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Les finances publiques sous le régime hollandais (par Robert DEMOULIN) (1950)

Les finances publiques de 1830 à 1850 (par Guillaume JACQUEMYNS) (1950)

 

LES FINANCES PUBLIQUES SOUS LE REGIME HOLLANDAIS (par Robert DEMOULIN) (1950)

 

(Extrait de : Histoire des finances publiques en Belgique, t. I, Bruxelles, Bruylant, 1950, pp 25-34)

 (page 27) Après les guerres de la Révolution et de l’Empire, il fallut reconstruire l’Europe. La tâche des diplomates et des politiques n’était peut-être pas la plus malaisée. L’économie européenne avait été bouleversée par vingt années de conflits. Dans les différents pays, les finances publiques étaient en désordre..L’œuvre du baron Louis en France est restée un modèle de restauration financière. En Angleterre, les controverses doctrinales sur le retour à l’étalon-or, les discussions sur l’amortissement de l’énorme dette d’un Etat qui avait dû armer l’Europe pour abattre la France, manifestent bien l’importance capitale du problème financier dans les années qui suivirent Waterloo. Le gouvernement tory est aux prises avec de grandes difficultés qu’il ne peut surmonter qu’en empruntant au fond d’amortissement.

Aux Pays-Bas, le problème est double. La Hollande apporte d’une part le lourd héritage de son passé, une énorme dette. Il faut d’autre part organiser les finances publiques du nouvel Etat. Guillaume Ier, chargé de cette délicate mission, est bien informé des questions à régler. Soucieux de la prospérité de son royaume, ayant le goût des affaires et la passion de la spéculation, il réunit un ensemble de connaissances techniques assez rares chez un souverain. Mais il préfère voiler au pays la situation difficile dans laquelle il se trouve. Guillaume Ier désire connaître seul l’ensemble des finances de ce qu’il considère comme « son Etat ». Il souhaite être seul à diriger la politique financière et se trouve gêné par les obstacles que mettent à l’exercice de ses tendances autocratiques certaines dispositions de la Loi fondamentale. A les tourner par une série ininterrompue de subterfuges, Guillaume Ier consacrera une bonne partie de ses jours et de ses nuits.

La prépondérance que le Nord a exercée pendant les quinze années de la réunion des dix-sept provinces était écrasante dans les sphères dirigeantes. On ne compte pas un ministre belge des finances pendant cette période et le haut personnel administratif de ce département était presque exclusivement (page 28) hollandais. Il est vrai que le problème crucial était d’essence hollandaise. En 1814, le rétablissement de la Dette nationale a été décidé dans les Provinces-Unies. La réduction au tiers de leur énorme dette décidée par Napoléon lors de la réunion du Royaume de Hollande à l’Empire français, est annulée. Le nouvel Etat se charge ainsi d’un très lourd fardeau. C’est la Hollande qui apporte ce pauvre cadeau de bienvenue, c’est en Hollande que les inscriptions de la Dette nationale sont détenues, c’est en Hollande qu’elles sont négociées, ce sont des capitalistes et des spéculateurs hollandais qui s’intéressent avec le plus d’attention et le plus de compétence à ces valeurs.

Charge hollandaise très onéreuse pour la Belgique, la dette active s’élevait à 575 millions de florins Pays-Bas, la dette différée à 1.151 millions. Si l’on songe que la Belgique n’apportait au nouveau royaume qu’une dette de 26 millions de florins Pays-Bas (soumise au nouveau régime, elle ne grossissait la dette active des Pays-Bas que de 16 millions, la dette différée que de 32), on aperçoit tout de suite la source des protestations répétées et légitimes des Belges.

Mais le poids de la dette n’est pas le seul à s’appesantir sur les habitants du nouveau royaume. L’équilibre budgétaire est difficile à établir : frais de guerre contre Napoléon revenu de l’île d’Elbe, entretien d’une armée montant la garde au Sud, face à la France considérée comme la grande perturbatrice, mise sur pied d’une administration, politique de grands travaux. Aussi les déficits se succèdent : dix millions de florins en 1816, dix-sept millions en 1817. Pour combler ce déficit, l’Etat emprunte, mais les députés aux Etats Généraux s’inquiètent des charges nouvelles qui retombent finalement sur les contribuables. Une lutte s’engage dont le roi sortira provisoirement vainqueur en choisissant des voies détournées.

Il est intéressant de montrer la marche suivie par le souverain. Guillaume Ier ne se soucie pas seulement d’équilibre budgétaire, mais il cherche le redressement de toute l’économie de son royaume, il entend poursuivre une politique d’expansion économique. Il veut trouver de l’argent qui permettrait d’ouvrir de nombreux chantiers, de l’argent qui financerait l’industrie, de l’argent qui réduirait les charges fiscales. La gestion des finances publiques n’est qu’une partie de l’œuvre de rénovation (page 29) économique de Guillaume Ier et ne prend tout son sens que replacée dans l’ensemble de cet effort considérable.

La Loi fondamentale donne au roi de larges pouvoirs, car les Etats Généraux jouent un rôle médiocre dans l’établissement du budget. En 1814, l’article 71 de la Loi fondamentale des provinces-Unies des Pays-Bas dit expressément : « Le projet relatif aux finances, soumis par le prince souverain aux Etats Généraux, au commencement de leur session ordinaire, est divisé en deux chapitres. Le premier contient toutes les dépenses fixes et déterminées, qui, dérivant du cours ordinaire des choses, sont particulièrement relatives à l’état de paix, et doivent, par conséquent, être fixées sur un pied permanent.

« Le second chapitre comprend les dépenses extraordinaires et imprévues qui, particulièrement en temps de guerre, doivent être réglées d’après les circonstances.

« Le premier chef, une fois approuvé par les Etats Généraux, est destiné à ne plus subir de changement, que dans le cas où quelque article des dépenses viendrait à varier ou à cesser entièrement.

« Le second chef n’est consenti que pour un an ».

Certains pensaient trouver une sauvegarde dans l’article 70 : « Le budget des dépenses de l’Etat, soumis par le prince souverain aux Etats Généraux, doit nécessairement avoir leur assentiment. Ils délibèrent ensuite sur les moyens proposés pour y faire face. »

Mais l’entourage royal et certains hommes politiques hollandais considéraient que « l’intention et le sens de la Constitution était que le subside fixe une fois accordé devant être perpétuel, les fonds pour y faire face, une fois proposés, devaient être perpétuels de même » (J. J. RAEPSAET, Œuvres complètes, t. VI, p. 92).

Le prince souverain doit faire aux Etats un rapport annuel détaillé de l’usage des fonds accordés. Mais les délibérations des Etats ne sont pas publiques et il n’est pas fait mention de la publicité du rapport sur les finances.

Après la réunion de la Belgique à la Hollande, la Loi fondamentale révisée n’apporte guère plus de garanties. Malgré les efforts des membres belges à la Commission de révision, les (page 30) pouvoirs du roi restent prédominants. Les Etats Généraux sont formés maintenant de deux Chambres, mais les membres de la première sont nommés à vie par le roi. Si la publicité des délibérations de la seconde Chambre est admise, les efforts des commissaires belges pour obtenir la suppression de la distinction entre dépenses ordinaires et extraordinaires restent vains. Du moins obtiennent-ils que les dépenses ordinaires soient fixées pour une période de dix ans (pour la première fois de 1820 à 1830) (H. T. COLENBRANDER, Onstaan der Grontwet, t. II, p. 175, 188, 222, 435). Les moyens de faire face à ces dépenses sont également arrêtés pour dix ans et demeurent invariables ; à moins que le roi ne fasse connaître qu’il est nécessaire de remplacer ou de modifier un de ces moyens (Loi fondamentale, articles 121 à 126). Il était en outre prévu que chaque année les Etats Généraux examineraient la dette de l’Etat. Ainsi donc le pouvoir royal est énorme : « La Loi fondamentale, en admettant l’étrange distinction d’un budget fixe voté pour dix ans et d’un budget variable sujet au vote annuel, avait faussé la première prérogative populaire pour procurer au Gouvernement une garantie de force et de durée, en réduisant le combat annuel à une légère escarmouche ; combinaison maladroite, car la grande bataille devait être d’autant plus vive, d’autant plus décisive que le rendez-vous était donné depuis dix ans, que pendant dix ans amis et ennemis avaient pu préparer leurs armes. » (J.-B. Nothomb, Essai historique et politique sur la Révolution beige, 4e éd., Bruxelles, 1876, t. Ier, p. 445). J.-B. Nothomb ne recourt qu’à des arguments politiques pour condamner le système de Guillaume Ier. Mais ces arguments sont les seuls qui importent ici, car c’était bien la volonté de se passer du contrôle de la représentation nationale qui avait guidé le roi dans le choix d’une pareille distinction. On se tromperait étrangement si, à ce propos, on voulait voir en Guillaume Ier un précurseur de théoriciens ou d’hommes d’Etat contemporains. II ne songe pas à échelonner un budget sur un cycle de plusieurs années, il ne veut que se libérer des Etats Généraux.

