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Congrès national de Belgique

Séance du jeudi 18 novembre 1830

 

Sommaire

1) Communication de pièces adressées au congrès

a) non acceptation par M. Coghen de son mandat de congressiste

b) service funèbre pour le comte Frédéric de Mérode (C. Rodenbach, Le Grelle)

2) Commissions de vérification des pouvoirs (Bosmans, Lecocq)

3) Proposition sur l’indépendance de la Belgique (Ch. le Hon)

4) Commission de vérification des pouvoirs (d’Martigny)

5) Proposition sur l’indépendance de la Belgique (de Foere, de Tiecken de Terhove, Andries, Charles Vilain XIIII, de Celles, Lardinois, Ch. de Brouckere, Devaux, Masbourg). Déclaration d’indépendance (Surlet de Chokier)

6) Proposition ayant pour objet de publier un mani­feste résumant tous les griefs du peuple belge (Boucqueau de Villeraie, Van Snick, de Stassart, Delehaye, d’Ansembourg, Raikem, Van Meenen, Rogier, Lebeau)

7) Communication du gouvernement relative à la rédaction d’un exposé de la situation des services administratifs (Destouvelles)

8) Proposition tendant à établir un mode de publication des actes du congrès national (Barbanson, Forgeur, Van de Weyer)

9) Proposition ayant pour objet de s’occuper du projet de constitution (Le Bègue, de Robaulx, Raikem)

 

 (E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)

(page 168) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)

La séance est ouvert à une heure (P. V.)

M. Nothomb, secrétaire, donne lecture du procès-verbal; il est adopté. (P. V.)

 

COMMUNICATION DE PIECES ADRESSEES AU CONGRES

 

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture :

1° d'une lettre de M. Coghen annonçant à l'assemblée que ses fonctions d'administrateur général des finances ne lui permettent pas d'accepter le mandat de député de Bruxelles. (P. V.)

2° de la lettre suivante de M. Isidore Plaisant, administrateur général de la sûreté publique :

« Monsieur le président,

« Le gouvernement a ordonné qu'un service funèbre, pour M. le comte de Mérode, mort à la suite des blessures qu'il a reçues au champ d'honneur, sera célébré samedi prochain, à onze heures du matin, à l'église des SS. Michel et Gudule.

« Si messieurs les membres du congrès national veulent honorer cette cérémonie patriotique de leur présence, le chœur de l'église leur sera réservé.

» Recevez, monsieur le président, l'assurance de ma respectueuse considération.

« ISIDORE PLAISANT »

M. le président – On va vous donner lecture d'une proposition de M. Constantin Rodenbach, relative à cette cérémonie. (U. B., 20 nov.)

Il est donné lecture de cette proposition, qui est ainsi conçue .:

« Monsieur le président,

« Une solennité bien triste va réunir un grand nombre de bons citoyens. Samedi, un service funèbre sera célébré à l'église de Sainte-Gudule, en mémoire du comte Frédéric de Mérode. Je propose au congrès d'envoyer une députation pour assister en son nom à cette touchante cérémonie.

« Il est inutile, messieurs, de vous rappeler les titres du noble comte à notre intérêt, à notre admiration. Martyr de la plus sainte des causes, il a arrosé de son sang notre liberté naissante ; son ombre magnanime plane encore sur les rangs de nos braves volontaires, et les anime au combat.

« Comme représentants de la nation, il est juste que nous honorions de tout notre pouvoir celui qui est mort pour le peuple et pour la liberté. Jamais dévouement plus sublime ne mérita de plus justes louanges ; je me plais à croire que vous n'hésiterez pas à lui rendre un éclatant hommage. » (Appuyé! Appuyé!)(U. B., 20 nov.)

M. Le Grelle propose que le congrès se rende en corps à cette cérémonie funèbre. (J. F., 20 nov.)

(page 169) M. le président met aux voix la question de savoir si les membres du congrès s'y rendront individuellement ou en corps. (U. B., 20 nov.)

- L'assemblée décide qu'elle se rendra en corps au service de M. le comte Frédéric de Mérode. (P. V.)

 

RAPPORTS DE COMMISSIONS DE VERIFICATION DES POUVOIRS

 

M. de Muelenaere, rapporteur de la première commission de vérification des pouvoirs, propose l'admission de M. Bosmans, suppléant du district de Malines, en remplacement de M. Stal­paert, démissionnaire (P. V.)

- Cette admission est prononcée. (P. V.)

M. Bosmans est introduit. (J. F., 20 nov.)

M. de Langhe, rapporteur de la septième commission de vérification des pouvoirs, propose l'admission de M. Ch. Lecocq, suppléant du district de Tournay, en remplacement de M. Paillot, dont l'élection a été annulée. (P. V.)

- Ces conclusions sont adoptées. (P. V.)

M. Lecocq est introduit. (J. F., 20 nov.)

 

PROPOSITION (C. RODENBACH) RELATIVE A LA FORME DU GOUVERNEMENT

 

M. le président – Les sections n'ayant pas terminé l'examen de la proposition de M. Constantin Rodenbach sur la forme du gouvernement, elles le continueront demain à dix heures. (J. B., 20 nov.)

 

PROPOSITION SUR L'INDEPENDANCE DE LA BELGIQUE

 

Discussion générale

 

L'ordre du jour est la continuation de la discussion sur la proposition de M. le comte de Celles. (J.B., 20 nov.)

M. le comte Félix de Mérode, orateur inscrit, renonce à la parole. (E., 20 nov.)

M. Charles Le Hon – La proposition d'indépendance a été considérée hier, par tous les orateurs, dans son rapport particulier avec la position du Luxembourg. Je viens l'examiner aujourd’hui sous un point de vue général et dans ses rapports avec la politique extérieure. Certes, notre indépendance est un fait accompli. L'institution du congrès, l'empressement de la nation à le former, notre présence et nos délibérations dans cette enceinte, tout l'atteste et la proclame, en même temps que le succès de nos armes en étend les limites. Mais l'indépendance d'une nation comme la nôtre n'est jamais absolue. Le fait aujourd'hui protège le droit ; il peut venir à l'opprimer demain. C'est donc ce droit du peuple belge qu'il peut être utile de consacrer par une déclaration solennelle. En éclairant la force morale de l'Europe, nous préservons plus sûrement nos provinces des tentatives de la force matérielle.

Je mettrai à l'écart le caractère et les effets de notre indépendance en ce qui touche l'ordre intérieur du pays, comme la forme du gouvernement, la nature des institutions et le chef de l'État. Ce doit être le sujet de nos prochaines délibérations. Je ne m'occupe que de son influence extérieure. Sous ce rapport, l'indépendance qu'on nous propose de proclamer consiste, selon moi, dans la rupture de nos liens politiques avec la Hollande, et dans le droit exclusif qu'ont recouvré les provinces belgiques de disposer d'elles-mêmes. La résolution du congrès, en déclarant la volonté nationale, protestera d'avance contre le sort que toute force étrangère quelconque prétendrait nous imposer sans notre participation, et malgré nous. L'indépendance, telle que je la conçois ici, embrasse tous les droits de libre disposition, et n'en spécifie comme elle n'en exclut aucun. Que si on nous laisse faire, la mission et les travaux du congrès attestent hautement quelle est notre pensée, quel est notre vœu d'indépendance. Nous voulons une patrie, pour elle un état politique et distinct qui la constitue. Si, au contraire, on tentait de nous contraindre, la Belgique se déterminerait alors d'après les nécessités de la situation où l'abus de la force l'aurait mise. Cette explication me semble résoudre la question soulevée par quelques honorables membres, si la proposition de M. le comte de Celles était absolument exclusive de notre réunion à la France. Elle est de nature à convaincre les cabinets étrangers que nous sentons tout le prix de la paix européenne, et que nous désirons fonder notre indépendance sans qu'elle en soit troublée.

Ici s'offre à moi un nouvel ordre de considérations graves, élevées, qu'aucun préopinant ne me semble vous avoir encore exposées. Je veux parler de la politique toujours hostile des grandes puissances à l'égard des provinces belgiques depuis plus de deux siècles et demi. C'est au moment de se constituer indépendant qu'il importe surtout à un peuple de rappeler à tous les autres ses griefs envers la vieille Europe, et les nouveaux titres qu'ils leur donnent à leur sympathie et à leur soutien. Depuis l'union d'Utrecht (1579) qui fonda la république Batave et laissa la Belgique sous le joug espagnol, combien d'injustices, de spoliations et de vicissitudes sont là pour accuser ceux qui successivement disposèrent sans nous de nos droits ou de nos destinées !

(page 170) Au milieu du XVIIe siècle (1648), l'Espagne, pour terminer avec la Hollande sa guerre de vingt-sept ans, sacrifie sans pitié nos provinces dans le traité de Munster : elle lui abandonne le Limbourg, cède des places du Brabant et de la Flandre, livre le commerce des Indes et souscrit el la fermeture définitive de l'Escaut, c'est-à-dire el la ruine d'An­vers et de notre commerce maritime tout entier.

