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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 7 décembre 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 162) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance du 2 décembre.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Durand demande qu'il soit établi, dans tout collège communal ou école moyenne, du moins dans chaque athénée, un professeur chargé de l'enseignement de la Constitution et des lois organiques de premier ordre qui en dérivent. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La chambre syndicale des agents de change et courtiers près la bourse de Gand prie la Chambre de s'occuper d'une pétition de quelques négociants de cette ville, en date du 15 juillet, et de celle qu'elle a fait parvenir en réponse, relativement à la révision de la loi sur le courtage. »

- Même renvoi.


« Le sieur Ruelle, combattant de la révolution, demande un secours. »

- Même renvoi.


« Le sieur Daune prie la Chambre de demander à M. le ministre de l'intérieur des explications au sujet de ses plaintes concernant les fonctions accessoires exercées par des instituteurs communaux. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Mouroit et Droissart demandent que, pour la représentation nationale, le vote par arrondissement et pour le conseil provincial, le vote par canton, soient donnés d'après l'ordre alphabétique des électeurs, au lieu de l'être par commune. »

- Même renvoi.


« La dame Rofidal demande qu'il soit accordé un congé définitif à son fils Alexis qui appartient au corps de la gendarmerie. »

- Même renvoi.


« Plusieurs membres du conseil communal de Petit-Thier demandent que la grande compagnie du Luxembourg construise l'embranchement du chemin de fer de Neufchâteau à Bastogne. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lepère, préposé des douanes pensionné, prie la Chambre de faire augmenter sa pension et demande qu'on lui donne une place de commissaire voyer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Catteau, instituteur à Oostacker, demande une gratification. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Capellen demandent que M. le ministre de l'intérieur soit invité à se prononcer sur ses intentions relatives aux réclamations qui ont été adressées en faveur de la langue flamande. »

- Même renvoi.


« Des étudiants à l'université de Louvain demandent qu'il y ait à Pâques une session de jury d'examen. »

- Même renvoi.


« Le sieur Simon, instituteur communal à Attert, né à Pallien (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des propriétaires de bateaux et négociants en charbons à Bruxelles et dans faubourgs prient la Chambre de réduire, dans une large proportion, les péages du canal de Charleroi. »

- Le bureau propose le renvoi de cette pétition à la section centrale qui est chargée d'examiner la proposition de loi relative aux péages sur le canal de Charleroi.

M. De Fré. - Je demande un prompt rapport. La concurrence ruineuse que le chemin de fer fait au canal de Charleroi met les pétitionnaires dans la situation la plus pénible et la réduction des péages réclamée est d'une urgence clairement démontrée.

- La proposition de M. de Fré est adoptée.


« M. le ministre de la justice adresse à la Chambre 110 exemplaires du Recueil des documents parlementaires et discussions, concernant la révision de la législation sur les établissements de bienfaisance. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers adresse à la Chambre 120 exemplaires d'une brochure qu'elle vient de publier sur la décadence du port de cette ville. »

- Même disposition.


« M. Alph. Vandenpeereboom, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Crombez demande un congé de quelques jours, »

- Accordé.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget de la chambre

Rapport de la commission de comptabilité

M. Moreau. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission de comptabilité, concernant un crédit supplémentaire au budget des dépenses de la Chambre pour l'exercice 1858.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l’exercice 1859

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le budget du ministère des affaires étrangères pour l'exercice 1859.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi réduisant le droit de patente des bateliers

Dépôt

Projet de loi supprimant l’obligation des riverains du canal de la Campine de concourir aux frais de construction de celui-ci

Dépôt

Projet de loi accordant un crédit spécial au budget du ministère des travaux publics

Dépôt

Projets de loi accordant des crédits aux budgets des ministères des travaux publics et des affaires étrangères

Dépôt

Projet de loi autorisant le gouvernement à échanger un bien domanial

Dépôt

Projet de loi accordant une pension à la veuve Partoes, décédé ministre des travaux publics

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

1° Un projet de loi qui réduit de 50 p. c, à partir du 1er janvier 1859, le droit de patente des bateliers indigènes et étrangers, établi par la loi du 19 novembre 1842 ;

2° Un projet de loi qui abroge les dispositions des lois des 29 septembre 1842, 10 février 1845 et 6 avril 1S45, qui ont appelé les propriétés riveraines du canal de jonction de la Meuse à l'Escaut et du canal d'embranchement vers Turnhout, à concourir aux frais de construction de ces voies navigables ;

3° Un projet de loi qui ouvre au département des travaux publics, un crédit spécial de 118,000 francs destiné à solder des créances arriérées, résultant de réclamations reconnues fondées, de jugements définitifs et de transactions.

4° Un projet de loi qui met à la disposition du ministre des affaires étrangères un crédit de 25,000 francs pour indemniser le propriétaire du yacht anglais l’Alma, de la perte qu'il a éprouvée le 4 juin 1856.

5° Un projet de loi qui autorise le gouvernement à faire l'échange d'une parcelle de terrain appartenant à l'Etat contre une autre parcelle appartenant à la ville de Bruges.

6° Un projet de loi qui ouvre au département des travaux publics un crédit de 4,516 francs destiné à subvenir aux dépenses occasionnées par les funérailles de M. J. Partoes, décédé ministre des travaux publics.

7° Un projet de loi qui accorde une pension à la dame veuve Partoes, mère du collègue que nous avons eu la douleur de perdre récemment.

M. Partoes, qui avait conquis par son intelligence et par son talent la haute position qu'il a occupée est mort sans rien laisser. Sa vieille mère est aujourd'hui sans ressources. Nous avons pensé que nous répondrions aux vœux de la Chambre et du pays (Certainement !) en proposant d'allouer une pension à la mère de cet homme à jamais regrettable.

- De toutes parts : Très bien !

- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets de loi qui seront imprimés et distribués, ainsi que les exposés des motifs qui les accompagnent.

La Chambre les renvoie à l'examen des sections.

Nomination du bibliothécaire de la chambre

Nombre des votants, 75

Majorité absolue, 38

M. Vereecken, bibliothécaire actuel, a obtenu l'unanimité des suffrages.

En conséquence, il est continué dans ses fonctions de bibliothécaire de la Chambre pour un nouveau terme de six ans.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1859

Discussion générale

M. Vermeire. - Messieurs, s'il est une question difficile à résoudre, c'est, sans contredit, celle qui concerne la gestion financière des Etats. Cette difficulté doit être attribuée à deux causes principales : la première, qui consiste dans le défaut de définition exacte des attributions à imposer aux gouvernements au sujet de leur intervention dans les affaires privées ; la seconde, dans l'impossibilité où l'on se trouve encore de juger du degré d'utilité à résulter des encouragements que l'autorité supérieure accorde, souvent, aux diverses branches de l'activité humaine. En effet, le désaccord continue à régner, tant au sujet des éléments qui devraient constituer le revenu public, que de ceux qui devraient présider aux dépenses, afin de maintenir aux affaires une marche régulière, prudente et active.

Les uns croient que l'Etat doit prendre toute chose sous sa tutelle ; qu'il doit tout régler, tout régenter. Ils lui attribuent, en quelque sorte, une mission providentielle, dispensatrice de tout bien, sans laquelle la prospérité ne saurait exister. Les autres, au contraire, pensent que les gouvernements doivent se borner à réprimer l'abus que les hommes (page 165) pourraient faire de leur liberté ; à punir les mauvaises actions et les prétentions injustes, afin de garantir aux citoyens la sécurité qui leur permette de développer leur travail, au moyen des ressources dont ils disposent.

Tout en admettant ce que l'un et l'autre de ces systèmes pourraient avoir de trop absolu dans leur abstraction respective, nous n'hésiterions pas, cependant pour le cas où nous eussions, forcément, à choisir entre eux, de nous prononcer en faveur de celui qui a pour base l'initiative individuelle ; parce que, ainsi que nous l'avons fait remarquer, à plusieurs reprises, nous y avons plus de confiance que dans le secours du gouvernement qui est souvent inefficace, toujours onéreux.

