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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 19 mai 1848 (après-midi)
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi instituant une caisse d’épargne par
l’Etat (Verhaegen, Vilain XIIII,
Veydt, de Brouckere)
3) Rapports de pétitions relatives, notamment, au
droit de patente à Gembloux (Brabant)
4) Projet de loi tendant à proroger le délai
d’exécution des chemins de fer concédés de Liége à Namur et de Mons à Manage
(+chemin de fer de Manage à Wavre) (Frère-Orban, Delfosse)
5) Projet de loi tendant à proroger le délai d’exécution
du chemin de fer concédé de Louvain à la Sambre (de La
Coste, Frère-Orban, de La
Coste, Frère-Orban, Osy, Frère-Orban)
6) Projet de loi tendant à proroger le délai
d’exécution du chemin de fer concédé de l’Entre-Sambre-et-Meuse (de Baillet-Latour, Frère-Orban)
7) Projet de loi tendant à proroger le délai
d’exécution du chemin de fer concédé de la Flandre occidentale
8) Projet de loi relatif au personnel de la cour
d’appel de Bruxelles et de certains tribunaux de première instance (Osy, Delehaye, Lys)
9) Projet de loi établissant des incompatibilités
parlementaires. Indépendance des députés-fonctionnaires. Discussion générale (Destriveaux, Lebeau, Tielemans), ordre des travaux de la chambre (de Mérode, Lebeau, Malou, de Bonne, Rogier)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page
1732) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi
et demi.
La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer
donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est
approuvée.
M.
A. Dubus communique à la chambre l'analyse des pièces qui
lui sont adressées.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« La chambre de commerce et des
fabriques de Courtray présente des observations contre le projet de loi relatif
au timbre sur les effets de commerce. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
__________________
« Le sieur Bertier, ancien sous-officier de l'empire, réclame
l'intervention de la chambre pour obtenir les arriérés de sa pension de légionnaire,
depuis le 1er janvier 1814 jusqu'au 1er janvier 1835, et les intérêts
accumulés. »
- Renvoi à la commission des pétitions,
__________________
« Quelques habitants de Maeseyck demandent qu'il n'y ait aucune
exception au principe d'incompatibilité entre les fonctions publiques et un
mandat législatif et proposent des mesures pour améliorer la situation du pays.
»
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la
réforme parlementaire et renvoi à la commission des pétitions.
__________________
Par divers messages du 18 mai, le sénat informe la chambre qu'il a
adopté les projets de loi modifiant la loi électorale, la loi communale, la loi
provinciale et le projet qui transfère à Fexhe-lez-Slins le chef-lieu de la
justice de paix établi à Glons. »
- Pris pour notification.
__________________
M. Dolez, retenu par la mort de sa sœur, s'excuse de ne pouvoir prendre
part aux travaux de la chambre.
- Pris pour information.
PROJET DE LOI INSTITUANT UNE CAISSE D’EPARGNE PAR L’ETAT
M.
Verhaegen. (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la
section centrale chargée de l'examen du projet de loi qui a pour objet
l’institution d'une caisse d'épargne par l’Etat s’est réunie déjà pendant deux
séances : elle s'est occupée du dépouillement des procès-verbaux des sections
et de l’examen des nombreuses observations, je pourrais dire même des nombreux
systèmes qu'ils renferment.
Il ne s'agit pas seulement de la question de savoir s'il y aura une
caisse d'épargne sous la direction de l'Etat, mais de déterminer comment cette
caisse d'épargne sera établie, sous quelles conditions, avec quelles garanties,
avec quels moyens de remboursement, surtout, en cas de crises. Toutes ces
questions, qui se résument dans des questions à la fois sociales, politiques et
financières, et qui se rattachent, en outre, à la grande question de la banque,
exigent des renseignements nombreux, des études approfondies.
A la suite d'un premier examen, la section centrale a prié M. le
ministre des finances de se rendre dans son sein pour fournir quelques
explications ; ces explications, qui ont été immédiatement fournies, en exigent
beaucoup d'autres.
Dans cet état de choses, la section centrale, prévoyant que son rapport
ne pourra vous être présentés que dans une huitaine de jours, car elle ne veut
pas faire cette besogne à la légère, m'a chargé de vous donner connaissance de
la marche de ses travaux.
Le gouvernement, je m'empresse de le dire, désire que la question soit
examinée par la chambre et reçoive une solution avant la fin de la session. Il
croit que le projet de loi est un corollaire indispensable de la loi que nous
avons votée sur l'émission de 20 millions de billets de banque ; il considère
l'institution d'une caisse d'épargne par l'Etat comme un moyen auxiliaire pour
rendre efficace la mesure que nous avions adoptée.
C'est maintenant à la chambre à fixer son ordre
du jour, de manière à laisser à la section centrale, dont j'ai l'honneur d'être
l'organe,, te temps nécessaire pour remplir consciencieusement sa mission.
Messieurs, la section centrale,, veuillez-le remarquer, ne vous fait
aucune proposition ; elle se borne à vous faire apprécier l'importance des
questions qui ont surgi à la suite d'un premier examen et la nécessité d'y
donner une attention sérieuse. Chacun des membres de.la section centrale est
prêt à donner tous ses moments à l'examen du projet de. loi et à concourir à
vous présenter le rapport le plus tôt possible ; mais alors qu'il peut être
question de dissoudre les chambres, il était de son devoir de vous faire
connaître le véritable état des choses.
M. Vilain XIIII. - Je
demande que le gouvernement veuille bien s'expliquer sur la possibilité de
l'ajournement ou la nécessité de la discussion du projet de loi relatif à la
caisse d’épargne. Ce n'est pas à la chambre à décider l’ajournement de la
discussion, c'est au gouvernement à voir et à dire s'il croit que le vote de ce
projet de loi est absolument nécessaire. La dissolution dépend du gouvernement
et non de la chambre. La chambre est d'accord avec le gouvernement sur la
nécessité et l’opportunité de la dissolution, mais il n'est pas nécessaire
qu'elle ait lieu cette semaine ou la semaine prochaine, et si le gouvernement
croit que le vote de la loi est indispensable, la chambre ne tiendra pas à se
retirer huit jours plus tôt ou plus tard.
Je demande que le gouvernement s'explique sur la nécessité ou non
nécessité de ce projet.
M. le ministre des finances (M. Veydt). -
Messieurs, l’honorable M. Verhaegen vient de faire connaître que le
gouvernement a exprimé le désir à la section centrale qu'il préside, qu'elle
voulût bien s'occuper de l'examen du projet de loi sur l'institution d'une
caisse d'épargne par l’Etat et en faire l’objet d'un prompt rapport. Je ne
pense pas qu'il soit possible de se servir d'autres expressions pour faire voir
que le gouvernement tient à ce que ce projet soit examiné et discuté avant la
fin de cette session.
Vous le savez, messieurs, dans la discussion qui a eu lieu à l'occasion
du projet de loi relatif à la seconde émission de billets de banque, le
gouvernement a constamment dit que le projet d'institution d'une caisse
d'épargne était un corollaire et un moyen auxiliaire pour arriver à rendre plus
efficace la mesure qui a été votée. Rien ne l'a fait ni ne le fera varier dans
son appréciation et sa manière de voir à ce sujet. Il persiste donc à demander,
afin que cette loi ait plus de chances d'efficacité que le projet sur la caisse
d'épargne soit encore voté par la législature actuelle/
Voilà le désir du gouvernement. A présent je ne sais si dans la
situation où nous sommes, en égard aux travaux de la session, il peut être
satisfait à ce désir. La chambre en décidera.
M.
de Brouckere. - Après la déclaration que vient de faire M. le
ministre des finances, je crois que la chambre n'a aucune résolution à prendre.
La section centrale est chargée d'une mission ; elle remplira cette mission le
plus tôt et le plus convenablement possible. La chambre attendra que le rapport
soit fait pour discuter le projet, ou que le gouvernement prononce la
dissolution. Mais ce n'est pas à la chambre à décider si elle prolongera ou non
la session. La chambre siégera jusqu'à ce que le gouvernement prononce la
dissolution.
Je demande donc l'ordre du jour.
M.
Vilain XIIII. - C'est-à-dire que la section centrale
continuera l'examen du projet ?
Plusieurs
membres. - Oui !
oui !
- L'ordre du jour est prononcé.
RAPPORTS DE PETITIONS
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de
Berchem, le 31 décembre 1847, le sieur Van Passer, cultivateur, réclame
l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef de pertes
causées par les événements de guerre de la révolution. »
Ordre du jour.
- Adopté.
__________________
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de
Tamise, le 2 mars 1848, le conseil communal de Tamise demande que cette commune
qui, dans le tarif B pour le droit de patente, figure parmi les communes de la
5ème catégorie, soit placée dans la 6ème catégorie. »
Renvoi à M. le ministre des finances.
- Adopté.
__________________
(page 1733) M. de Breyne,
rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 17 mars 1848, le
sieur Smets prie la chambre d'exempter de l'avance des 8/12 de la contribution foncière
impropriétés bâties qui ne sont pas occupées faute de locataires. »
Ordre du jour ?
- Adopté.
__________________
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de
Bruxelles, le 20 mars. 1848, le sieur Dewevre demande l'exemption du payement
de l'avance des 8/12 de la contribution foncière sur des, immeubles qu'il
possède à Bruxelles. »
Ordre du jour.
- Adopté.
__________________
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Tournay,
le 22 mars 1848, le sieur Lefebvre demanda qu'il soit interdit aux notaires de
stipuler dans les baux ou dans les obligations hypothécaires, que les emprunts,
dus à raison des immeubles loués ou des créances hypothéquées, seront à la
charge des locataires ou des débiteurs. »
Ordre du jour.
- Adopté.
__________________
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de
Grandleez, le 24 mars 1848, le sieur Philippart, secrétaire communal, demande qu'il
soit accordé aux secrétaires communaux une légère rémunération pour le surcroît
de besogne que leur donnera le projet de loi sur l'emprunt. »
Renvoi à M. le ministre des finances.
- Adopté.
__________________
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de
Vonèche, le 12 avril 1848, plusieurs habitants de Vonèche-Froid-Fontaine
demandent que le hameau de Froid-Fontaine soit érigé en commune séparée de
Vonêche. »
- Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
__________________
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Liège, le
28 mars 1848, le sieur Delsemme, ancien officier, prie la chambre de lui faire
obtenir la croix de fer ou toute autre récompense nationale. »
Ordre du jour.
- Adopté.
__________________
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de
Liège, le 29 mars 1848, le sieur Nevraumont, instituteur communal à Ste-Marie,
prie la chambre de l'exempter du service militaire.»
Ordre du jour.
- Adopté.
__________________
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée d'Ostende,
le 4 avril 1848, le sieur Lefevre, maître maréchal à Ostende, réclame
l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef des pertes
essuyées lors de la construction du fanal des dunes à l'est du port d'Ostende.»
Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
__________________
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de
Tirlemont, le 8 avril 1848, le sieur Sitterbaer demande que le gouvernement
soit autorisé à vendre les marais et prairies communaux, moyennant une
indemnité à donner aux communes et à leurs habitants. »
- Renvoi à MM. les ministres de l’intérieur et des finances.
- Adopté.
__________________
M. de
Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Mons, le
14 avril 1848, le sieur Meurice, décoré de la croix de fer, demande une
pension. »
Ordre du jour.
- Adopté.
M.
Brabant. - Messieurs, sons la date du 17 avril de cette
année, un grand nombre d'habitants de Gembloux se sont adressés à la chambre
pour se plaindre de l'augmentation du droit de patente exigé de cette localité.
Cette pétition a été, le 19 avril, renvoyée à la commission des pétitions.
Depuis lors elle n'a été comprise dans aucun feuilleton, tandis que celui dont
on vient de s'occuper comprend des pétitions que ne datent que du 8 mai.
Je demanderai que la commission des pétitions soit invitée à faire un
prompt rapport sur la requête dont je parle.
- Cette proposition est adoptée.
PROJET DE LOI TENDANT A PROROGER LE DELAI D’EXECUTION DES CHEMINS DE FER CONCEDES DE LIEGE A NAMUR ET DE MONS A MANAGE
« Article unique. Le gouvernement est autorisé, sous les garanties qui
lui paraîtront nécessaires, à proroger au 28 juillet 1850 les délais fixés par
l’article 13 du cahier des charges de la concession du chemin de fer de Liége à
Namur et par l'article 14 du cahier des charges de la concession de celui de
Mons à Manage.
« La convention nouvelle à intervenir avec la compagnie concessionnaire
sera publiée avec la présente loi. »
- La section centrale propose l'adoption du projet.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban).
- Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire hier à la chambre, le projet de loi
doit être amendé parce que la compagnie des chemins de fer de Liége à Namur et de
Mons à Manage s'est entendue avec la compagnie concussionnaire du chemin de fer
de Manage à Wavre pour mettre à la disposition de la première le cautionnement
de 750,000 fr. actuellement improductif dans les caisses de l'Etat. J'ai donc
l'honneur de proposer à la chambre un deuxième paragraphe, qui serait ainsi
conçu :
« 2° A mettre à la disposition de la compagnie concessionnaire du
chemin de fer de Liège à Namur et de Mons à Manage, pour un temps qui ne pourra excéder deux ans, les
titres d’emprunt belge, s'élevant au capital nominal de 1,296,000 fr., déposés
dans les caisses de l'Etat à titre de cautionnement du chemin de fer de Manage
à Wavre.
« Ces fonds seront exclusivement employés à l'exécution du chemin de fer
de Mons à Manage. »
Le prêt aura lieu, messieurs, à des conditions tout a fait analogues à
celles que j'ai fait connaître pour la concession du chemin de fer de Jurbise à
Tournay.
M.
Delfosse. - Il est bien entendu que la compagnie ne
pourra vendre les fonds publics qui vont lui être restitués. Une telle vente
pourrait déprécier encore les fonds belges qui ne sont que trop bas ; il entre
sans doute dans les intentions de M. le ministre des travaux publics de
n'autoriser la compagnie qu'à effectuer un emprunt qui serait garanti par le
dépôt des pièces formant le cautionnement.
M.
le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Dans la
convention faite avec la compagnie du chemin de fer de Tournay à Jurbise, il a
été expressément stipulé que les titres sont mis à la disposition de la
compagnie, afin qu'elle puisse se procurer sur dépôt de ces fonds, soit à
Londres, soit ailleurs, des sommes destinées exclusivement à l'exécution du
chemin de fer. C’est ainsi que la chose aura lieu. C'est un simple dépôt.
- L'amendement de M. le ministre des travaux, publics est mis aux voix
et adopté.
L'article unique du, projet est ensuite adopté avec cet amendement.
La chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.
L'amendement de M. le ministre des travaux publics est remis aux voix et
définitivement adopté.
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'article unique du
projet de loi.
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 73 membres qui ont répondu
à l'appel nominal. Il sera transmis au sénat.
Ont voté l'adoption : MM. Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe, Vilain
XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Bricourt, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans,
Cogels, Coppieters, d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne,
de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de
Denterghem, de Foere, de Haerne, de la Coste, Delehaye, Delfosse, de
Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, Destriveaux, de Terbecq, de Theux,
de Tornaco, de Villegas, d'Hane, d'Huart, Dubus (aîné), Dubus (Albéric),
Dumont, Duroy de Blicquy, Eloy de Burdinne, Faignart, Frère-Orban, Gilson,
Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys,
Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem,
Rodenbach, Roussette, Sigart, Thienpont, T’Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye et
Liedts.
