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Congrès national de Belgique
Séance du lundi 22 novembre
1830
Sommaire
1) Communication des pièces
adressées au congrès
2) Proposition sur la forme du
gouvernement. Discussion générale (Fransman (R), de Foere
(M), Blargnies (M), Verbeke (M), Destriveaux (M), Delwarde (R),
de Celles (M))
3) Communication diplomatique
relative à l’adhésion à la suspension d’armes proposée par la conférence de
Londres
4) Proposition sur la forme du
gouvernement. Discussion générale (Dehaerne, Defacqz
(M), Lardinois (F), de Muelenaere
(M), de Thier (R), de Robiano
(M), Barthélemy (M), J. Goethals
(R), A. Rodenbach (M), Goffint
(R), Seron (R), de Behr (M), A. Gendebien (M), Van de Weyer (M), Beyts
(M), C. De Smet (R), Lardinois,
d’Arschot (M), H. de Brouckere (M), de Robaulx (R), Van Snick
(M), Pirson (R), de Foere (M),
Dehaerne, Blargnies). Discussion des amendements
(de Robaulx). Adoption de la monarchie constitutionnelle (Surlet)
(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de
Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen
et Cie, 1844, tome 1)
(page 230) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance s'ouvre à dix heures et demie. (P. V.)
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et approuvé.
(P. V.)
COMMUNICATION DE PIECES ADRESSEES
AU CONGRES
Il
est donné communication des pièces suivantes :
M. Jean Goethals informe l'assemblée que des circonstances
indépendantes de sa volonté l'ont empêché d'assister
aux séances précédentes.
__________________
- La
société patriotique de Liége présente un mémoire en faveur de la république.
(P. V.)
M. le président – J'enverrai ce mémoire à la commission des
pétitions, à moins qu'on ne préfère le renvoyer à un bureau de renseignements.
(J. F., 24 nov.)
M. de Robaulx
– Je demande qu'il soit
donné lecture de cette pièce. (Non ! Non !) (V. P., 24 nov.)
M. le président
– Si nous adoptons l'usage
de donner lecture des pétitions qui nous arrivent,
nous serons obligés d'y consacrer une grande partie de nos séances. (V. P., 24
nov.)
M. de Robaulx
– Mais la question dont
il s'agit dans cette pétition se discute maintenant, et le rapport de la
commission viendra trop tard. (V. P., 24 nov.)
M. le président – Nous avons reçu plusieurs ouvrages
sur la question de république, l'assemblée désire-t-elle qu'on lui en donne également
lecture ? (U. B., 25 nov.)
M. de Robaulx répond qu'il y a une distinction à
faire entre des ouvrages et un mémoire de quelques lignes. (J. F., 24 nov.)
Un membre – Mais que du moins, si on en donne lecture, ce ne soit pas
un antécédent dont on puisse se prévaloir dans la suite. (J. F., 24 nov.)
M. le président – Je consulterai l'assemblée par
assis et levé. (J. F., 24 nov.)
-
L'épreuve est douteuse. - La contre-épreuve l’est encore. (J. F., 24 nov.)
M. le président
– Il sera plus simple de
donner lecture du mémoire que de procéder à un appel nominal. (J. F., 24 nov.)
Un
des secrétaires se borne à lire
la lettre d'envoi qui accompagne le mémoire. (J. F., 24 nov.)
__________________
On
reprend la communication des pièces :
- Les
officiers hollandais composant la ci-devant garnison de Mons, actuellement
détenus à Tournay, demandent leur mise en liberté. (U. B., 25 nov.)
Renvoi
à la commission des pétitions. (J. F., 24 nov.)
__________________
- M. Louis Glorieux, de Courtrai, présente un mémoire où il
pose les principes qui devraient, selon lui, faire les bases de la nouvelle
constitution. (P. V.)
M. le président – Ne conviendrait-il pas de créer un bureau de
renseignements et d'y renvoyer cette dernière pièce ? (V. P., 24 nov.)
M. de Brouckere – Je pense que toutes les pièces doivent être renvoyées à la
commission des pétitions qui proposera les mesures à prendre relativement à ces
pièces, et si elles doivent être déposées au bureau des renseignements. (V. P.,
24 nov.)
M. Deleeuw – Ainsi le bureau des renseignements serait
subordonné à la commission. (V. P., 24 nov.)
M. de Brouckere – Remarquez, je vous prie, que le bureau des renseignements
n'est pas une commission de la chambre, c'est tout simplement un local disposé
pour recevoir certaines pièces que messieurs les députés seront (page 231) admis à y
consulter lorsqu'ils le jugeront à propos. (V. P., 24 nov.)
- Le renvoi à la commission est ordonné. (V.
P., 24 nov.)
____________________
Il est fait hommage au congrès:
1° Par M. Moermans, d'une brochure intitulée :
Lettre d'un citoyen belge au congrès
national ;
2° Par M. Toussaint, d'une nouvelle édition de
- Dépôt à la bibliothèque. (J. F.,
24 nov.)
Discussion générale
M. le président - L'ordre du
jour est la suite de la discussion de la proposition relative à la forme du
gouvernement. (U. B., 25 nov.)
M. Fransman – Messieurs,
je suis républicain; je ne crains point de faire une déclaration formelle à
cette tribune. Je ne m'effraye point des vaines clameurs poussées avec
véhémence, qui me paraissent plutôt le fruit d'un organe bien constitué qu'une
conviction profonde et mûrie par de longues études. Je ne recule point devant
les principes et les arguments que plusieurs honorables collègues ont fait
valoir pour la monarchie constitutionnelle. Ils sont loin d'avoir fait passer
dans mon âme cette persuasion .qui entraîne les esprits. Armé d'une conscience
pure, et dévoué au mandat qui m'est confié, je dois aussi à ma patrie le tribut
de mes faibles lumières, au risque de me trouver en contradiction avec la
majorité de cette auguste assemblée, dont les éloquents orateurs qui m'ont
précédé paraissent avoir emporté les suffrages. Liberté pour tous et en tout,
voilà ma devise.
Les mœurs, le caractère, le territoire des Belges doivent uniquement
être consultés, et, à mon avis, la république peut seule maintenir l'indépendance
qu'ils ont si noblement conquise. Leurs institutions, depuis les temps les plus
reculés, sont presque toutes républicaines. Le système électif y a toujours
été consacré. La modération, la loyauté et surtout le caractère franc et naïf
des Belges, exempt d'ambition et de cette tendance vers la domination, doivent
entièrement dissiper les craintes de ceux qui envisagent les élections du chef
de l'État comme une source certaine d'intrigues, de troubles et d'anarchie. La
république seule peut donner un ressort au génie et au commerce, à l'industrie
et aux arts. Ce fut sous la république française, dont quelques orateurs ont
fait une si hideuse description, que de grands législateurs proclamèrent les
droits de l'homme qui sont gravés en caractères ineffaçables
sur un airain indestructible, dans les cœurs des amis de la liberté.
Je suis loin de partager l'opinion de ceux qui ne trouvent de la
stabilité que dans le gouvernement où le chef est héréditaire. L'histoire
répond pour moi. Toutes les monarchies nous offrent le spectacle d'une lutte
continuelle et parfois sanglante entre le peuple et le roi ; presque toutes
nous retracent un affreux tableau de massacres et de carnage. Songeons-y bien,
messieurs ; ne léguons pas à nos neveux une nouvelle révolution plus terrible
encore que celle dont nous avons été témoins ; ne leur laissons point la triste
perspective de devoir consacrer un jour une nouvelle place de Saint-Michel,
pour détrôner un roi stupide, parjure et bourreau de son peuple. Quand un roi
veut le crime, il n'est que trop obéi.
Les frais et les dépenses qui sont une suite inévitable de la monarchie
doivent principalement attirer notre attention. Vous les connaissez tous,
messieurs, et vous en avez fait une triste expérience.
Les puissances étrangères, dit-on, venaient l'institution d'une
république d'un mauvais œil et en prendraient ombrage. Mais qui pourrait s'en
plaindre et nous l'envier ? Les rois peut-être ? nous ne le craignons point :
la force réside dans le peuple, et le peuple ne marcherait point contre, pour
venir étouffer un principe qui germe déjà dans leurs cœurs, et qui, comme l'a
dit un honorable membre, M. Destriveaux, prévaudra un jour partout. En outre,
messieurs, notre chef temporaire ne donnera-t-il point autant de garanties aux
cabinets étrangers que notre chef héréditaire ? Nous ne voulons pas devenir
conquérants ; mais aussi nous ne voulons point être la conquête du premier
venu. Eh! messieurs, si notre liberté était (page 232) menacée,
des liens de sympathie ne nous lient-ils pas à
Partout où
nous portons nos regards, nous trouvons des voisins qui ont besoin de la paix
comme nous et non des ennemis ; nous trouvons des citoyens qui, moins libres
que nous, admirent le succès de notre révolution. Eh ! messieurs, quel tyran
s'exposerait à conquérir ce qu'il ne pourrait conserver ? N'hésitons point pour
nous décider; rappelons-nous la bravoure de nos ancêtres ; rangeons-nous en
bataillon sacré sous les bannières qui flottent dans cette enceinte, pour
défendre notre indépendance jusqu'à la dernière goutte de notre sang, et si
nous périssons, il se trouvera quelque part un ami de la liberté qui gravera
sur notre tombe ces mots immortels que les passants lisent encore avec un
respect religieux au passage des Thermopyles : Morts pour la patrie. (C.,
suppl., 24 nov.)
M. l’abbé de Foere – La
monarchie héréditaire à titre de perpétuité se présente à mes yeux, depuis
quatre mois, sous des rapports importants, comme une question toute nouvelle,
Elle se trouve en présence d'événements qui l'ont attaquée dans sa racine; en
présence d'une forte opinion qui s'inscrit de plus en plus contre elle ; en
présence enfin des nouvelles gardes nationales qui viennent la jeter dans des
complications fort embarrassantes. L'hérédité absolue dans la monarchie me
semble devoir fixer, sous ces trois rapports, toute notre attention. Pour bien
traiter cette grave question, il faut appartenir à son temps, il faut se
dépouiller de tout préjugé, laisser derrière soi des souvenirs gothiques et
prendre la question sur le terrain sur lequel elle s'établit aujourd'hui sans
nous et malgré nous. Toute autre marche dans la discussion des intérêts politiques
est une véritable utopie. Vous connaissez d'ailleurs toute la force de
l'opinion, lors même que vous ne la considérez que dans une grande fraction.
D'un autre côté, nous sommes tous, je crois, partisans sincères de la nouvelle
institution des gardes bourgeoises, de ces braves protecteurs des libertés
publiques, si nous les considérons aussi comme protecteurs de l'ordre social.
Leur mission, circonscrite dans ces bornes, est noble et vraiment nationale.
Mais quand je vois une nouvelle institution tenir entre les mains les instruments
de la force, quand j'observe que l'opinion agit d'une manière vigoureuse sur
cette institution, qui déjà elle-même exerce une influence immense sur l'ordre social
et surtout sur ses sommités, alors, messieurs, il me serait impossible de me
dissimuler les dangers qui pourraient résulter, et de cette même institution
civique, et de la puissance de cette opinion fractionnaire qui agit contre
l'hérédité absolue. Alors aussi il me serait impossible, en présence de ces
grands événements, de considérer la monarchie héréditaire d'une manière
abstraite. Le présent ne doit pas absorber tout notre avenir. C'est dans nos
prévoyances surtout qu'il faut chercher la stabilité de nos institutions
politiques.
Je ne vous
occuperai, dans cette grave délibération, que de la seule spécialité de
l'hérédité absolue ou limitée, dans le but d'ériger une digue contre les
débordements de l'hérédité absolue ou perpétuelle elle-même, et contre les
mouvements excentriques des gardes nationales et de l'opinion. Dans l'état
actuel des choses, ce serait encore se transporter hors de son temps, que de ne
pas considérer ces empiétements opposés au moins comme éventuels.
J'ai voté,
dans ma section, pour une forme de gouvernement que j'ai définie par des termes
dans lesquels, pour des motifs d'union et de paix, j'ai évité les mots de monarchie
et de république, mots que des publicistes modernes considèrent,
dans l'état actuel des constitutions des peuples, comme oiseux, et qu'en outre
j'envisage comme des sources de division et de discorde.
J'ai voté
pour un État constitutionnel présidé par un chef héréditaire, mais
responsable, dans un seul cas, sous peine de déchéance, conformément à nos anciennes
institutions belgiques. Le cas de déchéance et de non-déchéance se décidé par une cour d'équité.
Je me hâte
de déclarer que je suis loin de repousser en même temps la responsabilité
ministérielle. Sans doute, dans le cercle de leurs attributions, les
ministres, comme les autres fonctionnaires subalternes, doivent être
responsables de leurs actes respectifs. Je ne réclame la responsabilité du
chef de l'État que lorsqu'il s'établit un conflit opiniâtre entre sa volonté
arbitraire, les volontés inconstitutionnelles de ses ministres, et entre la
volonté constitutionnelle de la nation, et que la première, celle du chef du
pouvoir exécutif, prétend prévaloir.
M. Nothomb
et plusieurs honorables membres de Liége, qui ont parlé pour l'hérédité pure,
nous ont conduits jusqu'à cette dernière extrémité où le chef du gouvernement se
sera acculé aux dernières limites de ses prérogatives, lorsqu'en les
transgressant il se sera jeté hors de la constitution, et qu'il sera tombé dans
l'abîme. Mais (page 233) là aussi
ces honorables collègues ont entraîné l'État dans le même dédale. Ils nous ont
lancés, dans cette dernière extrémité, dans des espaces inconnus, au milieu de
toutes les horreurs de l'anarchie, au milieu du déchaînement de toutes les
passions, et dans l'impossibilité d'en déterminer ou d'en prévoir les horribles
conséquences. Ils se sont arrêtés à cet abîme, sans nous présenter un moyen de
n’y être pas entraînés aussi avec le chef de l'État, ou de maintenir l'ordre
public, d'éviter l'effusion de sang, de préserver nos droits, nos libertés,
nos vies même, tant contre les fureurs des anarchistes que contre le prestige
despotique d'un soldat heureux. Cette réticence de ces honorables membres du
congrès m'étonne d'autant plus que, sans devoir compulser les annales de
l'histoire ancienne et moderne, les journées sanglantes de Paris, de Bruxelles
et d'Anvers glacent encore nos sens et nos cœurs d'effroi.
Pensez-vous, messieurs, contre l'irréfragable autorité de l'histoire,
que les chefs des États nous offriront beaucoup d'exemples d'une abdication
raisonnée et paisible ? pensez-vous encore, contre l'histoire, contre ce
terrible argument qui bat en ruine les utopies constitutionnelles de l'hérédité
absolue, pensez-vous, dis-je, que les chefs des États n'auront pas, comme
depuis le commencement du monde, leurs courtisans et leurs satellites pour
s'opposer, d'abord par la proscription, ensuite par les armes, aux volontés
constitutionnelles, aux justes réclamations de la nation ?
Quant à moi, messieurs, je ne saurais céder à cette dangereuse illusion.
C'est une des raisons pour lesquelles je vous demande l'institution de
l'hérédité, limitée au seul cas prévu même par les partisans de l'hérédité
absolue, avec une cour d'équité pour décider le cas de la déchéance ou de la non-déchéance. Je vous le demande dans l'intérêt de l'ordre
social , dans l'intérêt de nos libertés, dans celui de l'humanité, afin que,
dans ces périlleuses transitions, la tranquillité intérieure soit conservée,
afin que le sang de nos frères ne soit pas inutilement répandu, et qu'à chaque
commotion de l'État, ni le chef du gouvernement, ni le peuple, ni les gardes
nationales, ni l'armée, ne se croient appelés, dans l'effervescence des
passions, à décider cette grande question vitale de l'État.
