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Congrès national de Belgique
Séance du lundi 6 décembre 1830

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)

(page 354) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)

Lecture du procès-verbal

La séance est ouverte à une heure et demie (P. V.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. Surmont de Volsberghe et M. Wannaar informent le congrès qu'une indisposition les empêche d'assister momentanément aux séances de l'assemblée. (J. B., 8 déc.)

Démission d'un membre du Congrès

M. le marquis de Trazegnies écrit que sa santé chancelante l'empêchant d'assister régulièrement aux séances et au travail des sections, il prie le congrès d'agréer sa démission, et d'appeler, pour le remplacer, le suppléant qui lui avait été donné par le district de Charleroy, pour lequel il avait opté. (U. B., 8 déc.)

M. le président – Le congrès accepte-t-il la démission ? (Oui ! oui !) La commission chargée d'examiner les procès-verbaux d'élection voudra bien se réunir pour s'occuper du remplacment de M. de Trazegnies. (U. B., 8 déc.)

M. de Langhe – A quelle heure cette commission se réunira-t-elle ? (U. B., 8 déc.)

M. le président – A neuf heures ; si vous en faites partie, vous avertirez vos collègues.... (U. B., 8 déc.)

M. de Langhe – Je ne les connais pas tous. (U. B., 8 déc.)

M. le président – Je les connais encore moins. (On rit.) Mais un avertissement suffira. Je préviens donc MM. les membres du congrès qui font partie de cette commission qu'elle se réunira demain à neuf heures. (U. B., 8 déc.)

Pièces adressées au Congrès

M. Brabant, de Namur, présente au congrès des observations sur l'établissement d'une école vétérinaire. (U. B., 8 déc.)

M. le président – Renvoi au bureau des renseignements. (U. B., 8 déc.)

Une voix – Au comité des pétitions. (U. B., 8 déc.)

M. le président – L'assemblée veut-elle renvoyer au comité des pétitions ? (U. B., 8 déc.)

Ce renvoi est ordonné. (U. B., 8 déc.)


La réunion patriotique du grand-duché de Luxembourg porte à la connaissance du congrès qu'elle a envoyé au gouvernement provisoire une déclaration politique signée par la plupart des habitants notables du grand-duché.


M. Demoor, d'Ixelles, envoie des observations sur le projet de constitution présenté le 27 octobre 1830. (P. V.)

M. le président – A qui renverrons-nous ? (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – Au bureau des renseignements. (U. B., 8 déc.)

M. de Langhe – Il vaudrait mieux renvoyer au comité des pétitions. (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – Le renvoi au bureau des renseignements me semble plus utile. Nous allons nous occuper de la constitution. Les écrits qui peuvent se rattacher à cette matière se trouvant au bureau des renseignements, il sera facile de les consulter. Si, au contraire, nous les renvoyons au comité des pétitions, nous ne pourrons en avoir connaissance qu'à mesure des rapports qui nous en seront faits, et par là nous pourrons nous trouver privés des vues utiles qu'ils contiennent. (U. B., 8 déc.)

M. le baron de Stassart – Je ne partage pas les craintes du préopinant. Le comité des pétitions, en examinant celles qui lui seront renvoyées, s'empressera de rapporter celles qui s'occuperont des objets d'urgence, et notre but se trouvera rempli. (U. B., 8 déc.)

M. le président(page 355) Je vais consulter l'assemblée. (U. B., 8 déc.)

- Le congrès ordonne le renvoi à la commission des pétitions. (U. B., 8 déc.)


La majorité des électeurs de la commune de Hautfays proteste contre un arrêté du gouverneur du grand-duché de Luxembourg, qui annule les élections faites dans leur commune.


M. Lissart, ci-devant cultivateur du Hainaut, présente des observations sur la marche à suivre par le congrès dans toutes les grandes questions qu'il aura à décider.


M. Lapalière offre un moyen d'équiper de suite les corps francs.


M. Waugermé, de Bruxelles, demande au congrès qu'il lui plaise ordonner l'institution d'une commission pour l'examiner et le nommer artiste vétérinaire.


Quinze entrepreneurs de messageries demandent le rapport de l'arrêté du 28 janvier 1828 qui soumet les diligences à un triple droit de barrière.

M. Dewattine-Cauvin, de Leuze, présente des observations sur la loi de 1817, concernant la milice nationale, et surtout contre la manière dont on interprète le paragraphe M. (P. V.)


- Renvoi de ces pièces à la commission des pétitions. (U. B., 8 déc.)


M. Chevron, architecte à Liége, présente au congrès un modèle de monnaie. (P. V.)


- Renvoi au bureau des renseignements. (J. F.,8 déc.)


M. Donville fait hommage au congrès d'un recueil de Chansons patriotiques. (P. V.)

- Dépôt à la bibliothèque. (U. B., 8 déc.)


M. J. B. Kauffmann, négociant, fait hommage au congrès d'un ouvrage intitulé : De l'industrie en Belgique ; ce qu'elle était sous le gouvernment des Nassau, et ce qu'elle peut devenir. (P. V.)

- Dépôt à la bibliothèque. (U. B., 8 déc.)


M. Delecourt, avocat à Mons, envoie au congrès un projet de constitution. (P. V.)

- Dépôt à la bibliothèque. (U. B., 8 déc.)


Interpellation relative aux droits sur les distilleries et à l'établissement d'une ligne de douanes avec la Hollande

- Un des secrétaires donne lecture d'une lettre par laquelle M. Coghen, administrateur général des finances, annonce qu'ayant été saisi d'un refroidissement, à la suite de la cérémonie du 4 décembre, il est obligé de garder le lit, et se trouve, par conséquent, dans l'impossibilité de se rendre dans le sein de l'assemblée, pour y donner les explications demandées par M. de Brouckere, dans la séance du 2, sur les distilleries et la ligne des douanes du côté de la Hollande. Il prie le congrès d'agréer qu'il se fasse suppléer par M. Duvivier, chef de l'administration des accises, déclarant que si le congrès persistait à vouloir l'entendre lui-même, il s'empresserait de déférer à ses vœux aussitôt que sa santé le lui permettrait. (U. B., 8 déc.)

M. le président – M. Duvivier est dans la pièce voisine ; le congrès veut-il l'entendre ? (Oui !) (P. V.)

M. de Robaulx – M. de Brouckere est l'auteur de la proposition ; c'est à lui de savoir si les explications de M. Coghen lui-même lui sont indispensables. (U. B., 8 déc.)

M. Devaux – M. de Brouckere se contentera-t-il d'avoir affaire avec M. Duvivier ? (U. B., 8 déc.)

M. Charles de Brouckere – Peu m'importe, pourvu qu'il y ait un organe du comité des finances. (U. B., 8 déc.)

- Le congrès décide que M. Duvivier sera entendu. (P. V.)

M. Duvivier est introduit.

M. le président – L'ordre du jour est la discussion de la proposition de M. de Brouckere , conçue comme suit :

« Je propose que le congrès national, faisant usage de l'article 12 du règlement ;

« Requière la présence du commissaire général des finances, dans le plus bref délai possible, afin d'obtenir de ce chef d'administration générale, des explications sur les changements apportés à la loi du 26 août 1822 relative aux distilleries indigènes, et sur l'établissement de notre ligne de douanes du côté de la Hollande. »

M. Charles de Brouckere a la parole. (J. F.. 8 déc.)

M. Charles de Brouckere – Messieurs, la décision prise par l'assemblée m'autorise à ne plus vous entretenir de l'opportunité de ma proposition, alors même que la mise à exécution vous distrait de travaux de la plus haute importance.

Les révolutions heurtent, froissent tant d'intérêts matériels qu'après le choc on ne peut assez se hâter de les soutenir. Mais ici, messieurs, il ne (page 356) s'agit pas de relever une industrie foulée par les événements, mais d'en conserver une demeurée dbout, intacte, au milieu de tant d'autres renversées.

Dans une telle situation, les distilleries réclamaient-elles des encouragements instantanés ? pouvaient-elles les premières exiger le redressement des lois et la diminution de l'impôt ? Non ; et cpendant, par son arrêté du 17 octobre dernier, le gouvernement a voulu animer d'une nouvelle vie une branche d'industrie agricole. Mais si les distilleries n'avaient pas de titres à l'obtention de faveurs, elles pouvaient exiger de n'être pas sacrifiées froidement et après la victoire ; voilà cependant le résultat de l'arrêté précité combiné avec la circulaire de l'administrateur des contributions, du 26 octobre ; résultat préjudiciable au trésor, fatal à l'agriculture.

Mon but, messieurs, étant d'établir la nécessité d'annuler les mesures législatives prises par le gouvernement provisoire, alors pouvoir omnipotent, relativement aux distilleries, ou de changer la loi du 26 août 1822 pour la mettre en harmonie avec l'arrêté du 17 octobre, j'ai communiqué hier à M. le commissaire général des finances les points sur lesquels je désirais des éclaircissements. Ainsi nous aurons les matériaux essentiels à l'assiette de l'impôt, et nous pourrons prendre l'initiative, s'il en est besoin, sur un point de législation qui réclame toute notre sollicitude.

