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Congrès national de
Belgique
Séance du samedi 20
novembre 1830
Sommaire
1) Communication de pièces
adressées au congrès
2) Proposition tendant à faire célébrer
un service funèbre en mémoire de tous les braves morts pour la patrie (W. de Mérode, Marlet)
3) Commission de vérification des
pouvoirs
4) Proposition
relative à la forme du gouvernement. Discussion générale. (M= partisan de la
monarchie ; R = partisan de la république) (J. de Smet (M), David (R), Lebeau (M), Devaux (M), Dehaerne (R), de Roo (M), C. Rodenbach (M), Wannaar (M), Pettens (M), Helias d’Huddegem
(M), A. Rodenbach
(M), Thienpont
(M), de Theux de Meylandt
(M), Deleeuw (M), de Robaulx (R), de Stassart, Forgeur (M))
(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de
Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844,
tome 1)
(page 205) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
A onze heures,
l’assemblée s'est rendue en corps au service funèbre de M. le comte Frédéric de
Mérode.
La séance s'ouvre à une heure et demie. (P. V.)
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et approuvé.
(P. V.)
COMMUNICATION D'UNE PIECE
ADRESSEE AU CONGRES
M. le président dit qu'il a
reçu une pétition de la société patriotique liégeoise contenant des réflexions
sur la garde civique. (J. F. et U. B., 22 nov.)
- Renvoi à la commission des pétitions (J. F., 22 nov.)
M. le président prie les sections
de nommer les membres de cette commission et ceux de la commission chargée de
rédiger un manifeste. (V. P., 22 nov.)
PROPOSITION TENDANT A FAIRE
CELEBRER UN SERVICE FUNEBRE EN MEMOIRE DE TOUS LES BRAVES MORTS POUR
Il est donné lecture de la proposition suivante:
« J'ai l'honneur de soumettre au congrès la proposition
suivante :
« Le gouvernement provisoire sera invité, de la part du
congrès, à faire célébrer en l'église de Sainte-Gudule un service funèbre en
mémoire de tous les braves morts pour la patrie, et messieurs les membres de
cette assemblée seront priés de vouloir bien s'y rendre.
» Le comte Werner de Mérode » (Appuyé !
appuyé ! (C., 22 nov.)
M. Marlet – Si les morts
ont besoin de prières, beaucoup de vivants ont besoin de secours ; je propose
donc d'ajouter, comme amendement, qu'à l'église il sera fait une quête au
profit des blessés et de leur famille. (C., 22 nov.)
La proposition et l'amendement sont adoptés. (P. V.)
M. le président : Un message
sera envoyé au gouvernement provisoire pour que tout soit disposé pour cette
cérémonie. (U. B., 22 nov.)
RAPPORT D'UNE COMMISSION DE VERIFICATION DES POUVOIRS
M.
Coppieters, rapporteur de la septième commission de vérification
des pouvoirs, propose l'admission de M. le baron Van Volden de Lombeke,
suppléant du district de Bruxelles, en (place
206) remplacement de M. le baron Emmanuel Vander Linden d'Hooghvorst,
démissionnaire. (P. V.)
- Ces conclusions sont adoptées. (P. V.)
M. le baron Van Volden de Lombeke est
introduit dans la salle. (J, F., 22 nov.)
Discussion générale
M. le président
- La question de la forme du gouvernement est à l'ordre du
jour; suivant l'ordre de l'inscription, la parole est à M. l'abbé de Smet. (J.
F., 22 nov.)
M. l’abbé de Smet – Dans la
question capitale qui nous occupe, je crois, messieurs, que tous nous sommes
d'accord sur le but où nous devons tendre : tous nous voulons la liberté en
tout et pour tous, autant que le besoin de l'ordre et de la paix publique le
comporte ; tous nous voulons que la commune et la province soient fortement
constituées ; tous nous voulons les plus puissantes garanties contre le retour
de l'arbitraire. Il ne saurait donc être question ici d'une monarchie pure ou
d'une oligarchie ; les Belges n'ont pas le caractère assez ignoble pour
vouloir, par leur choix libre, ramper sous un pareil gouvernement. Nous ne
sommes réellement divisés que sur l'hérédité du pouvoir.
Si nous avions à élever l'édifice de nos libertés, messieurs,
sur un terrain isolé et libre, beaucoup de personnes se prononceraient pour la
république ; mais nous n'avons qu'à bâtir dans un espace circonscrit et qu'on
ne peut séparer des localités voisines. Ne nous arrêtons pas en conséquence à
des théories brillantes et capables de séduire les meilleurs esprits ;
considérons l'opinion et la situation de notre pays.
Il me semble, messieurs, que la monarchie constitutionnelle
nous assure tous les éléments de liberté sage et de bonheur que la nation peut
désirer. Je n'abuserai pas de l'attention de cette assemblée pour développer
cette pensée ; assez d'orateurs l'ont traitée avant moi avec talent et étendue.
J'ai été surpris, messieurs, en entendant hier à cette
tribune accuser le gouvernement monarchique constitutionnel de devoir son
origine au moyen âge; je ne vois point là sans doute une tache pour la forme de
gouvernement que je préfère : tout homme instruit avoue aujourd'hui qu'on a
étrangement calomnié ces prétendus siècles de barbarie. Ce qui m'a surpris,
c'est qu'on a paru ignorer que dans la haute antiquité on a proposé et vanté la
monarchie constitutionnelle. Je ne citerai pas,
pour éviter tout étalage d'érudition, les philosophes grecs qui ont émis cette
opinion ; je me contenterai d'en appeler à ces livres de
Les rois, vous a-t-on dit, sont
des mangeurs d'hommes, et Homère leur donne ce titre. Je ne sais, messieurs,
dans quel endroit Homère s'est servi d'une expression aussi peu poétique, mais
je sais que, dans un grand nombre de ses vers, il nomme les rois
« pasteurs des peuples, » et ce titre ne me semble avoir rien de
redoutable. On a cité des exemples des forfaits que commettent les princes, et,
chose singulière, on les a pris non dans une monarchie constitutionnelle, mais
dans une république, souvent proposée comme un état modèle : l'assassinat
juridique de Barneveld, le massacre des frères De Witt et les ravages des
Prussiens dans
Quand j'interroge l'état de notre
pays, je m'assure toujours davantage qu'une république n'est dans nos mœurs ni
dans nos habitudes. Le Belge aime le repos ; il en a un besoin impérieux pour la prospérité de
son agriculture, de ses usines et de son commerce ; comment ce repos pourrait-il
se concilier avec les formes républicaines ? Nos ancêtres, qui avaient la
réputation d'être passablement séditieux, ces nosseigneurs de Gand,
toujours en armes contre leurs comtes, n'ont jamais songé à substituer à leur
gouvernement un régime populaire. Nous ne connaissons la république que par
l'envahissement de la révolution (page
207) française, et, certes, le souvenir que nous en avons gardé
n'est pas propre à donner plus de chances à l'opinion républicaine.
On nous a proposé pour modèle l'Amérique fédérée de
Washington et de Franklin ; mais comment peul-on songer à comparer ce vaste
État à
Je ne vous parlerai pas des cantons suisses, si peu
semblables à nos provinces ; vous savez que ce peuple brave fit dire
autrefois à l'un de nos souverains (Note de bas de page : Charles le Téméraire, duc de
Bourgogne): « Prince! les mors et les brides de vos chevaux ont plus
de prix que toutes nos richesses. ! » Si je voulais vous prouver à quel
état dégradant la licence peut conduire, je n'aurais qu'à vous présenter
l'exemple de Gênes. Cette ville superbe s'était rendue si misérable par ses
convulsions sans cesse renaissantes, qu'elle se vit obligée de s'offrir
elle-même à Louis XI. Vous connaissez la réponse un peu trop cavalière de ce
roi sombre: « Les Génois se donnent à moi ? eh bien! je les donne au
diable. »
Je ne veux point donner à ma patrie une forme de gouvernement
où les hommes de génie et de caractère sont toujours supplantés par des
intrigants ; je ne veux point secouer sur elle les torches de la guerre civile
et étrangère, je voterai pour une monarchie constitutionnelle représentative.
(Des applaudissements
se font entendre aux tribunes publiques.) (U. B., 23 nov.)
M. David – J'ai demandé
la parole, messieurs, non pour venir devant vous faire parade d'érudition, ni pour débattre longuement les avantages et les désavantages des
gouvernements monarchiques et républicains ; les orateurs qui m'ont précédé se
sont très bien acquittés de cette tâche, cet la matière me paraît épuisée.
Je suis un des membres qui, dans
la troisième section, ont voté pour la république ; mon seul but est de vous
exposer les motifs de mon opinion.
Le peuple belge, messieurs, qui
nous a confié son mandat, que demande-t-il ? C'est la liberté, c'est l'égalité
de tous devant la loi ; il sait qu'avec elles disparaîtront la multiplicité des
places, l'exorbitance des traitements, et par suite l'énormité des impôts.
Avec l'égalité et la liberté, il veut un gouvernement fort qui puisse le maintenir
dans la jouissance de ces biens; il veut que ce gouvernement fasse prospérer
l'agriculture, l'industrie et le commerce, véritables richesses des États,
seuls moyens de lui donner de l'aisance, de lui procurer les commodités de la
vie.
C'est ce gouvernement, messieurs,
que le peuple attend de nous.
Or, je me suis demandé quelle
forme nous devrions adopter pour établir parmi nous ce gouvernement ; je vous
avoue, messieurs, que je me suis trouvé fort embarrassé ; mes méditations n'ont
pu me faire trouver la solution du problème.
J'ai mis dans les deux bassins de
la balance un roi
et la république ; je me suis convaincu, après y
avoir mûrement réfléchi, que ni l’une ni l’autre forme ne serait jamais assez
forte pour défendre et protéger
Cependant, messieurs, je savais
que, dès la chute de Charles X, le peuple belge avait tourné ses vœux vers
J'ai vu qu'une force morale
irrésistible nous entraînait vers
Pour décider mon vote, je n'avais
donc plus qu'à choisir entre celui des deux gouvernements, républicain ou monarchique, qui présenterait le moins d'obstacles pour parvenir à l'état de stabilité que nous
cherchons, c'est-à-dire à nous incorporer, à nous réunir à
J'ai donné mon suffrage au
premier, parce qu'avec le second il faudra que le peuple renverse encore un
trône, lorsque sa volonté souveraine se manifestera de nouveau, et plaise à
Dieu que ce (page 208) ne soit pas
par une révolution plus terrible que celle de septembre !
Je vous ai parlé, messieurs, sans arrière-pensée, et avec
toute ma franchise. Tels sont mes motifs pour voter la république. (U. B., 22
nov.)
M. Lebeau – Messieurs,
plusieurs orateurs qui m'ont précédé à cette tribune ont paru vouloir donner
pour passeport à leur opinion monarchique l'apologie de la forme républicaine.
A leur avis, nous ne sommes pas mûrs pour ce qu'ils appellent
le gouvernement parfait, et la monarchie nous est imposée comme temps d'épreuve
et de transition.
Est-ce conviction ? est-ce précaution oratoire ? Je ne sais ;
mais ce dont je suis convaincu, c'est qu'il n'existe pas un peuple au monde qui
réunisse à un plus haut degré que le peuple belge le bon sens et la moralité.
Ce dont je suis convaincu, c'est que considérée à priori et
abstractivement, la monarchie constitutionnelle, loin d'être un état de
transition vers un régime plus parfait, est au contraire une combinaison
politique plus savante, plus ingénieuse que la république elle-même.
Dégageons d'abord la question des traditions surannées, des
souvenirs irritants qui viennent s'y mêler. Un honorable député (Note de bas de page : M. Seron), dont je
combats l'opinion, tout en rendant hommage à la loyauté de ses paroles, vous a
parlé de dîmes, d'aristocratie féodale, d'alien bill, de suspension de l'habeas
corpus, du luxe des cours, comme conséquences immédiates d'une monarchie.
Ce qu'il repousse, je le repousse avec une énergie égale à la sienne.
De bonne foi, est-ce là ce que peuvent vouloir les partisans
de la monarchie ?
Que diraient les défenseurs de la république de Venise si
l'on argumentait contre eux des souvenirs de Venise, de son inquisition, de
son conseil des Dix et de ses victimes politiques jetées sous les plombs ? Que
diraient-ils si on leur opposait l'esclavage des États-Unis, l'oligarchie
batave et cette aristocratie helvétique dont l'insupportable joug condamne
aujourd'hui les cantons suisses à se jeter dans la carrière des révolutions ?
Laissons donc de part et d'autre les souvenirs et les
traditions, vaste arsenal où chaque opinion peut trouver des armes. Nous sommes
tous d'accord sur le but : la divergence n'existe que sur les moyens.
Ce qui rattache des esprits généreux à la république, c'est
qu'ils reconnaissent dans chacun de ses
détails l'empreinte du principe de l'élection populaire.
