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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du lundi 8 février 1836
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2) Projet
de loi portant organisation des communes. Discussion générale. Mode de
nomination ou de désignation du bourgmestre et/ou des échevins, attributions
((+critique de la centralisation) (Dubus, F. de Mérode, Dubus, (+pouvoir
d’influence lors des élections nationales) de Theux, Dubus, Seron, Pollénus)
(Moniteur
belge n°40, du 9 février 1836 et Moniteur belge n°41, du 10 février 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur
belge n°40, du 9 février 1836) M. Schaetzen fait
l’appel nominal à une heure.
Il donne ensuite lecture du procès-verbal de la
séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
Il donne encore lecture un message du sénat, qui
annonce l’adoption de la loi relative à l’augmentation du personnel de la cour
de Bruxelles, et d’une lettre de M. de Renesse demandant un congé.
- Le congé est accordé.
Il présente l’analyse des pièces adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« Des habitants des communes de Cors-Waremme, Corthès, Frésin, Montenaecken et Niel, canton de St-Trond, se plaignent du
règlement adopté par les états du Limbourg, en ce qu’il porte que les seuls
habitants sont chargés, dans leurs communes respectives, de la réparation des
chemins vicinaux. »
_______________
« Le sieur E. Mallet, fermier à Rumes
(Hainaut), né en France et habitant
_______________
- Cette dernière pétition est renvoyée à M. le
ministre de la justice, l’autre est renvoyée à la commission des pétitions.
PROJET DE LOI PORTANT
ORGANISATION DES COMMUNES
Discussion générale
M. le président. -
la parole est à M. Dubus.
M. Dubus. - Messieurs,
ainsi, que je l’ai dit dans une séance précédente, mon opinion est connue sur
les questions qui s’agitent dans cette enceinte. Puisque j’ai déjà eu
l’occasion de la manifester antérieurement, mon honorable ami ayant développé
les principes auxquels je m’attache dans cette discussion, j’aurais pu me
dispenser de prendre la parole. J’ai cru cependant qu’il était de mon devoir de
parler encore ; et ce devoir, quelque pénible qu’il soit, je le remplis.
Ce n’est pas sans émotion, messieurs, que j’aborde
cette discussion, quand je fais la comparaison des principes que l’on développe
aujourd’hui, des attaques que l’on dirige aujourd’hui contre les libertés qui
ont été données au peuple avec les principes qui étaient professés il n’y a pas
plus de cinq ans dans l’assemblée des représentants de la nation. Et cette
comparaison, il m’est impossible de la faire de sang-froid.
Alors, messieurs, on voulait que toute liberté
donnée au peuple fût une vérité. Maintenant ne pouvant retirer directement ces
libertés, on emploie des moyens plus astucieux, plus sophistiqués les uns que
les autres, pour que chaque liberté devienne un mensonge.
On dit cependant qu’on veut s’entendre, ce sont des
paroles de conciliation que l’on profère, mais une chose me frappe, c’est que plusieurs
orateurs ont pris la parole, et de ces orateurs, l’un ne veut pas de liberté
communale, l’autre en veut ; et l’un comme l’autre vous présentent la même
conclusion. Quelle conséquence devez-vous tirer de là ? Très assurément, l’un
des deux orateurs est dupe, l’un des deux seulement pourra atteindre le but
qu’il se propose ; car entre celui qui ne veut pas de la liberté communale et
celui qui la veut, la liberté tout entière fait la différence ; et cependant
tous deux vous présentent la même conclusion.
Je rappellerai d’abord l’opinion d’un orateur que
vous avez entendu à la fin de la séance de vendredi dernier. Cet orateur a
parlé en faveur du projet du gouvernement ; mais il ne l’adoptait que comme un
pis-aller. Il préférait le premier vote de la chambre, qu’on vous présente
maintenant comme un moyen de conciliation, comme une sorte de concession que
l’on sollicite le ministre de vouloir bien accorder. Cet orateur qui préfère le
premier vote de la chambre, s’est-il montré favorable à la liberté communale ?
Messieurs, je dois reconnaître qu’il y a eu beaucoup de franchise dans le
développement de son opinion, il a dit qu’il n’en voulait pas, qu’il ne la
comprenait pas ; sous un régime constitutionnel, a-t-il dit, je ne sais pas ce
que cela veut dire : liberté individuelle, indépendance nationale, voilà les
deux seules libertés que je reconnais ; voilà ce qui suffit au peuple suivant
cet honorable membre. Il ne regrettait qu’une chose dans le premier vote de la
chambre, c’est qu’elle eût rejeté, et elle ne l’a fait à une immense majorité,
c’est, dis-je, qu’elle eût rejeté le droit de dissoudre le conseil communal.
Accordez-lui ce droit de dissolution, il sera satisfait. Je le crois bien, car
alors la liberté communale sera bien morte.
Il veut, cet orateur, concentrer toute
l’administration dans les mains du gouvernement ; selon lui, c’est concentrer
ses forces. Selon lui encore, donner au peuple une véritable liberté communale,
c’est rétrograder de plusieurs siècles, c’est tuer l’amour de la patrie !
Un autre orateur vous avait proposé de revenir vers
le premier vote de la chambre ; il vous présentait ce système d’organisation
comme un moyen de concilier des opinions opposées. Et celui-là, dans ses
discours ultérieurs, s’était montré le défenseur de la liberté communale. Je
parle du député d’Ath, de l’honorable M.
Dechamps. Ce serait rétrograder de plusieurs siècles, disait le premier
orateur auquel j’ai fait allusion, que de rétablir aujourd’hui les libertés
communales.
Voici ce que vous disait l’autre : Ce serait
rétrograder que de les restreindre ces vieilles libertés qui forment pour ainsi
dire l’air que nous respirons. Le premier orateur dont j’ai parlé, avait dit
que favoriser le développement de la liberté communale, c’était tuer l’amour de
la patrie. L’autre vous a dit que sacrifier ces libertés à une centralisation
administrative, ce serait refouler, concentrer au cœur le sang qui doit
circuler dans toutes les veines du corps social, ce serait tuer la nation.
Ainsi selon l’un de ces orateurs, si vous
donner la liberté communale au peuple, vous tuez la nation. Suivant l’autre, si
vous la lui ôtez, vous tuez aussi la nation. Comment se fait-il que ces deux
orateurs soient d’accord pour organiser la commune ? Evidemment l’un des deux
sera dupe.
Mais un troisième orateur se présente et vous
propose le même moyen de conciliation. Celui-là, en habile diplomate, ne dit
pas ce qu’il pense de la liberté communale, ou au moins il ne le dit plus ; il
dit seulement qu’en revenant à cette combinaison, il sacrifie quelque chose de
son opinion. Quand je recours au précédent discours de cet orateur, j’y trouve
les principes qui ont été développés par le premier orateur auquel j’ai fait
allusion, par celui qui ne veut pas de la liberté communale. Lorsque je combine
tout cela, il m’est déjà facile de reconnaître lequel des trois orateurs
manquera son but. C’est la liberté communale qui succombera.
Je dois m’élever, messieurs, contre cette doctrine
du pouvoir fort, comme on l’appelle, ou de la centralisation, doctrine avec
laquelle on prétend que la liberté communale est incompatible, et suivant
laquelle il faudrait réduire le peuple à deux libertés : la liberté
individuelle et l’indépendance nationale.
On a prétendu que parce que les formes du gouvernement
central sont libéralement organisées, il faut tout sacrifier au pouvoir central
et restreinte la liberté des principes et la liberté des communes.
Mais, messieurs, c’est là un principe absolument
faux. C’est le contraire qu’il faut dire. Il faut dire que l’on doit organiser
la province et la commune avec des formes analogues à celles du gouvernement
central.
C’est ce qui a été reconnu par les meilleurs
publicistes. C’est ce principe qui était invoqué par les publicistes français,
alors que la commune et la province étant privées de représentation, la charte
avait cependant organisé le pouvoir central selon les vrais principes du
gouvernement représentatif. M. Henrion de Pansey faisait remarquer à ce sujet que le principe vital
du gouvernement représentatif est que tous les intérêts, ceux des communes et
des départements, comme ceux de la nation elle-même, soient représentés ; que
l’état de choses d’alors était ce qu’il appelle un assemblage bizarre
d’institutions disparates, un système incohérent. Il fallait selon lui mettre
le principe représentatif en action, dans le département et la commune ;
c’était le moyen de faire connaître et aimer les institutions, de faire
pénétrer partout le principe et la vie constitutionnelle.
Un autre publiciste s’exprimait dans le même sens à
la même époque. Libre dans les grandes choses, disait M. de Barante, esclave
dans les petites, il y a là quelque chose de contradictoire et d’absurde qui ne
peut substituer. Il doit arriver de deux choses l’une. L’ordre politique mettra
l’administration en harmonie avec lui, ou le régime administratif parviendra à
fausser et à dénaturer le système de la charte… Tant que l’administration sera
considérée comme un moyen de gouvernement placé entre les mains du ministère,
elle menacera les libertés publiques.
Il n’est donc pas vrai que plus les formes du
gouvernement central sont libérales, moins il faut donner de liberté aux
communes et aux provinces. C’est le principe contraire qu’il faut reconnaître.
D’ailleurs il me paraît que l’orateur auquel je réponds en ce moment a oublié
un point très essentiel. C’est de mettre ses principes en harmonie avec la
constitution. La première chose à faire ici, c’est de rechercher si le pouvoir
constituant a réellement voulu que les formes du gouvernement central, une fois
organisées d’une manière libérale, il n’y eût plus de liberté ni pour la
province ni pour la commune.
Au lieu de cela que trouvez-vous dans notre
constitution ? Vous y voyez que l’on a reconnu l’existence d’un quatrième
pouvoir, le pouvoir provincial et communal ; qu’on y a proclamé que tous les
pouvoirs y émanent de la nation. Donc celui-là est-il compatible avec un
système qui ferait émaner le prétendu pouvoir communal du pouvoir exécutif. Or,
le système de centralisation que je combats tend à ce but, à faire émaner le
pouvoir communal du pouvoir exécutif, à en faire une branche, une délégation du
pouvoir exécutif.
Je vois encore dans la constitution que le Roi
nomme aux emplois d’administration générale. Je vous prie de remarquer cette
qualification, d’emplois d’administration générale, et encore sauf les
exceptions qui seraient prévues par la loi. On n’a pas dit comme dans la charte
française, « aux emplois d’administration publique, » ce qui aurait
pu avoir une plus grande portée ; c’est seulement aux emplois d’administration
générale, ce qui exclut bien les emplois d’administration provinciale et
communale. Ces dispositions paraissent assez explicites, pour faire justice au
système qu’on a préconisé. Mais, messieurs, quand il pourrait y avoir doute sur
ce que la constitution a voulu, nous ne devrions pas hésiter encore.
Que devons-nous nous proposer ? N’est-ce pas le
bonheur de chacun, la liberté de chacun dans la commune ? Je voudrais que l’on
m’expliquât ce qui dans tout notre ordre constitutionnel touche de plus près le
peuple que la liberté communale. Je voudrais qu’on m’expliquât spécialement
comment cette forme représentative du gouvernement central peut le toucher de
plus près que la liberté communale. Je dirai plus, je dirai qu’elle lui
deviendrait indifférente, sans la liberté communale. Vous lui donnerez,
dites-vous, la liberté individuelle, et il jouira de l’indépendance nationale.
Mais, messieurs, on peut se satisfaire de cette manière sous le gouvernement le
plus absolu, dès que ce gouvernement veut bien renoncer aux lettres de cachet.
Moyennant cela, le peuple le plus asservi n’aura rien à demander, il aura la
liberté individuelle et l’indépendance nationale. Mais cette liberté
individuelle empêchera-t-elle que la tyrannie d’agents prétendus communaux,
mais imposés de force aux communes, ne puisse devenir insupportable au peuple ?
Est-ce que cette tyrannie lui deviendra indifférente, parce qu’il a la liberté
individuelle et l’indépendance nationale ? A-t-on oublié les abus du
gouvernement précédent ? Si ces abus se reproduisent, quel sera le moyen de
répression ? On les dénoncera, direz-vous ; mais, messieurs, osera-t-on les
dénoncer ? Un bourgmestre n’a-t-il pas beaucoup de moyens de marquer son
ressentiment à ceux qui oseraient l’accuser ? Ne croyez-pas que beaucoup d’abus
seront ignorés par cette raison-là même ? Mais ensuite, à qui dénoncera-t-on
ces abus ? à la représentation nationale ? La
représentation nationale peut-elle entrer dans le détail de ces sortes d’abus
particuliers ?
Je vous rappellerai, messieurs, ce qui vous a été
dit dès les premières discussions sur l’organisation communale, par un
honorable député des Flandres qui, malheureusement, ne siège plus dans cette
enceinte, qui a renoncé à son mandat, l’honorable M. Angillis. Il a rappelé
que, sous le gouvernement déchu, des propriétaires avaient le crédit de se
faire nommer bourgmestres de communes situées à plusieurs lieues de leur
domicile et de faire nommer en même temps échevins leurs créatures.
Croyez-vous qu’il suffise d’aller dire aux
habitants d’une commune ainsi tyrannisée par les valets d’un étranger :
Consolez-vous ; vous avez la liberté individuelle ? A ces habitants leur
direz-vous qu’ils jouissent aussi de ces autres grandes libertés qu’un honorable
ministre d’Etat appelait de la monnaie d’or, tandis que selon lui, les libertés
communales (et en cela il paraît partager l’avis du député auquel je réponds),
tandis que les libertés communales n’étaient que de la monnaie de billon, dans
laquelle il entre plus de cuivre que d’argent.
M. F. de Mérode.
- Je n’ai pas dit cela.