En outre, dans l’établissement du budget, on n’entre pas dans beaucoup de détails. De plus, dans l’exécution, le pouvoir gouvernemental agit avec assez de désinvolture bien que l’article (page 31) 127 de la Loi fondamentale déclare que « les dépenses de chaque département d’administration générale sont l’objet d’un chapitre séparé du budget. Les fonds alloués pour un département doivent être exclusivement employés pour des dépenses qui lui appartiennent, de sorte qu’aucune somme ne peut être transférée d’un chapitre d’administration générale à un autre, sans le concours des Etats Généraux. » Mais, comme il restait tout de même à faire approuver par les Etats Généraux les moyens pour couvrir les dépenses (Loi fondamentale, article 197 « Aucune imposition ne peut être établie au profit du Trésor public, qu’en vertu d’une loi. »), Guillaume Ier va se livrer à des manœuvres habiles pour se procurer des fonds sans intervention des Etats. Nous touchons ici aux constructions les plus personnelles de ce souverain obstiné, de cet homme d’affaires avisé.

En 1814, la Caisse d’amortissement est créée pour servir à la conversion de la dette différée en dette active. En 1815, une nouvelle institution voit le jour : le Syndicat des Pays-Bas. Il est chargé de la négociation d’un emprunt forcé destiné à couvrir les dépenses extraordinaires résultant de la guerre. En 1817, désireux d’accélérer la conversion de la dette différée, le roi voudrait, grâce aux domaines, lancer un grand emprunt. En 1821, l’idée prend une forme plus précise une banque domaniale servirait les desseins royaux. Mais Guillaume Ier se heurta aux objections de son ministre des finances Six Van Oterleek et aux attaques du député Van Hogendorp. Cependant le roi, tenace, réalisa ses projets sous une forme nouvelle. Il fonde en 1822 la « Société Générale pour favoriser le développement de l’Industrie Nationale », à laquelle il affecte ses biens patrimoniaux et il crée, le 27 décembre 1822, le fameux Syndicat d’amortissement. Cet organisme, qui remplace la Caisse d’amortissement et le Syndicat des Pays-Bas, est chargé des tâches que l’Etat ne pouvait assumer par les budgets réguliers, ordinaire et extraordinaire. Il devait fournir des millions de florins pour les grands travaux, la construction de vaisseaux de guerre, l’achèvement des fortifications ; en outre il devait amortir le déficit de 1822, payer l’intérêt des emprunts faits pour les grandes communications. A la place du Trésor, il se chargerait des pensions (page 32) extraordinaires, des rentes viagères, fournirait 12 millions de florins afin de faciliter l’introduction du nouveau système monétaire. Enfin, il rembourserait les titres des deux emprunts du Syndicat des Pays-Bas et retirerait de la circulation les certificats de la dette différée. Le Syndicat voyait mettre à sa disposition le produit des droits de passage par terre et par eau, recevait l’autorisation d’aliéner des domaines, disposait d’un crédit de 68 millions de dette active à 2,5 p. c., d’un autre de 26 millions, et pouvait émettre 116 millions de florins d’obligations à 4,5 p. c.

Ainsi un troisième budget était créé et il échappait au contrôle des Etats Généraux jusqu’en 1829. A cette date seulement, un simple rapport devait leur être soumis sur les activités de ce mystérieux organisme. Il a fallu attendre notre siècle et de patientes recherches d’archives pour que l’on vît un peu clair dans cette partie capitale des finances publiques du Royaume des Pays-Bas (H. RIEMENS a dressé le bilan de cette institution dans son étude : Het Amortisatie-Syndicaat. Een studie over de Staatsfinanciën onder Willem I, Amsterdam, 1935).

Le Syndicat émit plusieurs emprunts. Certains remportèrent un incontestable succès, mais d’autres ne rencontrèrent pas la faveur du public, et, en octobre 1830, le Syndicat ne put faire face à ses engagements. Mais à l’actif de ce Syndicat, il faut compter la réduction de la dette différée pour un montant de 376 millions et l’avance au Trésor de sommes considérables. Grâce à ces capitaux, Guillaume Ier poursuivit sa politique de grands travaux et finança le fonds de l’industrie (7 1/2 millions). En 1829, le Syndicat avait émis des emprunts pour 123 millions, vendu des domaines pour 38 millions, créé de la dette active pour 13 millions. La charge de l’intérêt annuel était diminuée par les amortissements de 3.343.050 florins, mais augmentée de 6.459.996 florins par suite de nouvelles dettes, ce qui laissait 3.116.946 florins d’accroissement (H. RIEMEN5, op. cit., p. 178).

Cet organisme est un des piliers de l’imposante construction économique de Guillaume Ier. Ce souverain a lui-même indiqué avec précision les services qu’il en attendait : « Le Syndicat d’amortissement a plus de liberté que le Trésor pour pourvoir (page 33) à ses besoins ; il doit être considéré comme une institution indépendante avec sa propre administration, qui a des obligations mais qui est mise en état de les remplir. Son but est de relever le crédit de l’Etat et d’exécuter les mesures financières pour la commodité du Trésor, tandis qu’il est indiqué quelles obligations celui-ci doit remplir à l’égard du Syndicat. Ces obligations sont sacrées, et cela pourrait avoir de très visibles conséquences pour le crédit des deux institutions si elles n’étaient pas exécutées cependant le devoir du Trésor y veillera. Le Trésor ne doit pas s’exposer à des difficultés pour aider son jeune frère ou partager avec lui les difficultés financières dans lesquelles il peut tomber. » (Algemeen Rijks Archief, Secrétairerie d’Etat, 3 avril 1823, X 3, lettre du roi au ministre des finances Elout).

Ainsi Guillaume Ier, sans se soucier des Etats Généraux, se procure des capitaux considérables. Lui-même spécule avec les quatre titres dette active, dette différée, obligations du Syndicat, bons des domaines. C’est lui qui gère seul les finances du royaume, car lui seul est informé de l’ensemble du problème. Ministre des finances, vice-président de la Commission permanente du Syndicat, président de la Nederlandsche Bank, gouverneur de la Société Générale, sont souvent en discussion. Entre ces dirigeants la confiance ne règne pas et le roi profite de ces difficultés pour mieux asseoir son souverain pouvoir de décision. Comment voir clair dans un pareil assemblage de pièces éparses : budget décennal, budget annuel, fonds spéciaux multipliés à plaisir (fonds pour la défense des frontières du Sud, fonds des grands travaux, fonds particuliers du souverain, etc.), et enfin le Syndicat avec ses multiples activités ?

Les chiffres des budgets réguliers ne jettent que des lueurs sur la situation des finances du royaume. Ils montrent cependant l’amélioration du rendement fiscal après l’introduction du nouveau régime des impôts en 1823 et l’accroissement du revenu des postes décèle bien la reprise continue de l’économie (Pour tout ce qui regarde la fiscalité nous renvoyons à l’étude de M. VAN HOUTTE.) Mais le déficit reste considérable : 16 millions en 1830 avec un projet de budget ordinaire de 60.750.000 et un budget extraordinaire de 17.103.200 florins.

(page 34) La Cour des comptes, créée par la loi du 21 juin 1820, est réduite à l’impuissance, puisqu’elle n’a pas droit de regard sur les opérations du Syndicat. Un visa royal suffit pour qu’on se passe de sa vérification. Aussi après plus d’un siècle, le jugement impartial de John Bowring, chargé par le Parlement anglais en 1831 d’une vaste enquête sur les budgets dans les pays de l’Europe occidentale, garde-t-il toute sa valeur : « Comme une partie importante des opérations administratives, particulièrement celles en relation avec le Syndicat d’amortissement et les actes de la Cour des comptes, ne sont pas soumises à l’examen public, j’hésite à donner une opinion favorable sur l’ensemble du système » (Parliamentary Papers, House of Commons, 1831-1832, XXVII, 658 (166), rapport Bowring, 10 décembre 1831). Aussi nos Constituants ont-ils écrit dans notre Pacte fondamental des dispositions précises pour affirmer que « Chaque année les Chambres arrêtent la loi des comptes et votent les budgets. Toutes les recettes et dépenses de l’Etat doivent être portées au budget et dans les comptes. »

Cette préoccupation essentielle du contrôle des finances par les Chambres trouve une de ses origines immédiates dans la gestion financière de Guillaume Ier et de ses ministres, qui n’étaient que ses humbles commis.

