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Congrès
national de Belgique
Séance du
vendredi 3 juin 1831
Sommaire
1) Communications des pièces
adressées au congrès
2) Choix du chef de l’Etat (Seron, Van Hoobrouck de Mooreghem, A. Rodenbach, Van Meenen, Van Snick, Le Bègue, Rogier, C. de Smet, Jaminé, J. Goethals, Van Meenen, Drèze, Delwarde, Destouvelles, Andries, Boucqueau de Villeraie, Lecocq, Desmanet de Biesme, Helias d’Huddeghem, Lebeau, de Robaulx, d’Elhoungne, A. Gendebien, Jottrand, Dehaerne, Beyts, Forgeur, Lardinois, d’Oreye, Blargnies)
(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société
typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 236)
(Présidence de M. de
Gerlache)
Toujours même foule, même empressement. (I., 5 juin.)
La séance est ouverte à onze heures. (P. V.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne
lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
COMMUNICATION
DE PIECES ADRESSEES AU CONGRES
M.
le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, lit une
lettre par laquelle M. le docteur Lombard annonce que son beau-frère M. Deleeuw
est retenu chez lui par une grave indisposition. (P. V.)
- Pris pour notification. (P. V.)
M. Liedts, secrétaire,
présente l'analyse des pétitions suivantes :
Soixante habitants de Gand demandent que le congrès n'élise
pas le prince de Saxe-Cobourg.
Cinq sauniers de Tournay présentent des observations
concernant le projet de décret sur le sel.
MM. Wattecamps et Gerlac, à Louvain, demandent que la guerre
soit immédiatement déclarée à
M. Minté, à Gand, demande que l'exportation du bétail soit
prohibée. (C., 5 juin et P. V.)
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.
(P. V.)
M. le président – L'ordre du jour est la discussion sur le choix du chef de
l'Etat.
La parole est à M. Seron. (Profond silence.) (J. B., et.
E., 5 juin.)
M. Seron – Messieurs,
lorsque la grande majorité du congrès a souscrit la proposition d'élire le
prince de Saxe-Cobourg roi de
Le gouvernement français n'a pas osé accepter, pour le duc de
Nemours, la couronne de
Pour moi, je suis porté à croire que le ministère français
écoute une mauvaise conseillère, que la peur lui met un bandeau sur
les yeux, et que, malheureusement, il sera la dupe de sa fausse politique. Je
dis malheureusement, en ce sens les fautes des gouvernants
retombent toujours sur les peuples. Il oublie que, depuis un siècle et demi,
l'Angleterre est entrée dans toutes les guerres contre
Ce sera une guerre de principes : les Russes, les Prussiens ne peuvent
donc manquer d'y prendre part ; on y forcera les petits princes de l'Allemagne. Je
demande quel rôle, dans une telle condition, est
réservé à
Mais je veux supposer la continuation de l'état de paix. Quels fruits alors
recueillerez-vous de l’élection qui se prépare ? La perte de
Est-ce pour arriver à un pareil dénouement qu'on l'a appelé
de nouveau aux armes, qu'on a créé tant d'officiers à gros appointements, fait
forger des piques à grands frais, et voté un emprunt de douze millions de
florins, qui atteint jusqu'à la misère, et que jamais il ne sera possible de
rembourser ?
Quant à votre constitution, malgré toutes les garanties
qu'elle renferme et le serment de la maintenir qu'on prêtera, elle sera
probablement exécutée à la manière dont naguère s'exécutait la loi fondamentale
sous un autre roi déjà imposé par l'Angleterre à
(page 238) Mais,
dit-on, c'est
Jusqu'ici, j'ai raisonné sur la supposition que le prince de
Saxe-Cobourg acceptera la couronne que l'on veut à tout prix mettre sur sa tête
; mais s'il la refuse, et je pense qu'il la refusera, par les raisons que
différents orateurs en ont données ; si votre deuxième élection a le sort de la
première, songez, messieurs, à la déconsidération qui, dans ce cas, attend le congrès
; songez que, sans l'estime et la confiance du peuple, nous sommes incapables
de faire le bien.
J'entends dire à chaque instant : « II faut nous
constituer, il nous faut un chef définitif. » Soit. Mais (et je vous l'ai
demandé à la séance du 20 mai dernier), la prudence ne conseille-t-elle pas
d'en ajourner la nomination, du moins pour quelque temps ? Ne vaudrait-il pas
mieux nous occuper de l'établissement du jury, de la diminution de nos
dépenses, du changement de notre ridicule système d'impôts ? On répond :
« Non ; le peuple souffre. » Messieurs, croyez-vous que l'élection lui
donnera du travail et du pain ? On ajoute : « Une explosion prochaine menace de
renverser l'édifice social, de nous plonger dans l'anarchie. »
Ces craintes me paraissent chimériques ; mais ce qui est
évident, c'est le parti pris de nommer un roi. Eh bien, messieurs, ne peut-on
se dispenser d'élire le candidat de
Conclusion. Je ne veux pas voter la honte, la
misère
et l'esclavage de mon pays. Que d'autres, en accordant leur suffrage au prince
de Saxe-Cobourg, en assument eux seuls les suites et la responsabilité ; le
mien, s'il vous faut absolument un chef définitif, sera en faveur de celui de
mes concitoyens (pas trop dévot, l'excès est nuisible en tout) que j'en croirai
le plus digne par ses lumières, son bon sens, sa capacité, sa probité et son
patriotisme.
Je pourrais, aux raisons que j'ai données, en ajouter
d'autres, mais j'en ai assez dit pour faire apprécier mon opinion, et trop
peut-être pour ne pas lasser votre patience. Je n'ai point parlé de nos
ministres, qui ont fait tant et de si belles choses en si peu de temps, car,
après tout, pourquoi leur reprocher une combinaison qui ne tirera à conséquence
qu'autant qu'on aura la complaisance de l'adopter ? (E., 5 juin.)
M. Van
Hoobrouck de Mooreghem – Messieurs,
après avoir solennellement proclamé l'indépendance de
On ne nous reprochera pas à cet égard d'avoir épargné nos
démarches. On nous a même reproché, et dans cette enceinte, que nous avions mis
le trône belge au rabais. Cependant, messieurs, vous en conviendrez tous,
l'état actuel de la nation ne peut durer. Déjà l'on vous dit que le marasme
vous a saisis, que votre patriotisme s'use et s'éteint. Je ne discuterai pas
ici la valeur de cette étrange assertion. Le congrès en a fait à l'instant
ample justice.
Certes ce n'est pas par le cri Aux armes !
qu'on rendra l'aisance au peuple, la confiance au commerce, la paix
à l'Europe. Il faut donc recourir au moyen que nous présente la constitution.
(page 239) Toute
détermination qui nous conduirait à l'incorporation à
De tous les candidats, messieurs, mis jusqu'ici sur les
rangs, un seul a survécu : c'est le prince Léopold de Saxe-Cobourg. Je ne dirai
pas : Est-il le plus digne ; mais je demanderai s'il est digne de monter au
trône belge, et si son élection est de nature à nous garantir notre
indépendance et nos libertés. Je dois ici vous avouer que lorsque, en décembre
dernier, le nom de ce prince fut prononcé, j'employai tout ce qui me reste
d'énergie pour en détourner généralement la pensée. J'y entrevoyais, sinon un
leurre ou un candidat de
Il n'en est plus ainsi aujourd'hui. Le cabinet français
lui-même sourit à cette combinaison.
Autre chose est pour nous d'entrer dans la voie des
protocoles, et autre chose est de déférer le trône belge, sous les conditions
exprimées dans votre décision d'avant-hier. Si, après les témoignages
honorables, non certainement intéressés, que nous ont rendus
nos commissaires revenus de Londres, après y avoir pris toutes les
informations possibles, nous pouvions encore conserver quelques doutes au sujet du
prince Léopold, je vaincrais aussitôt, ce me semble, vos hésitations, en vous rappelant
que c'est ce même prince que les Anglais, si jaloux, si fiers de leur
nationalité, ont été chercher en pays étranger pour le faire
asseoir sur le trône de
Il est digne de nos hommages et de notre choix, celui de qui la
diplomatie anglaise elle-même a dit qu'il n'acceptera la couronne que pour la
porter avec honneur pour
M.
Alexandre Rodenbach – Dans l'impossibilité où me
place ma cécité de lire moi-même le développement de mon opinion, je prie M. le
président
de permettre que M. de Robaulx lise mon discours. (I., 5 juin.)
M. le président – M. de Robaulx à la parole. (I., 5 juin.)
M. de Robaulx prend le manuscrit des mains de M.
Alexandre Rodenbach, monte à la tribune et lit le discours suivant :
Messieurs, le moment est arrivé où notre conduite va décider
du jugement que portera de nous la postérité. Jusqu'à quand serons-nous les
victimes des empiétements de la conférence de Londres ? elle a tout refusé à
Que nous reste-t-il à faire pour sortir de cette
machiavélique impasse dans laquelle la sainte croisade veut nous
maintenir ?
Nous devons rebuter, lacérer, fouler aux pieds ces
protocoles de 1830 et 1831. Espérons que les deux derniers éclaireront
l'assemblée sur le danger des mesures qu'elle va prendre. Mettre sa confiance
dans de nouvelles négociations, lorsque, de pareilles résolutions sont connues,
c'est évidemment déclarer que nous voulons nous soumettre aux volontés de
Nous devons nous rappeler, messieurs, que dans nos glorieuses
journées de septembre, les cohortes ennemies n'ont pu résister à l’héroïque
courage de quelques centaines de nos braves. Associons-nous de nouveau aux
masses populaires, qui prêtent généreusement leurs bras pour renverser
l'oppression.
Nous avons voté de l'argent et des hommes, le peuple belge
vide ses poches dans les caisses de l'État ; il demande à voler aux armes, les
cadres de l'armée se remplissent : qu'attend-on encore pour délivrer Maestricht
et bloquer la citadelle d'Anvers ?
Si l'on pouvait me prouver que, par la combinaison
Saxe-Cobourg, nous ne sacrifierions ni l'honneur ni l'intérêt de
Le refus du trône parle prince de Saxe-Cobourg nous forcera
de faire la guerre dans quelques mois : alors que l'enthousiasme de notre armée
sera refroidi et que l'intempérie des saisons favorisera nos
ennemis. .
C'est donc par la guerre immédiate que le gouvernement de
La guerre est donc une condition inévitable de popularité,
d'existence ; une mesure énergique, c'est quelquefois de la prudence. Soyons
tous Belges comme les Polonais sont tous Polonais ; et nous saurons tous, s'il
le faut, combattre et mourir pour la patrie.
L'ennemi est près de nous ; 4000 arpents de terre viennent
encore d'être inondés près de Lillo, et les dommages commis depuis quelque
temps dans nos polders s'élèvent à plus de trois millions. Nos soldats et nos
volontaires sont pleins d'ardeur et de courage ; soutenons avec le canon nos
droits et notre territoire, et puisque l'on nous y force, prenons l'initiative
.dans cette guerre, qui peut-être embrasera l'Europe entière. Si nous
succombons dans la lutte, le nom belge ne sera pas, comme celui de Napolitain,
une atroce injure ; il ne signifiera pas lâche dans toutes les langues
de l'univers.
Suivons donc la bannière de la liberté et de la civilisation,
et périssons les armes à la main, plutôt que de nous avilir à aller mendier
notre indépendance dans les cabinets étrangers. (I., 4 juin, et C., 5 juin.)
M. le président – Voici une
proposition dont je vais donner lecture :
« Les soussignés, membres du congrès national, ont
l'honneur de proposer le choix d'un chef indigène.
« D. DEHAERNE, SERON, ROSSEEUW, EUGÈNE DE SMET, DE
ROBAULX, D'ELHOUNGNE, L. BEAUCARNE, CAMILLE DE SUET, TEUWENS, BLARGNIES, CHARLES
COPPENS, VAN MEENEN, VAN DE KERCKHOVE , VAN DER
LOOY. » (C., 5 juin, et A.)
- Un léger débat s'engage pour savoir si cette proposition
sera développée. (I., 5 juin.)
M. le président – M. Seron vient de nous donner les développements ; ce
serait interrompre l’ordre jusqu’à présent que d’entendre un nouvel
orateur. (E., 5 juin.)
M. Seron – J'ai fait
connaître les motifs de mon vote contre
le prince de Saxe-Cobourg, mais je n'ai pas parlé pour d'autres.
(E., 5 juin.)
M. Van
Meenen fait observer que la
proposition rentre essentiellement dans la discussion à l'ordre du
jour et n'a pas besoin de développement ; les orateurs qui seront
entendus seront libres de la soutenir comme de la combattre. (I., 5
juin.)
M. Van Snick pense que, sous tous le rapports, la candidature du prince de
Saxe-Cobourg est la meilleure que l'on puisse proposer. Cette candidature
présente des garanties à
M.
Le Bègue – Je voterai pour le duc de Saxe-Cobourg, pour les
raisons qui ont été développées par l'honorable M. Van de Weyer. Je ne les
répéterai point ; mais je dois à mes concitoyens d'expliquer la pensée qui
guide mon vote. Convaincu par les lumineuses discussions que M. Beyts a
soumises à l'assemblée, je persiste à croire sincèrement que la rive
gauche de l'Escaut fait partie intégrante de
M. Fransman renonce à la parole.
(C., 5 juin.)