Eh bien ! dût cette assertion se
présenter comme paradoxale, je n'hésite pas à dire que, dans la monarchie
constitutionnelle, le principe de l'élection domine tout ; qu'il influe non-seulement
sur la marche de l'administration intérieure et extérieure, mais qu'en outre,
il exerce sur la composition du pouvoir exécutif une irrésistible influence.
La différence, c'est que dans la
république, le principe de l'élection agit toujours directement, tandis que
dans la monarchie il passe à un autre mode d'action, au moment même où
l'intérêt de l'État l'exige.
Qui forme la chambre élective ?
Les collèges électoraux,
c'est-à-dire cette partie de la nation qui a intérêt à l'ordre et intelligence
des droits et des besoins du pays.
La chambre, une fois composée,
confirme, modifie ou renvoie le ministère, selon le degré de confiance ou de
défiance qu'il lui inspire.
La chambre élective, ouvrant et
fermant à volonté la bourse des contribuables, tient dans sa main la destinée du cabinet ; elle impose à la couronne ses exclusions et ses choix ; elle élit donc en réalité, quoique
indirectement, le ministère tout entier.
Or, le ministère, ainsi élu ou
confirmé, ne peut vivre qu'à la condition d'administrer selon le vœu de la
majorité de la chambre ; c'est-à-dire selon le vœu du pays qu'elle est censée
représenter.
Ainsi administration intérieure,
choix des membres de la chambre haute, diplomatie, tout enfin, subit
l'impulsion irrésistible de la chambre des députés.
J'ai dit que le ministère est élu
indirectement, mais réellement, par la chambre ; or; qu'est le ministère dans
une monarchie constitutionnelle ? Évidemment le pouvoir exécutif tout entier.
La royauté, en effet, n'est pas, à
proprement parler, un pouvoir.
Comment dire qu'il y ait pouvoir,
lorsque toute faculté d'agir est interdite sans l'assentiment d'autrui ?
Telle est la position de la
couronne, assujettie qu'elle est par le contre-seing à la volonté du conseil.
Toute l'action propre de la
couronne gît dans le choix du cabinet, mais on a vu que ce choix lui est imposé.
Par cet ingénieux mécanisme, vous
avez un centre immuable à côté d'un pouvoir exécutif mobile, renouvelé sans
secousse.
(page 209) Il est si
vrai que le ministère est presque tout, qu'en Angleterre un changement de règne
excite peu d'attention, exerce peu d'influence, tandis qu'une crise
ministérielle, prévue à l'avance, absorbe l'attention publique et remue
puissamment les esprits.
Ces conditions préliminaires fixées, établissons maintenant
un parallèle entre les phases de la présidence républicaine et du ministère
monarchique.
Toute élection à la présidence est une crise ; elle excite
plus ou moins d'anxiété dans la nation. Quiconque a jeté les yeux sur
l'Amérique septentrionale ne l'ignore pas. Je me réserve de prouver le danger
par des exemples.
Un changement de ministère, au contraire, n'est rien autre
qu'un acte ordinaire de la vie politique ; c'est le système représentatif dans
son action la plus simple et la moins inquiétante.
La présidence n'étant pas inviolable, la crise peut naître de
l'accusation. L'accusation d'un ministère n'a rien d'alarmant pour le pays.
La présidence se renouvelant à terme fixe, l'époque de
l'élection peut coïncider avec des circonstances que nul ne saurait prévoir,
telles que luttes de province à province, insurrections partielles, approche
d'une guerre, toutes causes propres à altérer la bonté et la liberté de l'élection.
Le ministère, au contraire, se renouvelle précisément
lorsque l'opinion veut qu'il en soit ainsi.
La présidence éveille les ambitions, et quand c'est la première
place, le centre même du pouvoir qui est convoité, le conflit est dangereux ; à
coup sûr il doit inquiéter, car il peut enfanter la guerre civile et
l'anarchie. Le ministère ne peut éveiller qu'une concurrence utile et sans
danger pour le pays. Les chambres sont là pour juger la capacité et
les principes des candidats. Pendant le débat, après le débat, quelle qu'en
soit l'issue, un centre reste immuable, un pouvoir neutre plane inaccessible
au-dessus de l'arène ; la société politique n'est point menacée de dissolution, ,
Qu'on ne dise pas, messieurs, que je crée ou que tout au
moins j'exagère les dangers qu'entraîne après soi le renouvellement du pouvoir
central. Pour ne citer qu'un exemple, je rappellerai ce qui arriva lors de la
seconde élection de M. Jefferson ; il y eut d'abord entre lui et M. Burr égalité
de suffrages. Les habitants de
Un autre danger qu'entraîne la présidence, c'est de pousser à
l'usurpation par l'attrait d'un pouvoir qu'on voudrait retenir encore, quand la
loi vient le retirer. Je dois cet argument aux défenseurs de l'opinion
républicaine. Ils ont cité, je ne sais pourquoi, la transformation du stathoudérat
en dignité héréditaire ; ils auraient pu ajouter l'exemple du premier consul
se faisant empereur. Or, ces exemples prouvent contre eux. Si le pouvoir est
révocable, les mains qui le tiennent essayent tôt ou tard d'en garder le dépôt.
Si elles l'ont à toujours, les dangers de celle espèce d'usurpation sont
prévenus. Devenu permanent, le chef de l'État finit, comme les rois
d'Angleterre, par s'attacher à un pouvoir qui gagne en durée ce qu'il doit
perdre en force pour ne pas menacer les institutions.
Je ne parlerai point des malheureux essais de république
tentés par
Il serait superflu de rappeler ce qu'a dit un honorable
député de Liége (Note de
bas de page : M. Leclercq) sur la position géographique de l'Amérique du Nord,
sur la rareté de sa population comparée à l'immensité du territoire, sur la
nature de ses frontières ; l'Océan, les sables et les forêts l'environnent et
la placent hors de tout contact avec des voisins jaloux et armés.
Que les États-Unis soient en progrès, je ne le nie point.
Dira-t-on qu'à défaut d'une
intervention directe, l'or des cabinets y sème la corruption et le germe des
discordes intestines ? S'il en est ainsi, comment échapperions-nous à ces
manœuvres ? Comment espérer que si des républiques placées au delà de l'Océan
inquiètent et tourmentent les trônes européens, ils contemplent impassibles la
république belge jetée comme un brûlot au centre même de nos monarchies ?
Neutralité apparente, mais guerre sourde, acharnée, voilà ce qu'il faudrait
attendre de la diplomatie.
Mais est-il bien vrai que
l'Amérique du Nord marche chaque jour à de nouveaux progrès ? Ne nous
faisons-nous point quelque illusion sur ce pays ? Vu à travers l'Atlantique, ne
s'offre-t-il pas à nos regards sous des formes décevantes ?
Dans cette terre classique de la
liberté, n'apercevez-vous pas une institution que l'Europe civilisée repousse
? Quelle est donc cette liberté qui se concilie avec l'esclavage du sixième de
la population ? Sait-on bien ce qu'est
l'esclavage aux Etats-Unis ?
Permettez-moi, messieurs,
d'emprunter sur ce point deux faits à l'excellent livre de M. John Bristed (Note de
bas de page : « Les Etats-Unis d’Amérique »).
On a vu, dit-il, en 1811, dans
Dans le même État de
Je pense, messieurs, qu'il y a
beaucoup d'hommes généreux aux États-Unis, que de telles horreurs indignent et
contristent ; mais je ne puis partager l'admiration de quelques orateurs pour des
institutions qui, loin d'avoir proscrit ces restes de barbarie, paraissent se
concilier parfaitement avec leur maintien. Quel sentiment d'indignation
n'exciterait pas au milieu de nos cités le spectacle de pareils supplices ! Il
m'est permis de croire que nous valons au moins ceux qui en restent les
impassibles témoins ; et si l'on voulait toucher à cette plaie de l'Amérique
septentrionale, vous verriez probablement des États du Sud réaliser la menace
souvent faite d'une séparation.
J'ai déjà eu l'occasion de dire, en rappelant le discours
d'un honorable préopinant, que je n'aimais pas plus que lui la suspension de l'habeas
corpus. Si ses préférences républicaines l'engagent à visiter un jour les
États-Unis, je l'invite à prendre quelques précautions, car là aussi l'habeas
corpus peut être suspendu, et par des motifs dont le sens est assez large :
pour cause de sûreté publique. .
Le message du 11 décembre, auquel un honorable député
républicain a fait allusion, me rappelle aussi que le président de l'Union
américaine a le droit de demander à tout fonctionnaire son opinion par écrit
(il ne s'agit pas de renseignements) sur les matières relatives à son
service.
On a invoqué la république comme gouvernement à bon marché.
Il faut s'entendre sur le sens de ces deux mots, qui ont une
valeur toute relative. Dans un pays sans industrie, peu avancé en civilisation
politique, on peut être gouverné à bon marché et se trouver fort misérable. En
Espagne, dans l'Italie méridionale, où la vie est peu coûteuse, je conçois que
les traitements, et par suite les impôts, ne soient pas très élevés. Il peut y
avoir là quelque chose qui ressemble au gouvernement à bon marché, et cependant
quel est l'habitant de Londres, de Paris ou de Bruxelles, qui envie le sort de
l'habitant de Naples ou de Madrid ?
Est-il bien prouvé d'ailleurs que le système fédératif fût
pour nous un gouvernement à bon marché ? Dix-huit chambres législatives, neuf
cours provinciales, peut-être neuf cours de cassation comme perfectionnement de
l'organisation judiciaire de M. Van Maanen, des conseils de gouvernement à
l'instar de quelques États américains, voilà un personnel effrayant.
Mais la monarchie entraîne un luxe ruineux pour la nation !
Si la monarchie que nous formerons étale un luxe de cour, si
elle peut solder un peuple de courtisans et de valets titrés ou non titrés,
c'est parce que les représentants du peuple auront manqué à leur
mandat. Fixez la liste civile sans (page
211) prodigalité comme sans excès de
parcimonie, et vous aurez rendu impossible l'abus que vous redoutez. La
monarchie nouvelle, telle que je la conçois, telle que je la vois dans un pays
voisin, n'a que faire des oripeaux de la monarchie absolue. Voyez
Louis-Philippe se promenant à pied dans les rues de Paris, en frac, en chapeau
rond, le parapluie sous le bras, et dites-moi s'il n'y a pas plus de grandeur
dans cette noble simplicité que dans le faste des vieilles cours.
Le grand défaut des États fédérés,
c'est la faiblesse du pouvoir central. De là l'impossibilité d'imprimer la
rapidité nécessaire aux mesures d'administration générale ; absence
d'homogénéité dans les mœurs comme dans l'opinion. Avec la forme fédérative,
qui en Amérique, du reste, fut d'abord une agrégation fortuite plutôt qu'un
système délibéré, nous aurions l'esprit français, l'esprit flamand, l'esprit
allemand, et nous chercherions vainement l'esprit belge. C'est à cette
prépondérance des influences locales sur l'opinion générale du pays qu'il faut
surtout attribuer le maintien de l'esclavage dans les États-Unis. Là aussi
l'action du pouvoir exécutif n'a pas l'énergie nécessaire ; les publicistes
qui ont examiné attentivement les institutions américaines le déclarent formellement.
M. John Adams lui-même l'a reconnu dans sa Défense des constitutions américaines, et n'a trouvé d'autre moyen
de rendre plus de force au pouvoir exécutif qu'en l'étayant sur l'aristocratie.
Un grand nombre de bons esprits
pensent que, malgré le secours de la chambre haute, les bases de l'Union
américaine sont menacées dans le pouvoir exécutif. « Il serait difficile, dit
l'un d'eux, de marquer avec précision l'époque de la dissolution du
gouvernement fédératif ; des matériaux combustibles s'amoncellent, et bientôt
il ne faudra qu'une étincelle pour tout embraser. Le choix d'un président qui
déplaira à une partie des États, le nombre des nouveaux États qui se forment
dans l'Ouest, la licence effrénée de la presse, l'esprit intolérant de parti, l'opposition
des mœurs, la variété infinie des sectes religieuses, l'inquisition de
Enfin, pour nous Belges, placés au
milieu de l'Europe, il est une considération qui, à elle seule, déterminerait
mon vote en faveur de la monarchie, c'est le vif intérêt que m'inspire le sort
des autres nations continentales. Un orateur a pensé que nous favoriserions la
civilisation politique de l'ancien monde en décrétant la république. Je pense,
moi, que nous ne saurions faire aux peuples non encore affranchis
un plus funeste présent. Que ceux-là mêmes qui placent la république au-dessus
de la monarchie, et qui la croient possible chez nous, y réfléchissent bien :
si vous déclarez la liberté et la monarchie inconciliables, vous proclamez par
cela seul qu'entre les cabinets et les peuples du continent, c'est guerre à mort. La proscription de la royauté
étant le terme avoué de la lutte, la royauté est avertie : elle étouffera tout
symptôme de vie politique, parce qu'elle y verra le présage de sa perte. Au
lieu de trouver les trônes disposés à s'entendre avec le pays, comme le fait
depuis près d'un siècle et demi la royauté anglaise, comme on annonce en ce
moment que veut le tenter le nouveau roi de Naples, vous leur imposez la loi
d'être inexorables, vous les condamnez à porter dans leur défense l'énergie du
désespoir, et c'est par la famine, la banqueroute, l'anarchie, le sang et le
feu que la république doit triompher.