PROJET DE LOI TENDANT A PROROGER LE DELAI D’EXECUTION DU CHEMIN DE FER CONCEDE DE LOUVAIN A LA SAMBRE
M.
de La Coste. - Messieurs, quoique la chambre vienne de voter
une loi à peu près semblable, presque sans discussion, il n'en est pas moins
vrai que les mesures de cette nature ont une certaine gravité ; elles sont
plutôt dans l'intérêt de la société même, qui se charge de l'entreprise que des
localités que cette entreprise tend à doter d'une nouvelle voie de
communication.
En effet, on pourrait concevoir qu'une société ayant encouru la
déchéance, une autre société pût surgir, qui exécuterait les travaux avec
beaucoup plus de facilité, parce qu’elle pourrait avoir comme avance, comme
prime, les travaux déjà effectués par l'autre société ou le cautionnement
déposé par elle.
Je comprends que, dans les
circonstances actuelles, il faut user d'une certaine indulgence à l'égard des
sociétés, et que la marche que je viens d'indiquer serait trop rigoureuse ;
mais ce n'est que pour autant qu'on ne pourrait élever des doutes sur la
solidité de la société, ou que l'on n'ait pas à lui adresser des reproches de
mauvaise gestion ou de négligence.
La chambre a déjà été entretenue des réclamations de la ville de Louvain
relativement à la manière dont la société, dont il s'agit ici, avait opéré. La
ville de Louvain a dit que la société s'était engagée à 'exécuter des travaux
dans la traverse et aux abords de la ville de Louvain ; qu'elle les avait
abandonnés, et avait porté ses principaux travaux à l'extrémité opposée de la
ligne ; or, si la société n'avait pas rempli exactement ses obligations, la
chambre pourrait trouver quelque difficulté à adopter le projet de loi. C'est
en ce sens que dans une section on a demandé des explications de la part du
gouvernement. Le projet de loi ne fait qu'accorder une faculté au gouvernement,
qui devra prendre des garanties, des sûretés ; cette condition me rassure ;
cependant je prierai M. le ministre de vouloir donner des explications sur les
points que je viens d'indiquer.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban).
- L'honorable préopinant demande quelles sont les causes qui empêchent la
compagnie d'exécuter les travaux qu'elle devait faire aux abords et dans la
traverse de la ville de Louvain.
J'ai déjà eu l'honneur de le dire, la compagnie par suite des
circonstances, se trouve dans une position difficile comme toutes les
compagnies concessionnaires ; elle rencontre des obstacles assez grands pour
l’exécution des travaux très importants et très coûteux qu'elle doit faire
faire pour l'entrée du chemin de fer dans la ville de Louvain. Elle étudie en
ce moment un plan qui lui permettrait d'arriver au même résultat sans dépenser
des sommes aussi considérables.
Voilà la situation, mais jusqu'à présent aucune proposition n'a été
adressée au département des travaux publics ; le gouvernement n'a pas été
appelé à émettre une opinion sur la question de savoir s'il y avait lieu de
déroger à la convention, car cette convention fait partie de la loi et la loi
ne peut être changée que par une loi. C'est la seule cause de la suspension des
travaux, je n'en connais pas d'autre. Le gouvernement, aussi longtemps que rien
n'est changé à la loi qui contient la convention, ne peut qu'insister pour que
la compagnie remplisse scrupuleusement tous ses engagements.
(page
1734) M. de La Coste.
- Je prierai M. le ministre de vouloir bien se faire rendre compte de ce qui a
eu lieu relativement à ce chemin de fer, surtout quant à la question qui,
suivant ce que vient de dire M. le ministre, fait l'objet des études de la
société. C'est une question qui a été agitée ici et résolue par la chambre. On
avait adopté d'abord un plan moins coûteux, mais ce plan a donné lieu, de la
part de la ville de Louvain, à de vives réclamations. Je conçois que la société
voudrait revenir aux premières données qui ont été modifiées par la chambre ;
mais j'engagerai M. le ministre à se prémunir contre les tentatives de ce
genre. Il faudrait, sans doute, que la chambre intervînt avant que ces
tentatives eussent un résultat ; mais je pense, en outre, que le gouvernement
croirait devoir consulter les localités intéressées, avant de saisir la chambre
d'une proposition de ce genre : elle donnerait probablement lieu à une vive
opposition de la part de l'administration communale de Louvain qui pensait que
le plan auquel on voudrait revenir rendait le chemin de fer plus onéreux
qu'utile à cette ville.
M. le ministre n'a pas répondu à ce que j'ai dit quant à la solidité de
la compagnie ; je l'engagerai à ne pas accorder d'atermoiement, ce qui, du
reste, engagerait sa responsabilité, sans s'assurer que la compagnie offre
toutes garanties pour l'accomplissement de ses obligations ; sans cela,
messieurs, mieux vaudrait ne rien statuer, quant à présent, et laisser intacte
la question de déchéance. Je ne préjuge rien, mais je prie le ministre, la loi
volée, de ne rien décider avant de s'être assuré des garanties qu'offre la
compagnie pour la réalisation de ses engagements.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban).
- Les renseignements que je viens de donner sont officieux ; je ne connais pas
officiellement les intentions de la compagnie, quant aux travaux des abords de
la ville de Louvain, j'indique les motifs qui expliquent les retards que met la
compagnie à les exécuter. Je ne préjuge pas, si dans le cas où une demande
serait adressée au gouvernement, il y aurait lieu d'accorder la moindre
modification à la loi qui a été adoptée. C'est une question qui, si elle se
présente, sera examinée par la chambre. Je n'ai pas de raison de croire qu'il
faille faire de nouveaux avantages à la compagnie sous ce rapport.
Quant au deuxième point, l'honorable membre demande que je ne fasse de
convention avec la compagnie, en exécution de la loi qui accorde une
prorogation de délai qu'après avoir obtenu des garanties suffisantes de sa
solidité. Comment l'honorable membre veut-il que je constate la solidité de la
compagnie, que j'aie la certitude de l'accomplissement entier de ses
obligations ? La loi que nous proposons a précisément pour objet de permettre
aux actionnaires de verser, car n'ayant pas l'assurance que la déchéance ne
serait pas prononcée, ils continueraient à exciper de cette crainte pour ne pas
verser.
J'ai l'espoir que la compagnie continuera ses travaux, mais je n'ai
aucun moyen de m'assurer de la solidité des divers porteurs d'actions. Je ne
puis, qu'en exécution de la loi que je sollicite, passer une convention que je
considère comme le meilleur moyen d'obtenir que la compagnie continue ses
travaux à l'aide des versements qui seront effectués par les actionnaires.
M. Osy. - J'ai demandé la parole pour faire
une observation sur l'article 5 de la convention. Après la concession du chemin
de fer de Louvain à la Sambre, la société a pris des engagements stipulant des
payements à effectuer à l'expiration du délai d'exécution. Ce délai expire au
21 mai prochain. Elle voudrait trouver moyen, en vertu de la loi qu'on va
présenter, de ne payer qu'en 1851, tandis que l'engagement de payer lors de
l'expiration du délai était formel. Je demanderai à M. le ministre des travaux
publics s'il ne pourrait trouver un moyen plus positif que l'article 5 de la
convention, pour que la société tienne ses engagements et paye à l'époque fixée
par la présente convention.
La section centrale a motivé son opinion sur cet objet, je demanderai à
M. le ministre des travaux publics s’il est d'accord avec la section centrale.
M.
le ministre des travaux publics (Frère-Orban). -
Messieurs, des tiers ont contracté avec la compagnie concessionnaire. Ces
engagements, ces traités sont tout à fait étrangers au gouvernement ; il n'y
est pas intervenu, ne les a pas appréciés et ne peut être juge des
conséquences.
Ces tiers se sont adressés au département des travaux publics et lui ont
demandé d'intervenir en leur faveur auprès de la compagnie concessionnaire afin
que celle-ci acquittât ses obligations. L'administration ne pouvait se
constituer juge des prétentions que l'on élevait à charge de a compagnie.
Celle-ci pouvait avoir des exceptions particulières à faire valoir contre ceux
qui se prétendaient ses créanciers.
L'administration ne pouvait faire qu'une chose : c'était ne pas
préjudicier aux droits des tiers, empêcher que la compagnie ne pût faire valoir
contre eux les avantages qui lui étaient faits. C'est ce qui a été stipulé par
l'article 5 de la convention provisoire intervenue entre la compagnie
concessionnaire et le gouvernement, article qui dit d'une manière catégorique,
la section centrale l'a reconnu, que les délais qui seront accordés par la loi
à la compagnie concessionnaire, ainsi que les stipulations et les conventions à
intervenir entre elle et le gouvernement, ne pourront en aucun cas, en aucune
manière, préjudicier aux droits des tiers. .
Ces tiers pourront donc agir contre la compagnie comme si aucune espèce
de délai n'avait été accordé à la compagnie, comme si aucune convention n'était
intervenue. En d'autres termes, les choses sont entières entre les créanciers
et la compagnie. C'est aux tribunaux, s'il y a débat, à statuer sur les
différends.
M.
Delfosse remplace M. Liedts au fauteuil.
- Personne ne demandant plus la parole, il est procédé au rote par appel
nominal sur l'article unique du projet, qui est adopté à l'unanimité de 78
membres, 1 membre (M. de La Coste) s'étant abstenu.
Les membres qui ont voté pour ce projet sont : MM. Vandensteen,
Van Huffel, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Bricourt,
Broquet-Goblet. Bruneau, Cans, Clep, Cogels, Coppieters, d'Anethan,
Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, de
Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Foere, de Haerne, Delehaye, Delfosse, de
Liedekerke, de Man d'Attenrode. de Mérode, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq,
de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, d'Huart, Donny, Dubus
(aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Huveners,
Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius,
Mast de Vries, Moreau, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier,
Rousselle, Sigart, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Vanden
Eynde.
M.
de La Coste. - J'aurais voulu que les administrations des principales
communes intéressées eussent été entendues avant de me prononcer.
PROJET DE LOI TENDANT A PROROGER LE DELAI D’EXECUTION DU CHEMIN DE FER CONCEDE DE L’ENTRE-SAMBRE-ET-MEUSE
M. le
président. - L'article unique du projet est ainsi conçu :
« Article unique. Le gouvernement est autorisé, sous les garanties qui
lui paraîtront nécessaires, à proroger :
« 1° au 31 décembre 1851, le délai accordé pour l'achèvement des
travaux de la ligne principale du chemin de fer concédé de
l'Entre-Sambre-et-Meuse et des embranchements de Thy-le-Château à Laneffe, de
Walcourt à Morialmé, de Fairoul à Froidmont, de Mariembourg à Couvin et de
Philippeville ;
« 2° au 31 décembre 1853, le délai accordé pour l'achèvement des
travaux des branches accessoires de Florenne à la Meuse et d'Oret à la Sambre.
« Une convention nouvelle à intervenir avec la compagnie concessionnaire
sera publiée avec la présente loi. »
M.
de Baillet-Latour. - Messieurs, je ne viens pas abuser
des moments de la chambre ; cependant je lui demande la permission d'adresser,
au sujet du projet de loi en discussion, quelques questions à M. le ministre
des travaux publics.
Je désirerais qu'il nous fît connaître, et de manière à dissiper toutes
les inquiétudes répandues, à tort je l'espère, dans l'arrondissement de
Philippeville, s'il n'y aura aucune modification apportée au cahier des charges
de la compagnie du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse, et si, dans aucun
cas, on n'a l'intention d'abandonner la ligne de Philippeville.
Cet embranchement a une très grande
importance, une importance aussi grande que celle du tronc principal. Loin de
consentir à ce qu'il fût abandonné, je viens demander au contraire que les travaux
qui seront exécutés par la compagnie le soient sur cette partie du railway,
dont tous les plans sont prêts et n'attendent plus que l'exécution. Il
résulterait de la construction de l'embranchement de Philippeville des
avantages réels pour le trésor. D'abord avantages pour les frais de
l'administration des postes, car la compagnie doit transmettre les dépêches
gratuitement, avantage pour le transport des troupes, avantage considérable
pour le commerce et pour l'industrie, dans un arrondissement où l'industrie a
pris un grand développement, avantages de toute nature sur lesquels je ne veux
pas insister pour ne pas fatiguer la chambre ; mais je ne puis passer sous
silence la nécessité inévitable de donner des travaux à un arrondissement qui
renferme une grande quantité d'ouvriers, et auquel on n'a accordé aucune part
des subsides distribués dans toutes les provinces.
J'ose espérer que M. le ministre prendra en considération ces courtes
observations, et que la réponse qu'il voudra bien y faire sera de nature à
rassurer les travailleurs et la population tout entière de mon arrondissement.
M.
le ministre des travaux publics (Frère-Orban). -
Messieurs, le projet de loi me paraît
répondre très explicitement à la question que vient de m'adresser l'honorable
préopinant. Le projet de loi se borne à proroger le délai d'exécution pour les
sections principales jusqu'au 31 décembre 1851 et pour les sections accessoires
de Florennes à la Meuse, etc., jusqu'au 31 décembre 1853. Il n'est apporté
aucune modification au cahier des charges, et par conséquent toutes les
obligations de la compagnie continuent à subsister, et on voit par le texte
même de la loi qu’au nombre de ces obligations se trouve l'exécution de
l'embranchement vers Philippeville. L'honorable membre peut donc avoir tous ses
apaisements.
M.
de Baillet-Latour. - Je dois observer à M. le ministre
des travaux publics que parmi les sections de travaux citées dans le projet de
loi, l'embranchement de Philippeville se trouve en dernière ligne. Il vient
même après l'embranchement de Couvin qui est le point le plus éloigné vers
l'extrême frontière. Je demande à M, le ministre des travaux publics pour
quelle raison l'embranchement de Philippeville est ainsi relégué tout à la fin
de l'énumération des travaux. Il me semble que Philippeville étant le chef-lieu
de l'arrondissement, il faudrait ordonner les travaux de manière à ce qu'on
marche graduellement vers Couvin.
(page 1738) M. le ministre
des travaux publics (Frère-Orban). - L'ordre dans lequel sont placés
les noms des diverses localités, est sans importance, sans signification ; le
délai d'exécution aussi bien pour les parties dont les noms se trouvent en
dernière ligne, que pour les autres, est le 31 décembre 1851. La compagnie
continuera à agir comme elle l'a fait jusqu'à présent et je crois qu'on n’a
nullement à se plaindre de la manière dont elle a exécuté les travaux.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du
projet qui est adopté à l'unanimité des 71 membres présents.
Ce sont : MM. Vandensteen, Van Huffel, Verhaegen, Vilain XIIII,
Wallaert, Zoude, Brabant, Bricourt, Bruneau, Cans, Coppieters, d'Anethan,
Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere,
Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Foere, de La
Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d’Attenrode, de
Meester, de Mérode, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes,
de Villegas, d'Hane, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Eloy de
Burdinne, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau,
Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Moreau, Orban,
Osy, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Thienpont, T'Kint de Naeyer,
Tremouroux, Troye, Van Cutsem et Vanden Eynde.