C'est aussi le moyen le plus sûr de resserrer rigoureusement le chef de
l'État dans les bornes de ses prérogatives, et de le tenir en dehors des mouvements
officiels entre ses premiers fonctionnaires et la nation ; le moyen le plus sûr
encore pour que la responsabilité ministérielle ne soit pas un vain nom. Donnez
au chef du gouvernement l'assurance qu'il a un droit constitutionnel à une hérédité absolue;
rassurez-le sur ce point par vos serments, et l'un ou l'autre se mettra en
présence de ses ministres, en contact immédiat avec la nation, et vous rouvrez
l'abîme des troubles et des révolutions. C'est l'histoire de tous les Charles
X, de tous les Guillaume Ier.
Cette
institution d'hérédité limitée, combinée avec cette cour d'équité, est
peut-être aussi le moyen de passer, sans froissements, d'une forme de
gouvernement à une autre, selon l'exigence des temps, des événements et de
l'irrésistible opinion. Car, messieurs, ne vous jetez pas dans une autre
utopie, qui serait celle de se donner la conviction que le monde ne marche pas
vers des institutions purement républicaines. Les faits seraient encore là pour
dissiper l'illusion de votre certitude. Bornons-nous à l'égard de ce grave
problème à un sage scepticisme. Suspendons notre opinion jusqu'à ce que la
marche intellectuelle et politique des peuples nous ait permis d'asseoir notre
jugement sur des bases plus solides. Mais, entre-temps, agissons en
législateurs sages et prudents. N'excluons ni la prévoyance, ni l'avenir de
nos délibérations. J'ai dit que les faits sont encore là pour nous contenir
dans les bornes d'un doute sage et prudent. Et, en effet, messieurs, sans
remonter bien haut, quels sont les événements qui se sont développés depuis
quinze ans, sous nos propres yeux ? En France un ministère de l'extrême droite
a été d'abord poussé, par la force de l'opinion, dans le centre droit de la
chambre. Là ont commencé les oscillations oiseuses du duc De Cazes, qui bientôt elles-mêmes ont été refoulées, par les
vains efforts du pouvoir, vers les échelles du côté droit. Attaqué de toutes
parts dans cette position, le ministère a été forcé de se jeter deux fois dans
le centre gauche, jusqu'à ce qu'il ait été entraîné d'abord dans une position
centrale de la gauche, et ensuite dans les extrémités de cette dernière partie
de la chambre. L'opinion politique se trouve maintenant en France, avec un roi
citoyen, sur les dernières limites de la monarchie héréditaire à titre de
perpétuité. Elle ne peut avancer un seul pas sans tomber dans la république, ou
sans reculer honteusement vers le despotisme militaire. Certes, ce ne sont pas
là des prétentions intellectuelles dont un honorable membre vous a
entretenus. C'est de l'histoire ; ce sont des faits qu'à coup sûr personne
n'entreprendra de contester.
En Angleterre,
les Wellington et les Peel, ces puissants et peut-être ces derniers soutiens de
l'aristocratie anglaise, viennent de déposer toute leur gloire, toute leur
puissance, tous leurs (page 234) talents
devant l'imposante autorité de l'opinion antiaristocratique.
Eh! messieurs, si la terrible transition doit s'opérer, je vous le
demande, quelle est, en France, quelle est, en Angleterre, l'institution
destinée à sauver l'ordre social, à préserver ces deux nations contre les
horreurs de l'anarchie, contre les désastreuses dissensions intestines, contre
l'effusion du sang, contre le danger du despotisme des soldats ? Quel est,
dans ces deux pays, le moyen de faciliter, d'une manière plus ou moins paisible
et heureuse, cette dangereuse transition d'une forme de gouvernement à une
autre, si les exigences du temps la réclamaient impérieusement ? Assurément la
partie saine de l'une et de l'autre nation, qui, en dernière analyse, se
concentre toujours dans la majorité, s'attacherait à ce moyen, s'il existait,
comme à une dernière planche de salut.
Pourquoi, messieurs, la politique du cœur céderait-elle chez nous tout
son ancien empire à la politique de la tête, lorsque celle-ci n'a plus à
prétendre qu'à de misérables distinctions nominales, et que tous les grands
intérêts de l'État sont consolidés et garantis ? Cependant pour épuiser la
question, pour satisfaire à tous les scrupules des monarchistes héréditaires,
et pour en venir ainsi à cette union si désirable, je répondrai à la seule
objection qu'ils puissent raisonnablement opposer à l'hérédité limitée.
La responsabilité du chef de l'État, quoique très restreinte, pourrait
donner lieu, disent-ils, il de graves et de fréquentes agitations intérieures.
Je leur ferai grâce des puissants moyens de réfutation que je pourrais
tirer de l'histoire des monarchies absolument héréditaires pour tourner
l'objection contre eux-mêmes, ou tout au moins pour la refouler sur la même
ligne sur laquelle ils la placent. Je ne répondrai à leur objection que par un
seul argument, ce sera aussi celui de l'histoire.
Cette déchéance, dans des cas donnés, faisait autrefois partie de nos
anciennes constitutions belgiques, et, de l'aveu des
plus célèbres publicistes anglais, elle entre aussi dans l'esprit des institutions
monarchiques de l'Angleterre, malgré l'inviolabilité constitutive de ses rois.
La plus grande partie de
Il n'y a
entre cette
responsabilité souveraine, que je réclame dans la forme de l'État, et entre
celle qui existe dans l'esprit de la monarchie anglaise, d'autre différence que celle
qui existe entre l'ordre légal et l'ordre monarchique. Les cas de déchéance,
chez nous, seraient déterminés par la constitution, tandis qu'en Angleterre ces
mêmes cas restent enveloppés
dans le vague du droit naturel et dans les incertitudes et les oscillations de
l'application. C'est une des raisons pour lesquelles les rois de
Je n'ai pas la prétention de soutenir que la
cour d'équité n'offrira pas aussi quelquefois des inconvénients, parce que je ne croirai jamais qu'aucune institution humaine puisse s'en
exempter. Mais la question est tout entière dans la supériorité des avantages,
ou dans l'infériorité des maux qui doivent résulter de l'une et de l'autre
position.
Je n'entrerai
pas non plus dans la
composition de cette cour, ni dans son mode d'accusation, de défense et de
procédure ; cette question appartient au droit positif. Celle du droit public
seule nous occupe.
J'adhère,
du reste, aux sages considérations que nous ont présentées la plupart des
membres du congrès qui ont pris la parole sur les institutions sur lesquelles
les monarchistes et les républicains sont d'accord, et spécialement à celles
que notre honorable collègue, M. de Roo, nous a indiquées, relatives aux
institutions provinciales et municipales, sans cependant rompre l'unité
nécessaire du gouvernement sous des rapports généraux.
Je
n'ajouterai, pour dernière garantie de l'ordre social contre les exigences
arbitraires du pouvoir,
garantie également conforme aux anciennes constitutions de
Telles
sont, messieurs, les institutions par lesquelles j'ai cru devoir modifier notre
État constitutionnel. La cour d'équité se trouverait au milieu de tous les conflits, de tous les
extrêmes, et nous
arrêterait sur le bord du précipice dans lequel les nations se précipitent
souvent avec autant de témérité que de regret.
C'est de l'adoption ou du rejet de l'hérédité de (page 235) notre Etat constitutionnel que
dépendra mon vote sur l'institution d'une première chambre. Dans le premier
cas, il est possible que je vote pour cette institution ; dans le dernier, je
considérerai l'institution d'une première chambre comme inconciliable avec nos
libertés publiques, et je ferai tous les efforts possibles pour en faire
adopter le rejet, fondé encore sur les arguments irréfragables de l'histoire.
Cette
institution d'hérédité limitée offrirait peut-être aussi son heureuse
intervention pour opérer la fusion si désirée entre les opinions divergentes
sur la forme de notre État. Cette divergence se manifeste dans l'enceinte du
congrès, comme sur nos places publiques, dans nos sociétés, comme dans nos
salons, et jusque dans le sein même de nos familles. Si la malveillance s'en
empare, que devient la république ? que devient la monarchie ? Ceux qui se
disent monarchiques et républicains sont-ils bien sûrs que, dans l'état actuel
des opinions, ils n'élèvent pas des prétentions trop exclusives ? Lorsque
nous éprouvons un besoin si urgent d'union et de paix, ne serait-il pas plus
sage et plus généreux que des frères sacrifiassent sur l'autel de la patrie
leurs nuances de différence, d'ailleurs presque imperceptibles, en se confondant
et s'embrassant dans l'institution d'une hérédité qui trouverait ses limites
dans une cour d'équité, dans le sanctuaire de la justice, que les républicains
de bonne foi révèrent aussi bien que les monarchistes. Messieurs, nous sommes
peut-être le peuple le plus loyal, le plus généreux, le plus fraternel de la
terre. Irions-nous nous diviser maintenant sur des questions devenues presque
nominales, si à côté de toutes nos autres institutions grandes, fortes et
libres, nous pouvions déposer sur l'autel de la justice les légères appréhensions
pour nos libertés qui pourraient nous rester, et verser dans le sein de
l'amitié, de la confiance et de la cordialité belges, les subtilités politiques
qui pourraient encore nous diviser ? Le peuple belge a été toujours aussi un
peuple sage et réfléchi ; or, messieurs, cette sagesse et celle maturité de
jugement ne s'acquièrent qu'en imitant les douces gradations de la nature, les
aimables dispositions de
Songez,
messieurs, à l'influence puissante et salutaire que notre unanimité de votes
exercerait sur l'opinion de
J'abandonne
maintenant à la sagesse du congrès la solution de ces graves questions; mais
aussi, je le prie, dans l'intérêt de la patrie et de l'avenir, de les méditer
mûrement dans le silence des prétentions et des préjugés. (U. B., 25 nov.)
M.
Blargnies
– Messieurs, si j'avais l'intention d'agir sur les masses et d'arriver par
cette voie à la république, je leur dirais : Le congrès national veut rétablir
le despotisme ; vous sortez de la monarchie et vous savez à quel prix ; eh
bien, c'est dans la monarchie qu'on veut vous replonger ! J'aurais soin ensuite
de ne leur offrir pour modèles de la monarchie représentative que la charte
octroyée de Louis XVIII ou la loi fondamentale des Pays-Bas imposée par
supercherie à
Si je
désirais, au contraire, persuader au peuple que, tout en adoptant la
monarchie, le congrès veut donner aux Belges une constitution qui les rende
heureux, je lui dirais : Citoyens, vos représentants vont établir une
monarchie, ils vous le déclarent avec franchise ; mais ce sera une monarchie
qui diffère de celle dont vous venez de vous délivrer, autant que le juste
diffère de l'injuste, la liberté de la servitude, la bravoure de la lâcheté;
cette monarchie sera un contrat très clair et très précis entre vous et le
chef de l'État, un contrat dont vous pourrez toujours exiger et obtenir
l'exécution ; dans cette monarchie vous trouverez une grande modération
d'impôts ; vous serez représentés par des hommes de votre choix, toujours
prêts à défendre vos droits ; vous pourrez sans cesse faire connaître vos
besoins et vos bonnes intentions pour la patrie par la voie de la presse et des
pétitions; chacun de vous pourra donner
le plus large développement à toutes ses facultés ; aucun de vous ne pourra
être arrêté qu'en vertu de la loi, ni jugé que d'après des formes éminemment
protectrices ; vous ne payerez pas un denier sans que la loi vous y oblige ;
tels sont les bienfaits que nous voulons vous assurer par la constitution que
vous nous avez chargés de faire, et si nous y introduisons un roi, ce ne sera
que pour garantir à tous (page 236)
ces avantages une durée plus longue et plus paisible ; car ce roi sera par
nous placé dans l'impossibilité de vous causer aucun mal ; il ne sera que le
tuteur de vos libertés ; c'est le seul appât que nous offrirons à son ambition,
à part l'honneur d'être placé à la tête d'un peuple tel que vous. Si je tenais
ce langage à nos concitoyens, je ne serais que votre interprète à tous,
messieurs, et ils me croiraient. Si, par la suite, il était démontré que je me
trompe, ils me pardonneraient mon erreur en faveur de mes bonnes intentions, et
certes, je n'aurais pas à rougir devant eux !
A présent,
messieurs, que mes sentiments vous sont connus, je voterai avec plus de
confiance pour la monarchie constitutionnelle représentative sous un chef
héréditaire, sous la condition que ce gouvernement soit organisé de manière que
tous les pouvoirs émanent de la nation, que les impôts soient modérés, et que
toute tyrannie soit impossible.
L'on
reproche à la monarchie constitutionnelle représentative d'être un assemblage
monstrueux, un composé de pouvoirs ennemis qui doivent nécessairement se
détruire, enfin d'être contraire à la raison.
La
monarchie constitutionnelle, quand elle est bien ordonnée, n'offre ni ces
inconvénients, ni cette bizarrerie: l'inviolabilité du chef du pouvoir exécutif
le met à l'abri des attaques des autres pouvoirs ; la responsabilité
ministérielle, le vote de l'impôt, la bonne organisation de l'ordre judiciaire
et de la garde civique défendent suffisamment le peuple contre tous les
envahissements de la couronne ; le gouvernement monarchique représentatif
excelle principalement en ce qu'il empêche le froissement du pouvoir exécutif
et du pouvoir législatif ; le roi reste ordinairement en dehors du conflit
entre les divers pouvoirs ; il ne s'y mêle que pour l'établir l'harmonie.
La nature,
messieurs, n'indique aucune forme précise de gouvernement : les gouvernements
sont des moyens de conservation et de bonheur inventés par les hommes réunis
en société ; la raison adopte toutes les combinaisons possibles qui peuvent
amener ces grands résultats ; elle a reconnu les avantages et les inconvénients
du gouvernement d'un seul et du gouvernement de tous ; elle les a mêlés de
manière à n'en conserver que les avantages ; de ses calculs et de ses
méditations est sorti le régime monarchique constitutionnel, régime tellement
conforme à la raison qu'il est le produit de la philosophie moderne, qu'on
n'accusera pas d'être irrationnelle.
L'on a
paru regretter que la jeunesse ne fût pas en majorité au congrès ; on a paru
compter grandement sur son amour des institutions démocratiques, et à cette
occasion l'on a rendu hommage à toutes les belles qualités qui la distinguent.
Oui, messieurs, cette jeunesse, véritable espoir de la patrie, est grave,
studieuse, et sincèrement amie de la liberté ; ce n'est pas chez elle que le
despotisme hollandais trouvait son appui en Belgique ; mais cette jeunesse
veut-elle la république ? Non, messieurs, cette assemblée en fournit la preuve
la plus irrécusable ; est-ce une vaine crainte des excès de la démocratie qui
lui fait partager le sentiment des hommes plus avancés en âge ? Nullement;
c'est la conviction la plus intime que le régime monarchique représentatif
convient mieux à notre société, et cette conviction, elle la doit précisément
à ses réflexions, à ses études, à l'appréciation qu'elle a su faire de l'état
et des besoins de la civilisation et de l'opinion publique chez nous et chez
nos voisins ; cette jeunesse, que vous appelez à votre aide, a la sagesse de
laisser quelque chose à faire au plus grand de tous les maîtres, au temps ;
elle sait sacrifier à la prudence ; elle n'ignore pas que la liberté de
l'enseignement, la presse et les discussions de la tribune sont chargées de
réformer le monde ; elle n'en a pas encore appris qu'il fût urgent de constituer
Est-il vrai, messieurs, qu'en fondant le gouvernement monarchique
représentatif, le congrès trompera les vœux du peuple belge ? Est-il vrai que
ce peuple ne s'est battu dans les grandes journées de septembre que pour se
débarrasser du pouvoir héréditaire ? Une nouvelle révolution serait-elle la
conséquence inévitable de l'établissement du régime monarchique, tel que nous
l'entendons ?
Pour répondre à ces questions, il suffit de consulter l'opinion publique
qui est la véritable volonté du peuple ; remontons aux causes de la révolution.
