervenir d'une manière efficace dans la gestion des affaires de la Société Générale pour sauvegarder ses droits, ses intérêts ; ce système ne peut donc être ruineux pour l'Etat, comme l'a dit tantôt l'honorable M. Delfosse, et veuillez remarquer, messieurs, que s'il émet beaucoup d'inscriptions au grand-livre de la dette en échange des livrets, il gagne en faisant un emprunt au pair si la créance de la Société Générale est entièrement soldée ; il se créera même par ce moyen une réserve, des fonds qui devraient être spécialement affectés à la création d'une banque nationale dont on réclame de toute part l’établissement.

Et qu'on ne craigne pas, messieurs, par là, de jeter sur la place trop de fonds publics. Je pense que lorsque les créances de la caisse d'épargne seront abritées sous la garantie de l'Etat, la confiance des déposants renaîtra dans cette belle institution, et on ne demandera guère à les échanger en pure perte contre des effets publics ; que si des échanges de cette nature ont lieu, ils seront faits par des déposants comme placement de fonds pour en retirer des intérêts en attendant que le crédit public se relève, ou par d'autres créanciers peut-être éprouvant le besoin de se procurer de l'argent au moyen de sacrifices pour remplir leurs obligations, ce qui actuellement est encore un bien.

En résumé, messieurs, je crois avoir démontré que le système que j'indique sera utile et avantageux à grand nombre d'habitants, sans nuire aux intérêts de l'Etat, sans le contraindre à émettre encore, au profit d'un établissement privé, une forte quantité de papier-monnaie.

Je ne rappellerai pas ici tout ce qui a été dit sur le papier-monnaie et les considérations que le ministère lui-même a présentées lorsqu'il s'est opposé chaleureusement à ce que, le 20 mars, on en émit pour dix millions de plus.

Lors de la discussion de la loi d'emprunt, j'avais, messieurs, demander la création de papier ayant cours forcé et même produisant intérêt au taux de 3 65/100 p. c. Le ministère n'a pas voulu se rallier à cette proposition, qu'il pouvait cependant adopter sans inconvénient pour venir en aide à de nombreux contribuables, s'il n'avait réservé ce moyen pour les besoins de la Société Générale.

Quoique mon système n'ait pas été admis, je n'ai pas hésité à voter l'emprunt, parce que je reconnaissais que la Belgique devait, avant tout, satisfaire ponctuellement à tous ses engagements et qu'il était indispensable de donner au gouvernement les ressources nécessaires pour procurer du travail aux ouvriers laborieux et venir en aide, au secours de l'industrie et du commerce.

Mais aujourd'hui qu'il ne s'agit plus de remplir des obligations contractées par l'Etat, aujourd'hui qu'on peut très bien, ce me semble, garantir beaucoup d'intérêts compromis sans recourir à l'émission nouvelle du papier-monnaie, je ne puis donc donner mon vote au projet de loi.

M. Cogels. - Messieurs, l'honorable rapporteur de la section centrale a adressé, à la fin de la séance d'hier, un reproche aux honorables MM. Delfosse et Lebeau, sur ce que, adversaires de l'article premier du projet, ils ne formulaient aucune proposition qui pût le remplacer. Ce reproche, l'honorable rapporteur de la section centrale aurait dû me l'adresser personnellement, et à bien plus juste titre, puisque j'avais fait partie de la section centrale, et que déjà dès lors je m'étais déclaré adversaire de cet article.

Cependant, messieurs, je ne l'accepte pas. Nous avons un droit d'initiative, mais celle initiative n'est jamais un devoir. Je crois que nous devons user de ce droit aussi modérément que possible.

J'aurais formulé une proposition, si j'avais pu m'entourer de tous les renseignements nécessaires pour la formuler convenablement ; mais pour cela, il aurait fallu avoir accès à la Société Générale, et pouvoir mieux préciser sa situation ; il aurait fallu dépouiller exactement la situation de la caisse d'épargne, avoir aussi connaissance des ressources et des besoins du gouvernement. Lorsqu'on n'est pas entouré de tous ces (page 1632) renseignements, la proposition qu'on est à même de faire peut être incomplète ; elle peut même être dangereuse, et dès lors le mandat du député consiste seulement à examiner les propositions qui lui sont faites par le gouvernement, à voir si elles renferment des dangers, et dans ce cas, à les écarter, sauf à laisser au gouvernement, auquel appartient l'initiative, le droit de faire une nouvelle proposition qui soit plus acceptable.

Messieurs, si nous admettions une autre doctrine, nous n'aurions plus jamais le droit de voter contre un projet de loi. Car tout membre de la chambre qui combattrait un projet serait obligé d'y en substituer un autre ; et voyez où cela nous mènerait : lorsqu'un projet serait accepté à la majorité d'une seule voix, la moitié des membres de la chambre moins un devraient formuler chacun un projet et vous auriez 53 projets à discuter.

Je n'accepte donc pas le reproche qui nous a été fait. Je viens d'exprimer les motifs qui m'ont empêché de formuler une proposition ; j'ai expliqué suffisamment les motifs de mon opposition à l'article premier. J'ai montré les dangers que j'y voyais. Et cependant, je le dirai, s'il y avait une urgence complète, si nous nous trouvions dans la position où nous étions le 20 mars, je ferais peut-être taire mes convictions, je m'abstiendrais, je me soumettrais à la dure loi de la nécessité. Car ce n’est que sous l'empire d'une dure loi de nécessité que j'ai voté la loi du 20 mars qui m'a toujours inspiré la plus vive répugnance et dont j'entrevoyais bien les conséquences fâcheuses.

On dit, messieurs, que le grand but de la loi actuelle est de sauver l'institution des caisses d'épargne. Moi aussi, je veux sauver l'institution des caisses d'épargne proprement dites, mais non l'institution d'établissements qui se sont couverts du manteau des caisses d'épargne, pour faire des opérations qu'une véritable caisse d'épargne aurait repoussées. Car je pose en fait que toute caisse d'épargne bien organisée aurait, sur les 45 millions de dépôts, refusé au moins la moitié, et peut-être les deux tiers de cette somme.

Je ne veux pas abuser des moments de la chambre. Il est un article à l'occasion duquel nous entrerons peut-être dans plus de développements à ce sujet. Mais je le dis de nouveau, la caisse d'épargne telle qu'elle existait à la Société Générale, n'a jamais été une véritable caisse d'épargne. Grand nombre de déposants qui sont venus y placer leurs fonds auraient, en France et en Angleterre, été repoussés de la caisse d'épargne, et je ne vois pas qu'ils aient droit à notre sollicitude.

Je me bornerai maintenant à dire deux mots encore à l'honorable M. Verhaegen qui, en répondant à M. Lebeau, a voulu associer mon nom à celui de cet honorable membre relativement à ce qu'il avait dit de la question de savoir si l’on pouvait considérer la Société Générale comme étant en état de faillite. Je n'ai absolument rien dit de semblable ; bien au contraire, j'ai été le premier à reconnaître que les créanciers de la Société Générale n'avaient rien à craindre. Je maintiens cette opinion, je persiste à croire que, sauf des événements fort graves, les créanciers de la Société Générale ne perdront pas un centime ; seulement ils auront besoin d'une assez forte dose de patience.

M. Malou. - Sans doute, messieurs, l'initiative qui appartient à tout membre de la chambre est une simple faculté pour lui et ne peut jamais être un devoir pour aucun d'entre nous. Mais à côté des droits individuels, dans cette question si grave, se trouve le devoir de tous, le devoir d'un grand pouvoir public ; ce devoir, dans mon opinion, est d'apporter une décision formelle, une décision complète, positive au débat qui s'est engagé.

On se préoccupe des inconvénients de la mesure, on signale des moyens le plus souvent incomplets pour sortir de la situation où nous sommes ; mais, messieurs, la solution la plus désastreuse de toutes, pour tous les intérêts, serait un simple vote de rejet, parce que les conséquences, à mes yeux et à vos yeux, tout à l'heure, je l'espère, en sont incalculables.

La Belgique a traversé une crise sans exemple dans l'histoire contemporaine, elle a su maintenir d'une manière admirable sa situation politique, elle a su accomplir pacifiquement des réformes qui, ailleurs, ont conté tant de sang et de ruines, et parce que nous rencontrons sur notre chemin un obstacle financier que nous pouvons écarter, une faible difficulté, nous irions nous décourager lorsque nous sommes à la veille d'arriver au but ! Non, messieurs, nous avons vaincu les difficultés politiques, associons nos efforts pour vaincre les difficultés financières ; associons nos efforts, non pour arriver à un vote qui serait un désastre demain, mais pour arriver à un vote qui sauve tous les intérêts.

Je dis, messieurs, qu'un vote purement négatif serait un désastre demain. Je ne parle en ce moment que de la caisse d'épargne. Vous voulez tous sauvegarder l'intérêt des caisses d'épargne non seulement les intérêts des déposants actuels, mais surtout les intérêts d'avenir de cette institution. Eh bien, je le dis avec une conviction profonde, si vous pouviez aujourd'hui émettre un vote négatif, vous auriez décrété par le fait la faillite de la caisse d'épargne.

Plusieurs membres. - Non, non.

