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d’intention
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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mercredi 25 novembre 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet
de loi portant un crédit supplémentaire au budget du département de l’intérieur
pour l’imputation de créances arriérées en 1835
3) Projet
de loi relatif aux droits d’entrée et de transit du bétail hollandais
(notamment extension des mesures à la Prusse, mesures de contrôle (visites
domiciliaires…), politique commerciale du gouvernement,…) (de Muelenaere, (+organisation de la douane) Manilius, (+rayon autour de Maestricht) (Pollénus, d’Huart), Rogier, d’Huart, Dubois,
Smits, Mast de Vries, Desmet)
4) Projet
de loi portant un crédit supplémentaire au budget du département de la justice
pour l’année 1835. Etablissements pénitentiaires
5) Projet
de loi relatif aux droits d’entrée, de sortie et de transit sur les os
6) Projet
de loi relatif aux droits d’entrée et de transit du bétail hollandais
(notamment extension des mesures à la Prusse, mesures de contrôle (visites
domiciliaires…), politique commerciale du gouvernement,…) (Desmaisières, (+indépendance des
députés-fonctionnaires) Rogier, Jullien,
Pirson, de Foere, Smits, F. de Mérode)
(Moniteur
belge n°330, du 26 novembre 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse
fait l’appel nominal à une heure.
M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la
séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Dechamps donne
connaissance des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Des habitants de la commune de Luttre (Hainaut) demandent leur séparation de la commune de
Pont-à-Celles. »
________________
« Le sieur H.-E. Lezan de
Malizard, avocat près la cour d’appel de Bruxelles,
né à Paris en 1777, demandent la naturalisation. »
________________
« Les
habitants notables de la commune d’Assenede demandent qu’il soit construit un
canal d’écoulement des eaux, de leur commune à la mer. »
________________
« Le
sieur F. Perlau, membre de la commission supérieure
d’industrie et de commerce, à Bruxelles, et fabricant de colle d’os, demande
que, dans la nouvelle loi sur les os, la libre sortie des os travaillés
continue à être permise moyennant un léger droit.
________________
- Ces pétitions sont
renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.
PROJET DE LOI PORTANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT
DE L’INTERIEUR POUR L’IMPUTATION DE CREANCES ARRIEREES
Second vote des articles et vote sur l’ensemble du projet
La chambre confirme successivement et sans
discussion les divers amendements adoptés.
On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de la
loi.
56 membres répondent à l’appel.
33 votent pour l’adoption du projet.
3 s’abstiennent de voter.
En conséquence le projet de loi est adopté. Il sera
transmis au sénat.
M. le président. -
Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à
énoncer les motifs de leur abstention.
M. Desmanet de
Biesme, M. Lardinois et M. Pollénus déclarent s’être abstenus parce
qu’ils n’ont pas assisté à la discussion.
Ont répondu oui : MM. Andries,
Bekaert, Bosquet, Cols, Coppieters, de Behr, Dechamps, de Foere, de Jaegher, de
Longrée, F. de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet,
de Terbecq. de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubus aîné, Fallon, Frison,
Jadot, Jullien, Keppenne, Kervyn, Lejeune, Manilius, Mast de Vries, Milcamps,
Morel- Danheel, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Quirini,
Rogier, Rouppe, Schaetzen,
Seron, Simons, Smits, Stas de Volder, Troye, Ullens, Vandenbossche, Vanden Wiele. Vanderbelen, C. Vuylsteke,
L. Vuylsteke, Wallaert, Zoude, Raikem.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS D’ENTREE ET DE TRANSIT DU BETAIL
HOLLANDAIS
Discussion générale
M. le ministre des
affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Dans la séance d’hier, un
honorable député de Turnhout a présente quelques renseignements statistiques
puisés dans un ouvrage de M. Quetelet intitulé Annuaire de l’observatoire de Bruxelles.
Je ne sais quel est le caractère qu’il faut assigner à cette publication ; mais
pour ma part, j’admets l’exactitude des chiffres cités par l’honorable membre.
Je crois même qu’ils sont assez exacts ; ils s’accordent d’ailleurs avec
l’opinion que je me suis toujours faite de la haute importance du bétail dans
notre pays.
Il résulte de ces renseignements que nous avions en
Belgique en 1828 (je crois que le chiffre n’a pas beaucoup varié depuis lors),
une énorme quantité de bétail, notamment en bœufs, taureaux et vaches, 882,000
têtes ; en moutons et agneaux, 774,000 têtes. De ces documents l’honorable
député de Turnhout a tiré la conséquence que le chiffre du bétail hollandais
introduit dans notre pays est presque insignifiant. Il a fixé aussi votre
attention sur un autre point, sur les grandes sommes pour lesquelles chaque
année vous exportez du bétail en France.
En effet, il existe dans le pays une très grande
quantité de bétail ; j’ai eu l’honneur dans une séance précédente d’attirer sur
ce point toute l’attention de la chambre. Je suis encore d’accord avec lui que
notre exportation en France est chaque année assez considérable ; c’est encore
une observation que j’ai eu l’honneur de faire, en disant que nous devrions
avoir nécessairement le moyen d’écouler une partie de nos bestiaux en pays
étranger. Je conviens même avec l’honorable préopinant que le chiffre officiel
de l’importation en Belgique du bétail hollandais, comparé avec le chiffre du
bétail existant dans le pays et avec le chiffre de l’exportation de notre
bétail en France, paraît, au premier abord, assez minime.
Je me félicite surtout que ces chiffres aient été
fournis à la chambre par l’honorable député de Turnhout ; car cela prouve qu’en
24 heures de temps il s’est opéré un changement notable dans son opinion à
l’égard de la question qui nous occupe.
En effet, dans la séance d’hier, après avoir
beaucoup insisté et sur le bétail que nous avions dans le pays et sur celui que
nous exportons en France, il en a tiré la conséquence que la quantité de bétail
importé de la Hollande en Belgique était si minime que ce n’était pas la peine
d’adopter la loi, puisque cette importation ne pouvait avoir aucune influence
sur notre industrie agricole.
Voyons maintenant ce que l’honorable député de
Turnhout disait dans la séance précédente. Pour ne pas me tromper, je cite le
texte du Moniteur :
« Seulement le roi Guillaume a la satisfaction
de faire payer à ses sujets nos produits un peu plus cher que s’il en
permettait l’importation directe, et de se dire qu’il a rompu toute
communication avec ses sujets révoltés. »
J’ai déjà répondu à cet argument, et fait ressortir
la différence entre la loi que nous discutons et la mesure prise par le roi
Guillaume. La mesure prise par le roi Guillaume, était, pour me servir de
l’expression de l’honorable membre, une mesure vengeresse et nullement
d’intérêt commercial ou industriel, puisqu’elle porte sur des objets que la
Hollande ne produit pas ; que par conséquent cette mesure ne tendait pas à
protéger l’industrie du pays, tandis que la nôtre est d’une nature toute
différente.
Je continue de citer le Moniteur :
« Nous envoyons cependant en Hollande nos
draps, nos cotons, nos fers, nos toiles, nos charbons, nos pierres, nos clous,
nos armes, notre zinc, et une foule d’autres produits de notre industrie et de
notre sol. Il est vrai que la Hollande nous expédie en échange ses fromages,
pour la consommation desquels l’antipathie nationale commence à s’affaiblir ;
son bétail (je prie la chambre de faire attention à ces mots), son bétail dont
nous avons besoin. »
Ainsi, dans la séance, de lundi, le préopinant
trouvait que nous devions continuer à recevoir du bétail hollandais, parce que
nous en avions besoin pour la consommation intérieure ; c’est même là-dessus
qu’il appuyait en grande partie ses arguments, exprimant la crainte que le prix
de la viande ne vînt à hausser, si on empêchait, dans le pays, du bétail
hollandais. Cependant, le lendemain, au dire de l’honorable membre nous avons
une si grande quantité de bétail, notre exportation est si grande, que
l’importation du bétail hollandais est presque insignifiante. Je crois qu’il serait assez difficile de
concilier ces deux opinions ; au reste, je n’exige pas cela.
M. Rogier. - Je
demande la parole.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Au contraire je félicite
l’honorable membre du progrès qu’il a fait, en reconnaissant (ce qui a toujours
été notre opinion à tous) qu’en Belgique il y a surabondance de production de
bétail, et que par conséquent nous devons fournir à la consommation intérieur,
au moyen du bétail du pays, et en outre procurer à cette industrie des moyens
d’exportation. Si l’honorable membre continue à marcher ainsi, nous finirons
par nous rencontrer.
J’admets donc les prémisses du député de Turnhout,
mais je n’admets pas les conséquences qu’il en a tirées ; il en conclut que
puisque le chiffre de l’importation hollandaise est si faible comparé au
chiffre du bétail existant dans le pays et au chiffre de nos exportations en
France, il est inutile de prendre des mesures contre l’introduction du
bétail hollandais.
Vous savez que ce sont encore les mêmes arguments
que l’on a fait valoir dans la discussion de la loi des céréales. Alors on
appréhendait tellement la mesure proposée, qu’on a commencé par vouloir nous
inspirer la crainte que par son adoption l’ouvrier ne mourût en quelque sorte
de faim ; mais, comme aujourd’hui, on a fini par dire que les céréales
introduites du dehors étaient en si petite quantité, que toute l’importation
étrangère suffirait à peine à la consommation du pays pour trois jours. Ce
sont, je crois les termes dont s’est servi l’honorable membre auquel je
réponds. » J’ai cité des faits, a-t-il dit. Qu’on me réponde par des
faits. » Je crois que nous répondons par des faits. Malgré toutes les
exagérations de nos adversaires à cette époque, vous avez voté la loi sur les
céréales ; vous avez empêché l’introduction dans le pays des céréales
étrangères. Qu’en est-il résulté ? que par là vous
avez du moins arrêté la dépréciation ultérieure de vos propres produits. C’est
à cette loi que nous devons de ne pas être en ce moment inondés de grains
étrangers.
Lorsque la Hollande, pays essentiellement de libre
entrée, est obliger de réclamer elle-même une loi protectrice contre
l’introduction des grains étrangers, vous sentez que si vous n’aviez pas pris
une mesure pour l’empêcher, vous auriez été inondés (c’est le mot) de produits
étrangers, et les grains seraient tombés à si bas prix, qu’aujourd’hui le mal
serait peut-être pour plusieurs années sans remède.
Je sais bien que le prix des grains, dans le pays,
n’est pas élevé ; je sais même que les grains sont à bas prix, mais il en est
ainsi dans toute l’Europe. Le prix se soutient mieux sur nos marchés que sur
ceux de nos voisins.
On perd trop souvent de vue un point important sur
lequel je dois fixer votre attention : c’est que les lois protectrices de
l’industrie et de l’agriculture ont aussi leur côté moral. Lorsque dans un pays
il y a déjà surabondance de produits indigènes et que néanmoins l’importation
des produits étrangers de même nature est permise, la crainte seule de cette
introduction forcée déprécie la valeur de vos propres produits. Lorsqu’au
contraire vous avez une loi protectrice, lorsque le producteur saura que les
produits étrangers de même nature ne viendront pas subitement déprécier les
produits du sol sur le marché intérieur, alors il calculera mieux les chances
de hausse, les variations sur les prix et il ne sera plus obligé de vendre ses
produits à tout prix par la crainte d’une plus forte baisse. Ainsi, si les
céréales sont à bas prix dans le pays, l’agriculteur sait au moins qu’elles ne
seront pas dépréciées par l’entrée de céréales de la Baltique, du Nord, de la
Hollande, etc. ; il peut attendre, il n’est pas obligé de se défaire de ses
grains à quelque prix que ce soit.
Un autre bienfait que nous
pouvons espérer du projet, c’est que, si, comme je l’espère, il est converti en
loi, on pourra dans la Belgique se livrer davantage à l’engraissement des
bestiaux car il n’est pas exact, que les bestiaux venant de la Hollande soient,
ainsi qu’on l’a dit, toutes bêtes maigres ; il est vrai qu’il vient quelques
bêtes maigres du Brabant septentrional. Mais les bestiaux venant de la Hollande
proprement dite sont exclusivement des bêtes grasses, et même des animaux d’un
très grand poids.
Si maintenant on est rassuré contre l’introduction
des bêtes grasses venant de la Hollande, on pourra, avec quelque sécurité, se
livrer à l’engraissage, qui est l’opération la plus avantageuse à l’agriculteur
; car dans cette opération tout est bénéfice.
La bête que le cultivateur engraisse consomme le
produit du sol, et tout ce qu’elle donne est utile au sol. Ainsi l’engraissage
est, sous tous les rapports, favorable à l’agriculture.
M. Manilius. -
Comme j’ai l’honneur de faire partie de la commission qui a examiné le projet
de loi en discussion, je ne puis d’abord laisser sans réponse la supposition
peu bienveillante que lui a faite l’honorable M. Rogier dans la séance
d’avant-hier ; il semblerait qu’un rapport vous est parvenue entaché d’une
coupable indifférence, que la commission en un mot aurait négligé d’aller aux
renseignements.
Non, messieurs, la commission ne mérite pas cette
espèce de reproche de légèreté, que l’honorable M, Rogier lui a fait assez
légèrement.
Les nombreuses pétitions dont la commission est
saisie, les observations et les lumières qu’elle a recueillies dans son sein et
par des membres de cette enceinte qui possèdent des connaissances spéciales de
cette branche et du directeur de l’administration centrale des douanes et
accises, et les renseignements que chacun de nous a recueillis dans ses
provinces mêmes, ont établi suffisamment le motif de se rallier au projet du
ministre des finances. Quant à moi, je déclare que moyennant quelques
modifications, je me rallierai à ce projet, non pour être réformateur, car je
crois aussi appartenir comme l’honorable M. Rogier aux bons et honnêtes
conservateurs, mais je ne veux point être stationnaire pour laisser
impitoyablement anéantir toutes nos belles industries de part en part, car il
ne s’agit pas d’une industrie spéciale, que j’aime à protéger ! Toutes celles
qui auront les motifs de nature à celles exprimées pour les cotons comme pour
l’agriculture, auront toujours ma sympathie.
Il importe de soutenir nos industries nationales,
car je le répète, messieurs, si nous voulons persister dans un aveugle esprit
de liberté illimité du commerce, nous, nation de 4 millions d’âmes contre
l’Europe entière, c’est le plus grand malheur dont l’on peut doter notre pays
éminemment industriel.
D’ailleurs je pense, qu’en bon représentant du
peuple belge, l’on n’a point ici à faire prévaloir son
opinion personnelle sur tel ou tel système d’économie politique de tel ou tel
orateur, mais que c’est le vœu positif et le bien-être de la nation qui doit
avoir ici le privilège de la priorité et de l’assentiment de ses représentants.