Ce n'est pas un désir vague de liberté indéfinie, ce n'est pas l'amour
de la république qui a armé le peuple belge ; non, messieurs, c'est la haine du
despotisme hollandais qui depuis longtemps grandissait dans nos cœurs ; ce
sont des impôts excessifs, immoraux et tyranniquement perçus ; c'est
l'exclusion d'une partie de la population de toute participation aux emplois ;
c'est l'interdit jeté sur certaines professions par l'imposition d'une langue (page 237) barbare ; c'est la
dilapidation des deniers du peuple ; ce sont les condamnations prononcées
contre nos meilleurs citoyens ; c'est l'idée, si pénible pour un peuple tel que
le nôtre, d'être traité en vaincu par une peuplade de trafiquants, qu'il avait
la conscience de pouvoir refouler dans ses marais, à la première occasion ;
telles sont, messieurs, les causes de notre révolution ; l'idée de république
ne s'y mêla jamais.
Pendant quinze ans, le peuple belge a vécu sous la monarchie
constitutionnelle représentative ; le pouvoir législatif était nominalement
partagé entre les Belges et les Hollandais ; le pouvoir exécutif était aux
mains de nos oppresseurs qui disposaient encore du pouvoir judiciaire et de
tous les hauts et petits emplois; il s'ensuivit la plus désolante tyrannie qui
jamais eût pesé sur des hommes dignes de ce nom.
Pendant quinze ans, les Belges et les Hollandais présentèrent l'image
de deux camps ennemis en présence ; oui, messieurs, nous fûmes en état de
guerre pendant ce trop long espace de temps, en attendant le moment d'en venir
aux mains, et notre révolution ne fut qu'un combat de peuple à peuple ; ce fut
un divorce violent entre deux peuples qui ne pouvaient sympathiser.
Quels étaient cependant dans ces temps de calamités les vœux du peuple
belge ? Demanda-t-il une seule fois à vivre sous un régime autre que celui de
la monarchie constitutionnelle ? Non, messieurs, il en appelait à la loi
fondamentale ; il réclamait le redressement des griefs dont il était victime ;
il demandait l'amélioration de la charte, et quelques jours avant le siége de
Bruxelles, à l'instant même où il prononçait sa résolution de se séparer de
Le peuple belge veut donc la monarchie constitutionnelle : il la veut
parce qu'il est doué d'un hon sens exquis, parce qu'il a pressenti tous les
avantages qu'il eût pu en recueillir ; en un mot, il sait qu'il pourrait être
heureux sous ce régime; il ne veut pas la république, il ne peut la vouloir,
parce qu'il ne la connaît pas et qu'il ignore si elle assurerait son bonheur.
Je pense, avec tous les honorables membres qui m'ont précédé à cette
tribune, que notre position géographique et l'esprit de province s'opposent à
l'établissement de la république ; je n'ajouterai rien à leurs raisonnements ;
je suis de plus convaincu que l'état de la société belge y forme un obstacle
insurmontable.
L'on est généralement d'accord que le régime républicain ne convient
qu'aux nations chez lesquelles règnent la vertu, la simplicité des mœurs,
l'égalité des rangs et des fortunes, et surtout le désintéressement. L'on dit
que les républiques périssent par l'excès de la civilisation et par le luxe.
Faisons un retour sur nous-mêmes : proclamons d'abord que si le courage seul
pouvait rendre un peuple propre au régime républicain, il faudrait, sans
différer d'une minute, voter ici la république par acclamation.
Mais, messieurs, le peuple belge, tout valeureux qu'il est, est un
peuple qui déjà a vieilli dans la civilisation ; il y a dans la société belge
des étages trop prononcés pour la soumettre au niveau républicain ; à côté et
au milieu des masses qui ont sauvé la patrie, se dessinent la noblesse, le haut
commerce, la grande propriété, et le clergé avec sa hiérarchie.
De ceux qui vivent actuellement, les uns ont reçu une éducation tout
impériale, les autres une éducation toute monarchique ; vous connaissez,
messieurs, l'empire de l'éducation, et qui oserait enter des institutions
républicaines sur des mœurs qui ne le sont pas ?
La diversité des opinions sur le mérite du jugement par jurés,
l'éloignement qu'une partie de la classe aisée a souvent montré pour cette
institution tutélaire et vraiment républicaine, l'avilissement dans lequel
étaient tombés beaucoup de fonctionnaires et de magistrats belges qui s'étaient
faits les suppôts de la tyrannie, le soin presque exclusif que donnaient aux
affaires de lucre nos innombrables négociants, manufacturiers et fabricants ;
l'avidité que dans ces derniers temps l'on a montrée pour les places ; les
nombreuses dénonciations dont plusieurs fonctionnaires ont été victimes de la
part de ceux qui convoitaient leurs emplois ; les obstacles que le peuple a
rencontrés presque partout dans ses efforts pour son émancipation ;
l'existence d'un parti qui désire la réunion de
Marchons, messieurs, dans la voie des améliorations; donnons pleine
satisfaction à l'opinion publique ; créons un gouvernement dont la devise soit union
et économie, mais union et économie durables ; un gouvernement à
l'égard duquel nous ayons au moins la certitude qu'il n'exposera pas notre
patrie aux malheurs de l'anarchie ou de la guerre; faisons que le peuple
jouisse et prospère; qu'il recueille les fruits de la révolution qu'il a si (page 238) courageusement consommée,
mais ne nous permettons pas de tenter des expériences trop périlleuses sur
notre pays.
En adoptant le gouvernement monarchique constitutionnel,
nous ne risquons pas de nous tromper ; j'estime, messieurs, que cette
forme de gouvernement peut s'adapter à tous les temps, à tous les pays, à tous
les peuples, aux sociétés jeunes encore comme aux plus décrépites, aux nations
pauvres comme aux plus opulentes : et pourquoi ? parce que ce gouvernement est
le gouvernement de la loi et non le gouvernement de l'homme ; parce que, dans
ce gouvernement, quand il est bien organisé, la loi est le résultat de
l'opinion publique éclairée, exprimée par les élus du peuple, par la presse,
par les pétitions : parce que dans ce gouvernement la sagesse préside à tout,
qu'il est impossible qu'une classe de la société y soit sacrifiée à une autre,
qu'il est dans sa nature de marcher progressivement et non pas par saccades
vers les améliorations que réclament le temps et les progrès des lumières. Si
tout cela est vrai, messieurs, et j'en ai l'intime conviction, ce gouvernement
est le meilleur de tous ; il a quelque chose de ces lois immuables et
éternelles bien supérieures aux lois faites pour un temps ou un lieu donné.
(U. B., 25 nov.)
M. l’abbé Verbeke
– Une question de la plus haute importance est soumise aujourd'hui à vos
délibérations ; la nation attend avec anxiété l'issue de vos débats.
On se demande quelle doit être la forme de notre nouvelle organisation
sociale. Je dis qu'elle doit être telle, qu'elle réponde le plus parfaitement
possible aux vœux, aux besoins, aux intérêts du peuple belge. Elle doit être
basée sur la justice ; dans l'état actuel des choses, un gouvernement qui
veut se maintenir doit se faire un devoir rigoureux de respecter les droits de
tous, la violence ou la force brute doit nécessairement venir se briser contre
la force de la justice et de l'intelligence.
Oui, messieurs, si les chefs des gouvernements ont des droits, les
peuples ont aussi les leurs, et ceux-ci ne sont pas moins sacrés que
ceux-là ; établissons donc une constitution qui exprime les véritables
rapports entre le pouvoir et les sujets, et qui garantisse à tous et à chacun
l'exercice plein et entier de ses droits ; sachons renfermer par des
institutions fortes le chef de l'Etat dans le cercle de ses attributions
légitimes ; élevons une forte barrière contre le pouvoir qui tenterait
d'abuser de ses forces, et nous serons un peuple libre, quelle que soit la
forme sous laquelle notre nouvel Etat social sera constitué. Je veux donc la
liberté, la liberté en tout et pour tous ; elle est non seulement un droit,
mais elle est encore un besoin, une loi de nécessité, hors de laquelle tout
périt dans le désordre et dans l'ignominie.
Mais, pour atteindre ce but, faut-il adopter la forme républicaine ? je
ne le pense pas, messieurs ; la raison en est que tous les avantages que l'on
peut trouver dans un gouvernement républicain, on peut également les trouver
dans un gouvernement monarchique sagement organisé. Il est bien vrai que la
république s'offre aux regards des hommes sous une image séduisante ; il y a
quelque chose de noble, d'élevé, de sublime même, dans cette organisation
sociale, mais si l'on regarde de près, si l'on considère attentivement la
question sous toutes ses faces, l'illusion disparaît, et on est obligé de
convenir que là se trouvent aussi des éléments de troubles et de désordres.
Les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, ont brièvement énuméré
tous les sujets de crainte et d'inquiétude qui naîtraient à chaque élection
d'un nouveau président. Je ne répéterai point ce qu'ils ont si bien dit avant
moi, mais je ne saurais m'empêcher de soumettre à votre attention une considération
d'une haute importance : nous sommes les organes du peuple belge, par
conséquent nous devons être les fidèles interprètes de ses vœux et de ses
volontés. S'efforcer de faire prévaloir nos idées particulières, quand nous les
croyons en contradiction avec celles de l'immense majorité de nos commettants,
c'est, ce me semble, manquer à notre mandat. La république une et indivisible
a laissé de trop profonds et de trop cruels souvenirs dans les cœurs des
Belges, pour qu'ils puissent désirer le retour du régime républicain ; que le
peuple en cela juge bien ou qu'il juge mal, qu'il ait tort ou qu'il ait raison,
toujours est-il que cette considération est d'une extrême importance ; nous ne
répondrons point à ses vœux, si nous ne lui accordons point la seule forme de
gouvernement où il croit pouvoir trouver la sécurité et la paix. Nous
entretiendrons dans les esprits l'inquiétude et le malaise, et nous
paralyserons par là toutes les sources
de la prospérité publique.
Et puis l'intervention étrangère. Nous ne la craignons pas, direz-vous.
Soit, je ne la crains pas non plus ; mais cela nous justifie-t-il entièrement ?
Sans doute, nous sommes tous investis de la confiance de nos concitoyens, mais
cette confiance est-elle si grande, si forte, si puissante que notre sécurité
doive faire disparaître leurs craintes et leurs inquiétudes ? D'ailleurs, ne
désirons-nous pas (page 239) tous que
des relations amicales s'établissent le plus promptement possible entre la nation
belge et les puissances qui l'entourent, relations .qui s'établiront très
difficilement, si nous constituons une république ?
Je le dis avec une entière franchise, messieurs : si la république était
la seule forme de gouvernement où la liberté puisse s'établir et se conserver,
je voterais pour elle ; la liberté est devenue le besoin le plus impérieux, le
plus énergique des peuples. Je la demande, cette liberté, non seulement comme
citoyen, mais encore comme prêtre catholique ; car je suis intimement convaincu
que, dans l'état actuel des sociétés modernes, elle est le seul moyen d'ordre,
le seul moyen qui puisse mettre l'harmonie dans les intelligences, la seule
condition de vie. La vérité, et la vérité religieuse plus que toute autre,
repousse toute entrave ; elle n'aime rien tant que de combattre au grand jour;
la contrainte la gêne, et va quelquefois jusqu'à l'étouffer.
On objecte que les monarchies constitutionnelles qui se sont établies
depuis quarante ans, tout en promettant la liberté, n'ont pourtant réalisé que
le despotisme : je l'avoue, mais est-il si difficile de voir que cette
monstrueuse anomalie trouve son principe en partie dans les institutions de ces
peuples et en partie dans leurs mœurs ? or, ces institutions bâtardes, nous
ne devons pas les adopter, et nos mœurs ne sont pas celles de ces peuples.
Jetons un coup d'œil rapide sur notre état social tel qu'il existait
avant notre glorieuse révolution : nous étions opprimés ; nous portions
de lourdes chaînes ; le despotisme nous enlevait successivement toutes nos
libertés civiles et religieuses ; eh bien, croyez-vous, messieurs, qu'un
pareil état de choses eût été possible, si notre représentation nationale eût
été uniquement composée de députés belges ? Notre ci-devant constitution était
défectueuse sans doute ; mais telle qu'elle était, elle renfermait encore assez
d'éléments de liberté pour nous préserver du despotisme. Sans
J'ai déjà dit, messieurs, que la liberté en tout et pour tous est un droit, une
nécessité même. Un honorable orateur, qui m'a précédé à cette tribune, adopte
le même principe, mais il en tire des conséquences qui, à mon avis, ne
sauraient être admises. Si, dans l'état actuel des choses, il était impossible
d'établir un pouvoir juste et légitime, une autorité qui a droit de commander,
je partagerais son opinion ; car, dans cette hypothèse, le pouvoir, par cela
même qu'il serait dépourvu de droit, serait essentiellement oppressif, et alors
un immense développement de liberté individuelle pourrait seul nous préserver
d'une servitude avilissante ; mais heureusement, nous ne sommes pas réduits à
cette fâcheuse extrémité. Que les peuples chez qui la religion, la morale, la
justice sont devenues de vains mots se précipitent au fond de cette
démocratie, cela se conçoit ; mais que la nation belge, nation religieuse,
droite, sincère, magnanime, se trouve réduite à chercher son salut dans cet
état précaire et pour ainsi dire sur les confins de l'anarchie, c'est ce que je
ne pourrais jamais concevoir.
On objecte
que, dans l'état actuel des choses, il est impossible de fonder la société sur
le droit divin. Ici il faut s'entendre ; le principe de droit divin a été
singulièrement embrouillé par les gallicans: selon eux, « la royauté,
quelle que soit son origine, a par elle-même un caractère divin qui la rend
inviolable et sacrée, et qui ne peut être effacé par aucun crime. Le pouvoir
du roi vient directement de Dieu, par là il est absolu et affranchi de toute
règle, si ce n'est celle de sa conscience. » Si c'est là le droit divin, je le
repousse de toutes mes forces ; pris dans ce sens, il n'est que la théorie du
despotisme ; tous les vrais catholiques le repoussent comme moi ; quelques
vieux Sorbonnistes osent seuls le défendre encore,
et cela s'explique, car cette doctrine dégradante fait partie de leurs précieuses
libertés
gallicanes.
Le pouvoir
public, ou l'autorité souveraine, quelle que soit son origine, se légitime par
la justice et par l’assentiment du peuple ; dès que ce pouvoir maintient
l'ordre et respecte les droits de tous, il a droit à notre obéissance, et cette
obéissance ne détruit point la liberté ; elle la constitue, au contraire ; car
la vraie liberté est la soumission à l'ordre et aux véritables lois. Dieu veut
cette obéissance parce qu'il veut que la société se conserve, et puisque la
société ne saurait se conserver sans droit de commander et sans devoir d'obéir,
ce droit vient de Dieu comme la société elle-même.
Voilà
le véritable droit divin, il est la plus forte garantie de notre liberté, parce
qu'il nous défend et contre le despotisme et contre l'anarchie.
(page 240) Messieurs,
je n'abuserai pas plus longtemps de vos moments précieux; le peuple belge
désire l'ordre, la paix, le bonheur ; hâtons-nous de répondre à ses vœux ;
donnons-lui un chef qui ait le pouvoir de faire le bien et qui n'ait pas celui
de faire le mal ; un bon système d'élection, la responsabilité ministérielle,
une magistrature indépendante, l'indépendance et la liberté pleine et entière
des cultes, celle de la presse et de l’enseignement, voilà les principaux
éléments qui doivent entrer dans notre nouveau pacte social. Je vote pour la
monarchique constitutionnelle héréditaire. (U. B., 26 nov.)