Je voterai pour la monarchie. (U.
B., 24 nov.)
M. Devaux – Avant de venir plaider ici pour la forme monarchique, j'aurais désiré
me rendre bien compte des vœux de l'opinion républicaine et des motifs sur
lesquels elle s’appuie. Le mot de république n'exprime en réalité
qu'une idée négative, l'absence de monarque. La république peut revêtir tant de
formes différentes, elle peut se concilier avec des institutions si diverses,
qu'il n'y a, je crois, pas une prétention aristocratique, oligarchique,
théocratique ou démocratique, que, suivant le caractère qu'on lui donnera, elle
ne pourra indifféremment satisfaire.
J'ai beaucoup entendu parler, au
dehors de cette enceinte, de la république fédérative, mais jusqu'ici il m'a
été impossible de me former une idée nette de ce qu'on entend chez nous par le
mot fédératif : et, après due information, il m'a semblé que, comme le
mot de république même, chacun l'interprétait à sa manière et d'une
manière différente des autres. Quand j'ai demandé à quelques-uns si l'on
voulait que, comme aux États-Unis, nous eussions dans chacune de nos petites
provinces une législature séparée et composée de deux chambres, si l'on croyait
que chaque province eût des hommes en assez grand nombre, doués d'assez de lumière
et pouvant disposer d'assez de temps, pour que nous puissions former en
Belgique dix-huit chambres législatives chargées chacune de discuter et de
résoudre les questions diverses que présentent les nombreuses branches de la
législation, il m'a semblé que ce n'était pas là ce qu'on voulait.
(page 212) Quand après cela, entrant dans les détails des
attributions de nos anciens états provinciaux, j'ai cherché à savoir quelles
étaient celles qu'on voulait étendre, il m'a paru qu'on ne voulait pas en
réalité les étendre beaucoup, et qu'en définitive, la prétendue fédération
qu'on demandait, se bornait à une bonne loi provinciale et communale qui
même n'étendît pas trop loin la limite de l'indépendance des autorités de
province et de commune.
Quant aux motifs sur lesquels s'appuie l'opinion
républicaine, le bon marché est celui qu'on met le plus en avant ;
cependant je me demande s'il y a une autre différence indispensable entre les
dépenses d'une république et celles d'une monarchie constitutionnelle bien
organisée, que celle qui existe entre le traitement d'un président et le
traitement d'un monarque héréditaire ? Je sais que ce dernier traitement, qu'on
est convenu d'appeler liste civile, doit nécessairement s'élever plus haut que
le traitement annuel d'un président de république ; il faut que la liste
civile suffise au monarque et à ses enfants, il faut qu'elle mette le monarque
à même de ne pas paraître dans une situation humiliante entre les autres
souverains. Mais en donnant au chef de notre Etat, au lieu du titre de roi,
celui de prince, de duc ou grand-duc, nous réduisons déjà ces dépenses ; nous
les diminuons encore en appelant au pouvoir une famille déjà riche de sa propre
fortune, en réduisant nos ambassades à n'être pas plus coûteuses que celles
d'un État républicain. De combien alors sera la différence entre les dépenses
de notre monarchie économique et celles d'un État républicain ? Sera-ce
uniquement pour une économie de quelques cent mille florins, qu'une nation
comme la nôtre, qui depuis quinze ans paye son énorme part dans un budget de
quatre-vingts millions de florins, se décidera sur la question de la forme de
gouvernement qu'elle doit adopter ? Faudra-t-il, dans la seule vue d'une
semblable épargne, répudier la forme de gouvernement qui assure le mieux à la
fois notre liberté et notre stabilité ? Car enfin n'est-ce pas par la liberté
seulement que nous pouvons arriver à l'économie réelle ? Et la stabilité, à elle
toute seule, n'est-elle pas une immense économie ? Je l'avoue, si c'était par
des raisons d'économies apparentes qu'il fallût se décider, j'ai quelques
doutes sur la question de savoir si la comparaison des dépenses des pays libres
avec celles des États despotiques, serait toujours à la défaveur du despotisme.
Mais sincèrement, messieurs, une pareille économie qu'on
fait tant valoir, est-elle le principal motif de l'opinion républicaine ?
De bonne foi, non ! La vraie raison qui anime des esprits
généreux, mais trop absolus, contre la monarchie, n'est pas une raison
d'économie. Qu'ils s'en rendent compte ou non, c'est la haine de l'hérédité
comme privilège, comme exception à ce principe d'égalité générale qu'ils
chérissent avant tous les autres. L'idée d'une famille élevée à perpétuité
au-dessus de toutes les autres, ne peut trouver grâce dans leur esprit. Ils
veulent que tous les grands pouvoirs soient électifs. Pourquoi ? Parce qu'au
vrai ce qu'ils veulent avant tout, et sans peut-être se l'avouer à eux-mêmes,
ce n'est pas que tout se fasse pour le plus grand bonheur du peuple,
mais que tout se fasse par le peuple. On tombe dans cette grande erreur de
mettre les formes, les moyens au-dessus du but. C'est en vertu de ce principe
que, dans des républiques anciennes, tout se faisait par la masse du peuple,
jusqu'aux jugements des accusés. Ces jugements étaient passionnés, souvent
iniques ; mais enfin, ils étaient rendus par le peuple tout entier. Dans les
résultats, la liberté et la justice étaient sacrifiées, mais dans les formes
l'égalité était parfaitement maintenue.
L'élection, dit-on, est la voix du peuple ; l'hérédité n'est
que la loi du hasard. Je réponds que si, dans telle circonstance, la loi
du hasard me paraît devoir amener de meilleurs résultats pour le pays
que la voix du peuple, je préfère la loi du hasard ; ce que je veux
avant tout, c'est la liberté du pays ; la forme qui mène le plus
sûrement à ce but, quelle qu'elle soit, est celle que je préfère. Du moment
qu'elle l'atteint, je ne m'effraye pas des mots, et je l'accepterais sous
toutes les dénominations, monarchique, républicaine, aristocratique même ou
oligarchique.
C'est par une idée toute contraire que chez nous et en France
quelques hommes, aux intentions desquels je rends parfaite justice, réclament
aujourd'hui avec tant d'instance la république, et vont même jusqu’à demander
le suffrage universel. Ils veulent avant tout, non pas des résultats
populaires, mais des formes populaires ; pour eux l'égalité dans les formes
est plus précieuse que la liberté dans les résultats. Ils mettent ainsi les
erreurs de la politique des anciens au-dessus des vérités démontrées par
l'expérience et par la science politique de notre siècle. Leur principe à eux,
quoique, je le répète, ils ne se l'avouent peut-être pas bien clairement, c'est
égalité absolue d'abord ; partant point d'hérédité, point d'aristocratie, point
de cens électoral, et, cela obtenu, la liberté arrivera si elle
peut et comme elle pourra. Notre principe à nous, c'est liberté d'abord, et si
une (page 213) certaine hérédité, une certaine aristocratie, un certain
cens électoral sont nécessaires au maintien de cette liberté, nous allons
jusqu'à les admettre.
Les résultats sont tout pour nous ; les formes, les citoyens,
sont presque tout pour eux ; nous subordonnons les moyens au but, eux font tout
le contraire.
Nous combattons le suffrage universel, bien que ce soit,
quant à la forme, le plus favorable à l'égalité, parce qu'il est fatal à la
liberté quant aux résultats ; en temps de passion, il mène à l'anarchie, qui
est aujourd'hui la plus redoutable ennemie de la liberté; en temps ordinaire
et à la longue, mieux que tout autre système, il assure l'influence exclusive
de l'aristocratie et lui sacrifie la liberté du peuple. Par la même raison nous
combattons la république ; la monarchie peut nous offrir les mêmes libertés,
elle nous délivre des chances de troubles et de désordres de la république ;
aujourd'hui que les besoins matériels des nations, leurs intérêts industriels
et commerciaux ont plus d'étendue que jamais, plus que jamais aussi elles ont
besoin d'ordre ; l'absence d'ordre les précipiterait, après quelque temps, dans
les bras du despotisme, pour recommencer ce cercle fatal, en dehors duquel la
monarchie constitutionnelle peut si heureusement nous placer aujourd'hui.
La monarchie constitutionnelle représentative, telle que je
l'entends, c'est la liberté de la république, avec un peu d'égalité de moins
dans les formes, si 1'on veut ; mais aussi avec une immense garantie d'ordre,
de stabilité, et par conséquent, en réalité, de liberté de plus dans les
résultats.
Dira-t-on que les lois peuvent détruire les constitutions ?
Oui, ils le peuvent comme un homme est toujours maître d'en assassiner un autre
en se soumettant aux conséquences de son crime ; mais ils le peuvent bien moins
aisément, je crois, qu'un parti triomphant ne le peut dans une république ;
mais ils savent aujourd'hui à quel prix on foule aux pieds le pacte fondamental
dans un pays dont l'éducation constitutionnelle est faite : au point où en est
venu l'esprit public en Belgique, je ne vois plus guère pour elle que deux
chances de despotisme, à savoir : la domination étrangère, et en parlant ici de
domination étrangère, ce n'est pas le présent seul, c'est surtout l'avenir que
j'ai en vue ; je ne vois plus, dis-je, pour notre patrie que deux chances de
despotisme, la domination étrangère, et c'est surtout à cause des chances
d'intervention et de domination étrangère que j'exclus la maison d'Orange ; ou
bien le désordre, l'anarchie, qui par lassitude ou par désespoir pourraient
amener le pays à se soumettre au despotisme,
et les chances de désordre suffiraient à elles seules pour me faire exclure la
république.
Dans une république, la lutte des
partis est nécessairement bien plus violente, que dans la monarchie, parce
qu'ils peuvent davantage. Chaque parti, s'il triomphe, peut espérer de changer
toute la forme du gouvernement ; car même sous la dénomination de république,
il peut exister une infinité de formes de gouvernement aussi différentes entre
elles et plus encore que ne le sont la monarchie et la république. On aurait
bien tort de croire que si les hommes qui tiennent aujourd'hui à la monarchie
faisaient abdication de leur opinion, tout serait fini. Non ; alors vous
verriez naître entre les républicains fédératifs, aristocratiques,
oligarchiques, démocratiques, partisans de Mably, de Saint-Simon, de Babeuf et
bien d'autres encore, les mêmes dissidences qui existent aujourd'hui entre
l'opinion républicaine et l'opinion monarchique.
Or, dans une république, chacun de
ces partis, quand il triomphe, peut espérer, non pas de changer un ministère
comme dans la monarchie représentative, mais de changer et d'adapter à son
opinion la forme tout entière du gouvernement. Le rôle des partis dans une
république est donc beaucoup plus important ; leur espoir peut aller beaucoup
plus loin ; c'es la cause pour laquelle leurs luttes sont, de leur nature, bien
autrement vives et passionnées que dans la monarchie.
Dans une république qui n'est ni
oligarchique, ni aristocratique (et je ne pense pas que les partisans de la
république la veuillent telle chez nous), il n'y a, pour ainsi dire, pas de
pouvoir intéressé à la stabilité. Il n'y a que des partis, et ce que désirent
les partis, ce n'est pas la stabilité, mais le triomphe. Dans la monarchie, au
contraire, il y a un pouvoir essentiellement attaché à la stabilité de la
forme générale du gouvernement. Afin de changer cette forme, il faudrait commencer par renverser ce pouvoir lui-même. Or, pour en
venir là, il faut que les choses soient bien extrêmes, il faut d'un côté bien
des fautes, bien des imprudences, et de l'autre bien des raisons et de la
force morale. Dans une monarchie, les débats des partis se livrent dans une sphère
inférieure ; la forme générale du gouvernement reste hors de question ; tout se borne à triompher dans le ministère, dans la chambre élective, el cela suffit à tout. La forme générale du
gouvernement demeure, mais dans son sein l'esprit et la marche des affaires
peuvent suivre tous les progrès.
Ainsi dans une monarchie, guerre
moins violente, haines moins passionnées entre les partis, (page 214) moins de
chances de désordres, cela veut dire, moins de chances de despotisme.
Cela veut dire
aussi moins de chances de domination étrangère.