M. Malou. - Demain, comme en 1839, si vous voulez sauvegarder l'ordre public dans tous les centres industriels, si vous vous voulez prévenir qu'une institution si salutaire ne soit perdue pendant un demi-siècle peut-être, vous devriez faire afficher partout que l'Etat garantit non-seulement 20 millions, mais 45 millions, non seulement la caisse d'épargne de la Société Générale, mais toutes celles qui existent dans le pays.

L'Etat ne peut pas permettre la ruine de ceux qui ont fait et placé des épargnes sous la foi publique, sous la foi d'une institution garantie en quelque sorte par l’honneur national... (Interruption.)

Permettez, messieurs, je vais m'occuper du système des catégories. Si vous émettiez un simple vote négatif, vous seriez donc, par la force des choses, amenés à afficher demain dans toutes les grandes villes de la Belgique, que l'Etat ne permettra pas que les déposants à la caisse d'épargne perdent le fruit de leurs économies ; si vous réclamiez, si vous me disiez que vous ne voulez pas le faire, je vous rappellerais ce qui s'est passé en 1839. Il ne s'agissait alors que d'une caisse d'épargne spéciale à la capitale, il ne s'agissait que de dépôts s’élevant à 6 millions, et cependant cette mesure, contre laquelle vous vous récriez, a dû être prise dans des circonstances bien moins graves, elle a dû être instantanée ; j'en appelle aux faits. Cette mesure, vous auriez encore à la prendre si vous rejetiez le projet, et si vous ne la preniez pas, vous auriez à redouter des inconvénients bien plus grands que la perte éventuelle, très problématique, de quelques millions.

Vous voulez faire des catégories. Vous dites que le service de la caisse d'épargne de la Société Générale n'a pas été ce qu'une véritable caisse d'épargne doit être. J'en demeure d'accord avec vous, mais le jour où, par une loi, vous aurez établi des catégories entre les déposants, vous aurez ébranlé, anéanti la confiance des populations et l'avenir des caisses d'épargne. On dira, et on aura raison de dire : La législature a fait un jour des catégories, elle a frappé telle classe de citoyens, une autre fois, sous l'empire de circonstances pli» impérieuses, elle me frappera à mon tour ; la confiance sera perdue, et si la confiance dans les caisses d'épargne est ébranlée, vous prendrez toutes les mesures que vous voudrez, mais, de longtemps vous ne les relèverez plus.

Vous feriez arbitrairement des catégories, mais quelles en seront les conséquences ? Vous aurez détruit le plus grand établissement financier du pays, vous l'aurez déclaré, par la force des choses, en état de sursis, ou, pour parler avec plus de vérité, en état de faillite.

Et ce serait en quelque sorte à plaisir, sans nécessité bien démontrée que vous déclareriez aujourd'hui, dans la situation politique où. vous êtes, que le plus grand établissement du pays sera fermé ; c'est lorsque, par une loi, vous avez donné à cet établissement le droit de battre monnaie, lorsque vous l'avez en quelque sorte associé à la souveraineté nationale, que vous déclareriez qu'il doit se fermer !

Je fats abstraction en ce moment des erreurs et des fautes du passé, les intérêts publics ont leurs exigences impérieuses ; des récriminations seraient stériles et vaines. En fait est établissement se trouve aujourd'hui à la tête d'un mouvement d'un demi-milliard, il soutient l'immense mouvement industriel qui s'est développé en Belgique, depuis la révolution, c'est notre caissier, et demain vous allez le laisser tomber en faillite alors que vous pouvez le sauver !

Quelles seront donc les conséquences de cet événement, pour vous-mêmes, puisque c'est votre caissier, pour les établissements industriels,, puisque c'est leur banque, puisque c'est elle qui verse encore quelque sang dans les veines de l'industrie belge, quelles en seront les conséquences pour les porteurs de billets auxquels vous avez vous-mêmes donné cours forcé ? Quant au service du caissier de l'Etat, je ne veux pas m'arrêter à ces conséquences ; elles sont assez évidentes à vos yeux.

Je concevrais l'abandon même de la caisse d'épargne, je concevrais que vous ne fissiez rien pour elle, si demain, dans des circonstances normales, vous pouviez substituer à la Société Générale un autre établissement aussi puissant, aussi énergique ; mais, je vous le demande à tous, pouvez-vous aujourd'hui substituer à l'établissement qui existe une institution qui soit en mesure de la remplacer pour vous-mêmes, pour l'industrie, pour l'épargne ? Vous ne le pouvez pas, et c'est dans de telles circonstances encore une fois que froidement, sans nécessité, vous le laisseriez périr !

Pour les billets, que ferez-vous ? Vous mettrez la société en état de sursis, et vous laisserez en circulation, entre les mains de tous les. citoyens belges, comme monnaie légale, tous les billets qui ont été émis ! Non, vous ne le pourrez pas ! Le jour où vous aurez laissé tomber cet établissement que vous avez en quelque sorte associé à votre fortune par la loi du 20 mars, ce jour-là vous aurez contracté l'obligation de retirer immédiatement tous les billets qui ont été émis ; vous aurez l'obligation d'en émettre d’autres sans pouvoir les rattacher, suivant la pensée qui a dirigé jusqu'à présent toute la politique des chambres et du gouvernement, à un établissement national qui n'ait pas à courir, au milieu des tourmentes politiques, les mêmes éventualités que l’Etat lui-même. Vous aurez à émettre le lendemain beaucoup plus de papier-monnaie découvert, sans garantie ; et dans de telles conditions, malgré toutes les garanties, maigre l'absence totale de risques, on refuse de sauver à la fois et la caisse d'épargne et l'institution à laquelle elle a été attachée !

Je disais tout à l'heure que c'était froidement, sans nécessité démontrée, qu'on laisserait se produire des événements aussi graves, et je ne fais qu'indiquer quelques-unes des conséquences inévitables du rejet du projet de loi.

En effet, messieurs, de quoi s'agit-il ? S'agit-il, comme on le disait hier, d'accorder à la Société Générale un sursis sous une forme déguisée ? Non, messieurs, rien n'est plus contraire à l'idée de sursis que la mesure qui (page 1633) vous est proposée. Le sursis est, pour celui qui l'obtient, le droit de ne pas payer immédiatement les créanciers ; la loi actuelle, si elle est adoptée, c'est au contraire pour la Société Générale le moyen et par conséquent le devoir de payer ses créanciers. Il y a donc l'infini entre le sursis et la mesure qu'on vous propose.

Mais au moins cette mesure peut-elle entraîner pour l'Etat des conséquences onéreuses ? Cette crainte, préoccupe à bon droit un grand nombre de membres de la chambre.

Messieurs, examinez attentivement le bilan qui vous a été remis ; supposez un instant que de l'actif de la Société Générale, on déduise, à raison d'évaluations exagérées, une somme de 107 millions. On peut le faire, sans que les créanciers et par conséquent l'Etat puissent perdre un centime, par suite de la mesure qui est proposée. Cela résulte de ce que les actionnaires qui sont portés au passif pour le capital et pour la réserve, à concurrence de 107 millions, ne peuvent rien recevoir avant que tous les créanciers ne soient payés.

On a beaucoup parlé de tel ou tel chiffre du bilan, on vous parlé de quelque différence qui existerait entre les évaluations du bilan du 31 décembre 1847 et celles que la Société Générale avait données dans une lettre adressée au gouvernement au mois de mars.

Ces différences sont toutes naturelles ; il n'y a pas un particulier, un industriel de bonne foi qui, faisant son bilan dans des circonstances normales, ne soit porté à atténuer l'actif ; il n'y a pas un industriel qui soit prêt à céder son actif au prix pour lequel il est porté dans son bilan. Il ne faut voir aujourd’hui qu'une chose, s'il y a eu dans la formation du bilan bonne foi, sincérité, ou bien au contraire tendance à exagérer les valeurs. On vous cite quelques faits ; il en est beaucoup d'autres en sens contraire ; beaucoup d’actions sont portées pour une valeur presque nulle, 10 fr. par exemple, pour une action de 1,000 fr. et qui depuis plusieurs années, si mes renseignements sont exacts, ont donné régulièrement 4 p. c.

Vous voyez donc, qu'en présentant quelques faits isolément, qu'en raisonnant sur quelques valeurs qui peuvent être atteintes par la crise, qui peuvent même être exagérées dans le bilan, je l'admets un instant, on s'expose à tomber dans des erreurs fondamentales. Il faut donc voir d'abord si le bilan est sincère, et il l'est, lorsqu'on examine les faits dans leur ensemble ; il faut voir ensuite, si le bilan présente un actif suffisant pour que tous les créanciers, au nombre desquels l'Etat se rangerait, aient la certitude d'être payés, et cette certitude acquise, quel risque courons-nous ? Aucun ; nous n'engageons pas réellement la fortune publique.

Très souvent, lorsqu'il s'agit de questions de cette nature, on est porté à confondre deux notions essentiellement distinctes : la réalité de l'actif et la disponibilité de l'actif. Quelle est la cause des embarras actuels de la Société Générale ? Quelle est la faute, en un mot, qu'à l'imitation de tant d'autres institutions de même nature, la Société Générale a commise ? Ce n'est pas d'avoir dissipé ou perdu son actif, c'est de l'immobiliser. Que résulte-t-il de là ? Qu'un actif très réel peut momentanément n'être pas disponible, alors que les obligations qui seraient largement couvertes par cet actif deviennent immédiatement exigibles. On a donc tort de croire que les embarras actuels de la Société résulteraient de ce que, selon une expression vulgaire, elle serait au-dessous de ses affaires ; ses embarras proviennent de ce qu’avec une témérité sans exemple, ce capital a presque été systématiquement et totalement immobilisé.