M. Destriveaux – Je me
serais borné à motiver en peu de mots mon vote en faveur de la monarchie
représentative constitutionnelle et héréditaire, si l'exorde du discours
prononcé par le très onorable M. de Robaulx, n'avait
produit une impression qu'il me parait nécessaire de détruire. J'aurais gardé
le silence si l'orateur, en livrant ce discours à l'impression, avait fait le
sacrifice de quelques phrases qui avaient excité un mécontentement presque
général. Qui d'entre nous, messieurs, cherche à étouffer la libre expression de
la pensée, à comprimer les minorités
Les minorités, quelles que soient leurs opinions rendent d'immenses
services. Les minorités entretiennent la vie parlementaire, en donnant aux débats
un mouvement sans lequel les vérités les plus importantes, souvent même les
erreurs les plus graves, passeraient inaperçues. Oui, sans doute, nous avons
admiré cette courageuse phalange d'intrépides défenseurs des libertés publiques
qui se sont, avec une fermeté inébranlable, maintenus sur la brèche, et ont
soutenu avec des forces numériques bien inégales cette lutte glorieuse qui a
amené la chute de Charles X. Mais qui traitait d'utopistes ces hommes dont le
courage égalait les talents ? Une faction ennemie de tout ce qu'il y a de
grand, de généreux... Dans notre sein, il n'existe point de faction, nous ne
comptons que des citoyens, tous animés des mêmes vues, marchant au même but,
dont toutes les pensées sont dominées par le désir de remplir dignement la
haute mission qui leur est confiée ; chez lesquels il peut se manifester des
divergences d'opinion, mais non d'intention. Les intentions sont pures. J'admets
la possibilité que nous ayons des erreurs à reconnaître. L'infaillibilité n'est
pas notre partage, mais de la honte à redouter, jamais, non jamais. Il y a présomption,
que l'on me pardonne cette observation, à revendiquer au moins prématurément
l'attitude imposante de cette douzaine d'hommes résistant à une majorité de
quatre cents courtisans, gorgés des faveurs du pouvoir. Il y a plus que de
l'inconvenance, il y a de l'injustice à nous présager, à nous, messieurs, élus
du peuple, la honte dont ils ont, avec raison, couvert cette majorité déchue.
N'avons-nous pas rempli un de nos premiers devoirs en écoutant avec une
attention suivie, avec un intérêt marqué, les orateurs qui ont parlé en faveur
de la forme républicaine? et si des murmures ont accueilli quelques parties du
discours de l'honorable M. de Robaulx, ils ont été provoqués, non par ses
opinions, mais par la manière de les présenter et par des prévisions gratuitement
offensantes.
Je passe rapidement à l'examen de la question qui nous occupe. Je ne
fouillerai pas les annales des peuples anciens et modernes. D'autres avant moi
ont moissonné ce vaste champ. Pour écarter la forme républicaine, je n'exhumerai
pas non plus les déplorables souvenirs de 1793. Le peuple belge sait combattre,
vaincre et mourir pour la liberté, mais jamais ses lauriers ne seront souillés
par ces saturnales révolutionnaires qui ont ensanglanté
Avons-nous ces vertus politiques au rang desquelles Montesquieu place
en première ligne le renoncement à soi-même, renoncement qui est chose très
pénible, et qui, dans l'état actuel de nos mœurs, me paraît presque impossible
? Accordons-nous une préférence continuelle à l'intérêt public sur le nôtre
propre, préférence que l'auteur de l'Esprit des
lois exige dans les gouvernements républicains ? Sommes-nous ennemis du luxe
? Il est chez nous une nécessité. Sans luxe que deviendraient notre industrie,
nos fabriques, notre commerce ? et sans industrie, sans fabriques, sans
commerce, quel serait le sort de
Considérons-nous notre situation relativement aux autres États et
particulièrement à nos voisins, il nous faut renoncer à importer sur le sol de
Abstraction
faite du titre, considérons la monarchie héréditaire elle-même. L'ordre est
notre premier devoir, la garantie la plus certaine de l'ordre est la
monarchique héréditaire. Avec l'hérédité, point de ces secousses périodiques
qui, si elles ne renversent pas les gouvernements, leur font au moins éprouver
de dangereuses commotions.
Point
d'appât pour ces ambitions démesurées qui, étouffant dans les rangs de la
société, veulent s'élever au-dessus de son atmosphère.
Point de
ces créatures nouvelles surgissant à chaque mutation de chef.
Point de
ce népotisme supplantant le vrai mérite et recueillant par droit de naissance
les récompenses qui ne doivent être accordées qu'aux services rendus à la
patrie. Je n'en finirais pas, messieurs, si je développais les avantages de
l'hérédité. Je me hâte de répondre brièvement aux principales attaques qui ont
été dirigées contre elle.
L'hérédité
et l'inviolabilité qui en est la compagne inséparable n'ont pas arrêté depuis
quarante ans le cours des révolutions.
Il
est vrai, l'infortuné et vertueux Louis XVI a été traîné à l'échafaud. Une
roche aride a recueilli les derniers soupirs de Napoléon. Le règne de Louis XVIII
a été livré aux plus violentes agitations. Charles X, nouvel et grand exemple
des vicissitudes humaines, a expié sur une terre étrangère les fautes
irréparables de n'avoir pas su profiter des leçons de l'expérience. Guillaume
Ier lui-même a perdu la plus belle partie de ses États que les combinaisons
intéressées de la sainte-alliance avaient placés sous son sceptre.
Mais quelle est la cause de ces grandes catastrophes
? le défaut d'institutions qui assurent l’exécution du pacte fondamental et en
rendent la violation impossible. Sans institutions, point de liberté, point de
stabilité.
Sous
Louis XVI,
Sous
l'empire, le despotisme militaire remplaçait les institutions.
La
puissance de Napoléon ne reposait que sur des forces matérielles. Elle s'est
écroulée. Ce sont les forces morales qui assurent l'existence des empires.
Cette grande vérité est scellée dans les flancs du rocher de Sainte-Hélène. La
loi fondamentale de 1815 divisait le royaume des Pays-Bas en deux partis
toujours prêts à en venir aux mains; après de longues et partiales temporisations,
l'action s'est engagée, la cause de la liberté a triomphé. Donnons des
institutions à
Aucuns se
sont élevés contre la prodigalité des rois, contre le mauvais usage qu'ils font
de la liste civile et les moyens de corruption qu'elle met à leur disposition ;
la fixation de la liste civile appartient au congrès. C'est à lui à tarir la
source et des prodigalités et de la corruption : l'amour, la reconnaissance,
les bénédictions des peuples ; voilà le vrai luxe d'un monarque
constitutionnel. Celui que vous placerez sur le trône, sentira, il faut
l'espérer, sa position, et dans tous les cas, vous lui ôterez les moyens d'en
abuser.
Je ne
m'étendrai pas davantage. J'ai même peut-être abusé de votre patience fatiguée
par de longs débats.
Ne
récusons pas les paroles de ce héros qui salua la liberté de l'Amérique, qui le
premier, en 1789, arbora son étendard sur l'antique palais des Bourbons et
rallia autour de lui
La
monarchie constitutionnelle représentative héréditaire, a-t-il dit, est la plus
belle des républiques.
Je ne
parlerai pas de l'amendement de notre honorable collègue M. de Robaulx ; en ne
l'appuyant pas, vous n'avez pas ouvert la discussion ; s'il eût été question
de l'examiner, je me serais borné à vous dire : A côté de l'édifice que vous
allez construire, n'ouvrez pas un volcan dont la lave brûlante en ferait
disparaître jusqu'aux plus légers vestiges.
Je
voterai pour la monarchie constitutionnelle représentative sous un chef
héréditaire. (C., Suppl., 25 nov.)
M. Delwarde – Nous n'avons pas à
rechercher quelle est la meilleure forme de gouvernement en elle-même, mais
quelle est la forme qui est vraiment l'expression de l'opinion publique. La
révolution de France a changé là face de l'Europe ; avant cette révolution,
les différents gouvernements s'appuyaient les uns sur les autres. Dans un
État, il y avait toujours des forces prêtes pour (page 242) étouffer la liberté dans un autre État. Ainsi les
peuples se trouvaient enchaînés par suite de cet exécrable accord entre les
rois qu'on a décoré du beau nom de sainte-alliance. Dans les glorieuses
journées des 27, 28 et 29 août, la nation française a changé cet état de
choses. Aucun gouvernement: ne pourra plus avoir de stabilité qu'autant qu'il
sera fondé sur le vœu général. Il est incontestable que le peuple veut un
gouvernement à bon marché ; ce gouvernement l'on ne peut le trouver que dans
la république. On a souvent parlé des utopies de ceux qui sont partisans de la
république, mais n'est-ce pas une véritable utopie de croire qu'un gouvernement
constitutionnel peut exister à bon compte ? On ne peut pas citer d’exemple d'un
tel gouvernement. Le prince inviolable doit être environné d'un certain
prestige qui entraîne de grands frais ; d'ailleurs, quelle que soit l'intégrité
du prince, il aura un système qu'il croira le meilleur, et les princes ne sont
que trop disposés à dilapider les deniers publics pour favoriser leur système
contre la majorité qui le désapprouve.
En outre, messieurs, je ne crois pas que la royauté tombe dans le goût
du peuple ; il a reçu des rois de trop terribles leçons, pour qu'iI puisse encore les aimer. Oui, messieurs, je ne crains
pas de le dire, la royauté est devenue odieuse au peuple.
On a dit que la république n'est pas dans nos mœurs. Je demanderai si la
monarchie constitutionnelle est dans nos mœurs. Avant l'arrivée de ce roi, dont
le peuple a brisé le sceptre ensanglanté, on ne savait pas même ici ce que
c'était que le gouvernement constitutionnel ; nos mœurs conviennent plus à une
république qu'à une monarchie constitutionnelle. Avant l'arrivée des Français,
il existait ici un système provincial et communal qui s'approchait plus du
système républicain que du système constitutionnel.
On regarde aussi la vertu du peuple comme nécessaire dans une
république, et d'un autre côté on dit que le peuple n'est pas mûr pour cette
forme de gouvernement. C'est tomber dans une étrange contradiction, car c'est
dire que la civilisation est trop avancée et en même temps qu'elle n'est pas
assez avancée.
Notre situation, dit-on, ne comporte pas la république. Nous ne sommes
pas, comme les Américains, isolés de toutes les autres nations, mais nous
sommes situés au milieu de monarchies absolues et représentatives. Parler
ainsi, c'est dire que nous devons établir la monarchie constitutionnelle pour
éviter l'intervention étrangère. Mais ne voit-on pas que les puissances
signataires du traité de
Vienne seraient déjà intervenues depuis longtemps si cette intervention avait
été possible
? Le temps où les nations prodiguaient leur sang en faveur du despotisme est
passé. Au lieu d'une coalition des rois contre les peuples, il y aura une
coalition des peuples contre les rois. Le premier mouvement d'une puissance
quelconque pour s'immiscer dans nos affaires serait le signal d'une guerre avec
D'ailleurs,
messieurs, ce n'est pas sur la disposition des différents cabinets de l'Europe
que nous avons à nous régler, mais plutôt sur la disposition des peuples, et
les peuples, s'ils ne sont pas encore républicains de fait, le sont du moins
par goût.
Tous les
publicistes sont d'accord que les petits États sont propres à une république.
Ainsi, sous ce rapport, notre pays convient parfaitement à cette forme de
gouvernement.
On dit que
les républicains ne déterminent pas ce qu'ils entendent par la république. Ce
gouvernement est facile à déterminer. Le pouvoir exécutif sera conféré à un
président par la voie de l'élection. Le pouvoir législatif résidera dans une
chambre de députés, et le système électoral sera à peu près tel que le
gouvernement provisoire a commencé à l'établir.
Il n'est
pas question dans une république de l'inviolabilité d'un prince, ni de tant
d'autres fictions qui sont le cortége nécessaire du gouvernement constitutionnel.
En un mot, il y a entre la royauté constitutionnelle et la république la même
différence qu'il y a entre le sophisme et la vérité.
On reproche à la
république l'agitation qui accompagne toujours l'élection d'un président, et
qui risque de bouleverser l'État. Cette agitation n'est pas aussi dangereuse
qu'on le prétend. Les États-Unis de l'Amérique sont là pour le démontrer. Les
différentes opinions se renferment dans les discussions et sont éloignées de
provoquer la guerre civile.
Dans la monarchie constitutionnelle,
un roi injuste ne peut être écarté que par une révolution ; au contraire, si le
président d'une république ne gouverne
pas bien, il sera écarté par la nouvelle élection.
(page 243) En résumé,
je pense que la république est le seul gouvernement où l'on peut trouver
l'économie ; que ce gouvernement est plus conforme à nos mœurs que le régime
constitutionnel ; que la situation de notre pays y est propre. Les orateurs
qui ont parlé en faveur de la monarchie constitutionnelle ont eux-mêmes avoué
que tous les peuples marchent vers la république. S'il en est ainsi, pourquoi
ne pas plutôt devancer l'opinion que de se laisser traîner à la remorque par
elle ? (B., 25 nov.)
M. le comte de Celles – C'est une discussion bien
solennelle qui nous occupe et bien rare dans l'histoire des nations. Par une
révolution de quelques jours nous nous sommes trouvés sur une table rase. Si
nous avons évité l'anarchie, nous devons en rendre grâce à la nation et à ceux
qui ont saisi le pouvoir dans ces jours difficiles. Le moment présent est
unique. Nous discutons librement des théories. S'est-on jamais occupé de la
question de monarchie sans avoir un monarque en perspective ? Pour nous, le
monarque n'est qu'un être moral, et personne ne peut être accusé d'être
courtisan. Je trouve plus de garanties dans la monarchie représentative
héréditaire ; la responsabilité n'est pas un leurre, comme on vous l'a dit.
Nous en avons un exemple récent : le ministère anglais vient de se retirer en
masse, parce que l’opinion qu'il avait manifestée sur
Un honorable préopinant a dit que le concordat a été extorqué. Le mot
n'est pas juste ; je ne suis pas responsable de l'inexécution du concordat.
Voilà ce que j'avais à dire pour un fait personnel.
Je parlerai de la jeunesse : ce n'est pas un fait personnel. (Rires.) Au sortir
de l'enfance, elle a connu la gloire de l'empire, et tandis qu'elle étudiait
nos institutions, elle voyait en pratique un système de déception. Je ne crains
pas la jeunesse ; elle est grave, studieuse ; elle sera toujours du côté de
l'ordre, du courage, de la liberté. Elle aura les illusions de la liberté qui
soutiennent le courage et sont sans danger. Je dirai au peuple en terminant :
Nous voulons vous rendre heureux ; nous savons ce que vous avez souffert, et
vos maux ne peuvent cesser par des révolutions successives. (U. B., 25 nov.)
COMMUNICATION
DIPLOMATIQUE
M. le président. J'ai reçu un message du gouvernement provisoire. (U.
B., 25 nov.)
M. le vicomte Charles Vilain
XIIII,
secrétaire, donne lecture
d'un acte du gouvernement provisoire du 21 novembre 1830, contenant son
adhésion à la suspension d'armes proposée par la conférence de Londres.
- Pris pour notification ; il en sera donné acte au
gouvernement provisoire. - A la demande de quelques membres, l'impression et la
distribution en sont ordonnées. (P. V.)
Un membre observe
que l'impression n'a pas encore été faite du rapport de M. Van de Weyer. (J.
F., 14 nov.)
M. le vicomte Charles Vilain
XIIII,
secrétaire, répond
que cette pièce n'a pas encore été remise au bureau. (J. F., 14 nov.)
M. Van de Weyer
– Les communications
nombreuses dont j'ai été chargé depuis plusieurs jours, m'ont empêché de remplir
ce devoir ; je prie l'assemblée de m'excuser, mais très prochainement elle sera
satisfaite. (E., 24 nov.)
Discussion générale
M. l’abbé Dehaerne – J'ai demandé la parole pour un
fait personnel ; je suis fâché que l'honorable M. de Celles n'ait pas bien
saisi ma pensée, quand j'ai dit que j'envisage les concordats comme des
restrictions de la liberté religieuse, extorquées au souverain pontife ; mon intention
n'a pas été, en parlant des concordats, d'y mettre rien de personnel. J'ai
voulu parler des concordats en général, que je regarde comme des limitations de
la liberté religieuse, et dont nous pourrions fort bien nous passer. M. de
Celles n'a pas pu (page 244) faire plus
qu'il ne lui était permis de faire ; nous savons qu'il a été en butte aux
invectives et au déchaînement des journaux ministériels pour les efforts qu'il
s'est donnés, mais nous savons aussi que, malgré tout le zèle qu'il a apporté à
sa mission, nous n'avons pas encore obtenu la pleine exécution du concordat.
Je prie donc M. de Celles de ne pas prendre mes expressions à la rigueur, si
toutefois il pense qu'il puisse y avoir quelque chose de personnel. (J. F., 24
nov.)
