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Note d’intention
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Congrès national de
Belgique
Séance du jeudi 18 novembre
1830
Sommaire
1) Communication de pièces
adressées au congrès
a) non acceptation par M. Coghen
de son mandat de congressiste
b) service funèbre pour le comte
Frédéric de Mérode (C. Rodenbach, Le Grelle)
2) Commissions de vérification des
pouvoirs (Bosmans, Lecocq)
3) Proposition sur l’indépendance
de
4) Commission de vérification des
pouvoirs (d’Martigny)
5) Proposition sur l’indépendance
de
6) Proposition
ayant pour objet de publier un manifeste résumant tous les griefs du peuple
belge (Boucqueau de Villeraie, Van Snick, de Stassart, Delehaye, d’Ansembourg, Raikem, Van Meenen, Rogier, Lebeau)
7)
Communication du gouvernement relative à la rédaction d’un exposé de la
situation des services administratifs (Destouvelles)
8)
Proposition tendant à établir un mode de publication des actes du congrès
national (Barbanson, Forgeur, Van de Weyer)
9)
Proposition ayant pour objet de s’occuper du projet de constitution (Le Bègue,
de Robaulx, Raikem)
(E. HUYTTENS,
Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique
belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)
(page 168) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance est ouvert à une heure (P. V.)
M.
Nothomb, secrétaire, donne lecture du procès-verbal; il est adopté. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire,
donne lecture :
1° d'une lettre de M. Coghen annonçant à l'assemblée que ses fonctions
d'administrateur général des finances ne lui permettent pas d'accepter le
mandat de député de Bruxelles. (P. V.)
2° de la lettre suivante de M. Isidore Plaisant, administrateur général
de la sûreté publique :
« Monsieur le président,
« Le gouvernement a ordonné qu'un
service funèbre, pour M. le comte de
Mérode, mort à la suite des blessures qu'il a reçues au champ d'honneur, sera
célébré samedi prochain, à onze heures du matin, à l'église des SS. Michel et
Gudule.
« Si messieurs les membres du
congrès national veulent honorer cette cérémonie patriotique de leur présence,
le chœur de l'église leur sera réservé.
» Recevez, monsieur le président, l'assurance de ma respectueuse
considération.
« ISIDORE PLAISANT »
M. le président – On va vous
donner lecture d'une proposition de M. Constantin Rodenbach, relative à cette
cérémonie. (U. B., 20 nov.)
Il est donné
lecture de cette proposition, qui est ainsi conçue .:
«
Monsieur le président,
« Une
solennité bien triste va réunir un grand nombre de bons citoyens. Samedi, un
service funèbre sera célébré à l'église de Sainte-Gudule, en mémoire du comte Frédéric de Mérode. Je
propose au congrès d'envoyer une députation pour assister en son nom à cette
touchante cérémonie.
« Il
est inutile, messieurs, de vous rappeler les titres du noble comte à notre
intérêt, à notre admiration. Martyr de la plus sainte des causes, il a arrosé
de son sang notre liberté naissante ; son ombre magnanime plane encore sur les
rangs de nos braves volontaires, et les anime au combat.
« Comme représentants de la nation, il est juste que nous
honorions de tout notre pouvoir celui qui est mort pour le peuple et pour la
liberté. Jamais dévouement plus sublime ne mérita de plus justes louanges ; je
me plais à croire que vous n'hésiterez pas à lui rendre un éclatant
hommage. » (Appuyé! Appuyé!)(U. B., 20 nov.)
M.
Le Grelle propose que le congrès se rende en corps à cette
cérémonie funèbre. (J. F., 20 nov.)
(page 169) M. le président met aux voix la question de savoir
si les membres du congrès s'y rendront individuellement ou en corps. (U. B., 20
nov.)
- L'assemblée décide qu'elle se rendra en corps au
service de M. le comte Frédéric de Mérode. (P. V.)
M. de Muelenaere, rapporteur de la première
commission de vérification des pouvoirs, propose l'admission de M. Bosmans,
suppléant du district de Malines, en remplacement de M. Stalpaert,
démissionnaire (P. V.)
- Cette admission est
prononcée. (P. V.)
M. Bosmans est introduit. (J. F., 20 nov.)
M. de Langhe, rapporteur de la septième commission de vérification des pouvoirs,
propose l'admission de M. Ch. Lecocq, suppléant du district de Tournay, en
remplacement de M. Paillot, dont l'élection a été annulée. (P. V.)
- Ces conclusions sont adoptées. (P. V.)
M. Lecocq est introduit. (J. F., 20 nov.)
PROPOSITION (C. RODENBACH) RELATIVE A
M. le président – Les sections
n'ayant pas terminé l'examen de la
proposition de M. Constantin Rodenbach sur la forme du gouvernement, elles le
continueront demain à dix heures. (J. B.,
20 nov.)
Discussion générale
L'ordre du jour est la
continuation de la discussion sur la proposition de M. le comte de Celles. (J.B., 20 nov.)
M. le comte Félix de Mérode,
orateur inscrit,
renonce à la parole. (E., 20 nov.)
M.
Charles Le Hon – La proposition
d'indépendance a été considérée hier, par tous les orateurs, dans son rapport
particulier avec la position du Luxembourg. Je viens l'examiner aujourd’hui
sous un point de vue général et dans ses rapports avec la politique extérieure.
Certes, notre indépendance est un fait accompli. L'institution du congrès,
l'empressement de la nation à le former, notre présence et nos délibérations
dans cette enceinte, tout l'atteste et la proclame, en même temps que le succès
de nos armes en étend les limites. Mais l'indépendance d'une nation comme la
nôtre n'est jamais absolue. Le fait aujourd'hui protège le droit ; il peut
venir à l'opprimer demain. C'est donc ce droit du peuple belge qu'il peut être utile de
consacrer par une déclaration solennelle. En éclairant la force morale de
l'Europe, nous préservons plus sûrement nos provinces des tentatives de la
force matérielle.
Je mettrai à l'écart le caractère et les effets de notre indépendance en
ce qui touche l'ordre intérieur du pays, comme la forme du gouvernement, la
nature des institutions et le chef de l'État. Ce doit être le sujet de nos
prochaines délibérations. Je ne m'occupe que de son influence extérieure. Sous
ce rapport, l'indépendance qu'on nous propose de proclamer consiste, selon moi,
dans la rupture de nos liens politiques avec
Ici s'offre à moi un nouvel ordre de considérations graves, élevées,
qu'aucun préopinant ne me semble vous avoir encore exposées. Je veux parler de
la politique toujours hostile des grandes puissances à l'égard des provinces
belgiques depuis plus de deux siècles et demi. C'est au moment de se constituer
indépendant qu'il importe surtout à un peuple de rappeler à tous les autres ses
griefs envers la vieille Europe, et les nouveaux titres qu'ils leur donnent à
leur sympathie et à leur soutien. Depuis l'union d'Utrecht (1579) qui fonda la
république Batave et laissa
(page 170) Au milieu du XVIIe
siècle (1648), l'Espagne, pour terminer avec
Madrid nous possédait en métropole et nous traita en colonie. Dans les
trente années qui suivent, les traités des Pyrénées et de Nimègue, nous
mutilant d'un autre côté, donnent à
Louis XIV, comme prétendant pour son petit-fils à
la succession d'Espagne, envahit
Les puissances concluent en 1715 la paix d'Utrecht, et
En 1727, une compagnie qui s'était formée à Ostende pour le commerce des
Indes obtient de l'empereur un octroi de trente ans.
