Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et liens Note d’intention
Séance précédente
Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 20 mai 1848 (après-midi)
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Rapports sur des pétitions relatives, notamment, au
droit de péage sur la Sambre canalisée (Dechamps, Frère-Orban, Faignart) et sur
les droits sur les levures (Cans, de
La Coste)
3) Projet de loi relatif aux droits de douanes sur les
abeilles en ruches, sur le miel et sur la cire
4) Projet de loi établissant des incompatibilités
parlementaires. Indépendance des députés-fonctionnaires (constitutionnalité,
gouverneurs, militaires, magistrats…).
a) Discussion générale (de Mérode,
(+conseil d’Etat) de Theux, Rogier,
(+sénat) de Tornaco, de Haerne,
Malou, Rogier)
b) Discussion des articles. Incompatibilités avec les
fonctions de membres de l’ordre judiciaire (Lebeau),
membres de l’ordre judiciaire, gouverneurs et commissaires d’arrondissement (de Mérode, Malou), ministres du
culte (Osy) (Tielemans, de Mérode), héritier du trône (Tielemans),
héritier du trône et ministres du culte (Rogier, Malou), ministres du culte (Rogier, de Haerne, Malou, Rogier),
avocats de l’administration (Rogier), incompatibilité au
niveau provincial (Delehaye), fonctionnaires
militaires (Malou, Delfosse)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1771) M. A. Dubus procède à l'appel
nominal à onze heures et demie.
La séance est
ouverte.
M. T’Kint de
Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance
; la rédaction en est approuvée.
M. A.
Dubus communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui
sont adressées.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le conseil de
fabrique de l'église de Vielsalm réclame l'intervention de la chambre pour que
le gouvernement fasse reconstruire, aux frais de l'Etat, la partie du mur de soutènement
du cimetière de la commune qui a été démolie pour établir l'assiette de la
route de Salm-Château à Trois-Ponts et qu'il lui paye une indemnité pour
l'emprise qu'il a faite sur le cimetière. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
__________________
« La dame St-Leu, née
Wallez, reclame l'intervention de la chambre pour faire accorder à son fils
aîné, jusqu'à sa majorité, une pension de 600 fr., en récompense des services
rendus pour feu son père, ancien consul général de Belgique. »
- Même renvoi.
__________________
Par divers messages,
en date du 18 et du 19 mai, le sénat informe la chambre qu'il a donné son
adhésion :
1° A 19 projets de
loi de naturalisation ordinaire ;
2° Au projet de loi
portant dérogation temporaire à la loi du 21 juillet 1844 ;
3° Au projet de loi
portant règlement définitif du budget de l'exercice 1841 ;
4° Au projet de loi
portant règlement définitif du budget de l'exercice 1842 ;
5° Au projet de loi
ouvrant au département des travaux publics un crédit de fr. 2,005,615-38 ;
6° Au projet de loi
sur l'entrée des machines ;
7° Au projet de loi
ouvrant au département des finances un crédit supplémentaire de fr.
2,521,331-32 ;
8° Au projet de loi
relatif à l'aliénation des biens domaniaux.
- Pris pour
notification.
__________________
Par dépêche du 18
mai, M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier) adresse à la chambre 123 exemplaires du
rapport du jury de la dernière exposition industrielle.
- Distribution aux
membres et dépôt à la bibliothèque.
__________________
Il est fait hommage à
la chambre par M. l'ingénieur de Laveleye de deux exemplaires de son mémoire
sur un projet de distribution d'eau de source dans la ville de Bruxelles. »
- Dépôt à la
bibliothèque.
RAPPORTS DE PETITIONS
« Rapport fait,
au nom de la commission permanente d’industrie sur les pétitions des
administrations communales et habitants dans le Hainaut, des propriétaires et
directeurs d’établissements industriels dans le bassin de la Sambre, et des
sieurs Puissant, frères, concernant la réduction de péages sur la Sambre
canalisée, pour le transport des marbres, des minerais de toute espèce, de la
castine, etc. »
M. David. - La commission
conclut au renvoi de la pétition à MM. les ministres des finances et des
travaux publics.
M. Dechamps. - Mon intention
n'est pas de prendre la parole sur le projet de résolution qui nous est soumis
; je regrette seulement que le gouvernement, éclairé sur l'objet de ces
pétitions, ne nous ait pas soumis un projet de loi pour satisfaire à ces
réclamations. Je me joins, du reste, à la commission, pour exprimer le vœu que
notre système vicieux de péages puisse être bientôt révisé.
Permettez-moi
d'adresser au ministère une interpellation sur un autre objet, qui touche aussi
à la question des péages.
L'intention du gouvernement était de présenter, si je
ne me trompe, un projet de loi de prorogation relatif à la réduction de 75 p.
c. sur l'exportation des produits du sol et de l'industrie. La loi actuelle
expire vers la fin de l'année. M. le ministre des affaires étrangères avait, je
pense, reconnu la nécessité de faire voter avant notre séparation un projet
ayant pour but de proroger la loi de 1842.
Les marchés pour les
houilles, en Hollande, se font six mois ou un an d'avance ; il était donc
nécessaire de rassurer le commerce, par la présentation de ce projet de loi ;
rien ne lui nuit comme l'incertitude.
Je demanderai donc au
gouvernement de vouloir bien nous dire ce qu'il compte faire, et de faire
disparaître, par l'assurance qu'il noue donnera, les incertitudes qui
pourraient naître de son silence.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Mon collègue M. le
ministre des affaires étrangères, avait préparé un projet tendant à proroger la
loi dont parle l'honorable préopinant. J'avais donné mon adhésion à ce projet.
Mon collègue et moi, nous comptions que la chambre aurait pu s'en occuper dans
le cours de la session ; mais comme on
paraît vivement désirer de se séparer, nous avons renoncé à le présenter
; l'intention du gouvernement est d'en saisir les chambres dans la prochaine
session. Le gouvernement a reconnu l'utilité de proroger la loi qui accorde une
réduction de péages pour les transports destinés à l'exportation. Les
intéressés peuvent avoir toute sécurité. D'ailleurs, le délai fixé pour
l'expiration de la loi est encore fort éloigné, et il sera très facile aux
nouvelles chambres de voter en temps utile la loi accordant la prorogation.
M. Faignart. - Messieurs, je
regrette que le gouvernement n'ait pas présente le projet de loi dont viennent
de parler M. Dechamps et M. le ministre des travaux publics, car il est très
essentiel que les extracteurs de houille sachent à quoi s'en tenir ; étant
souvent obligés de faire des marchés six mois ou un an d'avance, ils devraient
savoir à quoi s'en tenir pour proportionner l'extraction à la vente probable.
D'après les paroles que vient de prononcer M. le ministre des travaux publics,
je pense qu'on peut être assuré que le gouvernement a l'intention de présenter,
au début de la prochaine session, le projet de loi dont il s'agit.
- Les conclusions de
la commission sont mises aux voix et adoptées.
« Rapport fait,
au nom de la commission permanente de l’industrie sur les pétitions de
brasseurs et marchands de levures, concernant les droits d’entrée sur la
levure »
M. Cans. - La commission est
d'avis qu'il n'y a pas lieu de prendre en considéra-lion la demande des
pétitionnaires tendante à l'augmentation du droit d'entrée. Elle conclut,
cependant, au renvoi des pétitions à MM. les ministres des finances et des
affaires étrangères, en les priant d'examiner s'il ne serait pas utile de
réduire à un droit de balance le droit de sortie de 1 p. c sur la levure, qui
grève ce produit de l'industrie belge, contrairement aux vrais principes de
l'économie politique.
M. de La Coste. - Je n'occuperai
pas la chambre du contenu du rapport ; il est convenu qu'il n'indique que
l'opinion de la commission ou du rapporteur, que cela n'implique pas de
décision de la part de la (page 1772)
chambre ; sans cela, j'aurais examiné la question. Cela dit, e me réunis à la
commission pour demander le renvoi des pétitions.
- Les conclusions de
la commission sont adoptées
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS DE DOUANE SUR LES ABEILLES EN RUCHES, SUR LE MIEL ET SUR LA CIRE
« Article unique. Par
modification au tarif de la loi du 20 août 1822, les droits à l'entrée et à la
sortie sur les abeilles en ruches sont réduits à un centime la ruche. »
- Personne ne
demandant la parole, il est procédé au vote par appel nominal.
Le projet est adopté à
l'unanimité des 70 membres qui ont répondu à l’appel. Il sera transmis au
sénat.
Ont répondu à l'appel
: MM. Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Haerne,
de La Coste, Delehaye. Delfosse, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Sécus,
Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas,
d'Hane, d'Hoffschmidt, d'Huart, Donny, Dubus, (Albéric), Duroy de Blicquy, Eloy
de Burdinne,, Faignart, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Herry-Vispoel, Huveners,
Jonet, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos., Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries,
Mercier, Moreau, Orts, Osy, Pirmez, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle,,
Sigart,. Simons, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Eynde,
Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert,, Brabant, Bricourt, Bruneau, Cans,
Clep, Cogels, Coppieters, d'Anethan, David, de Breyne, de Brouckere et Liedts.
PROJET DE LOI ETABLISSANT DES INCOMPATIBILITES PARLEMENTAIRES
Discussion générale
M. le président. - La discussion générale continue.
La parole est à M. de
Mérode.
M. de Mérode. - Ce qui se passe,
messieurs, dans le pays avec lequel nous avons le plus de relations, dont nous avons
conservé le code de lois civiles et dont nous parlons la langue, doit nous
attacher plus encore que précédemment aux institutions, sous lesquelles nous
avons vécu depuis qu'elles ont été fondées par un congrès national constituant,
qu'aucune violence ou surprise n'ont détourné de ses propres inspirations.
S'il est une idée
dont il faille se défier aujourd'hui plus que de toute autre, c'est l'idée
d'une perfectibilité imaginaire qui fait qu'on abandonnerait par des essais
continuels le connu pour l'inconnu ; et ce qui a subi l'expérience de la
pratique pour des conceptions non expérimentées et dont on espère des
merveilles, parce que les inconvénients qu'elles présentent n'ont pas été
soumis au crible d'une épreuve préalable.
Combien, de
personnes, aujourd'hui ruinées en France par un profond bouleversement,
regrettent (sans oser le dire toutefois, comme on osait presque tout dire sous
le régime précédent) cette monarchie constitutionnelle qui n'était pas la
perfection idéale, chacun le sait, mais qui assurait à l'homme modéré dans son
langage et ses prétentions toute facilité pour se plaindre des abus et obtenir
avec une certaine patience le redressement des erreurs gouvernementales et des
vices de quelques lois. Combien de Français, qui ne voyaient peut-être dans la
royauté qu'une sorte de privilège pour un prince et sa famille, sentent
cruellement aujourd'hui que ce privilège était la sauvegarde de la fortune des
uns, du salaire des autres ! Et le silence presque général sur ce fait palpable
est la plus grande preuve même de l'inévitable contrainte morale qui pèse
actuellement sur les opinions.
Pour faire le tour du
monde, au contraire, la liberté n'a plus besoin de passer par la Belgique.
Telle est la conviction générale de ses habitants. Ce n'est donc qu'avec la
plus grande réserve qu'il faut toucher aux règles fondamentales qui, après
dix-huit ans d'exercice, ont amené ce résultat.
Une chose, messieurs,
est certaine, c'est que le congrès national, bien qu'il connût comme nous
l'inconvénient d'enlever pour un temps plus ou moins long un certain nombre de
fonctionnaires à leur poste, n'a pas voulu les exclure de la représentation
nationale. Il a fait à leur égard des exceptions, je le sais ; mais les
exceptions confirmaient la règle. En effet, qui ne comprend que les membres de
la cour des comptes, devant être élus par les représentants, ne pouvaient être
représentants eux-mêmes ? Car leurs fonctions, étant temporaires, nécessitaient
d'assez fréquentes réélections, et dès lors ils eussent été appelés à se donner
pour une fonction rétribuée leur propre voix ou obligés de s'abstenir, ce qui
les eût mis vis-à-vis de leurs collègues dans une position d'inégalité et
d'infériorité peu convenable.
Quant aux membres de
la cour de cassation, on voulut leur éviter, comme magistrature suprême, toute
participation aux luttes politiques, et, d'autant plus, qu'en cas d'accusation
des ministres, ceux-ci devenaient leurs justiciables.
Or, je le demande,
messieurs, qu'y a-t-il de commun entre un système d'exception aussi restreint
et basé sur des motifs de haute convenance, et une exclusion générale ou
presque générale comme celle qui vous est présentée par la section centrale ou
bien par le gouvernement ?
Et cependant, quand
j'examine la conduite des fonctionnaires dans cette chambre, depuis 18 années,
je n'y vois pas de servilisme, je n'y vois pas non plus défaut habituel
d'égards et de ménagement rationnel pour les ministres. La conciliation entre
les extrêmes n'a pas manqué d'ordinaire à la nécessité de respecter le principe
d'ordre et le principe d'indépendance. Mais ce qui s'est produit manifestement,
de la part de plusieurs, c’est une foule de services rendus à la chose publique
par des rapports bien faits, par une participation très instructive et très
active, très utile aux débats. Parcourez nos bancs, enlevez-en tous les membres
qui ont rempli des fonctions publiques, et vous verrez quel vide vous aurez
creusé pour l'intelligence des affaires ! Et que restera-t-il alors
exclusivement au pays pour candidats à la représentation nationale ? Il vous
restera, comme vous le disait hier l'honorable M. Lebeau, des propriétaires,
des avocats, des industriels.
La première classe
est, je pense, propre à défendre les intérêts publics, parce qu'elle y est
stimulée par son propre intérêt ; mais elle n'a pas la connaissance du droit
civil. Seule elle ne pourrait formuler des dispositions législatives. Quant aux
avocats, les plus instruits, les plus estimés ne quittent que rarement leur
clientèle pour se vouer à la carrière parlementaire dans un pays comme le
nôtre, où les débats des chambres n'offrent pas, ainsi qu'en Angleterre ou en
France, l'attrait d'une publicité universelle, et ceux qui habitent Bruxelles
sont souvent forcés de ne pas assister aux séances les plus importantes, parce
que les causes privées les appellent devant les tribunaux.
La plupart des
industriels les plus éminents et qui sont, les plus occupés, craignent aussi de
faire partie des chambres, surtout de la chambre des représentants ; ils se
mettent donc peu sur les rangs, et plusieurs ont souvent obstinément refusé les
voix qu'on leur offrait.. Ainsi l'électeur, trop restreint dans ses choix, sera
forcé de les porter sur des avocats dépourvus de. clientèle, sur des hommes de
lettres, qui trop souvent ne connaissent ni l'agriculture, ni l'industrie, ni
l’administration, et qui se font connaître dans les journaux par des projets de
couleur populaire, propres à séduire plus ou moins au premier coup d'œil, mais
dont la pratique serait ruineuse.
Or, des chambres
composées comme je viens de l'indiquer laisseront sans doute au pays l'avantage
de jouir des services constants de tous les fonctionnaires, mais cet avantage
partiel sera chèrement payé par l'ensemble. Le point essentiel que l'on doit
avoir en vue, disait hier M. Lebeau, c'est la bonne composition du parlement.
Agir autrement, ce serait imiter le médecin qui donnerait tous ses soins aux
bras et aux jambes plutôt qu'à l'estomac et au cœur ; et j'ajoute, pour mon
compte, que ce serait imiter les passagers traversant une mer orageuse, qui
s'occuperaient plus de l'agencement parfait de leurs cabines que de la
disposition solide et générale du navire qui les porte et d'où dépend leur
salut et leur vie.
Je n'ignore pas cependant
qu'une certaine réforme est nécessaire, et je l'admettrai, si l'on ne sort pas
de l'esprit de la Constitution, qui n'exclut pas les fonctionnaires du
parlement, par cela seul qu'ils occupent des emplois rétribués par l'Etat ; cet
esprit était trop intelligent, trop prudent, en effet, pour interdire à tout
militaire, à tout juge, à tout membre du ministère public, à tout ingénieur, à
tout employé supérieur des finances, de la justice, des affaires étrangères, à
tout fonctionnaire de l'ordre administratif le droit d'éligibilité, à moins
qu'il ne consentît à renoncer à sa carrière. Non, ce fruit ce pouvait naître
que d'une fleur comme le bouleversement européen d'aujourd'hui ; mais je
conçois que pour assurer la liberté de l'électeur, on ne permette pas au
gouverneur de province, au commissaire de district, au juge ou au membre du
ministère public, dans les tribunaux de première instance, d’être élu dans la
circonscription territoriale où il exerce ses fonctions, et pour éviter toute
combinaison de subterfuge, d'y être élu avant une année révolue depuis ce
changement, ou même une démission, parce que l'influence électorale que donne
ou donnait sa place au candidat peut être justement considérée comme trop
impérative, trop gênante pour le libre arbitre des administrés ou justiciables
immédiatement placés sous son pouvoir administratif ou judiciaire.
Joignez à l'exception
ainsi limitée et non pas radicalement exclusive pour ces fonctionnaires ;
joignez-y une retenue sur les appointements de tout fonctionnaire représentant,
égale à l'indemnité qu'il peut percevoir en cette dernière qualité lorsqu'il
n'habite pas la capitale, et vous aurez donné une grande satisfaction à
l’opinion, publique, dont le cumul des traitements ou indemnités excite non
sans motif la réprobation. Si plus tard elle réclame davantage, on avisera ;
mais pour mon compte je ne doute pas qu'elle ne se contente très bien de ces
conditions. Elle s'en contentera d'autant plus qu'il est évident que ces
conditions réduiront suffisamment le nombre des fonctionnaires publics,
désormais appelés à faire partie de la représentation nationale. Néanmoins, en
réduisant le nombre, ces restrictions que je propose laisseront à une classe
respectable, instruite et nombreuse de citoyens, le droit qu'elle a possédé
sans en abuser pendant une heureuse période de dix-huit ans.
Messieurs, j'ai voté
dans ma section contre le principe de l'exclusion des fonctionnaires publics.
Mais ensuite, je me suis opposé au principe des catégories qui établissent des
distinctions entre eux, entre les hauts grades et les moindres, entre les
inamovibles et les amovibles.
Les gouverneurs sont
peut-être plus nécessaires à leur province que les commissaires à leur district
; et quant aux juges, leur inamovibilité serait un motif pour moi de leur
interdire de prendre part aux luttes politiques, car cette inamovibilité a
uniquement pour but d'assurer aux justiciables autant qu'il est possible
l'impartialité des jugements. Or, l'on (page
1773) ne peut nier que les luttes parlementaires ne soient peu propres à la
garantir, et qu’elles ne la compromettent plus ou moins par des manifestations
publiques d'opinions sur des causes qui peuvent donner matière à des procès
entre particuliers, et nous en avons eu un exemple, au commencement de cette
session même, à l'occasion d'un testament.
Ainsi donc, messieurs, vous le voyez, l’inamovibilité
des juges ne doit pas les placer dans une position plus favorable contre
l'exclusion que les membres du parquet, dès que l'on se veut lancer dans la
voie des exclusions absolues, c'est-à-dire de celles qui n'ont pas une, raison
particulière et directe, comme l'incompatibilité qui a été appliquée aux
membres de, la cour des comptes et de la cour de cassation ; et d'après les
observations si frappantes de l'honorable M. Tielemans, je serais facilement
porté à croire que l'établissement de ces incompatibilités est plutôt à
regretter, en ce qui concerne la cour de cassation, qu'à étendre encore ; c'est
pourquoi je repousse des catégories du projet gouvernemental comme le système
plus égalitaire de la section centrale, coupant l'herbe sous le pied à tous
sans préférence, ce qui me le ferait préférer pourtant, vu qu'il est au moins
exempt de partialité.
En finissant, je vous
engage vivement, messieurs, à ne pas vous occuper de ce qui résulterait
momentanément, pour les districts que vous connaissez, de telle ou telle
disposition de la loi en discussion, mais seulement de l'effet général qu'elle
peut produire en bien ou en mal sur l'avenir du pays tout entier.
M. de Theux. - Il m'est
impossible d'émettre un vote sur une question aussi importante que celle
soumise à vos délibérations, sans en dire les motifs.
Il est des réformes
que les chambres peuvent refuser ou ajourner d’accord avec le gouvernement ;
que les chambres imposent quelquefois .au gouvernement ; mais qu'elles ne
refusent pas quand c'est le gouvernement qui les a proposées. La loi des
incompatibilités ou de la réforme parlementaire est du nombre de ces réformes.
Aussi dans les sections le projet a-t-il été généralement adopté. Il n'a
rencontré que deux objections. L’une porte sur la constitutionnalité de la
mesure ; l'autre sur les exceptions que renferme le projet du gouvernement.
En ce qui concerne la
constitutionnalité, il m'est impossible de partager l'opinion qui a été émise
par quelques membres, que le projet serait contraire soit au texte, soit à
l'esprit de la Constitution. On a proclamé ce principe que les chambres
seraient incompétentes pour statuer sur, les incompatibilités ; que cette
matière aurait dû être réglées par la Constitution.
Pour moi, j'admets le
principe contraire. C'est-à-dire que dans mon opinion, les chambres peuvent
tout ce que la Constitution ne leur a pas interdit, à moins qu'il ne s'agisse d'objets
spécialement réglés par la Constitution ; or la question, des incompatibilités
parlementaires n'est pas de ce nombre et la Constitution ne fait aucune défense
aux chambres de la régler.