M. le comte de Celles
– Je remercie M. Dehaerne de son explication. (U. B., 25 nov.)
M.
Defacqz – Je m'en rapporte entièrement à ce que dit mon honorable
ami, M. Blargnies, et je renonce à la parole. (J. F., 24 nov.)
M. Lardinois –
Messieurs,
lorsqu'on réfléchit profondément sur la question qui nous occupe, on ne peut
l'aborder qu'en tremblant. La raison vous dit de se défier de l'enthousiasme,
des sentiments qu'éprouvent les âmes généreuses, de quitter totalement les
intérêts individuels pour l'intérêt public, de construire enfin un édifice sur
des bases durables.
Nous avons décrété notre indépendance, et maintenant nous
devons choisir la forme de gouvernement qui consacrera le mieux cette
indépendance. Les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune ont presque tous
conclu pour la monarchie constitutionnelle héréditaire. Ils vous ont démontré
l'excellence, je dirai presque les délices de cette forme de gouvernement ;
plusieurs l’ont fait avec éloquence et par des raisonnements solides. Je
conviendrai avec eux que le gouvernement constitutionnel héréditaire a ses avantages
; ils sont nombreux, patents ; mais une observation vous aura sans doute
frappés comme moi, messieurs ; les publicistes les plus éclairés, les esprits
les plus élevés ne nous ont-ils pas dit que, par les progrès de la
civilisation, les peuples arriveraient nécessairement à la république
universelle, que le terme n'est pas encore venu de franchir l'espace qui nous
en sépare ? C'est donc vers cette forme de gouvernement que nous tendons, elle
appartient au droit naturel, et l'émancipation des peuples la réclame.
Ne serait-il pas glorieux pour
Eh! messieurs, ce n'est pas, je dois le répéter, la démocratie
des Grecs ct des Romains que nous demandons. Nous ne voulons pas
imiter les Athéniens qui allaient sur les places publiques demander : Qu' y a-t-il
de nouveau? et
délibéraient avec confusion et sans connaissance de cause. Nous ne prétendons
pas non plus être assez sages pour nous rendre sous un chêne et régler, comme les Suisses, nos
intérêts. Nous repoussons aussi une république de 93 et ses tribuns
sanguinaires, qui invoquaient les masses pour satisfaire leur criminelle ambition. . Ce que nous
voulons avec vous, messieurs, ce sont des
institutions fortes et libérales, mais nous différons sur le principe
exécutif.
Tout ce que l'on nous a dit touchant la
responsabilité ministérielle, la liberté de la presse, l'indépendance
judiciaire, sur toutes les garanties enfin dont on doit environner les libertés
publiques, peut s'appliquer et être mis plus facilement en action dans une
république que dans une monarchie. Mais établir une république lorsque l'effervescence
est à son comble, que deviendront, s'écrie-t-on, la stabilité des États et la
sécurité publique dont nous avons besoin? Je vous le demande, messieurs, quel temps fut jamais plus fertile en révolutions que les quinze
années qui viennent de s'écouler ? Bonaparte et les Bourbons sont deux fois
renversés en France. Le Piémont, Naples, l'Espagne, le Portugal ont tour à tour
été le théâtre de révolutions. Quelques États de l'Allemagne ont avec justice renversé leurs douanes, et bientôt ils briseront tous ces
petits tyrans, dent ils ne peuvent assouvir ni les désirs ni les besoins. Qui donc a produit ces insurrections des peuples ? Est-ce la
république ? Non, c'est la mauvaise foi, c'est l'ingratitude et la tyrannie des
princes et des monarques.
Si je vous présentais l'histoire des rois, messieurs, vous
pourriez y voir le tableau
le plus hideux des faiblesses humaines. Ils s'arrogent tous les droits,
voulant s'affranchir de tous les devoirs, et ne craignent pas de commettre les plus affreux attentats contre les libertés publiques. Voyez un don Miguel et tant d'autres que je pourrais citer ! Où trouverez-vous rien d'aussi criminel, à moins que vous ne remontiez à l'empire romain, aux Néron, aux
Caligula ? Mais pourquoi nous éloigner ? N'avons-nous pas sous les yeux l'irascible Guillaume ? N'était-il pas roi
celui qui vous a fait mitrailler, qui a médité l'incendie de la ville d'Anvers
; en un mot, qui a répandu le deuil sur
Les républiques, il est vrai, enfantent les factions ; et
j'ajouterai que les monarchies trament les conspirations. En effet, qu'était
autre chose la sainte-alliance, qu'une conspiration continuelle (page 245) entre les
peuples? Les factieux républicains s'agitent contre quelques hommes élevés au
pouvoir ; les conspirateurs monarchiques veulent imposer des chaînes aux
nations.
Une considération puissante qui
s'oppose à l'établissement d'une république est celle de l'intervention
étrangère. Quoi ! vous avez sacrifié vos intérêts
matériels au repos de l'Europe, en renonçant à la réunion de
C'est une erreur de croire qu'il
faut la simplicité des mœurs des premiers temps et que le pays doit être
hérissé de montagnes, ou environné de mers, pour établir la république ; c'est
l'assentiment du peuple qu'obtiennent ces institutions, ou les dissidences
qu'elles excitent, qui permettent ou empêchent de les pratiquer. Nous ne
comprenons pas par la république un gouvernement sans gouvernement, nous
sommes convaincus que les pouvoirs doivent être parfaitement distincts ; mais
le pouvoir serait confié à un chef électif, à qui on tracerait un cercle hors
duquel il ne pourrait impunément sortir. Ce chef serait le premier citoyen de
l'État, et non pas un maître ; nous pourrions le démettre sans secousses, s'il
violait ce pacte social, tandis que pour abattre un trône, vous savez qu'on ne
le fait pas sans une commotion violente. L'élection d'un chef tous les dix ans
ne doit pas faire craindre plus d'agitations, que celle que nous allons faire
d'un roi. C'est dans ce mode d'élection qu'est toute la question.
M.
de Muelenaere examine
la question de la forme du gouvernement. Quoiqu'elle ait déjà reçu, dans ses
aperçus généraux, d'immenses développements, elle semble néanmoins à l'orateur
bien loin d'être épuisée. Des volumes entiers, dit-il, suffiraient à peine pour
l'envisager sous toutes ses faces, pour la discuter dans toutes ses parties.
L'orateur, après s'être élevé à quelques hautes considérations politiques sur
la théorie des diverses formes de gouvernement, continue à peu près en ces termes
: Si nous n'avions, messieurs, à discuter qu'une question de théorie, s'il
m'était permis de céder à l'impulsion de mes sentiments purement personnels,
si mon vote, en un mot, ne devait pas être l’expression du vœu et des besoins
du peuple belge, je n'hésite pas à vous révéler toute ma pensée , je voterais pour cette forme de
gouvernement qui me rapprocherait le plus de cet heureux équilibre, qui rend tous
les citoyens également soumis aux lois, également intéressés à les observer
et à les faire observer. Mais comme membres du congrès…, appelés par notre
mandat à fixer l'édifice de notre prospérité future sur des bases solides et
durables, nous devons consulter nécessairement, dans la formation de nos lois,
le caractère, les mœurs et les habitudes sociales du peuple auquel ces lois
sont destinées. A l'exemple d'un des plus sages législateurs
de
La forme républicaine, comme l'a
dit, il ya quelques jours, un des plus éloquents
orateurs de l'opposition en Angleterre, un homme qui, dans sa longue carrière
parlementaire, a rendu d'immenses services à la cause des libertés publiques,
la forme républicaine peut être bonne pour cette Amérique septentrionale,
encore brillante de jeunesse et de vertus simples et rigides ; mais elle ne
convient pas plus à
MANQUE 2 PAGES 244 et 245
trop précipitée, peut exposer un Etat aux plus grands dangers. Ce n'est
que lentement et par degrés qu'on parvient à détromper le peuple de ses
erreurs fortifiées par !e temps. Les lois, à la vérité, peuvent établir une
forme déterminée de gouvernement ; mais les mœurs et les coutumes seules
l'empêchent de périr. Les habitudes sociales et les mœurs exercent une
influence immédiate, une action directe sur toute la législation d'un pays. Et,
en effet, dans un État voisin, qui pendant les commotions politiques qui
l'agitèrent si violemment à la fin du dernier siècle, avait méconnu ce
principe fondamental, combien ne vîmes-nous pas de lois qui naquirent,
vieillirent et moururent presque dans le même instant ! Les leçons de l'expérience
seront-elles perdues pour nous ? Non. Nous saurons respecter ces intérêts, ces
principes, ces conditions nécessaires d'existence, hors desquels il n'y a pas
de salut pour les peuples, et dont la violation et l'oubli forcèrent la nation
française à chercher la paix et la tranquillité à l'abri d'un pouvoir
despotique et militaire.
Je pense qu'il est aujourd'hui généralement reconnu qu'un gouvernement,
quel qu'il soit, ne peut se maintenir qu'autant qu'il administre dans l'intérêt
des masses. Tout gouvernement qui ne s'appuie pas sur la majorité, doit
nécessairement tomber tôt ou tard et entraîner la minorité dans sa chute. C'est
l'histoire de Napoléon, de Charles X et de Guillaume Ier.
Toute l'étude, toute la science des gouvernants, c'est de connaître et de
discerner l'opinion de cette majorité. Dès lors une forme de gouvernement,
fût-elle bonne, fût-elle la meilleure en elle-même, si elle n'est pas de
nature à être goûtée généralement, il n'est pas encore temps de l'adopter.
Cette considération seule me semble être chez nous exclusive de la république.
– Je puis me tromper sur l'opinion dominante dans quelques contrées, où des
causes toutes locales prédisposent peut-être les habitants à cette forme de
gouvernement ; mais je parle ici plus particulièrement de la conviction que
j'ai acquise de la situation des esprits dans la province que j'habite.
Toutefois je conviens avec un honorable préopinant qu'il est des maximes
politiques qui nous paraissent aujourd'hui des utopies et des rêves, et que la
postérité réalisera peut-être.
Cependant si je me prononce pour le gouvernement constitutionnel
représentatif, ce n'est pas que je me dissimule que le penchant du siècle,
c'est la liberté. Eh ! quel peuple en Europe est plus digne d'en jouir que le
peuple belge ? Qui désormais oserait lui contester un bien qu'il a si noblement
conquis par tant de sacrifices ? Ses droits imprescriptibles à cette liberté,
nos braves ne les ont-ils pas gravés en lettres de sang dans les rues de cette
capitale ? Mais la jouissance de cette liberté est-elle donc incompatible avec
l'existence de la monarchie constitutionnelle ? La défaveur qui, dans quelques
esprits généreux, semble s'attacher à cette forme de gouvernement, provient du
douloureux souvenir que l'ancien ordre de choses a laissé dans tous les cœurs.
Mais ne sait-on pas que la constitution, sous le défunt gouvernement, ne fut
qu'une cruelle et odieuse déception ? Auriez-vous oublié déjà que cette loi
fondamentale, qui pesa malgré nous sur
Le plus grand mérite de l'homme d'État, c’est de savoir s'arrêter dans
le bien, là où commence l'excès. Le congrès, en donnant aux Belges un
gouvernement constitutionnel représentatif, sous un chef héréditaire, avec des
institutions fortes et suffisamment protectrices de tous les droits, de tous
les intérêts, aura noblement rempli sa haute mission, que la nation ne tardera
pas de sanctionner par un suffrage presque universel. Le Belge n'ignore pas
qu'on n'arrive point à la liberté par l'arbitraire, et que l'arbitraire ne changerait
pas de nom pour être exercé au profit d'un parti qui s'appellerait le parti de
la liberté.
On a fait valoir en faveur de la république une dernière considération,
bien puissante sur l'esprit de la multitude. Le Belge veut un gouvernement à
bon marché, et la république seule, dit-on, peut nous le donner. Oui,
messieurs, c'est le peuple qui a fait la révolution ; c'est au profit du peuple
que doit s'accomplir et se consolider le grand œuvre de notre régénération
politique. Mais c'est une question qui me semble loin d'être résolue, si le
gouvernement républicain, dans lequel, d'après la nature et le principe de ce
gouvernement, les pouvoirs sont essentiellement très divisés, ne coûterait
pas plus que la forme monarchique.
Nous sommes tous convaincus de la nécessité de soustraire la nation au
poids de ces impôts accablants, dont la hauteur et l'assiette vicieuse sont la
cause première de ce mécontentement général, universel, qui a provoqué notre
révolution.
Depuis cette
loi mouture, frappée, dès sa naissance, d'une juste réprobation; depuis la loi
destructive de nos distilleries ; depuis qu’on avait converti en impôt de
quotité la contribution personnelle et mobilière qui, par sa nature, est un
impôt de répartition, et que, pour satisfaire la rapacité du fisc, on avait
autorisé des visites inquisitoriales jusque dans l'intérieur des maisons et
des appartements ; depuis qu'au lieu de considérer le droit de patente comme
une simple licence d'exercer une profession, moyennant un droit fixe, plus un
droit proportionnel sur la valeur locative des bâtiments servant à l'exercice
de cette profession, conformément à la loi du 1er brumaire an VII, on avait
substitué à une idée si simple la conception ultra-fiscale
d'ouvrir cinq ou six classes pour chaque profession, en livrant ainsi le contribuable, sans aucune
défense, à la merci et à l'arbitraire de l'administration, qui pouvait à son
gré tripler, quadrupler et quintupler la cotisation ; depuis enfin
qu'indépendamment de tous les autres griefs, la nation avait acquis cette
affligeante expérience que ses charges allaient chaque année en croissant, une
révolution était devenue nécessaire, inévitable; la force des choses devait la
faire éclater ; l'heure seule n'en avait point encore sonné. Mais il ne sera
jamais dans la pensée d'un gouvernement belge et d'une chambre élue directement
par le peuple de laisser subsister un pareil ordre de choses. Quand nous en
serons arrivés là, je vous prouverai jusqu'à l'évidence que toutes les branche
d'administration sont susceptibles d'une réduction de dépenses sans nuire en
rien au service public. Je sais qu'une diminution progressive des impôts est le
premier besoin de la nation : c'est aussi vers ce but que tendront constamment
tous mes efforts. Je ne crois pas m'en éloigner en votant pour la monarchie
tempérée. (J. F., 24 nov.)
M. De Thier
– Messieurs, si j'ai
demandé la parole sur la question très importante qui se discute maintenant
dans le congrès national, ce n'est que pour y faire connaître publiquement et
en peu de mots le vote que, d'après les principes politiques que j'ai adoptés
invariablement depuis un très grand nombre d'années, je n'avais pas hésité d'émettre
de vive voix en cette matière, mercredi passé, dans la première section où le
sort mensuel m'a classé, et que j'y avais vu avec satisfaction partager ensuite
par un de nos honorables collègues, qui est aussi membre du gouvernement
provisoire (Note de bas
de page : Charles Rogier). Le lendemain, après y avoir réfléchi encore avec toute la maturité
d'esprit dont je puis être capable, je répétai par écrit dans la même section
que la forme du gouvernement républicain, pour laquelle j'avais voté, fût
calquée, autant que la différence des temps et des lieux, et autres circonstances
peuvent le permettre, sur celle de la puissante et florissante république des
États-Unis de l'Amérique septentrionale, si justement célèbre à tous égards
connus, et le vrai modèle à imiter par tous les gouvernements constitutionnels
dignes de ce nom.
Je me
bornerai maintenant, quant au surplus des motifs de mon opinion que je me
propose de publier incessamment, à adhérer à ceux établis avec tant de clarté,
que de vérité et d'énergie, par notre honorable collègue, M. Seron, député du
district de Dinant, et je ne ferai plus que rappeler (page 248) ici, car c'en est, je crois, le vrai moment, cette
prédiction mémorable et consolante d'un publiciste français justement célèbre
de la fin du XVIIIe siècle :
« On peut assurer que le monde politique tend à prendre une forme
solide (et régulière), et que par une suite du système des analogies, dans le
moral comme dans le physique, les objets cherchent à se ranger dans l'ordre de
leur pesanteur spécifique et de leurs attractions réciproques.