Joseph II, plus tard, essaye de ressaisir pour ses sujets le
droit naturel de la navigation de l'Escaut ; c'était une question purement
commerciale. Les puissances, comme au temps de la compagnie d'Ostende, s'y
intéressent et interviennent.
Le cabinet
de Paris apaise par son or, en 1785, les autres réclamations de Joseph II ;
mais en même temps il consacre de nouveau, par le traité de Fontainebleau,
confirmatif de celui de Munster, la ruine d'Anvers et l'oppression commerciale
de
Ici se
présente à ma mémoire un fait digne d'attention et trop généralement oublié.
C'est que le
2 février 1814, les généraux duc de Saxe-Weimar et Bulow, commandants les
troupes alliées entrées les premières à Bruxelles, proclamèrent l'indépendance
de
Ainsi, dans
cette suite d'événements, nous la voyons compromise tour à tour par ceux qui la
gouvernent comme par ceux qui semblent la protéger : par l'Espagne, l'Autriche
et
Quel
résultat ont produit tant de combinaisons et d'expériences sur notre pays ? Un
peuple toujours sacrifié et toujours mécontent. Un territoire morcelé par trop
de vicissitudes, et d'une consistance trop précaire, pour qu'il participe ou
concoure à cette stabilité dont les États ont grand besoin.
(page 171) Aujourd'hui que la raison
publique, que l'opinion, l'intérêt des peuples ont une influence nécessaire sur
la politique des gouvernements, il nous est permis d'appeler à l'Europe
nouvelle des griefs de
L'orateur,
en terminant cette improvisation, rappelle à l'Angleterre les paroles mémorables
du célèbre lord Chatham, lorsqu'en 1776 il déclarait, dans une séance du
parlement, se réjouir de la résistance des Américains aux efforts du cabinet de
Londres pour empêcher leur émancipation.
Puissent
ces paroles, dit-il, avoir autant d'écho dans le conseil des puissances qui
pèsent les destinées de l'Europe, qu'elles en ont aujourd'hui chez tous les
peuples ! (Nombreux applaudissements.) (C., 20
nov.)
M. le président – Je
rappellerai à l'assemblée que les signes d'approbation et d'improbation sont
interdits ; si je permets les applaudissements, je devrai aussi permettre les
sifflets. Je suspendrai un moment la discussion pour accorder la parole au
rapporteur de la deuxième commission de vérification des pouvoirs. (C., 20 nov.)
M. Morel-Danheel, rapporteur de la deuxième
commission de vérification des pouvoirs, propose l'admission de M. d'Martigny, suppléant
du district de Grevenmacher, en remplacement de M. Nothomb,
optant pour Arlon. (P. V.)
- Ces conclusions sont adoptées. (P. V.)
Discussion générale
M. l’abbé de Foere – Messieurs,
les usurpations politiques que
Cette
exception outrageante à la morale politique de
tous les siècles et de tous les lieux a été évidemment adoptée comme principe
dans le congrès de Vienne, dans les stipulations de Paris et de Londres. Là,
comme vous le savez tous, messieurs, des individus de Vienne, de
Saint-Pétersbourg, de Londres, de Berlin et de Paris, ont stipulé pour nous,
contre nous, et toujours sans nous A Dieu ne plaise que je veuille
refuser aux chefs des principaux États de l'Europe le titre de
souverains ! J'appelle, dans la question qui nous occupe, ces différents
souverains des individus, parce que, à l'égard de
C'est ce noble, cet indestructible sentiment de justice qu'à son tour le
peuple belge fait valoir aujourd'hui contre ses oppressions successives. Et
certes, messieurs, ces quarante ans d'esclavage, pendant lesquels le cœur de
chaque Belge ami de sa patrie et de la justice a été lacéré dans tous les sens,
doivent suffire pour sentir profondément. Non seulement l'opportunité, mais
aussi la justice et la nécessité de l'adoption unanime de la proposition de M.
le comte de Celles.
Les cruelles expériences que nous avons faites prouvent combien il est
important de renouveler dans tous les esprits la philosophie de la justice
politique, pour laquelle les publicistes allemands n'ont cessé de combattre
depuis un demi-siècle. Permettez, messieurs, que j'entre un instant dans le
développement de cette philosophie, qui d'ailleurs n'a pour base que les plus
simples notions de l'esprit et de la conscience humaine. Ce sont ces principes
qui dictent les votes que j'émets au congrès.
Quelques publicistes modernes ont érigé en loi fondamentale : L'intérêt
général est la suprême loi. Ce principe est tout diplomatique. Avec lui, il
n'est plus de barrière possible aux envahissements de la diplomatie. C'est ce principe
qui a dominé le congrès de Vienne, et toutes les transactions antérieures et
subséquentes dans lesquelles les diplomates sont entrés, sur nous, contre nous
et sans nous. Ils se sont dit: L'intérêt général des peuples est la
suprême loi. De là sont nées leurs considérations purement matérielles
d'équilibre, d'échange, de sécurité générale et relative; de là leurs (page 172) outrageants (page 172) marchés des peuples, leurs violents déchirements des
pays, leurs odieuses interventions dans les causes et dans les intérêts des
peuples; de là enfin les discordes civiles et des guerres sanglantes et
interminables. Telles sont les horribles conséquences du principe matériel de
la diplomatie, principe qui mène arbitrairement à toutes les injustices, à tous
les outrages, à tous les bouleversements, à toutes les tyrannies, à toutes les
anarchies ; principe sous l'empire duquel il n'y a ni foi, ni loi, ni droit
naturel, ni droit des gens, ni protection générale, ni sécurité particulière.
Les souverains des pays, les
ministres d'État n'ont cessé de mettre en première loi de gouvernement ce
principe diplomatique que je viens de signaler à votre juste animadversion ; le
dogme, aussi absurde que pernicieux, de la raison d’État, en a été la conséquence
immédiate. C'est ce principe qui a constamment constitué la société politique
et civile dans cet affreux état de collision et de violence, telle que nous
l'avons vue depuis longues années. L'état social n'a été, depuis longtemps,
qu'un froissement continuel entre le désir de dominer et celui de se soustraire
à la domination. De là cette lutte acharnée entre la justice et l'intérêt,
entre le pouvoir et la nation ; de là ces malheureux conflits entre les
opinions, ces prétentions désordonnées, ces discordes civiles, qui ne cessent
d'exposer les États aux plus imminents dangers de dissolution et.
d'anéantissement total ; de là les volontés arbitraires du pouvoir, et les
exigences séditieuses des factions, cachées, les unes et les autres, sous le
spécieux prétexte de l'intérêt général ; de là cette dégradante subordination
de la justice à l'intérêt, cette substitution continuelle de la force au bon
droit, cette immolation presque non interrompue du parti le plus faible au
parti le plus fort ; de là ces actions et ces réactions de la justice et de
l'injustice ; de là enfin la possibilité toujours présente du despotisme et de
l'arbitraire, avec laquelle il ne peut y avoir ni liberté, ni ordre, ni
sécurité, tant sous des rapports généraux que sous des rapports individuels.
