Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente
Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 16 mars 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition relative aux ventes à l’encan (Dumortier)
2) Projet de loi relatif aux
ventes à l’encan de marchandises neuves. Dispositions pénales (Jonet,
d’Anethan), recours aux officiers publics (de Corswarem, Savart-Martel, d’Anethan, de Corswarem, d’Anethan), perception d’un droit d’enregistrement (d’Anethan)
3) Projet de loi relatif à la
vente d’effets militaires. Code pénal militaire (d’Anethan, d’Anethan, Henot, d’Anethan, Henot,
de Villegas, Van Cutsem, Henot, d’Anethan)
4) Fixation de l’ordre des travaux
de la chambre (Malou), notamment circonscriptions des
justices de paix (Lejeune)
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page 984) M. de Villegas procède à l'appel nominal
à 2 heures.
M. de Man d’Attenrode lit le
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Villegas présente l'analyse des
pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le conseil
communal de Tongres demande que la ligne principale du chemin de fer projeté
entre Anvers et Dusseldorf passe par Tongres. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
________________
« L'administration
communale de Waereghem demande que cette commune soit déclarée chef-lieu d'un
canton de justice de paix. »
- Renvoi à la
commission chargée d'examiner les projets.de loi sur la circonscription cantonale.
« Le sieur Kenettenorf, directeur de ventes à Bruxelles,
présente des observations concernant le projet de loi sur les ventes publiques
en détail des marchandises neuves. »
M. Dumortier. - Je
demande la lecture de cette pétition.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, il va être
donné lecture de cette pétition.
M. de Villegas
donne cette lecture.
(Note du webmaster : le texte de cette pétition,
inséré ensuite dans les Annales parlementaires, n’est pas repris dans la
présente version numérisée.)
- Cette
pétition restera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi à
l'ordre du jour.
________________
Par dépêche en
date du 14 mars, M. le ministre de la
justice (M. d’Anethan) transmet à la chambre sept demandes en
naturalisation, accompagnées des renseignements relatifs à chacune d'elles.
- Renvoi à la
commission des naturalisations.
_________________
M. Delehaye demande
un congé pour cause de santé.
- Accordé.
PROJET DE LOI SUR LES VENTES DE DETAIL DE MARCHANDISES NEUVES
Discussion des articles
Article 10
M. le président. - A la séance de samedi, la chambre en était
restée à l'article 10 ainsi conçu :
« Toute contravention
aux dispositions ci-dessus sera punie de la confiscation des marchandises mises
en vente, et, en outre, d'une amende de 50 à 3,000 francs, qui sera prononcée
solidairement, tant contre le vendeur que contre l’officier public qui l'aura
assisté, sans préjudice des dommages-intérêts, s'il y a lieu.
« En cas de récidive
dans les trois années, le maximum de la peine sera toujours appliqué.
« Ces condamnations
seront prononcées par les tribunaux correctionnels. »
La section centrale
propose de réduire le maximum de l'amende à 1,000 fr. au lieu de 3,000.
Samedi, au moment
de mettre cet amendement aux voix, la chambre ne s'est plus trouvée en nombre.
- L'amendement
de la section centrale est mis aux voix et adopté.
L'article 10 ainsi
amende est également adopté.
« Art. 11. Seront passibles des mêmes peines, les
vendeurs ou officiers publics qui comprendraient dans les ventes faites pas autorité
de justice, sur saisie, après décès, faillite, cessation de commerce, ou dans
les autres cas de nécessité prévus par l'article 3 de la loi, les marchandises
neuves faisant pas partie du fonds ou du mobilier mis en vente. »
(page 985) M. Jonet. - Je vois par cet article
que l'on punit des mêmes peines les vendeurs ou officiers publics qui
comprendraient dans les ventes faites par autorité de justice, sur saisie après
décès, faillite, cessation de commerce ou dans les autres cas de nécessité
prévus par l'article 3, des marchandises neuves ne faisant pas partie du fonds
ou du mobilier mis en vente. Je pense qu'il y aurait une exception à faire pour
les officiers publics qui ne savent pas toujours si des marchandises neuves ont
été mises, depuis le décès ou la faillite, parmi celles dont la vente est
autorisée. Si l'officier public n'a pas une connaissance formelle de l'introduction
de ces marchandises, il est impossible qu'il soit passible de l'amende
prononcée contre le vendeur qui a introduit ces marchandises.
Je proposerai un changement de rédaction consistant
dans la suppression des mots : « ou officiers publics », et
j'ajouterai un deuxième paragraphe ainsi conçu : « Quand les officiers publics
connaissant la fraude auront procédé à la vente, ils seront condamnés à
l'amende solidairement avec les vendeurs. »
Les officiers
publics ne doivent pas toujours être condamnés à l'amende, parce qu'il y a une foule
de circonstances où ils n'ont pas connaissance de la fraude. Dans ce cas il est
impossible de les condamner. Je ne veux qu'ils soient passibles de la peine que
quand ils ont connaissance de la fraude.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'observation faite par
l'honorable M. Jonet est parfaitement juste, mais il peut y être satisfait en
ajoutant un mot à l'article 10, le mot « sciemment », sans avoir
besoin d'ajouter un deuxième paragraphe à l'article. »
M. Jonet. - Le mot « sciemment »
s'appliquerait ainsi anx vendeurs ; or, les vendeurs savent toujours si les
marchandises ont été introduites en fraude parmi celles dont la vente doit
avoir lieu par autorité de justice.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si les vendeurs ont
toujours connaissance de la fraude, il n'y a aucun inconvénient à introduire le
mot « sciemment », ce ne peut être qu'une redondance à leur égard,
- L'addition du
mot « sciemment » après ceux-ci : « officiers
publics qui » est mise aux voix et adoptée.
L'article 11 ainsi
amendé est également adopté.
Article 12
« Art. 12. Dans
tous les cas ci-dessus, où les ventes publiques seront faites par le ministère
des courtiers, ils se conformeront aux lois et règlements qui les régissent,
tant pour les formes de la vente que pour les droits de courtage. »
- La section centrale
propose la suppression de cet article.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Le gouvernement se
rallie à cette proposition.
- La suppression
de l'article 12 est mise aux voix et prononcée.
« Art. 13 (qui
devient art. 12). Dans les lieux où il n'y aura point de courtiers de commerce,
les officies publics ayant à ce qualité légale, feront les ventes ci-dessus,
selon les droits qui leur sont respectivement attribués par les lois et
règlements.
« Ils seront,
pour lesdites ventes, soumis aux formes, conditions et tarifs imposés aux courtiers.
»
M. de Corswarem. - Messieurs, je crois que cet article ne
peut s'appliquer qu'aux ventes en gros, qu'aux ventes qui se font dans les
quantités déterminées par l'article 2. Jusqu'à présent les courtiers de
commerce n'ont jamais procédé à des ventes en détail, ils vendent des
cargaisons ou des parties de cargaison qui, nécessairement, sont toujours des
ventes importantes.
Les courtiers
de commerce ont un tantième pour cent très peu élevé, parce qu'ils font des ventes
considérables sur lesquelles un faible tantième donne un salaire assez considérable.
Si vous obligez
les autres officiers publics, les notaires, par exemple, à se charger des
ventes en détail moyennant le tantième alloué aux courtiers sur les ventes en
gros, ils se refuseront à faire les ventes en détail. Le tantième attribué au
courtier sur une vente peu importante s'élèverait à une somme si minime qu'un
notaire ne voudrait pas s'y prêter.
Il y a d'autres
circonstances où les notaires ne peuvent pas percevoir de tantième, c'est quand
il s'agit de ventes de marchandises où des mineurs, des absents ou des
interdits ou d'autres incapables ont intérêt ; alors la loi stipule qu'ils ne
peuvent se faire payer que par vacation et non par tantième, quelle que soit l'élévation
du produit de la vente. L'article qui nous occupe viendrait déroger à ce qui
existe. Il me paraît qu'on peut supprimer cet article comme le précédent. Il
n'y a à cela aucun inconvénient, selon moi ; car il va sans dire que dans les
lieux où il n'y aura pas de courtiers de commerce, les seuls officiers publics,
ayant à ce qualité légale, feront les ventes selon les droits qui leur sont
respectivement attribués par les lois et règlements, parce que, d'après un
autre article déjà adopté, quiconque n'ayant pas qualité légale, fait une vente
publique, est puni d'une amende de 50 à 100 fr.
