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Congrès national de Belgique
Séance du vendredi 3 juin 1831

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)

(page 236) (Présidence de M. de Gerlache)

Toujours même foule, même empressement. (I., 5 juin.)

La séance est ouverte à onze heures. (P. V.)

Lecture du procès-verbal

M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, lit une lettre par laquelle M. le docteur Lombard annonce que son beau-frère M. Deleeuw est retenu chez lui par une grave indisposition. (P. V.)

- Pris pour notification. (P. V.)

M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :

Soixante habitants de Gand demandent que le congrès n'élise pas le prince de Saxe-Cobourg.

Cinq sauniers de Tournay présentent des observations concernant le projet de décret sur le sel.

MM. Wattecamps et Gerlac, à Louvain, demandent que la guerre soit immédiatement déclarée à la Hollande.

M. Minté, à Gand, demande que l'exportation du bétail soit prohibée. (C., 5 juin et P. V.)

- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)

Choix du chef de l'Etat

Discussion générale

M. le président – L'ordre du jour est la discussion sur le choix du chef de l'Etat.

La parole est à M. Seron. (Profond silence.) (J. B., et. E., 5 juin.)

M. Seron – Messieurs, lorsque la grande majorité du congrès a souscrit la proposition d'élire le prince de Saxe-Cobourg roi de la Belgique, il y aurait, de ma part, plus que de la présomption à imaginer que mon opinion prévaudra dans cette assemblée. Cependant je me crois obligé d’en exposer les motifs, afin que, plus tard, on ne me reproche pas un silence que l'inutilité de prendre aujourd'hui la parole semblerait néanmoins justifier.

Le gouvernement français n'a pas osé accepter, pour le duc de Nemours, la couronne de la Belgique que vous lui offriez ; la conférence de Londres avait auparavant déclaré que si vous nommiez le prince de Leuchtenberg, elle ne le reconnaîtrait pas. Alors, l'ambassadeur britannique vous conseillait de recevoir le prince d'Orange ; maintenant il vous dit : Prenez le prince de Saxe-Cobourg, vous ne pouvez faire mieux. Ce qui paraît bien singulier, c'est que l'ambassadeur français appuie aussi cette nouvelle candidature. Comment expliquera-t-on la politique du ministère qui l'a envoyé ici ? Ce ne sera pas en alléguant, comme on l'a déjà fait, que le temps n'est plus où un esprit de rivalité et un sentiment de haine divisaient la France et l'Angleterre ; que désormais, grâce aux progrès de la civilisation et des lumières, la meilleure intelligence va régner entre elles ; car le temps et la civilisation ne peuvent changer la nature des choses, et il est impossible que deux nations voisines qui toujours auront des intérêts opposés soient sincèrement amies et se laissent longtemps en paix.

Pour moi, je suis porté à croire que le ministère français écoute une mauvaise conseillère, que la peur lui met un bandeau sur les yeux, et que, malheureusement, il sera la dupe de sa fausse politique. Je dis malheureusement, en ce sens les fautes des gouvernants retombent toujours sur les peuples. Il oublie que, depuis un siècle et demi, l'Angleterre est entrée dans toutes les guerres contre la France, qu'elle les a même suscitées. Que tout à l'heure donc une nouvelle lutte s'engage au Midi entre la France et l'Autriche, au sujet du Piémont, de quelque côté que soient les succès, vous verrez si le peuple anglais les regardera (page 237) d'un œil d'indifférence. Certes, alors il sera facile aux oligarques qui le gouvernent de le détourner de ses idées de réforme parlementaire qu'ils craignent tant, de réveiller sa jalousie et son antipathie pour son ancienne rivale, et de l’entraîner dans cette guerre qui lui offrira en perspective l'accroissement de sa prospérité, et, pour premier résultat, la capture des navires et la chute du commerce maritime de la France.

Ce sera une guerre de principes : les Russes, les Prussiens ne peuvent donc manquer d'y prendre part ; on y forcera les petits princes de l'Allemagne. Je demande quel rôle, dans une telle condition, est réservé à la Belgique avec un roi de la main du gouvernement anglais et entièrement à sa dévotion ? Croyez que, malgré tous les protocoles, on ne vous permettra pas de demeurer oisifs. Non seulement vos plaines deviendront le théâtre des hostilités, mais vos armées seront forcées de combattre pour la cause des rois ; et si cette cause triomphe, quel sera le prix de nos trésors et de notre sang ? la perte de notre liberté et vraisemblablement la restauration, but que l'Angleterre a toujours eu en vue et que, si je suis bien informé, ses diplomates ne dissimulent même pas à l'heure qu'il est.

Mais je veux supposer la continuation de l'état de paix. Quels fruits alors recueillerez-vous de l’élection qui se prépare ? La perte de la Flandre ci-devant hollandaise et d'une partie du Limbourg ; l'occupation, par les troupes prussiennes, de Maestricht ; la possession (je l'admettrai pour faire plaisir à ceux qui veulent à toute force y croire) la possession du Luxembourg, sa forteresse exceptée. Sans doute on vous laissera aussi Anvers, où seront amenées en abondance les marchandises anglaises, pour être ensuite versées dans toutes vos provinces, au détriment des nombreuses manufactures qu'elles renferment. Anvers devra prospérer, j'en conviens ; mais, messieurs, Anvers n'est pas la Belgique ; et quand ce qu'on nomme improprement le haut commerce accumulerait dans cette ville d'immenses richesses en y multipliant les spéculateurs, les caboteurs, les commissionnaires et les courtiers, franchement, je ne vois pas ce qu'y gagnerait le véritable commerce du pays, le commerce qui occupe les masses et les fait vivre, ni ce qui pourrait compenser le désavantage de sa position à l'égard de la France, dont les lois prohibitives continueront à repousser vos marchandises. Que les industriels, malheureusement en trop petit nombre ici, veuillent bien me le dire ; sur ce point ils en savent pour le moins autant que messieurs les avocats. Mais ce n'est pas tout, vous supporterez plus de la moitié d'une dette que vous n'avez pas contractée, dont vous êtes innocents, qui ne devrait être soldée qu'à coups de canon. Oui, messieurs, vous aurez beau crier à l'injustice, le peuple payera jusqu'à concurrence de seize trente-et-unièmes, ni plus ni moins, les mémoires assez enflés des fournitures faites aux troupes françaises par la Hollande, en 1795 et années subséquentes, et les sommes prêtées par cette nation, tant soit peu juive, à des monarques qui trouvent commode de nous gratifier de leurs dettes. Le peuple payera parce que les protocoles le disent, que les rois y sont intéressés et le veulent, et que vous n'avez pas la force de leur rien refuser. Les Hollandais en doutent si peu, qu'à l'avance ils ont retranché ces seize trente-et-unièmes de leur budget. Vous allez donc charger la génération présente et celles qui lui succéderont d'un fardeau que toutes les caisses d'amortissement ne pourront jamais alléger, d'impôts tellement en disproportion avec les forces des contribuables, que, malgré la richesse de votre sol, ils seront à toujours un obstacle invincible au développement de l'industrie, à l'aisance de la classe moyenne, la plus saine partie de la nation. Peut-être faudra-t-il rétablir l'abatage et la mouture ! Je ne parle point des vaisseaux construits à nos frais que nos ennemis garderont, ni de certaine indemnité qu'on réclamera pour la cession de je ne sais quelles îles, quelles colonies qui nous ont toujours été étrangères. Ce sont là des bagatelles au prix d'une dette qui doublera nos contributions. Et remarquez que c'est surtout pour payer moins que le peuple a chassé les Hollandais.

Est-ce pour arriver à un pareil dénouement qu'on l'a appelé de nouveau aux armes, qu'on a créé tant d'officiers à gros appointements, fait forger des piques à grands frais, et voté un emprunt de douze millions de florins, qui atteint jusqu'à la misère, et que jamais il ne sera possible de rembourser ?

Quant à votre constitution, malgré toutes les garanties qu'elle renferme et le serment de la maintenir qu'on prêtera, elle sera probablement exécutée à la manière dont naguère s'exécutait la loi fondamentale sous un autre roi déjà imposé par l'Angleterre à la Belgique_ Pourquoi non ? Les constitutions monarchiques ne sont-elles pas ce que les rois veulent qu'elles soient ? Et le vôtre aura-t-il une volonté contraire à la volonté du gouvernement anglais qui vous l'aura envoyé ? Et le gouvernement anglais ne voudra-t-il pas ce qu'il a déjà voulu ?

(page 238) Mais, dit-on, c'est la France elle-même qui, pour demeurer en paix avec l'Angleterre, avec tout le monde, désire une élection qui doit assurer la tranquillité de l'Europe ; c'est la France qui nous presse d'y procéder incontinent. Non, messieurs, non, ce n'est pas la France, c'est uniquement son ministère. Peut-être même ce n'est que la politique de deux hommes qui le dirigent aujourd'hui, et qui, possible, s'en iront demain. Qui nous dit donc que, tout à l'heure de nouveaux ministres, leur succédant, ne changeront pas de système et de langage ? et si cela arrive, comme je le prévois, à quoi servira le roi que vous aurez élu ? Pourra-t-il être autre chose qu'un germe de division parmi vous, un point de ralliement pour les partisans de la restauration, un obstacle à notre alliance avec la France, la seule nation cependant dont nous puissions attendre des secours, quoi qu'en dise la diplomatie d'aujourd'hui.

Jusqu'ici, j'ai raisonné sur la supposition que le prince de Saxe-Cobourg acceptera la couronne que l'on veut à tout prix mettre sur sa tête ; mais s'il la refuse, et je pense qu'il la refusera, par les raisons que différents orateurs en ont données ; si votre deuxième élection a le sort de la première, songez, messieurs, à la déconsidération qui, dans ce cas, attend le congrès ; songez que, sans l'estime et la confiance du peuple, nous sommes incapables de faire le bien.

J'entends dire à chaque instant : « II faut nous constituer, il nous faut un chef définitif. » Soit. Mais (et je vous l'ai demandé à la séance du 20 mai dernier), la prudence ne conseille-t-elle pas d'en ajourner la nomination, du moins pour quelque temps ? Ne vaudrait-il pas mieux nous occuper de l'établissement du jury, de la diminution de nos dépenses, du changement de notre ridicule système d'impôts ? On répond : « Non ; le peuple souffre. » Messieurs, croyez-vous que l'élection lui donnera du travail et du pain ? On ajoute : « Une explosion prochaine menace de renverser l'édifice social, de nous plonger dans l'anarchie. »

Ces craintes me paraissent chimériques ; mais ce qui est évident, c'est le parti pris de nommer un roi. Eh bien, messieurs, ne peut-on se dispenser d'élire le candidat de la Sainte-Alliance ? Précurseur du prince d'Orange, est-il aujourd'hui l'homme inévitable ? Puisqu'on a tant de foi aux protocoles, puisque les protocoles disent que nous formerons un État neutre destiné à demeurer perpétuellement en paix avec tous ses voisins, pourquoi ne serions-nous pas libres dans notre choix ? Qu'importe à la Sainte-Alliance le candidat que nous élevons, pourvu qu'il ne vienne pas de France, pays qu'elle n'aime guère et qu'elle paraît craindre beaucoup. Pourquoi même la consultons-nous, nous qui sommes indépendants ?

Conclusion. Je ne veux pas voter la honte, la misère et l'esclavage de mon pays. Que d'autres, en accordant leur suffrage au prince de Saxe-Cobourg, en assument eux seuls les suites et la responsabilité ; le mien, s'il vous faut absolument un chef définitif, sera en faveur de celui de mes concitoyens (pas trop dévot, l'excès est nuisible en tout) que j'en croirai le plus digne par ses lumières, son bon sens, sa capacité, sa probité et son patriotisme.

Je pourrais, aux raisons que j'ai données, en ajouter d'autres, mais j'en ai assez dit pour faire apprécier mon opinion, et trop peut-être pour ne pas lasser votre patience. Je n'ai point parlé de nos ministres, qui ont fait tant et de si belles choses en si peu de temps, car, après tout, pourquoi leur reprocher une combinaison qui ne tirera à conséquence qu'autant qu'on aura la complaisance de l'adopter ? (E., 5 juin.)

M. Van Hoobrouck de Mooreghem – Messieurs, après avoir solennellement proclamé l'indépendance de la Belgique et reconnu que la forme monarchique représentative héréditaire était la plus conforme à notre situation géographique et aux intérêts, aux mœurs et aux souvenirs de ses habitants, la marche que nous avions à suivre nous était toute tracée. Elle se réduisait à chercher le plus digne à occuper le nouveau trône, et le plus propre, en même temps, à nous garantir les bienfaits de notre nouvelle constitution. Nous n'avons pas tardé à reconnaître, messieurs, que, sous ce dernier rapport, un Belge, sous quelque dénomination qu'il fût élu ou quels que fussent ses titres à une si haute distinction, ne pouvait, sous tous les points de vue, nous présenter cette garantie, et qu'il fallait aller la chercher à l’étranger.

On ne nous reprochera pas à cet égard d'avoir épargné nos démarches. On nous a même reproché, et dans cette enceinte, que nous avions mis le trône belge au rabais. Cependant, messieurs, vous en conviendrez tous, l'état actuel de la nation ne peut durer. Déjà l'on vous dit que le marasme vous a saisis, que votre patriotisme s'use et s'éteint. Je ne discuterai pas ici la valeur de cette étrange assertion. Le congrès en a fait à l'instant ample justice.

Certes ce n'est pas par le cri Aux armes ! qu'on rendra l'aisance au peuple, la confiance au commerce, la paix à l'Europe. Il faut donc recourir au moyen que nous présente la constitution.

(page 239) Toute détermination qui nous conduirait à l'incorporation à la France, soit directement, soit indirectement, ou à la république, doit être mise sur la même ligne que l'exclusion de la dynastie des Nassau et repoussée avec la même énergie ; elle ne peut devenir la matière de nos délibérations.

De tous les candidats, messieurs, mis jusqu'ici sur les rangs, un seul a survécu : c'est le prince Léopold de Saxe-Cobourg. Je ne dirai pas : Est-il le plus digne ; mais je demanderai s'il est digne de monter au trône belge, et si son élection est de nature à nous garantir notre indépendance et nos libertés. Je dois ici vous avouer que lorsque, en décembre dernier, le nom de ce prince fut prononcé, j'employai tout ce qui me reste d'énergie pour en détourner généralement la pensée. J'y entrevoyais, sinon un leurre ou un candidat de la Sainte-Alliance, au moins une combinaison tout anglaise, dont notre industrie manufacturière et même agricole eussent à la longue eu à ressentir les conséquences et à leur fermer à jamais les frontières françaises.

Il n'en est plus ainsi aujourd'hui. Le cabinet français lui-même sourit à cette combinaison.

Autre chose est pour nous d'entrer dans la voie des protocoles, et autre chose est de déférer le trône belge, sous les conditions exprimées dans votre décision d'avant-hier. Si, après les témoignages honorables, non certainement intéressés, que nous ont rendus nos commissaires revenus de Londres, après y avoir pris toutes les informations possibles, nous pouvions encore conserver quelques doutes au sujet du prince Léopold, je vaincrais aussitôt, ce me semble, vos hésitations, en vous rappelant que c'est ce même prince que les Anglais, si jaloux, si fiers de leur nationalité, ont été chercher en pays étranger pour le faire asseoir sur le trône de la Grande-Bretagne, à côté de l’héritière immédiate de leur roi George IV. Ne fût-ce pas le même prince Léopold que les souverains de l'Europe, à l'unisson, s'accordèrent depuis à désigner au trône de la Grèce ?

Il est digne de nos hommages et de notre choix, celui de qui la diplomatie anglaise elle-même a dit qu'il n'acceptera la couronne que pour la porter avec honneur pour la Belgique et pour lui-même, et que déjà il est disposé à prendre sur lui le complément de la négociation pour le Luxembourg. (J. F., 5 juin.)

M. Alexandre Rodenbach – Dans l'impossibilité où me place ma cécité de lire moi-même le développement de mon opinion, je prie M. le président de permettre que M. de Robaulx lise mon discours. (I., 5 juin.)

M. le président – M. de Robaulx à la parole. (I., 5 juin.)

M. de Robaulx prend le manuscrit des mains de M. Alexandre Rodenbach, monte à la tribune et lit le discours suivant :

Messieurs, le moment est arrivé où notre conduite va décider du jugement que portera de nous la postérité. Jusqu'à quand serons-nous les victimes des empiétements de la conférence de Londres ? elle a tout refusé à la Belgique, et après nous avoir fait languir, pendant sept mois, dans une cruelle agonie, non contente des maux affreux qu'elle a fait peser sur nous, elle a blessé notre honneur, elle nous a mis au ban de l'Europe, comme un vil peuple de pillards et d'incendiaires.

Que nous reste-t-il à faire pour sortir de cette machiavélique impasse dans laquelle la sainte croisade veut nous maintenir ?