Cette discussion aura peut-être un autre avantage, celui d'éclairer M. le délégué du commissaire général sur le choix de ses conseillers. Sous l'ancien gouvernement, tous les projets de lois sur les accises étaient l'œuvre de Belges, et tout se faisait dans l'intérêt de la Hollande. Je ne recherche pas les causes de cette anomalie ; je n'aime point à accuser sans preuves écrites ; mais, je dois le dire, il est des noms que tous les fabricants, tous les commerçants et jusqu'aux moindres débitants de sucre, de vin, de sel, d'eau-de-vie, de bière, ne prononcent qu'avec dégoût.

L'impôt sur les eaux-de-vie doit-il être diminué dans le moment actuel ?

Le résultat de toute diminution d'impôts indirects est une augmentation de consommation, et par là de produits. Or, je le demande avec confiance, est-ce alors que le prix des grains est exorbitant, alors que le prix de la journée de l'ouvrier baisse par défaut de travail, alors que la circulation du numéraire est sans activité, qu'il faut encourager l'absorption des grains par les distilleries ? Est-ce agir avec sagesse que de défendre, le même jour, la sortie des grains pour l'étranger, et de donner une prime à la distillation intérieure ?

Loin de là, c'est commettre deux fautes à la fois. Déjà le congrès a entendu le rapport d'une pétition tendant à obtenir la fermeture momentanée des distilleries de grains ; le pétitionnaire est l'écho des cris qui retentissent depuis six semaines dans les provinces. On leur répond par une diminution de l'impôt sur les eaux-de-vie indigènes. - Ce qui était opportun et la seule chose opportune, c'était d'éclairer le public alarmé par la cherté des grains. Il fallait lui montrer que le prix des grains augmentant, le prix des eaux-de-vie indigènes suivrait la même marche ; que partant la consommation diminuerait, que la fabrication devancerait ce mouvement, parce que les approvisionnements seraient mis en circulation ; il fallait lui prouver que le pays était suffisamment pourvu de céréales, que le paysan n'avait pas encore battu ses grains, que l'inquiétude même du public influait sur le détenteur, qu'il craignait d'approvisionner les marchés ; enfin, lui expliquer que la fermeture des distilleries, en augmentant le prix des eaux-de-vie, donnerait un aliment tel à la fraude, que le pays se couvrirait de distilleries clandestines, et qu'ainsi le remède serait pire que le mal. .

Aux conseils on a préféré les faits, et l'on a voulu contenter tout le monde ; après avoir satisfait à quelques exigences par une diminution d'accises, on a dédommagé le public par une prohibition de sortie des grains et multiplié ainsi les erreurs. Les prix des grains sont-ils tous et sur toutes nos frontières plus élevés que dans notre pays ? C'est ce que pourra nous apprendre provisoirement M. le commissaire général des finances ; en attendant une réponse catégorique, j'ai peine à le croire ; notre dernière récolte n'a pas été favorisée du ciel. Si je ne me trompe, dans le système de l'administration, la défense de sortie était inutile, pernicieuse même, par une partie de nos frontières. Inutile, parce qu'on n'exporte pas à perte ; pernicieuse, parce qu'on provoque ainsi des représailles. Mieux valait-il, sans doute, rendre l'importation libre, surtout du côté de la Prusse ; mais l'administration demeura longtemps sourde aux réclamations, je ne dis pas des particuliers, mais de ses agents supérieurs dans les provinces. La défense d'exportation est sujette à d'autres inconvénients graves ; elle met un terme à l'échange de grains entre le pays de Liége et le pays de Juliers, (page 357) échanges utiles aux deux contrées ; elle paralyse le transit, repousse les arrivages de la Baltique et détruit une source de prospérité commerciale. Encore une fois ce sacrifice était-il commandé par notre position ? Dans ce cas, ne fallait-il pas laisser intacte la loi du 26 août 1822 ?

J'admets pour un moment que l'arrêté du 17 octobre soit excusable, qu'il en résulte une diminution de 30. p. c. sur l'accise des eaux-de-vie ; et alors encore, abstraction de son influence sur le prix des grains, la mesure prise au détriment du trésor n'aurait pas une grande influence sur l'agriculture ; elle ne répondrait pas à son but. Ce n'est pas dans ces temps d'agitation, quand des cris de guerre se font entendre, quand l'ennemi occupe encore une partie du territoire, qu'on crée de nouveaux établissements industriels ; ce n'est pas au moment où la matière première est d'une cherté excessive qu'on ravive des fabriques en stagnation ; celles-là seules qui sont en activité y demeurent ; elles y seraient demeurées sans modération de l'impôt ; la mise hors d'effet des arrêtés illégaux du 19 juin 1827 et du 27 juin 1829 eût contenté momentanément les distillateurs.

Je viens d'émettre, messieurs, quelques considérations d'intérêt général ; je descends aux spécialités et vais m'occuper des effets des dernières mesures sur les distilleries. Pour être mieux compris qu'à la séance de jeudi dernier, je suis obligé de vous expliquer en peu de mots le mécanisme, le système de la loi du 26 août 1822.

D'après cette loi, le distillateur est astreint à employer une quantité déterminée de farine par baril de matière mise en macération ; de plus, il doit produire une quantité également déterminée d'eau-de-vie pour laquelle il est passible de l'accise. Tout excédant ou déficit de production devient une contravention ; et ainsi les quittances de payement, les billets de transfert, les passavants sont nécessaires pour prévenir et réprimer la fraude. Dans ce système, toutefois, les distillateurs ne sont pas assujettis à une égale production ; ceux dont les établissements sont qualifiés d'agricoles obtiennent une déduction de 20 p. c.

Cet exposé rapide suffit pour vous démontrer que la loi du 26 août proscrit toute amélioration, tout perfectionnement dans la distillation ; qu'elle fait du fabricant une machine à production dont le mouvement n'est susceptible d'aucune variation, puisque, sans cesse, il est obligé d'employer la même quantité de matière première, pour reproduire toujours la même quantité de liqueur fabriquée.

Le système d'ailleurs est vicieux, parce qu'il divise arbitrairement les distilleries en établissements commerciaux et agricoles ; qu'il part de l'idée absurde qu'une classe de fabricants ne rtire pas, des matières macérées, toutes les substances vineuses qu'ils peuvent obtenir, et que, comme conséquence de cette absurdité, il impose dans la même proportion les distillateurs, soit qu'ils fassent usage d'alambics de vingt ou de dix barils, pour modérer subitement l'impôt de 20 p. c. en faveur des alambics de neuf barils quatre-vingt-dix-neuf litrons. C'est, messieurs, cette différence énorme dans les produits exigés des deux espèces de distilleries qui nécessite, légitime, en quelque sorte, la fraude.

Voyons jusqu'à quel point l'arrêté du 17 octobre, si loyalement interprété par l'administration, remédie aux vices de la loi.

L'article 2 supprime la justification des farines ; ainsi le distillateur est débarrassé d'une entrave ; il peut employer la quantité de matière qu'il juge la plus convenable à la production, mais à la production d'une quantité déterminée d'eau-de-vie, et cette quantité n'est nullement en rapport avec la production habituelle.

L'article 3 de l'arrêté fixe le taux de production à cinq litrons de genièvre à dix degrés par baril net de matière macérée, tandis qu'il est constant que l'on en obtient généralement plus de sept. Aussi l'administration déclare que « les distillateurs de bonne foi reconnaissent équitable le produit de sept litrons, d'autres soutiennent que celui de cinq litrons est encore trop élevé ; l'administration a pensé, pour concilier toutes les exigences, qu'elle pouvait faire la part de la fraude, en réduisant le taux à cinq litrons. » Ailleurs elle dit en termes formels, « qu'il ne faut verbaliser que pour des quantités d'une importance considérable. »

C'est une véritable diminution d'impôts qu'on a établie et une diminution de 30 p. c., pendant les six mois d'hiver ; mais un dégrèvement masqué, et dont la jouissance doit s'acheter par la fraude.

C'était le taux de l'accise, et non de la production, qu'il fallait baisser ; alors on atteignait au moins un but. Que, si indépendamment des prix, on voulait faciliter la fabrication, il était indispensable de supprimer toute évaluation de produits et d'asseoir l'impôt sur la capacité des appareils, sans s'inquiéter plus de la justification de la liqueur que de celle des farines employées. Et pour cela, il fallait abolir les passavants et les autres documents prescrits par la loi, ou entendre sainement l'article 4 de l'arrêté du 17 octobre, qui accorde le crédit à termes et sans caution.

La circulaire du 26 octobre en a autrement (page 358) décidé ; elle se fonde sur l'article 5, par lequel sont maintenues toutes les dispositions de la loi, pour exiger que les distillateurs, jouissant d'un crédit à termes, ne puissent effectuer aucun transport sans passavant.

Que doit-il résulter de l'ensemble de ces mesures ?

Les distillateurs qualifiés agricoles par l'article 12 de la loi reconnaissent franchement qu'ils obtiennent des excédants de produits. En vertu de l'article 41, ils doivent représenter six litrons vingt-quatre centièmes par baril de matière mise en macération ; ce qu'ils produisent de plus circule, comme l'observe l'administration, sans documents, au moyen de petits transports. La moyenne des excédants n'atteint pas six décilitres sur la quantité précitée ; tandis que, par suite de l'arrêté, les distillateurs qui produisent sept litrons par baril de matière macérée devront, au dire de M. l'administrateur, user de la même facilité pour frauder deux litrons, c'est-à-dire quatre fois autant. Ainsi, en résumé, le moyen d'exécution fourni par les agents du gouvernement, c'est de frauder 30 p. c. des produits fabriqués.

