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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 19 mai 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1732) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi et demi.

La séance est ouverte.

M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.

« La chambre de commerce et des fabriques de Courtray présente des observations contre le projet de loi relatif au timbre sur les effets de commerce. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Bertier, ancien sous-officier de l'empire, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir les arriérés de sa pension de légionnaire, depuis le 1er janvier 1814 jusqu'au 1er janvier 1835, et les intérêts accumulés. »

- Renvoi à la commission des pétitions,


« Quelques habitants de Maeseyck demandent qu'il n'y ait aucune exception au principe d'incompatibilité entre les fonctions publiques et un mandat législatif et proposent des mesures pour améliorer la situation du pays. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la réforme parlementaire et renvoi à la commission des pétitions.


Par divers messages du 18 mai, le sénat informe la chambre qu'il a adopté les projets de loi modifiant la loi électorale, la loi communale, la loi provinciale et le projet qui transfère à Fexhe-lez-Slins le chef-lieu de la justice de paix établi à Glons. »

- Pris pour notification.


M. Dolez, retenu par la mort de sa sœur, s'excuse de ne pouvoir prendre part aux travaux de la chambre.

- Pris pour information.

rojet de loi instituant une caisse d'épargne fondée par l'Etat

Rapport de la section centrale

M. Verhaegen. (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la section centrale chargée de l'examen du projet de loi qui a pour objet l’institution d'une caisse d'épargne par l’Etat s’est réunie déjà pendant deux séances : elle s'est occupée du dépouillement des procès-verbaux des sections et de l’examen des nombreuses observations, je pourrais dire même des nombreux systèmes qu'ils renferment.

Il ne s'agit pas seulement de la question de savoir s'il y aura une caisse d'épargne sous la direction de l'Etat, mais de déterminer comment cette caisse d'épargne sera établie, sous quelles conditions, avec quelles garanties, avec quels moyens de remboursement, surtout, en cas de crises. Toutes ces questions, qui se résument dans des questions à la fois sociales, politiques et financières, et qui se rattachent, en outre, à la grande question de la banque, exigent des renseignements nombreux, des études approfondies.

A la suite d'un premier examen, la section centrale a prié M. le ministre des finances de se rendre dans son sein pour fournir quelques explications ; ces explications, qui ont été immédiatement fournies, en exigent beaucoup d'autres.

Dans cet état de choses, la section centrale, prévoyant que son rapport ne pourra vous être présentés que dans une huitaine de jours, car elle ne veut pas faire cette besogne à la légère, m'a chargé de vous donner connaissance de la marche de ses travaux.

Le gouvernement, je m'empresse de le dire, désire que la question soit examinée par la chambre et reçoive une solution avant la fin de la session. Il croit que le projet de loi est un corollaire indispensable de la loi que nous avons votée sur l'émission de 20 millions de billets de banque ; il considère l'institution d'une caisse d'épargne par l'Etat comme un moyen auxiliaire pour rendre efficace la mesure que nous avions adoptée.

C'est maintenant à la chambre à fixer son ordre du jour, de manière à laisser à la section centrale, dont j'ai l'honneur d'être l'organe,, te temps nécessaire pour remplir consciencieusement sa mission.

Messieurs, la section centrale,, veuillez-le remarquer, ne vous fait aucune proposition ; elle se borne à vous faire apprécier l'importance des questions qui ont surgi à la suite d'un premier examen et la nécessité d'y donner une attention sérieuse. Chacun des membres de.la section centrale est prêt à donner tous ses moments à l'examen du projet de. loi et à concourir à vous présenter le rapport le plus tôt possible ; mais alors qu'il peut être question de dissoudre les chambres, il était de son devoir de vous faire connaître le véritable état des choses.

M. Vilain XIIII. - Je demande que le gouvernement veuille bien s'expliquer sur la possibilité de l'ajournement ou la nécessité de la discussion du projet de loi relatif à la caisse d’épargne. Ce n'est pas à la chambre à décider l’ajournement de la discussion, c'est au gouvernement à voir et à dire s'il croit que le vote de ce projet de loi est absolument nécessaire. La dissolution dépend du gouvernement et non de la chambre. La chambre est d'accord avec le gouvernement sur la nécessité et l’opportunité de la dissolution, mais il n'est pas nécessaire qu'elle ait lieu cette semaine ou la semaine prochaine, et si le gouvernement croit que le vote de la loi est indispensable, la chambre ne tiendra pas à se retirer huit jours plus tôt ou plus tard.

Je demande que le gouvernement s'explique sur la nécessité ou non nécessité de ce projet.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, l’honorable M. Verhaegen vient de faire connaître que le gouvernement a exprimé le désir à la section centrale qu'il préside, qu'elle voulût bien s'occuper de l'examen du projet de loi sur l'institution d'une caisse d'épargne par l’Etat et en faire l’objet d'un prompt rapport. Je ne pense pas qu'il soit possible de se servir d'autres expressions pour faire voir que le gouvernement tient à ce que ce projet soit examiné et discuté avant la fin de cette session.

Vous le savez, messieurs, dans la discussion qui a eu lieu à l'occasion du projet de loi relatif à la seconde émission de billets de banque, le gouvernement a constamment dit que le projet d'institution d'une caisse d'épargne était un corollaire et un moyen auxiliaire pour arriver à rendre plus efficace la mesure qui a été votée. Rien ne l'a fait ni ne le fera varier dans son appréciation et sa manière de voir à ce sujet. Il persiste donc à demander, afin que cette loi ait plus de chances d'efficacité que le projet sur la caisse d'épargne soit encore voté par la législature actuelle/

Voilà le désir du gouvernement. A présent je ne sais si dans la situation où nous sommes, en égard aux travaux de la session, il peut être satisfait à ce désir. La chambre en décidera.

M. de Brouckere. - Après la déclaration que vient de faire M. le ministre des finances, je crois que la chambre n'a aucune résolution à prendre. La section centrale est chargée d'une mission ; elle remplira cette mission le plus tôt et le plus convenablement possible. La chambre attendra que le rapport soit fait pour discuter le projet, ou que le gouvernement prononce la dissolution. Mais ce n'est pas à la chambre à décider si elle prolongera ou non la session. La chambre siégera jusqu'à ce que le gouvernement prononce la dissolution.

Je demande donc l'ordre du jour.

M. Vilain XIIII. - C'est-à-dire que la section centrale continuera l'examen du projet ?

Plusieurs membres. - Oui ! oui !

- L'ordre du jour est prononcé.

Rapports sur des pétitions

M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Berchem, le 31 décembre 1847, le sieur Van Passer, cultivateur, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef de pertes causées par les événements de guerre de la révolution. »

Ordre du jour.

- Adopté.


M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Tamise, le 2 mars 1848, le conseil communal de Tamise demande que cette commune qui, dans le tarif B pour le droit de patente, figure parmi les communes de la 5ème catégorie, soit placée dans la 6ème catégorie. »

Renvoi à M. le ministre des finances.

- Adopté.


(page 1733) M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 17 mars 1848, le sieur Smets prie la chambre d'exempter de l'avance des 8/12 de la contribution foncière impropriétés bâties qui ne sont pas occupées faute de locataires. »

Ordre du jour ?

- Adopté.


M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 20 mars. 1848, le sieur Dewevre demande l'exemption du payement de l'avance des 8/12 de la contribution foncière sur des, immeubles qu'il possède à Bruxelles. »

Ordre du jour.

- Adopté.


M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Tournay, le 22 mars 1848, le sieur Lefebvre demanda qu'il soit interdit aux notaires de stipuler dans les baux ou dans les obligations hypothécaires, que les emprunts, dus à raison des immeubles loués ou des créances hypothéquées, seront à la charge des locataires ou des débiteurs. »

Ordre du jour.

- Adopté.


M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Grandleez, le 24 mars 1848, le sieur Philippart, secrétaire communal, demande qu'il soit accordé aux secrétaires communaux une légère rémunération pour le surcroît de besogne que leur donnera le projet de loi sur l'emprunt. »

Renvoi à M. le ministre des finances.

- Adopté.


M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Vonèche, le 12 avril 1848, plusieurs habitants de Vonèche-Froid-Fontaine demandent que le hameau de Froid-Fontaine soit érigé en commune séparée de Vonêche. »

- Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

- Adopté.


M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Liège, le 28 mars 1848, le sieur Delsemme, ancien officier, prie la chambre de lui faire obtenir la croix de fer ou toute autre récompense nationale. »

Ordre du jour.

- Adopté.


M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Liège, le 29 mars 1848, le sieur Nevraumont, instituteur communal à Ste-Marie, prie la chambre de l'exempter du service militaire.»

Ordre du jour.

- Adopté.


M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée d'Ostende, le 4 avril 1848, le sieur Lefevre, maître maréchal à Ostende, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef des pertes essuyées lors de la construction du fanal des dunes à l'est du port d'Ostende.»

Renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Tirlemont, le 8 avril 1848, le sieur Sitterbaer demande que le gouvernement soit autorisé à vendre les marais et prairies communaux, moyennant une indemnité à donner aux communes et à leurs habitants. »

- Renvoi à MM. les ministres de l’intérieur et des finances.

- Adopté.


M. de Breyne, rapporteur. - « Par pétition datée de Mons, le 14 avril 1848, le sieur Meurice, décoré de la croix de fer, demande une pension. »

Ordre du jour.

- Adopté.


M. Brabant. - Messieurs, sons la date du 17 avril de cette année, un grand nombre d'habitants de Gembloux se sont adressés à la chambre pour se plaindre de l'augmentation du droit de patente exigé de cette localité. Cette pétition a été, le 19 avril, renvoyée à la commission des pétitions. Depuis lors elle n'a été comprise dans aucun feuilleton, tandis que celui dont on vient de s'occuper comprend des pétitions que ne datent que du 8 mai.

Je demanderai que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport sur la requête dont je parle.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi accordant une prolongation de délai pour l'exécution du chemin de fer de Namur à Liége et de Mons à Manage

Discussion de l'article unique

« Article unique. Le gouvernement est autorisé, sous les garanties qui lui paraîtront nécessaires, à proroger au 28 juillet 1850 les délais fixés par l’article 13 du cahier des charges de la concession du chemin de fer de Liége à Namur et par l'article 14 du cahier des charges de la concession de celui de Mons à Manage.

« La convention nouvelle à intervenir avec la compagnie concessionnaire sera publiée avec la présente loi. »

- La section centrale propose l'adoption du projet.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire hier à la chambre, le projet de loi doit être amendé parce que la compagnie des chemins de fer de Liége à Namur et de Mons à Manage s'est entendue avec la compagnie concussionnaire du chemin de fer de Manage à Wavre pour mettre à la disposition de la première le cautionnement de 750,000 fr. actuellement improductif dans les caisses de l'Etat. J'ai donc l'honneur de proposer à la chambre un deuxième paragraphe, qui serait ainsi conçu :

« 2° A mettre à la disposition de la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Liège à Namur et de Mons à Manage, pour un temps qui ne pourra excéder deux ans, les titres d’emprunt belge, s'élevant au capital nominal de 1,296,000 fr., déposés dans les caisses de l'Etat à titre de cautionnement du chemin de fer de Manage à Wavre.

« Ces fonds seront exclusivement employés à l'exécution du chemin de fer de Mons à Manage. »

Le prêt aura lieu, messieurs, à des conditions tout a fait analogues à celles que j'ai fait connaître pour la concession du chemin de fer de Jurbise à Tournay.

M. Delfosse. - Il est bien entendu que la compagnie ne pourra vendre les fonds publics qui vont lui être restitués. Une telle vente pourrait déprécier encore les fonds belges qui ne sont que trop bas ; il entre sans doute dans les intentions de M. le ministre des travaux publics de n'autoriser la compagnie qu'à effectuer un emprunt qui serait garanti par le dépôt des pièces formant le cautionnement.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Dans la convention faite avec la compagnie du chemin de fer de Tournay à Jurbise, il a été expressément stipulé que les titres sont mis à la disposition de la compagnie, afin qu'elle puisse se procurer sur dépôt de ces fonds, soit à Londres, soit ailleurs, des sommes destinées exclusivement à l'exécution du chemin de fer. C’est ainsi que la chose aura lieu. C'est un simple dépôt.

- L'amendement de M. le ministre des travaux, publics est mis aux voix et adopté.

L'article unique du, projet est ensuite adopté avec cet amendement.

Vote sur l'ensemble du projet

La chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.

L'amendement de M. le ministre des travaux publics est remis aux voix et définitivement adopté.

Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'article unique du projet de loi.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 73 membres qui ont répondu à l'appel nominal. Il sera transmis au sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Bricourt, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Cogels, Coppieters, d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Foere, de Haerne, de la Coste, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de Villegas, d'Hane, d'Huart, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Duroy de Blicquy, Eloy de Burdinne, Faignart, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Roussette, Sigart, Thienpont, T’Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye et Liedts.

Projet de loi prorogeant le délai d'exécution du chemin de fer de Louvain à la Sambre

Discussion générale

M. de La Coste. - Messieurs, quoique la chambre vienne de voter une loi à peu près semblable, presque sans discussion, il n'en est pas moins vrai que les mesures de cette nature ont une certaine gravité ; elles sont plutôt dans l'intérêt de la société même, qui se charge de l'entreprise que des localités que cette entreprise tend à doter d'une nouvelle voie de communication.

En effet, on pourrait concevoir qu'une société ayant encouru la déchéance, une autre société pût surgir, qui exécuterait les travaux avec beaucoup plus de facilité, parce qu’elle pourrait avoir comme avance, comme prime, les travaux déjà effectués par l'autre société ou le cautionnement déposé par elle.

Je comprends que, dans les circonstances actuelles, il faut user d'une certaine indulgence à l'égard des sociétés, et que la marche que je viens d'indiquer serait trop rigoureuse ; mais ce n'est que pour autant qu'on ne pourrait élever des doutes sur la solidité de la société, ou que l'on n'ait pas à lui adresser des reproches de mauvaise gestion ou de négligence.

La chambre a déjà été entretenue des réclamations de la ville de Louvain relativement à la manière dont la société, dont il s'agit ici, avait opéré. La ville de Louvain a dit que la société s'était engagée à 'exécuter des travaux dans la traverse et aux abords de la ville de Louvain ; qu'elle les avait abandonnés, et avait porté ses principaux travaux à l'extrémité opposée de la ligne ; or, si la société n'avait pas rempli exactement ses obligations, la chambre pourrait trouver quelque difficulté à adopter le projet de loi. C'est en ce sens que dans une section on a demandé des explications de la part du gouvernement. Le projet de loi ne fait qu'accorder une faculté au gouvernement, qui devra prendre des garanties, des sûretés ; cette condition me rassure ; cependant je prierai M. le ministre de vouloir donner des explications sur les points que je viens d'indiquer.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - L'honorable préopinant demande quelles sont les causes qui empêchent la compagnie d'exécuter les travaux qu'elle devait faire aux abords et dans la traverse de la ville de Louvain.

J'ai déjà eu l'honneur de le dire, la compagnie par suite des circonstances, se trouve dans une position difficile comme toutes les compagnies concessionnaires ; elle rencontre des obstacles assez grands pour l’exécution des travaux très importants et très coûteux qu'elle doit faire faire pour l'entrée du chemin de fer dans la ville de Louvain. Elle étudie en ce moment un plan qui lui permettrait d'arriver au même résultat sans dépenser des sommes aussi considérables.

Voilà la situation, mais jusqu'à présent aucune proposition n'a été adressée au département des travaux publics ; le gouvernement n'a pas été appelé à émettre une opinion sur la question de savoir s'il y avait lieu de déroger à la convention, car cette convention fait partie de la loi et la loi ne peut être changée que par une loi. C'est la seule cause de la suspension des travaux, je n'en connais pas d'autre. Le gouvernement, aussi longtemps que rien n'est changé à la loi qui contient la convention, ne peut qu'insister pour que la compagnie remplisse scrupuleusement tous ses engagements.

(page 1734) M. de La Coste. - Je prierai M. le ministre de vouloir bien se faire rendre compte de ce qui a eu lieu relativement à ce chemin de fer, surtout quant à la question qui, suivant ce que vient de dire M. le ministre, fait l'objet des études de la société. C'est une question qui a été agitée ici et résolue par la chambre. On avait adopté d'abord un plan moins coûteux, mais ce plan a donné lieu, de la part de la ville de Louvain, à de vives réclamations. Je conçois que la société voudrait revenir aux premières données qui ont été modifiées par la chambre ; mais j'engagerai M. le ministre à se prémunir contre les tentatives de ce genre. Il faudrait, sans doute, que la chambre intervînt avant que ces tentatives eussent un résultat ; mais je pense, en outre, que le gouvernement croirait devoir consulter les localités intéressées, avant de saisir la chambre d'une proposition de ce genre : elle donnerait probablement lieu à une vive opposition de la part de l'administration communale de Louvain qui pensait que le plan auquel on voudrait revenir rendait le chemin de fer plus onéreux qu'utile à cette ville.

M. le ministre n'a pas répondu à ce que j'ai dit quant à la solidité de la compagnie ; je l'engagerai à ne pas accorder d'atermoiement, ce qui, du reste, engagerait sa responsabilité, sans s'assurer que la compagnie offre toutes garanties pour l'accomplissement de ses obligations ; sans cela, messieurs, mieux vaudrait ne rien statuer, quant à présent, et laisser intacte la question de déchéance. Je ne préjuge rien, mais je prie le ministre, la loi volée, de ne rien décider avant de s'être assuré des garanties qu'offre la compagnie pour la réalisation de ses engagements.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Les renseignements que je viens de donner sont officieux ; je ne connais pas officiellement les intentions de la compagnie, quant aux travaux des abords de la ville de Louvain, j'indique les motifs qui expliquent les retards que met la compagnie à les exécuter. Je ne préjuge pas, si dans le cas où une demande serait adressée au gouvernement, il y aurait lieu d'accorder la moindre modification à la loi qui a été adoptée. C'est une question qui, si elle se présente, sera examinée par la chambre. Je n'ai pas de raison de croire qu'il faille faire de nouveaux avantages à la compagnie sous ce rapport.

Quant au deuxième point, l'honorable membre demande que je ne fasse de convention avec la compagnie, en exécution de la loi qui accorde une prorogation de délai qu'après avoir obtenu des garanties suffisantes de sa solidité. Comment l'honorable membre veut-il que je constate la solidité de la compagnie, que j'aie la certitude de l'accomplissement entier de ses obligations ? La loi que nous proposons a précisément pour objet de permettre aux actionnaires de verser, car n'ayant pas l'assurance que la déchéance ne serait pas prononcée, ils continueraient à exciper de cette crainte pour ne pas verser.

J'ai l'espoir que la compagnie continuera ses travaux, mais je n'ai aucun moyen de m'assurer de la solidité des divers porteurs d'actions. Je ne puis, qu'en exécution de la loi que je sollicite, passer une convention que je considère comme le meilleur moyen d'obtenir que la compagnie continue ses travaux à l'aide des versements qui seront effectués par les actionnaires.

M. Osy. - J'ai demandé la parole pour faire une observation sur l'article 5 de la convention. Après la concession du chemin de fer de Louvain à la Sambre, la société a pris des engagements stipulant des payements à effectuer à l'expiration du délai d'exécution. Ce délai expire au 21 mai prochain. Elle voudrait trouver moyen, en vertu de la loi qu'on va présenter, de ne payer qu'en 1851, tandis que l'engagement de payer lors de l'expiration du délai était formel. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il ne pourrait trouver un moyen plus positif que l'article 5 de la convention, pour que la société tienne ses engagements et paye à l'époque fixée par la présente convention.

La section centrale a motivé son opinion sur cet objet, je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il est d'accord avec la section centrale.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs, des tiers ont contracté avec la compagnie concessionnaire. Ces engagements, ces traités sont tout à fait étrangers au gouvernement ; il n'y est pas intervenu, ne les a pas appréciés et ne peut être juge des conséquences.

Ces tiers se sont adressés au département des travaux publics et lui ont demandé d'intervenir en leur faveur auprès de la compagnie concessionnaire afin que celle-ci acquittât ses obligations. L'administration ne pouvait se constituer juge des prétentions que l'on élevait à charge de a compagnie. Celle-ci pouvait avoir des exceptions particulières à faire valoir contre ceux qui se prétendaient ses créanciers.

L'administration ne pouvait faire qu'une chose : c'était ne pas préjudicier aux droits des tiers, empêcher que la compagnie ne pût faire valoir contre eux les avantages qui lui étaient faits. C'est ce qui a été stipulé par l'article 5 de la convention provisoire intervenue entre la compagnie concessionnaire et le gouvernement, article qui dit d'une manière catégorique, la section centrale l'a reconnu, que les délais qui seront accordés par la loi à la compagnie concessionnaire, ainsi que les stipulations et les conventions à intervenir entre elle et le gouvernement, ne pourront en aucun cas, en aucune manière, préjudicier aux droits des tiers. .

Ces tiers pourront donc agir contre la compagnie comme si aucune espèce de délai n'avait été accordé à la compagnie, comme si aucune convention n'était intervenue. En d'autres termes, les choses sont entières entre les créanciers et la compagnie. C'est aux tribunaux, s'il y a débat, à statuer sur les différends.

M. Delfosse remplace M. Liedts au fauteuil.

Vote de l'article unique

- Personne ne demandant plus la parole, il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet, qui est adopté à l'unanimité de 78 membres, 1 membre (M. de La Coste) s'étant abstenu.

Les membres qui ont voté pour ce projet sont : MM. Vandensteen, Van Huffel, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Bricourt, Broquet-Goblet. Bruneau, Cans, Clep, Cogels, Coppieters, d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Foere, de Haerne, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode. de Mérode, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, d'Huart, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Moreau, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Vanden Eynde.

M. de La Coste. - J'aurais voulu que les administrations des principales communes intéressées eussent été entendues avant de me prononcer.

Projet de loi prorogeant le délai d'exécution du chemin de fer de l'Entre-Sambre-Et-Meuse

Discussion générale

M. le président. - L'article unique du projet est ainsi conçu :

« Article unique. Le gouvernement est autorisé, sous les garanties qui lui paraîtront nécessaires, à proroger :

« 1° au 31 décembre 1851, le délai accordé pour l'achèvement des travaux de la ligne principale du chemin de fer concédé de l'Entre-Sambre-et-Meuse et des embranchements de Thy-le-Château à Laneffe, de Walcourt à Morialmé, de Fairoul à Froidmont, de Mariembourg à Couvin et de Philippeville ;

« 2° au 31 décembre 1853, le délai accordé pour l'achèvement des travaux des branches accessoires de Florenne à la Meuse et d'Oret à la Sambre.

« Une convention nouvelle à intervenir avec la compagnie concessionnaire sera publiée avec la présente loi. »

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, je ne viens pas abuser des moments de la chambre ; cependant je lui demande la permission d'adresser, au sujet du projet de loi en discussion, quelques questions à M. le ministre des travaux publics.

Je désirerais qu'il nous fît connaître, et de manière à dissiper toutes les inquiétudes répandues, à tort je l'espère, dans l'arrondissement de Philippeville, s'il n'y aura aucune modification apportée au cahier des charges de la compagnie du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse, et si, dans aucun cas, on n'a l'intention d'abandonner la ligne de Philippeville.

Cet embranchement a une très grande importance, une importance aussi grande que celle du tronc principal. Loin de consentir à ce qu'il fût abandonné, je viens demander au contraire que les travaux qui seront exécutés par la compagnie le soient sur cette partie du railway, dont tous les plans sont prêts et n'attendent plus que l'exécution. Il résulterait de la construction de l'embranchement de Philippeville des avantages réels pour le trésor. D'abord avantages pour les frais de l'administration des postes, car la compagnie doit transmettre les dépêches gratuitement, avantage pour le transport des troupes, avantage considérable pour le commerce et pour l'industrie, dans un arrondissement où l'industrie a pris un grand développement, avantages de toute nature sur lesquels je ne veux pas insister pour ne pas fatiguer la chambre ; mais je ne puis passer sous silence la nécessité inévitable de donner des travaux à un arrondissement qui renferme une grande quantité d'ouvriers, et auquel on n'a accordé aucune part des subsides distribués dans toutes les provinces.

J'ose espérer que M. le ministre prendra en considération ces courtes observations, et que la réponse qu'il voudra bien y faire sera de nature à rassurer les travailleurs et la population tout entière de mon arrondissement.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs, le projet de loi me paraît répondre très explicitement à la question que vient de m'adresser l'honorable préopinant. Le projet de loi se borne à proroger le délai d'exécution pour les sections principales jusqu'au 31 décembre 1851 et pour les sections accessoires de Florennes à la Meuse, etc., jusqu'au 31 décembre 1853. Il n'est apporté aucune modification au cahier des charges, et par conséquent toutes les obligations de la compagnie continuent à subsister, et on voit par le texte même de la loi qu’au nombre de ces obligations se trouve l'exécution de l'embranchement vers Philippeville. L'honorable membre peut donc avoir tous ses apaisements.

M. de Baillet-Latour. - Je dois observer à M. le ministre des travaux publics que parmi les sections de travaux citées dans le projet de loi, l'embranchement de Philippeville se trouve en dernière ligne. Il vient même après l'embranchement de Couvin qui est le point le plus éloigné vers l'extrême frontière. Je demande à M. le ministre des travaux publics pour quelle raison l'embranchement de Philippeville est ainsi relégué tout à la fin de l'énumération des travaux. Il me semble que Philippeville étant le chef-lieu de l'arrondissement, il faudrait ordonner les travaux de manière à ce qu'on marche graduellement vers Couvin.

(page 1738) M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - L'ordre dans lequel sont placés les noms des diverses localités, est sans importance, sans signification ; le délai d'exécution aussi bien pour les parties dont les noms se trouvent en dernière ligne, que pour les autres, est le 31 décembre 1851. La compagnie continuera à agir comme elle l'a fait jusqu'à présent et je crois qu'on n’a nullement à se plaindre de la manière dont elle a exécuté les travaux.

Vote de l'article unique

- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet qui est adopté à l'unanimité des 71 membres présents.