C'est là le foyer de toutes les usurpations, de toutes les violences
diplomatiques qui ont été exercées sur
La suprême loi, messieurs, c'est la justice. Elle
doit être la loi invariable des diplomates comme des hommes d'État. Les
philosophes allemands du XVIIIe et du XIXe siècle ont mis cette vérité dans une
grande évidence. Ils ont combattu avec une force irrésistible de raisonnement
toute autre maxime en politique. Les publicistes belges ne sauraient se donner
trop d'efforts pour environner cette grande vérité de tout son éclat. Notre gouvernement
provisoire est entré noblement et franchement, sous des rapports généraux,
dans toutes ses conséquences. C'est ce principe qui est le fondement, l'âme de
notre admirable union belge. Permettez-moi, messieurs, d'exprimer ici ma
profonde conviction .que l'esprit de sagesse qui domine le congrès érigera en
premier principe, dans toutes ses délibérations et dans tous ses votes, cette
grande et éternelle maxime en politique : La justice est la suprême loi.
En effet, messieurs, s'il pouvait
être une seule fois admis que, dans certaines circonstances, il serait
permis de dévier de la justice naturelle, base éternelle de toute politique, et
que les principes reconnus par la conscience des siècles ne doivent pas être,
dans toutes les hypothèses possibles, les seuls principes régulateurs des
diplomates et des hommes d'État, qui pourrait fixer les bornes où la violation
de ces principes éternels doit s'arrêter ? Jusqu'à quel point l'interruption
des lois générales et nécessaires sera-t-elle permise ? Quelle sera la nature,
l'urgence et l'étendue des intérêts diplomatiques et des raisons d'État qui
autoriseront ces infractions à la loi éternelle de la justice ? Tout est alors
sans principe, comme sans règle, et la société politique, livrée à l'arbitraire
des exceptions, doit être inévitablement déchirée pm' des tourmentes
continuelles. S'il est permis d'acheter un bien quelconque, quelque grand et
quelque général qu'il soit, par la subversion de la justice ; s'il est permis
de subordonner le juste à l'utile, descendons franchement, avec les diplomates
comme avec les hommes d'État, au rang de la brute, qui ne cherche que
l'assouvissement de ses besoins et de ses intérêts matériels. La conséquence
est juste et inévitable.
Les principes de la justice éternelle
sont d'une rigueur inflexible. Tout ce qui ne s'y adapte pas exactement est
mutilé, déformé, combattu par la puissance irrésistible de la conscience
humaine. Si l'on n'adopte pas dans les cabinets diplomatiques, comme dans
celui des hommes d'État, cette règle invariable, le droits des peuples seront
constamment méconnus, et la subordination continuera de recevoir le caractère
humiliant de l'asservissement et de l'esclavage.
Les apologistes de notre ancien
gouvernement ont osé mettre en principe que des circonstances impérieuses
peuvent exiger des modifications dans l'application des principes reconnus, que
(page 173) ces principes doivent se mettre en harmonie
avec les besoins de l' État. Nous avons vu ce même principe inadmissible
mis hardiment en avant, même dans un discours d'ouverture des anciens états
généraux, où l'absurde et funeste doctrine de la raison d'État était
placée sur une ligne parallèle avec la justice. Il s'ensuivait nécessairement
que les nations et leurs gouvernements doivent subir des phases et des périodes
où la diplomatie et le pouvoir des gouvernants pourraient être autorisés à
interrompre les lois éternelles qui gouvernent le monde moral, et à sacrifier
la justice aux intérêts matériels des partis dominants. A quelles conséquences
affreuses nous mèneraient ces extravagants paradoxes, si l'on parvenait à les
faire adopter et à les appliquer aux faits !
Lorsque, dans les transactions
particulières, la justice est outragée, ses idées et ses principes se
conservent néanmoins dans toute leur pureté dans l'esprit et dans le cœur
humain ; mais si on parvenait à obscurcir, non-seulement en pratique, mais, ce
qui doit faire frémir, en théorie même les simples notions de la justice
politique, les nations seraient près de tomber dans le plus dur esclavage ;
leur asservissement serait inévitable. La justice n'est rien là où la violence
diplomatique stipule, et où la raison d'État gouverne. Son existence n'est
plus qu'une dérision amère, une insulte publique faite à l'intelligence et à la
probité humaine.
C'est du principe opposé à la justice
qu'est née cette autre maxime détestable que tout ce que la politique
conseille la justice l'autorise. C'est cette dernière maxime qui a corrompu
la probité des hommes d'État, et enfanté les monstruosités, les actes
attentatoires aux droits des nations et des individus, dont nous avons été les
témoins et les victimes. C'est par cette dernière maxime : tout ce que la
politique conseille la justice l'autorise, que se trouve expliqué l'affreux
mystère de l'assassinat du duc d'Enghien, ainsi que l'envahissement de
l'Espagne qui a soulevé d'indignation le monde entier. (Nombreuses voix : A la question ! à la question !) .
L'orateur fait observer qu'il ne sort
pas de la question ; qu'il cite des exemples à l'appui des principes qu'il
développe sur la proposition qui est à l'ordre du jour ; il continue en ces
termes:
Voici, en deux mots, le raisonnement
des diplomates et des hommes d'État qui sont les auteurs de ces crimes
politiques: l'assassinat d'un Bourbon, l'usurpation de l'Espagne ne sont pas
justes ; mais l'intérêt, la politique de la nouvelle dynastie les conseillent.
C'est ce même raisonnement,
messieurs, qui, sous d'autres rapports, a dirigé la diplomatie du congrès de
Vienne, des conférences de Paris et de Londres, en sacrifiant la juste
indépendance de
Les anciens ont enseigné, comme les
publicistes allemands, que la justice est la suprême loi. Ils ont
constamment combattu toute doctrine contraire. « Socrate avait bien lieu, dit
Cicéron, de détester, comme il le faisait, celui qui le premier avait séparé l'utile
du juste ; car il prétendait que c'était de là que provenaient tous
les désordres. » Cicéron fait observer ailleurs que Socrate avait coutume de
maudire ceux qui, par de misérables subtilités, étaient enfin parvenus à
distinguer ce qui ne fait qu'un dans la nature et à y trouver des êtres
différents. Les stoïciens ont tous dit que ce qui est juste est seul
nécessairement utile, et que ce qui n'est pas juste ne peut pas
être utile.