Messieurs, si nous
formions un État fort par lui-même et fort contre tous comme
Aucun système de gouvernement ne favorise l'intervention
étrangère autant que la république : les passions des partis rendent
indifférents sur les moyens ; triompher est tout pour eux. Il est presque
impossible qu'ils ne finissent sinon par s'allier ouvertement, à tout le moins
par sympathiser et s'unir secrètement chacun suivant ses intérêts, l'un avec
telle puissance vaincue, l'autre avec une puissance rivale. C'est une vérité
dont l'histoire des républiques fait foi presque à chaque page. Songez aux convulsions
et aux guerres de nos vieilles communes belges, qui étaient aussi des espèces
de républiques, et au rôle qu'y jouait incessamment l'étranger ; songez à la
république hollandaise elle-même. Ai-je besoin de rappeler les républiques du
midi de l'Europe et ces interminables guerres des Guelfes et des Gibelins dont
le nom seul indique la lutte continuelle des influences et des interventions
étrangères?
La monarchie, messieurs, est le rempart le plus sûr que notre
liberté puisse opposer dans l'avenir à l'intervention et à la domination des
étrangers ; en premier lieu, parce que dans une monarchie les partis
n'atteignent presque jamais cette violence et cet aveuglement extrême auxquels
ils s'abandonnent si facilement dans une république ; en second lieu, parce que
le pouvoir du monarque est une barrière qui, de toute sa force et de celle de
la nation même, résiste à la domination de l'étranger.
Je ne parle point ici d'un roi de restauration, j'en
reconnais trop les dangers. Je sais qu'une dynastie à laquelle nous aurions
rendu moins qu'elle n'avait autrefois pourrait, sous l'influence de ses regrets
et de ses opiniâtres souvenirs, soumettre à l'intervention étrangère la
puissance qui lui reste, dans l'espoir de recouvrer celle qu'elle a perdue. Mais
je parle d'une dynastie jeune, que nous aurons faite tout ce qu'elle sera, à
qui nous aurons fait tout gagner et rien perdre, qui ne trouvera rien à
regretter dans ses souvenirs et qui ne pourrait retourner vers le passé qu'aux
dépens de son pouvoir et de son existence même. Une dynastie de rois ou de ducs
serait aussi ennemie que notre liberté même de l'intervention des étrangers ;
car la rupture de l'équilibre européen et la guerre serait ce qui
compromettrait le plus son trône et pourrait le plus facilement l'anéantir.
Ce n'est pas tout de l'intervention armée ; d'autres vous
ont déjà parlé de celle des intrigues. Quelles agitations ne causeraient-elles
pas chez nous ! Les États-Unis, tout séparés qu'ils sont par l'Océan, des
puissances européennes, ne peuvent, dit-on, lors de l'élection de leur
président, se soustraire aux intrigues de l'Angleterre. Car l'élection d'un
président est le triomphe d'un parti sur un autre, c'est le triomphe du parti
guerrier ou du parti pacifique, du parti fédératif ou du parti démocratique,
du parti favorable au système des prohibitions commerciales ou à celui de la
liberté du commerce, triomphe qui, dans chaque circonstance, est favorable ou
contraire aux intérêts de l'étranger. Que sera-ce dans notre Belgique qui n'est
pas isolée des grandes puissances, mais qui touche à leurs frontières, dont
chaque grande ville a une population d'étrangers, que les étrangers peuvent
traverser dans tous les sens en quelques jours, chez nous qui avons avec les
États des grandes puissances le contact le plus immédiat, les rapports les plus
faciles et les plus fréquents, et qui, en inclinant envers l'une d'elles,
faisons pencher de son côté le système de l'équilibre européen ? Est-il
difficile de prévoir que notre sort serait pire que celui de l'ancienne Pologne
? A chaque élection d'un président, à chaque fois que le pouvoir aurait chance
de passer d'un parti à un autre, toutes les influences des étrangers, celles de
leur diplomatie, de leur police, de leurs clubs, de leurs sociétés populaires
et autres, ne viendraient-elles pas s'agiter et se combattre dans notre sein ?
Toutes les séductions ne seraient-elles pas mises en jeu, toutes les
faiblesses, tous les vices exploités, peut-être la vieille probité belge forcée
de succomber à tant d'efforts, ou tout au moins notre tranquillité et nos
plus chers intérêts mis à chaque instant en péril ?
Il me reste, messieurs, à vous soumettre encore une
observation sur notre position extérieure.
Faibles au milieu des forts, petit État entouré de grands
États, sur quel appui pouvons-nous compter autour de nous ? Aucune des grandes
puissances, je le crois, ne pourra aujourd'hui intervenir à main armée, parce
que l'intérêt de plus d'une et leur situation intérieure s'y opposent ; (page 215) aucune, j'en ai la confiance,
n'essayera ouvertement de renverser notre nouveau régime ; mais laquelle de ces
puissances nous voudra du bien ? laquelle, dans les circonstances douteuses ou
obscures nous sera favorable, favorisera notre commerce, en un mot, sympathisera
avec la nouvelle Belgique ? Je n'en vois qu'une,
Adopter la république, messieurs,
c'est repousser cet allié naturel, c'est repousser le seul allié avec lequel
nous puissions espérer aujourd'hui de contracter de véritables liens d'amitié.
Le cabinet français n’a plus aujourd'hui qu'un seul danger à redouter, c'est le
parti républicain ou démagogique. Longtemps encore probablement, c'est là le
seul ennemi qui lui donnera de l'ombrage. Établir la république chez nous,
c'est donner à ce parti un appui moral immense. C'est sur la république belge
qu'il s'appuierait pour combattre le système monarchique de
Messieurs, si nous voulons nous
ménager l'appui et la sympathie du gouvernement français, appuyons-le
nous-mêmes et ne l'effrayons pas ; faisons ce que
Messieurs, pour établir la république chez nous, il faudrait
espérer de pouvoir l'introduire incessamment en France. Je sais qu'il y a
peut-être chez nous un petit nombre d'esprits assez hardis pour ne pas reculer
devant cette tâche ; peut-être même regarderaient-ils comme une grande gloire
pour eux ou pour nous de pouvoir l'accomplir.
Pour moi, je l'avoue, je ne pousse pas jusque-là nos
prétentions nationales.
Quand j'aperçois en France, d'un côté, pour la république,
quelques hommes inconnus, et que je vois de l'autre les hommes les plus
distingués de toutes les générations, les gardes nationales, et le républicain
Lafayette lui-même, déclarant la république impossible dans
Messieurs, si, à la suite de l'anarchie, le despotisme
renaissait en France, si la liberté venait à y succomber, que deviendrait-elle
hors de
Je vote pour la monarchie représentative, persuadé qu'elle
peut nous donner une liberté aussi complète et aussi vraie que la république,
et qu'aujourd'hui ou dans l'avenir la république nous exposerait aux deux
plus grandes chances de despotisme qu'on ait à redouter désormais. :
l'anarchie et la domination étrangère. (U. B., 23 nov.)
M. l’abbé Dehaerne –
Messieurs, toute souveraineté doit être subordonnée à la justice, autrement il
y a despotisme. La volonté d'un seul fait-elle la loi ? c'est la monarchie
absolue, La volonté du peuple ou des masses est-elle imposée à quelque
fraction de la société, à un seul homme même ? c'est l'absolutisme populaire.
Quelle que soit la forme du gouvernement, il faut que la justice (page 216) lui serve de
base ; sans cela il n'y a que tyrannie. Dans l'état actuel de la société, le
gouvernement ne saurait être fondé sur le droit divin, et, par conséquent, il
ne peut connaître le juste. Faut-il donc que la société périsse abandonnée à
elle-même, sans soutien et sans guide ? Non, messieurs, il faut que du sein du
peuple s'élève un pouvoir qui soit dans les vœux de tous, un pouvoir conservateur
de la liberté individuelle la plus étendue et des droits de chacun. Les
violateurs de la liberté qui éprouveront les rigueurs de ce pouvoir,
l'appelleront despotique ; mais n'importe, ce pouvoir, quoique aveugle, fera ce
qu'il devra faire, sans donner d'autre raison de ses actes que la volonté
générale fondée sur le besoin de conservation, sur l'horreur de l'anarchie. Ce
pouvoir sera comme le glaive dont se servira la société pour retrancher de son
corps les membres gangrenés. Voilà l'état des choses qui continuera, jusqu'à
ce que les lois divines puissent reprendre leur empire sur les peuples et
prendre racine dans leurs institutions.
Or, messieurs, quelle est la forme
de gouvernement qui convient le mieux à cet état de la société ? est-ce la
monarchie ? est-ce la république ? ou bien est-ce un état qui tient le milieu
entre ces deux extrêmes, un état fondé sur deux principes hétérogènes ?
Évidemment ce n'est pas la
monarchie pure, car la monarchie pure est devenue aujourd'hui impossible.
Il ne s'agit donc plus que d'opter
entre la république et la monarchie constitutionnelle représentative. Et pour
se prononcer sur la préférence à donner à l'une ou l'autre de ces deux formes
de gouvernement, on n'a qu'à examiner, d'après le principe que j'ai eu l'honneur
de vous exposer, laquelle des deux peut le mieux assurer la liberté
individuelle, dont tous les partis sentent le besoin, dont tous les hommes ont
soif.
Je vous ferai remarquer d'abord,
messieurs, que la monarchie constitutionnelle est basée sur le principe
populaire et que les prérogatives royales qu'elle consacre ne sont et ne
peuvent être que des fictions politiques. Car l'exercice du pouvoir appartenant
au peuple, celui-ci est maître dé retirer des mains du roi la portion de
pouvoir qu'il lui a confiée. De là résulte nécessairement une méfiance
réciproque : le roi veut des garanties, le peuple prend ces garanties pour des
moyens d'usurpation et pour une usurpation même. Dans la république, je
l'avoue, le même inconvénient peut se présenter, mais il ne se présente pas
nécessairement, parce qu'il ne résulte pas de la force des choses ou de la
nature de la loi fondamentale.
Je m'explique, messieurs : sous une constitution, le roi
est inviolable, mais le peuple sans doute n'est pas moins inviolable ; et
lorsque ces deux inviolabilités sont en présence, à laquelle est-ce à céder ?
Des faits récents sont là qui parlent assez haut.
Un honorable membre, qui m'a précédé à cette tribune, vous a
tracé un tableau assez défavorable de la république. Il a parcouru toutes les
républiques de l'ancien et du nouveau monde, pour discréditer le système
démocratique. Je suis loin, messieurs, de me faire l'apologiste des excès et
des mouvements populaires ; je sais que la perfection ici-bas n'est pas
l'apanage des hommes, pas plus que des peuples ; il me serait facile cependant
de vous faire un tableau tout aussi sombre des excès de la monarchie ; et
encore, messieurs, s'ensuit-il que tout cela est applicable aux Belges ? Ne
pourrait-on pas dire, avec un rédacteur d'un des journaux les plus influents du
pays, le Journal des Flandres, dans un article en faveur de la
république, que s'il y a un défaut à reprocher aux Belges, c'est leur trop
d'apathie ? Mais, messieurs, il ne s'agit pas de balancer les avantages et les
désavantages des deux systèmes de gouvernement; il s'agit de savoir si nous
pouvons nous tenir à une monarchie constitutionnelle représentative, qui n'est
qu'une république déguisée, puisqu'elle est basée sur la souveraineté du peuple.
Il s'agit, messieurs, de savoir si, en se voyant sur la pente qui nous conduira
vers la démocratie pure, il vaut mieux y descendre à présent, ou s'y laisser
précipiter plus tard ; s'il faut, tandis que nous eu avons la faculté, nous
constituer paisiblement en république, ou bien nous exposer à une seconde
secousse qui nous y entraînera violemment : voilà la question, messieurs, et je
crois qu'il suffit de l'exposer, pour la décider.
Un autre orateur a trouvé dans le gouvernement représentatif
un état stable et non un état de passage ; je crois, messieurs, qu'il n'a pas
assez bien considéré la nature des états constitutionnels qui sont basés sur
la souveraineté du peuple.
Un roi inviolable est un souverain en présence du peuple
souverain. Je pense, messieurs, quelque précaution qu'on prenne pour empêcher
le choc de ces deux souverains, quelques garanties de tranquillité qu'on
réclame, que toujours le peuple (page
217) doit finir par se placer au-dessus
du roi, parce que le principe de la liberté individuelle a pris racine dans la
société, qu'il tend à se développer, et qu'il est impossible qu'il ne se
développe pas, à moins qu'il n'y ait un principe contraire et un principe vrai
qui puisse neutraliser et détruire le premier principe. Or, c'est ce qui
n'existe pas. On n'a que le despotisme à opposer à la liberté individuelle.
Mais toute la question, messieurs,
ne réside pas dans le chef de l'État. La grande différence qui existe entre la
monarchie constitutionnelle et la république, c'est que les institutions
diffèrent ; et si quelques partisans de l'état constitutionnel pensent pouvoir
obtenir les institutions républicaines et sauver la république au moyen d'un
roi nominal, ils se trompent gravement, à mon avis ; c'est de l'aristocratie
qu'on veut, c'est une espèce d'amalgame d'institutions despotiques et populaires
; c'est un gouvernement bâtard en un mot. C'est contre ce régime monstrueux que
je m'élève, et, comme je pense qu'il sera impossible de le faire entièrement
disparaître, aussi longtemps qu'on n'entre pas franchement dans la forme républicaine,
je vote pour la république.