Madrid nous possédait en métropole et nous traita en colonie. Dans les trente années qui suivent, les traités des Pyrénées et de Nimègue, nous mutilant d'un autre côté, donnent à la France plusieurs de nos places fortes et quelques villes de Flandre et de Hainaut.

Louis XIV, comme prétendant pour son petit-­fils à la succession d'Espagne, envahit la Belgique au commencement du XVIII siècle, et bientôt, en vertu du traité de la grande alliance, ce sont des députés hollandais et anglais qui, réunis en une commission dite de la conférence, viennent réellement nous gouverner. Pas n'est besoin de dire qu'ils nous font tout le mal qu'on pouvait attendre de rivaux jaloux.                                            .

Les puissances concluent en 1715 la paix d'Utrecht, et la Belgique en masse en est le prix: elle est adjugée à la maison d'Autriche pour que celle de Bourbon monte sur le trône d'Espagne. Deux ans sont à peine écoulés, quand l'Autriche, plus touchée des instances et des subsides des Provinces-Unies que de l'intérêt de ses nouveaux sujets, ouvre, par le traité de la Barrière, nos places fortes aux Hollandais qui se chargent de les défendre contre la France. C'était appartenir de nom à l'Autriche et de fait à la Hollande; ou plutôt c'était avoir deux maîtres.

En 1727, une compagnie qui s'était formée à Ostende pour le commerce des Indes obtient de l'empereur un octroi de trente ans. La Hollande en prend ombrage et coalise contre cet établissement les puissances maritimes de l'Europe : sous le prétexte que l'Autriche pourrait devenir une puissance commerçante, une ligue européenne s'acharne à la ruine d'une compagnie de marchands belges : Il faut céder au nombre, et l'octroi, la compagnie, notre commerce aux Indes sont, dès 1751, totalement détruits.

Joseph II, plus tard, essaye de ressaisir pour ses sujets le droit naturel de la navigation de l'Escaut ; c'était une question purement commerciale. Les puissances, comme au temps de la compagnie d'Ostende, s'y intéressent et interviennent. La Hollande (et le fait est digne de remarque) opposait alors « que les avantages qui résultaient pour elle des restrictions apportées au commerce de la Belgique avaient spécialement déterminé les Etats-Généraux, dans tous les temps, à ne pas faire valoir leurs prétentions sur les Pays-Bas, comme ayant été unis anciennement à ces provinces. »

Le cabinet de Paris apaise par son or, en 1785, les autres réclamations de Joseph II ; mais en même temps il consacre de nouveau, par le traité de Fontainebleau, confirmatif de celui de Munster, la ruine d'Anvers et l'oppression commerciale de la Belgique.

La France, libre et victorieuse, nous réunit à elle en 1795 : nous subissons le sort de la conquête. La France, vaincue en 1814, est forcée de nous restituer à l'Europe en armes.

Ici se présente à ma mémoire un fait digne d'attention et trop généralement oublié.

C'est que le 2 février 1814, les généraux duc de Saxe-Weimar et Bulow, commandants les troupes alliées entrées les premières à Bruxelles, proclamèrent l'indépendance de la Belgique, et l'invitèrent à délibérer avec sagesse sur le choix d'un gouvernement. Cette déclaration n'eut d'autre suite que la réunion de quelques notables, et la démarche d'une députation sans caractère, au quartier général des puissances ; mais le sort de la Belgique, cette fois encore, était fixé sans elle, à son insu, et elle fut réunie à la Hollande.

Ainsi, dans cette suite d'événements, nous la voyons compromise tour à tour par ceux qui la gouvernent comme par ceux qui semblent la protéger : par l'Espagne, l'Autriche et la France, aussi bien que par la Hollande et l'Angleterre. Territoire, commerce, indépendance, elle est froissée, mutilée dans ces grands intérêts, sans qu'elle puisse les défendre au conseil des puissances qui en disposent.

Quel résultat ont produit tant de combinaisons et d'expériences sur notre pays ? Un peuple toujours sacrifié et toujours mécontent. Un territoire morcelé par trop de vicissitudes, et d'une consistance trop précaire, pour qu'il participe ou concoure à cette stabilité dont les États ont grand besoin.

(page 171) Aujourd'hui que la raison publique, que l'opinion, l'intérêt des peuples ont une influence nécessaire sur la politique des gouvernements, il nous est permis d'appeler à l'Europe nouvelle des griefs de la Belgique envers la vieille Europe. Nous les soumettons à sa bonne foi et à sa justice. Le temps est venu d'un système réparateur pour nous, en même temps que mieux entendu et tutélaire pour elle.

L'orateur, en terminant cette improvisation, rappelle à l'Angleterre les paroles mémorables du célèbre lord Chatham, lorsqu'en 1776 il déclarait, dans une séance du parlement, se réjouir de la résistance des Américains aux efforts du cabinet de Londres pour empêcher leur émancipation. ­

Puissent ces paroles, dit-il, avoir autant d'écho dans le conseil des puissances qui pèsent les destinées de l'Europe, qu'elles en ont aujourd'hui chez tous les peuples ! (Nombreux applaudissements.) (C., 20 nov.)

M. le présidentJe rappellerai à l'assemblée que les signes d'approbation et d'improbation sont interdits ; si je permets les applaudissements, je devrai aussi permettre les sifflets. Je suspendrai un moment la discussion pour accorder la parole au rapporteur de la deuxième commission de vérification des pouvoirs. (C., 20 nov.)

 

COMMISSION DE VERIFICATION DES POUVOIRS

 

M. Morel-Danheel, rapporteur de la deuxième commission de vérification des pouvoirs, propose l'admission de M. d'Martigny, suppléant du district de Grevenmacher, en remplacement de M.  Nothomb, optant pour Arlon. (P. V.)

- Ces conclusions sont adoptées. (P. V.)

 

PROPOSITION SUR L'INDEPENDANCE DE LA BELGIQUE

 

Discussion générale

 

M. l’abbé de FoereMessieurs, les usurpations politiques que la Belgique a subies depuis quarante ans ont été les conséquences immédiates du renversement des principes que la conscience de tous les siècles avait consacrés. J'entends la subversion totale des principes de justice, la proscription des maximes sur lesquelles tout ordre social doit être fondé, enfin la destruction de fait des plus simples notions de l'intelligence humaine.

Cette exception outrageante à la morale politique de tous les siècles et de tous les lieux a été évidemment adoptée comme principe dans le congrès de Vienne, dans les stipulations de Paris et de Londres. Là, comme vous le savez tous, messieurs, des individus de Vienne, de Saint-Pétersbourg, de Londres, de Berlin et de Paris, ont stipulé pour nous, contre nous, et toujours sans nous A Dieu ne plaise que je veuille refuser aux chefs des principaux États de l'Europe le titre de souverains ! J'appelle, dans la question qui nous occupe, ces différents souverains des individus, parce que, à l'égard de la Belgique, c'est là leur qualité réduite à sa juste expression. C'est cette même subversion des principes éternels qui a dominé dans les traités de Campo-Formio et de Lunéville, où les violences diplomatiques ont sanctionné les violences hostiles qui nous avaient réunis précédemment à la France.

C'est ce noble, cet indestructible sentiment de justice qu'à son tour le peuple belge fait valoir aujourd'hui contre ses oppressions successives. Et certes, messieurs, ces quarante ans d'esclavage, pendant lesquels le cœur de chaque Belge ami de sa patrie et de la justice a été lacéré dans tous les sens, doivent suffire pour sentir profondément. Non seulement l'opportunité, mais aussi la justice et la nécessité de l'adoption unanime de la proposition de M. le comte de Celles.

Les cruelles expériences que nous avons faites prouvent combien il est important de renouveler dans tous les esprits la philosophie de la justice politique, pour laquelle les publicistes allemands n'ont cessé de combattre depuis un demi-siècle. Permettez, messieurs, que j'entre un instant dans le développement de cette philosophie, qui d'ailleurs n'a pour base que les plus simples notions de l'esprit et de la conscience humaine. Ce sont ces principes qui dictent les votes que j'émets au congrès.

Quelques publicistes modernes ont érigé en loi fondamentale : L'intérêt général est la suprême loi. Ce principe est tout diplomatique. Avec lui, il n'est plus de barrière possible aux envahissements de la diplomatie. C'est ce principe qui a dominé le congrès de Vienne, et toutes les transactions antérieures et subséquentes dans lesquelles les diplomates sont entrés, sur nous, contre nous et sans nous. Ils se sont dit: L'intérêt général des peuples est la suprême loi. De là sont nées leurs considérations purement matérielles d'équilibre, d'échange, de sécurité générale et relative; de là leurs (page 172) outra­geants (page 172) marchés des peuples, leurs violents déchi­rements des pays, leurs odieuses interventions dans les causes et dans les intérêts des peuples; de là enfin les discordes civiles et des guerres san­glantes et interminables. Telles sont les horribles conséquences du principe matériel de la diplo­matie, principe qui mène arbitrairement à toutes les injustices, à tous les outrages, à tous les bou­leversements, à toutes les tyrannies, à toutes les anar­chies ; principe sous l'empire duquel il n'y a ni foi, ni loi, ni droit naturel, ni droit des gens, ni protection générale, ni sécurité particulière.