Messieurs, je saisis ce moment pour vous donner
connaissance de ce qui arrive sur nos frontières par l’insuffisance de notre
douane, notamment le long des frontières hollandaises, dans les provinces des
Flandres et d’Anvers, peut-être bien aussi dans d’autres provinces ; mais je
m’arrêterai à celle que j’habite. Cette province, qui a une si grande étendue
de frontière le long de la Zélande, n’est servie que par 104 préposés de
première classe et 188 de seconde classe, répartis en 63 brigades, y compris
brigadiers, lieutenants, marins et cavaliers. Tout ce personnel n’est que de
430 hommes ; ce total minime en proportion subit encore les mutations de
maladies ordinaires ; cela est naturel, mais je réclame ici toute votre
attention, messieurs. Dans ces contrées il règne deux fois par an des fièvres
malignes, et c’est alors que ce petit nombre de douaniers se trouve réduit au
point que des brigades entières, même deux, trois brigades adjacentes, sont
mises hors de service, et sans moyens de les remplacer, l’administration
supérieure n’ayant aucun homme disponible.
Car notez, messieurs, que les hommes qui résistent
à la maladie sont épuisés de fatigue par la juste raison qu’ils ont un double
et triple service à faire pour leurs camarades à l’agonie, et il s’en suit que
par moment la ligne est entièrement dégarnie. On ne doit donc pas s’étonner que
le bœuf gras aussi difficile à conduire, aussi entêté qu’il soit, passe
facilement et qu’en général la fraude active et vigilante s’effectue ainsi sans
la moindre résistance, sans la moindre inquiétude.
Je signale ces faits à M. le ministre et je les
déclare exact ; je pense même que M. le ministre ne l’ignore point, mais il
m’étonne que dans le budget il ne demande pas une somme expresse pour augmenter
le personnel des simples douaniers, motivé sur cet exposé. Aussi serait-il à
désirer que l’on rétablît la seconde ligne de douanes, attendu qu’il est
constant que depuis sa suppression la fraude a pris une rapide croissance.
Je suis loin d’adresser des
reproches aux employés de la douane, qui vraiment font un service
extraordinaire ; ils sont plutôt dignes d’éloges et je pense qu’ils méritent
beaucoup d’égards et plus de soins ; car, quand les fièvres dont j’ai déjà
parlé règnent, la mortalité est grande et souvent le moribond se trouve sans
secours de l’art médical. Je réclame aussi l’attention de M. le ministre à cet
égard.
Messieurs, j’ai encore une observation à faire sur
ce qu’a dit l’honorable M. de Nef concernant la corruption des employés des
douanes par certains négociants ; il a rappelé à notre souvenir ce qui s’est
passé sons l’ancien gouvernement : en effet, des intelligences de cette nature
ont été découvertes, mais non pas sur la ligne ni entre de simples douaniers,
mais dans l’entrepôt, je crois, d’Anvers, et entre les employés de grades
élevés. Car vraiment, messieurs, je dois vous le répéter, nos simples douaniers
sont la plupart dans un tel état de misère que souvent, quand il y a des décès,
on a besoin de recourir à des quêtes afin de pouvoir les enterrer d’une manière
décente et convenable. J’écarte donc le soupçon d’infidélité et de corruption,
et je persiste à dire qu’il y en a une trop petite quantité pour la
surveillance de la ligne, que le nombre des simples douaniers demande à être
augmenté si l’on veut l’exécution non seulement des lois que nous voterons,
mais de toutes celles dont le pays est déjà doté et qui à regret ne lui
profitent point.
J’espère que ces réflexions mériteront l’attention
du ministère et de la chambre lors de la discussion du budget des finances.
M. Pollénus. - Je
viens donner mon assentiment au projet de loi en discussion, pour autant qu’il subira des modifications notables.
Il me paraît résulter de la discussion que c’est
particulièrement l’introduction en fraude de bestiaux étrangers C’est un point
qu’ont admis, ce me semble, tous les orateurs entendus dans cette discussion ;
c’est le seul point qui n’ait point été contesté.
J’appellerai l’attention de la chambre sur les
paroles d’un honorable député de Turnhout (M. de Nef). Cet honorable membre,
après avoir donné son approbation au projet de loi, a fini par dire que dans
son opinion, à lui qui est placé sur la frontière de la Hollande et dans une
province où, je crois, l’on fait un commerce assez considérable de bétail, il
pensait que les droits existants seraient suffisants dans le cas où l’on
pourrait prévenir la fraude. Si je mets ceci en rapport avec tout ce qu’ont dit
MM. les ministres, il me semble que l’on n’a pas contesté la vérité de ce fait.
Nous devons donc nous appliquer à prévenir la fraude. Je me demande si ce n’est
pas au contraire, en quelque sorte l’encourager, que d’augmenter les droits de
douanes. Pas plus que M. le ministre des affaires étrangères, je ne veux
défendre un système absolu, parce que ce qui est absolu n’est presque jamais
bon, je le sais. Mais je dis que, ce point : l’existence de la fraude établie,
il faut en tirer une conséquence opposée à celle qu’en tirent les auteurs du
projet ; car plus vous augmentez les droits, plus vous intéressez la fraude,
plus vous l’activez.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je demande la parole.
M. Pollénus. -
Encore le dernier orateur que vous avez entendu est convenu que la fraude
s’exerçait en Flandre, le long de la frontière zélandaise. Il vous a signalé
cette fraude comme due à l’insuffisance du personnel de la douane ; nous devons
donc augmenter ce personnel et renforcer les mesures de précaution, parmi
lesquelles il en est dans le projet auxquelles je donnerai mon assentiment,
Mais je ne pourrais consentir à une élévation des droits à l’entrée, puisque,
je le répète, elle n’aurait d’autre résultat que d’encourager la fraude.
Voilà ce que j’avais à dire sur le projet de loi en
général. J’ai maintenant à adresser à M. le ministre des finances une demande
qui se rapporte à l’art. 2. Lorsqu’il s’agit d’une loi pénale, d’une loi
fiscale, je pense que la chambre est d’avis avec moi que la prescription du
législateur doit être claire, afin que la loi ne soit pas un piège. Je demande
donc à être éclairé sur ce point et ce que l’on entend, à l’art. 2, par le
rayon autour de Maestricht.
Pour ce qui concerne le rayon à la frontière de
Belgique, il est déterminé par une loi ; les particuliers auxquels s’appliquent
des mesures gênantes savent que c’est à eux que la loi s’applique. Mais le
rayon autour de Maestricht, jusqu’où s’étend-il ? Voici pourquoi je fais
cette demande. Si je ne me trompe, le rayon (dit stratégique) autour de
Maestricht aurait subi différentes fois des modifications. Si les informations
que j’ai reçues sont exactes, M. le ministre de la guerre aurait, il n’y a pas
longtemps, consenti à une nouvelle extension de ce rayon sur les exigences du
général Bibbets. Or il importe que les communes
autour de Maestricht sachent à la charge desquelles d’entre elles seront les
dispositions résultant de la loi que nous discutons.
Je ne sais pas jusqu’à quel point sont efficaces
les mesures que l’on prend pour prévenir la fraude, soit sur la frontière, soit
sur le rayon si variable de Maestricht. J’appelle à cet égard votre attention
sur les paroles d’un honorable membre de la chambre qui habite le Limbourg.
Vous savez qu’il existe deux routes militaires :
l’une de la Prusse à Maestricht, l’autre de la Hollande à Maestricht ; il y a
alors la Meuse qui est libre. A-t-on pris des mesures suffisantes pour prévenir
la fraude qu’il est facile de faire par ces différentes voies ?
Prenez-y garde ; car le roi Guillaume est
commerçant et n’est pas ennemi de la fraude ; et tâchons de faire une loi
efficace et qui ne puisse pas être éludée ; car je rappellerai à la chambre
qu’elle a voté des lois qui ont été éludées : il en a été ainsi de la loi qui
tendait à empêcher l’introduction du bois dans les forteresses étrangères,
notamment dans celle de Maestricht : cette loi avait été portée d’après les
plaintes qui s’étaient élevées dans les Flandres. Eh bien, quel en a été
l’effet ? Que l’on portait le bois à une petite distance de Maestricht ; que là
un petit détachement venait le chercher, et que le bois entrait dans la
citadelle, sans payer le moindre droit. Ne votons pas une loi qui soit aussi
inefficace que celle-là.
Je me résume et je dis que
je suis très disposé à accorder mon vote à la loi sur le bétail pourvu qu’elle
protège efficacement utilement et non systématiquement cette branche de
l’agriculture. Je le désire d’autant plus que dans le Limbourg les agriculteurs
réclament souvent pour que la fraude qui se fait au moyen du rayon de
Maestricht, non seulement en bétail, mais en céréales, soit poursuivie. Au
moyen d’un acquit à caution on arrive jusqu’à une lieue de Maestricht (car notre
bon ministre de la guerre a consenti à étendre le rayon stratégique jusqu’à une
lieue de Maestricht), et là on reçoit restitution des droits perçus.
Quelquefois cent charrettes par jour arrivent ainsi de la Prusse dans le rayon,
où elles s’éparpillent en toute liberté.
La fraude se fait sur tous les points avec une
activité vraiment effrayante. Je tiens d’une personne bien informée qu’au
bureau de Vaals les recettes ont diminué depuis très
peu temps à peu près d’un tiers. La fraude s’exerce non seulement sur les
céréales, mais encore sur les denrées coloniales. Mais en supposant que la
police de la douane fût bien faite, vous auriez fait une chose inutile si M.
Evain étendait encore demain, comme il paraît disposé à le faire à chaque
demande du généraI Dibbets,
le rayon stratégique actuel autour de Maestricht.
Comme le rayon n’est pas défini par la loi, je
désire que l’on spécifie dans le projet en discussion à qui s’appliqueront les
mesures douanières que l’on y propose. Il faut que ces explications me soient
données pour que je donne mon vote à la loi. Car je n’admettrai jamais des
dispositions spéciales qui frapperaient des citoyens sans qu’ils en aient été
avertis. J’espère que l’on m’éclairera sur ce point et que l’on me montrera que
les précautions seront prises pour que la fraude par les trois voies militaires
soit impossible.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je demande la parole pour faire observer
immédiatement à l’assemblée que presque tout le discours de l’honorable
préopinant repose sur une erreur. Il admet comme un fait incontestable, comme
un point sans réplique, que la répression de la fraude est le principal but de
la loi, que l’existence de la fraude a uniquement donné naissance au projet
soumis à vos délibérations. L’honorable préopinant est dans l’erreur. S’il
avait été présent à l’ouverture de la discussion, il aurait vu que
l’importation du bétail hollandais qui n’a pas été introduit en fraude a fait
souffrir à la Belgique un préjudice de plus de 2 millions et demi, et qu’outre
la quantité de bétail étranger consommé en Belgique, notre pays supporte encore
une perte par le transit de ce bétail par la France.
Tout en démontrant que les considérations émises
par l’honorable préopinant reposent sur une base fausse, nous ne contestons pas
cependant qu’il n’entre du bétail en fraude. Voilà aussi pourquoi nous avons
proposé non seulement une augmentation de droits pour réprimer les importations
non frauduleuses, mais encore des mesures tendant à réprimer cette fraude.
L’honorable M. Pollénus s’est appuyé de ce que
vient de dire un honorable député des Flandres au sujet de la fraude qui
s’exerce dans sa province. Mais l’honorable M. Manilius n’a pas prétendu que le
bétail hollandais est introduit en fraude par cette partie de la frontière. Il
n’a fait allusion qu’à l’introduction frauduleuse des marchandises. Et en effet
il n’entre pas de bétail par les pays malsains dont il a parlé.
M. Pollénus a lancé contre le gouvernement et
contre le ministre de la guerre en particulier une accusation que je ne puis
laisser sans réponse. L’honorable préopinant vous dit d’une manière positive
que M. le ministre de la guerre, toujours prêt à céder aux exigences du général
Dibbets chaque fois que celui-ci voudra étendre le
rayon stratégique aux environs de Maestricht, a encore récemment étendu ce
rayon. Avant de lancer des accusations semblables, qui, si elles étaient
fondées, dénoteraient chez le gouvernement une condescendance coupable aux
exigences de l’ennemi, il faudrait être sûr de ce que l’on avance. L’on
n’attaque pas ainsi dans cette enceinte 1e gouvernement ou un ministre en
particulier sans que ces attaques n’aient du retentissement au-dehors et ne
nuisent au pays. Si pareille chose était arrivée, l’honorable préopinant aurait
sans toute raison de s’élever contre la faiblesse du ministère. Mais il n’en
est rien.
Le rayon stratégique de Maestricht est établi
depuis 1833. C’est en 1833 qu’il a été fixé en vertu de conventions militaire,
qui déterminaient des avantages de part et d’autre. Le chef de l’état-major
général a stipulé alors, entre autres, une limite au-delà de laquelle les
employés des douanes ne peuvent pénétrer armés. Mais récemment il n’y a pas eu
le plus léger changement à ce rayon.
L’honorable M. Pollénus se demande
ensuite comment s’exécutera la loi dans les environs de Maestricht, là où le
rayon de la douane n’est pas déterminé. Je répondrai que le rayon a été
déterminé en 1832 par la loi qui restreint le territoire réservé à un
myriamètre. Ainsi les habitants des environs de Maestricht n’ignorent pas s’ils
sont ou non hors des limites du rayon déterminé par la loi. Celui-ci restera
d’ailleurs tel qu’il est depuis longtemps.
Le même orateur dit que la fraude est extrêmement
active dans le Limbourg ; cela est vrai et il ne peut en être autrement à cause
de la situation politique de cette province. Une forteresse au cœur du pays,
entourée d’un rayon stratégique assez développé, des routes libres au transit
ainsi qu’une rivière par où les marchandises trouvent un passage sans entrave,
constituent une position telle qu’il serait impossible d’arrêter la fraude lors
même que les employés se tiendraient, pour ainsi dire, par la main. Les
nombreux procès-verbaux de saisie et de contravention dressés chaque jour par les
employés des douanes prouvent l’activité de la fraude ; ils prouvent aussi que
leur surveillance est active et que si l’on ne réprime pas entièrement la
fraude, ce n’est pas manque de bonne volonté, mais uniquement la disposition
particulière des localités.
M.
Rogier. - Messieurs, un honorable membre de la commission qui vous a
fait un rapport sur le projet du gouvernement, M. Manilius, vient de déclarer,
je ne sais pas si c’est en son nom ou au nom de la commission, qu’elle s’était
d’abord ralliée au projet du gouvernement, et qu’elle s’y rallie maintenant.
Cependant la commission n’a pas déclaré qu’elle se ralliait au projet primitif,
puisqu’elle l’a étendu et qu’elle demande une élévation de droits, et même la
prohibition, pour d’autres frontières que celles de la Hollande. Il serait très
important de savoir si la commission se rallie réellement au projet du
gouvernement. Vous sentez combien, dans ce cas, la commission pourrait se
préciser. L’on n’examinerait la question que relativement à la Hollande. Si la
commission ne se rallie pas, il serait temps qu’elle défendît son opinion.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Une membre de la commission
est libre de dire qu’il se rallie au projet du gouvernement sans que pour cela
il puisse parler autrement qu’en son nom personnel. Ce serait la première fois
dans cette assemblée que l’on verrait un membre déclarer au nom de 12 ou 13 de
ses collègues qu’il se rallie au projet du gouvernement. Je pense qu’il n’y a
pas lieu de donner suite à la proposition de l’honorable M. Rogier, qui
tendrait à provoquer de la part de chacun des membres de la chambre une
déclaration sur son opinion individuelle.
