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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 12 mai 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1646) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi et demi.

- La séance est ouverte.

M. Troye donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

«Plusieurs ouvriers passementiers-galonniers, à Bruxelles, demandent que les ouvrages de passementerie ne soient plus confectionnés dans les prisons et les dépôts de mendicité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lardinois demande que les billets de banque dont l'émission serait autorisée, soient fractionnés en coupures de 5, 10, 25, 50 et 100 francs seulement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'émission de billets de banque.


« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers présente des observations sur le projet de loi qui rend l'emploi du papier timbré obligatoire pour les effets de commerce et propose des réductions sur le droit de timbre. »

- Sur la proposition de M. Osy, renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Plusieurs habitants et propriétaires, dans la vallée du Demer, en amont de Diest, demandent l’exécution de travaux nécessaires pour mettre cette vallée à l'abri des inondations. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de la commune de Puers prient la chambre de rejeter la demande qui tend à interdire au greffier de la justice de paix du canton de faire le commerce. »

- Même renvoi.

Projet de Loi prorogeant le délai fixé par l'article de la loi du 16 mai 1847, relative au régime de surveillance des fabriques de sucre de betterave

Rapport de la section centrale

M. Lesoinne dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif à la prorogation du délai fixé par la loi du 16 mai 1847, concernant l'accise sur le sucre.

Projet de loi qui déroge temporairement aux dispositions dès paragraphes 2 et 3 de l'article 5 de la loi du 21 juillet 1844 sur les droits différentiels

Rapport de la section centrale

M. Loos dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi établissant, en ce qui concerne la relâche à Cowes, une dérogation à la loi du 21 juillet 1844.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et met ces projets de loi à la suite de l'ordre du jour.

Motion d'ordre

Libération d'une détenue gravement malade

M. Verhaegen. - Un journal du matin nous révèle un quasi déni de justice criminelle, sur lequel je m'empresse d'attirer l'attention de M. le ministre de la justice, persuadé que je suis que dans sa haute sagesse il saura porter un remède au mal.

Messieurs, je me hâte de le dire, loin de moi de vouloir faire le moindre reproche aux autorités judiciaires que la chose concerne ; toutes ont cherché à concilier les sentiments d'humanité avec les devoirs que leur imposent leurs fonctions ; malheureusement la loi ne leur a pas permis de répondre à l'impulsion de leur cœur.

Voici le fait :

Une femme âgée de 27 ans avait été incarcérée en décembre 1847 sous l'accusation de s'être rendue coupable de vol domestique. A son entrée en prison, elle jouissait d'une santé parfaite ; 8 mois de détention préventive ont suffi pour la faire tomber en phtisie, au point qu'au moment d'être jugée et mise en liberté par suite d'acquittement qui ne paraît pas douteux, le mal a fait de si violents progrès qu'il ne lui reste plus peut-être que quelques jours à vivre ! La malheureuse en est réduite, dit-on, à ne plus former qu'un vœu, à ne concevoir qu'un espoir : celui de pouvoir aller mourir dans son village, auprès de sa mère, et encore fallait-il pour cela qu'elle fût jugée au plus vite.

D'après la lettre d'un honorable membre du barreau de Bruxelles, insérée dans le journal auquel j'ai fait allusion, M. le président de la cour d'assises mit la plus louable obligeance à fixer le jour le plus prochain pour le jugement de l'affaire ; mais lorsque lundi dernier l'accusée était déjà amenée à la barre de la cour, un médecin légiste, requis instantanément, est venu constater que l'état de cette malheureuse femme ne permettait pas qu'elle fût soumise aux fatigues des débats. La cause a dont été remise indéfiniment, au grand désespoir de l'accusée et malgré ses protestations.

Ainsi la mesure prise dans l'intérêt de la santé de l'accusée aura pour conséquence de la faire mourir en prison, alors que, si on l'avait jugée, elle serait aujourd'hui, selon toute probabilité, en liberté.

L'avocat de l'accusée s'adressa alors à M. le procureur général et sollicita, comme un acte d'humanité, la mise en liberté momentanée de celle dont la santé avait été considérée, par la justice, comme un obstacle à l'ouverture des débats, devant la cour d'assises ; mais M. le procureur général, à son grand regret, crut ne pas pouvoir accorder une demande que la loi repousse par son texte.

Cependant il y a quelques précédents.

Hennebert, condamné à Liège pour faux, par contrefaçon des billets de la banque Liégeoise, a été transféré dans une maison de santé.

Le général Vandermeeren a été autorisé à se retirer chez sa mère pendant un mois quand il était accusé d'un crime contre la sûreté de l'Etat.

Il y a aussi le précédent de Retsin, mais il est trop odieux pour l'invoquer.

Quoiqu'il en soit l'accusée prétend, et à juste titre, que, si elle ne peut pas être mise momentanément en liberté, on n'a pas le droit de ne pas la juger.

Aussi, si mes renseignements sont exacts, vient-elle de faire sommer M. le président de la cour d'assises et M. le procureur général de laisser à la justice son cours et de procéder à l'ouverture des débats.

Si la sommation reste sans résultat, de fait on condamne celle malheureuse à mourir en prison.

Je supplie de nouveau M. le ministre de la justice de prendre des mesures immédiates pour que les sentiments d'humanité puissent se concilier avec la rigueur de la loi.

(page 1647) M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - J'ai lu, comme l'honorable préopinant, dans un journal du matin, la lettre d'un honorable membre du barreau qui révèle le fait qui vient de vous être raconté. Il m'a paru en effet très grave, non pas au point de vue de la loi, cela n'est pas douteux, mais au point de vue de l'humanité ; et je suis persuadé que mon honorable collègue, M. le ministre de la justice, aura déjà pris des mesures à cet égard, s'il croit pouvoir le faire en présence de la législation.

M. Tielemans. - Je me rallie complètement aux observations qui viennent d'être faites par M. le ministre des travaux publics et à la conclusion présentée par l'honorable H. Verhaegen. Mais j'aurais désiré que l'honorable M. Verhaegen rappelât ici un de ces grands principes que la législation a toujours consacrés et qu'il est utile d'invoquer dans l’intérêt même de la malheureuse femme dont il vient de parler. C'est que mil n'est présumé coupable, nul ne peut être considéré comme coupable, s'il n'a été définitivement jugé et condamné ; cette femme donc, si elle meurt avant d'être jugée, sera morte innocente.

Projet de loi autorisant une nouvelle émission de billets de banque de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale

Discussion des articles

Article 8

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'article 8, ainsi conçu :

« Art. 8. Le gouvernement déterminera la quantité proportionnelle des coupures de vingt et de cinq francs qui seront comprises dans l'émission autorisée par la présente loi.

« Il pourra déclarer ces coupures, ainsi que celles de cinquante francs, remboursables en numéraire, si la nécessité de cette mesure lui est démontrée.

« Le dernier paragraphe de l'article premier de la loi du 20 mars 1848, est rapporté.

« Le droit de timbre pour les coupures de cinquante francs et au-des-tous est fixé à un demi pour cent. »

M. le ministre des finances propose de remplacer le dernier paragraphe par la disposition suivante :

« Le droit de timbre sur les billets de banque de 50 francs et au-dessous, émis en vertu de la présente loi et de la loi du 30 mars 1848, est réduit :

« Pour ceux de 5 fr. et au-dessous, à 2 1/2 centimes.

« Pour ceux au-dessus de 8 fr. jusqu'à 10 fr., à 5 centimes.

« Pour ceux au-dessus de 10 fr. jusqu'à 20 fr., à.10 centimes.

« Pour ceux au-dessus de 20 fr. jusqu'à 50 fr., à 25 centimes. »

M. le ministre des finances (M. Veydt). – En vous présentant hier mon amendement, j'ai annoncé que mon intention était d'appeler l'attention de la chambre sur cette question du timbre et sur la manière de la résoudre, si on voulait se conformer à la loi spéciale du 21 mars 1839. Je ne sais encore à quelles observations cet amendement pourra donner lieu. En ce qui me concerne, j'ai réfléchi à la quotité du droit de timbre pour les petites coupures de billets.

S'il n'y avait pas de modification, le droit serait un obstacle à leur création, car il est, suivant la loi de 1839, de 10 p. c. pour un billet de 5 francs.

Un demi pour cent est un droit bien élevé encore. Les grosses sommes, les billets de banque de 1,000 fr. par exemple, ne payent qu'un droit de timbre d'un franc par 1,000 fr. Or, il y a une dépense plus considérable à faire pour les petites coupures ; un billet de 20 fr. coûte autant pour le papier et la main-d'œuvre qu'un billet de mille.

Il est donc juste d'accorder une réduction supérieure à un demi pour cent. Pour que la mesure d'une très large émission de petites coupures, mesure si nécessaire et si vivement sollicitée partout, ne rencontre aucun obstacle, je pense que la chambre ferait bien de consacrer le principe dans la loi que le droit du timbre sur les petites coupures sera d'un ou de deux francs au maximum par mille.

Je dois poser le principe, car on peut objecter que ce n'est pas ici la place d'établir le droit de timbre suivant des séries. Je crois d'ailleurs que l'on satisfera à tous les besoins, en n'admettant que des coupures de 100, 50, 20 et 5 francs pour les billets de banque. S'il y avait utilité d'en admettre une cinquième, ce serait celle de dix francs ; mais nous lisons dans le rapport de la section centrale que l'admission n'en a pas été jugée nécessaire.

M. Mercier. - Messieurs, je viens appuyer la proposition de M. le ministre des finances. Il y aurait de l'anomalie à exiger pour les petites coupures un droit de timbre relativement plus considérable que celui qu'on exige pour les coupures d'une valeur plus élevée, alors que nous avons intérêt à multiplier les petites coupures.

J'appuie donc l'amendement de M. le ministre des finances, qui consiste à fixer à 1 p. c le droit de timbre sur les petites coupures. On peut d'autant plus accueillir cette proposition que la chambre a porté hier à 4 p. c. l'intérêt de 3 p. c. que la section centrale proposait d'exiger de la Société Générale.

Il me paraît donc convenable de réduire à 1 p. 1,000 le droit de timbre sur les petites coupures.

M. Moreau. - La rareté du numéraire s'accroît de jour en jour et il faut bien faire quelque chose pour le remplacer dans les transactions surtout de peu d'importance ; il faut bien créer quelque chose pour payer le salaire des ouvriers, surtout dans les centres industriels.

C'est pour atteindre ce but que des maisons de Verviers, cédant à la demande de nombreux industriels, se sont entendues pour créer un papier-monnaie remboursable dont les coupures seraient d'un et de deux francs.

Ces maisons, dont la solvabilité ne laisse rien à désirer, garantiraient le remboursement de ces coupures qu'ils émettraient pour la somme de 80,000 francs, remboursement toutefois qui, pour éviter trop de travail et de peines, n'aurait lieu que pour autant qu'on présentât à la caisse des billets pour la somme de 20 francs.

Mais, messieurs, la loi sur le timbre qui frappe ces billets d'un droit de timbre de 50 centimes met un obstacle insurmontable à cette mesure sage et avantageuse ; car pour faire l'émission de 40,000 de ces billets d'un franc on devrait payer 20,000 fr. et pour les 20 autres mille de 2 fr. dix mille francs.

Comme vous êtes appelés à décider quel sera le droit de timbre sur les petites coupures à émettre par la Société Générale, vous pouvez, ce me semble, décider également que la mesure que vous allez prendre sera applicable à cette catégorie de billets ou que même ils seraient exempts de tout droit de timbre, exemption déjà accordée en faveur des établissements de bienfaisance, et certes on peut très bien considérer comme une œuvre de bienfaisance l'opération qu'on se propose de faire à Verviers.

Si vous adoptez cette proposition, vous favoriserez la formation dans d'autres villes industrielles de semblables sociétés qui, en émettant, bien entendu dans certaines limites, de petits billets de l'espèce, feront chose utile et très avantageuse à l'industrie et au petit commerce.

M. Tielemans. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appuyer la proposition de M. le ministre des finances. Cependant, je dois lui présenter une observation. Il y a eu une première émission de billets timbrés d'après la loi du 21 mars 1839. Cette loi fixe le timbre à 50 centimes pour les billets au-dessous de 500 francs.

Or, il y a eu des billets de 50 francs émis en grande quantité, et ces billets ont payé 50 centimes. Si donc le projet sous-amendé par M. le ministre des finances est admis, il en résultera que vous aurez dans la circulation deux espèces de billets de 50 fr., les uns timbrés à 80 centimes et les autres timbrés d'après la nouvelle base que M. le ministre propose d'établir par son amendement. Je crois, messieurs, qu'il y a là un inconvénient. Il faudrait que tous les billets de 50 francs fussent timbrés de même, afin que le public ne pût faire entre eux aucune distinction.

Je proposerai donc de laisser subsister le timbre de 50 centimes pour toutes les coupures de 50 fr. et au-dessus, et de n'appliquer le taux d'un par mille qu'aux coupures inférieures à 50 fr. De cette manière il n'y aura plus d'inconvénient à craindre. Je sous-amende la proposition de M. le ministre en ce sens :

« Le droit de timbre pour les coupures au-dessous de 50 fr., est fixé à un pour mille. »

M. Delfosse. - J'avais demandé la parole pour présenter les mêmes observations que l'honorable M. Tielemans. Nous ne devons pas modifier la législation sur le timbre pour les billets de 50 fr. et au-dessus ; nous ne devons appliquer la disposition proposée par M. le ministre des finances qu'aux billets de moins de 50 fr. Le projet primitif frappait ces coupures d'un droit de 1/2 p. c, soit 5 pour mille. M. le ministre des finances propose de réduire le droit de 5 p. c. à 1 p. c. ; mais alors les billets de 5 fr. ne payeraient qu'un demi-centime. Il faudrait fixer le droit à 2 p. c., cela ferait un centime pour un billet de 5 fr.

Sauf cette modification, je me rallie à la proposition de l'honorable M. Tielemans.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - J'adopterai la proposition de l'honorable M. Delfosse de fixer le droit à deux francs par mille francs. Alors les billets de 5 francs payeront un centime. Pour faire droit à la remarque de l'honorable M. Tielemans, les billets au-dessous de cinquante francs devraient seuls profiler de cette réduction sur le timbre. Voici un amendement qui réalise les deux idées : « Le droit de timbre sur les coupures de moins de 50 francs est fixé à 2 par mille. »

M. Lys. - Messieurs, mon honorable collègue, M. Moreau, vient de vous parler de coupures de billets que le commerce de Verviers veut émettre. Il vous a fait sentir que cette émission ne pourrait pas avoir lieu, si le droit de timbre, tel qu'il existe aujourd'hui, continue à se percevoir ; qu'en présence de ce droit il ne serait pas possible d'émettre ces petits billets de 1 et de 2 fr. dont on vous a parlé. Vous savez, messieurs, que le gouvernement a fourni à une casse d'escompte de Verviers une somme de 180,000 fr., qu'il a proposé, de porter à 240,000 fr. ; mais vous savez aussi que cette caisse d'escompte paye pour cette avance, au gouvernement, un intérêt de 4 p. c ; vous savez également que la caisse d'escompte est garantie, par des signatures du commerce, pour une valeur beaucoup plus considérable. Le gouvernement ne fait aucun sacrifice en faveur du commerce de Verviers. Cependant, messieurs, ce commerce mérite beaucoup de considération, car, remarquez-le bien, en ce moment-ci, le commerce de Verviers fournit du travail à 50,000 ouvriers.