Ce sont : MM. Vandensteen, Van Huffel, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Bricourt, Bruneau, Cans, Coppieters, d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Foere, de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d’Attenrode, de Meester, de Mérode, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Eloy de Burdinne, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Moreau, Orban, Osy, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cutsem et Vanden Eynde.

Projet de loi prorogeant le délai d'exécution du chemin de fer de la Flandre occidentale

Vote de l'article unique

« Article unique. Le gouvernement est autorisé à proroger au 18 mai 1851, le délai fixé par l'article 8 du cahier des charges de la concession du chemin de fer de la Flandre occidentale. »

- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet, qui est adopté à l'unanimité des 74 membres présents.

Ce sont : MM. Vandensteen, Van Huffel, Verhaegen, Vilain XIIII, Brabant, Bricourt, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Clep, Coppieters, d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Foere, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, Desaive, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Eloy de Burdinne, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Moreau, Orban, Osy, Pirmez, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Thienpont, Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cutsem, Vanden Eynde.

Projet de loi qui proroge le terme fixé pour la réduction du personnel de la cour d'appel de Bruxelles et des tribunaux de première instance de Tournay et de Charleroy

Discussion générale

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'article unique du projet de loi suivant, proposé par la commission, auquel le gouvernement se rallie :

« Le terme fixé par l'article 3 de la loi du 10 février 1836 (Bull. offic. n° 14) et par l'article 3 de la loi du 28 mai 1838 (Bull. offic. n°190), prorogé par la loi du 26 septembre 1842 (Bull. offic. a" 84), est de nouveau prorogé au 15 octobre 1852. »

M. Osy. - Je regrette que nous soyons encore obligés de voter cette loi, et qu'il ne soit pas possible de la réviser, notamment pour la cour de Bruxelles, mais j'ai souvent entendu dire à d'honorables députés de Gand que la cour de Gand a un personnel trop considérable. J'aurais désiré savoir de M. le ministre de la justice un renseignement sous ce rapport.

Si effectivement le personnel est trop considérable, je crois que pour faire des économies, nous devons demander qu'à la session prochaine on réduise le personnel à mesure des vacatures ; car il est nécessaire de faire des économies, et là où la possibilité en est reconnue par les députés des localités, le gouvernement ne doit pas hésiter à proposer dans ce but une loi à la législature.

M. Delehaye.- J'ai déjà émis l'opinion que, dans l'intérêt de nos finances, il convient de réduire le personnel de la cour d'appel de Gand, qui est certainement trop considérable. Mais ce n'est pas seulement à Gand qu'il est possible de réduire le personnel de la cour d'appel. Cela est également possible à la cour de Liège. En présence des deux places qui sont vacantes à cette cour, j'engage le gouvernement à examiner la question de savoir s'il ne conviendrait pas de présenter à législature prochaine un projet de loi pour réduire ce personnel. Il y a là une économie possible. Nous pouvons d'autant mieux réduire le personnel des cours d'appel que, par suite de la réforme parlementaire, si elle est adoptée comme je l'espère, les conseillers des cours d'appel ne siégeront plus dans les chambres. J'espère que la chambre ira plus loin et que, dans l'intérêt de nos finances et du service, on exclura aussi des conseils provinciaux, les conseillers des cours d'appel. Je prouverai qu'il est nécessaire qu'ils soient à leur poste, à la fin de l'année judiciaire surtout, parce que c'est alors qu'il y a le plus de besogne et que leur présence y est le plus nécessaire.

Quant au personnel de la cour d'appel de Bruxelles, je crois qu'on pourrait très bien le réduire. En comparant ses travaux avec ceux des autres, on ne trouvera pas une distance si grande qui justifie une telle différence de personnel.

J'espère, messieurs, que le gouvernement ne négligera aucune occasion de mettre en pratique sa promesse d'économie quand l'occasion s'en présente.

J'espère que MM. les ministres communiqueront ces observations à leur collègue de la justice qui pourra d'ailleurs les lire dans le Moniteur.

Je désire qu'on ne néglige aucune occasion de réduire le personnel des fonctionnaires publics.

M. Lys. - Je viens appuyer cette opinion. Il est certain que la cour de Liège a un personnel trop considérable. Par suite du traité de paix avec la Hollande, elle a perdu une bonne partie de son territoire. Il y a trois chambres à la cour de Liège. Je suis persuadé qu'avec deux chambres on ferait aussi bien qu'avec trois.

Je soumets ces observations à M. le ministre de la justice, parce que ce serait une véritable économie.

Vote sur l'ensemble du projet

- Il est procédé au vote par appel nominal, sur le projet de loi.

En voici le résultat :

Nombre de votants, 84.

81 membres votent pour l'adoption.

3 votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l'adoption : MM. Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe, Verhaegen, Wallaert, Zoude, Brabant, Bricourt, Bruneau, Cans, Clep, Coppieters, d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Clippele, de Denterghem, de Foere, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, Desaive, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, de Villegas, d'Huart, Donny, Dubus (ainé), Dubus (Albéric), Dumont, Eloy de Burdinne, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orban, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Simons, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cutsem, Vanden Eynde.

Ont voté contre : MM. Vilain XIIII, de Corswarem et Osy.

Projet de loi sur les incompatibilités parlementaires

Discussion générale

M. le président. - La discussion continue sur l'ensemble du projet de loi.

La parole est à M. Destriveaux.

(page 1761) M. Destriveaux. - Messieurs, à la fin de l'une des sessions les plus laborieuses qui aient été accomplies dans cette enceinte, nous avons à nous occuper d'une des lois les plus importantes dont la législature puisse s'occuper : c'est la réforme parlementaire.

Dans une question aussi grave, il était naturel que toute l'attention, je dirai même les scrupules, se dirigeassent vers la loi, qui est pour nous la loi des lois, celle qui a établi et réglé notre situation politique. De pareilles innovations ne peuvent pas se faire sans alarmer beaucoup d'esprits, beaucoup de consciences peut-être.

En principe, la réforme que l'on vous propose, est-elle conforme à la loi constitutionnelle, ou lui est-elle opposée ?

C'est la seule question que je me propose de traiter en ce moment. J’abandonnerai à la discussion des articles l'examen des détails, et je réserverai à cet égard les objections que je croirai devoir présenter à l'assemblée.

Le principe de la réforme qui vous est proposée, est-il autorisé par la constitution de la convertir en loi ?

Messieurs, malgré les orateurs qui se sont prononcés hier d’une manière négative sur cette question, je n'en persévère pas moins dans la pensée que le principe d'une réforme parlementaire n'est pas contraire aux dispositions constitutionnelles.

Deux dispositions générales doivent occuper notre attention et fondent la discussion dans le sujet qui nous occupe.

Première disposition sur l'éligibilité en général. L'article 50, déterminant les conditions d'éligibilité pour la chambre des représentants, ajoute : .« Aucune autre espèce d'éligibilité ne peut être imposée. »

Si je voulais pousser les observations jusqu'à la minutie, je ferais observer, en passant, que cette addition n'est pas appliquée au principe d'éligibilité des sénateurs.

L’article 50 de la loi constitutionnelle s'oppose-t-il à ce qu'on établisse des incompatibilités entre les fonctions ordinaires et le mandat de membre de la législature ?

Je ne le crois pas. Car il faut résumer ce qui a déjà été dit, et dans le rapport de la section centrale et dans des discussions antérieures ; il faut distinguer l’incompatibilité de l'éligibilité. L'incompatibilité dérive des choses, l'éligibilité s'attache au caractère des hommes.

L'incompatibilité entre des fonctions salariées et le mandat de membre de la législature n'est pas un obstacle à ce que l'élection se fasse. Il faut éviter avec soin de confondre l'incompatibilité avec l'éligibilité.

L'incompatibilité est postérieure à l'éligibilité, c'est parce qu'un individu, jugé éligible par la loi constitutionnelle, a été élu, que la question d'incompatibilité entre les fonctions surgit.

Ainsi donc, par l'examen même et la définition de la question, l'éligibilité est indépendante de l'incompatibilité. L'élection peut être faite, sauf ensuite, de la part de l'élu, en cas d'incompatibilité, ou de renoncer à l'élection ou d'abandonner les fonctions dont la conservation a été jugée incompatible avec le mandat qui lui est déféré.

Cette théorie est d’une simplicité qui me semble inattaquable. Il me paraît impossible qu'on confonde sérieusement le principe de l'élection avec la conséquence de l'incompatibilité.

La déclaration d'incompatibilité ne viole donc pas l'article 50, elle respecte les dispositions de cet article sur l'éligibilité, et c'est parce qu'elle les respecte, que l'incompatibilité est prononcée. L'incompatibilité n'exclut pas directement de l'une ou de l'autre des deux fonctions. L'option reste. L'option restant, le mandat peut être exécuté, l'éligibilité peut donc recevoir son complément.

L'élu a été éligible, et s'il opte pour le mandat électoral, il conserve la jouissance pleine et entière de ses droits d'éligibilité,. Ainsi, dans l'un et l'autre cas, les électeurs conservent leurs droits, le citoyen reste éligible, il reste légalement et légitimement élu, il reste élu, à moins qu'il n’opte pour les fonctions qu'il remplissait auparavant. Car l'élection n'entraîne pas l’obligation d'accepter, il rester encore à l'élu le devoir d'étudier ses forces, ses moyens, et de juger s'il est capable ou non de remplir dignement le mandat que les électeurs lui ont décerné.

Je sais qu'on a dit : « Pourquoi ne pas s'en rapporter au bon sens des électeurs, pourquoi ne pas leur laisser une liberté complète ? » Cette observation n'a pas de portée ; comment donc, en établissant de pareilles incompatibilités, on viole la liberté des électeurs de diriger leur choix sur tel ou tel individu ! Nous montrons-nous défiants du bon sens national et politique des électeurs ? Nullement, les électeurs sont libres, l'élu est libre ; seulement on donne aux électeurs une garantie qu'ils doivent être heureux de trouver.

C'est que, entre le mandat qu’ils ont donné et les autres fonctions il n’y aura pas de conflit, qu'il n'y aura pas un sacrifice de temps pris sur l'accomplissement d'un des deux mandats ; qu'un mandat sera (car j'appelle aussi les fonctions un mandat), qu'un mandat sera complètement et dignement accompli.

Voilà les garanties qu'on leur donne. Et qu'on ne s'y trompe pas ; il y a beaucoup plus d'électeurs qui réclament un système raisonnable d'incompatibilités qu'il n'y en a qui demandent qu'on accorde une liberté complète, une confiance entière dans leur bon sens et dans leurs choix.

Les lois, messieurs, ne sont pas toujours faites pour les hommes qui nous entourent ; elles sont faites pour tous les temps, pour tous les âges ; elles doivent établir des principes ; et les appréciations personnelles disparaissent souvent devant la majesté, l'opportunité et la nécessité de la durée des lois.

Il est, messieurs, une autre difficulté constitutionnelle. Cette difficulté prend sa source dans la disposition de l'article 36 de la Constitution.

L'article 36 de la Constitution porte que le membre de l'une ou de l'autre chambre, nommé par le gouvernement à un emploi salarié qu'il accepte, cesse immédiatement de siéger et ne reprend ses fonctions qu'en vertu d'une nouvelle élection.

Ici l'article 36 établit une incompatibilité entre les fonctions de législateur et l'emploi salarié qu'il vient d'accepter. Ici l'incompatibilité est déterminée, si le terme n'était pas trop trivial, je dirais à l'envers dur sujet qui nous occupe. Il cesse de siéger dans l'enceinte de la législature, ne reprend les fonctions qu'après une nouvelle élection.

Laissant à part les conséquences que je pourrais tirer de cette observation, j'attaquerai directement la discussion sur les autres conséquences qu'on veut en tirer.

On dit : la disposition de l'article 36 est une partie essentielle et très essentielle de la Constitution. Cette disposition renferme tout ce que les auteurs de la Constitution avaient dans la pensée, lorsqu'ils se sont préoccupés des incompatibilités qui pourraient exister par la suite entre les emplois salariés donnés par le gouvernement et l'accomplissement du mandat législatif.

La Constitution a dit tout ce qu'on a voulu qu'elle dise. Il faut donc, pour apporter un changement' à cette disposition, pour créer de nouvelles incompatibilités, pour rendre surtout le fait de ces incompatibilités durable et permanent, il faut employer les moyens lents, solennels que la Constitution a établis dans l'article 131 pour la révision de la loi constitutionnelle.

Il faudrait encore éviter de faire un pareil travail dans le cas d'une régence, comme le dit l’article 84. On a donc mauvaise grâce à proposer une loi d'incompatibilité que la législature ordinaire est incapable de créer légitimement. La Constitution doit être respectée et devant sa puissance il faut s'incliner : Si les abus sont grands, déclarez la nécessité de nouvelles mesures et alors suivez la ligne que la Constitution elle-même vous a tracée.

Sans doute, messieurs, ces observations sont puissantes. Sont-elles aussi fondées en réalité ? Elles peuvent le paraître au premier abord. C'est ce-que je vais examiner.

Est-il bien vrai que la pensée des auteurs de la Constitution ait été de donner à l'article 36 un effet général et exclusif, un effet tel qu'il fallût employer les moyens extraordinaires de l'article 131 pour parvenir à en changer la portée ? Je ne le crois pas, et je trouve dans la Constitution même de quoi fonder puissamment mon opinion négative.

Dans l'article 36 on a exprimé un système général, mais non pas exclusif de l'application d'un autre système,- et on a préparé aux législatures qui suivraient le congrès, le moyen d'appliquer ce que l'expérience pouvait leur faire découvrir d'utile, sans avoir besoin de recourir à des formalités, à des solennités que la loi fondamentale prescrit dans d'autres occasions.

Dans l'article 139 de la Constitution destinée à servir de corollaire à des dispositions que l'on n'avait pas arrêtées d'une manière définitive, il a été réservé aux législatures qui viendraient après le congrès, il a été laissé à leur disposition, recommandé à leur sollicitude de s'occuper de réprimer les abus du cumul. Ici le cumul a été pris dans toute son étendue ; ici ce n'était pas un cumul particulier ; ici c'était le cumul appliqué à toute espèce de fonctions.

Je sais qu'on a dit : Il faudrait que les abus du cumul fussent constatés ; il faudrait que de graves abus fussent reconnus dans telle ou telle espèce de cumul pour qu'on pût l'atteindre. Mais je demande une chose : quel est donc l'abus plus grave du cumul que celui qui fait résulter de cet état de choses l'impossibilité de remplir l'un ou l'autre mandat qui ont été donnés à la même personne ? Il est certain que c'est là l'abus le plus grave ; et plus les personnes sont élevées, plus les deux fonctions ont d'importance, plus le cumul devient abusif, et plus largement doit-il être, non pas réprimé, mais prévenu. Car dans ce système aussi, la mesure préventive vaut mieux que la mesure répressive.

Or, dans cette combinaison de l'article 139 de la loi fondamentale avec l'article 36 de la même loi, je vois que l'article 139 a ouvert l'accès à tous les enseignements que l'expérience pouvait donner.

Le congrès ne pouvait pas prévoir tout ce qui pouvait survenir, il ne pouvait pas s'engager dans des détails, il ne pouvait pas prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer tous les abus ; il est différentes choses sur lesquelles le congrès a senti le besoin, la nécessité de réserver à d'autres législatures le soin de statuer. Le congrès a été sage dans cette occasion ; parce que vouloir trop faire, vouloir entrer dans l'examen de tous les détails, vouloir les régler tous, c'était exposer le congrès, obligé de résoudre des difficultés sans cesse renaissantes, au regret de s'être égaré dans des détails, imposer aux .législatures futures le besoin de réparer des erreurs inévitables, imposer à ceux qui viendraient après lui, la nécessité de les déplorer ou de chercher par des moyens extraordinaires à changer la Constitution. C'est une disposition sage que celle qui a prévu la nécessité ou la possibilité d'un changement de la loi fondamentale. C'est un principe sage, aussi, qu'il ne faut pas facilement changer les lois fondamentales de l'Etat, il faut attendre les leçons de l'expérience ; les lois fondamentales ne peuvent être changées que quand (page 1762) le salut de l'Etat le demande, ou quand la civilisation a tellement changé de caractère que les lois deviennent surannées et qu'une espèce d'antagonisme se révèle entre l'état constitutionnel et l'état de la civilisation. Il faut empêcher qu'un anachronisme puisse s'établir entre les besoins actuels et les traditions qui ne doivent plus avoir d'effet.

Voilà, quand je rapproche la disposition de l'article 139 de l'article 36, ce que je trouve. J'ajouterai à ce que je viens de dire une autre observation. Dira-t-on que l'art. 139 ne parle que des cumuls entre les fonctions secondaires, mais que l'art. 139 respectant la disposition de l'article 36 ne peut pas être applicable au cumul des différentes fonctions et de l'accomplissement du mandat de représentant ou de sénateur ? Je dirai qu'une pareille distinction est impossible parce qu'elle calomnierait la Constitution. Eh quoi ! on défendrait le cumul, l'abus du cumul (et le cumul est presque toujours un abus), on défendrait l'abus du cumul dans les fonctions ordinaires ; et dans les cas où il peut être le plus fatal à une nation, à la chose publique, on le permettrait, on l'envelopperait d'une inviolabilité que les auteurs de la Constitution n'ont pas imaginée ! Voulons-nous voir comment le congrès lui-même et la législature qui l'a suivi ont entendu cette disposition de l'article 36 ?

Peut-on imaginer, sans faire une espèce d'injure au congrès, que quand il a établi ce principe c'était avec une telle indifférence qu'il pût le violer à l'instant même où il s'occupait d'incompatibilité ; peut-on imaginer que le congrès, à qui l'on présentait un système assez mal libellé d'incompatibilité, qui n'admettait pas ce système, parce qu'il s'agissait d'incompatibilités de « charges de cour » qu'on ne comprenait guère au mois de décembre ; parce qu'on libellait d'une manière assez vague les incompatibilités, doit-on dire que placé dans une belle situation, il a admis pour système que l'article 36 serait la règle perpétuelle ? Non, il ne l'a pas fait.

La preuve, je ne la puise pas dans un raisonnement ; je ne viens pas discuter péniblement sur l'esprit de la Constitution. Je crois qu'il faut généralement se garder de se livrer à la recherche de l'esprit d'une loi ou d'une constitution. Il faut éviter le danger de mettre à la place de l'esprit de la loi le peu d'esprit que la nature a pu nous départir. Où pourrons-nous trouver l'esprit de la Constitution, l'appréciation de l'article qui nous occupe ? C'est dans le fait du congrès. Vous avez pressenti que je veux parler du décret sur l'établissement de la cour des comptes. Eh bien ! si le congrès avait admis pour système qu'une réélection devait couvrir l'acceptation de fonctions salariées par l'Etat, il n'aurait pas établi une incompatibilité profonde et radicale entre les fonctions de la cour des comptes et l'exercice du mandat de législateur.

Le congrès a fait le contraire. Il a établi positivement l'incompatibilité. Ainsi le congrès lui-même a reconnu la nécessité d'établir une incompatibilité radicale, il a reconnu qu'il ne fallait pas admettre le principe exclusif de l'article 36. Je sais que, dans la séance d'hier, un de nos honorables collègues, dont j'estime profondément et la science et le caractère, nous a présenté le décret du 30 décembre 1830 comme étant l'acte d'un corps constituant, par conséquent comme fait part cette espèce d'omnipotence qu'on reconnaît aux décisions d'un corps constituant. Que cet honorable collègue me pardonne de ne pas être de son avis. J'avoue qu'après l'avoir entendu exprimer cette pensée, j'ai douté de la fidélité de ma mémoire ; mais j'ai depuis reconnu qu'elle avait été fidèle et que mon honorable collègue était tombé dans une erreur involontaire.

Ce n'est pas comme corps constituant que le congrès a établi la cour des comptes ; il l'a si peu fait que dans une disposition formelle de la loi qui a établi la cour des comptes, il est dit que dans la législature de 1832 l’organisation aurait lieu ; c'est si peu comme corps constituant et par application du principe des corps constituants que le décret a été fait, que nous remarquons que lorsque le congrès a rendu d'autres décrets des décrets importants, fondamentaux sur l'existence politique du pays, et l'on sait à quel décret je veux faire allusion, je veux parler de celui relatif à l'indépendance de la Belgique ; ainsi le décret d'exclusion d'une famille qui avait régné sur le pays, d'autres encore, pour ces décrets particuliers il a été formellement stipulé que c'était comme corps constituant que le congrès les avait portés. Le congrès a déclaré que ces décrets faisaient partie de la Constitution. Or on voit que le congrès ne s'est considéré comme corps constituant que quand il s'est occupé de la Constitution, ou de décrets se confondant avec les institutions constitutionnelles et politiques du pays, qu'il ne s'est plus considéré comme tel, quand il a porté des décrets en dehors de la Constitution. Cette démonstration me paraît à l'abri de toute controverse. Du reste, je puis trouver un autre secours à la thèse que je soutiens. Un acte de la première législature qui a suivi la dissolution du congrès, vient, après une discussion solennelle, me prouver qu'on a jugé l'article 36 de la Constitution comme un article déclaratif, non comme un article limitatif, un article fait pour indiquer un principe, mais non pour en limiter l'application, plutôt un article d'attributions qu'un article exclusif de toute autre disposition.

On n'a qu'à lire les discussions qui ont précédé l'adoption de la loi du 4 août 1832, relative à l'organisation judiciaire. On n'a qu'à lire le rapport lumineux d'un homme que je me ferais un devoir et un plaisir de nommer, s'il n'était pas présent à la séance, pour reconnaître que lui, qui avait pris la plus grande part aux travaux du congrès, avait jugé la portée de l'article 36, en ce sens qu'il n'était pas limitatif. Cette opinion a-t-elle trouvé beaucoup d'opposants ? Elle en a trouvé, mais peu. Il y en a eu cependant, qui sans toucher d’une manière directe et à fond la question de constitutionnalité, ont exprimé la pensée à laquelle j’ai déjà fait allusion, qu’il faut s’en rapporter au bon sens des électeurs et ne pas les gêner dans leur choix. Telle est l'opinion qu'a soutenue un homme consciencieux qui avait occupé une place si distinguée dans le congrès et dans les législatures qui l'ont suivie. Je le nommerai en déplorant qu'il n'assiste pas à cette séance, en déplorant surtout la cause qui le tient éloigné de nos débats. Je veux parler de l'honorable M. Devaux.

Je ne conteste pas l'autorité de l'opinion d'un tel homme. Mais qu'on lise les débats et l'on verra qu'il n'a pas soutenu que l'incompatibilité consacrée par la loi de 1832 fût inconstitutionnelle.

La discussion de la loi de 1832 avait soulevé toutes les objections qu'on opposait à l'incompatibilité entre les fonctions de conseiller à la cour de cassation ou à la cour des comptes et le mandat parlementaire. Répondant à plusieurs de ces objections, l'honorable M. Destouvelles, résumant sa pensée en quelques phrases, a dit que la loi sur la cour des comptes était le corollaire et l'exécution de tout le système du congrès, et il a voté pour l'incompatibilité.

Il est impossible d'exprimer sa pensée d'une manière plus énergique et en même temps plus juste. Après de longs débats, la loi a été adoptée par une majorité considérable. Mais de qui était composée en très grande partie cette majorité ? De 40 à 50 membres du congrès.

C'était en août 1832, c'est-à-dire dans la première session qui a suivi la clôture des travaux du congrès et la dissolution de cette assemblée. Alors tous les souvenirs étaient récents, alors ceux qui adoptaient la loi sentaient par réflexion, par instinct ce que le congrès avait voulu, ce qu'ils pouvaient faire, comment on pouvait envisager l'article de la Constitution, c'est-à-dire comme un point de départ, comme une simple indication.

Parlons du cumul. Depuis le congrès nous avons acquis ce que n'avaient pas les auteurs de la Constitution. Nous avons acquis ce qui parfois nous a coûté assez cher à acquérir, l'expérience.

Ne perdons pas le fruit de ses leçons. C'est parce qu'on n'en a tenu aucun compte que tant de choses déplorables ont eu lieu, que des catastrophes qui retentissent encore à nos oreilles ont épouvanté le monde.

Dans un cercle moins étendu, mais fidèles aux leçons de l'expérience, écoutons sa voix qui nous dit : Vous avez marché dans la voie constitutionnelle. Avez-vous appris dans cette voie constitutionnelle qu'il fût utile de concentrer des fonctions différentes sur une même tête ? Avez-vous appris que cette concentration fût féconde et bienfaisante ? Avez-vous ainsi compris le legs que le congrès vous a fait en déterminant la division des pouvoirs. Quelle est la sauvegarde des Etats dans les pays constitutionnels surtout ? La division des pouvoirs, C'est un principe essentiel. Mais ce principe se manifeste par leur action. Divisons l'exercice des pouvoirs entre divers instruments, de manière que les hommes n'agissent pas dans différentes institutions à la fois, qu'il ne soient pas, à titre de communauté factice, immiscés dans l'exercice de pouvoirs appartenant à plusieurs institutions. Je le dis encore, une des garanties les plus puissantes sur lesquelles nous puissions nous appuyer, c'est la division de l'exercice des pouvoirs.

Il ne faut pas qu'un homme puisse penser avoir accès aux différents emplois comme un homme peut avoir accès à différentes propriétés. Non, messieurs, l'exercice du pouvoir doit être envisagé à un plus haut point de vue. Tout est garantie pour la nation dans la distribution des charges publiques. Admettez le principe de la centralisation, poussé à ses dernières conséquence ?,qu'y verrez-vous ? La liberté ?Non, la liberté sera écrasée par le despotisme. Divisez le pouvoir et chaque citoyen acquiert la possibilité d'obtenir une part dans l'exercice du pouvoir et cette part sera assez grande pour protéger, mais elle ne sera pas assez grande pour nuire. Si l'homme ainsi revêtu du pouvoir en abuse, la voix de la nation l'accuse, sa puissance n'est pas assez grande pour qu'il puisse échapper à cette accusation.