M. Manilius. -
J’ai voulu dire seulement que l’opinion de la commission se rapprochait de
celle du ministre, mais elle propose cependant des amendements.
M. Rogier. - C’est
tout ce que je voulais savoir. Du moment que l’honorable M. Manilius n’a parlé
qu’en son nom personnel, la commission persiste dans sa proposition.
(Moniteur
belge n°335, du 1er décembre 1835) M. Dubois. - Messieurs, ceux d’entre nous qui ont
suivi avec quelque attention les différents débats qui se sont élevés dans
cette chambre, à l’occasion de quelques lois proposées pour favoriser
l’industrie agricole de notre pays, doivent maintenant connaître les arguments
et les moyens qu’emploient contre ces lois nos adversaires, les sectateurs
d’une liberté illimitée de commerce, les amis des hautes spéculations. Depuis
qu’il s’est agi ici d’économie agricole et industrielle, ils n’ont pas varié.
Toujours les mêmes reproches d’incurie et d’ignorance politique, toujours les
mêmes appréhensions pour le commerce extérieur, toujours les mêmes craintes
pour l’intérieur, On nous dit : Eh quoi, le monde entier marche vers
l’affranchissement de toutes entraves commerciales, tous les peuples ouvrent
leurs portes, abaissent leurs barrières, bientôt ils congédieront leurs
douanes, et vous, vous voulez vous renfermer chez vous, vous voulez vous isoler
; quand tout tend à la liberté, vous rêvez des lois de prohibition ; quand tout
autour de vous marche et progresse, vous vous arrêtez et vous restez
stationnaires ; vous négociez avec la France, vous voulez obtenir d’elle un
traite de commerce favorable ; vos manufactures, votre industrie agricole même
le réclament, et vous ne craignez pas d’irriter la susceptibilité de cette
puissance, et vous ne craignez pas d’éloigner à jamais toute chance de succès,
tout espoir d’arrangement.
Enfin, pour ce qui regarde l’intérieur de votre
pays, le sort des prolétaires, des consommateurs, n’est-il pas vrai que vos
prohibitions feront monter à un degré intolérable le prix des denrées de
nécessité première ? Faut-il enrichir le propriétaire aux dépens de l’ouvrier ?
Faut-il favoriser les campagnes au risque de voir régner dans nos villes le
désordre ?... On disait tout cela, messieurs, à l’occasion de lois analogues ;
on l’a dit aujourd’hui pour combattre la loi sur la sortie des bestiaux, et on
redira encore longtemps ces phrases, qui sont là comme le cortège obligé de la
longue querelle qui divise l’industrie agricole et le haut commerce.
Toutes ces choses ont été réfutées mille fois, et
de mille manières. Ce serait trop long pour recommencer ici. Qu’il me suffise
de vous rappeler, messieurs, qu’un fait plus puissant que tous les
raisonnements, qu’un fait dont l’importance a été reconnue par nos adversaires
mêmes, a justifié nos vues à nous, et nos prévisions ; que les heureux effets
de la loi sur les céréales, tant et si amèrement incriminée, ont trompé tous
les calculs de nos plus habiles statisticiens, et ont réduit à des proportions
ridicules les menaces et les craintes de nos adversaires. Alors comme aujourd’hui
un honorable député d’Anvers voyait dans le projet de loi une atteinte à la
liberté du commerce, une tendance manifeste vers la prohibition, qui irriterait
gravement nos voisins ; il prédisait la ruine du haut commerce ; il déplorait
la détresse future de l’industriel, et cependant la loi a été votée et nos
voisins s’en sont peu inquiétés, et le haut commerce n’a pas péri, et le pauvre
mange encore le pain au prix qu’il le payait avant la proposition de la loi.
Voilà, messieurs, un fait qu’on ne détruira pas ; un fait, qui en économie
politique est toujours beaucoup plus exact que des chiffres, et dont chacun de
nous peut déduire des conséquences favorables au nouveau projet que nous
discutons.
Si les calculs économiques de nos honorables
adversaires ont failli, c’est peut-être qu’ils cherchent trop à généraliser
leurs idées et leurs théories ; qu’ils ne songent pas assez souvent que la
prétendue science politique économique ne consiste encore que dans la science
des faits, dans l’art d’apprécier des différences ; que cette science, comme le
dit un célèbre publiciste, doit, dans la pratique, procéder bien plus par
exceptions que par règles générales. Les théories puisés dans les faits
généraux, sans égard aux circonstances qui modifient ces faits à l’infini,
séduisent et égarent les esprits les plus justes.
Je viens de dire que nos adversaires sont amis
exclusifs de la liberté du commerce ; je ne me suis pas trompé. J’ai pour
témoins leurs discours, leurs actes, leurs constants efforts contre tout ce qui
pourrait porter atteinte à ce principe. Le croirait-on cependant ! depuis hier l’honorable député de Turnhout a abandonné ce
terrain pour prendre une position tout opposée. Il a déclaré que son système
est celui de l’immobilité, qu’il est déterminément stationnaire. Au risque de
tomber d’une erreur dans une autre non moins grave, il accuse ses adversaires
d’être hommes du mouvement, et il a invente à son propre usage le système
douanier du statu quo.
Si l’honorable M. Rogier croit ainsi se rapprocher
de ceux qui combattent ses principes, il se trompe étrangement. En se déclarant
dans cette occasion si hautement défenseur du statu quo, il ne s’est pas aperçu
que la question n’est nullement là ; qu’il ne s’agit ni d’avancer, ni de
reculer, mais de rétablir notre tarif des douanes relatif à l’entrée des
bestiaux, sur les mêmes bases toujours ; que de rendre à une industrie
intéressante du pays la protection qu’elle a eue constamment sous le régime
hollandais ; de restituer aux herbagers belges un droit de garantie et
d’encouragement qu’ils ont toujours possédé, qu’ils ont toujours dû avoir, que
les cultivateurs hollandais eux-mêmes, si supérieurs à nous, avaient besoin
d’avoir et qu’ils ont encore.
En un mot, il ne s’agit de rien autre que de
remplacer l’arrêté du gouvernement provisoire du 7 novembre 1830 par une
disposition nouvelle qui rétablisse les droits antérieurement existants sur
l’entrée des bestiaux étrangers. Ce serait là, rigoureusement, un régime de
statu quo ; mais je crois que ce n’est pas ainsi que l’entend mon honorable
adversaire, et puis la nouvelle loi diffère sous beaucoup de rapports de celle
qui existait sous le régime hollandais.
Ainsi donc on peut être de nouveau tranquille. Avec
la loi telle que nous la propose M. le ministre des finances, on ne dira pas
que la Belgique recule en fait de libertés commerciales, qu’elle devient
prohibitionniste, parce qu’elle prend des précautions en faveur de ses
herbagers et de ses distillateurs contre un gouvernement ennemi et égoïste,
contre une concurrence redoutable ; la barrière prussienne ne sera peut-être
pas relevée ; nous ne craindrons rien de la France, parce qu’il ne dépendra que
d’elle de remédier au mal qu’elle nous imputerait ; les Hollandais ne pourront
s’en prendre qu’à leur propre gouvernement ; les bouchers d’Anvers trouveront
encore des bêtes maigres pour les engraisser à leur profit, attendu que les
herbagers pourront dorénavant nourrir des élèves ; enfin le prix de la viande n’augmentera
pas ; nous en avons pour garant toute la durée de l’époque pendant laquelle le
gouvernement hollandais lui-même avait interdit l’entrée des bestiaux en
Belgique, et celle notamment du séjour de l’armée française sur notre
territoire.
Je crois, messieurs, que ces simples considérations
doivent suffire pour modifier les intentions de ceux qui conçurent le projet de
loi et de ceux qui en soutiennent le principe devant vous.
On a beaucoup parlé du mode d’exécution de la loi ;
j’attendrai la discussion des articles pour former mon opinion à cet égard.
Néanmoins, avant de terminer, je dois relever une
autre erreur qui est échappée à l’honorable M. Rogier qui, dans le discours
qu’il a prononcé avant-hier, crut pouvoir affirmer qu’il n’était arrivé à la chambre
des pétitions que d’une province centrale du royaume, du Brabant.
Il y a près d’un an que je remis moi-même sur le
bureau de la chambre une pétition des herbagers de Dixmude et du Furn-Ambach, dans laquelle les
pétitionnaires exposent les souffrances de cette industrie et la nécessité
qu’il y a de venir à son secours. Ils proposent un nouveau tarif pour l’entrée
et le transit, et si j’ai bonne mémoire il est à peu de chose près le même que
celui que présente le ministre dans son projet de loi.
Au reste, messieurs, il est
vrai que chaque membre de cette chambre ne possède pas d’élégants tableaux
statistiques, dressés et collationnés avec soin dans l’un ou l’autre ministère,
et indiquant la quantité et l’importance du bétail qui a transité par notre pays
ou qui a été vendu à l’étranger ; il est vrai que les chambres de commerce du
pays n’ont pas été consultées ; mais l’évidence se démontre-t-elle ? En
admettant que ces documents seraient d’une importance sérieuse et réelle, ce
dont pour ma part, je doute fort, car je me défie souverainement de
l’exactitude des chiffres et des tableaux statistiques qui trompent presque
toujours, faut-il tant de choses, tant d’enquêtes, tant de consultations, pour
établir un fait apparent, qui est évident pour tous ceux qui veulent voir, pour
tous ceux qui ont l’habitude d’observer ce qui se passe autour d’eux ? Faut-il
des renseignements sans fin à nous, députes d’un peuple agricole que l’on doit
supposer être quelque peu instruits des besoins des localités que nous représentons
?
Que ceux qui doutent, qu’ainsi l’honorable M.
Rogier, laissent pour un instant les chiffres de M. Quetelet
; qu’ils rentrent dans leurs provinces, dans l’intérieur du district qui les
envoie à cette chambre ; qu’ils interrogent le premier cultivateur venu et ils
retourneront avec la conviction que la nécessité de modifier notre tarif des
douanes est une chose vivement et universellement sentie et réclamée.
En vérité, messieurs, il faut être bien décidé à
vouloir se perdre dans les théories de la doctrine ; il faut se complaire
grandement dans les nuages de la statistique et de la métaphysique économique ;
il faut avoir entièrement oublié les choses pour ne pas voir ce qui est vu de
tout le monde, pour ne pas sentir ce qui est compris de tous.
(Moniteur
belge n°330, du 26 novembre 1835) M. Smits. - C’est une singulière manière d’argumenter
que de nous représenter sans cesse comme voulant la liberté illimitée du
commerce. A entendre nos honorables adversaires, nous ne voulons protéger que
le commerce. Mais toute autre industrie, nous n’en voulons point. Plusieurs
fois dans cette enceinte nous avons soutenu que nous ne sommes pas partisans de
la liberté illimitée du commerce, nous avons dit que ce serait une utopie au
point où en est la législation commerciale des autres peuples. Tous nos actes
ont été conformes à cette profession de foi.
Ce que nous demandons, c’est le statu quo ; sous ce
rapport, nous sommes véritablement des stationnaires, mais des stationnaires
qui ont la conviction que cet état est favorable à toutes nos industries, et
cela nous pourrions le prouver par des preuves officielles et mathématiques.
L’honorable préopinant a parlé de l’opinion que
j’ai émise lors du vote de la loi sur les céréales. Eh bien, nous avons soutenu
à cette époque que la loi n’aurait aucun effet, même qu’elle serait désastreuse
dans ses conséquences pour quelques branches industrielles du pays. L’honorable
membre a cité les effets favorables de la loi. Je vous demanderai, messieurs,
qui a en raison de l’honorable préopinant ou de moi.
Voyez, messieurs, le tableau, du prix moyen des
céréales en Belgique depuis 1833. Vous verrez si nous n’avons pas eu raison de
dire que la loi n’aurait aucun effet pour l’augmentation du prix des céréales.
En 1833, le froment blanc coûtait dans tout le
royaume 14 fr. 75 c. l’hect. ; le froment roux, 14 fr.
61 c.
En 1834, le froment blanc coûtait 13 fr. 19 c. ; le froment roux, 14 fr. 53 c.
Dans le premier semestre de 1835, le froment blanc
coûtait 14 fr. 13 c. ; le froment roux, 15 fr. 28 c.
Vous voyez donc, messieurs, qu’il n’y a pas eu une
augmentation dans le prix des céréales depuis l’époque antérieure à la
promulgation de la loi. Au contraire, Il y a eu une légère dépréciation. Mais
on dit que la loi a eut le bon effet d’empêcher la baisse du prix des céréales.
C’est possible, mais elle a eu, en même temps l’effet d’empêcher l’exportation
d’un grand nombre de nos produits industriels. Lors de la discussion de cette
loi, j’ai prouve, les états de douane à la main, que les treize ou quatorze
navires qui sont entrés pendant le premier trimestre ils 1834 et qui avaient
apporté pour un million environ de valeur, avaient exporté pour au-delà de deux
millions de produits industriels. Depuis que le commerce des grains a cessé,
ces demandes n’ont plus eu lieu. La loi a donc été contraire à l’industrie et à
l’agriculture, en ce sens que l’industrie agricole a besoin qu’il y ait
spéculation dans le commerce des grains, pour élever ses valeurs. Aussi
longtemps qu’il n’y a pas spéculation les prix ne dépassent pas un certain
niveau.
S’il y avait disette en France ou en Angleterre,
par exemple, comme le maximum du prix des grains est fixé à 25 francs, les
agriculteurs ne pourraient exporter leurs grains, parce que le manque de
céréales dans les pays étrangers amènerait bientôt ce maximum. Les agriculteurs
seront donc toujours obligés de se contenter du marché intérieur qui ne leur
présentera pas des avantages considérables. Je ne nie pas l’utilité d’une
nouvelle législation sur les céréales. Mais je crois que la loi existante ne
produira jamais aucun avantage réel aussi longtemps que le maximum et le
minimum existeront. Aussi voyez en Hollande, où il est question d’établir une
loi sur la matière, on propose un tarif gradué comme en France et en Angleterre
; mais jamais des hommes qui connaissent le commerce des grains ne se sont
avisés de proposer l’établissement d’un maximum et d’un minimum. En voila assez
sur ce point.
Quant au projet de loi qui vous est soumis, il
porte évidemment le cachet de la sollicitude de l’administration pour le
premier de nos intérêts, l’intérêt agricole. Pour ma part, je le déclare, je
m’y rallierai volontiers si le ministre consent à opérer une diminution sur le
tarif, à réhabiliter le transit et à rendre moins sévères les mesures dans le
rayon de la frontière.
Pour ne pas effrayer l’honorable M. Eloy, je ne
vous rappellerai plus ce que l’on a déjà fait pour les céréales. Je ne vous
parlerai plus de la loi dont je viens de vous entretenir, de la loi sur les
distilleries, de la loi sur la péréquation cadastrale dont l’intérêt agricole
va jouir bientôt dans sa plénitude.