Les souverains des pays, les ministres d'État n'ont cessé de mettre en première loi de gouver­nement ce principe diplomatique que je viens de signaler à votre juste animadversion ; le dogme, aussi absurde que pernicieux, de la raison d’État, en a été la conséquence immédiate. C'est ce prin­cipe qui a constamment constitué la société poli­tique et civile dans cet affreux état de collision et de violence, telle que nous l'avons vue depuis longues années. L'état social n'a été, depuis long­temps, qu'un froissement continuel entre le désir de dominer et celui de se soustraire à la domina­tion. De là cette lutte acharnée entre la justice et l'intérêt, entre le pouvoir et la nation ; de là ces malheureux conflits entre les opinions, ces pré­tentions désordonnées, ces discordes civiles, qui ne cessent d'exposer les États aux plus imminents dangers de dissolution et. d'anéantissement total ; de là les volontés arbitraires du pouvoir, et les exigences séditieuses des factions, cachées, les unes et les autres, sous le spécieux prétexte de l'intérêt général ; de là cette dégradante subordi­nation de la justice à l'intérêt, cette substitution continuelle de la force au bon droit, cette immo­lation presque non interrompue du parti le plus faible au parti le plus fort ; de là ces actions et ces réactions de la justice et de l'injustice ; de là enfin la possibilité toujours présente du despotisme et de l'arbitraire, avec laquelle il ne peut y avoir ni liberté, ni ordre, ni sécurité, tant sous des rapports généraux que sous des rapports individuels. C'est là le foyer de toutes les usurpations, de toutes les violences diplomatiques qui ont été exercées sur la Belgique, comme aussi le foyer de toutes les exclusions, de toutes les proscriptions, de tontes les intolérances, de toutes les catégories odieuses, dont nous avons été les victimes.

La suprême loi, messieurs, c'est la justice. Elle doit être la loi invariable des diplomates comme des hommes d'État. Les philosophes allemands du XVIIIe et du XIXe siècle ont mis cette vérité dans une grande évidence. Ils ont combattu avec une force irrésistible de raisonnement toute autre maxime en politique. Les publicistes belges ne sauraient se donner trop d'efforts pour environner cette grande vérité de tout son éclat. Notre gou­vernement provisoire est entré noblement et fran­chement, sous des rapports généraux, dans toutes ses conséquences. C'est ce principe qui est le fon­dement, l'âme de notre admirable union belge. Permettez-moi, messieurs, d'exprimer ici ma pro­fonde conviction .que l'esprit de sagesse qui do­mine le congrès érigera en premier principe, dans toutes ses délibérations et dans tous ses votes, cette grande et éternelle maxime en politique : La justice est la suprême loi.

En effet, messieurs, s'il pouvait être une seule fois admis que, dans certaines circonstances, il serait permis de dévier de la justice naturelle, base éternelle de toute politique, et que les prin­cipes reconnus par la conscience des siècles ne doivent pas être, dans toutes les hypothèses pos­sibles, les seuls principes régulateurs des diplo­mates et des hommes d'État, qui pourrait fixer les bornes où la violation de ces principes éter­nels doit s'arrêter ? Jusqu'à quel point l'interrup­tion des lois générales et nécessaires sera-t-elle permise ? Quelle sera la nature, l'urgence et l'é­tendue des intérêts diplomatiques et des raisons d'État qui autoriseront ces infractions à la loi éter­nelle de la justice ? Tout est alors sans principe, comme sans règle, et la société politique, livrée à l'arbitraire des exceptions, doit être inévitable­ment déchirée pm' des tourmentes continuelles. S'il est permis d'acheter un bien quelconque, quelque grand et quelque général qu'il soit, par la subversion de la justice ; s'il est permis de subor­donner le juste à l'utile, descendons franchement, avec les diplomates comme avec les hommes d'État, au rang de la brute, qui ne cherche que l'assouvissement de ses besoins et de ses intérêts matériels. La conséquence est juste et inévitable.

Les principes de la justice éternelle sont d'une rigueur inflexible. Tout ce qui ne s'y adapte pas exactement est mutilé, déformé, combattu par la puissance irrésistible de la conscience humaine. Si l'on n'adopte pas dans les cabinets diploma­tiques, comme dans celui des hommes d'État, cette règle invariable, le droits des peuples seront constamment méconnus, et la subordination con­tinuera de recevoir le caractère humiliant de l'as­servissement et de l'esclavage.

Les apologistes de notre ancien gouvernement ont osé mettre en principe que des circonstances impérieuses peuvent exiger des modifications dans l'application des principes reconnus, que (page 173) ces principes doivent se mettre en harmonie avec les besoins de l' État. Nous avons vu ce même principe inadmissible mis hardiment en avant, même dans un discours d'ouverture des anciens états généraux, où l'absurde et funeste doctrine de la raison d'État était placée sur une ligne pa­rallèle avec la justice. Il s'ensuivait nécessaire­ment que les nations et leurs gouvernements doivent subir des phases et des périodes où la diplomatie et le pouvoir des gouvernants pour­raient être autorisés à interrompre les lois éter­nelles qui gouvernent le monde moral, et à sacri­fier la justice aux intérêts matériels des partis dominants. A quelles conséquences affreuses nous mèneraient ces extravagants paradoxes, si l'on par­venait à les faire adopter et à les appliquer aux faits !

Lorsque, dans les transactions particulières, la justice est outragée, ses idées et ses principes se conservent néanmoins dans toute leur pureté dans l'esprit et dans le cœur humain ; mais si on parvenait à obscurcir, non-seulement en pratique, mais, ce qui doit faire frémir, en théorie même les simples notions de la justice politique, les na­tions seraient près de tomber dans le plus dur esclavage ; leur asservissement serait inévitable. La justice n'est rien là où la violence diplomatique stipule, et où la raison d'État gouverne. Son exis­tence n'est plus qu'une dérision amère, une insulte publique faite à l'intelligence et à la probité hu­maine.

C'est du principe opposé à la justice qu'est née cette autre maxime détestable que tout ce que la politique conseille la justice l'autorise. C'est cette dernière maxime qui a corrompu la probité des hommes d'État, et enfanté les monstruosités, les actes attentatoires aux droits des nations et des individus, dont nous avons été les témoins et les victimes. C'est par cette dernière maxime : tout ce que la politique conseille la justice l'autorise, que se trouve expliqué l'affreux mystère de l'as­sassinat du duc d'Enghien, ainsi que l'envahisse­ment de l'Espagne qui a soulevé d'indignation le monde entier. (Nombreuses voix : A la question ! à la question !)     .

L'orateur fait observer qu'il ne sort pas de la question ; qu'il cite des exemples à l'appui des principes qu'il développe sur la proposition qui est à l'ordre du jour ; il continue en ces termes:

Voici, en deux mots, le raisonnement des diplo­mates et des hommes d'État qui sont les auteurs de ces crimes politiques: l'assassinat d'un Bour­bon, l'usurpation de l'Espagne ne sont pas justes ; mais l'intérêt, la politique de la nouvelle dynastie les conseillent.

C'est ce même raisonnement, messieurs, qui, sous d'autres rapports, a dirigé la diplomatie du congrès de Vienne, des conférences de Paris et de Londres, en sacrifiant la juste indépendance de la Belgique à des intérêts purement matériels, en effaçant le nom du peuple belge sur la liste des nations.

Les anciens ont enseigné, comme les publicis­tes allemands, que la justice est la suprême loi. Ils ont constamment combattu toute doctrine contraire. « Socrate avait bien lieu, dit Cicéron, de détester, comme il le faisait, celui qui le pre­mier avait séparé l'utile du juste ; car il préten­dait que c'était de là que provenaient tous les désordres. » Cicéron fait observer ailleurs que Socrate avait coutume de maudire ceux qui, par de misérables subtilités, étaient enfin parvenus à distinguer ce qui ne fait qu'un dans la nature et à y trouver des êtres différents. Les stoïciens ont tous dit que ce qui est juste est seul nécessaire­ment utile, et que ce qui n'est pas juste ne peut pas être utile.

Cette inséparabilité de la justice et de l'utilité est une autre raison pour laquelle la justice seule doit être la suprême loi, la seule loi régulatrice de la diplomatie et de la politique intérieure des États. C'est dans la séparation pratique de ces deux notions indivisibles que M. Bignon a juste­ment trouvé la vanité et l'illusion des combinaisons de la diplomatie.

Les anciens mettaient en pratique le principe de la sommité de la justice. Vous connaissez tous le trait sublime des Athéniens qui rejetèrent unanimement un moyen sûr, proposé par Thémistocle, contre leurs ennemis. Ils repoussèrent ce moyen, parce qu'Aristide l'avait désapprouvé, en leur disant ces simples mots: Le projet est avantageux ; mais il est injuste.