Voilà comment j'envisage la distribution du pouvoir, voilà comment le congrès l'a envisagée et lorsqu'on lui reconnaît une semblable disposition d'esprit, ce serait faire injure au congrès, de croire qu'il a pu avoir la moindre disposition à concentrer des fonctions diverses sur le même individu. A chacun selon son mérite, dit-on ; oui, à chacun selon ses œuvres, et s'il y a des hommes assez capables pour remplir à la fois des fonctions différentes, sachons nous défendre de cette espèce d'aimant qui nous porte à prodiguer l'influence, les moyens d'agir. Il faut se défier et il faut, pour ainsi dire, placer le talent dans une espèce d'enceinte où il puisse s'exercer, où il puisse être utile, mais dont il ne puisse pas sortir pour usurper une action trop étendue.

Examinons la Constitution. Reportons-nous au temps où le congrès existait. Voyons les actes du congrès relativement à la cour des comptes. Tournons notre attention sur ce qui a été décidé par la première législature, par une majorité considérable d'anciens membres du congrès, relativement à la cour de cassation. Nous sommes en présence de la loi de 1832 sur l'ordre judiciaire. Nous devons donc accuser le congrès d'inconséquence, dire qu'il a lui-même manqué à son œuvre, qu'il en a lui-même ébranlé les conséquences autant qu'il a pu ? Quel est notre devoir en présence de cette loi de 1832, votée à une si grande majorité, avec l'intervention de 40 ou 50 membres du congrès ?

Notre devoir, auquel nous ne pouvons pas échapper, c'est de demander le retrait de cette loi, de déclarer qu'elle est inconstitutionnelle, qu'elle ne peut pas exister avec la Constitution, que pour l'honneur de l'Etat, dans l'intérêt de l'organisation d'un pouvoir dans lequel résident les plus fortes garanties, il faut s'empresser de révoquer une loi qui renferme un vice d'inconstitutionnalité ? Non, messieurs, je crois que ni la législature dont je viens de parler, ni le congrès national ne mérite le blâme, cette espèce de condamnation de la part d'une législature qi est venue 16 années plus tard.

(page 1735) M. Lebeau. - Messieurs, il est beaucoup de mesures, beaucoup de projets que l'on qualifiait de réformes et qui, après avoir subi l'épreuve de l'expérience, ont souvent amené des mécomptes, des résultats diamétralement opposés à ceux qu'en attendaient les prétendus réformateurs.

Ainsi dans un pays voisin l'on a fait, dans les proportions les plus larges, l'expérience d'un système nouveau ; je n'ai certes pas, ici, à en juger les effets, je m'en abstiendrai soigneusement ; mais je citerai un fait qui a pu frapper tous les yeux, c'est que les plus ardents promoteurs du système électoral qui a prévalu, sont les premiers, aujourd'hui, à en déplorer les effets et à chercher par tous les moyens, légitimes et illégitimes, à les anéantir.

Cependant leur confiance dans l'infaillibilité de la mesure qui a reçu son exécution, était certainement au moins égale, sinon supérieure à la confiance de ceux qui demandent ici comme une mesure libérale et progressive la réforme parlementaire, avec les aggravations que la section centrale y a apportées.

Déjà, messieurs, nous avons voté une réforme électorale très large. Pour en bien connaître les effets, pour bien savoir ce qu'elle a en réalité de libéral ou d'illibéral, de démocratique ou d'aristocratique, j'attends l'expérience ; je n'ai pas tardé à m'apercevoir, alors que ce projet de réforme était apporté dans cette enceinte, et lorsqu'il était devenu loi de l'Etat, qu'ailleurs encore que dans les rangs de ceux que l'on pouvait considérer comme les adversaires naturels de cette mesure, il y avait plus d'un doute sur les conséquences de cette réforme électorale.

Mais au moins l'extension du cens électoral était dans l'esprit de la Constitution ; il est certain que l'extension du cens électoral, à mesure que l'éducation politique du pays le permettrait, était dans les prévisions du congrès national lui-même.

Ici, messieurs, je crois qu'on pourra aller plus loin que des doutes ; je crois qu'ici nous sommes beaucoup plus certains d'arriver à des mécomptes que par l'adoption de la loi électorale ; je crois que le projet de loi actuel a des tendances essentiellement aristocratiques, et je me tiens pour plus sincèrement dévoué aux principes essentiellement démocratiques de la Constitution belge, en venant combattre, non pas tout le projet de loi, mais quelques-unes de ses exagérations, qu'en accueillant tout ce qui vous est proposé sous le nom de réforme.

D'abord, messieurs, cette réforme parlementaire, je l'ai dit tout à l'heure, est évidemment en opposition avec l'esprit de la Constitution. Il suffit pour cela de lire l'article 36 qui prévoit la réélection des membres des deux chambres promus à des fonctions salariées par l'Etat ; il suffit de lire l'article 50 qui, après avoir énuméré quelques conditions d'éligibilité, se tait, quant à la question d'incompatibilité entre les fonctions administratives ou judiciaires et les fonctions parlementaires ; il suffit de lire l'article 88 (page 1736) qui prévoit formellement le cas où les ministres sont membres d'une des deux chambres.

Ainsi, à la différence de la réforme électorale, la réforme parlementaire, radicale, absolue, a évidemment pour résultat d'effacer complètement le texte de certaines dispositions de la loi constitutionnelle.

Est-ce à dire qu'il n'y ait rien à faire ? Est-ce à dire qu'il n'y ait pas dans la composition actuelle des chambres (sans vouloir faire allusion le moins du monde à des noms propres ; je parlé théoriquement), qu'il n'y ait pas quelque chose à faire ?

Je ne veux pas le nier, je crois que l'opinion publique a des exigences légitimes en fait de réforme parlementaire ; je crois qu'il est utile de faire droit à ces exigences, et j'exprimerai même le regret que les circonstances n'aient pas permis au gouvernement de prendre une salutaire initiative. J'ai la conviction que, si le gouvernement avait pu faire droit à des réclamations dont il est impossible de contester la légitimité, les exigences excessives qui se sont produites depuis n'auraient pas vu le jour.

Nous faisons ici une loi de réaction contre des abus réels sans doute ; mais, comme dans toute loi de réaction, je crains fort que nous n'allions beaucoup au-delà du but.

Quel est le principe fondamental, en matière de réforme parlementaire ? C'est d'assurer de plus en plus la bonne composition des chambres. Selon moi, tout est là ; c'est là le but qu'il faut nécessairement atteindre dans une réforme parlementaire ; c'est là l'objet qu'en la. discutant, il faut sans cesse avoir en vue.

Se préoccuper dans cette chambre et, à cette occasion, avec une sollicitude spéciale, de ce qui doit se passer dans le cercle des fonctions judiciaires, de ce qui doit se passer dans la sphère des. fonctions administratives, dans toutes les sphères secondaires d'administration, s'en préoccuper au point de perdre un seul instant de vue le principe fondamental, la bonne composition du parlement belge, ce serait agir comme un médecin qui vouerait toute sa sollicitude pour ses malades au perfectionnement des bras et des jambes et qui ne se soucierait ni du cerveau ni du cœur.

Les fonctions parlementaires sont-elles bien réellement des fonctions dans le sens étroit du mot ?

D'abord, à la différence de toutes les autres fonctions, elles sont de leur nature essentiellement temporaires ; non pas que je ne trouve que le congrès constituant lui-même n'ait été quelque peu naïf, en supposant que les sessions parlementaires pussent se renfermer parfois dans l'espace de 40 jours ; non pas que je ne trouve que certains membres du congrès national, combattant notamment le principe d'un traitement au lieu de l'indemnité, n'aient encore renchéri sur cette confiance quelque peu juvénile, en supposant que nos sessions pussent se borner parfois à quinze jours.

Mais, messieurs, il n'en est pas moins vrai que, de leur nature, les fonctions parlementaires sont des fonctions tout à fait à part, ayant plutôt de l’analogie avec les fonctions du jury qu'avec les fonctions administratives. Cette assimilation au jury me fait souvenir que même à l'époque des premières assemblées délibérantes, on était contraint de s'y rendre sons peine d'amende comme les jurés aux cours de justice.

Voici ce qui prouve encore que dans l'opinion du législateur constituant les fonctions parlementaires ne sont pas des fonctions proprement dites ; c'est qu'il n'y a pas de traitement affecté aux fonctions parlementaires, c'est que les membres des chambres qui siègent à Bruxelles ne peuvent pas recevoir d'indemnité ; et si une indemnité est accordée, elle est absolument considérée comme le remboursement des frais de route et de séjour des députés non résidant dans la capitale.

Messieurs, on citera peut-être l'Angleterre où les fonctions parlementaires sont gratuites, où par conséquent elles ont aux yeux de ce pays le caractère que je leur assigne ; mais en Angleterre, je dois le dire, la loi est beaucoup moins radicale que celle qu'on propose chez nous. Il y a dans les deux chambres du parlement britannique des fonctionnaires publics ; je le prouverai quand nous arriverons à la discussion des articles. Mais les choses se passent-elles en Angleterre comme le voudraient les défenseurs de la réforme radicale soumise à vos délibérations ? Pourrions-nous argumenter nous, société essentiellement démocratique, de la législation qui convient à un pays dans lequel toutes les institutions reposent encore à l'heure qu'il est sur un principe diamétralement contraire, sur le principe aristocratique ? Ce n'est pas seulement dans les institutions que cette différence fondamentale existe, c'est dans l'organisation de la société elle-même ; en Angleterre les grandes fortunes sont nombreuses. Dans notre pays, c'est l'exception ; ce n'est pas seulement dans nos institutions politiques, mais dans notre état social que le principe démocratique domine.

Aussi, messieurs, tous ceux qui sont dans notre pays de l'opinion qu'on appelle aujourd'hui avancée, sollicitent une réforme toute différente de celle qu'on vous propose, : en Angleterre. même les chartistes, qui veulent faire prévaloir le principe démocratique dans les institutions, ont bien aussi demandé qu'on fixe un traitement considérable pour les membres de la chambre des communes. En France, le parti qu'on appelle avancé a toujours mis dans son programme, un traitement plus ou moins élevé pour les membres de la chambre des députés.

Aujourd'hui même, en France, si l'on maintient, et il y a lieu de croire qu'on ira plus loin, le chiffre de l'indemnité des représentants, si on suppose, une moyenne de sept mois de session parlementaire, on aura créé, en réalité, une espèce de fonction assez bien rétribuée. Dans les Pays-Bas il y avait un système analogue et qui consistait à donner de 5 à 6 mille francs de traitement fixe aux députés, outre des frais de voyage. Aux Etats-Unis, où l'on a proscrit, il est vrai, des chambres législatives, tous les ordres de fonctionnaires, on a eu soin d'allouer aux membres de la législature une indemnité de 8 dollars par jour, ce qui fait ressortir par session, un traitement de 8 à 10 mille francs.

Il y a de plus des frais de route qui sont tellement considérables, attendu qu'ils ont été institués avant la création des nouvelles voies de communication, qu'ils s'élèvent pour certains députés de 8 à 10 mille fr. de manière que la carrière législative aux Etats-Unis est réellement une carrière.

Après ces considérations générales, j'arrive directement au projet de loi.

Voyons d'abord ce que, d'après le projet du gouvernement et d'après celui de la section centrale, on va expulser de la chambre et du sénat : les parquets en masse, là-dessus tout le monde est à peu près d'accord. (Interruption.) Je serais désolé qu'on se trompât sur ma pensée ; ma pensée n'est pas de jeter la moindre défaveur sur le caractère ou sur les antécédents des membres des parquets ; ils figurent avec honneur à coté de notre magistrature inamovible, ils partagent avec elle l'estime et la considération publiques.

Les commissaires d'arrondissement ; les gouverneurs en partie, même d'après le projet ministériel, et probablement en totalité, d'après la section centrale ; toutes les administrations centrales, l'armée en masse, sauf l'exception bien restreinte, bien contestée, introduite dans le projet du gouvernement ; le conseil des mines, le conseil des monnaies, le conseil des ponts et chaussées. J'ajoute toutes les administrations, les universités et bien a pris à notre honorable collègue, M. Destriveaux, qui montre aujourd'hui une si grande horreur pour le cumul, d'avoir obtenu son éméritat bien avant que sa chaleur et son patriotisme fussent éteints ; parce que sans cela nous aurions été privés du bonheur de le voir-siéger parmi nous.

Je reviens à mon énumération.

L'instruction publique en général ; la cour de cassation, déjà exilée il y a seize ans par la loi organique, maintenue dans son exil par le projet de loi. Je ne pense pas que ce sera la section centrale qui le fera cesser.

Les tribunaux de première instance en masse exclus ; le projet ministériel a voulu épargner l'exclusion aux cours d'appel ; elles ont, en section centrale, subi le sort commun. Il semble que la section centrale se soit promenée dans tout le pays, la loupe à la main, pour voir s'il n'échappait pas une seule victime à ses coups.

Voilà ce qu'on écarte ; j'oubliais encore de parler des agents diplomatiques ; voyons ce qui nous restera ?

Il nous restera les industriels, les avocats, les grands propriétaires et' le clergé peut-être. Le clergé, je sais qu'il est menacé, je ne dis pas qu'il soit encore atteint. Les industriels, personne ne désire plus que moi de les voir siéger en grand nombre dans cette enceinte. Mais vous savez combien peu on parvient à en engager à se mettre sur les rangs pour les chambres législatives, de combien de refus sont suivis les efforts qu'on fait auprès d’eux ; et si par hasard on parvient à en décider à quitter le siège de leur établissement, il y a pour, eux un sacrifice si disproportionné en général avec leur fortune qu'on les voit bientôt se retirer. Comptez-les ; vous verrez si j'exagère. Ou bien ils manquent d'assiduité, bien autrement que les fonctionnaires publics. Si vous en doutez, consultez vos appels nominaux.

Les avocats ! j'en fais grand cas. Quoique je n'aie pas assez longtemps figuré dans leurs rangs pour pouvoir y revendiquer une place bien marquante, si même j'avais pu y aspirer, je tiens à honneur d'avoir été des leurs. Quelque modeste que soit la position que j'ai occupée, au milieux d'eux, je fais donc grand cas des avocats. Mais il y a avocats, et avocats. J'aime, beaucoup les avocats éminents. Ces avocats, il y en a qui nous donnent ici de bons exemples, tous les jours, qui savent s'élever aux plus hautes questions politiques, qui les traitent avec une supériorité que chacun de vous apprécie. Mais on comprendra, que ce n'est pas non plus à ceux-là qu'on donnera le premier prix d'assiduité. (On rit.)

Est-ce que je leur en fais un reproche ? A Dieu ne plaise ! Autre est le lot d'un collège électoral, qui au lieu d'envoyer à la chambre une médiocrité d'une assiduité exemplaire, a le bonheur d'être représente par de ces hommes qui n'ont besoin que d'y faire quelques apparitions pour élever en quelque sorte avec eux ceux qui les y ont envoyés, pour marquer dignement leur place, dans le parlement. Ils ont dit aux électeurs : « Oui, j'ai du patriotisme, du dévouement ; mais j'ai des devoirs de famille à remplir. Vous aurez une partie de mon temps. Dussé-je par ce cumul du mandat parlementaire, et de mes devoirs de profession et de famille exposer ma santé, je le ferai, mais n'exigez rien de plus. » Les électeurs ont accepté ces conditions. Je n'hésite pas à dire qu'ils ont fait un très bon marché.

D'autres, après avoir essayé de concilier leurs devoirs parlementaires avec leurs devoirs de pères de famille, n'ont pu se montrer aussi assidûment, que d'autres dans cette enceinte. Après avoir applaudi à leur talent, nous avons eu le regret d'apprendre qu'ils allaient quitter l'enceinte législative.

Il nous restera les avocats de la capitale. C'est beaucoup. Mais je ne veux pas plus de privilège pour les uns que pour les autres. Ou nous aurons les avocats sans cause : ceux-là je crois que personne d'entre vous n'en veut, si ce n'est pour de bien rares exceptions.

Nous aurons, il est vrai, en compensation, les grands propriétaires, (page 1737) les rentiers, probablement le clergé. Aussi, je ne suis pas extrêmement surpris de voir, dans cette circonstance, la droite un peu plus réformiste encore, ce me semble, que la gauche. Je la vois très ardente (représentée par les plus éminents de ses membres) à étendre, à exagérer en quelque sorte les principes du projet de loi. Il y aurait injustice criante à faire une seule exception. C'est par sollicitude pour quelques-uns qu’on tue tout le monde. Soit ! Cette partie de la chambre est dans son droit ; mais j'engage mes honorables amis à y réfléchir, à voir si ce qui convient si bien à un côté convient tout aussi bien à l'autre ; et j'engage aussi les hommes les plus éclairés, les plus éminents de la droite à réfléchir sur ce qui pourrait arriver, si par l'effet d'une nouvelle combinaison électorale, la prépondérance passait encore dans ses mains.

N'est-il pas évident qu'aujourd'hui surtout, il y aurait là un grand danger pour le pays ? (Mouvement.)

Je parle d'un parti, je ne parle pas de quelques hommes qui, à quelque parti qu'ils appartiennent, ont droit, par leurs services, par leur intelligence, à trouver place dans les chambres législatives.

Autrefois, quand au congrès national on s'occupa de l'indemnité ou de la question du traitement des membres de la chambre, l'opinion des hommes appartenant à la classe moyenne, à l'opinion démocratique, était, qu'il fallait élever ce traitement au point de faire de ces fonctions une véritable carrière où les hommes capables pussent entrer. On a beaucoup discuté sur ce point. Lisez l'appel nominal sur la question de l'indemnité : consultez les noms et vous verrez quels sont ceux qui ont voulu un traitement, quels sont ceux qui n'en ont pas voulu. Vous verrez que ceux qui voulaient que les représentants eussent non pas une simple indemnité, mais un traitement, appartenaient presque exclusivement à la classe moyenne.

La réforme proposée est dans le sens de ceux qui ont voulu une simple indemnité. C'est une véritable guerre contre l'esprit des villes, contre a classe moyenne, auxquelles appartiennent en général les fonctionnaires.

Déjà, dès 1831, j'avais pressenti ce qu'il fallait attendre d'une loi qu'on paraissait qualifier de libérale, et qui était votée comme telle par quelques-uns de mes amis politiques. Deux fois j'ai voulu faire abaisser le cens des villes dans la loi de 1831. Deux fois j'ai voté contre cette loi. Toutes mes prévisions se sont réalisées. Il a fallu 15 ans pour arriver à des résultats qu'avec un cens moins hostile à la classe moyenne, à l'esprit des villes, on aurait obtenu en 5 ou 6 ans.

Je l'ai déjà dit, je ne suis pas un homme à principes absolus.

Je consens à une réforme large ; j'exprime mes regrets que le gouvernement n'ait pas été en mesure de prendre à cet égard l'initiative. Ainsi, j'aurais consenti à voir les fonctions de presque tous des fonctionnaires inamovibles, déclarées incompatibles avec celles de membre du parlement ; non pas que j'ai contre eux la moindre prévention. Je sais qu'ils ont fait preuve d'une très honorable indépendance dans cette chambre, d'une indépendance qui leur a fait le plus grand honneur, en même temps qu'elle prouve, il faut, le reconnaître, la modération des différents ministères qui se sont succédé sur ces bancs.

Il y a pour une chambre des nécessités toutes morales qu'il est impossible de méconnaître. Il ne faut pas seulement qu'une chambre soit indépendante, il faut que le prétexte même de nier son indépendance ne soit donné à personne. C'est d'une chambre législative surtout qu'il faut dire ce qu'on disait de la femme de César.

Eh bien ! la présence des fonctionnaires publics peut certainement, lorsque ces fonctionnaires sont en très grand nombre dans une chambre législative porter, malgré l’indépendance personnelle de chacun d'eux, peut porter atteinte à la considération d'une chambre, à la force morale des lois émanées d'elle. Il y a ensuite des besoins administratifs qui sont négligés ; et il y, a quelque chose de plus pour moi : : il y a par la présence des agents du gouvernement dans les chambres, et par l'espèce de conflit qui peu t’élever entre eux et le cabinet, un relâchement des liens de la subordination administrative aux yeux du pays tout entier, et des liens de la subordination administrative, j'en fais le plus grand cas ; je les regarde comme une des principales garanties d'une bonne administration ; et par exemple, dussé-je, en disant ici toute ma pensée, donner des armes à mes honorables adversaires, je déclare quant à moi, que si je consentais à voir siéger dans les chambres législatives les gouverneurs des provinces, c'est en les regardant à peu près comme des sous-ministres ; c’est en les regardant comme solidaires, au moins pour les principes généraux de la politique, avec les membres du cabinet et comme ne pouvant convenablement siéger 24 heures après un dissentiment profond et marqué avec le ministère.

Si cette vérité, messieurs, était généralement répandue et généralement acceptée, il n’y aurait de surprise ni de fausse position pour personne. Un collège électoral, qui a le droit d'être ministériel comme un autre a le droit d'être de l'opposition, saurait bien qu'en nommant un gouverneur, il envoie du renfort au cabinet ; il saurait aussi que si ce gouverneur est digne de son estime, du jour où il serait en dissentiment avec le cabinet, du jour où le cabinet changerait pour faire place à un cabinet qui inaugurerait un système contraire, cet homme abandonnerait sa place et non ses fonctions de député ni ses commettants. Si l'on n'admet pas ce principe, je ne reconnais pas aux gouverneurs, le droit de siéger dans les chambres législatives.

Ce que je repousse donc, ce n'est pas une réforme raisonnable, une réforme même large ; ce que je repousse, c'est un changement radical ; c’est un changement qui nous mène à un vaste inconnu ; c’est un changement radical qui n'a de démocratique que l'apparence et qui en réalité, je crois que l'expérience ne me démentira pas, est faite au profit de l'aristocratie.

Et puis ce que je critique dans un autre ordre de supposition, ce sont des chambres médiocres, ce sont des chambres sans grandes capacités, et péchant aussi par l'absence de caractères. Je l'ai déjà dit : : en vain le mieux serait ailleurs ; en vain vous perfectionneriez tous vos rouages administratifs ; si au sommet de tous les pouvoirs, si au centre la désorganisation était portée, vous n'auriez rien fait pour le pays que du mal et beaucoup de mal.

Ecoutez, messieurs, ce que dit un ami du gouvernement républicain, un partisan des institutions des Etats-Unis d'Amérique, qui ne parle pas d'après les livres,, mais qui parle d'après ce qu'il a vu. M. de Tocqueville, qui a longtemps appartenu à l'opposition dans la chambre des députés, et qui siège aujourd'hui, je crois, à l'assemblée nationale, s'est exprimé ainsi sur la chambre des représentants des Etats-Unis :

« Lorsque vous entrez dans la salle des représentants à Washington, vous vous sentez frappé de l'aspect de cette grande assemblée. L'œil cherche souvent dans son sein un homme. célèbre. Presque tous ses membres sont des personnages obscurs, dont le nom ne fournit aucune image à la pensée. Ce sont, pour la plupart, des avocats de village, des commerçants ou même des hommes appartenant aux dernières classes. Dans un pays où l'instruction <est presque universellement répandue, on dis que des représentants ne savent pas toujours écrire. »

Messieurs, on le voit donc, je suis encore sous ce rapport un véritable pécheur endurci. Je suis encore, dans cette circonstance, du juste milieu, et je m'inquiète assez peu des lazzi dont cette qualification d'homme du juste milieu peut être l'objet. Il y a, messieurs, quelque chose de plus puissant encore que le ridicule, qui cependant est bien puissant ; c'est .une idée juste. Je veux, en fait de réforme parlementaire, non de l’absolu, mais du relatif, c'est-à-dire-du juste milieu. Je ne veux pas une majorité de fonctionnaires publics dans une chambre ; je crois que cela n'est bon ni pour la considération des fonctionnaires, ni pour la considération de la chambre. Mais je ne veux pas non plus une invasion dans le parlement d'hommes sans expérience, d'hommes peu capables. Aussi je me propose, dans la discussion des articles, de solliciter surtout l'admission ou plutôt le maintien de l’admission dans cette chambre de l’ordre judiciaire.

Le danger, messieurs, de l'absence d'hommes pratiques est très grand. Les lumières seules, les études les plus brillantes ne suffisent pas pour remplir convenablement les fonctions parlementaires. Il faut de l'expérience ; il faut des habitudes pratiques ; il faut un esprit de modération qui naît surtout de la connaissance des affaires. Déjà, messieurs, aujourd'hui, et j'attire l'attention la plus sérieuse de la chambre sur cette considération, il n'est pas facile de composer des cabinets. Je ne sais véritablement, à voir ce qui se passe depuis quelque temps dans notre pays, et à voir ce qui s'y prépare par une réforme électorale qui mettra les ministres en présence d'hommes instruits, je le veux, bien intentionnés, je le veux, mais sans habitude des affaires, sans habitudes pratiques ; je ne sais pas si, pour trouver des ministres, vous ne seriez pas obligés d'ajouter une disposition à votre Code pénal pour punir ceux qui se montreraient récalcitrants aux portefeuilles. (On rit.)

Et, messieurs, qu'avons-nous vu lorsque la succession de l’honorable M. de Theux s'est ouverte ? Est-ce l'embarras du nombre d’héritiers ? Mais, messieurs, c'était à ceux qui ne le seraient pas. C'était une espèce de sauve-qui-peut de la part de ceux-là même qui étaient fort capables de diriger les affaires du pays et qui avaient fait ici preuve du talent de plus remarquable.

Eh, messieurs, les fonctions ministérielles, déjà dans les circonstances où nous sommes, sont si peu ambitionnées qu'un de nos ministres semble, véritable âme en peine, pauvre oiseau, prêt à bénir la main de celui qui viendra ouvrir sa cage, et ne trouve pas même ce sauveur jusqu'ici. (On rit.)

Et, messieurs, pour compensation de toutes les tribulations qui attendent les ministres, quelquefois de la part même de leurs meilleurs amis, (c'est là le sort des ministres, de tous les ministres), vous savez quelle est l'énormité du traitement qu’on leur accorde, et vous savez si la pension qui leur est réservée. pour le cas où ils seraient doués d'un peu de longévité, si cette pension est exorbitante. Soyez sûrs que les embarras qui attendent désormais les ministres sont plus grands encore que ceux qui les ont assaillis jusqu'à présent.