Je me permettrai seulement d’appuyer les
observations de l’honorable M. Rogier, quand il a dit que l’agriculture était
dans un état satisfaisant. En effet, tous les produits de la terre ont augmenté
successivement de valeur depuis plusieurs années. Ainsi les pommes de terre qui
en 1833 et 1834 se vendaient 3 fr. 21 l’hectolitre, se vendent aujourd’hui 4
fr. ; le foin qui valait en 1833 5-30 les 100 kil.,
vaut aujourd’hui 7-3 ; la paille en 1833 se vendait 3-68, elle se vend
aujourd’hui 4-60. Il en est de même de presque tous les autres produits. Le
beurre ne s’obtient sur les marchés des grandes villes qu’à un franc le
demi-kilo.
Les huiles ont subi une hausse tellement
exorbitante que le pauvre ne peut plus en alimenter sa lampe de travail.
M. A. Rodenbach.
- Grâce à l’agiotage.
M. Smits. - Que ce
soit cette cause ou une autre, il n’en est pas moins que l’huile de lin se vend
aujourd’hui 7 et celle de colza 75.
L’on a dit dans la séance d’hier que l’on avait
cherché à effrayer l’assemblée lors de la discussion de la loi sur les
céréales, en disant qu’il y aurait une espèce de famine causée par la hausse du
prix du pain, et qu’en définitive il n’y a pas eu de famine.
Il est vrai qu’il n’y a pas eu augmentation dans le
prix des céréales, et c’est ce que nous avions soutenu. Mais en sera-t-il de
même à propos de la loi actuelle ? Je ne le pense pas. Déjà, dans la plupart de
nos villes, le prix de la viande est de 50 cent. le
demi-kilogramme, etc.
Il est à craindre qu’en frappant d’un droit
prohibitif l’introduction du bétail étranger, vous ne fassiez renchérir le prix
d’un aliment nécessaire à la classe ouvrière. L’on a dit que l’on remédierait à
ces fâcheuses conséquences en forçant les villes à ne pas trop imposer les
comestibles à l’entrée, et qu’il devrait y avoir un rapport entre les droits du
gouvernement et l’octroi des villes.
Je suis tout à fait de cet avis, et je crois qu’il
faudrait limiter toute imposition municipale sur les objets de consommation à
la moitié de la taxe imposée par le gouvernement. Telle était la règle suivie
autrefois. Mais s’il est essentiel de la rétablir dans le plus bref délai,
ainsi que l’a dit le ministre des affaires étrangères, (car il y a des villes
où l’exercice de toute industrie deviendra bientôt impossible), il n’est pas
moins vrai que la cherté de la viande existera en attendant.
Quand on veut frapper des objets de première
nécessité, il importe de ne pas perdre de vue que la Belgique n’est pas
seulement un pays agricole, mais également un pays industriel. Or, notre
intérêt industriel veut que nous écoulions nos produits au dehors. Pour cela il
faut que la main-d’œuvre, les matières premières, les éléments du travail
soient tels qu’ils puissent lutter avantageusement avec les étrangers sur les
marchés étrangers. Or, quand vous aurez augmenté le prix des objets de première
nécessité, il faudra que le taux des salaires suive la même proportion, et dès
lors vous enlèverez à la Belgique l’avantage qu’elle peut avoir sur les autres
nations, car il faut remarquer que c’est dans nos villes que ces augmentations
se font sentir, que ce sont nos villes qui renferment les populations
industrielles.
J’ai dit que je craignais que l’élévation excessive
du droit sur le bétail ne nuisît à d’autres branches de la prospérité publique
; et cette crainte, je l’ai exprimée comme un fidèle et loyal député, qui doit
avant tout considérer les intérêts généraux, c’est-à-dire l’intérêt commun du
pays.
Je crois cependant ne pas me tromper. Mes craintes
me paraissent assez justifiées par les documents statistiques qui sont sous
presse et qui recevront bientôt la publicité. Par ces documents, la Belgique
verra si on a négligé ses intérêts matériels, si nous sommes ou non en voie de
prospérité ; elle se convaincra qu’à aucune époque elle n’a été dans une voie
aussi prospère qu’aujourd’hui. Si donc nous sommes dans cette voie de
prospérité, il faut prendre garde de l’encombrer et être bien prudent, bien
sévère, pour les mesures à prendre.
Ce n’est pas ici le moment de vous présenter le
tableau de nos rapports commerciaux, mais je vous demanderai la permission de
vous parler de la partie de ces rapports qui ont trait à la loi en discussion.
Pour ce qui concerne notre commerce de bestiaux
avec la France, nous trouvons qu’en 1831 notre exportation vers la France a été
de 80,113 pièces de bétail, et la France ne nous en a envoyé que 763.
En 1832, la France nous a pris 101,152 pièces, et
ne nous en a donné que 104. En 1833, nous avons exporté 111,171 pièces, et la
France en a importé chez nous 117. En 1834, nous avons fourni à la France
135,458 pièces, et nous en avons reçu 135. De sorte que, sur ces quatre années,
nous avons eu un excédant d’exportation vers la France de 417,374 pièces de
bétail. Cette exportation augmenterait encore si la France baissait son droit
qui est aujourd’hui de 50 fr. par tête. Je vois M. le ministre des affaires
étrangères qui fait un signe de dénégation. Cela me paraît évident, et ne peut
pas faire l’objet d’un doute.
J’espère et j’ai l’espoir fondé que le gouvernement
français tâchera de diminuer son tarif. Mais si nous élevons le nôtre au niveau
du sien, il est à craindre que ce gouvernement ne rencontre des obstacles dans
son parlement. Car vous savez, messieurs, que dans les chambres françaises, il
y a plusieurs personnes qui ont toujours insisté pour l’augmentation du droit à
l’entrée du bétail.
Si donc nous élevons notre tarif, ces membres
s’appuieront sur notre faute, pour refuser la diminution que nous pourrions
demander.
Maintenant, examinons notre situation commerciale,
sous le rapport du bétail, vis-à-vis de l’Allemagne.
L’Allemagne nous a importé,
en 1831, 1,138 pièces de bétail, et nous lui en avons envoyé 30,329. En 1832,
nous en avons reçu 1,880 et nous lui en avons donné 27,230. En 1833, elle nous
en a fourni 3,684, et nous lui en avons importé 30,136. En 1834, nous en avons
reçu 10,066, et nous lui en avons donné 45,160. La différence en notre faveur,
en quatre années, est de 117,177.
Vous voyez qu’ici encore il pourrait être imprudent
d’élever trop fortement notre tarif. Car je prie l’assemblée de croire que je
ne m’oppose pas à une augmentation raisonnable qui ne soit pas de nature à
provoquer des mesures de représailles de la part des pays avec lesquels nous
sommes en bonnes relations.
Ce que je désire démontrer, c’est que nous devons
d’autant moins mettre nos droits à un taux excessif que nous tirons de la
Prusse les bœufs de labour dont nous avons besoin. Par une trop grande
élévation de notre tarif, vous frapperiez notre agriculture en les privant de
ces animaux de travail dont elle a besoin.
Messieurs, c’est à tort que quelques membres
présentent comme insignifiant notre commerce avec la Hollande ; et pour ne
parler que du commerce de bétail, voici notre situation telle qu’elle résulte
des importations et exportations constatées depuis notre séparation. En 1831 la
Hollande a importé chez nous 1,112 pièces de bétail, nous lui avons rendu
15,621 pièces ; en 1832, elle a importé 1,063 pièces et nous lui en avons donné
17,368 ; en 1833, nous en avons reçu 3,648 et nous lui en avons donné 18,026.
Enfin, en 1834, elle nous a pris 10,101 pièces, et
nous en a donné 17,584.
Si la Hollande nous a donné plus de bétail qu’elle
n’en a reçu en 1834, cela vient de ce qu’elle a permis pendant cette année
l’exportation de son bétail vers la Belgique. Là, la balance commence à nous
être défavorable, c’est ce qui m’engage surtout à consentir à une augmentation
de droit, toujours dans certaines limites.
Maintenant, il faut que je dise que l’augmentation
que vous avez aperçue dans les exportations vers la Hollande consiste en veaux,
cochons, agneaux, etc. ; mais il n’est pas moins vrai que c’est un commerce qui
intéresse notre agriculture.
Maintenant, pour établir notre véritable situation,
il faut voir la différence qu’il y a entre les importations et les exportations
de gros bétail, c’est-à-dire bœufs, taureaux, vaches et génisses
En 1831, nous avons reçu de la Hollande 1,008
pièces de gros bétail, et nous y en avons envoyé 417. En 1832, nous avons reçu
170 pièces, et nous avons donné 2,504. En 1833, nous en avons importe 1,584
pièces, et nous en avons exporté 2,865.
Enfin en 1834, nous avons reçu 8,979 pièces, et
nous en avons donné 2,976. Ainsi, pendant les années 1832 et 1233, nous avons
envoyé en Hollande plus de grosses pièces que nous n’en avons reçu, et en 1833
et 34, la Hollande nous en a donné plus qu’elle n’en a pris.
Maintenant, appliquant à ces données statistiques
les calculs posés par M. le ministre des finances, je trouve que la Hollande
nous a importé pendant les 4 dernières années, pour une valeur de 2,755,570 fr.
et qu’elle a exporté de chez nous pour 3,091,320 fr., ce qui établit une
différence en notre faveur de 335,750.
Ici je dois faire une observation, car il faut
établir les comptes dans leur vérité.
Ce calcul diffère de celui
du ministre des finances. Et voici en quoi : c’est que le ministre a compris
dans ses évaluations le transit, parce que, a-t-il dit, ces bestiaux qu’on a
fait transiter de la Hollande pour aller en France, on les aurait achetés sur
nos marchés.
Voilà la différence qui existe entre nos calculs et
ceux du ministre.
Messieurs, j’ai voulu vous exposer cette situation,
parce que quelques membres paraissaient croire que nos relations avec la
Hollande étaient insignifiantes. J’ai cru, pour éclairer l’assemblée sur ce
point, devoir lui faire connaître les détails dans lesquels je viens d’entrer,
afin qu’ils servent de guide à nos délibérations.
Moi aussi,
messieurs, je désire protéger l’agriculture, c’est le premier de nos devoirs.
Je voterai toute loi proposée dans le sens indiqué par plusieurs honorables
collègues, c’est-à-dire avec des droits moins élevés que celui qu’on propose,
avec la réhabilitation du transit et avec un adoucissement aux mesures
peut-être trop sévères qu’on a cru devoir provoquer.
M. Mast de Vries.
- Messieurs, une des principales objections qui aient été faites par les
adversaires du projet de loi qui nous occupe, est celle de dire que le résultat
de la loi serait une augmentation sensible sur la viande de boucherie.
Si cette objection était sérieusement fondée, messieurs,
nous devrions refuser la loi. Car votre vote priverait plus ou moins l’ouvrier
d’une nourriture dont il peut difficilement se priver.
Mais, messieurs, des chiffres à la main, je crois pouvoir
détruire les craintes qu’on a élevées à cet égard. En effet, messieurs, quelle
est la demande que vient de faire M. le ministre des finances ? C’est de
porter le droit de fr. 21-16 actuel à 50 fr., en d’autres termes une majoration
de 28-84. Eh bien, messieurs, appliquons ce chiffre à un bœuf, par exemple, de
800 livres, et la majeure partie sont d’un poids plus élevé, la majoration sera
donc de 3 1/2 centimes.
Je ne sais où certains journaux ont trouvé que la
majoration proposée élèverait le prix de la viande de 17 1/2 centimes.
Si on n’adopte pas des mesures efficaces pour
arrêter la fraude, comme le fraudeur vend à meilleur marché que celui qui fait
honnêtement et tranquillement son commerce, cette majoration sera réduite à 2
1/2 centimes par livre, et si nous appliquons ce calcul à celui fait par un
honorable membre sur le bétail introduit, l’augmentation ne sera plus que d’un
demi-centime sur la masse générale de la consommation.
Aujourd’hui, la majeure
partie de nos cultivateurs ne peut pas se défaire de ses bestiaux, tandis que
nos bouchers font des bénéfices énormes. Ces bénéfices varient de 50 à 60 p. c.
Je dirai que chez moi, où il n’y a pas d’octroi,
nous payons la viande 50 centimes la livre, comme on la payait quand l’abattage
existait.
Je ferai une autre observation. Si on rejette la
loi, les choses resteront dans l’état où elles se trouvent, et il en résultera
que les cultivateurs, ne trouvant pas à se défaire de leurs bestiaux, n’en
élèveront plus qu’en proportion de leurs besoins. Alors l’étranger sera en
pleine possession de nos marchés et nous fera subir l’augmentation de prix que
nous voulons éviter. Et si nous avons le malheur d’avoir la guerre, ce qui
n’est pas impossible, nous n’aurions peut-être pas assez de bestiaux pour notre
consommation intérieure.
Quant à moi, je recule devant ces considérations,
et je crois devoir voter pour le projet de loi en demandant toutefois qu’on
supprime une partie des mesures trop rigoureuses qu’on a cru devoir introduire.
M. Zoude. - J’avais
demandé la parole, mais j’y renonce pour le moment. Je me réserve de parler
lors de la discussion des articles.
M. Desmet. -
Messieurs, je dois vous avouer que je m’étonne que dans ce moment on puisse
contester l’utilité de la mesure que nous propose le gouvernement. Je pensais
qu’elle aurait eu un assentiment général, j’avais le droit de le croire, car je
ne puis voir qu’on saurait raisonnablement contester que la correction que le
gouvernement veut porter au tarif actuel à l’égard du bétail étranger est une
mesure doublement utile et entièrement dans l’intérêt du pays. D’abord elle
empêchera qu’une grande quantité de numéraire ne sorte de Belgique pour allez
fournir les coffres d’une nation ennemie, laquelle nation prend journellement
contre nous des mesures tellement rigoureuses et hostiles que rien, absolument
rien de nos productions dont elle n’a pas nécessairement besoin ne peut entrer
sur son territoire. Quand elle agit contre nous en ennemie, serait-il bien
politique et prudent de la traiter comme amie ? En second lieu, cette mesure
offrira-t-elle de grands avantages à notre agriculture ?
Cela n’est pas moins évident et peut facilement se
démontrer, car c’est un fait constant que la grande quantité de bétail gras
étranger qui encombre et gâte nos marchés, la fait beaucoup souffrir, en
empêchant nos distillateurs et cultivateurs d’engraisser le nombre des bestiaux
nécessaire pour fournir à leur culture la quantité de fumier dont elle a
besoin.
