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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du mercredi 6 mai 1840
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi relatif à la fondation d’un pénitentiaire spéciale pour les
jeunes détenus. Rapport de la section centrale (Zoude)
3) Projet de loi relatif à la compétence en matière civile. Discussion
des articles. Compétences des juges de paix (article 11 nouveau) (de Garcia, Lys) (article 12 nouveau)
(Lys) (amendement relatif au caractère exécutoire des
décisions des juges de paix) (Metz, Leclercq,
Metz, de Behr, Leclercq)
(amendement relatif au rôle des huissiers attachés aux justices de paix) (Verhaegen, Leclercq, Rodenbach), compétence des tribunaux de première
instance (article 13 du projet de la commission) (de
Garcia, Liedts, de Behr, Leclercq, Liedts) (articles 14 à
16) (de Garcia, Liedts, Raikem, Liedts, de
Behr, de Garcia), compétences en cas de demandes
reconventionnelles ou en compensation (article 17) (de
Garcia, Liedts, de Garcia, Raikem, Leclercq), amende en cas
d’appel rejeté (article 18) (Metz, de
Garcia, Liedts, de Behr, Raikem, de Behr, Demonceau), limitation du nombre d’avocats ou
d’interventions (articles 19 et 20) (Leclercq, de Behr, Metz), fixation du nombre
d’audiences civiles (article 21) (Metz, Leclercq), traitement des juges de paix et de leurs
greffiers (Metz, Leclercq, de Behr)
(Présidence de M.
Fallon)
M.
Scheyven fait l’appel nominal à 1 heure ½
M.
Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est
adoptée.
M.
Scheyven présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Jean Rozet, né Français, directeur
d’hôpital de deuxième classe, demande la naturalisation ordinaire.
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
PRESENTATION DE RAPPORTS SUR
DES DEMANDES EN NATURALISATION
M.
Desmet, au nom de la commission des naturalisations, dépose
plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation.
La chambre ordonne l’impression et la distribution de
ce rapport.
M. de Villegas, au nom de la section centrale chargée de l’examen
d’un projet de loi relatif à la fondation d’un pénitentiaire spécial pour les jeunes
détenus, dépose le rapport sur ce projet de loi.
M. Zoude – Messieurs, je m’adresse
avec confiance à la chambre pour lui demander de vouloir mettre à l’ordre du
jour le plus prochain le discussion du projet de loi dont le rapport vient de
lui être présenté.
Je la prierai de vouloir reporter ses souvenirs à
l’époque pénible de la loi sur l’organisation judiciaire dans la province du
Luxembourg, qui supprime le tribunal de Saint-Hubert, seule perte qui restait
encore à subir à cette ville infortunée.
Vous vous le rappellerez, messieurs, le gouvernement
promit alors qu’il lui serait accordé une indemnité, et la chambre, par
l’organe de plusieurs de ses membres, voulut bien s’associer à cette promesse.
Le moment de l’accomplir est arrivé ; la
nécessité d’un pénitentiaire pour les jeunes délinquants a été reconnue par
tous les ministres qui se sont succédé au département de la justice, et la
section centrale, à l’unanimité, a reconnu ce même besoin ; elle a
également partagé le vœu du gouvernement, que Saint-Hubert fut doté de cet
établissement à titre d’indemnité.
Ce bienfait ne sera pas pour Saint-Hubert seul, il le
sera pour toute la province, à qui ses malheurs donnent tant de droits à votre
sollicitude ; il le sera pour les délinquants eux-mêmes qui seront ainsi
préservés de l’exemple du vice, qui se rencontre presque toujours dans les
maisons de détention, où on est forcé de les renfermer maintenant : ils y
respireront l’air salubre de nos montagnes, ils pourront être employés utilement
au défrichement des bruyères que la ville s’empressera de mettre à la
disposition de l’établissement. Cet exercice contribuera puissamment à leur
éducation physique et morale.
Il est encore une autre considération bien puissante,
celle de l’économie pour le trésor ; en effet, partout ailleurs le chiffre
de la dépense est porté à 500 mille francs, tandis qu’il ne sera que de 300
mille francs pour Saint-Hubert, attendu l’abandon que fait la province des
bâtiments et jardins de l’ancienne abbaye.
Tous ces motifs justifiant les avantages de placement
des pénitentiaires à Saint-Hubert, je prie la chambre de vouloir fixer la
discussion du projet entre les deux votes de la loi qui nous occupe.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution
du rapport et, adoptant la proposition de M. Zoude, met le projet de loi à
l’ordre du jour après le premier vote du projet de loi sur la compétence en
matière civile.
La chambre, sur la proposition de M. le président, met
à l’ordre du jour la loi sur les successions.
PROJET DE LOI RELATIF A
Discussion des articles
Article 10
M. le président – La chambre est parvenue à l’article 10, ainsi conçu :
« Art. 10. Ne sera pas recevable l’appel des jugements
mal à propos qualifiés en premier, ou qui, étant en dernier ressort, n’auraient
pas été qualifiés. Seront sujets à l’appel les jugements qualifiés en dernier
ressort, s’ils ont statué, soit sur des questions de compétence, soit sur des
matières dont le juge de paix ne pouvait connaître qu’en premier ressort.
Néanmoins, si le juge de paix s’est déclaré compétent, l’appel ne pourra être
interjeté qu’après un jugement interlocutoire ou définitif sur le fond. »
M.
de Behr a proposé, par amendement, de remplacer la dernière phrase de cet
article, par la disposition suivante :
« Néanmoins, si le juge de paix s’est déclaré
compétente, l’appel ne pourra être interjeté qu’après la décision définitive,
ou qu’après un jugement interlocutoire, et conjointement avec l’appel de ce
jugement. »
- Cet amendement est mis aux voix et adopté. L’article
10 est adopté avec cet amendement.
La chambre passe à l’article 11 nouveau, proposé par
M. de Garcia, lequel est ainsi conçu :
« Art. 11. Dans toutes les causes, autres que
celles où il y aurait péril en demeure, et celles dans lesquelles le défenseur
serait domicilié hors du canton ou des cantons de la même ville, le juge de
paix pourra interdire aux huissiers de sa résidence de donner aucune citation
en justice, sans qu’au préalable il n’ait appelé, sans frais, les parties
devant lui. »
M. de Garcia – La disposition que je
propose existe dans la loi française ; elle y a été introduite parce qu’il
y a un arrêt de cassation qui a décidé que les juges de paix ne pourront
prendre connaissance des assignations. Il en résultait que les huissiers
donnaient des assignations, tandis que les juges de paix auraient concilié les
parties en les faisant comparaître devant eux. Cet inconvénient ne s’est pas
encore présenté en Belgique ; mais il est probable qu’il se présenterait
si vous n’adoptiez pas la disposition que je propose ; car maintenant, que
vous allez augmenter considérablement les attributions des juges de paix, il y
aura des avocats de campagne attachés aux justices de paix, qui, dans leur
intérêt, engageraient sans doute les huissiers à donner des assignations à tort
et à travers ; je crois que, sous ce rapport, mon amendement sera très
utile.
M. Lys – Je m’oppose, messieurs, à
l’amendement proposé, et les motifs de mon opposition consistent en ce qu’il
faudrait laisser l’huissier juge du mérite de la cause pour ce qui concerne son
urgence et en ce qu’il multiplierait les frais, au lieu de les diminuer, car
vous ne pouvez exiger que l’huissier, dont la demeure sera souvent assez
éloignée de celle du juge de paix, se rende près de ce dernier pour lui
soumettre la citation, sans être rétribué.
M. de Garcia – Dans l’inconvénient signalé
par l’honorable membre, je ne vois qu’un avantage ; car je suis convaincu
que les juges de paix parviendront à concilier bon nombre des personnes qui
comparaîtront ainsi devant eux.
- L’article 11 nouveau, proposé par M. de Garcia,
est mis aux voix et adopté.
La chambre passe à l’article 12 nouveau, proposé par
M. Lys, ainsi conçu :
« Art. 12. L’appel des jugements des juges de paix
ne sera recevable avant les trois jours qui suivront celui de la prononciation
des jugements, à moins qu’il n’y ait lieu à exécution provisoire, ni après les
30 jours qui suivront la signification à l’égard des personnes domiciliées dans
le canton.
« Les personnes domiciliées hors du canton
auront, pour interjeter appel, outre le délai de 30 jours, le délai réglé par
les articles 72 et 1033 du code de procédure civile. »
M. Lys – Il n’y a aucun article dans le projet de loi du gouvernement,
ni dans celui de la commission, relatif au délai dans lequel l’appel des
jugements des justices de paix devra être interjeté. Ainsi dans l’intention des
auteurs du projet de loi, on devrait suivre le délai fixé par le code de
procédure civile, et l’appel ne pourrait être interjeté avant la huitaine, à
partir de la prononciation du jugement, ni après les trois mois à partir de sa
notification. L’esprit des innovations qu’on veut introduire étant d’éviter les
lenteurs aussi bien que les frais, il est incontestable que le délai de trois
mois ne s’accorde pas avec le nouveau système. Voilà les motifs, messieurs,
pour lesquels je présente l’amendement suivant :
« L’appel des jugements des juges de paix ne sera
recevable, avant les trois jours qui suivront celui de la prononciation des
jugements, à moins qu’il n’y ait lieu à exécution provisoire, ni après les 30
jours qui suivront la signification à l’égard des personnes domiciliées dans le
canton. Les personnes domiciliées hors du canton auront, pour interjeter
appel, outre le délai de 30 jours, le délai réglé par les articles 72 et 1033
du code de procédure civile. »
J’ajoute, messieurs, que pareille disposition se
trouve adoptée dans la loi française.
