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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 28 avril
1838
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Rapports sur des demandes en naturalisation
3) Motion d’ordre relative à la situation militaire
dans la province de Luxembourg (incident de Stassen) et/ou proposition d’une
commission d’adresse au Roi (Metz, d’Huart,
de Theux, Metz, de
Theux, Metz, d’Hoffschmidt,
de Theux, d’Hoffschmidt, Gendebien, de Theux, Pollénus, de Brouckere, d’Hoffschmidt, Trentesaux,
Metz, F. de Mérode, Vandenbossche, Mast de Vries, de Brouckere, de Theux, Verdussen, de Brouckere, Verhaegen, F. de Mérode, Lebeau, Trentesaux)
(Moniteur belge n°119, du 29 avril 1838)
(Présidence
de M. Raikem.)
M.
de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et demie.
M.
Lejeune donne lecture du procès-verbal de la séance
d’hier, dont la rédaction est adoptée.
M.
de Renesse fait connaître l’analyse de la pétition
suivante.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«
Le sieur Dewylder, ex-géomètre du cadastre, réclame le paiement d’une créance à
la charge du gouvernement français pour l’achèvement des plans parcellaires des
communes de Mendonck et Winkel en 1814. »
-
Renvoi à la commission des pétitions.
_________________
M.
Smits demande par lettre un congé de quelques jours.
-
Accordé.
RAPPORTS SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION
M.
Lejeune, M. Desmet et M. Dubus (aîné) déposent plusieurs
rapports sur des demandes en naturalisation.
MOTION D’ORDRE RELATIVE A LA SITUATION MILITAIRE
DANS LA PROVINCE DU LUXEMBOURG
M. Metz.
- Je réclame l’attention de la chambre. J’ai à lui communiquer un fait d’une
nature extrêmement grave, qui intéresse trop l’honneur national pour que vous
ne prêtiez pas tous la plus grande attention à mes paroles.
Le
village de Strassen, à une lieue de Luxembourg, est malheureusement compris
dans le territoire qu’on est convenu d’appeler le territoire cédé. Dimanche
dernier, à l’occasion de l’installation du bourgmestre nouvellement nommé, on a
planté devant la maison de ce bourgmestre un arbre, arbre de la liberté, dont
le sommet fut couronné par le drapeau aux trois couleurs. Je ne le conteste
pas, les populations ont saisi avec empressement l’occasion qui leur était
offerte de protester contre le morcellement dont elles sont menacées. De ce
drapeau, qui est le vôtre, messieurs, vous allez voir ce qui en est advenu.
Voici
une lettre dont je garantis l’authenticité et qui renferme des faits exacts et
connus, je n’en doute pas, par le ministère qui m’entend.
«
Strassen, le 25 avril 1838.
«
Monsieur Metz,
«
Vous avez vu l’arbre de la liberté planté devant la maison de notre bourgmestre
à l’occasion de son installation récente, et les couleurs nationales belges
arborées de nouveau en signe de protestation contre le morcellement dont nous
sommes menacés. Eh bien ! à l’instant où je vous écris (4 heures de
l’après-midi), et l’arbre et le drapeau de la révolution ont disparu. Des
satellites du despotisme ont souillé de leurs mains liberticides les nobles
couleurs de notre espoir ! Voici le fait : à l’instant même un bataillon
d’infanterie prussienne au complet, avec avant et arrière-gardes, son chef en
tête, arme blanche, escorté de son état-major, d’un peloton de hussards,
d’autant de lanciers et de quelques pontonniers munis de haches, viennent
d’arriver ici, et en l’absence du bourgmestre ont sommé le secrétaire d’enlever
le drapeau. Sur son refus de le faire aussi bien que de l’ordonner à quelque autre,
le major prussien commanda aux pontonniers de mettre la hache à la main, et en
moins de cinq minutes arbre et drapeau gisaient par terre, et ce dernier fut
enlevé et emporté dans la forteresse.
« S’il
est décourageant de voir mépriser ainsi la nationalité belge, en foulant aux
pieds son noble signe de ralliement, quelque chose néanmoins doit consoler de
l’absolutisme germanique et faire espérer c’est la peur que lui inspire le
drapeau tricolore. Cette peur est telle que, pour ce fait d’armes d’aujourd’hui,
le commandant a cru devoir mettre sur pied une quasi-armée : 1,000 hommes
manœuvraient avec toutes les précautions de la guerre sur la route qui traverse
Strassen, tandis que quelques centaines de soldats précédaient cette masse
mobile, et qu’un pareil nombre à peu près la suivait. Cela ne suffisait
même pas ; tout le village était gardé à un quart de lieue à l’entour. On
prétend qu’il y avait du canon et que chaque soldat se trouvait pourvu de dix
cartouches. Cette dernière circonstance a été avouée par les soldats mêmes ;
quant au canon, je n’en ai pas vu.
« Je n’ai pas besoin de vous dire qu’en trop
petit nombre, nous n’avons pu que protester contre cet enlèvement. La jeunesse
se dispose à faire reparaître pour demain le drapeau aux trois couleurs au haut
du clocher. Si cela s’accomplit, je vous en informerai de suite. »
Eh
bien, vous l’avez entendu, c’est votre drapeau auquel une pareille souillure a
été imprimée ; des soldats de la confédération germanique ont renversé l’arbre de
la liberté, ils ont traîné votre drapeau dans la poussière, ils l’ont emporté
dans la forteresse ; et maintenant votre drapeau flotte peut-être dans
l’antichambre d’un major prussien.
Quelle
honte pour nous !
M. le
ministre des finances (M. d’Huart). - Il n’y a pas de
honte pour nous. La honte est toujours pour celui qui fait l’outrage.
M. Metz.
- Il y aura honte pour nous, tant que nous n’aurons pas obtenu une réparation éclatante
; je l’appelle de tous mes vœux ; je la demande grande, immense, comme
l’offense qui l’a provoquée. Qu’on emploie tous les moyens possibles pour
obtenir cette réparation et pour empêcher que de pareils attentats au drapeau
ne se renouvellent. Si nous ne pouvons obtenir cette réparation par la
diplomatie, cherchons à l’obtenir par nous-mêmes. Si nous ne sommes pas assez
forts pour l’obtenir, cessons d’être Belges ! Tout souffrir plutôt que le
déshonneur, plutôt que de traîner un nom flétri ; car pour les nations comme
pour les individus, le déshonneur c’est la mort.