PROJET DE LOI TENDANT A PROROGER LE DELAI D’EXECUTION DU CHEMIN DE FER CONCEDE DE LA FLANDRE OCCIDENTALE
« Article unique. Le gouvernement est autorisé à proroger au 18 mai
1851, le délai fixé par l'article 8 du cahier des charges de la concession du
chemin de fer de la Flandre occidentale. »
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du
projet, qui est adopté à l'unanimité des 74 membres présents.
Ce sont : MM. Vandensteen, Van Huffel, Verhaegen, Vilain XIIII, Brabant,
Bricourt, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Clep, Coppieters, d'Anethan,
Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere,
Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Foere,
Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester,
de Mérode, Desaive, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes,
de Villegas, d'Hane, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Eloy de
Burdinne, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau,
Lejeune, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Moreau, Orban,
Osy, Pirmez, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Thienpont,
Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cutsem, Vanden Eynde.
PROJET DE LOI RELATIF AU PERSONNEL DE LA COUR D’APPEL DE BRUXELLES ET DE CERTAINS TRIBUNAUX DE PREMIERE INSTANCE
M. le président. - La
discussion est ouverte sur l'article unique du projet de loi suivant, proposé
par la commission, auquel le gouvernement se rallie :
« Le terme fixé par l'article 3 de la loi du 10 février 1836 (Bull.
offic. n° 14) et par l'article 3 de la loi du 28 mai 1838 (Bull. offic. n°190),
prorogé par la loi du 26 septembre 1842 (Bull. offic. a" 84), est de
nouveau prorogé au 15 octobre 1852. »
M. Osy.
- Je regrette que nous soyons encore obligés de voter cette loi, et qu'il ne
soit pas possible de la réviser, notamment pour la cour de Bruxelles, mais j'ai
souvent entendu dire à d'honorables députés de Gand que la cour de Gand a un
personnel trop considérable. J'aurais désiré savoir de M. le ministre de la
justice un renseignement sous ce rapport.
Si effectivement le personnel est trop considérable, je crois que pour
faire des économies, nous devons demander qu'à la session prochaine on réduise
le personnel à mesure des vacatures ; car il est nécessaire de faire des
économies, et là où la possibilité en est reconnue par les députés des
localités, le gouvernement ne doit pas hésiter à proposer dans ce but une loi à
la législature.
M.
Delehaye.- J'ai déjà émis l'opinion que, dans l'intérêt
de nos finances, il convient de réduire le personnel de la cour d'appel de
Gand, qui est certainement trop considérable. Mais ce n'est pas seulement à
Gand qu'il est possible de réduire le personnel de la cour d'appel. Cela est
également possible à la cour de Liège. En présence des deux places qui sont
vacantes à cette cour, j'engage le gouvernement à examiner la question de
savoir s'il ne conviendrait pas de présenter à législature prochaine un projet
de loi pour réduire ce personnel. Il y a là une économie possible. Nous pouvons
d'autant mieux réduire le personnel des cours d'appel que, par suite de la
réforme parlementaire, si elle est adoptée comme je l'espère, les conseillers
des cours d'appel ne siégeront plus dans les chambres. J'espère que la chambre
ira plus loin et que, dans l'intérêt de nos finances et du service, on exclura
aussi des conseils provinciaux, les conseillers des cours d'appel. Je prouverai
qu'il est nécessaire qu'ils soient à leur poste, à la fin de l'année judiciaire
surtout, parce que c'est alors qu'il y a le plus de besogne et que leur
présence y est le plus nécessaire.
Quant au personnel de la cour d'appel de
Bruxelles, je crois qu'on pourrait très bien le réduire. En comparant ses
travaux avec ceux des autres, on ne trouvera pas une distance si grande qui
justifie une telle différence de personnel.
J'espère, messieurs, que le gouvernement ne négligera aucune occasion de
mettre en pratique sa promesse d'économie quand l'occasion s'en présente.
J'espère que MM. les ministres communiqueront ces observations à leur
collègue de la justice qui pourra d'ailleurs les lire dans le Moniteur.
Je désire qu'on ne néglige aucune occasion de réduire le personnel des
fonctionnaires publics.
M. Lys.
- Je viens appuyer cette opinion. Il est certain que la cour de Liège a un
personnel trop considérable. Par suite du traité de paix avec la Hollande, elle
a perdu une bonne partie de son territoire. Il y a trois chambres à la cour de
Liège. Je suis persuadé qu'avec deux chambres on ferait aussi bien qu'avec
trois.
Je soumets ces observations à M. le ministre de la justice, parce que ce
serait une véritable économie.
- Il est procédé au vote par appel nominal, sur le projet de loi.
En voici le résultat :
Nombre de votants, 84.
81 membres votent pour l'adoption.
3 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l'adoption : MM. Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe,
Verhaegen, Wallaert, Zoude, Brabant, Bricourt, Bruneau, Cans, Clep, Coppieters,
d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de
Brouckere, Dechamps, de Clippele, de Denterghem, de Foere, Delehaye, Delfosse,
d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, Desaive,
de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, de Villegas,
d'Huart, Donny, Dubus (ainé), Dubus (Albéric), Dumont, Eloy de Burdinne,
Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune,
Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau,
Orban, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Simons,
Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cutsem, Vanden Eynde.
Ont voté contre : MM. Vilain XIIII, de Corswarem et Osy.
PROJET DE LOI ETABLISSANT DES INCOMPATIBILITES PARLEMENTAIRES
Discussion générale
M. le
président. - La discussion continue sur l'ensemble du
projet de loi.
La parole est à M. Destriveaux.
(page 1761)
M. Destriveaux. - Messieurs, à la fin de l'une des sessions les
plus laborieuses qui aient été accomplies dans cette enceinte, nous avons à
nous occuper d'une des lois les plus importantes dont la législature puisse
s'occuper : c'est la réforme parlementaire.
Dans une question aussi grave, il était naturel que
toute l'attention, je dirai même les scrupules, se dirigeassent vers la loi, qui
est pour nous la loi des lois, celle qui a établi et réglé notre situation politique.
De pareilles innovations ne peuvent pas se faire sans alarmer beaucoup
d'esprits, beaucoup de consciences peut-être.
En principe, la réforme que l'on vous propose, est-elle
conforme à la loi constitutionnelle, ou lui est-elle opposée ?
C'est la seule question que je me propose de traiter
en ce moment. J’abandonnerai à la discussion des articles l'examen des détails,
et je réserverai à cet égard les objections que je croirai devoir présenter à
l'assemblée.
Le principe de la réforme qui vous est proposée, est-il
autorisé par la constitution de la convertir en loi ?
Messieurs, malgré les orateurs qui se sont prononcés
hier d’une manière négative sur cette question, je n'en persévère pas moins
dans la pensée que le principe d'une réforme parlementaire n'est pas contraire
aux dispositions constitutionnelles.
Deux dispositions générales doivent occuper notre attention
et fondent la discussion dans le sujet qui nous occupe.
Première disposition sur l'éligibilité en général. L'article
50, déterminant les conditions d'éligibilité pour la chambre des représentants,
ajoute : .« Aucune autre espèce d'éligibilité ne peut être imposée. »
Si je voulais pousser les observations jusqu'à la minutie,
je ferais observer, en passant, que cette addition n'est pas appliquée au
principe d'éligibilité des sénateurs.
L’article 50 de la loi constitutionnelle s'oppose-t-il
à ce qu'on établisse des incompatibilités entre les fonctions ordinaires et le
mandat de membre de la législature ?
Je ne le crois pas. Car il faut résumer ce qui a déjà
été dit, et dans le rapport de la section centrale et dans des discussions antérieures
; il faut distinguer l’incompatibilité de l'éligibilité. L'incompatibilité
dérive des choses, l'éligibilité s'attache au caractère des hommes.
L'incompatibilité entre des fonctions salariées et le
mandat de membre de la législature n'est pas un obstacle à ce que l'élection se
fasse. Il faut éviter avec soin de confondre l'incompatibilité avec l'éligibilité.
L'incompatibilité est postérieure à l'éligibilité, c'est
parce qu'un individu, jugé éligible par la loi constitutionnelle, a été élu,
que la question d'incompatibilité entre les fonctions surgit.
Ainsi donc, par l'examen même et la définition de la
question, l'éligibilité est indépendante de l'incompatibilité. L'élection peut
être faite, sauf ensuite, de la part de l'élu, en cas d'incompatibilité, ou de
renoncer à l'élection ou d'abandonner les fonctions dont la conservation a été
jugée incompatible avec le mandat qui lui est déféré.
Cette théorie est d’une simplicité qui me semble inattaquable.
Il me paraît impossible qu'on confonde sérieusement le principe de l'élection
avec la conséquence de l'incompatibilité.
La déclaration d'incompatibilité ne viole donc pas l'article
50, elle respecte les dispositions de cet article sur l'éligibilité, et c'est
parce qu'elle les respecte, que l'incompatibilité est prononcée. L'incompatibilité
n'exclut pas directement de l'une ou de l'autre des deux fonctions. L'option
reste. L'option restant, le mandat peut être exécuté, l'éligibilité peut donc
recevoir son complément.
L'élu a été éligible, et s'il opte pour le mandat électoral,
il conserve la jouissance pleine et entière de ses droits d'éligibilité,.
Ainsi, dans l'un et l'autre cas, les électeurs conservent leurs droits, le
citoyen reste éligible, il reste légalement et légitimement élu, il reste élu,
à moins qu'il n’opte pour les fonctions qu'il remplissait auparavant. Car
l'élection n'entraîne pas l’obligation d'accepter, il rester encore à l'élu le
devoir d'étudier ses forces, ses moyens, et de juger s'il est capable ou non de
remplir dignement le mandat que les électeurs lui ont décerné.
Je sais qu'on a dit : « Pourquoi ne pas s'en rapporter
au bon sens des électeurs, pourquoi ne pas leur laisser une liberté complète ?
» Cette observation n'a pas de portée ; comment donc, en établissant de
pareilles incompatibilités, on viole la liberté des électeurs de diriger leur
choix sur tel ou tel individu ! Nous
montrons-nous défiants du bon sens national et politique des électeurs ? Nullement,
les électeurs sont libres, l'élu est libre ; seulement on donne aux électeurs
une garantie qu'ils doivent être heureux de trouver.
C'est que, entre le mandat qu’ils ont donné et les
autres fonctions il n’y aura pas de conflit, qu'il n'y aura pas un sacrifice de
temps pris sur l'accomplissement d'un des deux mandats ; qu'un mandat sera (car
j'appelle aussi les fonctions un mandat), qu'un mandat sera complètement et
dignement accompli.
Voilà les garanties qu'on leur donne. Et qu'on ne s'y
trompe pas ; il y a beaucoup plus d'électeurs qui réclament un système raisonnable
d'incompatibilités qu'il n'y en a qui demandent qu'on accorde une liberté
complète, une confiance entière dans leur bon sens et dans leurs choix.
Les lois, messieurs, ne sont pas toujours faites pour
les hommes qui nous entourent ; elles sont faites pour tous les temps, pour
tous les âges ; elles doivent établir des principes ; et les appréciations personnelles
disparaissent souvent devant la majesté, l'opportunité et la nécessité de la
durée des lois.
Il est, messieurs, une autre difficulté constitutionnelle.
Cette difficulté prend sa source dans la disposition de l'article 36 de la
Constitution.
L'article 36 de la Constitution porte que le membre
de l'une ou de l'autre chambre, nommé par le gouvernement à un emploi salarié qu'il
accepte, cesse immédiatement de siéger et ne reprend ses fonctions qu'en vertu
d'une nouvelle élection.
Ici l'article 36 établit une incompatibilité entre les
fonctions de législateur et l'emploi salarié qu'il vient d'accepter. Ici l'incompatibilité
est déterminée, si le terme n'était pas trop trivial, je dirais à l'envers dur
sujet qui nous occupe. Il cesse de siéger dans l'enceinte de la législature, ne
reprend les fonctions qu'après une nouvelle élection.
Laissant à part les conséquences que je pourrais
tirer de cette observation, j'attaquerai directement la discussion sur les
autres conséquences qu'on veut en tirer.
On dit : la disposition de l'article 36 est une
partie essentielle et très essentielle de la Constitution. Cette disposition
renferme tout ce que les auteurs de la Constitution avaient dans la pensée,
lorsqu'ils se sont préoccupés des incompatibilités qui pourraient exister par
la suite entre les emplois salariés donnés par le gouvernement et
l'accomplissement du mandat législatif.
La Constitution a dit tout ce qu'on a voulu qu'elle
dise. Il faut donc, pour apporter un changement' à cette disposition, pour
créer de nouvelles incompatibilités, pour rendre surtout le fait de ces incompatibilités
durable et permanent, il faut employer les moyens lents, solennels que la
Constitution a établis dans l'article 131 pour la révision de la loi
constitutionnelle.
Il faudrait encore éviter de faire un pareil travail
dans le cas d'une régence, comme le dit l’article 84. On a donc mauvaise grâce
à proposer une loi d'incompatibilité que la législature ordinaire est incapable
de créer légitimement. La Constitution doit être respectée et devant sa
puissance il faut s'incliner : Si les abus sont grands, déclarez la nécessité
de nouvelles mesures et alors suivez la ligne que la Constitution elle-même
vous a tracée.
Sans doute, messieurs, ces observations sont puissantes.
Sont-elles aussi fondées en réalité ? Elles peuvent le paraître au premier
abord. C'est ce-que je vais examiner.
Est-il bien vrai que la pensée des auteurs de la Constitution
ait été de donner à l'article 36 un effet général et exclusif, un effet tel
qu'il fallût employer les moyens extraordinaires de l'article 131 pour parvenir
à en changer la portée ? Je ne le crois pas, et je trouve dans la Constitution
même de quoi fonder puissamment mon opinion négative.
Dans l'article 36 on a exprimé un système général, mais
non pas exclusif de l'application d'un autre système,- et on a préparé aux législatures
qui suivraient le congrès, le moyen d'appliquer ce que l'expérience pouvait
leur faire découvrir d'utile, sans avoir besoin de recourir à des formalités, à
des solennités que la loi fondamentale prescrit dans d'autres occasions.
Dans l'article 139 de la Constitution destinée à
servir de corollaire à des dispositions que l'on n'avait pas arrêtées d'une
manière définitive, il a été réservé aux législatures qui viendraient après le
congrès, il a été laissé à leur disposition, recommandé à leur sollicitude de
s'occuper de réprimer les abus du cumul. Ici le cumul a été pris dans tonte son
étendue ; ici ce n'était pas un cumul particulier ; ici c'était le cumul
appliqué à toute espèce de fonctions.
Je sais qu'on a dit : Il faudrait que les abus du cumul
fussent constatés ; il faudrait que de graves abus fussent reconnus dans telle
ou telle espèce de cumul pour qu'on pût l'atteindre. Mais je demande une chose
: quel est donc l'abus plus grave du cumul que celui qui fait résulter de cet
état de choses l'impossibilité de remplir l'un ou l'autre mandat qui ont été
donnés à la même personne ? Il est certain que c'est là l'abus le plus grave ;
et plus les personnes sont élevées, plus les deux fonctions ont d'importance,
plus le cumul devient abusif, et plus largement doit-il être, non pas réprimé,
mais prévenu. Car dans ce système aussi, la mesure préventive vaut mieux que la
mesure répressive.