Si, aux époques où des disettes ou des révolutions causent de véritables calamités publiques, où le crédit est altéré, le travail rendu improductif, l'intervention du gouvernement peut se justifier, à certains égards, cette intervention, cependant, n'a plus de raison d'être du moment que les causes qui y ont imprimé un certain caractère d'utilité, viennent à cesser.

C'est ainsi que si, à l'époque calamiteuse que nous avons traversée, il y a quelques années, cette intervention dans l'industrie a produit un certain effet salutaire, le retour vers une situation normale lui a fait cependant perdre considérablement de son importance, si tant est qu'il n'en ait enlevé tous les avantages que l'actualité eût pu y attacher.

Une sévère économie dans les dépenses, du discernement dans l'emploi des revenus publics, un impôt modéré qui n'est que le prix de services réellement rendus, sont des indices infaillibles d'une prospérité toujours croissante.

En appliquant un pareil système, en élaguant des dépenses toutes les superfluités que l'on y rencontre, on obtiendra non seulement un équilibre parfait entre les recettes et les dépenses, mais on constatera, bientôt, un excédant de ressources tel, qu'il permettra de supprimer plusieurs impôts qui pèsent si lourdement sur les classes laborieuses de la société. Alors, des capitaux qui servent aujourd'hui à faire des dépenses infructueuses, reprendront leur cours vers une circulation productive, laquelle, à son tour, viendra ajouter son contingent à un bien-être de plus en plus saisissant.

L'intervention continuelle de l'Etat dans l'industrie privée y porte, non seulement le trouble et une concurrence ruineuse à ceux qui ne puisent point au réservoir privilégié, mais elle est encore contraire au droit public qui nous régit. Si l'ordre moral comme l'ordre intellectuel n'ont d'autres limites que la responsabilité qui tempère la liberté, pourquoi n'en serait-il pas de même de l'ordre matériel ? Est-ce que, par hasard, le citoyen aurait plus d'aptitude à user de la liberté civile, politique, que de la liberté industrielle, commerciale ? Et si, pour la première de ces libertés, il a été déclaré majeur, pourquoi ne le serait-il pas pour l'autre ? Ou bien le gouvernement continue-t-il à croire que l'industrie et le commerce ne sortiront jamais de l'enfance et que lui, gouvernement, sera éternellement obligé de tenir les lisières pour les empêcher de trébucher dans une marche craintive, peu rassurée ?

Pour moi, je ne saurais admettre une pareille supposition. Aussi, j'aime à croire qu'on nous présentera, sans trop tarder, des projets de loi qui, tout en étendant la liberté, n'en seront pas moins appelés à contribuer au développement de toutes les forces vives de la société. Je serais heureux de recevoir, à cet égard, une réponse satisfaisante de la part du cabinet.

Que le gouvernement ne s'effraye pas de la présentation de pareilles lois. Elles recevront un accueil plus favorable qu'il ne le pense. Car, il est prouvé aujourd'hui, et par l'accroissement des exportations de nos produits industriels manufacturés, et par l'activité qui règne dans nos usines et dans nos ateliers, que nous pouvons, pour la plus grande partie de nos articles, soutenir favorablement la concurrence avec l'étranger ; que nous sommes plus forts que nous ne le pensons nous-mêmes ; que le temps est venu de nous soustraire à une tutelle prohibitionniste insupportable, afin de pouvoir marcher dans la voie de la liberté matérielle d'un pas au moins aussi assuré que nous le faisons dans la voie de la liberté politique. Qu'on ne l'oublie pas, toutes les libertés se tiennent ; elles sont sœurs. Opprimer l'une d'elles, c'est faire courir aux autres un danger d'autant plus réel, que leur intimité est plus grande, que leur solidarité est plus étroite.

Dans le discours du trône, le gouvernement nous annonce une situation financière des plus rassurantes, des plus favorables ; et la Chambre, dans l'adresse au discours royal répond que « la situation des finances de l'Etat a ressenti les heureux effets de la richesse publique ».

Lors du vote sur le projet d'adresse, j'ai annoncé que, à l'occasion de la discussion de l'un ou de l'autre projet de loi de finance, j'aurais examiné si, en effet, cette situation heureuse, à laquelle applaudissaient et gouvernement et législature, était aussi réelle que, de part et d'autre, on le proclamait à la face du pays.

Certes, et je suis le premier à le dire, cette situation n'est point alarmante, mais il n'en résulte pas moins que, si on la prend dans son ensemble, le tableau n'en est plus aussi riant, mais devient quelque peu sombre.

En effet, messieurs, la dette qui nous a été léguée par les traités ne s'élève qu'à 389,471,651 fr. 74

Elle s'élevait, d'après la situation du trésor publié au 1er septembre 1857, à 841,606,563 74

Différence en plus, 452,134,932 fr.

Sur cette somme il avait été amorti, à cette même date. 236,991,199 fr. 78

De manière que, en vingt-sept ans, le capital de notre dette a augmenté de 215,143,732 fr. 22, ou de 8,005,375 fr. 32 par an.

Le capital de la dette constituée est de 604,615,363 fr. 96.

La rente annuelle, y compris l'amortissement, a augmenté également d'une manière fort sensible ; elle était primitivement de 12,009,160 fr. 5.4

Elle monte aujourd'hui à 29,507,113 fr. 34.

De manière que, en un quart de siècle, la rente annuelle pour la dette consolidée, non compris les intérêts affectés à la dette flottante et aux capitaux consignés, a augmenté de fr. 17,500,000 fr.

La dette flottante s'élevait au 1er janvier 1858 comme résultats probables à 22,998,529 fr. 47.

Elle n'était au 1er janvier 1857 que de 13,582,236 fr. 22

Augmentation du découvert pour cette dernière année. : 9,416,293 fr. 25.

Tous les ans on nous présente un budget de voies et moyens dont les produits probables excèdent les dépenses probables auxquelles ceux-ci se rapportent. Et presque tous les ans, les faits réalisés viennent infirmer ces brillantes prévisions. C'est ainsi que de 1830 à 1854, ou a voté des crédits complémentaires et supplémentaires pour plus de fr. 154,000,000 soit, par an, plus de fr. 6,225,000.

Les nouvelles charges qui résultent de cette situation sont-elles couvertes par l'augmentation de recettes due à un accroissement normal des contributions ? Sans doute, celles-ci y ont une part active, mais ces augmentations sont encore dues, en grande partie, au rétablissement d'impôts, momentanément supprimés à de nouveaux impôts et à ceux dont les bases ont été élevées.

C'est ainsi que les droits de débit sur les boissons distillées et les tabacs, le droit sur les successions en ligne directe, le rétablissement du droit d'entrée sur les céréales, l'augmentation du droit sur le sel, la suppression des immunités accordées à l'emploi du sel dans les fabriques, l'augmentation de l'accise sur les bières, sur les genièvres, sur les sucres donnent des ressources qui peuvent être évaluées à plusieurs millions ; tandis que, d'autre part, les dégrèvements qui ne portent que sur quelques articles tels que le droit de poinçonnage des poids et mesures, le droit de timbre sur les journaux, le droit de transit, certains droits de douane et le droit d'accises sur le vin, restent bien en dessous de ces évaluations.

Il est encore à remarquer que, depuis une dizaine d'années, d'autres impôts ont été créés qui frappent plus particulièrement, le commerce et l'industrie ; ce sont le timbre obligatoire sur les effets de commerce et sur les lettres de voiture.

Le gouvernement a placé à la page 25 du projet de budget des voies et moyens un tableau d'où il infère que, comparativement à 1840, la quotité d'impôt par habitant n'a augmenté en 1857 que de fr. 3-37. Cette différence qui paraît peu importante, ainsi réduite à sa simple expression, devient, cependant, énorme quand on l'examine dans toutes ses conséquences.