- L’article 12 nouveau, proposé par M. Lys, est mis
aux voix et adopté.
Amendement relatif au caractère exécutoire
des décisions des juges de paix
M.
Metz – D’après l’article 17 du
code de procédure civile, « les jugements des justices de paix, jusqu’à
concurrence de 300 francs, seront exécutoires par provision, nonobstant l’appel
et sans qu’il soit besoin de fournir caution ; les juges de paix pourront,
dans les autres cas, ordonner l’exécution provisoire de leurs jugements, mais à
la charge de donner caution. »
Cette disposition, en partie reproduite par la loi
française de 1838, manque dans le projet de loi dont nous nous occupons. Je
crois qu’il y a un peu de danger à rendre tous les jugements exécutoires par
provision jusqu’à 300 francs.
J’aurais voulu qu’aujourd’hui, que nous nous occupons
de la révision de la loi sur la justice de paix, nous pussions introduire une
modification à cette règle. Les juges de paix jugent en dernier ressort jusqu’à
concurrence de 100 francs ; et, d’un autre côté, il y a lieu à exécution provisoire
de leurs jugements jusqu’à concurrence de 300 francs ; cela est une
exagération ; j’aurais voulu que l’on restreignît, comme dans la loi
française, le droit de rendre exécutoires les jugements ; j’aurais voulu
que ce ne fût qu’une faculté pour le juge, et que cela ne fût pas attaché
invariablement à tous les jugements jusqu’à 300 francs.
Je demanderai à M. le ministre de la justice s’il ne
conviendrait pas d’insérer dans la loi une disposition d’après laquelle le juge
de paix pourrait ordonner l’exécution de ses jugements jusqu’à 300 francs et
sans caution, et avec caution au-delà de 300 francs : on déclarerait en
même temps que le juge de paix recevrait la caution à l’audience.
Un appel ne signifie plus autant quand le jugement a
été exécuté, et il y aura avantage à rendre les jugements exécutoires, mais
quand on pourra le faire sans danger.
La réception des cautions est une matière hérissée de
formalités, par suite du code de procédure ; par ce motif, il conviendrait
de dire, comme la loi française, que lorsque le juge de paix reçoit une
caution, il la reçoit sans formalités et à l’audience.
Telles sont les améliorations que je voudrais voir
introduire dans la loi en discussion.
M. le ministre de la
justice (M. Leclercq) – Il est assez difficile de
se prononcer sur un amendement dont on ne connaît pas les termes. Toutefois, je
crois devoir donner quelques explications sur l’absence d’une disposition
analogue à celle que désire M. Metz dans le projet en discussion. La commission
n’a pas cru qu’il y ait lieu à changer ce qui existe, et je pense comme elle.
Depuis cinquante ans que les dispositions en vigueur subsistent, elles n’ont
entraîné aucune inconvénient ; et l’on ne doit pas changer des lois à la
légère quand l’expérience n’y décèle pas de vices.
M. Metz – M. le ministre de
l'intérieur a fait connaître hier les motifs qui ont déterminé la commission à
ne pas proposer beaucoup de changements à la loi de 1790 ; la commission a
cru que, pour améliorer convenablement cette loi, il fallait une révision
générale, complète, et non partielle ; mais ce principe a fléchi depuis la
discussion ; plusieurs amendements ont déjà modifié la loi, pourquoi
n’admettrait-on pas d’autres amendements ? On pourrait améliorer la loi de
façon à la rendre suffisamment complète, et de façon à ce qu’elle n’aurait plus
besoin d’être révisée. En adoptant mon amendement, on rapprocherait notre loi
de la loi française, qui est un vrai code pour les justices de paix.
L’honorable ministre de la justice a dit que la loi
actuelle, exécutée depuis cinquante ans, n’avait pas entraîné
d’inconvénients : cela est vrai ; cependant, lors de la discussion,
en France, on s’est demandé si la modification présentée valait mieux que l’ancienne
disposition ; et on a vu qu’il fallait laisser au juge de paix apprécier
la position des parties, et voir s’il pouvait, sans inconvénient, ordonner
l’exécution provisoire. Un juge de paix peut rendre un jugement erroné ;
si, dans ce cas, il ordonne le payement d’une somme en des mains qui ne
présentent pas de garanties, comment recouvrer cette somme après que le
jugement aura été infirmé ?
Dans l’intérêt de la promptitude de l’expédition des
affaires, il faut dire que la caution sera reçue par le juge de paix à l’audience.
Du moment que nous nous écartons de la loi de 1790, je
ne vois pas pourquoi on repousserait les modifications que je propose.
M. de Behr – Je ferai remarquer que,
bien que l’honorable M. Metz présente son amendement comme une amélioration,
nous ne sommes pas persuadés qu’il soit réellement une amélioration. Le code de
procédure ordonne l’exécution provisoire des jugements des juges de paix
jusqu’à concurrence de 300 francs, et cette disposition n’a présenté aucun inconvénient ;
mais, en outre, elle a diminué plus ou moins les appels des décisions des
justices de paix. Quand on a été exécuté provisoirement on ne peut éluder la
condamnation, et il faut être bien convaincu de son bon droit pour oser
interjeter appel. La disposition ancienne vaut mieux, selon moi, que la
disposition nouvelle de la loi française.
M. le ministre de la
justice (M. Leclercq) – Aux considérations que
vient de présenter l’honorable M. de Behr, j’ajouterai, messieurs, qu’il y a
une très grande différence entre les cas nouveaux que, hier, la discussion a
fait introduire dans la loi, et le cas dont il s’agit en ce moment : les
cas nouveaux introduits hier dans la loi rentraient tout à fait dans l’esprit
des dispositions qui s’y trouvaient déjà ; c’étaient des cas pour lesquels
on ne pouvait élever que des questions de moindre importance, ou pour lesquels
il fallait procéder avec rapidité, et dès lors il semblait assez conséquent,
avec ce que nous avions fait, de discuter ces propositions et de les introduire
dans la loi. La chambre du moins en a décidé ainsi.
La question qui nous occupe est toute différente,
c’est une question toute neuve et qui n’a aucun rapport avec celles que nous
avons pu examiner dans la discussion des articles que la chambre a déjà
adoptés.
Je dois donc, d’après ces considérations persister
dans ce que j’ai dit, qu’il ne faut pas changer légèrement une disposition en
vigueur depuis 50 ans et qui n’a donné lieu à aucune plainte fondée, qui a été
introduite dans la loi précisément dans le but d’empêcher les appels à l’aide
desquels on cherchait à gagner du temps, à traîner les affaires en longueur.
Amendement relatif au rôle des huissiers
attachés aux justices de paix
M.
Verhaegen – Messieurs, vous avez étendu
la compétence des justices de paix et, pour ce qui me concerne, j’applaudis
beaucoup à votre ouvrage ; mais il faut maintenant mettre le code de
procédure en harmonie avec les dispositions que vous avez votées, car il faut
nécessairement se donner les moyens d’atteindre le but qu’on se propose.
Par ce que nous avons fait hier, il ne faut pas se le
dissimuler, nous avons non seulement dans les petites, mais aussi dans les
grandes villes, et même à Bruxelles, enlevé aux tribunaux de première instance
le tiers des affaires qui leur étaient soumises, et même plus. Ceux donc qui
ont voté les dispositions qui auront ce résultat, doivent aussi adopter les
moyens de saisir les juges de paix des nombreuses contestations qui leur ont
été déférées.
D’après l’article 4 du code de procédure civile, les
citations devant les justices de paix ne peuvent être notifiées que par
l’huissier attaché à cette justice de paix. S’il fallait maintenir cet état de
choses, il serait impossible d’atteindre le but que l’on se propose, car un
huissier attaché à la justice de paix ne pourrait pas faire le quart de sa
besogne ; aujourd’hui que la compétence des justices de paix est très
restreinte, il est déjà presqu’impossible que les huissiers attachés à ces
justices fassent leur besogne. Cependant, il peut quelquefois être très
important que l’exploit soit fait de suite, surtout lorsqu’il s’agit
d’interrompre une prescription, d’employer des mesures de conservation. Il
serait donc convenable de permettre aux huissiers des cours et tribunaux de
l’arrondissement, de faire des citations devant les justices de paix ; il
me semble même que la chose est indispensable, d’autant plus que dans toutes
les villes où il y a un tribunal de première instance, les huissiers près des
justices de paix sont en même temps attachés au tribunal de première instance.