M. Vergauwen. -
C’est ce que vous avez dit.
M. F. de Mérode.
- je n’ai pas dit cela. On dénature mes paroles. On l’a fait en rappelant ce
que j’ai dit sur la mouture, et on le fait encore.
M. Dubus. - Je
crois que je me suis exprimé d’une manière très parlementaire. Il est vrai que
ce que je viens de dire s’applique à l’honorable membre qui m’interrompt, mais
je ne l’avais pas nommé. J’ai rappelé ses paroles, je crois, textuellement et
au besoin, je mettrais le texte sous les yeux de l’assemblée, si elle avait
oublié cette comparaison mémorable de l’honorable membre qui en a fait
plusieurs autres dans cette enceinte.
Mais, messieurs, ces habitants auront peu de souci
de ces grandes libertés, privés qu’ils seront de celles qui les touchent de
plus près. Avant tout on veut être heureux chez soi, on veut être heureux dans
sa commune, avant de porter intérêt aux affaires publiques, avant de s’attacher
à cette grande liberté, l’indépendance nationale.
Celui qui est malheureux dans sa commune a peu de souci, même de l’indépendance nationale. Je
conviens que ces autres grandes libertés, dans un pareil état de choses,
doivent toucher l’homme puissant et riche qui, par sa positon sociale, trouve
moyen de se faire ménager dans sa commune et de s’y faire respecter. A cet
homme puissant et riche, la liberté communale n’offre guère une garantie de
plus ; je crois même qu’une loi liberticide en cette matière, pourrait lui
donner un moyen de plus de domination.
Mais ce n’est pas la situation de cet homme riche
et puissant qui doit vous préoccuper principalement ; c’est la liberté, c’est
le bonheur du peuple.
Messieurs, nous avons un grand exemple devant nous.
Un gouvernement est tombé qui avait soulevé contre
lui un peuple presque tout entier. Est-ce que les attaques portées par les
arrêtés de Guillaume à la liberté communale ne comptaient pas dans les griefs
du peuple ? Je crois, en effet, que dans la séance de samedi, l’honorable
orateur qui a parlé le dernier, a dit qu’on n’avait pas ajouté ce grief à la
liste déjà trop longue des griefs. Cependant, je crois qu’il est bien constant
que c’était un grief et un grief auquel on attachait la plus grande importance.
Si je veux seulement recourir à un acte semi-officiel que le gouvernement du
régent a fait publier au mois de juin 1831, pour tenir lieu du manifeste que le
congrès avait voulu faire et qui n’avait pas été rédigé, à la lettre de la
révolution ; je lis comme l’un des griefs que tout le peuple reproche au roi
Guillaume qu’il a usurpé la nomination des magistratures urbaines.
Nous lisons le même grief dans un autre document,
qui a la même origine, dit-on, dans la lettre à lord Aberdeen, publiée par
ordre du gouvernement.
Ainsi, nous disions à l’Europe tout entière, que
l’un de nos griefs contre Guillaume, c’est qu’il s’était emparé de la
nomination des magistratures urbaines. Nous disions cela encore au mois de juin
1831, et maintenant, par voie de conciliation, nous-mêmes allons abandonner au
gouvernement la nomination des magistratures urbaines.
Il semble qu’il y ait des motifs pressants pour
dépouiller le peuple de la liberté communale, ou si j’en crois les exagérations
de certains personnes, pour l’en débarrasser. Car il paraîtrait que le peuple
n’y tient pas.
Mais ces motifs, ces raisons pressantes, je
voudrais qu’on les exposât ; je voudrais qu’on nous fît voir qu’il y a des abus
auxquels nous ne pourrions, par l’organisation que nous proposons, porter un
remède suffisant ; je voudrais qu’on démontrât que le gouvernement n’aura pas
une action suffisante sur les hommes et sur les actes de l’administration
communale, s’il n’a en même temps la nomination des administrateurs. Cette
démonstration, on ne l’entreprendra pas. On veut faire tourner contre le peuple
belge son amour même contre les libertés publiques ; et lorsque nous opposons
aux ennemis de la liberté communale ce qui existe en Angleterre, quand nous
leur disons que cette liberté on l’a donnée à
On vous dit qu’il faut donner en France plus de
liberté aux communes, parce qu’il y a torpeur aux extrémités, tandis qu’en
Belgique, il y a excès de vitalité. Je crois que c’est là une double
exagération, Mais en la prenant telle qu’elle est, qu’en résulte-t-il ? que la vie constitutionnelle en Belgique a pénétré jusqu’aux
extrémités que le peuple belge est fait pour la liberté constitutionnelle. Je
ne sais par quelle inconséquence on prétendrait que pour cela même qu’il est
plus attaché à la liberté, il faudrait l’en dépouiller ; qu’il faut restreindre
une liberté précisément parce qu’il en fait usage, parce qu’il la veut, parce
qu’elle est dans ses mœurs.
Le même orateur vous a dit que sa position était
fâcheuse dans le débat actuel, parce que ces mots magiques de libertés
communales, de franchises communales, sont extrêmement chers au peuple belge ;
mais je demanderai pourquoi ces libertés lui sont chères ; n’est-ce pas
précisément parce qu’elles sont entrées dans ses mains, et qu’il y tient plus
qu’à toutes les autres ?
Nous ne devons pas, selon cet orateur, imiter
l’exemple de
Nous ne voyons par cependant que cette liberté ait
eu de mauvais effets en Prusse ; nous ne voyons pas que le gouvernement y ait
eu à regretter d’avoir abandonné au peuple la nomination de ses magistrats
municipaux,
Je disais que la liberté communale était une
institution étrangère à la Prusse ; je me trompe. Il y a une partie du peuple
de
Prenez garde, vous a-t-on dit, de favoriser le
développement de la liberté communale ; c’est concentrer toutes les affections
dans la commune ; c’est tuer l’amour de la patrie : mais, messieurs, par où
tenons-nous à la patrie, comment se forme l’amour de la patrie ? Nous tenons
d’abord à la famille, c’est par la famille que nous tenons à la commune, et
c’est par la commune que nous tenons à l’Etat ; celui qui se dévoue à l’une se
dévoue à l’autre. Rendez un homme indifférent à la famille et à la commune, il
fera peu de chose pour la patrie.
C’est dans ce sens seulement qu’il y a ce que l’on
appelle l’esprit de localité en Belgique ; oui, le Belge est très attaché à sa
patrie, parce qu’il est très attaché à la famille et à la commune ; et il n’y a
pas de peuple qui ait donné plus de preuves d’un esprit éminemment national,
quoiqu’on en ait dit.
Je crois donc que l’on a calomnié
On s’étonne que les intérêts des différentes
parties du royaume, que l’on appelle les intérêts de localité, soient défendus
dans cette enceinte : mais il faut qu’il en soit ainsi ; l’organisation de la
représentation nationale est établie sur ce principe, que tous les intérêts
soient ici représentés et défendus, afin que l’on puisse satisfaire aux besoins
qui paraîtront les plus généraux. C’est là la condition nécessaire du
gouvernement que nous nous sommes donnés.
Sans doute que les députés d’un district feront
valoir dans cette assemblée les intérêts de ce district ; on l’a voulu ainsi
quand on a voulu l’élection directe par district ; mais argumenter de là pour
prétendre que la Belgique ne serait pas attachée à l’unité générale, je le
répète, c’est calomnier la Belgique. J’ai dit qu’elle a donné des preuves, et
des preuves véritables, d’un esprit éminemment national : on a invoqué
l’histoire, je ne citerai qu’un seul exemple historique ; et pour le prendre,
je remonterai jusqu’au moyen âge, temps où l’on prétend que la patrie était
tout entière dans la commune, et il montrera ce que le Belge savait faire pour la
patrie. Souvenez-vous de l’époque où le comte de Flandres était retenu
prisonnier en France : Philippe-le-Bel s’était alors emparé par force des
villes de
Ne s’est-il pas présenté dans les plaines de
Courtray contre une armée formidable, aguerrie ? Cette armée si puissante de
Je crois que cet exemple suffit pour répondre aux
dissertations historiques que l’on a faites dans cette enceinte.
Il est vrai que
Et entre ces provinces, il n’y avait même pas de
lien fédératif, tandis que maintenant toutes les parties du royaume ont un lien
qui les tient dans une véritable unité naturelle. Vous ne devez donc pas douter
de l’esprit patriotique du peuple belge.
Vous voyez, de plus, par l’exemple que j’ai cité,
que le peuple belge était aussi ennemi de la domination de
Je n’adopterai pas le projet du gouvernement.
Toutefois, à la différence des orateurs auxquels j’ai répondu, si je n’avais
qu’à choisir entre le projet du gouvernement et celui du premier vote de la
chambre, auquel on veut revenir, je préférerais le projet du gouvernement. Je
n’adopterai pas le projet du gouvernement, parce qu’il attribue au roi la
nomination du bourgmestre pris soit en dedans, soit en dehors du conseil.
J’avais pensé, lors du premier vote, et telle est
encore mon opinion, qu’il n’y avait pas lieu à retirer au peuple ce que la
révolution lui avait donné. Mais si l’on veut absolument une modification à
l’élection directe des magistrats municipaux, que tout au moins le gouvernement
soit tenu de prendre le bourgmestre dans le sein du conseil.
On vous présente la question sous un rapport
constitutionnel, et vous dit : Puisque le bourgmestre est l’agent du pouvoir
exécutif, il faut qu’il soit nommé par le pouvoir exécutif ; sans cela, a-t-on
ajouté, il n’y aurait pas de responsabilité ministérielle.
A entendre les orateurs qui tiennent ce langage, la
question serait résolue par la constitution. Eh bien,
il y a preuve évidente que le pouvoir constituant n’a pas voulu que l’on pût
considérer comme décidé ce principe : « Puisque le bourgmestre exécute dans
certaines circonstances les lois générales de l’Etat, le pouvoir exécutif doit
avoir la nomination de ce magistrat. Cette thèse a été débattue et décidée au
congrès. »
M. de Stassart avait
proposé un article particulier d’après lequel le bourgmestre serait nommé par
le pouvoir exécutif ; il a persisté jusqu’au bout à soutenir son amendement ;
mais cette disposition a été rejetée après avoir été combattue par M.
Rodenbach. Il résulte de ce vote que le congrès comprenait qu’il était bien
possible que l’on se décidât à conserver au peuple la nomination des
bourgmestres, encore qu’ils fussent chargés de l’exécution de lois de l’Etat
dans la commune. Et en effet, nous voyons que cela ne souffre aucune difficulté
dans d’autres pays, notamment en Angleterre et en France.
Un orateur qui a attaqué le projet du gouvernement
a prétendu que, selon ce projet, les échevins auraient toute la popularité, et
les bourgmestres tout l’odieux de l’exécution des lois.
Cet orateur, si je l’ai bien compris, ne veut pas
de l’élection directe des échevins, afin que le bourgmestre ait plus de
popularité.
Mais il a beau faire, il ne changera pas la nature
des choses. On aurait beau même écrire dans la loi que le bourgmestre nommé par
le pouvoir exécutif est un officier municipal, tout ce qui résultera de là,
c’est qu’on aura écrit dans la loi un mensonge ; le bourgmestre ne sera pas
pour cela un homme de la commune, un officier municipal ; il sera un commissaire
du gouvernement, et rien qu’un commissaire du gouvernement.
Je remarque encore, messieurs, que le projet du
gouvernement place dans les attributions du bourgmestre nommé par le pouvoir
exécutif et pris soit dans le conseil, soit hors du conseil, tout ce qui
appartient à la police communale. Selon moi, rien n’est plus essentiellement
d’intérêt communal, cela est reconnu par la loi de l’assemblée constituante
elle-même, qui considère comme étant dans les attributions propres des pouvoirs
municipaux celle de faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police,
de maintenir la sûreté, la tranquillité, la propreté, la salubrité dans les
communes.
Et remarquez que cette loi fait la distinction
entre les attributions propres au pouvoir communal et les attributions
d’intérêt général que le législateur juge convenable de placer dans les
attributions municipales. Si la police locale est considérée comme étant une
des premières attributions propres au pouvoir municipal, c’est qu’en effet elle
est le but premier et véritable de l’association communale : c’est pour jouir
en commun des avantages d’une bonne police, de la sûreté, de la tranquillité,
de la salubrité que les hommes se sont associés en communes. Dans tous les
temps cela a formé une des attributions particulières du pouvoir municipal. Et
on conçoit en effet que le maintien de la police municipale intéresse de très
près tous les habitants de la commune, et qu’elle n’intéresse que faiblement le
pouvoir central.
Je ferai des observations analogues sur ce qui
concerne l’état-civil ; c’est la constitution elle-même qui l’a placé dans les
attributions communales, et cependant dans le projet du gouvernement, on
attribue tout ce qui est relatif à l’état-civil au bourgmestre nommé par le Roi
et pris par le Roi où il veut, hors ou dans le conseil. Il me paraît donc que
cette partie du projet est en opposition avec la constitution.
Quant à la nomination des échevins, je persiste
plus que jamais dans l’opinion qu’elle appartient à l’élection directe du
peuple, et je pense que quand même la question présenterait du doute, il y
aurait toujours lieu à conserver cette nomination au peuple.
Je pourrais me demander ici si c’est avec sincérité
que le gouvernement nous a proposé le 4 août dernier d’attribuer au peuple
l’élection des échevins : cette proposition a-t-elle rencontré quelque obstacle
dans l’examen des sections ? non ; elles sont unanimes
pour conserver au peuple cette nomination, je crois même qu’en recherchant les
votes individuels dans les sections on en trouverait à peine un ou deux qui
n’auraient pas été favorables à la proposition du gouvernement.... On me dit
qu’il n’y en a qu’un seul.... Voilà donc la proposition accueillie par un vote
unanime. La section centrale vient en outre donner le sien à l’appui. Et c’est
dans de pareilles circonstances que l’on vient vous proposer d’y renoncer et de
prier le ministre de l’intérieur de ne pas insister pour obtenir son article.