L’honorable ministre des finances vous a présenté
un calcul par lequel il vous a fait voir que le bétail étranger de toutes
espèces faisait sortir annuellement du pays pour 4 millions de francs. Vous
avez remarqué, messieurs, que le calcul de M. le ministre n’était fait que
d’après la quantité de bétail qui était entrée en payant les droits ; cependant
il est certain qu’une très grande quantité entre en fraude, et je n’hésiterai
point à doubler la somme établie par M. le ministre et à porter le numéraire
que nous transportons annuellement en Hollande, pour le bétail gras, au-delà de
7 millions. Et ce calcul, messieurs, ne vous paraîtra pas exorbitant, quand
vous apprendrez que sur le marché seul de Bruxelles arrivent hebdomadairement
au-delà de 300 bêtes grasses de Hollande. En fixant donc le nombre de 400 bêtes
hollandaises qui entrent semaine commune en Belgique et qui se présentent sur
les marches de Bruxelles, Anvers, Malines, Liège, Gand, Lokeren, etc., je
resterai encore en dessous de la réalité.
J’aurai donc pour l’année un nombre de 20 à 21
mille bêtes, à 300 fr. par tête, ce qui fait une somme de plus de 6 millions de
fr. pour l’entrée seule des bêtes à cornes.
Le plus chaud adversaire du projet du gouvernement
est le député de Turnhout ; non pas l’honorable commissaire du district de ce
nom, mais l’honorable fonctionnaire qui a l’administration de la province où ce
district se trouve.
Dans les considérations générales que M. Rogier a
fait valoir dans la séance d’avant-hier, pour combattre le projet et refuser à
l’agriculture la protection qu’elle a droit d’attendre de la chambre belge, il
a fait pour première objection que dans ce moment il était très impolitique
d’entraver l’entrée du bétail hollandais, vu que les Hollandais commençaient à
recevoir beaucoup de nos denrées et de nos produits de fabrication.
Messieurs, ne vous y trompez point, ce que les
Hollandais nous enlèvent n’est guère de quelque importance en comparaison de ce
que nous prenons d’eux et prenez attention que ce qu’ils viennent prendre chez
nous, c’est ce dont ils ont nécessairement besoin et rien d’autre chose ; et
vous pouvez être assurés que ce qu’ils viennent chercher dans ce moment, ils le
viendront encore chercher quand on aura mis à exécution la loi ; car ils en ont
besoin, et ne peuvent s’en passer.
Mais pour tous les produits de notre fabrication
dont ils n’ont pas besoin, au lieu de les laisser entrer plus librement, ils
augmentent tous les jours les entraves, et en empêchent plus rigoureusement
l’entrée. Consultez à ce sujet ceux qui fréquentent et commercent avec la
Hollande, ils vous affirmeront ce que j’avance. Je peux citer en témoignage
deux fabriques d’indiennes de la ville d’Alost, qui ont des maisons de commerce
en Hollande ; on m’a assuré que depuis plus d’un an la surveillance est tellement
augmentée aux frontières qu’il est pour ainsi dire impossible de faire passer
quelques produits dans l’intérieur de la Hollande.
Il n’est que trop constant, et je crois que
l’honorable M. Rogier, par les fonctions qu’il remplit dans une province limitrophe,
devrait le savoir plus qu’un autre, que la Hollande défend l’entrée de tous nos
produits dont elle n’a pas nécessairement besoin, et nous autres, toujours
dupes, nous acceptons presque tous les produits qu’elle a intérêt de laisser
sortir ; non seulement le bétail gras, mais aussi son poisson ; car, quoi qu’en
disent quelques honorables membres députés de la province d’Anvers, c’est
toujours du poisson hollandais qui entrer dans leur port et jamais du poisson
pris par des Belges, et en outre quantité d’autres denrées et produits, que
journellement une centaine de bateaux hollandais transbordent en face du Doel et de Lillo.
L’honorable membre reproche encore au ministre et
au gouvernement de ne pas avoir consulté, avant d’avoir présenté son projet, le
bureau de l’industrie et du commerce, les chambres de commerce, les commissions
d’agriculture, les professeurs de l’école vétérinaire, et je ne sais qui encore
M. Rogier voudrait que le gouvernement eût consulté.
Moi au contraire je fais un reproche au ministre de
ne pas avoir fait plus d’instances dans la dernière session, pour que le projet
y eût pu être discuté, car la mesure eût pu être plus efficace, et notre
agriculture en eût déjà ressenti des avantages ; et que l’honorable
contradicteur se tranquillise, le pays ne sera pas pris au dépourvu, car la
nation entière est étonnée que le gouvernement ne songeait pas à présenter des
mesures pour empêcher l’entrée du bétail gras hollandais.
Nous savons du reste que toutes ces propositions de
consultation sont des moyens d’ajournement, ce dont le pays se soucie fort peu
; il veut qu’on agisse et se soucie fort peu de théorie pour ajourner et
remettre une bonne mesure, et que par ces prétextes on serve continuellement
les intérêts des Hollandais au détriment des nôtres.
L’honorable M. Rogier nous a dit aussi, dans ses
considérations générales, que dans la province qu’il administre, les bouchers
et quelques agriculteurs font sortir de Hollande du bétail maigre pour
engraisser, et que, par conséquent, la mesure proposée nous fera beaucoup de
tort. Vraiment, je suis on ne peut plus étonné qu’on
soit à Anvers même si peu informé de la chose. Consultez cette fois-ci, je
dirai à l’honorable M. Rogier, et vous apprendrez de tous côtes que les
Hollandais ne nous envoient presque pas du tout de bêtes maigres ; ils en ont
besoin pour les engraisser, soit sur les pâturages, soit dans les distilleries
; nous ne recevons de la Hollande que des bœufs gras en plus grande quantité et
quelques génisses pleines.
Les Hollandais sont plus adroits que de nous
laisser arriver des bêtes maigres ; ils savent trop que nos distilleries en ont
besoin ils savent trop que nous les cherchons, et c’est un motif pour eux de ne
pas les laisser sortir.
L’honorable M. Rogier ne s’explique pas comment on
peut faire entrer en fraude du bétail ; ce n’est pas un petit paquet ou une
pacotille qu’une bête à cornes, dit-il ; c’est un objet assez lourd et assez
perceptible pour qu’on ne puisse facilement le faire entrer en fraude.
Si l’honorable membre eût consulté les
administrations des communes frontières de sa province, elles lui auraient
appris que rien n’est plus facile que la fraude du bétail si on ne prend pas
d’autres mesures pour la défendre que celles qui existent dans ce moment ; et,
à ce sujet, l’honorable membre n’est pas d’accord avec son collègue de
Turnhout, qui a signalé la grande fraude qui se faisait.
L’honorable membre reproche encore au gouvernement
qu’il n’a pas choisi un bon moment pour châtier, en présentant le projet, les
habitants des villes et favoriser les agriculteurs. Je crois que le châtiment
ne sera pas très pénible, et je laisse l’honorable contradicteur consulter les
villes comme les campagnes, et je n’hésite point à déclarer que partout il
rencontrera une grande majorité qui applaudira au projet et rendra grâce au
gouvernement qu’il propose de telles mesures de protection pour l’agriculture.
Car quand l’agriculture souffre, on le ressent
aussi bien dans les villes qu’à la campagne, et je ne pense pas que l’honorable
membre voudrait mettre en doute que l’agriculture est la base de l’édifice
social et la source de toutes les richesses et de toutes les industries, et
quand elle prospère, toutes les branches de l’industrie et du commerce sont
florissantes.
L’agriculture peut seule sans commerce extérieur
faire fleurir une nation pendant des siècles, tandis que le commerce extérieur
sans agriculture ne procure aux peuples qui s’y livrent qu’une prospérité
passagère peu durable.
L’honorable M. Rogier a encore fait le reproche au gouvernement
que son projet allait faire souffrir le consommateur et faire monter le prix de
la viande à un taux exorbitant.
Je crois que l’honorable membre peut se
tranquilliser, la viande ne sera pas hors de prix en adoptant la mesure
bénévole que le gouvernement propose en faveur de l’agriculture. Si ce n’est
dans quelques villes où la viande est partout sans prix, on la donne pour ce
qu’on peut avoir, jusqu’à moins de 10 centimes la livre.
On a vu pendant les deux années que les Hollandais,
pour encore une fois nous faire du mal, ont défendu la sortie du bétail gras
vers la Belgique, et au moment même que nous avions deux armées dans le pays,
le nôtre et l’auxiliaire de France, que la viande n’a pas baissé de prix, et
quoique quelques bouchers d’Anvers aient adressé à la chambre une pétition
contre le projet, je suis certain que la grande majorité des bouchers du pays y
applaudiront, car dans ce moment on peut dire qu’il n’y a point de marché pour
la viande ; le métier de boucher est absolument gâté, tout le monde abat du
bétail et en fait faire le débit par de petits bouchers, qui livrent la viande
en ville comme à la campagne à tout prix.
Il faut bien le faire ainsi, quand à cause de
l’énorme masse de bétail hollandais qui entre dans le pays, ni distillateur, ni
cultivateur ne peut plus vendre.
Non seulement que le bétail gras est descendu au
prix de 25 pour cent, et le bétail médiocre à 40 pour cent, encore on ne peut
s’en défaire ; et c’est ici où se fait le plus grand tort, c’est que la
concurrence hollandaise a entièrement gâté notre marché de l’intérieur ; quand
notre bétail est gras, et doit quitter le pâturage ou sortir de l’étable du
distillateur, on ne peut le vendre, on doit le conserver avec perte, ce qui
entrave extraordinairement cette industrie.
En finissant, l’honorable contradicteur, nous a
fait le reproche d’être des imprudents réformistes, mais des réformistes qui
marchaient à reculons ; et nous autres, disait-il, nous sommes de sages et
prudents conservateurs et stationnaires.
Je ne sais si cet éloge que l’honorable M. Rogier
se donne à lui-même, sera répété par la nation. Je pense que le pays entier est
convaincu que notre tarif actuel est vicieux et contraire aux intérêts
nationaux ; je pense aussi que le pays entier applaudira à la mesure que le
gouvernement nous propose, pour user de représailles envers nos ennemis.
Et, tout en disant qu’il fallait conserver ce qui
existait, vous devez remarquer, messieurs, que l’honorable membre a proposé
divers changements au tarif actuel, et dans ceux même qu’il a proposés, je
pense encore qu’il n’aura pas beaucoup de partisans à son opinion, car, si je
ne me trompe, il a proposé des modifications pour faciliter la sortie de
quelque matière première, comme, par exemple, les peaux fraîches ; je crois que
les tanneurs lui prouveront que sa proposition, sans procurer des avantages aux
cultivateurs, feront beaucoup de tort à leur industrie. En France et en Prusse
les peaux fraîches sont fortement imposées à la sortie, tandis que l’entrée en
est libre. Je crois pouvoir dire donc que l’honorable membre n’est pas toujours
conservateur et stationnaire, comme il aurait voulu le faire croire un instant,
et si, dans sa réformation, il croit ne pas marcher à reculons et agir contre
les intérêts du pays, nous en laisseront juges la nation et ses diverses
espèces d’industriels.
Quant à l’objection qu’on a faite que pendant
l’époque de notre réunion à la Hollande, on ne se plaignait point quoique le
bétail de la Hollande entrait alors librement, je répondrai que si on ne
faisait pas entendre de plaintes particulièrement à l’égard du bétail, c’est
parce qu’on en faisait en général sur l’anéantissement de nos distilleries ; on
ne pouvait se plaindre qu’on ne savait que faire du résidu des distilleries et
qu’on ne pouvait engraisser avec avantage du bétail, parce que, ne pouvant
distiller on n’avait pas trop de résidu et on ne devait pas chercher à
engraisser le bétail. Mais à cette époque les distillateurs qui ont pu
continuer à distiller se plaignaient aussi qu’ils ne pouvaient vendre avec
avantage leur bétail gras en Belgique ; ils étaient forcés de faire entrer leur
bétail en France et de payer le droit prohibitif de 50 francs par tête ; je
pourrais citer à l’appui de ce que j’avance la maison de frères Dooms à Lessines, qui transportaient tout le bétail de
leurs étables en France.
On doit aussi considérer que, pendant l’union à la
Hollande, le bétail maigre de hollande entrait en Belgique et était en prix
plus proportionné avec le bétail gras ; il y avait moins de perte en
engraissant. Les Hollandais dont les distilleries florissaient alors, n’étaient
point forcés de donner à si bas prix leur bétail gras qu’aujourd’hui, et à
l’exportation ils ne jouissaient point de la prime de sortie, comme ils en
profitent aujourd’hui, ce qui augmenter beaucoup la facilité de leur vente, en
y trouvant un moyen de diminuer le prix.
Pendant l’époque de notre réunion, la viande a
successivement été à très haut prix ; en 1829, sans aucun motif connu, elle se
vendait à Bruxelles 1-50 le kilogramme, tandis qu’au moment de la révolution,
et quand le gouvernement hollandais avait défendu l’entrée du bétail gras en
Belgique, le prix ne surpassait pas un franc.
Je dois quelques mots de réponse à l’honorable
député d’Anvers, chef de notre bureau d’industrie et de commerce ; je vous
dirai que cela ne m’étonne point que l’honorable membre se soit prononcé contre
le projet du gouvernement, car nous avons tous la conviction que l’agriculture
et l’industrie nationale ne trouveront jamais un défenseur dans le chef du
bureau de l’industrie ; je respecte beaucoup l’opinion de l’honorable membre,
mais je n’hésite pas de déclarer que c’est bien triste et déplorable pour le
pays d’avoir une telle opinion systématique dans un bureau qui devrait
uniquement s’occuper à faire faire des progrès à l’industrie nationale ; et
certes ce n’est pas une école qui convient à notre pays.
L’honorable chef du bureau de l’industrie veut bien
adopter le projet du gouvernement, mais à condition que les mesures d’exécution
soient beaucoup modifiées et que surtout le transit ne soit pas prohibé.
Messieurs, nous avons tous compris les intentions
de l’honorable membre : il veut bien une loi, mais il ne veut pas que vous
preniez les moyens de la mettre à exécution ; c’est-à-dire que pour votre
prospérité et l’intérêt de votre pays, vous devez conserver un statu quo qui
est favorable à notre ennemi et qui nous fait beaucoup de mal ; si c’est ainsi
que l’honorable membre veut servir son pays et travailler dans l’intérêt
général de la nation, je ne sais si cette même nation partagera l’opinion de
l’honorable M. Smits.
Je ne relèverai pas toutes les allégations que
l’honorable membre nous a faites, et surtout dans ses calculs ; je n’ai pas eu
le temps de les vérifier, mais si je dois en juger par ce qu’il nous a dit
concernant les bœufs de labour, je pourrais lui dire qu’il est mal informé et
nous a communiqué des renseignements erronés, car il est très inexact d’avancer
que tous les bœufs dont nous nous servons pour labourer nous arrivent de Prusse
; nous savons tous le contraire.
Messieurs, je n’en dirai pas plus sur le projet, je
n’ai voulu discuter que son principe ; pour ce qui concerne l’économie des
articles et les moyens que nous devrons employer pour mettre efficacement la
mesure à exécution, je me réserve de faire mes observations quand on la mettra
en délibération, et je crois que nous pourrons alors tranquilliser les
honorables MM. de Longrée et Jullien, et diminuer leur peur panique sur les
mesures que le gouvernement nous propose d’adopter contre l’entrée du bétail
hollandais. Et tout en appuyant ce que vous a dit l’honorable M. Andries que
l’acquit à caution doit être remplacé par la marque du fer rouge, je me réserve
aussi d’en parler quand on discutera les articles qui contiennent ces
dispositions.