Il est donc, indépendamment de leur besogne comme huissiers près de la justice
de paix, leur besogne comme huissiers près du tribunal de première
instance ; plusieurs d’entre eux sont en outre huissiers audienciers. Il
est donc évident, messieurs, que, par suite de l’extension de la compétence des
juges de paix, vous devez absolument permettre aux différents huissiers
d’instrumenter près de ces juges. Cela est d’autant plus nécessaire que
lorsqu’il faut assigner une personne qui n’est pas domiciliée dans le canton,
il faut d’abord obtenir du juge de paix l’autorisation de faire faire la
citation par un autre huissier. Ce sont là des entraves qui retardent souvent la
décision d’affaires urgentes et que dès lors il faut faire disparaître. Cet
inconvénient cessera si vous permettez à tous les huissiers de notifier les
exploits.
Je ne vois pas d’ailleurs pourquoi il faut des
huissiers privilégiés, pourquoi les huissiers attachés aux justices de paix
doivent avoir un monopole. Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, d’après
ce que nous avons établi relativement à la compétence des justices de
paix ; si les huissiers attachés à ces justices pouvaient seuls y instrumenter,
je n’exagère pas en disant qu’un office d’huissier près d’une justice de paix
vaudrait à Bruxelles, par exemple, de 20 à 25 mille francs par an. Je ne crois
pas qu’il soit juste d’établir un semblable monopole, au détriment des
huissiers qui instrumentent aujourd’hui près des tribunaux de première
instance, auxquels la loi qui nous occupe enlève plus du tiers de leur besogne.
Remarquez, messieurs, qu’ici, à Bruxelles, par exemple, il n’y a que deux
justices de paix et que par conséquent nous donnerions à deux huissiers
seulement plus du tiers de la besogne de tous les huissiers en général. Un
semblable état de choses froisserait considérablement les intérêts du public et
les intérêts d’une classe d’individus que nous ne pouvons pas léser non plus.
On pourrait peut-être m’objecter qu’il y aurait
contradiction entre la disposition que je voudrais faire introduire dans la loi
et l’article nouveau, proposé par M. de Garcia, qui a été adopté tantôt par la
chambre.
Je pense, messieurs, qu’il serait facile de faire
disparaître cette contradiction.
En effet, l’article dont il s’agit est conçu comme
suit :
« Dans toutes les causes, autres que celles où il
y aurait péril en demeure, et celles dans lesquelles le défenseur serait
domicilié hors du canton ou des cantons de la même ville, le juge de paix
pourra interdire aux huissiers de sa résidence de donner aucune citation en
justice, sans qu’au préalable il n’ait appelé, sans aucun frais, les parties
devant lui. »
Or, si vous permettez à tous les huissiers d’instrumenter
près des justices de paix, il faut cependant admettre que le juge de paix règle
son rôle, et l’on pourrait dire que les huissiers seront obligés de demander
jour au juge de paix avant de notifier la citation ; alors le juge de paix
pourrait user de la faculté que lui accorde l’article dont je viens de donner
lecture.
D’après ces considérations, messieurs, si M. le
ministre de la justice n’y voit pas d’inconvénient, je proposerai un article
additionnel ainsi conçu :
« Par dérogation à l’article 4 du code de
procédure civile, les citations devant les justices de paix et tous les autres
exploits pourront être notifiés par tous huissiers près des cours et tribunaux
de l’arrondissement.
« Les huissiers, avant de notifier la citation
devront s’adresser au juge de paix pour obtenir fixation de jour. »
M. le ministre de la
justice (M. Leclercq) – Il me semble, messieurs,
que la prudence exige qu’un amendement tel que celui-là, qui tend à introduire
un changement dans le code de procédure civile, ne soit pas discuté avant que
la commission n’en ait pris connaissance. Je demanderai donc que la discussion
du projet continue, et que l’amendement de l’honorable M. Verhaegen soit
renvoyé à la commission, qui pourrait nous faire son rapport dans la séance de
demain.
M.
Verhaegen – Je n’y vois pas
d’inconvénients.
M. Rodenbach – Je voulais aussi, messieurs, demander le renvoi à la commission.
Dans mon arrondissement, la moitié des huissiers près des justices de paix ont
à peine de quoi vivre ; si vous permettez aux huissiers du chef-lieu
d’instrumenter près des justices de paix, vous privez, pour ainsi dire, les
autres de leurs moyens d’existence. Il me semble que la commission doit prendre
cela en sérieuse considération.
- Le renvoi est ordonné.
Titre II – Des tribunaux de
première instance
Article 13 (article 10 de la commission)
« Art. 10 du projet de la commission. Les
tribunaux de première instance connaissent en dernière ressort des affaires
personnelles et mobilières, jusqu’à la valeur de 2,000 francs, et des actions
réelles immobilières jusqu’à 75 francs de revenu déterminé soit en rente, soit
par prix de bail.
« Si le revenu de l’immeuble n’est déterminé ni
en rente, ni par prix de bail, il sera déterminé par la matrice du rôle de la
contribution foncière, au moment de la demande, pourvu que ce revenu s’y trouve
spécialement déclaré. »
M. de Garcia – Messieurs, je prends la
parole pour demander quelques explications sur l’article 10 du projet de la
commission à M. le ministre de la justice, ou à M. le ministre de l'intérieur,
qui fait les fonctions de rapporteur de cette loi.
L’article est ainsi conçu :
« Les tribunaux de première instance connaissent
en dernière ressort des affaires personnelles et mobilières, jusqu’à la valeur
de 2,000 francs, et des actions réelles immobilières jusqu’à 75 francs de
revenu déterminé soit en rente, soit par prix de bail. »
Je suppose qu’un individu quelconque ait à charge d’un
autre une créance hypothécaire de la valeur de 3,000 francs.
Je suppose que l’immeuble affecté à l’hypothèque soit
dans les mains d’un tiers.
Je suppose ensuite que l’immeuble hypothéqué, d’après
les matrices du rôle de la contribution foncière, soit d’un revenu tel, que,
sous ce point de vue, son revenu ne dépasse pas la somme à raison de laquelle
les tribunaux de première instance peuvent connaître en dernier ressort.
Quid juris ? Si mon action est intentée par les
créanciers hypothécaires contre le tiers détenteur en déclaration d’hypothèque
à l’effet d’interrompre une prescription ? Alors le tribunal de première
instance sera-t-il compétent pour connaître la contestation en dernier ou en
premier ressort. L’action en déclaration d’hypothèque pour interrompre la
prescription (actions qui se présentent souvent depuis qu’on a supprimé le
renouvellement des inscriptions) formée contre un tiers ne peut être considérée
que comme une action (erratum, Moniteur
n°129 du 8 mai 1840) réelle.
D’après le taux du capital hypothéqué, le juge de
première instance ne peut connaître qu’en premier ressort de la contestation,
et d’après le taux de l’immeuble affecté à l’obligation, il pourra connaître en
dernier. Pour m’éclairer en pour éviter des contestations, je prie M. le
ministre de nous dire ce que, d’après les principes posés dans l’article 10,
les tribunaux devront décider dans l’hypothèse donnée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Messieurs, voici le motif pour lequel la commission a ajouté
à la loi de 1790 le second alinéa de l’article qui vous occupe en ce moment.
La loi de 1790 prévoit les cas, à la vérité, où une
action réelle a pour objet un immeuble dont la valeur est déterminée, soit en
rente, soit par prix de bail. Mais ces cas sont assez rares. Il arrive très
souvent qu’une action immobilière doit parcourir deux degrés de
juridiction ; quoiqu’il soit évident que l’immeuble en lui-même, si le
revenu était déterminé en rente ou par prix de bail, n’excéderait pas 75 francs
de revenu et serait par conséquent inférieur au taux auquel le tribunal peut
connaître en dernier ressort, on s’est demandé dans la commission s’il n’y
avait pas de possibilité de déterminer dans ce cas la valeur de l’immeuble,
afin de prévenir la fréquence des appels. L’on s’est dit qu’aujourd’hui il
existe en Belgique des rôles de contribution foncière qui indiquent assez
approximativement le revenu réel de tous les biens et que surtout depuis
l’achèvement du cadastre, on pouvait, sans danger, considérer comme revenu
effectif celui qui est mentionné dans la matricule des rôles de la
contribution.
Quant à l’espèce que l’honorable préopinant a
signalée, elle peut se présenter sus la loi de 1790 comme sous l’empire de
l’article 10 que vous discutez.
En effet, je poserai à l’honorable préopinant le cas
où l’immeuble, hypothéqué à la créance dont il a fait mention, au lieu d’être
déterminé par le rôle de contribution foncière, se trouve déterminé, soit en
rente, soit par prix de bail ; dans ce cas, le tribunal pourra-t-il
connaître en premier ou dernier ressort ?
Remarquez que, dans l’espèce dont s’est occupé
l’honorable préopinant, il faut voir ce qui fait l’objet de la demande. Or,
dans l’espèce dont il s’agit, l’objet de la demande n’est pas seulement
l’immeuble en lui-même ; mais il est encore la consécration de
l’hypothèque qui se rattache à une créance excédant le taux du dernier ressort.
Je répondrai donc à la question posée par l’honorable
préopinant que le juge, ayant à décider sur un cas qui représente un intérêt
excédant son dernier ressort, ne pourra juger l’affaire qu’en premier ressort,
sauf appel.
M. de Behr – Il conviendrait de substituer
dans l’article au mot « affaires » le mot « actions ». (Oui.) J’en fais la proposition.