Réellement, c’est là quelque chose de très étrange et qu’il serait bien
difficile d’expliquer, s’il ne fallait avoir égard qu’à ce qui s’est passé dans
cette enceinte. Mais on sait qu’il s’est passé quelque chose hors de cette
enceinte. Je pense, moi, que le ministre de l’intérieur n’a jamais sincèrement
voulu que le peuple conservât la nomination des échevins, et que le temps qui
s’est écoulé a été mis à profit pour opérer ce que j’ai appelé des conversions
individuelles. (Bruit.) Quant à moi
je n’invite pas M. le ministre de l’intérieur à modifier cet article, je
l’inviterai au contraire à le maintenir.
M. le ministre
de l'intérieur (M. de Theux). - Il faudrait renverser le projet.
M. Dubus. - Le
ministre dit qu’en le maintenant il faudrait renverser le projet ; je répéterai
ce que j’ai dit en commençant. Si je n’avais pas d’autre alternative, je
préférerais le projet du 4 août 1835 au premier vote de la chambre. Je crois
que ce que l’on nous présente comme moyen de conciliation n’est pas un pas fait
vers la liberté, mais un pas rétrograde ; car il s’agit dans ce système
d’attribuer au gouvernement la nomination de trois membres de l’administration
municipale dans chaque commune, ou la faculté de se créer trois agents, agents
qui ne dépendraient pas seulement du pouvoir central sous le rapport de cette
nomination, mais encore sous d’autres rapports, sous celui notamment des
mesures rigoureuses que l’on a prises dans divers articles de la loi de
soumettre et leurs actes et leurs personnes à l’action incessante du pouvoir
central.
Ainsi voilà 3 hommes dans chaque commune, presque
tous électeurs, agissant tous (on doit le supposer) sous l’influence du
gouvernement et mis en masse à sa disposition. Mettez la main sur la conscience
et dites quel parti un gouvernement qui voudrait dominer les majorités, peut
tirer d’un tel corps pour fausser la représentation nationale en faussant les
élections.
Pour moi, je suis convaincu qu’un pareil système
mettrait en péril toutes les libertés publiques, en menaçant de corrompre à sa source
la représentation nationale. Oui, je suis convaincu que par là tout le système
représentatif serait perdu.
Ces 3 hommes étant placés dans les mains du
gouvernement, il disposera de tous les intérêts communaux, cas il aura toujours
la majorité dans le conseil communal. Il y a les trois cinquièmes des communes
qui n’ont pas 1,000 habitants ; il y a 1,000 communes
qui n’ont pas une plus forte population ; dans ces communes, le conseil
communal n’est composé que de 7 membres. Il y en aura 3 à la disposition du
gouvernement ; croyez-vous qu’ils n’aient pas assez d’influence pour disposer
du suffrage de l’un des quatre autres membres ! ils
auront alors la majorité, et ne l’auront-ils pas toujours quand il y aura un
membre absent ou empêché ? Il est donc évident pour tout le monde qu’avec ce
système le conseil communal sera, dans le plus grand nombre des communes, à la
disposition exclusive du pouvoir central.
Je le répète pour la troisième fois, mieux vaudrait
cent fois le projet actuel du gouvernement.
On s’épouvante de la question des attributions.
Mais j’ai déjà fait remarquer dans une occasion précédente combien l’importance
de cette question s’affaiblissait, lorsqu’on fixe son attention sur la manière
dont a été formulée la disposition relative aux attributions des
bourgmestre et échevins, telle qu’elle a été adoptée au premier vote.
Voici cet article :
« Les bourgmestres et les échevins veillent à
l’exécution immédiate des lois, ordonnances et arrêtés de l’administration
générale, sauf le cas où la loi, l’ordonnance où l’arrêté conféreraient au
bourgmestre seul le son de son exécution. »
Il y a là une règle ; mais je pense aussi une
exception, et même une exception qui, en ce qui concerne les ordonnances et
arrêtés, absorbe la règle, puisque l’exécution de l’ordonnance ou de l’arrêté
d’administration générale sera confiée au collège, ou au bourgmestre seul,
selon qu’il plaira au pouvoir central.
Voilà une première réflexion qui, selon moi,
diminue beaucoup l’importance de la prétendue question.
Maintenant réfléchissons à la partie de l’article
qui dit : « sauf le cas où la loi conférerait au bourgmestre seul le soin
de son exécution. » Eh bien, dans une foule de lois en vigueur et même
dans des lois que vous faites, il est dit que c’est le bourgmestre seul qui est
chargé de leur exécution. Ainsi, dans une loi sur les émeutes, qui a été
présentée, examinée dans les sections et dont le rapport est fait, c’est le
bourgmestre seul qui est chargé de son exécution.
Je pourrais citer nombre de cas prévus dans la loi
communale elle-même où le bourgmestre est chargé de l’exécution. Et c’est pour
conserver cette prétendue communauté d’attributions avec une aussi large
exception, que vous sacrifierez la nomination des échevins ! Réellement je ne
puis le concevoir, car il n’y a pas à hésiter sur ce choix.
D’ailleurs, mon opinion particulière est que vous
n’avez pas en quelque sorte à délibérer sur la nomination des échevins, car
vous ne pouvez vous mettre au-dessus de la constitution. Or, je crois qu’ici la
constitution a parlé et de manière qu’il n’est pas possible d’équivoquer sur la
portée de ce qui y est prescrit. Y eût-il doute, encore devrait-on voter de la
manière qui ne peut, dans l’opinion de personne, violer la constitution. Cela
seul devrait être un motif déterminant.
La constitution n’a permis d’exceptions que pour
les chefs des administrations communales, et (chose étrange) ce mot,
« chefs », dont la signification semble devoir paraître si claire,
est précisément celui sur le sens duquel on ne peut parvenir à s’entendre. Quel
est le chef de l’administration communale ? Ceux qui traitent cette question
dans l’intérêt du pouvoir fort n’ont jamais défini ce qu’ils entendaient par
ces derniers mots.
Et d’abord, je dois ici rencontrer le premier
système qui m’a paru résulter de l’un des discours prononcés dans l’intérêt de
ce même pouvoir fort.
On a prétendu que d’après le premier vote de la
chambre, le bourgmestre ne serait qu’un maire en trois volumes, en trois
personnes, et sans doute on veut insinuer que le chef de l’administration
communale, c’est cet être collectif, ce maire à triple tête.
Je concevrais ce système si l’on venait vous dire
que par le premier vote vous avez constitué un collège de 3 bourgmestres égaux
en rang et en attributions, et que chacun peut exercer la présidence à son
tour. Je verrais alors quelque consistance à l’argument ; mais est-ce là ce que
nous voyons ? Tout au contraire nous remarquons les distinctions les plus
frappantes entre le bourgmestre et les échevins. D’abord pourquoi l’un s’appelle-t-il
bourgmestre et les autres échevins, si réellement ce sont 3 fonctionnaires
tellement homogènes que vous ne puissiez pas distinguer un chef entre eux ? et comment pouvez-vous soutenir qu’il y a nécessité de les
réunir pour former un chef ?
Si ces 3 fonctionnaires ne diffèrent pas les uns
des autres, pourquoi ne sont-ce pas 3 bourgmestres ? Pourquoi y en a-t-il un
qui préside les autres ? Pourquoi chacun de préside-t-il pas les
autres tour à tour ? Pourquoi les attributions du bourgmestre et des échevins
sont-elles distinctes ? Pourquoi le bourgmestre préside-t-il non seulement le
collège, mais encore le conseil ? Pourquoi a-t-il voix prépondérante en cas de
partage ?
Pourquoi lui attribuez-vous, à lui seul, les
fonctions d’officier de l’état-civil ? la signature de
tous les actes ?
Pourquoi lui donnez-vous un traitement plus élevé
qu’aux autres, un traitement tout au moins double, souvent triple et au-delà ?
Pourquoi admettez-vous une exception très large en
sa faveur pour des lois, arrêtés et règlements de l’administration générale,
tellement que lui seul en sera chargé lorsque la loi les portera, ou chaque
fois que le voudra ainsi le pouvoir exécutif ?
Pourquoi lui attribuez-vous le pouvoir de déléguer
l’échevin qui doit le remplacer, lorsqu’il est empêché dans ses fonctions ?
Pourquoi lui donnez-vous la faculté de donner des
instructions spéciales au secrétaire, indépendamment de celles que le
secrétaire reçoit du conseil et du collège ? Pourquoi dites-vous que le
secrétaire sera tenu de s’y conformer ?
Pourquoi reçoit-il le serment des échevins, et
a-t-il la prérogative de révoquer le conseil quand il le juge à propos ?
Pourquoi est-ce lui qui a la police de l’assemblée
? Pourquoi est-il seul exempté du service de la garde civique par la loi du congrès
? c’est qu’évidemment vous avez fait du bourgmestre un
fonctionnaire à part et placé au-dessus des autres, ayant un pouvoir et des
attributions distinctes. Il n’est pas possible qu’il y ait un chef mieux
dessiné. Le mot chef n’est pas un mot sur le sens duquel on puisse douter.
L’une des acceptions des dictionnaires porte :
« Celui qui est à la tête d’une assemblée ; » par conséquent, celui
qui préside une assemblée en est le chef. Ainsi la présidence de ce conseil par
le bourgmestre suffirait déjà pour en faire un chef.
Ici il y a bien autre chose ; il y a une foule de
prérogatives distinctes et le plaçant au-dessus des autres.
Il n’est donc pas vrai qu’il y ait ici un maire en
3 volumes, et que vous puissiez confondre entièrement ces trois personnes comme
homogènes et même comme identiques.
Mais pour établir la thèse, on pose des principes
absolus ; on ne les démontre pas, on les suppose démontrés ; on dit qu’ils sont
évidents : ainsi on vous dit : « Si les échevins exercent concurremment
avec le bourgmestre le pouvoir exécutif, ils deviennent évidemment avec ce
magistrat les chefs de l’administration communale, et dès lors, nul doute que
le principe de l’élection directe ne puisse recevoir d’exception à leur égard.
« Si les échevins sont exclus de toute part
de l’exercice du pouvoir exécutif, le bourgmestre devient seul chef de
l’administration communale, et à ce titre il n’y a que lui qui puisse être
excepté de l’élection directe. »
Au moyen de ces deux axiomes on prétend établir que
si l’on revenait au premier vote, alors on pourrait attribuer sans
inconstitutionnalité au chef de l’Etat la nomination des échevins, tandis que
selon le projet actuel la nomination des échevins devrait constitutionnellement
appartenir au peuple.
Je ne suis pas frappé de ces prétendus axiomes ; je
suis embarrassé de savoir ce que fait la circonstance que les échevins soient
ou non chargés de l’exercice d’une partie du pouvoir exécutif.
Je vois bien ce que l’orateur entend par là,
puisqu’il dit : « Si les échevins sont institués avec le concours du chef
du pouvoir exécutif, ils peuvent être associés à l’exercice de ce pouvoir.
Magistrats électifs, ils ne peuvent être qu’agents de la commune ; magistrats
institués avec le concours du gouvernement, ils peuvent être agents du
gouvernement. »
Par l’exercice du pouvoir exécutif, il entend
l’exécution des lois et arrêtés de l’administration générale ; parce que,
d’après le premier vote de la chambre, l’exécution des lois aurait lieu, sauf
exception, par les soins des échevins, de concert avec le bourgmestre.
Mais, dans une pareille thèse, que fait à la
question qui nous occupe la circonstance que les échevins ont ou non part à
l’exercice du pouvoir exécutif ?
Est-ce que l’on voudrait prétendre que cela est
inhérent à l’administration communale ? on s’en gardera bien ; on soutient au
contraire et l’on a toujours soutenu qu’il ne fallait pas confondre ces
attributions essentiellement différentes, et qu’il fallait distinguer dans le
bourgmestre l’agent du pouvoir exécutif d’avec l’homme de la commune, chargé de
l’administration communale.
Si l’examen du pouvoir exécutif n’est pas
essentiellement inhérent à l’administration communale, comment prétend-on qu’un
échevin devient chef de l’administration communale puisqu’il exerce une
attribution qui n’appartient pas essentiellement à l’administration communale ?
c’est là de l’inconséquence, me paraît-il, et rien de
plus !
Mais je disais tout à l’heure que l’honorable
membre qui a voulu établir cette thèse n’a pas défini l’administration
communale ; je voudrais qu’il la définît. Je demande ce qu’il entend par
administration communale ; car il s’agit de connaître la portée de
l’expression, « chef de l’administration communale. » Je lui ferai une
autre question. S’il y avait, comme cela a existé à différentes époques, dans
différents pays, s’il y avait, indépendamment de l’administration chargée de la
gestion des intérêts communaux, un commissaire du pouvoir exécutif, chargé
exclusivement de l’exécution des lois et arrêtés d’intérêt général, ou serait
alors le chef de l’administration communale ? Est-ce qu’elle n’aurait pas de
chef par hasard, attendu qu’aucun de ses membres n’aurait de participation à
l’exercice du pouvoir exécutif ? Vous le voyez donc, il est impossible, en
bonne logique, de tirer de la circonstance que les échevins avaient ou non une
part quelconque à l’exécution des lois d’intérêt général, la conséquence que
par là ils deviendraient chefs ; ils ne sont ni plus ni moins subordonnes au
bourgmestre qu’autrement, leur position n’est nullement changée non plus à
l’égard du conseil, ils ne deviennent pas pour cela les chefs de
l’administration communale.