Il faut l'avouer, messieurs, il y
a une tendance générale en Europe vers l'état républicain. C'est un torrent qui
entraînera tous les peuples, et qui sera d'autant plus impétueux, irrésistible,
que les digues qu'on y oppose paraîtront plus fortes. Car il y a du vrai dans
cet entraînement général; et qu'y oppose-t-on ? des principes ? des vérités ?
Non, rien que la force. Il faut donc, comme il arrive toujours, que la force
morale brise la force brute et que la liberté individuelle triomphe, en attendant
que la vraie liberté vienne assurer la paix du monde. Dans cet état de choses,
messieurs, ne vaut-il pas mieux s'emparer du mouvement pour le diriger, que de
s'y opposer par de vains efforts ?
On dit que la forme républicaine
n'est pas dans les vœux de la généralité des Belges, et qu'un gouvernement,
pour être fort et stable, doit se baser sur la majorité. Il est vrai, messieurs,
qu'on a peur de la république ; parce qu'on n'y voit que le régime de 93. Mais
cette peur n'est pas si généralement partagée qu'on se l'imagine. Qu'on
s'explique sur la république qu'on veut établir, qu'on fasse entendre que la
république n'est pas incompatible avec la tranquillité de l'État, qu'on cite
des exemples, et l'on verra que les partisans de la république sont plus
nombreux qu'on ne voudrait nous le faire entendre. En voulez-vous la preuve,
messieurs ? Les électeurs du district de Roulers m'ont fait l'honneur de
m'élire pour leur député, à une grande majorité, quoique, dans une profession
de foi politique insérée dans les journaux, je me fusse déclaré pour la
république. Je ne m'étendrai pas davantage sur des preuves de cette nature dont
je pourrais déduire des conséquences bien favorables à mon opinion ; je
reviens à ce que j'ai dit plus haut, que le gouvernement doit s'appuyer d'abord
sur la force des principes, et que la majorité qui n'a pas pour elle cette
force logique, cette opinion, qui est la reine du monde, doit être entraînée
par les minorités.
On nous représente la république française comme le type de
tout état démocratique ; mais la république française, messieurs, n'était
qu'une république de nom ; c'était le plus affreux despotisme, le despotisme
populaire. Et quelles sont les causes qui ont amené cette anarchie qu'on décorait
du beau nom de liberté ? Je pourrais vous en citer plusieurs, mais la
principale cause fut indubitablement le despotisme gallican décrété par Louis
XIV, despotisme dont on a prévu et prédit les conséquences, dès son origine.
C'est ce système qui a rendu la religion solidaire de tous les actes
arbitraires exercés par ce monarque et ses successeurs, parce que le clergé,
ainsi que la noblesse de France, avaient trempé dans ce système tyrannique.
Voilà, messieurs, la cause première de cette terrible révolution qui a bouleversé
On craint qu'en nous érigeant en république, nous ne donnions
à
Et qu'on ne pense pas que la république serait plus dans les
intérêts des libéraux que des catholiques. Représentant d'une nation
entièrement catholique, c'est pour elle que je demande la république ; sous ce
régime, les catholiques n'auront plus à craindre ni protection ni privilèges ;
ils se soutiendront de leurs propres forces, ils vivront de leur propre vie ;
la religion se séparera entièrement de l'État. Au contraire, comme la forme
mixte qu'on nous prépare tient en apparence à l'ancien système politique de
l'Europe, sous lequel la religion catholique était la première loi, la loi
fondamentale de l'État, le pouvoir sera incliné à protéger les catholiques
d'une manière spéciale, en se réservant toutefois le droit de revenir plus tard
sur ce qu'il aura fait ; et ceci paraîtra d'autant plus naturel, que les
catholiques forment la totalité de la population. C'est ainsi que la religion
se placera imperceptiblement sous la tutelle d'un pouvoir essentiellement catholique
et perdra par là beaucoup de sa considération et de son influence. De plus, il
se formera contre nous un parti qui sera composé de tous les libéraux
anticatholiques et autres, sincères et de mauvaise foi, qui se récrieront
contre la violation de la constitution qui consacre la liberté des opinions
religieuses. Ce parti sera plus fort qu'on ne le pense peut-être ; il
s'appuiera sur l'opinion de
Ce n'est pas seulement en faveur des catholiques que
j'invoque la république, mais aussi en faveur des libéraux non catholiques. Si
la république est toute dans nos intérêts, elle ne l'est pas moins dans ceux de
tous les autres partis, Ce n'est donc pas par esprit d'intolérance que j'ai
énuméré les avantages que les catholiques trouveraient dans la république,
mais par esprit de liberté. Oui, messieurs, nous savons que, dans l'état actuel
de la société, nous ne pouvons réclamer aucune liberté, sans accorder aux
autres les libertés qu'ils demandent. Tous les partis doivent se jurer
assistance mutuelle pour la défense de leurs droits, s'ils ne veulent être
sacrifiés l'un après l'autre aux exigences du pouvoir. Notre force ne réside
pas dans ces chartes ou constitutions qu'on interprète, qu'on modifie et qu'on
tourne comme on veut, mais dans la ferme résolution de nous prêter une assistance
réciproque, dans l'union enfin.
Il faut que tous les partis se soutiennent mutuellement et
forcent le pouvoir à n'être que l'expression des besoins de tous. Je crois,
messieurs, que pour obtenir cet heureux résultat, il faut que les hommes qui
sont au pouvoir soient amovibles ; car alors ils ne trouveront d'autre espoir
de conservation, d'autre aliment à leur ambition que la ferme et sincère
volonté de travailler dans l'intérêt de tous, de réunir toutes les opinions,
tous les partis sous l'égide de la loi. Si ce résultat, messieurs, peut s'obtenir sous une autre forme de gouvernement que sous la forme
démocratique, il n'est, à mon avis, sous aucune forme plus certain que sous
cette dernière. (U. B., 23 nov.)
M. de Roo -
En vrai député, messieurs, ne convoitant que
le bien général et n'aspirant qu'à voir la nation au terme de ses vœux, je
n'entreprendrai de traiter la grave question qui est à l'ordre du jour, que
relativement aux points distincts qu'elle renferme, les plus accrédités par la
majorité des représentants, pour ne pas se perdre dans un dédale de discussions
vagues et abstraites, qui n'ont pour but que la perte d'un temps précieux
qu'il importe de mettre à profit, en faisant succéder incontinent à un état
critique et chancelant, un état stable, consolidé sur des bases solides.
C'est là remplir le mandat qui
nous est imposé, c'est là le vœu du peuple, qui avec impatience désire voir
disparaître cet état provisoire et absolu, ennemi du commerce et de
l'industrie.
Ces divisions se réduisent donc à
ceci : Adopterons-nous une république ? une monarchie ? un état fédératif avec
un chef ? Ce chef sera-t-il héréditaire ? Quel titre portera-t-il ?
J'hésite, messieurs, en voulant
entreprendre la discussion de ces grands points, qui divisent notre assemblée
nationale ; cependant il est de mon devoir, comme député, d'émettre mon
opinion, heureux si je puis en trouver des partisans !
On vante la république comme l'état
le plus florissant, le plus propre à la propagation des lumières, à la
liberté générale, le plus convenable à un pays resserré tel que le nôtre, le
sanctuaire, comme dit un célèbre auteur (Montesquieu), de l'homme, de la
réputation, de la vertu.
Tout ceci, messieurs, peut être
vrai jusqu'à un certain point. Mais convient-il dans l'état actuel des choses,
dans l'orage qui gronde autour de nous, de construire un vaisseau plus fragile
encore que celui où nous sommes embarqués. La chose est d'une trop grande
importance pour y passer légèrement.
Certes, c'est un grand plan à
mettre au jour, difficile et insurmontable dans sa combinaison, instable et
révolutionnaire dans son exécution.
Heureusement les tristes exemples
des républiques récentes ont déjoué ces utopies, fruit d'une imagination
exaltée ; la mémoire de l'homme actuel est encore trop chargée des horreurs
qu'elles ont enfantées, pour revenir de sitôt à cet état de désordre.
La liberté sans frein dégénère en
licence, enfante la perfidie, l'immoralité, la violation des propriétés, la destruction de l'ordre social, la guerre
civile, l'anarchie, le danger dans la sûreté personnelle, le cachot, la
proscription, la mort même. Tels en sont les tristes résultats.
Les mots si vulgaires de liberté, fraternité, sont plutôt des
enseignes de terreur que de sûreté, et changent bientôt en fratricide,
liberticide.
L'on dira peut-être que ces temps-là ne sont pas à comparer
au temps actuel ; nous n'avons encore rien vu de cela ; d'ailleurs
Malheureusement tous les hommes, je dis le peuple,
s'inclinent trop facilement vers ces licences, surtout lorsqu'ils ont été
comprimés par le pouvoir le plus absolu. La classe inférieure, naturellement
jalouse de l'aisance de la classe laborieuse, voudrait lui ravir par la force
ce que tant d'années de peines et de sueurs lui ont coûté. Foulant aux
pieds tout pouvoir d'ordre, méconnaissant toutes les lois répressives, le
peuple n'interprète le mot d'égalité qu'à sa guise en s'y faisant un prétexte
et un droit acquis par la liberté.
Quant à notre situation topographique, messieurs, ne
comparez point l'Amérique isolée et barbare, située dans un pays qu'elle
domine, ni
Nous ne sommes pas assez aveugles, je pense, pour croire à
l'impossibilité de l'intervention des puissances étrangères, lorsque, par la
forme républicaine du gouvernement qu'on établirait au milieu de leurs propres
États, on y exposerait ceux-ci à partager les désordres que pourrait susciter
la république voisine.
Non, Belges, ne
donnez pas ombrage aux gouvernements (page 220) qui vous entourent, n'attirez
pas sur vous des guerres probables; tenez-vous sans faste dans les bornes d'une
forme sage de gouvernement, pourvu qu'il n'y ait rien de déshonorant et qu'on
vous laisse la latitude de vous procurer tous les éléments nécessaires pour
établir votre ordre social, en reconnaissant à ce prix votre indépendance et
votre liberté.
C'est donc dans la monarchie
représentative, républicaine si vous voulez, qu'il faut chercher une sauvegarde
pour la patrie, l'ordre, le repos, et la confiance pour l'avenir, et trouver
dans une constitution sage des garanties contre l'usurpation du pouvoir,
contre l'instabilité de l'ordre social, contre tout ce qui serait attentatoire
à la liberté et à l'indépendance du pays. Les garanties que réclame notre
époque sont les élections directes et populaires, la responsabilité des gens
du pouvoir, l'organisation du jury, de l'ordre judiciaire, des gardes
civiques; la liberté de l'instruction publique et de la presse ; avec de
telles garanties vous empêcherez le despotisme, le pouvoir aristocratique et
oligarchique, pis encore, et vous n'aurez que la volonté de la nation tout
entière.
Elle devrait également établir,
cette constitution, le système municipal et provincial, conforme tant soit
peu à nos anciennes institutions administratives pour tout ce qui concerne leur
intérêt matériel, en les dégageant de la féodalité et de ce chaos de coutumes
particulières, afin d'éviter de tomber dans ce labyrinthe inextricable des lois
du XVIe siècle.
Les lois devraient partout
recevoir la même forme et application, et n'émaner que d'un pouvoir supérieur
chargé des intérêts généraux du royaume, avec un chef ayant pour attribut le
pouvoir exécutif avec la direction de la force publique.
C'est bien là l'état fédératif
sous la forme monarchique.
Ce temps où
C'est une liberté réglée que nous
voulons établir.
Dans un pays fertile et commerçant, tous les gouvernements sont bons, dit un célèbre
auteur (Montesquieu), lorsqu'ils sont tranquilles ; or dans l'état actuel des
choses et dans la lutte où nous nous trouvons engagés, le parti le plus sage à prendre est d'adopter le gouvernement monarchique
constitutionnel, comme l'état le plus tranquille, le plus approprié aux
besoins de l'État, puisqu'en adoptant ce système nous trouvons des garanties
intérieures et extérieures, nous évitons une guerre suggérée par le besoin,
nous rendons au commerce la confiance, aux manufactures leur travail, à la
navigation son assurance et à l'agriculture son cours ordinaire.
Si donc plus tard la
force des choses nous fait adopter une république représentative, il est temps
alors de suivre, s'il nous convient, le torrent commun; mais dès à présent il
serait imprudent de s'y précipiter.
Quant au chef de l'État,
donnons-lui le pouvoir nécessaire pour diriger le gouvernail sans que le
vaisseau en puisse souffrir ; enfin donnons-lui un pouvoir de président avec le
titre de grand-duc héréditaire de
Héréditaire, pour éviter une corruption générale lorsque la souveraineté
deviendrait vacante, et brider l'ambition des grands, qui chaque fois
brigueraient la dignité, et enfin parce que l'hérédité nous offre un
attachement bien plus grand au chef de l'État.