M. le ministre de la
justice (M. Leclercq) – Messieurs, je remarque dans
cet article une grande différence, si on le compare çà la loi de 1790. le taux
de la compétence des tribunaux de première instance était fixé seulement en
principal, les dommages-intérêts et autres accessoires n’y étaient pas compris.
Dans l’article que nous discutons on ne fait pas de
distinction.
Je ne puis pas me rendre compte du motif pour lequel
on a introduit ce changement dans la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Les mots « en principal » ont été omis par
erreur ; je me rappelle fort bien que la commission avait arrêté que ce
serait jusqu’à la valeur de 2,000 francs « en principal » que la
connaissance des affaires personnelles et mobilières serait déférée en dernier
ressort aux tribunaux de première instance.
La substitution du mot « actions » au mot
« affaires » proposé par M. de Behr est mise aux voix et adoptée.
L’addition des mots « en principal » après
ceux-ci : « jusqu’à la valeur de 2,000 francs », est également
adoptée.
Articles 14 à 16 (articles 11 à 13 de la
commission)
« Art. 11. Si la valeur de l’objet mobilier ou
immobilier ne peut être déterminée de la manière indiquée à l’article précédent
le demandeur devra la déterminer par ses conclusions, sous peine de se voir
refuser toute audience. »
M. de Garcia – Cet article, messieurs,
contient l’introduction d’un principe nouveau et exorbitant.
D’après cette disposition, un plaideur, en demandant,
sera toujours le maître de rendre le juge qu’il saisira d’une contestation, son
juge en dernier ou en premier ressort.
Ce point sera réglé non pas par la force des choses,
mais au caprice du demandeur et suivant la confiance qu’il aura ou qu’il n’aura
pas dans le premier juge.
Je conçois qu’on admette une disposition semblable
pour tous les cas où le détenteur peut se libérer au moyen de
l’évaluation ; mais je ne puis la consacrer pour tous les autres cas.
En agir autrement serait détruire les principes de
droit les plus connus et généralement admis.
Ce serait admettre que la condition du défenseur sera
moins favorable que celle du demandeur.
Ce serait dire que les demandeurs pourraient, dans
tous les cas, se donner au juge en premier ou dernier ressort, et que quel que
soit l’objet de la contestation, le défenseur sera obligé, sous ce rapport, de
suivre son adversaire.
Ce serait poser le principe que, dans certains cas,
quand il s’agira de servitude, par exemple, souvient bien moins avantageuse à
l’héritage dominant qu’onéreuse à l’héritage servant, les demandeurs pourront
spolier son adversaire d’un droit très important, et ce par un jugement rendu
en dernier ressort par l’effet de son évaluation. Pareil système est évidemment
subversif de tous les principes et ne peut être admis pour tous les cas où le
défenseur ne peut se libérer en faisant la prestation de l’évaluation formée par
la demande de son adversaire, le demandeur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Messieurs, il est très vrai, comme l’a dit l’honorable
préopinant, que la disposition est nouvelle. J’irai même jusqu’à dire qu’elle est
très importante ; il n’entre nullement dans mes intentions d’en diminuer
l’importance. Mais la commission a cru qu’elle était d’une utilité
incontestable ; et voici pourquoi : c’est pour prévenir
l’inconvénient que l’honorable préopinant trouve dans l’article, que la
disposition a été introduite.
Commençons par les actions mobilières.
Si l’on excepte les demandes qui ont pour objet des
sommes d’argent ou des denrées dont les prix sont déterminés par des
mercuriales, on a aujourd’hui à parcourir deux degrés de juridiction pour
l’objet le plus insignifiant. Supposons qu’il s’agisse d’un procès qui a pour
objet une chaise ou une table d’une valeur de 10 francs ; eh bien, quoique
le tribunal ait le droit de connaître, en dernier ressort, jusqu’à concurrence de
1000 francs, d’après la loi de 1790, le procès devra subir deux degrés de
juridiction, parce que ce n’est pas un objet d’une valeur déterminée par des
mercuriales.
Nous avons donc voulu que le demandeur, qui sait fort
bien quel est l’intérêt qui s’attache à la demande, détermine cette valeur. Ce
n’est pas le demandeur que plaint l’honorable préopinant, mais c’est le
défenseur. Or, je vous le demande, de quoi le défenseur peut-il se
plaindre ? Car, ou l’évaluation est trop peu élevée, et alors, s’il craint
l’embarras du procès, il doit être fort aisé de voir l’évaluation posée si bas,
et d’éviter un procès en donnant moins
que l’objet ne vaut réellement.
Si la demande, au contraire, est exagérée, alors nous
sommes dans la même position où nous nous trouvions d’après la loi de 1790,
c’est-à-dire qu’on aura deux degrés de juridiction qui existeraient dans tous
les cas, tel qu’une servitude.
Mais, messieurs, si vous voulez aller au fond des choses,
je vous demande s’il existe pour un citoyen un objet quelconque dont il ne
puisse pas apprécier la valeur alors qu’il réclame cet objet en justice ;
s’il existe une demande quelconque, même immobilière dont il ne puisse indiquer
la valeur. Evidemment non ; les objets, quels qu’ils soient, ont une
valeur pour ceux qui les réclament. On ne peut avoir qu’une seule crainte,
c’est que, dans certains cas le demandeur porte cette valeur au-delà de la
valeur réelle. Mais alors vous restez dans la situation actuelle, vous avez
deux degrés de juridiction. Les inconvénients auxquels on est exposé existent
aujourd’hui non pas dans quelques cas, mais dans tous les cas, aux termes de la
loi de 1790.
M. Raikem – Si j’ai bien compris l’amendement de M. de Garcia, il porte
uniquement sur le cas où l’on ferait une évaluation à l’effet de déterminer la
compétence ; dans lequel cas, le défenseur ne pourrait se libérer en
payant au demandeur le montant de l’évaluation. L’amendement de M. de Garcia
tombe dans le cas prévu dans l’article 13 du projet de la commission. Cet
article porte :
« Le défenseur pourra se libérer en acquittant le
prix de cette évaluation, pourvu qu’il s’agisse d’une demande ou d’un chef de
demande purement personnelle et mobilière, sans préjudice aux intérêts et aux
dépens, s’il y a lieu. »
Si j’ai bien compris l’honorable auteur de
l’amendement, il admet cette disposition pour le cas où le défenseur peut se
libérer, mais il la repousse dans le cas où le défenseur ne pourrait pas se
libérer en acquittant le montant de la valeur déterminée par le demandeur. Il
ne peut pas se libérer de l’hypothèse que je combats, car il s’agit d’une
action immobilière, et la faculté de se libérer en acquittant le montant de
l’évaluation, est exclusivement attribuée aux demandes mobilières. Il me semble
qu’il n’est pas juste, dans le cas où il n’est pas permis au défenseur de
s’acquitter en payant le montant de l’évaluation, de fixer la compétence en
premier ou dernier ressort, d’après l’évaluation qui sera faite par le
demandeur. Comme on l’a fait observer, il peut arriver qu’une partie ait un
plus grand intérêt que l’autre dans une contestation ; en matière de
servitude, par exemple, le demandeur peut ne pas y attacher autant de prix que le
défenseur.
Comme il s’agit ici d’une innovation, il est bon de la
restreindre aux cas où elle peut être utile. Il me semble que cette utilité n’a
été démontrée qu’en ce qui concerne les actions mobilières, où le défenseur
peut se libérer en payant le montant de l’évaluation. On ne peut pas laisser à
l’arbitraire ou à l’arbitrage du demandeur le droit de fixer la compétence en
premier ou en dernier ressort, quand le défenseur n’a pas la faculté de se
libérer en payant le montant de l’évaluation. La position des parties doit être
égale dans une procédure. Elle l’est quand le défenseur peut se libérer, elle
ne l’est pas quand il ne peut pas se libérer.
La proposition me semble de nature à améliorer le
projet de loi.
J’adresserai maintenant une demande à M. le ministre
de l'intérieur. Quelles seront les conséquences de la disposition de l'article
11 du projet, dans le cas où il s’agirait d’un objet mobilier et où le
demandeur présentera des conclusions ne contenant pas d’évaluation ? La
disposition porte que la peine pour le demandeur sera de se voir refuser toute
audience. Mais le défenseur est prêt et veux avoir un jugement ; dans ce
cas, quelle sera la nature du jugement, qui interviendra après les conclusions
prises de part et d’autre ? Si on refuse l’audience et que le juge
intervenant doive être considéré uniquement comme rendu par défaut, la position
du défenseur peut être aggravée, puisque ce jugement est susceptible
d’opposition, et qu’il ne pourra pas avoir justice aussi promptement qu’il
désire. Je prie M. le ministre de l'intérieur de me donner quelques
explications. On sait que, quand les conclusions ont été présentées de part et
d’autre, alors même qu’on ne plaide pas, le jugement qui intervient est
contradictoire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – La première fois que j’ai pris la parole sur cet article,
j’ai exposé les motifs qui ont déterminé la commission à adopter la
disposition. Pour ce qui me regarde, comme rapporteur, je n’ai pas en tous
points partagé les opinions qui ont prévalu. L’inconvénient signalé par
l’honorable préopinant m’avait frappé, et je pense qu’on peut supprimer le mot
« immobilier », sans que cette suppression rende illusoires les
dispositions des articles précédents ; Dans le plus grand nombre des
contestations qu’il s’agira d’objets immobiliers, la valeur sera déterminée
conformément à l’article 10, et il y aura beaucoup moins d’appels
qu’aujourd’hui.