Cette
lettre dont vous venez d’entendre la lecture, c’est un Luxembourgeois qui l’a
écrite. Eh bien, quel est le Belge qui oserait se flatter d’exprimer avec plus
d’amertume et de douleur la honte qu’il doit éprouver ? Qui oserait dire qu’il
saurait exprimer mieux que lui les sentiments qui doivent animer tout Belge ?
C’est un Luxembourgeois, et il en est comme lui 150 mille que le morcellement
menace, et dans le Limbourg ils ont 200 mille frères.
On
ne conçoit pas la crainte, la douleur qui nous tourmentent, aujourd’hui que
nous voyons approcher le jour de l’exécution des 24 articles. Si ce jour
néfaste doit jamais luire pour nous, éloignons-en la crainte autant que
possible. Qu’il tombe sur nous comme un coup de foudre, mais ne traversons pas
les horreurs d’une longue agonie. Jusque-là, espérons, croyons que jamais le
traité des 24 articles ne sera exécuté. Nous comptons sur l’appui de la
chambre, sur la bienveillance du gouvernement, sur la sympathie de la Belgique
entière. C’est à la chambre que nous en appelons en ce moment. C’est à la
chambre que nous proposons de voter l’adresse que voici :
« Projet
d’adresse au Roi.
« Sire,
« En
1831, des circonstances malheureuses menaçaient la Belgique du douloureux
sacrifice de nos frères du Limbourg et du Luxembourg ; peut-il se consommer
encore aujourd’hui que sept années d’existence commune les ont attachés à la
Belgique ? La chambre, Sire, ose espérer que, dans les négociations à ouvrir
pour le traité avec la Hollande, l’intégrité du territoire belge sera
maintenue.
«
Fait au palais de la Nation, le 24 avril 1838.
« (Signé)
Metz, d’Hoffschmidt, de Renesse, de Puydt, Jadot, Pollénus, Scheyven, Simons,
de Longrée. »
Quel
est donc celui d’entre vous qui ne voulût souscrire avec empressement à un vœu
si noble, aussi simplement, aussi naturellement exprimé ? En est-il un parmi
vous qui pourrait croire, espérer, vouloir que le Limbourg et le Luxembourg
soient détachés de la Belgique ? Qui voudrait nous forcer à fuir de notre pays,
traînant avec nous nos femmes et nos enfants, et abandonnant nos frères à la
haine et à la vengeance ; car telle serait notre destinée à nous qui avons juré
l’expulsion des Nassau à perpétuité. Obligés à fuir et à nous réfugier ; où ?
au milieu de ceux mêmes qui nous ont abandonnés ! Quel double supplice pour
nous ! Mais telle n’est pas, je pense, la volonté de la chambre ; elle désire,
j’ose l’espérer, que l’intégrité du territoire soit maintenue. C’est un vœu
qu’elle exprime ardemment. Et s’il fallait qu’un peuple payât à prix d’argent
une liberté qu’il ne tient que de Dieu et de lui-même, personne, je pense, ne
reculerait devant des sacrifices pécuniaires. Faut-il des compensations à la
Hollande, lui faut-il de l’argent ? Jetez-lui de l’or : croyez-moi, nous valons
la peine qu’on nous paie cher ; et comme l’a dit un homme d’Etat qui m’entend,
sans le Luxembourg la Belgique ne subsistera jamais. Un autre homme d’Etat, qui
m’entend également l’a dit : « La Belgique ne peut périr que par un
suicide. » Ce serait un suicide que l’abandon du Limbourg et du
Luxembourg. Si vous deviez abandonner le Limbourg et le Luxembourg, cette
prédiction se réalisant, oserais-je le regretter ? Ce serait le cours de la
justice divine. Egorger, vendre ses fières, ce furent les premiers crimes du
genre humain.
Je demande que la chambre se joigne à moi pour
inviter le ministère et le gouvernement à prendre les mesures les plus
énergiques pour obtenir une réparation éclatante et pour empêcher qu’il soit commis,
dans l’avenir, d’autres attentats à l’honneur national.
Je
demande que la chambre adopte, séance tenante, pour être présenté au Roi, le
projet d’adresse que je viens de lui soumettre.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Je viens
seulement d’apprendre, il y a un moment, que le général Tabor a adressé au
ministre de la guerre un premier rapport sur l’événement signalé à votre
attention. Il résulte de ce rapport qu’en effet 11 à 12 cents hommes de la
garnison de Luxembourg seraient venus enlever un drapeau arboré devant la
maison du bourgmestre nouvellement nommé à Strassen. Quant aux circonstances il
nous est impossible de les faire connaître, le général Tabor ayant annoncé qu’il
circule différentes versions sur cet événement et qu’il a chargé un officier de
recueillir des renseignements sur tout ce qui s’y rapporte.
Il
annonce un rapport ultérieur au ministre de la guerre et il a l’intention,
après que les faits auront été précisés, d’adresser une réclamation au
commandant de la forteresse de Luxembourg.
Jusqu’à
ce que nous ayons reçu des renseignements officiels plus complets sur tout ce
qui a trait à cette affaire, nous nous abstiendrons d’entrer dans d’autres
explications.
M. Metz.
- Je vous l’avoue, je m’attendais à une réponse semblable à celle que je viens
d’obtenir. Toujours des exceptions dilatoires ! Jamais aucune mesure qui puisse
rassurer une population alarmée !
Vous
ne pouvez élever aucun doute sur l’exactitude du fait que j’ai signalé. Vous
reconnaissez que ce fait est vrai ; vous reconnaissez qu’une souillure a été
imprimée au drapeau belge, et vous ne voulez prendre aucune mesure. Vous voulez
connaître les circonstances de ce fait ; mais qu’importent les circonstances du
moment que le fait est vrai ? Le ministère n’en sait-il pas assez pour aviser à
maintenir les droits de la Belgique sur le territoire prétendument cédé ? Si on
venait renverser le drapeau à Bruxelles, que diriez-vous ! Eh bien, ne
sommes-nous pas de la même famille ! Ne sommes-nous pas Belges, aussi bien que
vous ! Ne le sommes-nous pas par la constitution ! Vous nous avez appelés sous
les drapeaux ! Vous nous avez adressé des proclamations pressantes ; vous nous
avez appelés à concourir à votre régénération politique, à vous aider à
renverser un roi, qui peut-être vous pesait plus qu’à nous. Nous avons répondu
à votre appel. Un bataillon de Luxembourgeois a combattu à côté de vous et sous
le même drapeau que vous ; nos braves dorment avec les vôtres dans le même
cercueil ; et maintenant vous diriez que nous ne sommes pas Belges ; vous
viendriez nous livrer pieds et poings liés à nos ennemis. (Réclamations.)