Cette inséparabilité de la justice
et de l'utilité est une autre raison pour laquelle la justice
seule doit être la suprême loi, la seule loi régulatrice de la diplomatie
et de la politique intérieure des États. C'est dans la séparation pratique de
ces deux notions indivisibles que M. Bignon a justement trouvé la vanité et
l'illusion des combinaisons de la diplomatie.
Les anciens mettaient en pratique le
principe de la sommité de la justice. Vous connaissez tous le trait sublime des
Athéniens qui rejetèrent unanimement un moyen sûr, proposé par Thémistocle,
contre leurs ennemis. Ils repoussèrent ce moyen, parce qu'Aristide l'avait
désapprouvé, en leur disant ces simples mots: Le projet est avantageux ;
mais il est injuste.
Si le monde entier a applaudi à ce
noble trait de magnanimité, à ce triomphe de la justice sur l'intérêt général,
si la diplomatie elle-même n'oserait pas le répudier, pourquoi ne pas la faire
reculer devant les odieuses maximes qu'elle a constamment consacrées Si elle avait respecté, depuis quarante ans,
la justice et les droits des nations qui en résultent, elle ne serait pas
aujourd'hui obligée de secouer la responsabilité morale de tous nos malheurs
qui pèse sur elle. Maintenant, messieurs, que, par le droit de défense
légitime, nous avons repoussé la force ; maintenant qu'il est en notre pouvoir
d'user du droit sacré de postliminie ; maintenant que nous avons rompu
noblement les liens par lesquels une lâche diplomatie nous avait attachés à
tous les asservissements et à (page 174)
tous les esclavages, proclamons fermement et unanimement notre indépendance
(J. F., supp., 20 nov.)
M. de Tiecken de Terhove – La proposition de M. de Celles
sur la déclaration de l'indépendance du peuple belge, et l'amendement de M. de
Robaulx, ont déjà occupé l'assemblée toute une séance ; irons-nous aujourd'hui,
messieurs, perdre encore, en discussions inutiles, un temps si précieux et qui
pourrait être consacré à des objets autrement importants ? et quand j'envisage,
et la proposition de M. de Celles et l'amendement de M. de Robaulx, je ne puis
me rendre raison de l'importance qu'on y attache, d'autant plus, messieurs, que
ces propositions doivent soulever des questions politiques, d'après moi, très
inopportunes, dont la vieille diplomatie est si avide de s'emparer.
Pour
moi, messieurs, je pense qu'un fait n'a pas besoin d'être déclaré, comme j'ai
eu l'honneur de l'observer dans la section dont je fais partie, et surtout un
fait éclatant qui a retenti d'un bout de l'Europe à l'autre ; c'est comme s'il
fallait, en plein jour, et par un beau soleil, déclarer que le soleil luit.
Nous faut-il des actes de notre indépendance ? Eh! messieurs, nous en faisons
tous les jours, et si nous n'étions indépendants, les collèges électoraux
auraient-ils pu s'assembler ? auraient-ils nommé les membres du congrès ? le
congrès se serait-il assemblé, constitué ? Voilà, messieurs, des actes patents
de l’indépendance de la nation belge ; nous nous occuperons, et sans retard ;
j'espère, d'actes plus importants encore ; trois opinions paraissent se
dessiner dans cette assemblée sur nos destinées futures : la monarchie
constitutionnelle, la république, la réunion à
M. le président – Il y a encore cinq orateurs inscrits. Il sera bien de les entendre, et
surtout l'auteur de la proposition. (Mouvement d'impatience.) (E., 20 nov.)
M.
l’abbé Andries – Messieurs,
hâtons-nous de proclamer l'indépendance du peuple belge, c'est-à-dire, que la
nation belge ne recourrait à aucune puissance, à aucun prince, à aucune famille
des droits quelconques sur
M. le vicomte Charles Vilain XIIII – Messieurs, l'immense majorité qui dans cette assemblée va proclamer
l'indépendance de
M. le comte de Celles – La
proposition que j'ai faite ne me paraît pas aussi peu importante qu'on a voulu
le prétendre. L'indépendance tient à toutes les idées de patrie et d'honneur.
Le sol c'est la patrie, nous aurons de nouveau une patrie, nous l'aurons nous
et nos enfants. Un honorable orateur vous a retracé les longues vexations
dont notre pays a été l'objet. Je n'ajouterai rien à cet éloquent tableau. Si
la dernière raison des rois devait être le canon, la dernière raison des
peuples serait les barricades. L'Europe doit savoir que ce n'est pas nous qui
avons manqué au contrat, c'est le préposé des puissances qui a rompu le
pacte. C'est à ce préposé que les puissances avaient confié le royaume
créé par elles comme avant-mur contre
M. Lardinois – Messieurs, je suis le membre
qui, dans la quatrième section, a déclaré s'opposer à toute proposition qui
tendrait à l'exécution de la possibilité d'une demande future de réunion à
Vous avez
entendu, dans votre séance d'hier, les développements qu'a provoqués la
proposition (page 176) de notre honorable collègue,
M. de Celles. On vous a déclaré positivement que cette proposition était
exclusive.
Cependant je me suis tu, et plusieurs
orateurs qui connaissaient le fond de ma pensée ont fait attention à mon
silence ; en effet, il avait quelque chose de surprenant, et, dans la crainte
qu'on ne l'interprète comme une lâcheté ou comme un changement de conviction,
je dois expliquer ma conduite et faire au moins acte d'opinion.
Oui, je suis intimement convaincu que
les intérêts commerciaux et industriels réclament impérieusement notre
réunion immédiate ou indirecte à
J'ajourne donc ma proposition, ou
plutôt j'en abandonne la solution à la force des choses et à la sympathie des
deux peuples.
Mon intention avait aussi été de
demander que le congrès national déclarât l'indépendance de
Les uns entendent que l'État sera
constitué en république ou en monarchie ; les autres, et je suis de ce nombre,
veulent exprimer qu'au congrès national seul appartient le droit de régler et
de décider du sort futur de
Mon opinion n'était exclusive qu'à
l'égard de la famille des Nassau. L'idée dominante est de constituer un État
séparé ; mais notre indépendance sera toujours subordonnée aux événements et à
la volonté des grandes puissances qui nous environnent. S'il y avait eu
possibilité de nous incorporer à
Mais quittons cet objet de nos
regrets ; occupons-nous à rassurer la tranquillité publique ; efforçons-nous
de rendre l'espoir et la confiance au commerce et à l'industrie désolés.
Messieurs, il n'y a pas de temps à perdre, nos manufactures sont exténuées par
les sacrifices qu'elles ont dû faire. Pour peu que l'état des choses dure
encore, vous verrez depuis Verviers jusqu'à Gand cent mille ouvriers inactifs.