Grand-duc, parce que c'est un titre plus en conformité de la grandeur du
territoire de sa domination ; parce que ce titre est susceptible de beaucoup
plus d'économie envers l'État ; parce que ce titre est plus conforme à nos
anciennes institutions ; parce que ce titre exciterait moins la jalousie des
princes étrangers et serait plus en rapport avec les familles distinguées du
pays.
Dans ce sens je voterai
pour la monarchie représentative. (U.
B., suppl., 25 nov.)
M. Constantin Rodenbach – La question que j'ai eu l'honneur de soumettre au congrès me paraît suffisamment
éclaircie ; considérant d'ailleurs que nos moments sont précieux et que la
nation attend avec anxiété le résultat de nos opérations, je crois devoir
renoncer à la parole. (Quelques voix : Bien! bien! la
clôture! la clôture!) (.J. F., 22 nov.)
M. de Robaulx
– J'espère que vous n'allez (page 221) pas
étrangler la discussion d'une question aussi importante. (J. F.. 22 nov.)
Plusieurs membres – Certes, non
!
D’autres - La
clôture ! (J. F., 22 nov.)
M. le président agite sa
sonnette; le silence se rétablit – Messieurs, la question qui nous occupe ne
se reproduira probablement plus de notre génération ; ainsi donnons tout le
temps de la développer, ne soyons pas pressés. (J. F., 22 nov.)
Plusieurs membres – Bien !
Appuyé ! (J. F., 22 nov.)
M. Alexandre Rodenbach – Que l'on
donne surtout le temps de parler à ceux qui se prononcent pour
le régime républicain. (Oui! oui!) (J. F., 22 nov.)
M. Wannaar
– Messieurs, il serait fastidieux de discourir sur toutes les diverses
formes de gouvernement, après les exposés que vous venez d'entendre à cette
tribune, et quand la nation attend avec une juste impatience les garanties de
sa prospérité et de son repos. Le provisoire, état précaire, s'il se
prolongeait, serait une calamité publique ; mon honorable collègue M. Raikem
l'a dit et redit ; on ne peut trop le répéter ; mais agissons en conséquence !
le port est devant nous: assurons au plus tôt le salut du navire de
l'État! – En montant à cette tribune, je n'ai pas l'ambition de vous
donner de nouvelles lumières, je veux seulement émettre les motifs de mon vote
dans cette grave et solennelle décision; je le dois à la nation, je le dois à
moi-même.
Quand on a discuté quelle forme de gouvernement serait
préférable, soit la monarchie, voire même la monarchie
constitutionnelle, soit la république, je n'ai vu dans ces
expressions que des mots vides de sens : il s'agit aujourd'hui, et toute autre
marche me paraît vicieuse, il s'agit de décider, oui ou non, si
le chef de l'État doit être héréditaire.
Car que le chef soit déclaré héréditaire, toute la forme du
gouvernement ne sera pas fixée ; qu'on dise même qu'il y aura constitution,
qu'il y aura représentation, j'y consens ; mais cette simple déclaration d'un
premier principe ne donne que l'espoir de nos garanties ; en effet, toutes nos
libertés résident principalement, ou plutôt uniquement, dans les institutions
que nous devons bientôt sanctionner à côté de l'hérédité : celle-ci ne tranche
qu'une seule difficulté !
Messieurs, j'adopte avec bon augure cette hérédité. J'ai
longtemps douté si l'intérêt public n'est pas incompatible avec cette hérédité
: des esprits sages y ont souvent vu de grands inconvénients : mais d'un autre
côté, l'élection d'un chef temporaire occasionne des secousses
intérieures, excite les passions, les rivalités, les prétentions outrées, les
ambitions ; elle met, à chaque nouveau choix, de nouvelles créatures sur la
scène : la pâture des emplois appartient à de nouvelles familles ; les deniers
publics servent ou peuvent servir à enrichir un nouveau venu, lui et les siens.
Voilà la difficulté à nu, car vous avouerez, messieurs, que c'est l'argument
le plus concluant et (page 222)
peut-être le seul contre l'élection temporaire ; on évite la plupart de ces
malheurs au moyen de l'hérédité ; mais celle-ci porte des fruits bien amers (et
le sol ensanglanté de
Empêcher l'abus du pouvoir confié au chef, constitue notre
premier devoir.
C'est l'idée culminante, si je puis m'exprimer ainsi, qui
doit nous guider dans la sanction de notre pacte social.
Il en résulte à l'évidence que les droits du chef doivent
nécessairement être restreints ; mais on objecte : Vous compromettez sa dignité ! – Elle reste
intacte par cette inviolabilité qu'on lui concède uniquement pour le repos
public : car, un roi, ou prince, qui se trouve au premier échelon du pouvoir
exécutif, néanmoins véritablement comprimé dans des langes étroits, n'est, en
qualité de personne publique, que le premier parmi ses égaux ; à peine il lui
reste quelque force d'action supérieure à celle des autres, la conservation du
peuple, la paix intérieure de la société en sont la cause ; elles en font une
nécessité.
Mais jusqu'où peuvent s'étendre les barrières de son pouvoir
? Pas plus loin que nos intérêts, et non les siens, ne l'exigent : le droit de
guerre peut lui appartenir ; l'urgence, le besoin du moment nous en imposent la
loi; mais le droit illimité des traités de commerce, et autres, lui
sont-ils dus ? Je n'en vois pas la nécessité ; j'y trouve au contraire un
danger ! - A-t-il le veto absolu? a-t-il besoin de l'appui d'un corps de
pairs ou sénateurs, dont le choix lui serait exclusivement abandonné ? Non,
mille fois non ! que le refus des subsides pour tout motif soit permis, mais
que ce principe de justice et de garantie soit sanctionné ; car on a nié ce
principe : on ose tout ; on nie l'évidence.
Messieurs, voilà comment j'entends l'hérédité conditionnelle,
indépendamment de toutes les autres garanties, telles que la
responsabilité ministérielle, avec une sanction pénale, avec la liberté de la
presse, le jury même appliqué à la presse, la liberté individuelle, celle des
cultes, de l'instruction, des associations ; la magistrature inamovible ; les
élections directes pour la législature, les administrations municipales et
provinciales ; alors nous aurons les formes républicaines compatibles avec
l'hérédité du chef ; tous l'ont dit à cette tribune; ce sera la monarchie
républicaine, le mot est juste ; c'est la pensée de toute la vie de
Lafayette ; alors la liberté bien entendue de la nation sera une vérité
pratique; le bonheur des citoyens ne sera pas une chimère ; ceux-ci ne seront
plus l'objet du trafic, d'une véritable spéculation mercantile des ministres,
qui prétendent agir dans l'intérêt du chef de l'État et du peuple, quand ils
pressurent les subministrés à leur seul profit : la chose publique ne sera plus
une continuelle déception ! Alors, et l'honorable député M. Charles de
Brouckere ne l'a que trop bien prouvé, alors il sera en notre pouvoir de donner
une vie réelle et non factice au commerce de toute notre patrie, et à
l'industrie de nos principales villes, et en particulier de la ville de Gand
qui m'a honoré de ses suffrages.
Alors le chef de l'Etat, pour notre bonheur, et pour la conservation
de sa propre dignité et de sa position sociale, ne saura se placer en dehors de
nos volontés : son influence ne viendra plus heurter nos besoins, parce que
ceux-ci seront identifiés avec cette même conservation, à cause de
l'impossibilité de faire le mal, autant que la prévoyance humaine sait
l'empêcher ou le prévenir ; alors un chef, quoique héréditaire, et malgré les
intrigues des flatteurs, qui sont toujours ses ennemis (et malheureusement il
y en aura toujours, des flatteurs), alors un tel chef osera-t-il encore nous
nommer par ironie, par une cruelle hypocrisie, ses concitoyens ? Quand
nous, ses concitoyens, nous lui demandions bien humblement, et presque comme
une grâce, redressement des injustices par trop odieuses, des infractions
patentes aux lois, que nous avions patiemment endurées pendant trois lustres,
il n'a pas eu honte de nous repousser comme de vils parias, et de nous crier: Vous
êtes des infâmes! Eh bien! nous infâmes, nous l'avons nous-même repoussé
comme parjure. Mais aujourd'hui nous sommes assez vengés, car nous sommes
libres ! Ami du repos et de l'indépendance de la patrie, je vote pour un chef
héréditaire. (J. F., suppl., 22 nov.)
M. Pettens démontre
que la république est sans stabilité ; c'est sous le gouvernement monarchique
de la maison de Bourgogne que le pays a joui de la plus grande prospérité. La
mémoire de Marie-Thérèse est encore vivante parmi nous. (Les bancs se dégarnissent,. on entend à peine l'orateur.) Consacrons
l'ancienne forme de notre régime national qui tenait aussi le milieu entre la
monarchie et la république. (C., 22 nov.)
M. Helias d’Huddegem
– Messieurs, la question importante qui vous occupe, et que je me proposais
de développer, a été si lumineusement traitée par plusieurs des honorables
orateurs qui ont pris la parole dans cette enceinte, que je craindrais
d'abuser de vos moments précieux, si je ne (page 223) me bornais à vous soumettre cette
seule considération : le mot de république ou de
monarchie constitutionnelle représentative, de présidence temporaire ou de
présidence héréditaire, pourrait-il diviser les amis de la liberté, de
l'indépendance et de la prospérité de la patrie ? Je ne le crois pas ; sous la
monarchie, telle que je la désire, la responsabilité ministérielle étant
clairement déterminée par la loi, afin que cette
responsabilité ne soit plus
dorénavant un vain nom, quelle
liberté et quelles garanties de la liberté nous manqueront ?... Aucune,
messieurs ; l'exercice de la religion, la presse, l'enseignement, l'industrie,
les associations seront libres ; et pour maintenir la jouissance paisible et
stable de cette liberté, pour la réaliser an milieu de l'ordre et de la sécurité
publique, nous aurons des représentants directement élus par le peuple, qui
partageront le pouvoir législatif. Nous aurons une magistrature inamovible et
entièrement indépendante du pouvoir
exécutif, avec l'institution du jury. Le
système de
l'administration communale et provinciale recevra tout le développement qu'il
comporte. Je me déclare donc, messieurs, dans l'intérêt même et pour la
conservation de notre liberté, pour un chef héréditaire. (U. B., 22 nov.)
M. Alexandre Rodenbach – Je voterai en faveur d'une monarchie constitutionnelle, parce que,
sous un pareil gouvernement, le peuple marche avec sécurité entre deux
précipices : l'abus du pouvoir et l'excès de la liberté. (J. F., 22 nov.)
M. Thienpont – Messieurs, je ne me permettrai
point, pour motiver mon vote, dans la présente discussion, de vous énumérer et
dépeindre les diverses formes de gouvernement avec tous leurs avantages et
inconvénients ; plusieurs des honorables préopinants ont déjà rempli cette tâche avec trop de talent et de lucidité pour laisser rien à désirer il
cet égard. Je me bornerai donc à émettre les motifs de mon opinion le plus
brièvement possible. Je réclame votre indulgence.
Appelé par les honorables
suffrages de mes concitoyens à concourir avec vous, messieurs, au
grand œuvre de la régénération politique de notre patrie, je suis intimement
convaincu que nous tendons tous au même but ; nous avons tous uniquement en vue
son indépendance et sa prospérité ; le bonheur du peuple belge, fondé sur les
bases inébranlables d'une sage liberté. Eh bien! messieurs, je pense que pour
assurer cette stabilité à notre indépendance, que nous voulons tous, nous
devons lui donner pour appui un chef
héréditaire. Le gouvernement républicain, quels
qu'en soient les principes et les éléments, ne convient point à notre état. La
situation topographique et, si j'ose le dire, ses richesses, n'admettent point
cette forme de gouvernement. Vouloir fonder une république au milieu des
peuples puissants qui nous environnent, et peut-être déjà nous convoitent,
c'est s'exposer visiblement, à mon opinion, à devenir bientôt leur proie, Pour
nous en convaincre, nous n'avons qu'à jeter les yeux sur le passé, et nous
rappeler le sort de toutes les nations de l'Europe, qui, pour consolider leur
indépendance, ont choisi cette forme de gouvernement ; toutes ont fini, à
l'exception de
Une monarchie, dans laquelle les pouvoirs du chef seraient
tellement restreints que, sous la forme monarchique, nous jouirions de toute la
somme de liberté dont jamais aucun peuple ait joui, et qu'il soit possible de
concevoir dans les gouvernements les plus libéraux, sous quelque dénomination
qu'ils soient connus ; en un mot, une monarchie constitutionnelle
représentative et héréditaire, modifiée comme ci-dessus, me paraît seule nous
présenter une garantie de cette stabilité, tant à l'égard de nous-mêmes, qu'à
l'égard des puissances étrangères. (U. B., 23 nov.)
