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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 27 février 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858

(page 367) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Vander Stichelen procède à l'appel nominal à 2 heures.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vander Stichelen présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Frankignoul, ayant fait partie de la compagnie de volontaires liégeois en 1830, demande une récompense nationale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Van Beylen réclame l'intervention de la Chambre pour qu'il soit décidé sans retard sur l'action judiciaire qu'il a intentée contre sa femme. »

- Même renvoi.


« Des gardes forestiers dans la province de Luxembourg demandent à jouir du bénéfice de la loi du 8 avril 1857. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Schaerbeek demandent l'annulation de l'arrêté royal nommant les échevins de cette commune. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Rance demandent la réforme sur la milice dans le sens des enrôlements volontaires.

« Par huit pétitions des habitants, de Resteigne, Leuze, Hingeon, Leugnies, Houthalen, Gelbressée, Froid-Chapelle, et les membres de l'administration communale de Marckeghem font la même demande. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Les bourgmestre et échevins de Seven-Eecken prient la Chambre de donner cours légal à la monnaie d'or de France. »

« Même demande de négociants de Bruxelles et d'habitants d'Avelghem. »

- Même renvoi.


« Par message, en date du 26 février, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi qui proroge la loi concernant les étrangers. »

- Pris pour notification.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. de Paul présente trois rapports sur des demandes de naturalisation.

- Ces demandes sont mises à la suite de l'ordre du jour.

Prompts rapports de pétitions

M. de Haerne. - Messieurs, j'ai demandé la parole dans la séance d'hier, lorsque j'ai entendu un honorable membre de cette Chambre proposer l'ordre du jour sur les pétitions soumises aux délibérations de l'assemblée.

Je dois protester contre une telle proposition ; je ne puis pas admettre qu'on envoie ainsi, permettez-moi l'expression, aux gémonies parlementaires, une foule de pétitionnaires, parmi lesquels j'en connais qui sont tout aussi compétents qu'aucun membre de cette Chambre.

Le conseil communal de Courtrai, dont l'opinion ne sera pas suspect au ministère, vient de décider qu'il enverra, lui aussi, une réclamation à la Chambre contre le système monétaire en vigueur. Ce conseil est on ne peut mieux placé pour bien apprécier la situation. La mesure a été votée à la presque unanimité.

On a dit, messieurs, que ces pétitions sont mal rédigées.

Il est possible qu'il y en ait qui sont mal conçues ; mais il est inexact de dire qu'il en soit de même de toutes, et j'ajoute qu'il en est quelques-unes qui m'ont frappé par la gravité des raisons sur lesquelles elles reposent, autant que par la solidité des remèdes qu'elles indiquent. On suppose que tous les pétitionnaires demandent à l'unisson, d'une manière absolue, l'admission de l'or français en Belgique. Elles ne sont pas toutes si absolues, messieurs, et la plupart des pétitionnaires se bornent à appeler la sérieuse attention de la Chambre et du gouvernement sur la situation grave dans laquelle se trouvent certaines localités du pays et sur le remède à apporter à cet état de choses, en laissant au gouvernement le soin d'appliquer le remède convenable.

Le mal, messieurs, est beaucoup plus grand qu'on ne paraît le croire. Comme on l'a très bien dit hier, il résulte particulièrement de nos immenses relations avec la France et de l'excédant énorme de nos exportations sur nos importations vers ce pays, La France est le seul pays vis-à-vis duquel nous nous trouvions dans cette situation. L'excédant des exportations faites en France sur les importations, est porté, pour 1856, à plus de 70 millions de francs.

Or, messieurs, sans admettre la théorie de la balance du commerce, dont je connais le faux côté et que je suis loin de prôner, quant à la tendance systématique qu'on veut y donner, il faut cependant reconnaître qu'en définitive, la question ne peut se résoudre que par la balance, en ce que la différence doit se solder en numéraire.

Voilà donc la situation.

Il en résulte que nous devons recevoir jusqu'à concurrence de 70 millions par an, l'or français qui n'a pas cours légal en Belgique.

Voilà la cause de l'embarras extrême où l'on se trouve, particulièrement sur la lisière du côté de la France, et je dois le dire, cette lisière s'élargit et s'étend de plus en plus vers le centre du pays.

Les affaires qui se traitent en Flandre avec la France portent particulièrement sur les lins, les toiles, les articles de Roubaix, les dentelles ; le capital roulant revient trois ou quatre fois par an pour certains articles. Or, c'est sur l'ensemble de ce capital que se prélève le bénéfice nécessaire à la continuation du commerce. Eh bien, je suppose que le bénéfice total soit de 6 p. c dans le moment actuel, et la perte sur l'or de 1 p. c. à chaque opération, c'est 4 p. c. à déduire du bénéfice et il reste 2 p. c. Vous comprenez, messieurs, que de cette manière il y a des maisons honorables, mais peu puissantes, dont la position est fortement menacée par la gravité de ce mal.

Cet état de choses est vraiment ruineux pour ces maisons, surtout lorsque les affaires sont languissantes et les bénéfices peu élevés.

On propose l'ordre du jour sur les pétitions parce que, dit-on, ce qu'elles demandent est contraire à la science. Messieurs, je professe pour la science économique autant de respect que qui que ce soit ; mais la science économique n'est pas plus stationnaire que d'autres sciences. La science économique est progressive. A des époques antérieures on invoquait la science comme on l'invoque aujourd'hui, bien qu'elle se soit présentée sous des phases bien différentes depuis le temps de Colbert jusqu'à Jean-Baptiste Say. Sous Colbert quel était l'état de la science ? Elle disait que la richesse reposait uniquement sur la monnaie. De là le système de la balance du commerce. C'était une erreur, on l'a reconnu plus tard, mais c'était la science à cette époque.

Plus tard est venu le système du docteur Quesnay, des physiocrates. ou économistes, c'était encore la science. D'après la science de cette époque toute la richesse consistait dans l'agriculture ; on faisait abstraction des manufactures, du commerce et des valeurs monétaires dans les éléments constitutifs de la richesse des nations.

Puis on a eu le système de l'abbé Galiano qui a fait un traité spécial sur la monnaie. Il prend, lui, un système intermédiaire entre les deux précédents.

Il accepte la monnaie comme valeur réelle, il va même jusqu'à dire que le numéraire peut être considéré comme une marchandise, mais, bien entendu, en faisant entrer dans cette marchandise tous les éléments qui constituent sa valeur, en y comprenant non seulement la matière première et la manipulation, mais encore la qualité toute spéciale qui donne à la monnaie une valeur particulière, à savoir l'empreinte légale.

D'après cet auteur, qui était à son époque un des représentants de la science, la monnaie était donc une marchandise, mais une marchandise dont la valeur repose en partie sur ce qu'il appelle l'empreinte légale.

Lorsqu'un pays fait des échanges avec un autre pays qui a un système monétaire différent, on comprend que la valeur de la monnaie peut également différer de I un à l'autre.

En ce qui me concerne, messieurs, je ne vais pas jusqu'à dire que la monnaie n'est pas une marchandise ; mais, pour en apprécier la nature, il ne faut pas faire abstraction des conditions que je viens d'exposer, comme on le fait souvent. En un mot, la monnaie est une marchandise spéciale, elle a une valeur qui lui est propre.

On a eu ensuite le système d'Adam Smith, qui généralisait un peu davantage, qui faisait un progrès dans la science. Adam Smith fait consister la richesse dans l'ensemble des opérations productives non seulement de l'agriculture, mais aussi des manufactures et du commerce, ainsi que dans la monnaie.

Cependant il néglige les opérations intellectuelles qui, selon lui, n'entrent pas dans les valeurs et ne concourent pas à constituer la richesse. Il appelle ces opérations improductives.

Après la science d'Adam Smith est venue une autre science, celle de Jean-Baptiste Say, qui ajoute les valeurs intellectuelles aux valeurs purement matérielles que l'on considérait auparavant comme stériles, par rapport à la production des richesses.

Aujourd'hui on élargit encore le cercle de la science ; malgré la divergence qui se manifeste dans les opinions, on admet généralement que les éléments de la richesse publique consistent dans les services, quels qu'ils soient, pourvu qu'ils aient un caractère d'utilité réelle. Les services de l'ordre intellectuel et même moral entrent dans cette synthèse économique.

Malthus disait qu'il n'y avait pas de science économique, parce qu'on n'était pas d'accord sur ce qui constitue la richesse.