Dans l'arrondissement de Verviers vous trouvez 50 mille ouvriers qui vivent de la fabrication du drap, et jusqu'à présent le commerce de Verviers ne réclame aucun subside du gouvernement. Je crois que la demande dont il s'agit mérite toute l'attention de la chambre. Les négociants (page 1648) de Verviers veulent émettre des coupures d'un et de deux francs pour suppléer au manque d'argent ; et ils s’engagent à les rembourser toutes les fois qu'on en présentera pour une somme de 20 fr. à leur caisse. Ce papier est donc absolument comme de l'argent, il n'y a pas la moindre différence. Je pense que pour ces coupures que le commerce de Verviers demande à émettre, on pourrait accorder l'exemption du timbre, Ce serait une faveur, à la vérité ; mais dans les circonstances actuelles, cette faveur est méritée ; car, vous le savez, jamais la fabrique drapière de Verviers n'a demandé de subside, et je crois qu'elle pourra continuer à travailler sans vous en demander ; au moyen de l'emprunt qu'elle veut faire, elle suppléera au défaut d'argent, pour le payement du salaire de l'ouvrier qui, avec ces petites coupures, toujours, échangeables, comme je l'ai dit, pourra facilement se procurer tout et qui est nécessaire à son alimentation.

M. Cogels. - L'observation de l'honorable M. Tielemans n'obvie pas à l'inconvénient qu'il a signalé ; car il a perdu de vue les billets de 20 fr. créés au timbre de 50 c, par conséquent vous aurez des billets de 20 francs à 2 timbres différents. Pour moi je n'y vois pas d'inconvénient. Il ne faut pas continuer à frapper d'un timbre de 50 c. les billets de 50 fr. ; sans cela les établissements ne feraient que de petites et de grosses coupures et il n'y aurait pas d'intermédiaires entre les billets de 5 à.20 fr. et ceux de 500 fr. et plus.

Je ne pense pas que le timbre au dos du billet soit de nature à faire reconnaître la sincérité du billet ; je ne vois pas d'inconvénient à faire participer tous les billets nouveaux à la réduction du timbre. Si vous vouliez adopter la proposition de M. Tielemans, il faudrait l'étendre aux billets de 20 fr.

M. Lejeune. - Je pourrais renoncer à la parole, car je voulais présenter les observations que vient de faire l'honorable M. Cogels. Je ne conçois pas les inconvénients qui pourraient résulter de l'existence de billets de 50 fr. frappés de timbres différents. Si l'inconvénient qu'on redoute pouvait exister, la proposition ne le préviendrait pas, car il se représenterait pour les billets de 20 fr.

M. Eloy de Burdinne. - Je pense que dans l'intérêt du commerçant et de l'industrie, nous devons favoriser l'émission de petits, billets. C'est pourquoi je serais d'avis de frapper d'un timbre supérieur les billets de mille et de 500 fr., et de réduire celui des petites coupures ; cela engagerait à augmenter le nombre de ces dernières.

C’est mon opinion. Je crois que c'est l'opinion générale du commerce et de l'industrie.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Si on est d'accord qu'il n'y a pas d'inconvénient à ce qu'il circule d'anciens billets de 50 et de 20 fr. frappés du timbre de 50 centimes, en même temps que d'autres avec un timbre moindre, nous pourrions arriver à une mesure générale qui serait simple et rationnelle ; ce serait que pour les coupures de 100 fr. et au-dessous le timbre fût de une par mille. D'après l'observation de l'honorable M. Eloy de Burdinne, il n'y a pas assez de coupures de 100 fr. Si le timbre était réduit, il serait d'autant plus facile d'en faire augmenter le nombre.

M. Delfosse. - J'engage la chambre à s'en tenir à l'amendement de l'honorable M. Tielemans, tel que je l'ai modifié. Ne changeons pas l'ancienne législation sur le timbre, si ce n'est pour les petites coupures dont on sent le besoin. Laissons le droit de timbre tel qu'il est pour les billets de 50 francs et au-dessus. Dans un moment où nous accordons tant d'avantages à la Société Générale, ne lui accordons pas en outre l'avantage d'une réduction sur le droit de timbre.

Nous paraissions tous d'accord : M. le ministre des finances s'était rallié aux observations de l'honorable M. Tielemans et aux miennes. Il admettait le droit de deux par mille pour les coupures de moins de 50 fr.

On vient de faire observer qu'il y a des billets de 20 fr. ; mais ils sont en petit nombre ; la Société Générale en a, je pense, émis pour 500,000 fr. C'est une émission exceptionnelle qui ne doit pas nous déterminer à modifier la loi sur le timbre.

Je persiste à demander l'adoption de la proposition qui résulte des observations de l'honorable M. Tielemans et des miennes, auxquelles M. le ministre des finances s'était rallié.

M. de Brouckere. - Le but principal du gouvernement, en nous engageant à diminuer le droit de timbre, n'est pas de favoriser la Société Générale. Le but qu'on a en vue c'est de faire en sorte qu'il y ait le plus grand nombre possible de petites coupures. Si vous laissée le droit de timbre tel qu'il est, vous ne pourrez pas avoir assez de petites coupures, parce qu'on aura trop d'intérêt à ne faire que des billets de 500 fr. et de 1,000 fr.

M. Delfosse. - Nous sommes d'accord.

M. de Brouckere. - Pas du tout ! Nous ne sommes nullement d'accord.

On parle constamment des inconvénients qu'il y aurait à ce que des billets de même valeur fussent frappés de timbres différents ; mais personne n'a signalé ces inconvénients. Quant à moi, je ne les entrevois pas. Le timbre apposé sur les billets n'est qu'une mesure fiscale.

M. d'Elhoungne. - Il donnera une date aux billets. Voilà tout.

M. de Brouckere. - Soit ; mais il ne leur donnera aucune valeur nouvelle.

Je le répète, je ne vois aucun inconvénient à ce que des billets de même valeur soient frappés d'un timbre différent. J'attends qu'on me démontre que je me trompe.

La chambre ne doit, avoir ici en vue qu'une chose, c'est de faire en sorte qu'il y ait un grand nombre de petites coupures ; Sinon, la circulation des billets deviendra tellement difficile que toutes les transactions seront interrompues.

Lorsque, dans les mains de personnes qui ne font pas de commerce, il n'y aura que des billets de 1,000 ou de 500 fr. sans aucun moyen de les changer contre de petites coupures, comment fera-t-on pour subvenir aux dépenses journalières ? Il n'y aura aucun moyen, à moins de faire de grands sacrifices.

Il faut donc que les petites coupures soient dans une très forte proportion. Nous ne pouvons obtenir ce résultat qu'en diminuant le droit du timbre. J'appuie donc la mesure qui tend à frapper d'un droit de timbre de 2 pour mille tout billet au-dessous de 500 fr.

M. d'Huart. - On perd de vue la première disposition de l'article 8, aux termes de laquelle le gouvernement déterminera la quantité proportionnelle des coupures de 20 fr. et de 5 fr., qui seront comprises dans l'émission autorisée par la loi. Ainsi la question du timbre est sans influence sur cette proportion, dont la fixation dépend entièrement du gouvernement.

M. David. - Nous sommes tous d'accord que les besoins du commerce et des transactions journalières réclament un plus grand .nombre de petites coupures.

Mes honorables amis, MM. Moreau et Lys, ont fait une proposition qui tend à remédier au mal, quant à Verviers. Je demanderai à M. le ministre des finances de s'expliquer sur ce point.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je pense que l'article 8 en son dernier paragraphe n'est applicable qu'aux billets de banque ayant cours de monnaie légale et qui doivent se subdiviser en petites coupures. Tout autre bon de caisse ou billet au porteur reste sous l'application de la loi du 21 mars 1839, loi spéciale sur le timbre, qui frappe d'un droit de 50 centimes tout billet de ce genre de 500 francs et au-dessous.

Voilà l'objection légale qu'il y a contre la proposition de l'honorable M. Lys.

Il n'appartient pas au gouvernement d'autoriser de frapper d'un timbre inférieur à 50 centimes les petits billets, ne fussent-ils même que d'un franc. Il faudrait une stipulation expresse dans la loi qui l'y autorisât.

M. Tielemans. - J'avais demandé la parole pour faire l'observation qu'a présentée l'honorable M. d'Huart, et pour rappeler le premier paragraphe de l’article 8. En vertu de cette disposition, le gouvernement aura le droit de rendre les petites coupures aussi nombreuses que le réclameront les besoins du commerce.

Je dois cependant un mot de réponse à l'honorable M. Cogels. Il prétend que la banque ayant intérêt à ne pas émettre beaucoup de petites coupures, s'abstiendra d'émettre beaucoup de billets inférieurs à 50 francs ?

Je crois que la banque comprend assez bien ses intérêts pour savoir que ce qui lui importe avant tout, c'est que ses billets circulent, et ses billets ne circuleront qu'autant qu'elle émettra les coupures que les besoins de l'industrie et du commuée exigent ; et lorsque la banque présentera au timbre des billets qui pourraient ne pas circuler, le gouvernement aura le droit de dire : Je ne timbre pas.

M. le président. - Voici un amendement présenté par l'honorable M. Lys :

« Les autres billets dont le gouvernement autorisera l'émission subiront la même réduction proportionnelle du droit de timbre. »

M. Lys. - Messieurs, je crois qu'on ne doit pas faire jouir la Société Générale seule des avantages de la réduction du timbre. Je pense qu'il faut venir au secours de toutes les localités, et, comme j'ai eu l'honneur de vous l'expliquer tout à l'heure, les localités qui ne demandent aucun secours, aucun subside au gouvernement, doivent être protégées par la chambre.

La mesure que prend le commerce de Verviers a pour but de venir au secours de ses nombreux ouvriers. Il veut émettre des billets de 1 et 2 fr. qui sont échangeables à ses caisses. Je pense que le commerce de Verviers, qui désire faire cette émission, émission que pourra aussi proposer quelque autre centre commercial, mérite autant d’égards que la Société Générale, et je crois qu'on doit lui appliquer la mesure qu'on prend en faveur d'un grand établissement financier.

Nous ne demandons pas une faveur extraordinaire- ; nous demandons une mesure de justice et d'équité, et je pense que personne ne s'opposera à mon amendement, que M. le ministre des finances voudra même bien le soutenir.

M. Lebeau. - Je viens d'entendre M. le ministre des finances déclarer que dans son opinion, la réduction sur le droit de timbre s'appliquait exclusivement aux billets de la Société Générale. Messieurs, c'est là un véritable privilège. De quel droit ferez-vous simplement pour les billets de la Société Générale une réduction notable sur le droit actuel du timbre, quand vous maintiendrez pour d'autres établissements financiers le droit de timbre tel qu'il est établi aujourd'hui ?

Il y a déjà des papiers appartenant à une autre banque qui sont érigés en monnaie légale.

Je rends la chambre attentive à cette anomalie. Il faudrait au moins, me semble-t-il, que l'on donnât à cet établissement l'option de prendre la même situation que la Société Générale ; qu'il pût opter entre cet intérêt à payer ou une réduction de timbre.

Il me paraît que vous consacrez, sans cela, un véritable privilège réprouvé par l’esprit de notre Constitution, réprouvé surtout par, l'équité. Je me borne à appeler l'attention de la chambre sur ce point.

(page 1649) M. Rousselle. - Je pense que l’amendement proposé par l’honorable M. Lys mérite la considération de la chambre- ; mais il me paraît aussi que ce n'est pas à cette loi que cet amendement devrait se rattacher ; que c'est plutôt à la loi sur les effets négociables de commerce dont la chambre aura très prochainement à s'occuper.

Je demanderai donc, par motion d'ordre, que cet .amendement soit renvoyé à la section centrale chargée d'examiner la loi du timbre sur les effets négociables de commerce. :

M. Cogels. - Je pense qu’il y aurait inconvénient à adopter cette proposition d'ajournement. Il est possible, que la loi sur les effets de commerce tarde encore à être mise à exécution, tandis que la loi dont nous nous occupons recevra prochainement son exécution.

M. Le Hon. – Il me semble qu'il y aurait un inconvénient grave à l'ajournement qui vous est proposé, si, comme le fait observer l'honorable préopinant, la loi sur le timbre devait subir des retards. La proposition qu'ont faite les honorables députés de Verviers est d'une urgence extrême. Il s'agit de simplifier le mode d'exécution de mesures fort utiles qui ont été entravées jusqu'ici, par la crainte des droits de timbre.

Il est certain, messieurs, que les billets de 1,000 et de 500 fr. qui se trouvent dans les portefeuilles des industriels leur ont été souvent inutiles depuis quelques mois, à défaut de moyens d'échange, pour la paye régulière des ouvriers.

Je sais des établissements qui ont été obligés de faire ces payements en mandats sur des fournisseurs ; par ces mandats, les ouvriers se procuraient les objets nécessaires à l'existence. Mais vous comprenez qu'il faut alors ouvrir des comptes chez divers détaillants des localités, et qu'il serait préférable de pouvoir remettre à l'ouvrier une petite monnaie circulante qui lui permît d’aller acheter, là où il veut, les subsistances indispensables.

Je pense que la proposition de l'honorable M. Lys tend à régulariser une pratique que les nécessités de la situation qui lui est faite depuis le 24 février, ont fait entrer dans les usages de l'industrie, et qui est d'un grand avantage pour l'ouvrier, dont le sort nous préoccupe à bon droit aujourd'hui. Il me paraît donc que puisqu'il ne s'agit pas ici d'effets négociables, qu'il s'agit uniquement d'une véritable monnaie à créer par l’industrie à son usage exclusif, et qui vient en aide à la circulation, il me semble, dis-je, que l'exemption demandée pour la monnaie en dessous de 5 fr. ne peut amener aucun inconvénient pour le trésor. Je crois que vous faciliterez beaucoup les moyens de paye et d'alimentation de la classe ouvrière.

Quant à moi, j'appuie l'amendement comme pouvant entrer dans la loi actuelle.

M. Mercier. - L'honorable préopinant vient de traiter le fond de la question. Il s'agissait purement et simplement d’une question d'ajournement. J'avais aussi la parole sur le fond de la question, mais il me paraît que l'objet est complétement étranger à celui dont nous nous occupons maintenant. Si on veut trancher la question pendant la discussion de l'article 8, nous la traiterons dans la question du fond. J'exposerai alors les raisons pour lesquelles je crois que créer du papier en dehors de celui dont nous nous occupons, c'est déprécier le papier auquel nous donnons un cours légal.