M.
Charles Rogier – Messieurs, après de mûres
réflexions et, je l'avouerai, après plus d’un combat intérieur, je me
suis associé au vote qui décide qu'avant de recourir de nouveau à la force pour
en finir avec
Je reconnais d'abord qu'il y a peu de bonnes dispositions
dans la majorité de la conférence, pour nous autres Belges. Sans parler
des arrière-pensées que j'ai bien de la peine à ne pas soupçonner chez tels et tels
qui se disent nos amis, il serait trop naïf de notre
part de penser que
Dieu me garde de me porter fort pour la conférence ;
mais
je laisse à juger jusqu'à quel point toutes ces politesses sont
politiques ; et comment tout cela est reçu à Londres. Je ferai observer que si nous
avons, nous, notre fierté qui se révolte à la moindre
apparence d'insulte à notre caractère national, il est peut-être permis aussi
aux représentants de cinq puissances qui tiennent quelque place en Europe, d'avoir leur
fierté vis-à-vis de nous, fussions-nous hauts de dix coudées.
Je ne pense pas que les difficultés attachées aux négociations qui
vont s'ouvrir tiennent précisément à des questions de forme. J'y vois
des obstacles plus réels, plus sérieux. Toutefois, quand
Et déjà, quoi qu'on en dise, ne la voyons-nous pas céder en
plusieurs points, et reculer devant son propre ouvrage. N'en avons-nous pas la
preuve dans ces fameux protocoles dont on fait si grand bruit. Il n'y a pas à
s'y tromper. Le protocole n° 22 devait nous être notifié le 1er de juin ; la
communication officielle en avait été ordonnée ; nous voilà
au 3 et il n'y a pas eu de notification de protocole. Je me trompe, messieurs,
un de nos honorables collègues nous en a notifié deux le 1er de juin ;
mais à moins que M. de Robaulx n'ait été choisi par la conférence de Londres
pour son agent officiel, ce qui ne me paraît pas infiniment probable, je
soutiens qu'en dépit de toutes les menaces et de tous les ordres, il n'y a pas
eu chez nous, le 1er juin, de notification officielle.
Ce radoucissement de la diplomatie, le devons-nous plus aux
dispositions belliqueuses, qu'aux intentions conciliatrices qu'on lui a fait
voir ? je ne sais : toutefois, en vous proposant d'appeler au trône belge un
nouveau candidat qui ne lui est pas désagréable, je ne viens pas vous demander
de vous humilier devant la conférence. Ce serait, sans vous lier en aucune
manière, ni à elle ni à ses protocoles, une simple démonstration qui témoignera
du moins aux yeux de l'Europe de vos dispositions à une conclusion pacifique de
vos affaires, sans ralentir toutefois nos préparatifs d'agression contre
En prenant un prince d'assez haute lignée pour être admis
sans répugnance dans la famille des rois européens, un prince qui, par sa
position et son caractère, n'alarme sérieusement la sécurité d'aucun peuple, ni
d'aucun trône, vous faites preuve de votre bonne envie d'en finir à l'amiable,
et vous associez à votre révolution une grande existence sociale, capable, on
me l'accordera, d'en favoriser l'issue comme d'en consolider le résultat.
Je n'examine point les qualités du prince en ni-même. Pour ma
part, je ne me sens pas épris d'une vive sympathie pour sa personne ; on sait
de quel côté sont mes goûts, pour qui mes affections ; et ce n'est pas sans un
grand regret que je vois que la force des choses m'oblige à y renoncer. Mais
des amis en qui j'ai confiance me le donnent pour homme de sens, de bonnes
manières, et de mœurs douces ; aimant les arts, comprenant la situation du pays.
En voilà assez pour un roi (page 242)
constitutionnel avec des institutions républicaines.
Je ne me suis pas, il est vrai, informé s'il hantait les
temples ou les églises, mais comme j'entendis naguère un respectable
ecclésiastique de cette assemblée s'écrier, avec beaucoup de gaieté et de bon
sens, que fût-il né Turc, il ne s'en soucierait, la constitution étant là pour
le mettre à la raison ; dès lors je me rassurai, et j'applaudis plus que jamais
aux principes de l'union qui, franchement comprise, se reconnaît à un
tel langage, et ne peut continuer de vivre qu'à ce prix.
Je disais donc que je voyais dans l'élection du prince
proposé une chance favorable de terminer la révolution sans nouveaux combats,
c'est-à-dire sans nouveaux périls, peut-être pour elle. Je crois qu'en effet le
prince, si le trône de
J'ai dit les avantages, et sans les exagérer, sans me
dissimuler l'incertitude du succès.
Où sont les inconvénients ?
L'humiliation d'un refus. On a fait sonner bien haut ce mot-là.
Quand la révolution, représentée par dix membres du congrès, alla à la face de
l'Europe, s'asseoir à la table du roi des Français, et s'en vint nous rapporter
l'expression de ses regrets, de sa reconnaissance, il y avait loin de là au
mépris, et j'ai cru comprendre, pour ma part, que si alors il y avait
humiliation de quelque côté, ce n'était pas du côté de ceux qui revenaient à
Bruxelles.
Croit-on qu'aujourd'hui ce serait dédain de nous, mépris de
Mais ce seront de nouveaux retards et des retards sans fruit
?
Je sais que telle est l'impétuosité de certaines ardeurs
belliqueuses, qu'elles ne donneraient au congrès ni heure ni repos qu'il n'ait
déclaré la guerre ; pas le moindre répit au gouvernement, qu’il n'ait
crié : Marche ! sans même prendre le temps de s'informer s'il est prêt à
marcher.
Messieurs, je respecte beaucoup cette chaleur guerrière,
j'y applaudis d'autant plus, que ceux qui nous échauffent de leurs discours, je
n'en fais nul doute, sauront aussi, quand viendra le jour de l'action,
nous échauffer de leur exemple.
Que l'armée soit impatiente de combattre, que jeunes et vieux
soldats aspirent au moment de courir des dangers communs, de parer d'une gloire
nouvelle et commune le drapeau révolutionnaire ; que dans la nation mille
cris de guerre s'échappent et mille bras se lèvent tremblants d'impatience, de
colère, je le conçois ; et, l'avouerai-je ? ces mouvements d'entraînement, bien
souvent celui qui s'efforce de vous parler ici avec calme s'y associe de toute
son âme.
Mais enfin, membres du congrès, législateurs, ayant entre les
mains la destinée de tout un pays, j'ai toujours cru que notre rôle à
nous était de joindre au courage qui résiste, à l'ardeur qui entreprend, la
prudence qui prévoit et prépare.
Vous avez fixé le délai d'un mois avant d’en venir à un parti
extrême et définitif.
Faites continuer les préparatifs avec une nouvelle
activité. Poussez-y de toute votre influence et de tout votre pouvoir et en
même temps que nous armons, notifions à
J'espère, messieurs, qu'à cet égard un mois de délai ne
paraîtra pas trop long même aux plus pressés : je sais qu'il est passé
comme en proverbe que le provisoire nous tue ; sans parler du marasme
dans lequel nous nous d'ébattons péniblement ; mais je sais aussi,
messieurs, que voilà six mois qu'on nous dit cela, et que si le provisoire
nous tue, c'est d'une mort bien lente, et, avouns-le, pas trop cruelle.
Je me rappelle que déjà avant l'hiver on nous prédisait
des malheurs affreux, une épouvantable misère, jusque-là que je n'étais
pas trop sûr de ne pas nous voir dévorer les uns les autres : messieurs,
l'hiver s'est passé ; et jamais moins de crimes,
jamais moins de vols n'ont occupé la justice, et tout le monde a vécu, et
le provisoire n'a tué personne. Prenez bien garde, messieurs, de trop
rembrunir notre situation, réservons nos douleurs pour des temps peut-être plus malheureux.
Gardons-nous de prendre notre fatigue, notre impatience, pour
la fatigue et l'impatience publiques : que le gouvernement ne se manque pas à (page 243) lui-même ni à la nation ;
qu'il comprenne sa force ; le pays ne demande qu'à être gouverné ;
et je le crois, quant à moi, capable de résister longtemps encore à ce marasme où
l'on nous dit qu'il se débat et meurt.
Dans tous les cas, si le provisoire nous tue, je ne vois pas qu'il
traite beaucoup mieux
Quand, par un nouveau délai, des apaisements auront été
donnés à cette opinion ; quand elle ne verra plus d'autre issue,
d'elle-même elle viendra se rallier à l'opinion de la guerre, et c'est
alors que cette guerre sera vraiment nationale. Après avoir donné, et
à l'extérieur et à l'intérieur, ces gages de notre amour pour
la paix, nous pourrons commencer avec confiance, sans arrière-pensée, une guerre
destinée à devenir européenne. Alors il n’y aura pas de Belge un peu généreux
qui ne se jette dans le mouvement, alors un chef indigène nous guidera
peut-être ; mais alors aussi, je le dis sans détour aux amis
d'une patrie belge, non pas plus sincères mais plus
passionnés que moi : Dieu sauve l'indépendance de
M. Camille de Smet – Au point où
est parvenue la discussion, qui enfin est ouverte depuis trois jours, après les
discours en sens contraire de MM. Seron et Van de Weyer, je renonce volontiers
à dire ce qui déjà a été dit à satiété, et si je dis quelques mots, c'est
pour justifier mon vote négatif, basé sur la continuation des
négociations, et sur mon vif désir de voir commencer une guerre pour laquelle nous avons
une armée courageuse, qui pourra laisser sur leurs bancs les législateurs qui
rendent aussi au pays des services.
Je serai donc court, et très court, et en ceci je n'imiterai pas la
diplomatie.
J'aurais désiré que la proposition de M. Blargnies eût été
adoptée ; après six mois d'attente, j’aurais désiré attendre encore quelques
jours, afin de savoir positivement si c'est le code brutal de la force que l'on
veut employer contre nous ; mais l'assemblée en a décidé autrement, et
peut-être aujourd'hui même, par un décret, nous allons faire passer
Quoi qu'il en soit, je n'aurais pas hésité à donner ma voix à
un prince dont nos commissaires à Londres ont fait un portrait si flatteur, et
j'espère si mérité, si les derniers protocoles et le silence des ministres, que
je ne veux pas qualifier, ne m'avaient enfin fait ouvrir les yeux sur la marche
non douteuse de la conférence de Londres.
Aujourd'hui, messieurs, c'est la guerre, et la guerre
immédiate contre
De deux choses l'une, ou conquérir quelques villages et deux
de nos villes est un motif suffisant pour exciter une guerre européenne ; ou il
ne l'est pas.
Dans le premier cas, ce que nous ne pourrons acheter qu'après
avoir écrasé les quatre grandes puissances nous ne l'achèterons pas avec des
traités ; et cependant, messieurs, hier encore ne venons-nous pas de décider
que vous ne souffrirez pas, même temporairement, une garnison étrangère à
Maestricht, et je ne pense pas que ce que vous avez décidé à la presque
unanimité, soit une bravade digne de figurer à côté du fameux message qui nous
défendait d'exclure une famille dont le nom ,est associé à quinze années
d'humiliations ; ou bien à côté du fameux message de notre ministre des
affaires étrangères, message plein de dignité, de modération et d'énergie à la
fois, qui, parce qu'il n'a eu aucune suite, n'est plus qu'une vaine et ridicule
parade.
Dans le second cas, la nation hollandaise, que je ne confonds
pas avec son gouvernement, saura bien forcer le roi Guillaume à traiter,
certaine qu'elle est que nous ne voulons que nos limites et les relations de
bon voisinage avec une nation lui aussi a combattu pour sa liberté.
Par la guerre, enfin, nous saurons si nous sommes mystifiés,
et sans regarder ce mot magique de mystification comme un mot sacramentel qui a
fourni à deux honorables membres l'occasion de faire briller le mordant de leur
esprit, je crois à la mystification, mais je ne la craindrais pas si elle
n'était que personnelle, comme paraissent le craindre pour eux les deux
honorables membres dont je viens de parler.
Cette mystification, je la crains pour mon pays, qui,
aujourd'hui les armes à la main, peut obtenir les bases d'un traité que nous
pourrons accepter (page 244) sans rougir,
je la crains pour mon pays, qui ne pourra pas aller cacher son dégoût
des affaires dans les salons lointains et sur la terre étrangère.
Je voterai donc contre le prince de Saxe-Cobourg, parce que
l'assemblée n'a fixé aucun terme à l'acceptation, et que je suis intimement
convaincu que toutes les négociations ne tendent qu'à éteindre le feu sacré du
patriotisme, qui, s'il n'est mort, ne sera pas loin de l'être quand les
négociations auront atteint leur fin et leur but, c'est-à-dire, sinon une
restauration de dynastie, au moins une restauration de principes de
M. Jaminé – Messieurs,
je serai court et très court. Je me suis opposé autant qu'il a été en moi à
l'ouverture des négociations. Hier la majorité en a décidé autrement. Cependant
je viens déclarer que je voterai pour le prince de Saxe-Cobourg, et je déduirai
les motifs de mon vote afin de ne pas être accusé de versatilité. Je ne suis
pas versatile, messieurs, et pourquoi le serais-je ? je suis indépendant et
sans ambition. Je suis avocat de province et je le resterai. En votant pour le
prince de Saxe-Cobourg, je fais une concession à la majorité du congrès,
concession du reste dont je m'emparerai le 30 juin. Si, comme on l'a dit, le
prince tient à avoir une forte majorité, je lui donnerai ma voix, parce que je
ne veux pas qu'un jour on puisse me reprocher de la lui avoir refusée. Je le
déclare, je voudrais qu'il y eût unanimité dans le congrès pour son élection,
et je voudrais aussi que nous fussions unanimes au 30 juin pour mettre un terme aux négociations. (I., 5
juin.)