Messieurs, j'ai soutenu devant vous une opinion consciencieuse et qui n'a point pour elle, dit-on, le vent de l'opinion publique. Je sais à quoi je m'expose, je sais que l'opinion du jour est aveugle peut-être, mais qu'elle est ardente, que tout au moins je joue probablement, dans cette circonstance, le rôle de Cassandre. Mais je n’ai pas l'habitude d'abandonner une opinion, parce qu'elle aurait déjà succombé une fois. Je combats l'opinion du jour quand je pense que l'opinion du jour est une erreur. . Je suis, messieurs, ami sincère du peuple, je n'en serai jamais le courtisan. Je m'attache à être le défenseur de ses droits, de ses intérêts ; je ne serai jamais le flatteur de ses passions et de ses préjugés. Eh, messieurs, lorsque, sous l’empire, quelques hommes, bien rares, bien isolés, parlaient d'institutions libérales, parlaient des libertés perdues, on les appelait, à l'instar du maître, des idéologues. Quand, dans les questions d'économie politique, vous posez quelques principes, les empiriques vous appellent des théoriciens ; quand, en matière politique, on croit que tout ce qui porte le nom de réforme n'est pas par cela même un progrès du (page 1738) libéralisme, certains démocrates, et les badauds politiques à leur suite, vous appellent aristocrates, ou, ce qui est bien plus terrible, doctrinaires. Pauvres injures, ultima ratio de ceux qui n'ont souvent pas d'autre argument à vous opposer !

Quanta moi, je n'en ai pas été ému en 1831, je n'en ai pas été ému dans tout le cours de ma carrière politique ; je n'en serai pas plus ému aujourd'hui.

Aujourd'hui, comme toujours, je dirai : « Fais ce que dois, avienne que pourra. »

M. Tielemans. - Après le discours si remarquable que vous venez d'entendre, je suis heureux, messieurs, de n'avoir à traiter qu'une question de droit public. Je devrais commencer par où l'honorable M. Lebeau vient de finir. Car moi aussi, j'aime la liberté, j'aime la démocratie ; mais je n'aime pas la réforme parlementaire qui vous est soumise, parce qu'elle attaquent la démocratie et la liberté.

Messieurs, il est des mots qui sont des systèmes : une fois prononcés, ils passent par toutes les bouches, parce qu'ils répondent parfaitement à une idée qui était d'avance dans tous les esprits.

Dès qu'il s'est agi d'établir des incompatibilités entre le mandat de représentant ou de sénateur et certaines fonctions publiques, tout le monde a prononcé les mots de réforme parlementaire ; et le ministère lui-même, entraîné sans doute par la justesse de l'expression, les a inscrits, comme titre, au frontispice de la loi qu'il nous a présentée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas moi, c'est la chambre.

M. Tielemans. - Soit, la chambre donc a reconnu la justesse de l'expression, en la donnant pour titre à la loi.

Mais dès lors aussi, messieurs, une réflexion fort simple a dû se présenter à tous les esprits ; chacun a dû se dire : Il ne s'agit point ici d'établir des incompatibilités, il s'agit de réformer le parlement. Peu importe que l'on opère par voie d'incompatibilités, d'exclusions ou d'incapacités, c'est une réforme du parlement qu'il s'agit d'opérer.

Or, messieurs, réformer le parlement, c'est, si je ne me trompe, réformer l'un des grands pouvoirs de l'Etat, c'est réformer la Constitution du pays.

Voilà, en quelques mots, comment se traduit et se résume pour moi le projet qui est soumis à nos délibérations.

Une réforme de cette nature peut-elle s'effectuer par une loi ? Telle est la question capitale de ce débat.

Je ne me dissimule pas, messieurs, qu'après les deux orateurs qui ont déjà traité cette question, votre attention aura de la peine à me suivre.

De toutes parts. - Non ! non !

M. Tielemans. - Cependant, il est, vous en conviendrez, il est des principes sur lesquels un homme public ne peut se taire lorsqu'il a l'occasion de parler.

Vous comprendrez surtout que dans un moment où tant de peuples travaillent à leur Constitution, et cherchent dans la nôtre des exemples à suivre, un modèle à imiter, il n'est pas inopportun de traiter un sujet qui les intéresse autant que nous. Si l'opinion que je vais soutenir échoue, et je m'y attends, non pas à cause d'elle, mais à cause des circonstances, ils sauront du moins qu'il y a dans la Constitution belge un vice capital, celui d'avoir permis que les fonctionnaires publics fussent parqués en dehors de la législature, sans avoir pris la précaution de salarier le mandat parlementaire et de constituer un conseil d'Etat. Et, nous-mêmes, messieurs, j'en suis certain, nous ne tarderons pas à recevoir des pétitions par lesquelles on nous demandera que l'œuvre du congrès national i soit réformée sous ce rapport.

Vous le voyez, la question est grave à tous égards, et si je réclame de cette chambre un peu d'indulgence pour la traiter après tant d'autres orateurs, la gravité même du sujet doit me servir d'excuse.

J'entre donc en matière, en demandant toutefois pardon à l'un des honorables membres de cette chambre qui l’a traitée ex professo, de n'être pas de son avis. C'est un hommage que l'ancien élève doit à l'ancien professeur.

Quand on s'embarque dans une discussion de cette nature, il est essentiel de prendre du lest. Je commencerai par là.

Ce qu'il y a de plus essentiel dans la constitution politique d'un Etat, c'est la composition des pouvoirs. Les principes qui président à cette composition, doivent être fixés par le peuple même, au moment qu'il se constitue, et une fois fixés par lui, aucun des pouvoirs constitués ne peut désormais y apporter de changement.

L'établissement des incompatibilités parlementaires est-il un de ces principes ? En d'autres termes, ces incompatibilités intéressent-elles la composition des pouvoirs ?

Messieurs, il suffit, pour s'en convaincre, en fait, de voir le résultat que la réforme proposée va produire sur la chambre actuelle : plus de 20 fonctionnaires en seront exclus par la loi en discussion.

Pour s'en convaincre en droit, il suffit de remarquer que toutes les constitutions promulguées en Europe, depuis 1789 jusqu'à 1830, ont fixé et réglé elles-mêmes le principe des incompatibilités parlementaires, et l'ont réglé avec un soin qui en atteste toute l'importance.

On ne saurait donc le nier, en fait comme en droit, le principe dont il s'agit est essentiellement constitutionnel, constitutionnel de sa nature.

Sans doute, messieurs, un peuple, lorsqu'il se constitue, a le choix d'admettre ce principe ou de ne l'admettre pas ; sans doute il peut en faire une application plus ou moins large, plus ou moins étroite, suivant ses mœurs, ses besoins ou ses intérêts ; mais du moment que la constitution est faite, c'est à elle et à elle exclusivement qu'il faut s'en tenir, soit qu'elle ait admis, soit qu'elle n'ait pas admis le principe des incompatibilités, soit qu'elle l'ait appliqué avec plus ou moins d'étendue.

Vous avez déjà compris par les observations très justes, très vraies, que l'honorable M. Lebeau vous a présentées tout à l'heure, qu'il en doit être ainsi, si l'on veut que la composition même des pouvoirs ne puisse être altérée par de simples lois. Il vous a dit en effet que dans notre organisation sociale trois principes étaient en présence : le principe monarchique représenté par le Roi, le principe aristocratique représenté par le sénat, et le principe démocratique représenté par cette chambre ; c’est la juste proportion de ces éléments qui fait la force de notre système constitutionnel.

Eh bien, l'honorable M. Lebeau vous a démontré que cette proportion sera rompue par la réforme proposée, rompue au détriment du principe démocratique et à l'avantage de l'aristocratie.

Quoi qu'il en soit, lorsque le principe des incompatibilités parlementaires est une fois admis dans la constitution d'un Etat, il n'appartient plus, je le répète, aux pouvoirs constitués de l'en effacer ; lorsqu'il n'y est pas admis, les pouvoirs constitués ne peuvent l'y introduire. Voilà ce qu'enseigne sur ce point le droit public ; voilà ce qui a été pratiqué par tous les Etats constitutionnels de l'Europe, depuis qu'il y existe des constitutions faites par le peuple et jurées par les dépositaires de son pouvoir.

Permettez-moi de citer les deux exemples les plus récents.

La Charte de 1814 ne parlait point d'incompatibilités. La législature n'avait pas le droit d'en établir ; elle n'en a point établi.

La loi fondamentale de 1815 en avait établi quelques-unes. Elle disait :

« Art. 81. Les officiers de terre et de mer ne sont éligibles que lorsqu'ils ont un grade au-dessus de celui de capitaine.

« Art. 92. Les membres des états généraux ne peuvent être en même temps membres de la chambre des comptes, ni avoir des places comptables.

« Art. 93. Un membre des états provinciaux nommé aux états généraux, perd en prenant séance sa première qualité. »

La législature n'aurait pu en établir d'autres ; elle n'en a point établi.

Et pourquoi ? Parce que le principe des incompatibilités parlementaires, je ne saurais trop le redire, est un principe constitutionnel de sa nature ; parce que l'on ne saurait étendre, restreindre ou changer ce principe, sans changer la composition de l'un des grands pouvoirs publics, sans violer la Constitution.

En 1830 cependant, la France a fait, sous ce rapport, une modification importante à ses antécédents. Sa charte constitutionnelle de 1830, qui est antérieure à la nôtre, a disposé :

« Aucun député ne peut être admis dans la chambre, s'il n'est âgé de 30 ans, et s'il ne réunit les autres conditions déterminées par la loi. »

Par cette disposition nouvelle et inusitée jusqu'alors, le pouvoir législatif a pu déterminer lui-même les incompatibilités parlementaires qu'il jugerait utile d'établir. Mais une observation qui ne vous échappera point, c'est que la législature n'a été investie de ce droit que par une délégation expresse de la charte, c'est-à-dire par le pouvoir constituant lui-même.

Et cette observation confirme pleinement les principes que j'ai posés tout à l'heure.

Ainsi, lorsque la législature française, usant du droit que la charte lui déléguait, a dit dans la loi électorale de 1831 : « Il y a incompatibilité entre les fonctions de député et celles de préfet, sous-préfet, receveur général ou particulier des finances, payeur, etc.,» elle est restée parfaitement constitutionnelle. Et, pour le dire en passant, lorsqu'elle a placé cette disposition sous la rubrique : Des éligibles, elle a parfaitement compris aussi que toute incompatibilité intéresse le droit d'éligibilité.

Il reste donc démontré que les incompatibilités parlementaires ne peuvent émaner que du pouvoir constituant, soit par voie directe, soit par voie de délégation.

Ces prémisses posées en fait et en droit, il nous reste à rechercher si la Constitution belge a établi elle-même des incompatibilités parlementaires, ou du moins si elle a délégué, par une disposition expresse, à la législature le droit d'en établir.

La question ainsi posée, et je crois l'avoir posée sur son véritable terrain, n'est ni longue ni difficile à résoudre.

La Constitution belge n'a point établi d'incompatibilités parlementaires. Il ne peut y avoir qu'une voix à cet égard dans la chambre et dans le pays.

A-t-elle délégué expressément à la législature le droit d'en établir ?

Pas davantage. On ne trouve rien dans la Constitution belge qui ressemble à une délégation, rien qui ressemble à la disposition de la charte française que j'ai citée tantôt.

Vous y trouverez le contraire.

La charte française disait que, pour être admis à la chambre des députés, il fallait avoir 30 ans et réunir les autres conditions déterminées par la loi.

La Constitution belge, après avoir dit que pour être éligible il faut être Belge, jouir des droits civils et politiques, avoir 25 ans et être domicilié en Belgique, ajoute immédiatement : «Aucune autre condition d'éligibilité ne peut être requise. »

Ainsi, loin de déléguer quelque chose à la législature, loin de lui (page 1739) permettre la moindre intervention en matière d'éligibilité, la Constitution lui interdit toute influence, toute action sur la composition du parlement.

Et en cela, messieurs, le congrès national n'a fait que suivre les véritables principes du droit public ; il n'a fait qu'imiter en cela les exemples donnés par la loi fondamentale de 1815, par la charte de 1814, par les constitutions de l'an VIII, de l'an III et de 1791.

Il a répudié le système français de 1830 qui mettait les conditions d'éligibilité à la merci des chambres législatives. Et, en le faisant, il a été plus sage que les publicistes de France.

En résumé :

I. Le principe des incompatibilités parlementaires est essentiellement constitutionnel.

II. Il n'existe qu'autant que le pouvoir constituant le décrète, soit en établissant lui-même des incompatibilités, soit en déléguant d'une manière expresse aux pouvoirs constitués le droit d'en établir.

III. La Constitution belge ne fait ni l'un ni l'autre.

IV. Par conséquent, point d'incompatibilités constitutionnellement possibles à l'égard du parlement belge.

J'ai maintenant quelques objections à rencontrer.

D'abord, on a dit que la disposition finale de l'article 30 n'exclut pas les incompatibilités parlementaires.

La question n'est point de savoir si cette disposition les exclut ou ne les exclut pas. J'ai démontré que, pour en établir, il faudrait que la Constitution les autorisât expressément.

A la vérité, l'honorable rapporteur de la section centrale nous assure dans son rapport que « la loi, expression de la volonté générale, peut faire tout ce que la Constitution ne prohibe pas. » Mais il me permettra de lui dire que ce principe, incontestable en matière civile, est repoussé par tous les publicistes en matière politique.

En matière politique, c'est le principe contraire qui est vrai : partout où l'organisation politique de l'Etat est l'œuvre d'un pouvoir constituant, la loi ne peut, relativement à cette organisation, que ce que la Constitution autorise. Et la raison en est bien simple, c'est que la volonté générale ne peut rien par elle-même, contre ni outre la volonté constituante ; c'est que dans une société politique où les droits de chacun et de tous sont réglés d'avance, la loi est naturellement et nécessairement limitée vis-à-vis de ces droits et vis-à-vis des institutions qui reposent sur ces droits.

Quoi qu'il en soit, j'accepte pour un moment le principe posé par la section centrale ; j'admets que la loi puisse faire, en politique, tout ce que la Constitution ne défend pas. En sera-t-on plus avancé ? Non ; l'article 50 de la Constitution défend d'établir des incompatibilités parlementaires ; il les exclut formellement, et l'article 36 confirme cette exclusion.

En effet toute incompatibilité est une condition négative d'éligibilité ou d'admissibilité aux chambres. Or l'article 50 ne distingue pas entre les conditions positives et les conditions négatives ; il est général ; il dit à tous les citoyens sans distinction d'état ou de profession : Vous serez représentant, si aux quatre conditions déterminées par cet article, vous joignez l'élection de vos concitoyens.

S'il pouvait y avoir du doute à cet égard, je vous citerais vingt textes de Constitution et de loi où l'incompatibilité est définie tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, mais toujours comme une condition négative d'éligibilité ou d'admissibilité au parlement. Je vous rappellerai la charte et la loi électorale de France que j'ai déjà citées. En France, où l'on connaît la valeur des mots, la charte disait que la loi déterminerait les conditions requises pour être éligible à la chambre des députés ; eh bien, c'est en vertu de cette disposition que le pouvoir législatif de France a déclaré qu'il y avait incompatibilité entre les fonctions de député et celles de préfet, sous-préfet, etc. Les chambres françaises copieraient donc l'incompatibilité comme une véritable condition qui empêche l'admission au corps législatif.

Mais on insiste : je lis dans la rapport de la section centrale page 6 : « L'incompatibilité n'atteint ni le droit de l'électeur ni la capacité de l'élu ; elle n'atteint que le fonctionnaire !

« En décrétant l'incompatibilité, la loi ne touche pas aux droits du citoyen ; elle définit, comme elle en a le pouvoir, le devoir de l'agent salarié par l'Etat ! »

Aux distinctions subtiles il faut des réponses simples.

Le fonctionnaire et le citoyen ne sont qu'un seul et même être, et les devoirs qu'on lui impose en l'une de ces qualités, ne peuvent être contraires aux droits qui lui appartiennent en vertu de l'autre. S'il n'en était pas ainsi, les fonctionnaires ne seraient plus citoyens ; ils formeraient dans la société une classe à part dont la loi mesurerait les droits politiques à son gré. Et, en effet, la distinction faite par la section centrale peut se traduire ainsi :

Elle dit aux fonctionnaires publics : Tous les citoyens sont admissibles au parlement ; mais comme fonctionnaires, vous ne l'êtes pas. Donnez votre démission, redevenez citoyens, et vous serez admissibles comme tous les autres. Voilà l'argument dans toute sa nudité.

Mais comme il faut bien que toute fonction abandonnée par un citoyen soit occupée par un autre ; comme il faut bien que 40 à 50,000 fonctionnaires soient toujours en activité pour le service de l'Etat, il y aura toujours, quoi qu'en dise la section centrale, 40 à 50,000 citoyens en Belgique privés de leurs droits politiques. Ce n'était pas là ce que le rapporteur de la section centrale voulait prouver, en disant que la loi n'atteint ni le droit d'élire, ni le droit d'être élu.

Mais avec des distinctions subtiles on prouve souvent ce que l’on ne voulait pas.

Ce n'est pas tout. La loi n'atteint que le fonctionnaire, dit toujours le rapport. Mais oublie-t-on qu'il est des fonctionnaires que la loi ne peut pas atteindre ? A-t-on oublié que les juges en Belgique sont inamovibles, inamovibles par la Constitution ? Comment donc se pourrait-il que la loi obligeât le juge à donner sa démission pour jouir de ses droits politiques, pour devenir représentant ou sénateur ?

Je demande pardon à la chambre de me mettre personnellement en scène ; mais le rapport de la section centrale m'y provoque. Il me dit : La Constitution vous assure le droit d'élire et d'être élu, comme citoyen ; mais, comme magistrat, la loi vous force à donner votre démission pour être député. Je réponds : La Constitution me déclare inamovible, et la loi ne peut me forcer à donner ma démission, pour jouir d'un droit que je ne tiens pas d'elle ; entre mon éligibilité d'une part et mon inamovibilité de l'autre, la loi ne peut intervenir.

Mais, dira-t-on, car les subtilités ne manquent pas dans cette question, la démission sera volontaire.

Volontaire, messieurs ! c'est une amère plaisanterie que celle-là, et on devrait l'épargner aux victimes du projet. La loi proposée dit, en effet, aux fonctionnaires publics : Vous opterez entre les fonctions que vous tenez de l'Etat et le mandat que vous tiendrez du peuple. Mais dit-elle : « Vous opterez sans sacrifice » ? Permet-elle d'opter avec cette liberté de choix qui est l'honneur et le droit de la conscience ? Permet-elle d'opter suivant les inspirations du devoir ? Non, messieurs, elle dit : Vous opterez selon vos fortunes. Riches, vous prendrez le mandat du peuple ; pauvres, vous le refuserez. Riches, vous aurez le droit et l'honneur de représenter le pays ; pauvres, cet honneur et ce droit vous sont interdits à jamais.

Je passe à une autre objection.

On dit : La Constitution n'autorise pas seulement la législature à établir des incompatibilités parlementaires, elle lui en fait une obligation, car l'article 139 la charge de prévenir les abus du cumul.

Je l'avoue, messieurs, j'ai été étonné que l'on invoquât cet article ; il est sans aucune portée dans ce débat. Rappelons-en d'abord les termes :

« Le congrès national déclare qu'il est nécessaire de pourvoir par des lois séparées, et dans le plus court délai possible, aux objets suivants :

« 1°°.....etc.

8° Les mesures propres à prévenir les abus du cumul. »

Cet article est intitulé : disposition supplémentaire, et chacun sait qu'il fut improvisé après que la Constitution était faite, non pour ajouter ou changer quelque chose à ses principes, mais uniquement pour déclarer l'urgence de certaines lois à faire.

Cet article ne confère donc aucun pouvoir, aucun droit ; il ne dispose même pas, il recommande.

Cet article, enfin, n'existerait pas que les attributions du pouvoir législatif n'en seraient ni augmentées ni diminuées ; car, à toutes les époques et sous tous les régimes, la législature a eu le droit et le devoir de prendre des mesures contre les abus du cumul. Dès lors, messieurs, on ne peut en tirer aucun argument pour interpréter la Constitution.

Mais allons plus avant. Ceux qui s'appuient sur l'article 139 pour justifier le pouvoir d'établir des incompatibilités parlementaires au moyen d'une loi, ne comprennent pas le sens de cette disposition : ils confondent le cumul des fonctions au point de vue financier avec l'incompatibilité des fonctions au point de vue politique.

Quoi ! le congrès national aurait déclaré, le 6 février 1831, qu'il était nécessaire de publier, dans le plus court délai possible, une loi séparée sur l'incompatibilité de fonctions publiques ! Mais vous accusez le congrès de n'avoir pas su ce qu'il faisait ! Le congrès a voulu, et le plus tôt possible, une loi sur le cumul des traitements et des pensions ; et il n'avait pas autre chose à vouloir.

Il n'avait pas autre chose à vouloir, parce qu'en 1831 comme aujourd'hui, il existait des lois parfaitement claires et suffisantes sur toutes les fonctions militaires, administratives, judiciaires et même religieuses qui ne sont pas compatibles entre elles.

Et ces lois existaient si bien alors qu'elles existent encore en ce moment.

Mais ce qui n'existait pas, c'est une loi sur le cumul des traitements et des pensions, cumul que le gouvernement hollandais avait poussé jusqu'à l'abus, et auquel le congrès national voulait avec raison que l'on mît un terme le plus tôt possible et par une loi séparée.

Voilà la vérité, messieurs, et cette vérité, je l'affirme ici, non pas comme on affirme une opinion, mais comme on affirme un fait sur l'honneur, et pour l'honneur du congrès national.

Je devrais m'arrêter là ; mais le sujet est trop grave pour rien négliger.

Supposons que l'article 139 soit applicable dans cette question, quelle en serait la portée ? A coup sûr, il n'autoriserait par la législature à établir des incompatibilités à l'égard du mandat législatif. Si le Congrès avait voulu l'y autoriser, il l'aurait dit dans la Constitution même et non pas dans un article supplémentaire de la Constitution qui ne dispose pas, qui se borne à recommander l'urgence de certaines lois à faire sur onze objets différents et sans rapport les uns avec les autres.

S'il avait reconnu l'urgence d'établir des incompatibilités parlementaires, il les aurait établies lui-même dans les article 36 et 50 de la Constitution. L'article 139 ne concerne donc pas cet objet.

Que la législature ait le droit d'établir des incompatibilités entre des fonctions qu’elle a le droit d’organiser, je le reconnais sans peine ; mais ce n’est pas l’article 139 qu’elle le puise ; elle le puise dans le droit même qu’elle a d’organiser ces fonctions. La Constitution dit que l’ordre judiciaire sera organisé par une loi ; elle dit qu’une loi organisera la garde civique, la gendarmerie, les institutions provinciales et communales. Eh bien, nous pouvons, comme législateurs, déclarer incompatibles entre elles les fonctions qui se rapportent à ces différents objets, parce que nous avons le droit de les organiser. Mais qu'à l'égard d'une fonction, d'un mandat, d'un droit qui ne dépend pas de nous, qui existait avant nous et sans lequel nous n'existerions pas ; qu'à l’égard d'une fonction qui relève exclusivement de la Constitution et des collèges électoraux, nous puissions établir des incompatibilités ! Non, messieurs, ce pouvoir nous ne l’avons pas. Ce pouvoir, je l'ai dit, nous ne l'aurions qu'autant qu'il nous aurait été expressément délégué par la Constitution.

Mais si nous l'avions, savez-vous ce que nous pourrions en faire ?

La législature a le droit d'organiser autre chose que des fonctions publiques. Elle peut organiser toutes les professions ; elle a organisé la profession de notaire, d'avocat, d’avoué, d'huissier, de courtier ou agent de change, etc. Eh bien ! la loi qui a déclaré ces professions incompatibles entre elles et avec d'autres fonctions pourrait donc les déclarer incompatibles aussi avec le mandat .parlementaire ! Où cette logique nous conduirait-elle ?

Nous serons assez sages pour ne pas en abuser, me dira-t-on ; je le crois. Mais permettez-moi de croire aussi que le congrès national a été assez sage pour ne pas vous en donner le pouvoir.

Je conclus : l'article 139 est inapplicable aux incompatibilités quelles qu'elles soient ; il ne concerne que le cumul des traitements et des pensions.

Mais en fût-il autrement, il n'ajouterait, il ne changerait rien à la Constitution ; il ne concernerait pas les incompatibilités parlementaires, que la Constitution n'a permis à personne de régler.

Reste une dernière objection. Il y a des précédents !

Je1 le sais et je ne prétends pas en affaiblir la valeur ; mais de tous les précédents cités dans le rapport de la section centrale, il n'en est qu'un seul qui soit sérieux : tous les autres n'ont été qu'une conséquence vraie ou erronée de celui-là.

Le précédent dont je parle est celui que le congrès lui-même a posé dans le décret du 30 décembre 1830 sur la Cour des comptes., Eh bien, il suffit de rapprocher quelques dates et quelques faits pour lui ôter toute sa valeur. Voici les faits relatifs à la Cour des comptes :

Le 13 décembre 1830 le projet de loi sur la Cour des comptes est présenté au congrès.

Le 23 décembre M. de Muelenaere dépose son rapport, et dans ce rapport on disait : Votre commission a été partagée d'avis sur la question de savoir si les membres de la cour des comptes pourront être en même temps membres de l'une ou l'autre chambre législative.

Première observation : ce projet n'a pas été examiné dans les sections.

Le 29 décembre il est mis à l'ordre du jour et, sur un amendement proposé, on décide, séance tenante, que les membres de la Cour des comptes ne pourront être en même temps membres de l'une ou l'autre chambre.

Deuxième remarque : cette disposition était copiée littéralement de la loi fondamentale de 1815.

Troisième observation : la Constitution belge n'était pas faite ; les dispositions relatives à l'éligibilité n'étaient pas discutées ; et ceux qui avalent voté pour l'incompatibilité de la Cour des comptes devaient croire qu'elle figurerait dans la Constitution belge, comme elle avait figuré dans la loi fondamentale de 1815.