PROJET DE LOI PORTANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT
DE LA JUSTICE POUR L’ANNEE 1835
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - Je demande la parole.
Le Roi m’a chargé de vous présenter un projet de
loi autorisant un transfert au chap. VIII du budget de mon département.
L’art unique de ce projet est ainsi conçu :
« Une somme de cent mille fr. est transférée
de l’art. 1er, chap. VIII du budget de la justice, à l’art. 6 du même
chapitre. »
Un exposé de motifs détaillé, accompagné de
quelques pièces à l’appui, justifie ce transfert.
Je le dépose sur le bureau.
Je prie cependant la chambre de me permettre de
dire quelques mots pour lui faire connaître l’objet de ma demande.
Au budget de 1835, une somme de 735,000 francs
avait été portée à l’article premier du chapitre VIII pour la nourriture et
l’entretien des prisonniers ; sur cette somme il a été fait une économie de
plus de cent mille francs. Au même chapitre une somme de 950,000 fr. a été
portée pour achat de matières premières nécessaires aux travaux des prisonniers
et pour leurs salaires. Cette somme est épuisée et je viens vous demander les
moyens de ne pas suspendre les travaux des prisonniers.
Je viens vous demander de convertir une somme
devenue une dépense improductive en une somme qui aura pour but des dépenses
productives ; bien plus ce n’est pas une dépense que je demande de pouvoir
faire, c’est une avance que je réclame à charge de restituer plus que vous
n’aurez alloué, car la matière première sera convertie en matière ouvrée.
J’espère que d’après ces considérations, vous
renverrez le projet à la section centrale chargée d’examiner le budget du
ministère de la justice pour l’exercice de 1836 ; elle pourra dans un bref
délai présenter un rapport sur la loi que je vous soumets.
M. Gendebien. - Peut-être vaudrait-il
mieux nommer une commission spéciale pour examiner cette loi !
M. le ministre de la justice
(M. Ernst). - La section centrale fera l’office de commission spéciale
; elle a les documents nécessaires pour examiner la loi et son travail pourra
être très prompt.
- La proposition de M. le ministre de la justice ou
le renvoi du projet à la section centrale chargée d’examiner le budget du
ministère de la justice est mise aux voix et adoptée.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS D’ENTREE, DE SORTIE ET DE TRANSIT SUR
LES OS
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je viens vous présenter un
projet de loi portant prorogation de la loi sur l’entrée, la sortie et le
transit des os ; cette loi expire au 31 décembre prochain, il faut qu’elle soit
renouvelée avant cette époque.
- La chambre renvoie le projet à la commission
d’industrie.
PROJET DE LOI RELATIF AUX DROITS D’ENTREE ET DE TRANSIT DU BETAIL
HOLLANDAIS
Discussion générale
M. le président. - M.
Desmaisières, rapporteur, a la parole pour résumer la discussion.
M. Desmaisières,
rapporteur. - Messieurs, après les discours lumineux qui ont été
prononcés dans les séances d’avant-hier, d’hier et d’aujourd’hui, en faveur du
projet de loi, il me reste peu de chose à dire pour justifier les opinions et
les votes émis par la commission d’industrie au nom de laquelle j’ai eu
l’honneur de vous présenter mon rapport ; aussi je n’aurais pas pris la parole
dans la discussion générale, si je n’avais pas cru de mon devoir de répondre
aux reproches, aux sarcasmes mêmes, qui ont été dirigés contre mes honorables
collègues et moi, par un seul membre de cette assemblée, il est vrai, et celui
qui s’est posé en véritable contradicteur du principe de la loi.
Je dirai d’abord que je ne sais si cet honorable
membre a fait preuve de politique prudente en disant que les marchés de la
Hollande sont fournis en grande partie par les produits agricoles et
industriels de notre pays : toutefois je puis assurer qu’il est loin d’en être
ainsi ; et les arrêtés du roi Guillaume, arrêtés qui, quoi qu’on en dise, sont
rigoureusement exécutés, ne tardent pas à prouver les assertions de cet
honorable membre.
On a témoigne le plus grand étonnement de ce que ni
la commission d’industrie, ni le ministre n’avait produit des documents
statistiques à l’appui du projet de loi et à l’aide desquels il aurait fallu
démontrer le malaise de l’industrie concernant le bétail : à cela je répondrai,
comme j’ai déjà eu l’honneur de le faire dans une autre occasion : c’est que
j’ai peu de foi dans tous les documents statistiques, qui, pour la plupart,
sont préparés tranquillement dans le cabinet, et de manière à faite prévaloir
l’opinion que l’on défend. Je ne connais de documents statistiques vrais et
réels, en fait d’importation, d’importation et de transit, que ceux qui sont
produits par le ministère, et relevés sur les importations, les exportations et
le transit régulier, c’est-à-dire sur ceux qui ont lieu sans fraude. Dès qu’il
y a fraude, et c’est ici formellement le cas, ces documents statistiques sont
nécessairement très incomplets et ne peuvent rien prouver.
D’ailleurs, messieurs, est-il donc si nécessaire
d’avoir ces documents pour se convaincre du malaise général que ressent le
pays, en ce qui touche l’industrie du bétail ? Chacun de nous n’est-il pas à
même d’interroger les bouchers de sa localité et d’en apprendre que la plus
grande partie des bestiaux qu’ils débitent viennent de l’étranger.
Si l’honorable membre auquel je réponds dans ce
moment, s’était donné la peine de s’arrêter quelquefois au marché de Malines ;
à ce marché, le plus important du pays, et qui est situé dans la province qu’il
administre ; à ce marché qu’il traverse très souvent ; si, dis-je, il s’y était
arrêté un moment, il aurait appris de la bouche même des marchands de bestiaux,
et de la plupart des bouchers du pays qui le fréquentent, que la plus grande
partie des animaux qui s’y vendent venait de la Hollande.
M. A. Rodenbach.
- Ce sont les Hollandais eux-mêmes qui les vendent.
M. Desmaisières,
rapporteur. - Ma conviction sur le sujet qui nous occupe est formée
d’une manière inébranlable. Si elle pouvait être ébranlée le moins du monde, ce
serait par la contradiction manifeste qui existe entre les deux honorables
représentants de Turnhout. L’un, administrateur du district de Turnhout, nous a
dit qu’il y avait malaise et que le malaise était porté à ce point qu’il y
avait urgence de voter la loi ; et il nous l’a fait avec tout le district de
Turnhout ; l’autre nous a dit qu’il n’y avait pas malaise ; en vérité,
j’éprouverais quelque embarras à me prononcer ici entre deux autorités à la
fois si respectables et si compétentes, si l’opinion du second en fait de
système commercial ne nous était connue pour être favorable à la liberté de
commerce quand même.
Il est vrai que cet honorable membre n’a pas encore
eu le courage de manifester ouvertement cette opinion ; mais toujours est-il
que tous ses discours, que tous ses votes tendent à faire prévaloir ce système.
Il y a quelques années, les politiques de la
doctrine nous disaient : « Les Français viennent assiéger la citadelle
d’Anvers, viennent bombarder, blesser, tuer même les Hollandais ; toutefois les
Français ne font pas la guerre aux Hollandais. » Que nous disent
aujourd’hui les doctrinaires en fait de commerce ? Ils nous disent :
« Vous vous plaignez de ce que l’agriculture souffre en Belgique :
voulez-vous un moyen de la faire prospérer ? admettez
chez vous tous les produits agricoles de l’étranger et ne vous embarrassez pas
si l’étranger repousse vos produits. » Messieurs, il n’y a que des doctrinaires
qui soient capables de comprendre ces principes-là ; et comme je ne suis pas
doctrinaire vous me permettrez de ne pas chercher à les expliquer.
Je dirai seulement que je suis partisan de la
liberté réciproque du commerce, mais non de la liberté du commerce quand même,
dont je suis l’ennemi. J’ajouterai que le seul moyen de voir arriver pour nous
la liberté réciproque du commerce, c’est de prendre une position, et une forte
position dans le système qui régit actuellement l’Europe entière.
Loin de moi de reprocher à l’honorable membre de se
montrer, quoique fonctionnaire public, opposé aux vues du ministère ; je crois
son opposition consciencieuse, je n’en fais pas de doute ; je le crois de bonne
foi, et cette opposition lui fait selon moi le plus grand honneur. Toutefois
vous savez, messieurs, que cet honorable membre n’a pas toujours partage mon
opinion sur ce point.
Nous sommes, a-t on dit, réformateurs à reculons.
Eh ! messieurs, que faisons-nous cependant ? Nous ne
faisons que continuer la réforme commencée dans les dernières années de notre
réunion à la Hollande, la réforme arrachée alors au gouvernement hollandais par
les réclamations parties de tous les points du royaume ; et cette réforme,
messieurs, est la seule qui puisse nous conduire à celle que désire notre
honorable adversaire, à la liberté du commerce.
Un honorable membre est revenu sur l’objection
tirée de la loi des céréales. Il a cherché à prouver, d’après des chiffres dont
lui seul a pu avoir une connaissance exacte, que cette loi sur les céréales
avait produit des effets tout contraires à ceux qu’on en attendait. Cependant
nous avons vu avant lui le ministre des finances, le ministre des affaires
étrangères et, je crois, même le ministre de l’intérieur, nous assurer qu’elle
avait produit réellement les effets que nous désirions. Et d’ailleurs, pour en
être convaincu, faut-il d’autres preuves que celles qu’a données le ministre
des affaires étrangères ?
Il n’y a que deux années que cette loi existe, et
après une si courte expérience, le gouvernement hollandais lui-même, le
gouvernement d’un pays qui peut-être est le seul en Europe qui puisse pratiquer
la liberté du commerce quand même, ce gouvernement vient de proposer aux
états-généraux de Hollande une loi pareille à la nôtre.
Le prix des huiles, a dit encore cet honorable membre,
est plus élevé qu’il ne l’était il y a quelque temps ; c’est là un bienfait que
ressent l’agriculture par suite du système qui nous régit.
Messieurs, malheureusement ce n’est pas
l’agriculteur qui se ressent de ce bienfait, c’est l’agioteur. C’est celui qui
a spéculé sur la hausse des huiles, aux dépens du producteur.
Mais, s’est écrié l’honorable députe de Turnhout,
la chambre a rejeté à tout jamais ce qui est prohibition ou ce qui y ressemble,
lors de la discussion de la proposition relative aux cotons. Messieurs, la
chambre ne s’est pas prononcée de cette manière ; et quand bien même on eût
voté sur cette proposition, quand bien même la chambre eût rejeté la
proposition dont il s’agit, à l’unanimité, en aurait-il pu être autrement,
lorsque ceux qui avaient proposé la prohibition eurent le courage d’y renoncer,
dès qu’on leur eut démontré qu’elle n’était pas nécessaire ?
La Belgique, dit-on encore, a, pendant 15 années de
sa réunion à la Hollande, souffert sans mot dire la concurrence du bétail hollandais.
Mais, messieurs, le Belge ne souffrait pas sans mot dire ; nos agriculteurs se
plaignaient et se plaignaient beaucoup.
Seulement il fut un temps, et ce temps a commencé
avec le régime qui a tué nos distilleries ; il fut un temps où ces plaintes revêtirent
une autre forme. De directes qu’elles étaient, elles devinrent indirectes ;
elles se portèrent naturellement sur la principale cause qui ruinait
l’industrie agricole.
Plusieurs orateurs nous ont dit : Si le prix du
bétail sur nos marchés, par suite de la grande importation du bétail étranger
est si bas, comment se fait-il que le prix de la viande soit si élevé ? La
réponse à cette question se trouve dans la lettre écrite au Journal d’Anvers et signée par plusieurs
bouchers de cette ville, peut-être par ces mêmes bouchers que l’honorable
député de Turnhout a consultés.
M. Rogier. - Il y
en a un !
M. Desmaisières,
rapporteur. - Tout en s’opposant aux droits d’entrée sur le bétail, les
auteurs de cette lettre prétendent qu’il faudrait augmenter les droits d’entrée
sur le suif et sur les peaux fraîches, objets de leur commerce ; car ils nous
assurent que s’ils sont obligés de maintenir le prix de la viande à un taux
élevé, malgré l’abaissement du prix du bétail, c’est parce qu’ils ne peuvent
pas vendre convenablement le suif et les peaux fraîches puisqu’ils n’en ont pas
le monopole. N’est-ce pas là un aveu tout à fait explicite que les bouchers
signataires exercent à Anvers un monopole sur la viande et par ce moyen en
tiennent les prix élevés ?
J’ai eu l’honneur de dire dans mon rapport pourquoi
la commission d’industrie s’était ralliée au mode de perception par tête
proposé par le ministre ; mais si le droit sur le bétail maigre devait être
diminué, ou bien si la chambre jugeait, ce que je ne pense pas, devoir
augmenter le droit sur le bétail gras, il serait nécessaire d’en revenir au
mode de perception au poids.
En ce qui touche les mesures d’exception proposées
pour l’exécution de la loi, elles sont l’œuvre du ministre qui en a déjà
commencé la défense, et qui continuera, j’en suis sûr, à les défendre mieux que
je ne pourrais le faire. Quoi qu’il en soit, la commission, je n’en doute pas,
adoptera toutes les mesures d’exécution moins sévères, moins vexatoires, que
celles qui sont proposées, si elles peuvent assurer à la loi son efficacité ou
une bonne exécution.
Relativement aux amendements présentés par M.
Andries et sur lesquels je me propose de parler plus tard, je dirai qu’ils me
paraissent contenir des vues qui peuvent être utiles.
Maintenant, messieurs, ii me reste une dernière
objection à combattre, c’est celle qui est relative aux représailles que l’on
craint de la part de la Prusse. La commission ne s’est décidée à vous proposer
d’étendre les effets de la loi à la frontière prussienne que parce que les
honorables membres qui la composaient avaient pris des renseignements à cet
égard : il en est qui habitent les provinces de Liége et de Luxembourg,
voisines de la Prusse, et ils nous ont affirmé que le bétail prussien introduit
chez nous causait le plus grand tort à nos agriculteurs de ces mêmes provinces.
Aujourd’hui il est démontré par les renseignements
donnés par le ministère, qu’en définitive nous exportons plus en Allemagne que
la Prusse n’exporte dans notre pays. S’il en était ainsi, il ne faut pas
étendre les effets de la loi à la frontière prussienne. Mais je dois protester
contre l’argument dont on s’est servi ; et je dis que, quant à moi, jamais la
crainte des représailles ne m’arrêtera, si je vois la nécessité d’étendre les
effets de la loi à la frontière prussienne. Un fait récent, que j’aurai
l’honneur de vous citer, vous prouvera, messieurs, que ces craintes de
représailles sont purement chimériques.