D'abord elle constitue une augmentation d'impôt de plus de 17 p. c. : laquelle réduite en chiffres, accuse une augmentation d'impôt de près de fr. 13,000,000, eu égard à l'accroissement de la population. En laissant de côté cette dernière considération, l'augmentation est de 24 millions de francs.

D'après moi, l'on pourrait établir la comparaison de la situation entre 1840 et 1857 de la manière suivante : sur cent parties, les augmentations sont dues à raison de 31 parties à de nouveaux impôts et à ceux dont on a élevé la base, 60 parties à l'augmentation de la population. 9 parties à l'accroissement de bien-être produit par une augmentation de la consommation.

Il est encore à remarquer, messieurs, que, si l’on n'y porte promptement remède, une des principales branches du revenu public diminuera plutôt qu'elle n'augmente, et ce, dans un avenir plus ou moins prochain.

Je parle du chemin de fer de l'Etat, dont la recette kilométrique reste stationnaire, tandis que la dépense augmente. Ainsi, nous sommes rétrogrades, en ce qui concerne le revenu, comparativement à l'année 1854, tandis que, pour la dépense elle a augmenté de fr. 1,000 par kilomètre exploité ou d'environ 16 p. c.

Il en est de même pour les produits du canal de Charleroi, dont les recettes ont diminué de 75,000 fr. environ, par rapport à 1857 et dont les produits pour l’année courante, ne seront guère plus satisfaisants.

La différence du résultat constatée par moi et par le département des finances provient, selon moi, de ce que ce département, en faisant miroiter à nos yeux une situation aussi favorable, ne compare entre eux que les résultats dus aux recettes et aux dépenses ordinaires et lègue à l'avenir les insuffisances constatées dans les dépenses extraordinaires. Or, une situation qui s'aggrave, d'année en année, d'une manière qui n'est plus en rapport avec l'augmentation de la population et l'accroissement de la richesse publique, doit, inévitablement, conduire à la création de (page 164) nouveaux impôts, à laquelle, pour ma part, je n'aimerais point de donner mon assentiment.

Certes, le pays n'est point soumis à un impôt qui dépasse ses moyens, mais ce n'est pas une raison suffisante pour que le gouvernement ne soit avare des deniers publics et ne procède, au besoin, par voie de réduction plutôt que par voie d'augmentation ; qu'il ne tâche de parvenir, au moyen d'une diminution de dépenses, à une diminution équivalente de l'impôt.

J'ai dit.

M. Lelièvre. - Le budget actuellement en discussion me donne l'occasion de signaler quelques mesures, dont je recommande l'examen à la sollicitude du gouvernement.

Il est certain que depuis longtemps on comprend le besoin de réformer les lois concernant les impôts et d'adopter, à cet égard, une répartition plus équitable, conforme à l'esprit de nos institutions démocratiques.

C'est ainsi que la révision de la loi de 1822, sur la contribution personnelle, est indispensable. Dès 1848, le ministère libéral avait proposé un projet, dont la discussion a été retardée, et qu'il conviendrait de reproduire prochainement.

L'on doit surtout atteindre le luxe et l'aisance ; c'est le seul moyen efficace de protéger la propriété contre les éventualités de l'avenir.

D'un autre côté, un vice capital dépare la législation actuelle. La fortune mobilière échappe aujourd'hui à l'impôt et on ne frappe que la fortune immobilière. C'est là une inégalité que rien ne justifie. Les valeurs mobilières constituant une fraction importante de la richesse publique, il est de toute justice que leurs propriétaires contribuent aux charges de l'Etat, non moins que les possesseurs de propriétés territoriales. Il serait digne de l'administration de prendre les mesures propres à faire cesser un état de choses qui donne lieu à des résultats que l'équité repousse.

Ce sont là des améliorations qui appellent l'attention particulière du gouvernement.

Il est aussi un objet qui me paraît digne d'examen, ce sont les dispositions de la loi du 31 mai 1824, qui accordent une réduction considérable du droit d'enregistrement, lorsqu'il s'agit de ventes d'arbres de haute futaie attachés au sol. C'est là un privilège accordé à la grande propriété qui ne me paraît fondé sur aucun motif plausible. Le trésor est maintenant frustré, contre toute justice, d'un revenu considérable.

Les ventes d'arbres sur pied constituent des ventes mobilières ordinaires, et l'on ne conçoit pas à quel titre elles jouissent d'une faveur particulière au préjudice des droits du trésor. A mon avis, le droit commun doit leur être appliqué conformément aux principes de justice et d'équité.

Enfin la réforme postale et l'abaissement du prix des communications télégraphiques sont des mesures libérales qui facilitant les relations doivent contribuer si puissamment à réaliser le progrès.

Pour moi, je suis partisan de cette amélioration qui doit procurer aux populations des avantages si importants pour le bien-être moral et matériel du pays.

Alors même que le trésor devrait éprouver quelque préjudice, qu'on pourrait certainement combler par d'autres moyens ; je pense que le ministère ne doit pas reculer devant la mesure dont je parle, parce que les conséquences éminemment favorables qui doivent en résulter au point de vue du progrès, ne peuvent être révoquées en doute, et sont réellement inappréciables. Une réforme telle que celle dont nous nous occupons est l'une de celles qui illustrent une administration, parce qu'elle est propre à régénérer un pays.

La question financière disparaît en présence du bien-être que semblable mesure doit produire. Je ne saurais donc assez la recommander au ministère et à la Chambre.

M. Prévinaire. - Je refuserai mon vote approbatif à deux articles du budget des voies et moyens : je ne sanctionnerai pas de mon vote le péage sur le canal de Charleroi et la taxe postale en vigueur. Je viens expliquer les motifs qui me détermineront à émettre ce vote. J'aurais pu ne prendre la parole qu'à propos du vote de ces articles, mais comme j'ai quelques observations générales à présenter, j'ai préféré la demander dans la discussion générale.

L'honorable M. Lelièvre vient d'appeler l'attention de la Chambre sur les contributions personnelles dont la réforme est promise au pays depuis près de 28 ans, et que nous attendons toujours. Cependant les vices de la législation actuelle ont été reconnus, constatés par plusieurs cabinets. Je reconnais que l'honorable M. Frère, à son premier passage au ministère des finances, a proposé, en 1849, un projet de révision de la contribution personnelle. Ce projet fut modifié par son successeur et mis en discussion en 1854 ; mais il n'aboutit pas.

Depuis, la question n'a pas fait un pas. Il a été constaté que, pour opérer une révision utile, équitable de l'impôt personnel, il fallait procéder à une péréquation cadastrale, opération importante, réclamée d'ailleurs au point de vue de la répartition de l'impôt foncier, par plusieurs parties du pays, notamment par les Flandres, où la valeur immobilière des propriétés n'est plus en rapport avec ce qu'elle était lors de la précédente péréquation ; rien n'a été fait.

Depuis l'entrée aux affaires des ministres qui avaient proposé la loi de 1849, j'avais espéré qu'on aurait donné suite à cette mesure, condition essentielle de la réforme de la loi sur l'imposition personnelle, car cette loi repose sur des bases dont l'injustice est suffisamment démontrée. Je me borne, sur cette question, à ces simples observations.

Une autre question très grave, qui, depuis quelque temps surtout, a préoccupé très vivement les esprits, qui avait donné lieu à des recherches très importantes à une époque déjà éloignée de nous, la question des octrois communaux me paraît mériter toute l'attention du gouvernement.

Que les partisans du système protectionniste, que ceux qui prétendent qu'il repose sur l'équité, qu'il ne viole point le principe de la justice distributive, maintiennent le système des octrois, je le conçois ; ils sont conséquents ; mais ceux qui veulent faire disparaître les entraves à l'activité industrielle, niveler les conditions du travail et proportionner la charge des impôts aux ressources des contribuables, doivent désirer la réalisation de cette réforme. Tous les moyens présentés ont été reconnus impraticables, et tout le monde est d'accord aujourd'hui que la réforme exige le concours du gouvernement et une modification des impôts qui se perçoivent au profit de l'Etat.