Si le monde entier a applaudi à ce noble trait de magnanimité, à ce triomphe de la justice sur l'intérêt général, si la diplomatie elle-même n'o­serait pas le répudier, pourquoi ne pas la faire re­culer devant les odieuses maximes qu'elle a con­stamment consacrées  Si elle avait respecté, depuis quarante ans, la justice et les droits des nations qui en résultent, elle ne serait pas aujourd'hui obligée de secouer la responsabilité morale de tous nos malheurs qui pèse sur elle. Maintenant, messieurs, que, par le droit de défense légitime, nous avons repoussé la force ; maintenant qu'il est en notre pouvoir d'user du droit sacré de postli­minie ; maintenant que nous avons rompu noble­ment les liens par lesquels une lâche diplomatie nous avait attachés à tous les asservissements et à (page 174) tous les esclavages, proclamons fermement et una­nimement notre indépendance (J. F., supp., 20 nov.)

M. de Tiecken de Terhove – La pro­position de M. de Celles sur la déclaration de l'indépendance du peuple belge, et l'amendement de M. de Robaulx, ont déjà occupé l'assemblée toute une séance ; irons-nous aujourd'hui, mes­sieurs, perdre encore, en discussions inutiles, un temps si précieux et qui pourrait être consacré à des objets autrement importants ? et quand j'envi­sage, et la proposition de M. de Celles et l'amen­dement de M. de Robaulx, je ne puis me rendre raison de l'importance qu'on y attache, d'autant plus, messieurs, que ces propositions doivent sou­lever des questions politiques, d'après moi, très­ inopportunes, dont la vieille diplomatie est si avide de s'emparer.

Pour moi, messieurs, je pense qu'un fait n'a pas besoin d'être déclaré, comme j'ai eu l'hon­neur de l'observer dans la section dont je fais partie, et surtout un fait éclatant qui a retenti d'un bout de l'Europe à l'autre ; c'est comme s'il fal­lait, en plein jour, et par un beau soleil, déclarer que le soleil luit. Nous faut-il des actes de notre indépendance ? Eh! messieurs, nous en faisons tous les jours, et si nous n'étions indépendants, les collèges électoraux auraient-ils pu s'assem­bler ? auraient-ils nommé les membres du congrès ? le congrès se serait-il assemblé, constitué ? Voilà, messieurs, des actes patents de l’indépendance de la nation belge ; nous nous occuperons, et sans retard ; j'espère, d'actes plus importants encore ; trois opinions paraissent se dessiner dans cette assemblée sur nos destinées futures : la monarchie constitutionnelle, la république, la réunion à la France. Eh bien! messieurs, voilà les questions vitales qu'il importe de décider et au plus tôt ; laissons donc de côté ces discussions intermina­bles sur la déclaration d'indépendance. Le monde entier sait bien que le peuple belge n'a pas com­battu avec tant d'héroïsme pour s'affranchir du joug odieux de la Hollande, conquérir sa liberté et son indépendance, pour souffrir qu'on lui impose de nouvelles chaînes ; non, messieurs, ce peuple héroïque se lèverait en masse pour voler au-devant, pour combattre avec fureur quiconque oserait tenter de lui ravir sa noble conquête. Et que peut donc une déclaration sur laquelle nous sommes à discuter depuis vingt-quatre heures ? La volonté ferme et décidée d'un peuple brave, une force armée bien organisée, bien disciplinée, et je me propose de revenir incessamment sur ce point ; l'alliance des peuples libres, voilà qui vaut mieux que toutes les déclarations ; je le répète donc, messieurs, je ne comprends pas l'importance qu'on attache à cette déclaration, je ne la vois pas, et toutes les discussions n'ont pu me pénétrer qu'elle est nécessaire, qu'elle a un but politique, avanta­geux (page 175) ou utile pour la nation ; je conclurai donc, messieurs, qu'on veuille bien passer à l'ordre du jour. (La clôture! la clôture!) (J. F., 20 nov.)

M. le présidentIl y a encore cinq ora­teurs inscrits. Il sera bien de les entendre, et sur­tout l'auteur de la proposition. (Mouvement d'impatience.) (E., 20 nov.)

M. l’abbé AndriesMessieurs, hâtons-­nous de proclamer l'indépendance du peuple belge, c'est-à-dire, que la nation belge ne recourrait à aucune puissance, à aucun prince, à aucune famille des droits quelconques sur la Belgique. Biaiser là-dessus, c'est nous rendre le jouet de la diplomatie ; proclamer ce fait comme un principe, c'est trouver des échos dans tous les cœurs, c'est montrer que nous sommes les dignes organes de la nation. Un principe ne parait pas impunément dans une société, a dit naguère l'éloquent député de France, M. Mauguin, il n'y paraît que pour produire tôt ou tard ses conséquences. Le prin­cipe du droit et de l'indépendance des peuples a apparu et fait tous les jours des progrès immenses ; ses conséquences sont infaillibles, et déjà nous voyons, par la non-intervention des puissances, que la diplomatie trouve bon de s'éloigner de la route suivie pendant un grand nombre de siècles. On n'essayera plus de la guerre pour défendre les prérogatives d'une couronne contre les droits d'un peuple. Déjà la diplomatie commence à comprendre que les principes qui ont dicté les traités de 1814 et 1815 sont réprouvés, et que même les baïonnettes seraient impuissantes pour les défendre. J'ai dit que nous devons nous hâter de proclamer notre indépendance ; car nous sommes à la face d'événements que nous devons dominer, si nous n'en voulons être dominés nous-mêmes. Qui sait, si nous nous montrons si respectueux envers une diplomatie qui a déjà de grands torts, parce qu'elle a disposé de nous, sans nous et contre nous, qui sait, dis-je, si, avant quinze jours, il ne sera pas lancé au milieu de nous l'une ou l'autre note diplomatique qui vous déconcer­tera, à moins que vous ne preniez aujourd'hui l'énergique résolution que la nation attend de vous. (J. F., 20 nov.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIIIMessieurs, l'immense majorité qui dans cette as­semblée va proclamer l'indépendance de la Belgique, rassurera sans doute les puissances étran­gères sur la crainte de nous voir réunis à la France. Cependant je désire que leur sécurité ne soit pas trop complète : nous ne nous réunirons point à la France si on nous laisse tranquillement fonder et consolider notre indépendance à notre manière ; mais si les puissances étrangères voulaient inter­venir, si elles voulaient venir se mêler de notre ménage, qu'elles sachent bien que dans ce cas la déclaration d'indépendance que nous allons faire aujourd'hui ne nous lierait pas. Qu'elles sachent que du moment où elles attaqueront notre indé­pendance nous la répudierons nous-mêmes, ou plutôt nous en ferons acte en nous jetant dans les bras de la France, Elles auraient beau d'avance s'être entendues avec le ministère français ; c'est à la nation que nous nous adresserons, et à l'in­stant même l'armée, la garde nationale, un peu­ple de volontaires répondront à notre cri d'alarme par un long cri de guerre. Alors le drapeau de la liberté sera déployé, et nous irons le planter sur le trône de ces hommes qui s'arrogent encore le droit de parquer les nations comme des troupeaux ; alors nous convierons tous les peuples au renou­vellement de la société, et l'Europe sera ébranlée jusque dans ses fondements. Que les puissances étrangères se pénètrent donc bien de cette idée : qu'en délibérant sur la Belgique ce n'est point de notre sort qu'elles décideront, mais bien plutôt de leur propre avenir. (C., 20 nov.)

M. le comte de CellesLa proposition que j'ai faite ne me paraît pas aussi peu impor­tante qu'on a voulu le prétendre. L'indépendance tient à toutes les idées de patrie et d'honneur. Le sol c'est la patrie, nous aurons de nouveau une patrie, nous l'aurons nous et nos enfants. Un ho­norable orateur vous a retracé les longues vexa­tions dont notre pays a été l'objet. Je n'ajouterai rien à cet éloquent tableau. Si la dernière raison des rois devait être le canon, la dernière raison des peuples serait les barricades. L'Europe doit savoir que ce n'est pas nous qui avons manqué au contrat, c'est le préposé des puissances qui a rompu le pacte. C'est à ce préposé que les puis­sances avaient confié le royaume créé par elles comme avant-mur contre la France ; il ne s'est pas conformé aux conditions qu'elles lui avaient faites, et par son aveugle conduite il a rendu impossible l'existence du royaume. C'est lui qui a violé tous les traités et qui nous a poussés dans la révolu­tion. Proclamons notre indépendance, ayons de nouveau une patrie ; prononçons ces mots qui ont de l'écho dans toutes les âmes. (C., 20 nov.)

M. LardinoisMessieurs, je suis le mem­bre qui, dans la quatrième section, a déclaré s'op­poser à toute proposition qui tendrait à l'exécu­tion de la possibilité d'une demande future de réunion à la France.