Si la vente est très considérable, il pourra se
faire qu'il y ait des remises très élevées ; tous les officiers publics s'en
chargeront ; mais si elles sont peu élevées, les officiers publics d'un ordre
élevé trouveront des motifs pour ne pas s'en charger ; les vendeurs seront
obligés de recourir à des officiers publics d'un rang inférieur, en qui ils
pourront ne pas avoir la même confiance qu'en ceux qui auront refusé leur
ministère. Je propose donc la suppression de cet article, à moins qu'on ne me
démontre qu'il y a nécessité de le maintenir.
M. Savart-Martel. - J'appuie la suppression
demandée par l'honorable préopinant. Je pensais qu'il avait été entendu qu'on
le supprimerait. Nous faisons une loi pour protéger le commerce, mais non une
loi qui règle les devoirs, les obligations, les droits des officiers
ministériels.
Il me semble qu'il
avait été convenu qu'on laisserait cela dans le droit commun, pour ne pas entrer
dans des détails pour les cas où il s'agirait de majeurs ou de mineurs, de
courtiers ou de notaires. J'insiste donc pour la suppression.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si l'article 13 n’avait pas
le deuxième paragraphe, on pourrait supprimer cet article ; mais le dernier paragraphe
assimile tous les officiers publics aux courtiers, quant au tarif et aux
honoraires. Ce paragraphe porte :
« Lorsque
les ventes seront faites par les officiers publics, ils seront soumis aux
formes et conditions de tarif imposées aux courtiers. »
Sans cette disposition
spéciale, l'assimilation n'existerait pas. Je n'ai pas présentes à la mémoire
les différences qui existent entre le tarif des notaires, celui des huissiers
et celui des courtiers. Je ne sais même pas s’il y a des différences notables
entre ces tarifs. Les émoluments de ces officiers publics ont été établis par
divers décrets et arrêtés.
Je ne vois pas
d'inconvénient à les assimiler, quant au tarif, si on les assimile quant à la
compétence. Je trouve même cette assimilation très logique.
Elle n'existerait pas si nous n'adoptions pas le
paragraphe final de l'article 13. Je ne vois pas de difficulté à laisser
subsister cet article, et il pourrait peut-être y avoir des inconvénients à le
faire disparaître. Il pourrait y avoir des officiers publics ayant la même
mission, la même compétence et soumis des tarifs différents.
On peut maintenir
l'article 13 en restant d'accord avec le principe qui a fait supprimer
plusieurs autres articles ; cette suppression a été motivée par l'intention de
ne pas créer un système nouveau, et s'en référer aux lois existantes ; mais ici
il s'agit d'établir une assimilation qui n'existe pas, quant aux tarifs, entre
ces divers fonctionnaires.
M. de Corswarem. - Je ne crois pas qu'il soit juste
d'assimiler ici les officiers publics des divers grades, même pour la même
vente. Le tarif des notaires est plus élevé que celui des courtiers, mais le
tarif des huissiers est moins élevé que celui des courtiers. Pourquoi vouloir
allouer aux notaires moins et aux huissiers plus qu'ils n'ont aujourd’hui? Dans
les cas où les notaires sont payés par vacation, pourquoi vouloir leur donner
des remises ? Car, comme je l'ai déjà dit, dans tous les cas où les ventes sont
faites d'après inventaire, quand il y a des mineurs, des interdits ou des
absents, les notaires sont payés par vacation.
Ainsi cet article
dérogerait au code de procédure qui prescrit le mode de vente dans les cas où
des incapables sont intéressés.
Il faudrait faire ici une exception et dire que les
ventes par autorité de justice ou sur saisie, etc., ne seront payées que par
vacations. Il faudrait faire une distinction pour les ventes qui seraient
opérées d'après le tarif. Mieux vaut laisser les choses comme elles sont et
laisser aux vendeurs la faculté de transiger avec les officiers ministériels
sur la quotité de leurs remises ; ce qui se fait assez fréquemment pour les
ventes de quelque importance, il y aurait, par suite, des cas où vous donneriez
aux officiers publics des remises plus fortes que celles qu'ils ont maintenant.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne suis pas l'auteur
du projet de loi. Mais j'ai voulu indiquer les motifs qui, d'après moi, ont
motivé la présentation de cette disposition.
Je reconnais que
les observations de l'honorable M. de Corswarem peuvent être prises en considération.
Je ne vois pas, pour ma part, grand inconvénient à supprimer l'article.
- La chambre consultée
supprime l'article 13.
« Art. 14 (qui
devient l'art, 12). 11 sera perçu au profit du trésor public sur les ventes
désignées à l'article. 2, un tantième de 5 p. c. de leur produit, payable en
même temps que les droits d’enregistrement. »
« Art. 14
(Amendement de la section centrale). Les droits d'enregistrement à percevoir sur
les ventes désignées à l’article 2 sont portés à 5 p. c. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai un nouvel amendement à proposer pour remplacer
cet article, dont la rédaction ne me paraît pas très claire. On y mentionne des
ventes désignées à l’article 2. Or il n'est question dans l'article 2 que de
ventes en détail qui sont interdites.
Je proposerai
donc la rédaction suivante :
« Le droit d'enregistrement
à percevoir sur les ventes publiques de marchandises neuves mentionnées à
l'article 2, est porté à 5 p. c, sauf en ce qui concerne les ventes publiques
en détail autorisées par l'article 3, sur lesquelles on continuera à percevoir
le droit fixé par l'article 13 delà loi du 31 mars 1824. »
- La chambre remet
à après-demain le vote définitif du projet de loi.
PROJET DE LOI RELATIF A LA VENTE D’EFFETS MILITAIRES
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de
la commission ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Non, M. le président.
M. le président. - En conséquence, la discussion est ouverte
sur le projet du gouvernement.
Les propositions
de la commission seront considérées comme amendements.
- Personne ne
demandant la parole dans la discussion générale, cette discussion est close.
La chambre passe
à la discussion sur les articles.
Article premier
« Art. 1er. (Projet
du gouvernement.) Tout individu non soumis aux lois militaires, qui aura
acheté, loué, emprunté, reçu en dépôt ou en gage, présenté à vendre, exposé en
vente, ou vendu des effets ou objets d'habillement, d'équipement, de harnachement
ou d'armement militaires ne portant point les marques de rebut, sera puni d'un
emprisonnement de six jours à un an et d'une amende de cinquante à cinq cents
francs. »
(page 986) « Art. 1er. (Projet de la commission.)
Quiconque aura acheté, vendu, loué, échangé, emprunté, donné ou reçu en dépôt
ou en gage, exposé en vente, présenté en vente, louage, échange, prêt, dépôt ou
en gage, des effets ou objets d'habillement, d'équipement, de harnachement ou
d'armement militaires, ne portant pas les marques de rebut, ou qui se sera
rendu complice de ce délit, sera puni d'un emprisonnement de six jours à un an,
et d'une amende de cinquante à cinq cents francs. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai dit tout à l'heure
que je ne me ralliais pas à la proposition de la commission. Je ne m'y rallie
pas en ce qui concerne les articles 2 et 3. Quant à l'article premier, je
reconnais que la rédaction de la commission est plus complète que celle que le
gouvernement avait proposée. Il est préférable, me paraît-il, de ne pas parler
dans l'article premier de la complicité, et de réserver cette question pour
l'article 2.
J'exposerai dans
la discussion de cet article les motifs qui me portent à ne pas me rallier à la
disposition proposée par la commission.
- La proposition
de M. le ministre de la justice est adopté ; en conséquence l'article premier
du projet de la commission est adopté avec la suppression des mots « ou
qui se sera rendu complice de ce délit ».