M. Jean Goethals vote en
faveur du prince de Saxe-Cobourg, dans lequel il met la plus grande confiance,
connaissant ses nobles antécédents et sa conduite honorable dont il a donné
beaucoup de preuves notables. (I., 5 juin.)
M. Van Meenen ne croit pas qu'il y ait lieu de procéder à l'élection immédiate, et
demande que l'élection soit renvoyée au 30 juin, et lorsque le résultat des négociations
sera connu. Si l'élection était immédiate, l'honorable membre voterait pour un prince
indigène. (I., 5 juin.)
M. Drèze prononce un discours contre
la candidature du prince de Saxe-Cobourg. (I., 5 juin.)
M.
Delwarde pense qu'entourer l'élection de trop de précautions, ce
serait provoquer un refus. Les négociations, dit-il, auxquelles on s'est
déterminé ne lient le congrès que pour un temps très court, il sera le maître
d'y mettre un terme quand il voudra. On craint qu'il n'accepte pas et l'on ne
produit rien qui prouve formellement qu'il est décidé à accepter
la couronne. Mais indépendamment de la lettre de lord Ponsonby, qui donne lieu
de l'espérer, le prince se trouve dans une position délicate ; il ne peut pas
accepter en effet une couronne qu'on ne lui a pas encore offerte. L'honorable membre
votera donc pour le prince deSaxe-Cobourg. (I., 5 juin.)
M.
Destouvelles – Messieurs, vous n'avez peut-être pas
oublié les motifs de mon opinion en faveur du prince de Saxe-Cobourg ;
je vous les fis connaître dans mon discours d'avant-hier, et mes arguments
n'ont pas été détruits par les orateurs qui ont parlé depuis ; je n'y reviendrai pas.
Mais je crois indispensable de vous présenter quelques réflexions
en réponse aux arguments de l'honorable M. Van Meenen. Vous avez décrété
hier, a-t-il dit, que des négociations seraient entamées ; je juge prudent
d'ajourner l'élection jusqu'au terme fixé pour ces négociations. Un seul mot, messieurs,
va détruire et le principe posé par M. Van Meenen et les
conséquences qu'il en a déduites. Vous avez ouvert des
négociations, dit-on : j’en convient, mais pour négocier il faut un négociateur.
Or le négociateur, c'est le prince de Saxe-Cobourg ; c’est notre
négociateur unique ; nous n'en avons pas d'autre, puisque nos négociateurs
envoyés à Londres à diverses reprises n'ont jamais été admis par la
conférence. L'article 1er du projet adopté hier me semble
donc essentiellement lié aux autres. Sans l'élection, l'article du projet
demeurerait stérile ; vous n'auriez posé dans cet article que le germe des
négociations, mais ce germe ne porterait aucun fruit si vous n'aviez pas celui
qui seul peut développer ce germe.
Vous n'avez pas fixé de délai pour la prestation du serment,
vous vous mettez ainsi, dit-on, à la discrétion du prince de
Saxe-Cobourg. Vous n'avez pas fixé de délai ? Moi-même je m'y suis opposé, messieurs,
parce que je ne trouvais pas cette fixation de délai, qui n'était pas selon
moi en harmonie avec les convenances que nous devons observer vis-à-vis
d'un prince de notre choix. S'ensuit-il que je mette mon pays à la discrétion du prince, qu'il lui
soit loisible de perpétuer notre malaise ? non ; et je le déclare, ce
que j'ai fait supprimer par sentiment des convenances, je le provoquerai le jour où
je le croirai nécessaire, et je saurai concilier ainsi et ce qu'exigent les
convenances
et
ce que demande l'intérêt du pays : nous sommes une cour souveraine, comme l'a
dit M. Van Meenen avec raison ; ce à quoi nous avons renonce,
nous pouvons le ressaisir quand nous voudrons. Si les négociations
se prolongeaient trop, nous dirions au prince : « Le peuple souffre, il
ne peut plus (page 245) rester
dans l'incertitude. » Le prince alors regarderait comme un devoir de faire
cesser cette attente ; nos commissaires le supplieraient de se prononcer, et ce
serait pour le prince une injonction devant laquelle il
ne reculerait pas. Remarquez, messieurs, qu’ici il n'y a pas de contrat qui nous
lie. Le contrat synallagmatique que nous voudrions conclure
entre le prince de Saxe-Cobourg et nous ne sera formé que par l'acceptation ; tant
que l'acceptation n'aura pas eu lieu, nous sommes libres de le rompre. Je crois
donc, messieurs, que les terreurs mises en avant sont des terreurs imaginaires.
Le décret que vous avez hier devient inutile, si, comme je l'ai dit tout à
l'heure, pour vos négociations vous n’avez pas de négociateur. Quant à ce qu'on
a dit de l'abandon des questions territoriales, est-ce bien sérieusement,
messieurs, qu'on suppose au congrès une pareille intention ? Mais on nous accuse là d'un
crime ! non, nous ne donnons à personne le droit de faire cet abandon. Nous
avons donné au gouvernement le droit de négocier, mais nous nous sommes réservé
d'approuver ou de rejeter les négociations ; et si nous voyions que les
négociations ne conciliassent pas nos intérêts avec l’honneur et la dignité du
peuple belge, nous aviserions aux moyens de prendre d'autres mesures.
(Après un court résumé, l'orateur déclare qu'il votera
pour le prince de Saxe-Cobourg.). (I., 5 juin.)
M.
l’abbé Andries – Messieurs, en politique, mon symbole c'est la constitution, et comme
le chef de l’Etat ne stipule rien par rapport à la religion que le chef de
l'État doit professer, je ne suis pas plus exigeant qu'elle, et
je crois même que c'est une marque de haute sagesse que de ne rien
exiger sous ce rapport. La liberté des cultes est sacrée pour tous les Belges,
pourquoi ne le serait-elle pas pour le roi ? Je donne mon vote au prince
Léopold, parce que j'y trouve une garantie de paix ; je regarde ce choix comme
une dernière tentative pour éviter la guerre, tentative qui peut être couronnée
de succès, et que pour cela seul ma conscience me défend de repousser. Non pas
que je veuille la paix à tout prix ; non, messieurs, je ne recule pas devant la
guerre : jamais on n'obtiendra de moi le sacrifice d'un pouce de territoire ;
el si la conférence reste inexorable, si elle veut notre déshonneur et nous
faire trahir nos frères, qu'elle sache qu'alors l'indignation poussée à bout
fera de notre nation un peuple de héros. Non, messieurs, le Belge ne se
déshonore pas, et si la guerre doit éclater, alors le clergé belge en
particulier montrera de nouveau combien la patrie lui est
chère et de quels immenses sacrifices il est capable pour la sauver.
Donnons-nous le mot, messieurs, pour le 30 juin, et alors le pays jugera si notre
patriotisme est mort. (I., 5 juin.)
M. l’abbé Boucqueau de Villeraie
– Les questions importantes qui nous occupent ont été traitées avec tant de
talent par les orateurs qui m'ont précédé, que mon intention n'était pas de
prolonger la discussion en prenant la parole. Mais un honorable membre (M. l’abbé Dehaerne) qui porte
le même costume que moi a émis quelques assertions qu'en ma qualité
de membre du clergé belgique je ne puis me dispenser de relever.
Cet honorable membre a prétendu et affirmé que l'opinion
catholique, l'opinion des masses, l'opinion de la nation entière se prononçait
contre la candidature du prince de Saxe-Cobourg, et il a ajouté que si jamais
il y eut une opinion unanime, c'était celle-là.
Et moi, messieurs, je dis et j'affirme sans crainte de me
tromper que si jamais il y eut dans le monde une assertion fausse et erronée,
c'est celle énoncée par l'honorable membre auquel je réponds.
C'est une contre-vérité évidente pour tous ceux qui
connaissent l'état de l'opinion publique en Belgique de dire qu'à cet égard le
peuple pense et sente autrement que ses représentants.
Et en ceci je ne sépare certainement pas l'opinion du clergé
en général de celle de la nation.
La nation aspire à la conservation de la paix, et elle
regarde la combinaison de Saxe-Cobourg comme une garantie de cette
conservation.
La nation, du moins l'immense majorité du peuple belge,
envisage la candidature de ce prince comme la dernière planche de salut qui
nous reste pour échapper au naufrage, et sortir de l'état aussi insupportable
que dangereux dans lequel nous nous trouvons ; comme le moyen le plus probable
de nous garantir des malheurs politiques lui nous menacent et nous pressent de
tous côtés, c'est-à-dire de l'anarchie sous le nom de république, et de la
perte de nos plus précieuses libertés, surtout de nos libertés religieuses par
une réunion plus ou moins prochaine de
Nul doute, messieurs, qu'en thèse générale les catholiques ne
préférassent avoir un catholique jour souverain, et cette préférence est très
naturelle. Ce désir est l'effet tout rationnel de leur (page 246) attachement à leurs principes religieux et de leur
persuasion intime que leur religion est la meilleure, la seule véritable, et
propre à assurer le bonheur de l'homme dans cette vie et dans l'autre ; et il
est dans l'ordre des affections du cœur humain de souhaiter que le prince sur
lequel on est appelé à faire reposer ses affections et l'amour que des sujets
doivent à leur souverain jouisse lui-même de ce qu'ils regardent comme leur
plus grand bien moral, et qu'ils placent au-dessus de tous les avantages
possibles.
Mais ce désir d'avoir un souverain catholique n'est pas
tellement prépondérant chez eux qu'ils ne conçoivent qu'il peut y avoir des
circonstances politiques telles, qu'ils soient obligés, et pour le salut de la
patrie, et, ce qui est plus fort encore, pour le bien même de leur religion,
d'y renoncer.
Or, c'est précisément le cas où se trouvent en ce moment les
catholiques de
Je le déclare ici franchement, catholique de cœur et d'âme,
jamais je n'aurais voté pour le prince de Saxe-Cobourg, jamais je n'appuierais
la nomination d'un souverain non catholique, si ce n'était pour éviter à ma
patrie et à ma religion elle-même les grands malheurs dont je les vois
menacées, et que j'aperçois au delà de la combinaison du prince de
Saxe-Cobourg, si elle vient à manquer.
Ce n'est donc pas cette combinaison en elle-même qui me rit
ni qui me plaît, non ; et j'avoue ici qu'il est dur pour un véritable
catholique, et surtout pour un prêtre, de travailler à placer la couronne de
son pays sur la tête d'un prince luthérien et de remettre les destinées de son
pays tout catholique entre les mains d'un souverain non catholique, entre
lequel et lui il ne pourra exister aucune communauté de croyance de sentiments
religieux.
Quoi ! j'aurai gémi, avec tous les catholiques, pendant les
quinze mortelles années du règne dé Guillaume 1er, de toutes les persécutions
sourdes, de toutes les atteintes à nos droits religieux que ce prince a portées
au catholicisme, à la liberté et à la pureté de l'enseignement clérical ; je me
serai écrié mille fois que tous nos malheurs provenaient de ce que la force
nous avait imposé un monarque profondément hostile à tout ce qui tenait au
catholicisme, un monarque qui ne s'entourait que des
plus grands ennemis de l'opinion catholique, ou du moins qui n'écoutait qu'eux,
et dont le principal ministre avait annoncé, dés les premiers
temps, le projet de décatholiser
Eh ! quelle est donc la destinée des faibles humains ! Y
a-t-il un génie qui se joue de leurs projets, de toutes leurs conceptions et de
leurs prévisions ?
Comment, moi, prêtre catholique, moi qui fais
ma gloire et mon bonheur de l'être, qui mainte fois ai
annoncé, propagé, soutenu dans la chaire les principes de l'Église
catholique, je vais voter l’élection d'un prince protestant, je vais l'appeler
à gouverner mon pays tout catholique !
Eh bien, oui, messieurs, je ne recule pas devant ce
changement, je ne recule pas devant ce vote ; je dirai plus, c'est que je le
regarde comme une des bonnes actions de ma vie et que j'ai la conviction intime
de pouvoir le justifier devant Dieu, lorsque je comparaîtrai au tribunal du
Juge éternel.
Je dirai quelque chose qui peut-être étonnera, c'est que
je ne voterai pour le prince de Saxe-Cobourg que par un motif de religion, par
attachement pour la religion catholique ; je voterai pour lui avec l'intime
persuasion de rendre à mon pays, à mes concitoyens et, bien plus, à ma religion
elle-même, le plus grand service que je puisse dans ce moment lui
rendre. - Et je m'explique.