Chaque fois que le
congrès a voulu empêcher le pouvoir législatif de régler une matière, il s'en
est exprimé formellement. Cela prouve que, dans la pensée du congrès, les
chambres peuvent régler toutes les matières sur lesquelles il n'y a pas
d'interdiction constitutionnelle. La Constitution a statué à l'article 78 :
« Le Roi n'a
d'autre pouvoir que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les
lois particulières portées en vertu de la Constitution elle-même. »
Mais en ce qui touche
le pouvoir législatif, il n'y a aucune restriction ; il est donc omnipotent ;
seulement ses décisions sont essentiellement variables, c'est à-dire qu'une loi
peut défaire ce qu'une loi a créé.
Que la Constitution
n'ait pas réglé la matière des incompatibilités, cela me paraît également hors de doute,
L'article 36 de la
Constitution dispose, il est vrai, que le membre de l’une et de l'autre chambre
qui accepte un emploi salarié doit être soumis à une réélection. Mais entre
cette disposition et une loi sur les incompatibilités, il y a une différence
essentielle. Pourquoi l’article 36 de la Constitution ? C'est que le député
s'étant, par son fait, placé dans une position nouvelle, il convient que le
collège électoral, si le député désire continuer son mandat, soit appelé à
statuer de nouveau. Mais la loi des incompatibilités n’a d'autre effets que de
décider dans quel cas le fonctionnaire amovible ou inamovible doit résider dans
l'intérêt du service ; dans quel cas il lui est défendu de cumuler le mandat
législatif avec tes fonctions.
Ainsi, pour moi, la
constitutionnalité du projet n'est en aucune manière douteuse ; et comment le
serait-elle, lorsque le congrès à lui-même a établi une incompatibilité entre
les fonctions de la cour des comptes et le mandat législatif ;lorsque les
chambres, qui ont maintenant succédé au congrès, ont établi l'incompatibilité
entre les fonctions de membre de la cour de cassation et celles de membre du
parlement ; lorsque plus tard la loi a décidé que les fonctions de conseiller
provincial étaient incompatibles avec les fonctions parlementaires ?
Voyons, messieurs, où
l'opinion contraire nous conduirait. Loin d'établir des incompatibilités, nous
devrions rapporter immédiatement toutes celles qui ont été établies. Or, je
demande comment une semblable décision serait appréciée. Ce serait de noire
part insulter au congrès et aux législatures qui nous ont précédés.
Voyons, messieurs, si
les exceptions contenues dans le projet du gouvernement sont fondées en raison.
La première porte sur
les gouverneurs de province élus dans d'autres provinces que celles où ils
exercent leurs fonctions.
Ainsi que l'a dit la
section centrale, si l'on admet le principe de résidence pour les
fonctionnaires publics, si l'on admet le principe des soins exclusifs donnés
aux fonctions publiques, il faut convenir que ce principe s'applique en premier
lieu et essentiellement aux gouverneurs des provinces. Et puis, messieurs, ne
comprend-on pas qu'avec cette distinction il suffirait d'un déplacement opéré
par le gouvernement, pour changer la position parlementaire d'un gouverneur.
D'autre part, on dit,
on a soutenu que les gouverneurs de province devaient être admis à faire partie
de la législature en qualité de sous-ministres.
Messieurs, c'est là
une qualité toute nouvelle qu'on attribuerait aux gouverneurs ; Comment !
les gouverneurs de province seraient ici en qualité de sous-ministres obligés
de soutenir toutes les lois que le gouvernement présente, alors qu'ils n'ont
pas pris part aux délibérations du cabinet ? Ce serait là une position
essentiellement fausse, une position qui n'est pas dans nos mœurs
parlementaires. Cette raison ne peut donc me déterminer en faveur de
l'exception.
La deuxième exception
porte sur les officiers-généraux. Eh bien, messieurs, la spécialité des
officiers généraux n'est point la politique parlementaire. N'est-il point
extraordinaire de voir admettre dans la législature les officiers généraux et
d'en voir exclure les diplomates, dont la mission est de s'occuper
essentiellement de politique ? Dira-t-on qu'il est nécessaire que l'armée soit
représentée au sein des chambres ? Mais, messieurs, le même motif
s'appliquerait à la diplomatie. Et puis, le ministère n'est-il point le premier
défenseur des intérêts de l'armée ?
Convient-il, au point
de vue gouvernemental, d’appeler les officiers-généraux à se mettre, dans le
sein du parlement, en opposition avec le ministre de la guerre, leur chef
immédiat ? je ne le crois pas. Je crois que l'armée, le gouvernement ni le pays
n'ont rien à gagner à une semblable position., D’ailleurs, la loi n'exclut
point les officiers en retraite, à quelque grade qu'ils appartiennent, non plus
que les diplomates en retraite. Nous avons donc toujours des chances de voir
dans l’enceinte législative des membres ayant appartenu à l'armée active, des
diplomates ayant rempli des postes plus ou moins éminents.
La troisième
exception porte sur les conseillers des cours. Messieurs, si c'est à raison de
l'inamovibilité de la magistrature, l'exception devrait s'étendre aux tribunaux
de première instance. Dira-t-on peut-être que les conseillers des cours ont des
talents et des connaissances supérieures à celles des magistrats, de première
instance ? Mais, messieurs, cette assertion, vraie dans beaucoup de cas, manque
de justesse dans beaucoup d'autres. Ainsi, nous avons dans le parlement des
présidents de tribunaux de première instance qui ont déployé des talents égaux
à ceux que l'on pourrait trouver dans la magistrature la plus élevée. Nous
avons vu des membres des tribunaux de première instance refuser les postes les
plus éminents de la magistrature, et cependant les membres des tribunaux de
première instance sont irrévocablement exclus.
La magistrature
inamovible représente-t-elle une spécialité ? Mais, messieurs, à ce titre vous
devriez aussi admettre les officiers des parquets et surtout les officiers des
parquets des cours. Ils représentent également une spécialité dans la
magistrature.
En résumé, messieurs,
le projet du gouvernement crée, dans mon opinion, une catégorie de fonctionnaires
privilégies et je crois que si ces catégories étaient adoptées par la loi,
elles disparaîtraient tôt ou tard. Le principe, une fois posé, doit être porté
à ses conséquences naturelles.
On a objecté que le
projet de la section centrale était un projet aristocratique dans ses
conséquences. S’il en est ainsi, messieurs, le projet du gouvernement est
également aristocratique dans ses conséquences, car ce ne sont point les rares
exceptions qu'il renferme qui changent le caractère de la loi. Et d'ailleurs,
messieurs, sont-ce des exceptions démocratiques que celles qui portent sur les
gouverneurs des provinces, les officiers généraux et les membres de la
magistrature supérieure ?
A coup sûr, non ;
soit par la nature de leurs fonctions, soit souvent par leur position de
fortune, ces fonctionnaires ne peuvent pas appartenir à la démocratie.
D'ailleurs,
l'honorable orateur qui a produit cette supposition de projet aristocratique a
avoué qu’aux Etats-Unis une loi semblable avait amené des effets démocratiques.
Messieurs, une autre
objection qu'on a faite au projet, c'est qu'il aurait pour conséquence
l'institution d’un conseil d'Etat. Mais déjà cette institution est condamnées
aujourd’hui, alors qu’il n'y a aucune espèce d'incompatibilité établie ; ce
projet gagnera peut-être un plus grand nombre de partisans ; c'est ce que
l'expérience nous fera voir ; mais dans tous les cas ce ne sont, pas les
exceptions contenues dans le projet du gouvernement qui empêcheraient la
création d’un conseil d’Etat. Ce n’est pas parce vous auriez dans les chambres
quelques officiers-généraux, deux ou trois gouverneurs peut-être, quelques
magistrats de cour d'appel, que vous seriez dispensés de créer un conseil
d'Etat,, si cette institution doit être la conséquence nécessaire de la loi des
incompatibilités.
Messieurs, j'ai
présenté le vote de la loi comme une nécessité, alors surtout que le
gouvernement en avait pris l'initiative. Indépendamment de cette considération,
je crois que, dans les circonstances actuelles, cette réforme est plus
praticable qu'elle ne l'a été jusqu'ici. Les grandes organisations sont faites,
; l'organisation judiciaire, l’organisation administrative, l'organisation
militaire sont achevées.
Depuis 18 ans, le
système politique a fait de notables progrès ; l'expérience parlementaire
a reçu de grands développements. Depuis
que les chambres et les conseils provinciaux fonctionnent, beaucoup de
personnes (page 1774) se sont
habituées à l'étude des affaires publiques ; d'autre part, nos universités
offrent de grandes ressources à cet égard.
Le projet présentera
de graves inconvénients, on l'a dit et je veux l'admettre ; mais ces
inconvénients ne nous permettent pas de repousser le projet du gouvernement.
Un des plus graves
inconvénients, dans mon opinion, c'est la perte de plusieurs de nos collègues
qui se sont distingués par leur talent, par une longue participation aux
discussions parlementaires ; c'est de perdre en général (je ne fais pas
d'exception) nos collègues fonctionnaires qui ont fait preuve de patriotisme et
de dévouement à nos institutions. Voilà,
pour moi, la conséquence vraiment regrettable du projet ; mais cette
conséquence existe à peu près entière dans le projet du gouvernement, comme
dans celui de la section centrale.
Nous sommes à une
époque d'innovations. Le gouvernement a proposé, et vous avez décrété,
messieurs, la réforme électorale la plus large ; le gouvernement vous a proposé
une réforme parlementaire très large ; maintenant le débat ne peut plus rouler
que sur les rares exceptions que renferme le projet du gouvernement.
Espérons que la loi que nous avons déjà faite sur la
réforme électorale et celle que nous allons voter sur la réforme parlementaire
auront pour résultat d'écarter pour longtemps toute demande de réformes
nouvelles et de mettre le parlement à l'abri de toute espèce de critique.
Si, plus tard,
l'expérience nous dévoilait qu'il est nécessaire de revenir sur la réforme
parlementaire, eh bien, la législature pourra apprécier alors, avec pleine
connaissance de cause, ce qu'il conviendra de statuer.
Mais en attendant je
voterai pour le projet du gouvernement ; je voterai pour les extensions données
à ce projet par la section centrale, à moins toutefois que, par la nature des
exceptions qui pourront être introduites, je ne sois amené à voter contre
l'ensemble de la loi.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, il m'est impossible de placer sur
la même ligne, comme vient de le faire l'honorable préopinant, le projet du
gouvernement et le projet qu'y a substitué la section centrale.
Le projet du
gouvernement admet certaines catégories, se renferme dans certaines limites, ne
repousse virtuellement aucune classe de fonctions importantes ; le projet de la
section centrale, au contraire, expulse tout ce qui porte le nom de fonctions
publiques, et c'est à peine s'il fait grâce aux fonctions ministérielles.
En proposant le
projet de loi, nous avions cru, faisant la part des circonstances, que nous
allions très loin ; mais nous n'aurions pu penser que des hommes pratiques,
d'anciens ministres auraient pu penser que nous n'allions pas assez loin. Parce
que le gouvernement propose de maintenir, comme habiles à faire partie de la
législature, certaines catégories de fonctionnaires, l'honorable préopinant voit
dans cette réserve une sorte de privilège en faveur de certains fonctionnaires,
il repousse cette réserve au nom de la logique.
Mais, messieurs,
lorsque nous sommes venus proposer d'abaisser le cens électoral à 20 florins,
nous avons aussi établi dans le pays, sous l'empire de la Constitution, je dois
le reconnaître, mais la Constitution l'a voulu ainsi ; nous avons établi des
catégories de citoyens privilégiés, c'est-à-dire les citoyens payant 20 florins
; les autres constituent une catégorie de citoyens exceptés par la loi,
repoussés de l'exercice de certaines fonctions publiques.
La logique de
l'honorable orateur qui vient de parler, la logique de la section centrale
devrait, s'il lui faut la suppression de toute espèce de privilège, de toute
exemption, demander le droit électoral pour tout citoyen belge ; elle
arriverait directement au suffrage universel ; voilà où conduirait le système
radical de la section centrale.
Cela peut être
conforme aux règles rigoureuses de la logique poussées à bout ; mais cela ne
me paraît pas conforme aux règles de la
saine raison et à la bonne pratique gouvernementale.
. Messieurs, ce n'est
pas pur caprice de notre part, c'est encore moins, je ne sais si je dois
relever cette objection, c'est encore moins le puéril désir pour le
gouvernement de conserver dans la chambre certaines individualités auxquelles
nous lieraient des affections particulières ; ce ne sont pas ces motifs qui
nous ont engagés à proposer des exceptions pour certaines catégories de
fonctions. Il y a pour ces exceptions des motifs sérieux que je vais développer
en peu de mots.
L'opinion générale,
non pas depuis le 24 février, mais avant le 24 février et bien longtemps avant,
l'opinion générale quelle était-elle ? C'est qu'il y avait dans la chambre beaucoup
de fonctionnaires, qu'il y en avait trop, ainsi que le disait l'honorable M.
Delfosse. L'opinion générale était qu'il fallait arriver à réduire dans la
chambre le nombre des fonctionnaires. C'est sous l'impression de cette opinion
déjà ancienne que le ministère nouveau avait préparé, soumis même à l'avis de
quelques-uns de ses amis, un projet d'arrêté par lequel il invitait certaines
catégories de fonctionnaires à opter entre leurs fonctions et leur mandat de
représentant. Cet arrêté avait particulièrement en vue le cumul des fonctions
de commissaire de district, de procureur du roi et les fonctions
parlementaires.
Un scrupule nous
arrêta ; nous crûmes qu'à la veille de l'ouverture de la session il convenait
de soumettre cette question importante à la discussion des chambres. Des
événements imprévus vinrent depuis changer, il faut le dire, l'état de
l'opinion. Ces événements amenèrent le gouvernement, et les chambres à des
mesures dont la proposition, dont le vote étaient réservés sans aucun doute à un
avenir plus éloigné. L'opinion publique exigea davantage ; et comme nous vivons
dans un gouvernement où l'influence de l'opinion publique ne peut être niée,
pas plus que déclinée, la loi actuelle s dû subir, comme plusieurs autres qui
ont été présentées et votées, la loi actuelle a dû subir l'influence de cette
opinion. Nous avons donc été plus loin dans le projet de loi qui vous a été
présenté que nous n'avions été dans le projet d'arrêté.
Nous étendîmes les
incompatibilités à des fonctionnaires autres que ceux que j'ai mentionnés tout
à l'heure ; mais nous crûmes en agissant ainsi avoir répondu suffisamment au
vœu de l'opinion et an vœu des chambres ; et ce n'est pas sans une pénible
surprise, que nous avons vu l'espèce d'entraînement avec lequel on s'est
empressé de substituer à une réforme déjà très grande, une réforme complète,
une réforme radicale. Nous proposons de réduire, l'on vous propose de détruire.
Nous proposons
d'élaguer les branches, on vous propose de couper l'arbre à la racine.
On croirait, et je
n'accuse personne, mais on croirait que quelques-unes des victimes que le
projet de loi doit frapper, ont voulu entraîner avec elles ceux que l'on
qualifie de privilégiés, et se sont écriées : Je ne mourrai pas seul et
quelqu'un me suivra !
Voyons si nous
pouvons justifier les catégories exceptées que propose la loi.
Nous demandons une
exception pour les gouverneurs de province, non pas pour tous, mais pour ceux
qui auront été élus par une province qu'ils n'administrent pas.
Cette première
catégorie peut se justifier facilement.
Pourquoi
repousse-t-on les fonctionnaires publics de cette chambre ? Ce n'est pas par ce
seul et unique motif que, forcés de remplir leurs fonctions au lieu de leur
résidence, ils ne peuvent, sans les négliger, venir en remplir d'autres dans
une autre résidence. C'est une objection, un inconvénient, je le reconnais.
Mais il y eu a d'autres.
La principale
objection faite contre la nomination des gouverneurs, l'objection vraiment
politique est celle-ci : Le gouverneur peut se servir de son influence, comme
administrateur, pour déterminer en sa faveur, le choix des électeurs, ses
administrés.
Ensuite, si le
gouverneur devient l'élu d'un arrondissement de sa province, ses soins
particuliers se porteront de préférence sur cet arrondissement ;
l'administration des autres arrondissements pourra avoir à en souffrir. Dans
l'arrondissement même, les catégories d'électeurs qui auront voté pour le
gouverneur seront présumées obtenir de lui plus de faveurs que les électeurs
qui se seraient montrés contraires à son élection.
Voilà les objections
politiques contre la nomination du gouverneur de la province. Ces objections
disparaissent entièrement, lorsque le gouverneur est nommé par une autre
province.
On dit que le
gouverneur négligera ses fonctions de gouverneur, lorsqu'il viendra exercer ses
fonctions de représentant. Qu'il soit nommé par la province qu'il administre,
ou par une autre province, l'objection est la même. Mais le gouverneur peut
trouver dans un membre de la députation un remplaçant, ce qui n'existe pas pour
beaucoup d'autres fonctions.
En deuxième lieu,
l'objection tirée de la résidence s'affaiblit considérablement, si, au lieu de
placer le gouverneur dans la chambre des représentants, nous le plaçons dans le
sénat. Prenez-y garde, vous ne faites pas une loi seulement pour la chambre des
représentants. Votre loi engage le sénat, qui, je présume, aura aussi son mot à
dire, aura à mettre son poids dans la balance, lorsqu'il s'agira de décider
cette question. Le sénat sera juge de ses intérêts, de sa dignité ; il saura ce
qu'il lui convient de faire ; vous ne pouvez ici stipuler pour le sénat ou
contre lui. Au sénat, le nombre des séances est beaucoup moins considérable
qu'à la chambre des représentants. On peut dire que la présence d'un gouverneur
au sénat ne peut nuire à la marche de son administration. Je verrais, surtout
au sénat, avec un extrême regret l'absence complète de fonctionnaires publics.
Les préfets, en France, qui d'abord ont pu faire partie de la chambre des
députés, alors qu'ils étaient nommés par un département autre que celui qu'ils
administraient, ont toujours continué à faire partie de la chambre des pairs.
Je passe aux
officiers généraux.
Ici, c'est un autre
genre d'objection qu'invoque l'honorable M. de Theux ; car (ce n'est pas là
assurément une preuve de la force de son argumentation) pour chaque catégorie
il y a des objections différentes. Nous reconnaissons qu'il y a contre chaque
système des objections. Mais pour que l'argumentation fût bonne en principe il
faudrait qu'elle fût la même contre toutes les catégories.
Pour les officiers
généraux, on ne peut invoquer l'objection tirée de la (page 1775) résidence ; car un officier général peut commander une
division et résider dans la capitale. D'autres, ne commandant pas de division,
peuvent également résider dans la capitale.
C'est, dit-on, qu'un
officier général ne peut pas être un homme parlementaire. Pourquoi ? Il peut se
trouver en opposition avec le ministre ! Sans doute ; mais il peut aussi prêter
un concours extrêmement utile au ministre. Exclure les officiers généraux,
c'est déclarer qu'à l'avenir le gouvernement aura à choisir le ministre de la
guerre en dehors du parlement.
Sans doute l'exemple
a été donné de ministres choisis en dehors du parlement. Mais sont-ce là des
antécédents que le parlement doive encourager ? Ne doit-il pas s'efforcer
autant que possible d'obtenir de la prérogative royale, qu'elle choisisse les
ministres dans l'une ou l'autre chambre ? Ne sont-ce pas là les premiers
éléments du gouvernement représentatif ?
N'admettre aucune
catégorie d'officiers, ou admettre des officiers qui par leur âge ne sont plus
en état de rendre des services, ce qui revient au même, c'est décider en
principe que le ministre de la guerre ne pourra être pris dans le sein de la
chambre, à moins que vous ne vouliez attribuer les fonctions de ministre de la
guerre à un représentant non militaire.
Je passe à la
catégorie des conseillers des cours d'appel. Ici c'est un autre genre
d'objections. On nous dit : Vous admettez les conseillers ; nous, nous les
repoussons, parce que vous n'admettez pas les présidents des tribunaux. Voilà
l'argument de l'honorable M. de Theux.
Pourquoi, nous
dit-on, repoussez-vous les présidents de tribunal ? Pourquoi excluez-vous les
juges ? Messieurs, nous ne repoussons pas en principe les présidents des
tribunaux et les juges. Nous reconnaissons que les tribunaux peuvent fournir et
ont fourni au parlement des membres très distingués, qui ont rendu des
services, qui pourraient encore nous en rendre.
Mais pourquoi
avons-nous repoussé les membres des tribunaux ? Par ce motif qu'il y avait trop
de fonctionnaires publics dans la chambre et qu'il fallait en restreindre le
nombre.
Du reste, si l'on croit
qu'il peut être utile d'augmenter le nombre des fonctionnaires inamovibles dans
le sein de la chambre, nous ne nous refusons pas d'examiner une proposition qui
serait faite dans ce sens. Quand je dis qu'il y a trop de fonctionnaires
publics dans la chambre, je suis d'accord, je pense, avec toutes les opinions.
Voilà le fait qui nous a amenés à ne pas admettre les présidents et les juges
des tribunaux parmi les exceptions. Il est telle ville qui envoie à la chambre
un procureur du roi, un président et un juge. Je demande, messieurs, si un
pareil état de choses (je ne fais pas d'allusion aux personnes) ne constitue
pas un véritable abus ? Dans telle autre ville, c'est le président, c'est le
vice-président ; de plus un juge d'instruction s'était mis sur les rangs ; de
telle manière que si les électeurs qui portaient ce juge d'instruction,
l'avaient emporté, nous aurions eu président, vice-président et juge
d'instruction, dans le parlement.