Mais le jour où, par des mesures efficaces l’on pourra réaliser une partie de cet actif, la Société Générale n'aura plus besoin de votre intervention. Il s'ensuit donc que la mesure actuelle a pour but, non de relever la Société Générale d'un état de faillite, mais seulement de lui donner les moyens de mobiliser momentanément une partie de l'actif qu’elle a eu la témérité de rendre indisponible pour les jours de crise.

S'il en est ainsi, je le demande à chacun de vous, d'après les notions du droit et même du droit naturel, peut-il être question de sursis ? La banque ne vous demande, elle n'a besoin de vous demander qu'un moyen légitime, nullement onéreux pour vous, de faire honneur immédiatement à la plus sainte de ses obligations, à la caisse d'épargne que vous voulez sauvegarder.

Mais, dit-on, est-il certain du moins que la question de la caisse d'épargne sera complètement résolue par le projet de loi ? Les dépôts s'élèvent aujourd'hui à 42 millions ; on n’en demande que 20.

Messieurs, le calcul est extrêmement simplet. Les dépôts de la caisse d'épargne s'élèvent à 42 millions ; si l’on en déduit les 20 millions qui sont demandés pour les remboursements déjà exigés et pour ceux qui le seront à l'avenir, il ne reste que 22 millions ; de ces 22 millions, la Société Générale, moyennant une action plus énergique à l’égard de ses débiteurs peut par elle-même, dans un délai rapproché, s'en procurer 10 ; le gouvernement doit à la Société Générale 6 millions de bons du trésor ; voilà, donc 16 millions que dans un délai assez rapproché la Société Générale peut se procurer.

Veut-on me contester, comme un honorable voisin, paraît le faire, la. disponibilité de 10 millions à payer par les débiteurs en comptes courants ou à raison de prêts sur effets publics ? j’accepte volontiers cette hypothèse. Il faut 22 millions, le gouvernement doit 6 millions pour bons du trésor ; il reste à pourvoir à 16 millions ; de ces 16 millions hit au moins appartiennent à des établissements publics ; il y a à l’égard de ces établissements deux ordres de mesures à prendre ; le gouvernement ne peut permettre à ces établissements de céder à une panique et de demander par motif de crainte le remboursement des fonds qu’ils peuvent avoir aux caisses d'épargne ; il ne peut pas permettre à des institution faisant partie intégrante de l'Etat, de compliquer, d'accroître les embarras actuels. D'un autre côté, il doit autoriser le remboursement des fonds qui seront reconnus nécessaires pour des travaux ou autre destinations utiles et immédiates ; il doit faire plus, en constituant la caisse d'épargne nouvelle, il doit admettre les établissements publics à venir y transférer leurs fonds.

J'ai dit qu'il fallait 16 millions. Si vous admettez que le gouvernement permette de transférer 16 millions, la question est résolue, en supposant que la caisse d'épargne de la Société Générale sera épuisée jusqu'au dernier centime. Si vous admettez que les mesures indiquées soient possibles à l'égard des établissements publics ; si, d'un autre côté, vous reconnaissez que les poursuites contre les débiteurs auront du moins quelque effet, vous devez, dans la même proportion, réduire vos prévisions pour la caisse d'épargne, en supposant, contre toute vraisemblance, qu'elle doive être épuisée tout entière.

N'est-il pas démontré dès lors que la question de la caisse d'épargne, dans toutes les éventualités, est résolue complètement par le projet de loi, sans que vous ayez à faire ces catégories, que je considère comme fatales à l'institution ; sans que vous ayez à faire autre chose que prester votre garantie, sans que vous ayez réellement engagé les ressources de l'Etat.

Si j'ai bien apprécié les faits, si les chiffres, qui sont après tout positifs et concluants comme des faits et des chiffres, ont été posés par la commission spéciale dont j'ai eu l'honneur de faire partie, et par la section centrale, ne sont point détruits, il ne peut rester aucun doute que la mesure proposée exclusivement pour la caisse d'épargne décide cette grande question dans le sens des véritables intérêts du pays ; que si l'on rejette le projet de loi, vous vous jetez dans toutes les incertitudes, je pourrais dire : vous courez au-devant de toutes les calamités d'un avenir très prochain.

M. de Garcia. - Je renonce à la parole.

La clôture est mise aux voix et prononcée.

« Art. 1er. Le gouvernement pourra autoriser une nouvelle émission de billets de banque de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale. Cette émission, uniquement affectée au service de la caisse d'épargne de cette société, se fera au fur et à mesure des besoins dûment constatés.

« La somme des billets à émettre pour cet objet ne pourra excéder vingt millions de francs (20,000,000) .

« Ces billets sont garantis par l'Etat. »

Plusieurs voix. - L'appel nominal !

Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat.

97 membres répondent à l'appel.

66 membres ont répondu oui.

29 ont répondu non.

2 membres s'abstiennent.

En conséquence l'article premier est adopté.

Ont répondu oui : MM. de Meester, de Muelenaere, Desaive, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dumont, Duroy de Blicquy, Faignart, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Henot, Herry-Vispoel, Jonet, Lange, Le Hon, Lesoinne, Loos, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orts, Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Tielemans, T’Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Vanden Eynde, Van Huffel, Verhaegen, Veydt, Wallaert, Brabant, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, d'Anethan, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Foere, de La Coste, Delehaye, d'Elhoungne, de Liedekerke et Liedts.

Ont répondu non : MM.de Mérode, Destriveaux, de Tornaco, d'Huart, A. Dubus, Eenens, Eloy de Burdinne, Huveners, Lebeau, Lys, Mercier, Moreau, Orban, Pirmez, Raikem, Thienpont, Vandensteen, Van Renynghe, Vilain XIIII, Anspach, Biebuyck, Bricourt, Cogels, Dautrebande, David, de Bonne, de Garcia de la Vega, de Haerne et Delfosse.

M. le président. - M. Zoude et M. de Man d'Attenrode, qui se sont abstenus, sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Zoude. - Je n'ai pas voté pour le projet parce que le principe de garantie, une fois admis, doit s'appliquer à toutes les sommes indûment comprises sous le titre de caisse d'épargne qui n'aurait dû recevoir que le produit des privations que s'impose la classe ouvrière, ainsi que les économies des domestiques et des petits détaillants, ce qui ne présente qu'une somme de 12 1/2 millions, qui s'élève au chiffre effrayant de 44 millions par l’accumulation des capitaux versés par la spéculation.

Je n'ai pas voté contre, par sympathie pour la classe des travailleurs qui seraient victimes de leur confiance dans un établissement que le gouvernement a protégé d'une manière inconsidérée.

M. de Man d'Attenrode. - Le vote que j’avais à émettre m'a mis dans un grand embarras.

D'un côté, je n'ai pas pu me résoudre à refuser la garantie de l’Etat à l’épargne des classes ouvrières, au dépôt sacré de leurs économies.

D'un autre côté, je n'ai pu contribuer à garantir en aucun façon (page 1634) l'existence d'un établissement, qui, malgré mes réclamations incessantes depuis plusieurs années, n'a cessé d'exercer une puissance d'absorption si funeste au crédit public. Je me suis en conséquence abstenu.

Article 2

« Art. 2. Les billets à provenir de cette émission et de celle qui pourra être faite en vertu de l'article 7 ci-après, seront reçus comme monnaie légale dans les caisses publiques et par les particuliers, et la Société Générale sera provisoirement dispensée de l'obligation de les rembourser en espèces. »

(page 1627) M. Mercier. - Messieurs, avant de soumettre à la chambre quelques observations sur l'article 2, qu'il me soit permis de dire pour quoi j'avais demandé la parole, lorsque l'honorable M. Malou a prétendu que ce serait manquer à la foi publique que de ne pas garantir les fonds déposés à la caisse d'épargne de la Société Générale. Je crois de mon devoir de rappeler que, comme ministre des finances, j'ai déclaré au nom du gouvernement, dans la discussion du budget de 1844, qu'il n'entendait nullement être responsable de ces dépôts.

Cette déclaration faite sur l'interpellation d'un honorable membre qui prévoyait la possibilité des circonstances qui se présentent aujourd'hui, a été reproduite dans tous les journaux ; c'est donc à tort que l'on soutient qu'il y a engagement moral de la part du gouvernement qui a formellement décliné toute responsabilité.

J'aborde l'article 2 du projet :

La chambre, cédant à une nécessité impérieuse, vient de conférer au gouvernement le droit d'autoriser une nouvelle émission de billets de banque de la Société Générale. Mais il nous reste à aviser aux mesures les plus propres à prévenir la dépréciation de ces billets pour éviter une grande perturbation dans tous les intérêts du pays.

Ces mesures, selon moi, consistent principalement à émettre une grande quantité de petites coupures ; en effet, messieurs, remarquez-le bien, on emploie une bien plus grande quantité de numéraire dans les petites transactions que dans les grandes.