La faiblesse que l’on montre aujourd’hui dit
assez la faiblesse que l’on montrera quand il s’agira de soutenir nos droits.
Notre malheur est donc facile à prévoir. Dieu veuille que ma prévision soit
trompée !
Je
demande que, sans égard à la réponse dilatoire par laquelle on a cherché à
arrêter l’expression unanime de l’indignation de la chambre, en présence d’un
attentat contre la dignité nationale, la chambre se joigne à moi pour inviter
le ministère à protester solennellement contre la violation de notre territoire
et l’outrage fait à notre drapeau, et à employer tous les moyens possibles pour
en obtenir la réparation.
Je
demande que la chambre décrète l’urgence, et vote séance tenante l’adresse que
nous avons proposé de soumettre au Roi.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - De ce que nous ne
nous laissons pas aller à l’entraînement de l’honorable orateur, il a tort de
conclure que nous envisagerions les faits avec indifférence et que nous ne leur
accorderions pas l’importance qu’ils méritent. Dans plusieurs circonstances
nous avons fait voir que le gouvernement a su employer les moyens nécessaires
pour empêcher le préjudice que l’on voulait porter au pays.
C’est en agissant
avec prudence que l’on peut être assuré de servir les véritables intérêts du
pays.
Je
vous le demande, n’y aurait-il pas une imprudence souveraine à qualifier des
faits dont les circonstances ne sont pas officiellement connues du
gouvernement, d’accueillir une motion à l’occasion de ces mêmes faits ? Telle
ne peut être la conduite du gouvernement. Je demande donc l’ajournement de
l’adresse jusqu’à ce que nous ayons reçu des renseignements, d’autant plus
qu’il n’y a réellement aucun motif d’urgence. Si la chambre veut entamer la
discussion sur l’urgence, je m’expliquerai ultérieurement.
M. Metz.
- Que le ministère explique les raisons pour lesquelles il n’y aurait pas
urgence !
M.
d’Hoffschmidt. - J’ai peu de chose à ajouter à ce qu’a dit mon
honorable ami M. Metz, dont je partage les sentiments et les opinions ; je dois
dire même que l’émotion que son discours m’a fait éprouver me maîtrise au point
que je ne saurais exprimer toutes les pensées qui m’assiègent en ce moment.
Les
faits énoncés par M. Metz sont-ils contestés ? Non ; ils ne peuvent faire
l’objet d’un doute. Ils sont confirmés par le ministère qui déclare avoir
appris par un premier rapport que 11 ou 12 cents hommes de la forteresse de
Luxembourg sont arrivés à Strassen et y ont arraché le drapeau belge. Cela ne
suffit-il donc pas pour nous autoriser à prendre toutes les mesures que réclame
l’honneur national outragé ? Au lieu de cela on vient nous parler de prudence ;
mais c’est à force de prudence et de pusillanimité que nous sommes arrivés au
point où nous en sommes. Continuez ainsi, et bientôt la Belgique n’aura plus
qu’un nom honteux aux yeux de toute l’Europe.
Pour
bien apprécier les faits, il faudrait connaître les négociations depuis
l’acceptation des 24 articles par le roi Guillaume, et qu’il fût fait par le
ministère un rapport à la chambre sur cet objet. Dans toutes les négociations
politiques, les ministères précédents ont présenté des rapports faisant
connaître aux chambres, comme ils le devaient faire, les principales bases de
ces négociations.
Aujourd’hui,
nous ne savons pas encore quelles sont les mesures adoptées par le
gouvernement, quelle est la position qu’il prend en présence de l’exécution
d’un infâme traité ? Je demande que le gouvernement, se conformant aux précédents
de la chambre, aux antécédents de ses prédécesseurs, dépose un rapport complet
sur les négociations entamées.
Il
est temps que nous sachions à quoi en sont ces négociations. Nous ne pouvons
permettre qu’on dispose de nous et sans nous, sans que les représentants de la
nation sachent à quoi s’en tenir. Il s’agit ici de l’honneur du pays. En fait
d’administration nous pouvons avoir confiance dans le gouvernement, nous
pouvons nous en rapporter à lui, nous pouvons lui dire : Administrez, vous êtes
le pouvoir exécutif, Mais ici la chose est trop grave et trop sacrée pour nous
en rapporter au gouvernement ; c’est à vous, mandataires de la nation, à savoir
et à dire ce que vous voulez faire dans cette circonstance ; votre
responsabilité personnelle est engagée dans la grave question qui s’agite.
Si
les hommes composant le gouvernement et les chambres ont de l’énergie, du
caractère, de la dignité, et j’aime à croire qu’ils en ont, la séparation dont
on a parlé n’aura pas lieu. Mais si nous fléchissons, nous pourrons être
séparés, car nous sommes en présence de despotes qui élèvent des prétentions
d’une époque où ils se livraient les peuples comme des troupeaux de bétail.
Si
vous fléchissiez cependant, il nous resterait encore une planche de salut dans
l’ardent patriotisme dont les populations menacées d’être cédées sont animées.
Partout on arbore le drapeau belge, on proteste sous les baïonnettes
prussiennes comme toute séparation.
Si
vous consentiez à cette séparation ignominieuse, elles allumeraient une guerre
générale plutôt que de la laisser exécuter ; il n’est pas un village qui ne se
révolte contre cette mesure, unique dans les annales des peuples civilisés ;
déjà des députations sont allées en France pour connaître les dispositions de
nos généreux voisins. Et on sait que le peuple français est disposé à nous
soutenir, et qu’au premier coup de fusil qui sera tiré dans nos provinces les
populations de nos frontières, quoi que fasse le gouvernement français,
voleront à notre secours. Enfin nous en appellerons à la sympathie des peuples
libres, et elle ne nous manquera pas. Si contre toute attente cet appel ne
nouas mettait pas à même de résister en nombre suffisant, nos populations
exultées au désespoir par suite d’un lâche abandon recourraient peut-être à des
moyens extrêmes ; déjà elles parlent d’empoisonner les fontaines en désespoir
de cause, et s’il le faut pour détruire un ennemi en abhoration ; enfin il
n’est pas de sacrifice qui nous coûte pour résister à l’oppression. Voilà ce
que font les peuples qui veulent défendre leur liberté. Que le gouvernement
nous soutienne, et nous aurons l’espoir de n’être pas sépares de nos frères ;
mais ses réponses évasives sont de nature à jeter le désespoir dans nos cœurs.