Cette opinion ne serait plus fondée aujourd'hui ; mais on ne saurait dire qu'il n'y a plus de progrès à réaliser. Non, la science n'a pas dit son dernier mot ; je crois même qu'elle néglige souvent, dans l'application, les considérations de l'ordre moral dont elle tient cependant compte en principe, en ce qu'elles rentrent dans la notion des services.

page 368) La science est donc progressive et on ne doit pas 1'invoquer pour condamner d'avance une opinion émise dans des circonstances particulières, dont on n'a pas ont om pu apprécier toute la gravité. Telles sont les circonstances où l'on se trouve placé par rapport à la monnaie d'or.

Messieurs, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, ces considérations ne tendent pas à trancher la question qui s'agite devant vous, d'une manière absolue, mais seulement à faire comprendre qu'il serait téméraire et je dois ajouter qu'il serait injuste de repousser les pétitionnaires sans vouloir les entendre.

Il y a, dans l'état actuel de l'économie politique, un système de compensation qui repose sur des services rendus par certaines classes de citoyens, services qui sont la source de richesses.

C'est une espèce de solidarité sociale qu'on appelle quelquefois un système de primes, mais qu'on applique bien souvent sans lui donner cette qualification, odieuse aux yeux de la science. Ainsi, par exemple, qu'est-ce que le chemin de fer de l’État quant aux campagnards qui n'en profitent pas ou qui en profitent beaucoup moins que d'autres ? C'est une véritable prime au profit de ceux qui voyagent.

Qu'est-ce encore que le sacrifice que s'impose le pays pour le remboursement du péage de l’Escaut ? C'est une prime qu'il paye en faveur du commerce, et tout spécialement en faveur du commerce d'Anvers. C'est une rémunération des services rendus par la métropole commerciale à la production national. Mais on pourrait dire au commerce d'Anvers :

« Comme on dit au commerce belge de la frontière française : Vendez un peu plus cher et vous pourrez supporter la perte que nous subissons de la part de l'étranger. On pourrait dire à Anvers : Vendez un peu plus cher vos denrées et vous pourrez supporter vous-même les 1,500,000 fr. résultant du péage de l'Escaut ; l’État sera affranchi de cette charge. » Mais on ne raisonna pas ainsi, et la science admet la prime en faveur d'Anvers, à raison des services rendus à la production, à la prospérité publique.

Le commerce de la frontière ne rend-il pas aussi des services à la richesse publique, et l’État ne doit-il pas, pour la même raison, supporter la perte provenant du système monétaire ?

Il y a d'autres primes encore.

Ainsi les fêtes nationales, par exemple, au moyen desquelles on stimule le patriotisme, reçoivent des primes ; ce sont des primes données au patriotisme, primes qui parfois, comme nous l'avons vu notamment l'année dernière, sont portées à un chiffre bien supérieur à celui qu'on voulait y affecter. Il s'agit là d'une compensation. Cette mesure entre dans un système de solidarité sociale, qui relève les forces morales de la nation et contribue par-là, au moins indirectement, à la prospérité, à la production de la richesse publique.

C'est de cette manière que je raisonne quant à la gêne où se trouvent les habitants de la frontière. Je crois que la perte qu'ils éprouvent ne 'doit pas être supportée par eux seuls, mais que la société belge tout entière doit venir au secoure de cette classe de citoyens en vertu du système de compensation dont je viens de parler. Cette prime, comme on l'appelle, serait tout aussi fondée que celle dont je viens de parler ; la perte essuyée de ce chef serait peu de chose pour la nation, elle est écrasante et ruineuse pour ceux qu'elle frappe aujourd'hui.

Je le répète, je ne veux pas trancher la question de savoir s'il faut rétablir le cours légal de l'or français, s'il faut battre de la monnaie d'or ou s'il faut recourir à un nouveau système monétaire.

Je crois que la question doit être examinée mûrement, avant qu'on puisse adopter un système définitif. S'il fallait se prononcer immédiatement à cet égard, on comprend dans quel sens je voterais, d'après ce que je viens de dire.

Mais la question mérite un plus mûr examen, et d'ailleurs, elle n'est pas à l'ordre du jour, puisqu'il s'agit seulement de savoir si nous voulions accueillir favorablement les pétitions, et provoquer de nouvelles observations de la part du public, pour nous décider le plus tôt possible sur le remède à appliquer à un mal qui n'est que trop réel.

C'est pour ces motifs qu'à mon avis la Chambre ne peut pas admettre l’ordre du jour proposé par l'honorable M. Orts, sur les pétitions si nombreuses et si importantes qui nous sont soumises.

Par conséquent, je voterai pour le renvoi à M. le ministre des finances, et subsidiairement, si ce renvoi n'est pas adopté, pour le dépôt au bureau des renseignements.

M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, il m'importe assez peu que les pétitions soient renvoyées à M. le ministre des finances ou qu'elles soient déposées au bureau des renseignements ; mais je ne puis me rallier d'aucune façon à l'ordre du jour proposé par l'honorable M. Orts, surtout avec la signification que l'honorable membre a donnée à sa proposition. Car l'honorable M. Orts désire que la Chambre déclare implicitement qu'elle ne s'occupera plus de la question monétaire.

D'après moi, l'ordre du jour prononcé avec cette signification serait dangereux. Qui nous dit que, dans un avenir très rapproché, nous ne serons pas forcés de nous occuper sérieusement de la question monétaire ?

Si la France modifiait son système, si elle démonétisait l'argent, et elle y sera conduite par la force des choses, que ferons-nous ; pourrons-nous maintenir l'état actuel des choses et conserver l'argent comme étalon monétaire ?

Si nous décidions aujourd'hui qu'en Belgique le statu quo doit être conservé, qu'il n'y a rien à faire, ne serions-nous pas obligés de revenir à un autre système, le jour où en France on déclarera l'or le seul étalon ? Pour ce motif, je m'oppose à l'ordre du jour.

Je ne suivrai pas aujourd'hui d'honorables membres dans l'examen de la grave question économique que le débat soulève.

En principe, je suis parfaitement d'accord avec l'honorable M. Pirmez ; ses théories, je les ai étudiées ; je crois que ce sont les seules vraies, mais il est des faits dont il faut tenir compte et qu'on perd trop souvent de vue. Si nous sommes plus gênés qu'on ne l'est dans d'autres pays, quant à la circulation, c'est pour une cause simple. Nous avions le même système monétaire que la France, nous en avons abandonné une partie. La France a conservé les deux étalons, et nous, nous n'en avons gardé qu'un seul.

C'est de là que viennent les difficultés. Du reste en ce moment il est incontestable que la situation actuelle crée une grande gêne pour une partie de nos populations ; un grand nombre de localités se trouvent dans une position réellement insupportable, et qui ne peut pas continuer.

Il y a là des inconvénients tellement graves qu'il faudra y porter remède.

On est d'accord sur l'existence de la gêne, qui résulte de la situation actuelle ; mais il y a désaccord sur les remèdes ; du moins on n'a rien indiqué de pratique. M. Malou et M. de Haerne même ne voudraient pas se décider à décréter le cours forcé de la monnaie d'or française ; c'est aussi ma manière de voir. Mais faut-il que la Chambre décide qu'elle n'a plus rien à examiner ? L'incertitude qui se manifeste est une raison pour laisser la question ouverte, et pour ne pas repousser les pétitionnaires par un ordre du jour avec la portée que veut lui attacher l'honorable. M. Orts.

Je ne veux, pas plus que d'autres, indiquer un remède au mal dont on se plaint ; ce sont là des questions très graves qui doivent être mûrement examinée.

Je demanderai, cependant, à M. le ministre des finances si, dans l'état actuel des choses, il ne serait pas possible, comme mesure transitoire, d'autoriser les agents de la Banque eu province et même les receveurs de l’État à recevoir l'or français à un taux déterminé qui pourrait varier suivant le change ; ce serait une mesure très utile pour les provinces.

A Bruxelles, les personnes qui ont de l'or peuvent se présenter chez les changeurs ; mais en province il n'y a pas de changeurs. Il est à ma connaissance que des fermiers, ayant en main une somme assez ronde, se trouvaient embarrassés pour faire des payements ; les propriétaires refusaient de recevoir le prix des baux en or. Si la Banque voulait recevoir à un taux raisonnable la monnaie d'or française, ce serait un grand avantage pour le commerce et les transactions agricoles.