En France la circulation du numéraire est pour les trois quarts en argent et pour un quart seulement en or. Ce qui témoigne de la nécessité d'avoir de nombreuses petites coupures pour remplacer la monnaie d'argent. J'insiste donc pour qu'une grande partie de l'émission ait lieu en coupures de 5 fr. C'est le seul moyen d'empêcher la dépréciation. Déjà le commerce de détail se plaint de l’'impossibilité où il se trouve de rendre la monnaie nécessaire sur les coupures de 20 fr., à défaut d'espèces métalliques en quantité suffisante.

Je vois dans les documents qui nous ont été distribués que la Société Générale fait une objection sérieuse sur le timbre des petites coupures : elle fait observer que l'atelier du timbre ne peut en frapper que mille par jour. A ce compte il faudrait cent jours pour avoir 300,000 fr. en billets de 5 fr. Ce serait là un très grave inconvénient qu'il est indispensable de prévenir. S'il n'est pas possible de faire timbrer chaque jour une quantité beaucoup plus considérable de billets, il faudrait les dispenser de cette formalité.

Il est nécessaire aussi que les billets de 1,000 fr. soient réduits à une (page 1640) très petite quantité. On conçoit l’utilité de ces billets, quand ils n’ont pas cours forcé ; on les emploie exclusivement dans les grandes transactions.

Mais que peut faire d'un billet de mille francs celui qui a de petits payements à faire ? Il n'en faut évidemment émettre qu’un nombre très restreint, il doit en être de même des billets de 500 fr.

Si l'on veut agir arec prévoyance, il faut encore avoir recours à une autre mesure : les agents de la Société Générale doivent partout être munis de petites coupures pour échanger au besoin les billets d'une plus haute valeur. Les comptables de l'Etat doivent, de leur côté, être, invités à opérer un échange lorsqu'ils ont de petites coupures dans leurs caisses.

Ces détails peuvent paraître insignifiants ; c’est cependant de leur exécution que dépend le succès de l'émission qui va être portée successivement à 66 millions de francs.

Je recommande avec instance à M. le ministre des finances de prendre les dispositions que je viens d'indiquer. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'en faire l'objet d'un amendement.

J'attendrai, du reste, les explications que M. le ministre des finances voudra bien nous donner à cet égard.

(page 1634) M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je me proposais de faire à l'occasion de l'art. 8, des observations analogues à celles que vient de présenter l'honorable M. Mercier. Je suis complètement d'accord avec lui qu'il faut, dans une très grande proportion, émettre de petites coupures. Il n'y a pas de meilleur moyen de faciliter et d'étendre la circulation de billets dont l'émission sera la conséquence de la loi.

Il y a, je le sais, une objection dans le droit de timbre, même réduit à un demi p. c. pour les coupures de 50 fr. et au-dessous ; ce droit est encore envisagé comme une dépense assez considérable, parce qu'il vient se joindre à une dépense plus forte pour la confection des coupures de 5 et de 20 francs.

Un de mes honorables collègues me dit qu'il conviendrait de faire un abonnement avec les établissements financiers, comme cela existe pour la banque d'Angleterre. C'est un système nouveau, qui mérite de fixer l'attention.

En ce qui concerne l'apposition des timbres, je me suis assuré que par un travail soutenu, l'atelier pourra timbrer, par jour, huit à dix mille billets en conservant la griffe, c'est-à-dire le timbre noir, et le double, s'il est supprimé. Cette mesure peut être prise par arrêté royal, si elle est reconnue nécessaire, et alors il n'y aura pas de retard à craindre pour l'expédition des billets à timbrer.

- L'article 2 est adopté.

Article 3

« Art. 3 (5 du projet). Le gouvernement pourra, d'après les circonstances, faire cesser en tout ou en partie les effets des dispositions reprises aux articles précédents. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4 (3 du projet). Avant que l'émission ait lieu, le gouvernement réglera, par une convention avec la Société Générale, les valeurs que celle-ci devra fournir à titre de garantie desdits billets.

« Les dispositions des paragraphes 2, 3 et 4 de l'article 3 de la loi du 20 mars 1848 sont applicables à ces valeurs. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5 (de la section centrale). Dans les huit jours qui suivront la publication de la présente loi, le gouvernement fera une nouvelle nomination des directeurs de la Société Générale.

« Deux directeurs au moins seront pris parmi les actionnaires.

« Si, dans les huit jours à dater de la notification de ces choix à la direction de la société, l'assemblée générale des actionnaires, convoquée conformément aux statuts, n'avait pas ratifié les nominations faites par le gouvernement, aucune émission ultérieure de billets ne pourrait avoir lieu en vertu de l'article premier ci-dessus.

« Un état de situation de la Société Générale sera publié tous les trois mois. »

M. le président. - M. Osy a proposé l'amendement suivant :

« Art. 5. Dans les huit jours qui suivront la présente loi, il sera fait une nouvelle nomination des directeurs de la Société Générale.

« Deux directeurs seront nommés par les actionnaires conformément aux statuts de la Société Générale.

« Quatre directeurs seront nommés par le gouvernement en dehors des actionnaires. »

(Le reste comme la proposition de la section centrale.)

M. Osy. - Messieurs, le gouvernement, pour donner toute sûreté au pays quant aux opérations de la Société Générale et pour garantir les intérêts de l'Etat, avait proposé de nommer trois commissaires aux frais de la Société Générale. J'approuve fortement la section centrale d'avoir modifié cette disposition. Car qu'auraient pu faire trois commissaires dans un conseil où se seraient trouvés sept membres nommés par la Société et qui auraient pu faire de l'opposition aux trois commissaires ? Il me paraît donc préférable que le gouvernement nomme les directeurs. Aujourd'hui surtout que les directeurs actuels ont donné leur démission, tout obstacle vient à disparaître.

Mais tout en prenant des précautions dans un intérêt public, il ne faut pas qu'on perde de vue celui des actionnaires. Je veux bien que l'influence du gouvernement domine ; mais comme les actionnaires ont aussi de graves intérêts à débattre, je demande que deux directeurs soient nommés conformément aux statuts, c'est-à-dire directement par les actionnaires.

Ma proposition a encore un autre motif ; je crois que le gouvernement trouverait difficilement six directeurs en dehors des actionnaires ; je propose donc d'en laisser quatre à la nomination du gouvernement et deux à la nomination des actionnaires.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - On n'a pas demandé au gouvernement s'il se ralliait à la proposition de la section centrale. Le gouvernement maintient son projet, d'autant plus qu'un fait nouveau a surgi depuis sa présentation ; c'est la démission donnée par MM. les directeurs actuels de la Société Générale. Le gouvernement pense que la surveillance qu'il est appelé à exercer sera suffisante au moyen des commissaires qu'il a proposés. C'est à la Société à renouveler le personnel de ses directeurs d'après le mode établi par ses statuts.

M. le président. - Le gouvernement ne se ralliant pas au projet de la section centrale, la discussion s'ouvre sur la proposition du gouvernement ainsi conçue :

« Art. 5. Le gouvernement pourra, d'après les circonstances, faire cesser, en tout ou en partie, les effets des dispositions reprises aux articles précédents. »

M. Cogels. - Messieurs, la résolution prise par la section centrale sur l'article 4 du projet primitif, maintenant l'article 5 est présenté comme ayant été adoptée à l'unanimité. Il s'est à cet égard glissé dans le rapport une légère erreur. Je me suis abstenu de prendre part à cette décision. Je m'en suis abstenu pour plusieurs motifs ; je n'en expliquerai ici qu'un seul.

Je n'avais pas bien calculé d'abord la portée de la résolution qu'avait prise la section centrale ; je voyais un certain danger pour le gouvernement à prendre une part trop grande dans la direction des affaires de la Société Générale ; je pensais que par là il assumait une responsabilité qu'il devait décliner en partie ; que peut-être il se serait attiré des embarras assez graves par suite de la part plus ou moins directe qu'il aurait prise à la direction des établissements industriels mêmes qui se trouvent sous le patronage de la Société Générale.

J'aimais donc mieux que, tout en donnant au gouvernement une certaine part dans la direction des affaires, son rôle principal se bornât à une surveillance, à un contrôle actif. Ce but était atteint en partie par la nomination de commissaires.

Quant à l'amendement de l'honorable M. Osy, il ne diffère de celui de la section centrale que sous un seul rapport. La section centrale demande également que deux des directeurs soient nommés parmi les actionnaires et que quatre puissent être nommés en dehors. C'est ce que l'honorable M. Osy réclame ; seulement, d'après l'amendement de la section centrale, toutes les nominations se feraient par le gouvernement : d'après l'amendement de l'honorable M. Osy, la nomination de deux directeurs se ferait parmi les actionnaires et par les actionnaires.

D'après la proposition du gouvernement, qu'il nous déclare vouloir maintenir, il faudrait encore six directeurs. Ces six directeurs devraient être nommés, conformément aux statuts, parmi les actionnaires sur présentation de candidats. Eh bien, je crois qu'il serait fort difficile de mettre cette mesure à exécution par suite de la retraite des directeurs actuels, et du peu de disposition qu'on trouverait probablement parmi plusieurs des actionnaires à les remplacer. Il faut bien le reconnaître, plusieurs actionnaires ne seraient pas disposés à remplacer les directeurs actuels ; d'autres diraient : Nous ne le pouvons pas, parce que nous ne nous reconnaissons pas l'aptitude nécessaire, ou parce que nos occupations ne nous permettent pas de consacrer notre temps à ces fonctions, Vous le savez, messieurs, le nombre des actionnaires de la Société Générale est assez restreint. C'est pour cela qu'on a vu constamment les fonctions de directeur se perpétuer dans les mêmes personnes.