Ainsi l’expérience du régime hollandais a-t-elle eu des conséquences capitales dans notre histoire financière. L’exemple du mystérieux Syndicat est resté longtemps vivace dans la mémoire des Belges et les difficultés inextricables rencontrées après 1830 dans le partage de la dette ont renforcé nos ancêtres dans leur conviction que la tâche essentielle du Parlement était de contrôler les finances de l’Etat.

 

LES FINANCES PUBLIQUES DE 1830 A 1850, par Guillaume JACQUEMYNS (1950)

 

(Extrait de : Histoire des finances publiques en Belgique, , t. I, Bruxelles, Bruylant, 1950, pp. 35-

(page 37) Je me propose d’étudier les finances publiques de 1830 à 1850 en corrélation étroite avec la situation politique et économique. J’ai utilisé des documents publiés et de nombreuses sources d’archives.

Après les événements de septembre 1830, la Belgique connaît des jours sombres les Hollandais ne se tiennent pas pour définitivement chassés, les Puissances hésitent, les troupes hollandaises envahissent le territoire, Léopold Ier cherche à raffermir la situation de la Belgique. Nos provinces se soumettent aux volontés des Puissances, la Hollande s’y refuse.

En 1839, après des débats et des négociations pénibles, les traités sont ratifiés par toutes les parties en présence.

Jusqu’en 1840, c’est sous le signe de l’Unionisme que les Belges essaient de sortir de leurs difficultés. Cet unionisme s’accommode fort bien de discussions parfois violentes entre libéraux et catholiques au sujet du rôle de la « société civile ».

Tons les Belges ne sont pas, au lendemain de 1830, unis dans un réel patriotisme. Ils ne sont pas rares ceux qui boudent ou qui sont hostiles à la Belgique indépendante.

A côté des Orangistes, ouvertement adversaires de la séparation, il y a ceux qui se taisent, mais qui sont bien décidés à ne rien faire pour raffermir la Belgique. Il y a aussi la masse de ceux qui n’ont pas confiance. A cause de leur mutisme, ils n’apparaissent pas dans l’histoire. Mais leur résistance passive n’a pas moins de force que l’élan de ceux qui à la représentation de la Muette de Portici manifestent bruyamment leur hostilité au roi Guillaume.

Le Gouvernement se rend compte de l’existence de cet état d’esprit quand, pour sauver la Belgique, il lance des emprunts. Les bourses ne se délient pas. L’ordre règne, mais la confiance fait défaut. La « société anonyme » Belgique n’a guère de succès. On demande à Rothschild de lui faire crédit !

De 1840 à 1846 se succèdent des cabinets à tendances modérées et fidèles à l’esprit de 1830.

Le 31 mars 1846, est constitué le Ministère catholique homogène de Theux. Le 8 juin 1847, les libéraux remportent une (page 38) éclatante victoire. Le ministère de Theux, désavoué par le corps censitaire, démissionne. Le Roi, surpris par les résultats des élections, et redoutant la formation d’un cabinet « de parti », hésite, temporise. Enfin, le 12 août, il autorise Rogier à constituer le ministère qui, s’appuyant sur une majorité homogène, ouvre le régime parlementaire tel que l’entendent les Anglais. Hubert Frère-Orban est de l’équipe. Il reçoit le portefeuille des Travaux publics. Son grand talent, l’ascendant qu’il a sur tous les doctrinaires, le désignent quelques mois plus tard comme successeur de Veydt aux Finances.

Comme beaucoup de ses prédécesseurs à ce Département, il se trouve aux prises avec de grandes difficultés résultant, d’une part, de l’évolution économique du pays et, d’autre part, de la situation des finances publiques en général.

Pendant les vingt premières années d’indépendance, les finances publiques subissent, la chose est naturelle, le contrecoup de l’état d’esprit, des événements politiques et de la situation économique.

Les événements politiques agissent surtout en 1830, 1831, 1839 et 1848. La situation économique influence les finances publiques d’une façon constante, mais plus particulièrement en 1839 et 1848, années de crises graves qui ont failli ébranler tout l’édifice patiemment construit.

Il est intéressant de voir comment le pays est sorti du marasme économique et financier. Il y a des leçons à tirer des crises qui, en quelques mois, ont conduit le pays à deux pas de la banqueroute.

Voyons en leurs grandes lignes 1° l’évolution économique du pays ; 2° la situation des finances publiques ; 3° les crises financières de 1839 et 1848.

CHAPITRE PREMIER. - Evolution économique du pays.

Une crise économique intense éclata au lendemain de la Révolution. Privés du vaste débouché que constituaient les provinces septentrionales des Pays-Bas et les colonies hollandaises, nos établissements industriels se trouvèrent dans l’impossibilité d’écouler leurs produits.

(page 39) La Hollande, entraînée par l’esprit de représailles, en même temps qu’elle nous ferma ses colonies, nous interdit ses eaux intérieures par la fermeture de l’Escaut.

Les produits de l’industrie belge ne furent pas seulement exclus des colonies hollandaises, ils furent encore écartés des marchés européens. Entourée de voisins puissants, de peuples éminemment industriels et agricoles, de nations « fermées à double tour », la Belgique se heurta à des tarifs douaniers prohibitifs. La France et l’Allemagne ne se montrèrent pas disposées à faciliter l’écoulement de nos fabricats. La France exigea toujours de grandes faveurs en retour des faibles avantages qu’elle nous accordait. Les autres pays européens ne se trouvaient pas dans la nécessité de nous faire des commandes importantes. La Belgique, repliée sur elle-même, dans l’impossibilité de déverser à l’extérieur ni l’excédent de ses fabrications, ni le superflu de ses récoltes, était exposée à périr d’étouffement.

L’incertitude qui régnait sur l’avenir politique du pays contribua à augmenter le malaise.

La Belgique consacra les premières années de son autonomie nationale à s’organiser politiquement.

Les institutions commerciales et industrielles se plaignaient amèrement de ce que le Gouvernement semblait se désintéresser complètement de la situation économique du pays.

Les industriels alarmés réclamèrent des compensations. Absorbés par des questions d’organisation politique et administrative, le Gouvernement et le Congrès ne donnèrent point satisfaction à leurs doléances. Ils se bornèrent à édicter quelques mesures de circonstance sans caractère économique bien accentué.

Le Gouvernement devint impopulaire, les hommes d’Etat furent sévèrement jugés par les industriels, les commerçants, une partie de la population ouvrière et par un grand nombre d’étrangers.

Si les premières années de notre indépendance furent marquées par le marasme économique, il ne serait cependant pas juste de dire que le Gouvernement se borna à constater ce marasme. Sans doute, il y eut insuffisance de sa part, mais non carence complète

Pour mesurer les progrès accomplis pendant les vingt premières (page 40) années de notre indépendance, il faut connaître la situation au lendemain des journées de 1830. Waxweiler, dans sa belle étude sur la Révolution industrielle, après avoir donné un tableau d’ensemble, conclut : « Au moment où s’achevait la révolution politique, la révolution industrielle qui devait introduire le machinisme dans notre pays ne s’était point produite encore. Au total, en y comprenant même les 10.000 chevaux-vapeur des pompes à feu des charbonnages, la puissance des machines atteignait à peine alors pour toute la Belgique ce qu’absorbe aujourd’hui une usine importante : 13.000 chevaux. »

Ce qui permit tout d’abord à la Belgique de se relever de la crise causée par la Révolution de 1830, fut l’organisation de son marché intérieur.

L’établissement des lignes de chemins de fer favorisa la mise en valeur du marché national.

En même temps, on améliora les routes, on augmenta le nombre de canaux.

L’industrie, placée dans la nécessité de chercher pour ses produits des voies nouvelles, se perfectionna en vue de lutter victorieusement à l’étranger. Exclus des colonies et des ports des provinces septentrionales, nos industriels s’ingénièrent à trouver d’autres débouchés, d’autres acheteurs, d’autres courtiers.

Après la stagnation économique de 1830 à 1834, l’industrie capitaliste prit un développement qui contraste avec la période précédente.

A partir de 1835, les transformations techniques introduites dans l’industrie à la suite de l’extension du marché par l’incorporation à la France et à la Hollande, se poursuivirent et s’accélérèrent. Le réveil se manifesta dès 1834. La cause de la nouvelle activité industrielle fut avant tout la constitution de nombreuses sociétés anonymes. L’association des capitaux permit d’implanter définitivement la grande industrie dans notre pays. Dès 1834, la forme peu usitée encore de la société anonyme par actions fut popularisée. Les capitaux abondaient. On fit appel aux rentiers qui confièrent en masse leurs fonds. Les sociétés anonymes et en commandite écloses en Belgique à cette époque représentent un capital de 310.420.000 francs, pouvant être (page 41) augmenté, en cas de besoin, de 20.850,000 francs et porté ainsi à la somme de 331.270.000 francs.