C’est de la vigueur qu’il faut montrer dans des dispositions semblables.
Ce n’est pas parce que nous sommes 4 millions
d’habitants que nous pouvons compter sur l’effet de l’énergie que nous
montrerons, mais parce que la Belgique est une pomme de discorde pour les
puissances qui l’environnent, et que le premier de fusil sur ses frontières
sera le signal d’une conflagration générale. Et croyez-vous, messieurs, que les
puissances ne craignent pas une guerre générale ! Voilà votre force. Montrez de
la résolution et vous empêcherez le sacrifice ignominieux qu’on veut vous
arracher.
Je
n’en dirai pas davantage jusqu’à ce que les ministres se soient prononcés plus
explicitement ; et en résumé, je demande que l’adresse soit votée
instantanément au lieu d’être ajournée. Montez qu’un cœur patriotique palpite
dans votre poitrine ; et que la chambre, s’il le faut, reste en permanence,
jusqu’à ce que cette adresse soit votée. Voilà comme le congrès belge se serait
conduit.
M. le ministre de
l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux).
- Vous aurez remarqué, messieurs, que l’adresse vous est proposée à l’occasion
d’un fait sur lequel il manque un rapport complet. Nous croyons qu’il est de la
dignité de la chambre de ne pas se prononcer immédiatement. Voilà la seule
observation que je crois devoir vous présenter sur ce point.
On
demande un rapport sur les négociations entamées relativement au traité des 24
articles. Je répondrai qu’il n’y a pas encore de négociations entamées. Vous
avez vu par les feuilles hollandaises qu’il a été fait une déclaration par le
gouvernement néerlandais sur l’acceptation du traité, et qu’il lui en a été
accusé réception par le gouvernement britannique. Voilà à quoi se réduisent les
actes jusqu’à présent. Il n’y a donc pas lieu de faire de rapport. Au surplus,
je pense, ainsi que je l’ai dit dans une autre occasion récente, que ce n’est
pas en adressant au gouvernement des interpellations sur des faits qui ne sont
pas actuels, que l’on peut améliorer la situation diplomatique. La diplomatie
doit être suivie par le gouvernement ; il faut lui laisser toute latitude, afin
qu’il puisse agir dans le plus grand intérêt du pays.
M.
d’Hoffschmidt. - M. le ministre vient de vous dire qu’il n’était
pas de la dignité de la chambre de s’expliquer sur un fait sur lequel elle
n’avait pas de rapport officiel. Nous en avons garanti l’authenticité parce que
nous connaissons les personnes qui nous en ont informés. Des rapports officiels
n’ajouteront rien à sa notoriété. Ce n’est pas parce qu’il vous sera affirmé
par le général un tel ou par telle autre autorité, que la véracité de ce fait
sera plus garantie.
Quant
à l’autre partie de la réponse du ministre, je m’y attendais. Nous n’avons rien
fait, vous a-t-il dit, nous ne pouvons pas déposer de rapport. Nous ne
connaissons que l’adhésion du gouvernement hollandais au traité des 24
articles, et l’accusé de réception de la part du gouvernement anglais. Voilà
tout.
Ainsi vous êtes restés neutres, vous êtes restés
impassibles en présence d’un fait semblable ? C’est impossible ; les paroles
que vous venez de prononcer ne peuvent pas être considérées comme un rapport.
Je suis convaincu que le gouvernement n’est pas resté neutre et impassible.
Mais nous n’avons aucun moyen de forcer le ministère à en dire davantage !
Je
me bornerai alors à demander qu’aussitôt que des négociations seront entamées,
on nous les fasse connaître. Nous ne voulons pas, dans une position aussi
importante, nous en rapporter à ce que fera le gouvernement.
M.
Gendebien. - Lorsqu’il y a sept ans, l’élan patriotique
n’était pas encore éteint, il suggérait des paroles qui étaient en rapport avec
les circonstances du moment ; on s’adressait alors aux sympathies des peuples :
avec de l’énergie, de la fermeté, de la violence même, s’il avait fallu, nous
aurions triomphé infailliblement et nous n’aurions pas été traînés depuis sept
ans de protocole en protocole et d’affront en affront. Mais aujourd’hui nous
nous adressons à la diplomatie ; notre langage toujours ferme et digne doit
être plus calme, plus réfléchi.
Quant
à moi, je n’ai pas de profession de foi à faire ; mes opinions sont connues,
elles n’ont pas changé. J’ai toujours considéré la diplomatie comme un jeu qui
devait nous tuer, comme un jeu de dupe pour nous. Je n’en ai jamais accepté la
responsabilité ; je n’en ai jamais été dupe ; et s’il y a du déshonneur pour
quelques- uns, je puis en répudier ma part. Mais ne revenons pas sur ces
questions irritantes, et voyons quelle est notre position du moment.
Pour
moi je ne puis croire que l’attaque sur notre drapeau, à une lieue de la
forteresse de Luxembourg, soit l’effet du pur hasard ou du caprice ; je crains
que ce ne soit un premier acte d’exécution des 24 articles. Cela me semble le
prélude pour arriver à une fin qui, pour avoir été prévue il y a sept ans, n’en
sera pas moins déshonorante pour la Belgique si elle ne prend pas une attitude
convenable.
Nous
avons entendu des expressions un peu vives qui sont parties de cœurs justement
froissés ; mais je crois que l’adresse proposée par M. Metz ne peut souffrir
d’objection, car elle ne contient rien d’irritant, rien que de très convenable.
Une nation de 4,000,000 d’hommes, comme une nation de trente millions, peut
tenir ce langage, sans être taxée d’exagération. Je ne puis concevoir comment
le ministère hésite à donner son adhésion à une telle proposition, qui n’aurait
et ne peut avoir pour résultat que de l’appuyer. C’est véritablement un point
d’appui qu’on lui offre, et il le refuse !