Je crois donc qu'il serait excessivement difficile de donner suite à la proposition du gouvernement. Il faudrait alors modifier les statuts. Il faudrait réduire le nombre des directeurs et leur adjoindre des commissaires à nommer par le gouvernement. Je pense qu'on pourrait réduire le nombre des directeurs à quatre, confier la nomination de deux directeurs aux actionnaires, laisser la nomination des deux autres au gouvernement, ce qui lui donnerait une part moindre, mais cependant suffisante d'influence dans la direction. Il serait ensuite nommé deux commissaires tels qu'on l'avait proposé d'abord, dont l'un serait désigné par la chambre et l'autre par le sénat.

M. de Brouckere. - Quelle serait la mission de ces commissaires ?

M. Cogels. - Ce serait une mission de surveillance.

M. de Brouckere. - Je ne comprends pas un système pareil.

M. Cogels. - Je ne comprends pas non plus comment on pourra mettre à exécution le système du gouvernement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai peine à comprendre le système que l'honorable M. Cogels voudrait substituer à celui du gouvernement. Le système du gouvernement est extrêmement clair et simple ; il consiste à pouvoir déléguer auprès de la Société Générale trois commissaires chargés de surveiller les opérations de la société, en tant qu'elles se rapportent à l'intérêt public, aux intérêts de l'Etat. Voici comment est conçu l'article :

« Le gouvernement nommera trois commissaires chargés de surveiller les opérations de la société, d'assurer l'exécution des conventions existantes et en général de proposer au gouvernement toutes les mesures qu'ils jugeraient utiles aux intérêts de l'Etat et, en cas d'approbation de ces mesures, d'en provoquer l'exécution. »

Voilà, messieurs, la mission des commissaires à nommer par le gouvernement. Nous n'avons point à intervenir en ce qui concerne les intérêts particuliers engagés dans la Société Générale ; la loi actuelle est une loi d'intérêt public, une loi par laquelle nous voulons sauvegarder une réunion d'intérêts particuliers si l'on veut, mais d'intérêts particuliers qui ont été élevés depuis longtemps au rang d'intérêt public ; nous voulons parler des dépôts de la caisse d'épargnée Toujours, et je dirai par la force même des choses, les dépôts de la caisse d'épargne ont été considérés comme une institution qui rentrait dans le domaine de (page 1635) l'intérêt public, et devenait une chose de l'Etat, dans des circonstances données.

Le but de la loi, le but unique de la loi est de venir en aide à l'institution des caisses d'épargne. La mission à exercer par les commissaires du gouvernement aura pour but spécial de s'assurer que les fonds mis à la disposition de la Société Générale seront exclusivement affectés au remboursement des dépôts de la caisse d'épargne. Voilà la mission essentielle des commissaires du gouvernement.

Puis, comme la Société Générale est, en même temps, caissier de l'Etat, les commissaires du gouvernement auront aussi à exercer une surveillance à l'égard de la Société Générale considérée en cette qualité.

Maintenant, messieurs, que vient-on offrir au gouvernement ? On veut substituer à ce contrôle utile qu'il demande, une part directe dans l'administration même de la Société. Mais ce serait dénaturer entièrement le rôle que le gouvernement réclame. Il demande à pouvoir exercer une surveillance sérieuse, une coercition, au besoin, dans l'intérêt public, dans l'intérêt de l'Etat ; mais il ne s'agit nullement, pour le gouvernement, de s'immiscer dans des opérations particulières qui ne le regardent pas.

Les directeurs, qui représentent les actionnaires, ayant donné leur démission, les actionnaires auront à nommer de nouveaux directeurs. L'honorable M. Cogels vient dire qu'on ne trouvera pas de directeurs. Je ne concevrais pas que la société renonçât à administrer elle-même ses intérêts, qu'on ne trouverait point parmi les actionnaires des hommes disposés à administrer leur propre chose.

Si la société s'abandonnait elle-même, ce ne serait pas encore un motif pour que le gouvernement se chargeât de ses affaires. Si le nombre des directeurs est trop considérable, ce sera aux actionnaires de demander une modification à ses statuts qui le réduise, mais le gouvernement refuse formellement de s'ingérer dans la direction de la société. Il demande un contrôle, une action au point de vue de l'intérêt public. Il n'a rien à demander au-delà. Au surplus, le but que se proposait la section centrale, semble aujourd'hui atteint.

La section centrale voulait renouveler le personnel de la direction ; MM. les directeurs viennent de donner leur démission ; reste maintenant l'intervention des intéressés dans laquelle le gouvernement a sa part aux termes des statuts ; cette part consiste à approuver les nominations, mais il n'y intervient pas directement.

La proposition du gouvernement, rapprochée du fait de la démission des directeurs, augmente les garanties d'une bonne gestion, puisque nous aurons des directeurs nouveaux et de plus, des commissaires spéciaux, surveillant et agissant dans l'intérêt public, dans l'intérêt de l'Etat.

M. Cogels. - Je ne donnerai pas de suite à ma proposition.

M. de Brouckere. - Je renonce à la parole.

M. Osy. - J'avais compris que le gouvernement se ralliait à la proportion de la section centrale ; mais puisque le gouvernement maintient sa proposition que, pour moi, je préfère de beaucoup, je retire mon amendement.

M. d'Elhoungne, rapporteur. - Je demanderai au gouvernement s'il est bien entendu que la mission des commissaires consistera également à presser toutes les liquidations, afin que la Société Générale puisse avoir en caisse les fonds nécessaires pour restituer les dépôts de la caisse d'épargne ?

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Ce sera leur mission principale.

M. d'Elhoungne. - Alors je pense que la proposition du gouvernement peut obtenir la préférence sur l'amendement de la section centrale, puisque le personnel devra être renouvelé, que les actionnaires auront à faire une nouvelle présentation de candidats, parmi lesquels le gouvernement fera son choix.

M. le président. - Voici un amendement déposé par M. de Man d'Attenrode :

« Dans les huit jours qui suivront la publication de la présente loi, le gouvernement nommera trois commissaires chargés de surveiller les opérations de la société, d'assurer l'exécution des conventions existantes, de veiller à ce que le produit des liquidations qu'ils auront provoquées soit employé au remboursement des dépôts faits à la caisse d'épargne, si le service l'exige, de proposer au gouvernement toutes les mesures qu'ils jugeraient utiles aux intérêts de l’Etat et, en cas d'approbation de ces mesures, d'en provoquer l'exécution.

« Un état de situation de la Société Générale sera publié tous les trois mois. »

M. de Man d'Attenrode. - Je me lève, messieurs, pour appuyer la rédaction du gouvernement, car je ne puis me rallier à celle de la section centrale. En effet, je pense qu'il serait dangereux que le gouvernement intervînt dans la direction de l'établissement en faveur duquel on nous propose une nouvelle émission de billets ayant cours forcé. Je ne pourrais consentir à ce que l'Etat prît la responsabilité de la direction d'un navire plus ou moins avarié.

Mon amendement, messieurs, ne fait qu'aller au-devant de l'observation que vient de présenter l'honorable rapporteur. Son observation tend à en justifier la présentation et indique qu'il y a lieu de l'adopter. En adoptant l'article premier, vous avez voté 20 millions pour couvrir les remboursements des dépôts à la caisse d'épargne, mais la caisse d'épargne se compose de 42 millions, et l'honorable M. Malou nous a indiqué tout à l'heure, afin de nous rassurer sur l'éventualité de la demande d'une nouvelle émission, plusieurs moyens propres à en prévenir le retour dans l'avenir.

Il a déclaré entre autres qu'il était indispensable d'exercer une action énergique, afin de presser la rentrée des sommes prêtées sur dépôts d'actions de la Société ; plusieurs sections ont émis le même vœu.

Si mon amendement passe, vous ne ferez qu'insérer dans le texte même de la loi une intention qui est formulée dans le rapport de la section centrale, et qui a été également indiquée dans les discours qu'on vient de prononcer. En effet, je me borne, par mon amendement, à intercaler dans le texte du projet du gouvernement la phrase suivante :

« Veiller à ce que le produit des liquidations qu'ils auront provoquées soit employé au remboursement des dépôts faits à la caisse d'épargne. » J'ai ajouté ces mots : « si le service l'exige », parce qu'il peut arriver qu'il ne soit pas nécessaire de faire des remboursements à la caisse d'épargne, et dans ce cas, il ne serait pas convenable d'empêcher que les sommes qui resteraient disponibles fussent employées à couvrir d'autres besoins.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs, les énonciations contenues dans l'amendement me paraissent à la fois et vagues et inutiles ; on indique, d'une part, des conditions ; mais on ouvre, d'un autre côté, aux opposants, un moyen légal de résister aux injonctions qui seraient faites à la Société. Des conflits peuvent facilement s'élever à l'abri de ces mots : « si le service l'exige ».... jusqu'où cela peut-il s'étendre ? Quand la nécessité en sera-t-elle suffisamment démontrée ? Qui sera juge, si le conflit se présente ?