« Art. 2. Les
complices du délit prévu par la présente loi seront punis des mêmes peines que les
auteurs, sans préjudice des peines portées par la loi militaire contre les individus
appartenant à l'armée, à raison de leur coopération aux faits mentionnés à
l'article premier. »
« Art. 2. (Projet
de la commission.) La connaissance des délits mentionnés à 1'article qui
précède est dévolue aux tribunaux correctionnels ; néanmoins lorsqu'ils auront
été commis par des personnes faisant partie de l'armée, sans que des individus
soumis aux lois civiles y auraient participé, ou y seraient compromis, ils
seront déférés au juge militaire, et punis des peines portées par les lois
militaires. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - La commission change par
cet article l'état de choses existant, d'après la loi de 1817, relativement à
la compétence et à la juridiction. Contrairement à cette loi, la commission
veut soumettre à la juridiction ordinaire des délits tout à fait militaires.
Elle modifie des dispositions essentielles du Code pénal militaire ; car elle
ne propose pas seulement un changement quant à la compétence et à la
juridiction, mais elle propose un changement très notable quant à la peine.
Cette proposition
est inadmissible.
Je vais, en peu
de mois, essayer de démontrer à la chambre que le système de la commission, contraire
à tout ce qui existe, à tous les précédents judiciaires, est inadmissible.
La loi de
1817, que la loi actuelle est destinée à remplacer, porte dans ses considérants
:
« Ayant pris en
considération que les Codes militaires ont établi des peines pour la désertion
et pour le délit des militaires ou autres individus appartenant aux armées de
terre ou de mer, qui se permettraient de la favoriser, mais que les lois
existantes n'ont pas assez prévu le cas où ce même délit serait commis par des
personnes qui ne sont pas soumises à la juridiction militaire ;.....
« Art. 1er. Tout
individu non soumis à la juridiction militaire, qui engagera d'une manière quelconque
à la désertion un ou plusieurs militaires des armées de terre ou de mer..... sera puni de..... »
Ainsi, la loi
de 1817 n'est, en aucun cas, applicable à l'individu soumis a la juridiction militaire.
C'est donc une véritable innovation que propose la commission, en voulant
soumettre à la juridiction civile un individu soumis à la juridiction militaire,
et ce non seulement à raison de délits ordinaires, mais même en raison des faits
qui constituent de véritables délits militaires.
Quand il s'agit,
messieurs, de délits ordinaires, on conçoit très bien si ces délits sont commis
simultanément par un militaire et par un bourgeois, qu'on doive alors recourir
à la juridiction ordinaire ; il faut que le militaire soit traduit avec le
bourgeois devant le tribunal correctionnel, on ne concevrait pas en effet que
dans ce cas le bourgeois fût justiciable d'un conseil de guerre. Mais s'il en
est ainsi lorsqu'il s'agit de délits ordinaires, il en est tout autrement
lorsqu'il s'agit de délits militaires. Dans ce cas le militaire, quelle que
soit la coopération qu'un bourgeois lui aurait prêtée, reste soumis à la
juridiction militaire. En effet, si un bourgeois, par exemple, avait favorisé
la désertion d'un militaire, on ne soutiendra pas que, pour ce crime, le
militaire doive être traduit devant une cour d'assises. Le militaire, bien qu'ayant
été aidé, pour effectuer sa désertion, par un individu non militaire, n'en
restera pas moins soumis aux lois militaires, à la juridiction militaire, et
une autre procédure, une autre instruction aura lieu contre l'individu non militaire,
qui sera traduit devant la cour d'assises ou devant le tribunal correctionnel,
suivant les circonstances.
Ainsi jamais on
n'a admis ce principe, que lorsqu'un bourgeois a coopéré à un délit militaire,
une seule et même juridiction devait connaître de l'affaire. J'ai cité
l'exemple de la désertion ; il y a une infinité d'autres cas que l'on pourrait
également rappeler.
Le principe d'une
juridiction unique n'est admis que lorsqu'il s'agit de délits ordinaires. Ainsi
un militaire et un individu non militaire auraient eu une rixe, punissable par
l'article 311 du code pénal. Il est évident que le militaire et le bourgeois
seront traduits devant le tribunal correctionnel. Mais lorsqu'il s'agit d'un
délit militaire auquel un bourgeois a coopéré, chaque juridiction conserve ses
pouvoirs et doit amener devant elle l'individu qui lui appartient.
Il s'agit donc,
messieurs, de voir si le fait de la vente des objets militaires, par un militaire,
constitue ou non un délit militaire ; et dès l'instant où il sera reconnu,
comme cela ne me paraît pas douteux, que la vente d'effets militaires par un
militaire auquel ces effets ont été remis pour son service, constitue pour
celui-ci un délit militaire, il est évident qu'il devra rester soumis à la juridiction
militaire et que le bourgeois qui aura coopéré au délit, en achetant les
effets, sera punissable des tribunaux ordinaires.
Messieurs, le
code pénal militaire a rangé au nombre des délits punis par ce code, le fait prévu
par son art. 193 qui porte : « Un sous-officier ou soldat qui vend ou qui
met en gages ses armes, ses habits ou l'équipement que le gouvernement lui
avait donné pour son usage, sera puni de coups ou de détention suivant les circonstances
du délit. »
L'article 19 du
règlement de discipline pour l'armée porte :
« Art. 19. Quiconque
vend ou met en gage, ruine ou gâte les moindres pièces de son uniforme, ou qui
néglige, par paresse ou par inadvertance, de faire ce qui lui est ordonné par
rapport à l'extérieur ou à la propreté, dans l'habillement et l'armement. »
Ainsi le code
pénal militaire, abstraction faite de toute coopération d'un bourgeois, a rangé
au nombre des délits militaires le fait de ne pouvoir reproduire les effets qui
ont été donnés par le gouvernement au militaire, et qui deviennent sa propriété,
mais qu'il doit payer sur sa solde.
Peu importe la
manière dont le militaire est dépourvu de son uniforme ou de ses objets d'équipement
; soit qu'il les perde, soit qu'il les vende, soit qu'il les mette en gage,
soit qu'il les détériore, il y a dans le chef de ce militaire un délit parce
qu'il ne reproduit pas au corps les objets dont il devait faire usage. Et l'on
conçoit que ce soit là un délit militaire, parce que l'absence d'équipement
militaire l'empêche de faire son service.
Messieurs, je
me demande comment on soumettrait à des tribunaux civils l'appréciation d'un fait
qui est évidemment militaire et que le militaire seul, à raison de la remise
qui lui a été faite de ses effets, peut commettre.
Je ne comprends,
du reste, pas comment il serait possible d'adopter la proposition de la
commission, à cause des anomalies que l'admission de ce système amènerait infailliblement.
Un militaire ne
peut pas reproduire un objet d'équipement qui lui a été remis, un objet de grand
équipement, par exemple. Le conseil de guerre sera à l'instant saisi de la
connaissance de ce délit ; il suffira de la première revue pour s'apercevoir que
cet objet manque, et alors l'article 193 du Code pénal militaire sera appliqué.
Mais si l'inspecteur
ou le colonel ne s'aperçoit que plus tard de la disparition, en même temps
qu'il apprend que tel marchand a acheté cet objet militaire, il en résultera
que le militaire qui, dans le premier cas, aurait été traduit devant un conseil
de guerre et puni de la détention, sera, à cause de la circonstance de la
découverte postérieure au délit, traduit devant le tribunal correctionnel, et
qu'alors il encourra une peine différente.
Il faut avouer
qu'un semblable système ne peut être un instant soutenu, car on ne peut admettre
qu'un fait postérieurement découvert fasse changer la nature du délit et le
rende punissable d'une peine différente.
Il y a une autre
remarque importante à faire, c'est que, relativement au délit militaire dont je
m'occupe, il y a des peines différentes suivant que l'objet qui n'est pas
reproduit appartient au grand ou au petit équipement ; s'il appartient au grand
équipement, c'est l'article 193 du code pénal militaire qui est appliqué ; s'il
appartient au petit équipement, c'est l'article 19 du règlement disciplinaire
qui est applicable.
Or, l'une de ces
peines est appliquée par le conseil de guerre et l'autre par le chef de corps.