Il
prétend rattacher cette proposition à un fait tout particulier ; je n’en vois
pas la nécessité ni l’utilité ; quoi qu’il en soit, si l’on prétend rattacher
l’adresse à ce fait, on le peut, sans preuve ultérieure ; car que veut-on de
plus que l’aveu du ministère ? Il ne conteste pas le fait principal,
c’est-à-dire que onze ou douze cents hommes ont abattu l’arbre de la liberté
dans le Luxembourg, et ont foulé aux pieds le drapeau national. Voilà le fait
connu ; quels nouveaux détails attendez-vous ? Est-ce que les détails pourront
détruire ce fait principal ? Vous pouvez donc rattacher la proposition de M.
Metz à ce fait tout récent, sans attendre des renseignements ultérieurs, et
sans le moindre inconvénient.
En adoptant la proposition, la chambre et le
ministère prennent-ils l’engagement d’attaquer la garnison de Luxembourg, et de
courir sus ? Il n’y a aucune conséquence de ce genre à tirer de la proposition
de M. Metz. Pourquoi donc arrêter le vote de la chambre sur cette adresse ?
Que
le ministère, avant de répondre catégoriquement aux interpellations qui lui
sont adressées, demande un délai, je le conçois, quoiqu’il soit inutile ; mais
quant à voter l’adresse, il n’y a pas de raison pour motiver l’ajournement.
Pour
moi, je voterai l’adoption de l’adresse. Je n’ai qu’un regret, c’est qu’elle
n’aille pas plus loin. Si j’adhère à la modération qui l’a dictée, c’est un
moyen d’obtenir l’unanimité des suffrages de la chambre.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Messieurs, à
entendre l’honorable M. d’Hoffschmidt, il semblerait que des négociations sont
entamées sans l’intervention du gouvernement belge ; c’est une grave erreur. A
l’heure qu’il est, il n’y a pas de négociations entamées, ni avec notre
participation ni sans notre participation. Nous ne pouvons considérer comme
négociation une déclaration du gouvernement hollandais faite au gouvernement
britannique qu’il adhère au 24 articles, et un accusé de réception de cette
déclaration. Je persiste donc à soutenir qu’il n’y a pas lieu, quant à présent,
à faire un rapport sur la question diplomatique.
Un
autre honorable orateur se demande si le fait qui vient de se passer ne peut
pas être envisagé comme un premier pas dans l’exécution des 24 articles.
Evidemment non ; cet acte est tout à fait étranger aux 24 articles.
On
s’est encore demandé pourquoi je rattachais la motion d’adresse présentée par M.
Metz aux faits qui sont signalés ; mais en cela je n’ai suivi que l’impulsion
donnée par l’honorable M. Metz lui-même, puisqu’il motive l’opportunité de
l’adresse sur les faits ; et j’ai pu dire qu’il n’était pas de la dignité de la
chambre de se prononcer d’une manière directe ou indirecte quand il n’y avait
pas de rapport officiel reçu par le gouvernement.
Si l’on veut isoler l’adresse de l’événement qui
vient de se passer dans le Luxembourg, je dis qu’alors encore il ne faut pas
l’improviser. Une motion pareille aurait dû être annoncée à l’avance, il faut
pouvoir en méditer la portée, et ce n’est pas dans les circonstances actuelles
qu’on peut trouver la nécessité d’adopter par acclamation l’adresse qui vient
d’être déposée sur le bureau de la chambre.
En
procédant ainsi, la chambre renierait ses antécédents : quand on a cru devoir
voter des adresses, elles ont été examinées, elles ont fait l’objet de
rapports.
M.
Pollénus. - Si la proposition que nous venons soumettre
à vos délibérations était de nature à ne pouvoir être saisie à la première
lecture, je concevrais que dans une matière aussi grave le ministère pût exiger
qu’on lui donnât le temps nécessaire pour méditer la portée d’une proposition
semblable ; mais je prie la chambre de le remarquer, le projet d’adresse est de
toute simplicité ; il n’exprime qu’un vœu qui est dans vos cœurs ; et ce vœu
quel est-il ? C’est que l’intégrité du territoire soit maintenue. Ii n’y a
aucune autre pensée dans le projet d’adresse ; comment pourriez-vous hésiter à
exprimer un sentiment que vous tous vous partagez avec nous ?
Dans
le moment où les négociations vont être reprises, si elles ne le sont déjà, le
gouvernement devrait, me semble-t-il, considérer notre proposition comme une
démonstration sur laquelle il pourra s’appuyer comme sur un vœu exprimé par le
pays entier ; car les vœux d’un peuple libre sont un titre respectable que le
négociateur peut invoquer avec fierté dans les conseils des rois.
Je
ne puis m’imaginer que le gouvernement soit pris à l’improviste et qu’il se
soit attendu à voir la chambre rester indifférente aux événements qui se
passent autour de nous.
Comment
pourrions-nous garder le silence, alors que les chambres hollandaises et
françaises ont été si vivement agitées d’intérêts qui nous concernent en
première ligne ? Leurs tribunes ont été retentissantes pendant plusieurs jours
; la nôtre pourrait-elle être muette ? Messieurs, ne l’oubliez pas, nos
concitoyens, l’Europe entière ont les yeux fixés sur nous. Je sais fort bien,
ainsi que l’a dit M. le ministre des affaires étrangères, que la diplomatie
doit être suivie par le gouvernement ; la chambre a aussi des devoirs à
remplir, a aussi sa responsabilité propre. Si les ministres croient pouvoir
protéger le pays au milieu des circonstances difficiles ou nous nous trouvons,
quel motif pourrait les engager à repousser notre coopération ? N’avons-nous
pas les mêmes intérêts à défendre, les mêmes devoirs à remplir ? Nos mandats,
nos serments ne sont-ils pas les mêmes ?
Messieurs,
j’ai foi dans les intentions du ministère ; je vois au banc des ministres des
députés qui ont accepté le mandat de défendre les mêmes provinces que nous, j’y
vois un autre membre du cabinet qui, à l’occasion d’une autre violation de
territoire, prit si énergiquement la défense de nos braves concitoyens du
Luxembourg : lui pas plus que ses collègues n’abandonnera ceux dont il défendit
les droits comme député.