Voilà ce qui
constitue des abus véritables, et voilà à quels abus nous avons voulu remédier.
Mais veut-on, en comprenant dans l'exception les membres de l'ordre judiciaire,
limiter cet abus ? Veut-on limiter le nombre de ces fonctionnaires qui seront
admis dans la chambre ? Nous examinerons la question.
Nous nous sommes attachés
aux conseillers des cours.
Pourquoi ? Parce que
nous n'avons pas voulu repousser de la chambre des représentants l'ordre
judiciaire tout entier, c'est-à-dire, une collection de citoyens, qui, par leur
expérience, par leur aptitude, peuvent jeter tant de lumières dans nos
délibérations.
Nous nous sommes
arrêtés aux conseillers des cours, parce que, messieurs, devant introduire un
grand nombre d'exceptions, nous avons dû nous restreindre aux sommités, et si
une loi antérieure dont, pour notre part, nous n'approuvons pas les effets,
n'avait pas exclu de la chambre les conseillers de la cour de cassation, nous
eussions été heureux de les maintenir comme dignes de figurer dans le parlement
belge, sans nous laisser arrêter par cet argument qui a servi de base à leur
exclusion, qu'ils ne peuvent faire partie de la chambre parce qu'ils peuvent
être appelés dans certains cas à se prononcer sur la mise en accusation des
ministres.
Je crois que
l'exclusion des membres de la cour de cassation a laissé dans les chambres des
vides qui se font encore sentir aujourd'hui. Nous avons appauvri, il faut le
dire, d'hommes considérables, d'hommes d'expérience, d'hommes de science,
d'hommes de vertu civique, nous avons appauvri d'une manière assez notable l'un
et l'autre parlement en excluant les membres de la cour de cassation.
Je sais que
l'objection que je viens de faire contre l'admission des membres des tribunaux,
on pourra la faire contre les conseillers de cours. On pourra nous dire que les
électeurs pourront aussi transporter dans la chambre un grand nombre de
conseillers et que, par suite, le service judiciaire sera en souffrance. Eh
bien, à cette objection pratique je ferai une réponse pratique.
Si l'on craint l'abus
du trop grand nombre, je ne m'oppose pas à ce qu'on limite le nombre des
conseillers qui pourront être nommés par chaque ressort. Qu'on limite à 2 ou à
3 le nombre de conseillers par ressort.
Ce ne seront, dit-on,
que six conseillers, si tous sont nommés. Eh bien la présence de six
conseillers de cour, choisis parmi les plus éminents sans doute, ne sera
certainement pas inutile dans un grand nombre de nos discussions. Les lumières
jetées dans une discussion par un seul homme pratique, par un seul homme de
science, vous disent assez quels fruits le parlement pourrait tirer de la
présence de deux ou trois conseillers. Je ne veux pas faire d'allusions
personnelles, ni favorables ni défavorables ; j'en appelle seulement à vos
souvenirs très récents.
Je crois, messieurs,
en avoir dit assez pour justifier les exceptions que nous avons cru devoir
maintenir dans la loi. Je n'ai pas besoin de dire qu'en proposant ces
exceptions, nous n'avons été mus par aucune espèce de considération
personnelle. J'espère que la chambre en est bien convaincue. Mais, messieurs,
même à ce point de vue personnel, nous trouverions, au besoin, des arguments en
faveur des exceptions que nous présentons. Car, considérez quelques-uns de vos
collègues compris dans les catégories exceptées, et dites, messieurs, si leur
absence de cette chambre ne présentera pas de graves inconvénients ; s'il est
indifférent pour la chambre de se voir tout d'un coup privée du concoure
d'hommes dont la longue expérience, les lumières, l'indépendance seraient
destinées à rendre encore des grands services.
L'honorable M. de
Theux veut en finir tout d'un coup avec les réformes ; admettons une réforme
radicale ; excluons complétement tout ce qui porte le nom ou le titre de
fonctionnaire ; c'est le moyen, dit-il, de ne plus avoir à revenir sur cette
question.
Messieurs, mon
opinion est entièrement contraire à cet égard à celle de l'honorable
préopinant.
Si vous allez trop
loin, messieurs, si au lieu de vous renfermer dans les limites restreintes,
dans les limites sages que nous ayons présentées, si vous poussez l'exclusion à
outrance, attendez-vous à une réaction ; attendez-vous qu'avant quelques années
le parlement sera de nouveau saisi de cette question que vous voulez trancher
aujourd'hui. Il est très probable que les inconvénients que nous ne faisons que
pressentir aujourd'hui, se présenteront d'une manière tellement palpable que
des propositions pourront être faites dans cette chambre pour revenir sur ce
qu'on déciderait aujourd'hui, pour reconstruire sur ce qu'on démolirait
aujourd'hui. Je n'en veux qu'une preuve, messieurs, ce sont les regrets très
légitimes qui ont souvent été exprimés dans cette enceinte et hors de cette
enceinte sur l'absence de certains conseillers de la cour de cassation que la
loi d'organisation judiciaire a enlevés à nos débats.
Ainsi, messieurs, si
vous voulez éviter des retours fâcheux, si vous voulez que le parlement ne soit
plus saisi de cette question, faites une réforme raisonnable, faites une
réforme modérée. Elle sera, messieurs, acceptée par le pays, car le pays veut
des choses raisonnables, des choses modérées, des réformes prudentes ; mais je
ne pense point que l'opinion publique réclame cette réforme radicale que vous
voulez lui imposer.
L'honorable orateur
qui m'a précédé, a considéré la proposition comme une innovation ; mais cette
proposition, en elle-même, n'est pas une innovation pour le pays. A différentes
reprises les chambres ont eu à s'occuper de ce que l'on appelle aujourd'hui la
réforme parlementaire.
En 1835, l'honorable
M. Dumortier fit une première proposition qui avait pour objet d'exclure les
commissaires de district et les gouverneurs de province nommés dans leur
ressort. Cette première proposition de l'honorable M. Dumortier ne fut pas
accueillie par la chambre. Il la reproduisit en 1837, et alors cette
proposition fut votée par la chambre ; elle alla échouer au sénat. Nous avons
déjà une sorte d'engagement sur la question ; une sorte de demi-loi a été faite
par laquelle on excluait des fonctions parlementaires les commissaires de
district et les gouverneurs de province nommés dans leur district ou dans leur
province ; mais encore l'honorable auteur de la proposition faisait exception
pour les fonctionnaires de la chambre et leur conservait leur double position.
Nous n'avons fait, messieurs, que continuer ces antécédents et, pour le dire en
passant, lorsque l'honorable M. Dumortier fit cette proposition, je ne me
rappelle pas qu'il y ait eu dans la chambre un seul membre qui se soit élevé
contre la constitutionnalité du projet de réforme.
A cette époque,
messieurs, si ma mémoire ne me trompe, la proposition de l'honorable M.
Dumortier fut acceptée comme parfaitement constitutionnelle ; elle fut votée
par la chambre. C'est un argument de plus à ajouter aux arguments déjà si
nombreux et si concluants joindre en faveur de la constitutionalité de la
proposition.
Je crois, messieurs,
qu'au lieu de nous livrer à une dissertation approfondie sur la question de
constitutionnalité, nous ferons mieux de nous en rapporter à tous les
antécédents qui sont très explicites, très significatifs et qu'on ne pourrait
répudier aujourd'hui qu'avec les plus graves inconvénients. En effet si toutes
les lois votées précédemment ne s'harmonisent pas avec la Constitution, il faut
se hâter, non pas demain, mais aujourd'hui même, de les rapporter et de revenir
à la règle constitutionnelle, car c'est la Constitution qui est notre
sauvegarde à tous, c'est la Constitution que nous devons avant tout respecter
et faire respecter.
Messieurs, après ces
observations pratiques me sera-t-il permis de terminer par quelques
considérations générales ? Nous croyons qu'il faut maintenir dans les chambres
un certain nombre de fonctionnaires publics parce que nous croyons qu'il faut
au pays un certain nombre de citoyens consacrant leur existence à la vie
parlementaire, à la vie politique, parce que nous croyons qu'il faut créer,
encourager dans le (page 1776) pays
ce qui lui a manqué longtemps ce qui lui manque encore dans une certaine
mesure, une classe d'hommes politiques. Les classes parlementaires et
politiques, qui se vouent à la conduite des intérêts publics, ce n'est pas en
un seul jour, messieurs, que de pareilles classes peuvent se former.
La France elle-même,
on peut le dire sans lui faire injure, la France surtout quand on la compare à
un pays voisin, est encore peu riche aujourd'hui en hommes formant ce que
j'appelle la classe politique dit pays. Ce n'est que par un long travail,
retenez-le bien, ce n'est que par un long travail que l’on peut parvenir à
former un certain nombre d'hommes propres à conduire convenablement, dans l'une
et l'autre opinion, les affaires politiques, les affaires administratives du
pays.
Si vous supprimez la
carrière parlementaire pour cette catégorie de citoyens, messieurs, vous
commettez une grave imprudence, vous faites renaître des inconvénients que le
temps contribuait à effacer de jour en jour. Si votre proposition est adoptée,
il sera dit qu'un homme public, qu'un homme politique, ne pourra plus servir
don pays qu'à la condition d'être ministre ou à la condition de cesser d'être homme
parlementaire.
Je vous demande,
messieurs, si c'est là le moyen de fortifier, d'étendre cette classe d'hommes
politiques dont le pays a encore si grand besoin. Des ministres sortent de
leurs fonctions ; ils peuvent prêter un concours utile à leurs successeurs :
rien, dans la politique de leurs successeurs ne leur fait ombrage ; ils peuvent
donner un concours utile à l'administration ; eh bien, il ne leur sera permis
de donner ce concours, qu'à la condition de se suicider comme hommes
politiques, comme hommes parlementaires. Une opinion nouvelle arrive aux
affaires ; il lui importe de ne pas arriver seule, d'y arriver avec une partie
de ses forces, d'y arriver soutenue par les hommes éminents qu'elle renferme ;
eh bien, le ministère nouveau s'adresse à ces hommes éminents qui font partie
de la chambre, en leur offrant certaines fonctions administratives, des places
de gouverneurs, par exemple ; et ces soutiens naturels de l'opinion qui arrivera au pouvoir, lui feront défaut,
ou bien ils devront abandonner le parlement, c'est-à-dire abandonner le moyen
de soutenir efficacement la cause à laquelle ils se sont voués, de soutenir
l'opinion à laquelle ils doivent leur concours. En un mot, vous n'aurez plus,
avec le système de la section centrale, que des aspirants-ministres parmi vos
hommes politiques ; toute autre carrière devra être abandonnée, à moins que,
pour courir les emplois administratifs, on ne consente à abandonner la carrière
politique.
J'ai parcouru (vous
savez, messieurs, que ces questions ne sont pas discutées pour la première
fois), j'ai parcouru les discussions qui ont eu lieu en France, dans ces quinze
dernières années, et je n'ai pas rencontré une seule opinion qui se soit
prononcée pour l'exclusion complète des fonctionnaires publics du parlement.
Or, le système de la section centrale, qui maintient, par grâce spéciale, les
ministres, exclut d'une manière absolue tous les fonctionnaires.
Je répète que je n'ai
pas rencontré une seule opinion qui soit favorable à ce système. A part les Etats-Unis,
dont nous n'avons pas à nous préoccuper en ce moment-ci ; à part ce qui sera
décidé par une constitution qui n'est pas encore faite dans un pays voisin, si
nous prenons pour exemple notre devancière, notre modèle dans le gouvernement
constitutionnel, nous trouvons qu'en Angleterre un très grand nombre de
fonctionnaires publics font partie du parlement. Les shérifs, en dehors de
leurs comtés, peuvent être élus ; 75 fonctionnaires publics faisaient l'année
passée partie du parlement.
Messieurs, permettez-moi
quelques citations ; je les emprunterai à des hommes dont on ne récusera pas,
je t'espère, la compétence en ces sortes de matières.
L'honorable M. de
Rémusat qui, avec une louable constance, a poursuivi, pendant plusieurs années,
la réforme de la chambre des députés, l’honorable M. de Rémusat a fait
constamment ses réserves pour le maintien, dans la Chambre des députés, d'un
certain nombre de fonctionnaires ; voici comment il s'exprime :
« On est généralement
d'accord sur ce point qu'il faut des fonctionnaires à la chambre, qu'il y faut
des fonctionnaires politiques. Mais ce n'est pas tout. On doit admettre aussi
un certain nombre de fonctionnaires non politiques, à cause de l'importance de
ces classes de fonctionnaires dans la société.
« Une chambre qui ne
leur ouvrirait pas ses portes, qui les proscrirait de son sein, proscrirait en
quelque sorte une classe de la société ; elle ne serait plus une véritable
représentation nationale. »
L'honorable M.
Thiers, et je crois qu'il peut nous être permis d'invoquer ce nom illustre,
d'invoquer l'autorité de cet homme pratique, de cet administrateur distingué,
de ce ministre qui a laissé de grands souvenirs ; voici ce que disait
l'honorable M. Thiers, parlant et parlant d'une manière très hardie en face du gouvernement
aujourd'hui tombé ; voici ce qu'il disait, tout en condamnant la présence d'un
trop grand nombre de fonctionnaires publics dans la chambre des députés :
« Je vais
essayer de donner la raison vraie, la raison fondamentale, à mon avis, de
l'admission des fonctionnaires dans cette chambre, et vous verrez, quand je
l'aurai donnée, que je suis loin de vouloir les exclure. La chambre doit être
la représentation exacte de la société dans toutes ses parties, et dans ses
vraies proportions. Il faut donc qu'elle contienne toutes les professions dont
la société se compose, et dans la mesure qui convient à leur nombre et à leur
importance. Il faut également l’agriculteur qui concourt à la première des
productions, celle du sol ; le manufacturier qui concourt à la seconde
production, celle de l'industrie ; le négociant qui échange toutes ces
productions naturelles ou industrielles ; le banquier qui solde ces échanges,
le savant qui éclaire les uns et les autres, l'avocat qui les défend dans leurs
contestations... Il les faut tous pour que la représentation soit complète. Et
quand vous admettez l'agriculteur, le manufacturier, le négociant, le banquier,
le savant, l'avocat, vous excluriez la noble profession du magistrat qui les
juge, du marin qui les protège au loin, du militaire qui les défend sur la
frontière !... Oh non, ce serait une exclusion non seulement injuste, mais
absurde. La représentation nationale serait incomplète, elle serait fausse au
lieu d'être vraie... »
Enfin, messieurs, une
dernière autorité, et celle-ci est plus actuelle encore, une dernière autorité
que je demande la permission de vous citer, c'est celle d'un homme qui a joué
un grand rôle dans ces derniers temps et qui occupe une place éminente dans le
nouveau gouvernement français. Voici comment M. de Lamartine s'expliquait, à
l'égard des fonctionnaires à une époque où il avait déjà expliqué en pleine
chambre ses motifs de se ranger du côté de l'opinion démocratique. Je donnerai
une analyse rapide de son discours :
« Il voit un mal
immense pour le pays, dans la présence d'un trop grand nombre de fonctionnaires
à la chambre. »
« II en a aussi
cherché le remède, mais il ne l'a pas trouvé dans le moyen qu'on propose : il
voit ce remède dans le jugement électoral : les électeurs sont les juges en
dernier ressort de l'immoralité ou de la moralité de la situation des
représentants du pays qu'ils nomment ; à eux seuls appartient de prononcer, si
le député fonctionnaire ou non est à leurs yeux dans des conditions
d'indépendance de situation ou de caractère, qui les satisfont ; s'il use ou
s'il abuse de la haute influence que leurs suffrages lui ont acquis pour lui ou
pour son pays ; s'il est digne ou indigne que leur confiance lui soit
continuée. »
« Il croit que le
vice actuel du pays, c'est l'insuffisance, le manque d'hommes publics. Il fait
le tableau de l'étrange situation du gouvernement privé de l'appui de ces
hommes, et dont on veut diminuer et déconsidérer les seuls soutiens qu'il
possède.
« Je conjure, dit-il,
la chambre de ne point écouter les mesquines préventions d’une démocratie qui
se défie d'elle-même, qui veut se mutiler elle-même. Vous n'enlèverez pas la
force à ce grand pays menacé de toutes parts, en le séparant en pays législatif
et en pays exécutif. Le pays doit rester entier pour suffire à tous ses
besoins. »
Ce que cet homme
illustre disait d'un grand pays, nous pouvons le dire du nôtre. Il doit rester
entier pour suffire à tous ses besoins.
Je le sais, par la
réforme que nous vous présentons, on pourra dire que le pays ne reste pas
entier pour tous ses besoins.
On pourra nous
reprocher peut-être un jour d'avoir été trop loin dans notre désir de
satisfaire à ce que réclamait l’opinion publique. Mais au moins, nous
n'abandonnons pas tous les principes, nous ne renonçons pas à toute réserve.
Dans l'ordre
judiciaire, dans l'armée, dans l'administration, nous conservons certaines
catégories de fonctionnaires. Nous consacrons surtout le principe dans la loi.
Là est l'immense différence entre le système du gouvernement et le système proposé
par la section centrale.
Maintenant, dans la
pratique notre système offre-t-il certains inconvénients ? Nous ne nous
refusons pas à examiner les amendements qui pourraient être présentés.
Craint-on que, par la réserve faite en faveur des conseillers des cours
d'appel, on n’en vienne à priver les cours d'un trop grand nombre de
conseillers ? Que, par un amendement, on diminue le nombre de magistrats qui
pourra être envoyé à la chambre par chaque ressort.
Croit-on que nous
fassions trop peu pour l'armée en n'admettant que les officiers généraux ?
Qu'on fasse une proposition en faveur d'autres officiers, nous l'examinerons.
Quant aux
gouverneurs, nous nous en sommes expliqués ; des raisons politiques s'opposent
d'une manière absolue à ce qu'ils soient nommés dans leur propre province. Mais
quand un gouverneur est un homme public assez important, assez estimé et aimé
du pays pour qu'une province autre que celle qu'il administre se fasse un
honneur de l'envoyer à la chambre des représentants, nous disons que pour ce
cas spécial il faut devons maintenir l’exception que nous avons proposée.
J'appelle en dernier lieu l'attention de la chambre
sur cette circonstance que cette loi ne concerne pas seulement la chambre des
représentants, qu'elle concerne aussi une autre branche du pouvoir législatif.
Vous devez prendre en considération les dispositions de l'autre chambre, avant
de vouloir lui imposer d'une manière aussi absolue un système que cette chambre
a déjà repoussé, alors même qu'il se présentait à elle sous des formes beaucoup
moins radicales, beaucoup plus modérées qu'aujourd'hui.
La proposition de M.
Dumortier, qui ne s’appliquait qu'â deux catégories de fonctionnaires, aux
commissaires d'arrondissement et aux gouverneurs nommés hors de leur ressort ;
après avoir été adoptée par cette chambre, n'a pas trouvé d'accueil dans
l’autre chambre. Il en est résulté que depuis (page 1777) lors, la proposition a été lettre morte. Je vous engage
à faire une loi qui ait chance d'être acceptée par toutes les branches du pouvoir
législatif.
M. de Tornaco. - Messieurs, à mesure que cette
discussion se prolonge, je crois remarquer qu'on perd de vue les motifs
principaux du projet de loi qui nous occupe en ce moment. Ce n'est pas, comme
vient de le dire M. le ministre de l'intérieur, à cause du grand nombre de
fonctionnaires qui se trouvent ici qu'on a réclamé une mesure législative, ce
n'est pas non plus parce que les fonctionnaires auraient une trop grande
influence sur les collèges électoraux. Il y a d'autres motifs, motifs plus
simples, et qui, par cela même, ont donné aux réclamations une sorte
d'unanimité. Je les rappellerai en peu de mots, puisqu'on paraît les oublier.
Ces motifs sont
tellement frappants, saisissables, que je ne crains pas de dire que, parmi les
lois de réforme présentées dans cette session, celle que nous allons voter est
celle qui sera acceptée avec le plus d'unanimité dans le pays, ce sera la plus
populaire de toutes ; cela parce que les motifs sont plus généralement et mieux
compris.
On comprend, en
effet, d'une manière fort générale, qu'il est fort difficile à un fonctionnaire
public de se trouver en même temps à Bruxelles et dans une autre ville. On
comprend qu'il est impossible (pour me conformer à la rectification de l'honorable
M. Lebeau), de se trouver dans deux lieux à la fois, de remplir des fonctions
qui exigent la présence dans deux localités différentes. Voilà ce qu'on
comprend parfaitement dans tout le pays.
On comprend si bien
dans le pays cette impossibilité que certains collèges électoraux, pour éviter
aux fonctionnaires publics la peine trop grande de concilier des choses
inconciliables, les ont rayés de la liste de leurs candidats. Le fait a eu lieu
à Liège, à Gand, à Verviers, et ne tarderait probablement pas à arriver dans
d'autres localités.
M. Lebeau. - Alors pourquoi la
loi ?
M. de Tornaco. - Parce que la
réforme ne serait pas générale, et que d'ailleurs, dans ce moment, nous voulons
donner satisfaction à l'opinion publique.