Nous devons rebuter, lacérer, fouler aux pieds ces protocoles de 1830 et 1831. Espérons que les deux derniers éclaireront l'assemblée sur le danger des mesures qu'elle va prendre. Mettre sa confiance dans de nouvelles négociations, lorsque de pareilles résolutions sont connues, c'est évidemment déclarer que nous voulons nous soumettre aux volontés de la Sainte-Alliance.

Nous devons nous rappeler, messieurs, que dans nos glorieuses journées de septembre, les cohortes ennemies n'ont pu résister à l’héroïque courage de quelques centaines de nos braves. Associons-nous de nouveau aux masses populaires, qui prêtent généreusement leurs bras pour renverser l'oppression.

Nous avons voté de l'argent et des hommes, le peuple belge vide ses poches dans les caisses de l'État ; il demande à voler aux armes, les cadres de l'armée se remplissent : qu'attend-on encore pour délivrer Maestricht et bloquer la citadelle d'Anvers ?

Si l'on pouvait me prouver que, par la combinaison Saxe-Cobourg, nous ne sacrifierions ni l'honneur ni l'intérêt de la Belgique ; si l'on pouvait me prouver que ce prince rendrait l'ouvrage à nos fabriques, qu'il nous donnerait un débouché pour nos céréales, nos toiles, nos fils, notre coutellerie, nos fusils, nos fers et notre charbon, je lui donnerais ma voix, parce que je suis aussi avare que qui que ce soit du sang belge ; mais un pressentiment effrayant et confus me fait croire que le prince n'acceptera pas la couronne. Le refus me paraît certain, à moins d'acceptation directe ou indirecte de protocoles spoliateurs ; c'est vainement que l'on se berce de l'espérance que (page 240) l'élection du prince de Saxe-Cobourg disposera la conférence à quelque concession.

Le refus du trône parle prince de Saxe-Cobourg nous forcera de faire la guerre dans quelques mois : alors que l'enthousiasme de notre armée sera refroidi et que l'intempérie des saisons favorisera nos ennemis.

C'est donc par la guerre immédiate que le gouvernement de la Belgique doit se fortifier, que nous devons nous faire hommes libres, nation, corps politique. Aujourd'hui le sentiment de liberté a pénétré dans l'âme du Belge, il est animé de cette ardeur d'indépendance et d'une énergie irrésistible, mais sa longanimité est poussée à bout ; il est plus que temps d'abandonner le chemin tortueux de la diplomatie, et malédiction au ministère s'il laissait flétrir l'honneur national et s'il prêtait la main aux infamies des protocoles, au lieu d'adopter une politique digne du peuple belge !

La guerre est donc une condition inévitable de popularité, d'existence ; une mesure énergique, c'est quelquefois de la prudence. Soyons tous Belges comme les Polonais sont tous Polonais ; et nous saurons tous, s'il le faut, combattre et mourir pour la patrie.

L'ennemi est près de nous ; 4000 arpents de terre viennent encore d'être inondés près de Lillo, et les dommages commis depuis quelque temps dans nos polders s'élèvent à plus de trois millions. Nos soldats et nos volontaires sont pleins d'ardeur et de courage ; soutenons avec le canon nos droits et notre territoire, et puisque l'on nous y force, prenons l'initiative dans cette guerre, qui peut-être embrasera l'Europe entière. Si nous succombons dans la lutte, le nom belge ne sera pas, comme celui de Napolitain, une atroce injure ; il ne signifiera pas lâche dans toutes les langues de l'univers.

Suivons donc la bannière de la liberté et de la civilisation, et périssons les armes à la main, plutôt que de nous avilir à aller mendier notre indépendance dans les cabinets étrangers. (I., 4 juin, et C., 5 juin.)

M. le président – Voici une proposition dont je vais donner lecture :

« Les soussignés, membres du congrès national, ont l'honneur de proposer le choix d'un chef indigène.

« D. DEHAERNE, SERON, ROSSEEUW, EUGÈNE DE SMET, DE ROBAULX, D'ELHOUNGNE, L. BEAUCARNE, CAMILLE DE SUET, TEUWENS, BLARGNIES, CHARLES COPPENS, VAN MEENEN, VAN DE KERCKHOVE , VAN DER LOOY. » (C., 5 juin, et A.)

- Un léger débat s'engage pour savoir si cette proposition sera développée. (I., 5 juin.)

M. le président – M. Seron vient de nous donner les développements ; ce serait interrompre l’ordre jusqu’à présent que d’entendre un nouvel orateur. (E., 5 juin.)

M. Seron – J'ai fait connaître les motifs de mon vote contre le prince de Saxe-Cobourg, mais je n'ai pas parlé pour d'autres. (E., 5 juin.)

M. Van Meenen fait observer que la proposition rentre essentiellement dans la discussion à l'ordre du jour et n'a pas besoin de développement ; les orateurs qui seront entendus seront libres de la soutenir comme de la combattre. (I., 5 juin.)

M. Van Snick pense que, sous tous le rapports, la candidature du prince de Saxe-Cobourg est la meilleure que l'on puisse proposer. Cette candidature présente des garanties à la Belgique sous le rapport commercial, en ouvrant les ports de l'Angleterre au commerce belge ; sous le rapport des libertés, parce que le prince, ayant longtemps vécu en Angleterre, sait apprécier tous les avantages du système représentatif. Sous le rapport religieux, si on a avancé qu'un prince protestant ne pouvait pas régner en Belgique, cet argument a peu touché l'orateur, parce qu'il croit que nous sommes arrivés à un temps où on ne demande plus à un homme quelle est sa croyance, mais quelle est sa conduite. (I., 5 juin.)

M. Le Bègue – Je voterai pour le duc de Saxe-Cobourg, pour les raisons qui ont été développées par l'honorable M. Van de Weyer. Je ne les répéterai point ; mais je dois à mes concitoyens d'expliquer la pensée qui guide mon vote. Convaincu par les lumineuses discussions que M. Beyts a soumises à l'assemblée, je persiste à croire sincèrement que la rive gauche de l'Escaut fait partie intégrante de la Belgique. Telle a été d'ailleurs ma pensée lors de la discussion de l’article premier de la constitution. Ainsi, je le déclare expressément et afin que notre silence ne puisse être interprété contre nous, en votant pour le prince Léopold, j'entends que la rive gauche de l'Escaut soit textuellement comprise dans le serment qu'il fera de maintenir l'intégrité du territoire. (E., 5 juin.)

M. Fransman renonce à la parole. (C., 5 juin.)

M. Charles Rogier – Messieurs, après de mûres réflexions et, je l'avouerai, après plus d’un combat intérieur, je me suis associé au vote qui décide qu'avant de recourir de nouveau à la force pour en finir avec la Hollande, le gouvernement (page 241) belge tentera, pour un temps très court, la voie des négociations. Partageant de même l'opinion que l’élection du prince de Saxe-Cobourg est le plus sûr moyen, sinon le seul, d'assurer le succès, fort incertain d'ailleurs, de ces négociations, je crois être conséquent en lui donnant ma voix ; je me hâte toutefois d'expliquer mon vote avec modération et sincérité.

Je reconnais d'abord qu'il y a peu de bonnes dispositions dans la majorité de la conférence, pour nous autres Belges. Sans parler des arrière-pensées que j'ai bien de la peine à ne pas soupçonner chez tels et tels qui se disent nos amis, il serait trop naïf de notre part de penser que la Prusse, l'Autriche et la Russie, par exemple, aient la courtoisie d'arranger, par amour pour nous, nos affaires à notre plus grande satisfaction et gloire. Il serait surtout prodigieux que la conférence le fît avant d'avoir reçu de notre part, j'entends de la part du congrès, je ne dirai pas une espèce d'avance quelconque, mais pas même des propositions d’arrangement. Tout ce qu'elle a reçu de nous, ce sont des restitutions, des protestations, sans parler du reste. Dieu seul sait ce que cette pauvre conférence a recueilli depuis six mois d'injures et de malédictions. Pour moi, j'en croyais le dictionnaire épuisé, et résumant en moi-même tout ce qui en avait été dit, je me représentais, avec beaucoup d'excellents citoyens, la conférence comme une sorte de vampire enfantant des monstres, vulgairement connus sous le nom de protocoles, quand un orateur, au patriotisme duquel je me plais d'ailleurs à rendre hommage, découvrit hier que ce n'était pas cela, mais que la conférence n'était autre chose que le choléra morbus.

Dieu me garde de me porter fort pour la conférence ; mais je laisse à juger jusqu'à quel point toutes ces politesses sont politiques ; et comment tout cela est reçu à Londres. Je ferai observer que si nous avons, nous, notre fierté qui se révolte à la moindre apparence d'insulte à notre caractère national, il est peut-être permis aussi aux représentants de cinq puissances qui tiennent quelque place en Europe, d'avoir leur fierté vis-à-vis de nous, fussions-nous hauts de dix coudées.

Je ne pense pas que les difficultés attachées aux négociations qui vont s'ouvrir tiennent précisément à des questions de forme. J'y vois des obstacles plus réels, plus sérieux. Toutefois, quand la Belgique s'humaniserait un peu pendant quelque temps, quand elle n'arriverait pas à la conférence la menace au poing, et l'injure à la bouche, je ne vois pas en quoi nos affaires en iraient plus mal. Est-il bien démontré que cette conférence soit à tout intraitable ? Croit-on ses menaces sans retour, et ses arrêts sans appel ? Ne croit-on pas qu'avant d'en venir à des mesures extrêmes, avant de se jeter dans les hasards d'une intervention armée, elle y songera à deux fois ?

Et déjà, quoi qu'on en dise, ne la voyons-nous pas céder en plusieurs points, et reculer devant son propre ouvrage ? N'en avons-nous pas la preuve dans ces fameux protocoles dont on fait si grand bruit ? Il n'y a pas à s'y tromper. Le protocole n° 22 devait nous être notifié le 1er de juin ; la communication officielle en avait été ordonnée ; nous voilà au 3 et il n'y a pas eu de notification de protocole. Je me trompe, messieurs, un de nos honorables collègues nous en a notifié deux le 1er de juin ; mais à moins que M. de Robaulx n'ait été choisi par la conférence de Londres pour son agent officiel, ce qui ne me paraît pas infiniment probable, je soutiens qu'en dépit de toutes les menaces et de tous les ordres, il n'y a pas eu chez nous, le 1er juin, de notification officielle.

Ce radoucissement de la diplomatie, le devons-nous plus aux dispositions belliqueuses, qu'aux intentions conciliatrices qu'on lui a fait voir ? je ne sais : toutefois, en vous proposant d'appeler au trône belge un nouveau candidat qui ne lui est pas désagréable, je ne viens pas vous demander de vous humilier devant la conférence. Ce serait, sans vous lier en aucune manière, ni à elle ni à ses protocoles, une simple démonstration qui témoignera du moins aux yeux de l'Europe de vos dispositions à une conclusion pacifique de vos affaires, sans ralentir toutefois nos préparatifs d'agression contre la Hollande.

En prenant un prince d'assez haute lignée pour être admis sans répugnance dans la famille des rois européens, un prince qui, par sa position et son caractère, n'alarme sérieusement la sécurité d'aucun peuple, ni d'aucun trône, vous faites preuve de votre bonne envie d'en finir à l'amiable, et vous associez à votre révolution une grande existence sociale, capable, on me l'accordera, d'en favoriser l'issue comme d'en consolider le résultat.

Je n'examine point les qualités du prince en lui-même. Pour ma part, je ne me sens pas épris d'une vive sympathie pour sa personne ; on sait de quel côté sont mes goûts, pour qui mes affections ; et ce n'est pas sans un grand regret que je vois que la force des choses m'oblige à y renoncer. Mais des amis en qui j'ai confiance me le donnent pour homme de sens, de bonnes manières, et de mœurs douces ; aimant les arts, comprenant la situation du pays. En voilà assez pour un roi (page 242) constitutionnel avec des institutions républicaines.

Je ne me suis pas, il est vrai, informé s'il hantait les temples ou les églises, mais comme j'entendis naguère un respectable ecclésiastique de cette assemblée s'écrier, avec beaucoup de gaieté et de bon sens, que fût-il né Turc, il ne s'en soucierait, la constitution étant là pour le mettre à la raison ; dès lors je me rassurai, et j'applaudis plus que jamais aux principes de l'union qui, franchement comprise, se reconnaît à un tel langage, et ne peut continuer de vivre qu'à ce prix.

Je disais donc que je voyais dans l'élection du prince proposé une chance favorable de terminer la révolution sans nouveaux combats, c'est-à-dire sans nouveaux périls, peut-être pour elle. Je crois qu'en effet le prince, si le trône de la Belgique a quelques attraits pour lui, fera ce qu'il pourra pour faciliter une prompte solution des questions et pour arriver chez nous sous de bons auspices. Ai-je besoin d'ajouter que je ne le veux qu'aux termes et sous les conditions posées dans notre constitution ; et que le supposer arrivant ici avec un démembrement de territoire pour toute dot, me semble une idée digne de ces hauts politiques qui nous le donnent sérieusement pour un préfet de l'Angleterre, un lieutenant de Wellington, que sais-je enfin ? un agent de Luther.

J'ai dit les avantages, et sans les exagérer, sans me dissimuler l'incertitude du succès.

Où sont les inconvénients ?

L'humiliation d'un refus. On a fait sonner bien haut ce mot-là. Quand la révolution, représentée par dix membres du congrès, alla à la face de l'Europe, s'asseoir à la table du roi des Français, et s'en vint nous rapporter l'expression de ses regrets, de sa reconnaissance, il y avait loin de là au mépris, et j'ai cru comprendre, pour ma part, que si alors il y avait humiliation de quelque côté, ce n'était pas du côté de ceux qui revenaient à Bruxelles.

Croit-on qu'aujourd'hui ce serait dédain de nous, mépris de la Belgique, qui empêcherait l'acceptation ? Ah ! messieurs, gardez-vous de le penser : si la couronne de la Belgique éprouve un nouveau refus, ce n'est pas qu'elle ne soit d'aucun prix ; c'est qu'elle porte écrite en lettres bien visibles : Gare à qui la touche ! c'est que les intérêts de tous les rois et de tous les peuples semblent s'y rattacher.

Mais ce seront de nouveaux retards et des retards sans fruit ?

Je sais que telle est l'impétuosité de certaines ardeurs belliqueuses, qu'elles ne donneraient au congrès ni heure ni repos qu'il n'ait déclaré la guerre ; pas le moindre répit au gouvernement, qu’il n'ait crié : Marche ! sans même prendre le temps de s'informer s'il est prêt à marcher.

Messieurs, je respecte beaucoup cette chaleur guerrière, j'y applaudis d'autant plus, que ceux qui nous échauffent de leurs discours, je n'en fais nul doute, sauront aussi, quand viendra le jour de l'action, nous échauffer de leur exemple.

Que l'armée soit impatiente de combattre, que jeunes et vieux soldats aspirent au moment de courir des dangers communs, de parer d'une gloire nouvelle et commune le drapeau révolutionnaire ; que dans la nation mille cris de guerre s'échappent et mille bras se lèvent tremblants d'impatience, de colère, je le conçois ; et, l'avouerai-je ? ces mouvements d'entraînement, bien souvent celui qui s'efforce de vous parler ici avec calme s'y associe de toute son âme.

Mais enfin, membres du congrès, législateurs, ayant entre les mains la destinée de tout un pays, j'ai toujours cru que notre rôle à nous était de joindre au courage qui résiste, à l'ardeur qui entreprend, la prudence qui prévoit et prépare.

Vous avez fixé le délai d'un mois avant d’en venir à un parti extrême et définitif.

Faites continuer les préparatifs avec une nouvelle activité. Poussez-y de toute votre influence et de tout votre pouvoir et en même temps que nous armons, notifions à la Hollande notre ultimatum, en lui présentant le choix entre le glaive et l'olivier.

J'espère, messieurs, qu'à cet égard un mois de délai ne paraîtra pas trop long même aux plus pressés : je sais qu'il est passé comme en proverbe que le provisoire nous tue ; sans parler du marasme dans lequel nous nous débattons péniblement ; mais je sais aussi, messieurs, que voilà six mois qu'on nous dit cela, et que si le provisoire nous tue, c'est d'une mort bien lente, et, avouons-le, pas trop cruelle.

Je me rappelle que déjà avant l'hiver on nous prédisait des malheurs affreux, une épouvantable misère, jusque-là que je n'étais pas trop sûr de ne pas nous voir dévorer les uns les autres : messieurs, l'hiver s'est passé ; et jamais moins de crimes, jamais moins de vols n'ont occupé la justice, et tout le monde a vécu, et le provisoire n'a tué personne. Prenez bien garde, messieurs, de trop rembrunir notre situation, réservons nos douleurs pour des temps peut-être plus malheureux.