Malgré mon profond respect pour le roi des Français, et
malgré ma reconnaissance de l'accueil (page
247) infiniment gracieux dont lui et son auguste famille m’ont honoré, ainsi que tous
mes collègues, je ne puis me cacher à moi-même que la situation de
la religion et du clergé catholique en France est si cruelle, que ce serait
le plus grand des malheurs pour nous, sous les rapports religieux, d’être
réunis d'une manière quelconque à
Il ne faut pas un grand effort d'esprit ni de prévision pour
nous persuader qu'une telle réunion serait le coup de grâce de toutes nos
libertés religieuses et la destruction complète de tout ce qu'il y a de
favorable à ces libertés dans notre constitution belge ; alors adieu
l'indépendance de
Eh ! messieurs, peut-on concevoir, pour nous catholiques un
avenir plus fatal (je parle toujours sous les rapports religieux) que d'être
réunis à un pays où le peuple démolit de ses propres mains les temples du
Très-Haut, renverse le signe auguste de la rédemption partout où il s'offre à
ses regards ; où les ministres de la religion sont obligés de se déguiser, et
d'abdiquer tout costume ecclésiastique pour échapper aux regards persécuteurs
et aux mauvais traitements, de qui ? de leurs propres fidèles ! où
des mains catholiques vont renverser les habitations des premiers pontifes ((Note de bas de page : L'orateur
fait ici allusion aux scènes de désordre qui se passèrent à Paris au mois de.
février 1831. Il fut témoin des dévastations de l'église de
Saint-Germain-l'Auxerrois et de l'Archevêché ; insulté dans les rues de Paris,
parce qu'il portait l'habit de prêtre, il n'échappa aux violences de la
populace qu'eu s'écriant qu'il était Belge, et en montrant sa cocarde, On sait
qu'il faisait partie de la députation du con. grès chargée d'offrir la couronne
au duc de Nemours) et détruire les séminaires où les jeunes lévites
apprennent à soutenir la religion et à en propager les utiles
vérités ; à un pays où l'instruction se trouve placée sous la main oppressive
d'une université illibérale, et livrée aux exigences insupportables d'un odieux
privilège et du plus absolu monopole !
El c'est vers la réunion avec un pays où de telles choses se
passent que l'on pousse
Messieurs, est-il étonnant que moi, aux yeux de qui tout ce
qui peut contribuer à la conservation de la religion catholique, dans mon pays,
est le premier besoin et le plus impérieux des devoirs, je donne les
mains à une combinaison qui nous éloigne efficacement d'une telle réunion,
d'une réunion aussi désastreuse ?
Mais en parlant ainsi, j'éprouve le besoin de répéter que mon
opinion n'est telle que sous le rapport religieux ; car, sous les autres
rapports, j'aime
Est-il étonnant, dis-je, que je sois porté pour un prince
dont l'élection et le règne seront une protestation continuelle contre
l'imputation, qu'on a faite aux Belges, d'aspirer à une telle réunion, et un
obstacle des plus forts à ce qu'elle ait jamais lieu ?
J'ai donc eu raison de dire que c'était par esprit de
religion, par mon grand attachement pour le catholicisme, que je parlais pour
l'élection du prince de Saxe-Cobourg.
Quant à une république, que l'honorable membre auquel je
réponds voudrait établir en Belgique, ou au prince indigène qu'il regrette,
l'état d'exaltation des partis dans
Et, pour en revenir au rapprochement que j'ai fait entre le
prince de Saxe-Cobourg et le roi Guillaume, tous les deux non catholiques,
j'ose espérer que nous ne rencontrerons pas deux fois dans notre vie un homme
aussi entêté, aussi ennemi de ses propres intérêts, et aussi mal disposé envers
ses sujets catholiques, que l'était le roi Guillaume.
D'ailleurs, la différence de position sera grande. Guillaume
avait sous son sceptre deux peuples peu sympathisants, dont l'un de sa
religion, l'autre d'une religion tout à fait opposée à la sienne ; de là mille
occasions d'injustes préférences, d'odieux passe-droits en faveur de ses chers
coreligionnaires de
Ici, le prince de Saxe-Cobourg n'aura pour (page 248) sujets qu'un seul et même peuple, ne
professant tous qu'une seule et même religion.
Il est indubitable, si ce prince a un peu de bon sens, et on lui
en sait beaucoup, qu'il n'ira pas tracasser les Belges ses sujets sur leurs
croyances religieuses ; il n'ira pas nourrir l'idée aussi bizarre
qu'impolitique de vouloir les décatholiser et les protestantiser, comme son
prédécesseur, lui seul de sa croyance, lui seul contre toute la nation.
La différence de position est encore immense à cause de notre
nouvelle constitution belge ; elle sera observée, et nos représentants y
tiendront la main ; et, si le souverain pouvait être assez inconsidéré pour
tenter de tracasser, par rapport à leur religion, des gens qui lui ont donné
une si grande marque de leur estime et de leur confiance, que de lui remettre
en mains les destinées de leur patrie, un peuple qui lui aura procuré
l'avantage de prendre une place honorable parmi les têtes couronnées, il ne le
pourrait pas : non ,messieurs, il n'y réussirait pas ; les Belges ne sont pas
d'avis, ni disposés à se laisser tyranniser une seconde fois.
Mais tout cela n'est nullement à craindre avec le prince
Léopold de Saxe-Cobourg. D'après les renseignements que j'en ai, ce prince est
un galant homme, un homme d'honneur et de probité, un homme d'une conduite
personnelle très morale et d'un esprit libéral ; plein d'estime et de
bienveillance pour ses semblables ; n'aspirant qu'à la gloire de contribuer à
leur bonheur et à leur amélioration ; ami des Belges, et les estimant d'autant
plus, a-t-il dit, qu'il sait qu'ils sont essentiellement religieux, qu'ils sont
un peuple moral.
Il a dit que, s'il venait en Belgique, il ne serait ni un
prince allemand, ni anglais, ni français ; qu'il serait Belge.
C'est-à-dire évidemment qu'il aurait et adopterait les
sentiments des Belges. Or, les Belges sont religieux et attachés à leur culte ;
mais ils sont tolérants et respectueux pour toutes les croyances religieuses,
et le prince ne le sera pas moins que ses nouveaux sujets.
Enfin si, par une union à laquelle on a fait allusion, il
pouvait donner aux Belges la douce satisfaction de voir partager la couronne
par une reine de leur croyance, rien pourrait-il être plus heureux, rien
pourrait-il manquer à leur tranquillité religieuse et à leur satisfaction ?
Je viens d'examiner la candidature du prince de Saxe-Cobourg
sous le rapport des intérêts catholiques : il me reste à ajouter quelques
observations sous le rapport politique.
L'honorable abbé Dehaerne, après avoir dépeint le prince
comme candidat de
C'est-à-dire, a ajouté l'honorable membre, en interprétant
ces paroles, que le prince se réserve par là une belle excuse pour refuser,
quand il le jugera à propos.
Il me paraît, messieurs, qu'il y a ici, si je ne me trompe,
une contradiction manifeste. D'abord le prince n'a pas besoin de chercher de
belles excuses, ni même d'excuse quelconque pour refuser
; cela lui est parfaitement libre, et il n'est nullement obligé d'accepter à
ses risques et périls une couronne que bien des gens travaillent
à rendre pénible à porter en Belgique, et même à la faire regarder comme un
fardeau insupportable, par tous les troubles et les difficultés qu'ils
élèvent, dans la vue de rendre toute nomination d’un roi impossible.
Mais cette réponse du prince prouve beaucoup à mes yeux,
en sa faveur ; elle est donc une preuve palpable du respect qu'il a pour
l'opinion de la nation belge : il ne veut, dans aucun cas, dit-il, régner sur
elle qu'avec l'assentiment générale de la nation, manifesté par une grande
majorité.
Ce n'est pas là, messieurs, le langage d’un prince qui
nous serait imposé ; c'est celui d’un homme qui sent qu'il ne pourra faire le bien
qu'autant qu'il sera agréable au peuple qu'il est appelé à gouverner
: ce langage prouve que son intention est de prendre pour règle et direction de
ses actes les vœux et les désirs de la nation ; que son
intention est de gouverner de manière à conserver son estime.
Ces sentiments sont certes infiniment respectables, et font
redoubler les espérances que la loyauté bien connue de ce prince est de nature
à inspirer à tous ceux qui veulent le bien de leur pays.
Eh bien, messieurs, cette grande majorité du congrès, le
prince l'obtient ; nos dernières opérations ont prouvé à l'évidence que,
lorsque nous procéderons à son élection, il sera choisi à une immense majorité,
et à peu près par les trois quarts. Comment, devant un tel fait, devant un résultat
aussi imposant, peut-on avancer que la candidature du prince de
Saxe-Cobourg ne rencontrera dans la nation aucune sympathie ?
Eh ! messieurs, je n'ai pas encore entendu dire que le
congrès national eût perdu la confiance de la nation ; au contraire, c'est en
lui seul que, dans (page 249)
ce moment, la nation met toute son espérance pour la tirer de la
situation difficile et fâcheuse où elle se trouve.
Je remarque dans le public que tous les incidents qui seraient
de nature à empêcher cette combinaison, sur laquelle le congrès a fixé son
attention, y excitent la plus grande anxiété, une inquiétude générale
parmi les citoyens qui suivent les affaires publiques, tant ils regardent
comme une calamité tout ce qui pourrait la faire manquer..
Et ce qu'on a dit de l'absence de sympathie pour le prince me paraît
n'être qu'une espèce d'équivoque. J'explique ma pensée.
Certes, puisque nous n'avons eu précédemment aucune relation
avec le prince de Saxe-Cobourg, que nous ne l'avons même jamais vu, il n'est
pas étonnant que nous n'éprouvions pas encore pour sa personne de sympathie, ni
d'affection de cœur ; c’est tout naturel.
Ce sentiment d'affection et de sympathie ne peut être, vis-à-vis
d'aucun souverain possible, autre chose que le résultat de ses actes futurs, de sa conduite
à notre égard, en un mot de sa manière de régner. Le cœur des hommes ne se
donne pas à si bon compte : il n'est dû qu'à des bienfaits.
Mais si l'on demande s'il est vrai que la combinaison de ce
prince rencontre de la sympathie, c’est-à-dire si, au milieu de toutes les
circonstances de notre situation actuelle, on la désire, on l’approuve, je
répondrai assurément : Oui ; je dirai que généralement on l'approuve ; on
désire qu’elle réussisse dans le seul moyen qui nous reste de nous constituer
définitivement.
Et ceci est vrai par rapport au clergé, ou du moins pour une grande
partie du clergé, comme pour les séculiers ; et d'abord, une preuve que cela est
ainsi se trouve dans un fait que tout le monde a sous les yeux : il y a au
congrès onze membres du clergé, et, sur ces onze députés, il y en a sept qui ont voté
dans le sens de la combinaison du prince de Saxe-Cobourg.
Quant à l'ensemble de la minorité contre cette candidature,
qui est de quarante à cinquante voix, cette minorité, pour tous ceux qui
connaissent le congrès, se trouve composée d'éléments tellement divergents qu'on peut
dire qu'elle n'offre pas le tableau d'une fraction de
la volonté nationale, mais la représentation de certains systèmes particuliers, qui n'ont
pas de racine dans l'opinion générale de la nation ; il y a dans cette minorité
trois ou quatre fractions opposées les unes aux autres. Il y a le parti de
ceux qui veulent, à tout prix, arriver à une réunion à
Il y a aussi quelques républicains, et la nation repousse
également leur opinion. (Murmures.) (I.,5 juin.)
M.
de Robaulx – L'orateur manque à l'assemblée. (E., 5 juin.)
M. Charles de Brouckere
– L'orateur dit que dans la minorité se rencontrent des membres qui veulent
la réunion ; je... (E., 5 juin.)
En ce moment le fauteuil est occupé par M. Raikem, premier
vice-président. (E.. 5 juin.)
M. le président – A moins que l'assemblée n'en décide autrement, la parole est
maintenue à M. Boucqueau. L'orateur ne peut pas être rappelé à la question ;
puisqu'il ne s'en est pas écarté. (E., 5 juin.)
Plusieurs
voix – Parlez, M. Boucqueau. (E., 5 juin.) .
- Quelques mots s'échangent entre M. de Robaulx et M.
Raikem. (E., 5 juin.)
M.
l’abbé Boucqueau de Villeraie, après avoir répété, selon les
désirs de l'assemblée, la phrase qui avait soulevé cet incident, continue en
ces termes - Je conviens enfin qu'il se trouve des votes négatifs dus à des
craintes religieuses, sous le rapport de la différence de religion, et certes
ce ne sera pas moi qui nierai combien ces motifs sont respectables en eux-mêmes
; mais je crois que ces honorables collègues portent leurs appréhensions trop
loin, et qu'ils ne considèrent pas que dans la situation où nous sommes il y va
de l'intérêt même de la religion, de nous mettre par cette combinaison à l'abri
des maux, des inconvénients bien autrement graves qui la menacent, et de ce qui
arrivera si cette combinaison, la seule praticable maintenant, vient à manquer.
D'après ce qui précède, j'ose dire que la minorité ne représente
pas l'opinion publique, l'opinion générale du peuple belge.