D’ailleurs, qui est-ce qui administre, et notamment
qui administrait à l’époque où le congrès faisait la constitution ? On vous
répond : C’était le collège. Quand donc il employait l’expression « chefs
de l’administration communale, » si vous dites qu’elle comprend le
bourgmestre et les échevins, il n’y a plus de corps ; ce sont tous chefs.
Le même honorable membre a présenté un antre
argument, et par cet argument il a voulu mettre mes honorables amis et moi en
contradiction avec nous-mêmes ; il nous a reproché d’avoir répondu oui sur une
proposition admise au troisième vote, et qui porte que les échevins seraient
nommés par le conseil communal lui-même ; or, par là, selon lui nous avons
effacé tous nos discours, puisque nous avons admis une exception que nous
prétendons cependant ne pas être permise par la constitution. Je m’étonne de
voir ce membre se donner ainsi le plaisir de dénaturer le vote des membres de
cette assemblée. Cela serait possible peut-être si les discours prononcés
étaient effectivement effacés par nos différents votes. Mais enfin ils
existent, et j’invite l’honorable membre à les relire pour s’assurer qu’il a
mal interprété nos votes.
Au dernier vote j’insistai plus encore que je ne le
fais actuellement pour que l’élection des échevins fût conservée au peuple,
disant que si la chambre rejetait ce mode d’élection, alors je me rallierais comme
pis-aller à la nomination par le conseil ; je dis que j’ai été conséquent en
émettant ce vote. Ne pouvant obtenir le mode d’élection que je désirais, je me
suis rallié à celui que je considérais comme étant le plus rapproché du
principe de l’élection populaire, et partant le plus libéral, parce que je veux
consacrer la liberté communale. Ce vote est d’accord avec ce que j’ai dit dans
la séance du 9 mai, où j’ai déposé un amendement portant que les échevins
seraient élus directement par le peuple.
Et la chambre a voté sur cet amendement avant
d’aborder celui qui a été adopté.
On a donc évidemment dénaturé et notre conduite
parlementaire et nos votes lorsque l’on a présenté ces votes du 9 mai comme
nous mettant en contradiction avec nous-même et comme
ayant effacé nos discours.
Mais, messieurs, je rappellerai une autre chose à
l’orateur, c’est que tout en ne partageant pas l’opinion de la chambre sur le
mode actuel d’élection des échevins, je me suis attaché à faire remarquer que
celui qu’elle a adopté pouvait cependant se concilier avec la constitution.
J’ai même cité, pour le faire remarquer à la
chambre un exemple tiré de la disposition qui a été prise par l’assemblée dans
la loi provinciale, des motifs sur lesquels cette disposition a été fondée.
Je vous prie, messieurs, de remarquer comment est
conçu le texte de la constitution qui donne lieu à tout ce débat. Il porte :
« L’élection directe, sauf les exceptions que
la loi peut établir à l’égard des chefs des administrations communales et des
commissaires près des conseils provinciaux »
L’on veut équivoquer sur le sens de l’expression
des « chefs des administrations communales. » L’on veut y voir
plusieurs chefs pour chaque administration communale.
C’est à la faveur de ce subterfuge interprétatif
que l’on veut trouver que la nomination des échevins par le gouvernement peut
se concilier avec la constitution. Mais une chose certaine cependant, c’est que
la dernière partie de l’article ne présente pas d’ambiguïté et que ces mots de
« commissaires près des conseils provinciaux » indiquent bien l’agent
du gouvernement dans chaque province, le gouverneur, comme il est nommé par la
loi provinciale.
Je crois que l’on reconnaîtra qu’il résultait bien
de là que l’exception formulée dans cet article ne s’étendait pas à la
députation permanente des conseils provinciaux, et que les membres de cette
députation sont compris dans la proposition même. Croyez-vous que la chambre se
soit mise en contradiction avec la constitution, parce que ces membres de la
députation sont nommés par les conseils eux-mêmes ? Croyez-vous que c’est là
déroger à l’élection directe et violer la constitution.
Voilà précisément la question et ici remarquez-le
bien, vous ne pouvez pas pour soutenir la constitutionnalité, vous prévaloir du
dernier membre du n°1° de l’article. Encore une fois, il est bien manifeste que
les membres de la députation provinciale ne sont pas au nombre des commissaires
du gouvernement prés des conseils provinciaux.
Messieurs, voici quel a été le motif de la
disposition.
Le numéro suivant attribue aux conseils provinciaux
et communaux tout ce qui est d’intérêt provincial et communal.
Or, l’administration même journalière de la
province, l’exécution même des actes de l’autorité provinciale, tout cela est
manifestement d’intérêt provincial. Tout cela est compris dans l’administration
conférée aux conseils provinciaux, il faut donc que ce soit ces conseils
eux-mêmes ou ceux qu’ils auront choisis qui procèdent à l’administration
journalière des provinces, à l’exécution de leurs actes. Peuvent-ils le faire
par eux-mêmes ? Evidemment non. Ils ne s’assemblent qu’à de longs intervalles,
et ce soin demande un travail de tous les jours. Que font fréquemment les
assemblées délibérantes sur les objets de leurs attributions ?
Elles nomment des commissions, elles font faire par
une commission prise dans leur sein pour leur rendre compte de leurs travaux,
ce qu’elles ne peuvent faire absolument par elles-mêmes. Voilà l’origine des
députations permanentes des conseils provinciaux.
Faites nommer maintenant ces députations
permanentes par le pouvoir exécutif et vous dénaturez toute l’institution. Ce
n’est plus le conseil qui administre par ses mandataires ; c’est le pouvoir
exécutif qui vient par des hommes de son choix régler des objets d’intérêt
provincial. Ainsi pour demeurer dans la constitution, il fallait nécessairement
dans ce système que les députations permanentes fussent nommées par les
conseils provinciaux, et sur ce point il n’y a pas eu de doute.
Je dirai que cela était prévu par le congrès
lui-même, car si vous recourez au rapport même de la section centrale sur le
chapitre dont je m’occupe en ce moment, vous verrez que l’on avait prévu et
reconnu qu’il y aurait une députation permanente, mais aussi que cette
députation serait élue par le conseil provincial. Voici les termes du rapport :
On a remarqué que la publicité ne pourrait être exigible pour les séances des
députations permanentes qui seraient élues par les conseils provinciaux.
Mais entre la province et la commune,
l’assimilation n’est-elle pas ici parfaite ? C’est le même article qui attribue
aux conseils provinciaux tout ce qui est d’intérêt provincial et aux conseils
communaux tout ce qui est d’intérêt communal.
La constitution attribue donc aux conseils la
gestion des intérêts communaux, la partie des intérêts communaux qui exige un
travail journalier. Comme le conseil ne s’assemble qu’à de certains
intervalles, il y a nécessité que le conseil nomme une commission permanente.
Il y aurait même inconstitutionnalité à faire intervenir le pouvoir central
dans la nomination de cette commission.
Je crois donc avoir suffisamment démontré d’abord
que quel que fût le caractère du vote du 9 mai 1835, mis et rapport avec la
constitution, il n’y avait pas contradiction de ma part d’avoir voté pour le
mode de nomination après que j’avais vu rejeter celui auquel je tenais avant
tout, notamment par respect pour la constitution, et en second lieu, que
d’ailleurs ce mode de nomination du 9 mai est compatible avec la constitution
autant que celui auquel on vous propose de revenir ne l’est pas.
Quant à la crainte dont on a été préoccupé pour le
pouvoir central et l’unité nationale, il a été suffisamment répondu par
d’honorables membres et notamment par mon honorable ami.
On vous a fait remarquer, messieurs, toutes les
précautions qui ont été prises dans la loi elle-même pour donner une action
puissante au pouvoir central et sur les hommes de la commune et sur les actes
mêmes, de manière à assurer l’exécution dans les communes des lois et des
arrêtés de l’administration générale, de manière aussi à empêcher que les
conseils provinciaux et communaux ne sortent de leurs attributions et ne
blessent l’intérêt général.
Sur ce point il me semble
que l’homme le plus difficile en fait de pouvoir fort ne trouverait rien à
dire, rien à désirer. Car l’on s’est singulièrement attaché à tout prévoir.
Tout en disant que le peuple belge était naturellement ami de l’ordre, que l’on
aimait à croire que les hypothèses que l’on craignait ne se réaliseraient pas ;
cependant l’on a imaginé toutes les hypothèses possibles et l’on a prévu tous
les accidents possibles.
Nous pouvons donc sans aucune crainte conserver au
peuple belge une liberté qui lui est chère, la lui conserver, je le désirerais
du moins, telle que la lui a restituée la révolution, seulement en faisant
disparaître les imperfections de l’organisation improvisée par le gouvernement
provisoire.
Il serait surtout souverainement impolitique après
deux votes successifs par lesquels la chambre a confirmé en quelque sorte
l’élection populaire des échevins, puisque le dernier vote de la chambre
l’attribue exclusivement au conseil élu directement par le peuple, il serait
souverainement impolitique d’aller maintenant la lui retirer.
Sous ce rapport encore, messieurs, je crois que le
parti pris par le gouvernement de céder aux désirs du peuple (car on ne peut
méconnaître ce désir) était sage et politique et qu’il y a lieu de conseiller
au ministère d’y persister.
Je voterai donc, messieurs, pour l’élection directe
des échevins par le peuple.
Quant aux autres questions qui ont été agitées, je
me réserve d’y revenir lors de la discussion des articles.
M. F. de Mérode.
- Je demande la parole pour rectifier la citation faite par l’honorable M
Dubus. Voici ce que l’on m’a fait dire :
« La liberté communale est de la monnaie de
billon. »
Voici, messieurs, quelques passages du discours que
j’ai prononcé dans la séance du 11 mars 1835. Il est nécessaire que je les
cite, pour montrer combien ma pensée a été dénaturée par l’honorable orateur :
« Messieurs, ce qui est libéral en apparence
ne l’est pas toujours en réalité. En effet, ce qu’il y a de plus libéral et de
plus constitutionnel c’est d’assurer l’exécution des lois. Or, pour que le
gouvernement qui est chargé de veiller à cette exécution puisse répondre
qu’elle aura lieu dans tout le pays, il ne faut pas le mettre à la discrétion
des coteries qui malheureusement peuvent dominer telle ou telle commune.
« Personne n’ignore, messieurs, qu’un bourgmestre n’est pas seulement un
conseiller communal, mais un fonctionnaire chargé de mesures qui le rendent
agent du pouvoir, obligé par essence à procurer dans les plus grandes comme
dans les plus petites communes du pays l’exécution des lois. Une latitude
suffisante pour le choix des instruments dont il a besoin est donc nécessaire
au gouvernement, car si vous lui imposez ces instruments, déchargez-le de la
responsabilité qui lui incombe comme pouvoir exécutif en vertu de la
constitution même ; mais alors vous violerez un des principes les plus
fondamentaux du régime constitutionnel, un principe bien autrement conservateur
des libertés publiques que le droit d’élection trop absolu qu’on voudrait faire
prévaloir aux dépens des véritables intérêts de la société, aux dépens des
véritables intérêts d’une liberté solide et durable.
« N’oublions pas que
la tyrannie domestique est la pire de toutes, car elle pèse tous les jours et à
chaque instant sur celui qu’elle opprime. Or, cette tyrannie triomphera souvent
dans les communes, parce que souvent dans les communes il existe des divisions
entre les habitants. Et le parti le plus intrigant et le plus adroit
l’emportera sur les hommes moins actifs et plus paisibles. Si le gouvernement a
quelque latitude à l’égard des nominations des bourgmestres, il pourra en plus
d’une occasion rétablir l’équilibre, il pourra diminuer les mauvais effets de
l’antagonisme dont les suites sont si fâcheuses entre les citoyens forcés de
vivre constamment en présence les uns des autres. »
Je ne dis pas à
l’omnipotence du pouvoir impérial napoléonien, je dis que si le gouvernement a
quelque latitude à l’égard des nominations.
« Ici, messieurs,
lorsque nous discutons avec plus ou moins de vivacité, c’est pour des intérêts
qui ne nous sont point personnels ; nous retournons dans nos foyers respectifs,
nous y devenons entièrement indépendants les uns des autres, étrangers les uns
aux autres. En est-il de même à l’égard des conseillers municipaux qui habitent
la même commune ? Là on peut se nuire directement, et de telle sorte que les
animosités, les haines, deviennent irréconciliables. Selon moi, ce qu’on décore
du nom de liberté communale était une fort belle chose
dans les temps féodaux, lorsque les communes avaient à se défendre contre les
exactions des délégués du prince ou les violences des possesseurs de châteaux
fortifiés. »
Ce qu’on décore du nom de
liberté communale. Je ne dis pas, comme me le fait dire M. Dubus, la liberté
communale.
« Aujourd’hui qu’est-ce,
à bien prendre, que la liberté communale ? Est-ce l’indépendance d’une mauvaise
administration qui ruine la ville dont elle gère les intérêts ? est-ce le bon plaisir d’un bourgmestre et de quelques
échevins qui manuélisent un de leurs collègues ? En
fait de liberté j’estime qu’à notre époque il faut à un pays quelques garanties
importantes et générales contre l’arbitraire des gouvernants.
« Les
garanties que nous possédons dans toute leur plénitude sont la liberté de la
presse et de l’enseignement, la liberté des élections, le contrôle des chambres
et des états provinciaux, la responsabilité ministérielle, l’inamovibilité des
juges. Voilà des pièces d’or frappées au bon coin du libéralisme par notre
constitution. Quant à certaines menues libertés, communales ou autres, dont on
fait grand bruit, et que la constitution nous a laissé le droit de resserrer ou
d’étendre, conformément au bien-être, à l’ordre public, je les considère comme
de la monnaie de billon qui contient plus de cuivre que d’argent ; monnaie
qu’il faut bien se garder de répandre à pleines mains, parce qu’elle n’est
bonne que pour appoints. »
Vous voyez que je définis la monnaie de billon en fait de liberté
communale.