La disposition me paraît, en outre, inutile. D'après le projet du gouvernement, les commissaires ont des pouvoirs très étendus ; ils peuvent proposer au gouvernement toutes les mesures qu'ils jugent utiles aux intérêts de l'Etat ; il n'y a ni restriction, ni réserve ; et en cas d'approbation de ces mesures, ils doivent en requérir l'exécution. Ensuite, le gouvernement est armé de moyens suffisants pour obliger la Société Générale à exécuter les résolutions jugées nécessaires, car le gouvernement peut faire cesser les effets de la loi. Il est donc inutile d'indiquer des opérations spéciales à faire par les commissaires et de spécifier l'emploi des fonds à provenir des réalisations. Le projet du gouvernement satisfait mieux que l'amendement à toutes les difficultés qui peuvent se présenter. (Aux voix !)

M. de Man d'Attenrode. - Je persiste à croire que mon amendement est utile. M. le ministre de l'intérieur ne vient-il pas de déclarer que la mission des commissaires tendait surtout à surveiller l'emploi des 20 millions que nous accordons pour couvrir la caisse d'épargne. Dès lors, leur besogne consistera aussi à mettre obstacle à ce qu'une nouvelle émission ne devienne nécessaire, et le seul moyen de la prévenir, c'est de presser le remboursement des sommes qui ont été prêtées à des tiers ; pour y parvenir, il faut une action énergique, et il faut pour assurer cette action, que ce devoir soit imposé aux commissaires de par la loi. En effet, messieurs, qu'est-ce qui nous assure, si la loi reste muette à cet égard que cette action sera suffisamment énergique ? Si la mission des commissaires est telle, pourquoi le gouvernement juge-t-il inutile de l'indiquer dans la loi ?

Il nous dit : « Ce sera une cause de conflits. » Mais la mission de ces commissaires ne sera-t-elle pas de toute manière l'occasion de maintes difficultés ? Une mission semblable, si elle est consciencieusement, remplie, doit inévitablement soulever des résistances. D'ailleurs le gouvernement sera là pour les faire disparaître, pour que tout se passe à l'amiable. Après les émissions que nous avons accordées, le gouvernement exercera nécessairement une influence salutaire sur cet établissement, un contrôle qu'il aurait dû exercer depuis longtemps sur une compagnie qui fait le service de caissier de l'Etat.

- La discussion de l'article 5 est close.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, après les explications de M. le ministre, il ne me reste qu'à retirer mon amendement.

M. le président. - Je mets aux voix l'article 5 de la section centrale auquel le gouvernement ne se rallie pas.

M. Cans. - Le gouvernement ne se rallie-t-il pas au troisième et dernier paragraphe de l'article 5 de la section centrale ainsi conçu :

« Un étal de situation de la Société Générale sera publié tous les trois mois. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Oui, même avec l'addition des mois : « au moins », avant ceux-ci : « tous les trois mois ».

- Les deux premiers paragraphes de l'article 5 de la section centrale, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

La chambre adopte ensuite l'article 5 du gouvernement, avec le troisième et dernier paragraphe du projet de la section centrale, y compris les mots : « au moins ».

Article 6

« Art. 6. Il sera payé à l'Etat, sur le montant de la présente émission, autorisée par l'article premier de la présente loi, un intérêt annuel de trois pour cent. Cet intérêt courra à partir du jour où chaque émission partielle sera autorisée. »

M. le président. - Les mots : « autorisée par l'article premier de la présente loi » ont été ajoutés par la section centrale ; le gouvernement se rallie-t-il à cet article ?

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Oui, M. le président.

M. Delfosse. — Messieurs, la commission dont je faisais partie avait proposé de faire payer à la Société Générale un intérêt de 5 p. c, par la raison que le gouvernement s'est engagé à payer ce taux d'intérêt pour l'emprunt forcé.

(page 1636) Si le gouvernement émettait des billets à son profit, au lieu de les émettre au profit de la Société Générale, il pourrait se dispenser de recourir à l'emprunt forcé, ou du moins il pourrait le réduire de vingt millions.

Il paraît dès lors juste que la Société Générale indemnise le gouvernement des 5 p. c d'intérêt qu'il doit payer.

Une autre raison encore donnée par la commission, c’est que la Société Générale ne paye rien pour les 20 premiers millions qu’on l'a autorisée à émettre. C’est comme si l'Etat lui avait prêté gratuitement 20 millions d’écus. Si j'avais été ici le 20 mars, j'aurais demandé que la Société Générale payât un intérêt pour cette première émission. L'avantage accordé à la Société Générale par la loi du 20 mars est inexplicable.

Je propose de porter à 5 p. c, au lieu de 3, l'intérêt à payer pour l'émission qui vient d'être votée.

M. Osy. - Messieurs, je viens combattre l'amendement de l'honorable M. Delfosse. Il est vrai que, pour la première émission que nous avons autorisée, nous n'avons pas stipulé d'intérêt ; mais il faut considérer que dans l'émission de 34 millions autorisée par la loi du 20 mars, il y a huit millions pour le comptoir d’escompte. Ce comptoir d'escompte ne fonctionne pas seulement à Bruxelles, mais dans d'autres localités. Il n'est pas dit qui supportera la perte ; or la moindre perte peut facilement enlever l'intérêt ; de manière qu'il y a compensation et qu'on peut adopter le chiffre proposé par la section centrale, 3 p. c. C’est un bénéfice clair et net pour le gouvernement, tandis que pour l'établissement cela n'est pas. Comme on est facile pour les escomptes, il est probable qu'il y aura des pertes.

M. Manilius. - Je crois aussi que l'intérêt de 3 p. c. est suffisant. L'honorable M. Delfosse est d'accord avec moi ; il pense, en frappant l’émission dont il s'agit d'un intérêt de 5 p. c, revenir sur la loi du 20 mars. Je crois que cela ne serait pas logique ; il y a un moyen plus simple, c'est de laisser, dans le cas dont il s'agit, l'intérêt à 3 p. ; c. et, comme pour l'émission autorisée par la loi du 20 mars, il y a une latitude ; qu’on peut l'arrêter, on peut également ne la continuer qu'en la soumettant à des conditions. Il est à remarquer que cette émission ne concerne pas seulement la Société Générale, mais aussi la Banque de Belgique. Il serait injuste de revenir sur la loi du 20 mars en ce qui concerne la Société Générale et de ne pas le faire en ce qui concerne la banque de Belgique.

Je suis bien aise que l'honorable M. Delfosse ait présenté son amendement, car cela appelle l'attention sur l'immunité de la première émission. Quoiqu'une partie soit affectée à des caisses d'escompte, ce n'est pas une raison pour qu'elle soit exempte d'intérêt, car les caisses d'escompte se font rémunérer des avances qu'elles font, elles peuvent bien supporter un mince intérêt de 3 p. c. Si je n'adopte pas l’amendement, c'est que je crois qu'il y a un autre moyen de revenir sur la résolution du 30 mars.

M. Delfosse. - Je ne m'oppose pas à ce qu'on revienne sur la loi du 20 mars pour exiger un intérêt, et je reconnais avec l'honorable M. Manilius qu'il faudrait dans ce cas demander cet intérêt non seulement à la Société Générale, mais aussi à la banque de Belgique qui a eu sa part dans l'émission autorisée par la loi du 20 mars. L'honorable M. Osy a fait une objection que je ne puis admettre ; il vous a dit : que huit millions sont affectés à la caisse d'escompte, et que la Société Générale en fournit quatre. Quelle est la perte que la Société Générale fera sur les escomptes ? Nous ne le savons pas.

Mais comme l’on n'escompte que sur de bonnes signatures, il est probable que la Société Générale ne perdra pas le montant des intérêts qu'elle ne tirera des escomptes. Les fonds employés à l'escompte ne lui coûtent guère que le papier ; elle a donné pour l'escompte quatre millions de billets ; si elle n'en retirait pas d'intérêt du tout, elle ne perdrait rien. Les bénéfices qu'elle fera par les intérêts compenseront, j'en suis sûr, amplement les pertes qu'elle pourrait faire par suite de non-payement de billets admis à l'escompte.

Je n'admets pas que la charge de l'escompte puisse être considérée comme une compensation de l'avantage qu'elle a obtenu par l'émission de 20 millions de billets ayant cours légal, pour lesquels elle ne paye aucun intérêt.

Je reconnais avec l'honorable M. Manilius qu'il y a une mesure à prendre et, comme lui, j'appelle sur ce point l'attention du gouvernement.

Cette première émission de 20 millions, sans intérêt, était une des raisons que j'avais fait valoir pour élever l'intérêt sur la seconde émission ; mais ce n'était pas la raison déterminante ; j'en ai donné une autre ; j'ai dit, et c'est la raison principale : Si le gouvernement n'était pas obligé de venir en aide à la Société Générale, il pourrait réduire l'emprunt forcé de vingt millions. Le gouvernement est obligé, pour aider la Société Générale, d'emprunter 20 millions ne plus et de payer un intérêt de 5 p. c. pour ces 20 millions. Puisque la Société Générale obtient les 20 millions de billets que le gouvernement aurait pu émettre à son profit sans payer d'intérêt, il convient, il est juste d'exiger de la Société Générale un intérêt de 5 p. c.