Je demanderai encore si transitoirement il ne serait pas possible de convertir quelques millions de billets de banque émis en petites coupures ? Qui nous empêcherait d'avoir des billets de banque de 10 et de 5 francs ?

Nous avons essayé ce moyen ; il a été mis en pratique, je ne sache pas qu'il ait eu des inconvénients. En résumé, en présence des incertitudes et de la situation actuelle, il serait dangereux d'adopter l'ordre du jour avec la signification qu'y attache l'honorable membre qui l'a proposé.

Je voterai contre.

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M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs l'honorable préopinant me pose deux questions : d'abord celle de savoir si la Banque et ses agents ne pourraient pas être autorisés à recevoir les pièces de 20 fr. à un taux déterminé, à un taux raisonnable ; la deuxième, celle de savoir si la Banque ne devrait pas émettre de petites coupures de billets de banque, même des coupures de 5 francs.

La première question, messieurs, est résolue par le fait : la Banque reçoit les pièces d'or, mais on ne lui en présente pas au taux auquel elle consent à les recevoir, 19-50.

- Un membre : C'est usuraire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a là rien d'usuraire. Au surplus, on ne porte pas les pièces d'or à la Banque ; on va chez les changeurs.

- Un membre : Quand il n'y a pas de changeurs ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quand il n'y a pas de changeurs en titre, il y a d'autres personnes qui échangent les pièces d'or contre de la monnaie belge.

- Un membre : Dans les campagnes ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La Banque n'a pas d'agents dans les campagnes ; elle en a seulement dans les chefs-lieux d'arrondissement et dans tous les chefs-lieux d'arrondissement il y a des changeurs ou tout au moins des gens qui en font l'office. Du teste partout où le besoin s'en fera sentir, les changeurs naîtront.

M. de Naeyer, rapporteur. - Il y aura concurrence.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et, comme on le dit, il y aura concurrence, car c'est un commercé fort simple, extrêmement facile à exercer.

Enfin, messieurs, je ne puis pas intervenir de cette manière dans les opérations de la Banque Nationale.

La Banque est tenue d'avoir son encaisse en écus de 5 fr. pour pouvoir répondre de sa circulation, rembourser tous ceux qui se présentent et qui exigent incontinent des écus de 5 francs contre des billets de banque. (page 369) Je ne puis donc pas provoquer la Banque à adopter une mesure qui pourrait éventuellement la mettre dans la position d'avoir son encaisse composé en très grande partie d'or, qu'on n'est pas tenu de recevoir. Cette opération pourrait, en certaines circonstance, causer le plus grand préjudice au pays.

Quant à la deuxième question, on sait que le minimum des coupures des billets de banque est actuellement de 20 francs. Des coupures de 20 francs sont dans la circulation et en quantité assez notable. Je ne pense pas qu'on puisse sans inconvénient créer des coupures inférieures et, au surplus, qu'en résulterait-il ?

Les billets représenteraient des pièces de 5 francs Or, les pièces de 5 fr. sont dans la circulation et il est inutile d'y suppléer par des billets de banque. On supplée par des billets de 20 fr. aux pièces de 20 fr. qui n'existent pas ; mais je ne sais pour quel motif on substituerait des billets de 5 fr. aux écus de 5 fr. qui sont dans la circulation..

Messieurs, il y a une grande erreur répandue dans le pays et que partagent certains membres de cette Chambre : on remarque qu'en France la monnaie d'argent disparait complètement et on en conclut qu'elle va également disparaître de la Belgique. L’honorable M. Malou lui-même est tombé hier dans cette erreur. Eh bien, messieurs, cela n'est pas impossible. En France la monnaie d'argent disparaît parce qu’elle a un substituant qu'on appelle l’or, parce qu'on peut mettre l’or à la place de l'argent : mais ici que voulez-vous mettre à la place de l'argent ?

En France on réalise une prime sur l'argent, mais ici comment la gagner ?

En Belgique, pour obtenir la prime, que voulez-vous mettre à la place de l'argent ?

Est-ce pour le plaisir d'avoir de l'or on de l'argent qu'on le maintient en circulation ? Non, sans doute ; c'est parce qu'il y a nécessité d'avoir cet agent des échanges..

On dit que l'argent s'exportera. Eh bien, je suppose un individu ayant, par exemple, 500,000 fr. en écus de 5 fr. ; il se dit bien : Si je pouvais les transporter à Paris, j'y gagnerais 10,12, 15, 20 pour mille.. Mais il ajoute : Que rapporterais-je ici ? De l'or. Et comme il ne pourrais pas se défaire de cet or sans subir une perte équivalente au bénéfice qu'il aurait sur l'argent, il ne porte pas ses écus de 5 francs à Paris. C'est donc impossible. Vous n'avez pas de quoi remplacer les écus de 5 fr. et dès lors il n'y a aucun espèce de danger de les voir exporter. La monnaie d'argent continuera à circuler en Belgique, bien qu'il n'y ait que de l'or dans la circulation en France.

Messieurs, si les craintes que l'on manifeste étaient fondées et si les inconvénients dont on se plaint étaient aussi graves qu'on se l'imagine, ces inconvénients existeraient sur toutes nos frontières et relativement à tous les pays avec lesquels nous avons des relations.

Avez-vous jamais ouï dire qu'on fût venu demander de décréter le cours forcé des thalers de Prusse ? Est-ce que nous sommes moins voisins de la Prusse que de la France ? Nous sommes contigus à la Hollande, nous avons d'immenses relations avec la Hollande, vient-on nous demander de décréter le cours légal de la monnaie hollandaise ? Pas le moins du monde. Vient-on nous demander le cours légal de la monnaie anglaise ? Nous avons cependant de grandes relations avec l'Angleterre.

Qu'est-ce en réalité, messieurs, qu'on vous demande ? On vous demande une prime d'exportation, pas autre chose. On veut que quand on peut acheter le papier sur Paris à perte ou acheter la livre sterling à raison de ï5 fr., les particuliers soient obligés à accepter l'or français au pair et la livre sterling à 25 fr. 50 c. La question qu’n veut nous faire décider est celle-ci : la livre sterling (la chose paraîtra, plus claire parce que nous ne paierons plus de franc), la livre sterling achetée ici à la bourse, vaut 25 fr., je suppose ; eh bien, il y a des gens qui veulent absolument que l’on condamne le public à prendre la livre sterling au taux de 25 fr. 50 c.

Je puis acheter la livre sterling pour 25 francs et on veut que je puisse forcer le public à me la prendre pour 25 francs 50 ! Parce que certains particuliers auront fait des opérations commerciales avec l'Angleterre ; qu'ils y auront vendu leurs produits, leurs lapins, par exemple, qu'en échange ils auront reçu des guinées qu'ils ne pourront échanger chez nous que contre 25 francs d’argent ; ils demanderont une loi pour que leurs concitoyens soient obligés de recevoir la livre sterling à raison de 25 francs 50 centimes ! Le sens commun ne se révolterait-il pas contre une pareille proposition ?

Eh bien, messieurs, ce qui vous paraît absurde pour la livre sterling, c'est identiquement ce que l'on demande pour la monnaie d'or de France.

Il s'agit, en effet, de particuliers qui ont été recevoir en France, en échange de leurs produits, des pièces ayant une valeur nominale de 20 fr. et qu'on ne peut accepter ici que pour fr. 19-50 ou fr. 19-80 ; ils demandent une loi pour contraindre leurs concitoyens à recevoir leurs pièces pour 20 francs. Voilà, messieurs, la mesure de justice qu'on vous demande de décréter. La Chambre voudrait-elle s'exposer au ridicule de décréter une pareille mesure ?

Messieurs, on raisonne comme s'il suffisait d'imprimer sur un morceau d'or qui vaut une somme déterminée d'argent pour en conclure qu'il en est réellement ainsi.

Et l'on se dit : puisqu’on a gravé les mots 20 francs sur une pièce d'or, elle vaut réellement 20 francs d'argent. Mais on se trompe gravement.

Pourquoi d'ailleurs demandez-vous le cours forcé des pièces de 20 fr. ? Proposez plutôt d'émettre vous-même des pièces de 20 francs et attendez qu'un amateur de ces pièces vienne vous offrir en échange des pièces de cinq francs.

Pourquoi décréter le cours légal d'une monnaie étrangère ? Fabriquez vous-même et faites l'échange... (Interruption.) Est-ce là ce que vous voulez ? Est-ce là ce que désire M. Coomans qui m'interrompt ?