Pour le moment, je me borne à appuyer la proposition d'ajournement, et s'il n’est pas adopté, je demanderai la parole sur le fond.

M. Le Hon. - Messieurs, il me semble extraordinaire que l'honorable M. Mercier trouve qu'on traite le fond quand on prouve la nécessité de l'exécution immédiate de la mesure. La discussion de l'ajournement ne peut pas être séparée des motifs d'urgence.

M. de Brouckere. - Messieurs, je ne veux peint combattre la proposition de l'honorable M. Lys ; elle peut être excellente et il peut être à désirer, qu'elle soit décrétée dans un bref délai ; mais elle ne peut pas trouver sa place dans la loi que nous discutons. Cette loi ne s'occupe que des billets de la Société Générale ; pouvons-nous y insérer une disposition qui concerne toutes les obligations de commerce ? Mais non. Qu'elle fasse l'objet d'une loi spéciale si on le veut ; qu'on demande l'urgence, si on le veut encore, mais l'amendement de l'honorable M. Lys ne peut pas trouver sa place dans la loi que nous discutons,

M. d'Huart. - Nous nous occupons d'une loi spéciale, et dès lors il est évident que nous ne devons pas introduire dans cette loi une disposition qui est de l'essence d'une loi générale. Il y a d'autant plus de motifs d'adopter le renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi relatif aux effets de commerce, que cette commission se réunira encore demain ou peut-être lundi. L'ajournement demandé ne doit pas effrayer les honorables membres qui s'y sont opposés, puisqu'il n'occasionnera qu'un retard fort court.

M. le président. - Comme président de la section centrale, je n'ose pas promettre que son rapport sera fait lundi. Du reste, je consulterai ta chambre.

- La proposition de M. Rousselle est mise aux voix et adoptée.

M. le président donne lecture des différentes propositions qui se trouvent en présence.

M. de Brouckere. - Je demande le maintien de la proposition primitive, qui est ainsi conçue :

« Le droit de timbre pour les coupures de 50 fr. et au-dessous est fixé à 1/2 p. c. »

M. Cogels. - J'avais proposé de fixer le droit à 2 p. mille, pour les billets de 100 fr. et au-dessous.

M. Eloy de Burdinne. - Je crois, messieurs, que nous n'atteindrons pas le but que nous nous proposons. Si vous frappez les billets au-dessous de 100 fr., vous allez singulièrement réduire le nombre de ces billets ; on ne sera pas intéressé à en émettre. Je crois qu'il vaudrait mieux frapper d'un droit plus élevé les billets de 1,000 et de 500 fr. et réduire considérablement le droit de timbre sur les billets au-dessous de 100 fr. C'est le moyen d'en obtenir un grand nombre, comme l’exigent les intérêts du commerce et de l'industrie.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - La proposition de l'honorable M. de Brouckere ne se concilie pas avec le but qu'il veut atteindre.

M. de Brouckere. - Je demanderai une nouvelle lecture de ma proposition.

M. le président donne cette lecture.

M. de Brouckere. - Je me suis trompé en mettant 1/2 p. c, c'est 2 p. mille que j'ai voulu mettre.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je me rallie à l'amendement de M. Cogels.

- L'amendement de M. Cogels est mis aux voix et adopté.

L'article 8 ainsi amendé est ensuite adopté.

Articles 9 et 10

« Art. 9. Le gouvernement pourra instituer une caisse d'épargne destinée principalement à faciliter le placement des économies de la classe ouvrière.

« Il arrêtera les statuts organiques de cette caisse et des succursales dans les provinces. »

« Art. 10. Les porteurs des livrets des caisses d'épargne actuelles pourront obtenir le transfert de leurs dépôts à la caisse d'épargne instituée par l'Etat, en se conformant à ce qui sera prescrit à cet égard par les statuts. »

M. le président. - La section centrale propose de réunir ces deux articles en un seul, qui serait ainsi conçu :

« Il sera institué, sous le patronage et sous le contrôle de l'Etat, une caisse d'épargne destinée principalement à faciliter le placement des économies de la classe ouvrière.

« Les porteurs de livrets des caisses d'épargne actuelles pourront obtenir le transfert de leurs dépôts à la caisse d'épargne instituée par l'Etat, en se conformant à-ce qui sera prescrit à cet égard par les statuts. »

M. le ministre se rallie-t-il à la proposition de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Oui, M. le président ; seulement il y a quelques mots qu'il conviendrait de changer. On dirait : « Destinés à faciliter le placement des petites économies. » Celles-ci seront toutes admises sans faire de distinction entre les déposants. Si le principe posée dans cet article est adopté, il y aura lieu à présenter un projet de loi. Le gouvernement s'est mis en mesure de le faire.

M. Lebeau. - Messieurs, dans la section centrale à laquelle j'appartiens, il avait été entendu et arrêté très expressément dans le procès-verbal, que l'institution des caisses d'épargne ne pourrait émaner que d'une loi. Nous avons pensé, messieurs, que l'institution d'une caisse d'épargne soulevait de si graves questions de crédit, de si graves questions de responsabilité financière et morale pour l'Etat, qu'il n'était pas possible que, quelle que soit la confiance que peuvent inspirer les dépositaires actuels du pouvoir exécutif (les dépositaires responsables), on puisse leur abandonner le soin d'organiser cette institution. Je pense que M. le rapporteur de notre section, qui est en même temps rapporteur de la section centrale, a bien voulu se charger d'exposer cette opinion, et de la défendre au sein de la section centrale. Je demanderai, dès lors, si c'est ainsi qu'il faut entendre l'article, en discussion ; mais alors il est indispensable qu'il soit amendé ;

M. d'Elhoungne, rapporteur. - Messieurs, on lit à la page 9 du rapport de la section centrale.

« Toutefois, la section centrale, qui a admis sans hésiter la création par l'Etat d'une nouvelle caisse d'épargne, et qui n'est pas moins favorable aux transferts qui s'opéreront de la caisse ancienne à la caisse nouvelle, a décidé, à l'unanimité, qu'il suffisait de déposer le principe dans la loi actuelle. Les dispositions fondamentales des statuts organiques devront faire l'objet d'une loi spéciale. Il a paru à la section centrale, et la plupart des sections avaient exprimé cette opinion, qu'une institution aussi importante, intimement liée à des intérêts d'un ordre aussi élevé que le perfectionnement moral et matériel des classes laborieuses et le crédit public, devait entièrement reposer sur la loi qui est l'expression la plus complète de la volonté nationale, et non sur des arrêtés émanés du pouvoir exécutif seul. »

C'est d'après ces principes que l'article a été présenté par la .section centrale ; il implique nécessairement que la caisse d'épargne sera organisée par la loi ; et telle est aussi, je crois, la pensée du gouvernement ; si je ne me trompe, M. le ministre des finances a même annoncé qu'un projet de loi était prêt.

M. Delfosse. – Il a été reconnu implicitement, lors du vote de la dernière loi d'emprunt, que les chambres actuelles n'auraient plus à prendre que des mesures urgentes, des mesures pour lesquelles il n'y aurait pas moyen d'attendre la réunion des chambres nouvelles. C'est par ce motif que nous n'avons accordé au gouvernement que les fonds nécessaires pour assurer le service jusqu'au mois de septembre.

Est-il urgent de déposer dans la loi e principe d'une caisse d'épargne (page 1650) instituée sous le patronage et sous le contrôle de l'Etat ? Il ne le paraît pas, puisqu'on décide, en déposant le principe dans la loi, qu'il sera organisé par une loi ultérieure.

Il me semble qu'il convient de laisser aux chambres qui seront le produit d'une élection plus large, et qui, sans aucun doute, se réuniront prochainement, le soin de décréter le principe et de l'organiser. Nous l’aurions d'ailleurs décrété en vain, s'il n'entrait pas dans les vues des chambres qui viendront après nous de l'organiser.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je vais déposer un projet de loi sur cette matière.

M. Delfosse. - C'est une raison de plus pour que l'article 9 soit inutile, j'attendrai, du reste, les explications qui pourront être données.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs, le gouvernement a considéré qu'il était urgent de procéder à l'organisation d'une nouvelle caisse d'épargne, et selon lui, cette organisation était nécessairement corrélative aux mesures qui sont consacrées par la loi actuelle. Les explications qui sont contenues dans le rapport de la section centrale et celles que l'honorable M. Malou a données hier, le démontrent suffisamment.

C'est aussi, du moins nous l'espérons, un moyen d'exécution de la disposition qui est renfermée dans l'article premier de la loi, c'est un moyen de rendre efficaces les dispositions qui ont été adoptées.

Mais comme le gouvernement pensait que la chambre actuelle pourrait peut-être n'avoir pas assez de temps pour voter les statuts de la nouvelle caisse d'épargne, il avait demandé à être autorisé à les régler par arrêté royal. La section centrale, ayant été d'avis que la question était trop importante pour pouvoir être abandonnée entièrement au pouvoir exécutif, même provisoirement, le gouvernement s'est empressé de faire préparer un projet de loi qui va être déposé.

M. Tielemans. - Messieurs, que l'on dépose dans le projet de loi actuel le principe de la caisse d’épargne, je n’ai pas à y contredire ; je sais que si nous n’organisons pas ce principe aujourd’hui, la disposition qui le consacrera ne liera guère la législature prochaine. Mais j’admets l’introduction du principe dans le projet de loi, parce que je le considère comme formant, avec les autres dispositions de la loi, un ensemble de mesures qui se prêtent un appui mutuel et doivent concourir toutes ensemble à rassurer le pays, à raffermir le crédit national.

Quant à la disposition de l'article 9 considérée en elle-même, j'ai une observation assez importante à faire.

Le premier paragraphe de l'article dit qu'il sera institué une caisse d'épargne destinée à faciliter le placement des petites économies.

Le paragraphe suivant est en contradiction flagrante avec ce principe. En effet, il nous a été dit, dans le cours de la discussion, que parmi les porteurs actuels de livrets, il y en a qui sont millionnaires. Cela peut être exagéré, mais du moins le tableau joint au travail de la section centrale, prouve que parmi les déposants il en est qui ont déposé jusqu'à 10,000 francs. Certainement ce ne sont pas là de petites économies ; eh bien, le second paragraphe de l'article 9 porte que les porteurs de livrets de la caisse actuelle pourront obtenir le transfert de leur dépôt à la caisse d'épargne instituée par la présente loi. Il y a là, je le répète, une vraie contradiction qu'il faut faire disparaître.

M. d'Huart. - Messieurs, la section centrale nous a fait connaître que, dans l'opinion des différentes sections, l'institution de la caisse d'épargne devrait être réglée par la loi elle-même ; le gouvernement vient de se rallier à cette opinion, et par conséquent il n'y a plus de doute maintenant que la caisse d'épargne doive être organisée par la loi.

Serait-il utile, prudent, en présence de cette nécessité, de déposer dans la loi, dont nous nous occupons, le principe de l'institution d'une caisse d'épargne ? Je ne le pense pas. En effet, lorsque nous aurons déposé le principe dans la loi, sommes-nous certains que nous pourrons l'appliquer convenablement ? Car du mode d'organisation de la caisse d'épargne doit nécessairement dépendre l'adoption du principe. Ainsi, par exemple, si la caisse d'épargne devait être établie de telle manière que le gouvernement fût directement amené aux inconvénients graves qui l'embarrassent indirectement par la caisse d'épargne de la Société Générale, personne de nous, sans doute, ne voudrait une semblable caisse d'épargne ; car, en définitive, l'intérêt et la sûreté du pays avant tout. Si la caisse d'épargne devait être organisée de telle manière que le pays pût être constitué en une sorte de faillite à tel jour déterminé, lorsqu'on voudrait exiger le remboursement, tous assurément nous serions opposés à la création de cette caisse.

Il faut donc nécessairement savoir de quelle manière la caisse d'épargne sera organisée, avant d'en déposer le principe dans la loi dont nous nous occupons.

On conçoit sans peine l'institution d'une caisse d'épargne administrée, sous le patronage du gouvernement, par une banque nationale ; on conçoit qu'il ne peut y avoir aucun danger à utiliser, pur l'intermédiaire d’une telle banque, les fonds qui seraient confiés à cette caisse ; mais si l'on donnait toute l'étendue dont est susceptible une semblable institution gérée directement par la trésorerie de l’Etat, il pourrait résulter les plus graves inconvénients de la disposition des fonds déposés entre ses mains.

Est-ce qu'il n'y aurait pas, ainsi que je viens de le dire, des dangers dans les demandes instantanées de remboursement qui ne manqueraient pas d'arriver dans les moments de crise ? Est-ce qu'il n'y aurait pas un danger très grand de faciliter l'augmentation des dépenses, alors que le gouvernement aurait ainsi à sa disposition des fonds considérables provenant des dépôts à la caisse d'épargne quand la situation du pays serait revenue à l'état normal.

M. Lebeau. - C'est le fond !

M. d'Huart. - C'est le fond, me dit-on, mais que discutons-nous ? Un article qui contient le principe de la caisse d'épargne. Que voulez-vous que je vous dise pour motiver le renvoi de cet article au projet de loi dont M. le ministre a annoncé la présentation, si je ne dis pas quelques mois sur le fond de la question ?

Je dis que l'adoption du principe dépend de la manière dont on en réglera l'application par la loi. Je veux bien d'une caisse d'épargne dans les mains de l'Etat, s'il est possible de l'établir sans prêter naissance aux inconvénients que nous avons sous les yeux ; mais je ne voudrais pas d'une caisse d'épargne qui pourrait engendrer les tristes conséquences dont nous nous efforçons en ce moment d'adoucir les effets. Et puis si cette caisse devait être une excitation aux dépenses, si les fonds déposés étaient appliqués à des travaux publics, et le passé doit faire craindre que nous pourrions y être invinciblement entraînés, n'arriverions-nous pas à de nouvelles et lourdes charges pour le pays, car en dernière analyse de telles dépenses extraordinaires nous conduiraient à l'impôt extraordinaire.

En déposant un principe dans la loi, il importe donc de savoir comment il sera réglé, et cela est d'autant plus raisonnable que le projet de cette loi va être déposé ; ajournons donc le vote du principe jusqu'au moment où nous verrons si les dispositions de ce projet sont de nature à faire admettre ce principe.

Et cette loi, messieurs, est-elle urgente ? Faut-il que la législature actuelle la vote ? Est-ce que d'ici à deux mois il y aura des dépôts présentés à la caisse d'épargne ? Je ne le crois pas. Faut-il que la législature actuelle, aux derniers jours de son existence, discute toutes les questions les plus graves, les plus ardues ? Laissons quelque chose à faire à la législature nouvelle, laissons-lui quelque responsabilité dans l'adoption de ces graves mesures.