Or, dans cette combinaison de l'article 139 de la loi
fondamentale avec l'article 36 de la même loi, je vois que l'article 139 a ouvert
l'accès à tous les enseignements que l'expérience pouvait donner.
Le congrès ne pouvait pas prévoir tout ce qui pouvait
survenir, il ne pouvait pas s'engager dans des détails, il ne pouvait pas
prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer tous les abus ; il est différentes
choses sur lesquelles le congrès a senti le besoin, la nécessité de réserver à
d'autres législatures le soin de statuer. Le congrès a été sage dans cette
occasion ; parce que vouloir trop faire, vouloir entrer dans l'examen de tous
les détails, vouloir les régler tous, c'était exposer le congrès, obligé de
résoudre des difficultés sans cesse renaissantes, au regret de s'être égaré dans
des détails, imposer aux .législatures futures le besoin de réparer des erreurs
inévitables, imposer à ceux qui viendraient après lui, la nécessité de les
déplorer ou de chercher par des moyens extraordinaires à changer la Constitution.
C'est une disposition sage que celle qui a prévu la nécessité ou la possibilité
d'un changement de la loi fondamentale. C'est un principe sage, aussi, qu'il ne
faut pas facilement changer les lois fondamentales de l'Etat, il faut attendre
les leçons de l'expérience ; les lois fondamentales ne peuvent être changées
que quand (page 1762) le salut de
l'Etat le demande, ou quand la civilisation a tellement changé de caractère que
les lois deviennent surannées et qu'une espèce d'antagonisme se révèle entre
l'état constitutionnel et l'état de la civilisation. Il faut empêcher qu'un
anachronisme puisse s'établir entre les besoins actuels et les traditions qui
ne doivent plus avoir d'effet.
Voilà, quand je rapproche la disposition de
l'article 139 de l'article 36, ce que je trouve. J'ajouterai à ce que je viens
de dire une autre observation. Dira-t-on que l'art. 139 ne parle que des cumuls
entre les fonctions secondaires, mais que l'art. 139 respectant la disposition
de l'article 36 ne peut pas être applicable au cumul des différentes fonctions
et de l'accomplissement du mandat de représentant ou de sénateur ? Je dirai
qu'une pareille distinction est impossible parce qu'elle calomnierait la
Constitution. Eh quoi ! on défendrait le cumul, l'abus du cumul (et le
cumul est presque toujours un abus), on défendrait l'abus du cumul dans les
fonctions ordinaires ; et dans les cas où il peut être le plus fatal à une
nation, à la chose publique, on le permettrait, on l'envelopperait d'une
inviolabilité que les auteurs de la Constitution n'ont pas imaginée !
Voulons-nous voir comment le congrès lui-même et la législature qui l'a suivi
ont entendu cette disposition de l'article 36 ?
Peut-on imaginer, sans faire une espèce d'injure au
congrès, que quand il a établi ce principe c'était avec une telle indifférence qu'il
pût le violer à l'instant même où il s'occupait d'incompatibilité ; peut-on
imaginer que le congrès, à qui l'on présentait un système assez mal libellé
d'incompatibilité, qui n'admettait pas ce système, parce qu'il s'agissait
d'incompatibilités de « charges de cour » qu'on ne comprenait guère
au mois de décembre ; parce qu'on
libellait d'une manière assez vague les incompatibilités, doit-on dire que
placé dans une belle situation, il a admis pour système que l'article 36 serait
la règle perpétuelle ? Non, il ne l'a pas fait.
La preuve, je ne la puise pas dans un raisonnement ;
je ne viens pas discuter péniblement sur l'esprit de la Constitution. Je crois
qu'il faut généralement se garder de se
livrer à la recherche de l'esprit d'une loi ou d'une constitution. Il faut éviter le danger de
mettre à la place de l'esprit de la loi le peu d'esprit que la nature a pu nous
départir. Où pourrons-nous trouver l'esprit de la Constitution, l'appréciation
de l'article qui nous occupe ? C'est dans le fait du congrès. Vous avez
pressenti que je veux parler du décret sur l'établissement de la cour des
comptes. Eh bien ! si le congrès avait admis pour système qu'une réélection devait
couvrir l'acceptation de fonctions salariées par l'Etat, il n'aurait pas établi
une incompatibilité profonde et radicale entre les fonctions de la cour des comptes
et l'exercice du mandat de législateur.
Le congrès a fait le contraire. Il a établi positivement
l'incompatibilité. Ainsi le congrès lui-même a reconnu la nécessité d'établir
une incompatibilité radicale, il a reconnu qu'il ne fallait pas admettre le
principe exclusif de l'article 36. Je sais que, dans la séance d'hier, un de
nos honorables collègues, dont j'estime profondément et la science et le
caractère, nous a présenté le décret du 30 décembre 1830 comme étant l'acte
d'un corps constituant, par conséquent comme fait part cette espèce
d'omnipotence qu'on reconnaît aux décisions d'un corps constituant. Que cet
honorable collègue me pardonne de ne pas être de son avis. J'avoue qu'après l'avoir
entendu exprimer cette pensée, j'ai douté de la fidélité de ma mémoire ; mais
j'ai depuis reconnu qu'elle avait été fidèle et que mon honorable collègue
était tombé dans une erreur involontaire.
Ce n'est pas comme corps constituant que le congrès
a établi la cour des comptes ; il l'a si peu fait que dans une disposition formelle
de la loi qui a établi la cour des comptes, il est dit que dans la législature
de 1832 l’organisation aurait lieu ; c'est si peu comme corps constituant et
par application du principe des corps constituants que le décret a été fait,
que nous remarquons que lorsque le congrès a rendu d'autres décrets des décrets
importants, fondamentaux sur l'existence politique du pays, et l'on sait à quel
décret je veux faire allusion, je veux parler de celui relatif à l'indépendance
de la Belgique ; ainsi le décret d'exclusion d'une famille qui avait régné sur
le pays, d'autres encore, pour ces décrets particuliers il a été formellement
stipulé que c'était comme corps constituant que le congrès les avait portés. Le
congrès a déclaré que ces décrets faisaient partie de la Constitution. Or on
voit que le congrès ne s'est considéré comme corps constituant que quand il
s'est occupé de la Constitution, ou de décrets se confondant avec les
institutions constitutionnelles et politiques du pays, qu'il ne s'est plus
considéré comme tel, quand il a porté des décrets en dehors de la Constitution.
Cette démonstration me paraît à l'abri de toute controverse. Du reste, je puis
trouver un autre secours à la thèse que je soutiens. Un acte de la première
législature qui a suivi la dissolution du congrès, vient, après une discussion
solennelle, me prouver qu'on a jugé l'article 36 de la Constitution comme un
article déclaratif, non comme un article limitatif, un article fait pour
indiquer un principe, mais non pour en limiter l'application, plutôt un article
d'attributions qu'un article exclusif de toute autre disposition.
On n'a qu'à lire les discussions qui ont précédé l'adoption
de la loi du 4 août 1832, relative à l'organisation judiciaire. On n'a qu'à
lire le rapport lumineux d'un homme que je me ferais un devoir et un plaisir de
nommer, s'il n'était pas présent à la séance, pour reconnaître que lui, qui
avait pris la plus grande part aux travaux du congrès, avait jugé la portée de
l'article 36, en ce sens qu'il n'était pas limitatif. Cette opinion a-t-elle
trouvé beaucoup d'opposants ? Elle en a trouvé, mais peu. Il y en a eu cependant,
qui sans toucher d’une manière directe et à fond la question de constitutionnalité,
ont exprimé la pensée à laquelle j’ai déjà fait allusion, qu’il faut s’en
rapporter au bon sens des électeurs et ne pas les gêner dans leur choix. Telle
est l'opinion qu'a soutenue un homme consciencieux qui avait occupé une place
si distinguée dans le congrès et dans les législatures qui l'ont suivie. Je le
nommerai en déplorant qu'il n'assiste pas à cette séance, en déplorant surtout
la cause qui le tient éloigné de nos débats. Je veux parler de l'honorable M.
Devaux.
Je ne conteste pas l'autorité de l'opinion d'un tel
homme. Mais qu'on lise les débats et l'on verra qu'il n'a pas soutenu que l'incompatibilité
consacrée par la loi de 1832 fût inconstitutionnelle.
La discussion de la loi de 1832 avait soulevé toutes
les objections qu'on opposait à l'incompatibilité entre les fonctions de conseiller
à la cour de cassation ou à la cour des comptes et le mandat parlementaire.
Répondant à plusieurs de ces objections, l'honorable M. Destouvelles, résumant
sa pensée en quelques phrases, a dit que la loi sur la cour des comptes était
le corollaire et l'exécution de tout le système du congrès, et il a voté pour
l'incompatibilité.
Il est impossible d'exprimer sa pensée d'une manière
plus énergique et en même temps plus juste. Après de longs débats, la loi a été
adoptée par une majorité considérable. Mais de qui était composée en très
grande partie cette majorité ? De 40 à 50 membres du congrès.
C'était en août 1832, c'est-à-dire dans la première
session qui a suivi la clôture des travaux du congrès et la dissolution de cette
assemblée. Alors tous les souvenirs étaient récents, alors ceux qui adoptaient
la loi sentaient par réflexion, par instinct ce que le congrès avait voulu, ce
qu'ils pouvaient faire, comment on pouvait envisager l'article de la Constitution,
c'est-à-dire comme un point de départ, comme une simple indication.
Parlons du cumul. Depuis le congrès nous avons acquis
ce que n'avaient pas les auteurs de la Constitution. Nous avons acquis ce qui
parfois nous a coûté assez cher à acquérir, l'expérience.
Ne perdons pas le fruit de ses leçons. C'est parce qu'on
n'en a tenu aucun compte que tant de choses déplorables ont eu lieu, que des
catastrophes qui retentissent encore à nos oreilles ont épouvanté le monde.
Dans un cercle moins étendu, mais fidèles aux leçons
de l'expérience, écoutons sa voix qui nous dit : Vous avez marché dans la voie
constitutionnelle. Avez-vous appris dans cette voie constitutionnelle qu'il fût
utile de concentrer des fonctions différentes sur une même tête ? Avez-vous appris
que cette concentration fût féconde et bienfaisante ? Avez-vous ainsi compris le
legs que le congrès vous a fait en déterminant la division des pouvoirs. Quelle
est la sauvegarde des Etats dans les pays constitutionnels surtout ? La division
des pouvoirs, C'est un principe essentiel. Mais ce principe se manifeste par
leur action. Divisons l'exercice des pouvoirs entre divers instruments, de
manière que les hommes n'agissent pas dans différentes institutions à la fois,
qu'il ne soient pas, à titre de communauté factice, immiscés dans l'exercice de
pouvoirs appartenant à plusieurs institutions. Je le dis encore, une des
garanties les plus puissantes sur lesquelles nous puissions nous appuyer, c'est
la division de l'exercice des pouvoirs.
Il ne faut pas qu'un homme puisse penser avoir accès
aux différents emplois comme un homme peut avoir accès à différentes propriétés.
Non, messieurs, l'exercice du pouvoir doit être envisagé à un plus haut point
de vue. Tout est garantie pour la nation dans la distribution des charges
publiques. Admettez le principe de la centralisation, poussé à ses dernières
conséquence ?,qu'y verrez-vous ? La liberté ?Non, la liberté sera écrasée par
le despotisme. Divisez le pouvoir et chaque citoyen acquiert la possibilité
d'obtenir une part dans l'exercice du pouvoir et cette part sera assez grande
pour protéger, mais elle ne sera pas assez grande pour nuire. Si l'homme ainsi
revêtu du pouvoir en abuse, la voix de la nation l'accuse, sa puissance n'est
pas assez grande pour qu'il puisse échapper à cette accusation.
Voilà comment j'envisage la distribution du pouvoir,
voilà comment le congrès l'a envisagée et lorsqu'on lui reconnaît une semblable
disposition d'esprit, ce serait faire injure au congrès, de croire qu'il a pu
avoir la moindre disposition à concentrer des fonctions diverses sur le même
individu. A chacun selon son mérite, dit-on ; oui, à chacun selon ses œuvres,
et s'il y a des hommes assez capables pour remplir à la fois des fonctions
différentes, sachons nous défendre de cette espèce d'aimant qui nous porte à
prodiguer l'influence, les moyens d'agir. Il faut se défier et il faut, pour
ainsi dire, placer le talent dans une espèce d'enceinte où il puisse s'exercer,
où il puisse être utile, mais dont il ne puisse pas sortir pour usurper une
action trop étendue.
Examinons la Constitution. Reportons-nous au temps où
le congrès existait. Voyons les actes du congrès relativement à la cour des comptes.
Tournons notre attention sur ce qui a été décidé par la première législature, par
une majorité considérable d'anciens membres du congrès, relativement à la cour
de cassation. Nous sommes en présence de la loi de 1832 sur l'ordre judiciaire.
Nous devons donc accuser le congrès d'inconséquence, dire qu'il a lui-même
manqué à son œuvre, qu'il en a lui-même ébranlé les conséquences autant qu'il a
pu ? Quel est notre devoir en présence de cette loi de 1832, votée à une si
grande majorité, avec l'intervention de 40 ou 50 membres du congrès ?
Notre devoir, auquel nous ne
pouvons pas échapper, c'est de demander le retrait de cette loi, de déclarer
qu'elle est inconstitutionnelle, qu'elle ne peut pas exister avec la
Constitution, que pour l'honneur de l'Etat, dans l'intérêt de l'organisation
d'un pouvoir dans lequel résident les plus fortes garanties, il faut
s'empresser de révoquer une loi qui renferme un vice d'inconstitutionnalité ?
Non, messieurs, je crois que ni la législature dont je viens de parler, ni le
congrès national ne mérite le blâme, cette espèce de condamnation de la part
d'une législature qi est venue 16 années plus tard.
(page 1735) M. Lebeau. - Messieurs, il est beaucoup de mesures,
beaucoup de projets que l'on qualifiait de réformes et qui, après avoir subi
l'épreuve de l'expérience, ont souvent amené des mécomptes, des résultats
diamétralement opposés à ceux qu'en attendaient les prétendus réformateurs.
Ainsi dans un pays voisin l'on a fait, dans les proportions les plus
larges, l'expérience d'un système nouveau ; je n'ai certes pas, ici, à en juger
les effets, je m'en abstiendrai soigneusement ; mais je citerai un fait qui a
pu frapper tous les yeux, c'est que les plus ardents promoteurs du système
électoral qui a prévalu, sont les premiers, aujourd'hui, à en déplorer les effets
et à chercher par tous les moyens, légitimes et illégitimes, à les anéantir.
Cependant leur confiance dans l'infaillibilité de la mesure qui a reçu
son exécution, était certainement au moins égale, sinon supérieure à la
confiance de ceux qui demandent ici comme une mesure libérale et progressive la
réforme parlementaire, avec les aggravations que la section centrale y a
apportées.