Gardons-nous de prendre notre fatigue, notre impatience, pour la fatigue et l'impatience publiques : que le gouvernement ne se manque pas à (page 243) lui-même ni à la nation ; qu'il comprenne sa force ; le pays ne demande qu'à être gouverné ; et je le crois, quant à moi, capable de résister longtemps encore à ce marasme où l'on nous dit qu'il se débat et meurt.

Dans tous les cas, si le provisoire nous tue, je ne vois pas qu'il traite beaucoup mieux la Hollande. Je crois même que les retards que nous mettons à reprendre les hostilités sont déjà la guerre pour ce pays ; que si moins de cris de détresse s'échappent de son sein, c'est qu'elle a sans doute cette fierté bien entendue qui lui défend de se montrer à ses ennemis en si piteux état. Enfin, ne nous le dissimulons pas, s'il y a dans le pays une opinion active, audacieuse, par conséquent puissante et destinée sans doute à triompher, qui veut la guerre, il y a aussi une opinion respectable, qui veut la paix ; je n'en donne pour preuve que ce que nous voyons au congrès.

Quand, par un nouveau délai, des apaisements auront été donnés à cette opinion ; quand elle ne verra plus d'autre issue, d'elle-même elle viendra se rallier à l'opinion de la guerre, et c'est alors que cette guerre sera vraiment nationale. Après avoir donné, et à l'extérieur et à l'intérieur, ces gages de notre amour pour la paix, nous pourrons commencer avec confiance, sans arrière-pensée, une guerre destinée à devenir européenne. Alors il n’y aura pas de Belge un peu généreux qui ne se jette dans le mouvement, alors un chef indigène nous guidera peut-être ; mais alors aussi, je le dis sans détour aux amis d'une patrie belge, non pas plus sincères mais plus passionnés que moi : Dieu sauve l'indépendance de la Belgique ! (I., 5 juin.)

M. Camille de Smet – Au point où est parvenue la discussion, qui enfin est ouverte depuis trois jours, après les discours en sens contraire de MM. Seron et Van de Weyer, je renonce volontiers à dire ce qui déjà a été dit à satiété, et si je dis quelques mots, c'est pour justifier mon vote négatif, basé sur la continuation des négociations, et sur mon vif désir de voir commencer une guerre pour laquelle nous avons une armée courageuse, qui pourra laisser sur leurs bancs les législateurs qui rendent aussi au pays des services.

Je serai donc court, et très court, et en ceci je n'imiterai pas la diplomatie.

J'aurais désiré que la proposition de M. Blargnies eût été adoptée ; après six mois d'attente, j’aurais désiré attendre encore quelques jours, afin de savoir positivement si c'est le code brutal de la force que l'on veut employer contre nous ; mais l'assemblée en a décidé autrement, et peut-être aujourd'hui même, par un décret, nous allons faire passer la Tamise à notre couronne, déjà une fois répudiée.

Quoi qu'il en soit, je n'aurais pas hésité à donner ma voix à un prince dont nos commissaires à Londres ont fait un portrait si flatteur, et j'espère si mérité, si les derniers protocoles et le silence des ministres, que je ne veux pas qualifier, ne m'avaient enfin fait ouvrir les yeux sur la marche non douteuse de la conférence de Londres.

Aujourd'hui, messieurs, c'est la guerre, et la guerre immédiate contre la Hollande que je réclame ; nous publierons à la face du monde que nous ne voulons que nos limites, telles que nous les avons fixées par la constitution, nous fondant d'une part sur l'insurrection, de l'autre sur les traités.

De deux choses l'une, ou conquérir quelques villages et deux de nos villes est un motif suffisant pour exciter une guerre européenne ; ou il ne l'est pas.

Dans le premier cas, ce que nous ne pourrons acheter qu'après avoir écrasé les quatre grandes puissances nous ne l'achèterons pas avec des traités ; et cependant, messieurs, hier encore ne venons-nous pas de décider que vous ne souffrirez pas, même temporairement, une garnison étrangère à Maestricht, et je ne pense pas que ce que vous avez décidé à la presque unanimité, soit une bravade digne de figurer à côté du fameux message qui nous défendait d'exclure une famille dont le nom est associé à quinze années d'humiliations ; ou bien à côté du fameux message de notre ministre des affaires étrangères, message plein de dignité, de modération et d'énergie à la fois, qui, parce qu'il n'a eu aucune suite, n'est plus qu'une vaine et ridicule parade.

Dans le second cas, la nation hollandaise, que je ne confonds pas avec son gouvernement, saura bien forcer le roi Guillaume à traiter, certaine qu'elle est que nous ne voulons que nos limites et les relations de bon voisinage avec une nation lui aussi a combattu pour sa liberté.

Par la guerre, enfin, nous saurons si nous sommes mystifiés, et sans regarder ce mot magique de mystification comme un mot sacramentel qui a fourni à deux honorables membres l'occasion de faire briller le mordant de leur esprit, je crois à la mystification, mais je ne la craindrais pas si elle n'était que personnelle, comme paraissent le craindre pour eux les deux honorables membres dont je viens de parler.

Cette mystification, je la crains pour mon pays, qui, aujourd'hui les armes à la main, peut obtenir les bases d'un traité que nous pourrons accepter (page 244) sans rougir, je la crains pour mon pays, qui ne pourra pas aller cacher son dégoût des affaires dans les salons lointains et sur la terre étrangère.

Je voterai donc contre le prince de Saxe-Cobourg, parce que l'assemblée n'a fixé aucun terme à l'acceptation, et que je suis intimement convaincu que toutes les négociations ne tendent qu'à éteindre le feu sacré du patriotisme, qui, s'il n'est mort, ne sera pas loin de l'être quand les négociations auront atteint leur fin et leur but, c'est-à-dire, sinon une restauration de dynastie, au moins une restauration de principes de la Sainte-Alliance. (E., 5 juin.)

M. Jaminé – Messieurs, je serai court et très court. Je me suis opposé autant qu'il a été en moi à l'ouverture des négociations. Hier la majorité en a décidé autrement. Cependant je viens déclarer que je voterai pour le prince de Saxe-Cobourg, et je déduirai les motifs de mon vote afin de ne pas être accusé de versatilité. Je ne suis pas versatile, messieurs, et pourquoi le serais-je ? je suis indépendant et sans ambition. Je suis avocat de province et je le resterai. En votant pour le prince de Saxe-Cobourg, je fais une concession à la majorité du congrès, concession du reste dont je m'emparerai le 30 juin. Si, comme on l'a dit, le prince tient à avoir une forte majorité, je lui donnerai ma voix, parce que je ne veux pas qu'un jour on puisse me reprocher de la lui avoir refusée. Je le déclare, je voudrais qu'il y eût unanimité dans le congrès pour son élection, et je voudrais aussi que nous fussions unanimes au 30 juin pour mettre un terme aux négociations. (I., 5 juin.)

M. Jean Goethals vote en faveur du prince de Saxe-Cobourg, dans lequel il met la plus grande confiance, connaissant ses nobles antécédents et sa conduite honorable dont il a donné beaucoup de preuves notables. (I., 5 juin.)

M. Van Meenen ne croit pas qu'il y ait lieu de procéder à l'élection immédiate, et demande que l'élection soit renvoyée au 30 juin, et lorsque le résultat des négociations sera connu. Si l'élection était immédiate, l'honorable membre voterait pour un prince indigène. (I., 5 juin.)

M. Drèze prononce un discours contre la candidature du prince de Saxe-Cobourg. (I., 5 juin.)

M. Delwarde pense qu'entourer l'élection de trop de précautions, ce serait provoquer un refus. Les négociations, dit-il, auxquelles on s'est déterminé ne lient le congrès que pour un temps très court, il sera le maître d'y mettre un terme quand il voudra. On craint qu'il n'accepte pas et l'on ne produit rien qui prouve formellement qu'il est décidé à accepter la couronne. Mais indépendamment de la lettre de lord Ponsonby, qui donne lieu de l'espérer, le prince se trouve dans une position délicate ; il ne peut pas accepter en effet une couronne qu'on ne lui a pas encore offerte. L'honorable membre votera donc pour le prince de Saxe-Cobourg. (I., 5 juin.)

M. Destouvelles – Messieurs, vous n'avez peut-être pas oublié les motifs de mon opinion en faveur du prince de Saxe-Cobourg ; je vous les fis connaître dans mon discours d'avant-hier, et mes arguments n'ont pas été détruits par les orateurs qui ont parlé depuis ; je n'y reviendrai pas. Mais je crois indispensable de vous présenter quelques réflexions en réponse aux arguments de l'honorable M. Van Meenen. Vous avez décrété hier, a-t-il dit, que des négociations seraient entamées ; je juge prudent d'ajourner l'élection jusqu'au terme fixé pour ces négociations. Un seul mot, messieurs, va détruire et le principe posé par M. Van Meenen et les conséquences qu'il en a déduites. Vous avez ouvert des négociations, dit-on : j’en conviens, mais pour négocier il faut un négociateur. Or le négociateur, c'est le prince de Saxe-Cobourg ; c’est notre négociateur unique ; nous n'en avons pas d'autre, puisque nos négociateurs envoyés à Londres à diverses reprises n'ont jamais été admis par la conférence. L'article premier du projet adopté hier me semble donc essentiellement lié aux autres. Sans l'élection, l'article du projet demeurerait stérile ; vous n'auriez posé dans cet article que le germe des négociations, mais ce germe ne porterait aucun fruit si vous n'aviez pas celui qui seul peut développer ce germe.

Vous n'avez pas fixé de délai pour la prestation du serment, vous vous mettez ainsi, dit-on, à la discrétion du prince de Saxe-Cobourg. Vous n'avez pas fixé de délai ? Moi-même je m'y suis opposé, messieurs, parce que je ne trouvais pas cette fixation de délai, qui n'était pas selon moi en harmonie avec les convenances que nous devons observer vis-à-vis d'un prince de notre choix. S'ensuit-il que je mette mon pays à la discrétion du prince, qu'il lui soit loisible de perpétuer notre malaise ? non ; et je le déclare, ce que j'ai fait supprimer par sentiment des convenances, je le provoquerai le jour où je le croirai nécessaire, et je saurai concilier ainsi et ce qu'exigent les convenances et ce que demande l'intérêt du pays : nous sommes une cour souveraine, comme l'a dit M. Van Meenen avec raison ; ce à quoi nous avons renoncé, nous pouvons le ressaisir quand nous voudrons. Si les négociations se prolongeaient trop, nous dirions au prince : « Le peuple souffre, il ne peut plus (page 245) rester dans l'incertitude. » Le prince alors regarderait comme un devoir de faire cesser cette attente ; nos commissaires le supplieraient de se prononcer, et ce serait pour le prince une injonction devant laquelle il ne reculerait pas. Remarquez, messieurs, qu’ici il n'y a pas de contrat qui nous lie. Le contrat synallagmatique que nous voudrions conclure entre le prince de Saxe-Cobourg et nous ne sera formé que par l'acceptation ; tant que l'acceptation n'aura pas eu lieu, nous sommes libres de le rompre. Je crois donc, messieurs, que les terreurs mises en avant sont des terreurs imaginaires. Le décret que vous avez hier devient inutile, si, comme je l'ai dit tout à l'heure, pour vos négociations vous n’avez pas de négociateur. Quant à ce qu'on a dit de l'abandon des questions territoriales, est-ce bien sérieusement, messieurs, qu'on suppose au congrès une pareille intention ? Mais on nous accuse là d'un crime ! non, nous ne donnons à personne le droit de faire cet abandon. Nous avons donné au gouvernement le droit de négocier, mais nous nous sommes réservé d'approuver ou de rejeter les négociations ; et si nous voyions que les négociations ne conciliassent pas nos intérêts avec l’honneur et la dignité du peuple belge, nous aviserions aux moyens de prendre d'autres mesures.

(Après un court résumé, l'orateur déclare qu'il votera pour le prince de Saxe-Cobourg.). (I., 5 juin.)

M. l’abbé Andries – Messieurs, en politique, mon symbole c'est la constitution, et comme le chef de l’Etat ne stipule rien par rapport à la religion que le chef de l'État doit professer, je ne suis pas plus exigeant qu'elle, et je crois même que c'est une marque de haute sagesse que de ne rien exiger sous ce rapport. La liberté des cultes est sacrée pour tous les Belges, pourquoi ne le serait-elle pas pour le roi ? Je donne mon vote au prince Léopold, parce que j'y trouve une garantie de paix ; je regarde ce choix comme une dernière tentative pour éviter la guerre, tentative qui peut être couronnée de succès, et que pour cela seul ma conscience me défend de repousser. Non pas que je veuille la paix à tout prix ; non, messieurs, je ne recule pas devant la guerre : jamais on n'obtiendra de moi le sacrifice d'un pouce de territoire ; et si la conférence reste inexorable, si elle veut notre déshonneur et nous faire trahir nos frères, qu'elle sache qu'alors l'indignation poussée à bout fera de notre nation un peuple de héros. Non, messieurs, le Belge ne se déshonore pas, et si la guerre doit éclater, alors le clergé belge en particulier montrera de nouveau combien la patrie lui est chère et de quels immenses sacrifices il est capable pour la sauver. Donnons-nous le mot, messieurs, pour le 30 juin, et alors le pays jugera si notre patriotisme est mort. (I., 5 juin.)

M. l’abbé Boucqueau de Villeraie – Les questions importantes qui nous occupent ont été traitées avec tant de talent par les orateurs qui m'ont précédé, que mon intention n'était pas de prolonger la discussion en prenant la parole. Mais un honorable membre (M. l’abbé Dehaerne) qui porte le même costume que moi a émis quelques assertions qu'en ma qualité de membre du clergé belgique je ne puis me dispenser de relever.

Cet honorable membre a prétendu et affirmé que l'opinion catholique, l'opinion des masses, l'opinion de la nation entière se prononçait contre la candidature du prince de Saxe-Cobourg, et il a ajouté que si jamais il y eut une opinion unanime, c'était celle-là.

Et moi, messieurs, je dis et j'affirme sans crainte de me tromper que si jamais il y eût dans le monde une assertion fausse et erronée, c'est celle énoncée par l'honorable membre auquel je réponds.

C'est une contre-vérité évidente pour tous ceux qui connaissent l'état de l'opinion publique en Belgique de dire qu'à cet égard le peuple pense et sente autrement que ses représentants.

Et en ceci je ne sépare certainement pas l'opinion du clergé en général de celle de la nation.

La nation aspire à la conservation de la paix, et elle regarde la combinaison de Saxe-Cobourg comme une garantie de cette conservation.

La nation, du moins l'immense majorité du peuple belge, envisage la candidature de ce prince comme la dernière planche de salut qui nous reste pour échapper au naufrage, et sortir de l'état aussi insupportable que dangereux dans lequel nous nous trouvons ; comme le moyen le plus probable de nous garantir des malheurs politiques qui nous menacent et nous pressent de tous côtés, c'est-à-dire de l'anarchie sous le nom de république, et de la perte de nos plus précieuses libertés, surtout de nos libertés religieuses par une réunion plus ou moins prochaine de la Belgique à la France ; enfin de la guerre et de ses horreurs, et de tous les maux qu'elle entraîne à sa suite.

Nul doute, messieurs, qu'en thèse générale les catholiques ne préférassent avoir un catholique pour souverain, et cette préférence est très naturelle. Ce désir est l'effet tout rationnel de leur (page 246) attachement à leurs principes religieux et de leur persuasion intime que leur religion est la meilleure, la seule véritable, et propre à assurer le bonheur de l'homme dans cette vie et dans l'autre ; et il est dans l'ordre des affections du cœur humain de souhaiter que le prince sur lequel on est appelé à faire reposer ses affections et l'amour que des sujets doivent à leur souverain jouisse lui-même de ce qu'ils regardent comme leur plus grand bien moral, et qu'ils placent au-dessus de tous les avantages possibles.

Mais ce désir d'avoir un souverain catholique n'est pas tellement prépondérant chez eux qu'ils ne conçoivent qu'il peut y avoir des circonstances politiques telles, qu'ils soient obligés, et pour le salut de la patrie, et, ce qui est plus fort encore, pour le bien même de leur religion, d'y renoncer.

Or, c'est précisément le cas où se trouvent en ce moment les catholiques de la Belgique. Par un concours de circonstances diverses et du croisement des événements politiques, le pays est arrivé à un tel point de crise, que non seulement tous leurs efforts pour obtenir un prince catholique seraient vains et inutiles, mais, bien plus, qu'il ne leur reste d'autre ressource efficace, pour éviter les plus grands maux, que de donner les mains à une combinaison opposée et même de faire tous leurs efforts pour qu'elle réussisse, et que dans leur situation ils doivent regarder comme un malheur pour eux et pour leur religion si cette combinaison venait à manquer.

Je le déclare ici franchement, catholique de cœur et d'âme, jamais je n'aurais voté pour le prince de Saxe-Cobourg, jamais je n'appuierais la nomination d'un souverain non catholique, si ce n'était pour éviter à ma patrie et à ma religion elle-même les grands malheurs dont je les vois menacées, et que j'aperçois au delà de la combinaison du prince de Saxe-Cobourg, si elle vient à manquer.