Je pense qu'en tout cas il est prudent d'attendre le dépôt du projet annoncé ; quand il aura subi l'épreuve des sections, on verra si la chambre actuelle doit en aborder la discussion. Pour moi, si l'établissement d'une caisse d'épargne, dont je reconnais toute l'utilité, n'était pas convenablement et avant tout réglé par la loi, je voterais contre le principe, bien que j'applaudisse aux motifs qui l'ont fait proposer.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - L'honorable préopinant vient de présenter de bonnes raisons, sans doute, pour qu'on ne comprenne pas le principe de l'institution d'une caisse d'épargne par l'Etat dans la loi que nous discutons ; mais ses observations vont trop loin, lorsqu'elles tendent à ce qu'on ajourne la présentation d'un projet spécial pour la création d'une caisse d'épargne. L'intention du gouvernement n'est pas d'en agir ainsi.

M. d'Huart. - Vous vous trompez.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Vous avez dit : Laissons quelque chose à la nouvelle législature. Nous lui laisserons beaucoup à faire ; mais nous ne devons pas lui laisser le soin de s'occuper d'un projet de loi qui est devenu le corollaire de celui que nous discutons.

D'honorables membres ont prétendu avec raison que pour rendre efficaces les mesures qui sont proposées, il faut sans retard établir une caisse d'épargne, où l'on puisse faire les transferts des dépôts, tant de la caisse d'épargne de la Société Générale que de celles ouvertes auprès d'autres établissements. Si vous ne votiez pas, messieurs, ce projet d'urgence, vous priveriez le gouvernement d'un moyen qui contribuera à assurer l'efficacité du chiffre de 20 millions d'émission nouvelle. Quand la loi sera votée, le Cabinet déposera un projet de création d'une caisse d'épargne par l'Etat ; il est à espérer que la chambre en ordonnera le prompt examen.

M. Lebeau. - Le but de mon interpellation était exclusivement ceci : La caisse d'épargne, dont le principe est déposé dans l'article 9, pourra-t-elle être instituée par le gouvernement ou devra-t-elle l'être par une loi ? Le gouvernement a répondu que cette caisse ne pouvait être organisée que par une loi.

Quand je me suis permis de faire observer à l'honorable M. d'Huart qu'il s'occupait du fond, c'est qu'en présence de l'annonce d'un projet de loi, l'article 9 devait disparaître. Quant à la question de savoir quelle législature sera chargée de faire cette loi, cette question n'est pas posée ; le ministre n'a besoin de la permission de personne pour user de l'initiative du gouvernement, il peut déposer son projet quand il le jugera convenable.

M. Malou. - Il est bien entendu qu'il ne s'agit que de prononcer la disjonction ; on ne préjuge rien, quant au principe.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Nous ne nous opposons pas à ce qu'on renvoie l'article 9 au projet de loi spécial, mais nous insistons pour que la chambre veuille bien s'occuper de l'examen de ce projet. Nous considérions l'article 9 comme complémentaire de la loi générale sur les caisses d'épargne entre les mains de la Société Générale.

Il y a deux manières de s'acquitter vis-à-vis des déposants : c'est de les rembourser ou de les admettre au transfert. On a l'espoir, au moyen de la disposition qui admettrait à déposer à une caisse nouvelle, de diminuer d'autant les demandes de remboursement.

(page 1651) Il ne faut donc pas séparer cette disposition des dispositions antérieures ; c'est pourquoi nous demandons, si la disposition dont il s'agit est renvoyée à la loi spéciale que nous allons présenter, que la chambre veuille bien discuter cette loi d'urgence et la voter avant sa séparation, car elle se lie intimement à celle que nous discutons. (Aux voix !)

M. d'Elhoungne. - C'est seulement la disjonction de l'article qu'on demande.

- La disjonction est mise aux voix et adoptée.

Article 10 (nouveau)

« Art. 10 (nouveau). Il ne pourra être distribué aux actionnaires de la Société Générale ni intérêts ni dividende, jusqu'à ce que la somme de vingt millions, dont l'émission est autorisée par l'article premier, soit amortie. »

M. de Foere. - Messieurs, l'article 10 nouveau est gratuitement injuste, nuisible et dangereux. Je dis : gratuitement ; car le concours de cette disposition n'est, comme moyen, aucunement nécessaire au but que le projet de loi se propose d'atteindre.

L'article 10 ne pourrait présenter ce caractère que si les 20 millions accordés par la loi étaient irrécouvrables, ou si la somme représentée par les intérêts des actions de la Société Générale était nécessaire au remboursement des dépôts de la caisse d'épargne.

Le contraire a été amplement prouvé dans le cours de la discussion, et surtout dans la séance d'hier. Je n'ai plus à m'en occuper, ce serait au surplus prendre inutilement à la chambre un temps précieux.

Il ne s'agit d'ailleurs que des intérêts de 32 mille actions émises : les intérêts des 28 mille autres dont je parlerai tantôt, sont acquis à la caisse de la société et pourront concourir, comme moyen de remboursement des dépôts de la caisse d'épargne.

Abordons sans retard l'autre côté de la question. J'ai dit que l'article 10 nouveau est injuste, nuisible et dangereux.

Cette disposition est injuste, parce que nous ne sommes pas investis du pouvoir de léser, sans une nécessité évidente, les droits et les intérêts de tiers. Qui oserait entreprendre de prouver que nous possédons ce pouvoir exorbitant, ou que cette nécessité absolue existe, en présence de l'adoption de l'article premier du projet de loi à une majorité considérable, adoption évidemment basée sur la solvabilité de la Société Générale ?

Elle est injuste, parce que ce serait faire suspendre, sans rime ni raison, le payement de sommes dues à des tiers par contrat sanctionné par le gouvernement.

La disposition est injuste, parce que ce serait déprécier considérablement, sans aucun motif plausible, les actions de la société dont les actionnaires sont détenteurs, et celles que la société possède dans ses caisses, au nombre de 28 mille.

Elle est injuste, parce que, sans aucune nécessité, ce serait empêcher les actionnaires et la société de négocier les actions qu'ils possèdent, ou les forcer, en cas de besoin de réaliser ces valeurs, de les vendre avec une perte énorme.

Elle est injuste, parce que vous infligeriez une punition imméritée aux actionnaires qui, au moyen de leurs capitaux, ont rendu à l'Etat des services nombreux et considérables. Ils lui ont prêté des secours dans les moments de pénurie, ou de besoins du trésor public. Ils ont développé considérablement l'industrie du pays à leurs risques et périls. Ils ont importé dans le pays des industries nouvelles d'une grande importance. Ils ont donné une grande impulsion à la construction civile. Ils ont fait valoir une masse de matières premières indigènes dont la valeur serait restée inerte. Ils ont procuré du travail à une partie considérable de la classe ouvrière. Ils ont amené dans tels districts la prospérité et l'aisance dans tels autres. Ils ont attiré une masse d'autres capitaux dans la même voie utile au pays. Ils ont même garanti une partie considérable de ces capitaux et toujours à leurs risques et périls. Ils ont activé la circulation dans des proportions inconnues avant l'établissement de la société. Ils ont soutenu le crédit de l'Etat. Enfin, par l'autorité de leur crédit et toujours à leurs risques et périls, ils ont institué une caisse d'épargne, institution si désirée et si utile à la classe ouvrière, et dont le service, bien que momentanément interrompu par une cause de force majeure, n'est en aucune manière compromis. Cette injustice envers les actionnaires impliquerait en même temps une noire ingratitude.

Si maintenant des fautes ont été commises par des causes d'ailleurs parfaitement étrangères à la volonté des actionnaires, ne sont-elles pas amplement compensées par ces nombreux et précieux services, rendus au pays, au moyen de leurs capitaux ? Est-il bien loyal, de la part des adversaires de l'administration de la Société Générale, de s'irriter contre les fautes et de ne tenir aucun compte des services, alors qu'il n'y a rien de parfait dans ce monde, pas même les discours qu'ils prononcent sur la matière ?

Prouver que l'article 10 du projet est injuste, c'est en même temps établir qu'il est nuisible. La distinction entre l'injustice et l'utilité d'un même acte n'est pas admissible. Elle ne l'a jamais été ni en droit, ni en fait. Tout ce qui a été injuste, a été toujours nuisible.

Vous allez d'ailleurs vous en convaincre par quelques conséquences qui découlent des considérations que déjà j'ai eu l'honneur de présenter la chambre sur l'injustice de la mesure proposée.

La grande majorité qui a voté l'article premier a, sans aucun doute, hautement et justement manifesté, par son vote, le désir que la Société Générale pût, au plus tôt, se libérer envers ses créanciers de la caisse d'épargne. Pour atteindre ce but si désirable, la société doit pouvoir réaliser des valeurs dont elle est nantie. Or, elle a 28 mille actions, reprises à la famille de Nassau. Vous les frapperiez de stérilité en les dépréciant considérablement par l'adoption de l'article 10, et en en rendant la négociation impossible. Ce serait aller en opposition directe au vote de l'article premier et enlever à la société les moyens dont elle peut disposer pour rembourser les dépôts de la caisse d'épargne. La crise actuelle, qu'elle n'a pas provoquée, lui est très nuisible, ainsi qu'à toutes les industries qu'elle protège ; vous la lui feriez plus nuisible encore par un vote approbatif de l'article 10.

Parmi les actionnaires, il doit y en avoir plusieurs qui éprouvent, même dans des temps calmes, le besoin de leurs intérêts ; qui ont placé, en tout ou en partie, leur avoir dans cette source de revenus ; il doit y en avoir d'autres, qui, dans la crise actuelle, où d'autres sources de revenus sont taries, comptent sur la rentrée de leurs intérêts pour faire honneur à leurs affaires ; ce serait créer aux uns et aux autres, et sans nécessité aucune, des embarras nouveaux qui, en outre, ne feraient qu'aggraver la crise générale, restreindre la consommation et entraver la circulation.

Le crédit de la Société Générale est plus ou moins lié au crédit public du pays ; avant de voter l'article 10, mesurez toute l'étendue du mal que vous infligeriez à ce dernier crédit dont la solidité est si nécessaire à tant d'intérêts cl même à l'existence du pays.

Quand un acte est injuste et nuisible, il est toujours dangereux. Mais, en dehors des dangers que déjà je vous ai signalés, il en est un sur lequel j'appelle votre attention toute particulière.

Les actions de la Société Générale se négocient à la bourse de Paris. Elles y sont régulièrement cotées.

Il est donc certain qu'un nombre plus ou moins grand d'actions de la société est placé en France, probablement dans d'autres pays étrangers.

Si, par mesure d'administration, dictée par la prudence, par la nécessité, par force majeure ou partout autre motif, la Société Générale suspendait elle-même le payement des intérêts de ses actions, je pense que les détenteurs français et autres ne pourraient s'en plaindre arec justice et devraient s'y soumettre en bon droit ; mais si cette suspension était décrétée par la loi belge, à laquelle surtout le gouvernement aurait donné son assentiment, ne serait-ce pas provoquer une juste réciprocité de la part de la France ? Et contre qui ? Contre de nombreuses familles belges dont les capitaux sont engagés dans les fonds français, et, par conséquent, contre des tiers qui pourraient devenir les victimes innocentes d'un intérêt auquel elles sont complètement étrangères. L'injustice devient ici plus flagrante encore.

Par le vote de l'article 10, vous frapperiez doublement les détenteurs français en suspendant le payement de leurs intérêts et en dépréciant énormément leurs actions qu'ils ne pourraient plus aliéner sans subir une perte considérable.

Dans mon opinion, ils seraient fondés en droit de réclamer devant la législature de leur pays la réaction contre les détenteurs belges de fonds français, inscrits en nom sur le grand-livre de la dette publique.

Vous descendrez profondément dans votre conscience pour lui demander si vous pouvez exposer le pays à ce grave danger et provoquer, contre des tiers innocents, une réciprocité d'une injustice aussi évidente.

Toutes les considérations dans lesquelles je suis entré (erratum p. 1689) pour prouver que la disposition de l'article 10 nouveau, est gratuitement injuste, nuisible et dangereuse, s'appliquent aussi à la suspension du payement du dividende.

Veuillez bien, messieurs, vous rendre un compte juste et exact de cet autre intérêt. Le dividende n'est autre chose que la compensation juste de 30,000 actions que la Société a émis postérieurement à un taux qui dépasse de 200 florins des Pays-Bas celui auquel les premières actions ont été émises. Ce dividende ne fait que porter l'intérêt de ces trente mille actions à son taux normal. En suspendant le payement du dividende, vous placeriez les détenteurs nationaux et étrangers de ces trente mille actions dans une situation dont l'inégalité avec les détenteurs de la première émission serait choquante et injustifiable. Vous entreriez dans un système de catégorie toujours odieux.

Si la mesure proposée par l'article 18 était nécessaire à l'accomplissement des devoirs de la Société Générale envers la caisse d'épargne, je comprendrais en quelque sorte la disposition. Mais il vous a été prouvé dans le cours de la discussion, et surtout dans la séance d'hier, que cette nécessité n'existe en aucune manière, et que la crise du moment, qui d'ailleurs atteint tous les intérêts étrangers à la Société Générale, a seule sollicité le projet de loi dont nous nous occupons dans un intérêt sacré.

De mon côté, j'espère avoir prouvé que l'article 10 est injuste, nuisible et dangereux, et qu'en outre il recèle dans son sein une ingratitude flagrante envers les actionnaires de la Société.

N'entravez pas, messieurs, imprudemment l'action régulière de la Société ; n'intervenez pas sans une nécessité absolue, dictée surtout par la justice, dans les affaires de tiers. Abandonnez la société à ses propres ressources, à son génie d'activité ; elle saura bien se tirer d'affaire par l'instinct puissant de ses propres intérêts, et vous n'aurez pas à regretter amèrement un acte d'intervention qui, dans mon opinion, serait gratuitement injuste, nuisible, ingrat et dangereux.

M. le président. - La parole est à M. Malou pour développer un amendement qu'il vient de déposer et qui tend à substituer dans l'article en discussion aux mots « ni intérêts, ni dividendes » les mots « ni dividende, ni intérêt supérieur à 3. p c. »

M. Malou. - La disposition proposée par la section centrale, (page 1652) disposition sur laquelle je me suis abstenu, comme membre de cette section, me paraît avoir un caractère trop absolu ; elle est, dans mon opinion, contraire au principe même du projet de loi, elle le vicie et en détruirait les effets.

Elle est trop absolue. Si vous paralysez aujourd'hui toutes les forces vives qui restent à la Société Générale, vous l'empêchez de sortir, même avec votre, concours, des embarras que son avenir peut présenter encore. Or je vous le demande, quel plus grand embarras, quel plus grand élément de stérilité de ses efforts peut-il y avoir que de rendre improductif, pour un temps indéterminé, ce qui reste de son capital ?

Comment les débiteurs par suite de dépôt d'actions (10 mille cinq cents actions sont ainsi déposées), pourront-ils réaliser ces valeurs, se libérer envers la Société Générale, si vous déclarez que jusqu'à ce que la somme de 20 millions, dont l'émission est autorisée, soit amortie, c'est-à-dire, pendant un temps nécessairement très long, les actionnaires ne recevront ni intérêts, ni dividende ?