Ces paroles signifient-elles le moins du monde lorsqu’on les apprécie de bonne
foi et dans leur ensemble que je n’ai que du mépris pour la liberté communale
en elle-même, comme le préopinant me le fait dire en travestissant mes paroles
par ce langage qu’il m’attribue : « La liberté communale est de la monnaie de
billon. » ? N’est-ce pas une liberté communale et une liberté très
étendue que celle de nommer tout le conseil communal, tout le pouvoir
délibérant de la commune, comme les électeurs nomment tout le pouvoir
délibérant de la nation, la chambre des représentants et le sénat.
Serait-ce par hasard une liberté illusoire que celle qui vous amène sur ces
bancs ? Et m’avez-vous entendu dans une circonstance quelconque attaquer la
liberté communale essentielle, logique, dominante à l’égard des intérêts
communaux, celle qui maintient l’élection directe du conseil au choix des
habitants M’avez-vous entendu comparer cette liberté raisonnable, utile,
constitutionnelle à la monnaie de billon ?
Vous voyez, messieurs, avec quelle bonne foi on se permet les citations sur
un banc où siège la prétention incarnée du libéralisme exclusif. (Hilarité.) Beau et noble libéralisme en
effet, que celui qui torture arbitrairement les expressions et les opinions de
ses adversaires, et sur ce même banc ne m’a-t-on pas accusé d’avoir demandé le
rétablissement de la mouture et de l’abattage, et cela en défigurant quelques
mots prononcés dans un discours dont l’intention et les expressions évidentes
tendaient à préserver l’avenir du peuple des impôts vexatoires ?
Oui, messieurs, j’aime le peuple et les libertés nationales plus que les
contradicteurs qui procèdent toujours par insinuation malveillante.
Je désire avant tout le bonheur de chacun, la liberté de chacun dans la
commune. Je crains la tyrannie insupportable au peuple d’agents, prétendus
communaux, car celui qui est malheureux dans sa commune a peu de soucis même de
l’indépendance nationale. C’est la liberté, c’est le bonheur du peuple que je
veux soigner, non pas celle de l’homme riche qui saura toujours s’affranchir du
despotisme des tyranneaux de bourg et de village.
En finissant, permettez-moi de vous lire un très court extrait d’un ouvrage
plus instructif, et plus neuf que le livre de M. de Barante.
Voici ce qu’on lit dans le deuxième volume de M. de Tocqueville sur le
danger de l’omnipotence des majorités, surtout dans les petites
circonscriptions.
« Si jamais
la liberté se perd en Amérique, il faudra s’en prendre à l’omnipotence de la
majorité qui aura porté les minorités au désespoir et les aura forcées de faire
un appel à la force matérielle. On verra alors l’anarchie ; mais elle arrivera
comme conséquence du despotisme. »
Le président, James Madison, a exprimé les mêmes pensées (voyez le Fédéraliste, n° 51).
« Il est d’une grande importance dans les républiques, dit-il, non seulement
de défendre la société contre l’oppression de ceux qui la gouvernent, mais
encore de garantir une partie de la société contre l’injustice de l’autre. La
justice est le but où doit tendre tout gouvernement ; c’est le but que se
proposent les hommes en se réunissant. Les peuples ont fait et feront toujours
des efforts vers ce but, jusqu’à ce qu’ils aient réussi à l’atteindre ou qu’ils
aient perdu leur liberté.
« S’il
existait une société dans laquelle le parti le plus puissant fût en état de
réunir facilement ses forces et d’opprimer le plus faible, on pourrait
considérer que l’anarchie règne dans une pareille société, aussi bien que dans
l’état de nature où l’individu le plus faible n’a aucune garantie contre la
violence du plus fort. Si l’Etat de Rhodisland (le
plus petit de l’union américaine) était séparé de la confédération et livré à
un gouvernement populaire exercé souverainement dans d’étroites limites, on ne
saurait douter que la tyrannie des majorités n’y rendît l’exercice des droits
tellement incertain, qu’on en vînt à réclamer un pouvoir entièrement
indépendant du peuple ; les factions elles-mêmes qui l’auraient rendu
nécessaire, se hâteraient d’en appeler à lui. »
Jefferson disait aussi :
« Le pouvoir
exécutif, dans notre gouvernement, n’est pas le seul ; il n’est peut-être pas
le principal objet de ma sollicitude ; la tyrannie des législateurs est
actuellement et sera pendant bien des années encore le danger le plus
redoutable. Celle du pouvoir exécutif viendra à son tour mais dans une période
plus reculée. »
« J’aime, en cette matière, dit M. de Tocqueville, à citer Jefferson
de préférence à tout autre, parce que je le considère comme le plus puissant
apôtre qu’ait jamais eu la démocratie. »
M.
Dubus. - Messieurs, je n’entrerai pas dans les développements que
l’honorable préopinant à donnés à son fait personnel. Je ferai remarquer à la
chambre que j’avais rapporté ses paroles presque textuellement. Cela fait
honneur à ma mémoire. Je n’aurais pas pu me promettre de citer aussi juste.
L’honorable préopinant est entré dans de longues considérations pour expliquer
les paroles qu’il a proférées. Il les a crues nécessaires pour se rectifier. Je
suis étonné qu’il ne l’ait pas fait plus tôt. Je lui en ai cependant fourni
l’occasion dans la séance du 12 mars 1835. En effet, la chambre se rappellera
que lorsqu’il eût prononcé les paroles que j’ai relevées, elles m’avaient
tellement étonné que je demandai à l’honorable orateur, si c’était comme député
ou comme ministre de l’Etat qu’il parlait.
Il aurait pu alors entrer dans les développements qu’il vient de donner
aujourd’hui.
M. F. de Mérode. - Ce n’est pas ma
faute si l’honorable préopinant a été étonné de ce que j’ai dit. Je ne me
croirai pas obligé de lui donner des explications chaque fois qu’il éprouvera
de semblables étonnements. J’ai voulu rétablir les faits comme il se sont passés, et je lui défie de prouver que j’aie dit que la
liberté communale n’est que de la monnaie de billon.
(Moniteur belge n°41, du 10 février
1836) M. le ministre de l'intérieur
(M. de Theux). - C’est au nom de la liberté communale que l’on vient
vous conseiller, en cette solennelle occasion, de sacrifier l’administration
publique, et d’établir dans la commune un désordre qui doit tôt ou tard amener
l’anéantissement d’une partie des libertés dont on se pose ici le défenseur.
Nos anciennes institutions, celles de l’Angleterre et de
En passant en revue les diverses institutions invoquées par nos
contradicteurs, nous trouvons que les ancienne franchises communale avaient, en
Belgique, leur siège dans les villes ; que le bill des corporations, voté par
le parlement d’Angleterre, n’est applicable qu’à 134 villes de ce vaste royaume
; qu’actuellement le statut municipal octroyé par le gouvernement prussien,
invoqué dans cette enceinte, n’a d’application qu’à l’égard des villes et
seulement dans trois provinces de la monarchie.
Sous le gouvernement des Pays-Bas (vous le savez, et nos règlements en font
foi), il n’y avait pas de liberté communale dans les communes rurales. Il n’y
avait pas d’élection d’un seul conseiller municipal. Les conseillers municipaux
étaient nommés par la députation des Etats, par un pouvoir étranger à la
commune.
Aujourd’hui, messieurs,
Mais, messieurs, si, indépendamment de ce que
En Angleterre, à la tête du clergé se trouve le roi et ce clergé est
puissamment riche de dîmes et de propriétés.
En Angleterre, il n’y a pas de conseils provinciaux, chargés comme en
Belgique d’être les défenseurs des intérêts provinciaux et des intérêts
communaux.
Je ne sais si je me trompe ; mais je pense qu’il n’y a pas un radical au
parlement d’Angleterre qui ne considère nos institutions communales, nos
institutions politiques dans leur ensemble, comme le maximum de ce qu’il
voudrait avoir pour son pays, et qui ne croie qu’aller au-delà, ce serait
vouloir l’anarchie au lieu de la liberté.
J’ai vu plusieurs membres du parlement qui appartenaient à la fraction la
plus avancée et je sais que leur opinion est qu’en Belgique il faut plutôt
édifier que détruire.
Si de l’Angleterre nous passons à
Si nous reportons nos regards en arrière, à l’époque des anciens privilèges
de nos villes, nous ne voyons en Belgique point de réunion d’états-généraux,
point de liberté de la presse.
Ainsi, de quelque manière que l’on envisage nos institutions communales,
soit isolément, soit dans leur ensemble avec les autres institutions publiques,
il demeure évident que
Oui, messieurs, nous avons chez nous des conseils communaux élus
directement, délibérant publiquement ; des conseils provinciaux élus
directement, délibérant publiquement, et deux chambres législatives élues
directement, délibérant publiquement. Nous avons le droit de pétition, la
liberté de la presse la plus illimitée, le jury dans toute son étendue, la
liberté d’association la plus illimitée que l’on puisse accorder.
Nous avons le bonheur de vivre au milieu d’une nation civilisée, où l’instruction
et l’aisance se trouvent répandues dans toutes les classes.
C’est au milieu de tels éléments de liberté que l’on vient ici sérieusement
manifester des craintes et que l’on vient dire que l’on tend des pièges à nos
libertés, qu’elles sont en péril. De tels arguments ne feront jamais impression
sur vos esprits ni sur aucun habitant du pays.
Oui, messieurs, nos libertés sont en péril, en présence de l’exagération
des opinions de certains orateurs qui voudraient ôter à la puissance publique
tout moyen de réprimer le désordre. C’est alors, si de pareilles opinions
venaient à prévaloir, que vous verriez la liberté véritablement compromise.
L’homme audacieux emploierait librement les moyens les plus odieux ; l’homme
paisible au contraire, le bon citoyen, resterait exposé à toute espèce
d’insultes et de vexations, sans savoir où trouver remède à un pareil état de
choses. Voilà le naufrage de la liberté assuré.
Messieurs, de ces considérations générales, nous passerons à un examen
quelque peu détaillé des institutions que l’on a citées dans cette assemblée.
En France, dont on a invoqué l’exemple, qu’est-il arrivé ? A l’époque de la
révolution, on a voulu détruire les anciens privilèges qui asservissaient les
communes : qu’a-t-on fait ? On a introduit l’élection directe sans limites. Le
moyen était certain, les privilèges ont été détruits. Mais, messieurs, était-ce
un état normal qu’on avait voulu créer en introduisant l’élection directe ?
Nullement : du système introduit par l’assemblée constituante est née l’anarchie,
la licence. La nation française s’est trouvée heureuse que le pouvoir impérial
voulût bien la couvrir de sa dictature et la sauver ainsi des maux dans
lesquels elle était abîmée. Du système de liberté introduit par l’assemblée
constituante, qu’est-il advenu ? Il a donné naissance à la loi de pluviôse an
VIII qui a remis au gouvernement la nomination de tous les administrateurs
municipaux, maires et conseillers ; en un mot, qui a donné tout pouvoir au
gouvernement dans la commune. Voilà où a conduit l’excès de liberté introduit
dans la commune par la loi de 1789.
Un membre. - L’empire
a duré dix ans.
M. le ministre de l'intérieur (M. de
Theux). - L’empire a duré ce qu’il a fallu pour rétablir l’ordre.
L’ordre ayant été rétabli sur ses bases on a pu arriver à un système qui
consacre la liberté communale et assure en même temps des moyens d’ordre. C’est
ainsi que la dernière loi communale adoptée en France admet l’élection des
conseillers municipaux ; mais on a eu soin de réserver au gouvernement, à une
époque aussi rapprochée de la révolution de juillet, au mois de mars 1831, la
nomination des maires et adjoints, et le droit de dissoudre le conseil
communal. Voilà les garanties qu’on a réservées au pouvoir.
En Angleterre, on commence à détruire les privilèges des corporations
municipales, on y substitue l’action populaire. Mais pense-t-on que ce soit là
le dernier terme de l’organisation administrative en Angleterre ? Evidemment
non. En Prusse, si jamais on y introduit le gouvernement représentatif,
évidemment on ne s’arrêtera pas au dernier statut municipal ; le gouvernement
devra avoir une action plus forte dans toutes les communes. Je reviens ici sur
ce qu’on a dit de la Prusse : cela laisserait supposer que le gouvernement n’a
pas d’agent dans chaque ville où le statut a été introduit. Mais il a déjà le
bourgmestre, et indépendamment du bourgmestre, le gouvernement nomme encore un
fonctionnaire chargé de la police.
En Angleterre, le bill ne s’applique qu’à 134 villes. Il laisse bien la
nomination du bourgmestre au conseil, mais il n’accorde pas au bourgmestre des
attributions aussi larges que celles du bourgmestre en Belgique.
Autrefois, à l’époque où nos privilèges municipaux attiraient l’attention
de l’Europe ; à cette époque c’était le gouverneur des Pays-Bas qui
nommait les bourgmestres et les échevins dans presque toutes les villes. C’est
un fait constant qui résulte d’actes authentiques que personne ne pourra
contester.
J’arrive à l’époque du gouvernement provisoire. A cette époque l’on a
introduit l’élection directe de tous les officiers municipaux, sans exception,
des bourgmestres et des assesseurs, comme des simples conseillers. Mais cette
mesure était toute révolutionnaire. Elle était nécessaire pour le développement
de la révolution. Mais était-ce là une mesure qui devait être permanente, une
mesure applicable au temps de paix ? Non ; le congrès lui-même, né de
l’élection directe, au moment de la révolution, n’a pas voulu consacrer
l’élection directe du chef de l’administration de la commune.