C'est cette classe de citoyens qui a fait la révolution, qui vous a demandé du
fer pour combattre et vaincre nos tyrans, et qui bientôt sera forcée de vous
demander du pain, aussi sans phrases. Et si la malveillance s'emparait de cette
masse populaire, on la conduirait peut-être contre le nouvel ordre social que
nous voulons établir.
Nous aurons tout le temps de nous
précipiter dans les systèmes et dans les théories. Écoutons avant tout les
intérêts matériels, car, en définitive, le commerce et l'industrie sont les principaux,
sont les éléments les plus essentiels de la puissance et de la richesse des
nations.
Je vous ai fait connaître mon opinion
et apercevoir l'état de l'industrie. Maintenant je me résume et je dis que la
déclaration de l'indépendance ne peut pas emporter l'idée d'une exclusion
absolue. La déclaration d'indépendance doit être comprise en ce sens :
1° Qu'au congrès national seul
appartient le droit de régler et de décider du sort futur de
2° Que les neuf provinces qui ont concouru
à briser nos fers, étant liées par une cause commune et par les mêmes
intérêts, sont et resteront unies, et qu'on ne pourra stipuler pour une ou pour
plusieurs provinces séparément des autres. (C.,20 nov.)
M. Charles de Brouckere. Je remercie l'orateur qui descend
de cette tribune d'avoir porté la question sur le terrain de la réunion à
Messieurs, depuis la révolution de
juillet et pour la première fois, les Anglais se sentent entraînés par un
mouvement de sympathie vers leurs anciens rivaux ; mais pensez-vous que les
anciennes haines sont déjà tellement oubliées, qu'un accroissement de
puissance et de richesse aussi considérable pour
L'intervention est impossible tant
que nous resterons Belges, elle devient inévitable dès l'instant où nous
abdiquons cette qualité ; alors nous nous soumettons à toutes les chances de la
guerre, et, si nous sommes vaincus, à une restauration et à une occupation, non
pas à une occupation comme celle de 1815 qui n'avait pour but que de contenir
une armée, la nation étant en dehors de la question, mais à une occupation
indéfinie, puisqu'elle aurait pour but de contenir le peuple tout entier.
Tous les peuples éprouvent sans doute
le besoin de liberté et d'indépendance; il y a combat à mort entre
Restons Belges, et ne voyons pas
l'avenir dans le présent. Sans doute, si notre position devait rester la même,
elle serait pénible : mais, messieurs, le règne des favoris est passé en
France ; l'intérêt de ce pays, comme du nôtre, est d'avoir une homogénéité
complète d'intérêts avec nous, parce qu'alors la fusion pourra se faire sans secousse
;
Le ministère français qui vient
d'arriver au pouvoir est presque en entier composé de véritables économistes,
qui comprennent que la consommation est d'autant plus grande et plus facile,
que la production est à meilleur marché : et il abolira les barrières élevées
entre nous et nos voisins ; il les abolira, parce que les intérêts des deux
nations l'exigent, parce qu'il y a sympathie entre les deux peuples, parce que
la richesse de l'un ne peut manquer d'influer sur celle de l'autre.
Restons donc Belges, et si l'on
essayait de détruire notre indépendance par le fer, appelons
M.
Devaux – Messieurs, je serai court, je n'ai demandé la
parole que pour motiver et expliquer mon vote.
Dans votre séance d'avant-hier, vous
avez ajourné une proposition qui me paraissait inséparable de celle dont vous
vous occupez aujourd'hui. Je ne (page
178) veux pas revenir contre votre décision ; mais jointe à quelques
paroles que j'ai entendues, non pas dans la proposition, mais dans le discours
de M. de Celles, elle me met dans la nécessité de donner quelques mots
d'explication sur le vote que j'émettrai. Oui, messieurs, je pense que quand,
après des siècles, s'offre à un peuple l'occasion de prendre possession de son
indépendance, il y aurait à ce peuple défaut de courage, de dignité et de
noblesse d'âme, à ne pas en faire l'essai.
Toutefois, en votant pour la motion
de M. de Celles, je déclare être dans la double conviction, d'une part, que les
puissances étrangères n'essayeront, ni directement, ni indirectement, de faire
la loi à nos délibérations; d'autre part, que la maison d'Orange, qui serait
en Belgique une perpétuelle menace d'intervention étrangère, n'a plus aucune
chance de succès parmi nous D'après ce que je connais des dispositions
personnelles des membres de cette assemblée et de l'avis de tous ceux de mes
collègues que j'ai consultés à ce sujet, la maison d'Orange n'obtiendra pas
plus de dix voix dans le congrès, si même elle en obtient une seule,
Si l'une ou l'autre de mes prévisions
étaient trompées, je déclare que je ne me croirais pas lié ; c'est-à-dire, que
sans qu'on puisse me reprocher d'être inconséquent, de revenir contre la chose
jugée ou contre mon propre vote, je me croirais libre, parfaitement libre,
d'examiner encore la question de la réunion à
M.
Masbourg - Elle sera célèbre dans nos annales, cette séance solennelle où le congrès
aura proclamé à la face de l'univers l'indépendance de
Cet acte important, messieurs,
comblera le vœu général et remplira l'attente de la nation, si, en le
proclamant, on entend exclure non-seulement toute domination étrangère, toute
réunion ou incorporation à un autre peuple, mais encore tout chef qui ne
serait pas Belge ou d'origine belge, Ces conditions me paraissent devoir se
réunir pour caractériser l'acte de notre indépendance.
Si l'histoire, messieurs, a souvent
flétri les peuples qui ont dû courber la tête sous un maître étranger, quel
jugement nous réserverait-elle à nous qui sommes libres, si nous avions recours
à une domination qui ne serait pas d'origine belge ? Quel cachet a-t-elle
imprimé sur ce peuple fameux condamné à ne pouvoir jamais être gouverné par un
chef de sa nation ?
Notre indépendance, messieurs, ne
serait pas complète à mes yeux si notre gouvernement n'était tout national.
Ces considérations, au surplus, ne
m'empêcheront pas d'applaudir à la déclaration de notre indépendance. (Aux
voix! aux voix!) (C. 20 nov.}
- La clôture de la discussion est
prononcée (P. V.)
(page
179) M. Van Snick demande que l'on vote par assis et
levé. (E., 20 nov.)
M. le président – Ce vote est
trop important, il faut qu'il soit procédé à l’appel nominal. J'invite les
membres qui n'ont pas signé la feuille de présence de vouloir bien le faire, et
je les prie de vouloir donner des signatures lisibles. (Plusieurs membres
vont signer.) (E., 20 nov.)
M. le président – On va
donner lecture de la proposition. (C., 20 nov.)
Plusieurs
membres – Avec l'amendement: sauf les relations de la province
de Luxembourg avec la confédération germanique. (C., 20
nov.)
M. de Robaulx – C'est sans préjudice, etc.
(C., 20 nov.)