Ainsi deux peines différentes pour le militaire : peine quelquefois très grave,
puisque la détention peut être prononcée pour plus d'une année ; peine au
contraire souvent très minime, alors qu'il s'agit d'un objet de petit équipement
; et l'on voudrait que la peine fût la même dans les deux circonstances, tandis
qu'on voudrait d'un autre côté que la peine variât suivant que l'objet est ou
non vendu à un bourgeois !
Il me semble que
ce système peut être difficilement soutenu, parce qu'il renverse ce qui existe
et qu'il est contraire à la saine application des lois militaires qu'il est
important de maintenir, et que l'on ne peut modifier d'une manière incidente
dans une loi qui n'a pas rapport à la discipline militaire.
Vous voudrez bien
remarquer, messieurs, qu'un militaire pourrait, il est vrai, se rendre coupable
du même trafic qu'un bourgeois ; ainsi il est possible qu'il s'agisse d'effets
qui n'ont pas été remis à ce militaire. Je conçois que dans ce cas le militaire
soit assimilé au bourgeois, parce qu'il ne commet pas alors de délit militaire.
Messieurs, je
fais une grande différence entre le militaire qui aurait vendu des objets qui lui
auraient été remis pour s'en servir et le militaire qui aurait acheté à un marchand
des effets militaires qu'il irait vendre à un autre marchand. Je conçois que,
dans ce dernier cas, le militaire soit traduit devant le tribunal correctionnel,
parce qu'il n'est pas possible de reconnaître dans ce fait un délit militaire.
Mais, lorsque l'objet vendu est un objet qui lui avait été remis pour son service,
je dis qu'il y a là un délit spécial, et tellement spécial, que le militaire
est punissable de peines militaires, uniquement pour avoir perdu l'objet qui
lui a été donné.
Je crois donc
devoir m'opposer, dans l'intérêt du service, dans l'intérêt de la conservation des
effets militaires entre les mains des soldats, à l'amendement proposé par la
commission.
Messieurs, les
craintes qui préoccupent la commission ne me paraissent nullement fondées. Que
dit, en effet, la commission? Elle soutient qu'il y aura d'un côté un militaire
traduit devant un conseil de guerre et de l'autre un bourgeois traduit devant
un tribunal correctionnel ; que d'un côté il pourra y avoir acquittement, de
l'autre condamnation ; que dans tous les cas il y aura doubles frais. Voilà
tous les arguments de la commission, messieurs. Ils ne tiennent pas un instant
devant les faits réels. Le militaire sera (page 987) presque toujours traduit
devant le conseil de guerre bien avant que l'on sache l'individu auquel il aura
vendu l'objet disparu. Il est presque impossible que le délit militaire ne soit
découvert qu'en même temps que l'acheteur de l'objet. Le délit militaire est
ordinairement découvert le jour même ou le lendemain du jour où il a été
commis, tandis que le délit du bourgeois n'est découvert que lorsqu'on fait des
visites domiciliaires ou qu'on voit étalé chez lui l'objet qu'il a acheté.
La crainte qui
préoccupe la commission n'est donc pas sérieuse, et dans tous les cas elle ne
balance pas les inconvénients si réels que je crois avoir développés.
L'autre crainte
qui préoccupe la commission, la crainte des frais, n'est pas non plus fondée.
On sait les frais que peut occasionner devant un conseil de guerre une poursuite
pareille. Jamais on n'entend de témoins. Il suffit d'établir que le militaire n'a
plus l'objet qu’il doit reproduire, pour qu'il soit condamné ; et quand il
s'agit d'effets de petit équipement, il n'y a pas même de poursuites devant le
conseil de guerre, c'est le chef de corps qui prononce la pénalité.
Ainsi les deux
craintes qui ont été émises et qui ont fait adopter par la commission l'amendement
qu'elle propose, me paraissent chimériques et ne pourront me faire renoncer à
l'opposition que je fais à cet amendement, à cause des inconvénients réels et
des anomalies véritables qu'il peut amener.
Voici, messieurs,
comment je proposerai de rédiger l'article 3 :
« Les complices du délit prévu par la présente loi
seront punis des mêmes peines que les auteurs. Toutefois les individus
appartenant à l'armée restent soumis aux lois militaires en ce qui concerne les
faits prévus par l'article 193 du Code militaire et par l'article 19 du
règlement disciplinaire. »
Je demande qu'on
maintienne les peines établies par l'article 193 du code pénal et l'article 19
du règlement disciplinaire, articles dont l'application n'a donné lieu
jusqu'ici à aucun inconvénient.
Je pense, messieurs,
à l'aide de ces considérations, avoir justifié mon opposition à l'amendement
qui vous a été proposé par la section centrale.
M. Henot, rapporteur. - Avant de répondre aux
observations au moyen desquelles M. le ministre de la justice s'est efforce de
combattre l’amendement proposé par la commission, je me permettrai d'indiquer
succinctement les motifs sur lesquels cet amendement est fondé.
Que la chambre
veuille bien ne pas perdre de vue la portée des deux dispositions qui sont en
présence.
D'après le système
du gouvernement, un militaire ne serait, en aucun cas quelconque, justiciable
des tribunaux ordinaires, de manière que lorsqu'un militaire et un bourgeois se
seraient rendus coupables de trafic d'effets militaires, le premier devrait
être traduit devant le juge militaire, et le second devant le juge ordinaire.
D'après la commission,
au contraire, le juge militaire ne connaîtrait que du trafic entre militaires,
et de la présentation en vente, louage, échange, etc., perpétrée par un
militaire seul ; et tous les faits de trafic auxquels un bourgeois aurait
participé, ou dans lesquels un bourgeois serait compromis, seraient dévolus à
la juridiction civile.
Le système du
gouvernement, on l'aura déjà compris, s'écarte de tous les principes qui régissent
la matière, tandis que celui de la commission n'en fait qu'une juste application.
Le premier
principe avec lequel le gouvernement est en opposition directe, est celui qui
proclame l'indivisibilité des délits et des procédures.
Vouloir en effet
que le militaire qui aurait trafiqué
avec un bourgeois soit renvoyé devant le juge militaire, et le bourgeois devant
le juge ordinaire, c'est diviser les délits, c'est scinder les procédures.
Diviser les délits
et les procédures, c'est compromettre à chaque instant le sort de la vindicte
publique ; c'est ce que tous les auteurs enseignent. Or la chambre ne voudra
pas, sans doute, insérer dans la loi une disposition qui serait de nature à
paralyser ses effets, en rendant les preuves du délit difficiles, sinon
impossibles.
La proposition
du gouvernement est contraire ensuite à la règle inscrite aux articles 226 et
227 du Code d'instruction criminelle, au vœu de laquelle la connaissance des
délits connexes doit être dévolue à un seul et même juge, et non à des juges
différents.
Le trafic d'effets
militaires constitue des délits tellement liés entre eux que si le principe de
la connexité n'était pas inscrit dans la loi, il faudrait l'y introduire pour
ces sortes de délits, et l'on doit donc s'étonner qu'on veuille les soustraire
à l'application de ce principe.
Ces délits n'ont
pas seulement, comme les délits connexes ordinaires, cette liaison qui résulte
de ce qu'ils ont été commis en même temps par différentes personnes, ou par
suite d'un concert formé à l'avance, mais ils sont en outre le plus souvent tels
qu'ils ne peuvent exister l'un sans l'autre.
Le délit de vente
ne peut exister qu'avec le délit d'achat ; on ne peut donner en louage, échange,
prêt, dépôt ou gage, que pour autant qu'un autre n'accepte à l'un de ces
différents titres ; sans le concours des deux délits, aucun d'eux n'est possible,
ils sont corrélatifs entre eux ; on ne peut déclarer un individu coupable
d'achat, sans déclarer nécessairement un autre coupable de vente, et comment
pourrait-on alors, comme le veut le gouvernement, soumettre la connaissance de
ces délits à des juges différents ?
Il est encore
une autre disposition légale avec laquelle la proposition du gouvernement est en
hostilité évidente, c'est celle de l'article 14 du code pénal militaire ; cet
article veut, en effet, comme la commission, que lorsque des militaires ou des
employés commettent un délit avec d'autres personnes qui sont du ressort du juge
civil, ou que ces dernières y sont compromises, ils soient remis au juge civil,
ou laissés à sa juridiction.