Il est inutile, messieurs, de vous représenter combien est immoral le conseil de l'administration des contributions, et quelles suites fâcheuses nous amènera un pareil antécédent. La fraude est un métier auquel on se livre déjà sans répugnance ; beaucoup de gens ne comprennent pas assez que frauder c'est voler l'État, ou la réunion d'hommes qui constituent la société politique ; rendre la fraude obligatoire, c'est la légitimer ; c'est en lever le seul frein moral qui retienne la cupidité ; c'est créer une habitude perverse en faussant les idées du peuple ; c'est, en un mot, le rendre forcément criminel.

Voilà donc la fraude devenue légitime. Mais est-elle possible, cette fraude ? L'est-elle pour tous les fabricants ? Le transport de l'eau-de-vie ne peut, conformément à l'arrêté et à la circulaire ampliative et explicative, se faire légalement qu'accompagné de passavants, et les passavants ne se délivrent que pour la quantité sujette à l'impôt. Sur mille hectolitres que le distillateur peut produire, sept cents seulement sont assujettis à l'impôt ; les trois cents autres doivent donc être débités clandestinement. Là où la consommation est proportionnée à la fabrication, l'écoulement clandestin se fera sans difficulté ; mais par contre il sera impossible dans les localités où la fabrication surpasse la consommation ; impossible dans la plupart des communes rurales ; impossible surtout dans les petites villes qui comptent plusieurs établissements. Ainsi les nombreuses distilleries de Hasselt sont menacées d'une ruine prochaine, pendant que quelques fraudeurs prospéreront dans les grandes villes ; ainsi les fabriques spécialement agricoles seront détruites au profit de quelques spéculateurs.

Ne le perdez pas de vue, messieurs, il faut faire sortir des magasins, transporter, vendre clandestinement 30 p. c., du produit de la fabrication ; comment cela est-il possible, quand l'acheteur est séparé du vendeur par une distance de dix à douze lieues ? En vain dira-t-on que les commis ont l'ordre de ne dresser des procès-verbaux de contravention que quand les excédants sont considérables : trois cents barils sur chaque mille ne feront pas une bagatelle au bout de l'année.

Le gouvernement ne peut vouloir la destruction d'une branche d'industrie agricole aussi importante que les distilleries ; l'arrêté du 17 octobre, quelque mauvais qu'il soit, n'en est pas moins une preuve de ses bonnes intentions. Pour maintenir l'existence de cette industrie avec celle de l'arrêté, il faudra tolérer que le tiers au moins des eaux-de-vie circulent sans documents, c'est-à-dire sans billets de transport, acquits de payement ou passavants, et dès lors à quoi bon laisser subsister une formalité inutile ou destructive, suivant le plus ou le moins de rigueur des employés des accises ?

Parce qu'au dire de l'administration, le crédit permanent exige des passavants ? Mais qu'on supprime le crédit permanent, ou bien qu'on ne l'accorde que pour des quantités mises en entrepôt particulier et sans transfert ; le fabricant ne sera pas lésé par cette mesure, le trésor public aura de meilleures garanties pour le payement de l'impôt.

Parce qu'encore les distillateurs eux-mêmes rconnaissent l'efficacité des expéditions, pour servir d'empêchement, de moyens de découverte des fabrications clandestines ? Et comment les employés reconnaîtront-ils les produits des distillries clandestines de ceux des autres fabriques ? Comment préviendront-ils l'écoulement des premiers, alors qu'ils doivent user de ménagement pour les derniers ; alors que l'administration même est forcée de conseiller, de protéger les transports sans documents ? Le vrai moyen d'éviter la production clandestine, c'est d'encourager l'industriel honnête, de le débarrasser des tracassries continuelles des employés, de le laisser travailler comme il l'entend.

Parce qu'en outre on n'improvise pas un système de finances ? Mais il ne faut que trois mots pour remédier au mal. Il n'a fallu à l'administration qu'un petit arrêté suivi d'une petite circulaire pour (page 359) substituer à la loi du 26 août 1822 un système inexécutable, ou plutôt pour remplacer l'unité, l'harmonie des dispositions existantes, par une confusion inconcevable et qui décèle l'ignorance, sinon la perfidie. Que M. le délégué du commissaire général veuille se rappeler ce que j'ai eu l'honneur de dire sur le choix de ses conseillers ; qu'il aille aux informations pour découvrir quels sont les distillateurs entendus par l'administration et dont les avis ont varié d'une manière si étrange. Elle est bien nulle, ou, je le répète, bien coupable l'administration qui a enfanté les commentaires sur l'arrêté du 17 octobre.

L'article 3 de l'arrêté montre d'une manière évidente que les grands distillateurs ont remporté la victoire, si toutefois il y a eu débats, si tous ont été entendus. Cet article, en effet, supprime toute classification, exige de tous les fabricants des droits proportionnels à la capacité des appareils.

Quatre mots ajoutés dans l'exception empruntée aux articles 12 et 41 de la loi, une bouillée par jour, placent les plus petites distilleries sur la même ligne que les grandes. Les distillateurs dont les alambics sont d'une capacité qui n'excède pas dix hectolitres, font quatre bouillées par jour et jouissent d'une déduction de 20 p. c. conformément aux dispositions précitées ; l'arrêté les prive du bénéfice entier, à moins qu'ils ne consentent à ne faire qu'une seule bouillée par jour, ou, en d'autres termes, à réduire une faculté industrielle à 25 p. c. de sa valeur réelle ; à entretenir le même établissement, les mêmes ustensiles, pour produire plus péniblement une quantité trois fois moindre de liqueur. - L'orateur renvoie pour ce point à une pétition des distillateurs d'Ath.

La loi, je l'ai déjà fait pressentir, est arbitraire dans la manière dont elle établit la déduction de 20 p. c. ; cette déduction même est trop élevée. Il faut reconnaître cependant que plus les appareils sont grands, moins il en coûte proportionnellement pour obtenir la liqueur ; ainsi, sans se jeter de nouveau dans une classification arbitraire, la justice distributive exigeait qu'on accordât une remise de 4 p. C. aux distillateurs faisant usage d'alambics de dix hectolitres, et au-dessous ; une de 10 p. c. quand la capacité de l'alambic ne dépasse pas cinq hectolitres, sans restreindre aucunement le nombre des bouillées.

Je n'ai pas épuisé tous les arguments de l'administration en faveur des documents ; elle allègue en dernier lieu que l'arrêté du 31 octobre sur les genièvres de Hollande, soumis aux mêmes droits que les eaux-de-vie étrangères, exige le maintien des passavants.

Cette assertion se complique par l'établissement d'une nouvelle ligne de douanes du côté de la Hollande.

Si toutes nos frontières sont indistinctement bien gardées, la libre circulation, loin d'être préjudiciable aux distillateurs, est un de leurs vœux les plus ardents ; tous, à l'exception de ceux d'une ou de deux villes, se sont assez expliqués sur ce point, il y a quelques mois.

Si nos douanes vers la Hollande ne sont pas établies de manière à réprimer rigoureusement la fraude, alors non seulement il est dangereux de laisser la circulation intérieure libre, mais malhabile de toucher aux dispositions de la loi du 26 août 1822, parce que, je ne puis trop le répéter, la surveillance sur le transport est inutile toutes les fois qu'elle n'est pas minutieuse, active et sévère.

Ainsi, quoi qu'il en soit des nouvelles douanes, la législation sur les distilleries ne peut demeurer plus longtemps en vigueur, ou il faut en revenir à la loi ancienne, sans modification aucune sur la justification des liqueurs fabriquées, par visites, recensements, etc., non plus que sur la nécessité de documents pour le transport ; ou il faut admettre la libre circulation et le crédit à terme, avec l'arrêté du 17 octobre.

Pour apprécier jusqu'à quel point la seconde proposition, préférable de beaucoup en temps de paix, est exécutable en ce moment, je prie M. le délégué du commissaire général de vouloir nous informer où en est l'organisation de notre nouvelle ligne ? qui l'on a chargé de cette organisation ? si, au lieu de la confier à un inspecteur général, on n'a pas chargé des employés subalternes d'un travail important et qui exigeait de l'ensemble ? s'il ne serait pas possible, au lieu de faire de nouvelles nominations, d'appeler à la frontière une grande partie des commis de l'intérieur ? si, en joignant aux employés devenus inutiles par la suppression de la mouture et de l'abatage, ceux qu'un système de liberté rendrait inutiles dans les distilleries, la ligne du côté de la Hollande n'offrirait pas une consistance suffisante ? Je ne m'étends pas sur ces points, je n'ai déjà que trop abusé des moments de l'assemblée ; je me flatte que M. le commissaire général aura acquis la conviction qu'il est nécessaire de détruire le mal occasionné par l'arrêté du 17 et la circulaire du 26 octobre dernier, et qu'il comprendra qu'il est seul en position de fournir le remède, parce qu'il dépend de la solution pertinente des questions sur notre ligne de douanes. (U. B., 8 déc.)