Vous avez entendu, dans votre séance d'hier, les développements qu'a provoqués la proposition (page 176) de notre honorable collègue, M. de Celles. On vous a déclaré positivement que cette proposition était exclusive.

Cependant je me suis tu, et plusieurs orateurs qui connaissaient le fond de ma pensée ont fait attention à mon silence ; en effet, il avait quelque chose de surprenant, et, dans la crainte qu'on ne l'interprète comme une lâcheté ou comme un changement de conviction, je dois expliquer ma conduite et faire au moins acte d'opinion.

Oui, je suis intimement convaincu que les in­térêts commerciaux et industriels réclament im­périeusement notre réunion immédiate ou indi­recte à la France ! oui, ni l'agriculture, ni les manufactures ne trouveront jamais l'emploi de leurs nombreux produits avec la Belgique cir­conscrite dans ses limites actuelles ! Par ces con­sidérations et d'autres qu'il serait surabondant de vous présenter, j'avais rédigé la proposition de réunir la Belgique à la France. Je ne l'ai pas sou­mise à la décision de l'assemblée, parce que je n'ai pas jugé le moment opportun pour la faire réussir, et d'un autre côté, ayant consulté un grand nombre de mes honorables collègues, ils m'ont dit que c'était appeler l'intervention étrangère ; et j'ai reculé devant l'idée d'une guerre générale, quand même l'issue de la victoire ne serait pas douteuse.

J'ajourne donc ma proposition, ou plutôt j'en abandonne la solution à la force des choses et à la sympathie des deux peuples.

Mon intention avait aussi été de demander que le congrès national déclarât l'indépendance de la Belgique ; mais j'envisageais cette question sous un autre point de vue que notre honorable collè­gue M. de Celles. L'indépendance de la Belgique peut se comprendre de deux manières.

Les uns entendent que l'État sera constitué en république ou en monarchie ; les autres, et je suis de ce nombre, veulent exprimer qu'au congrès national seul appartient le droit de régler et de décider du sort futur de la Belgique.

Mon opinion n'était exclusive qu'à l'égard de la famille des Nassau. L'idée dominante est de con­stituer un État séparé ; mais notre indépendance sera toujours subordonnée aux événements et à la volonté des grandes puissances qui nous environ­nent. S'il y avait eu possibilité de nous incorpo­rer à la France, nous aurions joui de l'indépen­dance d'un grand État qui a la force pour faire respecter ses droits. Nos besoins commerciaux et industriels pouvaient être satisfaits. Je dirai plus : la marche de la France assure les institutions les plus libérales, et, en elle encore, on pourrait trou­ver le bonheur politique.

Mais quittons cet objet de nos regrets ; occu­pons-nous à rassurer la tranquillité publique ; ef­forçons-nous de rendre l'espoir et la confiance au commerce et à l'industrie désolés. Messieurs, il n'y a pas de temps à perdre, nos manufactures sont exténuées par les sacrifices qu'elles ont dû faire. Pour peu que l'état des choses dure encore, vous verrez depuis Verviers jusqu'à Gand cent mille ouvriers inactifs. C'est cette classe de citoyens qui a fait la révolution, qui vous a demandé du fer pour combattre et vaincre nos tyrans, et qui bientôt sera forcée de vous demander du pain, aussi sans phrases. Et si la malveillance s'emparait de cette masse populaire, on la conduirait peut-être contre le nouvel ordre social que nous voulons établir.

Nous aurons tout le temps de nous précipiter dans les systèmes et dans les théories. Écoutons avant tout les intérêts matériels, car, en définitive, le commerce et l'industrie sont les principaux, sont les éléments les plus essentiels de la puissance et de la richesse des nations.

Je vous ai fait connaître mon opinion et aperce­voir l'état de l'industrie. Maintenant je me ré­sume et je dis que la déclaration de l'indépendance ne peut pas emporter l'idée d'une exclusion absolue. La déclaration d'indépendance doit être comprise en ce sens :

1° Qu'au congrès national seul appartient le droit de régler et de décider du sort futur de la Belgique ;

2° Que les neuf provinces qui ont concouru à briser nos fers, étant liées par une cause com­mune et par les mêmes intérêts, sont et resteront unies, et qu'on ne pourra stipuler pour une ou pour plusieurs provinces séparément des autres. (C.,20 nov.)

M. Charles de Brouckere. Je remercie l'orateur qui descend de cette tribune d'avoir porté la question sur le terrain de la réunion à la France. Des esprits droits d'ailleurs, mais préoc­cupés par la pensée de sauver les intérêts maté­riels du pays, présentent cette réunion comme la seule chance de salut pour notre industrie et notre commerce. Leurs paroles s'impriment et se colportent, les chefs d'ateliers les répètent, et ainsi elles prennent racine dans la classe ouvrière ; il importe, pour rassurer cette classe, de prouver, d'abord que la réunion est impossible, et ensuite que notre commerce peut exister sans cette réu­nion. Cette réunion est impossible sans qu'il y ait une guerre générale, non parce qu'elle froisserait les intérêts des rois, car alors nous pourrions trouver un appui dans les peuples, mais parce (page 177) qu'elle froisserait les intérêts des peuples eux-­mêmes ; et, dès lors, combats à mort entre eux. Croyez-vous que l'Angleterre, si susceptible quand il s'agit des intérêts de sa suprématie industrielle et commerciale, consentira jamais à remettre Anvers dans les mains des Français ?

Messieurs, depuis la révolution de juillet et pour la première fois, les Anglais se sentent en­traînés par un mouvement de sympathie vers leurs anciens rivaux ; mais pensez-vous que les anciennes haines sont déjà tellement oubliées, qu'un accrois­sement de puissance et de richesse aussi considérable pour la France ne les réveille à l'instant ? Gardons-nous, messieurs, de troubler les senti­ments de paix et d'amitié qui rapprochent la France et l'Angleterre ; l'union de ces deux grands peuples est peut-être le meilleur soutien de la li­berté en Europe.

L'intervention est impossible tant que nous res­terons Belges, elle devient inévitable dès l'instant où nous abdiquons cette qualité ; alors nous nous soumettons à toutes les chances de la guerre, et, si nous sommes vaincus, à une restauration et à une occupation, non pas à une occupation comme celle de 1815 qui n'avait pour but que de contenir une armée, la nation étant en dehors de la question, mais à une occupation indéfinie, puisqu'elle aurait pour but de contenir le peuple tout entier.

Tous les peuples éprouvent sans doute le be­soin de liberté et d'indépendance; il y a combat à mort entre la Sainte-Alliance et les peuples: mais toutes les nations craignent aussi l'agrandisse­ment de la France, l'Allemagne comme l'Angle­terre, la Prusse comme l'Autriche.

La France consentirait-elle elle-même à nous recevoir ? Un illustre maréchal (Note de bas de page : le maréchal Maison) disait à la tri­bune de la chambre des députés: « La paix, la paix, qui est l'expression de toutes les nécessités européennes en même temps ; la paix, que la voix du soldat ne craint pas d'appeler quelque chose de préférable à la victoire. » Si tel est le sentiment du cabinet français, si des ora­teurs de l'opposition et, entre autres, M. Mau­guin, se sont prononcés dans le même sens, sommes-nous dans des temps convenables pour opérer notre réunion, alors même que la France ne paraît pas disposée à nous recevoir ? Quand nous venons à peine de secouer le joug de la Hol­lande, nous irions dire, nous qui habitons le pays le plus riche et le plus fertile, que nous ne pou­vons pas exister par nous-mêmes ?

Restons Belges, et ne voyons pas l'avenir dans le présent. Sans doute, si notre position devait rester la même, elle serait pénible : mais, mes­sieurs, le règne des favoris est passé en France ; l'intérêt de ce pays, comme du nôtre, est d'avoir une homogénéité complète d'intérêts avec nous, parce qu'alors la fusion pourra se faire sans se­cousse ; la France veut de bonne foi notre pros­périté ; son intérêt la porte à désirer notre richesse, puisque aucune concurrence n'existe entre elle et nous. Notre agriculture est riche de ses céréales ; celle de la France, de ses vignobles. Sans doute jusqu'à ce jour l'intérêt des propriétaires de vignes a été sacrifié à des favoris, et je puis me servir de cette expression, parce qu'elle est juste ; mais le règne des favoris est terminé. Depuis seize ans, le midi de la France souffre; des droits intérieurs énormes frappent ses produits, et chaque foisqu'une prohibition a été faite dans l'intérêt des manufac­tures, le contre-coup est venu retomber sur les vins, qui ont été grevés à l'étranger de droits énormes. Une seule industrie prospère dans le midi, industrie factice et soutenue en faveur d'un seul homme, celle des forges. Quant aux produits industriels, nos fabriques ne s'occupent que d'ob­jets communs, et nous sommes obligés de tirer de France toutes les étoffes fines de laine et de co­ton. Quant aux forges, nous fabriquons le fer à moitié prix des fabricants français, et il est à croire que dorénavant les intérêts de toute la France ne seront plus immolés aux intérêts de deux nobles pairs.