Jetons maintenant
les yeux sur les résultats qu'aurait la proposition du gouvernement.
Elle compromettrait
d'abord, nous l'avons déjà dit, le sort de la vindicte publique en disséminant
les preuves du délit.
Elle donnerait
ensuite prise à des jugements contradictoires ; le juge militaire pourra
trouver sa conviction là où le juge ordinaire ne trouvera pas la sienne, et
vice versa, les preuves administrées devant l'un pourront être plus pertinentes
que celles fournies devant l'autre, et le militaire qui aurait vend pourrait de
cette manière être condamné, tandis que le bourgeois qui aurait acheté pourrait
être acquitté ; de sorte que l'un subirait une peine pour avoir posé un fait
qui ne devenait criminel que par le concours du fait d'un autre qui n'en
jouirait pas moins de l'impunité.
Le militaire qui
vend est aussi coupable que le bourgeois qui achète, et le système du gouvernement
prêterait encore à cet autre résultat, que deux individus également coupables
seraient punis de peines inégales.
Avec l'innovation
proposée par le gouvernement, le juge ne jouirait plus de cette pleine et
entière liberté dont il a un si grand besoin ; lorsqu'il trouvera devant lui un
individu qui aura acheté un effet militaire d'un autre individu déjà condamné
pour le délit de vente, il sera lié, en quelque sorte, par la sentence de
l'autre juge qui, en condamnant le vendeur, a reconnu l'existence du délit
d'achat, sur lequel il sera appelé à statuer.
La proposition
du gouvernement aura ensuite ce résultat nécessaire et inévitable qu'il faudra
intenter deux poursuites, l'une devant le juge militaire, l'autre devant le juge
ordinaire ; que les témoins devront être déplacés deux fois, qu'ils devront
recevoir double taxe ; que tous les frais quelconques seront doublés, et qu'au
lieu d'aviser à des économies, on grossira sans nécessité le chiffre déjà si
élevé des frais de justice.
Nous demandons
à la chambre s'il faut s'écarter des principes pour obtenir de pareils
résultats ?
D'ailleurs qu'on
veuille bien nous dire depuis quand ce besoin d'innover s'est fait sentir ; on
ne le connaissait pas encore en 1831, lorsqu'on porta une loi pour réprimer le
trafic d'effets militaires ; on se garda bien d'insérer dans cette loi une
disposition de la nature de celle dont il s'agit ; tout en défendant le trafic,
on en abandonna la répression aux tribunaux correctionnels, et on ne dérogea en
rien aux principes qui régissent la matière.
On ne connaissait
pas encore ce besoin en 1841, lorsqu'on a porté la loi sur le duel, car cette
loi a donné une nouvelle consécration au principe que nous défendons, en
soumettant à la juridiction ordinaire le militaire qui se serait battu en duel
avec un individu non militaire, lors même que ce dernier ne serait pas poursuivi.
Après avoir développé
les motifs sur lesquels l'amendement de la commission est basé, il me reste à
rencontrer les objections faites par M. le ministre de la justice.
J'avais espéré
que les règles, les dispositions légales et les autorités citées au rapport,
non moins que les conséquences fâcheuses que devait avoir la proposition du
gouvernement, auraient engagé celui-ci à se rallier à l'amendement proposé ;
mais les observations qui ont été présentées de sa part m'ont démontré que
j'étais en erreur.
Je l'avais cru
avec autant plus de raison que, depuis la présentation du projet de loi, M. le
ministre de la justice avait émis dans cette enceinte une opinion qui
autorisait à croire qu'il était revenu du système qu'il vient de défendre
encore, et avec lequel cette opinion me paraît inconciliable.
Lorsque, dans
la discussion du projet de loi sur la chasse, il s'est agi de l'amendement de l'honorable
M. de Garcia, qui tendait à soumettre les militaires à la juridiction ordinaire
du chef des délits de chasse, et que l'honorable M. Pirson eut combattu cet
amendement parce qu'il lui paraissait de nature à désorganiser l'armée, le chef
du département de la justice le justifia de ce reproche en disant à la séance
du 30 janvier dernier :
« Les militaires
ne sont pas toujours soumis à la juridiction militaire ; dès l'instant que des
militaires se trouvent compris avec des bourgeois dans une poursuite, ils sont
soumis aux tribunaux ordinaires ; pourtant il n'est jamais entré dans la pensée
de personne de dire que cette disposition était de nature à désorganiser
l'armée. »
Si donc, d'après
M. le ministre de la justice lui-même, les militaires doivent être soumis aux
tribunaux ordinaires, dès l'instant, qu'on veuille bien remarquer cette
expression si générale, qu'ils se trouvent compris avec des bourgeois dans une
poursuite, comment se fait-il que, d'après ce même fonctionnaire, ils devraient
être soumis à deux juges différents lorsqu'ils auraient, conjointement avec des
bourgeois, contrevenu à la loi qui est soumise à nos délibérations?
M. le ministre
de la justice voudra bien, je l'espère, expliquer cette contradiction.
Mon honorable
contradicteur a reproché à la commission de vouloir modifier le code pénal militaire
; on comprendra difficilement une pareille objection lorsqu'on se rappellera
que tous ses efforts tendent au contraire à faire appliquer à l'espèce la
disposition si générale de l'article 14 de ce code, tandis que le gouvernement
ne veut en tenir aucun compte, pas plus que de la règle inscrite aux articles
226 et 227 du code d’instruction criminelle qui est pour lui une lettre morte.
On a invoqué la
loi du 12 décembre 1817, et je ne puis comprendre sous quel rapport elle pourrait
justifier le système du gouvernement ; elle ne contient en effet aucun article
relativement à la juridiction, et en ne s'occupant pas de cet objet, elle a
voulu qu'il fût réglé par les principes généraux, et que dès lors la répression
du trafic entre bourgeois et militaires (page
988) serait dévolue au juge ordinaire, au vœu de l'article 14 du code pénal
militaire.
Le militaire qui
trafique de ses effets, me dit-on, commet un délit militaire. Mais en admettant
ce point, il n'en résulte absolument rien pour la thèse à l'appui de laquelle
on l'invoque ; ce délit pour être militaire n'en est pas moins connexe au délit
du bourgeois qui coopère au trafic ; et s'il est connexe, il doit être dévolu
au juge ordinaire seul appelé pour connaître des délits connexes commis entre
des bourgeois et des individus appartenant à l’armée.
On allègue que
la désertion avec armes et effets est soumise au juge militaire, quand bien même
un bourgeois aurait acquis ces effets, et on en conclut que ce résultat est
contraire au système que nous défendons.
Mais qu'on veuille
bien remarquer que l'individu qui déserte et vend ses effets ne commet pas un
crime et un délit, mais un crime seulement ; l'enlèvement et la vente d'effets
militaires ne sont considères dans cette occurrence que comme des circonstances
aggravantes de la désertion, et non pas comme des délits séparés ; ces délits
sont absorbés par le crime de désertion ; étant absorbés, il ne peuvent plus
présenter de connexité avec le délit du bourgeois, et il n'est donc pas
étonnant que dans ce cas le militaire devra être jugé par un conseil de guerre,
puisqu'il ne peut y être traduit que du chef de désertion avec la circonstance
aggravante de la vente de ses effets.
On n'a, pour se
convaincre de la réalité de cette assertion, qu'à jeter les yeux sur les articles
118, 140, 144, 145, 146, 150 et 151 du code pénal militaire qui tous présentent
l'enlèvement des effets comme une circonstance aggravante de la désertion.
M. le ministre
de la justice a encore combattu l'amendement de la commission en soutenant
qu'il aurait pour résultat de faire punir plus sévèrement le militaire qui
aurait offert en vente que celui qui l’aurait consommée, et il a présenté ces
résultats comme constituant une anomalie.
Pour que cette
observation ait une portée, il faut admettre que dans la pensée de M. le ministre
la présentation en vente aurait un délit moins grave que la vente même.