J’avais songé à l’objection que vient de faire
l’honorable M. Raikem ; il peut arriver que le défenseur ait hâte d’en
finir avec le demandeur. Cependant si le demandeur avait négligé, ou s’était
abstenu par une raison quelconque, de déterminer la valeur de l’objet de sa
demande, le procès resterait indécis jusqu’à ce qu’il plaise au demandeur d’indiquer
la valeur, bien que le défenseur puisse désirer de voir statuer promptement. On
pourrait obvier à cet inconvénient, en ajoutant les mots : « Si le
défenseur le demande », après ceux-ci : « sous peine de se voir
refuse toute audience. »
Mais je pense que, pour la rédaction de l’article, il
convient d’ordonner le renvoi à la commission.
M. de Behr – On pourrait dire que le
demandeur sera déclaré non recevable, si le défenseur le demande.
Mais le mieux est de renvoyer l’article à la
commission.
M. le président – S’il n’y a pas d’opposition, les articles 11 et 12 (14 et
15) sont renvoyés à la commission.
M. de Garcia – Il faudrait aussi
renvoyer l’article 13 (16).
Cet article est également renvoyé à la commission.
Articles 17 et 18
« Art. 14 devenu art. 17. Les tribunaux de
première instance connaissent en dernier ressort des demandes en payement
d’intérêts, d’arrérages de rentes, de loyers et fermages, lorsque ces demandes
n’excédent pas 2,000 francs, à quelque valeur que le capital ou le montant des
loyers ou fermages pour toute la durée du bail puisse s’élever, pourvu que le
titre ne soit pas contesté. »
- Adopté.
« Art. 15 devenu art. 18. L’exécution provisoire,
sans caution sera ordonnée, même d’office, s’il y a titre authentique, promesse
reconnue ou condamnation précédente par jugement dont il n’y ait pas
d’appel.
« Dans tous les autres cas, l’exécution
provisoire pourra être ordonnée avec ou sans caution. »
- Adopté.
Titre III
Article 19
« Art. 19 (ancien art. 16) – Les tribunaux de
commerce jugeront en dernier ressort les actions de leur compétence jusqu’à la
valeur de 2,000 francs en principal. »
- Adopté.
« Art. 20 (ancien art. 17) – Lorsqu’à la demande
principale, il est opposé une demande reconventionnelle ou en compensation, et
que chacune d’elles est susceptible d’être jugée en dernier ressort, le juge ou
tribunal prononce sur toutes sans appel. Si l’une de ces demandes n’est
susceptible d’être jugée qu’à raison d’appel, le tribunal ne prononce sur
toutes qu’en premier ressort. »
M. de Garcia – L’article 20 introduit un
principe contraire à la jurisprudence, et je crois qu’on a raison d’introduire
ce principe. D’après la jurisprudence, pour déterminer la compétence l’on
joignait la demande primitive à la demande reconventionnelle. D’après la loi il
faudra que le chiffre des demandes respectives dépasse le taux de la compétence
pour ne pas être jugé en dernier ressort par le juge de paix ou par le juge de
première instance.
Mais je demanderai à M. le ministre de l'intérieur ce
que le juge de paix aurait à faire dans le cas suivant : Je suppose que le
juge de paix soit appelé à connaître d’une demande qui soit de sa compétence en
dernier ressort ; je suppose que le défenseur ait une promesse reconnue du
demandeur s’élevant à 1000 francs ; il voudra opposer la
compensation ; le juge de paix pourra-t-il en connaître, surtout si le
demandeur prétend que cette promesse lui a été surprise par dol ? Le juge
de paix statuera-t-il sur cette demande reconventionnelle, ou bien
sursoira-t-il à prononcer sur la demande primitive jusqu’à ce que le tribunal
de première instance ait statué sur la demande reconventionnelle ? C’est
une question qui peut se présenter et qui se présente même souvent dans la
pratique. Je crois qu’il serait bien d’adopter sur ce point la disposition de
la loi française. Je ne veux pax innover ; mais je veux savoir ce que
devra faire le juge de paix. La compensation est de droit, et l’on doit pouvoir
l’opposer en toute circonstance. A cet égard évidemment, il y a lacune dans le
projet de loi, et le juge de paix ne saura comment se tirer de l’hypothèse que
je viens de poser. Quant à moi, je serais fort embarrassé de me tirer de cette
difficulté.
La loi française contient la disposition
suivante :
« Art. 8. Lorsque chacune des demandes
principales reconventionnelles ou en compensation sera dans les limites de la
compétence du juge de paix, il prononcera sauf qu’il y ait lieu à appel.
« Si l’une de ces demandes n’est susceptible
d’être jugée qu’à la charge d’appel, le juge de paix ne prononcera sur toutes
qu’en premier ressort.
« Si la demande reconventionnelle ou en
compensation excède les limites de sa compétence, il pourra, soit retenir le
jugement de la demande principale, soit renvoyer sur le tout les parties à se
pourvoir devant le tribunal de première instance. »
Je crois qu’il est absolument indispensable dans
l’intérêt des justiciables, dans l’intérêt des principes, d’insérer dans la loi
belge le troisième paragraphe de la loi française, et j’en fais l’objet formel
d’un amendement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Je le regrette, mais je n’ai pas bien compris le cas indiqué
par l’honorable préopinant. Puisqu’il demande quelle a été l’opinion de la
commission sur le dernier paragraphe de l’article 8 de la loi française, je
dois déclarer qu’elle ne l’a pas inséré dans la loi, parce qu’elle l’a jugé
inutile. La loi actuelle ne change rien aux règles établies en matière de
compensation.
Ainsi, je suppose une créance liquide dont on poursuit
le paiement devant le tribunal. Si à cette demande on en oppose une autre qui
doive donner lieu à de longues investigations, de manière à traîner en longueur
le jugement sur la créance liquide, le juge de paix peut statuer séparément sur
la demande introductive d’instance et postposer la demande opposée
reconventionnellement. Les règles de droit commun en matière de compensation ne
souffrent ici aucune atteinte.
Voici le sens de l’article : on suppose le cas où
ni la demande reconventionnelle, ni la demande principale n’excède le taux du
dernier ressort, et l’on demande si, dans ce cas, il faut cumuler les demandes,
pour savoir si le jugement à intervenir sera en dernier ressort, ou bien s’il
ne faut qu’avoir égard au montant de chacune de ces demandes prises isolément.
Je suppose, par exemple, une demande primitive de 40
francs à laquelle on oppose une demande reconventionnelle de 200 francs ;
dans ce cas, dit l’article, le juge de paix ne prononcera qu’au premier
ressort, puisque la plus forte de ces deux demandes excède le taux de son
dernier ressort. Si au contraire chacune de ces deux demandes n’excédait pas
100 francs, il prononcerait en dernier ressort, bien que, réunies, elles
excèdent le taux du dernier ressort.
Quant aux règles du droit commun d’après lequel la
compensation doit être admise, la loi actuelle n’y déroge aucunement.
M. de Garcia – L’honorable ministre de l’intérieur ne m’a pas compris, je
vais tâcher de faire comprendre. D’abord il ne faut pas comme il a dit, cumuler
la demande principale et la demande conventionnelle pour déterminer le taux de
la compétence des juges de paix, d’après le projet de loi, au contraire, il
faut disjoindre les deux demandes pour apprécier la compétence.
Je suppose l’exemple cité par M. le ministre. Il
s’agit d’une demande de 40 francs pour laquelle je suis cité devant le juge de
paix. Le demandeur, mon adversaire, me doit 1,000 francs par promesse reconnue.
Toutes nos lois civiles admettent la compensation. J’oppose une promesse
reconnue, mais le juge de paix ne peut prononcer que jusqu’à 100 francs en
dernier ressort, et jusqu’à 200 francs en premier ressort ; il ne peut
donc connaître de ma demande reconventionnelle ; que fera-t-on dans ce
cas ? (erratum, Moniteur belge n°129
du 8 mai 1840) M. le ministre ne m’a rien répondu de satisfaisant à cet égard.
Il est nécessaire portant d’y pourvoir, et il faut que la loi s’en explique.
L’on atteindra ce but si l’on insère dans la loi le dernier paragraphe de la
loi française.
M. Raikem – Si j’ai bien compris la question soumise par l’honorable M.
de Garcia, elle me paraît mériter quelque attention.