Mais
notre confiance dans les membres du cabinet ne peut nous dispenser de
l’accomplissement des devoirs inséparables de notre mandat ; sachons les
remplir arec prudence, avec fermeté.
Le
gouvernement hésite, il propose l’ajournement de la discussion.
Qu’y
a-t-il donc d’embarrassant dans l’expression d’un vœu, qui est partagé par tous
les Belges, que nous tous nous avons exprimé mille et mille fois dans cette
enceinte ?
Si j’eusse entendu articuler un seul motif à
l’appui de l’ajournement, je l’admettrais, car ni mes collègues ni moi nous ne
voulons de surprise ; nous avons tous cru que notre proposition devait être
pressentie, et en réclamant le vote immédiat, nous n’avons entendu que vous
fournir une nouvelle occasion de proclamer les droits conquis par la
révolution, et de faire éclater votre sympathie pour tous les Belges et la
ferme résolution de ne jamais nous séparer de nos concitoyens du Luxembourg et
du Limbourg.
Point
d’hésitation dans un moment aussi solennel !
M.
de Brouckere. - Messieurs, je sais bon gré aux honorables
députes du Limbourg et du Luxembourg auxquels est venue la pensée de nous
proposer une adresse relative aux négociations dont on s’occupe en ce moment ;
je leur sais bon gré parce que cette proposions me met dans le cas de pouvoir
répondre ici à certaines insinuations qui me concernent. Messieurs, lorsque le
traité des 18 articles et celui des 24 articles ont été soumis à l’approbation
des représentants de la nation, j’étais député d’un district qui devait être
démembré dans le cas de l’adoption de ces traités ; je me suis alors élevé
contre cette adoption avec véhémence, et, je dois le dire, avec quelque
amertume ; maintenant que j’ai l’honneur d’être député ici par la capitale, on
en a tiré la conséquence qu’ayant changé de position, je changerais aussi de
sentiments ; c’est mal me connaître, messieurs ; tout en ayant changé de
position, et dussé-je encourir la disgrâce de quelques-uns de ceux qui m’ont
donné leur voix, je n’ai point changé et je ne changerai point d’opinion ; tel
que je me suis montré en 1831 et en 1832, tel je me montrerai en 1837 (très bien ! très bien !), avec cette
seule différence peut-être qu’à la véhémence et à l’amertume succéderont un peu
plus de modération et de sang-froid dans les expressions ; mais au fond je
resterai le même. (Marques d’approbation.)
Ce
que je viens de dire, messieurs, ne s’adresse pas seulement à vous ; j’attends
assez justice de votre part pour être persuadé que vous ne m’avez pas jugé avec
autant de légèreté que l’ont fait certaines personnes au-dehors et surtout
certains journaux, qui ont renfermé depuis quelque temps des articles dans
lesquels j’étais nominativement désigné.
Maintenant
j’arrive à la question. Un projet d’adresse nous est présenté par quelques-uns
de nos collègues ; quel est le sens de cette adresse ? Elle n’en a aucun autre
que de faire porter au Roi ce vœu de la chambre que dans les négociations qui
vont avoir lieu, l’intégrité du territoire belge puisse être maintenue. Eh
bien, rentrez en vous-mêmes, messieurs, et je vous le demande, y en a-t-il un
seul parmi vous qui ne forme pas ce vœu ? Eh bien, si vous le formez
tacitement, pourquoi ne pas l’exprimer ? Pourquoi ne pas l’exprimer surtout
alors que les populations menacées sont en émoi à la seule pensée que,
peut-être, approche l’époque tant redoutée où elles seront forcées de nous
abandonner ; alors que ces populations demandent que vous votiez cette adresse,
comme pouvant les rassurer un peu sur leur avenir ? Quant à moi, je ne vois pas
le moindre inconvénient à la voter immédiatement.
Cependant, pour
satisfaire aux scrupules qui ont été manifestés, si l’on veut que l’adresse
soit d’abord soumise à une commission, eh bien soit, que l’on nomme
immédiatement cette commission, qu’elle se retire, qu’elle examine la
proposition et qu’elle fasse son rapport : tout cela peut se faire séance
tenante, car remarquez bien, messieurs, que si nous sommes d’accord sur
l’opportunité de faire une adresse renfermant le vœu que nous voulons exprimer
au Roi, toute la discussion doit se borner à ce qui concerne les termes dans
lesquels cette adresse doit être conçue ; eh bien, j’admets qu’il y a dans le
projet des expressions qu’il sera peut-être convenable de modifier, mais c’est
là une chose à décider avant que la séance ne soit terminée. Je fais donc la
proposition formelle qu’une commission soit nommée pour examiner immédiatement
la proposition soumise à la chambre par M. Metz et ses honorables collègues, et
que le rapport soit fait avant la clôture de la séance.
M.
d’Hoffschmidt. - Je me rallie à la proposition de l’honorable
M. de Brouckere.
M. Trentesaux. - Messieurs, la
prudence est une excellente chose, la prudence est de mise partout ; mais il
est des sentiments auxquels il est difficile de résister. On s’est adressé à nos
sentiments et nous pourrions d’enthousiasme nous laisser aller ; je crois donc
que nous devons être ici en garde contre nous-mêmes, que nous devons surtout
prendre conseil de la prudence. Que devons-nous donc faire ? Je crois que la
session ne durera plus longtemps, et ce que je désirerais, ce serait qu’on
arrêtât dès à présent qu’avant la clôture de la session il y aura un comité
général dans lequel nous dirions tout ce que nous pensons, aussi bien sur
l’adresse que sur ce qu’on appelle les négociations, qu’on a dénié exister
d’une part et qu’on croit exister de l’autre.
Je
me résume donc ; je crois que tout ce que nous pouvons faire de mieux
aujourd’hui, c’est de décréter qu’il y aura une séance secrète plusieurs jours
avant la fin de la session afin que tous les membres de l’assemblée puissent
être présents, et que cette séance soit consacrée à l’examen de la proposition
qui vient d’être faite.