Cette loi a été
réclamée vivement, et cette réclamation a été si générale qu'elle mérite bien
que nous y ayons égard. Un autre motif qui est encore populaire, c'est qu'il ne
paraît pas très convenable de cumuler à la fois les indemnités de représentant
et le traitement de fonctionnaire. Cette considération est beaucoup plus
populaire qu'on ne la suppose généralement.
Dans le peuple, on ne
comprend que difficilement qu'on cumule les traitements de fonctionnaire avec
l'indemnité de représentant ; on le comprend de jour en jour moins à mesure que
les hommes capables de remplir des fonctions soit administratives soit
représentatives devient plus nombreux. Il y a un autre motif, messieurs, du
projet de loi qui est également populaire ; on reconnaît que la présence d'un
trop grand nombre de fonctionnaires dans les chambres, notamment dans la
chambre des représentants, ôte à la représentation nationale son caractère de
sincérité.
Messieurs, je suis
bien loin sans doute de vouloir porter atteinte au caractère de l’un ou l'autre
de mes collègues, je les regarde généralement comme très indépendants. Je
regretterais qu'on pût me supposer une opinion contraire. Cependant, il faut
bien le reconnaître, la position du fonctionnaire dans les chambres n'est pas
la même que celle du représentant, qui n'est pas fonctionnaire. Je dis qu'un
fonctionnaire devrait avoir perdu tout sentiment de délicatesse pour avoir la
même position qu'un autre membre de la chambre. Un fonctionnaire qui doit son
emploi à un ministre, qui a été maintenu ou promu par lui, est naturellement
porté à avoir à l’égard de ce ministre des ménagements qu'il n'aurait pas s'il
n'était pas dans une position semblable. C'est là, je le répète, un fait tout
naturel ; je désire qu'il demeure toujours vrai, car je n'aime pas, je l'avoue,
des fonctionnaires qui frappent sans égards la main qui les a élevés.
Je crois inutile
d'entrer davantage dans les détails des motifs déterminants du projet de loi.
Je ne les ai rappelés
que parce qu'on les oubliait quelque peu depuis le commencement de la
discussion. Au reste, ces motifs sont si péremptoires, qu'en général personne
ne les a combattus. L'objection principale qu'on a faite au projet de loi a été
tirée de son inconstitutionnalité. Quant à cette objection, après ce qui a été
dit, je ne pense pas devoir m'y arrêter. Je ferai seulement une remarque sur ce
qu'a dit un honorable membre qui a prononcé un discours savamment raisonné. Il
a soutenu que toute incompatibilité devait avoir son principe dans la
Constitution même.
Si on adoptait le
système de cet honorable membre, il faudrait que la chambre décidât qu'elle
connaît mieux la Constitution que le congrès lui-même, il faudrait que la
chambre décidât que le corps législatif le plus éloigné du congrès a mieux
connu la Constitution que les chambres qui l'ont suivi de plus près. Or, une
décision pareille serait contraire à la raison ; il faudrait que la
Chambre condamnât toutes les chambres qui l'ont précédée, car elles ont admis
l'incompatibilité dans la loi d'organisation de la cour des comptes ; elles
sont admis l'incompatibilité dans la loi d'organisation de l'ordre judiciaire
et de plus dans la loi provinciale, dans la loi communale, réglant des
institutions auxquelles personne ne contestera leur grande-importance dans
notre pays. Je doute fort, messieurs, que la chambre consente à prononcer une
pareille condamnation contre les chambres qui l'ont devancée.
Tout à l’heure, un
honorable ministre vous a cité des .autorités en faveur de l'admission des fonctionnaires
publics, dans le sein du parlement. Il a prononcé les noms de MM. de Rémusat et
de Lamartine.
Mais vous avez sans
doute remarqué, messieurs, que les opinions citées sont antérieures au 24
février et que les événements de ce jour ont dû nécessairement les affaiblir de
beaucoup, sinon les détruire entièrement. Je me rappelle avoir lu dans presque
tous les journaux français qu'une des grandes fautes commises par le
gouvernement déchu avait été le maintien dans la chambre des députés d'un grand
nombre de fonctionnaires, de n'avoir pas (me dit-on) accepté la réforme ; mais
la présence de ce grand nombre de fonctionnaires a été cause du refus de
réforme. Il tombe sous le sens qu’une chambre de 4 à 500 membres où se
trouvaient 181 fonctionnaires comme le dit l'honorable M. Rodenbach. (Interruption.) Je ne veux pas discuter
sur le chiffre. Il tombe sous le sens qu'une chambre comme celle-là ne pouvait
pas être l'expression vraie de la nation.
La sincérité du gouvernement
représentatif faisait complètement défaut, la vérité devait être nécessairement
ignorée ou imparfaitement connue du gouvernement ; l'un des plus grands
avantages des institutions représentatives devait être perdu.
Messieurs, bien que
j'approuve la réforme parlementaire, je ne puis approuver entièrement le projet
de loi de votre section centrale ; je trouve qu'elle a trop généralisé ;
qu'elle n'a pas distingué ce qui devait l'être, en un mot ; je pense qu'elle
aurait dû admettre, pour le sénat, quelques exceptions à la règle générale
d'exclusion des fonctionnaires publics.
Les motifs
d'incompatibilité qui existent, quant à la chambre des représentants,
n'existent pas pour le sénat ; ou s'ils existent, c'est à un degré moindre que
pour la chambre des représentants. Parmi ces motifs que je viens de rappeler se
trouve le cumul du traitement de fonctionnaire avec l'indemnité de représentant
; ce motif n'existe pas quant au sénat. L'impossibilité de remplir d'une
manière convenable des fonctions administratives et des fonctions
parlementaires est un motif bien moins sensible quant au sénat, qui n'a (année
commune) que de 50 à 60 séances. Il est un grand nombre de fonctions que les
sénateurs pourraient, sans grand inconvénient, cumuler avec les fonctions
législatives.
Messieurs, le sénat
ne doit point être, au même point que la chambre, l'expression du mouvement des
esprits, du mouvement intellectuel du pays ; il doit être de sa nature, suivant
son institution, suivant le rôle que lui a assigné le congrès, il doit être
modérateur, conservateur. Le motif d'incompatibilité tiré de la sincérité des
institutions représentatives, n'a donc pas, quant au sénat, la même force que
touchant la chambre des représentants.
Les choix du sénat
sont fort limités, à cause des conditions d'éligibilité. Convient-il de les
limiter encore plus ? Je ne le pense pas. L'abus du cumul n'a jamais été très
grand au sénat. Je crois qu'à présent il y a sept fonctionnaires au sénat,
c'est peu comme abus c'est beaucoup, au contraire, comme utilité. Je vous avoue
qu'en parcourant la liste des sénateurs, j'ai été frappé d'y voir aussi peu de
fonctionnaires ; mais j'ai été frappé surtout du vide qu'ils laisseraient au
sénat, si vous les obligés à quitter ce corps.
Messieurs, je crois
que la loi devrait faire des exceptions pour les sénateurs ; et je suis
d'autant plus porté à le croire que, malgré nous, malgré tout l'entraînement
que nous avons à voter la loi qui nous occupe, nous devons reconnaître que
l'exécution de cette loi amènera un vidé dans cette chambre. C'est là un fait
que personne ne pourra contester dans cette enceinte : c'est que si tous les
fonctionnaires publics, si tous les fonctionnaires instruits et les hommes de
talent qui se trouvent ici, viennent à quitter la chambre, il se fera
nécessairement un vide dans le parlement. Ce vide existera surtout dans le
commencement. Je ne doute pas que dans l'avenir il ne devienne moins sensible.
A mesure que les places seront ouvertes, il se formera plus de candidats, il y
aura plus d'hommes qui se présenteront pour les remplir. Mais dans les
commencements, je suis persuadé qu'on s'apercevra de l'absence des
fonctionnaires qui vont être exclus de cette enceinte.
Si ce fait est vrai,
une conséquence toute naturelle, c'est que le sénat, à mesure que la chambre
contiendra moins d'hommes d'expérience, devrait en contenir davantage, pour
rétablir en quelque sorte l'équilibre.
Remarquez, messieurs,
qui si vous ôtez au sénat les hommes d'expérience qui y sont, vous n'aurez plus
au sénat que des industriels et des propriétaires. Si vous excluez tous les
fonctionnaires publics, c'est à ces deux seules catégories de citoyens que se
réduira la formation du sénat.
Quant à moi, je ne
puis me faire illusion sur un inconvénient semblable.
Je désire, autant que
qui que ce soit, de conserver intactes les institutions de notre pays, et c'est
pourquoi j'ai cru devoir faire ces observations à la chambre. Je désire que le
sénat, non plus que toute autre institution de notre pays, ne soit amoindri, et
je crains que par l'adoption du projet tel qu'il vous est présenté par la
section centrale, le sénat ne soit amoindri. Car c'est sur les têtes du sénat
que la loi frappera.
Messieurs, si je
croyais qu'un amendement dans le sens des idées que je viens de présenter, pût
avoir quelque assentiment dans la chambre, je m'empresserais de le rédiger et
de le soumettre à son adoption.
Il y a, messieurs, deux catégories de fonctionnaires
que je voudrais voir maintenir comme éligibles au sénat ; ce sont les officiers
de l'armée et les membres inamovibles de la magistrature. (Interruption.) On me fait observer qu'il n'y eu aura pas beaucoup.
Mais quand il n’y en aurait qu'un ou deux de chaque catégorie, je trouve que ce
serait un immense (page 1778)
avantage pour le sénat où ces deux spécialités vont faire défaut plus que
jamais.
Je crains que
l'adoption complète du projet de la section centrale ne soit préjudiciable à
l'institution du sénat. Cette crainte, j'ai voulu l'exprimer. Si, d'ailleurs,
la chambre croit qu'il soit nécessaire de faire une expérience complète, je
suis loin de trouver, dans les observations que je viens de présenter touchant
le sénat, une raison de voter contre le projet de la section centrale.
M. de Haerne. - Messieurs, je dois
l'avouer, dans ce grave débat j'ai longtemps hésité sur la position que j'avais
à prendre, sur le vote que j'avais à émettre. En présence des discours lumineux
et remarquables que vous avez entendus dans les séances précédentes et dans
celle-ci, je balançais entre les divers systèmes. Dans une question aussi
compliquée et aussi importante, il me
paraît tout naturel qu'on éprouve quelque hésitation.
Messieurs, d'un côté
on a soutenu la question de l'inconstitutionnalité de la mesure ; d'un autre côté
on a établi un système que l'on appelle radical, celui de la section centrale,
mais qui à mes yeux ne l'est pas ; et en troisième lieu nous avons le système
du gouvernement, le système des catégories.
Pour m'orienter,
messieurs, dans cette espèce de dédale parlementaire, j'ai dû m'attacher à un
principe et tâcher de rester conséquent avec ce principe, sauf cependant à
admettre une certaine limite qui en matière politique est toujours nécessaire.
Car lorsqu'on outre les principes politiques, on tombe ordinairement dans
l'erreur.
Quant à la
constitutionnalité, messieurs, je ne reviendrai pas sur les considérations qui
ont été émises à cet égard dans les séances précédentes. Seulement je dirai
que, d'après ce qui s'est passé au congrès, je ne puis avoir le moindre doute
sur la constitutionnalité du projet.
On a dit, il est
vrai, pour soutenir que cette mesure n'est pas constitutionnelle, que le
congrès, en songeant au cumul, n'avait placé cette disposition que parmi les
articles supplémentaires ; mais il n'en est pas moins vrai qu'elle est aussi
formelle que les autres. On a dit aussi que le décret relatif à la cour des
comptes avait été pris avant que fut voté l'article 50 de la Constitution, d'où
l'on veut déduire l'inconstitutionnalité.
Mais, messieurs, on
devrait bien se rappeler que si le congrès, en établissant l'incompatibilité
des membres de la cour des comptes avec la qualité de membre de la chambre,
avait voulu faire de son décret une mesure constitutionnelle, il n'aurait pas
manqué de l'indiquer ; il l'aurait indiqué, lorsqu'il se livra plus tard à la
discussion de l'article50 de la Constitution, discussion dans laquelle on
devait nécessairement rencontrer cette objection, puisque le décret relatif à
la cour des comptes avait été porté préalablement. Or, le congrès n'en a rien
dit. Ainsi la priorité donnée par le congrès au décret relatif à la cour des
comptes, sur le vote de l'article 50 de la Constitution, loin de prouver
l'inconstitutionnalité de la mesure que nous discutons, fournit un argument en
sens contraire.
Comme on vous l'a
fait observer très judicieusement, dans une séance précédente, il y a un
exemple qui tranche la question, c'est le décret relatif à l'exclusion de la
famille de Nassau que le congrès avait porté sans indiquer s'il était constitutionnel
ou simplement législatif et à l'égard duquel il décida plus tard qu'il avait
entendu porter une décision constitutionnelle.
D'après ces motifs,
messieurs, qui vous ont déjà été signalés, mais auxquels j'ajoute quelques
circonstances pour les renforcer, je crois que la chambre ne peut pas avoir le
moindre doute sur la constitutionnalité de la mesure proposée.
Messieurs, la réforme
parlementaire ou plutôt la réforme de l'étal actuel des fonctionnaires publics,
cette réforme est-elle nécessaire ?
D'après les
réclamations qui ont été faites depuis plusieurs années au sein de la
législature, dans les journaux, dans le public, on ne peut douter que certaines
réformes ne soient réclamées par l'opinion publique. Les raisons vous en ont
été exposées à plusieurs reprises. Dans la séance d'aujourd'hui encore, M. le
ministre de l'intérieur vous en a cité quelques-unes, et à ces motifs
l'honorable M. de Tornaco vient d'en ajouter encore d'autres. Il a complété
ainsi la série des raisons qu'on a fait valoir depuis longtemps en faveur de la
mesure projetée.
En effet, messieurs,
il est certain qu'un nombre plus ou moins considérable de fonctionnaires
publics se remplacent difficilement dans l'exercice de leurs fonctions et qu'il
y a par conséquent incompatibilité, contradiction même entre l'exercice du
mandat qui exige leur résidence dans la capitale et l'exercice de leurs
fonctions qui exige leur résidence dans une autre localité.
Aussi, messieurs, une
réforme quelconque a-t-elle été envisagée comme nécessaire à peu près par tout
le monde. Mais fallait-il tout d'un coup admettre cette réforme d'une manière
radicale, d'une manière complète, ou bien fallait-il commencer par établir le
principe et la nécessité d'une réforme dans certaines limites, en attendant que
l'expérience vînt nous éclairer sur l'extension que l'on pourrait donner plus
tard à cette mesure ?
Messieurs, si dans
les divers systèmes proposés, j'en trouvais un où l'on fût conséquent jusqu'au
bout, où l'on poussât le principe jusqu'à ses dernières conséquences, je
déclare franchement que je serais assez porté à y donner mon assentiment. Mais
je vous avoue que je ne trouve pas même que le système de la section centrale
soit conséquent. On l'appelle un système complet et radical, mais d'après les
motifs qui ont été énoncés plusieurs fois, si l'on veut admettre toutes les
raisons alléguées en faveur de la réforme parlementaire, il me semble que le
système de la section centrale n’est pas complet non plus, car il conserve les
chefs des administrations, il conserve les ministres. Il est vrai que
l’honorable rapporteur de la section centrale allègue des motifs en faveur de
l’admission des ministres comme membre des chambres, entre autres que, d’après
la Constitution, ils sont appelés à discuter dans les chambres ; mais,
messieurs, il n'est pas nécessaire pour cela que les ministres fassent partie
de la législature ; ils pourraient fort bien prendre part à nos débats sans
posséder le mandat de représentant ou celui de sénateur qu'ils ne peuvent
d'ailleurs cumuler. D'un autre côté, il est certains motifs que l'on a fait
valoir contre d'autres catégories de fonctionnaires, les gouverneurs, par
exemple, les commissaires d'arrondissement, les procureurs du roi, quant à
l'influence prépondérante qu'ils peuvent exercer sur les électeurs, afin de les
faire voter en leur faveur ; eh bien, ces motifs, s'ils existent à l'égard des
fonctionnaires que je viens d'énumérer, militent à bien plus forte raison
contre l’admission des ministres. Ainsi, messieurs, je dis que le système de la
section centrale n'est pas complet non plus. Je dirai même que nous avons reçu,
il n'y a pas longtemps, des pétitions où l'on proposait un système plus large
encore, en demandant l'élimination des bourgmestres du sein de la
représentation nationale, et il y a des raisons plausibles à invoquer en faveur
de cette incompatibilité. Les bourgmestres, en effet, sont nommés par le
gouvernement ; ils se trouvent plus ou moins sous la dépendance du ministère,
en présence duquel ils doivent délibérer dans cette chambre. Je fais cette
observation, messieurs, dans le seul but d'en tirer cette conclusion que, quel
que soit le système qu'on adopte parmi ceux qui nous sont présentés, toutes les
opinions sentent la nécessité de s'arrêter à une limite quelconque et qu'il n'y
a pas de système complet, radical, dans aucune opinion de la chambre.
Pour vous en donner
une preuve de plus, j'analyserai rapidement quelques raisonnements qui viennent
d'être avancés par l'honorable M. de Tornaco. Cet honorable membre vient de
dire, en faveur d'un système plus ou moins radical pour la chambre, bien qu'il
témoigne une grande prédilection pour le sénat, il vient de dire qu'il est
impossible de remplir deux fonctions à la fois. Eh bien, cela est vrai jusqu'à
un certain point ; mais alors il faut exclure bien d'autres fonctionnaires que
M. de Tornaco semble cependant admettre. N'est-il pas également difficile,
messieurs, de remplir en même temps les fonctions échevinales et celles de
membre de la chambre ? Il faut donc exclure également les échevins, les
conseillers communaux. Les fonctions de notaire se concilient très
difficilement avec le mandat législatif ; il faudrait donc également exclure
les notaires.
L'honorable membre a
ajouté qu'on ne peut pas cumuler un traitement quelconque et l'indemnité. C'est
encore là un motif d'exclusion pour une foule de fonctionnaires. Et cependant,
ni l'honorable membre, ni aucun préopinant n'ont accepté ces conséquences.
Ainsi, messieurs, je
soutiens qu'aucun système n'est complet, que dans tous on s'arrête à un point
donné, parce qu'on sent qu'il doit nécessairement y avoir une limite aux
exclusions.
Eh bien, messieurs,
puisqu'il en est ainsi, puisqu'il faut une limite, il me semble qu'il est tout
rationnel d'admettre dans les principales branches d'administration les
fonctionnaires les plus éminents qui semblent résumer en eux les lumières et
l'expérience propres à ces diverses branches d'administration ; c'est à peu
près là ce que fait le projet ministériel. Il réunit en quelque sorte en un faisceau
commun toutes les lumières des administrations diverses, en admettant qu'elles
soient représentées par leurs chefs ou leurs membres les plus distingués dans
les chambres.
C'est ainsi que, pour
l'ordre administratif, les ministres pourront faire partie des chambres ; pour
l'armée, les lieutenants généraux ; pour l'ordre judiciaire, les conseillers
des cours d'appel.
Quant aux
gouverneurs, je ne puis pas admettre le système du gouvernement, je ne puis
adopter l'exception qu'il établit en faveur des gouverneurs élus en dehors de
leurs provinces. Il me semble qu'en admettant cette exception, on jette un
blâme sur tous les autres gouverneurs, et que le motif de l'influence qu'ils
peuvent exercer sur les électeurs de leurs provinces s'applique à plus forte raison
aux ministres.
Je termine par une
seule observation.
Un honorable préopinant vous a dit qu'en admettant le
système de la section centrale, c'est-à-dire en poussant le système d'exclusion
plus loin que ne le fait le gouvernement, on pourra plus tard, instruit par
l'expérience, revenir sur ses pas, on pourra réformer la réforme dans un sens
contraire à ce que nous faisons maintenant. Je crois préférable de ne pas aller
jusqu'au bout pour le moment, et d'attendre que l'expérience vienne nous
éclairer sur la question de savoir s'il y aurait plus tard encore d'autres
exclusions à admettre, d'autres incompatibilités à établir ; je crois qu'il
vaut mieux ne pas aller de prime abord jusqu'à l'extrême, et si l'expérience
vient démontrer que nous n'avons pas fait assez, alors nous serons toujours à
même d'aller plus loin.
Par les
considérations que je viens d'avoir l'honneur de vous présenter, messieurs,
j'indique mes préférences ; mais si les modifications que je désirerais voir
apporter au projet de la section centrale ne sont pas admises, cela ne
m'empêchera pas de voter en faveur de l'ensemble de ce projet.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs,
l'honorable ministre de l'intérieur terminait tout à l'heure son discours par
des citations empruntées aux hommes politiques d'un pays voisin ; ces opinions
pouvaient avoir une grande valeur à l'époque où elles ont été émises. Mais
aujourd'hui demandons-nous pourquoi, après avoir atteint, pour le cens (page 1779) électoral, la limite extrême
fixée par la Constitution, nous sommes appelés à discuter un projet de loi de
large réforme parlementaire ; c'est parce que le temps a marché, parce que
nous devons marcher avec lui , ces opinions qui étaient hardies à l'époque où
elles ont été prononcées, sont devenues aujourd'hui timides, insuffisantes, ne
pouvant satisfaire à aucun des intérêts que les événements ont fait naître.
De quoi s'agit-il ?