Lors de la discussion de la proposition relative à
l’industrie cotonnière, n’avons-nous pas vu dès le début de la discussion une
opposition des plus formelles ; l’ambassadeur de France qui s’était placé à la
tête de cette opposition ne nous a-t-il pas dit : « Si vous augmentez le
moins du monde l’entrée sur les cotons, la France non seulement sera obligée de
vous refuser les concessions que vous avez demandées, par vos commissaires à
Paris, mais elle sera en outre obligée d’user de représailles ? »
J’eus le bonheur alors de vous faire partager mon
opinion. Je dis : « Non, la France n’usera pas de représailles ; il ne lui
en reste plus à prendre ; elle en a trop usé déjà pour son propre intérêt. Vous
n’avez pas à les craindre. Quelles que soient les menaces de la France, elle
sera obligée de revenir des prétendues représailles dont elle a usé jusqu’à
présent. »
Eh bien, vous avez émis un
vote que j’ose dire patriotique et éminemment national.
Dans la séance du 10 septembre, vous avez, malgré
l’opposition diplomatique à la tête de laquelle la France s’était placée, voté
à l’unanimité le principe de l’augmentation des droits sur les cotons, et le 10
octobre, à un mois de date, jour pour jour, Louis-Philippe signait une
ordonnance qui accordait plusieurs des suppressions de représailles que nous
avions demandées.
Voilà le cas qu’il faut faire de toutes ces menaces
diplomatiques !
On a dit quelquefois, et souvent même dans cette
enceinte, que la diplomatie avait arrêté l’essor de la révolution ; que, de
protocole en protocole, nous nous étions laissé conduire dans une voie qui
portait la plus grande atteinte à notre indépendance politique ; prenons garde
qu’il n’en soit de même de notre indépendance commerciale et industrielle. (Sensation.)
M. Rogier. - Je
demande la parole pour un fait personnel.
Mon intention n’est pas de suivre l’honorable
préopinant dans toutes les attaques plus ou moins personnelles qu’il a cru
devoir adresser à un adversaire du projet de loi ; il en est une seule que je
me dois de relever.
Suivant lui je ferais de
l’opposition contre le ministère, et il a fait allusion aux doctrines que je
professais lorsque je siégeais au banc des ministres. Je crois que ma conduite
a prouvé, comme elle prouvera encore, que je ne suis pas en opposition avec le
ministère, dans les questions où mon opposition me placerait vis-à-vis de lui
dans une fausse position. Mais dans les questions spéciales, notamment en ce
qui concerne le tarif des douanes, je n’ai jamais reproché à un membre de cette
assemblée, étant en même temps fonctionnaire public, l’opposition qu’il pouvait
faire contre le ministère.
Je rappellerai que, dans ces circonstances, M. le
ministre des affaires étrangères qui occupait dans la chambre la même fonction
que j’y ai maintenant, n’hésita pas (sans se considérer pour cela comme opposé
au gouvernement, au ministère) à se ranger dans les rangs des adversaires du
ministère, notamment dans la question des céréales et dans celle des toiles.
L’un et l’autre, nous avons conservé la même opinion, en changeant de position.
Je crois que le ministère compte assez sur ma
loyauté, pour être assuré que s’il entrait dans mes intentions de faire une
opposition systématique contre toutes les propositions du gouvernement, je
cesserais à l’instant ou d’être fonctionnaire ou d’être député.
M.
le président. - La parole est à M.
A. Rodenbach.
M. Jullien. - Je
demande la parole pour une motion d’ordre. Je sais qu’il y a des membres
inscrits pour la parole, et qui ne l’ont pas encore eue dans cette discussion.
L’honorable M. A. Rodenbach a déjà parlé une fois.
M. A. Rodenbach.
- Il y a des membres qui ont parlé quatre et six fois.
M. Jullien. - Un abus
n’en justifie pas un autre. Je crois qu’il faut d’abord accorder la parole aux
orateurs inscrits qui n’ont pas été entendu, parce que lorsque cette liste sera
épuisée, on pourra délibérer s’il y a lieu de prononcer la clôture, tandis
qu’il serait inconvenant de la prononcer avant d’avoir entendu des orateurs qui
n’ont pas encore parlé.
M.
Pirson. - Je demande aussi la parole pour une motion d’ordre.
Il se passe ici une chose toute nouvelle : nous
n’avons qu’un seul véritable adversaire du projet ; il me semble que c’est pour
lui un grand honneur que toute l’assemblée soit obligée de se défendre contre
lui. It est temps cependant que cela cesse ; voici assez longtemps qu’il est le
plastron de la chambre. (On rit.)
Je demande que l’on passe à la discussion des
articles. Moi-même, je m’abstiendrai de parler dans la discussion générale ;
j’en demande la clôture.
Plusieurs
membres. - La clôture !
M. de Foere. - Il
est plusieurs principes jetés dans la discussion auxquels on n’a pas répondu.
Je demande que la discussion générale continue.
M. Smits. - Je
m’oppose également à la clôture. Après avoir entendu plusieurs orateurs trois
ou quatre fois, il serait inconvenant de ne pas entendre des membres qui n’ont
pas encore parlé dans cette discussion.
- La clôture de la discussion générale est mise aux
voix et n’est pas adoptée.
M. A. Rodenbach.
- Je n’insiste pas pour avoir la parole avant les membres qui n’ont pas encore
parlé.
M. de Foere. -
Messieurs, avant d’entrer dans le fond de la question et avant de rencontrer
les principales objections qui ont été élevées contre le projet de loi, je
crois devoir déclarer pour mon compte que je le dégage de tout esprit
d’hostilité ou de représailles coutre les pays étrangers. Je crois que c’est
aussi la pensée de la très grande majorité de la chambre. En effet, messieurs
en suivant cette règle de politique commerciale, nous ne faisons que nous
mettre sur la même ligne sur laquelle toutes les autres nations se sont placées
aujourd’hui. Ces nations adoptent un système commercial tel qu’il leur paraît
convenir aux intérêts de leur pays. Elles sont incontestablement dans leur
droit. Nous, nous restons dans le nôtre en cherchant comme elles à établir une
législation qui convienne aussi aux intérêts de notre propre pays. C’est ainsi
que nous repoussons d’avance toute accusation d’hostilité et de représailles ;
c’est aussi le vrai moyen d’éviter que nos voisins ne prennent des représailles
contre nous, alors que nous ne faisons que ce qu’ils font eux-mêmes dans
l’intérêt de leurs pays respectifs.
Mais l’honorable ministre des affaires étrangères a
exprimé le désir qu’on usât de prudence politique envers la Prusse. Il
faudrait, selon lui, ne pas prendre envers elle des mesures qui pourraient
provoquer de son côté d’autres mesures qui nous seraient nuisibles. L’honorable
député d’Anvers vient de nous donner le même conseil. Cette question mérite d’autant
plus notre attention que, dans une autre circonstance importante, l’honorable
ministre nous a communiqué une note diplomatique du gouvernement prussien, tendante à nous faire craindre ces représailles. Messieurs,
il est utile d’examiner une bonne fois le mérite de ces communications et de
ces conseils, attendu qu’ils pourraient faire sur quelques membres de la
chambre une impression qui deviendrait nuisible aux intérêts du pays et qui
nous arrêterait à chaque pas dans les discussions de nos lois commerciales.
Messieurs, à des notes diplomatiques on répond par
des notes diplomatiques. Le ministre des affaires étrangères n’a qu’à prendre
les éléments de ses réponses dans le langage diplomatique de la Prusse même.
L’Angleterre lui a fait des objections contre ses droits différentiels de
tonnage. La Prusse lui a répondu : Je ne sais que protéger l’emploi de nos
propres capitaux, de notre propre matière première, et notre propre travail.
Or, que faites-vous dans votre propre législation ? Vous faites exactement la
même chose. Toute votre législation commerciale et maritime est basée sur le
même principe.
« Votre législation impose des droits énormes
sur les grains étrangers. Ces droits nuisent beaucoup à l’agriculture de la
Prusse. Mais enfin vous imposez ces droits dans l’intérêt, dites-vous, de votre
propre agriculture. Nous ne vous contestons pas le droit d’en agir ainsi. Mais
alors, soyez assez justes de nous reconnaître le même droit ; soyez assez
impartiaux pour nous permettre de faire ce que vous faites vous-même, ; car nos lois à nous deux sont fondées sur la même
base, sur le principe protecteur des intérêts de nos pays respectifs. Nous
ferons plus encore. Nous imposerons aussi des droits plus élevés sur les
produits anglais que vous nous vendez, à mesure que nous parviendrons à les
fabriquer nous-mêmes pour les besoins de notre propre consommation. Ce ne sont
pas des mesures de représailles que nous prendrons envers vous, mais de simples
mesures protectrices de notre propre industrie, parfaitement semblables à
celles que vous croyez devoir prendre vous-mêmes. »
Le ministre anglais, M. Huskisson,
qui nous a révélé ces faits dans le mémorable discours qu’il a prononcé, en
1824, au parlement d’Angleterre, a ajouté que le langage de la Prusse étant
parfaitement juste, et qu’il n’avait rien à y redire.
Je demanderai maintenant ce que la Prusse aurait à
objecter si, par l’intermédiaire de notre ministre des affaires étrangères,
nous lui répondions par les propres termes de son langage ; si nous lui
faisions observer que nous ne prenons pas des mesures hostiles envers elle,
mais seulement des mesures protectrices de notre propre commerce, de notre
propre industrie, des mesures basées sur les intérêts de notre pays ; enfin des
mesures telles qu’elle prend elle-même dans ses propres intérêts ? M. le
ministre des affaires étrangères pourrait ajouter que nous sommes forcés de
comprendre dans la loi les frontières prussiennes, afin d’éviter que le bétail
hollandais ne nous soit importé par ses frontières. C’est une des raisons pour
lesquelles la France élève ses barrières contre nous ; elle craint que les
marchandises anglaises ne lui arrivent par nos frontières.
J’entre maintenant dans le fond de la question.
Toutes les fois que nous discutons une question
commerciale, la chambre se divise en deux camps. Cette division n’est pas
propre à nos débats ; elle s’établit aujourd’hui dans tous les parlements
européens. La présomption favorable est du côté de ceux qui, dans notre
chambre, soutiennent le système protecteur.
C’est un fait incontestable que les grandes
majorités de tous les parlements de l’Europe, de concert avec leurs
gouvernements respectifs, soutiennent ce système. C’est aussi celui des
gouvernements absolus. Il serait dangereux pour la Belgique qu’elle s’isolât,
ou qu’elle prétendît être plus sage que toutes les autres nations. Mais enfin
les deux camps sont là.
Dans le premier se trouvent ceux qui défendent le
système d’une liberté commerciale plus ou moins étendue. Ils se fondent sur les
intérêts du consommateur et, par conséquent, aussi sur les intérêts de
l’industrie en tant que le prix des premiers besoins de la vie influe sur le prix de la main-d’œuvre. Ils défendent aussi,
disent-ils, le haut commerce du pays. Les intérêts des commissionnaires du
commerce étranger et ceux des localités maritimes s’y trouvent confondus.
L’autre camp est occupé par ceux qui fondent les intérêts du pays sur l’emploi
de ses propres capitaux, de ses propres bras et de sa propre matière première.
Je ne parlerai pas d’un troisième camp. Il n’existe
que nominalement. Quelques-uns, sans principes fixes, se jettent tantôt dans
l’un, tantôt dans l’autre. D’autres, sentant l’exagération de leurs principes
de liberté commerciale, et convaincus que leurs théories n’ont aucun retentissement
dans le pays, déclarent quelquefois qu’eux aussi ils veulent des droits, mais
des droits modérés. L’un d’eux nous a dit hier d’une manière positive qu’il
voulait le statu quo, le maintien du tarif actuel. Mais un autre, dans des
circonstances semblables, nous a déguisé plus mal
encore la pensée de ce parti. Il nous a dit qu’il serait dans les intérêts de
la Belgique qu’elle devînt un bazar général où les marchandises étrangères
viendraient dans tous leurs assortiments s’exposer à la vente des consommateurs
indigènes et étrangers. Ceux-là appartiennent au premier camp. Ce n’est
qu’effrayés de leurs propres exagérations et sentant le poids de leur
isolement, qu’ils ont quelquefois l’air de se rapprocher de quelques pas du
camp de leurs adversaires.
Mes antécédents parlementaires ont déjà
suffisamment prouvé que je suis du nombre qui défend le système protecteur de
notre propre commerce et de notre propre industrie. Je ne vois de salut pour la
Belgique que dans l’emploi de ses capitaux, de ses bras et de ses matières
premières.
Remarquez que pour moi ce principe reste debout,
soit que la législation commerciale d’une ou de plusieurs nations étrangères
change ou non à notre égard.
Si d’autres nations font tomber à notre égard leurs
barrières commerciales et industrielles, je m’associerai à ceux qui feront des
efforts pour faire tomber les nôtres à l’égard de ces nations. Je ne ferais que
suivre alors le même principe. Je croirais qu’alors la liberté réciproque dans
les échanges commerciaux ne serait que l’application directe du principe qui
fait consister la prospérité, l’aisance, le bonheur et la tranquillité
intérieure du pays dans l’usage de ses capitaux, dans l’emploi de sa propre
matière première et dans son propre travail. Si alors la concurrence s’établit,
alors aussi le marché pour notre industrie s’agrandit, et les désavantages sont
largement compensés par les avantages.
Vous n’attendez pas de moi, messieurs, que je
réfute sérieusement les objections puisées dans les intérêts du haut commerce.
Aussi, pour la première fois, elles n’ont pas été
sérieusement présentées. Il semble que nos adversaires commencent à comprendre
que, dans tous les pays, les intérêts de ce commerce doivent être combinés avec
les intérêts du pays tout entier, et que, sous ce dernier rapport, il lui reste
encore un assez grand cercle d’opérations commerciales.
Il peut, dans ses intérêts, exporter nos propres
produits et nous importer les marchandises et les denrées que nous ne
produisons pas. Ce sont là tout à la fois ses intérêts et ses devoirs sociaux.
S’il se livre à toute autre spéculation, il ne peut être que nuisible au pays.
Vous exigerez moins encore de moi que je prenne en
considération sérieuse les arguments puisés dans les intérêts des commissaires
du commerce et de l’industrie étrangers, et des localités maritimes. Je conçois
que, par un système de liberté commerciale, ces commissaires et même toute la
ville d’Anvers doit prospérer. Mais la prospérité de quelques individus et même
toute une ville n’est pas celle du pays tout entier. Un tout ne se forme que de
toutes ses parties.
La question tout entière se concentre donc dans les
intérêts des consommateurs, intérêts qui aussi se réfléchissent sur le prix de la
main-d’œuvre, et qui, d’après nos adversaires, seraient opposés aux intérêts
des producteurs de bétail. C’est donc là où je prends la question qui nous
divise.
Dans l’espèce, les intérêts des consommateurs de
viande et par suite ceux des industriels ne pourraient être lésés que par deux
causes. En premier lieu, par le monopole des bouchers ; ensuite, lorsque le
bétail manquerait aux besoins de la consommation.