Ce simple fait, qui concerne non seulement les débiteurs par suite de dépôt d'actions, mais encore les débiteurs par comptes courants, suffit, ce me semble, pour démontrer qu'une mesure trop absolue détruirait les effets utiles du projet de loi.

L'amendement que je soumets à la chambre ne permettrait pas aux actionnaires de la Société Générale de recevoir de dividendes.

Les statuts actuels accordent aux actionnaires un intérêt de 5 p. c. Je propose de le restreindre à 3 p. c.

De cette manière vous satisferez à tous les intérêts. Vous ne poserez pas dans une même loi deux dispositions contradictoires. Et, d'un autre côté, vous ne permettrez pas que celui au secours de qui vous venez pour le mettre à même de remplir des obligations exigibles continue de jouir, d'une position que cet événement doit avoir nécessairement détruite.

Ce moyen terme concilie donc les intérêts des actionnaires avec le principe même de la mesure adoptée à la séance d'hier.

J'ai défendu cette mesure avec quelque énergie, non pour elle-même, ni pour la Société Générale, mais pour le pays, parce que à mes yeux, dans des circonstances où nous sommes, les disputions proposées présentent moins d'inconvénients que toutes autres.

Je dois dès lors faire des réserves comte l'opinion émise tout à l'heure par l'honorable Al de Foere. Le moment n'est pas venu de discuter le passé de la Société Générale. Je crois d'ailleurs que le moment serait très mal choisi pour faire son éloge, en présence des faits dont nous sommes témoins. Je ne pourrais nullement m'y associer. Parmi les éloges donnés à la Société Générale, s'il en est un qui soit immérité, c’est celui d'avoir soutenu le crédit public. Comment ! la Société Générale a soutenu le crédit belge ! Ses prêts sur effets publics s’élèvent à 55 millions. On a accepté des actions industrielles au pair, les actions de la Société Générale à 1,500 fr. Le total est de 66 mille actions. Sur cette somme, il y a deux pièces de fonds belges, 2,000 fr. sur 55 millions de prêts.

Si c'est là ce qu'on appelle soutenir le crédit belge, je ne connais plus ni les faits, ni la valeur réelle des mots.

Si la Société Générale avait mérité, sous ce rapport, les éloges de l'honorable, préopinant, elle ne se trouverait pas aujourd'hui dans la position d'où nous nous efforçons de la tirer. J'ai pu sans danger faire cette réserve sur un passé qui n'est d'ailleurs pas en discussion ; à l'avenir, d'après le projet même, une direction nouvelle sera imprimée à ce grand établissement.

M. Osy. - Messieurs, je regrette beaucoup de ne pas partager l'opinion de l'honorable M. de Foere ; je me suis fait inscrire, il y a deux jours,, lorsque j'ai entendu la lettre des directeurs de la Société Générale, qui a été communiquée à l'assemblée. A l'occasion de celle lettre, décide à combattre l'opinion qui y est énoncée, j'ai dû me placer dans une position indépendante. A l'heure qu'il est, je suis tout à fait indépendant ; je puis dire toute ma pensée.

Tout fonctionnaire public qui n'est pas d'accord avec ses chefs doit quitter sa position. C'est ce que j'ai fait. .J'espère que mon exemple, sera suivi par mes collègues.

Désormais dans la question, je vous dirai toute ma pensée.

Le but de la loi est d'accorder 20 millions à la Société Générale, non pour venir à son secours, mais, comme l'a très bien dit l'honorable M. Malou, pour venir au secours du pays et des petits déposants. C'est pour cela que j'ai fortement soutenu l'article premier ; car mon but sera toujours la tranquillité et la nationalité du pays.

Si l'article premier avait été rejeté, il en serait résulté la liquidation de la société, opération pendant laquelle il eut été impossible de payer ni intérêt ni dividende. Ce n'est pas par amour de la Société Générale que j’ai voté l’article premier. Ainsi que beaucoup de mes collègues, je ne l’ai fait qu'avec grande répugnance. Mais je crois que, si nous prenons bien nos précautions, nous nous trouverons bien de cette mesure.

Si nous n'avions pas adopté l'article premier, il n'y aurait pas d'intérêt à payer. Aujourd’hui que nous avons fait à la Société Générale une avance de 20 millions, je dis que toutes les recettes doivent servir à les rembourser.

Si nous consentons au payement des intérêts, il y aura une somme de 3 millions qui passera non seulement entre les mains des actionnaires, mais en grande partie entre les mains des débiteurs ; car vous savez qu'il y a 10 millions d'actions qui appartiennent aux débiteurs.

Vous me direz, avec l'honorable M. de Foere qu'il y aura dépréciation sur les actions. Mais tout actionnaire sérieux réfléchira, que l’intérêt ne sera que retardé, qu'il sera payé plus tard. Il n’y aura pas de perte. . Il n'y aura donc pas de dépréciation. Tous ceux qui achèteront les actions feront ce calcul.

Au reste, nous devons avoir égard, non à l’intérêt des actionnaires, mais à l'intérêt général du pays, qui est de revenir à l'état normal : le payement en espèces et le remboursement des billets à vue.

Messieurs, l'honorable M. de Foere parle beaucoup des étrangers. Mais les actionnaires étrangers seraient dans une position beaucoup plus fâcheuse si nous n'avions pas adopté l'article premier. La perte aurait été beaucoup plus considérable. Car maintenant la liquidation de la société se fera avec tous les ménagements possibles : tandis que s'il y avait une liquidation forcée, les actionnaires et surtout les débiteurs voudraient que l'on liquidât le plus tôt possible.

Je pense, donc que les sommes que la société aura occasion de gagner dans le courant de cette année et de l'année prochaine doivent être employées à payer la dette la plus sacrée, et cette dette, c'est l'avance des 20 millions. Les actionnaires éprouveront quelques retards dans le payement des intérêts ; comme actionnaire, je m'y soumets dans un intérêt public.

M. Lebeau. - Messieurs, je ne me fais aucun scrupule d'attirer de nouveau l'attention de la chambre sur l'article actuellement en discussion. Dans mon opinion, cet article vient immédiatement, sous le rapport de l'importance, après l'article premier ; il mérite presque autant que l'article premier, de fixer l'attention de la chambre.

Je dirai d'abord, en réponse à l'honorable M. de Foere, qu'il m'avait toujours paru que le premier acte d'une bonne gestion pour une société anonyme, comme pour un particulier, était, avant de recueillir des bénéfices, de commencer par payer ses dettes. Il me semble, messieurs, qu'il ne faut avoir étudié ni l'économie politique indigène, ni l'économie politique anglaise, pour être convaincu de la justesse de cet axiome, qui, est autant celui des bons pères de famille que celui des économistes. Payer ses dettes avant de palper des bénéfices est un acte tellement marqué au coin du bon sens et de l'équité, que les tribunaux eux-mêmes, sans respect pour le texte de certains statuts des sociétés anonymes qui avaient expressément stipulé des payements d'intérêts, avant qu'il ne fût établi que ces sociétés n'étaient pas en perte, ont décidé que cette partie des statuts ne pouvait pas recevoir son exécution.

Que cependant, messieurs, la Société Générale donnât des dividendes, payât des intérêts, alors même que sa situation commanderait d'autres mesures, je pourrais l'accorder ; je pourrais dire avec l'honorable M. de Foere que cela ne regarde pas la chambre, que la chambre doit abandonner la Société Générale à elle-même ; j'accorderais, je dirais tout cela, si la Société Générale ne venait pas à nous, si elle ne venait pas demander que le crédit de l'Etat serve de soutien à son propre crédit. Je pourrais alors, avec l'honorable M.de Foere, décliner la compétence de la chambre.

J’avoue, quant à moi, que, quelque puissante que puisse être en cette manière l'opinion de l'honorable député de Thielt, j'ai quelque confiance dans la mienne, lorsque je la vois soutenue par l'honorable M. Osy, à qui certes ou ne prêtera, pas plus qu'à aucun de nous, des sentiments hostiles à la Société Générale, et quand je la vois de plus adoptée sans contradiction (erratum, p. 1652) par la section centrale elle-même.

Si la question de justice et droit était engagée dans le débat actuel, l'amendement de l'honorable M. Malou ne serait pas plus admissible que celui de la section centrale. S'il y avait un droit absolu, vous ne pourriez pas en faire une question de plus ou de moins, comme le veut l'amendement de l'honorable M. Malou. Il faudrait incliner la tête devant le principe et souscrire au paiement de l’intégralité de l'intérêt et des dividendes, comme le demande l'honorable M. de Foere.

Je ne sais si l'honorable M. de Foere a rendu un bien grand service à l'établissement dont il est venu faire un si pompeux panégyrique. Je crois que l'honorable M. Malou lui a déjà fait apercevoir le danger de ses apologies et leur inopportunité. Quant à moi, messieurs, je ne voudrais, surtout dans les circonstances actuelles, rien dire de gaieté de cœur, qui pût quelque peu désobliger, quelque peu blesser la Société Générale. Cependant il nous est impossible, ne fût-ce que pour l’avenir, ne fut-ce que pour mettre le pays sur ses gardes, d'accepter sans restriction des éloges comme ceux qu'on a adressés à la Société Générale pour l'impulsion ou plutôt pour la surexcitation donnée à plusieurs de nos industries.

, Messieurs,, je crois que cette surexcitation donnée à certaines industries auxquelles on a créé souvent une vie factice, fui une imprudence, une haute imprudence que nous expions, que le pays expie aujourd'hui. Je crois que la plus grande somme de sacrifices que nous sommes condamnés à subir, et qui vient peser sur nos concitoyens,, provient précisément des moyens par lesquels o a multiplié, décuplé, centuplé les sources de la production, sans s'inquiéter trop des moyens d'écoulement, des moyens de consommation, sans s'inquiéter parfois d'autre chose que d’émettre sur la place des masses d'actions dont le sort inquiétait peu, après qu'elles avaient fait entrer dans les coffres ou les portefeuilles de ceux qui les émettaient des millions et des millions, et cela au risque d'appeler quelques années après, sur le pays, des catastrophes financières et industrielles.

A, la suite de cette surexcitation imprudente, qu'avons-nous vu ? Une recrudescence du système protectionnisme ; de toutes parts des demandes de prohibitions ou de droits exagérés à l'entrée sur les produits étrangers ; nous avons vu des demandes d'union douanière avec lesquelles on (page 1653) passionnait, on égarait les populations crédules, alors qu'on savait que ces projets d’union douanière était trois fois impossibles, pour le pays avec lequel nous traitions, pour nous-mêmes et pour l’Europe.

Je demande pardon à la chambre de me laisser entraîner à ces considérations qui ne se rattachent pas directement au sujet en discussion. Mais j’y ait été provoqué par les éloges tout au moins intempestifs qui ont été donnés aux grands services rendus au pays par la Société Générale.

Et, quant au deuxième titre à la reconnaissance du pays, qu'aurait acquis la Société Générale, par sa sollicitude pour le crédit public, en deux mots déjà, une bouche non suspecte en a fait justice tout à l'heure. Je pourrais me taire sur ce point après ce que vient de dire l'honorable M. Malou. Mais voulez-vous, entre vingt faits, que j'en cite un seul pour prouver comment certain établissement financier a protégé le crédit belge ? Lisez les documents qui nous ont été communiqués, et vous y verrez que les fonds de la Société Générale étaient en partie employés à acheter du 3 p. c. français presque au moment même, si ce n'est avec le produit, d'une vente considérable de 4 1/2 p. c. belge, venant ainsi peser sur notre crédit au moment où l'imminence d'un emprunt semblait préoccuper tous les esprits.

Je reviens directement à l'objet du débat.

La mesure, messieurs, proposée par la section centrale et si loyalement appuyée par l'honorable M. Osy, qui vient encore, par ce qui nous a été révélé sur sa position personnelle, de grandir dans l'estime de la chambre et du pays, cette mesure a une portée bien autrement restreinte que ne le pense l'honorable M. de Foere.

Les actions de la Société Générale sont-elles répandues dans le monde ? Eh ! mon Dieu, elles sont presque toutes entre les mains de la Société Générale elle-même. Lisez ce qui est dit à la page 14 du remarquable travail de M. Malou :

« A l'actif, dit cet honorable membre, figure, sous la rubrique « Actions et certificats d'actions de la Société Générale, à 1,334 fr. », un chiffre de 40,052,268 fr., qui, d'après le cours moyen donné, aurait mis la société en possession d'environ 30,000 actions.

« Les sociétés anonymes sont des associations de capitaux, placées en dehors du droit commun quant au caractère personnel et indéfiniment solidaire des engagements commerciaux ; le capital est la garantie essentielle des tiers ; en principe, le rachat des actions est l'amoindrissement du gage. Si ce rachat n'est pas plus interdit par les statuts de la société Générale que par les statuts d'aucune autre société anonyme, le motif en est simple. La nature même de cette forme d'association s'oppose à ce que ce rachat du capital ait lieu.

« Quoi qu'il en soit, la commission n'avait ni le mandat, ni les moyens d'examiner si cette affectation du fonds de réserve à l'achat d'actions de la Société Générale elle-même peut se justifier par des considérations exceptionnelles. Elle se borne à constater un fait.

« Deux autres catégories d'actions sont dans une situation particulière qui doit être signalée à l'attention du gouvernement.

« Des prêts ont été faits, ainsi qu'il résulte de l'annexe n°VII sur 10,503 actions données en nantissement. A défaut de solvabilité personnelle des débiteurs et dans les mêmes limites, l'attribution de ce gage à la société créancière constituerait encore une réduction du capital.

« Enfin, la Société de Mutualité industrielle débitrice de la Société Générale, par compte courant, pour une somme considérable, possède environ 9 mille actions. »

Ainsi, messieurs, vous voyez d'abord quel actif de 40,052,268 fr. représente, d'après le calcul de l'honorable M. Malou, 30,000 actions ; que des prêts ont été faits sur 10,503 actions, et que la mutualité, fille de la Société Générale, en a déposé 9,000, ce qui fait en tout 49,503 actions, soit, en somme ronde, 50,000 sur 60,000 !

Messieurs, la non-adoption de l'article qui nous occupe laisserait, selon moi, le trésor public sans garantie sérieuse, quant au recouvrement de l'énorme créance éventuelle qui va résulter des deux lois relatives à l'émission du papier-monnaie.

La commission spéciale voulait au moins une part active et efficace, pour le gouvernement, dans les affaires de la Société Générale, a une direction nouvelle, une action énergique, surtout à l'égard des débiteurs par comptes courants ou par suite de prêts sur actions, prêts depuis longtemps échus. »

La section centrale, messieurs, n'était pas moins formelle. Et si je reviens sur cette disposition, c'est pour faire comprendre combien il est important, lorsque cette disposition n'a pas été admise au premier vote, combien il est important d'en puiser l'équivalent dans l'adoption de l'article actuellement en discussion et que je regarde comme pouvant en quelque sorte suppléer l'article que j'ai vu rejeter avec beaucoup de regret. (Interruption.) J'avais demandé la parole et je ne l'ai point obtenue. La discussion a été close.