Ce n'est donc pas cette combinaison en elle-même qui me rit ni qui me plaît, non ; et j'avoue ici qu'il est dur pour un véritable catholique, et surtout pour un prêtre, de travailler à placer la couronne de son pays sur la tête d'un prince luthérien et de remettre les destinées de son pays tout catholique entre les mains d'un souverain non catholique, entre lequel et lui il ne pourra exister aucune communauté de croyance de sentiments religieux.

Quoi ! j'aurai gémi, avec tous les catholiques, pendant les quinze mortelles années du règne de Guillaume Ier, de toutes les persécutions sourdes, de toutes les atteintes à nos droits religieux que ce prince a portées au catholicisme, à la liberté et à la pureté de l'enseignement clérical ; je me serai écrié mille fois que tous nos malheurs provenaient de ce que la force nous avait imposé un monarque profondément hostile à tout ce qui tenait au catholicisme, un monarque qui ne s'entourait que des plus grands ennemis de l'opinion catholique, ou du moins qui n'écoutait qu'eux, et dont le principal ministre avait annoncé, dés les premiers temps, le projet de décatholiser la Belgique dans le terme de dix ans ; j'aurai hâté, et par mes vœux les plus ardents et par toutes les démarches que la constitution autorisait, le renversement de ce système de persécution sourde, et par cela même d'autant plus perfide, organisé contre le catholicisme par le précédent gouvernement, et travaillé de toutes mes forces à l'empêcher de réaliser ses projets hostiles contre nous ; et aujourd'hui que, grâce à l'énergie nationale, nous avons réussi à nous délivrer du joug insupportable de ce prince anticatholique, je me verrai au point de voter pour reprendre un autre souverain non catholique, et faire monter de nouveau sur le trône de mon pays un prince protestant !

Eh ! quelle est donc la destinée des faibles humains ! Y a-t-il un génie qui se joue de leurs projets, de toutes leurs conceptions et de leurs prévisions ?

Comment, moi, prêtre catholique, moi qui fais ma gloire et mon bonheur de l'être, qui mainte fois ai annoncé, propagé, soutenu dans la chaire les principes de l'Église catholique, je vais voter l’élection d'un prince protestant, je vais l'appeler à gouverner mon pays tout catholique !

Eh bien, oui, messieurs, je ne recule pas devant ce changement, je ne recule pas devant ce vote ; je dirai plus, c'est que je le regarde comme une des bonnes actions de ma vie et que j'ai la conviction intime de pouvoir le justifier devant Dieu, lorsque je comparaîtrai au tribunal du Juge éternel.

Je dirai quelque chose qui peut-être étonnera, c'est que je ne voterai pour le prince de Saxe-Cobourg que par un motif de religion, par attachement pour la religion catholique ; je voterai pour lui avec l'intime persuasion de rendre à mon pays, à mes concitoyens et, bien plus, à ma religion elle-même, le plus grand service que je puisse dans ce moment lui rendre. - Et je m'explique.

Malgré mon profond respect pour le roi des Français, et malgré ma reconnaissance de l'accueil (page 247) infiniment gracieux dont lui et son auguste famille m’ont honoré, ainsi que tous mes collègues, je ne puis me cacher à moi-même que la situation de la religion et du clergé catholique en France est si cruelle, que ce serait le plus grand des malheurs pour nous, sous les rapports religieux, d’être réunis d'une manière quelconque à la France, et de voir s'étendre sur la Belgique, essentiellement catholique, le tableau des lois antilibérales et des règlements oppressifs qui en France pèsent sur les catholiques.

Il ne faut pas un grand effort d'esprit ni de prévision pour nous persuader qu'une telle réunion serait le coup de grâce de toutes nos libertés religieuses et la destruction complète de tout ce qu'il y a de favorable à ces libertés dans notre constitution belge ; alors adieu l'indépendance de la Belgique et du pouvoir civil ! adieu l'exercice libre et public du culte, et la non-intervention dans les nominations des ministres ! adieu la liberté de l'enseignement, si nécessaire à la conservation de la pureté de nos doctrines catholiques !

Eh ! messieurs, peut-on concevoir, pour nous catholiques, un avenir plus fatal (je parle toujours sous les rapports religieux) que d'être réunis à un pays où le peuple démolit de ses propres mains les temples du Très-Haut, renverse le signe auguste de la rédemption partout où il s'offre à ses regards ; où les ministres de la religion sont obligés de se déguiser, et d'abdiquer tout costume ecclésiastique pour échapper aux regards persécuteurs et aux mauvais traitements, de qui ? de leurs propres fidèles ! où des mains catholiques vont renverser les habitations des premiers pontifes ((Note de bas de page : L'orateur fait ici allusion aux scènes de désordre qui se passèrent à Paris au mois de février 1831. Il fut témoin des dévastations de l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois et de l'Archevêché ; insulté dans les rues de Paris, parce qu'il portait l'habit de prêtre, il n'échappa aux violences de la populace qu'eu s'écriant qu'il était Belge, et en montrant sa cocarde.On sait qu'il faisait partie de la députation du congrès chargée d'offrir la couronne au duc de Nemours) et détruire les séminaires où les jeunes lévites apprennent à soutenir la religion et à en propager les utiles vérités ; à un pays où l'instruction se trouve placée sous la main oppressive d'une université illibérale, et livrée aux exigences insupportables d'un odieux privilège et du plus absolu monopole !

Et c'est vers la réunion avec un pays où de telles choses se passent que l'on pousse la Belgique catholique !

Messieurs, est-il étonnant que moi, aux yeux de qui tout ce qui peut contribuer à la conservation de la religion catholique, dans mon pays, est le premier besoin et le plus impérieux des devoirs, je donne les mains à une combinaison qui nous éloigne efficacement d'une telle réunion, d'une réunion aussi désastreuse ?

Mais en parlant ainsi, j'éprouve le besoin de répéter que mon opinion n'est telle que sous le rapport religieux ; car, sous les autres rapports, j'aime la France, j'aime les Français, je les regarde comme la première des nations, comme la nation la plus aimable, la plus spirituelle et celle dont nous devons cultiver l'amitié avec le plus de soins ; mais le bien de ma religion avant tout.

Est-il étonnant, dis-je, que je sois porté pour un prince dont l'élection et le règne seront une protestation continuelle contre l'imputation, qu'on a faite aux Belges, d'aspirer à une telle réunion, et un obstacle des plus forts à ce qu'elle ait jamais lieu ?

J'ai donc eu raison de dire que c'était par esprit de religion, par mon grand attachement pour le catholicisme, que je parlais pour l'élection du prince de Saxe-Cobourg.

Quant à une république, que l'honorable membre auquel je réponds voudrait établir en Belgique, ou au prince indigène qu'il regrette, l'état d'exaltation des partis dans la Belgique et leur opposition est telle, les jalousies particulières sont si vives, que ni l'une ni l'autre de ces combinaisons politiques ne pourraient s'y soutenir ; et qu'avant peu de mois nous tomberions dans une anarchie complète, dans les horreurs de la guerre civile, et que nous serions poussés forcément ou à la réunion à la France ou à une fatale restauration. Or, tout cela serait infiniment désastreux pour la religion.

Et, pour en revenir au rapprochement que j'ai fait entre le prince de Saxe-Cobourg et le roi Guillaume, tous les deux non catholiques, j'ose espérer que nous ne rencontrerons pas deux fois dans notre vie un homme aussi entêté, aussi ennemi de ses propres intérêts, et aussi mal disposé envers ses sujets catholiques, que l'était le roi Guillaume.

D'ailleurs, la différence de position sera grande. Guillaume avait sous son sceptre deux peuples peu sympathisants, dont l'un de sa religion, l'autre d'une religion tout à fait opposée à la sienne ; de là mille occasions d'injustes préférences, d'odieux passe-droits en faveur de ses chers coreligionnaires de la Batavie.

Ici, le prince de Saxe-Cobourg n'aura pour (page 248) sujets qu'un seul et même peuple, ne professant tous qu'une seule et même religion.

Il est indubitable, si ce prince a un peu de bon sens, et on lui en sait beaucoup, qu'il n'ira pas tracasser les Belges ses sujets sur leurs croyances religieuses ; il n'ira pas nourrir l'idée aussi bizarre qu'impolitique de vouloir les décatholiser et les protestantiser, comme son prédécesseur, lui seul de sa croyance, lui seul contre toute la nation.

La différence de position est encore immense à cause de notre nouvelle constitution belge ; elle sera observée, et nos représentants y tiendront la main ; et, si le souverain pouvait être assez inconsidéré pour tenter de tracasser, par rapport à leur religion, des gens qui lui ont donné une si grande marque de leur estime et de leur confiance, que de lui remettre en mains les destinées de leur patrie, un peuple qui lui aura procuré l'avantage de prendre une place honorable parmi les têtes couronnées, il ne le pourrait pas : non, messieurs, il n'y réussirait pas ; les Belges ne sont pas d'avis, ni disposés à se laisser tyranniser une seconde fois.

Mais tout cela n'est nullement à craindre avec le prince Léopold de Saxe-Cobourg. D'après les renseignements que j'en ai, ce prince est un galant homme, un homme d'honneur et de probité, un homme d'une conduite personnelle très morale et d'un esprit libéral ; plein d'estime et de bienveillance pour ses semblables ; n'aspirant qu'à la gloire de contribuer à leur bonheur et à leur amélioration ; ami des Belges, et les estimant d'autant plus, a-t-il dit, qu'il sait qu'ils sont essentiellement religieux, qu'ils sont un peuple moral.

Il a dit que, s'il venait en Belgique, il ne serait ni un prince allemand, ni anglais, ni français ; qu'il serait Belge.

C'est-à-dire évidemment qu'il aurait et adopterait les sentiments des Belges. Or, les Belges sont religieux et attachés à leur culte ; mais ils sont tolérants et respectueux pour toutes les croyances religieuses, et le prince ne le sera pas moins que ses nouveaux sujets.

Enfin si, par une union à laquelle on a fait allusion, il pouvait donner aux Belges la douce satisfaction de voir partager la couronne par une reine de leur croyance, rien pourrait-il être plus heureux, rien pourrait-il manquer à leur tranquillité religieuse et à leur satisfaction ?

Je viens d'examiner la candidature du prince de Saxe-Cobourg sous le rapport des intérêts catholiques : il me reste à ajouter quelques observations sous le rapport politique.

L'honorable abbé Dehaerne, après avoir dépeint le prince comme candidat de la Sainte-Alliance, a fait ensuite, à ce même candidat, un grief de sa déclaration qu'il n'accepterait, dans aucun cas, la couronne que s'il était élu par une grande majorité du congrès national, qui fît connaître l'assentiment général de la nation.

C'est-à-dire, a ajouté l'honorable membre, en interprétant ces paroles, que le prince se réserve par là une belle excuse pour refuser, quand il le jugera à propos.

Il me paraît, messieurs, qu'il y a ici, si je ne me trompe, une contradiction manifeste. D'abord le prince n'a pas besoin de chercher de belles excuses, ni même d'excuse quelconque pour refuser ; cela lui est parfaitement libre, et il n'est nullement obligé d'accepter à ses risques et périls une couronne que bien des gens travaillent à rendre pénible à porter en Belgique, et même à la faire regarder comme un fardeau insupportable, par tous les troubles et les difficultés qu'ils élèvent, dans la vue de rendre toute nomination d’un roi impossible.

Mais cette réponse du prince prouve beaucoup à mes yeux, en sa faveur ; elle est donc une preuve palpable du respect qu'il a pour l'opinion de la nation belge : il ne veut, dans aucun cas, dit-il, régner sur elle qu'avec l'assentiment générale de la nation, manifesté par une grande majorité.

Ce n'est pas là, messieurs, le langage d’un prince qui nous serait imposé ; c'est celui d’un homme qui sent qu'il ne pourra faire le bien qu'autant qu'il sera agréable au peuple qu'il est appelé à gouverner : ce langage prouve que son intention est de prendre pour règle et direction de ses actes les vœux et les désirs de la nation ; que son intention est de gouverner de manière à conserver son estime.

Ces sentiments sont certes infiniment respectables, et font redoubler les espérances que la loyauté bien connue de ce prince est de nature à inspirer à tous ceux qui veulent le bien de leur pays.

Eh bien, messieurs, cette grande majorité du congrès, le prince l'obtient ; nos dernières opérations ont prouvé à l'évidence que, lorsque nous procéderons à son élection, il sera choisi à une immense majorité, et à peu près par les trois quarts. Comment, devant un tel fait, devant un résultat aussi imposant, peut-on avancer que la candidature du prince de Saxe-Cobourg ne rencontrera dans la nation aucune sympathie ?

Eh ! messieurs, je n'ai pas encore entendu dire que le congrès national eût perdu la confiance de la nation ; au contraire, c'est en lui seul que, dans (page 249) ce moment, la nation met toute son espérance pour la tirer de la situation difficile et fâcheuse où elle se trouve.

Je remarque dans le public que tous les incidents qui seraient de nature à empêcher cette combinaison, sur laquelle le congrès a fixé son attention, y excitent la plus grande anxiété, une inquiétude générale parmi les citoyens qui suivent les affaires publiques, tant ils regardent comme une calamité tout ce qui pourrait la faire manquer.

Et ce qu'on a dit de l'absence de sympathie pour le prince me paraît n'être qu'une espèce d'équivoque. J'explique ma pensée.

Certes, puisque nous n'avons eu précédemment aucune relation avec le prince de Saxe-Cobourg, que nous ne l'avons même jamais vu, il n'est pas étonnant que nous n'éprouvions pas encore pour sa personne de sympathie, ni d'affection de cœur ; c’est tout naturel.

Ce sentiment d'affection et de sympathie ne peut être, vis-à-vis d'aucun souverain possible, autre chose que le résultat de ses actes futurs, de sa conduite à notre égard, en un mot de sa manière de régner. Le cœur des hommes ne se donne pas à si bon compte : il n'est dû qu'à des bienfaits.

Mais si l'on demande s'il est vrai que la combinaison de ce prince rencontre de la sympathie, c’est-à-dire si, au milieu de toutes les circonstances de notre situation actuelle, on la désire, on l’approuve, je répondrai assurément : Oui ; je dirai que généralement on l'approuve ; on désire qu’elle réussisse dans le seul moyen qui nous reste de nous constituer définitivement.

Et ceci est vrai par rapport au clergé, ou du moins pour une grande partie du clergé, comme pour les séculiers ; et d'abord, une preuve que cela est ainsi se trouve dans un fait que tout le monde a sous les yeux : il y a au congrès onze membres du clergé, et, sur ces onze députés, il y en a sept qui ont voté dans le sens de la combinaison du prince de Saxe-Cobourg.

Quant à l'ensemble de la minorité contre cette candidature, qui est de quarante à cinquante voix, cette minorité, pour tous ceux qui connaissent le congrès, se trouve composée d'éléments tellement divergents qu'on peut dire qu'elle n'offre pas le tableau d'une fraction de la volonté nationale, mais la représentation de certains systèmes particuliers, qui n'ont pas de racine dans l'opinion générale de la nation ; il y a dans cette minorité trois ou quatre fractions opposées les unes aux autres. Il y a le parti de ceux qui veulent, à tout prix, arriver à une réunion à la France, et certes la nation ne pense pas comme ce parti.

Il y a aussi quelques républicains, et la nation repousse également leur opinion. (Murmures.) (I.,5 juin.)

M. de Robaulx – L'orateur manque à l'assemblée. (E., 5 juin.)

M. Charles de Brouckere – L'orateur dit que dans la minorité se rencontrent des membres qui veulent la réunion ; je... (E., 5 juin.)

- En ce moment le fauteuil est occupé par M. Raikem, premier vice-président. (E.. 5 juin.)

M. le président – A moins que l'assemblée n'en décide autrement, la parole est maintenue à M. Boucqueau. L'orateur ne peut pas être rappelé à la question ; puisqu'il ne s'en est pas écarté. (E., 5 juin.)

- Plusieurs voix – Parlez, M. Boucqueau. (E., 5 juin.) .

- Quelques mots s'échangent entre M. de Robaulx et M. Raikem. (E., 5 juin.)

M. l’abbé Boucqueau de Villeraie, après avoir répété, selon les désirs de l'assemblée, la phrase qui avait soulevé cet incident, continue en ces termes - Je conviens enfin qu'il se trouve des votes négatifs dus à des craintes religieuses, sous le rapport de la différence de religion, et certes ce ne sera pas moi qui nierai combien ces motifs sont respectables en eux-mêmes ; mais je crois que ces honorables collègues portent leurs appréhensions trop loin, et qu'ils ne considèrent pas que dans la situation où nous sommes il y va de l'intérêt même de la religion, de nous mettre par cette combinaison à l'abri des maux, des inconvénients bien autrement graves qui la menacent, et de ce qui arrivera si cette combinaison, la seule praticable maintenant, vient à manquer.