M. le chevalier de Theux de
Meylandt – Messieurs, l'expérience que nous avons faite de la
monarchie constitutionnelle, depuis 1815, pourrait faire croire que cette forme
de gouvernement n'offre pas de garanties suffisantes pour le maintien des
libertés publiques ; mais chacun sait que tous nos maux ont découlé de ce que
les puissances nous avaient imposé un roi qui ne pouvait nous convenir sous
aucun rapport ; de ce qu'elles nous avaient réunis à
De là le despotisme qui faillit asservir notre patrie et la
courber sous un joug insupportable ; mais, si, dans des circonstances aussi
difficiles, des députés généreux, soutenus par l'opinion et par les pétitions
de leurs concitoyens, sont parvenus à arrêter et même à faire rétrograder sur
plusieurs griefs le gouvernement le plus astucieux et le plus tenace, comment
pourrions-nous redouter pour l'avenir des empiétements de la part (page 224) d'une
dynastie qui sera de notre choix, qui ne sera appelée à la souveraineté que
lorsque nous aurons établi une constitution éminemment libérale, et lorsque
nous aurons complété toutes les lois organiques de cette constitution?
Mais surtout comment pourrions-nous redouter ces empiétements, aujourd'hui que
nous sommes absolument indépendants et dégagés de toute influence étrangère ?
N'est-il pas constant que le caractère distinctif de notre nation est l'amour
de la liberté, que lui seul a suffi pour conserver les anciennes libertés
publiques, même sous les princes étrangers les plus puissants ? Le caractère
d'indépendance est tellement universel, que je ne puis pas concevoir qu'un
souverain trouve jamais dans ce pays assez de partisans pour essayer de
renverser les institutions que vous aurez établies.
Or, messieurs, dès que nous n'avons rien à craindre pour nos
libertés, tout doit nous engager à adopter un gouvernement monarchique
représentatif.
Cette forme de gouvernement rassurera davantage nos
concitoyens contre la crainte de l'anarchie ; elle nous mettra à même
d'établir plus promptement et plus sûrement des relations avantageuses avec
nos voisins ; je dirai même que c'est le seul gouvernement propre à rétablir la
confiance intérieure et extérieure, et à consolider notre indépendance.
La monarchie héréditaire, qui est appropriée à nos habitudes
et à celles de nos voisins, porte encore avec elle un caractère de stabilité ;
tandis que l'élection périodique du chef de la république peut facilement
amener des secousses, surtout dans des temps difficiles
L'éligibilité périodique du chef est le caractère tout
particulier de la république, en comparaison avec une monarchie libérale
héréditaire; mais si l'espoir d'élire toujours des chefs qui réunissent les
qualités personnelles pour un bon gouvernement, est de nature à faire une
grande impression en faveur de la république, nous pouvons aussi nous
promettre les mêmes résultats avec un ministère responsable obligé de signer
ses actes : en effet, un tel ministère qui dirige le pouvoir exécutif ne pourra
jamais se soutenir devant une chambre élective toute belge, s'il ne réunit
à un haut degré et la bonne foi et la capacité des affaires.
Quant à la liste civile, elle ne doit pas être plus haute
pour un chef héréditaire que pour un chef temporaire ; leur dignité étant la
même, leurs dépenses doivent être aussi les mêmes. Toutefois je pense que le
titre de prince souverain de
Les principaux motifs que je viens d'énoncer, messieurs, sont
d'autant plus décisifs pour me prononcer en faveur de la monarchie représentative
héréditaire, que vous êtes tous animés du désir de fonder, dans le nouveau
pacte social, toutes les institutions libérales compatibles avec l'ordre
public, et un centre d'action suffisant pour diriger les affaires de
l'administration générale vers le bien commun de l'État, et que par là notre
belle patrie réunira tout à la fois la liberté des républiques, et la force, et
la stabilité, et le repos des monarchies. (U. B., 25 nov.)
M. Deleeuw annonce
qu'il sera laconique. Il se proposait de traiter la question dans ses rapports
avec les puissances étrangères. M. Devaux l'a traitée sous ce rapport ;
l'orateur se prononce en faveur de la monarchie. (C., 22 nov.)
M. de Muelenaere déclare
aussi renoncer à la parole. (J. F., 22 nov.)
M. de Robaulx – Messieurs,
s'il était toujours vrai que l'opinion professée par le plus grand nombre est
la meilleure, il faut avouer que les républicains seraient bien blâmables de
persister ici dans la leur, puisqu'ils paraissent si peu appuyés, et qu'on ne
leur épargne pas même le dégoût de se voir traiter d'utopistes.
Heureusement, messieurs, nous avons des précédents qui nous
rassurent. Il y a peu de temps que, dans un pays voisin, une majorité de quatre
cents voix traitait d'utopistes une douzaine d'hommes qui avaient le courage
de lui résister, quoique ce fût sans espoir. Eh bien, messieurs, cette minorité
avait raison, c'est aujourd'hui un fait reconnu. Peut-être arrivera-t-il un
jour que les véritables intérêts du peuple belge seront mieux compris et
appréciés, et alors ceux qui désertent nos rangs parce que nous sommes faibles
en nombre auront peut-être honte de nous avoir abandonnés. (U.
B., 22 nov.)
De toutes parts - C'est
inconvenant ! à l'ordre ! à l'ordre ! (J. F., 22 nov.)
M. de Robaulx répète sa
phrase au milieu des interruptions – Et alors la honte… (J. F., 22 nov.)
M. le baron de Stassart s'écrie – La
honte ! monsieur, la honte ! avez-vous bien pesé toute l'inconvenance de cette
expression ? (page 225) La honte !
Il n'y a point de honte à remplir un devoir, à parler d'après sa conscience. Je
demande le rappel de l'orateur à l'ordre. (Appuyé! appuyé!) (J. B., 22
nov.)
M. de Robaulx avec calme –
Messieurs, je respecte vos opinions, veuillez m'entendre, j'ai droit à votre
silence. (U. B., 22 nov.)
M. Nagelmackers , Le mot honte
est inconvenant; je demande le rappel à l'ordre. (U. B., 22
nov.)
M. Van Snick demande la
parole pour un fait personnel, et dit – C'est moi que l'orateur a voulu
désigner en annonçant l'abandon des républicains; je l'étais, mais
convaincu...... (U. B., 22
nov.)
M. de Robaulx – Je ne vous
connais pas ; je n'ai jamais compté sur vous pour mon soutien. (U. B., 22
nov.)
M. le président – Je rappelle
l'orateur à l'ordre, ayant le tort d'attaquer la majorité. (U. B., 22
nov.)
Avant que M. le président eût prononcé ces mots, plusieurs
membres et l'orateur lui-même avaient demandé la parole contre le rappel à l'ordre (U. B.,
22 nov.)
M. de Robaulx a la parole
pour se justifier – Je n'ai pas voulu offenser la majorité de cette assemblée,
j'ai prédit un fait, je n'ai désigné personne. (C., 22 nov.)
M. le président – Il n'y a
jamais de honte à revenir d'une erreur, et ce n'est pas la rougeur au front
qu'on en revient quand on est de bonne foi. Réciproquement nous nous devons de
l'indulgence ; je demande qu'il ne soit pas fait mention de cet
incident au procès-verbal. (U. B., 22 nov.)
- L'assemblée décide qu'il ne sera pas fait mention au
procès-verbal du rappel à l'ordre, et que l'orateur pourra continuer. (C., 22
nov.)
M. de Robaulx continue en
ces termes – Quoi qu'il en soit, nous ne nous comptons pas, et nous nous
présentons sur le terrain forts de notre conscience et d'une intime conviction,
bien persuadés que le sentiment qui nous dirige est digne de votre estime.
Je ne rechercherai pas quelles sont les causes qui ont
produit la révolution belge ; il suffit que le peuple ait conquis et établi son
indépendance, pour qu'à lui seul appartienne le droit de constituer son
gouvernement sur telles bases qu'il croira convenables ; le peuple belge, de
fait et de droit, est maître de ses destinées ; il jouira donc de toute la
liberté qu'il voudra se donner.
Que l'on cesse de présenter l'intervention étrangère comme un
épouvantail, elle est impossible, parce que la tendance de tous les peuples
vers la liberté a rompu la sainte-alliance offensive des rois et a forcé chacun
d'eux à songer à sa propre conservation.
La sympathie des autres nations pour notre cause est telle,
que la moindre manifestation d'intentions équivoques de la part de deux
cabinets voisins a suffi pour les ébranler et rendre leur chute certaine.
C'est en vain qu'un simulacre de congrès s'est formé à
Londres pour s'occuper de nos affaires et appuyer les intrigues de la maison de
Nassau.
C'est en vain que l'on voudrait invoquer contre nous des
traités qui nous ont vendus et livrés en 1814, traités dans lesquels nous ne
sommes pas intervenus ; la raison du siècle et la force des armes ont appris à
l'Europe qu'une nation courageuse a le droit de se dégager d'un joug que des
étrangers lui avaient imposé.
Eh! messieurs, il faut pousser la pusillanimité bien loin
pour croire que les puissances, qui toutes sont sur un volcan, se hasarderont
de jouer leur propre existence pour aller épouser la querelle du roi de
Hollande ! D'ailleurs,
Si d'ailleurs nous consultons les relations diplomatiques
qui nous ont été communiquées, je ne vois plus de doute possible sur la
non-intervention.
Sans doute, messieurs, les représentants du peuple sont bien
pénétrés de l'importance de leur mission ; ils sentent que ce n'est pas à des
opinions formées d'avance sur des traditions ou des préjugés qu'il faut
s'arrêter.
Faisons le sacrifice de notre amour-propre, débarrassons-nous
de toute suggestion, dépouillons-nous de toutes les préventions qui peuvent
fausser notre jugement ; alors, n'écoutant qu'un patriotisme éclairé, examinons
avec calme et sagesse les questions dont la solution peut régler le sort de
notre patrie.
Ces réflexions m'ont été suggérées par l'opinion de quelques
personnes, opinion qui était plutôt un plan arrêté de bonne foi qu'une
conviction raisonnée.
La question telle que l'ont envisagée les orateurs qui m'ont
précédé à cette tribune, celle (page 226)
qui seule a eu les honneurs de la discussion, paraît être tout entière dans
l'alternative de la monarchie constitutionnelle héréditaire ou de la république,
ou plutôt le seul point qui nous divise est l'établissement d'un chef de l'État
héréditaire ou temporaire.
Nous sommes donc tous d'accord qu'il faut donner à
La royauté héréditaire
Nous avons entendu beaucoup d'orateurs parler en faveur de la
monarchie héréditaire ; mais, je l'avoue, je n'ai pu saisir un seul motif qui
me déterminât en sa faveur, parce qu'on s'est moins attaché à en démontrer les
avantages qu'à dénigrer la république;
cette tactique me paraît peu propre à faire d'autres conversions que
celle d'un de nos honorables collègues (Note de bas de page : M. Van Snick) qui, sans
doute, n'était pas un républicain bien décidé.
La monarchie constitutionnelle, nous dit-on, est une
combinaison ingénieuse qui procure tous les avantages de la monarchie et de la
république sans en avoir les inconvénients ; les avantages de la république, en
ce que le régime constitutionnel garantit au peuple une part suffisante dans
l'administration de ses affaires au moyen de ses représentants ; les avantages
de la monarchie, en ce que l'hérédité du chef empêche toutes les ambitions et
évite les commotions que l'élection du chef peut produire.
Ma réponse est qu'un système de transaction entre le
despotisme et la liberté ne peut jamais être de longue durée, parce que ces
deux éléments sont incompatibles, et qu'ils tendent l'un et l'autre à se
détruire mutuellement, et que tôt ou tard un système doit subjuguer l'autre.
La monarchie constitutionnelle est, à mon avis, le plus
mauvais des gouvernements possibles, parce qu'il est un régime de défiance qui
consiste â mettre la royauté constamment en présence avec le peuple, et que ces
deux pouvoirs antipathiques, toujours en état d'hostilité, cherchent à empiéter
l'un sur l'autre; là où il y a rivalité, il y a combat, à moins qu'un pouvoir neutre et modérateur n'existe pour tenir la
balance ; or, ce pouvoir est la pierre philosophale que l'on n'a encore pu trouver.
Là où il y a combat, il doit y avoir triomphe et défaite, et conséquemment
assujettissement de l'un ou l'autre pouvoir.
Ce que je dis, messieurs, est
fondé non-seulement en théorie, mais les événements l'ont justifié.
La royauté constitutionnelle a été
établie en France sous Louis XVI ; cette constitution a été établie lorsque le
peuple venait de faire acte de sa souveraineté ; alors le combat a été inégal :
le peuple avait l'avantage sur la royauté ; c'est le peuple qui a renversé la
monarchie. .