« La section centrale, dit le rapport, n'a pas attaché moins d'importance que celle-ci à la direction nouvelle qu'il faut sans retard imprimer aux affaires de la Société Générale, et à la part active et influente qu'il faut nécessairement réserver au gouvernement dans cette gestion. La section centrale est convaincue que, en grande partie du moins, l'efficacité des mesures proposées par le projet de loi est là. Aussi a-t-elle écarté, comme insuffisante, la nomination de trois commissaires, autorisée par l'article 4 du projet. De commun accord avec M. le ministre des finances, à qui elle a communiqué sa résolution, elle a stipulé : « que, dans les huit jours qui suivront la loi, le gouvernement fera une nouvelle nomination des directeurs de la Société Générale, deux directeurs au moins devront être pris parmi les actionnaires. » La section centrale, en adoptant cette disposition comme une condition sine qua non de la loi, n'a fait qu'obéir à un devoir impérieux : elle a voulu prévenir qu'une administration, qui est désormais jugée, ne pût, par sa mollesse et par une fausse impulsion, perpétuer dans l'avenir les causes des difficultés, des embarras qu'elle a créés par son passé, et qui assiègent si tristement le présent. »

J'avoue, messieurs, qu'en présence de ce langage, j'ai lieu de regretter la disparition de l'article 5. J'ai été quelque peu surpris, après l'adhésion donnée par M. le ministre des finances… (Interruption.) J'ai été quelque peu surpris de voir cette disposition combattue par un membre du cabinet…

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je demande la parole.

M. Lebeau. - ... Et non défendue par l'honorable rapporteur de la section centrale (Interruption.) Je dis que je regrette ce silence. (Nouvelle interruption.) On dit que c'est voté. Je le sais bien ; mais c'est précisément parce que c'est voté, que je soutiens avec bien plus de raison qu'avant le vote l'article en discussion.

J'ai dit que cet article serait en quelque sorte une compensation de la radiation très regrettable, selon moi, de l'article auquel je riens de faire allusion.

Je n'ai certes nulle envie de passionner ce débat, d'aigrir cette discussion déjà si pénible par elle-même ; je n'ai surtout nulle envie de rendre la position de mes honorables amis plus difficile qu'elle ne l'est déjà, dans ces graves circonstances, lesquelles heureusement n'ont pas affaibli leur dévouement et leur courage ; mais j’ai cru pouvoir puiser dans les considérations auxquelles je viens de me livrer, des raisons pour engager la chambre à admettre intégralement l'article en discussion.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, la chambre n'a pas oublié que, depuis la présentation du rapport de l'honorable M. d'Elhoungne, il était survenu un fait nouveau, la démission donnée par tous les directeurs de la Société Générale, fait qui a exercé son influence sur le maintien de l'article formulé dans le projet du gouvernement.

Indépendamment de ce fait, je dirai qu'il est exact qu'un honorable membre de la section centrale est venu me donner une communication, que j'ai regardée plutôt comme officieuse, de l'article auquel la section centrale croyait devoir donner la préférence. J'ai entendu lire cet article, mais je n'y ai pas donné un assentiment direct, en ce sens que je me serais prononcé pour son adoption, au nom du gouvernement„ ni même pour moi.

Je me proposais d'en parler à mes collègues avant la discussion, lorsque la démission des directeurs de la Société Générale est venue changer la situation des choses et m'a fait envisager comme de peu d'importance l'explication que j'avais, par ce motif, omis de donner jusqu'à présent sur les mots de « commun accord » et d' « assentiment » qui se trouvent dans le rapport de la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je tiens à faire cesser la surprise qui a été exprimée par mon honorable ami. M. le ministre des finances vient de faire connaître comment les choses se sont passées : le gouvernement, à aucune époque, n'a donné son adhésion à la proposition de la section centrale, de substituer la nomination des directeurs à faire directement par le gouvernement à celle des commissaires spéciaux. Lorsque la question s'est présentée au sein du conseil, nous avons été unanimes pour repousser la proposition de la section centrale, alors surtout que la démission des directeurs actuels de la Société Générale avait été notifiée au conseil des ministres.

Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai fait connaître pourquoi le gouvernement croyait préférable la nomination de commissaires spéciaux, chargés de contrôler les actes de la Société Générale, dans leurs rapports avec l'intérêt de l'Etat ; pourquoi, dis-je, le gouvernement croit cette nomination préférable à celle de directeurs spéciaux Chargée de l'administration de la Société Générale. Je regrette que mon honorable ami n'ait pas pris la parole hier pour contredire mou opinion et qu'il ait attendu, puni-combattre l'article, qu'il ait été adopté. Je pense que les raisons que j'ai données à l'appui de la proposition première du gouvernement étaient des raisons pratiques, raisons auxquelles la grande majorité de cette chambre s'est ralliée. Je n'ai pas besoin, je pense, de revenir sur une décision prise. (Non ! non !) On s'est livré cependant à une revue rétrospective, un peu amère, quoi qu'on en ait dit, contre cette disposition. Je tiens à répéter que si nous avons préféré des commissaires à des directeurs, nous avons cru que l'intérêt de l'Etat était mieux représenté par des commissaires, ayant un contrôle spécial, déterminé, que par des directeurs, ayant l’administration d'affaires dans lesquelles nous n'avons pas à nous immiscer.

Quant. à ce qui concerne la disposition nouvelle, nous croyons aussi que, si elle a quelque chose d'un peu dur pour les actionnaires, ce n'est pour nous un motif de la repousser.

Cependant nous serions désolés de profiter en quelque sorte des circonstances où se trouvent réduits les actionnaires d'un grand établissement financier, et cet établissement financier lui-même ; de profiter, dis-je, de ces circonstances, pour nous livrer, contre cet établissement, à des récriminations, à des reproches que nous ne lui avons jamais épargnés, alors qu'il se trouvait dans cette position (page 1654) puissante, presque omnipotente, que vous pouvez vous rappeler.

Aujourd'hui, messieurs, il faut bien le dire, nous avons à faire à des vaincus, et nous croyons qu'il serait généreux, si même il n'était politique, de conserver un silence généreux à l'égard des vaincus.

Nous n'avons pas besoin de dire, messieurs, qu'en présentant la loi actuelle, rien n'a été plus loin de notre pensée que de venir en aide à des intérêts particuliers, à des individus ; nous croyons que les intérêts particuliers, que les individus qui se trouvent engagés dans cette affaire, n'ont pas droit à la munificence ni même à la bienveillance du gouvernement.

Notre seul but a été de venir en aide à la chose publique, à l'intérêt public. Si des moyens plus efficaces nous avaient été proposés, nous n'aurions pas hésité à nous y rallier. Mais ceux qui ont critiqué le principe déposé dans la loi ne nous ont pas offert d'équivalent. Les critiques auxquelles le projet de loi a donné lieu, n'avaient rien de nouveau pour nous ; tout ce qui a été dit au sein de la chambre, avait été dit et répété dans toutes les délibérations qui ont précédé la présentation du projet de loi.

C'est seulement quand nous avons acquis la conviction que nul autre moyen que celui qui est proposé, ne pouvait présenter la même efficacité, au point de vue des circonstances actuelles ; c'est seulement alors que nous nous sommes décidés à venir déposer le projet de loi.

Nous ne disons pas, messieurs, que ce projet de loi sera un grand titre de gloire pour le ministère ; nous ne voulons pas en proclamer d'avance les conséquences comme devant être de tout point favorables. Nous croyons que ce projet de loi porte un remède actuel à des maux présents ; mais nous n'entendons pas dire qu'il porte un remède efficace, radical, pour les circonstances à venir.

J'avais besoin, messieurs, d'entrer dans ces quelques explications ; l'attitude gardée par le cabinet pendant la discussion n'aura que trop fait voir que le projet qu'il vous a soumis n'était pas un projet complètement suivant son cœur, qu'il subissait plutôt la loi de la nécessité, qu'il ne venait ici vous offrir un projet de loi qu'il considérait comme de nature à apporter de grands bienfaits au pays.

Par l'article proposé par la section centrale, les actionnaires seront privés d'intérêt et de dividendes. Et cette position sera dure pour eux, mais à côté des actionnaires, il y a l'intérêt des créanciers.

Avant que les actionnaires puissent tirer profit de leurs actions, il faut d'abord qu'ils aient payé leurs dettes ; et je vois aussi comme mon honorable ami M. Lebeau, dans la disposition qui vous est proposée, un moyen de d'activer la liquidation de la Société Générale ; les actionnaires privés des intérêts de leurs actions exciteront, stimuleront le zèle des liquidateurs, il leur importera que les dettes de la société soient payées le plus tôt possible, afin qu'eux-mêmes puissent rentrer le plus tôt possible dans la jouissance de leurs intérêts. Sous ce rapport, au point de vue pratique, je considère la disposition de l'article 10 comme pouvant produire de bons résultats.

Du reste, l’article 5 comme l'article 10, pourra être soumis à l'épreuve d'un second vote. Si l'on croit que le système de la direction à nommer par le gouvernement doit l'emporter sur le système des commissaires, ceux qui ont vu avec un si profond regret l'adoption de l'article du gouvernement pourront reproduire la disposition de la section centrale. J'y convie mon honorable ami, pour autant que son opinion reste inébranlable d'ici au second vote.

J'en dirai autant pour l'article 10. Si une opinion dans le sens de celle professée par l'honorable M. Malou doit se faire jour, elle pourra se produire d'ici au second vote, il faut que la chambre évite de discuter et de voter sous l'empire d'une sorte de réaction contre l'établissement financier aujourd'hui en cause ; nous devons, chacun dans notre sphère, examiner froidement la situation, ne rien imposer d'inutile, ne rien imposer surtout de ce qui pourrait paraître contraire à la justice ou à l'équité. D'ici au second vote la chambre pourra réfléchir.

M. Lebeau. - Mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur, a paru surpris que je fisse la critique posthume d'une disposition adoptée hier. J'avais demandé la parole à trois reprises, je l'avais demandée deux fois contre la clôture ; mais j'ai vu la chambre atteinte d'une telle fièvre de clôturer, que je me suis résigné au silence. Voilà l'explication de la contradiction que mon honorable ami a cru voir entre ma conduite d'hier et ma conduite d'aujourd'hui. Je le connais trop bien, du reste, pour penser qu'il ait voulu en cela rien dire qui fût de nature à me désobliger.

M. d'Elhoungne, rapporteur. - S'il est une chose sur laquelle nous soyons tous d'accord, c'est le caractère de la loi actuelle ; tout le monde reconnaît que c'est une loi de nécessité, de la plus dure, de la plus pénible des nécessités. Il n'est personne de ceux qui ont pris la parole pour l'appuyer qui n'ait en même temps déploré la funeste nécessité qui lui a donné le jour.

Il est un autre point sur lequel nous ne sommes pas moins unanimes, du moins nous devions le penser jusqu'au moment où l'honorable M. de Foere s'est levé pour faire le panégyrique de la Société Générale, c'est sur le jugement qu'on doit porter sur le passé de la Société Générale.

Dans le passage du rapport dont l’honorable M. Lebeau vous a donné lecture, ou a pu voir quelle était l'opinion unanime de la section centrale. On a pu voir combien celle-ci a été convaincue que la Société Générale a été mal dirigée, mal gouvernée. La section centrale a unanimement déclaré, par mon organe, que la Société Générale a constamment pesé sur le crédit public et privé, qu'elle a épuisé la circulation au détriment du crédit public et privé dans un but d'égoïsme, contraire aux principes qui avaient présidé à la fondation de la Société Générale. C'est assez dire que dans l'opinion de la section centrale et dans l'opinion de celui qui a eu la pénible mission de résumer ses discussions, le passé de la Société Générale est inexcusable et que la loi actuelle n'est autre chose qu'un acte pénible de la plus impérieuse nécessité.

Quant à la disposition de l'article 5 sur laquelle l'honorable M. Lebeau est revenu, si j'ai abandonné la proposition de la section centrale pour me rallier à la proposition du gouvernement, c'est que la démission des directeurs de la Société Générale rendant nécessaire une nouvelle nomination par le gouvernement, sur une liste triple présentée par les actionnaires, la proposition de la section centrale semblait tomber d'elle-même.

En effet, on ne peut pas craindre que les actionnaires présentent des candidats qui puissent déplaire au gouvernement ; car le gouvernement a, dans la suspension de la loi actuelle, une force irrésistible pour peser sur toutes les résolutions de la Société Générale et même sur les présentations à faire par ces actionnaires. C'est parce que la proposition du gouvernement, en présence de ce fait nouveau de la démission des directeurs, présentait un équivalent à la proposition de la section centrale, répondait complètement à sa pensée, offrait toutes les garanties que la section centrale avait eu en vue, que son rapporteur n'a pas cru devoir prolonger la discussion, en insistant pour l'adoption de la proposition que la section centrale voulait substituer à l'article du projet du gouvernement. Je pense donc que l'honorable M. Lebeau reconnaîtra que le rapporteur a été fidèle mandataire de la section centrale ; qu'il n'a abandonné aucune des garanties, aucune des sévérités que la section centrale avait attachées au contrôle et à la surveillance dont il s'agit d'investir le gouvernement.

Passant à l'article en discussion, à la question de savoir si, jusqu'à ce que les 20 millions soient amortis, on interdira le payement de tous intérêts aux actionnaires, j'ai très peu de chose à ajouter aux raisons données par les honorables MM. Lebeau et Osy. J'en ajouterai une seule qui me paraît décisive ; c'est que la mesure proposée par la section centrale lui a été suggérée par la Société Générale elle-même, qui l'emploie à l'égard des sociétés placées sous son patronage.

Nous lisons en effet, page 10 du rapport, cette réponse de la Société Générale, à une question de la section centrale. « Il faut remarquer, dit la Société Générale :

« 1° Que tout dividende n'est acquis qu'après déduction de 1/4, qui est mis au fonds de réserve. Ainsi un dividende de 40 francs, par exemple, ne donne à l'actionnaire que 30 francs ;

« 2° Que plusieurs établissements ont gagné des intérêts et dividendes qu'on n'a point payés, afin de diminuer leur dette, d'accroître les fonds de roulement ou d'améliorer les entreprises. Ainsi le couchant du Flénu, qui est un des plus beaux charbonnages du courbant de Mons, n'a pas payé d'intérêt depuis longtemps, pas même en 1847, date de l'achèvement d'un nouvel établissement, bien que cette société ait gagné, outre l'intérêt, 20 francs de dividende net.

« Le nord du bois de Boussu, le haut Flénu, charbonnages réunis de Charleroy, Mambourg, ont agi dans le même sens ; la première de ces sociétés, en achetant le midi du bois de Boussu ; la seconde en établissant une exhaure considérable ; la troisième, en s'adjoignant le charbonnage de la Sablonnière.