D'après ce qui précède, j'ose dire que la minorité ne représente pas l'opinion publique, l'opinion générale du peuple belge.

Il me reste en finissant à dire quelques mots sur l'inclination témoignée pour le parti de la guerre. Aucune guerre n'est légitime, aucune guerre n'est juste qu'autant que ceux qui la provoquent et la commencent ont fait tout ce qu'il est possible pour l'éviter, et avoir épuisé tous les moyens propres à la détourner. Ceux qui la provoquent et la commencent avant ce préalable sont responsables devant Dieu de tous les homicides qui se commettent dans la guerre, et d'après cela je trouve que comme homme, et surtout en ma qualité de ministre de la religion, d'une religion de paix et qui abhorre le sang, je dois me prononcer contre le parti de la guerre. (E., et I., 5 juin.)

M. Lecocq(page 250) Il m'importe que mes concitoyens connaissent les motifs pour lesquels je vais voter en faveur du prince de Saxe-Cobourg. Je serai bref.

Et d'abord je trouve, moi, dans la combinaison Cobourg tout ce que je trouvais dans la combinaison si politique, si rationnelle, mais si mal comprise alors, du duc de Leuchtenberg.

Or je ne tiens ni au nom ni à la personne : je tiens à la chose.

Maintenant que nous avons fait, bien malgré nous, un long et fastidieux cours diplomatique à nos dépens, il nous reste démontré à évidence qu'après avoir acquitté l'espèce de dette morale dont les puissances se croyaient chargées peut-être envers l'ancienne dynastie, elles s'accordent à reconnaître Léopold pour roi de la Belgique. Si nous l'élevons sur le pavois, Léopold nous apportera donc la paix ; et, à mes yeux, il peut nous créer un avenir.

Mais il faut encore que ce prince nous présente assez de garanties pour nos libertés religieuses et civiles ; assez de garanties pour nos intérêts industriels, agricoles et commerciaux.

Nos libertés religieuses. Je ne me permettrai pas d'ajouter sur ce point à ce que vous ont dit nos honorables collègues, M. l'abbé Andries et M. l'abbé Boucqueau de Villeraie.

Nos libertés civiles. La constitution est là, le dépôt en est confié aux mandataires du peuple, et le prince sur qui nous jetons les yeux est dans les principes de la réforme parlementaire anglaise.

Notre industrie, notre agriculture, notre commerce. Devant un ministère responsable, les affections personnelles du chef de l'État ne peuvent influer en rien sur ces grandes questions d'économie politique. Du reste Léopold n'est pas Anglais, il est Germain, de la même souche que nous, et bientôt il sera Belge comme nous.

Et, messieurs, permettez-moi d'exprimer à ce sujet quelques craintes qui se rattachent à une autre cause : c'est que je crains que le trop séduisant système (parce qu'il est le plus facile) de liberté illimitée commerciale n'ait déjà fait trop de progrès ici, et ne fasse donner la législature dans une erreur aussi funeste au moins que le système opposé de prohibition extrême. C'est alors que les intérêts anglais seraient servis, non point par les affections présumées du prince, mais par nos propres économistes. Avis aux industriels, qu'ils aient soin de se faire représenter à la chambre ! et, avouons-le, jusqu'ici ils ne le sont pas assez.

Concluons. Le prince Léopold me paraît promettre tout ce que l'on peut humainement espérer. Je ne vois pas, comme quelques honorables collègues, un danger mortel à pousser jusqu’au bout cette dernière combinaison ; j'aime mieux considérer la chose comme l'honorable M. Félix de Mérode.

Je vois dans la réalisation probable d'un projet accessoire les classes aisées de deux grande nations se donner rendez-vous pour fraterniser sur le sol sacré de la Belgique et venir y déverser le superflu de leurs richesses. Je vois liberté, patrie, avenir, nationalité, indépendance, honneur et prospérité publique. Je vois l'antique et noble nom belge briller d'un nouvel éclat. C'est dans ces douces illusions que je vote pour le prince de Saxe-Cobourg ; mais je sens le besoin de le répéter aujourd'hui solennellement, ces illusions tiennent à l'idée fixe de l'intégrité du territoire ; que si l'avènement du roi ne nous garantissait pas cette intégrité, alors, homme toujours libre, je le répudierais ; et, soit dit encore une fois, en attendant, préparons nos armes. (I.,5 juin.)

M. le vicomte Desmanet de Biesme se prononce pour l'élection du prince de Saxe-Cobourg, mais il est d'avis qu'en attendant son acceptation et l'issue des négociations, le gouvernement se prépare à la guerre. (J. B., 5 juin.)

M. Helias d’Huddeghem – Messieurs, disposé à voter pour le prince de Saxe-Cobourg, si l'on avait cru pouvoir laisser précéder l’élection d'une députation à la conférence et au prince, je me proposais, dans cette démarche, de nous assurer si le prince de Saxe-Cobourg, allié à une princesse de France, acceptant le trône de la Belgique, consoliderait nos relations amicales entre la France et l'Angleterre.

Mais, messieurs, la question étant décidée dans un sens contraire, j'aurai l'honneur de vous soumettre les motifs qui me paraissent s'opposer à l'élection immédiate.

Tous les journaux, interprètes de l'opinion générale, les gazettes ministérielles même de France protestent contre la combinaison de Saxe-Cobourg ; en cela ils ne font autre chose que se venger, car l'on se rappelle, il y a environ deux mois, que tous les journaux anglais, quels qu'ils fussent, organes du ministère ou de l'opposition, après avoir attaqué avec colère, et avec le mépris dont ils étaient assez prodigues envers nous, l'élection du duc de Nemours, proposèrent alors le prince de Saxe-Cobourg. C'est donc une combinaison anglaise, car l'Angleterre n'entend rien perdre à notre révolution ; je le prouve : le Courrier de Londres et d'autres journaux anglais n'ont-ils pas dit que le prince de Saxe-Cobourg devait savoir sacrifier (page 251) de ses goûts et de ses habitudes tranquilles au pays qui l'avait adopté... Il peut rendre un service important à l'Angleterre. Ce protectorat de l’Angleterre assure-t-il bien notre indépendance ? la protection exclut l'indépendance. D'ailleurs, le sort du Portugal, des Iles Ioniennes, de l’Irlande, de l'Inde, est-il si fort à envier ?

Pense-t-on que nos manufactures y gagneront ? enverrons-nous dans les trois royaumes unis nos charbons, notre fer, nos toiles, nos calicots, nos pierres ? Espère-t-on que les Anglais ouvriront aux Belges leurs colonies ? ce serait une erreur ; mais ce qui est certain, c'est que l'intérêt national de l'Angleterre n'est pas d'encourager les manufactures belges... La France souffrira-t-elle à ses frontières celui qui lui eût porté ombrage à Athènes. La France laissera-t-elle placer des garnisons anglo-belges dans les places de Namur, Mons, Liège et Gand ? Notre prétendue nationalité sera peu de chose, si la protection de l'Angleterre nous aliène la sympathie des Français.

Quand reconnaîtrons-nous que nous sommes les jouets de la conférence ? Si les cinq puissances réunies à Londres avaient sincèrement voulu assurer l'indépendance de la Belgique et l'établir comme État séparé, elles l'eussent fait depuis huit mois qu'elles s'occupent de ses destinées ! Il est clair, pour qui sait lire dans les choses politiques, qu’on n'a voulu que fatiguer le peuple belge, cette malheureuse nation. En l'empêchant de se constituer, on veut la ramener, par l'excès de la misère, à une restauration, et préluder ainsi à une restauration bien autrement importante, complément indispensable aux traités de 1815, dont on n'invoque pas le maintien sans motifs. Les Belges apprendront un jour, trop tard peut-être, qu'on ne fait bien ses affaires que lorsqu'on les fait soi-même. Messieurs, je me réserve mon vote. (J. F., 5 juin.)

M. Alexandre Gendebien, dont le tour de parole est arrivé, demande à être entendu le dernier. (I., 5 juin.)

M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Messieurs, lorsque dans cette discussion toute constitutionnelle, et qui n'est pas une question de gouvernement, nous avons déclaré que nous ne voulions parler que comme ministre, ce n'est pas que nous eussions envie de décliner notre responsabilité ; au contraire, nous l'acceptons volontiers comme celle de tous nos actes. Je prends en ce moment la parole pour vous exprimer comme député mon opinion franche et consciencieuse. J'ai cru devoir vous dire en quelle qualité je parlais, afin que l'assemblée n'attachât pas à mes paroles une importance plus grande que celle qu'elles doivent avoir.

Si je parlais comme ministre, je vous dirais que jamais nous n'avons pu vous promettre l'acceptation pure, simple et immédiate du prince de Saxe-Cobourg, parce que nous avons toujours pensé que son acceptation était subordonnée aux arrangements du Limbourg. Nous pensons maintenant que les arrangements pourront être facilités par l'élection immédiate, et qu'elle sera un sûr moyen d'éviter la guerre ; et je remarque en passant que cette combinaison n'est pas un obstacle à la guerre, si ultérieurement elle était jugée nécessaire.

On a argumenté de certains protocoles que je ne connais pas, et dont, en admettant l'authenticité, rien ne nous garantit l'exactitude de la traduction. J'insiste sur ce point, parce qu'on y a trouvé un mot sur lequel on a fait des suppositions qu'il est essentiel de détruire. On ya trouvé le mot compensations, et l'on a dit que ce mot excluait l'idée de compensations pécuniaires. Eh bien, messieurs, il y a un document authentique qui répond à cette supposition, c'est la lettre de lord Ponsonby. Vous vous souvenez, messieurs, que j'ai dit que cette lettre n'était confidentielle qu'à cause du personnage dont elle fait mention ; à part cette circonstance, et par sa publication sans avoir été désavouée par son auteur, elle a acquis un caractère d'authenticité tel, qu'elle peut être considérée comme officielle. Eh bien, dans cette lettre vous ne trouverez pas le mot compensation, mais bien celui d'indemnité. Dans une autre lettre qui vous a été communiquée (celle du lieutenant général comte Belliard) et dont vous avez aussi ordonné l'impression, on lit le même mot ; on va jusqu'à dire que vous fixerez la cote de l'indemnité. Et ne serait-ce pas une ironie de la part de la conférence de nous proposer une autre espèce d'indemnité ? Mais on sait bien à Londres dans quel but nous demandions le Luxembourg ; on sait bien que c'est toujours en partant de cette base de l'intégrité et de la constitution. La conférence nous croirait-elle tellement frappés de cécité, que d'espérer que nous achèterions le Luxembourg par l'abandon du Limbourg, pays riche et fertile, et préférable sous ce rapport au Luxembourg, pays stérile et que nous pourrions abandonner sans perdre beaucoup, si les (page 252) intérêts matériels n'étaient dominés ici par l'honneur national. Mais, messieurs, par une telle négociation ce ne sont pas les affaires de la Belgique qui seraient arrangées, ce ne sont pas celles du prince Léopold ; ce sont les affaires de la Hollande qu'on aurait faites, car pour le Luxembourg, qui lui est onéreux, elle aurait acquis un pays mille fois plus fertile. Quant à l'affaire du Luxembourg, prenez la pièce : non pas les protocoles, mais la lettre de lord Ponsonby ; vous y verrez que le prince est disposé à prendre sur lui, comme souverain, le complément de cette affaire. Vous voyez que sur ce point il n’y a pas la plus légère incertitude. Alors que le roi de Hollande doit céder sur cette question, d'où viendrait l'obstacle ? De la confédération germanique ? Mais, messieurs, il est à supposer que la confédération germanique connaît un peu mieux ses intérêts. Quelle confiance voulez-vous qu'elle ait dans le roi Guillaume, qui s'est déclaré l'ennemi de toute l'Allemagne en cherchant à entraver la navigation sur le Rhin ? Quelle confiance mettrait-elle dans un roi dont le trône repose sur le sable ? Et vous voulez que la confédération germanique, alors que nous serons gouvernés par un prince allié de tous les princes d'Allemagne, ne prête pas les mains à cet arrangement !... Je ne veux pas ici, messieurs, abuser de documents secrets pour démontrer ce que je soutiens ; je me contente de raisonner d'après la vraisemblance et d'après la nature même des choses.

Il y a dans les protocoles un passage bien remarquable, et sur lequel j'appelle votre attention. Quand le congrès national voulut prononcer l'exclusion de la famille d'Orange, souvenez-vous, messieurs, des menaces qui nous furent faites, et qui vous firent croire à une guerre imminente. Qu'eussiez-vous dit alors si l'on vous eût prédit que, par des négociations diplomatiques, non seulement les puissances, mais la Russie elle-même reconnaîtrait cette exclusion ? Eh bien, messieurs, l'exclusion est reconnue par le protocole n° 24. Lisez le n° 2 de ce protocole : « Considérant, y est-il dit, que le choix d'un souverain étant devenu indispensable pour arriver à des arrangements définitifs, le meilleur moyen d'atteindre le but proposé serait d'aplanir les difficultés qui entraveraient l'acceptation de la souveraineté de la Belgique par le prince Léopold de Saxe-Cobourg, dans le cas où, comme tout autorise à le croire, cette souveraineté lui serait offerte. C'est pour faciliter l'élection du prince de Saxe-Cobourg que l'on propose des conditions, c'est le sceau le plus solennel et le plus indélébile que l'on puisse apposer à votre décret d'exclusion de la famille des Nassau.

Messieurs, on a parlé de la dette. On a soutenu que des protocoles il résultait que la conférence entendait nous en faire payer les 16/3le ; je l’ai dit souvent et je le répète, la conférence n'a jamais entendu faire à cet égard que des propositions ; ne voulez-vous pas me croire, eh bien, prenez le rapport de mon prédécesseur, l'honorable M. Van de Weyer : lisez le protocole du 19 février et tous vos doutes seront levés. A ce propos je vous rappellerai un mot sorti de la bouche du prince, qui dit à nos commissaires : Il est tout naturel que vous ne vouliez pas payer les dettes des autres.

Un orateur aux talents duquel je me plais à rendre hommage, M. Blargnies, a dit que le but de la conférence était la restauration des Nassau ; il est vrai qu'à cette époque il n'avait pas lu le protocole n° 24. Adhérez, disait l'orateur dans une brillante prosopopée, dans laquelle il faisait parler M. de Talleyrand ; adhérez et tout ira bien. Et dans le moment où M. Blargnies tenait cela, M. de Talleyrand aplanissait les difficultés pour nous faire obtenir le prince Léopold. Qu'on ne nous parle donc plus de restauration. Une restauration ! eh ! messieurs, y pensez-vous ? Une restauration chez nous ! aux portes de la France ! La France la souffrirait-elle, lorsque le triomphe du principe de l'élection populaire vient de recevoir chez elle une sanction si récente ? La souffrirait-on en Angleterre, où il n'y a plus de légitimité depuis qu'on y a fait disparaître jusqu'aux derniers vestiges de la restauration ? Croyez-le, messieurs, si le prince de Saxe-Cobourg accepte la couronne que convoite le prince d'Orange, il la gardera. Ce n'est pas la première fois qu'ils auront été en concurrence. (Hilarité.) Une première fois il lui a pris la place, il l'a gardée et bien gardée. (Nouvelle hilarité. Interruption.)

On a dit : Mais un roi élu par le peuple, mais le principe populaire, ce serait pour la conférence une monstruosité, la tête de Méduse ; jamais la conférence n'y consentira. Mais si le congrès national avait jeté les yeux sur le prince d'Orange, loin de reculer devant le principe d'élection, la conférence n'aurait-elle pas battu des mains à l'application que nous en aurions faite ?

On a établi un parallèle entre l'élection du duc de Nemours et celle du prince de Saxe-Cobourg, (page 253) et on a laissé pressentir que celle-ci aurait le même résultat que l'autre. Messieurs, je dois le dire, et ici je n'accuse les intentions de personne : parmi ceux qui votèrent pour le duc de Nemours, je compte d'honorables membres, mais je dirai qu'il y eut légèreté de leur part ; nous savions que personne ne le voulait et que la France n'osait, et nous savons aujourd'hui que tout le monde veut le prince de Saxe-Cobourg et qu'il ne faut pour qu’il accepte que lever quelques difficultés de détail.

On vous a parlé des lenteurs de nouvelles négociations dont la stérilité était d'ailleurs assurée. N’oublions pas, messieurs, le désir des princes de conclure, pour un désarmement général, des traités dont, si je ne me trompe, les préliminaires sont signés. La conclusion de ces traités est subordonnée à l'arrangement de la question belge. Aujourd'hui nous associons à la question belge l’immense question de l'élection. Nous indiquons le but que nous voulons atteindre la paix. Nous disons où nous marchons. Alors plus d'incertitude, nos vœux sont connus ; l'indépendance, la nationalité, voilà les biens qu'on nous assurera, et si on nous les refuse, nous les conquerrons par des voies plus énergiques. (I., 5 juin.)