Je sais bien que, comme l’a dit M. le ministre de
l'intérieur, on ne change rien aux principes en matière de compensation. Chacun
sait que la compensation, quoiqu’elle ait lieu de plein droit, n’a lieu que
pour des créances liquides et exigibles ; et je ne crois pas qu’il soit
entré dans la pensée de l’honorable M. de Garcia de contester aucun de ces
principes. Mais voici l’hypothèse sur laquelle il a demandé des
éclaircissements. Le juge de paix, d’après l’article premier de la loi, sera
compétent à la charge d’appel jusqu’à 200 francs. Le défenseur assigné
apposera, en compensation, du demandeur une somme de 250 francs ; cette
somme est hors de la compétence du juge de paix. On attaquera la demande de
compensation de 250 francs, du chef de dol ou de tout autre chef qui entraîne
la nullité. Maintenant que fera le juge de paix ? car, aux termes de la
loi, la compensation a lieu de plein droit. Le défenseur verra-t-il le
demandeur débouté de sa demande, et touchera-il les 50 francs d’excédant ?
ou bien le juge de paix pourra admettre la compensation jusqu’à due
concurrence ; et si l’on dit que le juge de paix ne peut admettre cette
compensation, il s’en suivra que la loi civile ne sera pas exécutée :
voilà les points sur lesquels M. de Garcia demande des éclaircissements. La loi
française a prévu ce cas avec raison : Si une dette est liquide et que
l’autre ne le soit pas, alors le juge de paix peut renvoyer devant le tribunal
civile la prétention relative à la dette non liquide. Mais la compensation
diffère de ce que les auteurs appellent demandes reconventionnelles. Et,
lorsqu’il s’agira de compensation, le juge de paix, voyant qu’une des choses
excède sa compétence, renverra devant les juges compétentes, et la disposition
de la loi française, loin d’augmenter les procès, peut les éviter.
M. le ministre de la
justice (M. Leclercq) – Je crois qu’il y a lacune
dans le projet de loi sur le cas cité par M. de Garcia. L’article 17 ne traite
que le cas où le juge est compétent, et où il peut juger en premier ou en
dernier ressort. On pourrait combler cette lacune et adopter sans inconvénient
la disposition de la loi française ; mais il faudrait placer cette
disposition au titre premier relatif à la compétence des juges de paix.
- Le renvoi à la commission est ordonné.
« Art. 18, qui devient l’art. 21. L’amende
prononcée par l’article 471 du code de procédure civile, est portée à 15
francs, s’il s’agit d’un jugement de justice de paix, et à 30 francs, s’il
s’agit d’un jugement des tribunaux de première instance ou de commerce ;
cette amende sera perçue avec le droit d’enregistrement de l’acte d’appel.
Indépendamment de l’amende et sans préjudice, s’il y a lieu, aux dommages
intérêts, l’appelant qui succombe ou se désiste de son appel, sera condamné à
une indemnité au profit de chacune des parties intimées.
« Cette indemnité sera de 15 à 60 francs, s’il
s’agit d’un jugement de justice de paix, et de 50 à 300 francs, s’il s’agit
d’un jugement des tribunaux de première instance ou de commerce. »
M.
Metz – Messieurs, je viens
demander la suppression de l’article 18. il est assez singulier que lorsqu’on
considère les appels ou les seconds degrés de juridiction comme nécessaires
dans l’administration d’une bonne justice, on veuille rendre ce droit d’appel
illusoire. Il faut s’en tenir à l’article 471 du code de procédure civile, déjà
trop sévère, selon moi.
Il ne faut pas croire que les appels soient si
fréquents pour qu’il faille se prémunir contre eux par toutes sortes de moyens.
D’après la statistique présentée par l’honorable M. Raikem, sur 100 jugements
des justices il y en a 5 seulement frappées d’appel.
Quant aux jugements de première instance, la moyenne
est de 1 sur 10 ; c’est encore user du droit d’appel avec modération.
Pourquoi puniriez-vous celui qui se croit lésé dans
ses intérêts, qui recourt à une magistrature où il pense trouver plus de lumières,
plus d’impartialité ?
Les jugements des justices de paix sont réformés dans
la proposition de 2 sur 4 ; ceux des tribunaux de première instance sont
réformés dans la proposition de 2 sur 5 ; en voyant ces rapports, on peut
croire que l’on aura des chances d’obtenir la réforme d’un jugement qui lèse
nos intérêts et le bon droit, croyons-nous.
Laissez aux plaideurs un droit aussi cher que celui
d’appeler de jugements qui les blessent ; pourquoi les punir de ce qu’ils
appellent ? ne le sont-ils pas assez par la perte de leur procès ?
Un plaideur va trouver un avocat ; il lui expose
son affaire comme il la conçoit ; l’avocat lui conseille d’appeler ;
le plaideur croit devoir suivre le conseil d’un homme qu’il considère comme
éclairé ; mais comme, dans toute affaire, il y a un avocat qui se trompe,
si le plaideur perd en appel, il sera puni de l’erreur commise par un avocat,
puni de l’erreur d’un autre, cela est-il juste ?
Quand on a perdu son procès, on n’est que trop enclin
à maudire ses juges ; on les taxe d’erreur, de partialité, d’incapacité,
et on veut recourir à un tribunal supérieur, et on veut d’autant plus y
recourir que l’on voit que la moitié des décisions des justices de paix est
réformée, et les deux cinquièmes des autres.
Si par le paragraphe premier de l’article en
discussion on veut frapper d’une amende, par le paragraphe second du même
article on veut frapper d’une indemnité ; mais l’indemnité est inutile, ou
plutôt il est inutile d’imposer aux juges l’obligation de la prononcer, puisqu’ils
sont toujours saisi de la question des dommages intérêts relativement à
l’appel.
L’article 18 doit donc être supprimé en totalité.
M. de Garcia – Je me proposais aussi de demander la suppression de
l’article 18. plusieurs motifs me portaient à faire cette demande. La loi de
1790 pose en principe général que les matières civiles seront soumises à deux
degrés de juridiction. Ce serait donc contrairement à l’esprit de la loi
primitive que la nouvelle disposition proposée viendrait entraver l’exercice de
ce droit.
Pour les matières civiles il doit y avoir deux degrés
de juridiction. Je suis heureux de voir M. Metz partager ici mon opinion.
A la séance d’hier, mon honorable collège, pour
combattre l’amendement que je proposais pour porter la compétence des juges de
paix à 150 francs, en dernier ressort, et à 300 francs en premier ressort,
avançait, avec raison, que les frais d’appel qui entrent en taxe étaient des
plus minimes.
A la vérité il perdait de vue d’autres frais, qui ne
sont pas taxés, et mon honorable collègue, en qualité d’avocat, ne peut ignorer
qu’il est des frais qui n’entrent pas en taxe.
Mais, messieurs, lorsque l’appel des décisions du
juges de paix ne donne lieu qu’à des frais qui ne s’élèvent pas au-delà de 13
ou 14 francs, ne serait-il pas absurde que l’appel de leur jugement soumît la
partie qui succombe à des amendes et à des dommages intérêts aussi
considérables que ceux qui sont comminés par le projet, et cela lorsqu’ils sont
dans l’exercice d’un droit commun, lorsqu’ils ont été en erreur sur des
questions à raison desquelles les magistrats eux-mêmes en sont pas d’accord.
Hier on a combattu avec vivacité la proposition de
porter à 150 francs le chiffre maximum des affaires sur lesquelles les juges de
paix pourraient statuer en dernier ressort ; on a dit alors qu’il fallait
laisser aux justiciables les moyens de faire réformer les jugements par
lesquels ils se croiraient lésés ; eh bien, aujourd’hui, messieurs, si
vous adoptez l’article, vous ôtez aux justiciables ce que vous vouliez leur
donner hier à pleines mains. La porte que vous ouvriez hier, vous la fermeriez
aujourd’hui par l’adoption de l’article 18.
Je pense donc, messieurs, qu’il faut nécessairement
retrancher cet article de la loi ; quant à moi, j’en voterai certainement
le rejet.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Je conçois, messieurs, que l’on s’élève contre la première
partie de l'article, celle qui est relative aux amendes ; mais il me
paraît que la seconde partie tend à faire cesser un grief contre lequel on n’a
cessé de réclamer depuis que le code de procédure existe. Qu’arrive-t-il très
souvent, messieurs ? Un jugement est rendu par le juge de paix ; et
quoique l’affaire soit claire, la partie qui a succombé veut se soustraie à la
condamnation ou épuiser les moyens de son adversaire ; elle appelle un
jugement ; le jugement est confirmé, et l’on alloue à la partie qui a
obtenu gain de cause dans les deux instances, on lui alloue simplement les frais
taxés. Il résulte de là, que, tout calcul fait et lorsqu’il a payé son avocat,
celui qui a obtenu gain de cause et en première instance et en appel, n’est
réellement pas dédommagé de ses frais sans tenir compte des courses et de tous
les désagréments qu’entraîne un procès. Tout le monde conviendra que, dans ce
cas, il est juste que le juge ait au moins la faculté d’accorder à la partie
qui a obtenu gain de cause un dédommagement plus complet que la simple
restitution des frais taxés.
Un autre cas se présenté, c’est celui où un mauvais
plaideur, voyant que le rôle du tribunal d’appel est fort chargé, appelle du
jugement qui l’a condamné, uniquement pour gagner du temps ; alors la
partie qui a obtenu gain de cause en première instance doit faire tous les
mêmes frais que s’il s’agissait d’un appel sérieux ; cependant lorsque le
moment arrive pour l’appelant de faire valoir ses moyens, celui-ci, bien
persuadé que sa cause est mauvaise et que le premier jugement sera maintenu,
fait rayer l’affaire du rôle et se désiste de son appel ; alors encore la
partie qui a obtenu gain de cause en première instance obtient pour tout
dédommagement l’allocation des frais taxés. Dans ce cas, tous les magistrats
ont constamment regretté de ne pas pouvoir allouer à la partie qui a obtenu gain
de cause un véritable dédommagement.