Je crois savoir que le gouvernement s'est occupé de cette question, qu'il l'a fait étudier, j'espère que M. le ministre des finances ne se refusera pas à nous communiquer ses intentions et ses vues sur cette question.

Un troisième point qui fixe également l'attention du pays, c'est la question de la réforme douanière.

Il faut le reconnaître, messieurs, nous avons fait de très grands pas dans la voie qui avait été inaugurée par le cabinet du 12 août. Il a posé les premiers jalons de cette grande réforme ; mais je dois le dire aussi, les cabinets qui lui ont succédé l'ont dignement suivi dans la même voie.

Aujourd'hui, nous avons fait disparaître les droits différentiels, sauf ceux qui résultent des traités encore en vigueur ; nous avons fait disparaître les entraves qu'éprouvait l'introduction des matières premières sous l'empire du tarif antérieur à 1856.

Il est encore à remarquer que nos tarifs contiennent une disposition qui, d'après les principes reconnus par le cabinet actuel, ne devrait plus y figurer. Le cabinet actuel a eu assez fréquemment l'occasion de se prononcer sur ce point, pour qu’on ne puisse avoir aucun doute sur ses convictions économiques. L'honorable M. Frère-Orban, notamment, a trop éloquemment plaidé la cause de la réforme et signalé les inconvénients du régime protectionniste outré, pour que nous puissions douter de sa volonté de réaliser toutes les réformes reconnues praticables. Messieurs, je me sers à dessein de ce dernier mot, parce que, en pareille matière, il faut agir avec prudence, mais il faut agir ; il ne faut pas de temps d'arrêt ; quand l'intérêt public est le but, que l'on est convaincu, il faut marcher. Il faut modifier sans trêve ni merci les dispositions qui sont radicalement en opposition avec les principes qu'on a toujours professés.

Nos tarifs contiennent encore aujourd'hui des prohibitions de sortie, et tant que ces prohibitions existeront qui mettent certaines catégories des travailleurs à la merci des producteurs et qui équivalent, par conséquent, à une réduction de salaire, c'est l'ilotisme pour certaines branches de nos productions. Le chiffonnier est un ilote vis-à-vis du papetier quand il ne peut pas vendre partout sa marchandise ; le chiffonnier est un ilote vis-à-vis du papetier quand vous voyez les papetiers du pays se coaliser et en venir à ce résultat pour diminuer la concurrence, de ne plus constituer qu'un seul acheteur. Eh bien, en présence d'une telle coalition qui, à elle seule, condamne tout le système protectionniste, la prohibition aurait dû disparaître de nos tarifs.

Comment ! nous assisterions avec calme à ce spectacle que donne une industrie, d'une coalition tendante à n'avoir plus qu'un seul acheteur qui se présente sur le marché et qui peut ainsi dicter les conditions qui lui conviennent, alors que la matière est frappée de prohibition à la sortie ? Je dis qu'une législation qui permet de semblables abus devrait disparaître du code d'un peuple tel que le nôtre.

Messieurs, j'arrive à l'un des deux articles auxquels je refuserai mon approbation.

Je déclare franchement qu'aucun sentiment hostile n'existe chez moi vis-à-vis du cabinet actuel, au contraire, le ministère a toutes mes sympathies ; ce sont mes meilleurs amis qui siègent au sein du cabinet ; par conséquent mon vote n'a d'autre portée que celle de refuser ma sanction à des mesures que je crois injustes.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que nous réclamons des modifications aux péages du canal de Charleroi. Depuis dix ans, nous agitons cette question au sein de la Chambre, et qu'a-t-on fait ? Il a fallu que l'intérêt du trésor fût essentiellement lié à une réduction de péages pour que le ministère de 1848 consentît à cette réduction. Il a fallu qu'on lui posât ce dilemme : Relevez les péages sur le chemin de fer, ou abaissez les péages sur le canal de Charleroi. Mais quant au principe même des péages, qu'a-t-on fait ? Rien, absolument rien. On s'est placé en présence des faits, on s'est étayé d'un fait pour l'ériger à la puissance d'un droit. Eh bien, ce fait est une iniquité. Nous avons bon nombre de canaux exploités pour compte de l'Etat. Les péages devraient être réglés d'après une base unique, comme sur les routes et sur les voies ferrées. Au lieu de cela, ils offrent une disproportion énorme ; on paye sur le canal de Charleroi trente-sept fois plus (page 165) que sur le canal de Terneuzen ; sur le canal de Liège à Maestricht, on paye les deux tiers de ce qu'on paye sur le canal de Charleroi ; sur le canal de la Campine moitié, sur les canaux de Condé, de Pommeroeul à Antoing, de Plasschendaele à Nieuport le quart de ce qu'on paye sur le canal de Charleroi ; les péages sur les canaux de Gand à Bruges, de Maastricht à Bois-le-Duc, de Bruges à Ostende et du Moervaert sont encore sensiblement inférieurs. Les Annales des travaux publics fournissent à cet égard des chiffres précis.

M. H. de Brouckere. - Cela ne prouve rien.

M. Prévinaire. - Cela ne prouve rien, dit l'honorable M. de Brouckere. Nous allons arriver à cette question.

M. H. de Brouckere. - Il y a des canaux sur lesquels on ne paye rien du tout.

M. Prévinaire. - Il n'y a pas de canaux sur lesquels on ne paye rien.

M. H. de Brouckere. - Pardonnez-moi. On ne paye rien sur le canal de Gand à Bruges.

M. Prévinaire. - Je vais, en puisant mes notions dans le travail que je vous ai indiqué, vous dire comment il se fait que sur certains canaux les péages ont été réduits successivement.

En vertu d'un arrêté de 1819, les canaux ont été placés sous la direction des administrations provinciales. Vous comprenez qu'alors les intérêts provinciaux se sont fait sentir dans une mesure assez large pour que l'on réduisît les péages en faveur des consommateurs et des localités.

Le canal de Charleroi n'a pas été placé dans les mêmes conditions. Il a été exploité par des concessionnaires pendant deux ou trois ans, et ensuite le gouvernement, usant du droit qu'il s'était réservé dans l'acte de concession, a repris ce canal.

Certes, quand il reprit ce canal, on put croire que l'on tiendrait quelque peu compte de l'intérêt des consommateurs et que celui du trésor ne prévaudrait pas exclusivement.

Aujourd'hui encore, et malgré nos vives et persistantes réclamations, l'intérêt des consommateurs reste méconnu. Pendant longtemps on s'est appuyé sur un prétendu système de pondération des centres de production charbonnière ; mais qu'est devenu aujourd'hui ce système de pondération ? Jadis les charbons de Liège exploitaient le bassin de la Meuse française ; on a effectué une réduction des péages sur la Sambre, qui ont permis au bassin de Charleroi d'envahir ce marché réservé au bassin liégeois ; jadis le canal de Charleroi et le canal de Bruxelles servaient au transport de tous les charbons en destination du bas Escaut, d'une partie de la Flandre, de Louvain même ; aujourd'hui nous avons à Bruxelles même la concurrence, par d'autres voies, des charbons de Charleroi et même des charbons de Liège, car, vous l'ignorez peut-être, les charbons de Liège arrivent aujourd'hui à Bruxelles en concurrence avec les charbons du Centre et les charbons de Charleroi, grâce à une application exceptionnelle du tarif des chemins de fer. Aujourd'hui les charbons qui alimentent Louvain et le bas Escaut y arrivent par le chemin de fer de Charleroi et Louvain et par le chemin de Dendre-et-Waes. Ce mouvement commercial a déplacé celui dont Bruxelles était en possession et compromet les grands intérêts qui se rattachent à la navigation du canal de Charleroi, il a rompu le système de pondération en ce qui concerne le bassin du Centre.

Je cite ces faits, messieurs, remarquez-le bien, non pour repousser la concurrence à laquelle, au contraire, j'applaudis de tout mon cœur, mais pour constater que le système de pondération a disparu complétement. J'ai toujours combattu ce système et je désire que l'on restitue à chaque bassin ses conditions naturelles.