M. le président – Nous
devons nous référer au procès-verbal; on va vous le lire. (C., 20
nov.)
M.
Nothomb, secrétaire – Le procès-verbal porte que l'assemblée
décide qu'il sera ajouté à la première partie de la proposition de M. de Celles
les mots : sauf les relations du Luxembourg avec ta confédération
germanique. Vous vous rappelez que cette rédaction a été adoptée sur
l'observation de l'honorable M. Van Meenen, ce sont identiquement les
expressions de l'art. 2 de la loi fondamentale de 1815 ; nous n'avons pas voulu
d'innovation dans les termes. (C., 20 nov.)
M. le président - Je vais
faire l'appel nominal ; j'engage tous les membres à répondre d'une voix claire
et à ne point étouffer leurs paroles. La première partie de la proposition de
M. de Celles, amendée par M. de Robaulx, est ainsi conçue :
« Le congrès
national de
- On procède
à l'appel nominal, 188 membres y répondent ; tous votent pour
l'affirmative. (P. V.)
Ce sont : MM. Buylaert, l'abbé Wallaert, Morel-Danheel,
Baugniet, Joos, Maclagan, Beaucarne, le baron de Meer de Moorsel, Dehemptinne,
de Behr, Van Innis, Marlet, Du Bois, Van Hoobrouck de Mooreghem, de Ryckere,
Peeters, Le Bon, Janssens. Verwilghen, le comte de Quarré, Blargnies, Geudens,
Fleussu, Jacques, de Decker, Davignon, Allard, Destouvelles, François, Liedts,
l'abbé Pollin, Wannaar, de Muelenaere, le comte de Baillet, Barthélemy, Hennequin,
Le Grelle, l'abbé Boucqueau de Villeraie, de Robaulx, Blomme, Alexandre
Rodenbach. Speelman-Rooman, le chevalier de Theux de Meylandt, Forgeur,
Dayeneux, Lardinois, Destriveaux, Hippolyte Vilain XIIII, Raikem, Gendebien
(père), Werbrouck-Pieters, d'Hanis van Cannart, Charles Coppens, Helias
d'Huddeghem, Van der Looy, Serruys, l'abbé Andries, l'abbé de Foere, Vander
Belen, Peemans, Collet, Jottrand, Domis, le baron Beyts, Albert Cogels, de
Ville, Goffint, Fendius, Roeser, de Schiervel, Vergauwen-Goethals, Gelders, de
Tiecken de Terhove, le comte de Renesse, de Gerlache, Thorn, Coppieters,
Defacqz, Thienpont, David, Lebeau, le baron de Stassart, le baron de
Leuze, le comte de Celles, le baron Joseph Vander Linden d'Hooghvorst, Gustave
de Jonghe, Deleeuw, l'abbé Van Crombrugghe, Dams, Nothomb, d'Martigny, le
comte d'Arschot, Zoude (de Saint-Hubert), Jean-Baptiste Gendebien, Leclercq,
François Lehon, l'abbé Dehaerne, Wyvekens, l'abbé de Smet, Barbanson, le baron
de Terbecq, Bredart, Du Bus, d'Hanens Peers, le baron de
Woelmont, Cauvin, de Labeville, Orban, Charles Le Hon, le vicomte Desmanet de
Biesme, Dumont, Van Meenen, Nopener, le baron d'Huart, Le Bègue, le comte de
Bergeyck, l'abbé Corten, Henry, Béthune, Buyse-Verscheure, Vandorpe, le
marquis d'Yve de Bavay, Henri de Brouckere, Vander Linden, le baron de Liedel
de Weil, de Langhe, (page 180) le
marquis de Trazegnies, le baron de Pélichy van Huerne, le vicomte de Bousies de
Rouveroy, Devaux, de Coninck, de Roo, Ooms, Nagelmackers, de Nef, de Rouillé,
le baron de Viron, le comte Duval de Beaulieu, le marquis de Rodes, Mulle, le
baron Osy, Goethals-Bisschoff, l'abbé Verduyn, de Lehaye, de Thier, Eugène de
Smet, Van Snick, Henri Cogels, le baron de Stockhem, le comte d'Ansembourg,
Vandenhove, Olislagers de Sipernau, le comte Cornet de Grez, Pirson, Fransman,
Delwarde, Charles de Brouckere, Théophile Fallon, Huysman d'Annecroix, le
baron Frédéric de Sécus, Camille de Smet, Trentesaux, Seron, Masbourg, Claus,
Nalinne, le baron de Coppin, Pettens, le baron de Sécus (père), le vicomte de
Jonghe d'Ardoie, Lesaffre, le comte Werner de Mérode, de Sébille, Pirmez, le
comte Vilain XIIII, l'abbé Verbeke, Constantin Rodenbach, Charles Rogier,
Bosmans, Alexandre Gendebien, de Selys Longchamps, le comte Félix de Mérode,
de Man, Van de Weyer, le vicomte Charles Vilain XIIII, Claes, le marquis Rodriguez
d'Evora y Vega, le baron Surlet de Chokier. (C., 20 nov.)
M. le président, d'une voix
solennelle – L'indépendance du peuple belge, sauf les relations du Luxembourg avec
la confédération germanique, est proclamée à l'unanimité des voix par le
congrès national. (Bravo!) (U. B., 20 nov.)
Un des secrétaires donne lecture de la proposition suivante de
M. l'abbé Boucqueau de Villeraie :
« J'ai
l'honneur de proposer au congrès national de faire suivre (ou précéder), par un
manifeste, l'acte de la déclaration de l'indépendance de
« Ce manifeste
devrait contenir l'historique, du moins en abrégé, de nos souffrances,
durant les seize années que nous fûmes soumis au sceptre des Nassau ; on y
ferait ressortir les vexations multipliées dont les Belges furent les
victimes, les humiliations dont ils furent abreuvés, et surtout cette profonde
mauvaise foi qui fut le trait caractéristique de toutes les démarches, de
toutes les mesures d'un gouvernement qui s'est montré aussi machiavélique que
maladroit, et aussi ennemi des Belges que partial pour les habitants de
« Ce manifeste
devrait être rédigé dans un style sage et modéré, qui parlât à la raison et
non aux passions ; sans déclamation ni magie de style, mais avec une logique
serrée, qui seule satisfait les esprits sages, avec le bon sens et le jugement
sain qui caractérisent les Belges ; en un mot, avec cette simplicité
d'expression infiniment plus propre à faire impression et à convaincre que
toutes les ressources de l'art oratoire.
« Si cette
proposition d'un manifeste était goûtée, il conviendrait peut-être de nommer
une commission spéciale chargée de présenter un projet de rédaction du
manifeste du congrès national.
« Signé, BOUCQUEAU DE
VILLERAIE, député de Malines. » (Appuyé !/ appuyé !!
– Non ! non !)
M. le président – La
proposition est-elle appuyée par cinq membres ?
Plusieurs
membres appuient la proposition. (J. F., 20 nov.)