Le ministère français qui vient d'arriver au pou­voir est presque en entier composé de véritables économistes, qui comprennent que la consommation est d'autant plus grande et plus facile, que la production est à meilleur marché : et il abolira les barrières élevées entre nous et nos voisins ; il les abolira, parce que les intérêts des deux nations l'exigent, parce qu'il y a sympathie entre les deux peuples, parce que la richesse de l'un ne peut manquer d'influer sur celle de l'autre.

Restons donc Belges, et si l'on essayait de dé­truire notre indépendance par le fer, appelons la France à notre secours : alors les deux peuples réunis sur le champ de bataille, quoique divisés par leurs frontières, sauront faire respecter par la force les principes qu'ils ont fait triompher, là en juillet, ici en septembre. (U. B., 20 nov.)

M. DevauxMessieurs, je serai court, je n'ai demandé la parole que pour motiver et expliquer mon vote.

Dans votre séance d'avant-hier, vous avez ajourné une proposition qui me paraissait inséparable de celle dont vous vous occupez aujourd'hui. Je ne (page 178) veux pas revenir contre votre décision ; mais jointe à quelques paroles que j'ai entendues, non pas dans la proposition, mais dans le discours de M. de Celles, elle me met dans la nécessité de donner quelques mots d'explication sur le vote que j'émettrai. Oui, messieurs, je pense que quand, après des siècles, s'offre à un peuple l'occasion de prendre possession de son indépendance, il y au­rait à ce peuple défaut de courage, de dignité et de noblesse d'âme, à ne pas en faire l'essai.

Toutefois, en votant pour la motion de M. de Celles, je déclare être dans la double conviction, d'une part, que les puissances étrangères n'essayeront, ni directement, ni indirectement, de faire la loi à nos délibérations; d'autre part, que la mai­son d'Orange, qui serait en Belgique une perpétuelle menace d'intervention étrangère, n'a plus aucune chance de succès parmi nous D'après ce que je connais des dispositions personnelles des membres de cette assemblée et de l'avis de tous ceux de mes collègues que j'ai consultés à ce su­jet, la maison d'Orange n'obtiendra pas plus de dix voix dans le congrès, si même elle en obtient une seule,

Si l'une ou l'autre de mes prévisions étaient trompées, je déclare que je ne me croirais pas lié ; c'est-à-dire, que sans qu'on puisse me reprocher d'être inconséquent, de revenir contre la chose ju­gée ou contre mon propre vote, je me croirais libre, parfaitement libre, d'examiner encore la question de la réunion à la France, et de me pro­noncer, selon que je le croirais utile à mon pays, pour ou contre cette réunion. Après ces explica­tions données, je vote purement et simplement pour la proposition de notre honorable collègue. (C., 20 nov.)

M. Masbourg - Elle sera célèbre dans nos annales, cette séance solennelle où le congrès aura proclamé à la face de l'univers l'indépendance de la Belgique. Si dans tous les siècles et chez tous les peuples l'indépendance nationale a toujours été un titre de gloire, et même l'objet d'une espèce de culte, avec quel enthousiasme les Belges, déshérités depuis si longtemps de ce nom glorieux, n'accueil­leront-ils pas cette déclaration, qui met le sceau à leur affranchissement et les constitue en corps de nation !

Cet acte important, messieurs, comblera le vœu général et remplira l'attente de la nation, si, en le proclamant, on entend exclure non-seulement toute domination étrangère, toute réunion ou in­corporation à un autre peuple, mais encore tout chef qui ne serait pas Belge ou d'origine belge, Ces conditions me paraissent devoir se réunir pour caractériser l'acte de notre indépendance.

Si l'histoire, messieurs, a souvent flétri les peu­ples qui ont dû courber la tête sous un maître étranger, quel jugement nous réserverait-elle à nous qui sommes libres, si nous avions recours à une domination qui ne serait pas d'origine belge ? Quel cachet a-t-elle imprimé sur ce peuple fameux condamné à ne pouvoir jamais être gouverné par un chef de sa nation ?

Notre indépendance, messieurs, ne serait pas complète à mes yeux si notre gouvernement n'était tout national.

Ces considérations, au surplus, ne m'empê­cheront pas d'applaudir à la déclaration de notre indépendance. (Aux voix! aux voix!) (C. 20 nov.}

- La clôture de la discussion est prononcée (P. V.)

(page 179) M. Van Snick demande que l'on vote par assis et levé. (E., 20 nov.)

M. le présidentCe vote est trop important, il faut qu'il soit procédé à l’appel nominal. J'invite les membres qui n'ont pas signé la feuille de présence de vouloir bien le faire, et je les prie de vouloir donner des signatures lisibles. (Plusieurs membres vont signer.) (E., 20 nov.)

M. le président – On va donner lecture de la proposition. (C., 20 nov.)

Plusieurs membresAvec l'amendement: sauf les relations de la province de Luxembourg avec la confédération germanique. (C., 20 nov.)

M. de RobaulxC'est sans préjudice, etc. (C., 20 nov.)

M. le président – Nous devons nous référer au procès-verbal; on va vous le lire. (C., 20 nov.)

M. Nothomb, secrétaire – Le procès-verbal porte que l'assemblée décide qu'il sera ajouté à la première partie de la proposition de M. de Celles les mots : sauf les relations du Luxembourg avec ta confédération germanique. Vous vous rappe­lez que cette rédaction a été adoptée sur l'obser­vation de l'honorable M. Van Meenen, ce sont identiquement les expressions de l'art. 2 de la loi fondamentale de 1815 ; nous n'avons pas voulu d'innovation dans les termes. (C., 20 nov.)

M. le président - Je vais faire l'appel nominal ; j'engage tous les membres à répondre d'une voix claire et à ne point étouffer leurs pa­roles. La première partie de la proposition de M. de Celles, amendée par M. de Robaulx, est ainsi conçue :

« Le congrès national de la Belgique proclame l'indépendance du peuple belge, sauf les relations du Luxembourg avec la confédération germanique. » (U. B., 20 nov.)

- On procède à l'appel nominal, 188 membres y répondent ; tous votent pour l'affirmative. (P. V.)

Ce sont : MM. Buylaert, l'abbé Wallaert, Mo­rel-Danheel, Baugniet, Joos, Maclagan, Beau­carne, le baron de Meer de Moorsel, Dehemp­tinne, de Behr, Van Innis, Marlet, Du Bois, Van Hoobrouck de Mooreghem, de Ryckere, Peeters, Le Bon, Janssens. Verwilghen, le comte de Quarré, Blargnies, Geudens, Fleussu, Jacques, de Decker, Davignon, Allard, Destouvelles, Fran­çois, Liedts, l'abbé Pollin, Wannaar, de Mue­lenaere, le comte de Baillet, Barthélemy, Hen­nequin, Le Grelle, l'abbé Boucqueau de Villeraie, de Robaulx, Blomme, Alexandre Rodenbach. Speelman-Rooman, le chevalier de Theux de Mey­landt, Forgeur, Dayeneux, Lardinois, Destriveaux, Hippolyte Vilain XIIII, Raikem, Gendebien (père), Werbrouck-Pieters, d'Hanis van Cannart, Charles Coppens, Helias d'Huddeghem, Van der Looy, Serruys, l'abbé Andries, l'abbé de Foere, Vander Belen, Peemans, Collet, Jottrand, Domis, le ba­ron Beyts, Albert Cogels, de Ville, Goffint, Fen­dius, Roeser, de Schiervel, Vergauwen-Goethals, Gelders, de Tiecken de Terhove, le comte de Renesse, de Gerlache, Thorn, Coppieters, Defacqz, Thienpont, David, Lebeau, le baron de Stassart, le baron de Leuze, le comte de Celles, le baron Joseph Vander Linden d'Hooghvorst, Gustave de Jonghe, Deleeuw, l'abbé Van Crombrugghe, Dams, No­thomb, d'Martigny, le comte d'Arschot, Zoude (de Saint-Hubert), Jean-Baptiste Gendebien, Le­clercq, François Lehon, l'abbé Dehaerne, Wyve­kens, l'abbé de Smet, Barbanson, le baron de Ter­becq, Bredart, Du Bus, d'Hanens Peers, le baron de Woelmont, Cauvin, de Labeville, Orban, Charles Le Hon, le vicomte Desmanet de Biesme, Dumont, Van Meenen, Nopener, le baron d'Huart, Le Bègue, le comte de Bergeyck, l'abbé Corten, Henry, Bé­thune, Buyse-Verscheure, Vandorpe, le marquis d'Yve de Bavay, Henri de Brouckere, Vander Linden, le baron de Liedel de Weil, de Langhe, (page 180) le marquis de Trazegnies, le baron de Pélichy van Huerne, le vicomte de Bousies de Rouveroy, De­vaux, de Coninck, de Roo, Ooms, Nagelmackers, de Nef, de Rouillé, le baron de Viron, le comte Duval de Beaulieu, le marquis de Rodes, Mulle, le baron Osy, Goethals-Bisschoff, l'abbé Verduyn, de Le­haye, de Thier, Eugène de Smet, Van Snick, Henri Cogels, le baron de Stockhem, le comte d'Ansem­bourg, Vandenhove, Olislagers de Sipernau, le comte Cornet de Grez, Pirson, Fransman, Del­warde, Charles de Brouckere, Théophile Fallon, Huysman d'Annecroix, le baron Frédéric de Sécus, Camille de Smet, Trentesaux, Seron, Masbourg, Claus, Nalinne, le baron de Coppin, Pettens, le baron de Sécus (père), le vicomte de Jonghe d'Ar­doie, Lesaffre, le comte Werner de Mérode, de Sébille, Pirmez, le comte Vilain XIIII, l'abbé Verbeke, Constantin Rodenbach, Charles Rogier, Bosmans, Alexandre Gendebien, de Selys Long­champs, le comte Félix de Mérode, de Man, Van de Weyer, le vicomte Charles Vilain XIIII, Claes, le marquis Rodriguez d'Evora y Vega, le baron Surlet de Chokier. (C., 20 nov.)