M. le ministre
de la justice me fait un signe affirmatif, de sorte que je ne me suis pas
trompé en appréciant ainsi son observation.
Or, c'est la une
véritable erreur ; et ce qui le prouve à l'évidence, c’est que le gouvernement
lui-même place ce délit sur la même ligne que celui de vente 'et qu'il veut le
faire punir de la même peine.
Cette présentation
en vente n'est d’ailleurs, en réalité, qu'une tentative de vente qui ne manque
son effet que par une circonstance indépendante de la volonté de l'auteur,
c'est-à-dire par le refus d'acceptation de la vente ; et quand la loi pénale
atteint la tentative d'un délit, elle la frappe toujours de la même peine que
le délit même.
C'est encore une
autre erreur de dire qu'en renvoyant un individu devant le juge militaire, il
devrait nécessairement encourir une condamnation plus sévère, et, pour s'en convaincre,
on n'a qu'à consulter la peine commine par la loi militaire.
Cette peine diffère
d'après l'importance de l'objet vendu ; elle n'est que disciplinaire quand il
s'agit d'un effet de petit équipement, et la vente d'un objet de grand équipement
est réprimée par la détention.
La détention n'est
autre chose que l'emprisonnement ; le législateur du code pénal militaire se
sert indistinctement des mots « detentie » et
« gevangenis ».
Le code militaire
ne prononce pas d'amende ; la loi civile en prononce une ; la loi militaire est
donc moins sévère sous ce rapport que la loi civile.
La loi militaire
ne fixe pas de minimum pour la détention, de sorte que le juge militaire peut
se borner à condamner à un jour d'emprisonnement, tandis que le juge civil est
forcé de prononcer un emprisonnement de six jours au moins, et une amende de 50
francs, à moins de circonstances atténuantes ; la peine militaire est donc,
sous ce rapport encore, plus douce que la peine civile.
La loi civile
me distingue pas entre la vente d'objets de grand et de petit équipement ; la peine
est la même pour l'un ou l'autre cas ; la loi militaire admet celle distinction,
et prononce une peine moins furie quand il s'agit d'objets de cette dernière
catégorie. ; la loi militaire est donc encore une fois moins sévère.
La peine militaire
n'est plus rigoureuse que sous un seul rapport, c'est quand il s'agit d'objets
de grand équipement car la détention peut-être alors indéterminée ; mais il est
de fait que le juge militaire a rarement prononcé un emprisonnement de plus
d'un an du chef de trafic d'effets militaires, et quand il a surpassé ce taux
ce n'a été qu'après plusieurs récidives.
D'ailleurs les
résultats dussent-ils être tels que le gouvernement les présente, ils ne sont
qu'éventuels, et ils seraient loin d'avoir les conséquences fâcheuses que la
proposition du gouvernement doit nécessairement entraîner.
On s'est bien gardé de contester la nécessité de
deux poursuites, et l'augmentation des frais qui en sera le résultat
nécessaire, et on s'est borné à justifier cette augmentation en avançant que
ces frais ne seront que faibles ; mais il est évident que quelque peu
considérables qu'ils doivent être, ils ne peuvent être justifiés, puisqu'en
appliquant les principes dont on s'écarte sans nécessité, on n'y donnera pas
naissance.
Nous pensons avoir
ainsi répondu aux objections que le gouvernement a fait valoir pour combattre
l'amendement présenté par la commission, el nous espérons qu'il obtiendra
l'assentiment de la chambre.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Henot
vient de dire que je demande des innovations, que lui, au contraire, demande le
maintien de ce qui existe. Il me suffit que l'honorable membre invoque ce qui
se fait dans le tribunal dont il fait partie, pour que je ne doute nullement
que les choses se passent, ainsi qu'il l'a dit, au tribunal de Malines. Mais je
puis vous donner l'assurance qu'il n'en
est pas ainsi ailleurs. J'ai reçu des
renseignements qui établissent que dans les affaires de cette nature qui se
sont fréquemment présentées, jamais, depuis 1817, des militaires n'ont été
traduits de ce chef devant les tribunaux correctionnels.
S'il m'est permis
de citer ma propre expérience, je dirai que jamais quand j'occupais les fonctions
du ministère public, il ne m'est arrivé de citer devant les tribunaux correctionnels
des militaires pour vente d'effets militaires à un bourgeois.
C'est donc à tort
que l'honorable M. Henot a invoqué l'état de la jurisprudence sur cette matière.
Si les jugements
dont a parlé l'honorable M. Henot étaient déférés à l’autorité judiciaire
supérieure, je ne doute pas qu'ils ne soient réformés par elle.
L'honorable membre
a invoqué l'article 14 du Code pénal militaire et l'article 228 du Code d'instruction
criminelle. Mais l'article 14 du Code pénal militaire n'est évidemment pas
applicable, lorsqu'il s’agit de délits militaires. L'honorable membre le
reconnaît lui-même. En effet, lorsqu'il s'agit de la désertion, favorisée par
la vente d'effets militaires, il admet que le militaire doit être traduit
devant le conseil de guerre, quoique les effets aient été achetés par un
bourgeois ; cette vente n'est, dit-il, dans ce cas, qu'une circonstance aggravante.
Mais je lui demanderai si cet achat d'effets militaires n'est pas un fait de
complicité de la désertion ; et si ce fait a été posé par un bourgeois, l'honorable membre soutiendra-t-il
que, dans ce cas, le militaire doit être traduit devant la cour d'assises ?
Evidemment non ! Dès lors vous devez reconnaître que l'article14 du code pénal
et l'article 226 du code d'instruction criminelle ne sont pas applicables aux
délits militaires proprement dits ; vous devez encore le reconnaître par un autre
motif, à savoir que les peines pour les délits militaires sont de telle nature que
les tribunaux ordinaires ne pourraient les prononcer. Quoi !
admettriez-vous qu'un arrêt de la cour d'assises pût condamner un militaire à
être passé par les armes, à la peine de la brouette, à la détention? Evidemment
non ! Dès lors vous devez reconnaître que lorsqu'il s’agit de délits
militaires, de peines spéciales, c'est évidemment la justice militaire seule
qui doit et peut prononcer ; car les tribunaux ordinaires ne sont pas
compétents pour prononcer des peines semblables.
Dans l'affaire
qui nous occupe, l'honorable membre le reconnaît lui-même, lorsque le militaire
aura vendu des effets d'équipement sans que la coopération d'un bourgeois soit
prouvée, il sera traduit devant le conseil de guerre qui lui appliquera les
peines comminées par les lois militaires,
Mais, ajoute l'honorable
M. Henot, lorsque postérieurement on reconnaît que le militaire a vendu ces
objets à un bourgeois, le délit change, il devient délit ordinaire que le
tribunal correctionnel doit juger. Ce système est inadmissible, le sort du
militaire ne peut pas changer de nature parce qu'il a été commis à l'aide d'un
bourgeois.
Quand il s'agit
d'un délit ordinaire auquel ont coopéré des bourgeois et des militaires, le
délit ne change pas de nature. La juridiction devient différente, à cause de la
connexité des faits ; mais la peine reste la même, tandis que, dans le système de
la commission, l'adjonction d'un bourgeois ferrait changer le caractère de la peine
! Dès que le caractère du délit n’est pas changé, c'est la même peine qui doit
être appliquée.
L'honorable M.
Henot vous dit : Ces deux délits sont tellement connexes que l’un ne peut
pas exister sans l'autre. C'est une véritable erreur. Quel est le délit qu'on
consulte à la charge du militaire ? C'est le fait de la non-reproduction
de son équipement. Il n'y a pas d'autre délit militaire quant à lui ; qu'il
vende, qu'il prête ou mette en dépôt ses effets, le seul délit est la non-reproduction
de son équipement. Les objets appartiennent bien au militaire, mais à charge de
les conserver. Ainsi, le fait que l'on punit n'est pas d'avoir vendu, prêté ou
loué, mais de ne pas reproduire l'effet d'équipement nécessaire pour le
service. Voilà le fait matériel qu'on constate contre le militaire. Ce fait
consommé, peu importe si un bourgeois a acheté cet effet à ce militaire ou si
le militaire l'a perdu ou donné.