Eh bien, messieurs, la seconde partie de l’article a
pour objet de donner cette faculté aux juges, et je crois que la chambre fera
sagement de l’adopter.
M. de Behr – On a dit, messieurs, que
l’article est inutile, parce que les tribunaux peuvent allouer des dommages
intérêts ; mais je ferai remarquer à la chambre que la disposition qui
autorise les juges à accorder des dommages intérêts ne concerne nullement les
frais d’avocats, les frais de courses, de voyages et autres semblables.
Cependant vous savez, messieurs, combien d’appels sont interjetés dans le but
unique de gagner du temps ; et chacun avouera qu’il serait juste que les
tribunaux pussent, dans ce cas, allouer au moins une légère indemnité au
plaideur qui a gagné sa cause.
Quant à l’amende, il est nécessaire d’en élever le
chiffre pour rentrer dans l’esprit de la loi qui nous régit actuellement ;
car depuis la promulgation de cette loi, le signe monétaire a subi une forte
dépréciation ; et par conséquent, en augmentant le chiffre de l’amende, on
ne fera que rétablir les choses dans l’état où la loi dont il s’agit les avait
placées.
M. Raikem – Je conçois, messieurs, que, dans le système de l’honorable ministre
de la justice qui nous a présenté le
projet de loi en 1835, il pouvait y avoir lieu d’augmenter le chiffre de
l’amende et de stipuler des dommages et intérêts, puisque, dans ce système, on
élevait assez considérablement, trop considérablement même, au dire de beaucoup
de personnes et d’après la décision de la chambre, le taux du dernier ressort,
qui aurait été de 150 francs, au lieu de 100 francs pour les juges de paix, et
de 3,000 francs au lieu de 2,000 francs pour les tribunaux de première instance.
Mais, maintenant que la chambre a réduit ces chiffres à 100 francs pour les
juges de paix et à 2,000 francs pour les tribunaux de première instance,
convient-il encore de suivre relativement à l’amende et aux dommages intérêts,
le système du premier projet ?
Cela ne serait-il pas en contradiction avec un des
arguments par lesquels on a combattu la disposition du projet de l’honorable M.
Ernst, qui concernait la compétence ? « La somme de 150 francs,
disait-on, est très importante pour certaines personnes ; il ne faut donc
pas interdire l’appel lorsque l’objet de la contestation a une valeur
semblable ; il ne faut interdire l’appel que lorsqu’il s’agit d’un objet
dont la valeur n’excède pas 100 francs. »
Cependant, comme l’a très bien fait observer l’honorable
M. de Garcia, tout en abaissant le taux du dernier ressort, vous voulez
comminer une amende très forte et stipuler une indemnité également très forte.
Je vous avoue, messieurs, que cela me semble un peu contradictoire.
Ensuite je ne sais pas, messieurs, pourquoi l’on a
substitué, relativement à l’amende, les chiffres de 15 et de 30 francs à ceux
de 15 et de 50 francs, que portait le projet primitif ? La loi de 1790
établissait une grande différence entre l’amende comminée lorsqu’il s’agit de la
décision d’un juge de paix, et celle qui est prononcée lorsqu’il s’agit d’un
jugement d’un tribunal de district ; dans le premier cas, d’après la loi
de 1790, l’amende est de 9 francs, dans le second cas elle est de 60 francs.
On a parlé, messieurs, de la dépréciation du signe
monétaire ; à cet égard, je ferai remarquer que le code de procédure
civile, qui a été promulgué en 1806 et rendu obligatoire au 1er janvier
L’assemblée constituante (et nous somme toujours sous
l’empire des règles qu’elle a tracées relativement aux degrés de juridiction),
l’assemblée constituante a établi qu’en matière civile il y aurait deux degrés
de juridiction, sauf les exceptions qui pourraient être jugées nécessaires. Les
deux degrés de juridiction sont dans la règle, et lorsqu’on appelle d’un
premier jugement on ne fait que suivre cette règle.
Remarquez, messieurs, que la statistique dont j’ai
déjà parlé prouve que réellement on n’a pas abusé du droit d’appel, car vous y
avez vu que la majeure partie des jugements rendus soit par les justices de
paix, soit par les tribunaux de première instance, n’ont point été attaqués par
l’appel ; on a dit, il est vrai, que la moitié des jugements rendus par
les juges de paix, et dont il a été appelé, ont été infirmés, que les jugements
confirmés sont aux jugements infirmés dans la proportion de un à un, mais je ne
vois pas que l’on puisse rien conclure de là à l’égard des jugements rendus par
les juges de paix, puisque naturellement quand les parties admettent le
jugement comme fondé, elles n’interjettent pas appel et qu’il y a une masse de
jugements dont il n’a pas été appelé.
On nous a dit, messieurs, que les plaideurs pouvaient
trouver dans l’appel un moyen de gagner du temps ; il faut convenir que le
temps obtenu de cette manière est chèrement acheté, puisque l’intérêt court
malgré l’appel et que cet appel donne lieu à une foule de frais. « Mais,
dit-on, les débiteurs qui veulent fuir, recourront à l’appel. »
Et quels seront ceux-là, messieurs ? Les
insolvables ; or, ceux-là, on peut les condamner à des dommages intérêts
tant qu’on le voudra, il n’y aura qu’une difficulté, ce sera de les faire
payer.
On dit encore, messieurs, que la cour de cassation
condamne le plaideur qui succombe à payer une indemnité à sa partie
adverse ; on peut dire que la même chose a lieu lorsqu’il y a requête
civile. Mais qu’est-ce que la voie de cassation ? qu’est-ce que la requête
civile ? C’est ce que le code appelle une voie extraordinaire ; or,
je conçois que le plaideur qui a recours à une voie extraordinaire pour
attaquer le jugement prononcé contre lui, je conçois que si ce plaideur
succombe, il soit condamné à payer une indemnité à la partie adverse, mais je
ne pense pas qu’il puisse en être de même pour un plaideur qui ne fait que
suivre les règles ordinaires d’après lesquelles il y a deux degrés de
juridiction ; je ne pense pas que, dans ce cas, il y ait lieu à accorder
des dommages intérêts dont la fixation est laissée à l’arbitrage du juge entre
un maximum et un minimum. Le juge, lorsqu’il n’a pas les pièces sous les yeux,
ne pourra pas fixer d’une manière exacte les indemnités qui pourraient être due
à raison des frais extraordinaires qu’on ferait sur un appel.
D’après ces diverses considérations , auxquelles on
pourrait en ajouter d’autres, je crois qu’il n’y a pas lieu d’adopter l’article
en discussion et qu’il faut s’en tenir à la législation existante.
M. le président – Je vais mettre aux voix l’article par division ; et
d’abord le premier paragraphe, qui est ainsi conçu :
« « Art. 18, qui devient l’art. 21. L’amende
prononcée par l’article 471 du code de procédure civile, est portée à 15
francs, s’il s’agit d’un jugement de justice de paix, et à 30francs, s’il
s’agit d’un jugement des tribunaux de première instance ou de commerce ;
cette amende sera perçue avec le droit d’enregistrement de l’acte d’appel.
Indépendamment de l’amende et sans préjudice, s’il y a lieu, aux dommages
intérêts, l’appelant qui succombe ou se désiste de son appel, sera condamné à
une indemnité au profit de chacune des parties intimées. »
M. de Behr – Je propose 10 francs pour
l’appel d’un jugement de justice de paix et 20 francs pour l’appel d’un
jugement de première instance.
M. Demonceau – Comme on a demandé la suppression du paragraphe, il
conviendrait de mettre aux voix la question de principe : changera-t-on
les dispositions de la législation actuelle sur les amendes ? (Adhésion.)
Cette question est mise aux voix et résolue
négativement.
En conséquence, le premier paragraphe de l’article 18
est supprimé.
Le deuxième paragraphe de l’article est ainsi
conçu :
« Cette indemnité sera de 15 à 60 francs, s’il
s’agit d’un jugement de justice de paix, et de 50 à 300 francs, s’il s’agit
d’un jugement des tribunaux de première instance ou de commerce. »
Il est mis aux voix et n’est pas adopté.
En conséquence, l’article 18 est supprimé.
« Art. 19. Dans les causes civiles,
correctionnelles et de police, soit en première instance, soit en degré
d’appel, chaque partie ne pourra respectivement charge, sous aucun prétexte,
plus d’un défenseur de la plaidoirie. »
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, il me semble
qu’il y a dans cet article quelque chose de trop absolu, pour qu’on puisse
l’adopter.
Il est très vrai que, dans un grand nombre de causes,
il peut être utile qu’un seul avocat soit entendu pour chaque partie ;
mais il en est aussi qui sont si importantes, qui donnent lieu à tant de
question graves que l’on entraverait, me semble-t-il, les instructions de ces
affaires si, par une disposition absolue, sans exception aucune, on interdisait
aux parties d’employer plusieurs avocats.