On ne peut donc plus invoquer l'intérêt de l'équilibre entre les bassins ; cet équilibre est rompu sans retour ; dès lors l'intérêt du trésor est le seul qui se dresse en face des justes réclamations des consommateurs, que l'on déshérite des avantages de leur position naturelle et auxquels on impose une charge excessive, alors que l'exploitation du canal entre les mains de l'Etat leur donne le droit de compter sur des conditions en rapport équitable avec celles qu'offrent les autres voies de navigation exploitées par lui.

Messieurs, j'ai rappelé tantôt qu'en 1848 une discussion s'engagea au sein de la Chambre à propos d'une réduction nécessaire des péages sur le canal de Charleroi ; cette discussion fut très remarquable : l'honorable M. H. de Brouckere et l'honorable M. Dolez, entre autres, ont tenu alors un langage auquel je ne puis qu'applaudir ; j'espère qu'aujourd'hui ils resteront conséquents avec les paroles qu'ils ont prononcées alors. Dans un discours prononcé dans la séance du 9 décembre, M. H. de Brouckere disait :

« L'intérêt du trésor est de faire affluer les transports pondéreux vers les canaux ; les péages sur le canal de Charleroi sont trop élevés comparativement. »

C'était à propos de la seule et unique question du canal de Charleroi, et alors M. Henri de Brouckere demandait énergiquement l'abaissement des péages en présence du dilemme posé par M. Dumortier, qui avait demandé ou qu'on relevât les péages du chemin de fer, ou qu'on abaissât les péages sur le canal de Charleroi. M. H. de Brouckere disait qu'eu présence de ce dilemme, il devait se prononcer pour l'abaissement des péages sur le canal de Charleroi, et il ajoutait ces quelques mots que je viens de citer. L'honorable M. Dolez s'exprimait ainsi :

« Bien que partisan du système de pondération, je pense qu'en présence de la réduction des péages sur le chemin de fer, il faut réduire les péages sur le canal de Charleroi. » Il ajoutait :

« Lorsque le gouvernement crée des travaux d'utilité publique, je maintiens que, sans manquer à ses devoirs envers les diverses parties du pays, il ne peut faire servir les travaux exécutés avec les forces de tous, à appauvrir les uns pour enrichir les autres, à moins que l'intérêt général ne le réclame. »

Encore une fois, j'applaudis sans réserve à ces paroles ; je demande simplement qu'on mette ces déclarations en pratique.

La situation est aujourd'hui pour le canal de Charleroi ce qu'elle était en 1848. Seulement les intérêts engagés aujourd'hui se sont modifiés. Le trésor public était alors moins impliqué dans la question du canal de Charleroi : il devait retrouver sur les chemins de fer ce qu'il perdait sur le canal de Charleroi.

Mais aujourd'hui que voyons-nous ? Des chemins de fer qui, créés en concurrence avec le canal de Charleroi, créés avec l'appui du gouvernement, avec la garantie d'un minimum d'intérêt, font dériver vers d'autres destinations et au détriment du trésor public, des transports pondéreux qui, par leur nature propre, devraient être transportés de préférence par le canal de Charleroi.

Ainsi, le trésor qui en 1848 était moins intéressé à la question du canal de Charleroi, a aujourd'hui un intérêt réel à l'abaissement des péages de ce canal, afin de ramener vers le canal ces transports qui ont pris aujourd'hui une autre direction.

Je crois en avoir dit assez sur cette question, pour justifier le vote que j'émettrai sur l'article du budget qui y est relatif.

Je sais que le gouvernement n'est pas resté les bras croisés et qu'il a nommé une commission chargée d'examiner la question.

J'arrive à la réforme postale.

Je déclare d'abord que dans la situation de la question, telle que je la comprends, je me dispenserai d'examiner la question à fond. Il ne s'agit plus d'examiner les conséquences que cette réforme peut avoir pour le trésor.

M. le ministre des finances trouve toute neuve cette manière d'envisager la question. Je vais tâcher de la justifier ; je vais montrer par les antécédents législatifs que les pouvoirs donnés au gouvernement par l'article 10 de la loi du 22 avril 1849 entraînent pour lui des obligations auxquelles il ne peut pas se soustraire ; qu'en un mot le principe de la taxe uniforme à 10 centimes a été consacré par la législature et que son application seule a été suspendue jusqu'à la réalisation d'une condition définie de la manière la plus précise.

L'honorable M. Henri de Brouckere qui m'interrompt, a trop l'habitude du langage des lois pour ne pas savoir que lorsqu'une loi subordonne l'exécution d'une disposition à un fait qui doit se produire, elle se sert presque toujours de cette formule : « Le gouvernement est autorisé, dans tel cas, à faire telle chose. »

Je me rappelle en ce moment un précédent que je demande la permission de citer.

Dans le système de la loi qui a fondé la Banque Nationale, il était entré dans les intentions du gouvernement de donner cours légal aux billets de la Banque Nationale, en ce qui concernait ses relations avec les agents du fisc. Le gouvernement pouvait dire dans la loi : « Les billets de la Banque Nationale seront reçus dans les caisses du fisc, » mais avec cette formule, on eût désarmé le gouvernement. Qu'a donc fait la loi ? elle a dit : « Le gouvernement est autorisé à admettre dans les caisses du fisc les billets de la Banque Nationale. »

Dira-t-on qu'il n'y a pas là une véritable décision législative ? Eh bien, telle est aussi la portée de la faculté accordée au gouvernement par l'article 10 de la loi du 22 avril 1849 sur la réforme postale, surtout lorsqu'on la rapproche des discussions qui ont eu lieu à cette occasion que je vais remettre sous les yeux de la Chambre.

Messieurs, permettez-moi d'abord de jeter un coup d'œil sur le passé, vous n'ignorez pas que c'est en 1839 que la réforme postale fut opérée est en Angleterre.

En 1841, l'honorable M. Rogier, et c'est encore une grande justice à lui rendre ; l'honorable M. Rogier, alors ministre des travaux publics, s'empressa d'envoyer en Angleterre un fonctionnaire de l'administration des postes, pour y examiner les effets que produisait la réforme. Mais, comme il arrive souvent, les effets salutaires de cette réforme ne furent pas immédiatement appréciés ; ou bien on se préoccupa trop exclusivement de l'intérêt du trésor. Quoi qu'il en soit, deux tentatives timides de réforme eurent lieu en 1846.

A quelle somme le rapporteur de la section centrale de cette époque évaluait-il le déficit probable que devait occasionner la réforme ? A 2,040,000 francs.

En avril 1817 intervint une seconde réforme. (Interruption).

Mon seul but est de rappeler les évaluations qui ont été successivement produites. Il se peut que je ne précise pas exactement l'époque de la présentation de la loi, mais cela importe peu.

(page 166) Dans ce second projet de réforme, le déficit fut évalué par M. Frère à 1,877,000 fr.

L'honorable M. Rolin, dans l'exposé des motifs et dans la discussion de la loi votée en 1849, produisit successivement des évaluations diverses.

Dans l'exposé des motifs, fr. 1,096,000

Dans le discours prononcé dans la séance du 8 mars, 1,000,000 Dans la séance du 11 mars, an Sénat, 713,000.

Et il reconnut même plus tard, au Sénat, que le déficit serait réduit à peu de chose lorsque le revenu de deux millions aurait été atteint.

En rappelant ces chiffres, j'ai seulement pour but, messieurs, de montrer qu'en se livrant à des évaluations sur cette question on peut s'égarer.

Au reste, l'honorable M. Rolin a expliqué dans le cours de la discussion comment il n'était pas arrivé aux mêmes chiffres que l'honorable M. Frère ; cela provenait de ce que l'honorable M. Frère avait négligé de tenir compte de certaines éventualités et de plus-values dans le produit, que l'honorable M. Rolin prenait en considération.