Après la Révolution, le Gouvernement manifesta le désir de voir secourir le commerce et l’industrie par quelque grande association ; néanmoins les sociétés ne se formèrent qu’en 1835, alors que déjà le commerce et l’industrie se relevaient de toutes parts, et que l’avenir du pays, de plus en plus assuré, offrait des garanties certaines. Les premières sociétés furent la Société de Commerce et la Banque de Belgique. La Société Nationale et les sociétés de prêts vinrent compléter les moyens généraux d’encouragement que l’on ne rencontrait point dans la Banque, dite Société Générale pour favoriser l’Industrie nationale. La société anonyme fut étendue successivement, avec l’approbation du Gouvernement, à l’exploitation des charbonnages, des hauts- fourneaux, des fabriques de fer et des verreries.

En la seule année 1837, 250.000.000 de francs furent souscrits pour la constitution de sociétés anonymes.

En 1839, à la veille de la catastrophe financière, un capital de 60 millions de francs était immobilisé dans les charbonnages. Les banques et autres établissements financiers absorbaient 80 millions.

Dans l’ensemble, 350 millions furent mis en circulation de 1834 à 1838.

La plupart de ces créations se firent sous le patronage de la Banque de Belgique, fondée en 1835, et de la Société Générale pour favoriser l’Industrie nationale.

Vers 1835, la Société Générale, qui n’avait guère été jusque-là qu’une banque semi-officielle, doublée d’une compagnie immobilière, manifesta résolument la vocation industrielle qui devait de plus en plus devenir sa caractéristique dominante.

Elle fonda en 1835 deux puissantes sociétés filiales : « La Société de commerce de Bruxelles », au capital de 10 millions de francs, et la « Société Nationale pour entreprises industrielles et commerciales », au capital de 15 à 25 millions.

Toute cette activité fut compromise par la crise de 1839. Mais le pays se ressaisit assez rapidement.

A partir de 1840, la grande industrie continua à se développer au point que la Société Générale seule vit son portefeuille d’actions de sociétés, qui, en 1835, était de 3 millions et demi, s’élever (page 42) à près de 30 millions en 1847, et que le total des prêts et avances de la même société passa de 7 millions en 1830 à plus de 58 millions à la fin de 1847.

De 1840 à 1850, les progrès de l’industrie furent de plus en plus marqués. Le commerce prit une grande extension.

De 1845 à 1850, les provinces wallonnes, centre de l’industrie métallurgique et charbonnière, étaient en pleine activité. Anvers et le Brabant, bien que se trouvant dans de moins bonnes conditions, virent, elles aussi, s’améliorer leur situation économique. Le Limbourg et surtout les deux Flandres continuèrent à se débattre dans une stagnation économique pénible. Ces provinces ne se relevèrent que fort lentement après la crise industrielle et agricole de 1845-1847.

L’Exposé de la situation administrative du Royaume de 1841 à 1850, résume ainsi le développement économique : « Le développement rapide de la plupart des grandes branches de travail exercées en Belgique est un des faits les plus remarquables qui se soient produits pendant ces dernières années. L’esprit d’entreprise s’est porté vers les opérations industrielles ; des capitaux puissants sont venus en aide au travail, et il en est résulté une activité qui a fait de la Belgique un des pays les plus dignes d’attention sous le rapport industriel. Le travail national belge ne s’est pas exclusivement proposé pour but de pourvoir aux besoins de l’intérieur et de satisfaire de plus en plus aux exigences de la consommation, il a fait en outre des efforts soutenus pour placer ses produits sur les marchés du dehors, et ses tentatives, dans ces dernières années surtout, ont été loin de rester stériles. Les exportations des objets fabriqués, produits du travail belge, ont augmenté considérablement. A part l’année 1848, dont les résultats sont peu favorables, à cause des événements politiques qui l’ont signalée, chacune des années de la seconde moitié de la période décennale a fourni un chiffre supérieur à ceux des exercices de la première moitié. La différence en faveur de 1850 sur 1841, est de 35 p. c. »

Ces renseignements sont incomplets. Ils ne donnent pas une idée adéquate de la situation industrielle et commerciale de la Belgique. Leur simplicité ne correspond pas à la réalité complexe.

Les données qui précèdent pourraient faire illusion. Il pourrait s’en dégager que la prospérité belge a été continue et complète.

(page 43) Cette conclusion serait fausse. La ligne ascendante de la prospérité présente des fluctuations. Le développement de l’industrie recèle parfois de sérieux malaises dans le domaine commercial. Certaines industries ont souffert. L’industrie linière semblait menacée de mort.

Les finances publiques reflètent les fluctuations de la situation politique et économique de 1830 à 1850.

CHAPITRE II. - La situation des finances publiques.

Au lendemain de la Révolution, la Belgique devait tout créer et surtout établir sou crédit. Le pays était pauvre et se trouvait sur pied de guerre.

La campagne de 1831 mit les finances publiques à une dure épreuve. La Hollande refusant de reconnaître le Traité des Vingt-Quatre Articles, l’armée resta, sinon sur pied de guerre, du moins en état d’alerte jusqu’en 1839. Les dépenses militaires engloutirent 454 millions, soit 60 p. c. des recettes de l’Etat.

Les dépenses militaires n’influencèrent pas la dette publique puisqu’elles furent payées par les impôts ou amorties rapidement.

On saisit pleinement ce que signifie pour la Belgique la liquidation de la séparation lorsqu’on se rappelle qu’en 1840 le Gouvernement put ramener le budget de la guerre à 30 millions, c’est- à-dire à 30 p. c. des recettes.

La Société Générale, caissier de l’Etat sous le régime hollandais, détenait 12 millions de francs qu’elle refusait de mettre à la disposition du Gouvernement provisoire tant que la Belgique ne se serait pas affirmée.

La situation était d’autant plus délicate que certaines taxes impopulaires avaient dû être immédiatement abolies.

Le système fiscal belge ne fut guère changé après 1830. Des dispositions, datant de l’époque française, avaient été maintenues sous le régime hollandais. La Révolution maintint en ses grandes lignes le système antérieur. Cependant, le Gouvernement provisoire fut forcé de supprimer le droit d’abatage du bétail, de réduire l’accise sur les distilleries et d’abolir le serment en matière de (page 44) succession. De toutes ces mesures, il résulta pour le Trésor publie une perte annuelle de 9 millions de francs.

Le Congrès national, à son tour, décréta la réduction de la contribution personnelle et des centimes additionnels, dont cet impôt, ainsi que les accises et les droits d’enregistrement, étaient frappés ; il abrogea la loi du 3 juin 1830 qui établissait un nouveau droit sur le café et élevait, dans de notables proportions, les accises sur le sel, les vins étrangers, les eaux-de-vie indigènes et les autres. C’était pour le Trésor une nouvelle perte de revenus de plus de 6 millions annuellement.

Le Gouvernement, continuant à obéir à l’esprit de la Révolution, modifia la législation sur les bières et le sucre dans un sens favorable aux brasseurs et aux raffineurs ; il supprima les droits sur les diligences et réduisit le tarif des péages sur les canaux de Charleroi à Bruxelles et de Pommerœul à Antoing.

Tous les impôts impopulaires disparurent sans qu’ils fussent remplacés, ni compensés.

Les Chambres qui succédèrent au Congrès, poursuivirent l’œuvre des réformes dans le système d’impôts : le droit de patente fut abaissé de 25 p. c. et un dégrèvement supplémentaire fut accordé aux bateliers ; le cadastre était en pleine voie d’exécution ; en attendant qu’il fût achevé, la contribution foncière dans les deux Flandres et dans la province d’Anvers fut réduite de 5 p. c.

Le Trésor supporta difficilement ces réductions d’impôts. Après avoir donné satisfaction à l’opinion publique, les Chambres suivirent le Gouvernement dans sa révision du régime fiscal : l’accise sur le genièvre fut augmentée ; il fut établi un droit sur le débit en détail des boissons alcooliques ; les tarifs de douanes furent modifiés. Les Chambres modifièrent fréquemment les additionnels. C’est la contribution foncière que ces modifications atteignirent le plus fréquemment : de 5 qu’ils étaient en 1831 et 1832, les additionnels avaient été portés à 45 en 1833, réduits à 25 en 1834, puis à 15 de 1835 à 1838, pour être portés à 26,5 en 1839.