Déjà, messieurs, nous avons voté une réforme électorale très large. Pour
en bien connaître les effets, pour bien savoir ce qu'elle a en réalité de
libéral ou d'illibéral, de démocratique ou d'aristocratique, j'attends
l'expérience ; je n'ai pas tardé à m'apercevoir, alors que ce projet de réforme
était apporté dans cette enceinte, et lorsqu'il était devenu loi de l'Etat,
qu'ailleurs encore que dans les rangs de ceux que l'on pouvait considérer comme
les adversaires naturels de cette mesure, il y avait plus d'un doute sur les
conséquences de cette réforme électorale.
Mais au moins l'extension du cens électoral était dans l'esprit de la
Constitution ; il est certain que l'extension du cens électoral, à mesure que
l'éducation politique du pays le permettrait, était dans les prévisions du
congrès national lui-même.
Ici, messieurs, je crois qu'on pourra aller plus loin que des doutes ; je
crois qu'ici nous sommes beaucoup plus certains d'arriver à des mécomptes que
par l'adoption de la loi électorale ; je crois que le projet de loi actuel a
des tendances essentiellement aristocratiques, et je me tiens pour plus
sincèrement dévoué aux principes essentiellement démocratiques de la
Constitution belge, en venant combattre, non pas tout le projet de loi, mais
quelques-unes de ses exagérations, qu'en accueillant tout ce qui vous est
proposé sous le nom de réforme.
D'abord, messieurs, cette réforme parlementaire, je l'ai dit tout à
l'heure, est évidemment en opposition avec l'esprit de la Constitution. Il
suffit pour cela de lire l'article 36 qui prévoit la réélection des membres des
deux chambres promus à des fonctions salariées par l'Etat ; il suffit de lire
l'article 50 qui, après avoir énuméré quelques conditions d'éligibilité, se
tait, quant à la question d'incompatibilité entre les fonctions administratives
ou judiciaires et les fonctions parlementaires ; il suffit de lire l'article 88
(page 1736) qui prévoit formellement
le cas où les ministres sont membres d'une des deux chambres.
Ainsi, à la différence de la réforme électorale, la réforme
parlementaire, radicale, absolue, a évidemment pour résultat d'effacer
complètement le texte de certaines dispositions de la loi constitutionnelle.
Est-ce à dire qu'il n'y ait rien à faire ? Est-ce à dire qu'il n'y ait
pas dans la composition actuelle des chambres (sans vouloir faire allusion le
moins du monde à des noms propres ; je parlé théoriquement), qu'il n'y ait pas
quelque chose à faire ?
Je ne veux pas le nier, je crois que l'opinion publique a des exigences
légitimes en fait de réforme parlementaire ; je crois qu'il est utile de faire
droit à ces exigences, et j'exprimerai même le regret que les circonstances
n'aient pas permis au gouvernement de prendre une salutaire initiative. J'ai la
conviction que, si le gouvernement avait pu faire droit à des réclamations dont
il est impossible de contester la légitimité, les exigences excessives qui se
sont produites depuis n'auraient pas vu le jour.
Nous faisons ici une loi de réaction contre des abus réels sans doute ;
mais, comme dans toute loi de réaction, je crains fort que nous n'allions
beaucoup au-delà du but.
Quel est le principe fondamental, en matière de réforme parlementaire ?
C'est d'assurer de plus en plus la bonne composition des chambres. Selon moi,
tout est là ; c'est là le but qu'il faut nécessairement atteindre dans une
réforme parlementaire ; c'est là l'objet qu'en la. discutant, il faut sans
cesse avoir en vue.
Se préoccuper dans cette chambre et, à cette occasion, avec une
sollicitude spéciale, de ce qui doit se passer dans le cercle des fonctions
judiciaires, de ce qui doit se passer dans la sphère des. fonctions
administratives, dans toutes les sphères secondaires d'administration, s'en
préoccuper au point de perdre un seul instant de vue le principe fondamental,
la bonne composition du parlement belge, ce serait agir comme un médecin qui
vouerait toute sa sollicitude pour ses malades au perfectionnement des bras et
des jambes et qui ne se soucierait ni du cerveau ni du cœur.
Les fonctions parlementaires sont-elles bien réellement des fonctions
dans le sens étroit du mot ?
D'abord, à la différence de toutes les autres fonctions, elles sont de
leur nature essentiellement temporaires ; non pas que je ne trouve que le
congrès constituant lui-même n'ait été quelque peu naïf, en supposant que les
sessions parlementaires pussent se renfermer parfois dans l'espace de 40 jours
; non pas que je ne trouve que certains membres du congrès national, combattant
notamment le principe d'un traitement au lieu de l'indemnité, n'aient encore
renchéri sur cette confiance quelque peu juvénile, en supposant que nos
sessions pussent se borner parfois à quinze jours.
Mais, messieurs, il n'en est pas moins vrai que, de leur nature, les
fonctions parlementaires sont des fonctions tout à fait à part, ayant plutôt de
l’analogie avec les fonctions du jury qu'avec les fonctions administratives.
Cette assimilation au jury me fait souvenir que même à l'époque des premières
assemblées délibérantes, on était contraint de s'y rendre sons peine d'amende
comme les jurés aux cours de justice.
Voici ce qui prouve encore que dans l'opinion du législateur constituant
les fonctions parlementaires ne sont pas des fonctions proprement dites ; c'est
qu'il n'y a pas de traitement affecté aux fonctions parlementaires, c'est que
les membres des chambres qui siègent à Bruxelles ne peuvent pas recevoir
d'indemnité ; et si une indemnité est accordée, elle est absolument considérée
comme le remboursement des frais de route et de séjour des députés non résidant
dans la capitale.
Messieurs, on citera peut-être l'Angleterre où les fonctions
parlementaires sont gratuites, où par conséquent elles ont aux yeux de ce pays
le caractère que je leur assigne ; mais en Angleterre, je dois le dire, la loi
est beaucoup moins radicale que celle qu'on propose chez nous. Il y a dans les
deux chambres du parlement britannique des fonctionnaires publics ; je le
prouverai quand nous arriverons à la discussion des articles. Mais les choses
se passent-elles en Angleterre comme le voudraient les défenseurs de la réforme
radicale soumise à vos délibérations ? Pourrions-nous argumenter nous, société
essentiellement démocratique, de la législation qui convient à un pays dans
lequel toutes les institutions reposent encore à l'heure qu'il est sur un
principe diamétralement contraire, sur le principe aristocratique ? Ce n'est
pas seulement dans les institutions que cette différence fondamentale existe,
c'est dans l'organisation de la société elle-même ; en Angleterre les grandes
fortunes sont nombreuses. Dans notre pays, c'est l'exception ; ce n'est pas
seulement dans nos institutions politiques, mais dans notre état social que le
principe démocratique domine.
Aussi, messieurs, tous ceux qui sont dans notre pays de l'opinion qu'on
appelle aujourd'hui avancée, sollicitent une réforme toute différente de celle
qu'on vous propose, : en Angleterre. même les chartistes, qui veulent faire
prévaloir le principe démocratique dans les institutions, ont bien aussi
demandé qu'on fixe un traitement considérable pour les membres de la chambre
des communes. En France, le parti qu'on appelle avancé a toujours mis dans son
programme, un traitement plus ou moins élevé pour les membres de la chambre des
députés.
Aujourd'hui même, en France, si l'on maintient, et il y a lieu de croire
qu'on ira plus loin, le chiffre de l'indemnité des représentants, si on suppose,
une moyenne de sept mois de session parlementaire, on aura créé, en réalité,
une espèce de fonction assez bien rétribuée. Dans les Pays-Bas il y avait un
système analogue et qui consistait à donner de 5 à 6 mille francs de traitement
fixe aux députés, outre des frais de voyage. Aux Etats-Unis, où l'on a
proscrit, il est vrai, des chambres législatives, tous les ordres de
fonctionnaires, on a eu soin d'allouer aux membres de la législature une
indemnité de 8 dollars par jour, ce qui fait ressortir par session, un
traitement de 8 à 10 mille francs.
II y a de plus des frais de route qui sont tellement considérables,
attendu qu'ils ont été institués avant la création des nouvelles voies de
communication, qu'ils s'élèvent pour certains députés de 8 à 10 mille fr. de
manière que la carrière législative aux Etats-Unis est réellement une carrière.
Après ces considérations générales, j'arrive directement au projet de
loi.
Voyons d'abord ce que, d'après le projet du gouvernement et d'après
celui de la section centrale, on va expulser de la chambre et du sénat :
les parquets en masse, là-dessus tout le monde est à peu près d'accord. (Interruption.) Je serais désolé qu'on se
trompât sur ma pensée ; ma pensée n'est pas de jeter la moindre défaveur sur le
caractère ou sur les antécédents des membres des parquets ; ils figurent avec
honneur à coté de notre magistrature inamovible, ils partagent avec elle
l'estime et la considération publiques.
Les commissaires d'arrondissement ; les gouverneurs en partie, même
d'après le projet ministériel, et probablement en totalité, d'après la section
centrale ; toutes les administrations centrales, l'armée en masse, sauf
l'exception bien restreinte, bien contestée, introduite dans le projet du
gouvernement ; le conseil des mines, le conseil des monnaies, le conseil des
ponts et chaussées. J'ajoute toutes les administrations, les universités et
bien a pris à notre honorable collègue, M. Destriveaux, qui montre aujourd'hui
une si grande horreur pour le cumul, d'avoir obtenu son éméritat bien avant que
sa chaleur et son patriotisme fussent éteints ; parce que sans cela nous
aurions été privés du bonheur de le voir-siéger parmi nous.
Je reviens à mon énumération.
L'instruction publique en général ; la cour de cassation, déjà exilée il
y a seize ans par la loi organique, maintenue dans son exil par le projet de
loi. Je ne pense pas que ce sera la section centrale qui le fera cesser.
Les tribunaux de première instance en masse exclus ; le projet
ministériel a voulu épargner l'exclusion aux cours d'appel ; elles ont, en
section centrale, subi le sort commun. Il semble que la section centrale se
soit promenée dans tout le pays, la loupe à la main, pour voir s'il n'échappait
pas une seule victime à ses coups.
Voilà ce qu'on écarte ; j'oubliais encore de parler des agents
diplomatiques ; voyons ce qui nous restera ?
Il nous restera les industriels, les avocats, les grands propriétaires
et' le clergé peut-être. Le clergé, je sais qu'il est menacé, je ne dis pas
qu'il soit encore atteint. Les industriels, personne ne désire plus que moi de
les voir siéger en grand nombre dans cette enceinte. Mais vous savez combien
peu on parvient à en engager à se mettre sur les rangs pour les chambres
législatives, de combien de refus sont suivis les efforts qu'on fait auprès
d’eux ; et si par hasard on parvient à en décider à quitter le siège de leur
établissement, il y a pour, eux un sacrifice si disproportionné en général avec
leur fortune qu'on les voit bientôt se retirer. Comptez-les ; vous verrez si
j'exagère. Ou bien ils manquent d'assiduité, bien autrement que les
fonctionnaires publics. Si vous en doutez, consultez vos appels nominaux.
Les avocats ! j'en fais grand
cas. Quoique je n'aie pas assez longtemps figuré dans leurs rangs pour pouvoir
y revendiquer une place bien marquante, si même j'avais pu y aspirer, je tiens
à honneur d'avoir été des leurs. Quelque modeste que soit la position que j'ai
occupée, au milieux d'eux, je fais donc grand cas des avocats. Mais il y a
avocats, et avocats. J'aime, beaucoup les avocats éminents. Ces avocats, il y
en a qui nous donnent ici de bons exemples, tous les jours, qui savent s'élever
aux plus hautes questions politiques, qui les traitent avec une supériorité que
chacun de vous apprécie. Mais on comprendra, que ce n'est pas non plus à
ceux-là qu'on donnera le premier prix d'assiduité. (On rit.)
Est-ce que je leur en fais un reproche ? A Dieu ne plaise ! Autre est le
lot d'un collège électoral, qui au lieu d'envoyer à la chambre une médiocrité
d'une assiduité exemplaire, a le bonheur d'être représente par de ces hommes
qui n'ont besoin que d'y faire quelques apparitions pour élever en quelque
sorte avec eux ceux qui les y ont envoyés, pour marquer dignement leur place,
dans le parlement. Ils ont dit aux électeurs : « Oui, j'ai du patriotisme,
du dévouement ; mais j'ai des devoirs de famille à remplir. Vous aurez une
partie de mon temps. Dussé-je par ce cumul du mandat parlementaire, et de mes
devoirs de profession et de famille exposer ma santé, je le ferai, mais n'exigez
rien de plus. » Les électeurs ont accepté ces conditions. Je n'hésite pas à
dire qu'ils ont fait un très bon marché.
D'autres, après avoir essayé de concilier leurs devoirs parlementaires
avec leurs devoirs de pères de famille, n'ont pu se montrer aussi assidûment,
que d'autres dans cette enceinte. Après avoir applaudi à leur talent, nous
avons eu le regret d'apprendre qu'ils allaient quitter l'enceinte législative.
Il nous restera les avocats de la capitale. C'est beaucoup. Mais je ne
veux pas plus de privilège pour les uns que pour les autres. Ou nous aurons les
avocats sans cause : ceux-là je crois que personne d'entre vous n'en veut, si
ce n'est pour de bien rares exceptions.
Nous aurons, il est vrai, en compensation, les grands propriétaires, (page 1737) les rentiers, probablement
le clergé. Aussi, je ne suis pas extrêmement surpris de voir, dans cette
circonstance, la droite un peu plus réformiste encore, ce me semble, que la
gauche. Je la vois très ardente (représentée par les plus éminents de ses membres)
à étendre, à exagérer en quelque sorte les principes du projet de loi. Il y
aurait injustice criante à faire une seule exception. C'est par sollicitude
pour quelques-uns qu’on tue tout le monde. Soit ! Cette partie de la chambre
est dans son droit ; mais j'engage mes honorables amis à y réfléchir, à voir si
ce qui convient si bien à un côté convient tout aussi bien à l'autre ; et
j'engage aussi les hommes les plus éclairés, les plus éminents de la droite à
réfléchir sur ce qui pourrait arriver, si par l'effet d'une nouvelle
combinaison électorale, la prépondérance passait encore dans ses mains.
N'est-il pas évident qu'aujourd'hui surtout, il y aurait là un grand
danger pour le pays ? (Mouvement.)
Je parle d'un parti, je ne parle pas de quelques hommes qui, à quelque
parti qu'ils appartiennent, ont droit, par leurs services, par leur
intelligence, à trouver place dans les chambres législatives.
Autrefois, quand au congrès national on s'occupa de l'indemnité ou de la
question du traitement des membres de la chambre, l'opinion des hommes
appartenant à la classe moyenne, à l'opinion démocratique, était, qu'il fallait
élever ce traitement au point de faire de ces fonctions une véritable carrière
où les hommes capables pussent entrer. On a beaucoup discuté sur ce point.
Lisez l'appel nominal sur la question de l'indemnité : consultez les noms et
vous verrez quels sont ceux qui ont voulu un traitement, quels sont ceux qui
n'en ont pas voulu. Vous verrez que ceux qui voulaient que les représentants
eussent non pas une simple indemnité, mais un traitement, appartenaient presque
exclusivement à la classe moyenne.