M. le président – Si M. Duvivier est (page 360) disposé à répondre, il peut monter à la tribune. (U. B., 8 déc.)

M. Duvivier, délégué de l'administrateur général des finances – Messieurs, la lettre que vous a communiquée M. le président vous a fait connaître les motifs qui ont empêché M. l'administrateur général des finances de se rendre au milieu de vous, pour y fournir les explications demandées sur la proposition de M. de Brouckere. J'ai été chargé de le remplacer, et ce n'est pas sans quelque appréhension de ma part. Je sens toute la faiblesse de mes moyens, comparés à la haute intelligence du chef que je viens suppléer. Mieux que moi il eût répondu aux questions de l'orateur que vous venez d'entendre, mieux que moi il eût soutenu les actes de son administration ; il s'agit, il est vrai, de divers points relatifs à mon service, mais j'ai eu à peine le temps de rassembler quelques idées et de réunir quelques documents indispensables, et cependant aujourd'hui même, à l'instant, il faut être prêt à réfuter des objections dès longtemps préparées, il faut discuter un travail fait dans le silence du cabinet, par un homme entouré de tous les renseignements désirables, et possédant en matière de distilleries des connaissances profondes. Toutes ces circonstances, messieurs, me font sentir combien j'aurai besoin de votre indulgence, je dirai même de votre bienveillance. Je réclame donc l'une et l'autre ; sans elles, il me serait impossible de remplir la tâche qui m'est imposée.

Toutefois, avant d'entrer en matière, je vous prie, messieurs, de vous reporter à la séance de jeudi dernier. Il y fut question d'une note remise à M. Teuwens, d'où l'on pourrait induire contre moi quelques préjugés défavorables. Je dois vous dire ce qui a donné lieu à la remise de cette note et vous expliquer comment les choses se sont passées.

Il y a environ quinze jours que M. Teuwens me fit l'honneur de venir me voir pour me parler des distilleries, de l'arrêté du 17 octobre dernier, les concernant, et de la nécessité de le révoquer, au moins en ce qui touche les distilleries de Hasselt. Il me remit, sur ce sujet, une note officieuse. Je lui répondis que j'étais on ne peut plus honoré de sa visite, et surtout des motifs auxquels je la dvais. J'ajoutai que, dans ma longue carrière administrative, je n'avais jamais éprouvé de satisfaction plus vive que lorsqu'on m'avait mis à même de faire quelque chose d'utile à mes administrés, et que, dans cette occasion surtout, je serais heureux d'améliorer le sort des distilleries que je regarde comme une des sources les plus précieuses de la prospérité publique. Je promis d'examiner la note avec le plus grand soin ; je proposai en même temps à M. Teuwens de nous revoir pour revenir sur cet objet, lui promettant de faire tout ce qui dépendrait de moi pour arriver à une solution propre à concilier les intérêts des distillateurs et ceux du trésor. Ma proposition fut acceptée. A quelques jours de là, nous eûmes une seconde entrevue dans laquelle je lui rendis sa note accompagnée de mes observations. Je le priai de les examiner, lui réitérant le désir que j'avais de le voir souvent, et de profiter des éclaircissements qu'un homme aussi versé que lui dans les connaissances pratiques en matière de distillerie pouvait me donner. Depuis ce jour-la, je n'ai pas revu M. Teuwens, et je ne dissimulerai pas que j'ai été péniblement affecté lorsque j'ai appris que le résultat de nos communications officieuses était passé de ses mains dans celles d'un autre membre du congrès, qui, en les faisant connaître à l'assemblée dans la séance de jeudi dernier, leur a donné un caractère officiel et public qu'elles n'auraient jamais dû avoir, puisqu'elles n'avaient pour but que de proposer des objections à lever. Voilà ce qui concerne la séance précédente, où il a été question d'une note confidentielle entre M. Teuwens et moi.

Venant à l'objet en discussion, j'ai l'honneur de prévenir l'assemblée que j'ai rédigé un mémoire concernant les distilleries, qui s'étend depuis l'année 1804, époque de l'établissement des droits réunis, jusqu'à ce jour. Je ne vous donnerai pas lecture entière de ce rapport, ce serait beaucoup trop long et trop pénible. Il sera d'ailleurs adressé à M. le président du congrès, et chacun de vous en pourra prendre connaissance ; aussi me contenterai-je de vous en donner une analyse succincte.

Après avoir rapporté les points principaux de son mémoire, M. Duvivier ajoute :

Je reviens maintenant à la note communiquée au congrès par M. de Brouckere, et que j'ai eu tant de regret de voir rendre publique. Dans cette note, on demande si les grandes distilleries avaient droit à une protection. Messieurs, elles ont été l'objet de la sollicitude de l'administration, parce que, la prospérité de ces établissements est intimment liée à la prospérité du pays. Aussi a-t-on fait tout ce qu'il a été possible de faire pour maintnir dans la prospérité les distilleries florissantes, et pour améliorer la condition de celles dont la position était moins brillante.

Le prix des grains ne s'opposait-il pas à une diminution des droits ? Messieurs, le prix des grains n'est pas excessif, et la dernière récolte a été très (page 361) abondante en seigle ; les autres céréales ont manqué, il est vrai, mais ce n'a pas été au point de craindre qu'en maintenant l'action des distilleries il en résulterait une augmentation notable dans les prix des grains. Au reste, ces prévisions sont confirmées par ce qui se passe sous nos yeux. Depuis l'arrêté du gouvernement qui défend la sortie des grains, les prix sont demeurés stationnaires. Mais, dit-on, vous êtes obligé de convenir que cet arrêté était devenu indispensable, tandis qu'on aurait pu s'en passer et laisser le commerce libre, si la distillation n'avait pas été encouragée. On se trompe, messieurs, et ce n'est pas à cette cause qu'il faut attribuer la nécessité où s'est trouvé le gouvernement de défendre l'exportation des grains. L'arrêté qui la consacre était sollicité, poursuivi par tant de monde, les gouverneurs des provinces eux-mêmes le demandaient avec tant d'instance, qu'il n'a pas été possible de résister. Je ne citerai pour exemple que la province de Liége, dont le gouverneur écrivait que si l'on différait plus longtemps à défendre l'exportation, il ne répondait plus de la tranquillité publique. Vous savez, messieurs, qu'il prit même l'initiative pour en permettre la libre entrée, mesure qui au surplus a été confirmée par le gouvernement. On a donc cru par cet arrêté calmer l'effervescence populaire qui commençait à se développer ; l'opération était commandée par cette seule considération, et il s'agissait beaucoup moins de conserver ou d'acquérir plus de matière, que de rétablir le calme moral. Déjà le chef-lieu et la province du Hainaut avaient été le théâtre de quelques excès ; il fallait faire cesser ces troubles ; on l'a fait, et certes il est évident pour tous, que le résultat n'eût pas été le même si l'on se fût contenté de prohiber la distillation.

On nous fait une autre question. Les frontières sont-elles gardées ? Nous voici arrivés à un point important de la discussion. Il s'agit de savoir s'il faudrait gêner la circulation à l'intérieur.

Si la chose était nécessaire, ce ne serait que dans ce moment ; dans les circonstances ordinaires, il y aurait danger réel, nombre de distillateurs en sont convenus. Sans doute que lorsque, à la suite des événements de septembre, quantité de distillateurs n'ont pas voulu permettre aux employés de l'administration d'inspecter leurs établissements, une masse énorme de genièvre a été introduite sans avoir payé aucun droit, et une grande quantité de spiritueux a été refoulée dans l'intérieur, parce qu'on ne pouvait exiger que les transports fussent ouverts. Mais aujourd'hui que l'état des frontières du côté de la Hollande est fixé, et que les circonstances permettent la surveillance, de pareilles contraventions ne sont plus à craindre.

Quant à la ligne des douanes, on a demandé d'après quel principe elle a été établie ? quels sont les employés qui l'ont tracée ? comment s'y est-on pris ? Messieurs, il existait à cet égard de précieux éléments, non pas dans le département des finances lui-même, mais dans les mains des employés qui, en 1814, avaient été chargés d'établir la ligne du nord. On avait d'ailleurs pour antécédent la ligne de l'empire français, lorsque ses limites arrivaient jusqu'à la Hollande. On a pris tous ces documents, et on a rebroché sur le tout, si je puis m'exprimer ainsi. On a de plus dmandé aux provinces limitrophes, des renseignments pour l'établissement de leurs lignes respectives. Toutes se sont empressées de satisfaire à nos demandes, excepté celles qui étaient dans l'impossibilité de le faire, par la présence de l'ennemi. De ce nombre sont le Limbourg, encore occupé par les troupes du roi de Hollande, et Anvers, où les inondations s'opposent au tracé de la ligne. Cependant, les postes de l'intérieur fournissent tous leurs employés disponibles pour garnir les postes des frontières les plus importants, et où la fraude pourrait se faire le plus facilement. Voilà, messieurs, comment on s'y est pris pour tracer la ligne des douanes du côté de la Hollande, et cette opération, qui aurait coûté 90,000 florins, si on s'y était pris autrement, n'en aura pas coûté plus de 30,000. De plus, par la suppression des passavants, par suite de la suppression de la mouture et de l'abattage, une partie du personnel de l'intérieur est désormais disponible. Les employés se dirigent dans ce moment vers l'extérieur, et un inspecteur général et deux inspecteurs particuliers qui lui sont adjoints, les reçoivent et les placent au fur et à mesure de leur arrivée. La surveillance est donc parfaitement établie pour empêcher toute fraude du côté de la Hollande : ainsi, d'une opération coûteuse on en a fait une économique, et je peux affirmer au congrès qu'il en est de même dans toutes les opérations de mon département. Voilà, messieurs, les explications que j'ai cru devoir vous donner. Puissent-elles vous satisfaire ! Du reste, il m'eût été impossible de vous en donner de plus précises, vu le peu de temps que j'ai eu pour répondre aux désirs de l'assemblée, et le laconisme des points sur lesquels j'ai été interrogé. Je désire, messieurs, qu'il résulte de toutes ces discussions une loi qui concilie tous les intérêts, ceux des distillateurs comme ceux du trésor, et pour ma part, je puis vous dire que si mes soins et mes (page 362) veilles ont été toujours consacrés au bien de mon administration, je ne négligerai rien pour arriver à un but si désirable. (U. B., 8 déc.)