« Depuis la chute de l'empire romain, tout a été dans le chaos en
Europe : la féodalité s'est élevée ; elle a été écrasée par le poids des
trônes. Les partages ont été faits par la fortune et le hasard : mais sauf
l'appel à la nature, il n'y a point là de prescription : elle a marqué
elle-même les limites des nations ; les mers, les grands fleuves, les chaînes
de montagnes, sont les limites éternelles dont elle a dessiné cette carte
générale.
« Toutes les disputes et les prétentions de peuple à peuple,
finiront par renfermer chaque puissance derrière les remparts ; car les
caprices successifs et les passions punissables ne peuvent résister longtemps à
la loi constante et inflexible de la nature. »
Messieurs, c'est donc pour contribuer
à s'approcher autant que possible de ce grand but, objet des voeux ardents de
mes commettants, que je persiste fermement dans mon vote pour la forme de
gouvernement républicain représentatif, entouré de toutes les garanties
constitutionnelles de nos libertés publiques et individuelles, et portant en
lui-même le germe de son indéfinie perfectibilité. (E., 25 nov.)
M. le comte de Robiano s'en
réfère au discours de M. le comte de Celles et votera pour la monarchie. (U.B. 25 nov.)
M. Barthélemy – Si je devais voter d'après mes
sentiments, je voterais pour la république, mais je dois ici consulter ma
raison. J'ai assez vécu pour voir tomber deux républiques et trois monarchies. Les
deux républiques sont tombées par le vice inhérent à leur existence. Les trois
monarchies, parce que les chefs considéraient le gouvernement comme leur
domaine. C'est en Pensylvanie qu'on a pour la
première fois établi en principe que tout pouvoir est un mandat et non une
propriété. L'assemblée constituante a proclamé le même principe. L'Europe a
déclaré la guerre à
M. Jean Goethals – Messieurs, arrivé depuis
ce matin dans votre honorable assemblée, je n'ai pu suivre, avant ce jour, les
débats ouverts sur l'importante question qui vous occupe, et je ne prétends pas
continuer une discussion sur les avantages de la république, devenue peut-être
inutile aujourd'hui. Je veux seulement motiver mon vote, et je dis que ma
conviction pleine et entière est que le gouvernement républicain est le plus
parfait de tous et le plus digne de la marche toujours croissante de la civilisation
et de la puissance du peuple.
Plusieurs
orateurs sont convenus, messieurs, de la vérité de ce principe ; mais ils se
sont laissé arrêter par la difficulté de l'introduire en Belgique. Cette
difficulté, messieurs, est loin de me faire reculer ; je vois, au contraire, et
je me ferais fort de le prouver, autant que je me fais gloire de le dire, je
vois parmi le peuple belge assez de dignité pour mériter un gouvernement
républicain, et assez de vertus, de force et de courage pour pouvoir s'y
maintenir. En ami sincère du peuple, et par cela seul partisan zélé de la
république, où je vois son bonheur, je voterai pour elle. (U. B., 25 nov.)
M. Alexandre Rodenbach – Je vous
dirai sans préambule que je vote en faveur d'une monarchie républicaine, comme
l'entend M. Barthélemy, parce que sous un pareil gouvernement le peuple marche
avec sécurité entre deux précipices, l'abus du pouvoir et l'excès de la
liberté. (U. B.. 25 nov.)
M. Goffint – Il y a peu de jours que j'ai déclaré dans cette
assemblée que, persistant dans l'opinion que j'avais émise en section de voter
pour une république, mais n'ayant aucun espoir de rallier à mon avis la
majorité du congrès, puisque les dix-neuf vingtièmes paraissaient disposés à se
prononcer pour une monarchie, je croyais devoir renoncer à prendre la parole.
Mais depuis, des collègues m'ont représenté la convenance qu'il y avait à
donner au moins mes raisons de dissentiment : j'ai compris la justesse de
cette observation, mon devoir était d'y céder.
Je voterai
donc pour une république, parce que, bien que personne n'en veuille, c'est, de
l'aveu général, la forme de gouvernement la plus parfaite, celle qui comporte
la pratique de plus de vertus, la seule qui soit forte et présente une
vérité, la seule enfin qui puisse réaliser l'utopie d'un gouvernement à bon
marché.
Je
n'appellerai pas l'histoire à mon aide ; les discussions précédentes m'ont
prouvé que c'est un arsenal où l'on peut prendre des armes pour et contre
tous les systèmes ; et j'estime qu'il n'est pas juste d'évoquer les
temps passés pour en faire des applications à la société moderne.
Je ne me
créerai pas non plus des fantômes pour me donner la satisfaction de les
combattre ; personne n'a jamais prétendu faire intervenir le peuple proprement
dit, la masse enfin, dans l'administration d'un État républicain ; l'on n'a
jamais dit que l'élection d'un président se ferait sur les places publiques, et
l'on ne voit pas trop pourquoi le peuple s'agiterait plutôt quand on élira un
président, qu'il ne s'agite et ne s'inquiète en ce moment où vous allez faire
un roi. Nous ne voyons pas non plus pourquoi, dans notre État fédératif, il
faudrait autant de législatures particulières que nous comptons de provinces,
puisque les mêmes lois les régissent toutes aujourd'hui sans inconvénient. Il
ne serait donc pas besoin de renchérir sur le projet de Van Maanen,
et d'instituer neuf cours supérieures et neuf cours de cassation
; chaque province, sans doute, aurait une administration à part, et sauf
quelques changements dans les attributions, je demande où serait l'innovation
: chacune n'a-t-elle pas maintenant son gouverneur, ses commissaires de
district, ses états provinciaux et ses états députés ?
L'épouvantail
de 93 ne nous touche aucunement : nous sommes en 1830. Dans l'intervalle les
peuples ont fait un grand pas ; les positions d'ailleurs ne sont pas les mêmes
: le sang est passé de mode aujourd'hui, et le caractère du peuple belge nous
est un sûr garant qu'il n'en sera pas versé.
Les
puissances étrangères ne nous effrayent pas davantage. Nous ne contestons pas
qu'il soit possible qu'en choisissant telle forme de gouvernement plutôt que
telle autre, nous ne soyons exposés à leur déplaire, voire même à encourir leur
disgrâce. Ce ne sont là pourtant que des présomptions, et je n'ai pas acquis la
certitude jusqu'ici, même par le rapport de notre envoyé en Angleterre, que
nous ne soyons pas maîtres absolus de nous choisir la forme de gouvernement
qu'il nous plaira ; et s'il est vrai que nos voisins exercent autant
d'influence sur nos délibérations, si, avant de prendre une détermination,
nous devons nous demander si elle convient aux étrangers, alors nous avons eu
grand tort d'employer deux jours pour discuter et déclarer notre indépendance
!... L'indépendance, messieurs, je ne la comprenais pas ainsi.
On craint
que dans une république chaque renouvellement du chef n'éveille les ambitions,
n'amène des commotions, des secousses violentes... A ces craintes j'opposerai
les miennes. De l'aveu même des partisans de la monarchie, les rois sont en
état permanent d'insurrection contre les libertés publiques ; il est nécessaire
de se tenir constamment avec eux sur la défensive ; aussi se propose-t-on bien
ici de prendre ses précautions, et, pardonnez-moi l'expression, de garrotter
celui que nous allons élever au pouvoir en manière telle qu'il lui restera tout
au plus assez de liberté pour se remuer ; mais alors, si pour attirer l'élément
démocratique au principe de la monarchie héréditaire, on restreint par trop
les pouvoirs du chef de l'État, n'arrivera-t-il pas nécessairement que ce chef
n'aura pas assez de force pour se maintenir, qu'il ne sera qu'un fantôme de
roi ? Ne craint-on pas de nous entraîner par là dans de nouvelles et plus
terribles révolutions que celle où nous nous trouvons encore ? Si, au
contraire, on admet un chef temporaire, on peut sans danger lui confier une
plus forte somme de pouvoirs. Ici l'abus n'est guère à redouter, et le remède
d'ailleurs ne serait jamais bien éloigné du mal. C'est ainsi que l'on nous a
représenté le président des États-Unis investi du pouvoir extraordinaire, sans
nous dire pourtant qu'il eu ait jamais mal usé ; et c'est par cette raison,
entre autres, messieurs, qu'un État démocratique est bien plus fort qu'une
monarchie.
(page 250) A ce mot
de monarchie vient s'accoler de suite chez nous la question de personne ; et
l'embarras du choix d'un souverain, le manque de candidats qui réunissent les
conditions ou qualités requises pour aller s'asseoir de plein saut sur le
trône, me paraît ici une difficulté immense ; l'embarras redouble si l'on
considère que le choix que l'on va faire est définitif.
Je raisonne dans la supposition, parce que tel est mon dire, que celui
que l'on choisira pour chef de la monarchie sera Belge.
Eh bien ! pense-t-on qu'il soit possible de métamorphoser tout à coup
en roi un citoyen distingué par ses vertus, sa naissance, recommandable par
des services rendus à la patrie ? sera-t-il entouré de ce prestige, lui
vouera-t-on ce culte qui fait une partie de la force de la royauté ? Il est besoin
d'une espèce de croyance superstitieuse, d'une foi robuste pour considérer tout
à coup un homme que naguère nous traitions encore en égal, pour le considérer,
dis-je, comme une espèce de demi-dieu, ne pouvant jamais faire mal, puissant
seulement pour faire le bien.
D'ailleurs, quelles racines la royauté a-t-elle jetées parmi nous,
ballottés que nous sommes, depuis des siècles, au gré de nos différents maîtres
? Sans doute, dans un pays où elle remonte à des temps reculés, en France par
exemple, où elle date de quatorze siècles, où tant d'intérêts se rattachent à
son existence, où elle a passé dans les mœurs, on peut la croire une nécessité
: là la fiction peut passer pour la réalité ; mais ici, en Belgique, rien ne le
justifie, et l'expérience que nous avons subie récemment, d'abord d'un empereur
absolu, plus tard d'un roi constitutionnel, n'est pas faite pour nous décider à
recommencer.
Et puis quelles garanties nous présente un souverain héréditaire, avec
une chambre haute, héréditaire ou non, mais à la nomination du monarque, et
inventée, on ne s'en cache pas, pour comprimer la démocratie, pour servir de
barrière contre elle ? n'est-il pas à craindre que ces pouvoirs, armés chacun
de leur veto, ne s'opposent par la suite à toute amélioration en
harmonie avec leurs idées, à tout progrès vers une plus grande liberté ? Et si
ces craintes se réalisaient pourtant, ferez-vous à chaque fois une nouvelle
révolution ? Dans cette monarchie constitutionnelle, avec son .équilibre de
pouvoirs que l'on trouve si admirable, je ne vois, moi, qu'une tyrannie.
Quant à savoir si le peuple belge est mûr pour recevoir des institutions
toutes démocratiques, c'est 1une question que chacun résout à sa manière : je
pense, moi, que son sens, son calme, son instruction le rendent digne de jouir d'un tel
bienfait ; que sa richesse n'y est pas un obstacle : l'expérience seule
pourrait vider ce différend ; je ne vais pourtant pas jusqu'à vous proposer la
république comme une expérience.
Quoi que l'on en ait dit, je pense qu'un
gouvernement républicain coûte moins cher qu'une monarchie ; et pour ne parler
que du chef de l'État, je soutiens qu'un président, vivant en simple
particulier, sans entourage aucun, ne coûte pas aussi cher qu'un roi ; on nous
a cité à la vérité le duc d'Orléans, aujourd'hui roi des Français, comme une
exception... Je sais que ce monarque éminemment populaire, modèle de simplicité,
se promène, comme on nous l'a dit, dans les rues de la capitale, Le chapeau
rond sur la tête,un parapluie à la main.
Je le sais, messieurs, et je ne vous demanderai qu'une chose, et alors
peut-être me convertirai-je au royalisme ; montrez-moi notre duc d'Orléans.
A son
défaut, je voterai pour une république, non-seulement parce qu'un président
temporaire, choisi par les mandataires du peuple parmi tout ce que le pays
offre d'hommes vertueux, instruits, expérimentés, me présente plus de garantie
que celui qui arrive au pouvoir par droit de naissance, mais j'y suis encore
déterminé par ce motif que s'il est vrai, comme des orateurs l'ont prévu, comme
des publicistes le prédisent, que nous devions un jour appartenir à
Quelle que
soit la forme du gouvernement que vous choisissiez, je n'ai pas besoin de vous
dire, messieurs, que je serai le premier à m'y soumettre sans arrière-pensée.
(U. B., 25 nov.)
M. Seron – Messieurs, je ne prends la parole
que pour ajouter quelques mots à ce que j'ai dit dans mon premier discours,
afin de fortifier mes preuves et de répondre à quelques objections que j'ai
remarquées dans les opinions des orateurs qui m'ont précédé ou suivi à cette
tribune.
Nous
sommes tous d'accord, messieurs, en ce que nous cherchons tous le bonheur du
peuple et le voulons sincèrement; nous ne différons que sur les moyens de l'assurer.
En d'autres termes, notre intention à tous est d'arriver au même but ; mais
quel chemin nous y conduira? C'est ici que les opinions sont diverses. Les uns
se prononcent pour l'hérédité des pouvoirs et l'inviolabilité du
chef de l'État, ce que j'appelle la monarchie ; les autres donnent la
préférence à la république, et c'est ainsi qu'ils nomment le gouvernement objet
de leurs vœux, où le chef du pouvoir exécutif, d'ailleurs soumis à la loi
commune, est électif, et n'exerce ses fonctions que pendant un temps déterminé,
L'opinion de ceux-ci (et c'est la mienne) concorde parfaitement avec
les principes énoncés dans le rapport fait par Condorcet à
« Enfin, ce respect pour un individu, cette espèce d'ivresse dont
la pompe qui l'entoure frappe les imaginations faibles ; ce sentiment d'un dévouement
aveugle qui en est la suite ; cet homme mis à la place de la loi dont on
l'appelle l'image vivante ; ces mots vides de sens, par lesquels on veut
conduire les hommes comme s'ils étaient indignes de n'obéir qu'à la raison :
tous ces moyens de gouverner par l'avenir et la séduction, ne conviennent plus
à un siècle éclairé, à un peuple que les lumières ont conduit à la liberté. »
Condorcet conclut que la royauté a dû être abolie, et vous remarquez,
messieurs, qu'il parlait de la royauté constitutionnelle qu'avait limitée la constitution
de 1791.
.Je suis heureux, messieurs, de pouvoir m'appuyer ici du sentiment de
cet homme célèbre et vertueux, et je me félicite en outre, que l'occasion se
soit naturellement présentée de détruire l'allégation de l'un de nos
honorables collègues qui a dit qu'on n'avait vu en France que quelques hommes
inconnus se prononcer en faveur de la république. Certes Condorcet et ses
collègues, que je viens de nommer, n'étaient pas des hommes inconnus.
Les autres considérations qu'on a voulu faire valoir en faveur de la
monarchie et contre la république ne détruisent pas les principes dont je
m'étaye ; elles ne peuvent donc ébranler mon opinion. Ma mémoire en a conservé
quelques-unes que je rapporterai succinctement, et auxquelles je répondrai de
même, afin de ne pas vous ennuyer. Je les présente dans le même ordre que je
les ai recueillies.
Nos adversaires ont dit: « La monarchie héréditaire est le plus ancien
des gouvernements. » Je réponds que si elle est le plus ancien des
gouvernements, elle est donc l'œuvre des sociétés encore dans l'enfance, elle
ne peut donc être en harmonie avec l'état actuel de notre civilisation, de nos
lumières et de nos besoins. - On a dit: « Ce gouvernement est le plus
expéditif. » Je le crois bien : les rois sont en effet très expéditifs quand il
s'agit de nous dépouiller, de nous écorcher, et de nous faire pendre. (Rires.
)- On a dit: « Ces gouvernements sont les plus nombreux. » Oui, c'est pourquoi
il y a plus de mal que de bien sur la terre. On a ajouté: « Ils sont les plus
durables. » Oui , ils durent longtemps et trop longtemps pour l'honneur et le
bonheur du genre humain. - On a dit: « La monarchie ne convient pas à notre
situation géographique. » Est-ce parce que
On prétend qu'en Angleterre le ministère est nommé
indirectement par la nation ; je vois plutôt qu'il est nommé par les
oligarques.