M. B. Dumortier. - Y consentiriez-vous ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment voudriez-vous quel je consentisse à une pareille opération ?

Je vous démontre qu'une pareille proposition ne se discute pas, qu'on ne peut la discuter que contre l'honorable M. Dumortier. Je vous démontre qu'il faut maintenir ce qu'il n'y a aucun inconvénient de maintenir, votre circulation d'argent qui est bonne, et vous me demandez si je veux y substituer la monnaie d'or, qui ne causerait que des embarras et des pertes au pays. Non certainement, je ne le veux pas, car ce serait une détestable opération.

Messieurs, à quoi peuvent aboutir maintenant les pétitions qu'on vous adresse, si la Chambre ne prend pas une mesure qui éclaire les populations au lieu de les laisser s'égarer.

Les idées du vulgaire, ne sont pas bien nettes sur la question de la monnaie. Il est très difficile de faire comprendre à la masse de la population quels sont les véritables principes qui doivent présider à l'organisation d'un système monétaire et l'importance qu'à cette question pour ce pays.

Pour le vulgaire la matière paraît indifférente. C'est la marque qu’il prend en considération ; mais les hommes compétents qui se sont occupés de la question savent parfaitement quels sont les principes qu'il faut suivre. Eh bien, si vous laissez continuer la petite agitation que l’on commence à propos de cette affaire, vous arriverez à pervertir de plus en plus les idées ; vous ferez affluer de plus en plus des pétitions et vous créerez ainsi de grandes difficultés pour le gouvernement et pour les Chambres sans aucune espèce d'utilité.

Il est donc infiniment préférable que la Chambre, composée d'hommes éclairés, dise aux pétitionnaires, après cette discussion qui a été suffisamment longue et approfondie : Il n'y a rien à faire, on ne peut pas décréter la mesure que vous sollicitez, on ne peut pas, changer le système monétaire existant.

Il n'y a là rien d'offensant pour les pétitionnaires, il n'y a là que la déclaration d'une vérité qu'aucun de vous ne peut méconnaître ; car personne dans cette Chambre ne proposera de faire ce que les pétitionnaires demandent. L'honorable M. Dumortier s'est bien réservé de présenter, plus tard, quand il se sera livré à un nouvel examen de la question, un projet de loi sur la matière : mais en attendant nous pouvons fort bien déclarer qu’il n'y a pas lieu, quant à présent, à délibérer.

M. le président. - Voici, messieurs, une nouvelle proposition que l'honorable M. Pirmez vient de faire parvenir au bureau.

« La Chambre, après avoir mûrement examiné l'objet des pétitions, convaincue qu'il ne peut y avoir lieu, dans les circonstances actuelles, de modifier le système monétaire existant, adopte les conclusions de la commission. »

Cette proposition est-elle appuyée ?

- Plusieurs membres se lèvent.

M. le président. - Nous sommes donc en présence de quatre propositions : nous avons d'abord les conclusions de la commission tendantes au dépôt des pétitions au bureau des renseignements ; nous avons ensuite la proposition de M. Rodenbach, tendante au renvoi des pétitions à M. le ministre des finances (hier il semblait l'avoir abandonnée, mais aujourd'hui il a déclaré la reprendre) ; nous avons, en troisième lieu, la proposition de M. Orts, qui tend à prononcer l'ordre du jour pur et simple ; enfin, nous avons la proposition de M. Pirmez, dont je viens de donner lecture. Maintenant la discussion continue.

M. Pierre. - Si la motion tendante à passer à l'ordre du jour sur les pétitions dont il s'agit ne s'était point produite, l'idée de prendre part à la discussion actuelle ne m -serait pas venue, sans aucun doute. Le rapport clair, net, précis, présenté en la séance d'hier avec un incontestable talent par notre honorable nouveau collègue M. Pirmez, et, en outre, les explications pertinentes données par M. le ministre des finances, ont amené chez moi la conviction qu'il serait préjudiciable aux intérêts généraux du pays de conférer à l'or étranger un cours forcé en Belgique. Assurément, comme l'a dit M. le ministre des finances, il n'est point ici question d'attribuer à la mesure contraire un caractère de permanence indéfinie, car le progrès social modifiera ceci comme tant d'autres choses.

Nous savons, d'ailleurs, qu'on s'occupe activement dans divers pays des mesures ayant pour but d'arriver à l'unité monétaire. Nous avons lieu d'espérer que ce but sera ultérieurement atteint, de même que l'unité sous le rapport des poids et mesures, et sous d'autres rapports encore, bien entendu, sera également et infailliblement atteinte.

Il appartient au progrès de réaliser de telles améliorations, dont les effets produiront des avantages inappréciables. Je bornerai là les considérations qui touchent au véritable fond de la question, pour m'occuper de la question de forme.

Il me paraît peu convenable d'admettre la motion d'ordre qui nous est faite. En effet, de quoi s'agit-il ? De repousser, purement et simplement, les pétitions qui nous sont soumises, en appliquant au vote un mode de procéder, emportant avec lui une sorte de dédain, si pas même de blâme ; car c'est la signification attachée, constitutionnellement, à l'ordre du jour pur et simple. Ce serait, selon moi, traiter les pétitionnaires, nos concitoyens, d'une façon d'autant plus blessante qu'elle serait imméritée.

S'il est vrai que les intérêts généraux du pays réclament et exigent l'état de choses dont se plaignent les pétitionnaires, il n'est pas moins vrai que cet état de choses fait éprouver aux pétitionnaires une gêne et un préjudice réels.

Beaucoup de nos concitoyens sont lésés dans leurs affaires de commerce et de négoce, par la mesure qu'ils signalent à notre attention, en demandant qu'un remède soit apporté. Ils ne font, en agissant ainsi, rien autre chose que d'user d'un droit inscrit dans notre Constitution. Les commerçants et négociants de nos frontières sont plus particulièrement lésés, c'est dire qu'ils sont en grand nombre, car nos frontières sont très étendues, eu égard à l'importance du pays lui-même. L'arrondissement que je représente plus particulièrement dans cette enceinte se trouve tout entier dans ce cas. On le voit, ce n'est point sans fondement que les pétitionnaires s'adressent à nous ; il y aurait donc inconvenance de repousser, par un ordre du jour pur et simple, les réclamations, car l'exercice du droit constitutionnel, dont ils ont fait usage, me semble devoir être traité avec plus d'égard.

C'est pourquoi je suis disposé à voter l'ordre du jour motivé que vient à l'instant de nous soumettre M. Pirmez et à repousser l'ordre du jour pur et simple.

M. B. Dumortier. - II est fort difficile de discuter avec l’honorable M. Frère : lui seul a toujours raison, tous les autres n'ont pas le sens commun.

Seulement je trouve que quand on se sert d'arguments aussi carrés, aussi abrupts, pour ne pas dire plus, on devrait se rappeler un peu mieux son propre passé et être bien certain que soi-même on n'a pas autrefois posé d'actes qu'on signale aujourd'hui comme n'ayant pas le sens commun.

La livre sterling, nous dit l'honorable M. Frère, vaut 25 francs à la bourse ; si je venais en demander fr. 25-25, cela n'aurait pas le sens commun ; or, ajoute-t-il, c'est précisément ce que demandent les pétitionnaires dont nous discutons en ce moment les requêtes.

Eh bien, messieurs, c'est là précisément ce qu'a fait l'honorable M. Frère lui-même, quand il est venu nous proposer une loi pour décréter le cours forcé de la monnaie d'or d'Angleterre. Il nous a donc soumis autrefois une loi qui n'avait pas le sens commun. (Interruption.) Vous l'avez fait, et toutes vos dénégations ne prouveront pas le contraire ; elles ne prouvent qu'une chose, c'est la légèreté de vos actes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Combien valait alors le livre sterling ?

M. B. Dumortier. - Vous l'avez cotée à un taux supérieur à la valeur du lingot. Vous avez donc fait une chose qui n'avait pas le sens commun.

Et voilà, messieurs, comment on qualifie les opinions de députés qui ne sont que les échos des souffrances des populations. Je dis, messieurs, que cela est cruel autant qu'antiparlementaire.

Messieurs, vous voyez ce que valent tous ces arguments. Il y a un fait ; comme je le disais hier, qui domine toute la situation, et en cela, je suis d'une opinion tout à fait contraire à celle de l'honorable ministre.