M. Charles de Brouckere – Messieurs, je suis pleinement satisfait des explications qui viennent de nous être données relativement à la ligne des douanes. Je ferai seulement observer qu'on n'a pas répondu à ce que j'ai dit de la commune de Lommel. (U. B., 8 déc.)

M. Duvivier, délégué de l'administrateur général des finances – C'est un oubli de ma part ; puis-je m'expliquer sur ce point ? (U.B., 8 déc.)

M. le président – Très fort. (U. B., 8 déc.)

M. Duvivier, délégué de l'administrateur général des finances – J'avais oublié de parler de la commune de Lommel ; mais j'affirme, et l'assemblée peut m'en croire, qu'aujourd'hui même j'ai vu le bourgmestre de cette commune, et que, dès demain, cette affaire sera terminée. Nos intentions sont pures, messieurs ; nous y allons bon jeu, bon argent. (On rit.) L'erreur qui avait été commise est expliquée par les détails historiques que l'honorable M. de Brouckere lui-même vous a donnés. Cette commune ayant appartenu tantôt à Pierre, tantôt à Paul (on rit), on n'a su à qui la donner. Mais, je le répète, dès demain tout sera terminé. (D. B., 8 déc.)

M. Charles de Brouckere – Je suis pleinement satisfait des explications que vous venez d'entendre sur les douanes ; je prends cependant la parole pour deux motifs : d'abord, pour un fait personnel ; en second lieu, pour relever une erreur échappée à M. Duvivier. Il s'est plaint que des documents qu'il regardait comme confidentiels soient devenus publics ; si mon intention eût été de nuire à M. Duvivier, les explications que je lui aurais donné l'occasion de fournir étant si satisfaisantes, j'aurais mal réussi dans mon projet. Mais telle ne fut jamais ma pensée ni celle de M. Teuwens ; il n'approuvait pas l'arrêté du 17 octobre, car il avait adressé à M. le gouverneur du Limbourg un mémoire contre cet arrêté, et M. le gouverneur lui donna la lettre d'introduction suivante, pour M. l'administrateur des finances. (L'orateur donne lecture de cette lettre.)

Une pétition des distillateurs d'Ath, que je viens de remettre sur le bureau, prouve que nous n'étions pas les seuls qui blâmions cet arrêté ; un nouvel arrêté nous est annoncé, il portera peut-être remède au mal.

Du reste, j'ai dit que l'arrêté du 17 octobre était fait dans l'intérêt des grandes distilleries, et cela ne pouvait guère être autrement, car M. Duvivier nous a dit lui-même qu'il avait été publié après avoir pris l'avis de cinq grands distillateurs.

L'erreur que je voulais relever est relative à ce qui a été dit de l'arrêté défendant l'exportation des grains, sollicité, selon le préopinant, par le gouverneur lui-même ; je puis me tromper moi-même, quant à la province de Liége ; mais si le gouverneur réclamait avec instance, c'était plutôt pour obtenir la libre entrée des grains que pour en empêcher la sortie. (U. B., 8 déc.)

M. Duvivier, délégué de l'administrateur général des finances – Messieurs, j'ai été exact dans ce que j'ai dit, et je pourrais le prouver par la correspondance du gouverneur. Elle est aujourd'hui au comité de l'intérieur, mais elle avait d'abord mal à propos été adressée au comité des finances ; je l'ai vue, le gouverneur disait en propres termes : Donnez-nous un arrêté pour empêcher l'exportation. On souscrivit à sa demande, pour calmer les inquiétudes et prévenir les dangers dont on était menacé. Puisque j'ai eu occasion de remonter à la tribune, je n'en descendrai pas sans avoir émis le vœu, comme l'a déjà fait M. de Brouckere, qu'une commission mixte soit nommée pour examiner la législation relative aux distillries ; il faudrait qu'elle fût composée de gens appartenant au commerce des grains, de quelques distillateurs, qui ne laissent pas de nous mettre dedans toutes les fois qu'ils le peuvent (hilarité générale), et des officiers supérieurs de l'administration. (U. B., 8 déc.)

M. Van Hoobrouck de Mooreghem – Notre honorable collègue, M. Charles de Brouckere, venant de proposer le rapport ou une modification à l'arrêté du gouvernement provisoire du 17 octobre dernier, relatif aux distilleries d'eaux-de-vie de grain, qui établit pour toutes celles dites agricoles, à quelque catégorie qu'elles appartiennent, un taux moyen de production de liqueur en remplacement de l'article fixé par la loi du 26 août 1822, art. M. je crois remplir ici le vœu de tous les distillateurs agricoles de la Belgique ayant des chaudières d'une contenance inférieure à cinq hectolitres, en demandant pour elles toute la liberté de multiplier leurs bouillées, comme elles en avaient la faculté sous l'empire de la loi de 1822.

Ma demande est motivée sur ce que la déduction de 20 p. c. n'étant accordée par l'arrêté du 17 octobre qu'aux distilleries ayant des chaudières de la contenance de dix barils bruts, et en dessous, et n'effectuant qu'une bouillée par jour, la plupart de ces distilleries n'ayant que des chaudières de trois hectolitres, terme moyen, il en résulte que celles-ci ne peuvent guère obtenir de (page 363) leurs chaudières que le tiers de ce que produisent les plus grandes, et aussi, par conséquent, le tiers du résidu destiné à l'engrais de leur bétail. Ainsi pour appliquer cette observation à tel établissment, qui était destiné à nourrir et à engraisser quarante-cinq à cinquante têtes de bétail, et qui chôme depuis cinq ans, grâce à la législation hollandaise, cet établissement, en vertu de l'arrêté précité du gouvernement provisoire du 17 octobre, ne pouvant entretenir que dix têtes de bétail tandis qu'il est construit pour en contenir cinquante, et ne pouvant ainsi fumer que dix bonniers d'une ferme qui en contient quarante-cinq, je dmande, au nom des distillateurs, spécialement des deux Flandres, que dans la nouvelle disposition transitoire que M. Duvivier vient de nous promettre et en attendant une loi nouvelle, qu'il soit statué qu'entre autres dispositions toutes les chaudières de trois à quatre hectolitres, pour être au niveau des plus grandes qui dans une seule bouillée obtiennent des produits doubles, triples, quadruples, puissent renouveler leurs bouillées trois fois par jour, sous la condition sans doute de payer proportionnellement la taxe sur le pied nouvellment établi. (J. F., 8 déc..)

M. le président – Quelqu'un demande-t-il la parole ? (U. B., 8 déc.)

M. Alexandre Rodenbach appuie fortement les observations de M. Charles de Brouckere. Le commerce, dit-il, doit être libre ; il nous faut de la liberté en tout et pour tous. Point d'entraves : le genièvre et toutes les boissons doivent pouvoir circuler dans l'intérieur de la Belgique sans passavants et documents ; mais, ajoute-t-il, dans la ligne, il faut beaucoup de sévérité, des mesures très rigoureuses ; et afin que nos distilleries de Deynse, des deux Flandres, du Limbourg et autres provinces ne soient point anéanties comme sous le gouvernement hollandais, il importe qu'on arrête les fraudeurs et qu'on les fasse condamner à la prison : c'est le vœu de la loi qui n'est point exécuté ; car journellement on arrête des fraudeurs, porteurs de barils d'esprit et de genièvre ; les employés s'emparent du butin et laissent courir les fraudeurs, qui le lendemain recommencent leur trafic illicite.

Il n'y a pas longtemps, plus de deux cents pipes de genièvre de Hollande ont été introduites en Flandre sans payer aucun droit ; en tolérant ainsi la fraude et en n'exécutant point la loi, on enfonce le poignard dans le sein de cette industrie belge, qui mérite à tous égards une protection large de la part du gouvernement. Quant à une nouvelle loi sur les distilleries, pour en faire une bonne, il faudrait réunir au moins une cinquantaine de distillateurs des diverses provinces de la Belgique ; chacun ferait connaître son procédé de distillation, et l'on ferait des paragraphes spéciaux pour chaque méthode de travail ; on ferait, par exemple, une loi pour le procédé flamand, suivi dans la Flandre orientale ; un autre paragraphe de la loi stipulerait des articles en faveur du procédé hollandais, usité dans quelques distilleries de la Flandre occidentale et du Brabant méridional ; bref, il y aurait une disposition particulière pour les distillateurs qui travaillent à la vapeur et avec des colonnes chimiques. En basant ainsi la loi d'après les différents procédés et industries, l'on parviendrait à faire une loi favorable à l'agriculture et au commerce de notre pays, épuisé, dpuis quinze ans, par les exploiteurs du Biesbosch. (J. F., 8 déc.)