M. l’abbé Boucqueau de Villeraie développant
sa proposition – Messieurs, toutes les fois qu'un peuple, usant du droit
imprescriptible de résister à l'oppression et de repousser la tyrannie, se
soustrait à un joug devenu insupportable, et adopte, pour assurer son avenir
politique, une autre forme de gouvernement, il est généralement passé en usage
qu'il publie alors un acte, auquel on est convenu de donner le nom de manifeste.
C'est dans
cet acte public et solennel qu'il consigne et manifeste les motifs de sa
détermination, les motifs qui l'ont porté à abandonner les anciennes formes de
son état politique pour en adopter de nouvelles. Un tel manifeste contient, en
un mot, toute la justification de la révolution qui vient de s'opérer, et son
but est non-seulement d'éclairer les citoyens sur les changements, mais bien
plus encore d'éclairer les nations et les gouvernements étrangers sur leurs
causes, leurs motifs et leur tendance, et contribuer ainsi à les rassurer et
tranquilliser sur les sentiments et les dispositions du nouveau gouvernement à
leur égard.
C'est ainsi
qu'a procédé le congrès belgique, lors de la révolution brabançonne, en 1789 ;
il a publié un manifeste.
De même,
lors de l'insurrection américaine, les nouveaux États-Unis de l'Amérique (page 181) septentrionale ont publié un
manifeste, pour déduire, aux yeux de l'univers, les motifs qui les déterminaient
à se séparer de l'Angleterre, leur ancienne métropole, pour former une
république fédérative, composée alors de 15 États unis, entreprise glorieuse,
qui fut couronnée ensuite par une reconnaissance générale de l'indépendance
américaine par toutes les puissances.
Les nouveaux
États qui se sont plus récemment formés dans l'Amérique espagnole ont de même
publié un manifeste, à leur première apparition sur la scène politique du
monde.
L'histoire
de toutes les révolutions politiques nous donne l'assurance que toujours ou
presque toujours elles furent annoncées et justifiées aux yeux du monde par un
manifeste.
Et rien de
plus sage
et de plus conseillable ; lorsqu'une révolution politique
s'opère, elle tend presque toujours à éliminer ceux qui auparavant étaient à
la tête des affaires publiques, à changer le chef ou les chefs du pouvoir.
Ces
personnages avaient leurs adhérents, leurs protégés qui, déchus de leur
ancienne position, opposent plus ou moins de résistance ou d'absence de bonne
volonté contre le nouvel ordre des choses, et tâchent de le représenter sous un
faux jour, de lui prêter des vues ambitieuses ou des projets de troubler la
paix des autres pays ; - et ces fausses interprétations se propagent trop souvent à
l'étranger.
De là la
convenance, la nécessité même pour le nouvel État, pour les intérêts du peuple
qui vient de changer son gouvernement et sa situation politique, de justifier
ce qu'il vient de faire, aux yeux de toutes les nations étrangères, et c'est là
tout naturellement l'objet, la matière de ce qu'on appelle, dans la langue
diplomatique, un manifeste.
C'est ici le
lieu de vous rappeler, messieurs, ce que nous a dit notre honorable collègue M.
Van de Weyer, en nous rendant compte, de la manière la plus intéressante, des
particularités de sa mission en Angleterre.
Il nous a
dit qu'à son arrivée dans ce pays, il y trouva tout le monde, même les
meilleurs esprits, imbus des plus absurdes préventions sur notre glorieuse
révolution, et même contre elle ; sur ses motifs et sa tendance, et
particulièrement sur les innombrables griefs que le peuple belge a à articuler
contre le ci-devant gouvernement des Pays-Bas.
Eh bien!
messieurs, ce qui est arrivé en Angleterre, il est possible, il est probable
même, que la même chose se reproduise dans les autres pays de l'Europe ou du
nouveau monde, relativement aux affaires belgiques et à la nature et tendance
de notre révolution ; et ceci n'est pas un simple soupçon,
Nous voyons,
en effet, dans les journaux, qu'en France même, et à la tribune nationale, on a
très mal interprété la conduite des Belges, relativement à l'une de nos provinces,
et par l'ignorance où se trouvaient ceux qui ont parlé, de certaines
particularités et de certains actes de notre ci-devant roi, on nous a taxés
d'usurpation et de voies de fait illégales à l'égard du Luxembourg.
Il faut
donc, messieurs, éclairer l'Europe entière .sur nos affaires ; il faut
prévenir par là les fausses interprétations, les fausses imputations.
Messieurs,
notre cause est belle, elle est juste, elle est légitime, et il ne s'agit que
de la présenter sous son véritable point de vue et de révéler nos motifs, les
motifs de notre conduite politique, pour lui obtenir et ménager l'assentiment
de tous les esprits droits et de tous les amis de la liberté des peuples, et
c'est ce que nous obtiendrons par la publication d'un manifeste que j'ai
l'honneur de vous proposer. (J. F., 20 nov.)
M. Van Snick – Je ne
conteste pas l'utilité du manifeste, mais je crois qu'il viendrait plus à
propos lors de la déclaration de déchéance: c'est ordinairement alors que les
peuples exposent les motifs qui les ont déliés de leurs serments. (J. B., 20
nov.)
M. le baron de Stassart – Je ne conteste point
la convenance d'un manifeste, et je crois qu'il servirait à merveille de
préambule à l'acte par lequel le congrès national proclame solennellement
l'indépendance du peuple belge ; mais, pour concilier cette proposition avec
l'urgence des institutions que la patrie attend de nous, je voudrais que
l'assemblée invitât l'honorable M. Boucqueau de Villeraie à présenter un projet
de manifeste qui serait ensuite examiné par nos sections et par la section
centrale (J. B., 20 nov.)
Des
membres – Non! non! qu'on nomme une commission. (J. B., 20
nov.)
M. l’abbé Boucqueau de Villeraie appuie la
nomination d'une commission. (J. B., 20 nov.)
M. De Lehaye – Le texte du
discours du gouvernement provisoire peut servir de manifeste. (De tous côtés
: Non! non!) (J. B., 20 nov.)
M. le comte d’Ansembourg demande
l'ordre du jour, il croit que toute justification est superflue. (C., 20 nov.)
M.
Raikem appuie l'ordre du jour. Notre temps est précieux ; la
nation est dans l'attente. (C., 20 nov.)
(page 182) M. le baron de Stassart – Appuyé ! (J. B., 20
nov.)
De toutes parts – Appuyé !
appuyé. (J. B., 20 nov.)
M. Van Meenen parle en
faveur de la proposition – Le manifeste peut sans inconvénient se faire dans
la huitaine ; entre-temps nous nous occuperons des travaux à l'ordre du jour.
(C., 20 nov.)
M. Charles Rogier – C'est une
question purement littéraire ; un manifeste peut être utile, mais sa place me
paraît être à la tête de la constitution, à laquelle il servira de préambule.
(C., 20 nov.)
M.