Les droits de patente, les accises et les droits d’enregistrement furent aussi légèrement modifiés.

C’était nécessité pour arriver à l’équilibre des budgets.

(page 45) En 1830, le Gouvernement se trouva devant une situation monétaire difficile.

Une loi de 1832 instaura un régime monétaire bimétalliste indépendant. La loi maintint cependant le cours légal aux pièces françaises et hollandaises et aussi à celles des Anciens Pays-Bas autrichiens. Ce régime ne prit fin qu’en 1844. Il n’y eut plus alors en Belgique que des pièces belges et françaises.

La circulation des billets de banque resta très réduite. Encore en 1848, l’émission totale des billets n’était que de 35 millions, alors qu’il y avait 200 millions de monnaie métallique en circulation. Le public se montrait réfractaire à l’usage des billets de banque.

La Société Générale avait 10 millions en circulation en 1831, 25 millions de 1836 à 1847. La Banque de Belgique avait ordinairement de 5 à 6 millions de billets. La Banque Liégeoise (1835), la Banque de Gand (1841) et la Banque de l’industrie à Anvers avaient aussi l’autorisation d’émettre des billets.

La crise de 1848 montra les dangers de la pluralité des banques d’émission. Depuis 1850, la Banque Nationale assurait, seule, l’émission des billets. La circulation qui était de 35 millions en 1847, montait à 50 millions en 1851 et à 97 millions en 1854. La garantie de l’Etat inspira confiance au public.

Par une loi du 28 décembre 1850, la Belgique cessa d’être bimétalliste, elle renonça à l’or, et adopta le monométallisme argent. Ce n’est qu’en 1860 qu’on en revint au bimétallisme avec le rapport de 1 à 15,50, comme en France.

 

Revenons-en à la situation du Trésor et à l’étude de la dette publique.

A la fin de septembre 1830, les caisses comptables de l’Etat ne renfermaient que 2.218.000 francs, et encore y comprenait-on une partie des revenus provinciaux et communaux. La Société Générale, caissier de l’Etat, refusa de se dessaisir de son encaisse de plusieurs millions. Elle voulait d’abord que fût consacrée définitivement la séparation de la Belgique et de la Hollande. Le Gouvernement n’avait aucun moyen de contrainte légale pour modifier l’attitude de la Société Générale.

Les caisses étaient vides, les impôts rendaient de moins en moins, le pays devait défendre son indépendance. Le (page 46) Gouvernement n’avait qu’un moyen de pourvoir aux besoins pressants de la trésorerie : l’emprunt.

Dans la suite, la situation s’améliora. On dut néanmoins continuer à avoir recours à des emprunts de formes diverses.

Le pays compléta son armature économique (notamment construction de chemins de fer) et organisa son administration sur des bases nouvelles.

Dans la dette publique, il faut distinguer les dettes contractées depuis 1830 et la dette hollandaise que nous trouvons pour la première fois inscrite au passif en 1842.

Il ne peut être question d’entrer dans les détails de ces emprunts. Il faut se borner à dégager les grandes lignes. Quelques emprunts méritent de retenir davantage l’attention.

Avant l’inscription de la dette hollandaise, la dette publique était de 281 millions.

Le passif bondit à 680 millions lorsque pour la première fois la dette hollandaise fut inscrite à ce passif.

La dette publique belge était amortissable, à l’exception des rentes 2,50 p. c. remontant à la période hollandaise.

« Sans négliger d’affecter les bonis budgétaires à des dépenses extraordinaires, la Belgique a toujours prévu une dotation régulière destinée au rachat en Bourse de la dette. Après la Révolution de 1830, on stipula que l’amortissement serait de 1 p. c. par an, plus l’intérêt des titres amortis. Etant donné le jeu de l’intérêt composé, cette dotation conduisait rapidement à l’extinction de la dette ; elle fut respectée de 1831 à 1841.

« Puis on relâcha. En 1842, ou s’en tint à un amortissement de 0,50 p. c., avec cependant des velléités de revenir à la vieille formule. Dans la suite, plusieurs changements furent encore apportés. » (FERNAND BAUDUTJIN, Histoire économique de la Belgique, dans Histoire de la Belgique contemporaine (1830-1930), t. I, p. 304).

Quelques mots de la dette d’origine hollandaise. Le traité du 15 novembre 1831, conclu entre la Belgique et les cinq grandes Puissances, avait mis à notre charge, du chef du partage des dettes de l’ancien royaume des Pays-Bas, une rente annuelle de 8.400.000 florins Pays-Bas.

Ce chiffre exagéré ne fut pas maintenu. Après des négociations adroitement menées par nos ministres et nos représentants (page 47) à Londres, les traités définitifs conclus à Londres, en avril 1839, réduisirent la part de la Belgique dans la dette des Pays-Bas à 5.000.000 de florins ou 10.582.000 francs de rente.

C’était une charge nouvelle très lourde. Mais du moins nos budgets étaient dégagés des charges extraordinaires sous le poids desquelles le Trésor avait failli succomber : celles que nécessitait la défense nationale. En effet, de 1831 à 1839, le budget de la guerre nous a enlevé au delà de 454.000.000 de francs.

Par un traité complémentaire du 5 novembre 1842 (loi du 3 février 1843), la rente de 10.582.000 francs fut inscrite au grand-livre de la dette publique.

La Belgique ayant racheté le capital de 169.312.000 francs au moyen du produit de l’emprunt à 4.50 p. c. de 1844, ses dettes d’une origine antérieure à 1830 étaient représentées comme suit :

2,50 p.c.  fr. 219.959.631,79   5.498.999,79

4,50 p.c.  fr.  67.183.000,00    3.036.735,00

L’étude de quelques emprunts fait apparaître combien, avec l’affermissement de la situation politique du pays, les souscriptions rencontrèrent moins de difficultés.

Le crédit, nul en 1830, égale après quelques années celui des Etats du continent les plus favorisés à cet égard.

Suivant les circonstances et les difficultés du moment, le gouvernement eut successivement recours à différents modes emprunt : emprunt volontaire et patriotique, souscriptions publiques, emprunt forcé.

La première expérience financière du Gouvernement provisoire fut un échec complet.

Un emprunt de 5 millions de florins à 6 p. c., présenté sous la forme d’un emprunt patriotique et volontaire, fut émis en vertu d’un décret du 22 octobre 1830 ; il ne trouva des souscriptions que pour 300.000 florins. Volontaires et patriotes ne se présentèrent pas. Les bourses restèrent fermées. La confiance manquait. Le patriotisme n’était guère exalté. Pas un sou ou peu de sous pour sauver la Belgique. L’emprunt fut amorti par remboursement.

(page 48) Puisque le volontariat ou le patriotisme ne donnaient pas, il fallut avoir recours à d’autres procédés. Au début de 1831, le Gouvernement exigea à l’avance le montant de la contribution foncière pour l’année même ; elle devait être versée en deux fois, pour le 15 février et le 1er avril.

Mais cette ressource était insuffisante. Après avoir essayé en vain de placer un emprunt de 12 millions de florins, le Gouvernement décida de l’imposer aux contribuables. La situation politique du pays était telle que le libre appel aux capitaux belges et étrangers était vain. Aussi, le Gouvernement dut-il avoir recours à l’emprunt forcé.

En mars 1831, fut annoncé un emprunt forcé de 12 millions de florins à 5 p. c. ; chacun devait y souscrire d’après le montant de sa contribution personnelle.

Il fallut, le 21 octobre 1831, décréter un nouvel emprunt forcé, très semblable au premier dans ses modalités, et d’un montant de 10 millions de florins. Ce nouvel emprunt était non productif d’intérêt.

La Belgique était encore en état de guerre et ces disponibilités furent rapidement absorbées.

La jouissance de ces fonds fut de courte durée (l’emprunt de 12 millions devait être remboursé le 1er janvier 1833 ; les obligations de l’emprunt de 10 millions étaient reçues en payement des impôts à partir de juin 1832).

Le Gouvernement, toujours dans l’obligation de maintenir le pays dans un état permanent de défense, et ne pouvant augmenter les impôts qu’il avait réduits peut-être trop promptement et trop massivement, incapable aussi de trouver dans le pays les sommes nécessaires, dut faire appel au crédit. Il y fut autorisé par la loi du 16 décembre 1831, à concurrence d’un capital de 48 millions de florins.

A la suite de démarches personnelles de Léopold Ier, les maisons Rothschild consentirent à prendre ferme un emprunt de 48.000.000 de florins, soit 100.800.000 francs en capital nominal. Rothschild veut bien accorder ce que les Belges ne sont pas disposés à donner. Mais, en bon banquier, il fixe son prix.