Voyons maintenant les faits postérieurs, relatifs à la Constitution.

Le 23 et le 24 décembre, M. Raikem dépose deux rapports sur le titre relatif aux pouvoirs ; on lit dans le premier :

« Quelques sections avaient proposé d'établir des incompatibilités entre certaines fonctions publiques et celles de membre de l'une ou de l'autre chambre. Mais la section centrale a rejeté les incompatibilités. Elle a cru qu'à cet égard on devait s'en rapporter au bon sens des électeurs, et que la disposition qui prescrivait la réélection des membres appelés à des emplois salariés, après leur nomination, parait à tous les inconvénients.

« Toutefois, un membre de la section centrale avait réclamé l'incompatibilité absolue entre la qualité de membre de la cour des comptes et celle de membre de l'une ou de l'autre des deux chambres. Cet avis n'a pas été partagé par les autres membres de la section centrale.

« Une incompatibilité relative avait aussi été réclamée. Cinq membres de la section centrale ont demandé que les gouverneurs ou les chefs d'administration provinciale ne pussent être élus dans les .provinces dont l'administration leur était confiée. La majorité a rejeté cette exclusion. »

On lit dans le second : « Une section avait demandé la suppression des mots : aucune autre condition d'éligibilité ne peut être exigée ; elle voulait par là laisser à la loi électorale la faculté d'établir d'autres conditions d'éligibilité qui seraient reconnues utiles.

« La section centrale a pensé, au contraire, qu'on ne devait abandonner à la loi électorale que les conditions requises pour être électeur, et non celles exigées pour être élu ; que celles-ci devaient faire partie de la Constitution.

« En conséquence, elle a été d'avis de maintenir la disposition qui écarte toute action de la législature à cet égard. »

Ainsi, deux points étaient certains dans l'opinion de la section centrale :

1° Exclusion de toute incompatibilité parlementaire.

2° Refus d'accorder à la législature aucun pouvoir, aucune action sur l'éligibilité.

Le 3 janvier 1831, on discute en séance publique l'article 36, ce même article qui, d'après le rapport de la section centrale, devait, avec le bon sens des électeurs, tenir lieu de toutes les incompatibilités parlementaires, et parer à tous les inconvénients. Mais M. Tieken de Terhove ne partage pas l'opinion de la section centrale à cet égard ; il propose un amendement ainsi conçu :

« Les membres des deux chambres ne pourront être revêtus d'aucune fonction de cour, ni de toute autre fonction amovible salariée par le gouvernement. »

Et cet amendement est rejeté.

Le système proposé par la section centrale prévaut donc. On décide implicitement qu'en fait d'incompatibilités parlementaires, c'est au bon sens des électeurs qu'il faut s'en rapporter, principe sage, principe éminemment libéral, seul principe qui concilie tous les besoins.

Le 6 janvier, on mit en discussion le dernier paragraphe de l'article 50, portant : « Aucune autre condition d'éligibilité ne pourra être requise. »

Et ce paragraphe est encore adopté, dans le sens de la section centrale, c'est-à-dire dans le but d'ôterà la législation tout pouvoir, toute action sur l'exigibilité.

Nous voici donc en présence de deux décisions : l'une du 29 décembre qui prononce une incompatibilité spéciale entre les fonctions de la cour des comptes et celles du parlement ; l'autre du 3 janvier suivant, confirmée le 6, qui rejette toute espèce d'incompatibilités parlementaires, toute action de la législature sur l'éligibilité au parlement.

Si ces deux décisions avaient été rendues en même temps et dans une même loi, il y aurait là une contradiction manifeste et insoluble. Mais l'une a été prise avant l'autre ; la première a été prise dans une loi, la dernière dans la Constitution.

Or la Constitution abroge expressément toutes les lois antérieures qui lui seraient contraires. Le précédent de la cour des comptes n'existe donc pas. Et toute l'erreur des législatures suivantes vient de ce qu'on a cru, sans trop d'examen, qu'il subsistait encore après la Constitution promulguée. Pour subsister, il aurait fallu le dire dans la Constitution même, comme on' l'avait dit dans la loi fondamentale de 1815.

.Je termine par une observation générale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Et la cour de cassation ?

M. Tielemans. - Le précédent de la cour des comptes n'a été posé que par la législature : il n'est que la conséquence de celui qui avait été posé par le congrès relativement à la cour des comptes. La législature a pris ce dernier précédent pour règle, sans s'enquérir si cette règle n'avait pas été abrogée par la Constitution elle-même. M. le ministre de l'intérieur aurait pu me rappeler aussi les incompatibilités établies par la loi provinciale à l'égard des conseils provinciaux. Celles-ci ont été admises par la même raison, c'est-à-dire parce qu'on avait déjà d'autres précédents ; et c'est ainsi, messieurs, qu'on est allé de précédents en précédents, sans rechercher sérieusement la valeur constitutionnelle du premier. Voilà pourquoi je ne les discute pas. Je termine, par une considération générale.

La question de constitutionnalité, quoique résolue plusieurs fois par la législature, se présente cette fois sous un rapport entièrement neuf. Il ne s'agit plus à présent de prononcer une incompatibilité particulière entre le mandat législatif et telle ou telle fonction déterminée ; il ne s'agit plus de rechercher s'il y a une cause réelle d'incompatibilité dans la nature de telle ou telle fonction prise isolément. Il s'agit d'ériger l'incompatibilité parlementaire en principe général et absolu vis-à-vis de toutes les fonctions publiques. Il s'agit de faire ce que le congrès national lui-même n'a pas voulu faire.

Quand on a déclaré que les membres de la législature ne pourraient être membres de la cour des comptes, on avait cette raison, puisée dans la nature des choses, que la cour des comptes est chargée du contrôle de la comptabilité ministérielle sous l'approbation des chambres.

Quand on a exclu les membres de la cour de cassation, on s'est déterminé par la raison spéciale que cette cour juge les ministres sur l'accusation de la chambre des représentants.

Quand on a exclu les membres des conseils provinciaux, on a eu pour raison que les actes de ces conseils peuvent être, en certains cas, annulés par la législature.

Voilà le sens et la portée des lois qui ont été faites jusqu'à cette heure sur la matière ; et comme vous le voyez, ce sens, cette portée n'était nullement politique.

Les précédentes incompatibilités avaient donc une raison particulière ; ' il y avait pour chacune d'elles un motif puisé dans la nature spéciale des fonctions qu'on déclarait incompatibles, et ce motif était administratif ou judiciaire. Aujourd'hui c'est une rafle politique qu'on nous propose ; c'est un changement complet de système, un changement radical et absolu qui doit modifier profondément la composition de cette chambre.

Eh bien en présence de cette proposition, la question de constitutionnalité a une importance bien autrement grave que dans les cas particuliers où vous l'avez examinée précédemment. Elle exige de votre part un nouvel examen, et c'est pourquoi j'ai pris la liberté de la traiter si longuement.

M. le président. - La parole est à M. de. Mérode.

Des membres. - A demain !

D'autres membres. - A ce soir !

Plusieurs voix. - Une séance du soir !

M. de Mérode. - La question est assez importante pour qu'on ne la livre pas à des séances du soir.

M. Lebeau. - Je combats l'idée d'une séance du soir, à moins qu'il soit entendu qu'on ne prononcera pas la clôture pour aborder les articles. Il est impossible d'étrangler la discussion d'un projet important qui depuis 18 ans fait l'objet de sérieuses méditations.

M. Malou. - Plusieurs membres désirent que la chambre termine ses travaux demain. Si on n'a pas de séance du soir, il est impossible qu'on arrive à ce résultat. Qu'on fasse toute réserve quant au vote, je le conçois.

M. de Bonne. - Je ferai observer à la chambre qu'il me semble de sa dignité de ne pas étrangler la discussion d'une loi aussi importante, d'un intérêt aussi grave, que celle sur la réforme parlementaire. Quand on a donné 10 à 12 jours à la discussion d'une loi sur les lièvres, les lapins, les vanneaux et les oiseaux chanteurs, ce n'est pas trop que d'accorder deux ou trois jours à une loi qui a pour objet les droits politiques d'une classe de citoyens, en un mot une question constitutionnelle. Je pense donc que la continuation de la discussion générale doit être renvoyée à demain et à la semaine prochaine s'il est nécessaire. Il est désirable, nécessaire même, que toutes les opinions se déclarent, soient exprimées.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, loin de moi l'idée de vouloir engager la chambre à examiner avec précipitation la question qui lui est soumise. Si j'appuie la proposition d'une séance du soir, c'est à cette condition que l'on pourrait la consacrer à l'examen d'autres projets de lois que nous devrions examiner à la suite de celui qui concerne es. incompatibilités parlementaires. Cela ne peut pas contrarier ceux qui pensent qu'il est urgent que la session arrive à sa fin.

Nous comprenons qu'il faut laisser à chacun des représentants la faculté de retourner auprès des électeurs. L'intention du gouvernement, si rien n'y met obstacle, serait de convoquer les collèges électoraux pour le deuxième mardi de juin. Dès lors il est évident que pour les représentants le temps presse ; il est utile qu'ils puissent établir des relations franches et quelque peu prolongées avec les électeurs..

Cela dit, je n'entends pas préjuger la question de savoir si la chambre s'ajournera à partir de demain ; mais pour utiliser les derniers jours je demande qu'on se réunisse ce soir pour examiner d'abord les projets à l'ordre, du jour autres que celui des incompatibilités parlementaires.

- La chambre décidé qu'elle aura une séance le soir, elle en fixe l'heure à huit heures et adopte ensuite la proposition de M. le ministre de l'intérieur.

L'assemblée se sépare à 5 heures.


(page 1763) La séance est reprise à 8 heures et demie.

Projet de loi qui supprime l'impôt du timbre sur les journaux et écrits périodiques

Discussion des articles

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Le gouvernement s'expliquera sur les articles.

- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la délibération sur les articles.

Article premier

« Art. 1er. L'impôt du timbre sur les journaux et écrits périodiques est supprimé. »

La section centrale propose la rédaction suivante :

« Art. 1er. L'impôt du timbre sur les journaux et écrits périodiques est supprimé.

« Cette suppression ne sera appliquée aux journaux et écrits périodiques imprimés dans les pays étrangers, qu'autant que les journaux et écrits périodiques imprimés en Belgique jouissent de la même exemption dans les pays. »

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il à cette rédaction ?

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Oui, M. le président.

M. de Corswarem. - Messieurs, au mois de décembre dernier nous avons adopté une loi qui supprime les frais de port des journaux et écrits périodiques ; car par cette loi on a réduit à un centime le droit de transport de tout journal, de quelque dimension qu'il soit.

On nous a dit alors, pour nous engager à adopter cette suppression, que les journaux payaient encore 5 centimes de droit de timbre, et que ces 5 centimes joints au centime de droit de port qu'on voulait conserver faisaient un impôt de 6 centimes par journal.

Je ne m'oppose nullement à ce qu'on supprime aussi le droit de timbre. Cependant je voudrais que le gouvernement nous expliquât à combien montent les frais de transport de chaque journal et qu'au moyen du droit de timbre et du prix de transport on compensât les frais que le transport de chaque journal coûte au gouvernement.

On nous a dit alors que le transport d'une lettre coûtait de 4 à 5 centimes, mais que le transport d’un journal ne coûtait pas autant parce que les lettres sont déposées séparément tandis que les journaux se déposent au bureau de poste souvent par plusieurs centaines à la fois.

J'admets que les frais de transport d'un journal ne sont pas aussi élevés que les frais de transport d'une lettre. Cependant je suis bien convaincu que les frais de transport d'un journal montent à plus d'un centime. Ainsi, en supprimant tout droit de timbre quelconque sur les journaux et écrits périodiques et en en réduisant les frais de transport à un centime, quelle que soit leur dimension, nous constituons le gouvernement en perte, et cette perte doit être supportée par ceux des contribuables qui ne lisent pas de journaux.

Il me paraît que ceci n'est pas juste. Si le gouvernement nous donne l'assurance que les frais de. transport ne dépassent pas un centime, je me rallie de grand cœur à la proposition qui nous est faite. Mais si les frais de transport dépassent un centime, je demande qu'on conserve un droit de timbre assez élevé pour compenser ces frais.

J'attendrai les explications qui nous seront données à ce sujet pour me décider sur le vote que j'émettrai relativement à la loi qui nous est proposée.

M. Rodenbach. - Je répondrai à l'honorable préopinant, qui paraît vouloir augmenter le prix de transport des journaux, qu'il est plus que probable que le nombre des journaux augmentera considérablement, qu'on en expédiera infiniment plus par la poste et que le centime par journal sera plus que suffisant pour compenser les frais de transport.

Je lui ferai remarquer qu'il n'est pas en Belgique une industrie qui paye autant de droits que l'industrie du journalisme. Cette industrie paye, terme moyen, 14 à 15 fr. par an pour le timbre. C'est une grande justice de supprimer un pareil droit. D'ailleurs c'est une nécessité politique ; on le supprime même dans les gouvernements absolus. Ainsi je pense que nous devons voter à l'unanimité la proposition qui nous est faite.

Outre l'impôt du timbre que le journalisme a supporté jusqu'ici, il payé une patente d'imprimeur, il paye une patente d'éditeur et le droit de poste. Il en résulte que cette industrie paye au fisc le tiers de ce qu'elle reçoit. Je le demande, y a-t-il en Belgique une industrie qui paye le tiers de sa recette ?

Il y a plusieurs années que je réclame la suppression du droit de timbre sur les journaux. Je la réclame de nouveau de toutes mes forces. Je regrette beaucoup que la section centrale veuille imposer les annonces. J'attendrai la suite de la discussion pour parler et voter contre cette proposition, qui sans nul doute sera rejetée.

M. de Corswarem. - Je ne demande nullement que l'industrie du journalisme soit imposée. Mais je demande que les droits réunis de timbre et de port suffisent pour couvrir les frais de transport, parce que je voudrais que ceux qui ne lisent pas les journaux ne soient pas obligés de payer le port pour ceux qui les lisent. Je demande donc que le gouvernement nous dise combien coûte le transport d'un journal. Il me paraît que l'administration doit le savoir, puisqu'elle sait combien coûte le transport d'une lettre.

Je ne veux pas que le gouvernement gagne la moindre chose sur les journaux, mais je ne veux pas non plus qu'il perde la moindre chose. Je veux que le prix de transport compense les frais.

Avant de nous prononcer sur le projet de loi, nous devrions connaître les frais de transport d'un journal. Je persiste à demander que le ministre les fasse connaître.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Je ne comprends pas très bien la question que pose l'honorable préopinant. La poste transporte à des prix que vous connaissez les lettres et les journaux, les livres et l'argent. Déduction faite des frais, il y a un bénéfice considérable qui figure au budget des voies et moyens.

Je ne sais comment je pourrais rechercher, dans la dépense totale, combien coûte le transport d'un journal. Comment l'honorable membre veut-il que je fasse un pareil calcul, que je sache si en transportant au prix d'un centime, la poste fait ou non un bénéfice ?

J'avoue ne pouvoir donner d'éclaircissements à l'honorable membre sur ce point-là. Il n'y a pas un compte séparé pour la recette des journaux et en regard la dépense que ce transport occasionne. Il y a des dépenses générales, qui seraient les mêmes, ou à très peu de chose près, soit que le transport des journaux eût lieu ou non par la poste. En ce sens, il n'y a évidemment pas de perte à opérer le transport des journaux au prix actuel. En somme, déduction faite de tous les frais, il reste un bénéfice net donné par les postes et qui figure au budget des voies et moyens.

M. d'Huart, rapporteur. - Il importe de ne pas confondre deux choses distinctes. Nous nous occupons d'une loi sur le timbre, non d'une loi relative à la poste. Quand nous aborderons la réforme postale, je conçois que l'honorable M. de Corswarem fasse ce qui dépendra de lui pour que le trésor ne soit pas en perte pour le transport des journaux. S'il résultait des explications qui seraient réitérées alors par M. le ministre des travaux publics, qu'il y a non pas perte, mais bénéfice, l'honorable M. de Corswarem n'insisterait plus sans doute sur les observations qu'il vient de faire. Occupons-nous donc exclusivement de l'impôt sur le timbre et ne confondons pas avec les péages de la poste la loi en discussion, réservant les explications demandées par l'honorable M. de Corswarem pour le moment où la loi sur la réforme postale, ajournée dans la séance d'avant-hier, sera à l'ordre ou jour.

M. de Mérode. - Ces observations seraient très justes, si après avoir diminué un impôt, on pouvait le rétablir aussi facilement. Mais il n'en est pas ainsi. La réforme postale a déjà été faite pour les journaux, dont le transport a été fixé à un prix tellement bas que je suis disposé à croire que le gouvernement est en perte. Il s'agit maintenant de supprimer l'impôt du timbre des journaux. C'est ainsi que l'on est obligé de payer des emprunts forcés, ou d'autres contributions, qui ne sont nullement volontaires, pour affranchir ceux qui veulent lire les journaux, et qui sont à même de payer cette lecture. Quant à moi, je ne puis consentir à la suppression de l'impôt du timbre, si je n'ai pas l'assurance que le trésor public n'est pas en perte, quant au transport des journaux.

Je conçois parfaitement la liaison que l'honorable M. de Corswarem a établi entre le transport et le timbre, parce que tout cela concerne la recette à faire sur les journaux et le remboursement d'un service public.

M. d'Huart. - Je croyais avoir parfaitement compris le but des observations de M. de Corswarem. L'honorable membre demande-t-il un changement à la proposition faite par le gouvernement ou à celle de la section centrale ? Nullement, il ne vous demande pas de maintenir un droit de timbre. Il ne s'oppose à aucun article du projet. Il se borne à demander si le droit de poste perçu sur les journaux en couvre les frais de transport. Je fais observer que cette question serait plutôt à sa place dans la discussion de la loi sur la réforme postale. C'est alors seulement, en effet, que l'on serait admis à présenter un amendement quant au droit de poste des journaux ; car vous ne pouvez confondre le droit de poste avec le droit de timbre. Les observations de l'honorable M. de Corswarem ont toutefois de l'opportunité en ce sens que lorsque viendra la discussion sur la réforme postale, M. le ministre des travaux publics pourra donner tous les renseignements nécessaires.

S'il en résulte que l'administration des postes n'est pas suffisamment rétribuée, qu'il faut augmenter le prix du transport, on l'augmentera.

- La discussion est close.

L'article premier du projet du la section centrale est mis aux voix et adopté.

Article 2

(page 1764) « Art. 2 (proposé par la section centrale). Il n'est pas dérogé, par l'article précédent, à la disposition de l'article 5 de la loi du 21 mars 1839 (Bulletin officiel, n°37). En conséquence, les avis et annonces qui serai insérés dans les journaux et écrits périodiques seront soumis au droit de timbre à raison de la dimension de la page qui renfermera des avis et annonces. »

M. Osy. - L'article 8 de la loi du 21 mars 1839, qui est cité dans cet article, est ainsi conçu :

« Le droit de timbre des annonces et avis imprimés non destinés à être affichés sera :

« Pour la feuille de 30 décimètres carrés de superficie et au-dessus, de 0-08 c.

« Pour la demi-feuille, de 0-04 c.

« Pour le quart de feuille, de 0-02 c.

« Pour le demi-quart, cartes et autres de plus petite dimension, de 0-01 c. »

Jusqu'à présent cet article n'a été appliqué qu'aux affiches distribuées en ville. Les journaux n'ont jamais eu à payer ce droit. Il y a beaucoup de journaux de 30 décimètres qui ont plus de 2 pages d'annonces, entre autres les journaux de Liège. Ces journaux devront payer le droit, non pour la demi-feuille, mais pour la feuille entière. Ils payeront donc 8 centimes au lieu de 5, qu'ils payent aujourd'hui. Je voudrais que l'on trouvât un autre moyen de remplacer le dégrèvement admis par l'article premier.

Mais, messieurs, voilà une grande aggravation que vous allez imposer à des journaux qui ne font rien que des annonces. Ne-serait-il pas beaucoup plus juste que le gouvernement nous présentât un tarif par ligne, pour les annonces ? Alors ceux qui font insérer les annonces dans les journaux payeront le droit. Si vous faites payer ce droit par les journaux, l’abonnement restera aussi cher qu'il l'est maintenant et alors vous n'atteindrez pas le but que vous avez en vue.

M. Delfosse. - Le gouvernement n'a pas déclaré s'il se rallie à la proposition de la section centrale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le gouvernement ne se rallie pas à la proposition de la section centrale. Il craint que cette proposition, contre l'intention de ses auteurs, n'aille directement contre le but même de la loi. Il craint qu'on ne retire d'une main aux journaux ce qu'on leur accorde de l'autre.

Messieurs, nos journaux politiques, et c'est là ce qui fait en grande partie leurs moyens d'existence, nos journaux politiques sont, pour une grande partie, des journaux d'annonces ; si vous supprimez le timbre sur les premières pages, consacrées à la politique et à la littérature, pour les reporter sur les autres pages, consacrées aux annonces, il est évident que vous vous déplacez matériellement le timbre, mais que vous frappez l'industrie du journaliste absolument de la même façon.

Nous concevons que la section centrale ait maintenu l'article 5 de la loi du 21 mars 1839 pour les affiches qui circulent dans le pays mais qui ne sont pas des journaux. Ces publications, ces sortes d'affiches continueront à payer le timbre. Ce que nous voulons affranchir, c'est la presse périodique proprement dite, ayant ou n'ayant pas de feuille d'annonces.

L'honorable M. Osy vient proposer d'imposer chacune des annonces d'un droit de timbre. Messieurs- ce droit de timbre existait autrefois et la loi de 1839 a précisément affranchi les annonces des journaux du droit de timbre auquel elles étaient assujetties. Nous ne voulons pas non plus revenir sur ce qui a été fait à cet égard en 1839. En un mot, messieurs, il s'agit de savoir si nous voulons affranchir la presse périodique, qu’il y ait des annonces ou qu'il n’y en ait pas, de l'impôt auquel elle est assujettie aujourd'hui. Nous croyons qu'il faut l'affranchir dans l'intérêt de l’éducation politique du pays. Nous croyons qu'il faut le faire dans l'intérêt même de certaines catégories de contribuables. Je m'explique.

Pour beaucoup d'abonnés aux journaux, messieurs, le journal, on peut le dire, agit de la même manière qu'agirait un impôt ; pour beaucoup d'abonnés l'abonnement est obligatoire, notamment pour tous les lieux publics, cafés, estaminets, et ils sont nombreux dans le pays, l'abonnement aux journaux est un véritable impôt en ce sens qu'il leur est impossible de s’y soustraire. Eh bien, messieurs, si vous introduisez une demi-réduction dans le droit dont vous frappez les journaux, la presse ne diminuera pas ses prix et l'impôt de l'abonnement continuera de peser sur une grande masse de contribuables qui sont forcés de prendre des abonnements. Si, au contraire, vous prenez une large mesure, la presse devra diminuer ses prix sous peine d'être écrasée par la concurrence des journaux nouveaux, et alors la loi sera tout à l'avantage des abonnés parmi lesquels, je le répète, il| en est un grand nombre qui doivent se considérer vis-à-vis des journaux comme de véritables contribuables.

M. Lebeau. - Messieurs, si nous cédions à l'esprit de localité,, si nous voulions assurer aux journaux de la capitale une espèce de monopole, nous voterions la proposition de la section centrale. Il est évident que, seuls peut-être dans tout le pays, les journaux de Bruxelles ont une clientèle assez étendue pour pouvoir vivre sans annonces, pour que l'annonce ne soit, chez eux, que l'accessoire et le très mince accessoire ; mais il suffirait d'être pendant un quart d'heure dans la salle des conférences et d'examiner les journaux de province qui s'y trouvent, pour se convaincre que ceux-ci puisent une ressource très considérable dans les annonces, que pour eux les annonces sont une condition d'existence, à mesure surtout que le cercle de leur circulation se restreint. Si donc vous voulez venir en aide aux journaux qui n'en ont pas besoin, ou qui en ont moins besoin que les autres, si vous voulez tuer la petite presse, qui peut avoir un grand caractère d'utilité, alors il faut adopter la proposition de la section centrale ; mais, messieurs, je crois que cette petite presse est en harmonie avec nos institutions et avec les développements si larges que nos institutions reçoivent depuis quelque temps ; je crois qu'il faut mettre la presse politique à la portée de toutes les localités. Je ne crains pas qu'on en abuse, et si l'on pouvait dire qu'en facilitant la multiplication des journaux on en augmente les dangers, on ferait le procès à la liberté de la presse elle-même. Quant à moi, je pense que s'il y a extension de mal, il y aura surtout extension de bien, et j'ai assez de confiance dans le bon sens du pays pour être convaincu que plus on propagera les écrits périodiques plus on augmentera l'éducation politique du pays.

Ensuite, messieurs, ce que l’on vous propose accuse, je dois le dire, l'ignorance la plus complète des procédés matériels d'une exploitation de journaux. Et ici, ce n'est un reproche pour personne ; il est très facile d'ignorer les procédés de la partie matérielle d'un journal.

Comment, dans la pratique, pourra-t-on établir, avec une certaine mesure d'équité, le droit de timbre pour les annonces ? Certain journal de la capitale ou d'une grande ville pourra livrer toute une page aux annonces ; et dans une petite ville, le journal aura peut-être deux ou trois annonces, occupant la huitième partie de la dernière feuille que vous timbrez. Cela est absurde et inique. Ensuite, s'il arrive que par l'abondance des matières, des nouvelles, le journaliste ait jugé à propos, dans l'intérêt de ses lecteurs, de remettre les annonces au lendemain, comme le timbre doit être appliqué d'avance sur la feuille blanche, il en résultera que le journaliste aura payé le timbre, alors qu'il n'y aura pas une seule annonce. Cela est encore absurde et inique.

Remarquez bien que, dans ce système, l'on payera une demi-page, un quart, un huitième, nu seizième de page comme pour la page entière, sans qu'il y ait moyen de l'éviter.