On a dit: « Dans l'Amérique du Nord, le sixième de
la population est esclave. » Ce calcul est peut-être exagéré ; mais
l'esclavage des noirs, qui n'a pas sa source dans le gouvernement républicain,
peut-il être opposé au système républicain ? Croit-on que les citoyens
d'Athènes n'étaient pas libres parce que dans Athènes il y avait des esclaves
comme dans toutes les républiques de l'antiquité, et que même ils y étaient en
plus grand nombre que les citoyens ? - On a dit : « On vit à Naples à bon
marché. » Ce n'est pas répondre à l'objection que la monarchie coûte cher.
De plus, si l'on vit à bon marché à Naples, c'est que là comme ailleurs la
monarchie tue le commerce que la liberté seule peut vivifier. - On a dit: «
Mais ce qui surtout a beaucoup effrayé les imaginations, c'est la
crainte d'une seconde représentation du drame dont
Je
persiste dans l'opinion que j'ai déjà émise, et je vote pour la forme
républicaine.
Je
réponds à M. Barthélemy :
La
démagogie est le gouvernement de la populace ; je ne veux pas même de la
démocratie pure qui est le gouvernement où le peuple vote lui-même la loi ;
que M. Barthélemy lise mon discours, s'il ne l'ennuie pas trop, et il verra
qu'il ne m'a pas compris. (U. B., 25 nov.)
M. Barthélemy: Ce n'est pas de vous que j'ai parlé. (C., 24 nov.)
M.
Seron – C'est égal ! l'explication est toujours bonne.
Je vais émettre quelques considérations à l'appui de notre amendement... (La clôture!
la clôture! M. Seron quitte la tribune.) (C., 24 nov.)
M. le président – Je vais voir si cette proposition est
appuyée. (.J. F., 24 nov.)
M. Henri de Brouckere – Qu'on lise l'amendement. (J. F., 24 nov.)
M. Devaux s'oppose à la lecture, disant que cet amendement ne peut interrompre la discussion
principale de la question dont on s'occupe. (J. F., 24 nov.)
M. de Robaulx , Il faut que l'amendement soit discuté et voté avant
la proposition. J'ai le droit de le demander. (U. B., 25 nov.)
M. Alexandre Gendebien : Ce n'est pas un amendement. (U. B., 25 nov.)
M. Charles Le Hon : C'est une proposition particulière, un article
additionnel. (U. B., 25 nov.)
M. de Robaulx : C'est un amendement, et je vais vous le lire. (Non!
non!) (U. B., 25
nov.)
M.
Lebeau , Dans tous les cas, il faut que la discussion
principale soit close. (U. B., 25 nov.)
Plusieurs membres du bureau – Il y a encore des députés inscrits. (U.
B., 25 nov.)
M. le président – Je vais leur donner la parole. (U.
B., 25 nov.)
M. de Behr lit un discours peu étendu en faveur de la monarchie. (U. B.,
25 nov.)
M. Alexandre Gendebien
- Je n'abuserai pas de
vos moments, messieurs ; nous connaissons tous les théories de la monarchie et
de la république, et dans mon opinion personnelle la république est le meilleur de tous les gouvernements. Je dirai plus, je crois
connaître assez le caractère de mes concitoyens pour pouvoir dire qu'ils sont
dignes de vivre sous un régime républicain ; mais dans la position où nous
sommes placés, je demeure persuadé que si nous établissions aujourd'hui la
république elle n'aurait pas trois mois d'existence ; les puissances mêmes qui
nous protégent ne craindraient pas de descendre jusqu'à des intrigues pour
nous plonger dans l'anarchie. L'hiver va arriver et les embarras avec lui, et
la république serait morte de consomption, peu de jours après son
établissement.
J'adhère,
d'ailleurs, pleinement à ce que nous a dit mon honorable ami M. Blargnies. (U.
B., 25 nov.)
(page 254) M. Van de Weyer – Je crois aussi devoir motiver mon
vote. Je suis républicain par théorie, mais la théorie se modifie par les hommest les circonstances. Je ne conteste pas à mon pays
toutes les vertus civiques et des mœurs semi-républicaines.
Il en résulte qu'il y a moins de danger en Belgique qu'ailleurs à placer le
pouvoir entre les mains d'un seul. (U. B. 25 nov.)
Un membre – On vous a
dit qu'il y avait eu des rois mangeurs d'hommes. Il y a aussi des buveurs de
sang. Je vote pour la monarchie, mais le grand embarras sera de trouver un roi.
(E., 24 nov.)
Plusieurs membres – Rassurez-vous,
nous en trouverons plus de quatre. (E., 24 nov.)
M. le baron Beyts – Je vote en
faveur de la monarchie, et je désire que la première chambre soit organisée de
manière à former une cour d'équité, comme l'entend M. l'abbé de Foere, et à
rappeler l'ancien conseil de Brabant. (U. B., 25 nov.)
M. Camille de Smet – Un
honorable membre de cette assemblée a dit que l'établissement d'une monarchie
serait un obstacle à la réunion à
M. Lardinois répond au
préopinant. (J. F., 24 nov.)
M. le comte d’Arschot
– Si la monarchie est un moyen d'empêcher la réunion à
M. Henri de Brouckere s'en
réfère à ce qu'a dit M. Blargnies et vote en faveur de la monarchie. (U. B., 25
nov.)
- Une discussion s'élève
relativement à la priorité à donner aux orateurs qui réclament la parole.
M. le président l'accorde
à M. de Robaulx. (J. F., 24 nov.)
M. de Robaulx – Nous avons
entendu un jeune orateur (M. Forgeur) se déclarer l'expression de la jeunesse
et s'exprimer en son nom.
J'ignore s'il en a le mandat, j'ignore si ce mandat sera ratifié par
l'assentiment de cette jeunesse.
En déclarant que la jeunesse, l'opinion du siècle, veut le retour des droits
de naissance, qu'elle appelle de ses vœux l'hérédité comme un besoin, on
assume une grande responsabilité ; l'orateur auquel je réponds doit réfléchir
que s'il interprète aussi mal l'intention de la jeunesse que la mienne,
lorsqu'il m'a supposé la perfide intention de parler aux masses et de
m'adresser à d'autres qu'au congrès, il ne sera guère en harmonie avec l'un ni
avec l'autre.
Ces
observations prouvent qu'il est dangereux de se livrer facilement aux premiers
mouvements d'une première impatience.
Le mot de
honte a fâché beaucoup de monde.
J'ai dû faire
imprimer mon discours tel que je l'ai prononcé, pour que tout homme de bonne
foi puisse apprécier la mienne.
Depuis, beaucoup d'honorables collègues ont lu mon discours et beaucoup
ont reconnu que la précipitation les avait trompés; ils m'ont rendu justice.
D'autres, qui ne m'ont sans doute pas lu, ont dit que mes paroles
avaient été offensantes ; elles ne l'ont été, messieurs, que pour ceux qui ont
abandonné notre opinion, non pas par un sentiment d'une honorable conviction,
mais par le seul motif que nous sommes faibles en nombre ; alors
celui qui nous a quittés par ce motif a montré de la lâcheté, alors il y a
honte d'en revenir, et c'est à ceux-là que je m'adresse. (Murmures. Interruption,)
Pourquoi a-t-on relevé le gant ? Pourquoi l'honorable M. Destouvelles
s'en est-il fâché ?
Quant au fond, j'ajoute les considérations suivantes à mon vote contre
la monarchie, elles me paraissent de nature à faire naître des réflexions
sérieuses sur la question qui nous occupe.
Dangers de la monarchie
Je ne veux pas de la monarchie héréditaire, parce qu'elle nécessite
l'établissement d'une cour dispendieuse dont les frais sont payés par le
peuple.
Je ne veux pas de cour, parce qu'elle réveille l'ambition de beaucoup de
monde qui, pour y parvenir, transige avec ses principes ou les abandonne.
.Je ne veux pas de la monarchie, même constitutionnelle, parce qu'au
fur et à mesure que la nation envoie à la représentation nationale un (page 255) homme à talent, il est aussitôt
environné de tant de moyens de séduction, de tant de piéges, que souvent la
vertu succombe ; et que l'homme de bien, le champion populaire, se fait le servile
adulateur du despote qui le paye.
Je ne veux
pas de monarchie, parce que les représentants du peuple viennent respirer
l'air contagieux des antichambres et de la cour ; et nous le savons,
messieurs, combien d'hommes à précédents honorables ont abandonné la cause de
la patrie et sont devenus les soutiens d'un pouvoir oppresseur.
Je ne veux
pas de la monarchie, parce que sous elle la justice n'est souvent qu'un
mensonge, au moyen duquel les vexations enduites d'un vernis légal font
éclipser toutes les libertés.
Je n'en
veux pas, surtout à présent, parce que les compagnies de justice comptent dans
leurs rangs des hommes antipathiques à la nation, hommes dont la présence a
nécessité, de la part des membres d'un barreau, une protestation énergique.
Je ne veux
pas de monarque, parce que son intérêt le portera à empêcher les épurations que
nécessite l'état actuel de toutes les branches d'administration.
Je ne veux
pas de monarchie, parce que sous elles les fonctionnaires s'habituent à croire
qu'ils ne tiennent leurs places que du maître et non de la nation ; et par
suite, la crainte de perdre leurs emplois les porte naturellement, par désir
d'inamovibilité, à s'opposer à la liberté d'élection qui Il leur serait fatale.
Je ne veux
pas de monarchie, parce que ces mêmes fonctionnaires, et j'en suis tous les
jours persuadé, deviennent les amis de la stabilité de l'ordre des choses, afin
que cet ordre de choses dont ils font partie, essuie le moins de changements
possible, et l'on sent que la république, qui soumettrait leurs places à la
chance de l'élection, ne peut leur convenir.
Je vote pour la
république, parce qu'elle est le triomphe des capacités et de la vertu. (E., 27
nov.}
M. Van Snick justifie son vote ; il fait le
sacrifice de ses opinions républicaines pour le même motif que M. Alexandre
Gendebien. (U. B., 25 nov.)
M. Pirson –
Messieurs, et moi aussi, j'ai, il y aura bientôt dix ans, vanté beaucoup la monarchie
constitutionnelle, et j'ai réclamé, mais en vain, les lois qui doivent la
consolider. Voici ce que j'en disais le 22 décembre 1821, à l'hôtel de ville, à
Bruxelles, en face de tous les ministres de l'ex-roi :
« Pourquoi
n'avons-nous pas une bonne loi sur la responsabilité ministérielle ? Pourquoi
permet-on aux ministres de répéter dans toutes les circonstances, qui
présentent ici une grande divergence, qu'ils ne sont que les exécuteurs passifs
de la volonté du roi ? La censure de tous les actes publics étant permise,
nécessaire même, sous un gouvernement constitutionnel, il faut bien que celle
des actes du pouvoir exécutif s'exerce sur quelqu'un. Quel doit être ce
quelqu'un ? Ce n'est pas le roi dont la personne, dans tous les cas possibles,
doit être inviolable et sacrée. Sans la censure raisonnable de tous les actes
du pouvoir, point de liberté, point de loi fondamentale, c'est le despotisme.
Sans la responsabilité ministérielle, point de monarchie constitutionnelle; il
faut, ou que le monarque soit renversé par la république, ou qu'il devienne
absolu. Que serait un roi responsable ? L'être le plus malheureux qu'il soit
possible de supposer en ce monde ; en butte à toutes les attaques, il devrait
bientôt abandonner le gouvernail ou secouer la responsabilité. Mais qu'elle est
belle la monarchie constitutionnellement ! C'est l'image de
« La
responsabilité constitutionnelle impose à tout ministre l'obligation de
conseiller ou déconseiller, selon les circonstances où il se trouve. Il peut
être aussi coupable (à moins qu'il ne se retire) d'avoir négligé l'un que
l'autre de ces devoirs ; et voilà comment les passions, le bien et le mal peuvent
se combattre dans le palais, sans que le peuple prenne part à ces débats.
Définitivement le bien doit l'emporter, et tout le monde en jouit à la fois.
« D'après
la tactique actuelle, le blâme de tout ce qui est mal tombe et sur la personne
du roi et sur celle des membres des états généraux, dont l'opinion est supposée
avoir été déterminée par la corruption et l'intérêt personnel.
« Par
un renversement de tous principes, ce sont les ministres qui sont inviolables
chez nous. Ils repoussent même toute responsabilité morale en répétant sans
cesse, publiquement et particulièrement, c'est le travail du roi, ou
bien de telle ou telle commission, toutes commissions occultes, qui peuvent
être dirigées par l'intérêt particulier ou local, puisque, à défaut de
publicité, l'intérêt public ne peut exciter la gloire du bien d'une personne.
(page 256) « Ainsi dans l'état des choses point de
responsabilité réelle ni morale.
« Eh
mais ! dans les gouvernements les plus absolus, les ministres ne sont-ils
point souvent par le fait responsables, non-seulement de leurs conseils (car
quel est le despote qui gouverne tout à fait par lui-même), mais encore de la
non-réussite des déterminations propres du despote ? Voyez
« Nos
ministres voudraient-ils par hasard de cette responsabilité-là ? Je réponds
pour eux: Non. Eh bien! qu'ils acceptent donc la responsabilité constitutionnelle,
et qu'ils soient assez généreux pour nous la proposer eux-mêmes. Qu'ils soient
tranquilles: une responsabilité semblable serait plus morale que réelle ; on
ne verrait point souvent un ministre poursuivi par-devant la haute cour, mais
il suffit qu'il puisse l'être, pour que la nation ait plus de confiance dans
les mesures du gouvernement. D'un autre côté, les ministres se trouveraient.
par là bien plus autorisés à déconseiller un roi trompé ou par son propre
jugement, tout pénétré qu'il soit de l'amour du bien, ou par des influences
étrangères au ministère. »
Si à cette
époque la monarchie constitutionnelle eût pris racine chez nous et en France,
il n'y aurait point eu de révolution nouvelle en France et chez nous. La
monarchie ne serait point remise aujourd'hui en question; et nous jouirions
peut-être tranquillement de tous les avantages que, selon moi, on lui accorde
bien gratuitement.
Mais les
rois qui avaient juré de défendre et maintenir des lois fondamentales ont tous
été, sans exception aucune, des faussaires; ils ont conspiré avec les rois
voisins pour détruire pièce à pièce l'édifice constitutionnel, et proclamer
enfin le gouvernement absolu : témoins le Piémont, Naples, l'Espagne, le
Portugal,
M. le président – Écoutez la conversion de M. Pirson. (Hilarité.)
(U. B.. 25 nov.)
M.
Pirson – Je reviens franchement à la république qui a
été la pensée de mon jeune âge, comme la monarchie constitutionnelle est la
pensée profonde, réfléchie, bien mûrie d'un autre jeune homme. Je désire
beaucoup et bien sincèrement que, comme moi, il ne soit pas obligé de revenir
d'une première impression.
J'ai déjà
dit que la république et la monarchie, comme nous les concevons tous
maintenant, n'ont rien à prendre de l'ancien temps. Ainsi à quoi bon passer en
revue l'histoire ancienne, celle du moyen âge, et même l'histoire moderne ? Je
me borne à la contemporaine, et c'est dans les faits que notre mémoire nous
rappelle à tous, que je puise ma conviction.
J'ai dit
que si Bonaparte avait bien compris sa mission, s'il eût fait des hommes libres
et non des rois valets, nous aurions maintenant la république fédérative dans
toute l'Europe.
Que si, en
1815, les rois n'avaient pas manqué à la foi promise à leurs peuples, nous
aurions partout la monarchie constitutionnelle, qui se serait peut-être
maintenue quelque temps. Je dis quelque temps, messieurs, parce que la
monarchie, quelque barrière qu'on lui oppose, tend toujours à l'extension du
pouvoir. Et avec le progrès toujours croissant et plus actif des lumières, des
sciences, des arts, du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, il est
impossible que ce vice radical ne disparaisse pas, comme sont déjà disparus un
grand nombre de vices accessoires, l'esclavage, la féodalité, etc.