M. de Robaulx – Messieurs, avant d'entrer dans la discussion, je répondrai d'abord au discours de M. Lebeau.

On nous a dit : Vous attachez trop d'importance à certaines expressions des derniers protocoles qui vous épouvantent tant ; vous vous êtes trompés sur le sens du mot compensations, en pensant qu'il s’agissait de compensations territoriales, car ce mot de compensations a trouvé un correctif dans les lettres de lord Ponsonby et de M. Belliard ; enfin vous vous alarmez à tort sur ce qu'on a voulu dire par des compensations.

Messieurs, nous sommes en présence d'une véritable pétition de principe. Qu'est-ce qui a donné lieu de dire qu'au lieu d'indemnités en argent on voulait aujourd'hui des indemnités en territoire ? c’est le texte des protocoles que vous connaissez, et qui donnent à entendre que par la cession du Limbourg, sur lequel on ne s'est jamais catégoriquement expliqué, on obtiendrait la cession du Luxembourg. Comment les protocoles n° 23 et 24 seraient-ils détruits par des lettres ? Lisez-les, ces protocoles, et ils vous prouveront l'intention de la conférence de donner des instructions à lord Ponsonby, afin que s'entendant avec le général Belliard, ils essayent tous les moyens de persuasion avant de communiquer le protocole n° 22. Et ce même protocole a reconduit lord Ponsonby à Londres, et lord Ponsonby a été expliquer à la conférence le mauvais effet que causerait la communication de ce protocole ; c'est alors que le commissaire a été chargé d'atténuer, d'accord avec le général Belliard, l'influence fâcheuse que devrait produire le protocole n° 22.

Lord Ponsonby est revenu parmi nous porteur des derniers protocoles. Il nous a écrit, non pas à nous, mais à M. le ministre des affaires étrangères ; il lui a fait parvenir une lettre, officieuse par rapport aux passages relatifs à l'élection du prince, officielle sur les autres points, mais enfin une lettre qui n'était que la conséquence du protocole n° 22. Lord Ponsonby était-il chargé d'expliquer le mot compensations par indemnités pécuniaires ? non sans doute ; il ne pouvait rien changer à la teneur du protocole, mais il avait mission de nous en gratifier avec toute la politesse possible. Le protocole reste ; il n'aurait pas été modifié par la lettre de lord Ponsonby, quand bien même le noble lord aurait dit tout le contraire du protocole.

Voyez, nous dit-on, le pas immense que la diplomatie a fait ! Suivons, messieurs, les raisons que nous donne le ministre, car en fait de raisons, le ministère n'a pas l'habitude d'être fort. Voyez, vous avez prononcé l'exclusion des Nassau, et c'est aujourd'hui seulement que la Russie consent à cette exclusion de la famille régnante en Hollande. Mais, messieurs, nous ne voyons que les protocoles au bas desquels les ambassadeurs russes ont apposé leurs signatures ; mais les réserves qu'ils peuvent faire en signant sont secrètes pour nous ; ces réserves demeurent le secret de la diplomatie. Qui nous dit que ce n'est pas à telle ou telle condition que les plénipotentiaires de la Russie ont donné leur adhésion aux protocoles. Ces réserves sont un droit pour les ambassadeurs. M. de Talleyrand avait signé le protocole du 20 janvier, plus tard la France déclara que son adhésion avait été sous toutes réserves ; plus tard encore elle adhéra purement et simplement. Je ne veux tirer de tout ceci qu'une seule conséquence : c'est qu'en bonne conscience, quand on interprète un acte, il faut l'interpréter dans son ensemble, et non pas en analyser les détails ; et si on conclut du fait de la signature de l'ambassadeur russe, que la Russie consacre le décret d'exclusion des Nassau, je conclus, moi, que les bases du protocole du 20 janvier ne seront pas changées, puisqu'on les déclare formellement irrévocables, et que le but des protocoles subséquents (page 254) est de nous faire adhérer à ce protocole fondamental du 20 janvier.

Il paraît, messieurs, que les procès-verbaux n° 23 et 24 des séances du Foreign Office, n'excitent plus les mêmes défiances ; on s'en sert, on en argumente, on leur donne une reconnaissance tacite : mais je m'étonne qu'on se soit tellement récrié contre la communication faite par moi de ces protocoles, quand lord Ponsonby lui-même en a fait si peu de mystère, quand, depuis trois jours avant qu'ils aient été généralement connus, ils avaient été lus à plusieurs membres de cette assemblée, ce qui me fait supposer que ces protocoles n'étaient pas inconnus du ministre.

L'orateur s'attache à réfuter M. l'abbé Boucqueau de Villeraie sur son opinion au sujet des députés qui demandent la guerre.

Il continue en ces termes : J'ai ouï qu'il fallait décréter le principe de la guerre, non pas pour la commencer avant que le pays ne fût prêt à l'entreprendre, et certain du succès de nos armes, mais seulement pour apprendre aux puissances que nous ne sommes pas disposés à courber la tête devant elles ; et alors, messieurs, une fois ce principe de la guerre admis, les puissances, dominées par leur intérêt personnel, par le désir de maintenir la paix en Europe, auraient gardé leurs menaces pour une meilleure occasion ; elles auraient fait des protocoles plus favorables à notre cause. Messieurs, vous avez suivi une marche que je ne puis approuver ; je ne veux pas être responsable des conséquences qu'elle peut entraîner.

La majorité, qui veut la paix à tout prix, ne la veut qu'à la condition d'obtenir, même par les négociations, la Belgique du congrès, et non la Belgique des protocoles. J'aime à croire que leurs efforts tendent vers ce but : votre intention est d'arriver là, messieurs. Si cependant on vous prouvait par des raisonnements péremptoires, que la voie des négociations ne peut vous valoir que la Belgique tracée dans le protocole du 20 janvier, donneriez-vous votre adhésion à ces négociations ? je ne le pense pas.

Quel est l'acte, quelle est la pièce officielle (et je ne parle pas des lettres) sur lesquels la majorité peut s'appuyer pour dire que le protocole du 20 janvier est révoqué ? Souvenons-nous bien que les protocoles n° 23 et 24 portaient l'injonction à lord Ponsonby de nous communiquer le protocole n° 22, et qu'alors, pour tempérer l'effet des menaces de la conférence, son commissaire lui a dit : Ne vous pressez pas ; attendez, j'arrive avec la combinaison Saxe-Cobourg ; fiez-vous à la prudence de M. Belliard et à la mienne, et surtout laissons la candidature du prince Léopold porter ses fruits.

Messieurs, si après l'élection on vient vous signifier les protocoles, en vain arguerez-vous des lettres officieuses, des notes verbales ou l'on vous dira que vous connaissiez les protocoles, qu'ils sont irrévocables et vous n'aurez ni le Luxembourg ni le Limbourg.

Si le prince de Saxe-Cobourg accepte, le droit de paix et de guerre est entre ses mains ; et le croyez-vous disposé à faire la guerre contre les rois qui lui auront donné la couronne ? J’ai fait cette supposition pour un instant, car mon avis est qu'il n'acceptera pas.

J'ai examiné, je me suis appesanti sur toutes les manœuvres de la conférence envers nous, et je n'y ai vu que duperie et déception ; je ne peux comprendre l'aveuglement de notre ministère. Il détourne la tête pour ne pas voir ; il fait plus, il donne son appui à des ennemis acharnés contre nous, il favorise cette élection ; et cependant, je dois croire qu'il a quelque pressentiment de ce qui peut arriver. Remarquez ses actes. Il laisse parler lord Ponsonby ; il se borne à apporter sans réflexion la lettre arrangée pour la circonstance ; les protocoles ne sont pas produits ; on fixe l'élection au 1er juin (notez cette date, c'est l'époque fatale marquée par les protocoles) ; et quand nous demandons si on est revenu sur les principes déposés dans le protocole du 20 janvier, il nous dit : La lettre est postérieure au protocole. Que si on le presse, il répond qu'il ne prend rien sous sa responsabilité. Il en résulte bien que le ministère ne veut pas prendre sous sa responsabilité ce qu'il appuie, ce qu'il désire de toutes ses forces ; mais je maintiens, moi, que sa responsabilité est engagée, et plus tard nous jugerons.

Cependant ces protocoles ont répandu partout la consternation, et je comprends peu qu'on ose venir ici nous dire qu'ils ont augmenté la majorité ; je comprends moins encore qu'on puisse déclarer fausse l'opinion que s'est formée sur ce point mon honorable ami M. Dehaerne, et je le comprends mille fois moins encore quand, interrogeant le bureau, je vois qu'aucune pétition n’a été déposée en faveur de Saxe-Cobourg. Et d’ailleurs, consultez le Hainaut, Liége, Namur, les deux Flandres ; nulle part vous n'y trouverez les esprits disposés en faveur de cette candidature. Pour moi, qui pense un peu aux intérêts matériels de mes concitoyens, je déclare que si je pouvais être convaincu que le prince Léopold nous apportât des causes de prospérité, je voterais pour lui. Mais je ne peux voir en lui qu'un autre Guillaume, (page 255) qui, comme Guillaume, nous est donné par l’Angleterre, et, comme Guillaume, fera de notre pays un entrepôt de produits anglais, et augmentera la sévérité de la douane française contre notre commerce.

Si donc, tout examiné, l'arrivée dans notre pays du prince Léopold ne peut que nous nuire, ne m'en parlez plus.

Arrivons à la véritable question. Veut-on du protocole du 20 janvier, oui ou non ? Tout est là ; et la candidature elle-même qu'on nous jette en avant, n'est qu'un moyen d'arriver à ce but.

Quelques-uns ont dit que c'était clore notre révolution. Messieurs, ce n'est pas la clore, c'est la tuer. Il faudra bien tôt ou tard arriver à la guerre. Eh bien, croyez-vous qu'alors, nous révolutionnaires, nous aurons confiance dans le candidat de tous ceux qui veulent étouffer la révolution ? Dès lors, la révolution sera en légitime défense, et je prie un de mes collègues (M. Charles Rogier) auquel je réponds, de croire qu'au moins on ne devra pas me mettre le pistolet sur la gorge pour me faire marcher ; certes, on ne me trouvera pas en arrière de ceux qui m'ont supposé d'autres intentions. .

Un orateur s'est apitoyé sur cette pauvre conférence : bien malheureuse en effet, parce que, dit-il, nous arrivons à elle la menace au poing et l’injure à la bouche. Moi, je dis : Pauvre Belgique, malheureux pays, méfie-toi de tes amis officieux qui n'ont jamais su que te faire du mal !

Un autre de nos collègues faisait un puissant raisonnement, il nous disait : Vous avez voté des négociations, donc il vous faut un négociateur ; or, la conférence ne veut pas d'autre négociateur que le prince Léopold, donc vous avez voté l'élection de Saxe-Cobourg. En vérité, vous n'attendez pas de moi, messieurs, que je fasse à un pareil raisonnement l'honneur de la réfutation. Ici, laissez-moi ajouter un mot sur le manifeste projeté, car je viens d'entendre une homélie qui m'en a paru un avant-goût. Qu'on me permette de demander à son auteur (M. l'abbé Boucqueau de Villeraie) où il a vu l'immense majorité qui, selon lui, se prononce pour Saxe-Cobourg ; qu'il me dise où il a puisé le droit de déclarer fausse l’opinion honorable de mon collègue et ami M. Dehaerne. A la vérité, sa qualité de républicain lui aura peut-être empêché de trouver grâce auprès M. l'abbé Boucqueau.

Je vais finir, messieurs. Aujourd'hui on n'oserait pas tirer le canon de la Sainte-Alliance, dans la crainte de mettre le feu à l'Europe ; on laisserait la Belgique et la Hollande vider leur querelle ; mais plus tard, quand la digue que la Pologne oppose encore sera renversée, quand les puissances pourront parler haut, alors vous saurez que vous n'aurez pas Saxe-Cobourg à moins que vous ne vouliez probablement adhérer aux protocoles. Alors vous reconnaîtrez que la révolution aura été jouée.

Voulez-vous savoir où nous arriverons avec le prince de Saxe-Cobourg ? J'ai toujours eu peur du diplomate boiteux ; il y a longtemps que j'ai dit que le cabinet français nous abandonnait, mais si j'en crois certaines prévisions, le prince de Talleyrand a certes bien travaillé dans l'intérêt de la France. Il me semble le voir souriant avec malice en apposant sa signature sur le protocole du 20 janvier ; il sentait qu'il signait la réunion à la France. Croyez-vous que lorsque l'opinion publique en France, exprimée déjà si énergiquement par les journaux, aura flétri la candidature de Saxe-Cobourg, croyez-vous qu'elle ne forcera pas la main du ministère ? Voyez ce qui arrivera. Votre intention est de ne faire aucune concession. Le prince Talleyrand exigera l'exécution rigoureuse, partant dans six semaines la guerre ; eh bien, dans ce cas vous pouvez devenir Français et simple département, car vous serez envahi ; et c'est la candidature de Léopold qui en sera cause.

Je ne la veux pas, la réunion, et c'est pour cela que je refuse mon vote à Saxe-Cobourg. Je voterai pour un roi indigène, pour le régent actuel, persuadé que je suis que, s'il avait la majorité, son amour pour son pays l'emporterait sur ses goûts de retraite. Mais jamais mon vote ne sera pour le prince Léopold. (En descendant de la tribune. M., de Robaulx reçoit les félicitations de plusieurs de ses collègues.) (E., 5 juin.)

M. d’Elhoungne demande la parole. L'honorable membre improvise un long discours dans lequel il s'appesantit sur les services rendus à la Belgique par Marie-Thérèse, et termine en disant qu'il votera pour M. Surlet de Chokier. (I., 5 juin.)

M. Alexandre Gendebien commence par déclarer que, lorsqu'il entra dans la carrière de la révolution, il ne consulta pas ses intérêts personnels ; au contraire, il savait que dans cette carrière il perdrait son état : cette considération ne l'arrêta point, il embrassait la révolution par conviction. Aujourd'hui, dit-il, vous pensez à clore la révolution : je ne consulte pas mes intérêts personnels ; si je les consultais et que je voulusse consentir à servir de marchepied au prince de Saxe-Cobourg pour monter sur le trône de la Belgique, je puis croire, sans vanité, qu'avec (page 256) mes antécédents je pourrais obtenir des compensations pour ce que j'aurais sacrifié. Je fais ces observations pour prouver qu'ici encore je ne suis guidé que par ma conviction et abnégation faite de mes intérêts particuliers.

Je voterai contre le prince de Saxe-Cobourg, parce que vous allez introduire dans le mécanisme nouveau de votre constitution un rouage de l'ancienne machine de la Sainte-Alliance, qui entravera la marche de la révolution. Songez à ce qui s'est passé en France et ici. En France et en Belgique, il y avait des constitutions qui, exécutées de bonne foi, eussent suffi à nos besoins. Ces constitutions ont été renversées parce que, dans ces machines nouvelles, on avait introduit un vieux rouage qui les empêchait de marcher. Le prince de Saxe-Cobourg est ici (ce n'est pas une personnalité contre lui, car je n'ai pas l'honneur de le connaître et je ne prétends pas lui faire injure) ; le prince de Saxe-Cobourg, dis-je, est le protégé de la Sainte Alliance ; son élection affectera votre constitution du même vice qui a fait qu'en France et en Belgique la charte et la loi fondamentale ne furent que des mensonges.

Après ce début l'orateur s'attache à réfuter un à un les arguments de M. Lebeau, et à prouver que le congrès eût mieux fait d'adopter la proposition de M. Blargnies. Il termine en disant qu'il votera pour un prince indigène. (I., 5 juin.)

M. Jottrand – J'aurais voté pour le prince de Saxe-Cobourg, s'il était venu seul, pour nous et par notre seule volonté. Dans les circonstances présentes, j'aurais encore voté pour ce prince, si j'avais voulu travailler soit à la réunion à la France, soit à la restauration dans un avenir plus ou moins éloigné. Je voterai contre, et puisque chacun doit prendre sa part de responsabilité, ma conscience me dit que la responsabilité de la minorité, où je me suis rangé ; ne sera jamais aussi grande que celle qu'assument sur eux le ministère et la majorité. (E.. 5 juin.)

M. l’abbé Dehaerne – Messieurs, il pourra peut-être vous paraître étrange que nous ayons signé la proposition qui vous est présentée sans avoir désigné l'individu sur lequel nous fixerions notre choix. Mais on sentira aisément les motifs qui nous ont déterminés à en agir ainsi, lorsque l'on considérera la position délicate où se trouverait placé un simple citoyen belge vis-à-vis d'un prince étranger sur lequel la majorité du congrès semble avoir jeté les yeux jusqu'à présent et qu'elle paraît considérer comme le seul candidat possible pour le moment. Quoiqu'il y ait de l'honneur à être porté à la dignité de premier mandataire de la nation, ne fût-ce que par quelques voix isolées, cependant un Belge croira facilement qu'il est de son devoir de ne pas se mettre sur les rangs avec un tel compétiteur, dans la crainte d'être accusé de vouloir écarter le candidat qu’on lui oppose et de travailler ainsi contre les intérêts de sa patrie. Le Belge qui serait digne de porter la couronne devrait s'en croire lui-même indigne, et ce serait mettre sa modestie à une bien triste épreuve que de le forcer à désavouer d’avance le choix qu'on ferait de lui.