L'honorable ministre vient de vous dire : la circulation continuera à rester ici argent, bien que la France ait une circulation d'or. Voilà son thème ; c'a toujours été son thème constant, son illusion. Il s'imagine que la petite Belgique peut garder la monnaie d'argent, alors que cette monnaie d'argent n'existera plus nulle part. Eh bien, que faites-vous pour cela ?

Vous ne pouvez pas méconnaître un premier fait, c'est que chaque jour il s'exporte de la monnaie d'argent de la Belgique pour aller servir dans le grand déversoir de l'Asie. Vous ne pouvez méconnaître un second fait, c'est qu'on fond une partie considérable des anciennes pièces de 5 francs. Que faites-vous pour remplacer ces pièces de 5 francs qui sortent du pays et ces pièce de 5 francs qui se fondent ? Quelle monnaie donnez-vous en échange ? Battez-vous de la monnaie d'argent ? Vous n'en battez pas et vous avouez que vous ne pourriez en battre. Il y a un déficit que vous ne pouvez combler et c'est pour cela que l'or tend à envahir le pays. Les faits ici sont diamétralement opposés aux prévisions de l'honorable ministre. Qu'il vienne à la frontière, dont nous sommes les principaux échos, qu'il aille depuis Dixmude jusqu'à Mouscron, et partout on lui dira que l'argent tend à disparaître. C'est la tache qui s'étend de plus en plus.

Il y a peu de temps, on ne trouvait à acheter de l'or qu'à prime en Belgique ; aujourd'hui il faut le donner à perte. Et à quelle perte ? A la perte de 2 1/2 p. c. Car c'est là le taux ordinaire auquel le prend la Banque Nationale.

M. Prévinaire. - Elle n'en reçoit pas.

M. B. Dumortier. - Elle n'en reçoit pas ! je le crois bien ; parce que personne ne veut lui en donner à ce taux. Mais la Banque Nationale a fait un scandaleux abus de ses attributions lorsqu'elle s'est donné le droit de démonétiser la monnaie d'un peuple voisin, et cela dans un intérêt de boutique, comme on le disait hier, afin d'avoir une plus forte émission de billets de banque.

Messieurs, un fait reste constant, c'est que toute la frontière est envahie par l'or à cause des relations quotidiennes qui existent entre la frontière de Belgique et la frontière de France, parce que les produits de nos cultivateurs se vendent presque tous en France et qu'ils se payent en or. Ainsi dans le Luxembourg les animaux, dans les Flandres les toiles, dans tout le pays le beurre, les œufs, etc., se payent avec de l'or, et vous avez aujourd'hui une circulation d'or très considérable dans le pays où il y a deux ans vous ne pouviez en obtenir qu'avec peine, où ? vous deviez payer un agio de 1 p. c. pour vous en procurer.

Les faits viennent donc donner un démenti aux paroles de M. le ministre des finances ; ils viennent lui donner ce démenti, non dans le présent, mais dans l’avenir. Non, il n'est pas vrai que la Belgique puisse conserver sa circulation d'argent, car aujourd'hui elle ne l'a même plus. Les choses en sont arrivées à ce point qu'à ma connaissance beaucoup de personnes, sur la frontière, ne peuvent aller payer leurs contributions quand elles le veulent, parce qu'elles n'ont pas de monnaie d'argent. Voilà la situation vraie, et ce n'est pas avec des fantasmagories, avec des théories qu'on peut aller contre des faits aussi exacts, aussi concluants.

Messieurs, on nous a parlé d'une petite agitation, comme si c'était nous qui faisions naître cette agitation. Savez-vous ce qui produit l'agitation ? C'est la perte que subissent vos concitoyens par votre caprice de vouloir maintenir une théorie en place de faits. Je reçois un journal de Courtrai, où je trouve le compte rendu de la séance du conseil communal d'hier. Et remarquez que ce conseil communal est composé de personnes appartenant à la gauche. Ce n'est donc pas nous qui faisons là de l'agitation. Voici ce que je lis.

« M. l'échevin de Blaudt fait une proposition tendante à ce que le gouvernement prenne des mesures pour remédier aux pertes qu'éprouve journellement le commerce par suite de la circulation de l'or français ; sa pétition exprime le vœu que le gouvernement donne cours forcé à l'or français et frappe de la monnaie d'or. cette proposition est adoptée. »

Ceux-là aussi sont sans doute des agitateurs qui n'ont pas le sens commun. Les organes de l'opinion publique, les organes de la commune n'ont pas le sens commun. Tous les habitants des frontières n'ont pas le sens commun. Toutes les personnes qui n'ont que de l'or dans la poche, qui doivent perdre 2 1/2 p. c. si elles veulent aller à la Banque, n'ont pas le sens commun. Un seul homme a le sens commun, c'est l'honorable M. Frère, qui veut continuer à faire subir des pertes au commerce pour maintenir son admirable thème.

Messieurs, l'honorable M. Vandenpeereboom nous a dit tout à l'heure une grande vérité lorsqu'il vous a annoncé qu'il était question de réformer en France la monnaie d'argent. Ce fait est aussi à ma connaissance. Je crois donc avec mon honorable collègue qu'il serait imprudent de trancher la question dans une pareille situation par une résolution motivée, comme le propose l'honorable M. Pirmez. Comme le disait encore l'honorable membre, on ne doit rien préjuger. Je pense donc qu'il y a lieu pour la Chambre, d'adopter les conclusions de la commission, c'est-à-dire le dépôt des pétitions au bureau des renseignements.

Les renvoyer à M. le ministre serait, vous l'avez entendu, chose superflue. Ce renvoi n'aurait aucun résultat ; mieux vaut déposer les pétitions au bureau des renseignements où nous pourrons, au besoin, les consulter.

Au surplus, ne croyez pas qu'avec vos résolutions motivées vous arrêterez les faits ; vous n'y ferez rien. Quand on faisait à Galilée des objections sur le mouvement de la terre, il répondait : « Et pourtant elle se meut. » Eh bien vous aurez beau voter des propositions, et pourtant le pays s'émouvra ; vous ne m'empêcherez pas de dire avec Galilée : « Epur si muove. »

M. Orts. - Je n'ai fait ma proposition que pour procurer à la Chambre l'occasion de se prononcer sur la question. La formule proposée par l'honorable M. Pirmez me paraît conduire au même but, rien que par le fait de sa présentation par l'honorable membre qui dans la séance d'hier a parfaitement expliqué sa manière de voir sur la question. Je m'y rallie donc.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'étonne du langage et de l'attitude de l'honorable M. Dumortier. Je suis fâché de devoir dire encore une chose qui lui sera désagréable, mais je ne trouve rien de plus illogique que l'honorable membre.

L'honorable M. Dumortier parle en faveur de la monnaie d'or. Comment conclut-il ?

En faveur du statu quo.

Si l'honorable membre est aussi convaincu qu'il le paraît de la bonté des raisons qu'il fait valoir et de l'efficacité du système qu'il défend ; contre moi, que n'use-t-il donc de son droit d'initiative ? Il a annoncé qu'un jour ou l'autre, un peu plus tard, lorsqu'il aurait examiné les faits, il ferait peut-être le dépôt d'un projet de loi...

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit peut-être ; j'ai dit pour sûr.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous convie à être conséquent jusqu'au bout ; vous soutenez des prétentions que je considère comme inadmissibles ; je demande, moi, qu'on éclaire les populations. (page 371) Je demande qu'on les avertisse qu'elles réclament une mesure qui ne saurait être admise sans danger pour le pays.

Si ce n'est pas purement et simplement de l'agitation qu'on veut faire, si on ne se rend pas l'écho de plaintes auxquelles on ne saurait donner satisfaction, qu'on agisse, qu'on saisisse la Chambre d'un projet de loi tendant à donner cours légal à la monnaie d'or française en Belgique.

L'honorable membre s'est plaint d'une expression dont je me suis servi tantôt. Je n'ai entendu en faire aucune application personnelle ; j'ai qualifié l'introduction en Belgique, à un taux déterminé, d'une monnaie qui vaut moins sur notre marché ; j'ai dit qu'une pareille mesure n'aurait pas le sens commun. Il n'y a rien là de blessant pour l'honorable membre. J'ai indiqué formellement la mesure à laquelle j'appliquais une semblable qualification.