M. le président, d'une voix solennelle – L'indépendance du peuple belge, sauf les rela­tions du Luxembourg avec la confédération ger­manique, est proclamée à l'unanimité des voix par le congrès national. (Bravo!) (U. B., 20 nov.)

 

PROPOSITION AYANT POUR OBJET DE PUBLIER UN MANI­FESTE RESUMANT TOUS LES GRIEFS DU PEUPLE BELGE

 

Un des secrétaires  donne lecture de la proposition suivante de M. l'abbé Boucqueau de Villeraie :

« J'ai l'honneur de proposer au congrès na­tional de faire suivre (ou précéder), par un ma­nifeste, l'acte de la déclaration de l'indépendance de la Belgique qui vient d'être proclamée ; mani­feste dans lequel le congrès national, au nom du peuple belge, énoncerait tous les griefs, ou du moins les principaux griefs des Belges contre le ci-devant gouvernement du royaume des Pays-Bas, les motifs légitimes qu'ils ont eus de se séparer de la Hollande, de se soustraire à l'obéissance du ci-devant roi, et, enfin, de se déclarer un peuple indépendant.

« Ce manifeste devrait contenir l'historique, du moins en abrégé, de nos souffrances, durant les seize années que nous fûmes soumis au sceptre des Nassau ; on y ferait ressortir les vexations multi­pliées dont les Belges furent les victimes, les hu­miliations dont ils furent abreuvés, et surtout cette profonde mauvaise foi qui fut le trait caractéristique de toutes les démarches, de toutes les me­sures d'un gouvernement qui s'est montré aussi machiavélique que maladroit, et aussi ennemi des Belges que partial pour les habitants de la Batavie.

« Ce manifeste devrait être rédigé dans un style sage et modéré, qui parlât à la raison et non aux passions ; sans déclamation ni magie de style, mais avec une logique serrée, qui seule satisfait les esprits sages, avec le bon sens et le jugement sain qui caractérisent les Belges ; en un mot, avec cette simplicité d'expression infiniment plus pro­pre à faire impression et à convaincre que toutes les ressources de l'art oratoire.

« Si cette proposition d'un manifeste était goûtée, il conviendrait peut-être de nommer une commission spéciale chargée de présenter un projet de rédaction du manifeste du congrès national.

« Signé, BOUCQUEAU DE VILLERAIE, député de Malines. » (Appuyé !/ appuyé !! – Non ! non !)

M. le président – La proposition est-elle appuyée par cinq membres ?

Plusieurs membres appuient la proposition. (J. F., 20 nov.)

M. l’abbé Boucqueau de Villeraie développant sa proposition – Messieurs, toutes les fois qu'un peuple, usant du droit imprescriptible de résister à l'oppression et de repousser la tyrannie, se soustrait à un joug devenu insupportable, et adopte, pour assurer son avenir politique, une autre forme de gouvernement, il est généralement passé en usage qu'il publie alors un acte, auquel on est convenu de donner le nom de manifeste.

C'est dans cet acte public et solennel qu'il con­signe et manifeste les motifs de sa détermination, les motifs qui l'ont porté à abandonner les anciennes formes de son état politique pour en adopter de nouvelles. Un tel manifeste contient, en un mot, toute la justification de la révolution qui vient de s'opérer, et son but est non-seule­ment d'éclairer les citoyens sur les changements, mais bien plus encore d'éclairer les nations et les gouvernements étrangers sur leurs causes, leurs motifs et leur tendance, et contribuer ainsi à les rassurer et tranquilliser sur les sentiments et les dispositions du nouveau gouvernement à leur égard.

C'est ainsi qu'a procédé le congrès belgique, lors de la révolution brabançonne, en 1789 ; il a publié un manifeste.

De même, lors de l'insurrection américaine, les nouveaux États-Unis de l'Amérique (page 181) septentrionale ont publié un manifeste, pour déduire, aux yeux de l'univers, les motifs qui les détermi­naient à se séparer de l'Angleterre, leur ancienne métropole, pour former une république fédérative, composée alors de 15 États unis, entreprise glorieuse, qui fut couronnée ensuite par une re­connaissance générale de l'indépendance américaine par toutes les puissances.

Les nouveaux États qui se sont plus récemment formés dans l'Amérique espagnole ont de même publié un manifeste, à leur première apparition sur la scène politique du monde.

L'histoire de toutes les révolutions politiques nous donne l'assurance que toujours ou presque toujours elles furent annoncées et justifiées aux yeux du monde par un manifeste.

Et rien de plus sage et de plus conseillable ; lorsqu'une révolution politique s'opère, elle tend presque toujours à éliminer ceux qui aupara­vant étaient à la tête des affaires publiques, à changer le chef ou les chefs du pouvoir.

Ces personnages avaient leurs adhérents, leurs protégés qui, déchus de leur ancienne position, opposent plus ou moins de résistance ou d'ab­sence de bonne volonté contre le nouvel ordre des choses, et tâchent de le représenter sous un faux jour, de lui prêter des vues ambitieuses ou des projets de troubler la paix des autres pays ; - et ces fausses interprétations se propagent trop souvent à l'étranger.

De là la convenance, la nécessité même pour le nouvel État, pour les intérêts du peuple qui vient de changer son gouvernement et sa situation politique, de justifier ce qu'il vient de faire, aux yeux de toutes les nations étrangères, et c'est là tout naturellement l'objet, la matière de ce qu'on ap­pelle, dans la langue diplomatique, un manifeste.

C'est ici le lieu de vous rappeler, messieurs, ce que nous a dit notre honorable collègue M. Van de Weyer, en nous rendant compte, de la manière la plus intéressante, des particularités de sa mis­sion en Angleterre.

Il nous a dit qu'à son arrivée dans ce pays, il y trouva tout le monde, même les meilleurs esprits, imbus des plus absurdes préventions sur notre glorieuse révolution, et même contre elle ; sur ses motifs et sa tendance, et particulièrement sur les innombrables griefs que le peuple belge a à articuler contre le ci-devant gouvernement des Pays-Bas.

Eh bien! messieurs, ce qui est arrivé en An­gleterre, il est possible, il est probable même, que la même chose se reproduise dans les autres pays de l'Europe ou du nouveau monde, relativement aux affaires belgiques et à la nature et ten­dance de notre révolution ; et ceci n'est pas un simple soupçon,

Nous voyons, en effet, dans les journaux, qu'en France même, et à la tribune nationale, on a très ­mal interprété la conduite des Belges, relative­ment à l'une de nos provinces, et par l'ignorance où se trouvaient ceux qui ont parlé, de certaines particularités et de certains actes de notre ci­-devant roi, on nous a taxés d'usurpation et de voies de fait illégales à l'égard du Luxembourg.

Il faut donc, messieurs, éclairer l'Europe en­tière .sur nos affaires ; il faut prévenir par là les fausses interprétations, les fausses imputations.

Messieurs, notre cause est belle, elle est juste, elle est légitime, et il ne s'agit que de la présen­ter sous son véritable point de vue et de révéler nos motifs, les motifs de notre conduite politique, pour lui obtenir et ménager l'assentiment de tous les esprits droits et de tous les amis de la liberté des peuples, et c'est ce que nous obtiendrons par la publication d'un manifeste que j'ai l'honneur de vous proposer. (J. F., 20 nov.)

M. Van SnickJe ne conteste pas l'utilité du manifeste, mais je crois qu'il viendrait plus à propos lors de la déclaration de déchéance: c'est ordinairement alors que les peuples exposent les motifs qui les ont déliés de leurs serments. (J. B., 20 nov.)