La réforme proposée est dans le sens de ceux qui ont voulu une simple
indemnité. C'est une véritable guerre contre l'esprit des villes, contre a
classe moyenne, auxquelles appartiennent en général les fonctionnaires.
Déjà, dès 1831, j'avais pressenti ce qu'il fallait attendre d'une loi
qu'on paraissait qualifier de libérale, et qui était votée comme telle par
quelques-uns de mes amis politiques. Deux fois j'ai voulu faire abaisser le
cens des villes dans la loi de 1831. Deux fois j'ai voté contre cette loi.
Toutes mes prévisions se sont réalisées. Il a fallu 15 ans pour arriver à des
résultats qu'avec un cens moins hostile à la classe moyenne, à l'esprit des
villes, on aurait obtenu en 5 ou 6 ans.
Je l'ai déjà dit, je ne suis pas un homme à principes absolus.
Je consens à une réforme large ; j'exprime mes regrets que le
gouvernement n'ait pas été en mesure de prendre à cet égard l'initiative.
Ainsi, j'aurais consenti à voir les fonctions de presque tous des
fonctionnaires inamovibles, déclarées incompatibles avec celles de membre du
parlement ; non pas que j'ai contre eux la moindre prévention. Je sais qu'ils
ont fait preuve d'une très honorable indépendance dans cette chambre, d'une
indépendance qui leur a fait le plus grand honneur, en même temps qu'elle
prouve, il faut, le reconnaître, la modération des différents ministères qui se
sont succédé sur ces bancs.
Il y a pour une chambre des nécessités toutes morales qu'il est
impossible de méconnaître. Il ne faut pas seulement qu'une chambre soit
indépendante, il faut que le prétexte même de nier son indépendance ne soit
donné à personne. C'est d'une chambre législative surtout qu'il faut dire ce
qu'on disait de la femme de César.
Eh bien ! la présence des fonctionnaires publics peut certainement,
lorsque ces fonctionnaires sont en très grand nombre dans une chambre
législative porter, malgré l’indépendance personnelle de chacun d'eux, peut
porter atteinte à la considération d'une chambre, à la force morale des lois
émanées d'elle. Il y a ensuite des besoins administratifs qui sont négligés ;
et il y, a quelque chose de plus pour moi : : il y a par la présence des
agents du gouvernement dans les chambres, et par l'espèce de conflit qui peu
t’élever entre eux et le cabinet, un relâchement des liens de la subordination
administrative aux yeux du pays tout entier, et des liens de la subordination
.administrative, j'en fais le plus grand cas ; je les regarde comme une des
principales garanties d'une bonne administration ; et par exemple, dussé-je, en
disant ici toute ma pensée, donner des armes à mes honorables adversaires, je
déclare quant à moi, que si je consentais à voir siéger dans les chambres
législatives les gouverneurs des provinces, c'est en les regardant à peu près
comme des sous-ministres ; c’est en les regardant comme solidaires, au
moins pour les principes généraux de la politique, avec les membres du cabinet
et comme ne pouvant convenablement siéger 24 heures après un dissentiment
profond et marqué avec le ministère.
Si cette vérité, messieurs, était généralement répandue et généralement
acceptée, il n’y aurait de surprise ni de fausse position pour personne. Un
collège électoral, qui a le droit d'être ministériel comme un autre a le droit
d'être de l'opposition, saurait bien qu'en nommant un gouverneur, il envoie du
renfort au cabinet ; il saurait aussi que si ce gouverneur est digne de son
estime, du jour où il serait en dissentiment avec le cabinet, du jour où le
cabinet changerait pour faire place à un cabinet qui inaugurerait un système
contraire, cet homme abandonnerait sa place et non ses fonctions de député ni
ses commettants. Si l'on n'admet pas ce principe, je ne reconnais pas aux gouverneurs, le droit de siéger dans les
chambres législatives.
Ce que je repousse donc, ce n'est pas une réforme raisonnable, une
réforme même large ; ce que je repousse, c'est un changement radical ; c’est un
changement qui nous mène à un vaste inconnu ; c’est un changement radical
qui n'a de démocratique que l'apparence et qui en réalité, je crois que
l'expérience ne me démentira pas, est faite au profit de l'aristocratie.
Et puis ce que je critique dans un autre ordre de supposition, ce sont
des chambres médiocres, ce sont des chambres sans grandes capacités, et péchant
aussi par l'absence de caractères. Je l'ai déjà dit : : en vain le mieux serait
ailleurs ; en vain vous perfectionneriez tous vos rouages administratifs ; si
au sommet de tous les pouvoirs, si au centre la désorganisation était portée,
vous n'auriez rien fait pour le pays que du mal et beaucoup de mal.
Ecoutez, messieurs, ce que dit un ami du gouvernement républicain, un
partisan des institutions des Etats-Unis d'Amérique, qui ne parle pas d'après
les livres,, mais qui parle d'après ce qu'il a vu. M. de Tocqueville, qui a
longtemps appartenu à l'opposition dans la chambre des députés, et qui siège
aujourd'hui, je crois, à l'assemblée nationale, s'est exprimé ainsi sur la
chambre des représentants des Etats-Unis :
« Lorsque vous entrez dans la salle des représentants à Washington, vous
vous sentez frappé de l'aspect de cette grande assemblée. L'œil cherche souvent
dans son sein un homme. célèbre. Presque tous ses membres sont des personnages
obscurs, dont le nom ne fournit aucune image à la pensée. Ce sont, pour la
plupart, des avocats de village, des commerçants ou même des hommes appartenant
aux dernières classes. Dans un pays où l'instruction <est presque
universellement répandue, on dis que des représentants ne savent pas toujours
écrire. »
Messieurs, on le voit donc, je suis encore sous ce rapport un véritable
pécheur endurci. Je suis encore, dans cette circonstance, du juste milieu, et
je m'inquiète assez peu des lazzi dont cette qualification d'homme du juste
milieu peut être l'objet. Il y a, messieurs, quelque chose de plus puissant
encore que le ridicule, qui cependant est bien puissant ; c'est .une idée
juste. Je veux, en fait de réforme parlementaire, non de l’absolu, mais du relatif,
c'est-à-dire-du juste milieu. Je ne veux pas une majorité de fonctionnaires
publics dans une chambre ; je crois que cela n'est bon ni pour la considération
des fonctionnaires, ni pour la considération de la chambre. Mais je ne veux pas
non plus une invasion dans le parlement d'hommes sans expérience, d'hommes peu
capables. Aussi je me propose, dans la discussion des articles, de solliciter
surtout l'admission ou plutôt le maintien de l’admission dans cette chambre de
l’ordre judiciaire.
Le danger, messieurs, de l'absence d'hommes pratiques est très grand.
Les lumières seules, les études les plus brillantes ne suffisent pas pour
remplir convenablement les fonctions parlementaires. Il faut de l'expérience ;
il faut des habitudes pratiques ; il faut un esprit de modération qui naît
surtout de la connaissance des affaires. Déjà, messieurs, aujourd'hui, et
j'attire l'attention la plus sérieuse de la chambre sur cette considération, il
n'est pas facile de composer des cabinets. Je ne sais véritablement, à voir ce
qui se passe depuis quelque temps dans notre pays, et à voir ce qui s'y prépare
par une réforme électorale qui mettra les ministres en présence d'hommes
instruits, je le veux, bien intentionnés, je le veux, mais sans habitude des
affaires, sans habitudes pratiques ; je ne sais pas si, pour trouver des
ministres, vous ne seriez pas obligés d'ajouter une disposition à votre Code
pénal pour punir ceux qui se montreraient récalcitrants aux portefeuilles. (On rit.)
Et, messieurs, qu'avons-nous vu lorsque la succession de l’honorable M.
de Theux s'est ouverte ? Est-ce l'embarras du nombre d’héritiers ? Mais,
messieurs, c'était à ceux qui ne le seraient pas. C'était une espèce de
sauve-qui-peut de la part de ceux-là même qui étaient fort capables de diriger les
affaires du pays et qui avaient fait ici preuve du talent de plus remarquable.
Eh, messieurs, les fonctions ministérielles, déjà dans les circonstances
où nous sommes, sont si peu ambitionnées qu'un de nos ministres semble,
véritable âme en peine, pauvre oiseau, prêt à bénir la main de celui qui
viendra ouvrir sa cage, et ne trouve pas même ce sauveur jusqu'ici. (On rit.)
Et, messieurs, pour compensation de toutes les tribulations qui
attendent les ministres, quelquefois de la part même de leurs meilleurs amis,
(c'est là le sort des ministres, de tous les ministres), vous savez quelle est
l'énormité du traitement qu’on leur accorde, et vous savez si la pension qui
leur est réservée. pour le cas où ils seraient doués d'un peu de longévité, si
cette pension est exorbitante. Soyez sûrs que les embarras qui attendent
désormais les ministres sont plus grands encore que ceux qui les ont assaillis
jusqu'à présent.
Messieurs, j'ai soutenu devant vous
une opinion consciencieuse et qui n'a point pour elle, dit-on, le vent de
l'opinion publique. Je sais à quoi je m'expose, je sais que l'opinion du jour
est aveugle peut-être, mais qu'elle est ardente, que tout au moins je joue
probablement, dans cette circonstance, le rôle de Cassandre. Mais je n’ai pas
l'habitude d'abandonner une opinion, parce qu'elle aurait déjà succombé une
fois. Je combats l'opinion du jour quand je pense que l'opinion du jour est une
erreur. . Je suis, messieurs, ami sincère du peuple, je n'en serai jamais le
courtisan. Je m'attache à être le défenseur de ses droits, de ses
intérêts ; je ne serai jamais le flatteur de ses passions et de ses
préjugés. Eh, messieurs, lorsque, sous l’empire, quelques hommes, bien rares,
bien isolés, parlaient d'institutions libérales, parlaient des libertés perdues,
on les appelait, à l'instar du maître, des idéologues. Quand, dans les
questions d'économie politique, vous posez quelques principes, les empiriques
vous appellent des théoriciens ; quand, en matière politique, on croit que tout
ce qui porte le nom de réforme n'est pas par cela même un progrès du (page 1738) libéralisme, certains
démocrates, et les badauds politiques à leur suite, vous appellent
aristocrates, ou, ce qui est bien plus terrible, doctrinaires. Pauvres injures,
ultima ratio de ceux qui n'ont souvent pas d'autre argument à vous opposer !
Quanta moi, je n'en ai pas été ému en 1831, je n'en ai pas été ému dans
tout le cours de ma carrière politique ; je n'en serai pas plus ému
aujourd'hui.
Aujourd'hui, comme toujours, je dirai : « Fais ce que dois, avienne que
pourra. »
M.
Tielemans. - Après le discours si remarquable que vous
venez d'entendre, je suis heureux, messieurs, de n'avoir à traiter qu'une
question de droit public. Je devrais commencer par où l'honorable M. Lebeau
vient de finir. Car moi aussi, j'aime la liberté, j'aime la démocratie ; mais
je n'aime pas la réforme parlementaire qui vous est soumise, parce qu'elle
attaquent la démocratie et la liberté.
Messieurs, il est des mots qui sont des systèmes : une fois prononcés,
ils passent par toutes les bouches, parce qu'ils répondent parfaitement à une
idée qui était d'avance dans tous les esprits.
Dès qu'il s'est agi d'établir des incompatibilités entre le mandat de
représentant ou de sénateur et certaines fonctions publiques, tout le monde a
prononcé les mots de réforme parlementaire ; et le ministère lui-même, entraîné
sans doute par la justesse de l'expression, les a inscrits, comme titre, au
frontispice de la loi qu'il nous a présentée.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ce n'est
pas moi, c'est la chambre.
M.
Tielemans. - Soit, la chambre donc a reconnu la justesse
de l'expression, en la donnant pour titre à la loi.
Mais dès lors aussi, messieurs, une réflexion fort simple a dû se
présenter à tous les esprits ; chacun a dû se dire : Il ne s'agit point ici
d'établir des incompatibilités, il s'agit de réformer le parlement. Peu importe
que l'on opère par voie d'incompatibilités, d'exclusions ou d'incapacités,
c'est une réforme du parlement qu'il s'agit d'opérer.
Or, messieurs, réformer le parlement, c'est, si je ne me trompe,
réformer l'un des grands pouvoirs de l'Etat, c'est réformer la Constitution du
pays.
Voilà, en quelques mots, comment se traduit et se résume pour moi le
projet qui est soumis à nos délibérations.
Une réforme de cette nature peut-elle s'effectuer par une loi ? Telle
est la question capitale de ce débat.
Je ne me dissimule pas, messieurs, qu'après les deux orateurs qui ont
déjà traité cette question, votre attention aura de la peine à me suivre.
De
toutes parts. - Non !
non !
M.
Tielemans. - Cependant, il est, vous en conviendrez, il
est des principes sur lesquels un homme public ne peut se taire lorsqu'il a
l'occasion de parler.
Vous comprendrez surtout que dans un moment où tant de peuples
travaillent à leur Constitution, et cherchent dans la nôtre des exemples à
suivre, un modèle à imiter, il n'est pas inopportun de traiter un sujet qui les
intéresse autant que nous. Si l'opinion que je vais soutenir échoue, et je m'y
attends, non pas à cause d'elle, mais à cause des circonstances, ils sauront du
moins qu'il y a dans la Constitution belge un vice capital, celui d'avoir
permis que les fonctionnaires publics fussent parqués en dehors de la
législature, sans avoir pris la précaution de salarier le mandat parlementaire
et de constituer un conseil d'Etat. Et, nous-mêmes, messieurs, j'en suis
certain, nous ne tarderons pas à recevoir des pétitions par lesquelles on nous
demandera que l'œuvre du congrès national i soit réformée sous ce rapport.
Vous le voyez, la question est grave à tous égards, et si je réclame de
cette chambre un peu d'indulgence pour la traiter après tant d'autres orateurs,
la gravité même du sujet doit me servir d'excuse.
J'entre donc en matière, en demandant toutefois pardon à l'un des
honorables membres de cette chambre qui l’a traitée ex professo, de n'être pas
de son avis. C'est un hommage que l'ancien élève doit à l'ancien professeur.
Quand on s'embarque dans une discussion de cette nature, il est
essentiel de prendre du lest. Je commencerai par là.
Ce qu'il y a de plus essentiel dans la constitution politique d'un Etat,
c'est la composition des pouvoirs. Les principes qui président à cette
composition, doivent être fixés par le peuple même, au moment qu'il se
constitue, et une fois fixés par lui, aucun des pouvoirs constitués ne peut
désormais y apporter de changement.
L'établissement des incompatibilités parlementaires est-il un de ces
principes ? En d'autres termes, ces incompatibilités intéressent-elles la
composition des pouvoirs ?
Messieurs, il suffit, pour s'en convaincre, en fait, de voir le résultat
que la réforme proposée va produire sur la chambre actuelle : plus de 20
fonctionnaires en seront exclus par la loi en discussion.
Pour s'en convaincre en droit, il suffit de remarquer que toutes les
constitutions promulguées en Europe, depuis 1789 jusqu'à 1830, ont fixé et
réglé elles-mêmes le principe des incompatibilités parlementaires, et l'ont
réglé avec un soin qui en atteste toute l'importance.
On ne saurait donc le nier, en fait comme en droit, le principe dont il
s'agit est essentiellement constitutionnel, constitutionnel de sa nature.