Et en effet, qui oserait soutenir le contraire ? Quand je puis ici me procurer, à mon gré, une livre sterling pour 25 fr., toute mesure qui aurait pour résultat de décréter le cours légal de la livre sterling à 25 fr. 50 c. serait une mesure qui n'aurait pas le sens commun.

Or, c'est ce qu'on demande ; on demande que lorsque je puis me procurer ici à mon gré une pièce de 20 fr. au-dessous de la valeur nominale, j'oblige tous les citoyens belges à recevoir cette pièce au taux de 20 fr.

L'honorable M. Dumortier me dit : Ce que vous qualifiez de mesure qui n'a pas le sens commun, vous l'avez décrétée, vous avez proposé de donner cours forcé à la guinée anglaise en 1848.

D'abord nous étions au mois de mars 1848. Au milieu de la crise, la monnaie s'était retirée de la circulation ; en présence de cette pénurie, il a fallu prendre des mesures exceptionnelles.

Mais, à cette époque, quel était le prix de la livre sterling ? On a admis sa valeur à l'époque où la loi a été faite. Le taux qui a été fixé par la loi, le seul auquel on pût obtenir alors la circulation des guinées en Belgique, ce taux n'a pas même été fixé sur la proposition du gouvernement ; c'est sur la proposition de l'honorable M Osy, qui, augmentant le taux que proposait de fixer mon collègue, l'honorable M. Veydt, alors chargé du département des finances ; c'est sur la proposition, dis-je, de l'honorable M. Osy, que la Chambre a admis le taux à 25 fr. 50 c.

Ainsi les faits cités par l'honorable M. Dumortier n'ont pas même le mérite d'être exacts.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close.

M. le président. - Il reste trois propositions ; la proposition de M. Pirmez, qui est le dépôt au bureau des renseignements motivé ; celle de M. Rodenbach, qui est le renvoi à M. le ministre des finances ; et celle de la commission qui est le dépôt pur et simple au bureau des renseignements.

M. Rodenbach. - Messieurs, je retire ma proposition, parce que M. le ministre des finances nous a suffisamment fait connaître qu'il ne ferait aucun accueil aux pétitions qui lui seraient renvoyées. Je dois donc forcément me rallier au dépôt de ces pétitions au bureau des renseignements.

D'ailleurs, plusieurs honorables collègues et moi, nous avons annoncé dans la séance d'hier qu'en temps opportun, et surtout lorsque la France aura modifié son système monétaire, nous saisirions la Chambre d'une proposition de loi.

Malgré tout ce que vient de dire l'honorable ministre des finances. J'ai la conviction intime que, dans un avenir plus ou moins prochain, le gouvernement sera obligé, par la force des choses, de modifier le système monétaire.

Je n'ai pas la prétention de m'ériger en prophète ; mais vous verrez plus tard que j'avais raison de réclamer du cabinet un remède prompt et efficace. Ce n'est pas seulement le vœu des habitants des frontières, mais encore d'une grande partie des villes de l'intérieur.

M. le président. - La discussion a été close.

La proposition de M. Rodenbach est retirée ; la Chambre n'est plus saisie que de deux propositions, telle de M. Pirmez et celle de la commission.

Je mets la proposition de M. Pirmez aux voix.

M. Coomans (sur la position de la question). - Je suis d'avis qu'il y a lieu de diviser la proposition de l'honorable M. Pirmez. Il y a dans cette proposition deux choses : d'abord le dépôt au bureau des renseignements, auquel j'adhère ; puis, le jugement auquel je n'adhère pas. Je serais donc fort embarrassé pour voter. Je demande la division, le règlement en main.

M. H. de Brouckere (sur la position de la question). - Messieurs, il ne peut y avoir de difficulté pour personne. Ainsi, ceux qui, comme l'honorable M. Coomans, n'adoptent pas le dépôt au bureau des renseignements motivé, le rejetteront ; et s'il est rejeté, on mettra aux voix le dépôt pur et simple au bureau des renseignements.

M. B. Dumortier (sur la position de la question). - Le règlement est positif. Dans toutes les questions complexes, la division est de droit quand elle est demandée. Or, l'honorable M. Coomans demande la division.

M. le président. - Il s'agit d'un amendement. La commission propose le dépôt au bureau des renseignements ; M. Pirmez demande, par amendement, le dépôt au bureau des renseignements, avec les motifs qu'il indique. C'est donc la proposition amendée qui doit d'abord être mise aux voix.

M. H. de Brouckere (sur la position de la question). - La question se réduit à ceci : Voulez-vous, oui ou non, le dépôt au bureau de» renseignements motivé ? (C’est cela.)

M. le président. - Puisqu'on paraît d'accord, je mets aux voix la proposition de M. Pirmez.

- Des membres : L'appel nominal !

Il est procédé à cette opération.

68 membres répondent à l'appel nominal.

41 répondent oui.

27 répondent non.

En conséquence, la proposition de M. Pirmez est adoptée.

Ont répondu oui : MM. Verwilghen, Allard, Ansiau, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Boe, H. de Brouckere, Dechentinnes, Deliége, de Naeyer, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, Frère-Orban, Frison, Godin, Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, C. Lebeau, J. Lebeau, Mascart, Moreau, Nélis, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Sabatier, Saeyman, Savart, Thiéfry, Thienpont, E. Vandenpeereboom Vander Stichelen, Van Iseghem, Vermeire et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Coomans, de Haerne, de la Coste, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, Pirmez, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Landeloos, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Malou, Moncheur, Rodenbach, Tack, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt et Van Renynghe.

">Projets de loi portant les budgets des dotations, des recettes et dépenses pour ordre, des non-valeurs et remboursements, de la dette publique et du ministère des finances, de l'exercice 1859

Dépôt

Projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire au budget de la dette publique

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le budget des dotations, le budget des recettes et dépenses pour ordre, le budget des non-valeurs et des remboursements, le budget de la dette publique et le budget des finances pour l'exercice 1850 et un projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire de 50,000 francs à ajouter au budget de la dette publique, exercice 1857, chapitre des pensions.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation des projets de lois qu'il vient de déposer.

Ces projets et les motifs qui les accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Rapport de pétitions

M. Vermeire. - Messieurs, avant d'aborder l'objet en discussion, je sens le besoin de faire une déclaration : me dépouillant de tout esprit d'intérêt spécial ou personnel, je n'examinerai les diverses questions soulevées dans le rapport qu'an point de vue de l’intérêt général. Ces diverses questions, messieurs, ont des corrélations intimes. Briser celles-ci, favoriser un intérêt au détriment d'un autre intérêt, c'est jeter la perturbation dans tous et se créer bénévolement des difficultés, des embarras inextricables.

De là, messieurs, cette discussion sérieuse qui s'est élevée dans cette assemblée et qui a établi, d'une manière évidente, une divergence d'opinions bien prononcée, entre les ministres des travaux publics et des finances, en ce qui concerne les remises que la compagnie de Dendre-et-Waes aurait le droit de faire sur le prix des transports des marchandises, tant au départ qu'à l'arrivée et à la circulation sur ses lignes.

Les diverses questions qui se rattachent à ce système ont été examinées avec un soin extrême et exposées avec une grande lucidité dans un remarquable rapport qui a été présenté, dans votre séance du 22 mai 1855, par l'honorable M. Moreau.

Il résulte des conclusions de ce rapport que la compagnie ne peut, aux termes du contrat intervenu entre elle et le gouvernement, s'immiscer dans les questions de tarifs.

Le gouvernement peut-il, d'après les pouvoirs qui lui sont accordés en vertu de la loi des péages sur les chemins de fer, établir des tarifs spéciaux pour des lignes déterminées sans que ceux-ci deviennent, immédiatement, d’application générale au réseau complet exploité par lui ?

Messieurs, je ne tâcherai point d’éclaircir le doute que je conserve à cet égard, et, quelque sérieux qu'il puisse être, je ne m'y arrêterai pas plus longtemps.

Mais, si je me pénètre bien des motifs qui ont fait naître la discussions du 1er mars 1855 et qui ont eu pour conséquence le rapport de l'honorable. M. Moreau, j'ai lieu d'être surpris que cette autorisation ait été accordée si tôt.

Ma surprise a été d'autant plus grande, que le gouvernement dans l'exposé des motifs des divers projets de loi, présentés successivement depuis 1835, au sujet des péages sur les chemins de fer de l’Etat, reconnaît lui-même qu'en présence des résultats satisfaisants obtenus par le tarif de 1848, il est prudent de ne point innover en pareille matière.