C'est une
autre question, indépendante de la première qui est la non-reproduction de
l'objet. Cela est tellement vrai que quels que soient les motifs pour lesquels
il ne peut pas reproduire l'objet convenablement conservé, il est punissable
soit aux termes de l'article 193, si c'est un effet du grand équipement, soit
aux termes de l'article 19 du règlement disciplinaire, si c'est un effet du
petit équipement.
Il peut y avoir
dans le système du gouvernement, dit l'honorable préopinant, des jugements
contradictoires : d'un côté, le bourgeois pourra être condamné et le militaire
acquitté, de même que le militaire pourra être condamné et le bourgeois
acquitté à raison du même fait. Mais cela peut se rencontrer devant la même
juridiction à laquelle seraient défères et la vente et l’achat ; il est possible
que le même tribunal condamne l’un et acquitte l'autre. La contradiction que
semble redouter l'honorable membre peut aussi exister avec le système qu'il
défend ; lorsqu'il n'y a pas de fait délictueux, de fait intentionnel reconnu
par le tribunal, il n'y pas de condamnation.
Je réponds à une
autre considération de l'honorable M. Henot. Il dit : Vous allez enlever
au juge sa liberté ; quand le conseil de guerre aura reconnu le délit à charge
du miliaire, le bourgeois traduit devant le tribunal civil devra craindre une
condamnation certaine, à cause de la condamnation antérieure prononcée contre
son complice.
L'honorable membre
voudrait-il qu'on attendît, pour poursuivre le militaire, qu'on ait découvert
l'acheteur ? Non, sans doute ; dès l'instant où les (page 989) objets ont disparu, où l’on s'en aperçoit, les poursuites
ont lieu contre le militaire. Quand on découvre l'acheteur, il est poursuivi,
et il est poursuivi indépendamment de la personne qui lui a vendu. Il est
poursuivi parce qu'on voit en sa possession un objet d'équipement militaire non
marqué du signe de rebut. Cette poursuite est indépendante de celle intentée
contre le militaire.
Je reviens à mon
premier argument. Je demande s'il faut attendre pour poursuivre le militaire qu'on
ait trouvé un bourgeois pour son complice ; la négative n'étant pas douteuse, l'inconvénient
que l'honorable membre craint existera dans tout état de cause, parce que la
poursuite contre le militaire précédera presque toujours celle contre le
bourgeois. Pourquoi dès lors adopter le système de la commission, puisqu'il ne
fait pas disparaître les inconvénients qui l'ont engagée à le présenter. Quant
à la liberté du juge, est-il vrai qu'elle se trouvera gênée? Que lui importe
qu'un militaire ait été condamné ; qu'un fait matériel ait été constaté à
charge d'un militaire? Cela ne liera pas le juge civil, car le tribunal militaire
ne se sera pas occupé de la question de savoir si le militaire a vendu à tel
bourgeois. Il est donc impossible que la décision du juge militaire ait la
moindre influence sur le tribunal correctionnel qui sera appelé à prononcer.
L'honorable M.
Henot vous dit que le système que veut faire adopter le gouvernement est bizarre,
parce qu'il consacre l'inégalité dans les peines. Ce qui serait bizarre, ce
serait de ne pas consacrer dans l'espèce l'inégalité dans les peines, car il y
a une énorme différence entre le fait du bourgeois qui achète et le fait du
militaire qui vend des objets de son équipement. La différence de la peine est
justifiée par la différence du délit, par cette circonstance que le militaire
avait reçu les objets vendus pour faire un service nécessaire à l'Etat.
Enfin je passe
à la contradiction que m'a reprochée l'honorable M. Henot ; il a cité la loi
sur la chasse, Il a dit que, répondant à l'honorable M. Pirson, j'avais soutenu
que la comparution de militaires devant un tribunal correctionnel du chef de
délit de chasse ne pouvait en aucune façon désorganiser l'armée. Ce que j'ai
dit, je le soutiens encore. Mais l'honorable membre ne prétendra pas que le
fait d'avoir tiré quelques coups de fusil sur des lièvres et des perdreaux, constitue
un délit militaire ; par conséquent, quand des bourgeois et des militaires sont
poursuivis pour délits de chasse, ils
doivent être traduits devant les tribunaux ordinaires ; cela est naturel et
conforme à l'article 14 du code pénal militaire. J'ai dit de plus qu'il était
indispensable de faire traduire les militaires devant les tribunaux ordinaires
du chef de délit de chasse, si on ne voulait pas consacrer l'impunité, les
tribunaux militaires ne pouvant pas prononcer d'amende. Je suis donc
conséquent, car j'ai demandé que les délits non militaires fussent déférés aux
tribunaux ordinaires, et maintenant je demande que les délits militaires continuent
à être jugés par les tribunaux compétents en cette matière.
Je crois, à l'aide de ces considérations, avoir
répondu aux observations de l'honorable membre.
M. Henot. - L'honorable ministre de la justice nous a dit
que la jurisprudence était contraire au système de la commission ; je pense,
moi, que loin d'y être contraire elle y est en tout point conforme ; ce système
est suivi par le tribunal auprès duquel j'ai l'honneur d'exercer mes
foliotions, et si mes renseignements sont exacts, il en est de même à Audenarde
et à Courtray.
On nous dit que
l'article 14 du code pénal militaire n'est pas applicable quand il s'agit de
trafic d'effets militaires ; mais qu'on veuille bien le remarquer, cet article
est général, et ne fait aucune exception quelconque ; d'après la généralité de
sa disposition, dès l'instant qu'un bourgeois est impliqué dans un délit quel
qu'il soit avec un militaire, il doit être traduit ainsi que ce bourgeois
devant le juge ordinaire.
M. le ministre
de la justice a donc besoin, pour étayer sa proposition, de créer une exception
là où la règle est générale.
On est revenu
au fait de la désertion, et l'on vous a dit que j'avais reconnu que le militaire
qui aurait déserté et vendu ses effets à un bourgeois devait être traduit
devant le juge militaire ; mais qu'on ne perde pas de vue que dans cette
occurrence le délit de vente d'effets militaires n'existe plus, qu'il est absorbé
par le crime de désertion ; que ce fait de vente ne constitue alors qu'une
circonstance aggravante de la désertion, et que ce fait n'existant plus dans
l'espèce comme constituant un délit, il ne pouvait plus y avoir lieu à connexité
; de sorte que les principes qui en dérivent ne pouvaient, dans cette espèce
particulière, recevoir d'application.
M. le
ministre de la justice a prétendu à tort que l'amendement présenté tendait à
faire changer le délit de nature ; il est évident qu'il n'en sera pas ainsi. Le
délit conservera sa nature de délit militaire connexe à un délit commis par un
individu non soumis aux lois militaires ; il en résultera seulement qu'il sera
puni de la peine comminée par la loi civile, el cela par la force des principes
de la connexité.
Cette conséquence
n'a rien de contraire aux règles qui régissent les peines ; un militaire est
citoyen avant d'être soldat, et. à ce titre, il est soumis, comme tous les
membres du corps social, aux lois générales qui régissent le pays, et dès lors
les peines communes à tous peuvent lui être appliquées.
La règle que nous
venons d'indiquer est consacrée par la loi même, car différentes dispositions
législatives obligent le juge militaire d'appliquer aux militaires les peines
du Code pénal civil, dans tous les cas qui n'ont pas été prévus par la loi
militaire ; nous avons indiqué plusieurs de ces dispositions dans le rapport
que nous avons eu l'honneur de présenter à la chambre.
On a soutenu encore
que nous voulions changer la nature de la peine, et :c'est encore une nouvelle
erreur ; quelle est la peine de la loi militaire ?
Cette peine est
la détention quand il s'agit de trafic d'effets de grand équipement, c'est-à-dire
l'emprisonnement, comme nous l’avons déjà faire remarquer, et elle n’est que
disciplinaire quand il s’agit d’effets de petit équipement ; or, la loi
civile ne prononce également que la peine d'emprisonnement, de sorte qu'il est
inexact de dire que le système de la commission aurait pour résultat de faire
changer la nature de la peine.