Il me reste en finissant à dire quelques mots sur
l'inclination témoignée pour le parti de la guerre. Aucune guerre n'est
légitime, aucune guerre n'est juste qu'autant que ceux qui la provoquent et la
commencent ont fait tout ce qu'il est possible pour l'éviter, et avoir épuisé
tous les moyens propres à la détourner. Ceux qui la provoquent et la commencent
avant ce préalable sont responsables devant Dieu de tous les homicides qui se
commettent dans la guerre, et d'après cela je trouve que comme homme, et
surtout en ma qualité de ministre de la religion, d'une religion de paix et qui
abhorre le sang, je dois me prononcer contre le parti de la guerre. (E., et I., 5
juin.)
(page 250) M. Lecocq – Il m'importe que mes concitoyens connaissent
les motifs pour lesquels je vais voter en faveur du prince de Saxe-Cobourg. Je
serai bref.
Et d'abord je trouve, moi, dans la combinaison Cobourg tout
ce que je trouvais dans la combinaison si politique, si rationnelle, mais si
mal comprise alors, du duc de Leuchtenberg.
Or je ne tiens ni au nom ni à la personne : je tiens à la
chose.
Maintenant que nous avons fait, bien malgré nous, un long et
fastidieux cours diplomatique à nos dépens, il nous reste démontré à évidence
qu'après avoir acquitté l'espèce de dette morale dont les puissances se
croyaient chargées peut-être envers l'ancienne dynastie, elles s'accordent à
reconnaître Léopold pour roi de
Mais il faut encore que ce prince nous présente assez de
garanties pour nos libertés religieuses et civiles ; assez de garanties pour
nos intérêts industriels, agricoles et commerciaux.
Nos libertés religieuses. Je ne me
permettrai pas d'ajouter sur ce point à ce que vous ont dit nos honorables
collègues, M. l'abbé Andries et M. l'abbé Boucqueau de Villeraie.
Nos libertés civiles. La
constitution est là, le dépôt en est confié aux mandataires du peuple, et le
prince sur qui nous jetons les yeux est dans les principes de la réforme
parlementaire anglaise.
Notre industrie, notre agriculture, notre commerce. Devant un
ministère responsable, les affections personnelles du chef de l'État ne peuvent
influer en rien sur ces grandes questions d'économie politique. Du reste
Léopold n'est pas Anglais, il est Germain, de la même souche que nous, et bientôt il
sera Belge comme nous.
Et, messieurs, permettez-moi d'exprimer à ce sujet quelques
craintes qui se l'attachent à une autre cause : c'est que je crains que le trop
séduisant système (parce qu'il est le plus facile) de liberté illimitée
commerciale n'ait déjà fait trop de progrès ici, et ne fasse donner la
législature dans une erreur aussi funeste au moins que le système opposé de prohibition
extrême. C'est alors que les intérêts anglais seraient servis, non point
par les affections présumées du prince, mais par nos propres économistes. Avis
aux industriels, qu'ils aient soin de se faire représenter à la chambre ! et,
avouons-le, jusqu'ici ils ne le sont pas assez.
Concluons. Le prince Léopold me paraît promettre tout ce que
l'on peut humainement espérer. Je ne vois pas, comme quelques honorables collègues,
un danger mortel à pousser jusqu’au bout cette dernière combinaison ;
j'aime mieux considérer la chose comme l'honorable M. Félix de
Mérode.
Je vois dans la réalisation probable d'un projet accessoire
les classes aisées de deux grande nations se donner rendez-vous pour
fraterniser sur le sol sacré de
M. le vicomte Desmanet de Biesme se prononce pour l'élection du prince
de Saxe-Cobourg, mais il est d'avis qu'en attendant son acceptation
et l'issue des négociations, le gouvernement se prépare à la guerre. (J. B., 5
juin.)
M. Helias d’Huddeghem – Messieurs, disposé à voter pour le prince de Saxe-Cobourg,
si l'on avait cru pouvoir laisser précéder l’élection d'une
députation à la conférence et au prince, je me
proposais, dans cette démarche, de nous assurer si le prince de
Saxe-Cobourg, allié à une princesse de France, acceptant le trône
de
Mais, messieurs, la question étant décidée dans
un
sens contraire, j'aurai l'honneur de vous soumettre les motifs
qui me paraissent s'opposer à l'élection immédiate.
. Tous les journaux, interprètes de l'opinion générale,
les gazettes ministérielles même de France protestent contre la combinaison de
Saxe-Cobourg ; en cela ils ne font autre chose que se venger, car l'on se
rappelle, il y a environ deux mois, que tous les journaux anglais, quels
qu'ils fussent, organes du ministère ou de l'opposition, après avoir
attaqué avec colère, et avec le mépris dont ils étaient assez prodigues envers
nous, l'élection du duc de Nemours, proposèrent alors le prince de
Saxe-Cobourg. C'est donc une combinaison anglaise, car l'Angleterre n'entend
rien perdre à notre révolution ; je le prouve : le Courrier de
Londres et d'autres journaux anglais n'ont-ils pas dit que le prince
de Saxe-Cobourg devait savoir sacrifier (page
251) de ses goûts et de ses habitudes tranquilles au pays qui l'avait
adopté... Il peut rendre un service important à l'Angleterre. Ce
protectorat de l’Angleterre assure-t-il bien notre indépendance ? la
protection exclut l'indépendance. D'ailleurs, le sort du Portugal, des Iles
Ioniennes, de l’Irlande, de l'Inde, est-il si fort à envier ?
Pense-t-on que nos manufactures y gagneront ? enverrons-nous
dans les trois royaumes unis nos charbons, notre fer, nos toiles, nos calicots,
nos pierres ? Espère-t-on que les Anglais ouvriront aux Belges leurs colonies ?
ce serait une erreur ; mais ce qui est certain, c'est que l'intérêt national de
l'Angleterre n'est pas d'encourager les manufactures belges...
Quand reconnaîtrons-nous que nous sommes les jouets de la
conférence ? Si les cinq puissances réunies à Londres avaient sincèrement
voulu assurer l'indépendance de
M. Alexandre Gendebien,
dont le tour de parole est arrivé, demande à être entendu le dernier. (I., 5
juin.)
M. Lebeau, ministre des affaires
étrangères – Messieurs, lorsque dans cette discussion toute
constitutionnelle, et qui n'est pas une question de gouvernement, nous avons
déclaré que nous ne voulions parler que comme ministre, ce n'est pas que nous
eussions envie de décliner notre responsabilité ; au
contraire, nous l'acceptons volontiers comme celle de tous nos actes. Je
prends en ce moment la parole pour vous exprimer comme député mon opinion franche et
consciencieuse. J'ai cru devoir vous dire en quelle qualité je parlais, afin
que l'assemblée n'attachât pas à mes paroles une importance plus grande que
celle qu'elles doivent avoir.
Si je parlais comme ministre, je vous dirais que jamais nous
n'avons pu vous promettre l'acceptation pure, simple et immédiate du prince de
Saxe-Cobourg, parce que nous avons toujours pensé que son acceptation était
subordonnée aux arrangements du Limbourg. Nous pensons maintenant que les
arrangements pourront être facilités par l'élection immédiate, et qu'elle sera
un sûr moyen d'éviter la guerre ; et je remarque en passant que cette
combinaison n'est pas un obstacle à la guerre, si ultérieurement elle était
jugée nécessaire.
On a argumenté de certains protocoles que je ne connais pas,
et dont, en admettant l'authenticité, rien ne nous garantit l'exactitude de la
traduction. J'insiste sur ce point, parce qu'on y a trouvé un mot sur lequel on
a fait des suppositions qu'il est essentiel de détruire. On ya trouvé le mot compensations,
et l'on a dit que ce mot excluait l'idée de compensations
pécuniaires. Eh bien, messieurs, il y a un document authentique qui répond à
cette supposition, c'est la lettre de lord Ponsonby. Vous vous souvenez, messieurs, que j'ai dit
que cette lettre n'était confidentielle qu'à cause du personnage dont elle fait
mention ; à part cette circonstance, et par sa publication sans avoir été
désavouée par son auteur, elle a acquis un caractère d'authenticité tel,
qu'elle peut être considérée comme officielle. Eh bien, dans cette
lettre vous ne trouverez pas le mot compensation, mais bien
celui d'indemnité. Dans une autre lettre qui vous a été communiquée (Celle du lieutenant général comte
Belliard) et dont vous avez aussi ordonné l'impression, on lit le
même mot ; on va jusqu'à dire que vous fixerez la cote de l'indemnité. Et ne
serait-ce pas une ironie de la part de la conférence de nous proposer une autre
espèce d'indemnité ? Mais on sait bien à Londres dans quel but nous demandions
le Luxembourg ; on sait bien que c'est toujours en partant de cette base de
l'intégrité et de la constitution. La conférence nous croirait-elle tellement
frappés de cécité, que d'espérer que nous achèterions le Luxembourg par
l'abandon du Limbourg, pays riche et fertile, et préférable sous ce rapport au
Luxembourg, pays stérile et que nous pourrions abandonner sans perdre beaucoup,
si les (page 252) intérêts matériels
n'étaient dominés ici par l'honneur national. Mais, messieurs, par une telle
négociation ce ne sont pas les affaires de
Il y a dans les protocoles un passage bien remarquable, et
sur lequel j'appelle votre attention. Quand le congrès national voulut
prononcer l'exclusion de la famille d'Orange, souvenez-vous, messieurs, des
menaces qui nous furent faites, et qui vous firent croire à une guerre
imminente. Qu'eussiez-vous dit alors si l'on vous eût prédit que, par des
négociations diplomatiques, non seulement les puissances, mais
Messieurs, on a parlé de la dette. On a soutenu que des
protocoles il résultait que la conférence entendait nous en faire payer les 16/31e ;
je l’ai dit souvent et je le répète, la conférence n'a jamais entendu
faire à cet égard que des propositions ; ne voulez-vous pas me croire, eh
bien, prenez le rapport de mon prédécesseur, l'honorable M. Van de Weyer :
lisez le protocole du 19 février et tous vos doutes seront levés. A ce propos
je vous rappellerai un mot sorti de la bouche du prince, qui dit à
nos commissaires : Il est tout naturel que vous ne vouliez
pas payer les dettes des autres.
Un orateur aux talents duquel je me plais à rendre hommage,
M. Blargnies, a dit que le but de la conférence était la restauration des
Nassau ; il est vrai qu'à cette
époque il n'avait pas lu le protocole no 24. Adhérez, disait l'orateur dans une
brillante prosopopée, dans laquelle il faisait parler M. de
Talleyrand ; adhérez et tout ira bien. Et dans le
moment où M. Blargnies tenait cela. M. de Talleyrand aplanissait les difficultés pour nous faire obtenir
le prince Léopold. Qu'on ne nous parle donc plus de
restauration. Une restauration ! eh ! messieurs, y pensez-vous ? Une
restauration chez nous ! aux portes de
On a dit : Mais un roi élu par le peuple, mais
le
principe populaire, ce serait pour la conférence une monstruosité, la tête de
Méduse ; jamais la conférence n'y consentira. Mais si le congrès national avait
jeté les yeux sur le prince d'Orange, loin de reculer devant le principe d'élection,
la conférence n'aurait-elle pas battu des mains à l'application que nous en
aurions faite ?
On a établi un 'parallèle entre l'élection du duc de Nemours
et celle du prince de Saxe-Cobourg, (page
253), et on a laissé pressentir que celle-ci aurait le même résultat que
l'autre. Messieurs, je dois le dire, et ici je n'accuse les
intentions de personne : parmi ceux qui votèrent pour le duc de Nemours,
je compte d'honorables membres, mais je dirai qu'il y eut légèreté de leur part
; nous savions que personne ne le voulait et que
On vous a parlé des lenteurs de nouvelles négociations dont la
stérilité était d'ailleurs assurée. N’oublions pas, messieurs, le désir des
princes de conclure, pour un désarmement général, des traités dont, si je ne me
trompe, les préliminaires sont signés. La conclusion de ces traités est
subordonnée à l'arrangement de la .question belge. Aujourd'hui nous associons à
la question belge l’immense question de l'élection. Nous indiquons le but que
nous voulons atteindre, la paix. Nous disons où nous marchons. Alors plus
d'incertitude, nos vœux sont connus ; l'indépendance, la nationalité, voilà les
biens qu'on nous assurera, et si on nous les refuse, nous les
conquerrons par des voies plus énergiques. (I., 5 juin.)
M. de Robaulx – Messieurs,
avant d'entrer dans la discussion, je répondrai d'abord au discours de M. Lebeau.
On nous a dit : Vous attachez trop d'importance à certaines expressions
des derniers protocoles qui vous épouvantent tant ; vous vous êtes
trompés sur le sens du mot compensations, en pensant qu'il s’agissait de
compensations territoriales, car ce mot de compensations a trouvé un
correctif dans les lettres de lord Ponsonby et de M. Belliard ; enfin vous vous alarmez à
tort sur ce qu'on a voulu dire par des compensations.