Je crois, messieurs, qu'il ne sera pi nt inutile au débat d'exposer, d'une manière succincte, les conditions fondamentales de la concession obtenue par la société de Dendre-et-Waes ; les voici :

(page 372) La compagnie doit construire la route.

Le gouvernement doit exploiter et administrer absolument comme si elle faisait partie du réseau de l’État.

La compagnie ne peut intervenir dans aucune question relative, soit aux tarifs à appliquer, soit à la marche des convois.

Les tarifs seront appliqués d'après les bases générales de ceux du réseau exploité par l’État.

Les modifications ou les exemptions de taxe, dans certains cas déterminés par les tarifs généraux, ne pourront être accordées que du consentement de la compagnie.

Donc l'initiative des modifications ou des changements de tarif appartient au gouvernement, non à la compagnie.

La concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes constitue, dans les diverses conditions auxquelles elle a été obtenue, des difficultés telles, que l'on ne peut qu'avec grand-peine en saisir le sens ; et, surtout,, déterminer d'une manière exacte quels sont les droits et les devoirs qui incombent à chacune des parties contractantes. Recherchons donc quelles ont été les intentions des contractants au moment où la convention a été souscrite.

Dans un avant-projet présenté, en mai 1851, au gouvernement, par les concessionnaires, ceux-ci voulaient se réserver les produits du transport des grosses marchandises des deux stations dé Termonde, sauf qu'ils ne percevraient qu'un dixième des recettes provenant du transport des charbons destinés à l'exportation. Mais, si on leur accordait un tarif réduit seulement pour le transport des charbons d'Ath à Lokeren, ils consentaient à renoncer aux avantages exorbitants qu'ils demandaient.

Le gouvernement, préoccupé des intérêts du trésor et du maintien de l'équilibre entre les différents centres industriels, ne voulut pas faire concevoir l'espérance d'un tarif exceptionnel, et il refusa d'admettre des clauses dont la réalisation aurait détruit l'uniformité du tarif applicable à toutes les lignes. Aussi, celui-ci préféra-t-il donner aux concessionnaires les trois quarts de l'accroissement éventuel des deux stations de Termonde, en tenant compte, au profit du trésor, des produits perçus, pendant 1851, à cette station.

De ces faits, relatés dans le susdit rapport, l'honorable M. Moreau infère que les demandeurs en concession ne prétendaient pas pouvoir modifier les tarifs, et que le gouvernement ne voulait point accorder la réduction demandée par la compagnie, pour ne point détruire l’uniformité du tarif, applicable à toutes les lignes.

Du reste, les droits et les obligations des parties sont déterminés par l'article 5 de la convention qui porte :

Les chemins de fer à établir seront, tant pour la route même que pour leurs dépendances, exploités et entretenus par le gouvernement, absolument comme s'ils faisaient partie du réseau construit par l’État.

Ainsi le contrat intervenu entre le gouvernement et la compagnie repose sur l'exploitation de la ligne aux mêmes conditions que le réseau entier. D'après ces bases le gouvernement exploite ; et la compagnie n’existe plus que pour distribuer à ses actionnaires l'intégralité des 3/4 du produit brut. Or si les chemins de Dendre-et-Waes ne sont pas exploités, absolument, comme s'ils faisaient partis du réseau de l’État, l'uniformité du tarif, à laquelle le gouvernement a tant tenu, disparaît et l'édifice sur lequel on a étayé, à grand-peine, cette singulière convention, croule et tombe en ruine.

Il est une chose digne de remarque, c'est que le tarif réduit représente, exactement, le taux de celui dont on avait demandé l'application dans la première convention, et pour l'obtention duquel les demandeurs en concession voulaient renoncer aux avantages attachés aux stations de Termonde. Le gouvernement, préoccupé des intérêts du trésor, n'avait pas voulu y souscrire par les motifs que je viens d'indiquer.

En effet, la distance moyenne des stations du centre vers Lokeren est de 22 kilomètres 5, à 20 c., 4,50 fr.

Et le péage sur le chemin de fer aux tarifs généraux s'élève 6,75 fr.

(Je néglige les frais d'embarquement et les frais fixes de part et d'autre.)

Lorsque l'on examine attentivement la discussion qui a eu lieu, à ce sujet, en 1855, nous voyons, d'une part, affirmer par M. le ministre des travaux publics, que le quart de fr. 6-70 suffit pour exonérer l'administration des frais d'exploitation ; d'autre part, contester ce fait, par plusieurs membres de cette assemblée.

Si on se place au point de vue du coût de l'unité du trafic sur les chemins de fer telle qu'elle est indiquée dans le compte rendu sur la situation de l'exploitation du chemin de fer de l'État pour 1835, nous constatons que, pour les recettes, les grosses marchandises entrent dans le produit total à raison de 44.66 p. c. et dans les dépenses à raison de 65 p. c. Or, dans la concession de Dendre-et-Waes, la part de l’État n'étant que de 25 fr., il y a de ce chef une perte pour l'exploitant de 40 fr.

D'après le même compte rendu, les voitures de marchandises ont parcouru :

55,818,146 kilomètres et ont transporté 2,649,449 tonneaux de grosses marchandises.

De manière que chaque tonne a été transportée, en moyenne, à une distance de 21 kilomètres et une légère fraction.

Les frais occasionnés par ce trafic étant de 8,737,465 fr. 80 c, les frais de transport d'une tonne de marchandises s'élèvent à 3,33 fr., soit pour la tonne-kilomètre, fr. 0,1581.

Les recettes totales s'élevant à 23,308,678 fr. 99

Et les grosses marchandises y étant comprises à raison de 44.66 p. c, la perception faite de ce chef est de 10,409,656 fr. 37

ou par tonne de marchandise 3,99681 fr.

ou par tonne-kilomètre 0,1897 fr.

Bénéfice sur le trafic, 0,0316 fr.

Somme égale à la dépense 0,1581 fr.

Ce résultat, appliqué à l'exploitation de Dendre-et-Waes, laisse une perte à l'exploitant de fr. 0,1119 par tonne-kilomètre ou fr. 0,5595 par tonne-lieue.

Il est vrai de dire que si le parcours s'allonge, le coût de l'unité du trafic diminue, puisque en ce cas on peut utiliser la mise en train et le stationnement des machines, et opérer certaines autres économies sur les frais généraux. Il est fort difficile de déterminer quelle serait cette réduction pour le transport à une distance de 100 kilomètres, alors que pour un parcours moyen de 20 kilomètres, le coût est de 0.1581 par tonne-kilomètre, comme je viens de l'indiquer. Si je consulte l'ouvrage déjà cité de l’ingénieur Belpaire, le coût ne serait plus, que de 12 c. par kil. pour un parcours de 100 kilomètres ; de manière que, dans ce dernier cas, le déficit ou la perte serait réduite de 11 à 7 c. par tonne-kilomètre.

On le voit donc, en tout état de cause, la perte pour le transport est incontestable.

La mesure adoptée pour les remises ne pourrait trouver un semblant de justification qu'à condition qu'elle ne s'appliquerait qu'à des expéditions restreintes, ajoutées aux convois ordinaires et dont la charge est incomplète.

Mais, si vous vous basez sur cette restriction, avez-vous songé que si vous ne transportez par toutes les marchandises dans le délai prescrit par les règlements généraux, vous vous exposez à contrevenir aux articles 5 et 7 de la convention qui vous lie envers la société ? Car celle-ci, eut vous amenant à souscrire à cette concession, n'a pas, que je sache, consenti à ce qu'il en fût autrement.

Du moins, le public n'en a pas été prévenu.

Avez-vous songé aussi que si, par des tarifs différentiels, vous parvenez à augmenter le tantième dû à la société, vous aggravez la situation du gouvernement vis-à-vis de la compagnie pour le cas où, d'après l'article 20 de la convention du 1er mai 1852 (Moniteur du 4 mai 1852), le gouvernement croirait devoir opérer le rachat de la concession ; le prix de celui-ci devant être calculé sur le payement, pour toutes les années qui resteront à courir sur la durée de la concession, d'une annuité égale au produit moyen des années les plus productives, prises parmi les 7 dernières années, majoré d'une prime de 15 p. c

Ensuite, si le principe des remises est bon en ce qui concerne Dendre-et-Waes, il doit être bien meilleur quand il sera appliqué à l'exploitation du réseau complet, l’intégralité des recettes restant, en ce cas, acquise au trésor, et celles-ci présentant encore sur les dépenses, un excédant de 20 à 25 p. c, comme je viens de le prouver.