Le monde civilisé est
en travail. Ce travail sera-t-il long ? Non : il faut que cela finisse
bientôt. Que va donc enfanter notre époque ? la monarchie constitutionnelle,
mais toujours transitoire selon moi, si les rois ont le bon sens, je dis bon
sens dans leur intérêt, ont le bon sens,
dis-je, de se mettre à la tête du mouvement : la république bientôt, si les
rois, les doctrinaires, les principiers jeunes et
vieux, persistent à vouloir retarder le mouvement.
La première conviendrait mieux à mon âge, parce
qu'une trêve donne au moins quelque repos ; mais ce repos préparerait de nouveaux
combats ; ce n'est point là l'héritage que j'ambitionne de léguer à mes
enfants.
Je pense
que le mouvement d'une république sage et modérée est nécessaire au maintien de
la liberté et de tous les besoins du siècle ; que la monarchie, fût-elle constitutionnelle,
parviendra toujours à retenir le cercle des libertés publiques, .jusqu'à ce que
de nouveaux combats recommencent.
Eh!
messieurs, l'on veut que nous ne puissions trouver les éléments d'une bonne
république, parce que nous n'avons pas encore toutes les vertus républicaines,
et l'on nous assure en même temps, que nous ne trouverons ni hommes
corruptibles ni hommes corrompus autour des rois, ni solliciteurs à la suite
des ministres, qui auront aussi des familles à enrichir. Cela implique contradiction.
Les monarchistes accusent les républicains de tendre à la démagogie Les
républicains ne veulent pas plus la démagogie que les monarchistes ne veulent
la féodalité. Je ne crains pas plus l'un que l'autre aujourd'hui. Je voterai
pour la république, et me soumettrai entièrement et franchement à la monarchie
lorsqu'elle sera adoptée.
Messieurs,
après avoir émis mon opinion sur le fond de notre discussion, permettez-moi de
vous dire un mot sur la forme que nous y avons mise ; ce n'est point que la forme
soit à la veille d'emporter le fond. Votre décision comme la mienne, comme
celle de M. Forgeur, sera de conviction intime et bien réfléchie, je n'en doute
aucunement ; mais, messieurs, il y a ici des oreilles, me semble-t-il, trop
susceptibles. Soyons plus avares de rappels à l'ordre, Tout rappel à l'ordre
introduit du trouble ; j'ai été affligé des cris, et surtout de celui qui a
couvert tous les autres, contre un défenseur de la république. La circonstance
était mal choisie, messieurs ; nous avons tous besoin de la confiance el de la
considération de nos concitoyens. Il n'y a point de division ici, mais il
importe peut-être à quelque parti étranger de l'introduire dans le congrès et
de la semer au dehors. Nous resterons unis, messieurs ; quand nous aurons prononcé
bientôt sur les deux questions vitales qui nous occupent, tout redeviendra
calme autour de nous. Nous avons besoin d'une indulgence réciproque,
messieurs; car si nous ne sommes pas encore assez instruits et modérés pour
être républicains, notre éducation monarchico-parlemenlaire
n'est point faite non plus. (U. B. 27 nov.) .
M. l’abbé de Foere – Messieurs,
un honorable membre du congrès, M. Blargnies, a bien voulu émettre quelques
considérations sur le vote que j'ai émis sur la forme de l'État. J'ai voté pour
une hérédité souveraine, limitée à un seul cas de déchéance, sur lequel une
cour d'équité serait appelée à prononcer. L'honorable membre a pris la question
là où je ne l'ai pas posée. Il a d'abord confondu l'hérédité, que j'ai
proposée, restreinte à ce seul cas, avec la forme élective des républiques. Je
vous demanderai, messieurs, quelle était la forme de l'Etat sous Charles X et
sous Guillaume ler ? A moins de confondre toutes les
notions reçues, il n'y a, certes, à cette question qu'une seule réponse. La
forme de gouvernement, sous ces deux rois, était assurément une monarchie
héréditaire à titre de perpétuité. Cependant qu'est devenue l'hérédité, à titre
de perpétuité, de Charles X et de Guillaume Ier ? A-t-elle été perpétuelle ou
limitée ? La réponse ne peut pas être douteuse. Or, c'est pour ce seul cas,
lorsque le chef de l'État se jette ou paraît se jeter en dehors de la
constitution, empiéter sur les droits reconnus de la nation, et fouler aux
pieds leurs serments, c'est pour ce seul cas, dis-je, que j'ai eu l'honneur de
proposer au congrès une cour d'équité pour décider de la déchéance ou de la non-déchéance du chef du gouvernement. Nous sommes là,
certes, loin des formes électives des démocraties. Et quels ont été les motifs
pour lesquels j'ai réclamé l'institution de cette cour? J'ai voulu présenter
au congrès un moyen d'éviter les horribles journées de Paris, de Bruxelles et
d'Anvers. J'ai réclamé cette cour dans l'intérêt de l'ordre social, dans celui
de l'humanité, afin de ne plus être lancés dans les horreurs de l'anarchie,
dans lesquelles nos libertés, nos droits, nos vies même, sont tout au moins
gravement compromis. J'ai encore réclamé cette institution afin que, dans les
effervescences populaires, dans les agitations factieuses, le peuple et les
factions ne se croient pas anarchiquement appelés trop tôt à décider, par la
violence des armes, le cas de déchéance, lorsque le chef de l'État, acculé sur
les dernières limites de ses prérogatives et de ses devoirs, ne les aurait
cependant pas encore transgressées.
L'honorable
membre s'est encore constitué en-dehors de la question sous un autre rapport.
Il a parlé du conflit entre deux responsabilités, celle du chef de l'Etat et
celle des ministres. J'ai posé la question sur un terrain sur lequel elle se
présente souvent dans les monarchies héréditaires, lorsque le chef de l'État
conspire avec ses ministres contre les droits de la nation, et se met ainsi en
conflit immédiat avec le peuple. C'était encore le cas de Charles X et de ses
ministres. Or, messieurs, je vous le répète, c'est pour ce seul cas que j'ai désiré
qu'il y eût, dans ces grandes crises de l'État, une cour d'équité, et toujours
pour les mêmes motifs d'ordre social et d'humanité, afin de pouvoir passer,
d'une manière paisible, sans froissements sanglants, d'un chef de gouvernement
à un autre.
(page 258) Une autre objection contre
celte cour d'équité, élevée par le même honorable membre, se réduit à ceci :
cette cour serait placée au-dessus du chef de l'État.- La constitution, la loi
n'est-elle pas au-dessus du chef de l'État ? N'est-ce pas là encore une vérité
généralement reconnue ? Or, messieurs, les cours de justice sont-elles autre
chose que l'expression de la loi ? Qui fera parler la loi, si elle n'a pas
d'organe ? Si la loi ne peut pas recevoir d'application, quelle est alors son
utilité, quel est son but ? Elle n'est plus alors qu'une idéologie, une vaine
spéculation métaphysique qui n'a d'autre réalité que les images des caractères
de l'imprimerie transportées dans la constitution.
Un autre
honorable membre, M. le comte de Celles, a mieux saisi la question. II a
envisagé la cour d'équité comme inutile, trouvant assez de garantie dans le
refus des subsides, dans le cas où l'inconstitutionnalité part des sommités de
l'État. J'aurai l'honneur de demander à l'honorable membre pourquoi, si ce
moyen suffisait, la chambre en France et les états généraux des Pays-Bas n'ont
pas évité les sanglantes journées de juillet et d'août par le rejet du budget ?
Je lui demanderai quel sera le moyen d'éviter l'effusion du sang lorsque les
chambres ne sont pas convoquées. Je me bornerai à ces deux questions, quoique
je puisse en élever un grand nombre d'autres en faveur de celte cour d'équité
qu'un autre honorable membre, M. le baron Beyts, vient d'appuyer. (C. suppl.,
25 nov.)
Plusieurs membres demandent que la question générale soit mise aux voix.
(J. F., 24 nov.)
M. l’abbé Dehaerne – Je prends la parole pour
répondre un mot à M. Barthélemy. L'orateur pense que j'ai confondu la
démocratie avec la démagogie. D'abord je n'ai pas dit que je veux la
démocratie comme dernier terme de la liberté ; je crois, messieurs, que cette
liberté n'existera véritablement que lorsqu'elle aura la religion pour base et
pour garantie. (Des voix: La clôture: Interruption.) Voilà ce que j'ai fait
suffisamment entendre.- Mais
ce n'est que par des moyens moraux, par la seule conviction, que ce résultat
peut s'obtenir. Ce moyen est légitime, messieurs, il doit être légal aussi. La
distinction qu'a établie M. Barthélemy entre la démocratie et la démagogie me parait bien inutile;
je n'ai pas dit, que je veux la démagogie, mais que nous serons poussés
inévitablement dans la démocratie, parce qu'on n'a d'autre barrière à y opposer
que la force brute. Maintenant, messieurs, démagogues ou démocrates (n'importe
quelle dénomination on y donne), c'est dans le champ clos de la liberté que
nous les attendons, à armes égales, les armes de la parole et de la libre
discussion. C'est là que nous leur dirons que la pierre philosophale qu'on
cherche depuis longtemps pour établir l'équilibre entre le pouvoir et le
peuple, c'est la religion qui devra tôt ou tard pénétrer les institutions et
les lois ; c'est là que je trouve le remède à tous les maux. Quant à la
comparaison tirée de la maladie du corps physique, elle ne me parait pas
applicable au corps moral. Au reste, ce sont là des allégories ou des
plaisanteries (comme on veut l'entendre) qu'il est facile de s'échanger. Vous
sentez, messieurs, que 1'objection de M. Barthélemy laisse mes preuves
intactes, et que des mots, quand même on les prononcerait avec véhémence, avec
de grands gestes et en ouvrant de grands yeux. (J. F., 24 nov.)
De
toutes parts
– A l'ordre ! (U.B.,
25 nov.)
M. le président – Je crois qu'il est inconvenant de désigner ainsi son
adversaire ; je devrai rappeler M. l'abbé à l'ordre. (U. B., 25
nov.)
M. l’abbé Dehaerne, achevant sa phrase, dit que des
mots ne suffisent pas pour ébranler une conviction puisée dans le désir intime
du bonheur et de la stabilité de l'État. (J. F., 24 nov.)
M.
Blargnies veut répondre à M. l'abbé de Foere ; les cris: Cette
proposition n'a pas
été appuyée ! étouffent la voix de l'orateur.
Le
calme se rétablit, et M. Blargnies répond en peu de mots à M. l'abbé de Foere. (Aux voix! aux
voix!) (J. F., 24 nov.)
(Remarque : l’ouvrage d’Emile Huyttens reprend les discours que certains congressistes se
proposaient de prononcer, à savoir : Masbourg (M) et l’abbé Verduyn (M).
Cette version numérisée ne les reprend pas.)
(page 259) M. le président – Puisque la
liste des orateurs est épuisée, je déclare la discussion close (page 260) sur la question principale. Je
donnerai lecture de l'amendement de MM. Seron et de Robaulx. Est-il appuyé ? (Non ! non !)
Plus
de cinq membres se lèvent - M. de Robaulx est admis à développer son opinion. (J. F., 24 nov.)
M. Devaux rappelle au règlement, considérant cette proposition
comme additionnelle, et non comme amendement ; il faut décider la question
principale. (Bruit. -La clôture ! la clôture !) (E., 24
nov.)
M. de Robaulx – Permettez,
messieurs, que je réponde au préopinant. (J.F. ., 24 nov.)
Des membres – Répondez ! répondez. (J. F., 24 nov.)
M. de Robaulx – Le
but des observations tend à faire juger par une espèce de préalable (murmures,
interruption) une proposition qui a pour but de faire juger d'une manière
souveraine la question principale de la forme du gouvernement. Votre décision
ne serait définitive qu'autant qu'elle serait sanctionnée par le peuple. Si
elle obtenait sa sanction, vous auriez à vous applaudir ; si, au contraire,
elle était modifiée, vous n'auriez rien à vous reprocher ; vous ne l'auriez pas
vous-mêmes décidée d'une manière irrévocable. J'ai le droit de développer mon
amendement, cinq membres l'ayant appuyé. Si, après, dix membres lui sont
favorables, vous le renverrez en sections. Surtout, messieurs, ayez la sage
précaution de ne rien décider vous-mêmes. (E., 24 nov.)
M. Henri de Brouckere prétend que cet amendement est une proposition ; si l'orateur
persiste dans son opinion, il faudra qu'on consulte l'assemblée. (Appuyé !
appuyé !) (J. F., 24 nov.)
M. Destouvelles est du même avis. (J. F., U nov.)
M. Van Snick demande la mise aux voix. (Aux voix ! il faut que cela finisse !) (J. F., 24 nov.)
M. Charles de Brouckere monte à la tribune pour soutenir que la proposition de
M. de Robaulx doit être résolue avant la décision de la question principale.
(J. F., 24 nov.)
M. Forgeur – Il me semble qu'il y a un moyen fort simple de
concilier ces opinions divergentes. La proposition de M. de Robaulx peut être
l'objet d'une discussion à la suite de celle sur la question principale ; je la
crois au contraire de nature à venir en second lieu, comme article
supplémentaire, comme paragraphe, comme alinéa. Dans tous les cas, cinq membres
doivent l'appuyer. (Interruption. Bruits divers. Aux voix !) (E.,.24
nov.)
M. de Robaulx
– Que ce soit un amendement,
que ce soit une proposition, écoutez mes explications, et peut-être nous serons
d'accord. Dix membres empêcheront la délibération. (E., 24 nov.)
- Une
nouvelle discussion s'engage. (E., 24 nov.)
M. Jottrand, élevant la voix – Je demande la
parole contre le renvoi en sections. (Hilarité.) (E., 24 nov.)
M. Le Hon – Rien n'empêche de résoudre à l'instant la question
principale : celle de M, de Robaulx est-elle une proposition ? Si, au
contraire, on l'envisage comme un amendement, on doit différer la décision. (Aux
voix ! aux voix !) (J.
F., 24 nov.)
M. Van Meenen : Ce n'est point un amendement,
mais une véritable proposition. (Aux voix ! aux voix !) (J. F., 24 nov.)
M. de Robaulx prononce quelques mots. (Tumulte.
Aux voix! la clôture !) Les cris : Aux voix ! la clôture ! ne font
pas la raison. (E., 24 nov.)
M. le président agite sa sonnette; le calme se
rétablit. Il consulte l'assemblée, qui décide que la question soulevée par M.
de Robaulx n'est pas un amendement. (J.
F., 24 nov.)
- En
conséquence on passe
au vote par appel nominal sur la proposition relative à la forme du
gouvernement.
187 membres y prennent part ; 174 votent pour la monarchie
constitutionnelle représentative, sous un chef héréditaire ; 13 votent pour
la république. (P. V.)
Ces treize
membres, sont : MM. Seron, de Robaulx, Lardinois, Jean Goethals, David, l'abbé Dehaerne, Goffint,
de Labeville, Fransman, Delwarde, Camille de Smet, Pirson et de Thier. (U. B.,
25 nov.)
M. le président
– Le congrès national déclare que le peuple belge adopte pour
forme de son gouvernement la monarchie constitutionnelle représentative,
sous un chef héréditaire.
La parole
est à M. de Robaulx. (J. F., 24 nov., et P. V.)
M. de Robaulx développe sa proposition qui
consiste à soumettre à l'appel du peuple la résolution du congrès sur la forme
du gouvernement. (U. B., 25 nov.)
M. le président demande si dix membres se lèvent pour renvoyer la
proposition en sections.
-
Personne ne se levant, le renvoi est rejeté. (J. F., 24 nov.)
M. Devaux – Je demande la question préalable. Il ne doit pas
dépendre de quelques-uns de faire naître une longue discussion. (Appuyé !)
(U. B., 25 nov.)
- La
question préalable est mise aux voix et adoptée à la presque unanimité. (P.V.)
Il
est cinq heures ; la séance est levée. (P.V.)