Sans doute, messieurs, un peuple, lorsqu'il se constitue, a le choix
d'admettre ce principe ou de ne l'admettre pas ; sans doute il peut en faire
une application plus ou moins large, plus ou moins étroite, suivant ses mœurs,
ses besoins ou ses intérêts ; mais du moment que la constitution est faite,
c'est à elle et à elle exclusivement qu'il faut s'en tenir, soit qu'elle ait
admis, soit qu'elle n'ait pas admis le principe des incompatibilités, soit
qu'elle l'ait appliqué avec plus ou moins d'étendue.
Vous avez déjà compris par les observations très justes, très vraies,
que l'honorable M. Lebeau vous a présentées tout à l'heure, qu'il en doit être
ainsi, si l'on veut que la composition même des pouvoirs ne puisse être altérée
par de simples lois. Il vous a dit en effet que dans notre organisation sociale
trois principes étaient en présence : le principe monarchique représenté par le
Roi, le principe aristocratique représenté par le sénat, et le principe
démocratique représenté par cette chambre ; c’est la juste proportion de ces
éléments qui fait la force de notre système constitutionnel.
Eh bien, l'honorable M. Lebeau vous a démontré que cette proportion sera
rompue par la réforme proposée, rompue au détriment du principe démocratique et
à l'avantage de l'aristocratie.
Quoi qu'il en soit, lorsque le principe des incompatibilités
parlementaires est une fois admis dans la constitution d'un Etat, il
n'appartient plus, je le répète, aux pouvoirs constitués de l'en effacer ;
lorsqu'il n'y est pas admis, les pouvoirs constitués ne peuvent l'y introduire.
Voilà ce qu'enseigne sur ce point le droit public ; voilà ce qui a été pratiqué
par tous les Etats constitutionnels de l'Europe, depuis qu'il y existe des
constitutions faites par le peuple et jurées par les dépositaires de son
pouvoir.
Permettez-moi de citer les deux exemples les plus récents.
La Charte de 1814 ne parlait point d'incompatibilités. La législature
n'avait pas le droit d'en établir ; elle n'en a point établi.
La loi fondamentale de 1815 en avait établi quelques-unes. Elle disait :
« Art. 81. Les officiers de terre et de mer ne sont éligibles que
lorsqu'ils ont un grade au-dessus de celui de capitaine.
« Art. 92. Les membres des états généraux ne peuvent être en même temps
membres de la chambre des comptes, ni avoir des places comptables.
« Art. 93. Un membre des états provinciaux nommé aux états généraux,
perd en prenant séance sa première qualité. »
La législature n'aurait pu en établir d'autres ; elle n'en a point
établi.
Et pourquoi ? Parce que le principe des incompatibilités parlementaires,
je ne saurais trop le redire, est un principe constitutionnel de sa nature ;
parce que l'on ne saurait étendre, restreindre ou changer ce principe, sans
changer la composition de l'un des grands pouvoirs publics, sans violer la
Constitution.
En 1830 cependant, la France a fait, sous ce rapport, une modification
importante à ses antécédents. Sa charte constitutionnelle de 1830, qui est
antérieure à la nôtre, a disposé :
« Aucun député ne peut être admis dans la chambre, s'il n'est âgé de 30
ans, et s'il ne réunit les autres conditions déterminées par la loi. »
Par cette disposition nouvelle et inusitée jusqu'alors, le pouvoir
législatif a pu déterminer lui-même les incompatibilités parlementaires qu'il
jugerait utile d'établir. Mais une observation qui ne vous échappera point,
c'est que la législature n'a été investie de ce droit que par une délégation
expresse de la charte, c'est-à-dire par le pouvoir constituant lui-même.
Et cette observation confirme pleinement les principes que j'ai posés
tout à l'heure.
Ainsi, lorsque la législature française, usant du droit que la charte
lui déléguait, a dit dans la loi électorale de 1831 : « Il y a incompatibilité
entre les fonctions de député et celles de préfet, sous-préfet, receveur
général ou particulier des finances, payeur, etc.,» elle est restée
parfaitement constitutionnelle. Et, pour le dire en passant, lorsqu'elle a
placé cette disposition sous la rubrique : Des éligibles, elle a parfaitement
compris aussi que toute incompatibilité intéresse le droit d'éligibilité.
Il reste donc démontré que les incompatibilités parlementaires ne
peuvent émaner que du pouvoir constituant, soit par voie directe, soit par voie
de délégation.
Ces prémisses posées en fait et en droit, il nous reste à rechercher si la
Constitution belge a établi elle-même des incompatibilités parlementaires, ou
du moins si elle a délégué, par une disposition expresse, à la législature le
droit d'en établir.
La question ainsi posée, et je crois l'avoir posée sur son véritable
terrain, n'est ni longue ni difficile à résoudre.
La Constitution belge n'a point établi d'incompatibilités
parlementaires. Il ne peut y avoir qu'une voix à cet égard dans la chambre et
dans le pays.
A-t-elle délégué expressément à la législature le droit d'en établir ?
Pas davantage. On ne trouve rien dans la Constitution belge qui
ressemble à une délégation, rien qui ressemble à la disposition de la charte
française que j'ai citée tantôt.
Vous y trouverez le contraire.
La charte française disait que, pour être admis à la chambre des
députés, il fallait avoir 30 ans et réunir les autres conditions déterminées
par la loi.
La Constitution belge, après avoir dit que pour être éligible il faut
être Belge, jouir des droits civils et politiques, avoir 25 ans et être domicilié
en Belgique, ajoute immédiatement : «Aucune autre condition d'éligibilité ne
peut être requise. »
Ainsi, loin de déléguer quelque chose à la législature, loin de lui (page 1739) permettre la moindre
intervention en matière d'éligibilité, la Constitution lui interdit toute
influence, toute action sur la composition du parlement.
Et en cela, messieurs, le congrès national n'a fait que suivre les
véritables principes du droit public ; il n'a fait qu'imiter en cela les
exemples donnés par la loi fondamentale de 1815, par la charte de 1814, par les
constitutions de l'an VIII, de l'an III et de 1791.
Il a répudié le système français de 1830 qui mettait les conditions
d'éligibilité à la merci des chambres législatives. Et, en le faisant, il a été
plus sage que les publicistes de France.
En résumé :
I. Le principe des incompatibilités parlementaires est essentiellement
constitutionnel.
II. Il n'existe qu'autant que le pouvoir constituant le décrète, soit en
établissant lui-même des incompatibilités, soit en déléguant d'une manière
expresse aux pouvoirs constitués le droit d'en établir.
III. La Constitution belge ne fait ni l'un ni l'autre.
IV. Par conséquent, point d'incompatibilités constitutionnellement
possibles à l'égard du parlement belge.
J'ai maintenant quelques objections à rencontrer.
D'abord, on a dit que la disposition finale de l'article 30 n'exclut pas
les incompatibilités parlementaires.
La question n'est point de savoir si cette disposition les exclut ou ne
les exclut pas. J'ai démontré que, pour en établir, il faudrait que la
Constitution les autorisât expressément.
A la vérité, l'honorable rapporteur de la section centrale nous assure
dans son rapport que « la loi, expression de la volonté générale, peut faire
tout ce que la Constitution ne prohibe pas. » Mais il me permettra de lui dire
que ce principe, incontestable en matière civile, est repoussé par tous les
publicistes en matière politique.
En matière politique, c'est le principe contraire qui est vrai : partout
où l'organisation politique de l'Etat est l'œuvre d'un pouvoir constituant, la
loi ne peut, relativement à cette organisation, que ce que la Constitution
autorise. Et la raison en est bien simple, c'est que la volonté générale ne
peut rien par elle-même, contre ni outre la volonté constituante ; c'est que
dans une société politique où les droits de chacun et de tous sont réglés
d'avance, la loi est naturellement et nécessairement limitée vis-à-vis de ces
droits et vis-à-vis des institutions qui reposent sur ces droits.
Quoi qu'il en soit, j'accepte pour un moment le principe posé par la
section centrale ; j'admets que la loi puisse faire, en politique, tout ce que
la Constitution ne défend pas. En sera-t-on plus avancé ? Non ; l'article 50 de
la Constitution défend d'établir des incompatibilités parlementaires ; il les
exclut formellement, et l'article 36 confirme cette exclusion.
En effet toute incompatibilité est une condition négative d'éligibilité
ou d'admissibilité aux chambres. Or l'article 50 ne distingue pas entre les
conditions positives et les conditions négatives ; il est général ; il dit à
tous les citoyens sans distinction d'état ou de profession : Vous serez
représentant, si aux quatre conditions déterminées par cet article, vous
joignez l'élection de vos concitoyens.
S'il pouvait y avoir du doute à cet égard, je vous citerais vingt textes
de Constitution et de loi où l'incompatibilité est définie tantôt d'une
manière, tantôt d'une autre, mais toujours comme une condition négative
d'éligibilité ou d'admissibilité au parlement. Je vous rappellerai la charte et
la loi électorale de France que j'ai déjà citées. En France, où l'on connaît la
valeur des mots, la charte disait que la loi déterminerait les conditions
requises pour être éligible à la chambre des députés ; eh bien, c'est en vertu
de cette disposition que le pouvoir législatif de France a déclaré qu'il y
avait incompatibilité entre les fonctions de député et celles de préfet,
sous-préfet, etc. Les chambres françaises copieraient donc l'incompatibilité
comme une véritable condition qui empêche l'admission au corps législatif.
Mais on insiste : je lis dans la rapport de la section centrale page 6 :
« L'incompatibilité n'atteint ni le droit de l'électeur ni la capacité de l'élu
; elle n'atteint que le fonctionnaire !
« En décrétant l'incompatibilité, la loi ne touche pas aux droits
du citoyen ; elle définit, comme elle en a le pouvoir, le devoir de l'agent
salarié par l'Etat ! »
Aux distinctions subtiles il faut des réponses simples.
Le fonctionnaire et le citoyen ne sont qu'un seul et même être, et les
devoirs qu'on lui impose en l'une de ces qualités, ne peuvent être contraires
aux droits qui lui appartiennent en vertu de l'autre. S'il n'en était pas
ainsi, les fonctionnaires ne seraient plus citoyens ; ils formeraient dans la
société une classe à part dont la loi mesurerait les droits politiques à son
gré. Et, en effet, la distinction faite par la section centrale peut se
traduire ainsi :
Elle dit aux fonctionnaires publics : Tous les citoyens sont admissibles
au parlement ; mais comme fonctionnaires, vous ne l'êtes pas. Donnez votre
démission, redevenez citoyens, et vous serez admissibles comme tous les autres.
Voilà l'argument dans toute sa nudité.
Mais comme il faut bien que toute fonction abandonnée par un citoyen
soit occupée par un autre ; comme il faut bien que 40 à 50,000 fonctionnaires
soient toujours en activité pour le service de l'Etat, il y aura toujours, quoi
qu'en dise la section centrale, 40 à 50,000 citoyens en Belgique privés de
leurs droits politiques. Ce n'était pas là ce que le rapporteur de la section
centrale voulait prouver, en disant que la loi n'atteint ni le droit d'élire,
ni le droit d'être élu.
Mais avec des distinctions subtiles on prouve souvent ce que l’on ne
voulait pas.
Ce n'est pas tout. La loi n'atteint que le fonctionnaire, dit toujours
le rapport. Mais oublie-t-on qu'il est des fonctionnaires que la loi ne peut
pas atteindre ? A-t-on oublié que les juges en Belgique sont inamovibles,
inamovibles par la Constitution ? Comment donc se pourrait-il que la loi
obligeât le juge à donner sa démission pour jouir de ses droits politiques,
pour devenir représentant ou sénateur ?
Je demande pardon à la chambre de me mettre personnellement en scène ;
mais le rapport de la section centrale m'y provoque. Il me dit : La
Constitution vous assure le droit d'élire et d'être élu, comme citoyen ; mais,
comme magistrat, la loi vous force à donner votre démission pour être député.
Je réponds : La Constitution me déclare inamovible, et la loi ne peut me forcer
à donner ma démission, pour jouir d'un droit que je ne tiens pas d'elle ; entre
mon éligibilité d'une part et mon inamovibilité de l'autre, la loi ne peut
intervenir.
Mais, dira-t-on, car les subtilités ne manquent pas dans cette question,
la démission sera volontaire.
Volontaire, messieurs ! c'est une
amère plaisanterie que celle-là, et on devrait l'épargner aux victimes du
projet. La loi proposée dit, en effet, aux fonctionnaires publics : Vous
opterez entre les fonctions que vous tenez de l'Etat et le mandat que vous
tiendrez du peuple. Mais dit-elle : « Vous opterez sans sacrifice » ?
Permet-elle d'opter avec cette liberté de choix qui est l'honneur et le droit
de la conscience ? Permet-elle d'opter suivant les inspirations du devoir ?
Non, messieurs, elle dit : Vous opterez selon vos fortunes. Riches, vous
prendrez le mandat du peuple ; pauvres, vous le refuserez. Riches, vous aurez
le droit et l'honneur de représenter le pays ; pauvres, cet honneur et ce droit
vous sont interdits à jamais.
Je passe à une autre objection.
On dit : La Constitution n'autorise pas seulement la législature à
établir des incompatibilités parlementaires, elle lui en fait une obligation,
car l'article 139 la charge de prévenir les abus du cumul.
Je l'avoue, messieurs, j'ai été étonné que l'on invoquât cet article ;
il est sans aucune portée dans ce débat. Rappelons-en d'abord les termes :
« Le congrès national déclare qu'il est nécessaire de pourvoir par des
lois séparées, et dans le plus court délai possible, aux objets suivants :
« 1°°.....etc.
8° Les mesures propres à prévenir les abus du cumul. »
Cet article est intitulé : disposition supplémentaire, et chacun sait
qu'il fut improvisé après que la Constitution était faite, non pour ajouter ou
changer quelque chose à ses principes, mais uniquement pour déclarer l'urgence
de certaines lois à faire.
Cet article ne confère donc aucun pouvoir, aucun droit ; il ne dispose
même pas, il recommande.
Cet article, enfin, n'existerait pas que les attributions du pouvoir
législatif n'en seraient ni augmentées ni diminuées ; car, à toutes les époques
et sous tous les régimes, la législature a eu le droit et le devoir de prendre
des mesures contre les abus du cumul. Dès lors, messieurs, on ne peut en tirer
aucun argument pour interpréter la Constitution.
Mais allons plus avant. Ceux qui s'appuient sur l'article 139 pour
justifier le pouvoir d'établir des incompatibilités parlementaires au moyen
d'une loi, ne comprennent pas le sens de cette disposition : ils confondent le
cumul des fonctions au point de vue financier avec l'incompatibilité des
fonctions au point de vue politique.
Quoi ! le congrès national aurait
déclaré, le 6 février 1831, qu'il était nécessaire de publier, dans le plus
court délai possible, une loi séparée sur l'incompatibilité de fonctions
publiques ! Mais vous accusez le congrès de n'avoir pas su ce qu'il
faisait ! Le congrès a voulu, et le plus
tôt possible, une loi sur le cumul des traitements et des pensions ; et il
n'avait pas autre chose à vouloir.