M. Duvivier, délégué de l'administrateur général des finances – Nous attendons des procès-verbaux contre les fraudeurs ; cela est indispensable pour poursuivre et pour emprisonner. (U. B., 8 déc.)

M. Alexandre Rodenbach – Il faut que le gouvernement fasse connaître à la frontière que la loi sera exécutée avec rigueur et sévérité. La loi punit la fraude par la prison ; des procès-verbaux sont dressés, il est vrai mais on ne leur donne aucune suite, on les jette dans les cartons où on les oublie : ce n'est pas ainsi qu'on peut arrêter la fraude. Qu'on exécute la loi, rien que la loi ; je ne veux pas qu'on vexe les fraudeurs, mais je veux qu'on les punisse. (U. B., 8 déc.)

M. Duvivier, délégué de l'administrateur général des finances – Mais encore faut-il pour arrêter un homme et lui mettre la main sur le collet... (Rire général.) (U. B., 8 déc.)

M. Alexandre Rodenbach – J'ai dit...

- Plusieurs voix. - Assez ! assez ! (U. B., 8 déc.)

M. Duvivier, délégué de l'administrateur général des finances – Quand des procès-verbaux nous parviendront, les fraudeurs ne seront pas épargnés. (U. B., 8 déc.)

M. Alexandre Rodenbach – Il faut, je le répète, exécuter la loi. L'ancien gouvernement ne le faisait pas : jamais on ne punissait la fraude par la prison ; on laissait courir les fraudeurs, et on se contentait d'arrêter la marchandise. (U. B., 8 déc.)

M. le président – Quelqu'un demande-t-il la parole ? (Silence,)

- Il est donné acte à M. Duvivier des explications qu'il a données. (U. B., 8 déc.)

M. Duvivier se retire.

Projet de loi sur l'organisation de la garde civique

Rapport de la section centrale

M. le président – L'ordre du jour est la discussion sur la proposition de M. de Rouillé relative à la garde civique, et sur celle de M. de Robaulx concernant les volontaires.

M. François a la parole. (C., 8 déc.)

M. François – Voici, messieurs, en quoi consistait la proposition de M. de Rouillé.

« Je propose au congrès de décider, qu'il sera nommé une commission chargée de rédiger le plus tôt possible un projet de loi sur l'organisation de la garde civique, sans que cela puisse entraver la discussion sur la constitution. »

Les opinions des sections ont été partagées sur cette proposition. Trois ont été d'avis de l'adopter. Quatre se sont prononcées, non pas pour le rejet, mais pour l'ajournement. Une autre a pensé que ce n'était pas le moment de discuter une pareille loi, et que les dispositions prises par le gouvernment provisoire pouvaient suffire jusqu'après la constitution. Cette opinion est fondée sur une erreur de fait. Ces dispositions ne forment pas effectivement un tout complet ; par exemple, il n'y a rien de décrété sur les dispositions pénales, en sorte que les fautes les plus graves dans la discipline pourraient être commises et rester impunies ; et aujourd'hui le gouvernement provisoire n'a plus qualité pour les décréter.

Une dernière section a aussi été d'avis de l'ajournement jusqu'après la constitution, se fondant sur ce que le gouvernement provisoire pourrait prendre des mesures pour assurer le service. Le gouvernement peut-il, en effet, assurer à la garde civique une existence et une organisation satisfaisantes ? Non, car les arrêtés rendus jusqu'à ce jour sont insuffisants, et le gouvernement provisoire ne peut plus en faire de nouveaux, puisqu'il n'est plus en possession du pouvoir législatif. Votre section centrale a pensé qu'il était urgent d'assurer par une loi l'organisation de la garde civique, qui doit être le soutien et la garantie la plus assurée de votre liberté tant à l'intérieur qu'à l'extérieur : elle pense aussi que le travail relatif à cette loi pourrait se faire sans entraver la constitution ; elle vous propose en conséquence d'adopter la proposition, et de nommer dans les sections une commission de dix membres pour la convertir en projet de loi. (U. B., 8 déc.)

M. le président consulte l'assemblée, qui adopte les conclusions de la commission à une immense majorité. Ainsi, les sections nommront chacune un membre pour former la commission chargée de présenter un projet de loi sur la garde civique. (U. B., 8 déc.)

Proposition relative à l'organisation des compagnies de volontaires

Rapport de la section centrale

M. François – Voici la proposition faite par M. de Robaulx :

« Je propose au congrès de décider que le gouvernement provisoire sera invité à lui proposer les mesures nécessaires pour régler le sort et l'organisation des compagnies volontaires belges. »

. Les cinquième et septième sections n'ont point envoyé de rapport.

Les deuxième, quatrième et cinquième sont d'avis d'ajourner l'adoption de la proposition : la deuxième, parce qu'elle pense qu'il n'y a pas urgence pour le moment, et à cet égard, je ferai observer que l'urgence a été déclarée par le congrès dans la dernière séance ; la quatrième, parce que l'organisation des volontaires rentrera dans l'organisation de l'armée, et qu'il sera temps de s'en occuper lorsqu'on s'occupera de cette dernière, avec d'autant plus de raison que, par un arrêté du gouvernement provisoire, les officiers volontaires sont assimilés aux officiers de l'armée ; la cinquième enfin, parce qu'elle croit que le gouvernment provisoire peut prendre, à l'égard des volontaires, toutes les mesures qu'il jugera convenables, et qu'il est conséquemment inutile que le congrès s'en occupe. Les première, sixième, huitième, neuvième et dixième sont d'avis d'adopter la proposition.

Votre section centrale a l'honneur de vous proposer l'adoption de la mesure sollicitée. (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – Je demande la parole. (U. B., 8 déc.)

- Plusieurs voix – Il n'y a pas d'opposition, pourquoi parleriez-vous ? (C.. 8 déc.)

M. le président – L'assemblée adopte t-elle la proposition ? (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – Comme auteur de la proposition, j'ai le droit de prendre la parole ; on y a d'ailleurs fait un amendement auquel j'adhère, et (page 365) sur lequel j'ai besoin de donner des explications. (U. B., 8 déc.)