Messieurs, nous sommes en présence d'une véritable pétition de
principe. Qu'est-ce qui a donné lieu de dire qu'au lieu d'indemnités en argent
on voulait aujourd'hui des indemnités en territoire ? c’est le texte des
protocoles que vous connaissez, et qui donnent à entendre que
par la cession du Limbourg, sur lequel on ne s'est jamais catégoriquement
expliqué, on obtiendrait la cession du Luxembourg. Comment les protocoles n° 23
et 24 seraient-ils détruits par des lettres ? Lisez-les, ces protocoles, et ils vous
prouveront l'intention de la conférence de donner des instructions à lord
Ponsonby, afin que s'entendant avec le général Belliard, ils
essayent tous les moyens de persuasion avant de communiquer le protocole n° 22.
Et ce même protocole a reconduit lord Ponsonby à Londres, et lord Ponsonby a
été expliquer à la conférence le mauvais effet que causerait la communication
de ce protocole ; c'est alors que le commissaire a été chargé d'atténuer,
d'accord avec le général Belliard, l'influence fâcheuse que devrait produire le
protocole n° 22.
Lord Ponsonby est revenu parmi nous porteur des derniers
protocoles. II nous a écrit, non pas à nous, mais à M. le ministre des affaires
étrangères ; il lui a fait parvenir une lettre, officieuse par rapport aux
passages relatifs à l'élection du prince, officielle sur les autres points,
mais enfin une lettre qui n'était que la conséquence du protocole n° 22. Lord
Ponsonby était-il chargé d'expliquer le mot compensations par indemnités
pécuniaires ? non sans doute ; il ne pouvait rien changer à la teneur du
protocole, mais il avait mission de nous en gratifier avec toute la politesse
possible. Le protocole reste ; il n'aurait pas été modifié par la lettre de
lord Ponsonby, quand bien même le noble lord aurait dit tout le contraire du
protocole.
Voyez, nous dit-on, le pas immense que la diplomatie a fait !
Suivons, messieurs, les raisons que nous donne le ministre, car en fait de
raisons, le ministère n'a pas l'habitude d'être fort. Voyez, vous avez prononcé
l'exclusion des Nassau, et c'est aujourd'hui seulement que
II paraît, messieurs, que les procès-verbaux n° 23 et 24 des
séances du Foreign Office, n'excitent plus les mêmes défiances ; on s'en sert,
on en argumente, on leur donne une reconnaissance tacite : mais je m'étonne
qu'on se soit tellement récrié contre la communication faite par moi de ces
protocoles, quand lord Ponsonby lui-même en a fait si peu de mystère, quand,
depuis trois jours avant qu'ils aient été généralement connus, ils avaient été
lus à plusieurs membres de cette assemblée, ce qui me fait supposer que ces
protocoles n'étaient pas inconnus du ministre.
L'orateur s'attache à réfuter M. l'abbé Boucqueau de
Villeraie sur son opinion au sujet des députés qui demandent la guerre.
II continue en ces termes : J'ai ouï qu'il fallait décréter
le principe de la guerre, non pas pour la commencer avant que le pays ne fût
prêt à l'entreprendre, et certain du succès de nos armes, mais seulement pour
apprendre aux puissances que nous ne sommes pas disposés à courber la tête
devant elles ; et alors, messieurs, une fois ce principe de la guerre admis,
les puissances, dominées par leur intérêt personnel, par le désir de maintenir
la paix en Europe, auraient gardé leurs menaces pour une meilleure occasion ;
elles auraient fait des protocoles plus favorables à notre cause. Messieurs,
vous avez suivi une marche que je ne puis approuver ; je ne veux pas être
responsable des conséquences qu'elle peut entraîner.
La majorité, qui veut la paix à tout prix, ne la veut qu'à la
condition d'obtenir, même par les négociations,
Quel est l'acte, quelle est la pièce officielle (et je ne
parle pas des lettres) sur lesquels la majorité peut s'appuyer pour dire que le
protocole du 20 janvier est révoqué ? Souvenons-nous bien que les protocoles n°
23 et 24 portaient l'injonction à lord Ponsonby de nous communiquer le
protocole n° 22, et qu'alors,
pour tempérer l'effet des menaces de la conférence, son commissaire lui a dit :
Ne vous pressez pas ; attendez, j'arrive avec la combinaison Saxe-Cobourg ;
fiez-vous à la prudence de M. Belliard et à la mienne, et surtout laissons la
candidature du prince Léopold porter ses fruits.
Messieurs, si après l'élection on vient vous signifier les
protocoles, en vain arguerez-vous des lettres officieuses, des notes verbales
ou l' on vous dira que vous connaissiez les protocoles,
qu'ils sont irrévocables et vous n'aurez ni le Luxembourg ni le Limbourg.
Si le prince de Saxe-Cobourg accepte, le droit de paix et de
guerre est entre ses mains ; et le croyez-vous disposé à faire la guerre contre
les rois qui lui auront donné la couronne ? J’ai fait cette supposition pour un
instant, car mon avis est qu'il n'acceptera pas.
J'ai examiné, je me suis appesanti sur toutes les manœuvres
de la conférence envers nous, et je n'y ai vu que duperie et déception ; je ne
peux comprendre l'aveuglement de notre ministère. Il détourne la tête pour ne
pas voir ; il fait plus, il donne son appui à des ennemis acharnés contre nous,
il favorise cette élection ; et cependant, je dois croire qu'il a quelque
pressentiment de ce qui peut arriver. Remarquez ses actes. Il laisse parler lord
Ponsonby ; il se borne à apporter sans réflexion la lettre arrangée pour la
circonstance ; les protocoles ne sont pas produits ; on fixe l'élection au
l" juin (notez celle date, c'est l'époque fatale marquée par
les protocoles) ; et quand nous demandons si on est revenu sur les principes
déposés dans le protocole du 20 janvier, il nous dit : La lettre est
postérieure au protocole. Que si on le presse, il répond qu'il ne prend rien
sous sa responsabilité. Il en résulte bien que le ministère ne veut pas prendre
sous sa responsabilité ce qu'il appuie, ce qu'il désire de toutes ses forces ;
mais je maintiens, moi, que sa responsabilité est engagée, et plus tard nous
jugerons.
Cependant ces protocoles ont répandu partout la consternation,
et je comprends peu qu'on ose venir ici nous dire qu'ils ont augmenté la
majorité ; je comprends moins encore qu'on puisse déclarer
fausse l'opinion que s'est formée sur ce point mon honorable ami M. Dehaerne, et
je le comprends mille fois moins encore quand, interrogeant le
bureau, je vois qu'aucune pétition n’a été déposée en faveur de Saxe-Cobourg. Et
d’ailleurs, consultez le Hainaut, Liége, Namur, les deux Flandres ;
nulle part vous n'y trouverez les esprits disposés en faveur de cette
candidature.
Pour
moi, qui pense un peu aux intérêts matériels de mes concitoyens, je déclare que
si je pouvais être convaincu que le prince Léopold nous apportât des
causes de prospérité, je voterais pour lui. Mais je ne peux voir en lui
qu'un autre Guillaume, (page 255) qui, comme
Guillaume, nous est donné par l’Angleterre, et, comme Guillaume, fera de
notre pays un entrepôt de produits anglais, et augmentera la sévérité de
la douane française contre notre commerce.
Si donc, tout examiné, l'arrivée dans notre pays du prince
Léopold ne peut que nous nuire, ne m'en parlez plus.
Arrivons à la véritable question. Veut-on du protocole du 20
janvier, oui ou non ? Tout est là ; et la candidature elle-même qu'on nous
jette en avant, n'est qu'un moyen d'arriver à ce but.
Quelques-uns ont dit que c'était clore notre révolution.
Messieurs, ce n'est pas la clore, c'est la tuer. Il faudra bien tôt ou
tard arriver à la guerre. Eh bien, croyez-vous qu'alors, nous
révolutionnaires, nous aurons confiance dans le candidat de tous ceux qui veulent
étouffer la révolution ? Dès lors, la révolution sera en légitime défense, et
je prie un de mes collègues (M. Charles Rogier) auquel je réponds, de croire
qu'au moins on ne devra pas me mettre le pistolet sur la gorge pour me faire
marcher ; certes, on ne me trouvera pas en arrière de ceux qui m'ont
supposé d'autres intentions. .
Un orateur s'est apitoyé sur cette pauvre conférence : bien
malheureuse en effet, parce que ,dit-il, nous arrivons à
elle la menace au poing et l’injure à la bouche. Moi, je dis :
Pauvre Belgique, malheureux pays, méfie-toi de tes amis officieux qui
n'ont jamais su que te faire du mal !
Un autre de nos collègues faisait un puissant raisonnement, il nous
disait : Vous avez voté des négociations, donc il vous faut un
négociateur ; or, la conférence ne veut pas d'autre négociateur que le prince
Léopold, donc vous avez voté l'élection de Saxe-Cobourg. En vérité, vous
n'attendez pas de moi, messieurs, que je fasse à un pareil raisonnement l'honneur de
la réfutation. Ici, laissez-moi ajouter un mot sur le manifeste
projeté, car je viens d'entendre une homélie qui m'en a paru un
avant-goût. Qu'on me permette de demander à son auteur (M. l'abbé Boucqueau de
Villeraie) où il a vu l'immense majorité qui, selon lui, se prononce pour
Saxe-Cobourg ; qu'il me dise où il a puisé le droit de déclarer fausse
l’opinion honorable de mon collègue et ami M. Dehaerne. A la vérité, sa qualité
de républicain lui aura peut-être empêché de trouver grâce auprès M. l'abbé
Boucqueau.
Je vais finir, messieurs. Aujourd'hui on n'oserait pas tirer le
canon de
Voulez-vous savoir où nous arriverons avec le prince de
Saxe-Cobourg ? J'ai toujours eu peur du diplomate boiteux ; il y a longtemps
que j'ai dit que le cabinet français nous abandonnait, mais si j'en
crois certaines prévisions, le prince de Talleyrand a certes bien travaillé
dans l'intérêt de
Je ne la veux pas, la réunion, et c'est pour cela que je
refuse mon vote à Saxe-Cobourg. Je voterai pour un roi indigène, pour le régent
actuel, persuadé que je suis que, s'il avait la majorité, son amour pour son
pays l'emporterait sur ses goûts de retraite. Mais jamais mon vote ne sera pour
le prince Léopold. (En descendant de la tribune. M., de Robaulx reçoit les
félicitations de plusieurs de ses collègues.) (E., 5
juin.)
M. d’Elhoungne demande la
parole. L'honorable membre improvise un long discours dans lequel il s'appesantit
sur les services rendus à
M.
Alexandre Gendebien commence par déclarer que, lorsqu'il
entra dans la carrière de la révolution, il ne consulta pas ses intérêts
personnels ; au contraire, il savait que dans cette carrière il perdrait son
état : cette considération ne l'arrêta point, il embrassait la révolution par
conviction. Aujourd'hui, dit-il, vous pensez à clore la révolution : je ne
consulte pas mes intérêts personnels ; si je les consultais et que je voulusse
consentir à servir de marchepied au prince de Saxe-Cobourg pour monter sur le
trône de
Je voterai contre le prince de Saxe-Cobourg, parce que vous
allez introduire dans le mécanisme nouveau de votre constitution un rouage de
l'ancienne machine de
Après ce début l'orateur s'attache à réfuter un à un les
arguments de M. Lebeau, et à prouver que le congrès eût mieux fait d'adopter la
proposition de M. Blargnies. Il termine en disant qu'il votera pour un prince
indigène. (I., 5 juin.)
M.
Jottrand – J'aurais voté pour le prince de Saxe-Cobourg, s'il
était venu seul, pour nous et par notre seule volonté. Dans les circonstances
présentes, j'aurais encore voté pour ce prince, si j'avais voulu travailler
soit à la réunion à
M. l’abbé Dehaerne
– Messieurs, il pourra peut-être vous paraître étrange que nous ayons signé
la proposition qui vous est présentée sans avoir désigné l'individu sur lequel
nous fixerions notre choix. Mais on sentira aisément les motifs qui nous ont
déterminés à en agir ainsi, lorsque l'on considérera la position délicate où se
trouverait placé un simple citoyen belge vis-à-vis d'un prince étranger sur
lequel la majorité du congrès semble avoir jeté les yeux jusqu'à présent et
qu'elle paraît considérer comme le seul candidat possible pour le moment. Quoiqu'il
y ait de l'honneur à être porté à la dignité de premier mandataire de la
nation, ne fût-ce que par quelques voix isolées, cependant un Belge
croira facilement qu'il est de son devoir de ne pas se mettre sur les rangs avec un tel compétiteur, dans la crainte
d'être
accusé de vouloir écarter le candidat qu’on lui oppose et de travailler ainsi
contre les intérêts de sa patrie. Le Belge qui serait digne de porter la
couronne devrait s'en croire lui-même indigne, et ce serait mettre sa modestie
à une bien triste épreuve que de le forcer à désavouer d’avance le choix qu'on
ferait de lui.
Telles sont les raisons, messieurs, pour lesquelles nous
avons cru devoir rédiger notre proposition dans un sens général,
persuadés que nous sommes qu'une fois la proposition admise, il nous serait
facile, en faisant le sacrifice de toute antipathie politique ou personnelle,
de nous réunir sur l'homme le plus digne de gouverner le peuple belge. Cet
homme, messieurs, nous l’aurions bientôt trouvé, la voix publique, l'instinct
du peuple nous l'indiqueraient, et son nom, qui parviendrait à nos oreilles au
milieu des acclamations de la multitude, nous serait un gage assuré de l'amour
et du respect des citoyens envers leur chef futur, de la force de son
gouvernement, ainsi que du bonheur et de la prospérité qu'il
apporterait à la nation.