Mais, dit-on, il n’y a pas d’abus ; où donc est la nécessité de modifier
l’état actuel des choses ? Comment, il n’y a pas d’abus ! Je dis, sans craindre
d’être démenti, qu’il y a un grand nombre d’abus ; il y a un grand nombre de
communes qui depuis cinq ans vivent ou plutôt végètent sous le despotisme de
leurs administrateurs ; plusieurs élections ont été l’occasion de désordres
notables. Je dis que plusieurs élections partielles qui ont eu lieu depuis la
première élection ont été signalées comme un fléau pour les communes où elles
s’étaient passées. Voilà le véritable état des choses.
Je dis que plus les élections directes se répéteront dans la commune, pour
la nomination du chef de l’administration, plus les abus iront en augmentant,
plus les choix seront mauvais. La raison en est simple. C’est qu’à la première
élection les habitants paisibles, qui ont pris part à l’élection, se sont trouvés victimes de leur conduite, ont été en butte à des
réactions. Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’aux élections suivantes, les gens les
plus paisibles, les meilleurs habitants s’abstiennent, et alors abandonnent le
champ libre aux plus intrigants. Voilà ce qui arrive.
Il ne faut pas se faire illusion, les élections communales ne peuvent pas
être comparées aux élections de district ou de canton. Autre chose est d’être
réuni une seule fois et sans se connaître la plupart du temps pour une élection
du député, autre chose est de se réunir pour nommer le premier magistrat de la
commune. Ici, la lutte s’établit entre proches voisins, entre parents et amis
qui se trouvent d’opinions divergentes, et de là naissent les haines, les
vexations.
Mais s’il est vrai, comme le disent quelques orateurs, que le système
actuel est le système normal, le nec plus
ultra du bonheur pour le peuple, d’où vient que chaque fois qu’on a proposé
l’élection directe du bourgmestre, elle a été repoussée par la presque
unanimité de cette chambre ? D’où vient que dans le sénat pas un seul membre
n’a appuyé cette élection ? Est-ce en présence de pareils faits qu’on voudra
soutenir que l’état actuel doit être l’état normal ?
J’en viens au projet du gouvernement. Ce projet a donné lieu à des
observations diamétralement opposées. On a prétendu d’une part que le
gouvernement avait déserté ses propres intérêts, et d’autre part qu’il
absorbait à son profit toute l’administration communale. La simple lecture
attentive du projet doit faire justice de cette double accusation.
Non, le gouvernement n’a pas déserté ses intérêts ; s’il a abandonné la
nomination des échevins au peuple, il a fortifié en même temps l’action du
bourgmestre. C’était une condition essentielle, ainsi que je le démontrerai
bien tôt.
Le gouvernement n’a pas davantage absorbé à son profit l’administration
communale. L’administration communale reste saisie des intérêts purement
communaux, par l’élection directe des échevins ; mais il était indispensable,
dans ce système, de borner les fonctions des échevins aux intérêts purement
communaux, afin de nous renfermer dans la limite de l’art. 31 de la
constitution. Toute attribution accordée aux échevins en dehors de cette limite
serait une usurpation de la commune sur le gouvernement.
En présentant le projet, nous avons trouvé un antécédent dans la loi
provinciale. Logiquement raisonnant, l’application est identique. La seule
différence réside dans les habitudes. C’est que le système adopté dans la loi
provinciale est en usage dans la province, tandis que le même système n’est pas
en usage dans la commune. De là sont nées les préventions de plusieurs membres
de cette chambre contre le nouveau système.
Il est, messieurs, une vérité incontestable, c’est que le fonctionnaire on
les fonctionnaires qui sont chargés du pouvoir exécutif dans la commune,
doivent avoir la volonté et le courage d’exécuter les dispositions qui sont
obligatoires.
Ainsi, il ne faut pas que dans aucune occasion, sous aucun prétexte, le
pouvoir exécutif dans la commune puisse déserter l’exécution de la loi ou des
règlements d’administration générale, pour capter les voix de tel ou tel
électeur. Pour arriver à ce résultat, que faut-il ? Il faut le soustraire à
l’élection municipale, ou si on l’y soumet, ii faut que le pouvoir soit
collectif, afin de rendre l’administration municipale la plus douce aux yeux
des administrés et de diminuer la responsabilité qu’encourrait un
administrateur unique ; il faut une action collective, dans laquelle les
administrés trouvent plus de garanties et qui fasse peser sur plusieurs la
responsabilité des actes de l’administration.
La position du bourgmestre, telle que nous la lui faisons dans le projet
sera, dit-on, injurieuse ; car il présidera un conseil dans lequel il n’aura
pas voix délibérative. Je répondrai qu’il ne peut y avoir d’injure dans cette
position, puisqu’elle sera faite par la loi même. Il y en aura d’autant moins
qu’elle ressemblera à celle du gouverneur de la province qui, lui aussi, n’a
pas voix délibérative dans le conseil provincial.
Mais il est vrai de dire que la position du bourgmestre serait
insoutenable, si les modifications que la section centrale propose à
l’organisation communale, étaient adoptées ; c’est alors que le bourgmestre
serait vraiment un homme sans action, sans autorité.
La section centrale veut qu’il soit pris dans le sein du conseil, ce qui le
conduirait à sacrifier dans une infinité de cas les intérêts généraux à sa
fonction particulière, lorsque d’une exécution franche et loyale il pourrait
craindre quelque réaction de la part des électeurs, c’est-à-dire qu’il pourrait
craindre d’être déplacé par une classe d’hommes honorables.
Qu’arriverait-il si, comme le propose la section centrale, le bourgmestre
devait être nécessairement pris dans le sein du conseil ? N’arriverait-il pas
souvent qu’au moyen de quelque cabale l’on écarterait le meilleur bourgmestre ?
Et pourquoi l’écartera-t-on ? parce qu’il aura eu le
courage de remplir son devoir dans l’intérêt public et dans l’intérêt de la
commune. Je dis dans l’intérêt de la commune, parce qu’il aura tenu la main à
la bonne exécution des règlements municipaux, et qu’il aura contrarié la
négligence de quelques habitants.
Mais si la section centrale a altéré le projet du gouvernement dans sa base
fondamentale, en ce qui concerne l’organisation municipale, des orateurs
veulent également altérer dans sa base fondamentale le projet concernant les
attributions. Oui, messieurs, leurs opinions ne vont à rien moins qu’à
attribuer une part étendue aux échevins dans l’administration générale, sous le
prétexte qu’un intérêt communal pourrait être quelque peu mêlé. Ce sont ces
mêmes orateurs qui viennent préconiser le projet du gouvernement, quant à
l’élection des échevins, croyant que nous serons assez aveugles pour ne pas
voir le piège qu’on nous tend en exagérant leur mandat ; mais nous
n’accepterons pas de semblables dispositions.
De deux choses l’une, ou la position du bourgmestre doit être indépendante,
il doit avoir l’autorité nécessaire pour accomplir sa mission ; ou le pouvoir
du bourgmestre sera partagé par les échevins, et en ce cas le gouvernement doit
intervenir par dans la nomination de ces agents du pouvoir exécutif. C’est
ainsi que nous avons proposé le projet de loi en délibération ; et je crois
devoir ici vous rappeler quelques lignes de l’exposé des motifs, parce qu’elles
résument la pensée du gouvernement :
« Le gouvernement n’a qu’un seul intérêt, mais aussi il ne peut s’en
départir sans blesser les intérêts généraux, sans s’écarter de l’esprit même de
la constitution ; c’est que les fonctionnaires qui le représentent soit
individuellement, soit collectivement, tiennent leur nomination de lui. »
La nomination des échevins par le Roi, si la chambre voulait l’adopter, si
elle préférait ce système à celui du gouvernement, serait, dit-on,
inconstitutionnelle : ici, la réponse est très facile ; si les échevins
participaient au pouvoir exécutif, je défie qui que ce soit de démontrer par un
seul argument plausible, seulement l’apparence d’une inconstitutionnalité ; je
trouverais d’abord une réfutation de cette opinion dans deux votes émis par la
chambre elle-même. Par le premier, c’est à la majorité de 56 voix contre 27
qu’elle a décidé que le gouvernement interviendrait dans la nomination des
échevins. Par le second, c’est à la majorité de 46 contre 26 qu’elle a écarté
leur élection directe.
Je trouverais aussi des motifs de rejeter l’opinion que je combats dans le
texte de la constitution et dans le compte-rendu par deux journaux des séances
où les questions dont il s’agit ont été agitées au sein du congrès. Ces
journaux ont été rédigés par des membres mêmes de cette assemblée constituante.
Et d’abord, je demande où l’on trouve dans la constitution qu’il y aura des
échevins ? Et si l’on ne trouve pas qu’il y aura des échevins, comment
trouvera-t-on qu’ils doivent être élus par le peuple ?
Dans la loi provinciale vous avez admis un gouverneur et des commissaires
de district pour le suppléer. Pourquoi dans la loi communale n’admettriez-vous
pas des échevins pour suppléer le bourgmestre comme les commissaires de
district suppléent le gouverneur ? Je défie qu’on réponde à cet argument.
Si le bourgmestre a pu être exclu de l’élection directe, c’est parce qu’il
était chargé d’une partie du pouvoir exécutif, et au même titre toute personne
à laquelle la loi attribuera le pouvoir exécutif sera exclue de l’élection directe.
Ainsi l’ont entendu plusieurs membres qui, dans le principe, avaient soutenu le
système de l’élection directe, car ils ont franchement déclaré que leur opinion
était subordonnée aux attributions qui pourraient être confiées aux échevins.
Mais, dit-on, le bourgmestre et les échevins peuvent être chargés de
l’exécution de certaines mesures qui intéressent la commune. Je répondrai que
dans notre loi sur l’organisation provinciale le gouverneur est seul chargé
dans la province de l’exécution de toutes les délibérations du conseil
provincial, aussi bien que de l’exécution des délibérations de la députation
des états et des lois ; c’est le gouverneur qui a sous ses ordres tous les
employés de l’administration provinciale, qui les nomme et les révoque à son gré.
J’ai dit que le compte-rendu des séances du congrès ne peut laisser aucun
doute sur la question. En effet, que porte le Courrier belge, rédigé par un membre du congrès, M. Jottrand, lequel avait pris part à la discussion ?...
Je m’aperçois que je pas ici le Courrier
belge, mais j’ai vérifié ce que j’avance.
J’avais proposé un amendement qui excluait de l’élection directe le
bourgmestre et les échevins ; M. Lebeau, qui ne voulait pas préjuger la
question relative à l’existence des échevins, m’invita à retirer mon
amendement, et j’accédai à cette invitation. Le Courrier dit que M. Lebeau présente un amendement dans le même sens
et que je m’y rallie. Quoi qu’il en soit, nous voulions laisser à la
législature le soin de décider s’il y aurait un collège de bourgmestre et
d’échevins et si les uns et les autres seraient élus directement, ou nommés par
le gouvernement
Voici ce que poste le Journal des
Flandres, rédigé par un autre membre du congrès :
« M. Jottrand propose d’exclure de
l’élection directe les bourgmestre et assesseurs.
« M. de Theux propose un amendement dans le même sens.
« M. de Stassart. - Je partage l’opinion de
M. de Theux. Je pense comme lui que l’élection des bourgmestre
et assesseurs doit appartenir au pouvoir exécutif ; mais je voudrais le circonscrire
entre les membres des conseils communaux, ce serait concilier le principe de
l’élection populaire avec la nécessité d’obtenir l’assentiment du pouvoir.
« M Lebeau le combat. Il pense que si l’on veut borner le choix du pouvoir
exécutif aux simples conseillers communaux, on pourrait, dans certains cas, ne
trouver personne. »
Vous voyez bien, par ces termes de pouvoir exécutif, que M. Lebeau a
simplement voulu éviter de préjuger la question d’un collège administratif
communal, question qui ne pouvait être résolue par la constitution.
Le congrès a adopté l’amendement de M. Lebeau, il n’a pas voulu décider que
le choix du bourgmestre et des échevins, ainsi que le proposait M. de Stassart, aurait lieu dans le sein du conseil ; il n’a pas
voulu décider qu’il y aurait un collège administratif, ainsi que je le
proposais, ou simplement un bourgmestre, ainsi que le portaient d’autres
amendements, et voilà pourquoi l’on n’a pas pris le mot de bourgmestre, et que
l’on s’est servi d’un mot vague, qui n’indique ni un chef unique ni une
administration collective. Tel est véritablement le sens du mot : « chefs
des administrations municipales, » mis dans la constitution. Il ne peut y
avoir le moindre doute à cet égard.
M. Gendebien. - Quel est le numéro du
journal ?
M.
le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - C’est celui qui rapporte la
séance du 25 janvier.
Ainsi il ne peut plus être question de constitutionnalité, il y a chose
jugée. Il ne s’agit plus pour la chambre que d’adopter l’organisation qui lui
paraîtra la plus utile. L’un et l’autre système peuvent présenter des
garanties, pourvu qu’ils ne soient pas mutilés, pourvu que, conformément à
notre projet, le choix du bourgmestre soit complètement libre, pourvu qu’il ne
soit pas soumis à la censure des électeurs, ou pourvu que, si on le prend dans
le sein du conseil, on lui adjoigne alors pour collègues les échevins qui,
nommés comme lui par le Roi, partageront avec lui la responsabilité de
l’administration, et formeront ainsi une autorité collective qui administrera
dans un intérêt communal et dans l’intérêt général.
Mais, dit un préopinant, le ministre de l’intérieur n’a jamais sérieusement
voulu du projet qu’il a présenté ; et il ne s’en est pas caché en dehors de
cette enceinte. Tout en m’étonnant d’une telle assertion, je la dénie
formellement et de la manière la plus absolue.