M. Metz.
- Messieurs, je me rallie entièrement à la proposition de l’honorable M. de
Brouckere, qui rentre d’autant plus dans mes vues, que les députés du
Luxembourg et du Limbourg n’ont pas entendu proposer la moindre chose qui ne
puisse être acceptée par toute la chambre avec la plus entière sécurité ; mais
la proposition de l’honorable M. Trentesaux n’obtiendra certes pas mon
assentiment ; c’est là un véritable ajournement, et je le demande, messieurs,
est-ce que nous ajournions, nous habitants du Luxembourg, lorsqu’il s’agissait
de défendre le pays ? Est-ce que nous ajournons, quand il s’agit de contribuer
aux charges publiques ? Pouvez-vous ajourner de satisfaire à notre demande,
surtout lorsque le ministère n’a pas encore répondu un mot à la déclaration
faite par la Hollande qu’elle est prête à accepter un traité contre lequel le
canon de Chassé a proteste, un traité que la vétusté a réduit en poussière ?
Je pense, messieurs, que notre proposition est
conçue dans les termes les plus modérés, les plus convenables, qu’elle ne peut
pas manquer d’obtenir l’assentiment unanime de la chambre ; et, comme l’a dit
l’honorable M. de Brouckere, s’il n’est pas un membre dans cette enceinte qui
ne forme le vœu exprimé dans le projet,
pourquoi ne consignerions-nous pas ce vœu dans un acte qui peut servir de piédestal
au ministère ? Je pense donc, messieurs, qu’il y a lieu de nommer immédiatement
la commission pour qu’elle fasse son rapport séance tenante ; je suis persuadé
que la proposition ne renferme pas une seule expression qui puisse rencontrer
le blâme de la commission.
M. F. de Mérode. - Messieurs, voter une adresse peut être
chose utile, mais cela peut aussi avoir des inconvénients ; il me semble qu’on
ne peut pas ainsi se décider ex abrupto sur une semblable proposition à
laquelle on n’avait pas même songé avant d’entrer en séance ; quant à moi, je
vous avoue qu’il m’est impossible de traiter les affaires publiques de cette
manière-là, je ne voudrais pas traiter les miennes d’une manière aussi prompte
et aussi peu réfléchie ; je serais dans l’impossibilité absolue de voter
aujourd’hui soit pour, soit contre l’adresse ; je voudrais avoir le temps de
réfléchir, ne fût-ce que 24 heures, pour savoir quelle doit être ma conduite
dans cette circonstance.
M. Vandenbossche.
- Messieurs, les termes dans lesquels le projet d’adresse est conçu n’expriment
qu’un vœu que nous avons manifesté tous depuis sept ans ; nous avons donc eu
tout le temps de fixer notre opinion à cet égard. C’est d’ailleurs avant
l’ouverture des négociations qu’il convient de présenter une semblable adresse
au Roi ; quand les négociations seront ouvertes, il ne pourra plus s’agir
de cela. J’appuierai donc le projet d’adresse et je demande qu’on le vote
immédiatement.
M. Mast de Vries. - Messieurs, quel
que soit le projet d’adresse, il faut toujours suivre le règlement ; or,
l’article 67 du règlement exige que tout projet d’adresse soit rédigé par une
commission nommée par la chambre ; il faudrait donc commencer par ouvrir un
scrutin pour la nomination d’une commission…
M.
de Brouckere. - C’est ce que nous demandons. (Aux voix ! aux voix !)
M. le
président. - La question d’ajournement ayant la priorité,
aux termes du règlement, je vais la mettre aux voix.
M. le ministre de l’intérieur et des affaires
étrangères (M. de Theux). - Messieurs, je ne
m’oppose en aucune manière à la nomination d’une commission pour examiner le
projet d’adresse ; l’ajournement que j’ai proposé n’était en opposition qu’avec
le vote immédiat que demandait l’honorable M. Metz. Que la chambre nomme une
commission, mais qu’elle ne préjuge pas dès à présent si elle discutera le
projet séance tenante ou dans une séance prochaine. Je voudrais qu’on ne fixât
la discussion que quand le rapport sera fait.
M. le
président. - Je vais donc mettre aux voix la question de
savoir si une commission sera nommée.
-
Cette question est résolue affirmativement par la chambre.
M. le président.
- Comment désire-t-on que la commission soit nommée ?
De
toutes parts. - Par la chambre !
M. le
président. - Il s’agit de savoir aussi si la commission
devra faire son rapport séance tenante.
M.
de Brouckere. - Qu’on mette aux voix la proposition que j’ai
faite, tendant à ce que la commission fasse un rapport séance tenante.
M. le
président. - On a demandé que le rapport fût ajourné à
lundi.
M. Verdussen.
- Si j’ai voté pour qu’une commission fût nommée, c’était que j’avais la
conviction de la nécessité de cette nomination ; mais je ne suis pas convaincu
qu’il faille obliger la commission à faire un rapport séance tenante. Si
l’examen de l’adresse, quelque simple qu’elle paraisse, provoque au sein de cette
commission des observations de nature à exiger une délibération longue et
approfondie, nous pourrions rester en séance pendant 12 heures ou 24 heures et
même davantage, sans que le travail de la commission fût terminé.
Je
ne pense donc pas que l’on puisse imposer à la commission l’obligation de faire
un rapport séance tenante. Je voterai en conséquence contre la proposition de
M. de Brouckere.
M. de Brouckere.
- Je ferai remarquer à la chambre qu’il s’agit tout bonnement d’un vœu à
exprimer et que nous avons déjà un modèle d’adresse sous les yeux ; projet
qu’il s’agira uniquement de modifier dans quelques expressions, si tant est
qu’il en renferme dont on ne veuille pas. Le travail de la commission ne durera
pas plus d’une demi-heure, et je suis persuadé qu’avant que la demi-heure soi
écoulée, la commission présentera son rapport.
Je
persiste donc dans ma proposition tendant à avoir un rapport séance tenante.
M. Verhaegen.
- Messieurs, l’honorable M. de Mérode disait tout à l’heure qu’il pouvait être
très utile de voter immédiatement l’adresse, et qu’il pouvait aussi y avoir des
inconvénients. J’ai cru qu’on aurait signalé ces inconvénients ; on n’en a rien
fait ; reste donc que la chose peut être très utile, et, quant à moi, je pense
qu’elle doit être très utile. Une adresse votée aujourd’hui peut avoir de bons
résultats ; une adresse votée lundi peut n’en avoir aucun, car il s’agit du
mérite de l’à-propos ; il s’agit de saisir la circonstance. Tout le monde doit
être d’accord sur le vœu à exprimer : c’est là l’objet de l’adresse. Maintenant
il s’agit de savoir dans quels termes l’adresse sera conçue : il ne faut pas
dix minutes pour cela. Il me semble qu’il est nécessaire qu’on sache, avant que
la commission soit nommée, endéans quel temps la commission devra présenter son
rapport.