Quant à moi, messieurs, je ne serais point opposé à cet abaissement de tarifs, parce que, en définitive, il ne serait point préjudiciable au trésor ; et qu'il est déjà appliqué, si ma mémoire est restée fidèle, sur le chemin de fer du Nord quant aux transports des charbons. Mais, en ce cas, il serait juste aussi d'abaisser, dans une proportion équivalente, les péages, perçus au profit du trésor, sur les divers canaux et rivières.

Car en substituant les transports par chemin de fer à ceux par canaux, on porte un double préjudice à l’État, préjudice qui est d'autant plus regrettable que la perception des péages sur les canaux et sur les rivières ne donne lieu qu'à une dépense insignifiante ; tandis que, pour les chemins de fer, le produit ne dépasse la dépense que dans une faible mesure :

La question des tarifs est extrêmement importante. C'est ainsi que, en Belgique, et même dans les pays où l'exploitation est entièrement confiée à l'industrie privée, on défend presque toujours aux concessionnaires de modifier les tarifs sans l'autorisation du gouvernement.

En France, ces changements doivent être annoncés d'avance, et homologués par des décisions de l'administration supérieure, prises sur la proposition de la compagnie et rendues exécutoires dans chaque département par des arrêtés du préfet.

En Angleterre, dit le rapport de l'honorable M. Moreau, auquel j'emprunte ces citations, où une grande liberté est laissée aux concessionnaires, dans le mode de faire valoir leur entreprise, les mêmes restrictions, quant aux réductions ou aux changements à faire dans les tarifs, sont établies comme principe général, et un comité spécial est chargé de le faire respecter.

Comment comprendre, dès lors, que le gouvernement, qui se montre si sévère quand il s'agit de sociétés qui exploitent à leurs risques et périls, devient d'une tolérance excessive pour une partie de chemin qu'il dirige, qu'il administre, qu'il exploite, et admet des tarifs exceptionnel qui sont de nature à bouleverser, au gré des concessionnaires, les relations existantes, ou à accorder des faveurs spéciales à certains industriels privilégiés ?

Mais, dit-on, il ne s'agit que d'approvisionner, d'une manière plus convenable, deux localités. Et, d'abord, pourquoi cette exception ? (page 373) D'autres localités, d'autres centres industriels qui, eux aussi, se trouvent à proximité des chemins de fer, doivent-ils rester privés de ce bienfait ! La ville de Gand, par exemple, n'a-t-elle aucun intérêt à recevoir le combustible à aussi bon compte que Saint-Nicolas ou Lokeren ?

Et, d'autre part, êtes-vous bien sûrs que les remises ne sont faites que sur les charbons servant à approvisionner, d'une manière plus convenable les localités que vous désignez ? Ces charbons ne sont-ils pas réexportés soit sur Anvers, soit sur d'autres localités qui s'approvisionnent ou par l'intermédiaire des canaux, ou par l'intermédiaire du chemin de fer de l’État ?

Le gouvernement et, surtout, le département des finances a été, dès le principe, vivement préoccupé du préjudice causé au trésor par les combinaisons auxquelles les concessionnaires ont recours ; et, la société, répliquant à ces appréhensions, répondait : « Les chemins de fer qui suivent les mêmes directions que les voies navigables ne transportent que peu ou point de marchandises, leurs tarifs étant toujours plus élevés que le prix du fret. »

Ce n'est donc qu'à cette dernière condition que les transports par chemin de fer sont peu importants. Mais en est-il encore de même lorsque la situation est intervertie et que les tarifs des chemins de fer sont plus bas que ceux des voies navigables ?

Les faits sont là qui le prouvent. Evidemment non. Donc de l'aveu même de la compagnie, tous les transports de ces matières, pour les localités où elles arrivent avec des frais de transport moins élevés, lui seront acquis, et le trésor perdra une partie notable de ses revenus, en même temps que cette mesure portera le trouble dans les relations existantes.

C'est contre cet état de choses que nous croyons devoir nous élever.

En effet, le préjudice au détriment de la navigation est incontestable. La différence au préjudice de la voie navigable de Charleroi à Bruxelles est de fr. 1.46 par tonne.

Id. pour Louvain, 3.63 1/2 par tonne.

Id. pour Lokeren, 2.56 par tonne ; ce dernier combiné avec le chemin de fer de Dendre-et-Waes.

La commission né l'estime qu'à fr. 1.91 ; la différence provient de ce qu'elle ajoute aux frais de transport ceux des fosses aux stations et qu'elle les néglige pour le transport des charbons des fosses au rivage.

II résulte donc de toutes qui précède que les combinaisons de la compagnie de Dendre-et-Waes ont toujours tendu et tendent encore à s'emparer des transports des canaux et, dans une certaine mesure, de ceux de l'ancienne ligne du chemin de fer de l’État ; et que cette compagnie a obtenu, avec l'assentiment du gouvernement, gratuitement, tous les avantages pour, lesquels, dans le principe, elle offrait d'abandonner d'autres avantages que lui procurent aujourd'hui les stations de Termonde.

.Nous aurions tort de nous opposer à cette substitution si elle se produisait naturellement ; mais la raison d'être résidant uniquement dans des faits anomaux, artificiels, préjudiciables au trésor comme à la navigation et à d'autres intérêts respectables, nous ne pouvons nous y rallier ; car à nos yeux, cette substitution constitue, par l'intervention de l’État, des mesures que réprouve une bonne et saine économie.

Cette mesure exceptionnelle, autorisée par le gouvernement, conduit aux anomalies les plus flagrantes ; c’est ainsi que pour faire un parcours sur le chemin de fer des charbonnages vers Lokeren, en moyenne 115, 5 kilomètres, on paye 4.50 fr. tandis que pour Termonde, 101,5 kilomètres, on paye 5-65, c'est-à-dire que pour un parcours en moins de 15 p. c. on exige un péage en plus de 36 p. c.

La commission d'industrie est dans l'erreur quand elle affirme d'une manière positive, que la chambre de commerce de Termonde demande le retrait de la mesure exceptionnelle dont jouissent les stations de Zele et de Lokeren. Ce que demande la chambre de commerce de Termonde, c'est que cette mesure ne reste pas à l'état d'exception, mais devienne la règle, et que l'on applique l'égalité devant le péage comme devant l'impôt, seul principe qui est conforme à notre droit public comme à toutes les lois financières qui régissent le pays.

Elle croit que si cette réduction trouve sa raison d'être pour les deux cas dont nous nous occupons, son extension au réseau complet exploité par l’État, serait d'autant plus rationnelle que, ne constituant point, dans ce dernier cas, le trésor en perte, elle pourrait être adoptée sans aucun inconvénient.

C'est aussi ce que démontre, à toute évidence, la pétition des habitants de Termonde qui a été passée sous silence par la commission on qui a été rapportée par elle d'une manière erronée.

Pour ma part, messieurs, et je crois m'être expliqué assez souvent à cet égard, je ne suis point hostile aux mesures qui facilitent les transports et les rendent plus économiques. Bien au contraire, j'appelle de tous mes vœux le développement des transports par la locomotive, ce moteur puissant qui, pour me servir de l'expression du savant ingénieur Belpaire, « exerce son influence fécondante sur toutes les branches de l'activité humaine, dont l'action bienfaisante prépare la liberté des transactions et qui est appelée à abolir un jour les barrières qui entravent les communications des peuples entre eux. »

Mais, si telles sont nos aspirations vers l'avenir, nous croyons aussi que tous les moyens qui sont de nature à atteindre ce but si désirable doivent être mis sur la même ligne ; que le chemin de fer et la voie navigable ne doivent point être rivaux, mais qu'ils sont appelés à se prêter mutuellement un concours efficace, rationnel, fécond.

Je déclare donc que je suis favorable à toutes les mesures propres à faciliter le transport économique des hommes et des choses ; j'appuie en conséquence le renvoi de toutes les pétitions sur l'objet en discussion à M. le ministre des travaux publics. J'engage le gouvernement à nous présenter, au plus tôt, des mesures d'ensemble propres à faire cesser l'antagonisme entre les divers intérêts engagés dans cette question, afin que tous concourent, dans la mesure de leur force respective, à accroître le bien-être et la prospérité publiques.

- La séance est levée à 4 heures et demie.