On objectera, nous le savons, qu'un trône national n'aura pas
de prestiges ni d'illusion comme un trône qui relèverait de quelque maison régnante ; le
sang belge, dira-t-on, est du sang noble et héroïque, mais ce n’est
pas après tout du sang royal. Mais, quand on raisonne ainsi, on ne fait pas
attention que toutes les dynasties nouvelles ont eu peu d'illustration dans
leur principe, que ce peu d'illustration, dû d'abord ou à la fortune, au mérite ou
à des services signalés rendus à la patrie, a suffi pour assurer à ces
rois sortis du sein du peuple, à ces rois citoyens, l'estime et l'affection
générales, pour les rendre les idoles du peuple et les placer peu à peu à côté
des souverains que le hasard avait fait monter sur le trône quelque temps avant
eux. Pour qu'une dynastie soit forte et durable, il faut qu'elle ait sa racine
dans la nation, il faut qu'elle soit nationale. Un prince doit se trouver au
milieu de ses sujets comme au sein de sa famille ; il faut qu'il ait leurs
mœurs, leurs habitudes, qu'il soit identifié avec la nation.
Il faut que la nation sache que l'homme qui la
gouverne est un homme de sa race, un homme qui lui appartient. Un peuple,
messieurs, se met toujours à certains égards au-dessus des autres peuples, il
se préfère à tous les autres, et c'est là, je crois, le fond du patriotisme. Il
(page 257) croirait donc s'humilier,
il croirait nier le sentiment qu’il a de sa supériorité s'il recourait à une
nation étrangère pour se choisir un chef. Cette vérité, messieurs, est de tous
les temps, elle est historique ; mais elle reçoit encore une plus grande
évidence sous le régime représentatif des États modernes. Quelle est la
véritable force d'un roi constitutionnel ? Est-ce un nom antique qui a traversé
les siècles ? est-ce l'amitié des autres souverains et l'appui qu'il trouve
dans leurs baïonnettes ? est-ce la terreur qu'il inspire ? Non, c'est l’opinion, et rien que
l'opinion, qui est le véritable pivot du gouvernement constitutionnel.
J'entends dire souvent, messieurs : Il faut que le-gouvernement soit fort ; et
on en, déduit qu'un chef indigène ne peut pas nous convenir. Si l'on veut dire
qu’un chef indigène ne serait pas assez fort pour violer le pacte
social, on a raison ; et c'est pourquoi nous le préférons à un étranger, dont
la force arbitraire pourrait lutter pendant quelque temps contre la volonté
du peuple, mais finirait enfin par se briser contre elle. La faiblesse est ici
de la force, et la force est de la faiblesse ; permettez-moi, messieurs, de
mettre un instant en parallèle le prince de Saxe-Cobourg avec un chef indigène
; je le ferai avec tous les égards dus au candidat qu’on oppose au
nôtre. D'abord, je rendrai volontiers hommage aux opinions libérales dont
on assure qu'il fait profession ; j'ajouterai même que son séjour en Angleterre
n'aura sans doute pas peu contribué à effacer de son esprit des idées moins généreuses
qu'il aurait pu contracter en Allemagne ; mais, messieurs, pensez-vous
qu'en venant au milieu de nous et nous trouvant en possession de la
constitution la plus libérale de l’Europe, il ne s'imagine pas que nous
n'avons pas été assez sobres en libéralisme, que notre ouvrage se ressent
de l'effervescence révolutionnaire, et qu'en nous arrachant violemment au
despote, nous sommes tombés dans un excès de liberté ! pensez-vous que placé,
entre l'Angleterre et
L'honorable M. Boucqueau, qui est venu vous dire qu'il
portait la soutane comme moi, s'est permis une sortie assez acerbe contre
l'opinion que j'ai émise à cette tribune. Qu'a-t-il dit cependant lui puisse infirmer
mes preuves contre la candidature du prince de Saxe-Cobourg ? que dis-je,
messieurs, contre mes preuves ? Il les a confirmées, il a constaté l'opinion
catholique à cet égard, il a dit que les catholiques préfèrent un prince
catholique à un prince protestant. C'est absolument ce que j'ai dit, moi ; je
crois seulement avoir traité la question d'une manière plus constitutionnelle
que l'honorable M. Boucqueau, et peut-être que l'opinion de plusieurs membres
non catholiques, partisans de Saxe-Cobourg, a été moins choquée de la manière
dont j'ai émis mon opinion que de la manière dont s'est expliqué M. l'abbé
Boucqueau. .
J'ai dit,
messieurs, et je le répète, qu'une opinion si générale, si compacte que
l'opinion des catholiques belges, doit suffire pour rejeter un candidat, (page 258), qui d'ailleurs ne nous donne
aucune garantie certaine d'acceptation, je ne dirai pas honorable pour la
nation, mais même d'une acceptation quelconque. Je ne crois pas, messieurs,
qu'il y ait en cela rien d'inconstitutionnel, si la première loi
constitutionnelle est l'opinion, la volonté de la nation. Pour sentir cette
vérité, mettez de côté toutes les autres raisons. .
Je laisse encore à part l'affection de la nation pour un
prince catholique et sa défiance envers un roi protestant. J'envisage,
messieurs, cette défiance comme un élément futur de discorde, et étant aussi
ami de la paix que M. Boucqueau, mais non de la paix à tout prix, je crains ces
éléments de discorde et de trouble. Oui, messieurs, je veux la guerre, je la veux
comme la brave et catholique Pologne, parce que je crois, comme je m'en suis
expliqué, qu'il ne nous reste plus d'autre moyen de nous sauver.
Je ne m'écarterai pas de la question pour parler de la
république, comme l'honorable M. Boucqueau a cru devoir le faire. Je dirai
seulement que j'ai toujours cru que la monarchie constitutionnelle mène à la
république, et que le principe sur lequel la forme du gouvernement
constitutionnel est basée doit emmener tôt ou tard le système républicain ; et
comme un roi ne sera jamais, je pense, disposé à descendre du trône pour monter
au fauteuil, j'ai cru que nous ne pouvions élire un roi sans nous exposer plus
tard au danger de le voir renverser par la force. Vous voyez, messieurs, que je
songe encore à la paix, comme M. Boucqueau, même en votant pour la république.
Messieurs, je m'adresse ici particulièrement à ceux qui ne
veulent du prince de Saxe-Cobourg que parce qu'il faut en finir. Ils nous
disent sans cesse : S'il y avait un autre candidat, un candidat plus national,
nous nous prononcerions pour lui. Eh bien, nous avons un autre candidat, un
candidat qui réunit tous les avantages que réclame la nation. Vous l'avez dit
souvent, messieurs, que la couronne doit être décernée au plus digne. Lorsque
vous vous serez débarrassés de toute influence étrangère, vous serez juges
vous-mêmes, et seuls juges, des titres et des mérites de celui que vous voudrez
élever sur le pavois modeste d'une nation naissante. Je suppose, messieurs,
qu'il vous reste encore quelque espoir d'obtenir le prince Léopold à des
conditions équitables, quoique moi je n'en conserve plus ; vous avouerez
cependant que les craintes que nous avons à cet égard sont au moins très
probables. Prenez donc le certain pour l'incertain, choisissez un chef
indigène. Pourquoi ne l'avons-nous pas fait depuis longtemps ? Je serais
presque tenté d'accuser le congrès ; mais jetons un voile sur le
passé, et si nous avons commis des fautes, si nous avons, par un manque
d'énergie
et de courage, prolongé un provisoire dangereux et funeste,
réparons ce que nous avons mal fait, ayons confiance en nos propres
forces, mettons de l'unité dans notre édifice social ; qu'il soit fondé sur des
bases populaires et surmonté d'une couronne toute nationale. (J. F., supp., 5
juin.)
- On demande la clôture de la discussion. (I., 5 juin.)
M.
Forgeur demande la parole contre la clôture.
(E., 5 juin.)
M.
le baron Beyts parle contre la clôture. Il veut, dit-il, répondre à
M. l'abbé Dehaerne. (La clôture ! la clôture ! (I., 5 juin.)
M. Forgeur – Il me
semble, messieurs, que dans une circonstance aussi importante, il est de la
dignité de l'assemblée d'entendre la minorité qui veut protester contre
l'élection du prince de Saxe-Cobourg. Et qu'on ne lui prête pas
d'arrière-pensée ; car si elle fait entendre sa voix devant une majorité
imposante, c'est parce qu'elle est dominée par cette conviction que l'élection
du prince de Saxe-Cobourg sera fatale à
M. le président – Je suis
obligé de mettre la clôture aux voix. (E., 5 juin.)
M. Lebeau dit que personne ne réclame
la clôture. (E., 5 juin.)
M. Lardinois – Lorsqu'une majorité impénétrable et
déterminée veut une chose, s'il n'est pas superflu de la combattre, il est au
moins parfaitement inutile de prétendre la persuader. Je ne vous présenterai
donc, messieurs, que quelques réflexions pour justifier mon vote négatif dans
la combinaison du prince de Saxe-Cobourg.
Si le prince de Saxe-Cobourg se présentait à nous sans
être enveloppé des langes de
(page 259) En
effet, le prince de Saxe-Cobourg ne peut jamais être que l'homme dévoué à
l'Angleterre. Et que veut l'Angleterre ? Le monopole du commerce du monde. Sa politique
constante est de tenter la ruine du commerce des autres nations ; car
elle a la triste certitude que ce n'est pas trop de la pâture de l'univers pour
nourrir son clergé intolérant, son aristocratie insatiable et ses peuples
affamés ?
J’ai la conviction, messieurs, que
Vaines terreurs ! vous dit-on, la constitution doit être
jurée, elle vous garantit contre les penchants du prince,
et avec lui, l'intégrité de notre commerce est aussi certaine que l'intégrité
de notre territoire. Je le crois, messieurs, comme je crois que dans tous les temps
les complaisants ont manqué pour faire fléchir les principes devant la
volonté ou les passions du pouvoir.
Je conviens que mes craintes sont illusoires, parce qu'il est
évident que le prince de Saxe-Cobourg, étant honnête homme, ne pourra accepter
la couronne que vous allez lui offrir. J'ai l'opinion qu’il est, aussi bien que
nos ministres, joué par les cinq grandes puissances. Notre révolution, messieurs, est un fait
que les gouvernements despotiques ont intérêt à punir. Vous avez
planté l'arbre de la liberté et abattu l'orange pour l'écraser, et bien ! la
conférence de Londres veut en ramasser l’écorce avec la main des
protocoles pour reconstruire une partie de l'édifice que vous avez renversé, et elle
n'abandonnera son projet liberticide qu'après que la
nation se sera réveillée. Je borne là mes motifs, et je voterai contre
l'élection du prince de Saxe-Cobourg.
Avant de quitter cette tribune, je dois également un
mot
de réponse au sermon qui vous a été prononcé par l'honorable. M. Boucqueau. Son
discours, par lequel il vous a appris que son vote était dicté par l'intérêt
religieux, lui a fourni l'occasion de déclamer aussi contre
- Il y a un peu d'agitation dans l'assemblée. Les uns réclament le
renvoi de la discussion à demain, les autres veulent que la séance soit
continuée. La majorité, consultée, se décide pour ce dernier parti. (E., 5 juin.)
M. Doreye – Messieurs,
dans une occasion si solennelle, lorsque les destinées tout entières, et
peut-être les destinées irrévocables du pays, se discutent au sein de cette
assemblée, c'est à mes yeux presque un devoir d'énoncer les motifs déterminants
d'un vote qui doit contribuer à les fixer. La plupart d'entre vous l'ont fait
dans cette séance ou dans les précédentes ; qu'il me soit permis de suivre leur
exemple.
Appelé récemment à l'honneur de siéger au milieu de vous, je
n'ai eu le temps de subir aucune de ces influences de talent, de rapports
personnels, ou d'opinions précédemment émises et insensiblement réduites en
système. J'apporte un vote libre de tout antécédent, et qui peut être est une
expression plus exacte de la véritable opinion publique, que ces
applaudissements que nous avons eu plus d'une fois la douleur d'entendre partir
d'en haut ; témoignages inconvenants et suspects, qui offensent l'orateur
auquel ils s'adressent autant que la dignité de la représentation nationale.
Un prince est désigné à vos suffrages. Sera-t-il élu ? Là est
toute la question ; et qu'on ne s'y trompe pas, messieurs, c'est une question
d'existence. Il ne s'agit plus maintenant de conditions ou de modifications à
la proposition. La discussion a été épuisée sur ces points accessoires, et vous
l'avez close par votre récente décision, toute préalable ; quelque opinion que
l'on ait à cet égard, quelques regrets que l'on puisse éprouver de l'absence de
certaines garanties, la candidature du prince de Saxe-Cobourg est en ce moment
l'objet exclusif de vos délibérations. Il ne s'agit plus de candidats rivaux
entre lesquels le choix flotte incertain. L’élection proposée est l'unique
moyen de sortir de cet état mixte, qui, perpétuant un trop funeste provisoire,
et tenant en suspens la paix du monde, vous conduira, en définitive, à une
solution contraire aux principes que vous avez posés comme base de notre
existence politique. Tout retard qui tend à les laisser sans application
pratique les met gravement en péril. Tel sera l'infaillible résultat produit
par la force même des choses.