Si d’honorables membres de l’opposition s’étaient montrés aussi conciliants
que nous, ils auraient adopté immédiatement le nouveau système, au lieu de
l’attaquer, comme ils l’ont fait dans les sections, dans la section centrale et
dans cette discussion.
Je n’ai pas cherché à exercer d’influence hors de cette enceinte ; je le
déclare de la façon la plus positive.
Plusieurs des membres qui se sont constamment déclarés les partisans de la
liberté communale m’ont demandé de ne pas m’opposer à leur système, m’ont
demandé cette adhésion comme un acte de concession, parce qu’ils préféraient se
relâcher en ce qui concerne les nominations que de voir introduire
l’administration d’un chef unique qu’ils semblent redouter.
L’honorable orateur ne s’est pas fait faute d’inculper plusieurs honorables
membres de cette chambre, d’attaquer, en quelque sorte, leur liberté
constitutionnelle, croyant avoir le droit d’attacher à lui l’opinion des
membres de cette assemblée. Je crois qu’aucun de vous n’a donné ce droit à qui
que ce soit de ses collègues ; je crois que chacun de vous s’est réservé le
droit de voter selon sa conscience et de la manière qu’il jugera la plus utile.
On a dit encore : « Ces honorables membres veulent confier au
gouvernement un pouvoir immense sur les élections. Le gouvernement aura ainsi à
sa dévotion un très grand nombre d’électeurs. » D’abord je répondrai que c’est
faire injure aux fonctionnaires municipaux que de supposer que parce qu’ils
sont nommés administrateurs de la commune, ils engagent leur vote au
gouvernement sans examen ; que, quelque mauvais que soit le choix que le
gouvernement puisse faire d’un candidat à la députation, les magistrats
municipaux seront les premiers à le soutenir. C’est là une injure gratuite qui
ne repose sur rien, et qui est en opposition avec la confiance qu’ils ont
obtenue dans les élections municipales. Je dis en second lieu, comme cela est
de toute vérité, que les magistrats municipaux, en acceptant leurs fonctions,
en consentant à se charger du fardeau de l’administration, rendent la plupart
du temps service au gouvernement, en même temps qu’ils rendent service à la
commune. Je dis en dernier lieu que le vote est secret en Belgique et que tous
les électeurs, quelle que soit leur position, sont libres de voter selon leur
conscience, sans encourir le moindre reproche.
Ici je trouve à réfuter un exemple tiré de
l’Angleterre que l’on a invoqué. En Angleterre le vote n’est pas secret ;
chaque électeur signe son vote et en accepte ainsi la responsabilité. Ce
système a été proscrit en Belgique, parce que la loi a voulu que tous les
électeurs puissent voter avec indépendance et ne subissent aucune influence,
parce que la loi a voulu que les électeurs fassent prévaloir la véritable
opinion du pays. Ici en effet, les élections sont complètement libres.
Mais en définitive quelle est cette immense autorité que l’amendement
proposé donne au gouvernement ? Le droit de choisir les bourgmestre et échevins
dans le sein du conseil. Dans la plupart des communes, le nombre des membres du
conseil est borné à 7. Bien des personnes ne veulent pas accepter les fonctions
d’administrateur de la commune. En quoi donc consiste le choix du gouvernement
? A prendre, la plupart du temps, les 3 seules personnes qui, étant capables de
former le collège, veulent bien accepter ces
fonctions.
Mais, je le répète, si la majorité de la chambre ne se prononce pas pour le
système du collège nommé par le Roi, le projet que nous avons présenté, je le
défendrai jusqu’à la dernière extrémité. Car, si l’un ou l’autre n’est pas
adopté, il y aura réaction dans la commune, et il faudra réviser la loi. Je dis
mon opinion franchement et nettement, je la dis dans cette enceinte, et je
déclare que je n’ai cherché à exercer aucune action hors de cette enceinte. A
cet égard, je ne veux pas entrer dans des récriminations. Mais je dirai : Si
l’on a cherché à exercer des influences hors de cette enceinte, ce n’a pas été
nous.
M. Dubus. - Je
demande la parole pour un fait personnel.
J’ai été très étonné d’entendre M. le ministre de l'intérieur prétendre que
j’ai attaqué la liberté constitutionnelle des membres de cette assemblée et que
je veux enchaîner à moi le vote de mes collègues. Mais je n’ai pas dit un mot
de cela. Je ne puis comprendre comment M. le ministre a pu se faire illusion à
ce point. Je ne dirai pas qu’il a cherché à dénaturer mes paroles. Il m’aura
mal compris.
On avait présenté un prétendu système de conciliation ; puisqu’on avait pu
le préconiser, il m’était sans doute permis de l’attaquer, de dire qu’ils
seraient dupes ceux qui, étant amis de la liberté communale adopteraient un tel
système. En cela je n’ai pas porté atteinte à la liberté constitutionnelle de
mes collègues, j’ai usé d’un droit. J’ai rempli un devoir.
M. le ministre prétend ensuite que je fais d’avance une injure gratuite aux
magistrats qui seront nommés par le gouvernement, en disant que si l’action du
gouvernement devenait corruptrice, ils pourraient devenir des agents de
corruption. A cet égard, je dirai à M. le ministre que nous avons l’expérience
de l’an dernier, où il est à ma connaissance qu’un commissaire de district
s’est constitué courtier d’élections, a colporté un pamphlet imprimé, dirigé
contre 3 membres de la représentation nationale dont on voulait empêcher
l’élection, a remis ce pamphlet à des électeurs, notamment à un bourgmestre, à
des échevins, en indiquant ceux qu’il fallait nommer à la place des 3 députés
qu’on voulait écarter.
Lorsque j’ai la connaissance de pareils faits, je crois pouvoir dire que si
les magistrats communaux sont sous la dépendance du pouvoir, il ne se fera pas
faute de pareils moyens.
M. Seron. - Ma proposition, messieurs, n’a
rien d’anarchique ; elle tend simplement à conserver au peuple un droit
incontestable, dans lequel la révolution l’a réintégré et qu’il exerce avec
calme : je me crois donc en conscience obligé de la recommander à votre
attention. Cependant, il faut en convenir, j’ai peu d’espoir de la faire
adopter ; car non seulement elle a contre elle d’avoir été mal accueillie lors
de la première discussion, et de ne s’accorder ni avec le projet ministériel ni
avec le projet de vos sections, ni avec les principes de nos hommes d’Etat ;
mais il est certain que plus le temps nous éloigne des célèbres journées de
1830, plus le patriotisme s’attiédit, plus les idées libérales scandalisent et
font peur. On les croit aujourd’hui ennemies de l’ordre public, comme si
l’ordre public était lui-même autre chose que la liberté.
Votre section centrale a considérablement simplifié son travail ; elle en a
banni l’érudition et ne nous fait plus remonter à l’origine des communes. En
mon particulier je l’en remercie. Les recherches historiques ont bien leur
utilité, sans doute ; mais, dans la question dont vous vous occupez en ce
moment, il importe peu, me semble-t-il, de savoir quel était le régime
municipal de nos grossiers ancêtres, soit à cette époque reculée où ils se
nourrissaient de glands et offraient à leurs divinités des victimes humaines,
soit sous la domination de Rome et lorsqu’ils en eurent pris les mœurs, soit après
la conquête des Gaules par les barbares du Nord dont la rapacité se partagea le
patrimoine des vaincus, soit enfin durant le gouvernement féodal et dans les
temps où quelques communes fermées se ressaisirent de certains droits et en
jouirent au milieu des populations rurales encore abruties et courbées sous
l’esclavage de la glèbe. Que nous font même les franchises tant vantées et si
souvent violées de l’ancien pays de Liége ? Circonscrites dans l’enceinte de
vingt-deux villes, la plupart chétives, elles n’empêchaient pas les villes
d’avoir leur seigneur, haut justicier, en possession d’y nommer un mayeur et
des échevins, de regarder les paysans comme ses vassaux et de se dire le
représentant né de cette partie la plus nombreuse et la plus puissante de la
nation aux états du pays composés exclusivement de prêtres, de nobles et de
bourgeois, comme en effet, ils le furent en 1789. Ce n’est pas à de pareilles
sources qu’il faut puiser les éléments de vos lois nouvelles ; elles doivent
dériver uniquement de la nature des choses et de l’état actuel de la
civilisation
Un roi légitime ou de droit divin est, comme chacun sait, le père de ses
peuples. Son pouvoir sur eux n’a pas moins d’étendue que n’en avait chez les
Romains le pouvoir des pères de famille sur leurs enfants. Il en use fort
largement et souvent en père dénaturé ; mais enfin ses ordres sont sacrés, ils
font loi. Ses fidèles sujets ne peuvent avoir d’autre volonté que de lui obéir.
Il sait mieux qu’eux-mêmes ce qui leur convient, ce qui peut assurer leur
bonheur ; ils n’ont à s’occuper ni du gouvernement ni de l’administration
publique. Les magistrats sont les premiers esclaves de sa majesté, qui les
nomme et les révoque à son plaisir.
Mais si ces belles maximes sont en honneur à St-Petersburg, à Vienne et en
terre papale ; si elles ont quelque analogie avec le fameux message du 11
décembre 1829, il est impossible de les appliquer au gouvernement représentatif
où la souveraineté doit résider dans la nation, où tous les pouvoirs émanent de
la nation, où par suite et nécessairement il existe un pacte fondamental entre
elle et le chef de l’Etat. Il est au contraire de l’essence d’une pareille
monarchie que les fonctionnaires publics y soient les mandataires du peuple et
tiennent de lui seul les places qu’ils occupent, sans quoi elle ne serait
représentative que de nom. Ainsi, en France la constitution décrétée en 1789,
1790 et 1791, attribua aux citoyens la nomination de ses députés à l’assemblée
nationale, des administrateurs, des juges, des procureurs syndics, des
procureurs de communes, des accusateurs publics, des officiers municipaux. Si,
pour le dire en passant, elle périt après quelques années d’existence, ce ne
fut pas à cause de ses éléments démocratiques, ce fut parce que le roi qui
l’avait jurée et dont on a presque fait un saint, trahit ses serments au lieu
de et de s’y soumettre de bonne foi. Mais les droits qu’elle avait conférés aux
assemblées électorales lui survécurent. Ce fut le despotisme de Bonaparte qui
prononça leur suppression ; il est permis de croire qu’ils subsisteraient
encore aujourd’hui si, pour le bonheur de la France, la gloire militaire et le
despotisme du grand homme n’avaient jamais pesé sur elle.
Après avoir fait partie de cette France sous la république, sous le
consulat et sons l’empire ; après que Louis XVIII eut daigné lui octroyer sa
charte, vous eûtes à votre tour, ici, à partir de 1813, le régime
constitutionnel ou représentatif, mais mêlé d’aristocratie et de féodalité, et
d’ailleurs mal entendu et faussé par le machiavélisme de vos gouvernants. Quand
le peuple eut en 1830 secoué leur joug, une nouvelle constitution, exempte des
imperfections qu’on reprochait à l’ancienne, devait étendre et assurer ses
droits ; car, sans doute, il ne s’était insurgé que pour obtenir de meilleures
institutions et de plus fortes garanties. En réalité, votre constitution
qu’a-t-elle fait ? D’abord elle avait dit, article 65
: « Le Roi nomme et révoque les ministres ; » art. 66 : « Il confère
les grades dans l’armée ; il nomme aux emplois d’administration générale et de
relation extérieure. Il ne nomme à d’autres emplois qu’en vertu de la
disposition expresse d’une loi. » Mais ensuite, et malgré cette
limitation, elle ajouta, art. 99 et art. 101, que les juges de paix, les juges
des tribunaux, les conseillers des cours d’appel, les présidents et
vice-présidents de leur ressort, les conseillers de la cour de cassation, les
officiers du ministère public seraient aussi nommés par le monarque, les uns
directement, les autres sur des listes de présentation. Indépendamment de cette
immense quantité de places mises à sa disposition, il est encore, par la
constitution, l’une des trois branches de la législature, ayant comme les deux
autres branches, l’initiative des lois et de plus leur sanction, véritable veto
au moyen duquel il peut rendre illusoire l’initiative des chambres ; le pouvoir
exécutif lui appartient ; il commande les forces de terre et de mer, déclare la
guerre, fait les traités de paix, d’alliance et de commerce, il a le droit de
dissoudre les chambres, de conférer les ordres militaires et les titres de
noblesse, de battre monnaie et de faire grâce. Je ne veux pas attaquer ces
dispositions, je les respecte. Mais, en vérité, il m’est difficile de partager
le sentiment de ceux qui s’extasient sur le patriotisme du congrès. Sans parler
de l’adoption des 18 artistes, il me semble que dans sa carrière
constitutionnelle, il a quelquefois perdu de vue les principes, les promesses
et le but de la révolution.
Cependant, le pouvoir, constamment entraîné par sa nature vers
l’absolutisme, ne trouve pas encore ses prérogatives suffisantes ; il cherche à
les augmenter et n’y réussit que trop. Déjà il a obtenu, malgré le texte
prohibitif de la charte fondamentale, un ordre civil, une loi d’extradition, une
loi d’expulsion ; et vous savez avec quelle discrétion et quel discernement il
use de ces dispositions exceptionnelles. Aujourd’hui, il veut que vous ôtiez
aux citoyens la nomination de leurs principaux magistrats pour la confier à
lui-même. Mais pourquoi accéderiez-vous à ses désirs lorsque la constitution ne
vous y force pas, et que vous ne le feriez qu’aux dépens des libertés
publiques, déjà trop ébréchées ? Ah croyez-moi, messieurs, conservons
précieusement ce qui nous en reste ; que des craintes chimériques et un amour
de l’ordre mal entendu ne nous portent pas à détruire ce que la révolution a
fait.