« La société de Marcinelle et Couillet a gagné l'année dernière, d'après son bilan, au-delà d'un million, au moyen duquel elle a diminué sa dette et amélioré l'entreprise. Il est d'ailleurs dû, dans le moment actuel, à la société de Couillet, plus de 1,200,000 francs par différentes sociétés anglaises ou par des entrepreneurs des travaux des chemins de fer en Belgique. Elle a en magasin pour près d'un million de fontes, dont une partie est vendue en France et dont il est impossible de faire prendre livraison dans ce moment. »

Vous voyez donc que la section centrale avait trouvé la route toute tracée. Elle avait devant elle l'opinion, les principes, les précédents de la Société Générale elle-même. Or, la Société Générale, se trouvant une seule fois par exception dans de bonnes traditions, la section centrale a pensé qu'il fallait l'y laisser et lui appliquer à elle-même les principes salutaires qu'elle a si justement appliqués à toutes les sociétés qu'elle couvre sous ses ailes.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. de Foere. - Une société considérable a été, à différentes reprises, sévèrement réprimandée. J'ai cru que la loyauté exigeait que cette société, qui est absente fût ici défendue ; je me suis donc constitué son défenseur ; mes observations ont été contestées. Je prie la chambre de me permettre de répliquer.

M. Malou. - Je voudrais dire un mot pour motiver le retrait de mon amendement.

M. de Mérode. - Rien n'empêche d'entendre les observations que veut présenter notre honorable collègue M. de Foere. Après des accusations portées contre un établissement aussi important, établissement qui est le caissier de l'Etat, il doit être permis d'entendre une justification. J'aime beaucoup qu'on ne déchire pas les absents. Lorsque quelqu'un veut prendre leur défense, je suis disposé à l'entendre. Si la défense est mauvaise, tant pis (Interruption.) Messieurs, je ne dis pas qu'elle le soit. Mais si elle l'était, vous n'en feriez pas de cas. Si elle est bonne, (page 1655) vous l'accueillerez favorablement. Etouffer une discussion comme celle-là serait économiser le temps bien mal à propos.

M. Verhaegen. - Je demande que la clôture ne soit pas prononcée. Attaquée de toutes parts, la Société Générale n'a trouvé de défenseur qu'en l'honorable M. de Foere, dont le discours a été attaqué avec virulence. Il y aurait inconvenance à lui interdire le droit qu'il réclame de répliquer.

M. Dolez. - C'est dans l'intérêt même de notre loi que je demande que la clôture ne soit pas prononcée. Je pense que la discussion qui vient d'avoir lieu a diminué de 50 p. c. l'effet de la mesure proposée. Alors qu'il s'agit d'un établissement de crédit, de tels débats seront essentiellement nuisibles à son avenir.

En définitive, cet avenir, d'après la mesure que nous avons prise, d'après celle que nous avons prise le 20 mars, n'intéresse-t-il pas le pays entier ? Quand une seule voix s'est élevée pour défendre un absent, vous ne voudriez pas autoriser la réplique ! Vos antécédents protestent contre la clôture prononcée en pareille circonstance.

Je demande donc que l'honorable abbé de Foere soit entendu. Je demande qu'il soit entendu avec la bienveillance que tout juge accorde à la défense d'un accusé. Car il faut le reconnaître, certains discours prononcés dans la séance d'aujourd'hui sont de véritables actes d'accusation.

Quant à moi, ces actes d'accusation, je les déplore dans l'intérêt public, parce que je maintiens que l'intérêt public demandait plus de prudence, plus de circonspection dans la discussion à laquelle on s'est livré.

Je voterai donc contre la clôture.

- La demande de la clôture est mise aux voix et rejetée.

M. de Foere. - Messieurs, j'ai rappelé les actes posés par la Société Générale ; j'ai qualifié ces actes de services nombreux et considérables rendus par la Société Générale au pays. Ces faits sont restés debout ; un seul a été à peine attaqué.

On a confondu, messieurs, dans la discussion, la crise où nous nous trouvons, avec un temps normal. Aujourd'hui, ce n'est pas seulement la Société Générale qui est atteinte par la crise ; il n'existe peut-être pas dans l'Europe tout entière un établissement de commerce, de finance ou d'industrie, qui ne soit plus on moins frappé par la crise que nous subissons. Sans les événements qui nous ont tous surpris, la Société Générale ne serait pas venue vous demander d'appuyer son crédit de celui de l'Etat. Et pourquoi le demande-t-elle ? C'est uniquement dans l'intérêt des dépôts à la caisse d'épargne. Or vous avez lu dans une pièce qui vous a été communiquée et qui est imprimée dans le rapport de la section centrale, que l'établissement de la caisse d'épargne a été directement provoqué par le gouvernement précédent, que cet établissement a été l'objet des vœux et de l'approbation des ministères antérieurs.

Messieurs, on a qualifié les faits que j'ai cités d'éloge et de panégyrique de la Société Générale. Je n'attache aucune importance à cette qualification ; je crois que je suis tout aussi indépendant que l'honorable M. Osy, lorsque je prends courageusement la défense de la Société Générale.

Messieurs, la Société Générale, jusqu'au moment de la crise actuelle, a certainement rendu beaucoup de services au pays. Mais comme l'honorable ministre de l'intérieur l'a fait avec raison, j'ai soigneusement distingué entre l'administration de la société et l'intérêt des actionnaires. J'ai admis, avec réserve, les reproches qui ont été dirigés contre l'administration ; mais d'un autre côté j'ai demandé s'il était bien loyal de se borner à diriger des accusations contre la Société Générale et de ne tenir aucun compte des services nombreux et considérables qu'elle a rendus au pays. Ces services sont là ; ce sont des faits que j'ai énumérés et qui sont restés debout.

L'honorable M. d'Elhoungne vient de nous dire que la Société Générale aurait elle-même indirectement provoqué la disposition contenue dans l'article 10 par la mesure qu'elle aurait mise relativement aux actions des sociétés qui sont sous son patronage. Je conçois cette observation pour les actions de la Société Générale possédées par la société elle-même ; mais que devient l'intérêt des autres actionnaires ? C'est cet intérêt que j'ai plaidé. Il y a une foule d'actions qui ne sont pas dans les mains de la Société Générale, et j'ai demandé s'il était juste d'infliger une sorte de punition aux autres actionnaires, surtout dans un moment de crise, alors qu'ils ont besoin de leurs rentrées, qui, très probablement il en est, et pour moi j'en connais, qui ont placé leur avoir dans cette société comme ressources d'existence.

L'honorable M. Lebeau a dit que la Société Générale avait eu le malheur de surexciter les industries sans s'inquiéter du placement des produits. Je ferai remarquer que le placement des produits a été, toujours et partout, un fait incertain pour toutes les sociétés qui se sont établies en Europe. Faut-il, parce que les résultats n’ont pas toujours été heureux, accuser les bonnes intentions ? Au surplis, demandez au bassin de Mons, demandez au bassin de Charleroy, si leurs produits n’ont pas été placés, s’il n’en est pas résulté pour eux d’immenses avantages et vous verrez ce qu’ils vous répondront.

M. Lebeau. - Et la crise de 1837 et 1838, qu’en dites-vous ?

M. de Foere. - Vous parlez d’un moment de crise, mais convenez donc alors que vous avez confondu les dates ; convenez que si les produits ne peuvent aujourd’hui être placés, il ne faut pas s’en prendre aux fautes qui auraient été commises par l'administration, mais à la crise actuelle, à la suspension des affaires.

L'honorable M. Lebeau a dit que la plupart des actions sont entre les mains de la Société Générale et des sociétés qu'elle protège. Mais, messieurs, si cela est vrai, la disposition de l'article 10 devient d'autant plus inutile, comme moyen de concourir au remboursement des billets, car s'il n'y a qu’une petite partie de billets placés dans d'autres mains, pourquoi priver alors ces actionnaires de l'intérêt régulier de leurs actions ?

Ainsi, messieurs, vous le voyez, en élevant certaines objections, on en provoque de très sérieuses contre soi-même.

Le projet de loi, messieurs, n'a pas pour but essentiel de protéger la Société Générale ; le projet a pour but exclusif de protéger les déposants à la caisse d'épargne et si le gouvernement lui-même qui, comme on le propose maintenant, veut créer une caisse d'épargne, si le gouvernement lui-même s'était trouvé dans les circonstances que la crise a fait peser sur la Société Générale, je le demande, messieurs, n'aurait-on pas été en droit, dans l'opinion des adversaires de la Société Générale, de lui adresser les mêmes reproches ? II n'y a pas de raison possible, messieurs, contre la force majeure des circonstances, contre les crises imprévues, contre les événements qui ont été brusquement amenés par des causes étrangères et à la Belgique et à la Société Générale.

Quand on veut puiser, dans le résultat de circonstances extraordinaires et tout à fait imprévues, un texte d'accusations contre des actes posés avant ces circonstances, et dont on ne peut pas, maintenant, recueillir les fruits naturels et réguliers, je demande s'il y a de la justice, de la loyauté.

Je le répète, messieurs, je n'ai plaidé, dans tous les cas, que l'intérêt des actionnaires qui sont tout à fait étrangers à l'administration de la société, et c'est en faveur de ces actionnaires que j'ai demandé la non-suspension du payement des intérêts. Je l'ai demandé d'autant plus que quelques-uns d'entre eux se trouvent dans la même position que les déposants à la caisse d'épargne. (Interruption.) M. Osy fait une dénégation ; eh bien, j'en connais qui se trouvent dans cette position. Je conçois que l'honorable M. Osy fasse un acte de désintéressement en ce qui le concerne ; mais il veut en même temps compromettre les intérêts de ceux qui peuvent se trouver dans le besoin, surtout dans la crise actuelle.

M. Malou. - Je persiste à croire, messieurs, que l'amendement j que j'ai proposé, contient une disposition qui ne vicie pas le projet de loi, comme l'article de la section centrale. Cependant puisque M. le ministre de l'intérieur a exprimé l'opinion qu'on pouvait sans inconvénient adopter cet article, je retire mon amendement.

- La discussion est close.

M. Liedts remplace M. Verhaegen, au fauteuil.

M. Verhaegen (sur la position de la question). - Messieurs, la question est complexe. Je demande qu'on vote séparément sur ce qui est relatif aux intérêts, et sur ce qui concerne les dividendes.

Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé au vote, par appel nominal, sur la partie de l'article qui concerne les intérêts.

92 membres sont présents.

77 adoptent.

11 rejettent.

4 s'abstiennent.

En conséquence, cette partie de l'article est adoptée.

Ont voté l’adoption : MM. Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Moreau. Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Thienpont, Tielemans, T’Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Biebuyck, Brabant, Bricourt, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Cogels, d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delehaye. Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, Desaive, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, d'Hane, d'Hoffschmidt, d'Huart, Donny, Dubus (Albéric), Eloy de Burdinne, Faignart, Frère-Orban, Herry-Vispoel, Huveners, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys et Liedts.

Ont voté le rejet : MM.de Chimay, de Foere, de Liedekerke, de T’Serclaes, de Villegas, Dolez, Dumont, Duroy de Blicquy, Gilson, Jonet et Lejeune.

Se sont abstenus : MM. Mercier, Veydt, de La Coste et de Mérode. M. le président.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Mercier. - Je me suis abstenu par la raison que j'aurais désiré donner mon assentiment à une proposition intermédiaire, telle que celle qui a été présentée par l'honorable M. Malou, afin d’éviter de jeter la perturbation dans beaucoup d’intérêts privés qui méritent aussi notre sollicitude.

(page 1656) M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, après la déclaration qui a été faite par l’honorable M. Rogier, au sujet de l’article et le vote de mes collègues en sa faveur, il n'était pas possible que je votasse contre la mesure. D'un autre côté, un examen sérieux et impartial de la question, et l'attention soutenue que je viens de prêter aux débats pour apprécier les motifs qu'on a fait valoir à l'appui de l'article 10, n'ont pas détruit chez moi la conviction qu'il eût mieux valu ne point insérer une pareille disposition dans la loi. Dans cette occurrence, il ne me restait qu'un parti à prendre, celui de l'abstention.

M. de La Coste. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter contre, de peur de nuire au succès de la mesure qui est réclamée par le gouvernement, en refusant d'insérer dans la loi une disposition qui rencontre autant d'assentiment dans cette chambre. D'un autre côté, je n'ai pas voulu concourir à punir un grand nombre d'actionnaires dont quelques-uns ne sont pas dans l'aisance, de faits auxquels ils sont tout à fait étrangers, sur lesquels la plupart n'ont pu exercer aucun contrôle, ont pu exercer beaucoup moins de contrôle que le gouvernement lui-même ; et tandis qu'ils ont fourni leurs fonds, plusieurs dans un sentiment patriotique, sur un appel qui leur a été fait par le chef du gouvernement ; ont fourni leurs fonds contre une garantie personnelle très importante qui leur a été enlevée par suite des événements, je n'ai pas voulu non plus concourir à les placer dans une position qui peut se prolonger pendant plusieurs années, suivant que les circonstances l'exigeraient, position qui serait pire que le sursis.

M. de Mérode. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

- La partie de l’article 10, relative aux dividendes, est mise aux voix et adoptée.

L'article 10, dans son ensemble, est mis aux voix et adopté.

Articles 11 et 12

« Art., 11. Avant le janvier 1849, le gouvernement présentera aux chambres un rapport spécial et détaillé sur l'exécution de la présente loi et de celle du 20 mars 1848. »

- Adopté.


« Art. 12. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication au Moniteur. »

- Adopté.

Second vote des articles

M. le président. - La loi ayant été amendée, il y a lieu de fixer le second vote à lundi, à moins qu'on ne veuille y procéder demain.

M. d'Elhoungne, rapporteur. - Le gouvernement s'étant rallié à tous les amendements, il n'y aurait peut-être pas lieu à un second vote. D'un autre côté, l'honorable M. Lebeau, qui avait manifesté des scrupules sur la proposition de l'article 5 du projet, m'a paru extrêmement satisfait des explications qui lui ont été données par M. le ministre de l'intérieur, que si on pense qu'il faille un second vote, je demande qu'on y procède immédiatement, sauf à l'honorable M. Lebeau, s'il le désire, à revenir sur l'objet dont il s'agit.

M. Lebeau. - Messieurs, s'il y a un second vote sur l'article 5, je présenterai très vraisemblablement quelques objections, pour revenir au système de la section centrale.

Je demande ce qui arrivera si après la promulgation de la loi de nouveaux dépôts sont faits à la caisse d'épargne de la Société Générale : jusqu'à présent, nous n'avons prévu que le retrait de ces dépôts. Mais s'il est vrai, comme l'ont dit plusieurs honorables membres, que l'effet de la loi doive être d'inspirer de nouveau la confiance au public dans la caisse d'épargne, il est permis de prévoir de nouveaux dépôts. S'il y avait de nouveaux dépôts, en numéraire bien entendu, il me semble qu'il serait naturel qu'ils vinssent réduire le chiffre de l'émission de 20 millions. (Interruption.)

Les commissaires ne peuvent pas fermer l'accès à la caisse d'épargne pour de nouveaux dépôts.