Lebeau appuie l'ordre du jour – Je conçois, dit-il, la nécessité
d'un manifeste lorsqu'un peuple change des institutions qu'il s'est librement
imposées; mais il en est autrement lorsqu'il brise un joug auquel on l'attacha.
C'est la force et la fraude qui nous ont incorporés à
L'assemblée
décide qu'une commission sera chargée de présenter un projet de manifeste destiné
à servir de préambule à la constitution. (P. V.)
M.
l’abbé Andries propose que chaque section
nomme un membre pour faire partie de cette commission.
- Adopté.
(J. F., 20 nov.)
_______________________________
- La deuxième
partie de la proposition de M. le comte de Celles est retirée. (C., 20 nov.)
Il est donné
lecture d'une lettre du gouvernement provisoire ainsi conçue :
« Bruxelles,
le 18 novembre 1830.
« Au
nom du gouvernement provisoire de
« Le
secrétaire du comité central a l'honneur de faire connaître à M. le président
du congrès national que messieurs les chefs des divers comités
d'administration générale s' occupent de rédiger un exposé de la situation du
service qui leur est respectivement confié, lequel exposé sera soumis
prochainement à l'assemblée du congrès.
« J.
VANDER LINDEN. » (C., 20 nov. et A.)
- Pris pour
notification. (J. F., 20 nov.)
M. Destouvelles pense qu'il faut inviter le
gouvernement provisoire à nommer un ministre des affaires étrangères. (C., 20
nov.)
M. Alexandre Gendebien - Le gouvernement
provisoire s'occupe de cet objet ; il forme en ce moment un conseil diplomatique,
dont il vous fera demain connaître la composition. (C., 20
nov.)
M. le président – Il y a encore
des propositions. (E.. 20 nov.)
Un des secrétaires donne lecture de la proposition
suivante de MM. Barbanson et Forgeur :
« Le congrès
national,
« Considérant
qu'il importe d'établir un mode régulier pour la publication de ses décrets, et
de fixer l'époque à laquelle ils seront obligatoires,
« DÉCRÈTE:
« Art.
1"'. Il sera établi un Bulletin officiel des actes du congrès
national de
» Art. 2.
Tous les actes du congrès national seront insérés au bulletin officiel dans
les vingt-quatre heures de leur date.
» Art. 3.
Ils seront obligatoires dans tout le territoire de
« Art.
4. Le présent décret sera rendu public par son insertion tant dans le recueil
des actes du gouvernement provisoire que dans tous les journaux qui se
publient à Bruxelles.
« Il
sera également imprimé en tête du bulletin officiel des actes du congrès
national. » (P. V.)
- Personne
ne demande le renvoi aux sections ; la discussion s'ouvre immédiatement. (C.,
20 nov.)
M. le président – La
publication pourrait avoir lieu par la voie des journaux et par le bulletin
officiel du gouvernement provisoire. (J. B., 20 nov.)
M. Forgeur – Nous avons reconnu le gouvernement
provisoire comme pouvoir exécutif; il faut que ses actes soient publiés
séparément. (J. B., 20 nov.)
De
toutes parts – Renvoi aux sections. (J. F., 20 nov.)
M. Van de Weyer – Il existe
déjà un bulletin ; on pourrait insérer les actes du gouvernement
provisoire dans sa première partie, et ceux du congrès dans la seconde ; ce
serait épargner les frais. (J. B., 20 nov.)
M.
Charles Le Hon demande le renvoi aux sections, ou
au moins la remise à demain de la discussion. (C., 20 nov.)
- La
proposition est renvoyée à l'examen des sections. (P. V.)
M. le président – Voici une
autre proposition. (E., 20 nov.)
Un des secrétaires donne
lecture de la proposition suivante de M. Le Bègue :
« Le projet de
constitution sera immédiatement envoyé à l'avis des sections, et la
discussion en sera entamée avant toutes autres propositions que celles déjà
faites par MM. Rodenbach et de Celles (Appuyé).
(P.
V.)
M. le président accorde la
parole à M. Le Bègue pour développer sa proposition. (J. F., 20 nov.)
M. Le Bègue – Messieurs,
ma proposition est trop claire pour avoir besoin d'aucun développement ; elle
est motivée sur ce que nous voyons à regret grossir chaque jour le nombre des
propositions, venant de tous côtés ralentir la marche des travaux qui doivent
nous occuper. Ce n'est pas de ces questions incidentes que le peuple attend
son salut. La constitution de l'État est réclamée partout avec urgence ; nous
devons nous en occuper tout de suite.
(Appuyé ! (J. F., 20
nov.)
- La
proposition de M. Le Bègue est renvoyée à l'examen des sections. (P. V.)
M. de Robaulx – Cette
proposition ne peut être admise, l'assemblée ne peut se lier ainsi, les
circonstances peuvent nécessiter des mesures même d'urgence. (C., 20 nov.)
Un membre observe que M. Constantin Rodenbach
a fait deux propositions, l'une relative à la forme du gouvernement, et l'autre
à la déchéance des Nassau, et demande si l'auteur de la présente proposition y
comprend la dernière. (J. F., 20 nov.)
M. Le Bègue – J'ai demandé que la constitution soit
discutée après les propositions déjà faites par M. Rodenbach ; or, si la proposition
de M. Rodenbach, relative à la déchéance des Nassau, est déjà faite, comme je
n'en doute aucunement, elle est donc comprise dans ma demande. (J. F., 20
nov.)
Plusieurs
voix – Il y a d'ailleurs propositions, au pluriel.
(J. F., 20 nov.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire,
donne une nouvelle lecture de la proposition de M. Le Bègue ; il en résulte
que l'auteur a voulu parler des deux propositions de M. Rodenbach. (Appuyé!)
(J. F., 20 nov.)
M. le président : Cette
proposition sera donc renvoyée aux sections.
Demain, on
discutera d'abord la proposition de M. Constantin Rodenbach, relative à la
forme du gouvernement, et ensuite celle de la déchéance des Nassau.
(J. F., 20 nov.)
M. Werbrouck-Pieters: La section
dont
je fais partie n'est pas encore prête sur la seconde proposition de M.
Rodenbach. (E., 20 nov.)
M.
Raikem – Le rapport de toutes les sections doit être terminé.
L'exclusion doit être immédiatement prononcée. Une section ne peut retarder
cette question vitale. Songez-y, de ce retard peut naître l'anarchie. C'est
avec peine que j'ai vu objecter à cet égard la situation d'Anvers et de Maestricht.
Faut-il, pour conserver nos extrémités, nous voir déchirer les entrailles ? (Applaudissements
; bruit, confusion.). (E., 20 nov.)
M. le président agitant la sonnette
– Je vous demande la parole pour votre président : demain réunion des sections
à onze heures, 1° pour la question de la forme de gouvernement ; 2° pour
l'exclusion. Séance publique à une heure pour discuter la première question.
(E., 20 nov.)
- Il est
cinq heures et demie; la séance est levée. (P. V.)