D'une question d'indépendance parlementaire ? S'agit-il, comme on le disait
hier, de savoir si, moyennant telle ou telle combinaison, les éléments
parlementaires seront meilleurs ou plus mauvais ? Non, il s'agit, comme le
gouvernement l'a constaté dans l'exposé des motifs du projet, de satisfaire à
l'une des exigences de l'opinion publique. Sans doute chacun de nous peut en
recevoir l'impression d'une manière différente ; à mes yeux, dans les
circonstances où le pays se trouve, après les réformes déjà votées, la plus
grande faute politique que l'on puisse commettre, faute que j'appellerai presque
un malheur pour le pays, serait d'adopter une demi-réforme qui aurait tous les
inconvénients, sans avoir aucun des avantages d'une réforme entière.
Que faut-il encore ?
Que le principe de ce projet de loi ne soit pas la critique de notre passé à
tous, de ce passé qui nous a faits ce que nous sommes, qui nous a permis
d'avoir, au milieu de la grande crise de 1848, cette attitude si noble et si
digne que nous conserverons, je l'espère, jusqu'à la fin ; non, il ne faut pas
jeter, aujourd'hui moins que jamais, le moindre blâme sur le passé des
assemblées législatives qui ont fondé la Belgique, qui l’ont amenée où elle
est. Eh bien, en dehors du principe de la résidence, en dehors de cette idée
que nous voulons aujourd'hui avec l'opinion publique, parce que le temps a
marché, parce que des nécessités nouvelles se sont révélées ; en dehors de
cette idée, que le fonctionnaire doit se consacrer exclusivement à ses
fonctions, il y a nécessairement, fatalement, un blâme, une critique du passé,
il y a de l'ingratitude. Car déclarer, comme le propose le projet du
gouvernement, que tels ou tels fonctionnaires sont exclus, que tels autres
fonctionnaires ne le sont pas, c'est déclarer qu'il y avait à faire dans notre
passé une distinction de capacité, sinon d'indépendance de caractère et de
position. Eh bien, je ne veux pas de l'une ni de l'autre partie de
l'alternative, la loi doit être non seulement logique, mais encore juste,
vraie, fondée sur les faits dans le passé, comme sur les intérêts du présent et
de l'avenir.
Deux questions
essentielles partagent ce débat ; la question de constitutionnalité, la
question de l'opportunité et en quelque sorte de l'extension qu'il convient de
donner au principe du projet de loi.
Sur la
constitutionnalité du projet, il ne peut y avoir de dissidence entre le
gouvernement et la section centrale. Vous avez entendu en effet M. le ministre
de l'intérieur maintenir et le principe de la loi et les exceptions qu'il
propose d'y introduire.
Dès lors entre nous
la question de constitutionnalité ne peut mettre de dissentiment, puisque sur
une telle question de principe, il ne peut y avoir ni du plus ni du moins. En
traitant brièvement cette question je défends donc à la fois et le projet du
gouvernement et celui de la section centrale.
Sur la deuxième
question, le dissentiment est faible ; nous posons le même principe ; nous le
poussons, non pas, comme le disait M. le ministre de l'intérieur, aux limites
extrêmes de la logique, mais un peu plus loin que le gouvernement n'a cru
devoir le pousser.
En fait,
l'application du système de la section centrale et du système du gouvernement
offre cette différence que, par le premier, il y a quatre ou cinq membres de
plus dans les deux chambres, sur 30 à 40 qui devront opter.
Voilà notre
dissentiment quant à la portée immédiate de la loi.
En appliquant les
principes constitutionnels dans les lois que nous sommes appelés à faire, il y
a un double écueil à éviter : l'un consisterait à ne pas voir ce qui est dans
la Constitution ; l'autre, non moins dangereux, serait de vouloir trouver dans
la Constitution ce qui n'y est pas.
Par un concours de
circonstances que vous pouvez tous apprécier, nous avons été entraînés à
modifier fréquemment, trop fréquemment peut-être, nos lois organiques.
L'instabilité des lois organiques (ou l'a toujours dit) est un mal ; mais
l'instabilité de la Constitution serait un mal beaucoup plus grand. Lorsque
vous êtes obligés de toucher à la Constitution, vous mettez en question
l'existence même du pays. Si vous deviez admettre que le pouvoir législatif a
d'autres droits que ceux qui sont formellement consacrés par la Constitution,
n'auriez-vous pas introduit dans votre organisation politique le principe le
plus fatal, celui de l'instabilité de la Constitution elle-même ? Lorsqu'une
nécessité quelconque se révélerait, vous auriez à opter entre la réforme de la
Constitution avec tous les dangers qu'elle entraîne et le danger peut-être très
grave de méconnaître un vœu de l'opinion publique.
Au-dehors (et je ne
crois pas, je me hâte de le dire, que cette pensée ait pénétré dans la
chambre), au-dehors on demande que la question des incompatibilités soit
résolue dans un sens très large ; mais on soutient en même temps que cette
réforme ne peut se faire qu'en révisant la Constitution.
Le pouvoir législatif
a tous les droits que la Constitution ne lui dénie pas. On vous a déjà cité des
restrictions faites par quelques articles. Pour rester dans les termes de la
question spéciale dont la chambre s'occupe, si le congrès avait adopté la
doctrine que je combats, aurait-il écrit dans l'article 50 de la Constitution :
» Aucune autre condition d'éligibilité ne peut être requise. »
Cette addition eût
été un non-sens. Ne prenons donc pas un microscope trop puissant pour trouver
dans la Constitution ce qui n'y est pas, n'admettons pas qu'en dehors de la loi
fondamentale, il y ait des articles non écrits, sous-entendus, des principes
plus forts que la Constitution elle-même. La Constitution doit s'interpréter
par elle-même, et non par les constitutions adoptées à l'étranger. Je n'admets
pas qu'on puisse légitimement puiser dans les constitutions de 1791 de l'an III
ou de l'an VIII et dans les diverses chartes qui se sont succédé en France
l'interprétation de notre Constitution. Le congrès a consulté pour la faire nos
traditions historiques, nos mœurs, nos besoins ; il n'a pas cherché ses modèles
à l'étranger.
S'il n'a pas écrit le
principe des incompatibilités dans la Constitution, voyons s'il a défendu à la
législature de l'écrire dans nos lois. On nous dit que toute loi qui a pour but
de modifier la composition des grands pouvoirs de l'Etat est essentiellement
constitutionnelle. Je regrette que l'honorable membre qui a soutenu cette thèse
ne l'ait pas développée avec l'autorité de son talent, quand nous avons discuté
la loi de la réforme électorale. Aucune loi peut-elle modifier plus
profondément la composition du parlement que celle qui change les éléments du
corps électoral ? Le texte de la Constitution, pour qui veut l'examiner tel
qu'il est, la simple définition des mots démontrent la compétence de la
chambre.
Qu'est-ce qu'être
éligible ? C'est être capable de recevoir un mandat d'un collège électoral.
Qu'est-ce que
l'incompatibilité ? C'est une déclaration que telle et telle fonction ne
peuvent être cumulées. Aussi longtemps que vous laissez chaque citoyen dans la
plénitude de sa capacité pour recevoir le suffrage des électeurs, vous
n'établissez pas de nouvelle condition d'éligibilité. Ce n'est pas là une
distinction subtile, c'est la définition même des mots dont nous nous servons.
Cette distinction a
été faite par la section centrale. Ainsi d'une part elle propose d'établir
l'incompatibilité, d'autre part, quand il s'est agi de déclarer des
fonctionnaires temporairement inéligibles, elle a reconnu» que l'article 50 de
la Constitution ne permettait pas d'établir cette disposition par la loi.
Si je voulais pousser
la doctrine soutenue devant vous à ses dernières conséquences, je dirais que le
gouvernement comme la législature seraient complètement impuissants, quels que
fussent les abus que l'expérience révélerait. D'après cette doctrine, s'il
arrivait que le parlement entier fût composé presque exclusivement de
fonctionnaires amovibles, le gouvernement et la législature pourraient remédier
à de pareils abus. Si telle est la conséquence peut-on admettre le principe,
sans dire en même temps que la Constitution permet la négation du gouvernement
représentatif, qu'elle contient le germe de sa destruction.
Je m'étonne
d'entendre contester au sein d'une chambre le droit de régler, d'organiser
toutes les administrations, de dire quels sont les devoirs spéciaux des
fonctionnaires en cette qualité. C'est cependant ce qu'implicitement on
soutient. Comment ! la loi ne peut pas dire qu'elle interdit aux fonctionnaires
amovibles comme aux fonctionnaires inamovibles de cumuler avec leurs emplois
telle ou telle autre fonction ? La loi ne peut pas dire quels sont les droits
et les devoirs qu'elle attache à cette espèce de délégation partielle de la
souveraineté nationale ?
Il y a, messieurs,
comme on vous l'a dit, plusieurs précédents. L'honorable député de Bruxelles
s'est principalement attaché, dans la séance d'hier, à affaiblir l'autorité du
précédent posé par le congrès au moment où il s'occupait de la Constitution ;
la Constitution, dit l'honorable membre, n'était pas encore votée ; à tout
prendre, en abrogeant les dispositions contraires, la Constitution aurait
abrogé cette partie du décret relatif à la cour des comptes.
Un simple
rapprochement de dates détruit l'objection. Ses rapports sur la cour des
comptes et sur l'article 36 de la Constitution ont été faits le 22 décembre ;
le congrès a voté en premier lieu le décret relatif à l'institution de la cour
des comptes à la séance du 29 décembre. Aux séances des 5 et 6 janvier il a nommé
les membres de cette cour ; le président a été choisi dans le sein du congrès ;
il a été obligé d'opter ; or l'article 36 de la Constitution avait déjà été
voté ; l'article 50 a été adopté le jour même où le congrès complétait
l'élection des membres de la cour des comptes. Il résulte de là que le congrès
a nettement et en connaissance de cause décidé la question.
En consultant les
discussions du congrès, j'ai trouvé un autre fait qui montre combien on risque de
s'égarer en adoptant la doctrine de l'honorable membre. Lors du vote de
l'article 36, un membre avait proposé d'établir des incompatibilités par la
Constitution. La proposition a été rejetée. A l'article 36 on avait proposé
d'étendre les conditions d'éligibilité, en déclarant notamment que les
personnes en état de faillite jusqu'au moment de la réhabilitation ne
pourraient être ni électeurs ni éligibles. Le congrès, comme à l'article 36, a
rejeté ; niais deux mois plus tard il a introduit dans la loi électorale cette
disposition plus étendue, qu'il n'avait pas voulu placer dans la Constitution ;
s'il en est ainsi, est-on recevable à dire que du rejet de la Constitution de
l'article relatif aux incompatibilités parlementaires, nous serions aujourd'hui
incompétents pour insérer dans la loi ce principe d'incompatibilité, pour faire
ce que le congrès a fait lui-même, quant à la loi électorale ?
L'honorable membre a
terminé en nous faisant observer que, pour la cour des comptes et pour la cour
de cassation, il y avait des raisons spéciales. Si le débat se réduit à ce
point, nous verrons quelles sont les raisons spéciales qu'on peut invoquer,
soit pour le principe, soit pour les exceptions. Mais ce n'est plus une
question constitutionnelle. Il y a eu une raison pour la cour des comptes,
plusieurs raisons pour la cour de cassation. Nous verrons s'il y a, pour la
proposition du gouvernement ou de la section centrale, une ou plusieurs
raisons. Nous demeurons dans notre libre appréciation. La question de
constitutionnalité est écartée !
(page 1780) Après les précédents qui ont été posés, en examinant les
termes et l'esprit de la Constitution, il ne restera, je l'espère, dans vos
esprits aucun doute sur la possibilité constitutionnelle d'établir des
incompatibilités. Je ne m'arrête donc pas plus longtemps à cette partie du
débat.
L'honorable M.
Lebeau, à la séance d'hier, a combattu la proposition de la section centrale
sur un autre terrain. Ce projet, selon l'honorable membre, peut profiter à
telle ou telle opinion ; selon l'honorable membre, ce projet aurait des
tendances aristocratiques.
Je ferai d'abord
remarquer à la chambre que l'initiative de la proposition vient du cabinet,
qu'elle a été réclamée, non par cette opinion qu'on accuse de tendances
aristocratiques. Ne comprend-on pas au reste que les anciens partis n'ont plus
de raison d'existence ? Quand on combat un projet de loi, à raison des
avantages qu'il offrirait à telle ou telle opinion, en se reportant à nos
luttes d'autrefois, on ne comprend ni la situation actuelle, ni l'avenir des
partis politiques.
Si nous subissons une
crise pénible à tant d'égards, il est permis du moins d'espérer qu'il en
sortira, pour notre nationalité et le bonheur du pays, une sorte de
compensation. Des enseignements, qui ne seront pas perdus, sont nés de ces
événements si graves : le besoin de l'union s'est fait sentir à tous les hommes
qui veulent la Belgique telle qu'elle est : les anciens partis ne reparaîtront
plus. S'il en est ainsi, peut-on en ne songeant qu’au passé, apprécier un
projet de loi au point de vue des avantages qu’il offrirait à tel ou tel
parti ?
Le projet aurait,
dit-on, des tendances aristocratiques. Mais, en vérité, notre pays a-t-il une
aristocratie ? N'est-il pas une véritable république constitutionnelle ? La
démocratie n'est pas seulement dans nos institutions ; elle est dans nos idées,
dans nos mœurs, dans la constitution de la propriété.
Aussi, quel est le
partage que l'honorable membre a fait de la nation ? D'une part, les
fonctionnaires représentant en quelque sorte les classes moyennes. D'autre
part, tout le reste de la nation. Si vous excluez les fonctionnaires, nous
dit-on, vous préparez l'avènement de chambres aristocratiques. Cette assertion
se trouve heureusement réfutée par les développements mêmes qu'a présentés
l'honorable membre. Quelles sont, en effet, les catégories dans lesquelles
seraient principalement choisis les membres des chambres, après que les
incompatibilités auront été admises ? La première aristocratie dont l'honorable
membre paraît redouter l'invasion,
permettez-moi de le dire, serait l'aristocratie des avocats sans cause.
Vient ensuite
l'aristocratie des industriels. En troisième lieu, le clergé. Enfin
l'aristocratie des propriétaires !
Je me bornerai à dire
quelques mots de cette dernière catégorie. Demandons-nous comment la propriété
est constituée en Belgique. La grande propriété, l'aristocratie territoriale
n'existe pas. Les classes moyennes possèdent le sol ; elles sont
propriétaires. La grande propriétaire, la propriété aristocratique, en
Belgique, est la très rare exception.
En excluant les
fonctionnaires du parlement, on craint en quelque sorte de n'être plus en
nombre. C'est une impression qui m'est restée en entendant une partie du
discours de l'honorable préopinant. Les avocats éminents que la chambre possède
ne méritent pas, a-t-il dit, le premier prix d'assiduité. Les industriels non
plus ! La réforme parlementaire expose donc les chambres belges à n'être plus
en nombre. Si c'est là l'inconvénient qu'on peut sérieusement opposer à la
réforme parlementaire, je crois qu'il n'est guère moindre avec le projet du
gouvernement accepté par l'honorable membre qu'avec le projet de la section
centrale qu'il repousse, et qu'à tout prendre, l'objection n'est pas décisive.
On paraît craindre
aussi de manquer de candidats-ministres. L'honorable ministre de l'intérieur, à
la séance d'aujourd'hui, a déclaré au contraire que les personnes qui
entreraient au parlement seraient des candidats-ministres, que du moins on en
trouverait beaucoup. Je crois que ni l'un ni l'autre de ces résultats ne se
produiront ; la mesure proposée aujourd'hui ne peut ni augmenter, ni diminuer
les difficultés des crises ministérielles. Ces difficultés ont des causes plus
graves, plus profondes, qui se sont produites et se produiront encore à
l’avenir, quelle que soit votre décision sur le projet de loi.
Je prends donc le
juste-milieu (pour me servir d'une expression employée hier) entre l'opinion de
l'honorable M. Lebeau et celle de M. le ministre de l'intérieur, quant à
l'influence du projet sur les futures crises ministérielles.
Je passe à l'examen
des exceptions proposées du gouvernement et d'après le projet. Si vous faites
le recensement des fonctionnaires exclus d'après le projet de la section
centrale, vous verrez qu'il y a 4 ou 5 membres de plus exclus par le projet de
la section centrale. Il faut, sinon pousser la logique à ses dernières
conséquences, du moins dans les voies que nous sommes appelés à faire, mettre
quelque logique. Je ne la veux pas poussée à l’extrême. Je ne suis pas trop
exigeant ; mais j’en demande un peu.
Voyons donc si les
exceptions peuvent se justifier.
Pour les gouverneurs,
par exemple, c’est à un abus d’influence qu’on veut remédier. Or, en fait, la
plupart des gouverneurs qui ont été ou qui sont membres des chambres avaient
été nommés hors de leur province. L’abs des influences ne s’est donc guère
révélé. Vous voulez néanmoins, sinon y remédier, du moins le prévenir ;
vous dites que les gouverneurs ne pourront être élus qu’en dehors de leur
province.
Mais qu’arrivera-t-il
lors des élections ? Par la force des choses il se formera entre les
gouverneurs, permettez-moi cette expression, une sorte d'assurance mutuelle. Si
donc vous voulez remédier à l'abus des influences, vous n'atteignez pas votre
but par l'adoption du projet de loi. Il y a d'ailleurs, pour éluder la loi, un
autre moyen, on l'a déjà indiqué ; lorsqu'on voudra procurer un mandat
parlementaire à tel ou tel agent du gouvernement, ou en priver un autre du
mandat dont il est investi, une mutation de personnel peut se faire ; rien
n'est plus simple, plus facile. Si vous me permettez encore une expression un
peu vulgaire, je dirai que l'on verra des gouverneurs jouer aux barres à chaque
renouvellement électoral.
L'administration peut-elle
se trouver bien d'un pareil système ? Ne devons-nous pas désirer que les
gouverneurs, comme tous les autres ordres de fonctionnaires, se consacrent
exclusivement à leurs fonctions ?
Il y a, d'après notre
organisation, un motif politique, spécial quant aux gouverneurs. Un juge vient
à la chambre, un suppléant nommé en vertu de la loi, est appelé à le remplacer.
Quand un commissaire d'arrondissement s'absente, le gouverneur nomme son
délégué. Ainsi, pour tout ordre de fonction autre que celle de gouverneur, le
suppléant tire son mandat de la même origine que le titulaire. Le gouverneur,
au contraire, est remplacé par un membre de la députation permanente qui doit
sons mandat au principe électif. L'exception, en ce qui concerne les
gouverneurs, loin d'être logique, est donc contraire à tous les intérêts de
l'administration.
Je comprendrais
jusqu'à un certain point que l'on pût admettre tous les gouverneurs sans
distinction, quel que fût le lieu où ils obtiendraient un mandat parlementaire,
si l'on mettait en pratique, si l'on croyait pouvoir introduire dans notre
législation le principe qu'a préconisé hier l'honorable M. Lebeau ; si les
gouverneurs étaient des sous-ministres ; si à la chambre ils étaient les
soutiens naturels, nécessaires du cabinet ; si, membres de l'administration,
ils avaient pour devoir de se retirer avec le ministère qui les aurait nommés.
Je concevrais jusqu'à un certain point qu'on donnât aux cabinets cette sorte de
milice auxiliaire. Mais un pareil principe, heureusement, n'existe pas encore.
A mes yeux, il serait fatal au parlement parce qu'il y introduirait des hommes
qui ne siégeraient pas avec la plénitude de leur liberté. Il serait fatal à
l’administration parce qu'il y introduirait l'instabilité qui existe dans le
pouvoir central. Il serait fatal aux hommes eux-mêmes, parce que si les
fonctionnaires siègent dans la chambre, il faut qu'ils y soient au même titre
que tous les autres représentants, comme avec les mêmes devoirs.
Aussi longtemps donc
que nous resterons dans le système qui a été en vigueur depuis 1830, les
gouverneurs, sans distinguer dans quel arrondissement ils ont été élus, ne
doivent plus faire partie de la législature.
Quant aux officiers
généraux, M. le ministre de l'intérieur motive principalement l'exception par
cette considération que le ministre de la guerre devrait désormais être choisi
en dehors du parlement. Je ferai remarquer d'abord que jusqu'à présent il n'y a
pas été choisi. On me dit que c’est un mal. C'est possible. Mais je fais
remarquer qu’en stipulant l’exception on ne prévient pas la lésion d’un droit
qui aurait existé jusqu’à présent et qu’on enlèverait.
Ensuite je retourne
l'objection. Vous forcez, dites-vous, à choisir le ministre de la guerre hors
du parlement. Mais, par la disposition que vous proposez, vous forcez en
quelque sorte le Roi à choisir le ministre de la guerre parmi les lieutenants
généraux, si vous voulez qu'il soit membre de la chambre. Or, je ne veux pas
examiner si les forces vives de notre armée sont exclusivement dans les grades
supérieurs ou dans d'autres grades ; mais je dis que votre disposition consacre
le principe d'un véritable privilège en faveur de neuf officiers supérieurs.
S'il m'est permis de rencontrer
ici une observation générale que présentait l'honorable ministre de
l'intérieur, je demanderai si, en établissant les catégories que je viens
d'indiquer, on peut réellement espérer d'améliorer notre éducation politique,
de former des hommes politiques. Le défaut de nos institutions n'est pas là. On
conçoit que dans un pays profondément démocratique, où il n'existe pas
d'aristocratie véritable, l'instruction politique soit faible, soit difficile.