Je tiens à dire aussi que ce fait d'avoir mis 6 ou 7 ans à produire une réforme qui avait été acclamée dans un pays étranger, ce fait de divergence d'opinion, la persistance avec laquelle M. Rolin défendit le projet de loi à la Chambre, montrent clairement les dispositions dans lesquelles on était alors, dispositions qui n'ont pas changé.

Malgré cette résistance la Chambre vota la réforme à 10 centimes à une très grande majorité, 49 contre 33, et au vote de l'ensemble de la loi, le cabinet se rallia à la majorité et le projet fut voté par 52 voix contre 17.

C'est dans cet état que la loi se présenta au Sénat.

La Chambre n'avait pas voulu du système proposé par le gouvernement ; un honorable membre que je regrette d'autant plus de ne pas voir ici, qu'il est retenu par une indisposition, M. Rodenbach, disait que c'était une réforme bâtarde que l'on proposait à la législature ; qu'il fallait une réforme grande, large, de nature à provoquer le développement des correspondances en même temps qu'elle permettait une réduction relative des frais. A notre sens il fallait en agir ainsi quand on venait, dans un but à peu près identique, d'abandonner un produit de près de 500,000 francs par l'abolition du timbre des journaux.

Les considérations qu'on avait fait valoir en faveur de la suppression du timbre des journaux militaient également en faveur d'une réforme plus large de la taxe postale. Au Sénat, tout le monde fut d'accord pour reconnaître que la réforme votée par la Chambre serait un bienfait pour le pays ; mais la situation financière était loin d'être ce qu'elle est aujourd'hui ; la situation extérieure était tout autre aussi ; l'intérêt du trésor prévalut.

Permettez-moi, messieurs, de vous lire quelques extraits des discours de M. Rolin au Sénat ; c'est, en effet, dans ces discours que vous devez chercher le véritable caractère et la véritable portée de la disposition de l'article 10.

Dans la séance du 26 mars 1849, il disait au Sénat que la loi constituait une compensation offerte au commerce et remarquez-le bien, cette observation il s'applique à la loi amendée par la Chambre des représentants.

« Le gouvernement, en présentant simultanément les trois projets de loi que je viens de dire, avait eu un second objet, en vue : à savoir, de montrera la législature qu'il n'était pas oublieux des intérêts du trésor ; et que, tout en opérant de réductions des charges, des réformes notables, il avait à cœur de procurer au trésor une ressource équivalente.

« Ces deux idées que je viens d'expliquer, messieurs, je ne les prête pas au gouvernement d'alors ; elles furent nettement indiquées dès cette époque ; le pays n'a pu s'y méprendre. »

Remarquez ce langage, messieurs, il montre quelle est la véritable pensée du cabinet ; la réforme postale ne devait pas entraîner un sacrifice sans compensation ; elle devait trouver dans les lois nouvelles sur le timbre des effets de commerce et des lettres de voiture une compensation relative qui devait un jour constituer une ressource nouvelle, lorsque le déficit à résulter momentanément de la réforme postale se trouverait comblé.

Voici quelles étaient les idées économiques qu'émettait M. Rolin sur la loi qu'on discutait au Sénat.

« Ah ! messieurs, si nous avions suivi nos désirs, nos convictions en économie politique, nous n'aurions pas hésité un instant. Nous croyons que, si une réforme complète, radicale, doit procurer momentanément, pendant quelques années peut-être, un déficit considérable, elle sera d'abord rachetée pour le pays par un grand bienfait, et elle le sera plus tard, pour le trésor, par un accroissement de correspondance qui compensera largement la diminution de la taxe. Mais il y avait autre chose à faire que de suivre l'entraînement de nos idées. »

C'est toujours la raison financière qui retenait le gouvernement qui admettait en principe la réforme votée par la Chambre.

Enfin après une très longue discussion, le Sénat adopte l'article 10 ; or, toute la question est de savoir ce que veut dire l'article 10, comment il doit être entendu.

Il est ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à appliquer aux lettres transportées à une distance excédant 30 kilomètres, la taxe de 10 centimes par lettre simple, dès que le produit de la poste aura atteint la somme de deux millions de francs par année. »

M. le ministre, qui avait insisté auprès du Sénat sur l'adoption de cet article, l'avait présenté comme une transaction, il avait fait ressortir les inconvénients de la situation ; c'est une transaction, disait-il, c'est-à-dire que quand le revenu de deux millions aura été atteint, la Chambre sera satisfaite. Le texte de l'article 10, qui prévalut et qui rallia l'opposition du Sénat, est clair ; mais au besoin, le ministre l'a expliqué dans la séance du 28 mars 1849. Il disait :

« Maintenant, messieurs, vous vous trouvez dans cette alternative, ou d'ajourner toute mesure de réforme, ou bien de donner dès à présent au commerce une satisfaction partielle avec la garantie qu'une satisfaction plus complète lui sera donnée dans un avenir prochain. »

II ajoutait :

« En 1847, le revenu net a été de 2,215,000 fr. Le 24 décembre 1847, vous avez consacré d'importantes et nombreuses réductions. En 1848, en partie par l'effet de ces réductions et en partie par le ralentissement des affaires, le revenu net n'a plus été que de 1,922,000 fr. Je prends le revenu le plus élevé, et j'espère tranquilliser par-là ceux qui ont surtout souci de l'intérêt de nos finances.

« D'un autre côté, cette disposition permet aux partisans d'une réforme absolue d'entrevoir, dans un avenir très prochain (je ne crois pas me tromper en disant qu'il n'est pas éloigné de plus d'une année), la réalisation de leur vœu.

« Par-là, messieurs, la principale objection, l'objection tirée de la situation financière, disparaît ; car, si vous ne voulez pas diminuer dans une proportion notable le produit de la taxe postale, votre désir n'est pas davantage, j'en suis certain, de l'augmenter. »

Où est la garantie du commerce avec l'interprétation que le cabinet paraît vouloir donner à l'article 10 ?

Je dis que si on veut respecter la parole d'un ministre, et elle doit toujours être respectée, c'est surtout dans un cas semblable qu'on doit le faire.

Interpellé dans la séance du 2 avril sur la question de savoir s'il suffirait qu'une fois le chiffre de 2 millions eût été atteint pour que la réforme fût maintenue, quel que fût le produit ultérieur, M. Rolin répond :

« La commission demande s'il suffira d'une seule année où l'on aurait atteint rigoureusement les deux millions, pour s'exposer immédiatement à de nouveaux sacrifices ? Je répondrai oui ; et il serait difficile d'y voir un danger. En examinant le tableau du revenu des postes, on voit que la progression en a été constamment ascendante, qu'une seule année a fait exception, à savoir, l'année 1848, et cela par une double cause, les réformes introduites par la loi du 24 décembre 1847, et les événements extraordinaires qui se sont accomplis dans toute l'Europe. Que si la progression de la correspondance, sous l'empire de la nouvelle réforme, est telle, que vous atteigniez le revenu net de deux millions, vous n'aurez point sujet de craindre l'effet d'une nouvelle baisse de la taxe jusqu'à 10 centimes. »

Il répondait ici à la question de savoir s'il y aurait lieu de maintenir la réforme si, après avoir été introduite, le produit net de deux millions ne se maintenait pas pendant l'exercice suivant ; et si, dans cette hypothèse, il ne faudrait pas revenir à la taxe actuelle. M. le ministre répondait négativement à cette question et il présentait des considérations à l'appui de cette opinion.

J'ai dit tout à l'heure qu'à mon sens la seule question à débattre est celle de savoir si le cas prévu par l'article 10 est ou non réalisé.

Comment doit-on calculer le produit net de la poste ? Ici, je l'avoue, je dois toucher à un point assez délicat, parce que je rencontre une phrase de l'ancien ministre des travaux publics qui a été complétement perdue de vue dans un document qui a été récemment distribué à l'appui du budget des voies et moyens.