Plus tard une nouvelle monarchie
constitutionnelle a été ce qu'on appelait octroyée par Louis XVIII ; il
l'avait environnée d'une aristocratie nécessaire à l'existence de son trône ;
alors la royauté ainsi appuyée, et avec les moyens qui sont toujours dans les
mains des rois, a repris le dessus, et de fraude en fraude, les deux derniers
rois ont livré un combat à mort aux libertés de
Dans les Pays-Bas, la monarchie
constitutionnelle, dont nous avons fait essai, n'a pas été plus possible.
Les deux pouvoirs rivaux se sont
livrés à une lutte acharnée ; pendant seize ans nous avons été esclaves de la
royauté ; la royauté a poussé l'audace jusqu'à se déclarer absolue (message du
11 décembre) ; un combat a eu lieu de nouveau et le peuple a vaincu la
royauté.
Vous savez, messieurs, combien
nous avons été près de notre perte ; vous le savez, c'est au courage
prodigieux d'une poignée de braves que nous devons notre indépendance ; ces
guerriers citoyens, qui nous ont faits ce que nous sommes ici, quoique la
plupart n'aient point été admis à vous élire, de quel œil verront-ils que nous
nous préparons à leur rendre un monarque héréditaire ?
De quel œil verront-ils que leur
victoire n'aura servi qu'à changer de maître ? Est-ce bien là le but de la
révolution ? Non, messieurs, je ne le puis croire ; la monarchie a essuyé ici
une défaite complète ; c'est le peuple qui est victorieux, il a droit de se
donner un pouvoir populaire.
Une chose à laquelle on pense trop
peu, c'est que ceux qui ont fait la révolution, c'est-à-dire cette jeunesse
nouvelle, ardente, audacieuse même quand il s'agit du bien de la patrie, est
animée d'un désir d'ordre et de réparations ; elle porte le cachet du siècle
qui l'a vue naître : c'est vous dire assez qu'elle n'est pas imbue de ces idées
gothiques (page 227) qui ont
enfanté des droits de naissance et d'aînesse dans ce gouvernement.
Cette jeunesse qui fait partie du peuple qui a combattu,
cette jeunesse qui compose la masse que l'on a calomniée en la traitant d'ignorante
et en la considérant comme ne raisonnant pas, cette jeunesse,
dis-je, est prête à démentir cette opinion erronée ; elle nous crie qu'il est
temps enfin de faire justice de l'hérédité des gouvernants, et de lui donner un
chef qui soit digne d'elle, et qu'elle ne conservera que pour autant que les
talents et la vertu le soutiennent ; voilà où la philosophie du siècle nous a
menés. Prenons garde, messieurs, de prouver que nous sommes demeurés en
arrière, car alors nos décisions ne conviendront pas à ceux qui nous auront
devancés.
Deux orateurs monarchistes, tout en avouant que la forme républicaine
est la meilleure, sont cependant d'avis qu'il serait dangereux de l'établir
actuellement en Belgique. La monarchie constitutionnelle, disent-ils, est
préférable, parce que le passage du despotisme à la liberté ne doit pas, ne
peut se faire d'une manière brusque ; il faut un gouvernement de transition qui
nous prépare à l'adoption du régime républicain.
Eh quoi ! messieurs, est-il bien vrai que le peuple belge
n'ait pas assez de vertu pour être lui-même le gardien de sa liberté ? le
dévouement, le courage et le patriotisme des Belges se sont-ils si peu
manifestés depuis quelque temps, que nos détracteurs puissent feindre de les
ignorer ?
Et d'ailleurs, s'il fallait un apprentissage d'une liberté
mixte, n'en avons-nous pas fait une assez longue épreuve depuis 1814 ? Pourquoi
nous obliger à une seconde révolution, pour chasser le roi de transition ?
C'est là ce que j'appelle une utopie.
Le roi que vous vous donnerez, nous dit-on, aura l'exemple du
passé ; il connaîtra le danger d'attenter à la liberté du peuple.
Je vous l'avoue, messieurs, je n'ai pas grande confiance dans
les leçons données aux rois ; ils sont en général affectés d'un péché originel
qu'aucun baptême, même celui des révolutions, n'efface ; si d'ailleurs nous
avons un honnête homme pour chef, il conservera notre confiance et nous le
confirmerons dans le pouvoir ; mais qu'au moins un despote insolent ne puisse
pas nous dire : Je vous gouverne malgré vous et par mon droit de naissance.
Une considération qui s'oppose à l'érection d'une monarchie
héréditaire en Belgique, considération qui peut-être n'a pas été assez mûrie,
c'est que nous allons essayer de faire de
Je partage avec un député du
Limbourg l'espérance que
Mais, messieurs, supposant que
De la république
Ainsi que nous l'avons déjà dit,
les plus chaleureux champions de la monarchie héréditaire ont été forcés de
reconnaître que la république est en effet le gouvernement qu'ils désirent établir
comme le meilleur ; mais ils veulent que le chef de cette république ne soit
pas temporaire ; c'est là le seul objet sur lequel nous différons d'avis.
(page 228) La république telle que nous l'entendons tous n'est
pas, comme à Rome et à Athènes, celle où la masse du peuple prend une part
directe aux affaires de l'État. Ces républiques mêmes nous ont fourni trop de motifs
contre un pareil système.
Celle que nous demandons donnerait à la nation le pouvoir de
diriger elle-même ses affaires, mais par l'organe de ses représentants ; nous
voudrions que le chef de l'État fût ce qu'il doit être, c'est-à-dire un
mandataire chargé du pouvoir exécutif pour un terme à déterminer ; ce chef,
nommé conformément au mode qui serait tracé dans la constitution, serait choisi
parmi ceux que les vertus, les services et les talents distingueraient.
La nomination d'un pareil chef aurait l'avantage de n'être
aucunement dispendieuse, de n'avoir dans l'État aucun pouvoir en dehors des intérêts
de la nation.
Le chef ainsi nommé serait jaloux de se rendre digne de la
confiance qu'on aurait placée en lui, et par suite il en serait d'autant mieux
obéi.
Tandis qu'un chef héréditaire s'habitue à considérer le
peuple comme sa propriété, il s'irrite de l'opposition même la plus légale; il
considère l'exercice de chaque liberté comme un vol fait à son autorité.
Mais, nous dit-on, l'élection périodique serait dangereuse;
elle produirait des commotions, et à l'appui de ces sinistres prévisions on
cite
Raisonner ainsi, messieurs, c'est attacher à la forme
républicaine, comme inévitables, des inconvénients que l'on peut empêcher en
les prévoyant; en effet, ce n'est pas au principe électif qu'il faut reprocher
les dangers que vous craignez, c'est dans la loi organique de l'élection que
vous devez poser des règles fixes qui assurent la tranquillité.
Quant à
J'ai entendu qu'un orateur poussait la prévention contre un
chef temporaire jusqu'à craindre qu'il ne donnât les places à la faveur et non
au talent.
Si ce motif est concluant, je vous prie, messieurs, d'en
faire l'application à la royauté ; rappelez-vous
le règne précédent ! tandis que rien ne peut légitimer pareil doute sur une
forme de gouvernement qui exclut semblable supposition.
Messieurs, plusieurs fois il nous
a été répété que le temps presse, que l'on a soif d'un ordre de choses nouveau,
et qu'il faut combler l'abîme des révolutions.
Je ne sais si le temps presse et
si la soif du peuple est si grande de jouir de la nouvelle autorité monarchique
héréditaire que l'on veut faire improviser ; quant à moi, malgré tous les
inconvénients du consulat provisoire, s'il doit être remplacé par une
monarchie héréditaire, je ne suis pas fatigué de jouir encore quelque temps de
la liberté républicaine actuelle ; elle est plus solide, car, veuillez le remarquer,
combler l'abîme des révolutions avec des trônes, c'est à mon avis le creuser
davantage.
Je vote pour que le chef de l'État
soit élu temporairement, et conséquemment pour la république, et
subsidiairement M. Seron et moi demandons l'appel au peuple, quelle que soit
la forme de gouvernement que nous adoptions. (Murmures.) Ici il y a
liberté entière d'opinion. Pas de murmures, je vous en prie, quand il s'agit
du peuple.
Nous ne sommes que les mandataires
du peuple ; ce que nous voulons tous, c'est d'en être l'expression fidèle. La
mesure que je réclame a été respectée en France par tous les gouvernements ;
Napoléon lui-même s'y est soumis. En nous y conformant, nous nous dérobons à
une effrayante responsabilité. Ou nous aurons fidèlement interprété les vœux
du peuple, et son vote confirmera le nôtre, il nous applaudira, ou nous nous
serons mépris, et en le consultant nous éviterons le danger de lui imposer un
gouvernement antipathique aux besoins de l'époque et à l'opinion publique.
Nous proposons donc par amendement
de soumettre la forme de gouvernement qui sera adoptée par l'assemblée, à
l'acceptation du peuple, de la manière qui sera indiquée par le congrès.
- L’orateur veut poursuivre. (U.
B., 22 nov.)
M. Henri de Brouckere : Je
demande le rappel au règlement. Que
l'orateur dépose son amendement sur le bureau, et s'il est appuyé il aura la
parole pour le développer. (C., 22 nov.)
M. de Robaulx – Je ne développe pas l'amendement.
Au reste laissez-moi parler, vous aurez tout le temps de le faire ensuite.
- L'honorable membre remet son
amendement sur le bureau. (C., 22 nov.)
M. Forgeur – Les paroles que je viens
d'entendre (page 229) m'ont tellement
pénétré, ont tellement bouleversé toutes mes idées que j'ai besoin de toute
votre indulgence. Je ne puis pas les laisser sans réponse. Cet appel fait aux
masses, ces insultes et ces menaces contre la majorité de cette assemblée...
(Quelques membres assis du
côté où siége M. de Robaulx : A l'ordre! vous n'avez pas la
police de l'assemblée!) (C., 22 nov.)
M. Forgeur poursuivant
avec chaleur – Vous avez entendu un langage inusité, le langage des passions.
On a cherché un appui hors de cette enceinte. On vous a montré dans l'avenir
vos décisions annulées ; on vous a contesté votre mandat ; on a refusé de vous
reconnaître comme pouvoir constituant ; on a traité avec une espèce de dédain
tous les orateurs qui, à cette tribune, ont défendu la monarchie
représentative. On s'est obstiné avec une véritable mauvaise foi à ne
comprendre aucun de leurs arguments ; on vous a parlé de cette jeunesse toute
républicaine qui a fait la révolution. Je ne répondrai qu'à cette dernière partie
de l'attaque. (Silence. L'orateur avec beaucoup d'émotion.) Par mon âge,
par mes sentiments, par mes études, j'appartiens à cette génération nouvelle
dont on vous a parlé. Je viens protester en son nom à cette tribune. La
république n'a qu'une faible minorité dans la nation, ainsi que dans cette
assemblée. Cette génération ne regarde pas la progression comme incompatible
avec le repos. Elle veut, comme on vous l'a dit, ce gouvernement qui associe la
stabilité et le mouvement. La monarchie, telle que nous l'entendons, est bien
préférable à la république, qui ne serait que le régime de quelques
turbulentes incapacités. La progression sera continue, mais sans secousse. Nous
aurons toutes les garanties d'ordre et de liberté. L'hérédité réduira au silence
toutes les ambitions ou les forcera à descendre dans une sphère inférieure.
Je ne sais si la législature se composera de deux chambres.
Quoi qu'il en soit, il y aura une représentation nationale directement élue. Pas
de redressement de griefs, pas de subsides, sera la loi suprême. Le chef
de l'État n'aura qu'un pouvoir neutre ; il rectifiera l'action de tous les
pouvoirs. L'exécution sera dans le ministère ; si le ministère est inhabile, il
sera privé des moyens de gouvernement ; s'il est coupable, il sera puni.
Chaque commune, chaque province s'administrera elle-même par les hommes de son
choix. Voilà la monarchie comme nous l'entendons, comme l'entendent tous ceux
qui ont l'intelligence des temps et à qui l'histoire et les faits ont appris
quelque chose. (C., 22 nov.)
De
toutes parts. La clôture! aux voix! la clôture ! (U. B., 22 nov.)
M. le président . Les
opinions prononcées ici doivent être interprétées par toute l'Europe ;
apportons-y le calme et le temps nécessaires.
Y aura-t-il séance demain dimanche ? (U. B., 22
nov.)
Tous les membres. Oui, non ! il le faut. (U. B., 22 nov.)
M. le président. Un certain
nombre de membres se sont absentés dans la persuasion que le vote n'aurait lieu
que lundi ; ils seraient fâchés, peut-être désespérés, d'avoir été trompés à
cet égard. (U. B.. 22 nov.)
Un membre. Pourquoi se sont-ils retirés
? (A demain! à demain! - A lundi! - Aux voix!) (J. F.. 22 nov.)
M. le président met aux voix
la question de savoir s'il y aura séance demain. (Environ trente députés se
lèvent pour.) La discussion ne sera reprise que lundi à dix heures. (C., 22
nov.)
- La séance est levée à quatre heures et demie. (P. V.)