Je crois qu'il est très désirable qu'on prévoie le cas où de nouveaux dépôts seront faits à la caisse d'épargne de la Société Générale. C'est une idée que je soumets au gouvernement.

Cela ne peut être ici, je pense, l'objet d'aucune controverse ; je ne sais, quelle objection on pourrait faire contre une disposition additionnelle, conçue à peu près en ces termes :

« Les dépôts qui pourraient être faits à la caisse d'épargne de la Société Générale, après la promulgation de la présente loi, donneront lieu à une réduction analogue dans le chiffre de l'émission autorisée par l'article premier. »

Je ne présenterais d'amendement en ce sens qu'autant qu'il ait des chances d'être adopté.

M. le président. - Pour le moment, la question est de savoir si l'on passera immédiatement au vote définitif.

M. de Brouckere. - Je répondrai d'abord deux mots à l'honorable M. Lebeau. La question qu'il vient de soulever est une question pratique ; on pourrait en soulever un grand nombre de la même nature. Ces questions doivent être résolues par le gouvernement sur le rapport que lui feront les commissaires qui seront nommés pour surveiller les opérations de la banque.

Je crois qu'il y a nécessité de procéder immédiatement au vote définitif de la loi ; que plus nous tardons à prendre une résolution, plus nous portons atteinte au crédit de la Société Générale, c’est-à-dire à nos propres intérêts. Il faut qu'on en finisse dans un bref délai de cette affaire, et que le pays sache enfin à quoi s'en tenir.

- La chambre consultée décide qu'elle passera immédiatement au second vote.

Article 5

M. le président. – A l’article 5 on a rétabli le texte primitif du gouvernement. Mais on a ajouté un paragraphe nouveau ainsi conçu :

« Un état de situation sera publié au moins tous les trois mois. »

M. Osy propose d'ajouter :

« Le bilan avec le compte des profits et pertes sera publié tous les ans. »

M. Osy. - Ma proposition est dans l'intérêt des actionnaires, dans l'intérêt du public et du gouvernement. Vous avez décidé que tous les trois mois au moins un état de situation serait publié ; je ferai remarquer que dans les statuts de la société, rien ne lui impose l'obligation de publier son bilan à la fin de l'année, avec le compte des profits et pertes. Comme nous pouvons imposer des conditions, dans l’intérêt de la société, des actionnaires, du public et de l'Etat je voudrais qu'on prescrivît à la société la publication annuelle de son bilan avec le compte de profits et pertes, car un bilan sans compte de profils et pertes, ce n'est rien, c'est une situation et rien de plus.

Depuis 25 ans que la société existe, aucun compte de profils et perte n'a été publié, de sorte qu'on ne savait pas si elle avait fait assez de bénéfices pour payer des intérêts et un dividende, ou si on prenait sur le capital

Je pense donc que dans l'intérêt de la société elle-même, des actionnaires et du public, nous devons exiger la publication d'un bilan avec compte de profits et pertes.

M. Lebeau. - Je n'avais pas sous les yeux hier le texte du projet du gouvernement lorsqu'on a mis en discussion l'article 5 entièrement nouveau proposé par la section centrale. Je viens de relire attentivement l'article 4 du gouvernement qui correspond à l'article 5 de la section centrale. J'avoue que sans les explications dans lesquelles est entré hier M. le ministre de l'intérieur, que je n'aurai peut-être pas suffisamment saisies, je me contenterai de la disposition ; mais j'ai cru comprendre que la mission des commissaires serait exclusivement concentrée dans l'examen des opérations relatives à la caisse d'épargne ; que les commissaires n'auraient pas la qualité pour s'immiscer dans aucune des autres parties de l'administration de la Société Générale.

J'avoue que si la mission des commissaires avait un caractère aussi restrictif, je croirais que les intérêts du trésor ne sont pas suffisamment sauvegardés.

Je comprends très bien la répugnance que le gouvernement éprouve à associer, si peu que ce soit, sa responsabilité même morale, à la gestion de la Société Générale ; mais je fais remarquer que le gouvernement a autre chose à faire dans ce qui va se passer à la Société Générale que de s'occuper des opérations de la caisse d'épargne ; il ne faut pas oublier qu'il a un devoir plus considérable encore, c'est de veiller à la créance de l'Etat, de contribuer, autant qu'il est en lui, à l'adoption et à l'exécution de toutes les mesures qui tendront à améliorer la situation de la Société Générale. Pour être juste, je pense que par une administration éclairée, vigilante, intelligente, on peut améliorer sensiblement la situation de la Société Générale ; mais il faut qu'on le veuille avec la même énergie que celle dont les termes de la section centrale sont empreints. La section centrale avait adopté cette disposition pour ainsi dire à l'unanimité.

Si l'honorable M. Rogier entend comme moi l'article 4, s'il ne lui donne pas le sens restrictif que je crois avoir aperçu dans les développements qu'il lui avait donnés hier, je n'insisterai pas pour l'adoption de la proposition de la section centrale ; je n'en aurais peut-être pas le droit ; mais je serais bien aise de connaître enfin d'une manière précise le sens de l'article 4, dans la double pensée de la commission spéciale et de la section centrale. Il y a pour le gouvernement un nouveau devoir qui dérive de cette circonstance que nous sommes éventuellement sous le coup de ce proverbe, qui j'espère ne se réalisera pas : « qui répond paye », et que dans ce cas on a le droit de s'enquérir des faits et gestes de son débiteur.

M. Malou. - Je désire aussi qu'on publie tous les documents de nature à éclairer le pays sur la situation de la Société Générale. Mais, si mes souvenirs sont fidèles, aucun établissement de crédit ne publie un compte des profils et pertes. Pourquoi se bornent-ils à un état de situation ? N’est-ce pas parce qu'en publiant autre chose, on publierait la situation d'autrui, on s'exposerait du moins à nuire au crédit de particuliers qui sont en relation d'affaires avec ces établissements ? La banque de France et la banque d'Angleterre, si je ne me trompe, ne publient que le compte de situation, et non le compte de profits et pertes. Sans décider en ce moment la question dans les termes proposés, on pourrait y substituer une formule plus vague qui indiquerait qu'indépendamment de la publication périodique de la situation, le gouvernement pourra exiger la publication de tous autres documents qu'il jugera utiles. De cette manière, il serait satisfait à la pensée fondamentale de l'honorable M. Osy, et on ne s'expose pas à résoudre incidemment une question qui peut avoir quelque gravité.

M. d'Elhoungne, rapporteur. - Je puis d'abord éclaircir les doutes exprimés par l'honorable M. Lebeau. Dans la discussion de l'article 5 actuel, article 4 du projet du gouvernement, l'honorable ministre de l'intérieur a interprété la mission des commissaires du gouvernement près la Société Générale dans un sens restrictif ; mais il ne l'interprétait de cette façon qu'en se détendant de la pensée que le gouvernement peut être directement chargé de la direction des affaires de la Société Générale, conséquence nécessaire de la nomination de directeurs étrangers qu'il lui ont imposés.

(page 1657) Dans l’hypothèse que le gouvernement eût à diriger la gestion financière, industrielle, commerciale de la Société Générale, M. le ministre de l’intérieur repoussait une intervention aussi étendue. Il disait que le gouvernement ne pouvait en accepter la responsabilité. Mais à l’institution d’un contrôle, d’une surveillance à exercer par des commissaires du gouvernement, M. le ministre de l’intérieur n’y a mis aucune restriction.

J’ai même interpellé le gouvernement pour savoir si la mission des commissaires se rapportait à la liquidation des anciens comptes ; si ces commissaires n'auraient pas la mission de forcer la main à la Société Générale de manière à ce qu’elle réalisât activement, incessamment tout ce qui serait réalisable et se mît ainsi à même de faire face promptement à toutes ses obligations. M. le ministre des travaux publics m'a répondu : que non seulement leur mission irait jusque-là, mais qu'elle consisterait surtout en cela. Il n'y a donc aucun doute sur le sens de l'article 5. Je pense que MM. les ministres sont entièrement d'accord avec moi, que les commissaires auront une mission de contrôle, de surveillance, et que le but suprême de tons leurs efforts devra être d'activer de la manière la plus active, la plus ferme, la plus inexorable, la rentrée de toutes le sommes dues à la Société Générale.

Quant à l'amendement de l’honorable M. Osy, je l'appuie de toutes mes forces. Je ne puis partager les scrupules de l'honorable M. Malou, qui objecte que les établissements de crédit ne publient pas leurs comptes de profits et pertes ; il a cité à ce sujet les banques de France et d'Angleterre. Mais est-ce qu'on peut comparer la Société Générale à la banque de France ou à la banque d'Angleterre ? Ce sont là des établissements de crédit proprement dits : Mais depuis longtemps la Société Générale (c'était même un de nos griefs contre elle) a cessé d'être un établissement de crédit. Elle n'était plus qu'un vaste établissement industriel, tant par les exploitations qu'elle possédait directement, que par celles qu'elle avait sous son patronage où auxquelles ses dépôts l'intéressaient indirectement. Ce n'est donc pas le bilan d'un établissement de crédit, le bilan d'une banque que l'on publiera. C'est le compte de profits et pertes, c'est le bilan d’un vaste établissement industriel. Donc les inconvénients signalés par l'honorable M. Malou n'existent pas.

Si l’on change la forme de l'amendement de l'honorable M. Osy, il faut au moins lui laisser cette portée, que l'on devra publier le bilan sincèrement, en y comprenant le compte des profits et pertes, qui a été jusqu'ici le plus secret, et qui sera à l'avenir le plus intéressant des chapitres de ce bilan.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je craindrais d'affaiblir par une explication nouvelle mes explications d'hier et les termes mêmes de l'article 4, qui est très clair, comme je l'ai dit hier, et très énergique dans sa concision. Il attribue aux commissaires du gouvernement un double rôle, un rôle de surveillance, un rôle actif au besoin. Les commissaires sont chargés de proposer au gouvernement toutes les mesures qu'ils jugeraient utiles aux intérêts de l'Etal, et, en cas d'approbation de ces mesures, d'en provoquer l'exécution. Il n'est pas possible de leur donner un mandat plus large.

J'ai dit hier qu'il ne fallait pas confondre le rôle donné aux commissaires dans l'intérêt de l'Etat, avec celui de l'administration quotidienne, dans l'intérêt de la société, que leur donnait la section centrale. Voilà le rôle que nous avons entendu repousser, en laissant intact celui que leur attribuait énergiquement l'article 4 du projet du gouvernement. Relisons cet article. Je crois qu'on ne pourrait que l'affaiblir par des explications nouvelles.

J'ai dit qu'un des points spéciaux à soulever par les commissaires serait la question des caisses d'épargne.

J'ai cité, indépendamment de cet exemple, l'émission de papier-monnaie et l'escompte.

Voilà toutes les opérations de la banque dont les commissaires du gouvernement auront la surveillance et le contrôle. Mais quant à s'immiscer dans les intérêts de la société, ce n'est pas leur rôle, nous ne voulons pas de ce rôle-là.

Si vous voulez formuler d'une manière plus convenable le mandat des commissaires du gouvernement, nous ne nous y opposons pas. Quant à nous, cela ne nous paraît pas possible.

M. Osy. - Je ne puis me rallier à la proposition de l'honorable M. Malou.

M. le président. - Elle est retirée.

M. Osy. - La banque de France, à la fin de chaque année, publie non seulement son bilan, mais encore son compte de profits et perles.

On peut voir ce qu'elle a gagné d'intérêts, ce qu'elle a perdu dans des faillites. Personne n'est nommé : on voit les chiffres globaux de chaque compte. C'est nécessaire, car un bilan n'est rien sans le compte de profits et pertes. J'en ai l'expérience depuis 40 ans.

J'espère donc que mon amendement, dans l'intérêt de la Société Générale elle-même, sera adopté.

- L'amendement de M. Osy est mis aux voix et adopté.

L'amendement introduit au premier vote dans l'article 5 est définitivement adopté.

L'article 5 est définitivement adopté avec ces deux amendements.

Articles 6, 8 et 10

La chambre adopte définitivement sans discussion les amendements introduits dans les articles 6, 8 et 10.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet ;

93 membres répondent à l'appel nominal ;

61 votent l'adoption ;

30 le rejet ;

2 s'abstiennent.

En conséquence le projet est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Orts, Osy, Pirson, Rogier, Rousselle, Sigart, Tielemans, T’Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Huffel, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, d'Anethan, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, de La Coste, Delehaye, d'Elhoungne, de Meester, de Muelenaere, Desaive, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de T’Serclaes, de Villegas, d'Hane, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dumont, Duroy de Blicquy, Faignart, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Jonet, Lange, Le Hon, Lesoinne, Loos et Liedts.

Ont répondu non : MM. Moreau, Orban, Pirmez, Raikem, Rodenbach, Thienpont, Van Cleemputte, Vandensteen, Van Renynghe, Anspach, Biebuyck, Bricourt, Dautrebande, David, de Bonne, de Garcia de la Vega, de Haerne, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Mérode, Destriveaux, de Tornaco, d'Huart, A. Dubus, Eenens, Eloy de Burdinne, Huveners, Lebeau, Lejeune et Lys.

Se sont abstenus : MM. Cogels et de Liedekerke.

M. Cogels. - Messieurs, si la loi s'était bornée à l'article premier, j'aurais émis un vote négatif. Mais l'article 7 contient une disposition qui tend à assurer le service du trésor, et je n'ai pas voulu compromettre ce service.

M. de Liedekerke. - Je n'ai pas voulu voter contre le projet, parce que je le considère comme essentiel aux intérêts industriels et financiers du pays ainsi qu'à son crédit. Je n'ai point voulu voter pour lui, parce qu’après les débats qui ont en lieu et les discussions que vous avez entendues, je le regarde comme frappé d'impuissance.

Projet de loi instituant une caisse d'épargne fondée par l'Etat

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Veydt). - J'ai l'honneur de présente un projet de loi tendant à instituer une caisse d'épargne fondée par l'Etat. C’est le complément de la mesure que la chambre vient de voter.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.

La chambre en ordonne l'impression, la distribution et le renvoi à l'examen des sections.

M. de Theux. - Je demanderai si le gouvernement a déjà préparé un projet de statuts de la caisse d'épargne qu'il s'agit de fonder.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Non. Le projet a été préparé avec le concours d'une commission spéciale. Nous comptons que cette commission voudra bien aussi nous aider pour la rédaction des statuts.

Projet de loi accordant une prolongation de délai pour l'exécution du chemin de fer de Namur à Liége et de Mons à Manage

Dépôt

Projet de loi accordant une prolongation de délai pour l'exécution du chemin de fer de Louvain à la Sambre

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - J'ai l'honneur de déposer deux projets de loi, l'un tendant à accorder une prorogation de délai pour l'exécution des chemins de fer de Namur à Liège et de Mons à Manage ; l'autre tendant à accorder une prorogation de délai à la compagnie du chemin de fer de Louvain à la Sambre.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi.

Ils seront, ainsi que les motifs qui les accompagnent, imprimés et distribués.

Ils sont renvoyés à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 heures et demie.