J'admets toutefois que si l'on met pour le moment dé côté l'avantage qui résulte de la première émission, si l'on veut examiner isolément la question des intérêts pour l'émission qui vient d'être votée, l'intérêt de 5 p. c. serait trop élevé. Il est vrai que le gouvernement paye 5 p. c. pour l'emprunt forcé ; mais si l'on exige de la Société Générale 5 p. c. d'intérêt pour les billets de banque, elle payera, en définitive, plus de 5 p. c, parce que ces billets sont frappés d'un droit de timbre. Il y a en outre les frais de confection des billets. Je modifie donc mon amendement, et tout en prenant acte de la réserve de l'honorable M. Manilius, à laquelle j'adhère, je propose de porter l'intérêt à 4 p. c.

- Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'amendement de M. Delfosse, tendant à fixer à 4 p. c. le taux de l'intérêt.

Voici le résultat du vote :

Nombre des votants, 96.

52 membres votent pour l’adoption.

44 votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l'adoption : MM. de Mérode, Desaive, Destriveaux, de Tornaco, de T’Serclaes, d’Hane, Donny, Dubus (Albéric), Duroy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Faignart, Fallon, Henot, Herry-Vispoel, Huveners, Lebeau, Lejeune, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Thienpont, T’Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe, Vilain XIIII, Zoude, Biebuyck, Bricourt, Dautrebande, David, de Ballet-Latour, de Bonne, de Breyne, Dedecker, de Denterghem, de Garcia de la Vega, de Haerne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne et de Man d’Attenrode.

Ont voté contre : MM. de Meester, de Muelenaere, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dolez, Dubus (aîné), Dumont, Frère-Orban, Gilson, Jonet, Lange, Le Hon, Lesoinne, Loos, Malou, Orban, Osy, Raikem, Rogier, Rousselle, Sigart, Tielemans, Vanden Eynde, Verhaegen, Veydt, Wallaert, Anspach, Brabant, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Cogels, d'Anethan, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de Foere, de La Coste et de Liedekerke.

- L'article 6 est adopté avec l'amendement de M. Delfosse.

Article 7

« Art. 7. Afin de faciliter le service du trésor, le gouvernement pourra autoriser une émission supplémentaire des billets de banque de la Société Générale à concurrence d'une somme de douze millions de francs (12,000,000 de fr.)

« Ces billets auront également cours de monnaie légale et seront garantis par l’Etat. La remise en aura lieu contre dépôt à la Société Générale de bons du trésor, sans intérêt. »

M. le président. - La section centrale propose un paragraphe additionnel ainsi conçu :

« Indépendamment des sûretés et garanties qui seront stipulées en exécution de l'article 3 de la présente loi, la forêt de Soignes est spécialement affectée pour garantir aux porteurs de billets de banque, le remboursement en espèces, lors de la reprise des payements en numéraire. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement ne se rallie pas à cet amendement.

M. d'Elhoungne, rapporteur. - Quelle est alors la garantie affectée par le gouvernement à cette émission de 12 millions ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - La même que pour les billets émis pour le compte des deux banques. C'est l’affectation générale de toutes les propriétés de l'Etat. Une garantie spéciale, vis-à-vis de la Société Générale, consiste, si l’on veut, dans le dépôt des bons du trésor lesquels ne sont, au surplus, garantis aujourd'hui par aucune hypothèque spéciale.

Le gouvernement remettra entre les mains de la banque des bons du trésor sans intérêt ; la banque lui délivrera des billets. '

Nous pensons, messieurs, que cette garantie spéciale affectée à 12 millions de billets ne ferait qu'affaiblir la garantie générale affectée par la loi à toutes les émissions.

M. de Mérode. - Messieurs, ceci devient encore plus extraordinaire que ce qui a été fait jusqu'à présent. Pour les autres émissions, nous avions au moins la garantie des propriétés de la Société Générale. Mais on veut maintenant émettre des assignats purs et simples, sans garantie aucune.

On dit que l'Etat garantit. Mais la garantie de l’Etat n'existe-t-elle pas pour les fonds publics, et cependant on ne peut les vendre qu'en perdant 35à 40 p. c ?

Messieurs, c'est là sortir des limites qu'on s'était tracées jusqu'à présent. Je demande que la chambre ne vote pas aujourd'hui une pareille disposition, qu'on nous laisse le temps d'y réfléchir,

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs, plusieurs fois déjà, nous avons eu occasion de répéter à la chambre que les fonds mis à la disposition du gouvernement, même pour aller jusqu'au mois de septembre, ne sont pas rigoureusement suffisants pour faire face aux dépenses qui ont été votées. Nous avons ajouté qu'indépendamment des 14 millions de bons du trésor pour lesquels des fonds avaient été faits par la chambre, il restait en circulation 12 millions de bons du trésor à une échéance postérieure au 1er septembre, mais qui peuvent être donnés en payement des impôts.

Il peut donc se faire qu'une très grande partie de ces 12 millions de bons du trésor soient versés dans les caisses publiques, et partant que l'Etat ne reçoive pas les sommes qui lui sont nécessaires pour faire face à ses obligations.

C'est pour cette éventualité que ces 12 millions ont été demandés ; c'est en outre comme moyen de trésorerie. Il est indispensable que l’Etat ait quelque chose qui remplace ce qui était autrefois en usage : les bons du trésor, qui aujourd'hui ne peuvent plus trouver de placement.

Les rentrées ne concordent pas toujours exactement avec les sommes (page 1637) à payer. Comment satisfaire alors aux obligations ? Cela est impossible ? La ressource des bons du trésor n'existe plus ; il en faut une autre ; c'est uniquement pour la double fonction, que je viens d'indiquer que les 12 millions ont été demandés.

Ces 12 millions ont une affectation spéciale. Ils ne peuvent élite employés indifféremment à toute chose. Ils ne peuvent servir que comme moyen de trésorerie ou pour couvrir les bons du trésor qui, par anticipation, seraient versés dans les caisses de l'Etat. Ils sont donc couverts soit par les bons du trésor, soit, par les recettes qu'ils remplacent momentanément.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je répondrai à l'honorable M. de Mérode que le gouvernement n'a aucune intérêt à ne pas donner la forêt de Soignes comme garantie de l'émission de 12 millions. Mais nous pensons qu’en fait les 12 millions ne seront pas mieux garantis, lorsque la loi aura affecté la forêt de Soignes comme garantie, que les autres millions de papiers-monnaie qui ont pour garantie les biens généraux de l'Etat.

Voilà, messieurs, dans quel sens nous sommes opposés au paragraphe additionnel.il y aurait ensuite l'inconvénient d'admettre dans la circulation des billets dont les uns auraient, outre l'hypothèque générale, une hypothèque spéciale qui manquerait aux autres. Nous croyons qu'il faut les maintenir tous sur la même ligne.

Lorsque nous en viendrons, et sans doute ce principe ne peut manquer, dans un avenir plus ou moins rapproché, de passer dans notre législation, lorsque nous en viendrons sérieusement et définitivement du papier-monnaie, au nom, au compte et au profit de l’Etat, il s’agira d’examiner si l’on doit donner à ce papier-monnaie, outre la garantie générale des biens de l’Etat, une affectation spéciale sur certaines productives ; par exemple, les canaux, les chemins de fer. C’est là une question réservée.

M. de Garcia. - J'avoue que je conçois difficilement la portée des observations qu'on a fait valoir pour obtenir une affectation et un privilège spécial pour certaines obligations de l’Etat. Evidemment, en agissant ainsi, vous discréditer le crédit général de l'Etat, qui doit donner une garantie égale et commune à tous ses créanciers. Selon moi, ce système est faux et contraire aux vrais intérêts de la fortune publique. Tous les revenus et tous les biens de l'Etat sont et doivent rester le gage commun de tous ses créanciers. L'on ne peut, sans injustice, diminuer la garantie des uns pour augmenter celle des autres. Du reste, en fait et en pratique, je ne puis concevoir l'exécution que peut recevoir une disposition aussi injuste et aussi peu politique. Pour étayer ce système, on a invoqué l'exemple des los-renten ; on a dit que la loi qui avait créé ces obligations donnait une hypothèque spéciale sur les biens que le gouvernement voulait vendre. Cette hypothèque n'était qu'apparente, prouve ma thèse, et je le prouve. Qu’est-il arrivé en 1830 ? C'est que les porteurs de ces obligations remboursables à une date fixe n'ont pu exécuter le gouvernement, ni obtenir sur lui le payement intégral de leurs créances, Il devait en être ainsi ; à mes yeux, parce que tous les principes de gouvernement et de bonne administration ne permettent pas l'expropriation de la fortune publique au profit d'intérêts particuliers. Il faut donc reconnaître qu'on veut s'occuper d'une mesure qui, au fond, ne peut recevoir une exécution réelle. Une seule chose est vraie en matière d'obligations créées par l'Etat ; c'est que tous les revenus et tous les biens de l'Etat sont le gage commun de tous ses créanciers.

Entre particuliers on arrive à la distribution de l'actif par privilège par hypothèque ou au marc le franc ; mais il ne peut en être ainsi envers l'Etat. Une fortune particulière détruite, la loi laisse les moyens de la liquider ; mais la fortune publique détruite, il ne reste aucune ressource.

D'après ces considérations, en droit comme en fait, je ne puis m'expliquer l'insistance qu'on semble mettre à obtenir une hypothèque ou un privilège spécial pour garantir l'émission du papier-monnaie dont s'agit. Au surplus, si je suis dans l'erreur, je serai heureux qu'on veuille m'en faire sortir.