La première moitié fut cédée à ce banquier à 75 p. c. de la valeur nominale ; l’intérêt nominal de 5 p. c. était ainsi porté à 6,60 p. c.

Mais les commissions et des ristournes diverses ramenaient (page 49) le prix réel de cession à 70 p. c. à peine, fixant à 7,50 l’intérêt à payer par la Belgique.

Quelques mois plus tard, la deuxième tranche fut prise à un taux un peu meilleur. Le prix officiel de cession passait de 75 à 79 p. c.

Ces conditions étaient incontestablement fort dures. Les circonstances politiques les expliquent en partie. L’avenir politique du pays n’était pas encore assuré : trois des grandes puissances n’avaient pas encore envoyé des ambassadeurs à Léopold Ier.

Cet emprunt fut éteint à concurrence de 16.458.368 francs par amortissement et de 84.341.632 francs par la conversion ordonnée par la loi du 21 mars 1844.

L’emprunt Rothschild fut difficile à digérer. Aussi le Gouvernement ne se hasarda-t-il pas à négocier des titres de la dette consolidée. Il se borna à émettre des bons du Trésor : 15 millions le 1er mars 1833, à 6 p. c., plus une commission variant de 1 à 2 p. c.

Lors du renouvellement des bons émis le 1er mars 1833, l’intérêt put être réduit à 5 p. c. et la commission à 0,50 p. c. Le 1er décembre 1833 cette commission fut même supprimée.

Le pays, pour pouvoir commencer les travaux de construction des chemins de fer, et profitant de la faveur avec laquelle le public avait accueilli les bons du Trésor, en négocia 10 millions qui furent englobés dans l’emprunt de 1836.

A cette époque l’emprunt de 100.800.000 francs contracté en 1831 était coté aux Bourses de Bruxelles et d’Anvers de 101 à 102.

On était loin de la situation fâcheuse de 1830 et 1831. En vertu d’une loi du 18 juin 1836, le Gouvernement ouvrit, le 26 juillet suivant, une souscription publique d’un capital de 30 millions de francs (4 p. c. à 92). Cet emprunt était destiné à l’extinction de 10 millions de francs de bons du Trésor et à l’exécution de travaux d’utilité publique.

L’émission obtint un grand succès. Les souscriptions s’élevèrent à plus de 691 millions de francs.

Ce succès fut sans lendemain. En 1838, les incertitudes politiques internationales ne permirent pas au Gouvernement de placer dans le public l’emprunt qu’il était autorisé à contracter en vertu de la loi du 25 mai 1838.

(page 50) L’emprunt fut livré à la maison Rothschild en 3 p. c. à 73,50, revenant net aux preneurs à 68,93. Une nouvelle fois la finance étrangère nous fit payer très chèrement le secours qu’elle nous accordait.

En 1839, il y eut un fait nouveau d’importance. La Hollande adhérait aux Vingt-Quatre Articles.

Alors que le service de la dette publique exigeait 5.988.000 fr. en 1832, 9.083.000 en 1838, le chiffre en fut porté à 15.776.000 fr. à la suite du traité de paix.

Le Gouvernement fut autorisé, par la loi du 26 juin 1840, à contracter un emprunt de 5 p. c. La situation internationale était tendue. La question d’Orient éclata. L’emprunt de 5 p. c. se fit dans des conditions difficiles et onéreuses. Il fut négocié avec la Société Générale et la maison Rothschild.

Une somme de 12.473.272 francs fut éteinte par l’amortissement ; le complément, 74.466.728 francs, par la conversion autorisée par la loi du 1er décembre 1852.

L’atmosphère politique devint moins lourde après 1841. Le Gouvernement put négocier, le 8 octobre 1842. un emprunt à 5 p. c., de 28.621.718 francs, au taux de 104,75, revenant net à 102,83.

Le 5 p. c. de 1840, le 4 p. c. et le 3 p. c. qui au moment de la négociation de l’emprunt de 1842 étaient généralement cotés aux cours respectifs de 102 3/4, 91 et 71 1/4, étaient cotés à la Bourse du 26 février 1844 à 107 3/4, 99 et 77 1/8.

Un bon vent semblait souffler. Le Gouvernement tenta, tout à la fois, la conversion d’une grande partie des dettes à 5 p. c. en dettes 4,50 et la négociation d’un emprunt de 84.656.000 francs à 4,50.

La conversion se fit le 21 mars 1844. La loi, ainsi que l’arrêté royal d’exécution, conservaient aux créanciers adhérents la jouissance de l’intérêt de 5 p. c. jusqu’au 1er novembre 1844 : tous devaient se prononcer dans les trente jours ; à défaut de quoi ils étaient considérés comme ayant accepté la conversion. Aucun remboursement ne fut demandé. L’emprunt se fit le 29 juin 1844.

La conversion et l’emprunt eurent le succès le plus complet. Il est à noter que le droit d’option laissé à la Belgique de rembourser le capital de 169.312.000 francs en 2,50, au taux de 50 p. c., expirait le 1er juillet 1844.

La quiétude dura de 1841 à 1847. La Belgique connut des budgets à peu près équilibrés.

(page 51) Les recettes augmentèrent en même temps que les dépenses. L’industrie s’était fortement développée. Le volume du commerce s’était considérablement accru. La population passa d’environ 4 millions en 1830 à près de 4.500.000 en 1850. La quotité par habitant qui était de 19 fr. 35 en 1840, était de 19 fr. 44 en 1845 et de 19 fr. 65 en 1850.

Notre organisation financière fut complétée. La loi du 29 octobre 1846 régla les attributions de la Cour des comptes. La Caisse d’amortissement, des dépôts et de compensation fut organisée par la loi du 15 novembre 1847. On sait que cette Caisse a pour mission d’opérer les rachats de titres de la dette publique au mieux des intérêts du Trésor.

La Belgique trouva facilement l’argent nécessaire pour les travaux d’utilité publique et notamment la construction des chemins de fer.

Les événements de 1848 contraignirent à nouveau le Gouvernement à avoir recours à l’emprunt forcé portant intérêt à 5 p. c.

Ils eurent aussi des répercussions fâcheuses sur le cours de nos rentes. Le 3 p. c. qui cotait 67 en 1838, connut des fluctuations de cours en Bourse 70,80 (en moyenne) de 1838 à 1840, 63,83 de 1841 à 1850. Le cours le plus bas fut atteint en 1848 44,50 fr. Le 5 p. c. cotait alors 50.

Avant d’aborder l’étude de la crise de 1848, il convient de s’arrêter un moment au budget des Voies et Moyens.

L’ensemble des recettes autorisées par les lois annuelles de finances constituent le budget des Voies et Moyens.

Les prévisions de 1830, 1831 et 1832 étaient à peu près égales aux recouvrements effectués.

Les exercices 1833 et 1834 procurèrent un excédent de recouvrements. Il en fut de même des années 1836, 1837, 1838, 1844, 1845 et 1846.

De 1830 à 1850, onze exercices donnèrent un excédent d’évaluation de 31.608.611 francs.

Pour les années de crise 1839 et 1848, les chiffres furent respectivement de 4.306.714 et 9.764.401 francs.

Des chiffres et encore des chiffres. Un tourbillon de millions! Il est cependant intéressant d’analyser quelques budgets des Voies et Moyens, par exemple ceux de 1835, de 1845 et de 1850.

Celui de 1835, fixé primitivement à 89.171.334 francs, fut (page 52) porté à 91.831.559 fr. 62. Les contributions directes entraient dans ce total pour 19.061.000 francs, les douanes pour 7 millions 351.000 francs, le droit de bornage pour 929.000 francs ; les accises pour 19.186.000 francs, l’enregistrement, les successions, le timbre, le greffe, les hypothèques pour 18.315.000 francs ; les péages, y compris les chemins de fer, pour 5.384.000 francs ; les capitaux et revenus pour 4.452.000 francs et les remboursements pour 850.000 francs.

Le total général du budget ordinaire de 1845 s’éleva à 112.861.000 francs, se décomposant comme il suit : contributions directes : 31.322.000 francs ou 36,90 p. c. des impôts, 27,70 p. c. des recettes, 7 fr. 36 par habitant. - Douanes : 12.188.000 francs ou 14,30 p. c. des impôts, 10,80 p. c. des recettes, 2 fr. 86 par habitant. - Accises : 20.202.000 francs ou 23,80 p. c. des impôts, 18 p. c. des recettes, 4 fr. 74 par habitant. - Droits de garantie 335.000 francs ou 0,40 p. c. des impôts, 0,30 p. c. des recettes, 8 centimes par habitant. - Enregistrement, greffe, hypothèques, timbre, successions : 20.865.000 francs, 24,6 p. c. des impôts, 18,40 p. c. des recettes, 4 fr. 90 par habitant.