Dans l’impossibilité d’admettre un principe absolu, il
faudrait distinguer ; mais il est aussi difficile d’établir dans la loi
une distinction entre les différentes causes que d’y introduire un principe
absolu.
Il me paraît, messieurs, que, par ces considérations,
l’on devrait supprimer l’article, et s’en rapporter au pouvoir réglementaire,
pour prévenir l’inconvénient dont il s’agit. Déjà il y a été obvié par une
disposition qui me semble suffire : elle est contenue dans les articles 34
et 73 du décret du 30 mars 1808 ; ces articles statuent que le président
d’un tribunal, lorsque les juges estimes que la cause est suffisamment
instruite, peut faire cesser les plaidoiries.
Il me semble que, par cette disposition, il est pourvu
à tous les besoins, et qu’il y aurait danger à aller plus loin.
Je propose, en conséquence, la suppression de
l’article.
M. de Behr – Je ne m’oppose pas à cette
suppression, mais je dois faire remarquer qu’à la cour de Liége, il n’y a
jamais qu’un seul avocat qui soit chargé de la cause, et jusqu’ici cela n’a
donné lieu à aucun inconvénient.
La proposition me semble de nature à améliorer le
projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Ce qui se passe à la cour de Liége prouve la vérité de ce
que je disais tout à l’heure, c’est-à-dire que le pouvoir réglementaire suffit
en cette circonstance. C’est par une disposition règlementaire, à laquelle elle
peut déroger, que la cour de Liége a interdit à plusieurs avocats de plaider
simultanément. Cependant cette disposition n’est pas absolue, puisque les
avocats en stage peuvent plaider conjointement avec un ancien avocat.
M.
de Behr – Le règlement de la cour de
Liége a été approuvé par un décret impérial ; la cour ne pourrait donc pas
y déroger. Mais je conviens que lorsque c’est un avocat en stage qui est chargé
de la plaidoirie, on lui permet toujours de s’adjoindre un ancien avocat.
La proposition de M. le ministre de la justice,
tendant à la suppression de l’article 19, est mise aux voix et adoptée.
« Art. 20. Aucune des parties n’obtiendra, soit
par elle-même, soit par son conseil, plus de deux fois la parole, à moins que
la cour, le tribunal ou le juge n’ait demandé des éclaircissements
ultérieurs. »
M.
Metz – Je demande également la
suppression de l’article 20 ; il est d’autant plus inutile, que les
présidents des tribunaux sont déjà investis par eux-mêmes du droit qu’on veut
leur accorder par l’article 20.
Quand un président de tribunal ou de cour juge une
affaire suffisamment instruite, il déclare qu’il n’y a plus lieu à ce que
l’avocat prenne la parole. Au contraire, quand le tribunal ou la cour juge que
de nouveaux éclaircissements sont nécessaires, je ne vois pas pourquoi la loi
interdirait à l’avocat de donner les éclaircissements que la cour n’a pas
trouvés dans ses deux premières plaidoiries.
L’article est mis aux voix et n’est pas adopté.
« Art. 21 (24) Le gouvernement, sur l’avis des
cours d’appel, fixera, pour chacune des chambres des tribunaux de première
instance, et pour chaque justice de paix, le nombre des audiences
civiles. »
M.
Metz – Je demande encore la
suppression de cet article et subsidiairement de substituer les mots
« pourra fixer » à celui « fixera ». Il est impossible de
prévoir dès aujourd’hui le nombre d’audiences que nécessiteront les affaires
que cette loi amènera devant la justice de pax, non plus que l’effet qu’elle
aura sur le nombre d’affaires dont les tribunaux de première instance auront à
connaître. Il faut laisser à chaque tribunal et à chaque juge de paix le soin
de fixer le nombre d’audiences que nécessiteront les affaires. On peut être sûr
qu’ils ne feront pas faute d’employer le temps nécessaire à l’expédition des
affaires.
M. le ministre de la
justice (M. Leclercq) – Je pense que cet article
est très utile. Il tend à assurer la marche de la justice et ne présente aucun
inconvénient. Le gouvernement prendra toujours l’avis des cours d’appel. Il peut
arriver qu’un tribunal soit mal composé, qu’il procède avec négligence ;
l’intervention du gouvernement est alors nécessaire.
M.
Metz – Je propose la substitution
du mot « pourra ». Le gouvernement ne fera usage de la faculté que
lui donne l’article que dans le cas où il trouvera de la négligence ; ce
ne sera pas pour le gouvernement une nécessité de régler le nombre des
audiences que devront tenir les tribunaux et les justices de paix.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je me rallie à cet amendement.
- L’amendement de M. Metz est adopté ainsi que
l’article amendé.
Articles 25 à 27
« Art. 22 (25). Toutes les affaires régulièrement
introduites avant la mise en vigueur de la présente loi seront continuées
devant le juge qui en est saisi ; elles seront instruites et jugées
conformément à la présente loi. Sont exceptées les affaires dans lesquelles il
y aurait clôture des débats sur le fond avant la mise en vigueur de la loi.
« Pourra néanmoins le demandeur renoncer à son
action et en intenter une nouvelle, à charge de supporter les frais de la
renonciation. »
- Adopté.
« Art. 23 (26). Dans toutes les instances dans
lesquelles il n’est intervenu aucun jugement interlocutoire ni définitif, le
droit d’interjeter appel sera réglé d’après les dispositions de la présente
loi. »
- Adopté.
« Art. 24 (27) Les attributions conférées aux
tribunaux et aux juges de paix par la législation existante, sont maintenant,
pour autant qu’il n’y est pas dérogé par la présente loi. »
- Adopté.
Traitements des juges de paix et de leurs
greffiers
M.
Metz – L’article 6 du projet que
nous venons de convertir en loi, portait qu’à dater du 1er janvier 1836, les
traitements des juges de paix et de leurs greffiers sont portés respectivement
à 1,500 et 500 francs dans les chefs-lieux d’arrondissement, et partout
ailleurs à 1,200 et 400 francs.
Il n’est personne qui n’ait reconnu combien le
traitement des juges de paix est insuffisant et hors de proportion avec la
dignité de leurs fonctions. C’est ce que le gouvernement avait senti, puisque
déjà, en janvier 1836, il demandait pour eux une augmentation de traitement. Il
est à remarquer que depuis la loi de 1790 leur traitement est resté
stationnaire. Si, comme on l’a dit, le signe monétaire a subi une grande
dépréciation depuis la loi de 1790, et que, d’après cette base, on a cru devoir
augmenter du double la compétence des juges de paix, on devrait par la même
raison porter leur traitement au double ; aujourd’hui surtout qu’on a
augmenté leur compétence qu’on a fait des justice de paix une véritable
magistrature, il convient de les mettre dans la position que la raison et
l’intérêt de la justice leur assigne.
En conséquence, je proposerai de rétablir l’article 6
du projet ; à moins que le ministre ne nous donne l’assurance que, prenant
en considération la proposition de M. Verhaegen concernant les membres de la
magistrature, il nous présentera un projet prochainement. Comme il faut mettre
de l’harmonie dans les traitements de l’ordre judicaire, j’attendrais jusqu’à
ce moment pour donner suite à ma proposition relativement au traitement des
juges de paix.
M. le ministre de la
justice (M. Leclercq) – Je n’ai pas demandé de
maintenir dans la loi la disposition relative au traitement des juges de paix,
parce que j’ai pensé que l’augmentation de leur traitement ne devait pas être
décidée dans une loi de compétence, mais dans une loi concernant spécialement
le traitement des membres de l'ordre judicaire.
Je me propose d’examiner attentivement cet objet d’ici
à la prochaine session, de présenter un projet dans les premiers jours qui
suivront son ouverture, et d’insister pour qu’il soit discuté de manière à être
converti en loi avant le vote des budgets.
Je regarde cette loi d’augmentation du traitement des
membres de l’ordre judiciaire comme une loi d’avenir pour cette troisième
branche de nos pouvoirs constitutionnels ; je dis une loi d’avenir parce
que si l’on veut attirer dans la magistrature des sujets distingué, il est
impossible de maintenir l’état actuel des choses.
M.
Metz – Je me déclare satisfait.
M. de Behr – La commission n’a pas cru devoir
comprendre dans la loi de compétence la disposition concernant le traitement
des juges de paix, parce que cette disposition devait faire partie d’une loi
permanente, qu’il fallait savoir jusqu’à quel point le projet de loi de
compétence recevrait l’assentiment de la chambre, pour proportionner le
traitement des juges de paix à la besogne dont ils seraient chargés.
Voilà pourquoi cette disposition ne devait pas trouver
place dans le projet que la commission vous a soumis.
M. le président – La commission sera convoquée pour demain à 11 heures, afin
d’examiner les amendements qui lui ont été renvoyés. Elle pourra, je pense,
faire son rapport au commencement de la séance.
Je propose de mettre à l’ordre du jour la loi de
transfert et la loi concernant les successions.
M. de Villegas – Et la loi sur le
pénitentiaire.
M. le président – Elle est à l’ordre du jour.
La séance sera fixée à deux heures.
- La séance est levée à 4 heures et ½.