M. le président – Déposez cet amendement. (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx, après avoir déposé l'amendement sur le bureau, monte à la tribune et s'exprime ainsi – Messieurs, j'ai cru devoir soumettre une proposition ayant pour but de demander au gouvernment provisoire de faire une loi pour fixer définitivement le sort des volontaires belges. La question examinée dans les sections, les unes ont pensé qu'il n'y avait pas urgence ; les autres, que le gouvernement provisoire pouvait prendre les mesures nécessaires, sans nous présenter un projet de loi ; la majorité a été d'avis de l'adoption de ma proposition ; la dixième section a même renchéri sur moi, en proposant un amendement dont M. le rapporteur ne vous a pas parlé, et dont je dois vous donner connaissance ; le voici : « Le gouvernement provisoire sera également invité à prendre les msures nécessaires pour pourvoir aux besoins urgents des volontaires. » Remarquez, messieurs, qu'on veut charger le pouvoir exécutif de satisfaire aux besoins des volontaires : ils sont, en effet, dans l'état de dénuement le plus complet sur certains points : sur d'autres, ils sont un peu mieux ; il est temps de songer à les traiter d'une manière uniforme. L'urgence de fixer leur sort est manifeste. Partout des plaintes s'élèvent sur la manière dont ils sont traités : jusqu'ici ces plaintes n'ont pas été écoutées par le gouvernement provisoire ; il faut que ces malheureux trouvent un refuge dans le congrès. Ne l'oublions pas, messieurs, ce sont les volontaires qui ont fait la révolution, ils ont le droit d'être écoutés. Pendant deux mois, ils ont vécu à leurs frais ou aux dépens des communes auxquelles ils appartenaient ; ce n'est que depuis l'ouverture du congrès qu'on leur a fourni la solde, l'habillement et les munitions de guerre. On ne pouvait pas exiger d'eux un service plus long, réduits à leurs propres ressources. La nation leur doit l'équipement, la solde, les provisions de bouche. Les volontaires en grande partie sont encore en face de l'ennemi ; à l'époque actuelle, au mois de décembre, ils sont dans des marais, dans des bruyères, dans des lieux humides et malsains, en proie à tous les besoins, à toutes les souffrances ; il est urgent de leur envoyer des provisions. Selon les rapports qui m'ont été faits, ils n'ont ni souliers, ni chemises, ni blouses, ni pantalons. Bien plus, ils manquent d'armes : oui, messieurs, ils manquent d'armes, et l'on m'a dit que sur un point cent quatre-vingts hommes n'avaient, pour faire leur service, que quarante fusils. Je le répète, il est urgent de leur envoyer tout ce dont ils ont besoin. Sont-ils blessés, on les envoie à l'hôpital. Pensez-vous qu'en sortant on leur accorde quelque secours ? Détrompez-vous, messieurs : je tiens d'un membre de la commission des secours à accorder aux blessés, qu'on ne leur accorde rien ; lorsque ces infortunés font des réclamations, on les promène de bureau en bureau ; s'ils obtiennent quelque chose, c'est à force d'importunités, le plus souvent ils ne peuvent rien obtenir. Alors le dégoût s'empare d'eux ; ils partent réduits, pour retourner dans leurs foyers, à prendre leur part dans le tronc de l'aumône, ce tronc que vous voyez à la porte des hôpitaux : ils tiennent leur premier secours de la charité publique ! Élèvent-ils des plaintes, on les menace du licenciement. C'est afin de les affranchir de cette crainte que j'ai demandé une loi qui fixe leur sort. Je ne veux pas qu'on puisse les licencier. Si on le pouvait, voyez quelle serait leur triste situation. Ils ont abandonné leur état, leur famille ; ils sont aujourd'hui sous les drapeaux ; ils ont gagné des grades en combattant vaillamment pour notre défense ; renvoyez-les, la misère la plus profonde devient leur partage : tel serait le prix de leurs glorieux services. Il n'en sera point ainsi ; je ne veux pas qu'il puisse dépendre du gouvernement provisoire de leur enlever leurs grades, ou de les priver d'une pension convenable à l'emploi qu'ils occupent. C'est bien assez du dénuement et de l'état d'incertitude où on les a laissés jusqu'à ce jour. C'est ce dénuement, cette incertitude qui sont cause de leur retour chez eux. Quelques-uns ont demandé pour prix de leur sang quelque place dans les finances et dans les emplois les plus subalternes ; On les a repoussés inhumainment, tandis que, à mérite égal, ils auraient dû obtenir la préférence. Est-ce indifférence ? est-ce inertie de la part du gouvernement ? Que ce soit l'une ou l'autre, il faut en finir. La révolution faite par les volontaires ne doit point leur être étrangère dans ses résultats ; que la nation leur paye sa dette ; il est temps d'encourager ceux qui ont combattu pour elle. L'Europe est en armes ; la Hollande soudoie des soldats étrangers : que faisons-nous de notre armée ? où en sommes-nous de nos impôts ? Des plaintes générales s'élèvent sur l'organisation de l'armée. Pourquoi ne nous fait-on point des rapports officiels sur son compte ? Est-ce apathie de la part du gouvernement provisoire ? Que notre voix arrive jusqu'à lui ; il faut que l'impulsion parte de cette assemblée. On suppose que le gouvernement provisoire a envoyé sur divers (page 366) points tout ce qui suffisait au besoin de nos volontaires. S'il a envoyé plus, ou autant de secours qu'il en fallait, qu'il vérifie s'ils sont arrivés à leur destination, et s'ils ne le sont pas, il y a des employés responsables, qu'on les punisse. Tous les journaux retentissent de plaintes, les lettres des volontaires eux-mêmes en sont remplies : si le gouvernement a fait les dépenses nécessaires, qu'il s'assure des distributions. L'état des volontaires réclame qu'on s'occupe d'eux, même avant la constitution, car le premier besoin est de faire face à l'ennemi. Il sera bien temps de discuter les articles d'une constitution quand nous serons poursuivis par les baïonnettes étrangères, quand nous serons obligés de nous défendre contre les armées de l'Allemagne et de l'Europe entière ! Garantissons un sort à nos volontaires, si nous voulons les trouver au jour du danger. Garantissons-leur leur grade ; s'ils se retirent, qu'ils soient assurés de l'estime et de la considération qu'ils méritent, et qu'on leur accorde une pension proportionnée à leur emploi. Voilà ce qu'il est juste de faire, messieurs ; c'est pour le pays une dette sacrée. Je conclus à ce que le gouvernement soit invité à nous présenter une loi sur les volontaires. Quant à l'amendement proposé par la dixième section, je ne crois pas qu'il rentre dans ma proposition. Il est du ressort du pouvoir exécutif, mais en l'adoptant ce sera pour le gouvernement un avis salutaire, et dont il profitera. En faisant ma proposition, j'ai voulu laisser au gouvernement l'initiative de l'organisation des volontaires ; s'il hésitait ou s'il tardait à nous présenter une loi, nous serions forcés de la faire nous-mêmes, pour satisfaire à un bsoin que le gouvernement provisoire n'aurait pas suffisamment senti. (U. B., 8 déc.)

M. Van Snick – Messieurs, si le tableau affreux qu'on vient de faire de l'état des volontaires est exact, on ne peut rien comparer à l'inertie du département de la guerre : hâtons-nous d'éclaircir de pareils faits. Depuis longtemps on nous promet des rapports sur notre situation ; il est urgent et très urgent de les entendre ; qu'on nous les fasse au plus tôt. Je demande qu'un message soit envoyé au gouvernement provisoire pour qu'il vienne nous donner des explications sur l'armée et sur les volontaires. (U. B.. 8 déc.)

M. le président – La section centrale est d'avis d'adopter la proposition de M. de Robaulx ; l'assemblée est-elle du même avis ? (U. B.. 8 déc.)

- Plusieurs voix – Et l'amendement ? Il faut mettre aux voix l'amendement. (U. B.. 8 déc.)

M. de Robaulx – Si l'assemblée veut le permettre, je parlerai sur la position de la question. J'ai fait une proposition pour que le gouvernement nous présentât une loi fixant le sort des volontaires. La dixième section a ajouté à ma proposition un amendement tendant à faire donner immédiatement aux volontaires les secours dont ils ont besoin ; il faut d'abord mettre ma proposition aux voix, puis viendra l'amendement. (U. B., 8 déc.)

M. Nagelmackers – La section centrale propose l'adoption de la proposition ; il faut d'abord voter là-dessus. Quant à la disposition ajoutée par la dixième section, ce n'est point un amendement, mais une proposition nouvelle, qui n'a pas été faite suivant les formes voulues par le règlement, que les sections n'ont pas pu examiner, et que par conséquent on ne peut pas mettre aux voix. (U. B., 8 déc.)

M. le président – Nous allons être tous d'accord. M. de Robaulx a fait une proposition qu'il s'agit d'adopter ou de rejeter. Votons d'abord sur ce point ; la discussion s'ouvrira ensuite sur l'autre, et l'on verra ce qu'il y a à faire. (U. B., 8 déc.)

- Plusieurs voix – Mais si c'est un amendement, il faut d'abord voter sur l'amendement. (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – Voulez-vous maintenant une loi pour fixer le sort des volontaires ? Voilà d'abord une question qu'il faut résoudre. Voulez-vous que le gouvernement soit tenu de parer sans délai à leurs besoins ? C'est encore une autre question sur laquelle vous devez vous prononcer. (U. B., 8 déc.)

M. Théophile Fallon – M. de Robaulx a fait une proposition ; la 10e section l'a amendée, votons d'abord sur l'amendement. (U. B., 8 déc.)

M. Charles de Brouckere – On se trompe en disant que la proposition de M. de Robaulx a été amendée. La disposition ajoutée par votre dixième section n'est pas un amendement, car elle ne modifie en rien la proposition principale ; c'est une proposition supplémentaire que je suis d'avis d'écarter par l'ordre du jour. Vous ne pourriez l'adopter sans inconvénient : car, demander au gouvernement qu'il vienne au secours des volontaires, c'est décider qu'il n'a pas rempli son devoir à leur égard, c'est le condamner, et le condamner sans l'entendre, ce qui serait souverainment injuste. Je demanderai donc qu’avant de s'occuper d'une pareille proposition, le ministre de la guerre soit entendu. Je voterai, en attendant, pour la proposition de M. de Robaulx, parce qu'il n'existe pas de loi pour les volontaires, et que je crois qu'il en faut une. (U. B., 8 déc.)

M. Devaux – Je suis entièrement de l'avis de (page 367) M. de Brouckere, et je n'ajouterai qu'un mot pour prouver l'inopportunité de la proposition supplémentaire. On veut que nous demandions au gouvernement provisoire qu'il vienne au secours des volontaires. Il serait au-dessous de l'assemblée de demander quelque chose au gouvernement. En nous réside le pouvoir ; nous pouvons donner des ordres, faire des lois ; le gouvernement est là pour les exécuter : mais, je le répète, il serait au-dessous de la dignité du congrès de lui rien demander. (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – C'est une hérésie qu'on met en avant. Nous pouvons demander au gouvernement tout ce que nous voudrons sans quitter le rôle qui nous convient ; dans ce cas particulier, si nous savons qu'on n'a pas pourvu aux besoins des volontaires, nous avons le droit de le dire et de stimuler le zèle du gouvernement ; nous pouvons l'inviter à fournir aux volontaires ce qu'il leur faut, et... (U. B., 8 déc.)

M. le comte d’Arschot – Je demande le rappel au règlement ; c'est au moins la cinquième fois que M. de Robaulx prend la parole sur l'objet en discussion. (Hilarité générale.) (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – Je suis l'auteur de la proposition, j'ai le droit de réfuter les objections ; ce n'est pas avec des fins de non-recevoir, des moyens dilatoires, que l'on peut décider des questions de la plus haute importance. Ici on fait trop souvent usage de ces moyens. (Sensation.) (E., 8 déc.)

M. Liedts, secrétaire, donne lecture de la proposition de M. de Robaulx ; elle est adoptée presqu'à l'unanimité. (U. B., 8 déc.)

M. le président – Voici maintenant l'amendement de la dixième section que M. de Robaulx a fait sien :

« Le gouvernement provisoire sera également invité à prendre des promptes mesures pour pourvoir aux besoins urgents des volontaires. »

L'amendement est-il appuyé ? (U. B., et C., 8 déc.)

M. le baron de Stassart – Je demande qu'on ajoute : « pour autant qu'il en existe. » (Oh ! oh ! Rumeurs.) (U. B., 8 déc.)