Telles sont les raisons, messieurs, pour lesquelles nous avons cru devoir rédiger notre proposition dans un sens général, persuadés que nous sommes qu'une fois la proposition admise, il nous serait facile, en faisant le sacrifice de toute antipathie politique ou personnelle, de nous réunir sur l'homme le plus digne de gouverner le peuple belge. Cet homme, messieurs, nous l’aurions bientôt trouvé, la voix publique, l'instinct du peuple nous l'indiqueraient, et son nom, qui parviendrait à nos oreilles au milieu des acclamations de la multitude, nous serait un gage assuré de l'amour et du respect des citoyens envers leur chef futur, de la force de son gouvernement, ainsi que du bonheur et de la prospérité qu'il apporterait à la nation.

On objectera, nous le savons, qu'un trône national n'aura pas de prestiges ni d'illusion comme un trône qui relèverait de quelque maison régnante ; le sang belge, dira-t-on, est du sang noble et héroïque, mais ce n’est pas après tout du sang royal. Mais, quand on raisonne ainsi, on ne fait pas attention que toutes les dynasties nouvelles ont eu peu d'illustration dans leur principe, que ce peu d'illustration, dû d'abord ou à la fortune, au mérite ou à des services signalés rendus à la patrie, a suffi pour assurer à ces rois sortis du sein du peuple, à ces rois citoyens, l'estime et l'affection générales, pour les rendre les idoles du peuple et les placer peu à peu à côté des souverains que le hasard avait fait monter sur le trône quelque temps avant eux. Pour qu'une dynastie soit forte et durable, il faut qu'elle ait sa racine dans la nation, il faut qu'elle soit nationale. Un prince doit se trouver au milieu de ses sujets comme au sein de sa famille ; il faut qu'il ait leurs mœurs, leurs habitudes, qu'il soit identifié avec la nation. Il faut que la nation sache que l'homme qui la gouverne est un homme de sa race, un homme qui lui appartient. Un peuple, messieurs, se met toujours à certains égards au-dessus des autres peuples, il se préfère à tous les autres, et c'est là, je crois, le fond du patriotisme. Il (page 257) croirait donc s'humilier, il croirait nier le sentiment qu’il a de sa supériorité s'il recourait à une nation étrangère pour se choisir un chef. Cette vérité, messieurs, est de tous les temps, elle est historique ; mais elle reçoit encore une plus grande évidence sous le régime représentatif des États modernes. Quelle est la véritable force d'un roi constitutionnel ? Est-ce un nom antique qui a traversé les siècles ? est-ce l'amitié des autres souverains et l'appui qu'il trouve dans leurs baïonnettes ? est-ce la terreur qu'il inspire ? Non, c'est l’opinion, et rien que l'opinion, qui est le véritable pivot du gouvernement constitutionnel. J'entends dire souvent, messieurs : Il faut que le gouvernement soit fort ; et on en déduit qu'un chef indigène ne peut pas nous convenir. Si l'on veut dire qu’un chef indigène ne serait pas assez fort pour violer le pacte social, on a raison ; et c'est pourquoi nous le préférons à un étranger, dont la force arbitraire pourrait lutter pendant quelque temps contre la volonté du peuple, mais finirait enfin par se briser contre elle. La faiblesse est ici de la force, et la force est de la faiblesse ; permettez-moi, messieurs, de mettre un instant en parallèle le prince de Saxe-Cobourg avec un chef indigène ; je le ferai avec tous les égards dus au candidat qu’on oppose au nôtre. D'abord, je rendrai volontiers hommage aux opinions libérales dont on assure qu'il fait profession ; j'ajouterai même que son séjour en Angleterre n'aura sans doute pas peu contribué à effacer de son esprit des idées moins généreuses qu'il aurait pu contracter en Allemagne ; mais, messieurs, pensez-vous qu'en venant au milieu de nous et nous trouvant en possession de la constitution la plus libérale de l’Europe, il ne s'imagine pas que nous n'avons pas été assez sobres en libéralisme, que notre ouvrage se ressent de l'effervescence révolutionnaire, et qu'en nous arrachant violemment au despote, nous sommes tombés dans un excès de liberté ! pensez-vous que placé, entre l'Angleterre et la France, dont les constitutions sont beaucoup moins libérales que la nôtre, il croie que les Belges auraient mieux compris la liberté que les Français et les Anglais ? Pensez-vous que les gouvernements de ces deux peuples, auxquels, nous n'en doutons pas, notre pacte constitutionnel déplaît souverainement, ne tâcheraient pas d'exercer une certaine influence à cet égard sur l'esprit du prince ? Pensez-vous que lui, qui serait assuré qu’il tient sa couronne de la Sainte-Alliance, serait inaccessible aux suggestions des puissances conjurées contre les libertés, et ne croirait pas devoir user de la prérogative de la dissolution des chambres pour changer la loi fondamentale et pour empiéter sur nos droits et nos libertés ? Messieurs, cette crainte me préoccupe tellement que je ne puis m'en défaire. Quoi que je fasse, je vois toujours dans le prince de Saxe-Cobourg l'homme de la Sainte-Alliance. Et ne comptez pas sur l'opposition qui se formerait contre le gouvernement : lorsqu'un peuple, après avoir parcouru sa carrière révolutionnaire, s'assied enfin et se repose, il devient apathique et passif ; il redoute tout ce qui ressemble à l'ombre d'une opposition par crainte d'une nouvelle révolution. Et supposez que nous ayons le courage de faire quelque opposition, à quoi se réduira-t-elle ? Quel en sera le résultat ? Ne nous menacera-t-on pas de l'invasion étrangère comme on nous en menace déjà, et ne travaillera-t-on pas ainsi à éteindre le peu d'énergie qui nous resterait encore ? Voilà donc quel serait notre sort sous un prince étranger, un prince de la Sainte-Alliance : Peut-on en dire autant, messieurs, d'un prince indigène ? Non ; un chef national, un chef belge serait citoyen avec nous ; assez fort pour régner d'après les lois, il serait trop faible pour les enfreindre ; il se souviendrait de son origine, et n'aurait pas la prétention de faire dériver sa puissance d'une autre volonté que celle du peuple ; il serait fier de marcher dans le sens de la nation, d'épouser ses intérêts, de défendre ses droits, et, fallût-il se mettre à la tête de l'armée pour s'opposer aux projets d'envahissement et de despotisme conçus par la Sainte-Alliance, il se ferait gloire de vaincre avec la nation, ou de mourir avec elle.

L'honorable M. Boucqueau, qui est venu vous dire qu'il portait la soutane comme moi, s'est permis une sortie assez acerbe contre l'opinion que j'ai émise à cette tribune. Qu'a-t-il dit cependant lui puisse infirmer mes preuves contre la candidature du prince de Saxe-Cobourg ? que dis-je, messieurs, contre mes preuves ? Il les a confirmées, il a constaté l'opinion catholique à cet égard, il a dit que les catholiques préfèrent un prince catholique à un prince protestant. C'est absolument ce que j'ai dit, moi ; je crois seulement avoir traité la question d'une manière plus constitutionnelle que l'honorable M. Boucqueau, et peut-être que l'opinion de plusieurs membres non catholiques, partisans de Saxe-Cobourg, a été moins choquée de la manière dont j'ai émis mon opinion que de la manière dont s'est expliqué M. l'abbé Boucqueau.

J'ai dit, messieurs, et je le répète, qu'une opinion si générale, si compacte que l'opinion des catholiques belges, doit suffire pour rejeter un candidat, (page 258), qui d'ailleurs ne nous donne aucune garantie certaine d'acceptation, je ne dirai pas honorable pour la nation, mais même d'une acceptation quelconque. Je ne crois pas, messieurs, qu'il y ait en cela rien d'inconstitutionnel, si la première loi constitutionnelle est l'opinion, la volonté de la nation. Pour sentir cette vérité, mettez de côté toutes les autres raisons.

Je laisse encore à part l'affection de la nation pour un prince catholique et sa défiance envers un roi protestant. J'envisage, messieurs, cette défiance comme un élément futur de discorde, et étant aussi ami de la paix que M. Boucqueau, mais non de la paix à tout prix, je crains ces éléments de discorde et de trouble. Oui, messieurs, je veux la guerre, je la veux comme la brave et catholique Pologne, parce que je crois, comme je m'en suis expliqué, qu'il ne nous reste plus d'autre moyen de nous sauver.

Je ne m'écarterai pas de la question pour parler de la république, comme l'honorable M. Boucqueau a cru devoir le faire. Je dirai seulement que j'ai toujours cru que la monarchie constitutionnelle mène à la république, et que le principe sur lequel la forme du gouvernement constitutionnel est basée doit emmener tôt ou tard le système républicain ; et comme un roi ne sera jamais, je pense, disposé à descendre du trône pour monter au fauteuil, j'ai cru que nous ne pouvions élire un roi sans nous exposer plus tard au danger de le voir renverser par la force. Vous voyez, messieurs, que je songe encore à la paix, comme M. Boucqueau, même en votant pour la république.

Messieurs, je m'adresse ici particulièrement à ceux qui ne veulent du prince de Saxe-Cobourg que parce qu'il faut en finir. Ils nous disent sans cesse : S'il y avait un autre candidat, un candidat plus national, nous nous prononcerions pour lui. Eh bien, nous avons un autre candidat, un candidat qui réunit tous les avantages que réclame la nation. Vous l'avez dit souvent, messieurs, que la couronne doit être décernée au plus digne. Lorsque vous vous serez débarrassés de toute influence étrangère, vous serez juges vous-mêmes, et seuls juges, des titres et des mérites de celui que vous voudrez élever sur le pavois modeste d'une nation naissante. Je suppose, messieurs, qu'il vous reste encore quelque espoir d'obtenir le prince Léopold à des conditions équitables, quoique moi je n'en conserve plus ; vous avouerez cependant que les craintes que nous avons à cet égard sont au moins très probables. Prenez donc le certain pour l'incertain, choisissez un chef indigène. Pourquoi ne l'avons-nous pas fait depuis longtemps ? Je serais presque tenté d'accuser le congrès ; mais jetons un voile sur le passé, et si nous avons commis des fautes, si nous avons, par un manque d'énergie et de courage, prolongé un provisoire dangereux et funeste, réparons ce que nous avons mal fait, ayons confiance en nos propres forces, mettons de l'unité dans notre édifice social ; qu'il soit fondé sur des bases populaires et surmonté d'une couronne toute nationale. (J. F., supp., 5 juin.)

- On demande la clôture de la discussion. (I., 5 juin.)

M. Forgeur demande la parole contre la clôture. (E., 5 juin.)

M. le baron Beyts parle contre la clôture. Il veut, dit-il, répondre à M. l'abbé Dehaerne. (La clôture ! la clôture ! (I., 5 juin.)

M. Forgeur – Il me semble, messieurs, que dans une circonstance aussi importante, il est de la dignité de l'assemblée d'entendre la minorité qui veut protester contre l'élection du prince de Saxe-Cobourg. Et qu'on ne lui prête pas d'arrière-pensée ; car si elle fait entendre sa voix devant une majorité imposante, c'est parce qu'elle est dominée par cette conviction que l'élection du prince de Saxe-Cobourg sera fatale à la Belgique. Pour ma part je résumerai mon vote en dix mots. Je voterai contre le prince de Saxe-Cobourg parce que j'ai la conviction que les intérêts moraux et matériels de mon pays seront sacrifiés ; parce que, malgré les illusions dont on se berce, le prince de Saxe-Cobourg n'acceptera qu'avec les protocoles. Quant au pas immense que les ministres nouveaux ont fait faire aux négociations, je dirai que leur avènement au pouvoir fut signalé par un pas immense, l'adhésion de la France au protocole du 20 janvier. (C., 5 juin.)

M. le président – Je suis obligé de mettre la clôture aux voix. (E., 5 juin.)

M. Lebeau dit que personne ne réclame la clôture. (E., 5 juin.)

M. Lardinois – Lorsqu'une majorité impénétrable et déterminée veut une chose, s'il n'est pas superflu de la combattre, il est au moins parfaitement inutile de prétendre la persuader. Je ne vous présenterai donc, messieurs, que quelques réflexions pour justifier mon vote négatif dans la combinaison du prince de Saxe-Cobourg.

Si le prince de Saxe-Cobourg se présentait à nous sans être enveloppé des langes de la Sainte-Alliance, je concevrais qu'on se jetât dans la seule combinaison que les ruses diplomatiques ont laissée possible. Mais quant à moi, je m'y refuserais encore et je puiserais mes motifs dans des considérations commerciales.

(page 259) En effet, le prince de Saxe-Cobourg ne peut jamais être que l'homme dévoué à l'Angleterre. Et que veut l'Angleterre ? Le monopole du commerce du monde. Sa politique constante est de tenter la ruine du commerce des autres nations ; car elle a la triste certitude que ce n'est pas trop de la pâture de l'univers pour nourrir son clergé intolérant, son aristocratie insatiable et ses peuples affamés ?

J’ai la conviction, messieurs, que la Belgique amie de l'Angleterre, notre commerce et notre industrie recevront une atteinte funeste. Personne n’ignore la jalousie que notre prospérité excitait chez ces insulaires égoïstes. Il n'y a pas de sacrifice qu'ils n'aient fait pour détruire la concurrence de nos produits sur les marchés étrangers. Ils n'y sont jamais parvenus ; néanmoins le tort qu’ils ont causé à nos manufacturiers est immense.

Vaines terreurs ! vous dit-on, la constitution doit être jurée, elle vous garantit contre les penchants du prince, et avec lui, l'intégrité de notre commerce est aussi certaine que l'intégrité de notre territoire. Je le crois, messieurs, comme je crois que dans tous les temps les complaisants ont manqué pour faire fléchir les principes devant la volonté ou les passions du pouvoir.

Je conviens que mes craintes sont illusoires, parce qu'il est évident que le prince de Saxe-Cobourg, étant honnête homme, ne pourra accepter la couronne que vous allez lui offrir. J'ai l'opinion qu’il est, aussi bien que nos ministres, joué par les cinq grandes puissances. Notre révolution, messieurs, est un fait que les gouvernements despotiques ont intérêt à punir. Vous avez planté l'arbre de la liberté et abattu l'orange pour l'écraser, et bien ! la conférence de Londres veut en ramasser l’écorce avec la main des protocoles pour reconstruire une partie de l'édifice que vous avez renversé, et elle n'abandonnera son projet liberticide qu'après que la nation se sera réveillée. Je borne là mes motifs, et je voterai contre l'élection du prince de Saxe-Cobourg.

Avant de quitter cette tribune, je dois également un mot de réponse au sermon qui vous a été prononcé par l'honorable. M. Boucqueau. Son discours, par lequel il vous a appris que son vote était dicté par l'intérêt religieux, lui a fourni l'occasion de déclamer aussi contre la France et son intolérance. Je suis surpris qu'il ne vous ait pas un peu parlé de l'Angleterre sous le même rapport. Les persécutions dont les catholiques d'Irlande sont l’objet est un texte assez grand pour prêcher contre l'intolérance religieuse. Sans doute la liberté religieuse et de l'enseignement, en France, ne sont point parfaites ; mais voyez l'Angleterre, où vous allez pour chercher un roi. Ouvrez le code de ses lois et vous y trouverez un bill qui déclare que les universités et l'enseignement des sciences sont des institutions païennes. (E., 6 juin.)

- Il y a un peu d'agitation dans l'assemblée. Les uns réclament le renvoi de la discussion à demain, les autres veulent que la séance soit continuée. La majorité, consultée, se décide pour ce dernier parti. (E., 5 juin.)

M. Doreye – Messieurs, dans une occasion si solennelle, lorsque les destinées tout entières, et peut-être les destinées irrévocables du pays, se discutent au sein de cette assemblée, c'est à mes yeux presque un devoir d'énoncer les motifs déterminants d'un vote qui doit contribuer à les fixer. La plupart d'entre vous l'ont fait dans cette séance ou dans les précédentes ; qu'il me soit permis de suivre leur exemple.

Appelé récemment à l'honneur de siéger au milieu de vous, je n'ai eu le temps de subir aucune de ces influences de talent, de rapports personnels, ou d'opinions précédemment émises et insensiblement réduites en système. J'apporte un vote libre de tout antécédent, et qui peut être est une expression plus exacte de la véritable opinion publique, que ces applaudissements que nous avons eu plus d'une fois la douleur d'entendre partir d'en haut ; témoignages inconvenants et suspects, qui offensent l'orateur auquel ils s'adressent autant que la dignité de la représentation nationale.