On le conçoit surtout dans un pays jeune comme le nôtre ; Mais déjà le progrès
est remarquable, sous ce rapport ; et si la réforme proposée n'offre pas de
grands dangers à ce point de vue, c'est précisément à cause des progrès qui ont
été réalisés. Cette réforme peut-être n'aurait pu être adoptée impunément il y
a dix-huit ans.
Une dernière
exception vous est proposée. Elle concerne la magistrature. Ici encore,
messieurs, même absence de logique, j'oserais presque dire : logique à
rebours. Voyez en effet ! On permet aux conseillers de cour d'appel et je crois
que l'intention du gouvernement est de ne pas permettre aux présidents de
chambre des cours d'appel...
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Pourquoi pas ?
M. Malou. - Vous dites dans votre
projet : les conseillers.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Les présidents de chambre sont conseillers.
M. Malou. - Je suis charmé
d'avoir provoqué l'explication ; on avait douté.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Vous ne pouviez douter ; vous avez
l’esprit trop lumineux pour cela.
M. Malou. - On permet donc à
tous les membres des cours d’appel de siéger au parlement. Or, messieurs, les
membres de la cour d'appel n'ont pas de suppléants. On l'interdit aux juges de
première instance qui ont des suppléants en vertu de la loi. Il faudrait donc
donner des suppléants aux conseillers des cours d'appel ou bien supprimer ceux
des tribunaux (page 1781) de
première instance, pour faire rentrer cette exception dans la logique.
Pour les tribunaux de
première instance, à ma connaissance, on ne demande plus aucune augmentation de
personnel. Hier encore, pour la cour d'appel de Bruxelles, nous avons voté une
prorogation de la loi qui a augmenté son personnel.
On dit qu'il n'existe
aujourd'hui dans les chambres législatives que trois membres des cours d'appel.
Mais on ne peut pas raisonner ainsi. Du jour où vous aurez établi une catégorie
ou vous aurez exclu presque tous les fonctionnaires, vous augmenterez dans une
proportion très forte les élections de ceux que vous aurez admis.
On me dit et
j'entends M. le ministre de l'intérieur répéter : Limitez le nombre. C'est
impossible ; c'est inconstitutionnel. Si vous limitez le nombre, si vous dites
que deux membres de chaque cour d'appel pourront être élus, vous dites que les
autres deviennent inéligibles et vous tombez sous le coup de l'article 50 de la
Constitution ; de sorte que vous ne pouvez limiter le nombre. Si vous posez
votre exception, elle portera ses fruits et vous pourrez être appelés, par
exemple, à donner à la cour d'appel de Bruxelles une cinquième chambre, parce
que cinq conseillers au lieu de trois auraient été nommés membres des chambres
législatives.
Le moyen que vous indiquez n'est donc pas un remède
pratique.
Je pourrais ajouter
que dans l'organisation même de ce principe, il y aurait des grandes
difficultés, qu'il serait difficile, par exemple, de régler l'ordre de priorité
dans la jouissance de ce privilège ; mais je passe tous ces inconvénients de
détail, parce que comme j'espère l'avoir démontré à la chambre, la mesure n'est
pas constitutionnelle.
Messieurs, pour
résumer ces observations en quelques mots, je dirai : J'aurais compris que
cette question ne fût point soulevée, j'aurais compris que le gouvernement eût
successivement fait quelques réformes ; mais lorsqu'une telle question est
posée devant les chambres, lorsque l'opinion publique l'a comprise, comme le
disait tout à l'heure l'honorable M. de Tornaco, gardons-nous, messieurs, d'une
faute et d'une erreur funeste, gardons-nous de faire les choses à demi, dans un
moment comme celui où nous sommes.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - L'honorable préopinant regrette que le
gouvernement n'ait fait les choses qu'à demi, qu'il n'ait introduit qu'une
demi-réforme alors que l'opinion publique réclame une réforme complète telle
que celle que veut lui donner la section centrale.
D'un autre côté, l'honorable
préopinant fait un autre reproche à l'opposition du gouvernement contre les
conclusions de la section centrale, et ce reproche est celui-ci : Pourquoi vous
opposer aux conclusions de la section centrale ? Nous différons de si peu, cela
tient à trois ou quatre personnes. Si nous différons de si peu de chose, ou
votre réforme est complète ou la réforme de la section centrale n'est pas aussi
radicale que le proclame l’honorable M. Malou.
Messieurs,
l’honorable M. Malou vient de dire que ce qui était acceptable avant le 24
février cessait de l'être aujourd'hui que les opinions ont marché.
Oui, messieurs, les
opinions ont marché et nous avons suivi les opinions. Je vois que l’honorable
M. Malou, qui figurait autrefois, qu'il me permette de le lui dire, parmi les
retardataires, paraît aujourd'hui
marcher devant. J’engage l'honorable M. Malou à marcher du même pas que nous.
Je ne lui demande pas davantage.
En proposant de
maintenir certaines catégories de .fonctionnaires dans le parlement, nous
avons, en quelque sorte, dit-on, condamné le passé. C'est une ingratitude
vis-à-vis d'hommes qui ont rendu des services à la chose publique. Messieurs,
je ne sois pas complètement ingrat, je sauve autant que faire se peut les
sommités parlementaires, et l'honorable M. Malou comment prouve-t-il sa
reconnaissance à ces fonctionnaires ? Il leur prouve sa reconnaissance en les
mettant tous à la porte. Je demande si c'est là beaucoup.de logique ou peu de
logique.
Une réforme
parlementaire est une ingratitude vis-à-vis des fonctionnaires dans le
parlement. Mais, messieurs, ce n’est pas en 1848 que la chambre se rendrait
ingrate, c’est dès l’année 1837 qu’elle s’était montrée ingrate, car dès 1837
la chambre avait adopté, sur la proposition de l’honorable M. Dumortier, une réforme
qui excluait et les commissaires de district et les procureurs du roi.
D'ailleurs, messieurs, cette question doit être complètement isolée des noms
propres et des membres présents dans cette enceinte. Il s'agit d'une question
de principes et non pas d'une question de personnes. On nous rendra cette
justice que nous n'avons pas cherché à ménager nos amis ou à frapper nos
adversaires. La question que nous avons introduite est une question de
principes ; elle frappe de part et d'autre, sans distinction ; elle ménage
aussi de part et d'autre sans distinction.
Le seul argument sur
lequel repose tout le système de la section centrale est celui-ci : Nous
ne voulons chercher les motifs d'incompatibilité dans aucune des raisons
administratives ou politiques mises en avant par le gouvernement ; nous faisons
résider le système dans ce seul principe : chacun à son poste ; obligation de
résidence pour les fonctionnaires publics, impossibilité de remplir deux
fonctions à la fois.
Eh bien, ici encore
la section centrale n'est point logique, car si l'incompatibilité entre les
fonctions parlementaires et les fonctions administratives n'a point d'autre
motif que l'impossibilité pour le même homme de remplir deux fonctions à la
fois, il faut commencer par placer en tête des incompatibilités les fonctions
ministérielles, car s'il est des fonctionnaires publics qui sont occupés en
dehors de cette enceinte, qui doivent à leurs
C’est sans doute pour
cette raison que la logique américaine a exclu les ministres des chambres législatives.
Mais nous ne sommes pas encore arrivés et nous n'avons pas l'intention
d’arriver à la logique des institutions américaines.
La résidence. Le
clergé tout entier n’est-il pas tenu, et par des liens beaucoup plus rigoureux encore
que les fonctionnaires civils, n'est-il pas tenu à la résidence ?
Eh bien, excluez-vous
les membres du clergé ? Je vous en préviens, votre système doit conduire
jusque-là et pour moi, je ne mets pas en doute que si vous excluez tous les
autres fonctionnaires publics tenus à la résidence, vous devez placer en tête
des incompatibilités, les fonctions du clergé. Eh ! ne voyez-vous pas que
cet argument sur lequel vous appuyez tout votre système, est un des plus
futiles qui se puissent imaginer, un des plus contraires à la bonne logique et
à la pratique ? Car, enfin, à moins que vous ne vouliez que les chambres se
composent de gens n'ayant absolument rien à faire, il est impossible de
rencontrer des représentants qui n'aient pas des obligations quelconques à
remplir ; si ce ne sont pas des obligations relatives aux affaires publiques,
ce seront des obligations, relatives à des affaires privées.
Les avocats, les
médecins, les négociants, ont des fonctions, des obligations particulières,
importantes, aussi, à remplir.
Il faut également
dans ce système, basé sur la nécessité de la résidence, exclure les
bourgmestres et les échevins dans les grandes villes, par ceux-là sont aussi
tenus à résidence, ceux-là ont des fonctions fort importantes à remplir.
L'on s'est un moment
égayé à l'occasion des gouverneurs que nous admettons dans la chambre, à la
condition qu'ils ne soient pas nommés dans leurs provinces. Je croyais avoir
donné des raisons sérieuses à l'appui de ce système. L'on a dit que ce système
touchait à l'absurde, qu'il était tout à fait inopérant, en ce sens qu'il
s'établirait entre les gouverneurs des provinces une sorte d'assurance
mutuelle, en vertu de laquelle le gouverneur de Liège, par exemple, procurerait
au gouverneur d'Anvers la confiance des électeurs liégeois, et réciproquement.
Cela peut être
accepté comme plaisanterie, mais comme raisonnement sérieux, il m'est
impossible d'y applaudir. J'admets (et c'est là le côté grave de la question),
j'admets qu'un homme éminent qui occupera le gouvernement de la Flandre
orientale, par exemple, pourra obtenir les suffrages des électeurs de la
capitale ; mais je doute qu'un pareil honneur puisse échoir tous les
gouverneurs ; je suis convaincu que lorsque les électeurs d'une province
confieront le mandat de représentants à des gouverneurs d'autres provinces,
c'est qu'ils verront en eux des hommes tout à fait éminents, qui par leur
capacité et les services qu'ils ont rendus, appartiennent en quelque forte au
pays ; ce sont ces hommes que je veux maintenir dans le parlement et que la
section centrale repousse.
Messieurs, faisons un
retour sur nous-mêmes. Les personnages qui ont siégé sur le banc ministériel
sont nombreux. Où les a-t-on pris ? Tous, à cinq ou six exceptions près, parmi
les fonctionnaires-représentants. Parmi les anciens ministres qui ont été
empruntés à la catégorie des fonctionnaires représentants, je citerai en tête
(le nom se présente tout naturellement) l’honorable M. Malou lui-même ; je vois
figurer ensuite dans la liste son honorable ami M. Dechamps, MM. de Muelenaere,
Nothomb, d'Huart, Liedts, mon honorable ami M. Lebeau, M. Rogier (s'il m'est
permis de me nommer moi-même), M. d'Anethan...
Un membre. - M. d'Anethan ne
faisait pas partie de la chambre.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Soit ; supprimons M. d'Anethan.
... MM. Ernst,
Mercier, d’Hoffschmidt, Raikem, Leclercq. Je suppose que ces
personnes n'eussent pas pu, à raison de leurs fonctions, faire partie de la
chambre, où eussiez-vous recruté vos ministres ?
Maintenant, il est
aussi des ministres qui n'ont pas été choisis parmi les fonctionnaires
représentants ; je citerai, entre autres, MM. Desmaisières, de Briey et Van
Volxem.
Mais, dit-on, à quoi
bon cette mesquine réserve qui ne s'applique qu'à quelques individus ? Vous
aurez neuf militaires au plus dans la chambre ; qu'est-ce que cela ?
Nous n'en demandons
pas même neuf ; je crois que ce serait trop de militaires dans la
chambre ; mais je veux en avoir, ne fût-ce qu’un seul capable de
représenter et de défendre l’armée, capable, au besoin, de fournit un membre au
cabinet.
Ai-je entendu dire,
parce qu’il n’y aurait pas de lieutenants généraux (page 1782) dans la chambre,
qu'il serait interdit au Roi, de nommer un ministre de la guerre ? Eh non ; et
vous qui vous montrez maintenant si avancés, vous auriez dû me soutenir lorsque
j'ai défendu ce principe, qu'exclure les militaires de la chambre, c'est
décréter qu'à toujours la prérogative qui choisit les ministres aurait le droit
de choisir les ministres de la guerre en dehors de la chambre ; loin d'étendre
cette prérogative, vous qui voulez marcher plus vite que nous, vous devriez, au
contraire, la forcer de se retremper constamment dans le sein du parlement qui
n'est que la représentation de la souveraineté nationale.
Les conseillers,
dit-on, à quoi bon ? 3 ou 4 conseillers dans la chambre, qu'y gagne-t-on ?
Je dis qu'on y gagne
beaucoup. Quand je jette les yeux sur les membres de la chambre, il me suffit
de rencontrer un seul homme distingué appartenant à la cour de Bruxelles pour
être entièrement convaincu de la grande utilité, de la grande nécessité de ne
pas exclure cette classe de fonctionnaires publics si utiles par leur
expérience, par leurs lumières. Un seul membre emprunté aux cours peut être un
puissant argument en faveur de la thèse que je soutiens. Votre thèse, dit-on,
ne vaut rien. J'avais dit : Si on craint qu'il n'en vienne un trop grand
nombre, que la loi limite le nombre des conseillers appelés à faire partie de
la chambre ; ce remède, dit-on, est inconstitutionnel. L'honorable membre croit
qu'il est constitutionnel de les exclure tous, mais il trouve inconstitutionnel
d'en exclure 16 sur 18. Je ne vois pas que cela soit conforme à la saine
logique.
L'on nous dit que
l'opinion publique réclame impérieusement une réforme radicale complète. Il y a
différentes manières d'apprécier l'opinion publique. L'opinion publique, pour
les uns, n'est pas ce qu'elle est pour d'autres. Il y a une opinion d'une
grande minorité qui s'appelle volontiers en ce moment l'opinion publique ;
cette opinion a des organes, ces organes trouvent que tout marche mal dans le
pays ; c'est au nom de l'opinion publique qu'ils réclament. Cette opinion-là
trouve que la Constitution telle qu'elle est ne va plus au pays, qu'il faut
faire un pas de plus, qu'il faut marcher avec l'époque. Il est impossible que
cette opinion trouve qu'il serait bon de commencer la réforme par la
suppression de tous les fonctionnaires publics, sauf à venir à celui qui les
domine tous. De cette opinion, nous n'en sommes pas, nous ne cherchons pas à
lui donner satisfaction ; quelle que soit notre position, que nous soyons sur
les bancs de l'opposition ou sur les bancs ministériels, nous lui résisterons.
Pour finir par une
observation que déjà j'ai eu l'honneur de faire à l'honorable M. de Theux, je
dirai en toute assurance : Voulez-vous faire chose sage, stable, sur
laquelle l'opinion publique n'ait plus à s'émouvoir, qui permette au parlement
nouveau de commencer et de mener à bonne fin les travaux nombreux qui lui sont
réservés, sans s'occuper de questions politiques, adoptez la réforme dans les
limites que nous avons présentées ; sinon, craignez qu'une réaction en sens
opposé ne se manifeste et ne fasse manquer le but qu'on s'est proposé. Car, de
même que vous auriez été trop loin en excluant d'une manière radicale tous les
fonctionnaires, par un mouvement réactionnaire facile à prévoir, l'élément
fonctionnaire se représentant trop influent, trop prépondérant, nous pourrions
voir renaître et s'accroître les abus que nous avons voulu faire cesser.
- La clôture est mise
aux voix et prononcée.
M. le président. - Nous passons à la discussion des articles.
Article premier
M. le président. - M. Lebeau vient de déposer un amendement à
l'article premier ainsi conçu :
« Cette
incompatibilité ne s'appliquera pas non plus aux membres inamovibles de la cour
de cassation, des cours d'appel et des tribunaux de première instance.
« Sont exceptés : les
membres des tribunaux de première instance dont le personnel est inférieur à 4
juges, le président compris.
« Les membres des
cours et des tribunaux ne pourront être élus dans l'arrondissement où ils ont
leur domicile.
« Il ne pourra
être élu aux chambres législatives que :
« Deux membres
dans la cour de cassation ;
« Deux membres
dans chaque cour d'appel ;
« Un membre dans
chaque tribunal de premier instance.
« Dans le cas où ce
nombre serait dépassé, la préférence sera accordée à celui ou à ceux qui auront
obtenu la majorité la plus forte de suffrages électoraux, sans égard aux
chiffres plus ou moins élevés des votants dans les divers collèges qui seraient
en concurrence. »
M, Lebeau a la parole
pour le développer.
M. Lebeau. - Messieurs, je
dois d'abord bien préciser le sens de mon amendement. Il n'a pas pour objet
d'exclure les autres catégories de fonctionnaires comprises dans l'exception du
projet ministériel. Je me propose de voter pour le maintien de ces exceptions ;
mais prévoyant le cas où ces exceptions seraient repoussées par la chambre, et
ayant spécialement à cœur de maintenir au nombre des éligibles les membres de
l'ordre judiciaire tout entier, j'ai déposé un amendement sur lequel j'appelle
l'attention la plus sérieuse de la chambre.
Messieurs, je
conviens avec un honorable préopinant, que le temps a marché beaucoup depuis
quelques mois ; qu'un quart de siècle peut-être, moralement parlant, nous
sépare des premiers mois de l'année présente. Oui, le temps a marché à grands
pas, et une vive impulsion, vous le savez, est surtout venue du dehors ; la
Belgique, sans doute, a marché aussi, et pour cela elle n'avait besoin que
d'obéir à sa propre impulsion ; mais les événements qui exercent sur l'Europe
entière et spécialement sur la Belgique une énergique pression, ont mis à
l'ordre du jour bien d'autres idées de réformes. Malgré son entraînement, je
suis sûr que l'honorable préopinant, qui invoque pour le projet en discussion
la marche rapide du temps, croirait devoir y réfléchir mûrement avant de donner
son assentiment, tout ce que le temps a apporté en fait d'idées de réforme.
S'il fallait obéir aveuglément à toutes les impulsions qui viennent du dehors,
ce n'est pas seulement sur une réforme parlementaire, sur une réforme
électorale que vous auriez à délibérer. Il est bien d'autres questions qui
ailleurs sont mises à l'ordre du jour.
Si vous ne saviez
résister au courant des idées du jour, vous auriez probablement à délibérer
prochainement :
Sur la question de
l'abolition des traitements du clergé ;
Sur la substitution,
à notre système d'impôt, de l'impôt progressif.
Je me bornerai à
citer, parmi celles que les événements ont mises à l'ordre du jour, ces deux
seules questions.
Si donc nous devons
faire la part du mouvement qui nous presse, faisons-la en hommes prudents,
fermes et réfléchis, qui savent accorder les réformes que conseille la prudence
et repousser les exagérations.
J'ai dit, dans une
précédente séance, que les principes absolus, déposés dans le rapport de la
section centrale, font le procès à la constitution du pays. J'ai dit que le
système proposé par la section centrale avait la prétention d'être plus sage,
plus prévoyant que les législateurs du congrès.
Dirai-je, avec un
autre préopinant, que le pays (chacun a un pays à sa guise), que le pays était
mûr pour une réforme parlementaire radicale, que le pays tout entier veut l'exclusion
des fonctionnaires des chambres législatives. Mais si le pays veut cela, nous
perdons véritablement ici notre temps. Si le pays veut cela, si le corps
électoral ne veut plus voir de fonctionnaires siéger dans les chambres,
fiez-vous donc au pays, au corps électoral ; il n'en enverra plus. Singulier
moyen démontrer sa déférence pour la volonté du pays et du collège électorale !
Singulier témoignage qu'on est sûr des sentiments et des vœux du pays, qu'il
faille lui défendre, de par la loi, de faire le contraire de ce qu'il veut si
énergiquement et si universellement !
Voilà, sur ce point,
messieurs, en quoi se résume la logique de l'honorable préopinant qui siège
derrière moi, et qui nous a habitués à une plus solide argumentation.
Je viens, dans cette
espèce de naufrage, chercher à faire surnager au moins une classe de
fonctionnaires, à laquelle ne s'adressent pas la plupart des objections dont
l'admission de quelques autres peut être l'objet. Je viens soutenir de nouveau,
devant la chambre, l'opinion que j'ai soutenue, en 1832, avec cet honorable ami
dont l'honorable M. Destriveaux invoquait et avec raison, hier, l'autorité si
respectable, j'ose le dire, et pour la chambre et pour le pays.
Si je succombai
alors, si je succombe aujourd'hui, je ne considérerai pas le combat comme fini
irrévocablement. J'imiterai peut-être à cet égard l'exemple de ce qui se passe
dans un autre pays où nous devons si souvent puiser des leçons. Convaincu de la
bonté de ma cause, je reviendrai probablement à la charge, si les électeurs me
font l'honneur de me renvoyer dans cette enceinte, si l'expérience surtout
vient confirmer les tristes prévisions que m'inspire la loi.
Je veux essayer de
maintenir dans une certaine mesure, au sein des chambres législatives, des
fonctionnaires dont la présence y est, selon moi, d'un grand intérêt pour le
pays. Je veux que l'accès des chambres reste ouvert à la magistrature, à la
magistrature inamovible. Elle nous donne la garantie d'une indépendance
patente, officiellement constatée, la garantie d'une sévère moralité comme la
règle, presque sans exception, d'une considération qui n'est pas plus
contestée.
Je veux de la
magistrature, parce que je ne veux pas que, sous prétexte de réformes absolues
et démocratiques, on fasse, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, qu'on
le dise ou qu'on le cache, la guerre aux villes, la guerre aux classes
moyennes.