M. le président – Le sous-amendement est-il appuyé ? (Oui ! oui !) (U. B.,8 déc.)

M. de Robaulx déclare qu'il l'adopte. (J. F., 8 déc.)

M. Destouvelles – Je crois qu'il serait plus convenable d'envoyer au gouvernement un message pour lui faire connaître les plaintes qui s'élèvent de toutes parts touchant les volontaires, et pour qu'il nous fournît des explications sur leur véritable situation. Un article du règlement fixe la manière dont le message pourrait être envoyé ; je demande qu'on s'y conforme et non pas que l'on condamne le gouvernement sans l'avoir entendu. (Marques nombreuses d'assentiment.) (U. B., 8 déc.)

M. le baron de Stassart – J'appuie la proposition du préopinant. On ne peut en effet condamner le gouvernement sans l'entendre ; et c'est pour cela que je demandais, si l'on adoptait la proposition supplémentaire de M. de Robaulx, d'y ajouter mon sous-amendement. (U. B., 8 déc.)

M. le président – M. Destouvelles est prié de vouloir bien rédiger sa proposition et de la remettre sur le bureau. (U. B., 8 déc.)

M. Destouvelles rédige sa proposition et il en donne lecture ; elle est ainsi conçue :

« Le congrès national décide qu'il enverra un message au gouvernement provisoire, à l'effet d'obtenir de lui un rapport qui nous fasse connaître la véritable situation des volontaires. » (U. B., 8 déc.)

M. Van Snick – Et de l'armée. (U. B., 8 déc.)

M. le président – Nous sortirions de la proposition de M. de Robaulx. (U. B., 8 déc.)

- La proposition de M. Destouvelles est mise aux voix et adoptée. (P. V.)

M. le président à M. de Robaulx – Êtes-vous satisfait ? (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – Le gouvernement saura bien ce que cela veut dire. (U. B., 8 déc.)

Projet de Constitution

Question de principe sur l'existence du sénat

Mise à l'ordre du jour

M. le président – Messieurs, vous avez entendu, samedi, le rapport de M. Devaux relatif au sénat. Ce rapport a été distribué ; l'avez-vous reçu ? (Oui ! oui !) Je dois vous demander quand et à quelle heure vous voulez vous assembler pour la discussion. (U. B., 8 déc.)

- Une voix – La discussion aura-t-elle lieu en séance publique ? (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – J'ai demandé que ce fût en séance publique ? (U. B., 8 déc.)

M. le président – Je vais mettre la question aux voix. (Plusieurs voix : C'est décidé.) On a élevé des doutes (Non ! non !) On a élevé des doutes sur l'épreuve qui eut lieu dans le comité secret de samedi ; je ne veux pas qu'on puisse me reprocher d'avoir surpris une décision du congrès ; je serais très sensible à un pareil reproche. (U. B., 8 déc.)

- Un grand nombre de voix – On ne vous le fait pas ; la question a été décidée. (U. B., 8 déc.)

M. le président – J'espère que vous me (page 368) ferez la grâce de m'entendre. Il suffit du doute le plus léger, pour que je veuille qu'il soit levé, au moins pour mon compte personnel. Je vais donc consulter l'assemblée (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – Je demande la parole. C'est moi qui, dans la dernière séance, ai élevé des doutes, non pas sur la position de la question, mais sur la légalité de la proposition qui nous était faite, tendant à nous enlever les garanties de la publicité. Je n'ai, en aucune manière, entendu élever des doutes sur les intentions de M. le président ; j'insiste, au surplus, pour que la discussion ait lieu en séance publique. (U. B., 8 déc.)

M. le président – Demain, à dix heures, nous nous réunirons en comité secret. Je ferai observer que, d'après le règlement, si un membre démontre que la discussion doit avoir lieu en séance publique, le congrès pourra décider la question, et le public sera aussitôt admis dans les tribunes. (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – Je demande que l'on décide aujourd'hui même que la séance sera publique. (U. B., 8 déc.)

M. Devaux – Messieurs, on dénature ma proposition, ici et ailleurs. En proposant de discuter d'abord en comité général, je n'ai pas entendu exclure la publicité de nos séances. Je veux de la publicité en tout, je l'aime autant que qui que ce soit ; j'ai fait mes preuves à cet égard. J'ai dmandé que la discussion préparatoire eût lieu en comité secret, parce qu'il y a dix systèmes différents sur la question du sénat, sur lesquels il est nécessaire de s'entendre. Quand le jour de la publicité sera venu, les opinions se seront fondues, elles seront arrêtées définitivement ; on saura ce qu'il faut attaquer, ce qu'il faut défendre, et la discussion n'en sera que plus courte et plus facile. Qu'ai-je voulu, en un mot ? Une discussion préparatoire qui ne liât personne, dans laquelle seulement il s'agirait de fixer les difficultés et de s'entendre sur la manière de les lever. Je ne veux pas, à proprement parler, une réunion générale ; vous pouvez la considérer comme une invitation que vous fait la section centrale pour vous joindre à elle ; elle a le droit de vous dire : Venez avec nous préparer les éléments de la discussion publique, libre à chacun de se refuser à son invitation. Le jour de la publicité arrive, je veux qu'une discussion large puisse s'établir : la marche que je propose nous fera atteindre ce but. L'assemblée a déjà décidé qu'elle se réunirait en comité secret ; la consulter maintenant, serait remettre en question ce qui a été décidé. A ce propos je ferai rmarquer que l'article du règlement, cité par M. le président, ne peut s'appliquer au cas qui nous occupe. Sans doute, lorsque M. le président, usant du pouvoir que lui défère cet article, ordonne que le congrès se formera en comité secret, le congrès, sur l'observation d'un de ses membres, peut décider que la séance redeviendra publique ; mais ici la question a été décidée. Le congrès a prononcé lui-même qu'on discuterait préparatoirment en comité général : on ne peut revenir sur cette décision. (U. B.. 8 déc.)

M. Forgeur – Je ne m'oppose pas au comité secret, mais une fois assemblés, nous aurons à examiner si le congrès veut consacrer une, deux, trois séances ou plus, en comité secret, ou s'il veut discuter en séance publique : quoi qu'on en ait dit, le congrès peut se décider pour l'une ou l'autre de ces deux alternatives ; c'est une question de majorité ; la majorité est toujours libre de rvenir sur ses décisions : j'élève donc la voix pour annoncer que demain je combattrai l'opinion de l'honorable M. Devaux, en démontrant la nécessité d'une discussion en séance publique. Si nous nous réunissons en comité secret, il est donc bien entendu que la question pourra être discutée, et que le congrès pourra la décider comme il vaudra. (U. B.. 8 déc.)

M. le président – L'article du règlement est formel. A demain donc, à dix heures, comité général. (U. B., 8 déc.)

Interpellation relative à la mise en oeuvre par la Hollande du protocole de Londres du 4 novembre relatif à la suspension des hostilités et à la levée du blocus de l'Escaut

M. le président – M. Gérard Le Grelle a déposé une proposition dont il va vous être donné lecture :

« M. le président, ayant appris que M. Cartwright est de retour de La Haye, j'ai l'honneur de proposer au congrès d'envoyer un message au gouvernement provisoire, pour qu'il nous fasse connaître, dans la séance de demain, le résultat de son voyage.

« GÉRARD LE GRELLE. » (U. B., 8 déc.)

- Cette proposition est appuyée par un grand nombre de membres ; M. Le Grelle est invité à la développer. (J. F., 8 déc.)

M. Le Grelle – Messieurs, je suis arrivé ce matin d'Anvers ; j'ai acquis pendant mon séjour dans cette ville la triste certitude que la Hollande ne veut pas se conformer aux traités. Les pilotes partis pour Flessingue en sont revenus seuls, et aujourd'hui la libre navigation de l'Escaut n'est (page 369) plus un problème. M. Cartwright est passé hier à Anvers à cinq heures ; il y a dîné seul, et rien n'a transpiré de sa part sur le résultat de sa démarche auprès du roi de Hollande. Mais si les nouvelles reçues par une société de commerce d'Anvers sont exactes, la manière dont ce diplomate a été reçu, bien loin de nous faire espérer la paix, doit nous engager à nous préparer à la guerre de la manière la plus énergique. Le congrès national doit être impatient de savoir à quoi s'en tenir ; je demande donc l'adoption de ma proposition qui me semble indispensable. (Appuyé ! appuyé !) (U. B., 8 déc.)

M. le président – Je pense que l'assemblée ne veut pas suivre pour cette proposition la marche tracée par le règlement ; vous savez que lorsqu'une proposition est faite, elle doit être appuyée par cinq membres, après quoi elle est renvoyée à l'examen des sections. (U. B., 8 déc.)

M. de Robaulx – Nous ne sommes pas liés par cet article, et il est des cas où l'on sent qu'il faut que nous puissions passer outre ; tel est celui où nous nous trouvons. (U. B., 8 déc.)

M. le président – L'assemblée veut-elle adopter la proposition de M. Le Grelle ? (U. B., 8 déc.)

- Le congrès se prononce pour l'affirmative.

M. le président – Il sera donc envoyé un message au gouvernement pour l'inviter à faire connaître le résultat du voyage de M. Cartwright. La section centrale est priée de se réunir ce soir à sept heures. (U. B., 8 déc.)

- Il est quatre heures et demie ; la séance est levée. (P. V.)