Si je ne craignais d'abuser des moments de la chambre, je lui ferais toucher du doigt dix impossibilités de la même force ; j'en sais quelque chose, parce que je fus du métier.

Les annonces sont en quelque sorte le remplissage du journal ; on en insère peu ou beaucoup, selon les matières politiques ou littéraires qui entrent dans la feuille. Cela n'empêche pas que ce ne soit, pour les journaux des petites localités, une ressource sans laquelle leur existence serait impossible.

Resterait un seul moyen, et on l'a essayé, c'est le timbre sur la minute de l'annonce même. Eh bien, ce procédé, qui paraît au premier abord concilier toutes les difficultés, a cependant été repoussé par vous à la suite d'une discussion assez longue. Voici, entre autres motifs, celui qu'on a fait valoir pour amener l'abrogation de ces dispositions :

Ou a dit que cet impôt était très inique, parce qu'il était très inégal ; que, par exemple, une pauvre servante qui fait insérer quelques lignes pour demander une place, payait autant que le propriétaire qui fait afficher vingt fois l'annonce de la vente d'une terre considérable.

Voilà des faits qui font toucher du doigt tout ce qu'il y avait d'inégal, c'est-à-dire d'injuste, dans le timbre des annonces ; voilà pourquoi l'honorable M. d'Huart, alors ministre des finances, est venu en proposer la suppression. J'aime à croire que ce ne sera pas par ses efforts qu'on rétablira une disposition que lui-même avait jugé ne pouvoir subsister, dans nos lois fiscales.

M. Rodenbach. - Messieurs, je partage entièrement l'opinion de l'honorable préopinant,, ainsi que celle qui a été exprimée par l'honorable ministre de l'intérieur. Nous, avons, voté la réforme électorale pour ainsi dire à l'unanimité. Si nous voulons aller jusqu'au bout, nous ne devons pas vouloir entraver le développement de la presse. Or, si vous imposez un timbre aux annonces, vous allez tuer les journaux des chefs-lieux d'arrondissement et des petites villes. Est-ce là votre intention ?

Nous avons voulu la réforme électorale sur de larges bases, et comme conséquence, nous devons vouloir que des feuilles périodiques à bon marché aillent éclairer les électeurs ; vouloir autre chose, ce serait tomber dans une contradiction..

Nous devons voter la proposition qui nous est soumise dans l'intérêt même de nos institutions libérâtes ; vous assurerez ainsi l'instruction politique des électeurs des petites villes et des campagnes. La presse ne sera vraiment libre que quand les journaux pourront se débiter à bon marché.

« Mais, dit l'honorable M. de Mérode, vous supprimez des impôts productifs que vous ne remplacez pas. »

C'est une erreur ; il y a ici une large compensation, puisque avec le droit proposé sur les effets de commerce, vous aurez à peu près un million. Je m'oppose donc de toutes mes forces à la proposition qui a été faite à ce sujet par la section centrale, et je voterai dans le sens du gouvernement qui ne veut point imposer les annonces des journaux.

(page 1765) M. d'Huart, rapporteur. - Messieurs, quel est le but du projet de loi dont nous sommes saisis ? C'est de faciliter, autant que possible, l'éducation politique du peuple ; c'est de répandre partout les discussions, les nouvelles politiques, c'est, en un mot, de mettre, autant que possible, tous nos concitoyens au courant de ce qui se fait pour eux dans le corps législatif, dans l'administration, et de les initier à tout ce qui doit les intéresser.

Eh bien, l'article premier, qui vient d'être adopté sans discussion, prouve que nous sommes unanimes, pour atteindre ce but ; les journaux qui contiendront des nouvelles, des discussions politiques, seront complètement affranchis du droit de timbre, quelle que soit leur dimension.

Maintenant, que vous propose la section centrale ? Elle vous propose d'exiger des journaux le droit de timbre qui est établi sur les annonces, lorsque ces journaux exercent une industrie faisant concurrence à l'impression des annonces, industrie très intéressante et qui contribue aux recettes du trésor. La section centrale a cru qu'il était juste et convenable de soumettre au même droit que celui qui est établi sur les annonces ordinaires, la partie du journal consacrée au même objet.

Messieurs, si vous en agissez autrement, vous décidez virtuellement la suppression du droit de timbre sur les annonces, et ainsi à la perte annuelle de 500,000 fr. que la suppression du timbre sur les journaux va occasionner au trésor, à cette réduction, dis-je, vous ajoutez celle d'une soixantaine de mille francs que produit aujourd'hui te timbre des annonces autres que celles insérées dans les journaux. Il est libre au pouvoir législatif de le faire ; mais telle serait la conséquence inévitable de l'affranchissement du timbre de la partie des journaux qui comprendraient des annonces ; cela est évident. Les annonces ordinaires se feraient dorénavant sur du papier non timbré, au moyen d'un article de quatre lignes de nouvelles placées en tête de l'imprimé, qui ainsi serait considéré comme un journal affranchi du droit de timbre.

Si vous voulez ajouter cette nouvelle diminution des ressources de notre budget à celle que je viens d'indiquer, vous en êtes certainement libres ; mais j'ai dû, en ma qualité de rapporteur, vous rendre attentifs non seulement sur le résultat financier, mais sur la concurrence écrasante que les journaux, à l'aidé d'une véritable industrie, feraient inévitablement à l'industrie des annonces, et fort intéressante à cause du grand nombre d'ouvriers qui y sont employés.

L'honorable M. Lebeau pense que la disposition proposée par la section centrale serait favorable aux journaux des grandes villes, au détriment de ceux des journaux moins répandus. Je crois que c'est là une erreur ; les journaux des petites villes ont généralement plus d'annonces que les journaux de la capitale ; en faisant timbrer à raison d'un centime le quart de la feuille consacrée aux annonces, ils satisferont à l'impôt ; tandis que dans les grandes villes, les journaux qui ont peu d'annonces devraient, en raison de leur dimension, payer 2 centimes, et ce sur un bien plus grand nombre d'exemplaires. Il est donc certain que les grands journaux éprouveraient plutôt un désavantage, comparativement aux petits.

Si l'amendement était adopté, voici vraisemblablement comment procéderont les journalistes. Ils ne feront pas insérer des annonces chaque jour, et ils les réserveront pour ne les faire paraître qu'une ou deux fois par semaine, et de cette manière le droit que nous proposons sera bien peu onéreux et n'occasionnera pas non plus une bien grande gêne, puisque deux fois seulement par semaine une page des journaux serait soumise à la formalité du timbre.

Je crois la disposition proposée par la section centrale suffisamment justifiée. Si vous croyez devoir supprimer à la fois le timbre des annonces et le timbre des journaux, adoptez le projet du gouvernement. Si vous ne croyez pas pouvoir faire un sacrifice de 60 mille francs de plus qu'on ne l'avait supposé d'abord, vous adopterez la proposition de la section centrale.

En appuyant et en adoptant l'article premier de loi, j'ai témoigné de mes bonnes dispositions pour la presse, et ce n'est certes pas moi, qui en 1838 ai soumis et fait adopter par les chambres plusieurs mesures très favorables à la presse, voudrais lui opposer aujourd'hui rien qui fût de nature à l'entraver dans sa mission, et je remercie l'honorable M. Lebeau d'avoir bien voulu rendre justice à mes intentions sous ce rapport.

M. de Haerne. - Je crois avec plusieurs honorables préopinants qu'on ne peut pas établir de distinction entre l'annonce et la partie politique et littéraire d'un journal ; si on veut, établir une séparation, on nuit aux journaux, surtout aux journaux des provinces, aux petits journaux. Qu'avons-nous voulu par la loi que nous discutons ? Nous avons voulu répandre les journaux, nous avons voulu favoriser la presse en général, dans l'intérêt de l'éducation politique de la nation. Si vous timbrez la partie mercantile du journal, vous n'atteindrez pas le but que vous vous êtes proposé. Je préférerais qu'on dît franchement qu'on n'accorde pas l'abolition complète du timbre, plutôt que de venir présenter des demi-mesures qui ne peuvent avoir d'effet réel.

L'honorable préopinant dit qu'on supprimera l'industrie des annonces, de celles qui se publient en dehors des journaux, par l'adoption du projet du gouvernement. Il n'en est rien. .Que résultera-t-il de la mesure proposée par le gouvernement ? Que les prix des abonnements diminueront par la concurrence ; le journaliste n'y gagnera guère, et le prix des annonces, insérées dans les journaux restant le même, l'industrie des annonces non-insérées dans les journaux restera ce qu'elle est.

Le public y gagnera par suite de la concurrence qui s'établira entre les journaux de la capitale et les journaux de province. Il est certain que les petits journaux, les journaux des villes secondaires, ne pourront pas soutenir la concurrence avec les grandes feuilles, si vous les soumettez à l'impôt du timbre pour les annonces.

Les journaux se répandent de plus en plus, il y a même des journaux de village en Flandre. Les petits journaux, qui sont très utiles pour la défense des intérêts locaux, ne pourraient exister sans les annonces, car pour ces journaux-là, l’annonce est la partie principale. C’est par l’annonce qu’ils vivent, et c’est par la partie politique qu’il attirent l’attention sur les annonces. Celles-ci passent en quelque sorte sous le couvert de la politique.

On vous a dit que le système de la section centrale n'offrait pas un avantage pour les journaux de la capitale, parce qu'à raison de leur dimension ils payeront un timbre plus élevé que les journaux de petit format ne payeraient pour un même nombre d'annonces. J'ai déjà fait remarquer qu'il faut distinguer entre les journaux de la capitale et ceux de province. J'ai dit que, pour les journaux des petites localités, l'annonce était l'essentiel tandis que pour ceux de la capitale, c'est l'accessoire ; en effet, les journaux de la capitale ou des grandes villes offrent surtout de l'intérêt par la partie politique, littéraire et scientifique ; l'annonce n'est que l'accessoire, et, sous ce rapport, le raisonnement de l'honorable préopinant n'est pas fondé.

Si l'annonce est l'accessoire, le timbre n'a pas cette portée dans les journaux de grand format ; le timbre ne les frappe pas au même point. Donc, vous les favorisez au détriment des journaux secondaires qui ont déjà de la peine à faire leurs frais et qui, comme je viens de le dire, offrent un grand avantage en éclairant l'opinion sur les intérêts locaux. Ce sont des rayons épars qui se réunissent dans un foyer commun, la grande presse.

Je reviens au côté moral du projet ; il a pour objet d’étendre les connaissances littéraires, scientifiques et politiques ; ensuite il a un autre but ; c'est en raison des circonstances dans lesquelles se trouvent le pays et un pays voisin que la mesure a été proposée d'une manière aussi radicale ; on a voulu donner satisfaction à l'esprit public, d'est une loi politique. On a voulu soutenir la comparaison de la Belgique libérale avec un pays qui annonce de le devenir et qui a commencé par l'abolition du timbre des journaux. Si vous lésinez, vous ne donnerez pas au pays la satisfaction qu'il attend et vous manquerez le but. D'après ces considérations, je me rallie au projet du gouvernement.

(page 1788) M. d'Elhoungne. - Nous sommes tous d'accord sur le but que la loi doit atteindre, sur la nécessité impérieuse qui l'a dictée. Le jour où vous avez voté la réforme électorale, le, jour où vous avez dépassé peut-être la capacité politique de certaines classes d'électeurs, il est devenu d'une impérieuse nécessité de favoriser par tous les moyens la diffusion des idées et des connaissances politiques. C'est là un devoir que la législature actuelle aura à remplir ; et, comme je l'ai dit dans une précédente discussion, un autre devoir restera à la prochaine législature, ce sera d'augmenter largement, très largement, la dotation de l'enseignement populaire, de l'organiser dans des proportions bien autrement grande» qu'il ne l’est aujourd'hui, au point de vue de l'enseignement primaire proprement dit, comme de l'instruction agricole et professionnelle.

Ce sont là, en effet, les corollaires nécessaires, logiques de la réforme électorale que nous avons votée ; en élargissant la base de nos institutions politiques, nous avons assumé le devoir de pourvoir aux besoins intellectuels et moraux avec une-sollicitude et une énergie nouvelle.

M. de Mérode. - Avec quoi payera-t-on ?

M. d'Elhoungne. - Avec des économies d'abord, et ensuite avec des impôts prélevés sur ceux qui savent payer..

Et. je pense que ceux qui savent payer l'impôt devraient applaudir les premiers à cet emploi des ressources publiques. Répandre l'instruction, l'enseignement dans les masses, n'est-ce pas le premier devoir du gouvernement et des chambres ? N'est-ce pas le meilleur calcul de ceux qui possèdent afin de se prémunir contre les égarements de ceux qui ne possèdent pas ?

J'aime à croire que l'honorable M. de Mérode, éclairé et philanthrope comme il l’est, ne méconnaîtra pas cette vérité.

M. de Mérode. - C'est pour cela qu'il faut de l'argent.

M. d'Elhoungne. - On en fera. La question d'argent n’est pas tout ici ; et j'ajouterai qu'il serait profondément regrettable, lorsqu'une voix s’élève dans cette enceinte pour établir la nécessité de pourvoir à l'instruction du peuple, que ces paroles rencontrassent une contradiction de la part de l'honorable M. de Mérode.

M. de Mérode. - Ne dénaturez pas mes paroles.

M. d'Elhoungne. - Ce n'est pas au sujet de l'instruction du peuple qu'il faut s'arrêter devant des questions d'économie. Quand il n'y a pas d'argent pour cette grande et féconde destination, il faut en trouver ; c'est notre devoir, toute comme quand il s'agit des autres besoins du pays, de l'honneur national, de la sécurité intérieure, du crédit public. Dans ces circonstances, il y a une suprême loi, une nécessité de salut (page 1789) public qui domine toutes les autres considérations. Il faut trouver l'argent, créer les ressources financières, n’importe par quels moyens, mais sans aggraver le sort de ceux-là mêmes qu’il s’agit d’émanciper intellectuellement.

M. de Mérode. - Quand il faut les voter, vous vous abstenez.

M. d'Elhoungne. - Je me suis en effet abstenu sur la question de l'emprunt forcé, mais pourquoi ? Ce n'est pas parce que je méconnaissais la réalité des besoins : je les ai plus largement, plus complétement appréciés peut-être que le gouvernement. Ce n'est pas non plus parce que je reculais devant les sacrifices qu'il fallait pour faire, face à ces besoins : j'ai déclaré que j'étais prêt à subir ces sacrifices ; mais je me suis abstenu parce que le ministère avait posé la question de cabinet. Or, si je trouvais l'emprunt forcé un mauvais procédé pour combler le vide du trésor, je trouvais non moins d'inconvénients a provoquer une crise ministérielle. C'est fort clair ! Je n'ai manqué, ce me semble, ni de courage ni de logique.

Je ne voyais pas sur nos bancs, à nous libéraux, les éléments pour former un nouveau ministère ; et, pas plus probablement que l'honorable M. de Mérode, je n'aurais voulu contribuer à renverser le cabinet actuel, pour ramener an ministère catholique qui eût précipité le pays au-devant d’une révolution.

Plusieurs membres. - Ce n'est pas la question.

M. d'Elhoungne. - C'est la question ; car je réponds à l'honorable M. de Mérode, qui me reproche de m’être abstenu quand il s’est agi de voter les ressources demandées par le gouvernement. Or, j'ai dit dans ce débat que je voterais un impôt plutôt qu'un emprunt. J'étais donc prêt à voter les ressources. Je n'étais pas d'accord avec le gouvernement sur les moyens financiers à employer, mais j'étais d'accord avec lui sur les besoins. J'allais même plus loin que le gouvernement, puisque j'étais prêt à voter les ressources à titre d'impôt. Mais je ne voulais pas renverser un cabinet, ni même voter contre un cabinet, quand les éléments manquaient à la formation d'un cabinet nouveau.

Je reviens à la loi en discussion. Je dis qu'on semble d’accord sur la nécessité de réaliser le but que la loi se propose. L'honorable rapporteur de la section centrale s'est seul levé jusqu'ici pour soutenir l'article 2 du projet. Cet article 2 est en contradiction flagrante avec l'article premier. Ainsi que M. le ministre de l'intérieur l’a déclaré, c'est retirer d'une main ce qu'on donne de l'autre. C'est d'une part déclarer la presse périodique affranchie du droit de timbre et d’autre parti lui imposer un autre plus onéreux.

Vainement l'honorable M. d'Huart a-t-il répondu qu'on ne frappe pas la partie politique des journaux ; qu'on ne s'adresse qu'à la partie mercantile, à la spécialité des annonces. Car, ainsi que d'honorables préopinants vous l'ont dit, enlever les annonces à la presse périodique, c'est durement la frapper. Il n'y a qu'un ou deux journaux de la capitale qui puissent subsister sans les annonces. Toute la presse de province périrait si vous lui enleviez la ressource des annonces. C'est un fait que tout le monde peut apprécier et connaître.

L'honorable M. d'Huart dit : Les journaux pourront insérer les annonces par intervalles au lieu de tous les jours ; par exemple, une ou deux fois par semaine, lorsqu'on pourra en remplir une feuille timbrée. En fait, cette observation n'est pas fondée ; la plupart des annonces ont un caractère d'urgence ; elles naissent précisément du besoin urgent qu'éprouve celui qui fait l'annonce de faire connaître immédiatement ses offres ou ses demandes au public. Il en résultera que les annonces iront au journal qui pourra s'imposer le sacrifice d'y consacrer tous les jours une feuille entière.

Vous créerez ainsi un monopole pour un ou deux journaux. Vous empêcherez la création de nouveaux journaux, vous étoufferez ceux qui existent déjà.

Maintenant, il est si vrai que l’article 2 est en contradiction avec l’article premier, que non seulement il établit pour les annonces un timbre équivalent à celui que l’article premier supprime, mais que même il établit un droit de timbre plus élevé. Vous n’avez qu’à jeter les yeux sur la loi du 21 mars 1839 ; vous y verrez que le timbre des journaux est fixé à 4 cent. pour chaque feuille au-dessus de 25 décimètres carrés jusqu'à 32 centimètres inclus (article 2), et que le droit de timbre des annonces et avis imprimés non destinés à être affichés est de 8 cent. pour la feuille de 32 décimètres carrés de superficie et au-dessus (article 5). Donc c'est le double. Donc, pour le même format vous avez un droit de 8 centimes au lieu de 4. Donc au lieu de dégrever la presse, vous la frappez d'un droit plus onéreux que celui supprimé par l'article premier.

Vous augmentez le droit et vous maintenez toutes les entraves du timbrage : l'obligation de faire transporter les feuilles au bureau ; la perte des feuilles déchirées, salies, etc., etc., en un mot tous ces désagréments qui ne sont pas les moins lourdes des charges qui pèsent sur l'industrie de la presse.

Enfin vous admettez un système véritablement absurde dans ses résultats, permettez-moi de le dire : vous inscrivez un principe dans la loi ; vous ne l'organisez pas ; vous ne réglez aucun détail d'exécution ; et cependant il s'agit d'une loi fiscale où le gouvernement ne peut rien ajouter, où tout doit être réglé par la loi.

Je suppose un journal, par exemple, auquel on apporte une annonce ; il devra donc faire timbrer pour cette seule annonce tout son tirage du jour. Il payera donc le timbre sur toute l'édition du journal pour une seule annonce.

Un honorable membre me transmet la note suivantes ; permettez-moi, messieurs, de la lire :

« Je suppose un journal tiré à 2,000 exemplaires, ayant le format de 32 décimètres carrés et soumis, par conséquent, quand il contient des annonces, au timbre de 4 cent., soit 40 fr. pour tout le tirage. Je suppose que l'on apporte à ce journal une seule annonce ainsi conçue : « M. le curé a perdu son chien, bonne récompense à celui qui le ramènera au presbytère. ». C'est une annonce qui vaut un franc. Eh bien, elle coûtera 40 fr. au journal qui l'insérera. » Peut-on appeler cela affranchir du timbre l'industrie des journaux ? (Hilarité générale.)

Vous voyez qu'il est impossible d'admettre un pareil système, et que l'article 2 est en contradiction ouverte avec l'article premier. J'en demande le rejet.

(page 1765) M. Osy. - je veux franchement l'article premier. C'est pour cela que j'ai appelé l'attention de l'assemblée sur ce point que la disposition de l'article premier est détruite par la disposition de l'article. 2. Le droit est même aggravé. Si l'on veut faire payer autant que par le passé, mais en donnant au droit une nouvelle base, la loi est inutile. Si l'on veut faire payer plus, je ne veux pas de la loi.

Je crois qu'il faudrait supprimer l’article 2. Quant à moi, je voterai contre.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. Dechamps. - Messieurs, je renoncerai à la parole. J'avais l'intention de parler dans le même sens que l'honorable M. d'Elhoungne, et il a dit à peu près tout ce que j’avais l'intention de dire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Nous ne pouvons laisser sans réponse l'interprétation donnée par l'honorable M. d’Huart, interprétation qui tire un caractère de gravité de la qualité d'ancien ministre de l'honorable rapporteur.

L'honorable M. d'Huart pense que si nous supprimons l'article 2, nous supprimons le timbre sur toutes les affiches et annonces. Il n'en est rien : les affiches qui circulent pour les concerts, pour les théâtres, pour les marchands, continueront à être assujetties au timbre. Il ne sera pas possible de confondre dans la pratique de pareilles annonces avec une feuille périodique.

Dès lors toutes ces annonces isolées qui sont distribuées dans le public ou affichées continueront à être assujetties au timbre.

Ce n'est pas que je veuille défendre en principe ce timbre appliqué aux annonces ; je crois que si nous pouvions le supprimer, nous rendrions un grand service aux industries et notamment à l'industrie des imprimeurs. C'est encore une gêne ; mais nous ne pouvons malheureusement supprimer toutes les gênes qui pèsent sur les contribuables.

M. de Mérode. - Messieurs, tantôt par une raison, tantôt par une autre, on supprime les recettes du trésor public, et précisément les recettes que les contribuables payent sans que le percepteur vienne fouiller dans leur bourse par la contrainte.

Il y a des journaux qui ont beaucoup plus d’annonces que d’autres, et qui ne sont pas pour cela ceux dont la rédaction est la plus instructive et la plus sérieuse.

Quand on parle de presse, il semble qu’il n’y en ait pas d’autres que les journaux ; cependant la presse la plus véritablement instructive, celle des livres dans lesquels on peut apprendre plus et mieux que dans les feuilles volantes qui se contredisent très souvent d’un jour à l’autre, ne paye rien, et en Belgique les droits de la plupart des auteurs ne chargeant pas les libraires, ceux-ci donnent les volumes à très bon compte.

Je le répète, messieurs, je préfère les impôts libres aux impôts forcés, et quel que soit l’entraînement vers la popularité qui pousse à (page 1766) supprimer les recettes de l'Etat sur les journaux, je ne puis y renoncer dans la situation actuelle de nos finances.

- La clôture de la discussion est demandée et prononcée.

L'article 2 proposé par la section centrale est mis aux voix et rejeté.

Article 3

« Art. 3. La présente loi sera exécutoire le lendemain du jour de sa publication au Moniteur. »

M. Lejeune. - Je propose de substituer le mot « obligatoire » au mot « exécutoire », parce que les lois, du moment où elles sont publiées, sont exécutoires sans être pour cela obligatoires.

- L'article 3 ainsi modifié est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

73 membres sont présents.

65 adoptent.

8 rejettent.

Ont voté l'adoption : MM. d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Haerne, Delfosse, d'Elhoungne, Desaive, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, d'Huart, Dumont, Duroy de Blicquy, Faignart, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Brabant, Bruneau, Cans et Clep.

Ont voté le rejet : MM. de Clippele, de Corswarem, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, Huveners, Orban et Thienpont.

Projet de loi qui rend l'emploi du timbre obligatoire pour les effets de commerce

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, le gouvernement et la section centrale sont parfaitement d'accord sur le but du projet de loi, la convenance et la nécessité de faire produire au droit de timbre des effets de commerce, tout ce qu'il doit légalement produire. Aujourd'hui le plus grand nombre, la presque totalité de ces effets circulent sans être sur papier timbré.

Le gouvernement a pensé que le meilleur moyen d'éviter que la loi continue à être ainsi violée, ce qui, abstraction de la perte pour le trésor, est une chose très regrettable, c'est de déclarer nuls les effets écrits sur papier libre.

Comme vous l'avez vu dans le rapport de l'honorable M. d'Huart, la section centrale a examiné et discuté cette question de savoir quel est le meilleur moyen d'atteindre le but, et, après en avoir délibéré, elle a écarté, par 4 voix contre 3, le mode proposé par le gouvernement, qui est d'attacher à l'emploi du timbre la condition substantielle de la validité des effets négociables.

Je persiste à regarder cette mesure comme bonne et efficace, et, suivant moi, elle n'est en aucune façon entachée d'immoralité, et elle n'aurait pas été l'objet de plus vives objections que celles qui attendent peut-être l'ensemble des mesures proposées par la section centrale ; toutefois, pour ne pas engager une longue discussion sur ce point, ce qui, en ce moment, conduirait à l'ajournement du projet, le gouvernement est disposé à se rallier aux amendements de la section centrale.

On a dit tout à l'heure, que le projet sur la suppression du droit de timbre des journaux produirait un déficit considérable dans les recettes de l'Etat ; cela est vrai, et je crois aussi que, par suite de la progression successive de cette recette, elle était bien près d'atteindre le chiffre de 500,000 fr. ; mais, messieurs, lorsque nous avons présenté ce projet de loi, nous l'avons accompagné de celui qui est maintenant en discussion et si les mesures répressives de la fraude, telles qu'elles sont modifiées par la section centrale, sont efficaces, elles suffiront pour couvrir et le déficit résultant de la loi relative au droit de timbre des journaux et celui qui résultera momentanément de la réforme postale proposée par M. le ministre des travaux publics.