M. Malou, rapporteur. - Il ne s'agit pas
de cela ! Vous y mettez toujours de la passion !
M. Lebeau. - Nullement, à
moins que vous n'appeliez ainsi la passion du vrai. C'est mon opinion vive et
profonde, mais non pas passionnée, dans le sens que vous paraissez attacher à
ce mot.
Je ne sais à qui je
puis déplaire ou manquer, en énonçant ainsi mon opinion.
J'ai déjà dit hier
que, pour moi, la loi, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, est, dans
son principe, comme elle sera dans ses résultats, essentiellement une loi
aristocratique. J'en appelle à l'expérience, elle jugera entre vous et moi.
L'honorable M. de
Theux a cru renverser cette supposition, en me (page 1783) parlant des Etats-Unis, où existe le système qu'on veut
faire prévaloir ici, et où l'on ne voit pas les chambres envahies par
l'aristocratie. Pour que l'aristocratie envahît les chambres législatives, il
faudrait commencer par la créer. Là il n'y en a pas. Ici il y en a.
Je n'entends en
aucune façon blesser qui que ce soit, on me servant de cette expression.
L'aristocratie, et surtout l'aristocratie belge, s'est associée, presque à
toutes nos époques les plus glorieuses, à la cause de l'indépendance nationale,
à la cause du progrès en fait de franchise et de libertés. Je ne suis pas
ingrat ; je veux conserver à l'aristocratie une large part d'influence dans les
affaires publiques. Cette part, la Constitution la lui a faite. Mais je crois
qu'il n'est pas de son intérêt, pas plus que de l'intérêt du pays, que cette
influence soit prépondérante. Cette prépondérance, le projet a pour tendance,
il peut avoir pour résultat de la lui rendre.
Messieurs,
abandonnant ces considérations générales et rentrant plus directement dans le
sujet, je me trouve d'abord face à face avec cette petite objection du cumul,
dont il ne reste peut-être rien à dire, après le langage si lucide et si
logique de l'honorable M. Tielemans.
Les réformistes, qui
s'appuient sur les dispositions constitutionnelles relatives au cumul, sont
bien autrement sévères que la Constitution elle-même. Qu'a voulu prévenir la
Constitution ? Le cumul en lui-même, en principe ? Non. La Constitution a voulu
prévenir les abus du cumul. Du reste, j'ai déjà prouvé, je pense, dans une
séance précédente, que cette expression de cumul ne peut s'appliquer qu'au
traitement et non à des fonctions. En voulez-vous la preuve, précisément pour la
catégorie des fonctionnaires dont je m'occupe en ce moment ? Lisez l'article de
la Constitution : « Aucun juge ne peut accepter du gouvernement des fonctions
salariées, à moins qu'il ne les exerce gratuitement, et sauf les cas
d'incompatibilité déterminés par la loi. »
Ainsi donc, la
Constitution, loin d'avoir proscrit le cumul des fonctions pour les membres de
l'ordre judiciaire, a, au contraire, prévu textuellement, dans son article 103,
le cumul des fonctions judiciaires avec des fonctions autres que les fonctions
judiciaires, pourvu qu'on les exerce gratuitement, et encore faut-il que ce
soient des fonctions données par le gouvernement ; de manière que si même vous
pouviez voir dans les fonctions législatives de véritables fonctions, comme
l'article 103 n'interdit le cumul que pour les fonctions que l’on tient du
gouvernement, il ne serait pas applicable dans le cas actuel.
J'ai d'ailleurs
établi que les fonctions législatives ne sont pas des fonctions salariées, que
le traitement n'est pas affecté aux fonctions législatives, puisque l'indemnité
n'est que la représentation des frais de séjour et de route, à tel point que le
député appartenant à la capitale (et beaucoup de magistrats sont dans ce cas)
ne jouit pas de cette indemnité.
Messieurs, on vient toujours
reproduire cet éternel argument de l'impossibilité matérielle de cumuler
l'exercice de deux fonctions. Mais cela n'est pas vrai surtout pour les membres
des tribunaux qui ont leur résidence dans la capitale. Ils sont précisément,
ceux-là, dans la situation de MM. les avocats des cours d'appel, de MM. les
avocats à la cour de cassation, qui, par la manière dont les séances sont
distribuées, par le choix des heures affectées à l'expédition des affaires
judiciaires, peuvent parfaitement bien pourvoir à l'une et à l'autre de leur
double mission d'avocat et de député, précisément comme le peuvent les membres
de la cour d'appel, les membres de cour de cassation résidant à Bruxelles.
D'ailleurs,
messieurs, s'il y a un pays où, pour les fonctionnaires étrangers à la
capitale, un pareil cumul présente peu d'inconvénients, en comparaison des
grands avantages que le pays peut en recueillir, c'est la Belgique ; c'est un
petit pays, sillonné de chemins de fer qui placent pour ainsi dire toutes nos
localités à quelques heures de la capitale, et si le cumul des fonctions
parlementaires et des fonctions judiciaires, dans quelques localités éloignées
de la capitale, entraînait des inconvénients graves, il y aurait des mesures à
prendre peut-être pour affecter une partie des traitements à ceux qui
desservent provisoirement ces fonctions.
Déjà, messieurs, sans
que la loi ait rien prescrit, je connais d'honorables magistrats qui siègent
dans cette enceinte, et qui se sont très largement, très honorablement exécutés
sous ce rapport, et qui ne touchent que leur indemnité.
J'ai entendu dire par
quelques partisans d'une réforme radicale que si l'on n'apportait pas
immédiatement des restrictions à la libre entrée des fonctionnaires dans cette
chambre, le parlement allait être envahi par le corps judiciaire, au grand
détriment des justiciables.
Envahi, messieurs !
Mais nos portes sont ouvertes depuis dix-sept ans à la magistrature, et
savez-vous combien on a compté de magistrats inamovibles dans cette enceinte à
toutes les époques ? 17 au plus dans les deux chambres sur 150 membres.
Aujourd'hui il y en a 12 dans les deux chambres sur 163 membres. A Bruxelles,
où il est si facile de concilier le double mandat, les doubles fonctions de
membre d'une cour et de membre de la législature, savez-vous quel est le nombre
des conseillers que les collèges électoraux de la province envoient ici ?
Trois. Trois sur 27 dont la cour se compose. Et de juges de première instance,
combien y en a-t-il élus par ces collèges électoraux ? Pas un seul ; pas un
seul juge de Bruxelles ne siège à la chambre. Oh ! énorme abus !
La cour de Gand ne
nous envoie pas un seul conseiller ; la cour de Liège ne nous envoie pas un
seul conseiller. Oh ! énorme abus !
De tout le vaste
ressort de la cour de Bruxelles, 3 membres de tribunaux de première instance
siègent ici ; du ressort de la cour d'appel de Gand il y en a 4 ; du ressort de
la cour d'appel de Liège, il en est élu 2. Vous le voyez, messieurs, l'abus est
énorme. Il y a nécessité, urgence extrême d'y pourvoir !
Eh bien, messieurs, à
ces abus, si vous voulez encore les appeler ainsi, j'oppose déjà une première
restriction.
Ainsi, je n'admets
pas que les magistrats puissent être choisis dans l'arrondissement où ils sont domiciliés.
Là je comprends que, trop rapprochés par leurs relations, de leurs
justiciables, il peut être utile, par une susceptibilité excessive, par une
sollicitude exagérée pour leur considération, de ne pas permettre qu'ils soient
élus. De plus, je limite soigneusement le nombre, et je vous avoue, messieurs,
que je n'ai pas été peu surpris d'entendre un homme tel que l'honorable M.
Malou, qui nous a habitués à un peu plus se solidité dans ses raisonnements, de
l'entendre déclarer à l'avance qu'une telle limite est inconstitutionnelle.
Comment, messieurs, il ne sera pas inconstitutionnel de proscrire en masse
toute une cour d'appel, et il sera inconstitutionnel, faisant la part, d'abord
des besoins parlementaires, faisant la part, ensuite, des besoins non moins
importants de la justice, de déclarer que toute une cour, tout un tribunal ne
pourra pas être envoyé dans cette chambre ! C'est déclarer tous les autres
inéligibles ! Mais, mon Dieu, avez-vous donc déclaré que les aspirants aux
conseils provinciaux, les aspirants aux conseils communaux, sont frappés
d'inéligibilité, quand pour cause de parenté, vous leur avez défendu d'entrer
ensemble au conseil communal, au conseil provincial, par le même collège ? Il
n'y a pas là, messieurs, l'ombre d'une inconstitutionnalité.
Mais, disent encore
les amateurs d'une réforme absolue, les magistrats bien qu'inamovibles, ne sont
pas complètement indépendants ; ils attendent leur avancement de la faveur du
pouvoir ; ils peuvent, les juges de première instance, chercher à devenir
présidents ; de présidents, chercher à devenir conseillers, et de conseillers
de cour d'appel, chercher à devenir conseillers de cour de cassation. Mais,
messieurs, vous savez bien que, d'après la Constitution, le gouvernement n'a
pour ainsi dire qu'un droit nominal à cet égard. Il n'a que l'investiture des
fonctions supérieures de la magistrature. La magistrature, dès que vous vous
élevez au-delà du rang de juge, devient élective ; les fonctions sont conférées
par de véritables collèges électoraux qui imposent en quelque sorte leurs
candidats au choix du gouvernement. Et, messieurs, pour avoir déjà triomphé de
cette première épreuve, il faut que les magistrats aient commencé à se faire
remarquer par leurs œuvres, qu'ils aient commencé à donner des gages de leur
science, de leur impartialité, de leur modération, de leur patriotisme.
II y a, messieurs,
une objection que j'ai entendu faire par des hommes dont l'opinion est pour moi
d'un grand poids, que j'ai entendu faire, je dois le dire, par quelques
magistrats eux-mêmes. J'ai assez de confiance dans la bonté de la cause que je
défends pour n'avoir besoin d'user d'aucune espèce de réticence. Le danger,
disent-ils, c'est d'introduire l'esprit politique dans la magistrature. Je ne
voudrais blesser personne par des paroles dédaigneuses. Mais, qu'il me soit
permis de le dire, l'objection n'a de grave que la forme : au fond elle est
puérile. Comment, messieurs, dans un gouvernement constitutionnel, comment
est-il possible que même un magistral, de quelque réserve qu'il s'enveloppe,
puisse soustraire à tout le monde la connaissance de l'opinion politique à
laquelle il appartient ? Cela est tellement impossible que si vous faisiez
devant moi l'appel nominal des membres qui composent notre tribunal, notre cour
d'appel et même notre cour de cassation, je pourrais vous dire à l'instant même
quelle est la couleur de leur opinion. Ils ne la cachent pas et ils font bien
de ne pas la cacher. Si vous voulez que dans un gouvernement constitutionnel,
dans un gouvernement de libre discussion, les magistrats n'aient pas d'opinion
politique, commencez par leur interdire le droit d'être électeurs. Car s'il y a
une fonction essentiellement politique, c'est évidemment celle d'électeur, et
si vous voulez que le magistrat n'ait pas d'opinion politique vous ne pouvez
pas le ranger parmi les électeurs.
Messieurs, j'en
appelle encore au passé pour faire justice de ces fantômes que l'on se crée
dans l'avenir. Depuis 17 ans, la magistrature est admise dans les deux chambres
législatives, elle y pénètre sans obstacle ; je vous le demande, en quoi le
contact des magistrats avec les fonctions législatives a-t-il nui à la
considération de la magistrature belge ? La magistrature belge a-t-elle cessé
depuis 17 ans de grandir dans la considération et dans l'estime du pays tout
entier ?
Si vous excluez,
messieurs, la magistrature, sans exception aucune, des chambres législatives,
prenez-y garde, vous pourriez bien y manquer d'une catégorie que je ne veux pas
voir prédominante, mais dont le concours est indispensable dans presque toutes
nos décisions, dans toutes nos discussions, ce sont les jurisconsultes
éminents, au moins les juristes instruits.
« La Constitution,
disait en 1832 l'honorable M. Liedts, la Constitution n'accordant pas de
traitement aux membres, le nombre des avocats distingués, qui ont assez de
dévouement pour sacrifier leur clientèle et peut-être leur fortune à l'honneur
de représenter le pays, n'ira certes pas en augmentant.
« Si maintenant vous
excluez en outre tous les membres de l'ordre judiciaire, vous n'aurez plus à la
chambre des hommes de loi. »
Voilà ce que disait
l'honorable M. Liedts dans la séance du 5 juin 1832.
« On a éloigné des
chambres les hommes du barreau, disait, dans la même séance, l'honorable M.
Gendebien, parce qu'on n'a pas donné une indemnité qui pût compenser la perle
de la clientèle, et on a mis les membres des cours d'appel pour remplacer les
avocats.»
Vous remarquerez,
messieurs, que le principe de mon amendement, par sa généralité, ne doit
blesser personne ; il n'établit pas de catégories. Ce (page 1784) principe repose sur l'inamovibilité. Non assurément que
les officiers du parquet, essentiellement amovibles, ne méritent pas, à l'égal
de la magistrature, la considération et l'estime publiques ; mais il y a pour
la magistrature un signe officiel d'une indépendance plus grande, d'une
indépendance de position qui fait taire jusqu'au soupçon même de complaisance
pour le gouvernement.
J'ai vu avec douleur
repousser de cette chambre les membres de la cour de cassation Que leur
manque-t-il pour y siéger avec honneur, avec utilité pour tous ? Ce ne sont pas
les lumières, ce n'est pas l'expérience, ce n'est pas la considération : deux
ou trois élections préalables ont constaté l'estime dont ils étaient environnés
par plusieurs corps de l'Etat.
.Aussi la cour de
Bruxelles a-t-elle, à l'occasion de la loi d'organisation judiciaire, exprimé
le vœu que la cour de cassation fût éligible comme elle ?
L'indépendance de
position des membres de la cour de cassation est plus absolue encore que celle
de tous les autres membres de l'ordre judiciaire, car ils n'ont rien à craindre
ni à désirer du pouvoir. C'est une garantie de plus pour ceux qui craignent que
la très légère prérogative que le pouvoir exerce, quant à l'avancement des
autres membres de l'ordre judiciaire, ne puisse porter atteinte à la
considération et à l'indépendance de la magistrature.
Les membres de la
cour de cassation ont d'ailleurs plus de loisir que les autres magistrats, et
pour eux non plus aucun cumul de traitement n'est possible, puisque leur
résidence obligatoire à Bruxelles ne leur permet pas même de toucher
l'indemnité.
J'arrive à
l'objection principale ; on n'en a pas donné d'autre lors de la discussion de
la loi de 1832.
« Les membres de la
cour de cassation jugent les ministres... »
Voyons.- messieurs,
les réalités et laissons là les hypothèses.
Combien de fois
assisterons-nous au spectacle du jugement d'un ministre mis en accusation ?
Quand des ministres sont mis en accusation, c'est d'ordinaire après des
révolutions. Dans nos gouvernements parlementaires, où quelques voix de
majorité renversent des ministres, il n’est pas nécessaire de recourir au moyen
extrême de la mise en accusation. Il serait insensé, selon moi, de sacrifier
l'éligibilité d'une classe de citoyens éminents à une éventualité que je
pourrais reléguer dans les chimères. Mais enfin, pour avoir réponse à cette
objection, supposons le cas d'une accusation intentée par la chambre contre un
ministre ; eh bien ! le conseiller de la cour de cassation qui siégerait
sur ces bancs, s'abstiendrait ici, ou il s'abstiendrait à la cour de cassation.
Il y a une
contradiction singulière, surtout pour la cour de cassation .quand on prétend
qu'il faut, pour obéir à l'esprit de la Constitution, empêcher l'esprit
politique de s'infiltrer dans la cour de cassation ; tandis que c'est la
Constitution elle-même qui a fait de la cour de cassation un corps politique,
l'a dotée d'attributions politiques à côté d'attributions judiciaires ; de
sorte que la réfutation de l'objection, spécialement pour la cour de cassation,
je la puise dans la Constitution elle-même.
Et d'ailleurs, est-ce
le seul exemple du mélange d'attributions politiques et judiciaires dans le
même corps ? La chambre des représentants, qui, au besoin, ferait les fonctions
de chambre des mises en accusation, n'exercerait-elle pas à la fois des
fonctions judiciaires et politiques ?
Et si nous allions
chercher au-dehors des exemples, qu'on rejettera peut-être aujourd'hui, avec un
profond dédain, au cri de : périssent les colonies plutôt qu'un principe ;
si nous consultons l'Angleterre, qui exclut des deux chambres du parlement un
grand nombre d'agents du gouvernement, vous verrez que la chambre des lords,
qui est un corps politique, a aussi des attributions judiciaires ; la chambre
des lords juge même beaucoup d'autres causes que celles qui se rattachent à
l'accusation des ministres. Le chancelier .d'Angleterre est un ministre ; ce
qui ne l'empêche pas de présider la .chambre des lords, et au besoin de la
présider comme cour de justice. Il préside, en outre, la, première cour du
royaume ; et en Angleterre, quel que
soit le parti auquel le chancelier appartienne, on professe en général le plus profond respect pour le
président de la cour de chancellerie, pour les décisions, que souvent il est
appelé à prendre seul.
Je n'ai pas besoin de
rappeler qu'en France, la chambre des pairs était en même temps une cour de
justice.
Enfin, si je ne craignais
d'abuser des moments de la chambre, je ferais voir que dans les constitutions
les plus démocratiques, où l’on s’est attaché avec le plus de soin à la
démarcation la plus rigoureuse des pouvoirs ; que dans les constitutions
des Etats particuliers de l’Union américaine, et même dans la Constitution
fédérale, vous avez des corps qui sont à la fois judiciaires et politiques. Le
sénat des Etats-Unis, corps politique, est aussi un corps judiciaire, pour
juger non seulement les ministres, mais beaucoup de catégories de
fonctionnaires publics.
Et, messieurs, il ne
faut pas l’oublier, quand on est homme d’honneur, quand on habite un pays où la
publicité a fortifié les caractères et les mœurs publiques, celui qui siège
comme membre d’un corps judiciaire fait aisément abstraction de ses opinions.
Cela est tellement vrai que nous avons vu naguère les membres de la chambre des
pairs d’Angleterre, qui avaient été attaqués violemment, publiquement, par
O’Connell dans toutes ses tournées à travers l’Irlande, une commission de la
chambre des lords, composée de jurisconsultes appartenant au parti tory
proposer et obtenir l’annulation par cette chambre du jugement qui avait
condamné le célèbre Irlandais.
Voilà comment, à la
faveur du développement des caractères et des mœurs publiques, les hommes
savent faire abstraction de leurs opinons quand ils ont l’honneur de siéger
comme magistrats. J’en appelle à chacun de vous, à tous mes honorables
collègues, si quelques-uns d'entre vous s'étaient constitués l'arbitre dans une
question où il pourrait s'agir de l’honneur ou de la fortune d'un de leurs
adversaires politiques, je vous le demande, peut-on supposer que revêtus de
cette magistrature momentanée vous iriez, abjurant votre conscience, consulter
l'opinion politique à laquelle on appartient pour prononcer votre verdict ?
S'il ne peut en être ainsi, si dans une mesure qui concilie les besoins du
parlement et des justiciables, vous laissez pénétrer les membres de la cour de
cassation et des autres corps judiciaires dans telle enceinte, soyez-en sûrs,
leur caractère n'en recevra aucune atteinte.
Je ne veux pas faire
violence à la chambre qui m'a déjà montré beaucoup d'indulgence de
bienveillance ; même, j'avais encore diverses considérations à présenter, mais
cédant à une impatience contre laquelle je n'entreprends jamais de lutter, je
renonce à la parole.
Plusieurs
membres. - Aux voix ! aux voix !
M. le président. - Voici un autre amendement que vient de
déposer M. de Mérode :
« Sont déclarées
incompatibles avec le mandat de représentant et de sénateur les fonctions de
gouverneurs de province élus dans la province qu'ils administrent et celles de
commissaires d'arrondissement dans le ressort dû ils exercent leurs fonctions.
« La même
incompatibilité s'applique aux juges des tribunaux de première instance et aux
officiers du ministère public attachés à ces tribunaux qui sont élus dans leur
circonscription judiciaire. »
M. de Mérode. - Messieurs, parmi
les objections qui ont été faites aux divers systèmes qui se sont produits dans
cette discussion, je n'en ai pas entendu formuler une seule contre ma
proposition qui consiste à procéder à l'égard des incompatibilités dans
l'esprit bien évident du congrès, c'est-à-dire en ne déclarant les
incompatibilités que pour des motifs directs et tout à fait spéciaux.
Or, messieurs, il est
impossible de ne pas reconnaître par l'expérience des faits que les
gouverneurs, et plus encore les commissaires de district, possèdent généralement
une influence trop grande dans leur province et leur district, en ce qui
concerne leur propre candidature électorale, et que cette influence ôte à une
multitude d'électeurs une part notable de la liberté de leur vote en faveur des
concurrents de ces fonctionnaires.
Cette influence n'est point possédée au même degré par
les juges des tribunaux de première instance et les officiers du ministère
public des mêmes tribunaux dans leur ressort ; cependant, comme il est d'une
faible étendue, les justiciables sont trop rapprochés de ces fonctionnaires
pour ne pas être faciles, quand ceux-ci se présentent à leurs suffrages dans
une élection.