La récapitulation donne un total d’impôts de 84.912.000 francs ou 75,2 p. c. des ressources du budget, 19 fr. 94 par habitant.

Péages 8.579.000 francs ou 7,6 p. c. des ressources. - Chemins de fer 12.402.000 francs ou 11 p. c. des ressources. - Capitaux et revenus 4.401.000 francs ou 3,9 p. c. des recettes. - Remboursements 2.075.000 francs ou 1,9 p. c. des recettes. -— Vente de biens domaniaux 492.000 francs ou 0,40 p. c. des recettes.

Les contributions directes entrent dans les 116.529.000 francs de recettes du budget de 1850 pour 31.680.000 francs ou 27,2 p. c., 36,8 p. e. des impôts, 7 fr. 23 par habitant. - Les douanes pour 11.847.000 francs ou 10,10 p. c., 13,80 p. c. des impôts, 2 fr. 70 par habitant. - Les accises pour 20.754.000 francs ou 17,9 p. c., 24,10 p. c. des impôts, soit 4 fr. 74 par habitant. - Les droits de garantie pour 417.000 francs ou 0,3 p. c., 0,5 p. c. des impôts, soit 10 centimes par habitant. - Les droits d’enregistrement, de greffe, de timbre, d’hypothèque, de succession pour 21.394.000 francs ou 18,4 p. c., 24,9 p. c. des impôts, 4 fr. 88 par habitant.

Les impôts atteignirent un total de 86.092.000 francs, soit 73,9 p. c. des recettes ou 19 fr. 65 par habitant.

Les péages étaient compris dans la recette pour 7.828.000 francs (page 53) ou 6,7 p.c. - Les chemins de fer et télégraphes pour 14,664.000 fr. ou 12,6 p. e. - Les capitaux et revenus pour 5.065.000 francs ou 4,3 p. c. Les remboursements pour 2.449.000 francs ou 2,1 p. c. - Les ventes de biens domaniaux pour 431.000 francs ou 0,4 p. c.

Le rapport des contributions directes avec le chiffre total des ressources du budget resta à peu près le même jusqu’en 1850, plus tard il a sensiblement varié : 29,6 p. c. en 1840, 27,2 p. c. en 1850 (il tombera à 15,27 p. c. en 1880).

Pour compléter cet aperçu, il nous reste à donner le tableau général des budgets ordinaires de 1831 à 1850.

A plusieurs reprises, il a été fait allusion aux difficultés des années 1839 et 1848. Le moment est venu de donner quelques précisions au sujet des crises qui éclatèrent en ces années.

CHAPITRE III. - Les crises financières de 1839 et de 1848.

(page 54) Avant 1850, date à laquelle fut créée la Banque Nationale, quatre établissements de crédit existaient en Belgique : la Société Générale fondée en 1822, la Banque de Belgique et la Banque liégeoise datant de 1835, la Banque de Flandre constituée en 1841.

La Société Générale, au capital initial de 60.000.000 de florins, avait le droit d’émettre des billets de banque jusqu’à concurrence de cette somme.

Pour contrebalancer l’influence de la Société Générale, le Gouvernement favorisa, en 1835, la création de la Banque de Belgique. Elle fut établie au capital de 20.000.000 de francs, elle avait la faculté d’émettre des billets au porteur pour une somme égale. La Banque de Liège instituée en 1835 avait également la faculté d’émission.

Le 21 août 1841, un arrêté royal autorisa la formation d’une société anonyme portant le titre de Banque de Flandre et devant durer jusqu’au 21 août 1866. Un arrêté royal du 8 juillet 1842 approuva le règlement pour l’émission de billets à vue de la Banque de Flandre.

La faculté d’émission accordée aux quatre banques de crédit n’était subordonnée à aucune restriction quant à la nature des opérations auxquelles ces établissements entendaient consacrer leurs ressources et leur activité.

Aussi, loin de se consacrer spécialement aux affaires financières et de donner au crédit commercial un puissant concours, ces institutions ne tardèrent pas à engager leurs capitaux dans des établissements industriels, qui seuls absorbèrent bientôt la majeure partie des ressources que réclamait le développement du crédit en Belgique.

Rappelons qu’après 1834 se répandit la forme de la société anonyme. Les entreprises industrielles absorbèrent de gros capitaux.

Pendant la période 1833-1839, le capital souscrit des sociétés anonymes représentait environ 300 millions.

(page 55) Immobiliser ainsi les capitaux dans les entreprises industrielles, sans garantie sérieuse, était méconnaître les règles qui doivent présider à l’organisation des banques d’émission.

Le puissant effort de création capitaliste allait accumuler des ruines.

Dès 1838, les faillites succédèrent aux faillites. Les usines se fermèrent, engloutissant les capitaux.

La Banque de Belgique, comme la Société Générale, se lança sur les chemins de la commandite industrielle.

Dès 1838, elle connut les effets de son imprudence, lorsque la crainte d’une guerre avec la Hollande provoqua une crise, rendue plus violente par l’excès de création de sociétés anonymes pendant les années précédentes.

Le 17 décembre 1838, la Banque de Belgique se vit obligée de suspendre ses payements avec une circulation de 3 millions en demi. Le Gouvernement ayant refusé de lui venir en aide, elle fut sauvée par l’intervention de la Société Générale qui consentit à garantir aux déposants de cet établissement le remboursement de leurs fonds.

En 1839, les actions industrielles tombèrent à vil prix, il y eut des pertes considérables.

A propos de la crise de 1839, Waxweiler cite le jugement sobre et concis de l’historien économiste Briavoinne « Il y a eu, dit-il, entraînement général, excès d’ambition, inexpérience, quelquefois avidité coupable. Suivant qu’on est resté fidèle aux règles de la morale et de la sagesse, ou qu’on les a enfreintes, on a réussi ou l’on a échoué. Tout ceci est indépendant du principe ; mais il faut peut-être en conclure, que puisqu’on en peut faire un si mauvais abus, un Gouvernement ne doit mettre qu’avec réserve à la disposition du commerce un privilège aussi exorbitant que celui de la société anonyme » (La révolution industrielle en Belgique).

Quelques années plus tard, la Belgique connut une des périodes les plus difficiles du point de vue financier.

La crise alimentaire de 1845-1847 nous obligea à importer des quantités colossales de denrées. Un dossier des archives politico-commerciales du Ministère des Affaires étrangères nous fournit à ce sujet des renseignements intéressants. En voici l’essentiel : « Les importations de froment ont été de 31.634.000 kg. (page 56) en 1845 ; 91.830.000 kg. en 1846 ; 92.817.000 kg. en 1847. Quant au seigle, les importations furent de 9.121.000 kg. en 1845 ; 20.028.000 kg. en 1846 ; 46.897.000 kg. en 1847.

« Pour la seule année 1846, l’importation du froment représente une valeur d’à peu près 39 millions de francs ; et celle du seigle une valeur de près de 11 millions. Comme, ni en 1846, ni en 1847, les exportations de produits belges ne se sont accrues de manière à compenser, même en partie, cette grande exportation de numéraire pour achat de grains, on conçoit facilement que celle-ci, combinée à quelques autres circonstances accessoires, telle qu’une très forte importation de bétail étranger, riz, etc., ait suffi pour influer d’une manière désastreuse sur la situation financière. »

A la fin de l’année 1845, on cria famine, on spécula de façon effrénée sur les denrées alimentaires. Des quantités énormes de grains, riz, pois, fèves, haricots et maïs furent importées lorsqu’on eut la certitude du manque presque complet de la récolte des pommes de terre.

Le capital de toutes ces marchandises importées devant être payé à l’étranger, le pays fut bientôt considérablement appauvri ; il s’ensuivit une rareté de numéraire qui arrêta toute spéculation.

Les pays limitrophes se trouvant également dans une situation difficile, les opérations de change ne purent remédier à la crise, en faisant affluer chez nous les capitaux étrangers.

Les rapports des Chambres de commerce, les exposés de la situation administrative des provinces belges, les relevés des importations et des exportations, établissent que les années 1846 et 1847 furent désastreuses pour le commerce et l’industrie et aussi pour les finances en général.

Les opérations exceptionnelles en substances alimentaires, dues aux circonstances calamiteuses, firent sortir de la Belgique d’importantes valeurs qui, en d’autres temps, y circulaient avec abondance et concouraient puissamment à la prospérité du pays. D’un autre côté, le déplacement des capitaux ordinairement employés aux opérations en produits transatlantiques, et momentanément consacrés aux subsistances, amenèrent un déficit dans notre commerce avec les pays d’outre-mer.