Je pense même qu'il y aura un excédant à la condition, je le répète, que les nouvelles mesures soient efficaces. C'est donc cette efficacité qui doit être l'objet spécial, je dirai mieux exclusif du projet de loi. Son caractère est d'être obstatif à la fraude, à cette fraude qui est devenue la règle en matière de timbre des effets de commerce, personne ne le nie, et qui conduit à cette conséquence fâcheuse qu'une traite, qui est conforme à la loi parce qu'elle a été créée sur papier timbré, est frappée de suspicion ; on craint qu'elle ne sera pas payée. Il faut faire cesser cette impression défavorable ; il faut assurer au trésor l'impôt que le législateur a entendu lui assurer.

On nous rendra la justice de reconnaître qu'en venant proposer deux lois qui sont de nature à réduire les recettes, nous avons rempli notre devoir d'apporter en même temps la compensation, en faisant cesser la cause des pertes, que l'état actuel de la législation sur le timbre n'a pas pu prévenir.

M. Manilius. - Messieurs, je dois déclarer, comme membre de la section centrale, que je n'ai pu admettre tous les amendements qu'elle a proposés et auxquels le gouvernement vient de se rallier. Je suis très disposé appuyer des mesures tendant à ce que le papier timbré soit employé pour les billets à ordre et les billets de circulation ; mais lorsque nous venons de porter une loi très libérale comme celle qui a été votée il y a un instant, je désire aussi que les lois fiscales conservent autant que possible un caractère de libéralité. Ce sont notamment les articles 5 et 6 que je désapprouve, et je déclare formellement que si ces articles devaient obtenir l'assentiment de la chambre je serais forcé de voter contre la loi.

J'espère que le gouvernement qui vient de prononcer des paroles si favorables à l'industrie de la presse, qui a si bien apprécié la gêne où se trouvait cette industrie, comprendra aussi que le commerce ne doit pas être soumis à la gêne que des lois aussi fiscales feraient peser sur lui.

Je le répète, si les articles 5 et 6 sont maintenus, je repousserai la loi par un vote négatif.

M. Osy. - Messieurs, j'ai voté avec plaisir le premier projet de loi, mais je vois avec peine qu'on veut faire peser entièrement sur le commerce le grand dégrèvement que nous avons accordé à la presse. Je trouve, messieurs, dans l'article 3 la plus grande injustice que nous puissions commettre. Avant 1839 celui qui avait créé un effet sur papier libre, était seul soumis à l'amende. En 1839 nous avons étendu l'amende au premier endosseur ou à l'accepteur. J'ai trouvé cette mesure très juste parce que l'on peut refuser d'accepter ou de recevoir un effet sur papier libre lorsqu'il n'a pas encore circulé ; mais lorsque l'effet a circulé pendant deux ou trois mois, lorsqu'il a déjà reçu 5 ou 6 signatures et qu'il est envoyé en recouvrement quelques jours avant l'échéance, que peut faire celui à qui il est adressé ? Le refuser ? Recourir à tous les endosseurs et leur dire : Il faut un effet sur timbre ? Mais, messieurs, c'est impossible, et cependant d'après le projet, si j'ai mis mon acquit sur cet effet j'encourrai l'amende, moi le dernier signataire qui ne suis coupable en rien, qui ne pouvais pas refuser l'effet, sans compromettre les intérêts, peut-être, de celui qui me l'envoyait.

Messieurs, je suis ennemi juré de toute fraude, je voudrais qu'on trouvât un moyen pour qu'il n'y eût plus un seul effet non timbré en circulation, pour que tous les effets soient faits sur papier timbré, aussi bien ceux qui sont faits à l'étranger que ceux qui sont faits dans le pays. Si j'avais trouvé ce moyen, je me serais empressé de l'indiquer ; mais je l'ai cherché en vain, car enfin, si un effet est tiré de la Belgique sur l'étranger, ou bien de l'étranger sur la Belgique, il ne paye pas le timbre, personne ne fait timbrer, et c'est une véritable fraude, mais le moyen d'y pourvoir, je ne le trouve pas.

Je serai forcé de voter contre la loi, si on ne parvient pas à changer l'article 3.

Maintenant, quant à l'article 5, comme l'a fort bien dit l'honorable M. Manilius, l'exécution de cet article donnera lieu à une véritable inquisition. Il est impossible que, dans un pays régi par des institutions aussi libérales que la Belgique, on adopte l'article 3 et l'article 5 du projet de loi.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, il n'est pas exact qu'il y ait aggravation de charge pour le commerce, il y a, au contraire, dégrèvement à son profit. L'article premier du projet de loi réduit le droit pour les effets négociables inférieurs à mille francs et à partir de cette somme, le droit sera de un demi par mille, soit cinquante centimes par mille francs, au lieu de soixante centimes, qu'impose la loi de 1839.

Quel est le but du projet de loi en discussion ? C'est d'établir en faveur du trésor une compensation pour deux avantages, à son détriment, qui sont faits au commerce. Certainement que la fixation du port des lettres à 20 centimes, comme maximum, sera principalement au profit du commerce ; la suppression du droit de timbre sur les journaux ne lui est pas indifférente ; car quel est le négociant qui ne soit pas obligé de s'abonner à un ou deux journaux du pays ? Or, messieurs, il n'est pas possible que le ministère songeât à faire passer de pareilles dispositions dans la législation, quelle que soit leur opportunité, sans mettre à côté des moyens d'assurer au trésor des recettes au moins équivalentes. Dans des temps ordinaires nous en eussions agi ainsi ; à plus forte raison, fallait-il le faire dans les circonstances présentes. Le commerce n'est pas fondé à se plaindre. Il recevra une ample compensation et de plus il payera moins pour les effets qu'il crée ; mais, je l'espère, il payera.

M. Mercier. - Messieurs, les observations pleines de justesse faites par l'honorable S. de Mérode, constatent de nouveau ce fait, que, sous un prétexte ou sous un autre, on trouve toujours moyen de refuser les augmentations d'impôts. Mais ici il n'y a pas augmentation, il y a dégrèvement ; mais ce qu'on ne veut pas accorder, c'est le moyen d'assurer la recette au trésor. On parle de vexations ; mais il n'y aura pas de vexations si l'on se soumet à la loi.

L'honorable M. Osy dit que le dernier endosseur payera l'amende. Quand on saura que la loi doit être exécutée rigoureusement, que tous les endosseurs du billet doivent acquitter le droit du timbre et de l'amende, on se gardera d'écrire encore des effets sur des papiers non timbrés.

Si l'on n'adopte pas cette mesure, on n'aura pas de moyens coercitifs pour exécuter la loi, et l'on n'aura pas le produit que l'on a en vue.

M. d'Huart, rapporteur. - Messieurs, il me semble que lorsque le pouvoir législatif stipule une obligation à la charge des citoyens, il faut que cette obligation soit remplie et que force reste à la loi.

Maintenant devons-nous avoir pitié de ceux qui contreviendront à la loi ? Je ne le pense pas ; tous ceux qui participent à la fraude, n'importe à quel degré, sont également coupables. Ainsi, le quatrième ou le cinquième endosseur est aussi coupable que le second ou le troisième, (page 1767) attendu qu'il dépend de lui de prévenir l'amende, en soumettant le billet à la formalité du timbre.

- La discussion générale est close.

On passe aux articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Le droit de timbre des effets négociables ou de commerce, des billets et obligations non négociables et des mandats à terme ou de place en place, est fixé :

« Pour ceux de deux cents francs (fr. 200) et au-dessous, à 0 fr. 10.

« Pour ceux de plus de deux cents francs jusqu'à cinq cents francs (fr. 500), à 0 fr. 25

« Pour ceux de plus de cinq cents francs jusqu'à mille francs (fr. 1,000), à 0 fr. 50

« Pour ceux au-dessus de mille francs jusqu'à deux mille francs, (fr. 2,000) inclusivement, à 1 fr.

« Et ainsi de suite à raison de cinquante centimes par mille francs, sans fraction »

M. T’Kint de Naeyer. - Je crois qu'il eût été préférable d'ajourner la discussion d'une loi qui atteindra vivement le commerce et l'industrie. Puisque la chambre en décide autrement, je ferai observer que le meilleur moyen de rendre les droits sur le timbre réellement productifs serait de les réduire au point de ne plus laisser le moindre appât à la fraude.

Les réductions proposées sont trop peu importantes pour faire cesser les abus que l'on veut réprimer ; je crois que ces abus continueront à exister sous le nouveau régime aussi bien que sous l'ancien.

Je ne crains pas de prédire que l'Etat ne trouvera pas l'augmentation de recette sur laquelle il semble compter. Je proposerai donc, messieurs, de réduire le droit à 10 centimes pour les effets en dessous de 500 francs et à 25 centimes pour les effets de 500 à 1,000 francs, avec augmentation de 25 centimes par chaque mille francs.

L'expérience a démontré qu'en matière d'impôts les réductions sont souvent plus productives que les aggravations. La réforme postale en Angleterre en fournit un exemple frappant.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Ne perdons pas de vue, messieurs, que l'article premier consacre une réduction d’un sixième sur le droit actuel. Je ne pense pas que les circonstances soient favorables, pour que nous allions plus loin en ce moment. Je n'ai pas la même confiance dans l’effet d'une réduction plus large sur la rentrée de l'impôt du timbre. Ici l'opinion que les diminutions de droits sont plus productives que les aggravations pourrait fort bien être en défaut ; il faudrait probablement descendre extrêmement bas pour enlever tout appât à la fraude, s'il n'y a pas d'autre frein. L'adoption de l'amendement annoncé aurait donc pour résultat probable d'annuler la compensation que nous cherchons. Il est prudent d'attendre que l'habitude de l'emploi du papier timbré dans les cas où il est prescrit soit devenue la règle au lieu de la rare exception qu'il est à présent, avant de s'occuper d'un dégrèvement plus fort, surtout, je le répète, dans les circonstances actuelles.

Je conclus au maintien de l'article premier, tel qu'il est adopté par la section centrale. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - La parole est à M. Gilson.

Des voix nombreuses. - La clôture !

M. Gilson. - Je n'occuperai la chambre, que pendant deux minutes. J'appuierai la proposition de l'honorable M. T'Kint de Nayer. Ces effets, à l'intérieur du pays, sont très nombreux.

Si vous voulez atteindre le but, vous ne pouvez pas trop abaisser le taux du timbre, parce que, sans cela, quoi que vous fassiez, il y aura fraude. La fraude sera d'autant plus considérable que le taux sera plus élevé. Les petites sommes sont les plus nombreuses ; si vous ne mettez pas le timbre très bas elles vous échapperont toutes, tandis qu'elles vous rapporteront beaucoup si le timbre est minime. J'appuie donc la proposition de M. T'Kint. Aujourd'hui il n'est pas un seul des petits effets de commerce qui soit timbré. (Interruption.) Je sais que la loi impose l'obligation qu'ils le soient, mais si la loi était exécutée, vous ne chercheriez pas à lui donner une sanction plus forte.

Messieurs, ne frappez pas le commerce au moment où vous venez de dégrever une industrie, quelque respectable qu'elle soit.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - J'ai demandé la parole pour faire une seule observation en réponse à l'honorable M. Gilson. L'honorable membre paraît avoir l'intention de combattre le projet de loi et s'écrie qu'il ne faut pas frapper le commerce tandis qu'on dégrève d'autres industries. En vérité ces paroles sont étranges en face d'une proposition du gouvernement qui a précisément pour objet un dégrèvement ! Car ce n'est pas un nouvel impôt qu'on proposerais la réduction d'un impôt existant ; seulement on veut en assurer la recette. Et dans quel but ? Pour faire face à deux autres dégrèvements proposés par le gouvernement : l'impôt du timbre que vous venez d'abolir et la réforme postale qui tourne très directement au profit du commerce. Qu'on ne dénature donc pas la pensée du gouvernement. Il veut opérer des réductions. M. T'Kint de Naeyer veut faire davantage. Nous croyons que c'est trop. Il ne faut pas, au moment où les finances ne sont pas dans une situation très brillante, opérer des réductions sans être assuré d'une juste compensation.

M. Cogels. - Depuis de longues années, et déjà sous l'empire, la loi du timbre s'exécutait avec une grande tolérance, c'est-à-dire qu'on n'usait jamais de rigueur ; on n'avait recours à aucune mesure inquisitoriale, on n'appliquait guère l'amende qu'aux effets soumis au protêt. En effet, pour toutes les personnes qui ont été habituées aux affaires de banque, c'est un fait connu que la plus grande partie des effets de commerce ne sont pas sur timbre, particulièrement les effets à courts jours ou non sujets à acceptation. Si vous maintenez le timbre actuel, vous ne percevrez rien pour les recouvrements, parce que le timbre, si minime qu'il soit, est quelquefois double du prix du transport des espèces. Ainsi pour un effet sur Gand où Anvers, tandis que le timbre est d'un demi pour mille, le transport des valeurs par les messageries pour de fortes sommes n'est que d'un quart pour mille. Vous concevez que cet impôt est très considérable, mis en présence des bénéfices des banquiers qui sont tellement réduits qu'on travaille pour 1/16 à 1/8 p. c. Si vous voulez avoir des produits, vous devez diminuer le timbre ; on ne l'éluderait pas, mais on ne ferait pas usage du billet, et une grande partie du revenu vous échapperait.

M. d'Huart. - Permettez-moi, messieurs, quelques explications. Il ne s'agit pas d'aggraver la situation du commerce, mais au contraire de réduire d'une manière très notable le timbre qui lui est imposé aujourd'hui ; il s'agit d'ajouter une réduction à une antre réduction déjà accordée au commerce en 1839. En 1839, le timbre des effets de 200 francs et au-dessous, qu'on propose de fixer à 10 centimes, a été réduit à 15 centimes, de 38 qu'il était. Ainsi qu'on ne vienne pas prétendre que nous aggravons la position du commerce, quand au contraire nous lui accordons une réduction considérable de l'impôt existant, déjà beaucoup réduit il y a quelques années.

Si, dit-on, vous réduisez le chiffre du droit vous le percevrez sur de plus larges bases. Je crains que ce soit là une grande erreur. Par la loi du 21 mars 1839, on a réduit le droit sur les effets de commerce de plus de moitié, de 38 à 15 centimes ; or, quand on compare les produits antérieurs à 1839 et les produits postérieurs, on voit une réduction considérable dans cette catégorie des revenus du timbre.

Ainsi, en 1836, le produit du timbre des effets de commerce au timbre de 38 centimes était de 48,941 fr. et en 1846, ce même timbre, réduit à 15 centimes, ne rapportait plus que 20,722 fr.

Ensuite, si on passe à la catégorie suivante, au timbre de 30 cents, on trouve qu'avant 1839, la deuxième catégorie produisait 87,311 fr., tandis qu'en 1846, le timbre réduit à plus de moitié, à 30 centimes, elle ne produisait plus que 16,538 fr. Qu'on ne prétende donc pas qu'en réduisant considérablement l'impôt du timbre, on assure incontestablement l'augmentation des recettes du trésor.

J'ajouterai que s'il est vrai qu'une sanction efficace sera assurée à la perception de l'impôt, par la loi nouvelle, nous sommes tout aussi assurés de percevoir le droit sur autant de feuilles à 10 centimes, que sur celles réduites à raison de 5 centimes. En présence de la pénurie du trésor, de la réduction successive de ses ressources, je ne saurais pour mon compte, aller au-delà des propositions du gouvernement.

M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. T'Kint de Naeyer.

Il est ainsi conçu :

« Art. 1er. Le droit de timbre des effets négociables ou de commerce, etc., etc., est fixé :

« Pour ceux au-dessus de 800 fr. à fr. 0 10

« Pour ceux de 500 jusqu'à 1,000 fr. à fr. 0 25

« et ainsi de suite, à raison de 25 c. par mille francs sans fraction. »

- Cet amendement n'est pas adopté.

L'article premier du gouvernement est adopté.

Article 2

M. le président. - Nous passons à l'article 2.

« Art. 2 (nouveau, proposé par la section centrale). Par dérogation au n° 2, paragraphe 2, article premier, de la loi du 21 mars 1839, le droit de timbre sur les bons de caisse qui n'excèdent pas la somme de cinq francs, est réduit à un centime. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il est bien entendu que l'article du projet du gouvernement n'est supprimé que provisoirement, et que si le moyen équivalent proposé par la section centrale venait à être repoussé, le gouvernement reviendrait aux moyens qu'il avait proposés.

M. le président. - Evidemment !

Article 3

« Art. 3 (nouveau). L'amende prononcée par les articles 10 et 11 de la loi du 21 mars 1839, sera encourue individuellement, et sans recours, par tous ceux qui, à quelque titre que ce soit, auront apposé leur signature sur des effets négociables, billets à ordre, mandats à terme et de place en place, non revêtus du timbre prescrit.

« La même amende sera encourue par tout agent de change ou courtier qui aura prêté son ministère à des négociations relatives auxdits effets, billets et mandats. »

M. Osy. - Je propose de remplacer cet article par une disposition ainsi conçue :

« Par dérogation aux articles 10 et 11 de la loi du 21 mars 1839, les amendes fixées au 20ème sont portées au 10ème. »

A mes yeux, la disposition proposée par la section centrale constitue une véritable injustice. Je sais que l'on me répondra qu'on n'a qu'à timbrer et à faire payer l'amende avant d'endosser. Mais c'est une véritable dénonciation ; car si je ne veux pas accepter un effet sur papier libre revêtu de cinq endossements, si je le fais timbrer, il est bien évident que je dénonce le souscripteur du billet et les cinq endosseurs.

(page 1768) La loi du 21 mars 1839 soumet à l'amende d'un vingtième à défaut de timbre l'accepteur d'une lettre de change et à défaut d’accepteur, le premier endosseur ; je propose de porter l'amende à un dixième et d’en rendre passible le créateur du billet et le premier endosseur. Les autres seraient frappés injustement. Ma proposition sera, je crois, plus efficace que celle de la section centrale. En effet, quand l'amende aura été encourue par cinq personnes ; on reculera devant une dénonciation :on refusera donc le billet, et l’on courra le risque de l'amende.

M. Mercier. - Je désire bien préciser le sens de cet article. Avant d'endosser l'effet, il est toujours loisible de le faire timbrer. L'honorable membre dit que ce serait dénoncer les précédents endosseurs. Mais on est toujours libre de ne pas accepter l'effet. En le faisant timbrer, on remplit une obligation de la loi. Je ne vois pas là une dénonciation.

Quant à l'amendement de l'honorable M. Osy, il serait, j'en suis convaincu, tout aussi inefficace que la législation actuelle, sous l'empire de laquelle on ne fait, pour ainsi dire, timbrer aucun effet.

M. Cogels. - Il y aura impossibilité de se soustraire aux effets de l’amende pour celui qui recevra un billet non timbré sur lequel il y aura déjà trois ou quatre endossements. L'honorable rapporteur a dit qu'on pourra se soustraire aux effets de l'amende en faisant timbrer le billet, mais lorsqu'il présentera l'effet, on y trouvera les signatures de quatre personnes, qui auront encouru l'amende. Quelle sera la position du dernier preneur ? Il devra se dessaisir de l'effet, ou il devra débourser l'amende pour les quatre individus. Ou bien admettez-vous qu'on laissera l'effet entre ses mains et qu'on se bornera à dresser procès-verbal ; sauf à l'exécuter dans les différentes parties du pays où se trouvent les endosseurs ? Ce serait extrêmement difficile. Je dis donc que, pendant quelque temps, le négociant sera privé de son effet ; il n'y a pas le moindre doute à cet égard.

La proposition du gouvernement avait été prise dans la législation anglaise ; mais on avait rendu la loi plus sévère qu'elle ne l'est en Angleterre. .On a perdu de vue qu'en Angleterre ne sont soumis au timbre que les effets créés dans le pays. Les effets créés à l'étranger soumis à l’acceptation en Angleterre sont exempts du timbre. Ici vous soumettez au timbre non seulement les effets créés en Belgique, mais encore les effets qui ne font que transiter en Belgique.

Je suppose une lettre de change de Paris sur Londres, remise à un négociant de Bruxelles, endossée par lui à un autre négociant de Bruxelles qui l'a fait encaisser à Londres. Si cet effet tombe entre les main du fisc, il y a amende s’il n'est pas timbré. A .moins que l'agent de change ne viole la loi, il faut qu'il fasse timbrer cet effet rien que pour ce transit. Vous concevez, :messieurs, que ceci est exorbitant.

Ainsi la loi est beaucoup trop sévère ; elle est plus sévère que la loi anglaise et .vous rencontrerez des difficultés beaucoup plus grandes dans l'exécution.

Voilà les observations que j'avais à faire contre l'article 3 que je ne saurais admettre en aucune manière.

Vous voulez soumettre à l'amende le courtier ; mais bien souvent le courtier n'a pas vu l'effet. Evidemment le courtier ne pourra demander au négociant de lui exhiber l'effet avant la négociation. Ainsi la convention conclue, il devrait la rejeter. Vous ne pouvez mettre le courtier dans cette position. Souvent le négociant envoie directement les effets par son commis au preneur et le courtier ne les voit pas. Pouvez-vous mettre le courtier dans la position délicate d'aller dénoncer le négociant ?

C'est une disposition que je ne puis admettre et je crois que la majorité de la chambre concevra que, dans un intérêt de moralité, elle doit le repousser.

M. d'Huart, rapporteur. - L'honorable M. Cogels pense que la section centrale vous propose ici quelque chose de bien exorbitant, de beaucoup plus sévère que la loi anglaise elle-même. L'honorable membre est dans une erreur complète. Je demanderai à la chambre la permission de lui lire un article de la loi anglaise, et elle verra que cette loi frappe d'une pénalité beaucoup plus forte tous ceux qui ont participé d'une manière quelconque à la création du billet. Cet article est ainsi conçu : « Georges III. -Chapitre 184, section 11. Toute personne qui fait, signe ou émet; ou aide à faire, signer ou émettre ; paye ou accepte, aide ou permet de payer ou d'accepter une lettre de change, traite ou billet à ordre, ou une simple promesse ayant pour objet un payement en numéraire, sera passible d'une amende de cinquante livres pour chaque acte non revêtu de timbre. »

Vous voyez, messieurs, que la loi anglaise est beaucoup plus sévère que ce que nous vous proposons.

L'honorable M. Cogels demande si le billet créé en Angleterre, et qui ne ferait que transiter par la Belgique, devra être timbré. Mais nous ne nous occupons pas des billets créés à l'étranger et qui ne font que transiter chez nous. Il ne s'agit que des billets qui sont créés à l'étranger pour être payés ou endossés en Belgique, et des billets créés en Belgique pour être payés à l'étranger. Mais vous ne trouvez nulle part que le billet qui transite par la Belgique soit passible du droit ; à moins cependant qu'il n’y soit négociable. Dans ce cas il doit être soumis avant tout au timbre, mais sans exposer personne à aucune amende.

L'honorable M. Cogels s'étonne que l'on veuille atteindre l'agent de change et le courtier qui aura prêté son ministère à un acte illégal. Oui, messieurs, nous le voulons et cela est fort juste ; que ces fonctionnaires publics refusent leur ministère, qu'ils n’acceptent pas d'acte fait en infraction à la loi et ils seront parfaitement tranquilles.

On trouve que le troisième, que le quatrième endosseur n'est pas coupable. Mais évidemment c’est un complice du premier et du second endosseurs. Qui donc les oblige à accepter un billet non-timbré, quand il leur suffit de le faire timbrer pour éviter toute pénalité ?

Les objections élevées contre l'article en discussion tendent à atténuer, à l'égard de ceux qui éluderaient la loi, les rigueurs de la sanction proposée ; mais elles sont inadmissibles près de ceux qui, comme nous, désirent que lorsque le législateur a prescrit à nos concitoyens de se soumettre à telle ou telle disposition, ceux-ci s’exécutent nettement, et ne puissent l'éluder en aucune espèce de manière.

M. de Haerne. - J'avais l'intention de parler dans le même sens que l'honorable M. Cogels et de faire voir les inconvénients qui pourraient résulter de la mesure en discussion. Mais en présence des observations de l'honorable M. d'Huart qui nous font connaître que la disposition n'est pas applicable aux effets qui ne font que transiter par la Belgique, je renonce à la parole.

Je dois toutefois déclarer que j'avais compris l'article comme l'honorable M. Cogels, et je crois que beaucoup d'autres membres l'avaient compris comme nous. Je désirerais que M. le ministre s'expliquât à cet égard.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Nous restons tout à fait dans les termes de la loi de 1839 ; nous cherchons .seulement à la rendre plus efficace.

M. Loos. - La déclaration que vient de faire M. le ministre des finances ne me paraît pas une confirmation de ce que vient de dire l'honorable M. d'Huart. A propos d'une difficulté qui était soulevée, l'honorable rapporteur de la section centrale a dit que les effets tirés de l'étranger sur l'étranger et transitant par la Belgique, ne devront pas être soumis au timbre. Je voudrais que le gouvernement s'expliquât sur ce point d'une manière catégorique. Les explications que vient de donner M. le ministre des finances ne me paraissent pas décider la question, et je voudrais une déclaration plus positive.

Tous les jours des effets de l'étranger sur l'étranger passent entre les mains du commerce belge ; je suppose un effet de Londres sur Paris, endossé à une maison d'Ostende, négocié par la maison d'Ostende à une maison de Bruxelles, et négocié par la maison de Bruxelles à une maison d'Anvers, pour être finalement envoyé à Paris. Vous voyez qu'il y a des endosseurs belges. Faut-il un timbre ?

M. d'Huart, rapporteur. - Oui ; mais il n'y a pas d'amende.

M. Loos. - On me dit : Oui, mais il n'y a pas d'amende. Mais je ne fais pas timbrer cet effet ?

M. d'Huart. - Il y aura une amende.

M. Loos. - Eh bien, messieurs, je.ne regrette pas d'avoir soulevé ce débat. Car de ce qu'avait dit l'honorable rapporteur, on pouvait conclure qu'il ne fallait pas de timbre et conséquemment qu'on ne pouvait être soumis à l’amende pour ne pas avoir fait timbrer.

Quant à moi, je ne combattrai pas les mesures, quelque rigoureuses qu'elles soient, qui sont proposées par la section centrale pour combattre la fraude qui se pratique pour échapper à l'impôt. J'ai déjà soutenu dans cette enceinte les mesures proposées par le gouvernement pour assurer la perception des impôts. J'ai été combattu alors par quelques honorables membres qui aujourd'hui soutiennent avec force les mesures proposées par la section centrale pour réprimer la fraude.