M. le baron de StassartJe ne con­teste point la convenance d'un manifeste, et je crois qu'il servirait à merveille de préambule à l'acte par lequel le congrès national proclame so­lennellement l'indépendance du peuple belge ; mais, pour concilier cette proposition avec l'ur­gence des institutions que la patrie attend de nous, je voudrais que l'assemblée invitât l'honorable M. Boucqueau de Villeraie à présenter un projet de manifeste qui serait ensuite examiné par nos sections et par la section centrale (J. B., 20 nov.)

Des membresNon! non! qu'on nomme une commission. (J. B., 20 nov.)

M. l’abbé Boucqueau de Villeraie appuie la nomination d'une commission. (J. B., 20 nov.)

M. De LehayeLe texte du discours du gouvernement provisoire peut servir de manifeste. (De tous côtés : Non! non!) (J. B., 20 nov.)

M. le comte d’Ansembourg demande l'ordre du jour, il croit que toute justification est superflue. (C., 20 nov.)

M. Raikem appuie l'ordre du jour. Notre temps est précieux ; la nation est dans l'attente. (C., 20 nov.)

(page 182) M. le baron de StassartAppuyé ! (J. B., 20 nov.)

De toutes partsAppuyé ! appuyé. (J. B., 20 nov.)

M. Van Meenen parle en faveur de la pro­position – Le manifeste peut sans inconvénient se faire dans la huitaine ; entre-temps nous nous occuperons des travaux à l'ordre du jour. (C., 20 nov.)

M. Charles RogierC'est une question purement littéraire ; un manifeste peut être utile, mais sa place me paraît être à la tête de la con­stitution, à laquelle il servira de préambule. (C., 20 nov.)

M. Lebeau appuie l'ordre du jour – Je con­çois, dit-il, la nécessité d'un manifeste lorsqu'un peuple change des institutions qu'il s'est librement imposées; mais il en est autrement lorsqu'il brise un joug auquel on l'attacha. C'est la force et la fraude qui nous ont incorporés à la Hollande ; ce sont surtout les baïonnettes qui l'ont renversée. La force a détruit ce que la force avait élevé. L'Europe le sait ; il est inutile qu'un manifeste le lui apprenne. (E., 20 nov.)

L'assemblée décide qu'une commission sera chargée de présenter un projet de manifeste des­tiné à servir de préambule à la constitution. (P. V.)

M. l’abbé Andries propose que chaque section nomme un membre pour faire partie de cette commission.

- Adopté. (J. F., 20 nov.)

_______________________________

- La deuxième partie de la proposition de M. le comte de Celles est retirée. (C., 20 nov.)

 

COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE

 

Il est donné lecture d'une lettre du gouvernement provisoire ainsi conçue :

« Bruxelles, le 18 novembre 1830.

« Au nom du gouvernement provisoire de la Belgique,

« Le secrétaire du comité central a l'honneur de faire connaître à M. le président du congrès na­tional que messieurs les chefs des divers comités d'administration générale s' occupent de rédiger un exposé de la situation du service qui leur est respectivement confié, lequel exposé sera soumis prochainement à l'assemblée du congrès.

« J. VANDER LINDEN. » (C., 20 nov. et A.)

- Pris pour notification. (J. F., 20 nov.)

M. Destouvelles pense qu'il faut inviter le gouvernement provisoire à nommer un ministre des affaires étrangères. (C., 20 nov.)

M. Alexandre Gendebien - Le gouvernement provisoire s'occupe de cet objet ; il forme en ce moment un conseil diplomatique, dont il vous fera demain connaître la composition. (C., 20 nov.)

 

PROPOSITION TENDANT A ETABLIR UN MODE DE PUBLI­CATION DES ACTES DU CONGRES NATIONAL

 

M. le président – Il y a encore des propositions. (E.. 20 nov.)

Un des secrétaires  donne lecture de la proposition suivante de MM. Barbanson et For­geur :

« Le congrès national,

« Considérant qu'il importe d'établir un mode régulier pour la publication de ses décrets, et de fixer l'époque à laquelle ils seront obligatoires,

« DÉCRÈTE:

« Art. 1"'. Il sera établi un Bulletin officiel des actes du congrès national de la Belgique.

» Art. 2. Tous les actes du congrès national se­ront insérés au bulletin officiel dans les vingt-­quatre heures de leur date.

» Art. 3. Ils seront obligatoires dans tout le territoire de la Belgique cinq jours après celui de l'insertion, à moins qu'il n'en soit autrement dé­cidé par le congrès.

« Art. 4. Le présent décret sera rendu public par son insertion tant dans le recueil des actes du gouvernement provisoire que dans tous les jour­naux qui se publient à Bruxelles.

« Il sera également imprimé en tête du bulletin officiel des actes du congrès national. » (P. V.)

- Personne ne demande le renvoi aux sections ; la discussion s'ouvre immédiatement. (C., 20 nov.)

M. le président – La publication pour­rait avoir lieu par la voie des journaux et par le bulletin officiel du gouvernement provisoire. (J. B., 20 nov.)

M. ForgeurNous avons reconnu le gou­vernement provisoire comme pouvoir exécutif; il faut que ses actes soient publiés séparément. (J. B., 20 nov.)

De toutes partsRenvoi aux sections. (J. F., 20 nov.)

M. Van de WeyerIl existe déjà un bul­letin ; on pourrait insérer les actes du gouver­nement provisoire dans sa première partie, et ceux du congrès dans la seconde ; ce serait épargner les frais. (J. B., 20 nov.)

M. Charles Le Hon demande le renvoi aux sections, ou au moins la remise à demain de la discussion. (C., 20 nov.)

- La proposition est renvoyée à l'examen des sec­tions. (P. V.)

 

PROPOSITION AYANT  POUR OBJET DE S'OCCUPER DU PROJET DE CONSTITUTION

 

M. le président – Voici une autre proposition. (E., 20 nov.)

Un des secrétaires donne lecture de la proposition suivante de M. Le Bègue :

« Le projet de constitution sera immédiatement envoyé à l'avis des sections, et la discussion en sera entamée avant toutes autres propositions que celles déjà faites par MM. Rodenbach et de Celles (Appuyé). (P. V.)

M. le président accorde la parole à M. Le Bègue pour développer sa proposition. (J. F., 20 nov.)

M. Le BègueMessieurs, ma proposition est trop claire pour avoir besoin d'aucun développe­ment ; elle est motivée sur ce que nous voyons à regret grossir chaque jour le nombre des propo­sitions, venant de tous côtés ralentir la marche des travaux qui doivent nous occuper. Ce n'est pas de ces questions incidentes que le peuple at­tend son salut. La constitution de l'État est récla­mée partout avec urgence ; nous devons nous en occuper tout de suite.  (Appuyé !  (J. F., 20 nov.)

- La proposition de M. Le Bègue est renvoyée à l'examen des sections. (P. V.)

M. de RobaulxCette proposition ne peut être admise, l'assemblée ne peut se lier ainsi, les circonstances peuvent nécessiter des mesures même d'urgence. (C., 20 nov.)

Un membre observe que M. Constantin Ro­denbach a fait deux propositions, l'une relative à la forme du gouvernement, et l'autre à la dé­chéance des Nassau, et demande si l'auteur de la présente proposition y comprend la dernière. (J. F., 20 nov.)

M. Le BègueJ'ai demandé que la consti­tution soit discutée après les propositions déjà faites par M. Rodenbach ; or, si la proposition de M. Rodenbach, relative à la déchéance des Nassau, est déjà faite, comme je n'en doute aucunement, elle est donc comprise dans ma demande. (J. F., 20 nov.)

Plusieurs voixIl y a d'ailleurs propositions, au pluriel. (J. F., 20 nov.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne une nouvelle lecture de la pro­position de M. Le Bègue ; il en résulte que l'au­teur a voulu parler des deux propositions de M. Rodenbach. (Appuyé!) (J. F., 20 nov.)

M. le président : Cette proposition sera donc renvoyée aux sections.

Demain, on discutera d'abord la proposition de M. Constantin Rodenbach, relative à la forme du gouvernement, et ensuite celle de la déchéance des Nassau. (J. F., 20 nov.)

M. Werbrouck-Pieters: La section dont je fais partie n'est pas encore prête sur la seconde proposition de M. Rodenbach. (E., 20 nov.)

M. Raikem – Le rapport de toutes les sections doit être terminé. L'exclusion doit être immédia­tement prononcée. Une section ne peut retarder cette question vitale. Songez-y, de ce retard peut naître l'anarchie. C'est avec peine que j'ai vu objecter à cet égard la situation d'Anvers et de Maes­tricht. Faut-il, pour conserver nos extrémités, nous voir déchirer les entrailles ? (Applaudissements ; bruit, confusion.). (E., 20 nov.)

M. le président agitant la sonnette – Je vous demande la parole pour votre président : demain réunion des sections à onze heures, 1° pour la question de la forme de gouvernement ; 2° pour l'exclusion. Séance publique à une heure pour discuter la première question. (E., 20 nov.)

- Il est cinq heures et demie; la séance est levée. (P. V.)

Séance suivante