M. F. de Mérode. -
Messieurs, l’honorable préopinant m’a fait dire qu’il doit être très utile de
voter immédiatement une adresse. Je ne me suis pas servi de ces expressions.
J’ai dit qu’il était peut-être utile de voter une adresse, et que cela pouvait
aussi être contraire aux résultats que nous désirons obtenir.
L’honorable
M. Verhaegen dit que je n’ai exprimé aucun motif à l’appui de ce que j’ai
avancé ; mais c’est précisément lorsqu’on est dans le doute, et qu’on n’est pas
éclairé sur une question, qu’on ne peut pas développer de motifs. Je n’en ai
présenté ni dans un sens ni dans l’autre ; je suis dans l’incertitude ; il me
serait impossible de me prononcer immédiatement sur une pareille adresse. Je
voudrais au moins que d’ici à demain on eût le temps de réfléchir. Si l’on veut
avoir séance demain, soit : rien ne s’y oppose ; nous avons déjà tenu séance
les dimanches lorsque nous l’avons jugé nécessaire.
M.
Lebeau. - Messieurs, indépendamment des considérations
que viennent d’exposer plusieurs membres de cette chambre, pour motiver
l’ajournement de la discussion de l’adresse, il y a un autre motif très grave qui
n’a pas été allégué et qui vient entièrement appuyer l’ajournement : c’est que
la chambre est prise au dépourvu, et que la moitié de nos collègues sont
absents.
S’il
y avait une urgence telle que le moindre retard pût compromettre l’objet de
l’adresse, je concevrais que cette considération dût faire faire toutes les
autres. Mais cette urgence n’existe pas ; il ne s’agit pas d’aborder d’ici à 24
heures les négociations sur lesquelles vous voulez influer par votre adresse.
Dès lors, nous ne pouvons, sans manquer à nos collègues et aux localités qu’ils
représentent, passer immédiatement, et à leur insu, à la discussion d’une
adresse qui doit avoir une influence plus ou moins grave sur les négociations.
Je
ferai remarquer que si l’on veut environner l’adresse d’une certaine autorité
morale à l’extérieur, on ne doit pas vouloir qu’on puisse croire que le vœu qui
sera exprimé vienne d’une chambre incomplète. Je crois donc que si vous tenez à
cœur à ce que votre adresse ait quelque poids dans la balance des prochaines
négociations diplomatiques auxquelles le gouvernement doit prendre part, il
faut que l’adresse présente ce caractère de délibération froide et
d’assentiment assez général, pour qu’on ne puisse pas équivoquer sur le
véritable vœu exprimé dans cette adresse.
Eh bien, en l’absence de la moitié de nos
collègues, alors qu’aucun d’eux n’a été prévenu, alors que les objets les plus
minimes ont été mis à l’ordre du jour, pouvons-nous délibérer sur une question
aussi importante ? Je le répète, s’il y avait une urgence absolue, telle que le
moindre retard pût compromettre les plus graves intérêts du pays, je concevrais
la nécessité d’une délibération immédiate ; je concevrais qu’on s’opposât alors
à un ajournement de 48 heures. Mais une pareille urgence n’existe pas.
Je
demande donc formellement que la commission puisse s’occuper immédiatement de
la rédaction de l’adresse ; mais que la discussion du projet n’ait lieu que
lundi au plus tôt. (Aux voix !)
M. Trentesaux.
- Messieurs, je persiste à croire que le meilleur parti que nous puissions
prendre, c’est de nous réunir en comité secret. Qui vous a dit que votre ennemi
n’a pas calculé sur une explosion de cette nature ? Qui vous a dit qu’il ne
s’en servira pas pour prouver aux puissances étrangères que nous sommes
disposés à guerroyer ? Je n’en dirai pas davantage : il y a des choses qu’il
convient plus de dire en comité secret qu’en séance publique. (Aux voix ! aux voix !)
-
La chambre consultée décide que la discussion de l’adresse aura lieu lundi
prochain.
M. le
président. - Nous allons procéder par scrutin secret à la
nomination des membres de la commission d’adresse.
Voici
le résultat du scrutin :
Le
nombre des votants est de 57.
Majorité
absolue, 29.
M.
Fallon a obtenu 52 suffrages.
M.
Mast de Vries 22.
M.
Dubus (aîné) 29 ;
M.
Desmanet 28.
M.
de Renesse 19.
M.
de Langhe 22.
M.
Metz 5.
M.
Gendebien 22.
M.
Pollénus 5.
M. d’Hoffschmidt 3.
M. Dechamps 19.
M. Desmet 19.
M. de Brouckere 27.
M. Verhaegen 19.
M. Jadot 4.
M. Lebeau 14.
M.
Rogier 3.
M.
Heptia 14.
M.
Dubus (sans autre désignation) 2.
M.
Verdussen 7.
M.
Trentesaux 2.
M.
de Foere 1.
-
MM. Fallon et Dubus (aîné), ayant seuls obtenu la majorité absolue, sont proclamés
membres de la commission d’adresse.
________________
Il
est procédé à un second tour de scrutin.
En
voici le résultat :
Nombre
des votants, 55.
Majorité,
28.
M.
de Langhe a obtenu 28 suffrages.
M.
Desmanet de Biesme 28.
M.
de Renesse 27.
M.
de Brouckere 24.
M.
Gendebien 23.
M.
Dechamps 21.
-
MM. Desmanet de Biesme et de Langhe, ayant obtenu seuls la majorité, sont
proclamés membres de la commission, et il est procédé à un scrutin de
ballottage entre les 4 membres qui ont obtenu le plus de suffrages qui sont MM.
de Renesse, de Brouckere, Gendebien et Dechamps.
________________
Le
scrutin de ballottage donne le résultat suivant :
Le
nombre des votants est de 54.
M.
de Renesse a obtenu 36 suffrages.
M.
Dechamps 33.
M.
Gendebien 21.
M.
de Brouckere 19.
En
conséquence, MM. de Renesse et Dechamps sont proclamés membres de la
commission, qui se trouve composée comme suit : MM. Fallon, Dubus (aîné), de
Langhe, Desmanet de Biesme, de Renesse et Dechamps.
-
La séance est levée à 4 heures 3/4.