Non seulement ce monopole est à craindre, mais il
est impossible. Cette impossibilité est démontrée par des faits constants.
Toutes les fois que, dans un pays, une industrie
est entre les mains d’un grand nombre d’individus, ou largement disséminée, ce
n’est pas le monopole qui s’établit, c’est au contraire la concurrence.
C’est là la tendance naturelle de ces industries.
Or, telle est celle des bouchers. Dans la supposition gratuite que ce monopole
puisse s’établir, soit dans quelques petits villages, soit momentanément dans
les grandes villes, je dirai que les lois ne se fondent pas sur des faits exceptionnels,
ni sur des éventualités passagères, mais sur les faits généraux et sur l’état
normal et ordinaire des choses.
Quant à la possibilité d’insuffisance de bétail à
la consommation intérieure, je répondrai que c’est encore, dans notre pays,
argumenter de cas rares et exceptionnels, et que c’est vouloir fonder les lois
sur ces cas.
Il n’est personne chez nous, qui connaisse
l’histoire de cette industrie, qui ne sache qu’à part les cas d’épidémie, non
seulement les bestiaux n’ont jamais manqué aux besoins de la consommation
intérieure, mais que même nous en avons exporté chaque année en grande
quantité. C’est donc raisonner contre des faits constamment posés pour se
retrancher derrière des éventualités que tous les antécédents du pays
repoussent.
Je tâcherai maintenant de prouver que l’intérêt du
consommateur est dans l’adoption même de la loi. Notre législation sur les
distilleries n’a pas pour but de produire une grande quantité de genièvre. Si
c’était là son objet, elle serait contraire aux intérêts du pays. Elle ne
tendrait qu’à démoraliser la classe ouvrière et à nuire au bon ordre du pays.
Cette loi a eu pour but principal une production plus considérable de bétail,
et, au moyen de ses engrais, une plus grande fertilité de nos terres, une
augmentation plus considérable de nos produits agricoles. Or, si vous adoptez
la loi, les distillateurs, dont le nombre a été considérablement agrandi par la
loi, élèveront un nombre plus considérable de bestiaux, qui, de leur côté, par
l’engrais qu’ils fournissent à l’agriculture, font augmenter de beaucoup nos
produits agricoles.
Il y aura donc non seulement une production plus
grande de bétail, mais même une influence plus grande des premiers besoins de
la vie que nous fournit l’agriculture. De tout temps les distilleries ont
produit cet effet dans notre pays. La conséquence naturelle en est que ces
causes feront non seulement baisser le prix de la viande ; elles feront aussi
baisser le prix des autres premiers besoins de la vie animale. C’est encore un
fait constamment reproduit. Là où il y a sur le marché abondance de
marchandises, là aussi leur prix descend dans les intérêts de leurs
consommateurs.
Je passe à quelques objections particulières.
L’honorable député de Turnhout a cité des chiffres.
Je vais examiner leur mérite. Plus d’une fois j’ai dit dans nos débats que les
chiffres ne prouvent rien alors qu’ils ne représentent pas exactement les faits
qui les ont produits, ou lorsque les arguments qu’on prétend en tirer ne sont
pas fondés sur une appréciation juste de ces faits, ou lorsque les effets que
fait ressortir de ces chiffres n’ont pas été rattachés, avec précision, à leurs
causes. L’honorable députe nous a dit : Voyez quelle énorme quantité de bétail
existe dans la Belgique. Mon chiffre est pris dans l’annuaire de Bruxelles.
Comparez cette énorme quantité à celle qui nous est
fournie par la Hollande, et voyez s’il vaut bien la peine d’en parler. Mais le
chiffre qui devait servir de point de comparaison ne devait pas être celui du
bétail qui existe en Belgique, mais celui qui, chaque année, est propre à être
abattu dans le pays. Il raisonne comme celui qui vous dirait : Nous avons une
population de 4 millions, donc nous pouvons avoir une armée d’autant de
millions de soldats ; tandis que ce chiffre se réduit aux individus qui sont en
état de porter les armes, et qu’encore ce chiffre doit excepter les individus
réclamés, pour les autres besoins du pays.
Il nous donne le chiffre des têtes de bétail
introduites de la Hollande. Mais ce n’est que le chiffre légal ; il ne comprend
pas dans le nombre les têtes de bétail qui ont été introduites en France. Il
n’en tire pas moins ses conclusions.
Il argumente aussi du chiffre des bestiaux que nous
vendons à la France, et il ne voit pas que dans ce chiffre sont nécessairement
compris les bestiaux que nos commerçants avec la France vont acheter en
Hollande.
Il ne voit pas non plus qu’alors que ces chiffres
seraient vrais et que les conclusions qu’il en tire seraient fondées, il
raisonne contre lui-même ; car, dans ce cas, nous n’avons pas à craindre de
disette de viande sur nos marchés.
L’honorable député d’Anvers tombe dans les mêmes
erreurs. Ses calculs ne sont pas plus concluants. Il établit une balance entre
les importations de bétail de la Hollande en Belgique et les exportations de
bétail de la Belgique en France. Selon son calcul, cette balance nous était
favorable en 1831 et en 1832, et défavorable en 1833 et en 1834. Il prend
ensuite un terme moyen dans ces quatre années, et il résulte, selon lui, que la
balance nous reste encore favorable. Mais il n’entre pas dans les causes qui
ont produit ce résultat. Ce sont encore des causes éventuelles, passagères,
exceptionnelles, qu’il voudrait nous faire prendre comme bases de notre loi, en
dépit de l’état normal et régulier des faits. En 1831 et 1832, le gouvernement
hollandais défendait la sortie du bétail en destination pour la Belgique, et
les fournisseurs de l’armée hollandaise trouvaient qu’en raison de la proximité
de cette armée aux frontières belgiques, il leur était
plus avantageux de lui livrer du bétail belge.
Ces deux causes ont disparu en 1833 et 34, et
l’ordre normal a pris son empire ; la balance, pendant ces dernières années,
nous est devenue défavorable dans une proportion considérable, et c’est cette
balance que M. Smits voudrait voir continuer ! Vous voyez, messieurs, quelle
est la puissance des chiffres lorsque les faits qui les représentent sont mal
appréciés, ou lorsque les effets chiffrés ne sont pas justement rattachés à
leurs causes. Encore une fois, ce ne sont pas les chiffres, ni les documents
statistiques, quelque exacts qu’ils soient, qu’il faut consulter ; mais les
faits et les faits justement appréciés.
Le même honorable membre se trompe encore lorsque
pour prouver que de notre agriculture est satisfaisant et n’a pas besoin de
l’encouragement de la loi en discussion, il nous donne les prix plus élevés des
pommes de terres et de l’huile. Le premier de ces prix est dû à la mauvaise
récolte des pommes de terre. La seule mauvaise récolte qui ait eu lieu depuis
environ vingt ans. L’autre prix est l’effet du monopole et de l’agiotage.
J’adopterai, messieurs, le principe de la loi.
Quant à ses moyens d’exécution, je dois les vouloir exempts de vexations
inutiles, mais efficaces. Je m’attacherai donc à ceux que la discussion nous
présentera avec la double qualité de leur efficacité et leur opportunité.
M. Smits. - J’en ai
fait la remarque.
M. de Foere. - M.
Smits dit qu’il reconnaît cette vérité. Je dis que c’est seulement de cet état
normal qu’on peut tirer des conséquences, état normal qui a commencé en 1833 et
34, lorsqu’a été abolie la loi hollandaise par laquelle le roi Guillaume
défendait l’introduction du bétail hollandais en Belgique.
Il ne suffit pas de
présenter des documents, quelque exacts qu’on puisse les supposer ; toute la
question est dans la juste appréciation de ces documents. Il faut, pour bien
faire cette appréciation, rattacher les effets à leurs causes. Il faut ne
prendre pour base qu’un état normal et non un état exceptionnel, parce que
jamais on ne peut tirer des conséquences générales de faits particuliers. C’est
par la même raison que le député d’Anvers s’est trompé quand il a cité quelques
faits qui prouveraient que l’agriculture en Belgique est aujourd’hui dans un
état prospère. Il a argumenté du prix élevé de quelques produits agricoles. Ces
prix sont dus à des circonstances fortuites ; ce sont des cas exceptionnels. Le
prix des pommes de terre est élevé, mais c’est la deuxième fois en 29 ans que
ce légume manque. Je demande s’il est possible de baser un raisonnement sur de
pareils faits.
Il vous a parlé aussi du prix des huiles ; mais il
aurait dû détruire ce qu’on avait déjà dit que l’élévation des prix venait des
achats faits dans ce but par une société qui possède de grands capitaux.
De sorte, messieurs, que tous ces cas particuliers,
que toutes ces exceptions ne peuvent jamais conduire à un résultat législatif.
J’ai dit.
M. F. de Mérode.
- Chaque fois qu’il s’agit d’établir des mesures protectrices de l’industrie ou
de l’agriculture belge, on cherche à épouvanter la chambre à l’égard des
vexations que vont subir ceux qui doivent se trouver soumis à certaines
formalités de visite ou autres analogues. On dirait, messieurs, que chez nous
on est incapable de supporter la moindre gêne dans l’intérêt public. J’habite
souvent la première ligne des frontières françaises, où le régime douanier est
assez sévère, et je ne vois pas que les obligations que l’on impose au
cultivateur le rendent malheureux. Ces obligations l’enrichissent au contraire,
parce qu’elles lui procurent le débit de son bétail, qu’il ne vendrait pas
aussi facilement si la contrebande se plaçait sans difficulté grave en
concurrence avec lui sur le marché intérieur.
Voulez-vous donner de l’aisance à vos campagnes,
assurez au moins ce marché à leurs habitants. Un de nos collègues M.
d’Hoffschmidt, presse le gouvernement de conclure des traités de commerce avec
les gouvernements étrangers. Ces traités, je les désire assurément. Mais la
Belgique n’a pas le pouvoir de les dicter, tandis qu’elle est maîtresse de
régler ses propres affaires et de se réserver le débit qui se fait chez
elle-même.
J’appuie aussi, très instamment, les réclamations qui
ont été adressées par des préopinants contre l’élévation des octrois et le
paiement exclusif par tête de bétail.
Nous avons des provinces qui n’élèvent que des
animaux de petite taille.
Ces animaux se trouvent ainsi exclus de la
consommation des villes et des campagnes, et demeurent improductifs entre les
mains de ceux qui les possèdent.
C’est en vain que dans le centre des Ardennes les
paysans jouissent d’une liberté illimitée de promener leur bétail dans leurs
campagnes et leurs bruyères ; cette précieuse liberté les laisse pauvres et
dénués, tandis que les cultivateurs français de la frontière soumis au
despotisme de la douane, despotisme si terrible du moins dans le discours de
quelques préopinants, vendent leurs bœufs et leurs moutons avantageusement ;
ils se procurent de l’argent, argent qui vaut mieux, quoi qu’il en dise, que
des produits agricoles ou industriels venus de l’étranger quand les mêmes
produits sont déjà surabondants, parce que les écus offrent un moyen d’échange
infaillible et jamais refusé, et que les autres substances brutes ou fabriqués
sont loin de posséder le même privilège. La logique et les raisonnements ont
sans doute beaucoup de vérité, mais à l’égard des intérêts matériels les faits
me paraissent toujours préférables. La loi sur les céréales, d’après les
argumentations de ses adversaires, ne devait produire aucun bien ; cependant,
le prix de blé s’est mieux maintenu en Belgique que si cette loi n’eût pas
existé ; car le blé est actuellement à plus vil prix dans les provinces du nord
de la France qu’en Belgique ; il en sera de même de la loi sur le bétail
étranger. Car la sortie de plusieurs millions n’est pas indifférente, et il me
suffirait de savoir que la Hollande fournit la moitié de la consommation de la
capitale, de la consommation d’une ville de cent mille habitants, pour que
j’adoptasse des mesures qui tendraient à rendre ce débit aux cultivateurs
belges.
Les économistes citadins qui font de l’agriculture
de cabinet avec des livres, oublient que lorsqu’il y a surabondance de
produits, la moindre introduction de produits similaires étrangers occasionne
des baisses très fortes, parce que la diminution du prix de l’objet n’est pas
en raison simple de cette surabondance, mais en raison double et triple ; ayez,
dans une année de bonne récolte, un dixième de blé de plus qu’il n’en faut pour
la consommation de nos marchés, ce n’est pas une diminution du dixième qui
affectera le prix des céréales, mais une diminution du quart ou du cinquième au
moins. Il en sera de même en cas de mauvaise récolte, un vingtième de déficit
sur les besoins annuels produira une hausse du quart et quelquefois du tiers de
la valeur.
C’est ce que comprenaient fort bien nos pères qui,
sous l’ancien régime, ne permettaient pas en tout temps la libre entrée et
sortie des grains.
Au surplus, messieurs, je dois rendre justice à M.
Rogier, il n’est point partial, et ses théories ne ménagent pas plus dans
l’occasion les consommateurs que les producteurs. En 1830, à l’époque de la
révolution, les céréales étaient chères. Il devenait essentiel de prohiber leur
sortie, et malgré toutes les difficultés du moment, M. Rogier était tellement
dominé par les principes absolus de la liberté du commerce, qu’il s’opposa à
cette mesure protectrice du consommateur souffrant, et n’y consentit enfin
qu’avec une répugnance vaincue par la force et l’accord des opinions contraires
à la sienne. J’ajouterai à mes observations que d’après les plaintes qui se
font entendre sur la fraude, il entre peut-être par cette voie la même quantité
de bétail que celle qui a été déclarée à la douane.
Dès lors ce ne serait plus cinq mille têtes
introduites en Belgique, mais neuf ou dix mille ; et si les précautions prises
envers la contrebande sont à l’eau de rose, si vous ne voulez pas admettre les
acquits à caution et autres moyens usités en France, mieux vaut laisser les
choses dans le statu quo.
Je déclare au surplus que je ne me prononce pour la
loi proposée par aucun esprit d’hostilité contre la Hollande, mais uniquement
parce que nous avons un superflu de bétail qu’il ne faut pas augmenter. Que la
Hollande nous envoie des fromages en concurrence avec la Suisse, peu m’importe
qu’elle nous expédie encore d’autres objets dont la Belgique n’est pas
abondamment pourvue : je serai loin de m’y opposer ; car je ne désire nullement
imiter le roi Guillaume, qui arrête en Hollande l’introduction de certains
produits belges que la Hollande ne fournit pas, et cela par des motifs
d’étroite vengeance qui ne doivent jamais diriger notre conduite.
Plusieurs
membres. - A demain ! à demain !
D’autres
membres. - La clôture ! la
clôture !
M. Lardinois. -
Nous ne sommes plus en nombre !
M. le président. -
On va procéder à l’appel nominal pour voter sur la clôture : cet appel nominal
constatera en même temps si nous sommes en nombre.
- On procède à l’appel nominal, et la clôture est
prononcée à l’unanimité des soixante membres présents.
- La séance est levée un peu avant cinq heures.