Un prince est désigné à vos suffrages. Sera-t-il élu ? Là est toute la question ; et qu'on ne s'y trompe pas, messieurs, c'est une question d'existence. Il ne s'agit plus maintenant de conditions ou de modifications à la proposition. La discussion a été épuisée sur ces points accessoires, et vous l'avez close par votre récente décision, toute préalable ; quelque opinion que l'on ait à cet égard, quelques regrets que l'on puisse éprouver de l'absence de certaines garanties, la candidature du prince de Saxe-Cobourg est en ce moment l'objet exclusif de vos délibérations. Il ne s'agit plus de candidats rivaux entre lesquels le choix flotte incertain. L’élection proposée est l'unique moyen de sortir de cet état mixte, qui, perpétuant un trop funeste provisoire, et tenant en suspens la paix du monde, vous conduira, en définitive, à une solution contraire aux principes que vous avez posés comme base de notre existence politique. Tout retard qui tend à les laisser sans application pratique les met gravement en péril. Tel sera l'infaillible résultat produit par la force même des choses.

(page 260) C'est à vous à voir si vous le voulez, ou plutôt à rechercher en conscience s'il est dans le vœu de vos commettants.

Deux principales objections sont dirigées contre la candidature du prince de Saxe-Cobourg :

Non conformité de religion.

Hostilité de son élection envers la France.

La première ne peut agir que sur les hommes pour lesquels tout cède à l'empire des opinions religieuses, ou sur ceux qui voudraient déjà affaiblir le principe que la constitution a consacré et qui répond au premier besoin de l'époque. Elle a proclamé la tolérance religieuse à son plus haut degré, la parfaite égalité des cultes, la liberté illimitée de conscience. Cette liberté ne peut pas, ne doit pas demeurer ou devenir jamais un mensonge ; ici, comme dans un pays voisin, comme partout, il faut, à peine de ne trouver jusque-là ni paix intérieure ni repos durable, qu'elle soit un jour une éclatante vérité. Pourquoi donc serait-elle déniée à la personne du prince qui a mission de la maintenir ? Vous excluez, dirai-je aux adversaires d'un prince non catholique quelconque, vous excluez le prince de Saxe-Cobourg par un motif unique ; vous n'êtes touchés d'aucun des avantages qu'il pourrait vous offrir ! Quoi donc ! pour être conséquents avec vous-mêmes, il vous faudra déposer du trône le prince orthodoxe que vous y aurez fait monter par vos suffrages, si jamais il abandonne la vérité pour l'erreur ; il vous faudra déposséder de la couronne, quoique sa naissance et l'ordre constitutionnel de successibilité la lui aient transmise, celui que le hasard aura privé des lumières de la doctrine pure ; il vous faudra renouveler le scandale et les malheurs d'un peuple ligué contre l'un des rois modèles. Non ! messieurs, cela ne peut pas être.

Si ce motif d'exclusion pouvait être adopté, vous feriez du monarque un être unique dans la société ; vous violeriez en lui le droit qui appartient au moindre des citoyens ; vous arracheriez l'une des pierres angulaires de l'édifice social, qui bientôt s'écroulerait tout entier, pour asseoir la catholicité sur le trône avec toutes ses conséquences.

Je dirai plus, messieurs : ce qui, pour quelques-uns, paraît être le sujet d'un vote négatif, serait plutôt pour moi une considération contraire.

J'aime à croire que la minorité trouvera, non seulement dans la loi fondamentale de l'État, mais encore dans son chef, la garantie que sa plus précieuse liberté ne recevra jamais d'atteinte. Notre révolution a été diversement appréciée au dehors ; on a voulu, pour la discréditer aux yeux des autres peuples, la revêtir d'une couleur exclusivement religieuse : c'est une des calomnies qu'il nous importe de démentir ; et quel plus éclatant démenti qu'un choix sur lequel cette considération aura été sans influence !

Je passe au reproche puisé dans notre position à l'égard de la France.

Ici, messieurs, qu'il me soit permis de le dire, vous avez hier entendu à cette tribune la noble et touchante expression d'une affection personnelle, d'une préférence justifiée à tant de titres, sacrifiée toutefois au vœu national par l'un de vos plus honorables collègues : cette abnégation vertueuse, et toute patriotique, j'ose aussi en revendiquer ma part.

Mais est-il vrai que l'élection du prince Léopold de Saxe-Cobourg doive être considérée par la France comme un acte d'hostilité de notre part, et comme nous constituant à son égard en état de suspicion ?

Ah ! messieurs, qu'elle se garde de le croire ! Si, en déposant un vote affirmatif, je partageais cette opinion, je me tiendrais coupable d'ingratitude envers elle, et d'une haute imprudence, pour ne pas dire plus, envers mes concitoyens. Mais non, la France elle-même, qui applaudit par ses organes les plus généreux à notre vœu d’indépendance, ne le croira pas.

N'avons-nous pas prouvé naguère notre confiance en elle, notre sympathie pour elle ? Nos vœux n'ont pu se réaliser. Comment nous faire un crime d'avoir tourné nos regards ailleurs ?

S'il m'était démontré que le choix du prince de Saxe-Cobourg fût une conception de la triple alliance de 1815, une combinaison dirigée dans des vues systématiquement hostiles contre la France, je serais le premier à refuser d'y donner les mains.

Il n'en est pas ainsi ; et la preuve, c'est que ce choix n'a point rencontré d'adversaire dans l’habile représentant des Tuileries à la conférence de Londres.

Je concède que les puissances étrangères y ont vu une garantie d'existence et de stabilité du nouvel Etat qui s'élève, un obstacle aux vues ambitieuses qui viendraient à se réveiller.

Mais grande est la différence entre cette précaution de haute politique, et l'établissement d’un Etat voisin essentiellement ennemi, comme l'était le ci-devant royaume des Pays-Bas.

Toujours, messieurs, les deux peuples seront unis ; religion, lois, mœurs, langue, civilisation, rien ne peut rompre tant et de si forts liens de confraternité nationale.

Ajoutez-y la contiguïté des territoires et la (page 260) communauté des principes politiques, comment ne pas espérer de conserver, d'augmenter même nos rapports commerciaux, en même temps que l'abaissement graduel, si ce n'est l'entier affranchissement des barrières qui séparent encore les peuples à leur commun préjudice, viendra, grâce aux progrès de la science économique, faciliter les échanges de leurs produits respectifs ?

Le roi des Belges sera ou deviendra l'allié nécessaire du roi des Français ; cette alliance sera nécessaire par cela seul que le principe de leur pouvoir sera commun, par cela seul que tous deux seront les élus du peuple.

Une ligne de démarcation fortement tracée existera toujours entre eux (et je range avec eux le monarque anglais) et les rois absolus, représentants vieillis du droit divin et du dogme de la légitimité.

Le jour où le monarque français serait méconnu, le nôtre le serait ; le jour où notre territoire serait foulé par les phalanges ennemies, le territoire français serait menacé. Il y aura donc par la force même des choses, entre les deux peuples comme entre les deux gouvernements, non pas alliance offensive, mais alliance naturelle, et c'est la plus solide, contre toute agression étrangère, contre tout projet attentatoire à l'indépendance et au droit des deux nations.

C'est à cette seule condition que le prince à qui vous offririez la couronne de la Belgique peut la prendre et la conserver, et les mandataires de la nation seront là pour en surveiller l'observance.

Ce que représente le prince de Saxe-Cobourg, c’est un système de neutralité politique qui rassure les gouvernements du Nord ; qui, nous laissant tout-puissants pour la commune défense, sache au besoin y chercher un auxiliaire contre la conquête du Midi.

Quant à l'utilité instantanée de l'élection, je la trouve dans le besoin de rassurer les gouvernements, aussi bien que les peuples jaloux de régler eux-mêmes leurs affaires, sur des craintes, légitimes, disons-le, dans l'état actuel de l'Europe. Elle nous acquiert un titre à leur confiance, à leur appui ; elle est un gage assuré du désir qu'éprouve la Belgique de s'asseoir enfin au rang des nations ; elle nous ménage la voix d'un négociateur puissant, dont les droits et les intérêts vont s’identifier avec les nôtres, et ne pourront jamais s’en séparer, parce que les peuples veulent aujourd'hui qu'on les gouverne pour eux-mêmes. Je crois donc qu'il est préférable que l'élection précède les négociations, que les négociations précèdent la guerre.

On a dit, avec trop peu de bonne foi, que le prince Léopold était le candidat de la Sainte-Alliance, et qu'il nous était imposé par elle. Pour ma part, je repousse cette assertion comme une calomnie. C'est au contraire lui que nous opposons à la Sainte-Alliance ; c'est pour nous sauver de ses pièges et de ses projets que nous voulons nous associer à un homme qui, à son tour, recevra de nous l'appui d'une volonté forte, prête à soutenir les négociations par les armes.

Léopold a une belle page à léguer à l'histoire. Espérons qu'il comprendra la grandeur de son rôle, et qu'il saura le remplir.

S'il en était autrement, si l'homme auquel la Belgique remet en partie le soin de ses destinées, trahissait une confiance qui l'honore, ou bien si le système des négociations fallacieuses et des sinuosités diplomatiques venait de plus en plus nous enlacer, elle saurait prendre enfin son parti ; après une preuve nouvelle de notre désir de ne point troubler la paix de l'Europe, il suffirait de faire, dans un manifeste énergique, au courage de ses enfants et des braves de tous les pays, un appel qui serait entendu au dedans et au dehors de la frontière.

Le congrès et le vénérable régent de la Belgique, faisant à la nation le récit fidèle de ce qui aura été tenté, la prenant pour juge entre eux et la conférence, retrouveraient vivant dans tous les cœurs ce même patriotisme qui, quoi qu'on en dise, anime encore en ce moment chacun de nous. J'en ai pour garant le mouvement spontané, unanime, qui a fait lever d'indignation cette assemblée à la seule pensée d'une atteinte possible au territoire. Si les diplomates de la conférence en avaient été témoins, ils auraient abdiqué, messieurs, tout projet de vaincre par la ruse ou la menace, la généreuse obstination qui distingue le caractère national.

Les mots de majorité et de minorité ont été souvent prononcés dans cette enceinte : la première ne diffère de la seconde (à l'ardent patriotisme et aux talents de laquelle je rends hommage), que sur l'emploi des moyens ; car leur but est le même ; leurs intentions sont les mêmes ; celle-ci veut la guerre demain, sans considérer que le risque est extrême, et qu'elle n'est actuellement opportune ni utile pour le succès d'aucun système. Celle-là ne recule pas non plus devant la guerre ; mais elle la veut précédée de sages et fermes négociations. Ne la croyant juste qu'autant qu'elle devienne une nécessité, elle veut n'avoir aucun reproche à se faire, et dans une question si grave, on ne peut lui en vouloir de ne pas céder à trop de précipitation. (page 262) Convaincue que le canon sert mal à l'affermissement des libertés, au développement régulier de l'industrie et du commerce, avare du sang humain et de celui de ses compatriotes, elle veut, lorsque viendra le moment de céder à l'une de ces tristes nécessités sociales et politiques qui pèsent , sur les peuples, pouvoir en renvoyer aux rois la sanglante responsabilité.

Tels sont, je crois, messieurs, les motifs de la majorité, de cette majorité qu'on paraît ne pas avoir bien comprise, que quelques-uns ont le tort d'assimiler à ces majorités factices, fruits des gouvernements constitutionnels bâtards. Celle qui apparaît ici est l'expression souveraine de la volonté nationale ; elle n'est ni le soutien servile du ministère, ni l'obséquieux défenseur de ses actes. Le ministère reçoit et doit recevoir d'elle son impulsion.

Qui que ce soit qui le premier ait prononcé le nom du prince, le ministère n'est rien dans cette combinaison ; l'élection du chef de l'État n'est pas et ne doit pas être une intrigue ministérielle ; c'est un point dont la décision vous appartient comme pouvoir constituant. J'en dis autant des négociations que vous avez autorisées ; elles n'auront lieu que sous votre bon vouloir ; il vous en sera rendu compte ; et là, messieurs, là où commencerait le déshonneur, tous, majorité et minorité, confondus dans un même sentiment, et certains de trouver des auxiliaires redoutés, vous saurez comprendre et adopter enfin le parti qui vous sera dicté par la nécessité et le salut du pays. (P., supp., 5 juin.)

M. Blargnies – Messieurs, je voterai contre l'élection du prince Léopold.

Vous croirez tous que mon vote est le résultat de l'examen approfondi que j'ai fait de la question, le résultat de ma conviction intime. Mais faisant partie de la minorité, je crois devoir vous exposer brièvement mes motifs.

Peut-être avons-nous commis une faute capitale en nous engageant, pour ainsi dire tacitement, à chercher notre chef hors des rangs de la révolution ; car nous avons toujours manifesté le désir d'avoir un roi qui s'associât à la révolution et couronnât l'œuvre de la nation et du congrès. Or, il nous est connu que le prince de Saxe-Cobourg devrait s'associer aux autres rois, même aux plus absolus, avant de pouvoir contracter avec nous.

Ce prince veut avoir l'assentiment des principales dynasties de l'Europe avant d'accéder au décret du congrès ; il sera donc l'homme des potentats européens avant d'être celui de la nation. Or, les protocoles que nous connaissons et la lettre de lord Ponsonby me prouvent à la dernière évidence que Léopold ne pourra pas accepter la couronne.

Il devrait, préalablement à tout, reconnaître les bases de la séparation de la Belgique d'avec la Hollande, telles que les ont fixées les actes de la conférence, renoncer au Limbourg, au Luxembourg et à la rive gauche de l'Escaut.

C'est ce qu'il ne veut pas faire, c'est ce que nous ne voulons pas qu'il fasse.

Son élection n'aura donc d'autre effet que de nous donner un interprète près des cinq grandes puissances ; le titre de roi des Belges, que nous lui aurons donné, ne sera pas, ne sera jamais une raison pour amener la Hollande à renoncer à ce qu'elle regarde comme son territoire, comme une condition sine quâ non de son existence politique, et vous savez que sans l'assentiment de la Hollande les décrets des cinq grandes puissances resteront immuables et irrévocables ; vous savez aussi que les grandes puissances du Nord et l'Angleterre elle-même nous préféreront toujours la Hollande ; elles le doivent dans l'intérêt de leur politique.

Je dois donc regarder comme inévitable la guerre contre la Hollande ; à qui nous ne voulons pas céder notre territoire ; et nous savons, a n’en pas douter, que le prince de Saxe-Cobourg ne veut pas d'une couronne au prix d'une guerre : ce prince ne serait donc pas même le chef que nous cherchons pour notre armée.

Je suis convaincu que le prince, supposât-on même son acceptation, ne régnerait pas à Bruxelles, car il ne pourra jamais prêter le serment relatif au maintien de l'intégrité du territoire.

En nommant le duc de Saxe-Cobourg, nous ne faisons donc que nous jeter dans des négociations dont il est impossible de prévoir la fin, et nous perdons un temps dont nous devons rester maîtres.

L'opinion défavorable que je m'étais formée sur la candidature du prince a été confirmée par le rejet de toutes les conditions que la minorité avait voulu mettre à son élection, la majorité ayant paru oublier alors qu'elle avait basé l'élection immédiate sur les nécessités du pays.

Je suis entraîné non moins fortement à voter contre le prince de Saxe-Cobourg par les considérations suivantes :

Le prince de Saxe-Cobourg est l'homme de la Sainte-Alliance ;

Il est le candidat de tous les fauteurs de la restauration ;

Il est le candidat de lord Ponsonby ;

(page 263) Il est le pensionnaire de l'Angleterre.

S’il règne ici, il continuera, dans l'intérêt anglais, le rôle du roi Guillaume contre la France.

Il devra, malgré lui, tourner notre politique toujours secondaire contre un peuple avec lequel nous avons solidarité de principes et d'intérêts ; il gardera notre ligne de forteresses dans le système de la coalition de 1814 et 1815.

L'appel de ce prince chez nous est une espèce de rupture avec la France ; aussi nous a-t-il été dit que son élection serait très impopulaire en France, et les journaux de ce pays ne l'annoncent que trop.

Aussi ne nous parle-t-on plus de son union avec une princesse de France.

Nous avons eu déjà un roi de la main de l’Angleterre, et destiné à favoriser sa politique contre la France ; je n'ai pas oublié l'engouement de certaine portion de nos populations pour le roi Guillaume, et nous l'avons vu chasser par le peuple de Bruxelles.

Je suis donc forcé de lui refuser mon suffrage, que je donnerai à notre régent actuel. (E., 6 juin.)

- La clôture de la discussion est prononcée. (I.,6 juin.)

M. Charles de Brouckere – Maintenant que les débats sont clos, et qu'il reste à discuter la question sur le mode de l'élection, je demande le renvoi à demain. (E., 6 juin.)

- L'assemblée remet à demain l'élection du chef de l'État et les discussions qui pourraient s'élever sur le mode d'élection. (P. V.)

La séance est levée à six heures. (P. V.)