Vous n’avez pas à redouter les élections populaires, car le peuple sent la
nécessité de ne donner sa confiance qu’aux honnêtes gens, et il est à portée de
les connaître. Certes, il est plus mûr aujourd’hui pour la liberté qu’il ne
l’était en l’an V, lorsque, après la réunion de la Belgique à la république
française, il fut appelé par la constitution de l’an III à choisir lui-même ses
représentants, ses administrateurs de département, ses officiers municipaux,
ses juges civils et criminels, ses accusateurs publics et ses juges de paix.
Cependant les élections de cette époque ne portèrent aux emplois publics
que des hommes généralement dignes de les remplir. Quant aux élections faites
en 1830 ou depuis, les municipalités qui en ont été le résultat n’ont-elles pas
également répondu aux vœux des amis de l’ordre et de la tranquillité ?
Ont-elles provoqué ou protégé le désordre et le pillage ? Croit-on obtenir des
administrations locales mieux composées lorsqu’une partie de leurs membres
tiendra ses pouvoirs du gouvernement ? Mais dans ce système qui choisira ? Ce
ne sera pas le Roi, ce ne sera pas même le ministère ; ce sera le commissaire
de district, le gouverneur de la province. Or, et supposez même que jamais
l’intrigue ne puisse circonvenir ces messieurs, feront-ils mieux que le peuple
? Non, car certainement l’essentiel pour eux c’est d’avoir sous leurs ordres
des hommes faciles, souples et soumis, au lieu que le peuple, lui, est
intéressé à trouver dans ses magistrats des caractères fermes, justes et
indépendants. Quelle pitié de souhaiter à ne voir en lui qu’un enfant
capricieux, indisciplinable, bon à tenir en tutelle, après une révolution toute
récente faite par lui et pour son émancipation ! Le traiterait-on plus mal s’il
eût été vaincu dans cette lutte sanglante ? Est-ce en le privant de ses droits
que l’on prétend commencer son éducation constitutionnelle et l’attacher au
nouvel ordre de choses ? N’a-t-on plus besoin de lui désormais, si ce n’est
pour le charger d’impôts ? Ceux-là semblent le croire qui jugent la révolution
finie et sont devenus optimistes, parce qu’elle leur a procuré de bonnes
places, de bonnes fournitures et de l’argent. Enfin dira-t-on que le peuple se
laisse mener par les gens d’église ? ; Sans doute personne n’ignore les
projets, les manœuvres et l’activité de ce parti ; mais ceux qui paraissent
s’en effrayer ne peuvent ignorer que maintenant il a dans les bureaux beaucoup
plus de crédit qu’il ne peut espérer d’en obtenir dans les collèges électoraux.
Car le temps et l’expérience ouvrent les yeux au peuple ; son bon sens naturel
lui fait sentir, à la fin, la possibilité de trouver des gens de bien, des
citoyens responsables, intègres, dignes de son choix, dans cette classe
d’hommes dont le seul crime, aux yeux des intrigants qui veulent nous dominer,
est de haïr leur charlatanisme et leur hypocrisie.
On nous a dit : « Le gouvernement doit être représenté dans chaque
commune. » Oui, sans doute, car les communes composent l’Etat et ne
doivent pas faire un Etat dans l’Etat. Mais, je le
demande, le gouvernement ne sera-t-il pas représenté dans chaque commune, si le
peuple continue à nommer directement tous les membres des municipalités ? N’est-il
pas représenté à l’heure qu’il est ? N’abusons pas des mots. Qu’est-ce donc que
représenter le gouvernement, si ce n’est faire exécuter la loi ? Or, cette
mission, j’ose l’assurer, est et sera aussi bien et mieux remplie par les élus
du peuple, que par les affidés du pouvoir. Sans doute personne n’est
infaillible, et les élus du peuple pourront aussi s’écarter quelquefois de
leurs devoirs. Mais dans ce cas vos lois seront là pour annuler leurs actes,
les suspendre de leurs fonctions, les destituer et même les livrer aux
tribunaux. Que dis-je ! sans rien ajouter à la législation actuelle, vous avez
dans les codes de Bonaparte assez de peines correctionnelles, afflictives et
infamantes à appliquer aux fonctionnaires délinquants ou contrevenants, et les lois
administratives ont toujours permis d’envoyer aux négligents et aux insouciants
des commissaires à leurs frais, afin de stimuler et de réchauffer leur zèle. Si
donc le gouvernement n’a pas d’arrière-pensée, s’il veut marcher dans la bonne
voie, la nomination directe des municipalités par les citoyens ne peut en rien
le contrarier.
Mais s’il dissimule, s’il prétend nous donner le change ; si, comme il est
permis de le craindre, il ne cherche à obtenir la nomination des chefs des
administrations municipales qu’afin d’augmenter sa propre autorité, et par
exemple, d’obtenir, au moyen de nouveaux agents dévoués à son système, une plus
grande influence sur les élections ; si, en outre, il ne regarde pas les
magistrats comme de simples exécuteurs de la loi, s’il veut en faire, surtout
dans les grandes communes, des correspondants de sa police, des inquisiteurs,
des dénonciateurs de conspirations imaginaires, alors vous devez bien vous
garder d’entrer dans ses vues, car sans doute votre système, à vous, c’est que
les élections soient libres, que les fonctions municipales ne soient ni
dénaturées ni avilies. Un bourgmestre est le représentant et le défenseur né de
ses concitoyens. Pour faire le bien, je dirai plus pour faire aimer le
gouvernement, il doit jouir de leur confiance. Comment l’accorderaient-ils à un
intrigant, à un mouchard dans lequel ils ne pourraient voir qu’un ennemi ?
On nous dit aussi, et pour la millième fois, que le bourgmestre est un
magistrat mixte et que, par cette raison, il doit tenir sa nomination tout à la
fois du gouvernement et du peuple : idée empruntée à l’ouvrage d’Henrion de Pansey et fondée sur
ce préjugé que l’élu du peuple ne peut être l’agent du pouvoir exécutif. Mais
rien de cela dans la constitution. Si elle avait admis un pareil principe, elle
n’aurait pas laissé à la législature l’option de faire élire le chef de la
municipalité, soit directement, soi indirectement par le peuple. De plus, et
pour être conséquente avec elle-même, elle aurait appelé le peuple à participer
aussi à l’élection des juges qui sont également des magistrats mixtes, du moins
dans le sens attaché à ce mot par la section centrale ; car, à mes yeux, les
fonctionnaires publics, quelque charge qu’ils occupent, sont tous, sans
exception, des exécuteurs de la loi, de véritables serviteurs du peuple qui les
paie. Mais qu’on doive ou non regarder les bourgmestres et même les échevins
comme des magistrats mixtes, il n’importe ; il n’y a pas de raison d’ôter au
peuple leur nomination directe, puisque par ce mode d’élection on est sûr,
comme je l’ai déjà dit, d’obtenir de bons choix. Pourriez-vous en douter, vous,
messieurs, qui devez à ses suffrages l’honneur de
siéger ici ?
Votre deuxième section, adoptant une disposition de la nouvelle loi
anglaise sur les municipalités, désire que le bourgmestre soit pris dans le
sein du conseil municipal et choisi chaque année, soit par le Roi, soit par le
conseil municipal lui-même. Mais ce mode enlèverait visiblement au peuple la
nomination de son premier magistrat, car le choix du gouvernement ou du conseil
municipal pourrait tomber précisément sur un individu dont les électeurs
auraient eu l’intention de ne faire qu’un simple conseiller. Quant au
renouvellement annuel du bourgmestre, je n’en vois pas la nécessité.
Mais de tous les systèmes, le plus bizarre, sans contredit, c’est de faire
nommer exclusivement le bourgmestre par la couronne, en ne donnant à ce
fonctionnaire que voix consultative dans les délibérations du conseil. Ainsi,
le président, le premier de l’assemblée, n’y serait en réalité qu’un donneur
bénévole d’avis, dont elle pourrait ne tenir aucun compte, qu’elle ne serait
pas obligée d’écouter. Singulier rôle qui le placerait au-dessous d’un simple
conseiller municipal ! A-t-on prétendu en faire un commissaire du Roi ? Mais un
commissaire du Roi n’est plus un bourgmestre. A quoi bon, d’ailleurs, ce
nouveau rouage lorsque, pour surveiller les administrations locales et les
tenir en bride, vous avez déjà les commissaires de district, les gouverneurs,
les administrations provinciales, et même, dans plusieurs circonscriptions, les
procureurs généraux et les procureurs du Roi près les tribunaux ; sans compter
les procureurs du Roi que vous aurez plus tard dans chaque canton, si les
projets de M. Lebeau sont adoptés. On nous parle sans cesse de la nécessité de
centraliser les pouvoirs : ne vous semble-t-il pas qu’au moyen de tous ces
surveillants, placés eux-mêmes sous la surveillance des ministres, nous aurons
une centralisation parfaite, propre à contenter les plus exigeants et que ne
pourra altérer, en aucune façon, la nomination directe des bourgmestres par les
électeurs ? Des hommes habitués à voter avec le ministre ont pris à tâche, lors
de la première discussion, et je ne sais pourquoi, de démontrer la bonté du
système de la centralisation des pouvoirs si heureusement imaginé, ont-ils dit,
par l’immortelle assemblée constituante. Plût à Dieu qu’un pareil système
entrât tout entier et sans altération dans vos lois ! La liberté y gagnerait
beaucoup, et l’ordre public n’y gagnerait rien. Mais, à vrai dire, ce n’est pas
précisément ce que veulent ces messieurs ; la centralisation, dans leur opinion
d’aujourd’hui, du moins, consiste à ne laisser au peuple qu’une très petite
dose de liberté, pour donner au gouvernement les pouvoirs les plus étendus, car
il n’a jamais assez de force.
Telle est probablement aussi la manière de voir de M. Dequesne quand il
préfère au système de Barneveld le système de la maison d’Orange. Mais comment
a-t-il pu trouver dans le gouvernement des stathouders l’origine ou
l’affermissement de la puissance d’un pays dont, sans excepter le Taciturne,
ils ne furent jamais que les tyrans ? N’est-ce pas à la création d’une marine
formidable que les provinces unies durent leurs colonies, leur commerce, leurs
immenses richesses et leur poids dans la balance de l’Europe ? Et cette marine,
la politique des assassins de Barnebeld et des frères
Dewit n’eut-elle pas constamment pour objet de
l’affaiblir et de la ruiner, parce qu’elle était nationale, protectrice de la
liberté, opposée à leurs vues usurpatrices et despotiques ; au lieu qu’ils
augmentaient l’armée de terre composée de mercenaires, d’étrangers, propre à
comprimer les citoyens et à les tenir sous le joug.
L’honorable député attribue aussi à la centralisation des pouvoirs
l’agrandissement de la France et la prospérité de l’Angleterre ; il attribue à
la non-centralisation la situation présente de l’Espagne, les malheurs de
l’Italie déplorés par le Dante qu’on ne s’attendait pas à trouver ici, le
partage de la Pologne et, enfin, le mauvais succès de la révolte des Belges
contre l’Espagne. Croit-on que les mœurs des peuples, la nature de leurs
institutions étrangères au gouvernement central, les lumières, les idées
philosophiques, religieuses ou superstitieuses, la situation géographique des
Etats et leurs barrières naturelles, n’ont eu aucune influence ou n’ont eu
qu’une influence secondaire sur les événements ? Je le prierai de m’expliquer
comment les Suisses qui n’ont jamais connu la centralisation, ont pu cependant
secouer le joug de l’Autriche et conserver jusqu’aujourd’hui leur liberté.
Je me résume, messieurs. L’élection des municipalités
peut sans inconvénient être confiée au peuple ; car il a fait les
municipalités existantes, elles marchent bien, et marcheront mieux lorsqu’elles
seront guidées par des administrations de province à la nomination des
électeurs. Je crois les libertés de la nation plus en péril que l’ordre public,
la centralisation actuelle bien suffisante, le pouvoir assez fort, et ses prérogatives
déjà trop étendues ; je ne trouve ni prudent, ni raisonnable, ni juste de les
augmenter. Je suis donc d’avis qu’usant du droit incontestable que vous donne
la constitution, vous décrétiez que « le bourgmestre, les échevins et les
membres du conseil municipal continueront d’être nommés directement par les
électeurs de la commune. »
Je n’ai pas fait valoir, en faveur de mon opinion, l’exemple de la Prusse
où les communes nomment seules leurs officiers municipaux. Je ne suis pas du nombre
de ceux qui s’étonnent de voir le ministère d’un pays constitutionnel faisant
tous ses efforts pour priver les citoyens du droit qu’un monarque, presque
absolu, accorde sans difficulté à ses sujets. Car une pareille concession a pu
paraître sans conséquence au despotisme là où la nation n’étant pas
représentée, il n’a pas à s’occuper des moyens de composer les chambres
législatives de manière à ce qu’elles opinent toujours dans ses volontés ; et
l’on sait qu’il n’en est pas de même dans le régime représentatif, le plus
parfait de tous cependant, si nous en croyons les honnêtes gens qui
l’exploitent.
(Addendum au Moniteur belge n°50, du
19 février 1836 :) Nous reproduisons ci-après l’amendement aux articles 1er
et 2 de la loi communale présenté par M. Pollénus dans la discussion générale, séance du
8 février, et que nous avons omis dans le compte-rendu de cette séance :
« Il y a dans chaque commune un conseil municipal et un bourgmestre
avec un adjoint au moins et trois au plus.
« Le conseil municipal est élu directement par les électeurs de la
commune.
« Le Roi nomme le bourgmestre et ses adjoints dans le sein du conseil
municipal. »
- La séance est levée à 5 heures.