Cette phrase, que je trouve dans un discours prononcé le 2 avril 1849 la voici :

« En posant, comme condition d'une réforme complète, un revenu net de 2 millions, nous admettons que la base du calcul sera la même qu'aujourd'hui, c'est-à-dire, d'après le tableau que j'ai sous les yeux, en composant le revenu brut des recettes opérées par les bureaux de poste du royaume, déduction faite des non-valeurs et des remboursements effectués par les offices étrangers ; et en composant les dépenses, des remboursements effectués aux offices étrangers et des sommes alloués à l'administration des postes.

« Un seul doute pourrait s'élever, c'est de savoir s'il ne faudrait pas ajouter au chiffre de la dépense une partie des frais afférents à l’administration centrale. Mais c'est peu de chose ; le revenu net n'en pourrait être sensiblement affecté ; et de même que cet élément n'a pas été porté en ligne de compte dans le passé, il ne le sera pas dans l'avenir. »

Pour démontrer qu'en opérant sur les produits généraux de la poste, le revenu net de deux millions n'est pas atteint, l'auteur du document auquel je fais allusion est obligé, j'en suis bien fâché, de porter en compte toutes les dépenses de l'administration centrale bien que M. le ministre des travaux publics de l'époque ait déclaré en termes exprès, sans ambages, que ces frais n'entreraient pas dans la supputation du produit de la poste.

(page 167) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ces frais ne sont pas portés en compte.

M. Prévinaire. - Alors le revenu net de 2 millions est atteint.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais non !

M. Prévinaire. - J'attends la démonstration.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez fait une fausse application de la phrase. Les frais de l'administration centrale ne sont portés en compte que dans une hypothèse.

M. Prévinaire. - Voici ce que je lis à la page 25 de la note sur la réforme postale distribuée aux membres de la Chambre :

Opération sur les produits généraux.

Si l'on voulait, malgré les déceptions qui doivent en résulter, opérer sur la généralité des recettes, il est évident qu'il faudrait alors supputer toutes les dépenses et on obtiendrait les résultats suivants :

Le total des produits de la poste, pour 1858, moins les timbres-poste, est de 4,329,459 fr.

Les dépenses de la poste sont de 2,215,808 fr.

Administration centrale, contrôle, etc. : 87,190 fr.

Traction et entretien des bureaux ambulants : 309,450 fr.

Paquebots de Douvres à Ostende : 162,210 fr.

Produit net : 1,554,801 fr.

De plus, il est indispensable d'augmenter les dépenses, afin de permettre l'introduction de différentes améliorations réclamées depuis longtemps par le public. Déjà les Chambres ont alloué, au budget de 1859, une dépense nouvelle de 125,272 fr.

On réclame instamment la création de bureaux de perception et de distribution. Si l’on suppose que l'on crée seulement trente perceptions et quarante-cinq distributions dans tout le royaume, on aura, pour les premières, une dépense de 54,000 fr., pour les secondes celle de 34,500 fr.

II y a à nommer deux cents facteurs de ville et ruraux, si l'on s'en tient aux besoins urgents ; c'est une dépense de 140,000.

Total : 353,772 fr.

Les produits généraux seront donc réduits à 1,201,029 fr.

Or il n'était pas question de tout cela dans les calculs de l'honorable M. Rolin au Sénat ; et j'ai raison, par conséquent, de dire que, pour arriver à démontrer que le produit net de 2 millions n'est pas atteint, on doit faire entrer en ligne de compte des articles de dépense dont il n'a pas été question en 1849.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Lisez le paragraphe précédent ; je raisonne dans deux hypothèses.

M. Prévinaire. - J'ai pris l'hypothèse qui me convenait le mieux. (Interruption.) Mais, messieurs, ai-je besoin de rencontrer toutes vos démonstrations ? Il me semble que si je parviens à eu réfuter une seule, je puis parfaitement me dispenser de m'occuper des autres.

J'ai donc raison de dire que les calculs qu'on nous oppose sont erronés et que le moment est venu de réaliser la réforme promise par la loi de 1849.

Maintenant, messieurs, il faut bien que je vous lise, comme dernier argument, un passage d'un document destiné à bien définir le sens qu'il faut attacher à l'article 10 de la loi de 1849 ; je veux parler du rapport de la section centrale sur le projet amendé par le Sénat. Voici ce passage :

« Le principe de la réforme postale sur la base la plus large, que la chambre à une majorité considérable avait adopté, et auquel le ministère s'était rallié au second vote, n'ayant pas été admis par le Sénat, le projet revient devant vous, messieurs, modifié par un amendement ; qui établit d'une manière transitoire deux zones et deux taxes, suivant les distances et proroge la mise en vigueur de la taxe uniforme pour tout le pays, jusqu'à la fin de l'exercice, où le revenu net de cette branche des services publics aura de nouveau atteint le chiffre de deux millions qui a été obtenu en moyenne pendant les dernières années.

« Le nouveau projet ayant été renvoyé à la section centrale qui avait examiné le premier, j'ai l'honneur de vous présenter son rapport.

« La majorité de la section centrale, tout en exprimant le regret que la disposition principale de la loi d'abord votée par la Chambre, n'ait pas trouvé un meilleur accueil dans une autre enceinte, croit qu'il ne serait peut-être pas sans inconvénient, dans l'état actuel des choses, de chercher à améliorer, par de nouveaux amendements, le projet qui nous est renvoyé, quelque imparfait qu'il soit. Il lui a semblé que la seule question à résoudre aujourd'hui est celle de savoir s'il faut adopter le projet avec la division par zones malgré ses défauts avoués, on le rejeter dans l'espoir de faire prévaloir enfin la réforme la plus complète.

« La section centrale n'a pas hésité à reconnaître que le projet qui nous est renvoyé présente, sur le régime actuel, des améliorations considérables ; que par son adoption immédiate, le pays sera appelé à jouir en partie, dès le 1er juillet prochain, des bienfaits dus au nouveau système ; qu'il vaut mieux enfin un dégrèvement partiel, que le maintien du statu quo, surtout si l'on ne perd pas de vue que l'accroissement des correspondances, déjà provoqué par la première réduction qui va s'opérer, devra amener, dans un délai (suivant toutes les probabilités) peu éloigné, une augmentation des recettes qui portera le produit net à deux millions. »

C'est en présence de la discussion au Sénat, des engagements pris par le gouvernement et que je viens de rappeler, c'est en présence du rapport de la section centrale dont les termes ont été acceptés par le cabinet, que la Chambre statua définitivement sur la loi ; aucune discussion n'eût lieu et, cédant à ce désir de transaction qui avait guidé l'honorable M. Rolin au Sénat, elle vota à une grande majorité la réforme consacrée par la loi de 1849. Mais il n'existait aucun doute dans les esprits sur le caractère de l'article 10 de cette loi et si l'on avait, dans ce moment, fait appel à la conscience de chacun, il est certain qu'il y eût eu accord unanime pour déclarer qu'il y avait lieu de complétera réforme dès que le produit net de 2 millions serait atteint.

Un grand nombre d'années se sont écoulées, mais les faits restent acquis ; il y a eu accord parfait entre la législature et le gouvernement pour définir la portée de l'article 10 et le pays l'a accepté comme un engagement qui doit être rempli.

Que l'on démontre, si on le peut, que le revenu net de deux millions n'est pas atteint, il n'en restera pas moins acquis que la taxe uniforme devra être appliquée lorsque cette condition sera réalisée. Dans la situation des esprits, il importe de résoudre la question, qui ne peut pas rester plus longtemps suspendue et de ne laisser subsister aucun doute sur la nature des dépenses qui doivent entrer en ligne de compte dans le mode de calcul indiqué par la déclaration de M. le ministre Rolin.

M. Julliot. - Messieurs, le gouvernement dans l'exposé des motifs n'ayant pas soulevé la question de la douane, question assez délicate dans la situation actuelle, je me suis reconnu assez gouvernemental pour ne pas en prendre l'initiative, quoique je fusse prêt.

Maintenant qu'un membre de la majorité, l'honorable M. Prévinaire, m'en a ouvert la porte, je ne dois plus avoir de scrupule à y entrer.