On m'a demandé
pourquoi je ne proposais aucune exception concernant les juges des cours
d'appel. Mon motif est que leur circonscription judiciaire renferme deux et
trois provinces ; que, par conséquent, l'action que ces juges ou officiers du
ministère public peuvent exercer se trouve ainsi tellement disséminée qu'elle
n'est point comparable à celle-des juges et officiers du ministère public des
tribunaux inférieurs dans un ressort très étroit où chacun se connaît.
M. Malou, rapporteur. - Si, dans les
temps calmes, on doit toucher avec réserve les questions sociales qui par
elles-mêmes soulèvent toujours des dangers, il le faut surtout aujourd'hui que
la question sociale est si vivement, si violemment agitée autour de nous.
J'exprime donc de
nouveau de regret de voir l'honorable M. Lebeau se rendre mal compte du
principe et des effets de la loi. S'il était vrai qu'elle eût des tendances
aristocratiques, je pourrais laisser à M. le ministre de l'intérieur le soin de
répondre à son honorable ami, car cette loi, encore une fois, nous ne l'avons
pas inventée. Pouvez-vous admettre, en fait, qu'il n'y ait plus dans notre
société, telle qu'elle est constituée, et au sein des classes moyennes assez de
forces vives pour constituer un parlement, lorsque les fonctionnaires n'y
seront plus ? Vous ne pouvez pas l’admettre ; dès lors l'objection de l'honorable
M. Lebeau disparaît.
On nous accuse
d'avoir eu la prétention d'être plus sages que le congrès. C'est une question
du plus ou moins entre nous, puisque l'honorable membre admet une certaine
réforme. Sans prétendre être plus sages que le congrès, nous pouvons faire
quelque chose de plus ; depuis le congrès, des faits se sont passés ; c'est
d'après les faits qu'on rédige les lois.
Comme si ce n'était
assez d'un appel à l'antagonisme des diverses classes de la société,
l'honorable membre sépare encore les populations, suivant, qu'elles habitent
les villes ou les campagnes ; le projet, selon lui, serait un acte d'hostilité
envers les villes. L’honorable membre perd de vue tous les faits. J’ai formé le
tableau des fonctionnaires qui se trouvent dans les deux chambres, et j'ai
comparé le nombre respectif des fonctionnaires envoyés par les grandes villes
et par les autres districts. Le nombre total des fonctionnaires siégeant dans
les deux chambres est de 40 ; d'après mes calculs, 8 seulement sont élus par les
collèges électoraux des grandes villes, en comptant comme telles, si on veut
bien le permettre, Bruges, Louvain et Tournay.
En fait sur 40
fonctionnaires, il n’y a que 8 élus par les collèges électoraux des principales
villes ; et l’on dira que le projet fait la guerre aux villes !
J'ai le droit d'être
surpris à mon tour que l'honorable membre n'ait pas conquis la différence qui
existe entre la position faite aux fonctionnaires, par la proposition de la
section centrale et par le système d'après lequel deux membres d'une cour
auraient le droit d'éligibilité et tous les autres ne l'auraient pas.
La différence est
très grande. Dans le projet de la section centrale, chaque conseiller ne peut
élu, en donnant après l'élection sa démission (page 1785) comme conseiller. Dans le système contraire, il suffit
que deux membres d'une cour fassent partie des chambres pour qu'aucun autre ne
puisse même se mettre sur les rangs. Dans le premier cas il y a une règle
générale fondée sur les devoirs administratifs de tous, tandis que dans le
second il y a exception-, il y a privilège. Ce privilège n'est pas conforme à
l'esprit de la Constitution.
Je crois (et je ne
fais qu'indiquer les idées principales), je crois que nous devons nous attacher
spécialement à ne pas introduire dans nos institutions judiciaires les idées et
les discussions des partis politiques. Plus le pouvoir judiciaire est
indépendant, plus ses droits constitutionnels sont étendus, plus nous devons
éviter qu'il intervienne dans la politique. Je conçois qu'on connaisse les
opinions de chaque membre de l'ordre judiciaire. La liberté des opinions existe
pour eux comme pour tous les autres citoyens. Mais il ne suffit pas que ses
opinions soient connues pour qu'il doive intervenir dans les luttes de la
politique. La dignité de la magistrature pourrait y perdre. Les justiciables ne
pourraient-ils quelquefois penser, à tort sans doute, que l'homme politique
siège sous la robe du magistrat ?
Plusieurs
membres. La clôture !
M.
Osy. - Je désire avoir un renseignement.
Je lis dans le
rapport de, la section centrale :
« La sixième section
estime que le paragraphe premier de l'article premier est applicable aux
ministres des .cultes, qui reçoivent un traitement de l'Etat. La section
centrale a été partagée d'opinion sur ce point. Six membres étaient présents ;
trois ont voté dans le sens de l'incompatibilité, trois en sens contraire. »
Je sais que, quand il
y a partage de voix, la proposition est rejetée. La section centrale ne fait
donc pas de proposition. Mais- la sixième section ayant exprimé l'opinion que
les ministres des cultes qui reçoivent un traitement de l'Etat sont compris
dans le paragraphe premier de l'article premier, nous devons avoir une
explication pour savoir à quoi nous en tenir,
M. Tielemans. - Je demanderai
également un mot d’explication à M. le ministre de l'intérieur.
J'aurais le droit de
répondre à l'honorable rapporteur, qui a cité des faits sur lesquels je
pourrais éclairer la chambre. Mais la question que j'adresse à M. le ministre
de l'intérieur.....
M. le président. - Je suis obligé d'interrompre l'honorable
membre. Il y a une demande de clôture sur laquelle je dois consulter la
chambre.
M. de Mérode. - Dans un débit
aussi important que celui-ci, il est impossible qu'on laisse étrangler la
discussion. Malheureusement, il y a un départ ce soir, ou demain matin, qui est
dans la tête de beaucoup d’honorables membres ; et les affaires publiques
doivent souffrir de cette idée. Lorsqu'il s'agit d'une question aussi
importante, tout doit être subordonné à la discussion de la loi.
Je demande que l'on
entende M. Tielemans, ainsi que ceux qui auraient des observations nouvelles à
présenter.
- La clôture est mise
aux voix ; l'épreuve est douteuse ; en conséquence la discussion continue.
M. Tielemans. - Je demanderai
seulement à M. le ministre de l'intérieur si l'article premier du projet
s'applique à la personne dont il question dans l'article 88 de la Constitution.
Cet article de la Constitution déclare que l'héritier présomptif de la couronne
est sénateur de droit. L'article premier du projet de loi déclare les fonctions
militaires incompatibles avec le mandat de sénateur. Quelle sera la portée de
cette disposition ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Ma réponse sera extrêmement simple :
Evidemment la loi ne s'applique pas à la personne à laquelle l'honorable député
de Bruxelles fait allusion, et qui est sénateur de plein droit.
Mais j'irai plus loin
: Votre loi, et toutes les lois que vous feriez dans la limite de vos pouvoirs
déclareraient que ce personnage n'est pas admissible au sénat, que vos lois
seraient vaines, parce qu'elles se briseraient contre l'article de la
Constitution.
Ainsi vous pouvez
être parfaitement tranquilles sur la portée de votre vote quant à ce point.
Vient une autre question : c'est celle relative aux
ministres des cultes qui reçoivent un traitement de l'Etat. On nous demandé
s'ils sont compris dans la loi. Le projet de loi ministériel s'applique à tous
les fonctionnaires recevant un traitement de l'Etat, sauf ceux qu'excepte
l'article premier, c'est-à-dire les chefs des départements ministériels, les
lieutenants généraux, les gouverneurs élus dans une autre province que celles
qu'ils administrent et les conseillers des cours d'appel. En dehors de ces
exceptions, tout ce qui touche un traitement de l'Etat est exclu.
Plusieurs membres. - La clôture !
M.
Malou, rapporteur (sur la clôture). - Messieurs, la question
soulevée par l'honorable M. Tielemans ne peut, à mon avis, présenter aucun
doute.
Quant aux ministres
des cultes, si l'on veut qu'en principe la loi, leur soit applicable, lorsqu'ils
sont, salariés par le trésor, il faut les mentionner expressément dans le
second paragraphe de l'article premier.
Il s'agit d'une
question très grave. Ne déclarons pas incidemment que les ministres des cultes
sont compris sous les expressions de fonctionnaires ou employés salariés par
l'Etat. Je ne veux pas soulever de discussion à cet égard ; mais si l'on veut
appliquer le principe, je demande qu'on ajoute quelques mots au paragraphe du
projet de la section centrale, ou qu'on ajoute un paragraphe spécial à
l'article du gouvernement pour comprendre dans l'incompatibilité les ministres
des cultes, lorsqu'ils reçoivent un traitement de l'Etat.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je ne vois pas la
nécessité de rien changer à la disposition ministérielle. Les ministres des
cultes exercent-ils, oui ou non, des fonctions ? Ces fonctions sont-elles, oui
ou non, salariées par l’Etat ? Je ne pense pas qu'il y ait le moindre doute à
cet égard ; il n'est donc pas nécessaire de faire une mention spéciale des
ministres des cultes. Que vous les nommiez fonctionnaires ou employés, ou que
vous ne leur donniez pas cette qualification, il est certain qu'ils exercent
des fonctions salariées par l'Etat.
M. de Haerne. - Messieurs, la
question est extrêmement gravir. Il y au fond de cette question un principe, et
un principe très important. Je ne veux pas plus que M. Malou soulever une
discussion à cet égard ; mais je déclare que la question mérite toute votre
attention. Il est vrai, comme le dit M. le ministre de-l'intérieur, que les
services rendue par la plupart des ministres des cultes sont des fonctions
rétribuées par l’Etat ; Mais on pourrait comprendre, et il y en a qui
comprennent l'article dans un autre sens. On pourrait dire que les fonctions
ecclésiastiques sont des fonctions de l'Etat. (Non ! non !) Je suis heureux d'avoir provoqué cette explication ;
puisqu'on dit non, je demande quel inconvénient il y aurait à-adopter
l'amendement de l'honorable M. Malou qui sauve le principe et évite toute
discussion à cet égard.
J'engage M. le
ministre à se rallier à cet amendement qui, d’après ce que je viens d'entendre
de sa bouche, n'est nullement contraire à ses intentions.
M. le président. - M.
Malou propose de rédiger ainsi le second paragraphe de l'article premier du
projet de la section centrale : « Il en est de même des ministres des cultes
rétribués par l'Etat, des avocats en titre, etc. »
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je
n'ai aucune objection à faire contre l'amendement de l'honorable M. Malou. Il
n'entre nullement dans la pensée du gouvernement d'assimiler de tous point les
ministres des cultes aux fonctionnaires
de l'Etat proprement dits. Ils remplissent des fonctions ; mais ils les
remplissent, aux termes de la Constitution, avec toute indépendance. Ils ne
tiennent pas leur nomination du gouvernement, ils forment une catégorie de
fonctionnaires à part. Mais on ne peut pas nier qu'ils remplissent des
fonctions publiques, que ces fonctions publiques sont salariées par l'Etat et
que notamment tous les arguments qu'a fait valoir la section centrale pour
éliminer les fonctionnaires publics s'appliquent directement aux ministres des
cultes.
- La clôture de la
discussion est prononcée.
________________
La chambre décide
qu'elle accordera la priorité dans le vote au projet de la section centrale.
M. Lebeau. - Je demande que
l'on vote par division.
« § 1er. Les
fonctionnaires et employés salariés par l'Etat, nommés membres de l'une ou de
l'autre chambre, sont tenus, avant de prêter serment, d'opter entre le mandat
parlementaire et leurs fonctions ou leurs emplois. »
- Adopté.
« § 2. Il en est de
même des avocats en titre des administrations publiques, des agents du caissier
général et des commissaires du gouvernement auprès des sociétés anonymes. »
M. le président. - M. Malou a proposé de dire : « Il en est de
même des ministres des cultes rétribués par l'Etal, des avocats en titre, etc.
»
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Je considère que la discussion n'est pas
épuisée sur les divers paragraphes ; car il y a des propositions de la section
centrale qui n'ont pas été touchées dans la discussion. Ainsi il n'a nullement
été question de l'exclusion des avocats en titre des administrations publiques.
M. le président. - La discussion a été close sur l'article
premier et sur tous les amendements qui s'y rapportent.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - La chambre ne peut vouloir adopter des
propositions qui n'ont pas été discutées. On va jusqu'à exclure de la chambre
les avocats qui ont la connaissance des affaires administratives.
M. Malou. - Il y aura un
second vote.
- La première partie
du paragraphe amendée par M. Malou, et ainsi conçue : « Il en est de même des
ministres des cultes rétribués par l’Etat ; » est mise aux-voix et adoptée.
_________________
« Des avocats en
titre des administrations publiques. »
- Adopté.
_________________
« Des agents du
caissier général. »
- Adopté.
_________________
« Des
commissaires du gouvernement auprès des sociétés anonymes. »
- Adopté.
________________
- La chambre décide
qu'elle votera aussi par division sur les différentes exceptions qui sont proposées.
L'exception relative aux chefs de départements
ministériels est mise aux voix et adoptée.
________________
- Il est procédé au
vote par appel nominal, sur l'exception relative aux lieutenants-généraux :
88 membres sont
présents.
25 adoptent.
(page 1786) 60 adoptent.
3 s'abstiennent.
En conséquence,
l'exception n'est pas adoptée.
Ont voté l'adoption :
MM. de Haerne, Desaive, de Sécus, de Terbecq, d'Hoffschmidt, Dumont, Duroy de
Blicquy, Faignart, Frère-Orban, Gilson, Huveners, Jonet, Lebeau, Le Hon,
Lejeune, Mast de Vries, Rogier, Tielemans, Veydt, Wallaert, Anspach, Biebuyck,
Bruneau, Clep, Cogels et de Bonne.
Ont voté le rejet :
MM. Dechamps, de Chimay, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de
La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode,
de Meester, Destriveaux, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas,
d'Hane, d'Huart, Dubus (Albéric), Eloy de Burdinne, Herry-Vispoel, Lange,
Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mercier, Moreau, Orban, Orts,
Osy, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sigart, Thienpont, T'Kint de Naeyer,
Tremouroux, Van Cleemputte, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Huffel,
Van Renynghe, Verhaegen, Vilain XIIII, Zoude, Brabant, Bricourt, Cans,
d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne et de Brouckere.
MM.de Mérode, Fallon
et Liedts se sont abstenus.
M. de Mérode. - Messieurs, je
suis ennemi de la Saint-Barthélemy de fonctionnaires qui s'exécute aujourd'hui
; mais d'un autre côté, je ne puis pas établir des exceptions aussi spéciales
que celles que l'on nous propose. C'est pourquoi, ne pouvant exercer
l'impartialité comme je le désirais, j'ai préféré m'abstenir.
M. Fallon. - Je ne me suis
point abstenu par des scrupules constitutionnels, j'ai la conviction que ni le
projet du gouvernement, ni celui de la section centrale ne portent aucune
atteinte à la Constitution ; mais je me suis abstenu parce que, dans ma
position, il me répugnait de participer aux votes sur des projets de loi qui me
plaçaient personnellement en cause.
M. le président. (M. Liedts.) - Si la chambre veut bien me le permettre, je
motiverai mon abstention de ma place. (Oui,
oui.)
Parmi les exceptions
proposées, il en est une qui me concerne et pour ne pas laisser préjuger mon
opinion sur cette question qui m'est personnelle, je n'ai pas voulu émettre un
vote.
_________________
M. le président. - Je vais maintenant mettre aux voix
l'exception relative aux gouverneurs.
Plusieurs membres. - L'appel nominal.
Des membres. - L'appel nominal.
- Il est procédé à
l'appel nominal.
88 membres répondent
à l'appel.
65 membres répondent
non.
20 membres répondent
oui.
3 membres (MM. de
Mérode, Fallon et Liedts) s'abstiennent.
- En conséquence,
l'exception n'est pas admise pour les gouverneurs.
M. de Mérode, M. Fallon et M. Liedts déclarent s'être abstenus pour les motifs
qu'ils ont énoncés dans le vote précédent.
Ont répondu
non : MM. Dechamps, de Chimay, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de
Denterghem, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de
Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, Desaive,
Destriveaux, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, d'Huart,
A. Dubus, Eloy de Burdinne, Faignart, Herry-Vispoel, Lange, Le Hon, Lesoinne,
Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orban,
Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Thienpont, T'Kint de Naeyer,
Tremouroux, Van Cleemputte, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Huffel,
Van Renynghe, Verhaegen, Vilain XIIII, Zoude, Anspach, Brabant, Cans, Cogels,
d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne et de Brouckere.
Ont répondu oui : MM.
de Sécus, de Terbecq, d'Hoffschmidt, Dumont, Duroy de Blicquy, Frère-Orban,
Gilson, Huveners, Jonet, Lebeau, Lejeune, Rogier, Tielemans, Veydt, Wallaert,
Biebuyck, Bricourt, Bruneau, Clep, et de Bonne.
________________
M. le président. - Nous passons à l'exception concernant les
membres de la cour d'appel.
M. Lebeau. - Mon amendement
absorbe celui du gouvernement ; je demande qu'on le mette aux voix par
division. (Adhésion.)
M. le président. - En ce cas, je mets d'abord aux voix la partie
de l'amendement qui concerne les membres de la cour de cassation.
- Cette exception
n'est pas admise.
La chambre rejette
ensuite successivement l'exception proposée 1° en faveur des membres de la cour
d'appel ; 2° en faveur des membres des tribunaux de première instance.
L'article premier
dans son ensemble est mis aux voix et adopté.
Article 2
« Art. 2. Les membres
des chambres ne pourront être nommés à des fonctions salariées par l'Etat,
qu'une année au moins après la cessation de leur mandat.
« Sont exceptées
les fonctions de ministre, d'agent diplomatique et de gouverneur. »
- Adopté.
Article 3
« Art. 3. Par
extension à l'article 40 de la loi provinciale, ne peuvent être membres des
conseils provinciaux : les commissaires d'arrondissement, les juges de paix,
les membres des tribunaux de première instance, ainsi que les officiers des
parquets près des cours et tribunaux.’
Paragraphe
additionnel proposé par la section centrale :
« Les conseillers
provinciaux ne peuvent, pendant la durée de leur mandat, être présentés comme
candidats pour les places de l'ordre judiciaire par le conseil dont ils sont
membres. »
M. le président. - M. Delehaye propose d'ajouter dans le premier
paragraphe, après les mots « de première instance », ceux-ci :
« et des cours d'appel ».
M. Delehaye. - Je ne dirai que
peu de mots pour justifier mon amendement.
Messieurs, vous savez
que les conseils provinciaux ont quelques attributions communes aux cours
d'appel ; telles sont, par exemple, les présentations ; si donc vous admettez
les conseillers des cours d'appel au sein des conseils provinciaux, ils
exerceront deux fois les mêmes attributions. Ensuite, les conseils provinciaux
se réunissent à la fin de l'année judiciaire, c'est alors que les attributions
des cours d'appel sont les plus nombreuses, et que les membres des cours
doivent être le plus assidus à leur poste. Enfin, arrive le motif d'économie ;
il est désirable que tous les conseillers soient constamment à leurs fonctions,
afin que le personnel ne doive pas être augmente et afin même qu'on puisse le
réduire, le cas échéant.
Voilà les
considérations que j'invoque à l'appui de ma proposition ; je ne crois pas
devoir en dire davantage.
- Cet amendement est
mis aux voix et adopté.
Le paragraphe, ainsi
amendé, est également adopté.
_________________
« § 2. Les
conseillers provinciaux ne peuvent, pendant la durée de leur mandat, être
présentés comme candidats pour les places de l'ordre judiciaire par le conseil dont
ils sont membres. »
- Adopté.
L'ensemble de
l'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 4 (2 du
projet du gouvernement, transitoire). Les incompatibilités établies par la
présente loi ne sont pas applicables aux fonctionnaires ni aux officiers de
l'armée qui font actuellement partie de l'une ou de l'autre chambre, pour la
durée de leur mandat actuel. »
M. Malou, rapporteur. - L'intention de la
section centrale n'a pas été d'appliquer l'article 2 aux membres actuels de la
chambre. Il y aurait une sorte de rétroactivité dans la loi, si l'on déclarait
qu'aucun d'eux, avant une année, ne pourrait accepter de fonctions publiques.
L'article 2 du gouvernement, devenu l'article 4, dit que les incompatibilités
établies par la présente loi ne sont pas applicables aux fonctionnaires ou
officiers de l'armée qui font actuellement partie de l'une ou de l'autre
chambre pour la durée de leur mandat actuel. Il résulte de ce texte sainement
entendu, qu'aucune des incompatibilités établies par la loi ne saisit les
membres actuels des chambres à raison du mandat dont ils sont investis. Il est
dès lors inutile, si telle est l'interprétation de l'article 4, d'insérer dans
le projet une disposition spéciale.
M. Delfosse. - Je propose de
changer la rédaction de la manière suivante :
« Les
incompatibilités établies par la présente loi ne sont pas applicables aux
membres de l'une ou l'autre chambre, pour la durée de leur mandat actuel. »
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). - Il y a une telle agitation qu'il est
difficile de suivre l'ordre de la discussion. L'article 2 de la section
centrale paraît avoir passé inaperçu. Il
est entendu qu'on pourra y revenir au second vote.
- L'article, amendé
par M. Delfosse, est mis aux voix et adopté.
La chambre décide
ensuite que la séance sera continuée le soir à 8 heures pour le second vote.
- L'assemblée se
sépare à 5 heures.