(page 260) C'est à
vous à voir si vous le voulez, ou plutôt à rechercher en conscience s'il est
dans le vœu de vos commettants.
Deux principales objections sont dirigées contre la
candidature du prince de Saxe-Cobourg :
Non conformité de religion.
Hostilité de son élection envers
La première ne peut agir que sur les hommes pour lesquels
tout cède à l'empire des opinions religieuses, ou sur ceux qui voudraient déjà
affaiblir le principe que la constitution a consacré el qui répond au premier
besoin de l'époque. Elle a proclamé la tolérance religieuse à son plus haut
degré, la parfaite égalité des cultes, la liberté illimitée de conscience.
Cette liberté ne peut pas, ne doit pas demeurer ou devenir jamais un mensonge ;
ici, comme dans un pays voisin, comme partout, il faut, à peine de ne trouver
jusque-là ni paix intérieure ni repos durable, qu'elle soit un jour une
éclatante vérité. Pourquoi donc serait-elle déniée à la personne du prince qui
a mission de la maintenir ? Vous excluez, dirai-je aux adversaires d'un prince
non catholique quelconque, vous excluez le prince de Saxe-Cobourg par un motif
unique ; vous n'êtes touchés d'aucun des avantages qu'il pourrait vous offrir !
Quoi donc ! pour être conséquents avec vous-mêmes, il vous faudra déposer du
trône le prince orthodoxe que vous y aurez fait monter par vos suffrages, si
jamais il abandonne la vérité pour l'erreur ; il vous faudra déposséder de la
couronne, quoique sa naissance et l'ordre constitutionnel de successibilité la
lui aient transmise, celui que le hasard aura privé des lumières de la doctrine
pure ; il vous faudra renouveler le scandale et les malheurs d'un peuple ligué
contre l'un des rois modèles. Non ! messieurs, cela ne peut pas être.
Si ce motif d'exclusion pouvait être adopté, vous feriez du
monarque un être unique dans la société ; vous violeriez en lui le droit qui
appartient au moindre des citoyens ; vous arracheriez l'une des pierres
angulaires de l'édifice social, qui bientôt s'écroulerait tout entier, pour
asseoir la catholicité sur le trône avec toutes ses conséquences.
Je dirai plus, messieurs : ce qui, pour quelques-uns, paraît
être le sujet d'un vote négatif, serait plutôt pour moi une considération
contraire.
J'aime à croire que la minorité trouvera, non seulement dans
la loi fondamentale de l'État, mais encore dans son chef, la garantie que sa
plus précieuse liberté ne recevra jamais d'atteinte. Notre révolution a été
diversement appréciée au dehors ; on a voulu, pour la discréditer aux yeux des
autres peuples, la revêtir d'une couleur exclusivement religieuse :
c'est une des calomnies qu'il nous importe de démentir ; et quel plus
éclatant démenti qu'un choix sur lequel cette considération aura été sans
influence !
Je passe au reproche puisé dans notre position à l'égard de
Ici, messieurs, qu'il me soit permis de le dire, vous avez
hier entendu à cette tribune la noble et touchante expression d'une affection
personnelle, d'une préférence justifiée à tant de titres, sacrifiée toutefois au
vœu national par l'un de vos plus honorables collègues : cette abnégation
vertueuse, et toute patriotique, j'ose aussi en revendiquer ma part.
Mais est-il vrai que l'élection du prince Léopold de
Saxe-Cobourg doive être considérée par
Ah ! messieurs, qu'elle se garde de le croire ! Si, en
déposant un vote affirmatif, je partageais cette opinion, je me tiendrais coupable
d'ingratitude envers elle, et d'une haute imprudence, pour ne pas
dire plus, envers mes concitoyens. Mais non,
N'avons-nous pas prouvé naguère notre confiance en
elle, notre sympathie pour elle ? Nos vœux n'ont pu se réaliser. Comment nous faire un crime
d'avoir tourné nos regards ailleurs ?
S'il m'était démontré que le choix du prince de Saxe-Cobourg
fût une conception de la triple alliance de 1815, une combinaison
dirigée dans des vues systématiquement hostiles contre
Il n'en est pas ainsi ; et la preuve, c'est que ce choix n'a
point rencontré d'adversaire dans l’habile représentant des Tuileries à la conférence
de Londres.
Je concède que les puissances étrangères y ont vu une
garantie d'existence et de stabilité du nouvel Etat qui s'élève, un obstacle
aux vues ambitieuses qui viendraient à se réveiller.
Mais grande est la différence entre cette précaution de haute
politique, et l'établissement d’un Etat voisin essentiellement ennemi, comme
l'était le ci-devant royaume des Pays-Bas.
Toujours, messieurs, les deux peuples seront unis ;
religion, lois, mœurs, langue, civilisation, rien ne peut rompre tant et de si
forts liens de confraternité nationale.
Ajoutez-y la contiguïté des territoires et la (page 260) communauté des principes
politiques, comment ne pas espérer de conserver, d'augmenter même nos rapports
commerciaux, en même temps que l'abaissement graduel, si ce n'est l'entier
affranchissement des barrières qui séparent encore les peuples à leur commun préjudice, viendra,
grâce aux progrès de la science économique, faciliter les échanges de leurs produits
respectifs ?
Le roi des Belges sera ou deviendra l'allié nécessaire du roi des
Français ; cette alliance sera nécessaire par cela seul que le principe de leur
pouvoir sera commun, par cela seul que tous deux seront les élus du
peuple.
Une ligne de démarcation fortement tracée existera toujours
entre eux (et je range avec eux le monarque anglais) et les rois absolus,
représentants vieillis du droit divin et du dogme de la légitimité.
Le jour où le monarque français serait méconnu, le nôtre le
serait ; le jour où notre territoire serait foulé par les phalanges ennemies,
le territoire français serait menacé. Il y aura donc par la force même des
choses, entre les deux peuples comme entre les deux gouvernements, non pas
alliance offensive, mais alliance naturelle, et c'est la plus solide, contre
toute agression étrangère, contre tout projet attentatoire à l'indépendance et
au droit des deux nations.
C'est à cette seule condition que le prince à qui vous
offririez la couronne de
Ce que représente le prince de Saxe-Cobourg, c’est un système
de neutralité politique qui rassure les gouvernements du Nord ; qui, nous
laissant tout-puissants pour la commune défense, sache au besoin y
chercher un auxiliaire contre la conquête du Midi.
Quant à l'utilité instantanée de l'élection, je la trouve dans le
besoin de rassurer les gouvernements, aussi bien que les peuples jaloux de
régler eux-mêmes leurs affaires, sur des craintes, légitimes, disons-le, dans
l'état actuel de l'Europe. Elle nous acquiert un titre à leur confiance, à leur
appui ; elle est un gage assuré du désir qu'éprouve
On a dit, avec trop peu de bonne foi, que le prince Léopold
était le candidat de
Léopold a une belle page à léguer à l'histoire. Espérons
qu'il comprendra la grandeur de son rôle, et qu'il saura le remplir.
S'il en était autrement, si l'homme auquel
Le congrès et le vénérable régent de
Les mots de majorité et de minorité ont été
souvent prononcés dans cette enceinte : la première ne diffère
de la seconde (à l'ardent patriotisme et aux talents de laquelle je rends hommage),
que sur l'emploi des moyens ; car leur but est le même ; leurs intentions sont
les mêmes ; celle-ci veut la guerre demain, sans considérer que le risque est
extrême, et qu'elle n'est actuellement opportune ni utile pour le succès
d'aucun système. Celle-là ne recule pas non plus devant la guerre ; mais elle la veut
précédée de sages et fermes négociations. Ne la croyant juste qu'autant
qu'elle devienne une nécessité, elle veut n'avoir aucun reproche à se faire, et
dans une question si grave, on ne peut lui en vouloir de ne pas céder à trop de précipitation.
(page 262) Convaincue que le canon
sert mal à l'affermissement des libertés, au développement régulier de
l'industrie et du commerce, avare du sang humain et de celui de ses
compatriotes, elle veut, lorsque viendra le moment de céder à l'une de ces
tristes nécessités sociales et politiques qui pèsent , sur les
peuples, pouvoir en renvoyer aux rois la sanglante responsabilité.
Tels sont, je crois, messieurs, les motifs de la majorité, de
cette majorité qu'on paraît ne pas avoir bien comprise, que quelques-uns ont le
tort d'assimiler à ces majorités factices, fruits des gouvernements
constitutionnels bâtards. Celle qui apparaît ici est l'expression souveraine de
la volonté nationale ; elle n'est ni le soutien servile du ministère, ni
l'obséquieux défenseur de ses actes. Le ministère reçoit et doit recevoir
d'elle son impulsion.
Qui que ce soit qui le premier ait prononcé le nom du prince,
le ministère n'est rien dans cette combinaison ; l'élection du chef de l'État
n'est pas et ne doit pas être une intrigue ministérielle ; c'est un point dont
la décision vous appartient comme pouvoir constituant. J'en dis autant des
négociations que vous avez autorisées ; elles n'auront lieu que sous votre bon
vouloir ; il vous en sera rendu compte ; et là, messieurs, là où commencerait
le déshonneur, tous, majorité et minorité, confondus dans un même sentiment, et
certains de trouver des auxiliaires redoutés, vous saurez comprendre et adopter
enfin le parti qui vous sera dicté par la nécessité et le salut du pays. (P., supp.,
5 juin.)
M. Blargnies – Messieurs,
je voterai contre l'élection du prince Léopold.
Vous croirez tous que mon vote est le résultat de l'examen
approfondi que j'ai fait de la question, le résultat de ma conviction intime.
Mais faisant partie de la minorité, je crois devoir vous exposer brièvement mes
motifs.
Peut-être avons-nous commis une faute capitale en nous
engageant, pour ainsi dire tacitement, à chercher notre chef hors des rangs de
la révolution ; car nous avons toujours manifesté le désir d'avoir un roi qui s'associât
à la révolution et couronnât l'œuvre de la nation et du congrès. Or, il
nous est connu que le prince de Saxe-Cobourg devrait s'associer aux autres
rois, même aux plus absolus, avant de pouvoir contracter avec nous.
Ce prince veut avoir l'assentiment des principales dynasties
de l'Europe avant d'accéder au décret du congrès ; il sera donc l'homme des
potentats européens avant d'être celui de la nation. Or, les protocoles que
nous connaissons et la lettre de lord Ponsonby me prouvent à la dernière évidence
que Léopold ne pourra pas accepter la couronne.
Il devrait, préalablement à tout, reconnaître les bases de la
séparation de
C'est ce qu'il ne veut pas faire, c'est ce que nous
ne voulons pas qu'il fasse.
Son élection n'aura donc d'autre effet que de nous donner
un interprète près des cinq grandes puissances ; le titre de roi des
Belges, que nous lui aurons donné, ne sera pas, ne sera jamais une raison pour
amener
Je dois donc regarder comme inévitable la guerre contre
Je suis convaincu que le prince, supposât-on même son
acceptation, ne régnerait pas à Bruxelles, car il ne pourra jamais prêter le serment
relatif au maintien de l'intégrité du territoire.
En nommant le duc de Saxe-Cobourg, nous ne faisons donc
que nous jeter dans des négociations dont il est impossible de prévoir la
fin, et nous perdons un temps dont nous devons rester maîtres.
L'opinion défavorable que je m'étais formée sur
la candidature du prince a été confirmée par le rejet de toutes les conditions
que la minorité avait voulu mettre à son élection, la majorité ayant paru
oublier alors qu'elle avait basé l'élection immédiate sur les nécessités du
pays.
Je suis entraîné non moins fortement à voter contre le prince
de Saxe-Cobourg par les considérations suivantes :
Le prince de Saxe-Cobourg est l'homme de
Il est le candidat de tous les fauteurs de la restauration ;
Il est le candidat de lord Ponsonby ;
(page 263) Il est
le pensionnaire de l'Angleterre.
S’il règne ici, il continuera, dans l'intérêt anglais, le rôle du
roi Guillaume contre
Il devra, malgré lui, tourner notre politique toujours
secondaire contre un peuple avec lequel nous avons solidarité de principes et
d'intérêts ; il gardera notre ligne de forteresses dans le système de la
coalition de 1814 et 1815.
L'appel de ce prince chez nous est une espèce de rupture avec
Aussi ne nous parle-t-on plus de son union avec une princesse
de France.
Nous avons eu déjà un roi de la main de l’Angleterre, et destiné
à favoriser sa politique contre
Je suis donc forcé de lui refuser mon suffrage, que je
donnerai à notre régent actuel. (E., 6 juin.)
- La clôture de la discussion est prononcée. (I.,6 juin.)
M. Charles de Brouckere
– Maintenant que les débats sont clos, et qu'il reste à discuter la question
sur le mode de l'élection, je demande le renvoi à demain. (E., 6 juin.)
- L'assemblée remet à demain l'élection du chef de l'État et
les discussions qui pourraient s'élever sur le mode d'élection. (P. V.)
La séance est levée à six heures. (P. V.)