Le projet de budget qui nous est soumis et le rapport qui en est fait, constatent l'accroissement graduel du rendement des impôts établis.

Ce fait est une preuve évidente du progrès dans le bien-être et l'aisance relative de toutes les couches de la société.

Ces considérations m'amènent naturellement à vous dire quelques mots sur l'amélioration de la douane, car j'envisage cette partie de notre législation comme la plus vicieuse de toutes celles qui nous régissent.

En effet, dans ce tarif, on trouve la liberté la plus entière à côté de la protection de 80 et de 100 p. c., et ce désordre économique a vécu sur des mots inexpliqués jusqu'à ce jour, tels que matière première, balance du commerce et travail national.

Je ne sais, messieurs, ce que vous en pensez, mais je trouve la chose illogique, injuste et absurde.

Procédons par ordre.

Dans un pays de liberté et d'égalité, il faut que les citoyens soient égaux devant toutes les lois.

Je reconnais que nous sommes égaux devant les lois politiques, judiciaires et administratives ; mais quand on en vient à nos lois économiques, ou trouve des exploitants et des exploités qui ont chacun leur loi économique à part, et c'est le douanier qui est chargé de la classification ; les travailleurs ne sont pas égaux devant la loi.

En voici la preuve :

Les produits agricoles sont libres à l'entrée.

\1. De certains ouvrages en fer battu ou laminé payent 56 p. c.

\2. Quelque fer-blanc, 33 p. c.

\3. Le fil de coton, 28 p. c.

\4. Le fil de lin simple, 50 p. c.

\5. La laine en masse est libre à l'entrée.

C. Les produits chimiques payent de 50 à 160 p. c.

\7. Les tissus de laine, 50 p. c.

\8. Certaines toiles écrues, 200 p. c.

\9. Le linge damassé, 70 p. c, etc.

Je me demande si ce tarif impossible doit rester debout ? Je dis que nul n'oserait le soutenir. Que reste-t-il donc à faire ? C'est de réviser tout le tarif, et nous allons dire comment cette révision doit se faire.

Messieurs, en fait de douanes, il y a trois principes distincts et rien de plus.

Le premier, c'est la liberté absolue des échanges à l'entrée comme à la sortie du pays.

Ce système a parfois été essayé ailleurs, mais n'a tenu nulle part ; je me garderai de le préconiser, je me refuse à faire pour la Belgique cet essai in anima vili, ce n'est ni pratique ni raisonnable, et le ministre qui voudrait l'introduire serait un utopiste qu'il faudrait renverser sans perte de temps, et je suis persuadé que l'honorable ministre des finances pense à cet égard comme moi.

Ce principe restera donc à l'état de poésie économique, car la recette des accises exigerait toujours la conservation du personnel de la douane sans que les douanes donnassent de quoi payer ce personnel. Déblayons donc ce système.

(page 168) Vient ensuite le principe qui s'éloigne le plus du précédent, c'est la protection proprement dite qui va jusqu'à la prohibition ; c'est cette vieille défroque de M. de Saint-Cricq et du comité Mimerel où tous les producteurs devaient être protégés à l'égal les uns des autres. On rendait tout rare et cher, on imposait aux masses une foule de privations ; le producteur restait stationnaire et se drapait sous le manteau du douanier. Le plus paresseux, le plus mauvais et le plus incapable ouvrier de France fut élevé d'une manière factice au niveau du plus intelligent, du plus laborieux des ouvriers belges ou anglais. Cela ne pouvait être autrement ; ils n'avaient pas de concurrence sérieuse à craindre, les producteurs français se coalisaient et la fameuse loi sur la coalition qui condamne les ouvriers de Gand pour avoir refusé le travail du dimanche ne pouvait les atteindre, cette loi n'étant faite que contre le pauvre.

Quand ce système de la protection de tous les travailleurs opérait bien, les uns rançonnaient les autres, c'était une association forcée et mutuelle de spoliation permanente et les rentiers, les fonctionnaires civils et militaires, ceux qui, prêtant leurs capitaux, n'avaient pas de protection à réclamer, étaient volés à chaque consommation qu'ils étaient obligés de faire. Telle est l'école du comité Mimerel ; nous en avons conservé en partie les éléments dans nos tarifs. J'en appelle aux chiffres de 100 et 200 p. c. que j'ai dénoncés tout à l'heure.

Le troisième principe qui gagne beaucoup de terrain et que j'ai toujours adopté et défendu, c'est la douane au point de vue fiscal. Il consiste à négliger tous les objets de minime consommation afin d'écarter les vexations et à imposer tous les articles de grande consommation dans des proportions assez faibles pour en permettre l'échange. Voilà selon moi, le problème à résoudre.

Ce principe avait été appliqué aux céréales en Belgique et en Angleterre ; l'Angleterre a respecté son principe dans les dernières années, nous l'avons abandonné parce que nous étions trop faibles pour résister au courant des idées, même quand elles sont erronées.

En ce moment le charbon subit ce même régime pour l'entrée et le transit, ce qui n'empêche pas une grande activité produite au port de Bruges et ailleurs.

Messieurs, la Hollande vient de décréter que les droits à l'entrée sur toute marchandise autre que celles de ses colonies seront réduits au maximum de 5 p. c. à la valeur.

Ne faudrait-il pas là suivre à un certain point dans cette initiative libérale ?

Cette douane fiscale que je défends, donnant de grands revenus et favorisant les transactions par l'absence de toutes ces petites vexations, m'a toujours semblé un progrès dans la justice comme dans le développement de nos affaires, à réaliser au profit de mon pays.

Autrefois, j'ai souvent préconisé ces idées, mais plus tard je me suis tu, je pensais qu'il n'y avait pas grand-chose à obtenir, puisque les ministères avaient une trop courte durée et qu'on procédait par pièces et morceaux dans la révision du tarif. J'étais découragé.

Aujourd'hui que nos voisins nous devancent, que nous avons un ministère arrivé en trop nombreuse compagnie pour ne pas croire à sa durée, et que les antécédents de ce ministère sont des plus favorables à mes principes économiques, j'ai retrouvé la parole et j'en userai souvent, ce qui est fort naturel après un long silence.

Je ne me fais pas illusion sur la tâche que je veux imposer au gouvernement. Réviser et bien coordonner tout un tarif de douane est un travail immense ; d'ailleurs on ne peut pas brusquer ; des capitaux sont engagés ; on ne pourra donc arriver que graduellement à réduire des droits de 100 c. p. à des droits fiscaux, il faudra de grands ménagements, mais il faut aussi l'égalité de tous les citoyens devant les lois ; ce principe est supérieur à tous les autres, il est donc urgent de nous dire quel est le traitement qu'on nous réserve.

1° Je demande donc quel est, des systèmes que je viens de développer, celui que le gouvernement adopte ; est-ce là protection pour tous, la protection pour quelques-uns au choix ou la douane fiscale produisant beaucoup avec facilité des échanges ?

J'espère recevoir à cet égard une réponse franche et nette.

2° Comme le remaniement complet du tarif sera une affaire de longue durée, je demander si, à l'imitation de ce qui s'est fait en Hollande, je dépose dans le courant de cette session la proposition suivante :

« A partir du 1er janvier 1860, tous les droits de douane à l'entrée du pays dépassant 20 p. c. à la valeur sont réduits à ce taux. »

Je demande si le ministère combattra ou appuiera cette proposition.

Je désire qu'on sache à l'étranger que nous condamnons ce tarif où le principe de la liberté se trouve mêlé au principe ultra-protectionniste, parce que ce document, qui est reconnu officiel à l'étranger, nous calomnie. Il faut que l'on sache que nous voulons une égalité relative devant la"loi douanière comme devant les autres lois du pays, en tenant compte des intérêts engagés, et que le commerce étranger se trouve à l'aise en Belgique. Les réponses aux questions posées dissiperont les doutes à cet égard.

- La séance est levée à quatre heures et demie.