Il n'avait pas autre chose à vouloir, parce qu'en 1831 comme
aujourd'hui, il existait des lois parfaitement claires et suffisantes sur
toutes les fonctions militaires, administratives, judiciaires et même
religieuses qui ne sont pas compatibles entre elles.
Et ces lois existaient si bien alors qu'elles existent encore en ce
moment.
Mais ce qui n'existait pas, c'est une loi sur le cumul des traitements
et des pensions, cumul que le gouvernement hollandais avait poussé jusqu'à
l'abus, et auquel le congrès national voulait avec raison que l'on mît un terme
le plus tôt possible et par une loi séparée.
Voilà la vérité, messieurs, et cette vérité, je l'affirme ici, non pas
comme on affirme une opinion, mais comme on affirme un fait sur l'honneur, et
pour l'honneur du congrès national.
Je devrais m'arrêter là ; mais le sujet est trop grave pour rien
négliger.
Supposons que l'article 139 soit applicable dans cette question, quelle
en serait la portée ? A coup sûr, il n'autoriserait par la législature à
établir des incompatibilités à l'égard du mandat législatif. Si le Congrès
avait voulu l'y autoriser, il l'aurait dit dans la Constitution même et non pas
dans un article supplémentaire de la Constitution qui ne dispose pas, qui se
borne à recommander l'urgence de certaines lois à faire sur onze objets
différents et sans rapport les uns avec les autres.
S'il avait reconnu l'urgence d'établir des incompatibilités
parlementaires, il les aurait établies lui-même dans les article 36 et 50 de la
Constitution. L'article 139 ne concerne donc pas cet objet.
Que la législature ait le droit d'établir des incompatibilités entre des
fonctions qu’elle a le droit d’organiser, je le reconnais sans peine ;
mais ce n’est pas l’article 139 qu’elle le puise ; elle le puise dans le
droit même qu’elle a d’organiser ces fonctions. La Constitution dit que l’ordre
judiciaire sera organisé par une loi ; elle dit qu’une loi organisera la garde
civique, la gendarmerie, les institutions provinciales et communales. Eh bien,
nous pouvons, comme législateurs, déclarer incompatibles entre elles les
fonctions qui se rapportent à ces différents objets, parce que nous avons le
droit de les organiser. Mais qu'à l'égard d'une fonction, d'un mandat, d'un
droit qui ne dépend pas de nous, qui existait avant nous et sans lequel nous
n'existerions pas ; qu'à l’égard d'une fonction qui relève exclusivement de la
Constitution et des collèges électoraux, nous puissions établir des
incompatibilités ! Non, messieurs, ce
pouvoir nous ne l’avons pas. Ce pouvoir, je l'ai dit, nous ne l'aurions
qu'autant qu'il nous aurait été expressément délégué par la Constitution.
Mais si nous l'avions, savez-vous ce que nous pourrions en faire ?
La législature a le droit d'organiser autre chose que des fonctions
publiques. Elle peut organiser toutes les professions ; elle a organisé la
profession de notaire, d'avocat, d’avoué, d'huissier, de courtier ou agent de
change, etc. Eh bien ! la loi qui a déclaré ces professions incompatibles
entre elles et avec d'autres fonctions pourrait donc les déclarer incompatibles
aussi avec le mandat .parlementaire ! Où
cette logique nous conduirait-elle ?
Nous serons assez sages pour ne pas en abuser, me dira-t-on ; je le
crois. Mais permettez-moi de croire aussi que le congrès national a été assez
sage pour ne pas vous en donner le pouvoir.
Je conclus : l'article 139 est inapplicable aux incompatibilités quelles
qu'elles soient ; il ne concerne que le cumul des traitements et des pensions.
Mais en fût-il autrement, il n'ajouterait, il ne changerait rien à la
Constitution ; il ne concernerait pas les incompatibilités parlementaires, que
la Constitution n'a permis à personne de régler.
Reste une dernière objection. Il y a des précédents !
Je1 le sais et je ne prétends pas en affaiblir la valeur ; mais de tous
les précédents cités dans le rapport de la section centrale, il n'en est qu'un
seul qui soit sérieux : tous les autres n'ont été qu'une conséquence vraie ou erronée
de celui-là.
Le précédent dont je parle est celui que le congrès lui-même a posé dans
le décret du 30 décembre 1830 sur la Cour des comptes., Eh bien, il suffit de
rapprocher quelques dates et quelques faits pour lui ôter toute sa valeur.
Voici les faits relatifs à la Cour des comptes :
Le 13 décembre 1830 le projet de loi sur la Cour des comptes est
présenté au congrès.
Le 23 décembre M. de Muelenaere dépose son rapport, et dans ce rapport
on disait : Votre commission a été partagée d'avis sur la question de savoir si
les membres de la cour des comptes pourront être en même temps membres de l'une
ou l'autre chambre législative.
Première observation : ce projet n'a pas été examiné dans les sections.
Le 29 décembre il est mis à l'ordre du jour et, sur un amendement
proposé, on décide, séance tenante, que les membres de la Cour des comptes ne
pourront être en même temps membres de l'une ou l'autre chambre.
Deuxième remarque : cette disposition était copiée littéralement de la
loi fondamentale de 1815.
Troisième observation : la Constitution belge n'était pas faite ; les
dispositions relatives à l'éligibilité n'étaient pas discutées ; et ceux qui
avalent voté pour l'incompatibilité de la Cour des comptes devaient croire
qu'elle figurerait dans la Constitution belge, comme elle avait figuré dans la
loi fondamentale de 1815.
Voyons maintenant les faits postérieurs, relatifs à la Constitution.
Le 23 et le 24 décembre, M. Raikem dépose deux rapports sur le titre
relatif aux pouvoirs ; on lit dans le premier :
« Quelques sections avaient proposé d'établir des incompatibilités entre
certaines fonctions publiques et celles de membre de l'une ou de l'autre
chambre. Mais la section centrale a rejeté les incompatibilités. Elle a cru
qu'à cet égard on devait s'en rapporter au bon sens des électeurs, et que la
disposition qui prescrivait la réélection des membres appelés à des emplois
salariés, après leur nomination, parait
à tous les inconvénients.
« Toutefois, un membre de la section centrale avait réclamé
l'incompatibilité absolue entre la qualité de membre de la cour des comptes et
celle de membre de l'une ou de l'autre des deux chambres. Cet avis n'a pas été
partagé par les autres membres de la section centrale.
«Une incompatibilité relative avait aussi été réclamée. Cinq membres de
la section centrale ont demandé que les gouverneurs ou les chefs
d'administration provinciale ne pussent être élus dans les .provinces dont
l'administration leur était confiée. La majorité a rejeté cette exclusion. »
On lit dans le second : « Une section avait demandé la suppression des
mots : aucune autre condition d'éligibilité ne peut être exigée ; elle voulait
par-là laisser à la loi électorale la faculté d'établir d'autres conditions
d'éligibilité qui seraient reconnues utiles.
« La section centrale a pensé, au
contraire, qu'on ne devait abandonner à la loi électorale que les conditions
requises pour être électeur, et non celles exigées pour être élu ; que
celles-ci devaient faire partie de la Constitution.
« En conséquence, elle a été d'avis de maintenir la disposition qui
écarte toute action de la législature à cet égard. »
Ainsi, deux points étaient certains dans l'opinion de la section
centrale :
1° Exclusion de toute incompatibilité parlementaire.
2° Refus d'accorder à la législature aucun pouvoir, aucune action sur
l'éligibilité.
Le 3 janvier 1831, on discute en séance publique l'article 36, ce même
article qui, d'après le rapport de la section centrale, devait, avec le bon
sens des électeurs, tenir lieu de toutes les incompatibilités parlementaires,
et parer à tous les inconvénients. Mais M. Tieken de Terhove ne partage pas
l'opinion de la section centrale à cet égard ; il propose un amendement ainsi
conçu :
« Les membres des deux chambres ne pourront être revêtus d'aucune
fonction de cour, ni de toute autre fonction amovible salariée par le
gouvernement. »
Et cet amendement est rejeté.
Le système proposé par la section centrale prévaut donc. On décide
implicitement qu'en fait d'incompatibilités parlementaires, c'est au bon sens
des électeurs qu'il faut s'en rapporter, principe sage, principe éminemment
libéral, seul principe qui concilie tous les besoins.
Le 6 janvier, on mit en discussion le dernier paragraphe de l'article
50, portant : « Aucune autre condition d'éligibilité ne pourra être
requise. »
Et ce paragraphe est encore adopté, dans le sens de la section centrale,
c'est-à-dire dans le but d'ôterà la législation tout pouvoir, toute action sur
l'exigibilité.
Nous voici donc en présence de deux décisions : l'une du 29 décembre qui
prononce une incompatibilité spéciale entre les fonctions de la cour des
comptes et celles du parlement ; l'autre du 3 janvier suivant, confirmée le 6,
qui rejette toute espèce d'incompatibilités parlementaires, toute action de la
législature sur l'éligibilité au parlement.
Si ces deux décisions avaient été rendues en même temps et dans une même
loi, il y aurait là une contradiction manifeste et insoluble. Mais l'une a été
prise avant l'autre ; la première a été prise dans une loi, la dernière dans la
Constitution.
Or la Constitution abroge expressément toutes les lois antérieures qui
lui seraient contraires. Le précédent de la cour des comptes n'existe donc pas.
Et toute l'erreur des législatures suivantes vient de ce qu'on a cru, sans trop
d'examen, qu'il subsistait encore après la Constitution promulguée. Pour
subsister, il aurait fallu le dire dans la Constitution même, comme on' l'avait
dit dans la loi fondamentale de 1815.
.Je termine par une observation générale.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Et la
cour de cassation ?
M.
Tielemans. - Le précédent de la cour des comptes n'a été posé
que par la législature : il n'est que la conséquence de celui qui avait été
posé par le congrès relativement à la cour des comptes. La législature a pris
ce dernier précédent pour règle, sans s'enquérir si cette règle n'avait pas été
abrogée par la Constitution elle-même. M. le ministre de l'intérieur aurait pu
me rappeler aussi les incompatibilités établies par la loi provinciale à
l'égard des conseils provinciaux. Celles-ci ont été admises par la même raison,
c'est-à-dire parce qu'on avait déjà d'autres précédents ; et c'est ainsi,
messieurs, qu'on est allé de précédents en précédents, sans rechercher
sérieusement la valeur constitutionnelle du premier. Voilà pourquoi je ne les
discute pas. Je termine, par une considération générale.
La question de constitutionnalité, quoique résolue plusieurs fois par la
législature, se présente cette fois sous un rapport entièrement neuf. Il ne
s'agit plus à présent de prononcer une incompatibilité particulière entre le
mandat législatif et telle ou telle fonction déterminée ; il ne s'agit plus de
rechercher s'il y a une cause réelle d'incompatibilité dans la nature de telle
ou telle fonction prise isolément. Il s'agit d'ériger l'incompatibilité
parlementaire en principe général et absolu vis-à-vis de toutes les fonctions
publiques. Il s'agit de faire ce que le congrès national lui-même n'a pas voulu
faire.
Quand on a déclaré que les membres de la législature ne pourraient être
membres de la cour des comptes, on avait cette raison, puisée dans la nature
des choses, que la cour des comptes est chargée du contrôle de la comptabilité
ministérielle sous l'approbation des chambres.
Quand on a exclu les membres de la cour de cassation, on s'est déterminé
par la raison spéciale que cette cour juge les ministres sur l'accusation de la
chambre des représentants.
Quand on a exclu les membres des conseils provinciaux, on a eu pour
raison que les actes de ces conseils peuvent être, en certains cas, annulés par
la législature.
Voilà le sens et la portée des lois qui ont été faites jusqu'à cette
heure sur la matière ; et comme vous le voyez, ce sens, cette portée n'était
nullement politique.
Les précédentes incompatibilités avaient donc une raison particulière ;
' il y avait pour chacune d'elles un motif puisé dans la nature spéciale des
fonctions qu'on déclarait incompatibles, et ce motif était administratif ou
judiciaire. Aujourd'hui c'est une rafle politique qu'on nous propose ; c'est un
changement complet de système, un changement radical et absolu qui doit
modifier profondément la composition de cette chambre.
Eh bien en présence de cette proposition, la question de
constitutionnalité a une importance bien autrement grave que dans les cas
particuliers où vous l'avez examinée précédemment. Elle exige de votre part un
nouvel examen, et c'est pourquoi j'ai pris la liberté de la traiter si
longuement.
M. le président. - La parole
est à M. de. Mérode.
D'autres
membres. - A ce soir
!
Plusieurs
voix. - Une séance du soir !
M. de Mérode. - La
question est assez importante pour qu'on ne la livre pas à des séances du soir.
M. Lebeau.
- Je combats l'idée d'une séance du soir, à moins qu'il soit entendu qu'on ne
prononcera pas la clôture pour aborder les articles. Il est impossible
d'étrangler la discussion d'un projet important qui depuis 18 ans fait l'objet
de sérieuses méditations.
M. Malou. - Plusieurs membres désirent que la
chambre termine ses travaux demain. Si on n'a pas de séance du soir, il est
impossible qu'on arrive à ce résultat. Qu'on fasse toute réserve quant au vote,
je le conçois.
M. de
Bonne. - Je ferai observer à la chambre qu'il me semble de
sa dignité de ne pas étrangler la discussion d'une loi aussi importante, d'un
intérêt aussi grave, que celle sur la réforme parlementaire. Quand on a donné
10 à 12 jours à la discussion d'une loi sur les lièvres, les lapins, les
vanneaux et les oiseaux chanteurs, ce n'est pas trop que d'accorder deux ou
trois jours à une loi qui a pour objet les droits politiques d'une classe de
citoyens, en un mot une question constitutionnelle. Je pense donc que la
continuation de la discussion générale doit être renvoyée à demain et à la
semaine prochaine s'il est nécessaire. Il est désirable, nécessaire même, que
toutes les opinions se déclarent, soient exprimées.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, loin de moi l'idée de vouloir engager la chambre à examiner avec
précipitation la question qui lui est soumise. Si j'appuie la proposition d'une
séance du soir, c'est à cette condition que l'on pourrait la consacrer à
l'examen d'autres projets de lois que nous devrions examiner à la suite de
celui qui concerne es. incompatibilités parlementaires. Cela ne peut pas
contrarier ceux qui pensent qu'il est urgent que la session arrive à sa fin.
Nous comprenons qu'il faut laisser à chacun des représentants la faculté
de retourner auprès des électeurs. L'intention du gouvernement, si rien n'y met
obstacle, serait de convoquer les collèges électoraux pour le deuxième mardi de
juin. Dès lors il est évident que pour les représentants le temps presse ; il
est utile qu'ils puissent établir des relations franches et quelque peu
prolongées avec les électeurs..
Cela dit, je n'entends pas préjuger la question de savoir si la chambre
s'ajournera à partir de demain ; mais pour utiliser les derniers jours je
demande qu'on se réunisse ce soir pour examiner d'abord les projets à l'ordre,
du jour autres que celui des incompatibilités parlementaires.
- La chambre décidé qu'elle aura une séance le soir, elle en fixe
l'heure à huit heures et adopte ensuite la proposition de M. le ministre de
l'intérieur.
L'assemblée se sépare à 5 heures.