J'espère que bientôt une autre occasion se présentera de donner au gouvernement les moyens de combattre la fraude et d'assurer la perception intégrale d'un impôt voté par les chambres ; j'espère qu'alors j'aurai pour auxiliaires ces honorables membres et qu'ils appuieront, avec autant de force qu'ils le font aujourd'hui, les mesures qui pourront être présentées par le gouvernement. Mais je regrette de devoir le dire, il n'en a pas été ainsi dans une circonstance récente.

Quant à moi, dès qu'un impôt est établi par le libre vote de la législature, je ne refuserai jamais au gouvernement les moyens d'en assurer la perception. Je ne m'opposerai donc pas, messieurs, à la plupart des mesures que le projet renferme, bien qu’il y en ait de fort rigoureuses ; seulement lorsque nous serons arrivés à l'article 5, je serai forcé de le combattre, parce que j'y trouve des rigueurs inutiles, j'ai presque dit, des dispositions immorales.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs, la question est de savoir si un effet tiré de l’étranger sur l’étranger et passant par la Belgique, où il a été l'objet d'une négociation, est soumis au timbre et, par conséquent, si ceux qui l'ont endossé sans avoir préalablement accompli cette formalité sont passibles d'amende. Cette question doit être résolue affirmativement, si avant toute négociation en Belgique l'effet n'a pas été soumis au timbre'. Voici en effet ce que porte l'article 11 de la loi du 21 mars 1839 :

« Lorsqu'une lettre de change ou un billet à ordre venant de l’étranger aura été accepté ou négocié en Belgique, avant d'avoir été soumis au timbre, ou au visa pour timbre, l'accepteur et le premier endosseur résidant en Belgique, seront tenus chacun d'une amende du vingtième du montant de l'effet. »

C'est la même amende que celle qui est comminée par l'article 10 de la loi contre l'accepteur d'une lettre de change, sur papier libre, créée en Belgique.

D'après le projet de la section centrale, le principe des articles 10 et 11 continue à subsister, sauf qu'on en modifie les pénalités et qu'on étend l'amende à tous les endosseurs. Il résulte évidemment de là que le billet transitant par la Belgique, sans avoir été soumis au timbre, expose à l'amende ceux qui y ont apposé leur signature.

(page 1769) M. d'Huart, rapporteur. - Je n’ai rien à ajouter à ce que vient de dire M. le ministre des travaux publics. C'est absolument là l'explication que j'avais voulu donner. Il est probable que je me serai mal expliqué tantôt, puisque l'honorable M. Loos ne m'a pas compris ainsi.

Quant à l'appel que cet honorable membre a fait,, si c'est à moi qu'il l'a adressée, je l'accepte pleinement, et chaque fois que la législature aura décidé une mesure, je joindrai tous mes efforts à ceux de mes honorables collègues pour que cette mesure obtienne la sanction la plus efficace possible. C'est un devoir pour nous comme pour tous les citoyens de concourir par tous les moyens à l'exécution des lois que la nation porte librement par ses représentants.

- L'amendement de M. Osy est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L’article 3 proposé par la section centrale est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art 4. Les agents de change et courtiers sont tenus de communiquer sans déplacement, aux préposés du l'enregistrement, tous registres, carnets, papiers et documents relatifs à la négociation des effets de commerce à laquelle ils auraient prêté leur ministère, à peine de cinquante francs d’amende pour chaque refus constaté par procès-verbal du préposé.

« Cette communication ne peut être exigée qu'autant que le préposé soit porteur d'une délégation spéciale du ministres des finances. »

M. Raikem. - Messieurs, je me suis prononcé, dans la section centrale, contre la disposition de cet article, et je crois, devoir dire quelques mots pour justifier l’opinion que j'ai émise.

Il faut avouer que cette disposition est véritablement exorbitante. C'est dans un intérêt purement fiscal qu'on propose d'autoriser de véritables visites domiciliaires chez les agents de change et les courtiers. Eh bien, messieurs, au nombre des dispositions concernant la profession d'agent de change, il en est une qui leur prescrit le secret ; c'est celle de l'article 19 de l’arrêté du 27 prairial an X. Eh bien, nous allons édicter une disposition qui est, en quelque sorte, en contradiction avec celle de l'arrêté consulaire de l'an X, car, messieurs, dire que les préposés de l'enregistrement auront le droit de faire des visites chez les agents de change et courtiers, et que ceux-ci seront tenus de leur communiquer toute espèce de documents, c'est véritablement mettre à leur disposition toutes les opérations de ces agents de change et courtiers.

Je sais, messieurs, qu'il y a un correctif dans l'article, que. ces visites et ces demandes de communications ne pourront avoir lieu sans une délégation spéciale du ministre des finances ; mais, de deux choses l'une : ou l'on sera extrêmement réservé dans ces demandes de communication, on ne procédera que très rarement à ces visites, et alors la disposition sera inefficace ; ou bien l'on y procédera souvent, et alors cela pourra dégénérer en vexations. M. le ministre des finances, de son cabinet, ne pourra statuer que d'après les rapports qui lui auront été adressés par les fonctionnaires de son département ; il ne peut agir en quelque sorte que par l'organe de ces fonctionnaires, et dès lors ce seront en réalité les agents de l'enregistrement qui décideront qu'il y a lieu de faire des visites et des demandes de communications. Il vaudrait mieux une disposition générale et absolue, sauf la responsabilité des fonctionnaires.

On a argumenté des mesures que les agents de l'enregistrement peuvent prendre envers les notaires. Mais voyez, messieurs, combien la position est différente : les préposés de l'enregistrement, lorsqu'ils procèdent à des visites chez un notaire, lorsqu'ils se font faire des communications, ces visites, ces communications ont pour objet de constater des contraventions qui, presque toujours, procéderaient, si elles existaient, du fait même du notaire, des contraventions qui seraient commises, le plus souvent, au profit du notaire, car on ne commettra pas une contravention au profit d'un autre en s'exposant aux peines comminées par la loi.

L'honorable M. Cogels faisait observer tout à l'heure qu'il arrivait parfait, assez souvent même, si je l'ai bien compris, que les agents de change prêtaient leur ministère à des négociations, sans qu'ils pussent vérifier si les effets étaient ou non sur timbre.

Cet honorable membre connaît beaucoup mieux cette matière que moi et il est beaucoup plus à même de juger quelle est la portée du ministère des agents de change et des courtiers dans les opérations dont il s'agit. Je ne puis que me référer à son observation ; mais indépendamment de cette observation, je crois que ces visites ne produiront pas une efficacité propre à compenser les inconvénients qui pourront résulter d'une telle mesure.

Je ne puis donner mon assentiment à cette proposition de la section centrale.

- L'article 4 est mis aux voix ; après une double épreuve par assis et levé, il est adopté.

Article 5

« Art. 5. Si, lors de la levée des scellés, il est trouvé des effets, billets et mandats non revêtus du timbre prescrit, le juge de paix les saisira, dressera procès-verbal des contraventions et transmettra le procès-verbal avec des pièces saisies, au receveur de l'enregistrement du ressort, qui est tenu d'en donner récépissé. »

M. Raikem. - Messieurs, pas plus que l'article 4, je n'ai pas cru pouvoir adopter l'article 5 dans le sein de laseclioncentrale.il y a ici, pour rejeter cet article, un motif de plus que pour l'art. 4 qui n'a été, adopté qu'après une double épreuve.

En effet, l'art. 5 transforme en quelque sorte le juge de paix en agent de l'administration des finances ; il doit constater des contraventions à des lois fiscales. ; cela sort complètement des attributions du juge de paix et ne coïncide nullement avec la dénomination qui lui est donnée.

Dans quel cas l’apposition des scellés aura-t-elle lieu le plus souvent ? En cas de faillite et en cas de décès ; il est bien rare qu'il y ait lieu à apposer les scellés dans une autre circonstance.

Eh bien, en cas de faillite, quels seront ceux qui seront soumis à l’amende. Il arrivera assez souvent que ce seront les créanciers de la faillite qui déjà sont exposés à des pertes dans cette même faillite.

En cas de décès (je ne parle que du cas où les héritiers sont des mineurs, parce que c'est le cas où le juge de paix est appelé et qu'on appose les scellés), en cas de décès, si l'on trouve un effet non timbré, souscrit et acquitté par le défunt, les héritiers, du chef de ce billet, ne seront pas soumis à l'amende, car, en matière d'amende, on. connaît la maxime : mors omnia solvit.

Ainsi les héritiers chez lesquels on aura opposé les scellés, ne seront pas soumis à l'amende qui cependant aura été principalement encourue par celui dont ils héritent ; l'amen le devra être payée par des tiers qui auront endossé le billet. Ainsi le porteur qui aura mis son acquit, et cela par une circonstance absolument accidentelle, à savoir qu'à s'agit de mineurs et qu'il a fallu dès lors apposer les scellés, le porteur, dis-je, à raison de cette circonstance, payera l'amende, tandis que dans des successions qui seront échues à des majeurs, ceux-là échapperont nécessairement à l'amende.

Je conçois que s'il était possible d'agir de même à l'égard de tous, on devrait admettre tous les moyens d'empêcher qu'on n'élude les droits du trésor. Mais ici véritablement il y aura des distinctions.

Je crois que cette mesure ne sera nullement efficace,, et qu'elle atteindra exceptionnellement quelques personnes qu'on frappera pour ainsi dire au hasard. Je ne saurais adopter une telle disposition pas plus que je n'ai pu donner mon assentiment à l'article 5.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable préopinant fait deux objections ; l'une peut se résumer ainsi : comme nous ne pouvons atteindre toutes les fraudes, je refuse d'atteindre aussi les personnes à l'égard desquels les fraudes peuvent être constatées. L'honorable membre dit : En cas de décès, lorsque le juge de paix sera appelé, s'il y a des mineurs, on pourra constater les contraventions et l'amende sera payée ; mais dans le même cas, lorsqu'il n'y a que des majeurs, on n'appellera pas le juge de paix ; il n'y a pas obligation d'apposer les scellés ; l'amende qui aura été encourue ne sera pas recouvrée.

Messieurs, la loi cherche à atteindre la fraude autant que possible ; il serait désirable qu'on pût l'atteindre dans tous les cas. Mais de ce qu'on ne peut pas l'atteindre dans tous les cas, il ne s'ensuit pas qu'on doive priver le fisc d'un moyen de l'atteindre, lorsqu'on peut la saisir.

En cas de faillite, il est bien vrai une ce sont les créanciers qui payeront l'amende, parce que l'actif sera diminué de l'amende qui sera due. Mais le fisc sera alors précisément dans la position d'un, créancier et d'un créancier privilégié, et il l'est pour d'autres choses, même en cas de faillite. Par conséquent, il n'y a pas de raison pour diminuer le privilège du trésor, privilège qui s'applique aux autres contributions.

L'honorable membre a fait une autre objection. Il a dit que, par une espèce d'anomalie, on allait transformer le juge de paix en un agent fiscal, en l'obligeant de constater des contraventions et de dresser des procès-verbaux.

Il me semble, messieurs, que nous pouvons trouver, sous ce rapport, des analogies dans la législation existante. L'honorable membre, qui a une connaissance si approfondie des lois, a perdu de vue qu'en matière de timbre et d'enregistrement une disposition en vigueur défend aux juges de statuer sur pièces non timbrées et enregistrées et les rend personnellement responsables s'ils statuent sur des pièces en cet état. Voilà donc des juges envisagés comme complices d'une contravention à. une loi fiscale, s'ils ne veulent renvoyer les parties à payer les droits, et même une amende. Cela est fiscal, sans doute, mais on ne s'en est pas effrayé. C'est une disposition analogue qui a été introduite par la section centrale dans la disposition qui vous est soumise.

M. Loos. - Je partage l'opinion émise par l'honorable M. Raikem. Je ne reproduirai donc pas les arguments qu'il a présentés. Je dirai seulement que la disposition proposée ne peut en définitive rapporter par an 200 francs à l'Etat. Je ne voudrais pas consacrer une pénalité en quelque sorte posthume, puisque c'est après le décès du délinquant qu'on prononcerait contre ses héritiers et contre des tiers qui auraient été ses complices», Et c'est pour un aussi faible produit que celui que je viens d'indiquer qu'on irait consacrer un pareil principe dans la loi. Pour moi je ne puis y consentir.

M. Osy. - Je vois dans la proposition qui vous est soumise une véritable inquisition. S'agira-t-il de mortuaire de faillite ? Tous les effets remontant à 4 ans et 11 mois, c'est-à-dire, n'ayant pas atteint la prescription quinquennale, qu'on trouvera, devront payer l'amende ; cette amende atteindra non seulement la faillite ou les héritiers, mais tous les endosseurs.

Nous voulons faire des lois radicales et nous reculons d'un siècle.

M. Raikem. - Je n'ai pas demandé la parole pour rentrer dans la discussion, mais pour répondre un mot sur cette observation de M. le ministre des travaux publics, que les juges seraient appelés à constater des contraventions fiscales ; je ne connais aucune disposition de loi qui charge les juges de constater des contraventions en matière fiscale. Il est vrai qu'ils ne peuvent pas juger, prononcer sur pièces non timbrées et (page 1770) enregistrées. Qu'en résulte-t-il ? Qu'ils s'abstiennent de prononcer tant que les pièces ne se trouvent en état, mais ils ne sont pas chargés de constater la contravention. Telle serait cependant la mission qu'on voudrait donner aux juges de paix.

M. d'Elhoungne. - J'ai demandé la parole pour être bien fixé sur le sens de l'article 5. D'abord cet article s'applique, non à l'opposition, mais exclusivement à la levée des scellés. Ce n'est pas quand le juge de paix ira apposer les scellés, mais quand il les lèvera, qu'il sera possible de constater l'existence de billets non revêtus du timbre. Maintenant voici la question que je poserai : si la levée des scellés est pure et simple, si l'on ne procède pas à la rédaction d'un inventaire, le juge de paix aura-t-il le droit de fouiller, de rechercher, pour découvrir s'il n'existe pas dans les papiers de la mortuaire des billets non timbrés ? Si c'est là la portée de la loi, elle introduit un droit nouveau dans notre législation. Aujourd'hui, quand le juge de paix procède à la levée des scellés sans qu'on fasse d'inventaire, il ne doit pas, il ne peut pas se livrer à des perquisitions.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Il en sera encore de même.

M. d'Elhoungne. - Si c'est comme cela que l'article doit être entendu ; s'il n'y a pas de perquisitions à faire par le juge en cas de levée pure et simple, alors l'article ne sera applicable qu'au seul cas où le juge de paix lèvera les scellés pour procéder à un inventaire et que des effets de commerce non revêtus du timbre passeront sous ses yeux.

Mais quel sera donc l'effet de votre loi ? La levée pure et simple est permise dans presque tous les cas, le tuteur même a le droit de requérir la levée pure et simple des scellés et de faire un inventaire en l'absence du juge de paix. Dans presque tous les cas on pourra donc se soustraire à la loi. Le juge de paix n'aura guère à constater de contraventions ; dès lors votre disposition ne sera pas efficace au point de vue fiscal. A un autre point de vue, elle ne sera que trop efficace.

Dans un très grand nombre de cas, elle détournera de faire un inventaire authentique, de crainte que le juge de paix ne découvre des effets non timbrés. Il en résultera un grand nombre de procès ; car souvent les procès naissent parce que l'actif des successions ou des masses indivises n'a pas été bien établi ; des intérêts dignes de toute la sollicitude de la société, les intérêts des mineurs seront compromis. Il est difficile d'apprécier, à ce point de vue, la portée de la disposition ; la seule chose qu'on puisse mesurer, c'est le peu d'efficacité fiscale qu'elle aura.

Messieurs, quand nous examinons une loi aussi rapidement préparée, que nous allons voter rapidement aussi, il serait bon de ne pas admettre une disposition qui, fiscalement, ne peut avoir qu'une mince portée, et qui, sous d'autres rapports que j'ai indiqués, pourrait avoir des effets qu'on ne saurait apprécier, et que, tels qu'ils apparaissent déjà, il sera difficile de ne pas regretter.

M. Lebeau. - Il faut remarquer que la section centrale a repoussé une disposition que le gouvernement regardait comme une sanction infaillible, de la loi qui était inscrite dans la loi même. Cependant tout en repoussant cette proposition, la section centrale s'est montrée sans pitié pour les fraudeurs ; elle différait d'opinion sur les moyens avec le gouvernement, mais elle était d'accord avec lui sur le but.

A ses yeux, dans un pays où le vote de l'impôt émane du pays lui-même par l'organe des représentants librement élus, la fraude est un véritable vol. Voilà les sentiments qui animaient la section centrale, et qui la portaient à organiser une sévère répression.

Je ne suis pas d'accord avec l'honorable préopinant sur l'inefficacité de la mesure proposée.

El d'abord l'objection qu'il a faite ne s'applique pas, je pense, au cas de faillite, cas assez fréquent.

Là il y a nécessairement inventaire.

Ce que nous avons voulu, c'est surtout agir par intimidation. Tous ceux qui prennent part à la création ou à la circulation d'un billet sauront qu'ils sont responsables de la fraude du droit de timbre ; ils sauront que, lors d'une levée de scellés, ou par l'intervention du juge de paix dans une faillite, ils seront exposés à payer de fortes amendes.

C'est une raison pour laquelle les banquiers, les courtiers seront amenés à refuser leur ministère à la circulation de billets qui ne seraient pas timbrés.

Il y a dans le commerce un préjugé qu'il faut s'attacher à combattre. Il faut donner à ceux qui sont en rapport avec les commerçants les moyens de le combattre victorieusement. Ce préjugé, c'est qu'on ne peut présenter un billet sur timbre, sans que cela implique l'idée que le négociant sur lequel ce billet est tiré est suspect ; que sa réputation est plus ou moins entachée. C'est ce préjugé qu'il faut détruire, si on le peut.

C'est à l'existence de ce préjugé invétéré qu'est due surtout l'absence de produits du timbre sur les effets de commerce.

On vous a parlé avec raison de l'Angleterre ; car c'est un pays essentiellement commerçant, où l'on est aussi jaloux, plus jaloux peut-être que partout ailleurs de la liberté individuelle. Mais il y a une partie de la législation anglaise, sur le timbre des effets de commerce, devant laquelle vous reculeriez sans doute. Là tout agent de l'administration du timbre peut, avec l'autorisation de la trésorerie, se présenter chez tout banquier et se faire exhiber tous les registres, tous les cartons, pour s'assurer s'il n'y a pas une contravention à la législation sur le timbre.

Voilà ce qui existe encore dans la législation anglaise, et cette disposition n'est pas ancienne ; elle date du règne actuel.

Quant aux pénalités, elles sont bien autrement fortes que celles que nous songeons à établir. C'est souvent à 100 liv. (2,500 fr.) que les amendés se montent ; et elles sont nombreuses ; de plus elles atteignent tous les complices de la contravention.

Ce qu'on vous demande, du reste, existe déjà dans notre législation. Déjà aujourd'hui les préposés de l'enregistrement sont autorisés à faire des visites domiciliaires chez tous les notaires et officiers ministériels qu'ils peuvent supposer coupables de contravention à la législation sur l'enregistrement. C'est ce qui se pratique tous les jours, et l'on ne crie pas pour cela à la tyrannie. Montrons-nous larges, quand il s'agit de relever par l'instruction la dignité du peuple, de fortifier par la diffusion des lumières la moralité de tous. C'est ce que nous faisons en abolissant le timbre des journaux, en en propageant la lecture. Mai» aussi, fâchons défendre les intérêts du trésor public contre cette fausse philanthropie qui nous ferait, dans cette circonstance, montrer pour le fraudeur l'intérêt que nous ne devons montrer que pour les finances de l'Etat.

M. d'Elhoungne. - Je n'ai pas parlé du cas de faillite, mais c'est le seul où l’on n'atteindra pas le coupable. On n'atteindra que la masse des créanciers qui n'est pour rien dans la contravention. Lorsque vous établissez une peine, ce doit être un moyen préventif.

M. Lebeau. - C'en est un. On aura recours contre les endosseurs.

M. d'Elhoungne. - Soit ; toujours est-il qu'on aura intérêt à se passer de l'inventaire authentique. Vous enlevez ainsi aux mineurs la garantie de la sincérité de l'inventaire que lui donnerait la présence du juge de paix. Il n'est personne dans cette enceinte qui puisse calculer la portée de cet le mesure.

- L'article 5 nouveau, proposé par la section centrale, est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Article 6

« Art. 6 (nouveau). Lorsque des effets négociables, billets à ordre, mandats à terme et de place en place non revêtus du timbre prescrit, et souscrits ou endossés en Belgique par un habitant du royaume, auront été datés d'un lieu situé en pays étranger, l'auteur de cette supposition de lieu sera puni d'une amende égale au dixième de la somme exprimée dans l'effet, billet ou mandat, sans qu'elle puisse être inférieure à trois cents francs.

« La poursuite sera exercée comme en matière correctionnelle. »

M. Raikem. - J'ai demandé la parole pour faire une nouvelle observation sur ce qui s'est passé dans le sein de la section centrale. Il s'agit dans cet article d'une supposition de lieu faite uniquement pour éviter un droit fiscal, et qui n'a pas d'autre but. Or, quel est le mode ordinaire de procéder, lorsqu'il s'agit de contravention aux lois sur le timbre et l'enregistrement ? Il est tracé, pour le recouvrement des amendes, dans la loi du 21 mars 1839, qui a même dérogé à la loi du 13 brumaire an VII, en statuant qu'en cette matière on procédait par voie de contrainte.

Mais ici, contrairement à ce qui se passe en matière de contravention aux lois sur le timbre et l'enregistrement, on propose de poursuivre devant la justice correctionnelle. C'est déroger à ce qui a eu lieu jusqu'ici en cette matière.

On me dira que, par la supposition de lieu, on a voulu frauder les droits. Mais il en est de même dans toutes les contraventions de ce genre où il y a intention de frauder ou du moins d'éluder les droits ; et néanmoins les contraventions sont poursuivies dans la forme applicable à ces sortes de contraventions.

Je ne vois donc pas, messieurs, qu'il y ait lieu d'y déroger pour l'infraction dont il s'agit.

Ce n'est pas le taux de l'amende que j'attaque, quoique le minimum puisse paraître un peu élevé. Qu'il soit du 10ème ou du 20ème, peu importe. Mais ce que je ne puis adopter, c'est le mode extraordinaire de procéder devant la juridiction correctionnelle.

D'après ces motifs, je ne puis donner mon assentiment à l'article.

M. Osy. - Comme je veux également atteindre la fraude, je donnerai mon assentiment à l'article 6. Mais je dois demander un renseignement à M. le ministre.

Il y a effectivement des personnes qui reçoivent des effets de l'étranger sur le pays, niais qui endossent leurs effets soit de Lille soit de Valenciennes pour l'encaisser sans timbre. C'est là une fraude que je veux atteindre.

Mais il est possible qu'un Belge se trouve à l'étranger. Je suppose, par exemple, que je me trouve à Lille et que j'y prenne du papier pour en faire remise à une maison belge. J'espère qu'alors je ne serai pas exposé à l'amende.

M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - C'est dit dans la loi.

M. d'Huart., rapporteur. - Pour qu'il y ait délit, il faut nécessairement qu’il y ait supposition de lieu. Or, dans le cas cité par l'honorable M. Osy, il n'y a pas supposition de lieu, puisque l’effet a été réellement souscrit ou endossé en pays étranger.

L'article est positif à cet égard. Il faut que l'effet ait été souscrit ou endossé en Belgique par un habitant du royaume, et daté, par fraude, d'un lieu situé en pays étranger, pour qu'il y ait lieu à poursuite.

- L'article 6 est mis aux voix et adopté.

Article 7

« Art. 7. Tous effets négociables ou de commerce, tous billets à ordre, mandats à terme, ou de place en place, créés antérieurement à la promulgation de la présente loi, sur papier non timbré ou sur timbre (page 1771) insuffisant, seront, pendant deux mois à partir du jour où la loi sera obligatoire, admis au visa pour timbre sans amende. Le droit de timbre sera perçu conformément à la présente loi. »

- Adopté.

Article 8

« Art. 8. Il sera ultérieurement statué par le Roi sur la forme et le type des nouveaux timbres et sur l’emploi ou l'échange du papier portant le timbre actuellement en usage, ainsi que sur l’établissement de nouveaux bureaux de distribution. »

Vote sur l’ensemble du projet

- La chambre décide qu'elle passera immédiatement au vote définitif du projet.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

64 membres répondent à l'appel nominal.

47 votent l'adoption.

14 le rejet.

3 s'abstiennent.

En conséquence le projet est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont voté l'adoption : MM. d'Anethan, Dautrebande, de Breyne, de Brouckere, de Corswarem , de Liedekerke , de Mérode , Desaive, de Sécus, de Terbecq, de Theux , de Tornaco , de T'Serclaes, de Villegas, d'Huart, Duroy de Blicquy , Faignart, Frère-Orban, Gilson , Herry-Vispoel, Huveners, Lebeau , Lejeune , Loos , Maertens , Malou , Mercier, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Thienpont, Tielemans, Tremouroux, Troye, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Huffel, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Brabant, Bruneau, Cans et Clep.

Ont voté le rejet : MM. David, de Bonne, de Haerne , d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, Le Hon, Lesoinne, Manilius, Mast de Vries, Osy, Raikem, T'Kint de Naeyer, Van Renynghe et Cogels.

Se sont abstenus : MM. Delfosse, Lys et Moreau.

M. Delfosse. - Je n'ai pas voté contre le projet de loi, parce que la plupart de ses dispositions me conviennent ; je n'ai pas voté pour le projet, parce que je ne puis donner mon assentiment à l'article 4, qui autorise des visites domiciliaires.

M. Lys et M. Moreau déclarent qu'ils se sont abstenus pour les mêmes motifs que M. Delfosse.

- La séance est levée à 11 heures et demie.