M. de La Coste. - J'ai en vue seulement de faire une observation qui m'a paru assez importante, relativement à ce qu'a dit l'honorable M. de Mérode.

Il a dit qu'on entrait dans une voie nouvelle ; qu'on créait un autre genre de billets, de véritables assignats. Je pense qu'il y a erreur dans cette supposition : nous étendons l'émission des billets de. la Société Générale, auxquels nous avons donné un cours forcé par la loi du 20 mars. Les billets dont nous autorisons aujourd'hui la création sont absolument de la même nature, et les garanties quelconques qu'offre cette société appartiennent à ceux-là comme aux autres ; j'entends les garanties générales qui consistent dans tout l'avoir de la Société et qui se joignent à la garantie de l'Etat.

M. de Mérode. - Messieurs, jusqu'à présent ce sont les propriétés de la Société Générale qui servent de doublure aux billets de banque dont nous avons autorisé l'émission, mais maintenant, quelle est la doublure ? Ce n'est plus rien. Nous permettons à la Société Générale d'émettre encore pour 12 millions de billets de banque, et quand on demande quelle en est la garantie, vous ne dites plus que ce sont les biens de la Société Générale, vous dites que c'est l'Etat. Mais l'Etat, c'est tout bonnement le débiteur de tous les effets publics, et, malgré toute la confiance que nous avons en l'Etat, ces effets subissent une perte de 35 p. c. En présence de cet état de choses, vous voulez qu'il émette des billets au pair ! C'est vraiment abuser de la création des billets de banque. Ne confondons pas l'Etat avec la Société Générale. Nous avons accordé à la Société Générale la faculté d'émettre des billets, mais ce n'est pas pour l'Etat, c'est pour elle-même. Maintenant nous autorisons la Société Générale à émettre des billets pour compte de l'Etal, mais vous allez donc confondre les affaires de l'Etat avec celles de la Société Générale ; l’Etat et la Société Générale ne seront plus qu'une seule et même chose ! C'est là un ordre d'idées tout à fait nouveau, et je demande qu'avant de poser un semblable principe, on veuille bien au moins y réfléchir.

Je demandé que la discussion soit renvoyée à demain.

M. d'Elhoungne, rapporteur. - Messieurs, il y a deux manières d'envisager la disposition contenue dans l'article qui nous occupe. On peut considérer les 12 millions que le gouvernement va émettre, comme une sorte d'emprunt extraordinaire, destiné à couvrir des besoins également extraordinaires, et dans cette hypothèse un semblable emprunt devrait être garanti par un gage spécial comme l'émission qui a eu lieu, précédemment. Eh effet, en cette matière je considère comme un principe dont on ne peut pas s'écarter, de ne pas émettre de papier de circulation qui ne soit la représentation d'une valeur certaine et facilement réalisable. Mais on peut encore considérer l'émission de ces 12 millions sous un autre point de vue, on peut la considérer comme l'émission d’un papier du gouvernement, uniquement destiné à faciliter le service du trésor public et ne devant servir, par conséquent, qu'à anticiper sur les rentrées ordinaires du budget ; or dans ce cas les recettes du budget en forment la garantie spéciale.

Je dis que c'est sous ce dernier point de vue qu’il faut envisager l’émission dont il s’agit maintenant.

En effet, d'après la rédaction de l’article, lorsque le gouvernement aura mis en circulation pour douze millions de billets de banque destinés à faire le service du trésor, et lorsqu'ils rentreront ensuite dans la caisse de l’Etat, le gouvernement ne pourra pas les appliquer à des dépenses non votées. C’est donc un simple moyen de faciliter le service du trésor, moyen aujourd'hui bien plus nécessaire que jamais.

Depuis que M. le ministre des travaux publics a fait l'observation qu'il voulait uniquement, exclusivement restreindre les douze millions au service de la trésorerie ; depuis qu’il a ainsi donné à ces 12 millions pour gage spécial les rentrées du trésor, qui sont à coup sûr une valeur très réelle, très certaine, je ne vois plus de difficulté, en ce qui me concerne, à admettre la proposition du gouvernement. Nous ne ferons en cela que ce qui existe depuis longues années en Prusse ; et, si je ne me trompe, en Prusse, ces billets sont constamment l'objet d'une certaine prime.

Je pense donc que l'on pourrait se borner à voter l'article du gouvernement.

M. de Mérode. - Je demande formellement que le vote de ce article soit renvoyé à demain.

- Cette proposition est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

M. Manilius. - Messieurs, il est convenu que ces 12 millions doivent servir uniquement à faire le service de la trésorerie. Je pense qu'il serait convenable que les billets appartenant à cette émission, fussent reconnaissantes, qu'ils fussent émis comme billets du trésor et non pas comme billets de banque,

Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Manilius. - Je voulais proposer simplement qu'ils fussent revêtus d'un timbre spécial. (Interruption). Si vous ne prenez pas cette précaution, vous ne pourrez plus distinguer ces billets des autres billets de banque. (Nouvelle interruption.) Du reste, je ne ferai pas de proposition formelle, mais j'appelle l'attention du gouvernement sur ce point.

M. Orban. - Il y a, messieurs, une garantis spéciale pour les 12 millions dont il s'agit en ce moment, car ces 12 millions ne doivent pas, en réalité, augmenter la masse des billets en circulation, ils ne sont destinés qu'à remplacer les recettes du trésor jusqu'à ce que celles-ci soient effectuées. Ainsi, lorsque l'Etat sera en possession des moyens que le budget met à sa disposition, ces billets rentreront dans la caisse et cesseront de circuler, de sorte que ces 12 millions ne devront jamais être remboursés comme les autres billets de banque.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Les honorables MM. d'Elhoungne et Orban ont très bien expliqué les facilités qui résulteront de l'émission facultative de billets de banque ; elle serait une anticipation, dans certaines circonstances, sur les rentrées que le budget des voies et moyens a créées au trésor et par, conséquent elle sera couverte par des ressources réelles et n’a pas besoin d'autre garantie.

Mais cette émission, vous le savez déjà, messieurs, doit encore rendre un autre service. Elle tiendra lieu des bons du trésor, qui seraient donnés en payement des impôts, quand il n'aura pas été pourvu à leur remboursement par les ressources de l'emprunt, c'est-à-dire, pour tous les bons dont l'échéance est postérieure au 1er septembre prochain. Il en est entré dans le courant des mois de mars et d'avril ; il en rentrera, tous les mois, des sommes plus ou moins considérables, et il ne faut pas que l'équilibre des recettes et des dépenses puisse être bouleversé par ces rentrées anticipées. L'émission supplémentaire prévient d'une manière efficace les embarras qu'on aurait à redouter sans elle.

M. Malou. - Je ferai seulement remarquer à la chambre que l'opération autorisée par l'article équivaut exactement à une prise de bons du trésor par la Société Générale.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Sans intérêt.

(page 1638) M. Malou. - Oui, sans intérêt.

- L'amendement de la section centrale est mis aux voix : il n'est pas adopté.

L'article 7 est ensuite adopté tel qu'il a été proposé par le gouvernement.

Article 8

« Art. 8. Le gouvernement déterminera la quantité proportionnelle des coupures de 20 et de 5 francs qui seront comprises dans l'émission autorisée par la présente loi.

« Il pourra déclarer ces coupures, ainsi que celles de 50 francs, remboursables en numéraire, si la nécessité de cette mesure lui est démontrée.

« Le dernier paragraphe de l'article premier de la loi du 20 mars 1848 est rapporté.

« Le droit de timbre pour les coupures de 50 francs et au-dessous est fixé à un demi p. c. »

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Le dernier paragraphe porte : « Le droit de timbre pour les coupures de 50 fr. et au-dessous est fixé à un demi pour cent. »

Cette rédaction s'écarte de celle qui est adoptée par la loi spéciale sur le timbre ; celle-ci précise les prix du timbre et les sommes par séries et sans fraction, afin qu'on puisse d'avance faire graver les timbres à un nombre limité. S'il s'agissait d'insérer la modification dans une loi spéciale sur le timbre, il faudrait assurément suivre la marche ordinaire ; mais on peut, jusqu'à un certain point, admettre qu'il ne doit pas en être de même quand il s'agit d'une disposition accessoire dans une loi qui a un tout autre objet. Cependant, pour se conformer aux usages consacrés, il paraîtra peut-être préférable à la chambre de déterminer les sommes par séries. Afin de la mettre à même d'en juger, je proposerai un amendement, qui pourra être examiné demain. Il serait ainsi conçu :

« Le droit de timbre sur les billets de banque de 50 fr. et au-dessous, émis en vertu de la présente loi et de la loi du 20 mars 1818, est réduit :

« Pour ceux de 5 fr. et au-dessous, à 2 1/2 centimes.

« Pour ceux au-dessus de 8 fr. jusqu'à 10 fr., à 5 centimes.

« Pour ceux au-dessus de 10 fr. jusqu'à 20 fr., à.10 centimes.

« Pour ceux au-dessus de 20 fr. jusqu'à 50 fr., à 25 centimes.

M. le président. - L'amendement sera imprimé et distribué,

- La chambre remet à demain la suite de la discussion.

La séance est levée à 8 heures moins un quart.