Le Directeur général aux Affaires étrangères, dans un rapport (page 57) inédit au Ministre, écrit : « On ne peut considérer l’année 1846 comme ayant été dans son ensemble favorable à la Belgique sous le rapport économique et spécialement sons le rapport industriel et commercial.

« L’influence de la cherté des subsistances et la nécessité où s’est trouvé le pays d’en demander d’énormes quantités à l’étranger ont particulièrement été funestes, notamment, en occasionnant des sacrifices pécuniaires d’autant plus onéreux qu’ils n’ont aucunement été compensés par de plus larges exportations de produits manufacturés indigènes. »

La Chambre de commerce d’Anvers dans son rapport général sur l’état du commerce et de l’industrie en 1847, écrit : « Notre commerce a vivement souffert. Les arrivages ont été, il est vrai, plus considérables que les années précédentes pour la plupart des denrées et matières premières, mais le débouché, tant de l’intérieur du Royaume que des pays limitrophes que notre marché approvisionne, n’a pas été en rapport avec les importations. D’une part, la cherté calamiteuse des grains a contraint les classes moyennes et ouvrières à restreindre considérablement leurs dépenses habituelles en tous autres objets ; d’autre part, la crise financière et la suspension générale du crédit ont paralysé l’esprit de spéculation tant dans les villes de l’intérieur que sur la place d’Anvers. Aussi, malgré le bas prix de presque tous les produits, les ventes ont été constamment difficiles et très limitées. »

Durement éprouvée par la crise alimentaire de 1845-1847, la Belgique pâtissait, en outre, du malaise général dont souffrait en Europe le marché des transactions. Les fonds belges rencontraient de grandes difficultés de placement. A l’exode des capitaux correspondait une rentrée considérable de fonds belges sur le marché national.

Après la crise alimentaire de 1845-1847, la Belgique ressentit les effets de la Révolution française de février 1848. Du point de vue politique, le mouvement républicain n’a pas eu de conséquences en Belgique. Les manifestations, l’échauffourée de Risquons-Tout n’ébranlèrent pas le pays. Mais le commerce et l’industrie se sont ressentis vivement de l’insécurité politique de l’Europe, et en particulier de la stagnation économique en France. Une enquête sur la situation industrielle et (page 58) commerciale, à la suite des événements de février 1848 fut faite simultanément par les Ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Les Gouverneurs de province, les industriels, les commerçants les Chambres de commerce furent d’accord pour déclarer que l’industrie et le commerce étaient en souffrance.

La conséquence de la révolution en France et de l’agitation dans toute l’Europe fut de paralyser presque partout la confiance renaissante, de suspendre les ordres d’expédition, et de faire contremander autant que possible ceux déjà donnés.

Les années 1846 et 1847 furent marquées par un malaise financier plus on moins accentué. En 1848 éclata la crise. Le désastre fut plus grand qu’en 1839.

Bien que la Belgique traversât sans agitation politique sérieuse la tourmente de 1848, la révolution, déchaînée simultanément dans les grandes capitales de l’Europe, suscita la panique dans notre pays.

Rien ne fut fait pour dissiper le malaise. La principale institution de crédit, la Société Générale, fut l’objet, à la tribune parlementaire, d’attaques désordonnées. Au lieu de chercher à calmer l’opinion publique inquiète et fiévreuse, on précipita la panique par des violences de langage.

D’autre part, les capitalistes et les banquiers, craignant le contrecoup, ne firent rien pour parer à la crise. La peur leur fit retirer les capitaux de la circulation.

La situation financière des deux principales institutions de crédit, la Banque de Belgique et la Société Générale, fut momentanément défoncée.

Une grande part de responsabilité de la crise financière incombait d’ailleurs directement à la Société Générale. La puissante assistance qu’elle avait depuis 1835 donnée à l’industrie nationale avait eu pour effet d’immobiliser ses ressources. Le total des prêts et avances était passé de 7 millions en 1830 â plus de 58 millions à la fin de 1847.

« Or, ces prêts, quoique consentis sur des valeurs généralement excellentes, avaient été accordés sans que l’on eût considéré suffisamment la solvabilité personnelle des emprunteurs ; on avait cherché avant tout de faciliter les souscriptions, ils en avaient profité largement, au-delà de leurs moyens, et la plupart de ces prêts dataient déjà de plusieurs années sans que les débiteurs (page 59) eussent marqué aucune velléité de les amortir. La Société Générale avait donc immobilisé ses capitaux au-delà des limites raisonnables. » (Centenaire de la Société Générale).

En outre, elle avait avancé ou prêté sur gage à la Mutualité, à la Société de commerce et à la Société Nationale plus de 65 millions et demi, elle était en même temps actionnaire pour 10.951.000 francs.

A partir du 24 février, jour où la panique se déclencha, la caisse de la Société Générale et surtout sa caisse d’épargne furent assaillies de demandes massives de remboursement.

La valeur des actions de la Société Générale, de 1725 en 1847, tomba à 840 en 1848.

La crise s’accentua de plus en plus. En quelques semaines les rentes belges baissèrent de 50 p. c.

La Banque de Belgique et la Société Générale débordées, sans espoir de faire face à la situation par leurs seuls moyens, firent appel au Gouvernement. Celui-ci fut obligé d’engager sa garantie de 54 millions en décrétant le cours forcé des billets émis par les deux grandes banques et de ceux qui étaient nécessaires pour faire face aux besoins du Trésor et la création d’un Comptoir d’escompte.

L’Etat se fit consentir une avance en billets de 12 millions. Les deux banques se servaient de billets nouveaux dont la circulation était autorisée pour rembourser leurs déposants en caisse d’épargne.

Le Trésor se trouva dans une situation très grave. Vingt-cinq millions de bons du Trésor étaient en circulation. En 1848, le renouvellement ne put être obtenu.

Déjà le budget ordinaire de 1847 se soldait par un déficit de 10 millions, soit une insuffisance de recettes de 8 p. c. En 1848, le déficit atteignit plus de 17 millions. Chiffre considérable pour l’époque.

Deux nouveaux emprunts forcés furent émis : ils produisirent 37 millions.

Pour remédier à la pénurie du numéraire, il fut donné temporairement cours légal à certaines monnaies étrangères. C’est ainsi (page 60) que les souverains anglais et les florins des Pays-Bas entrèrent dans la circulation monétaire de notre pays.

Il n’y eut heureusement pas de dépréciation monétaire. La crise financière se liquida donc assez facilement.

Constatation réconfortante : dès 1849, le budget était rétabli et se clôturait avec un boni de deux millions et demi.

Les inconvénients de la pluralité des banques d’émission étaient apparus clairement. La crise hâta l’évolution en faveur de la Banque centrale d’émission. L’impossibilité pour la Société Générale d’être à la fois une banque d’affaires industrielles et une institution d’émission était évidente. La crise fut dénouée en 1850 par la création de la Banque Nationale de Belgique, au capital de 25 millions de francs ; la Société Générale se réservait de souscrire 10 millions de francs.

La Société Générale pour favoriser l’Industrie nationale était chargée du service de caissier de l’Etat depuis le 1er octobre 1830. Toutes les contributions étaient versées dans ses caisses, elle payait sur délivrance de mandats visés par la Cour des comptes. Il lui fut d’abord alloué une commission d’un huitième pour cent. En 1832, cette commission fut portée à un quart pour cent.

En 1850, la Société Générale dut renoncer en faveur de la Banque Nationale au service de caissier de l’Etat.

En sa qualité de caissier de l’Etat, la Banque Nationale était considérée comme comptable de l’Etat et était soumise à toutes les obligations prescrites par la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité publique, et par la loi organique de la Cour des comptes du 29 octobre de la même année.

La Société Générale se vit enlever la faculté d’avoir des comptoirs d’escompte (sans s’interdire cependant à elle-même de faire de l’escompte) et d’émettre des billets ; les anciens billets de la Société Générale devaient être retirés par la Banque Nationale.

A partir de ce moment, la Société Générale cessa d’être l’institution mi-officielle, mi-privée qu’elle avait été jusque-là.

La Banque Nationale allait désormais assurer seule l’émission des billets.

La création de la Banque Nationale fut un événement considérable. Par elle la Belgique fut dotée d’un instrument de crédit (page 61) solide. Le pays s’affranchit en grande partie des institutions privées qui avaient dû assurer jusque-là sa stabilité financière.

Ainsi finit, par un acte de la plus haute importance, l’histoire financière de la Belgique pendant la première moitié du XIX siècle.