Le militaire ne
subira donc qu'une peine de même nature, soit qu’on le renvoi devant le conseil
de guerre, soit qu’on le traduise devant le juge ordinaire.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Elle peut s'élever jusqu'à
10 ans.
M. Henot. - Je réponds
à l'interruption de M. le ministre de la justice que la durée de la peine n’en
change pas la nature, et que cette durée plus ou moins longue ne peut pas faire
qu'elle ne soit plus celle de l'emprisonnement.
M. le ministre
de la justice s'est vu forcé d'avancer, pour défendre son système, que le juge
militaire ne devait pas s'enquérir si les effets d'un militaire avaient été
vendus ou mis en gage, qu'il n'avait qu'à examiner le fait de la non-reproduction
des effets, et qu'aussitôt que ce fait était établi, il devait appliquer la
peine.
Mais c'est encore
là une erreur des plus évidentes, car ce n’est pas le défaut de production qui
est puni, mais seulement la vente et la mise en gage.
« Un sous-officier
ou soldat, dit l'article 193 du Code pénal militaire, qui vend ou met en gage
ses armes, ses habits ou l'équipage que le gouvernement lui avait donné pour
son usage, sera puni de détention ;
« Quiconque vend
ou met en gage, ruine ou gâte les moindres pièces de son uniforme, ou qui néglige
par paresse ou par inadvertance de faire ce qui lui est ordonné par rapport à
l'extérieur ou à la propreté dans l'habillement et l'armement, dit l'article 19
du règlement de-discipline, se rend coupable de transgression contre la
discipline. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Il s'agit à l’article 193 d'objets de grand équipement.
M. Henot. - Il
est fort indifférent qu'il s'agisse d'objets de grand ou de petit équipement ;
toujours est-il que dans l'un comme dans l'autre cas c'est la vente ou la mise
en gage que la loi punit, et non pas le simple défaut de produire les effets,
comme on n'a pas craint de l'avancer.
Il n'est jamais
entré dans notre pensée d'exiger le sursis aux poursuites à exercer contre un
militaire jusqu'à ce qu'on se fût assuré qu'un bourgeois ne serait pas impliqué
dans le délit qui donnerait lieu aux poursuites ; s'il n'est pas établi qu'un
bourgeois participe au délit, on passera outre au jugement du militaire devant
le conseil de guerre ; et si l'on découvre plus tard qu'un individu qui ne fait
pas partie de l'armée y est compromis, on poursuivra ce dernier devant le juge
ordinaire par la raison qu'on se sera trouvé, dans ce cas spécial, dans l'impossibilité
d'appliquer les règles générales ; on obtiendra alors, par exception, le
résultat auquel le système du gouvernement veut dans tous les cas quelconques donner
naissance.
Nous avons repoussé
l'inégalité des peines, non pas en ce sens qu'un militaire ne devra jamais être
puni plus sévèrement qu'un bourgeois, mais sous ce rapport seulement qu'il ne
pouvait en être ainsi dans le cas qui nous occupe ; lorsqu'un militaire vend à
un bourgeois, il est aussi coupable que ce dernier, et nous n'avons pas voulu
que, dans cette hypothèse, des peines inégales puissent atteindre des individus
coupables au même degré.
L'absence de complicité
dans le fait du militaire qui vend et du bourgeois qui achète, et la circonstance
qu'ils commettent chacun un délit séparé, ne peuvent être un obstacle à
l’adoption de l'amendement que nous avons proposé ; ce n'est pas ni effet sur
la complicité qui est basée la règle qui prescrit l'indivisibilité des
procédures, mais bien sur l'intérêt de la vindicte publique.
Ce n'est pas la
complicité qui exige la jonction des délits connexes, mais la liaison intime qu'ils
ont entre eux.
Ce n'est pas à
cause de la complicité que nous réclamons la jonction dans l'espèce, mais parce
que les divers délits ont une telle liaison entre eux que la décision sur l'un
établit l'existence de l'autre.
Ce n'est pas enfin
sur la complicité qu'est basée la disposition de l'article 14 du code pénal
militaire, car il porte en termes exprès que c'est à cause de la connexité.
M. le ministre
de la justice a voulu justifier la contradiction que j'ai signalée entre le
système qu'il défend aujourd'hui, et l'un des discours qu'il a prononcés lors
de la discussion de la loi sur la chasse ; il nous a dit que lorsqu'il a
prononcé les paroles que nous avons rapportées, il n'avait entendu parler que des
délits de chasse ; un simple coup d'œil jeté sur son discours démontre à
l'évidence que, loin de traiter d'un cas spécial, M. le ministre a parlé de la
manière la plus générale possible ; il a dit, en effet, que, dès l'instant que
des militaires se trouvent compris avec des bourgeois dans une poursuite, ils
sont soumis aux tribunaux ordinaires, et à moins de dire que le trafic d'effets
militaires ne peut pas donner lieu à des poursuites contre des bourgeois et
contre des militaires, la contradiction reste...
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Le règlement ne s'applique
qu'aux délits ordinaires.
M.
Henot, rapporteur. - Mais encore une fois, votre assertion est
générale ; l'article 14 du code pénal militaire qui l'a dictée est général
aussi ; où se trouve écrite, nous le demandons de nouveau, l'exception que vous
êtes réduit à invoquer comme votre seule planche de salut ? Elle n'existe pas,
et elle ne peut exister parce qu'un délit spécial peut être connexe avec un
autre délit tout aussi bien qu'un délit ordinaire.
(page 990) Je pense avoir démontré que l'amendement
de la commission est conforme aux principes et à l'abri des conséquences
fâcheuses que le système du gouvernement doit nécessairement produire ; je
pense encore avoir réfuté les objections au moyen desquelles on s'est efforcé
de combattre cet amendement, et j'ai tout lieu de croire qu'il sera adopté par
la chambre.
M. de Villegas. - D'après l'honorable M.
Henot, les militaires seraient traduits devant le tribunal d'Audenarde pour
vente d'effets militaires.
Je puis lui donner
l'assurance que ses renseignements sont parfaitement inexacts. Depuis quinze
ans que je suis à la tête du parquet de ce tribunal, je n'ai jamais vu que les
choses se soient pratiquées de cette manière.
M. Van Cutsem. - Ayant été
cité par l'honorable député de Malines comme ayant poursuivi devant le tribunal
correctionnel les militaires qui auraient vendu des effets militaires et les
bourgeois qui auraient acheté ces effets, je dois déclarer que jamais je n'ai
rien vu de semblable devant le tribunal de Courtray.
M. Henot, rapporteur. - Il résulte des
observations présentées par les honorables préopinants que les renseignements
qui m'ont été fournis relativement à la jurisprudence des tribunaux d'Audenarde
et de Courtray manquent d'exactitude ; quoi qu'il en soit, cette jurisprudence
ne peut justifier ce que j'estime être une véritable déviation des principes
généraux que j'ai eu l'honneur d'invoquer dans la discussion.
- La discussion
est close.
L'art. 2 est mis
aux voix et adopté avec la rédaction présentée par M. le ministre de la justice.
Article 3 (nouveau)
« Art. 3 (nouveau).
Lorsque les circonstances paraîtront atténuantes, et que le préjudice causé
n'excédera pas 25 francs, les tribunaux sont autorisés à réduire
l'emprisonnement, même au-dessous de six jours, et l'amende, même au-dessous de
cinquante francs ; ils pourront aussi prononcer séparément l'une ou l'autre de
ces peines, sans qu'en aucun cas elle puisse être au-dessous des peines de
simple police. »
- Adopté.
« Art 3. Le
maximum des peines comminées par l'article premier sera toujours appliqué en
cas de récidive. »
Amendement de
la commission : « Art. 3. Le maximum des peines comminées par l'article
premier sera toujours appliqué en cas de condamnation antérieure à un emprisonnement
de plus de six mois, du chef de contravention à la présente loi. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne me rallie pas à
cet amendement ; en voici le motif.
D'après le projet
du gouvernement, le maximum des peines devra toujours être appliqué dans le cas
de récidive. D'après le projet de la commission, pour que ce maximum fût appliqué,
il faudrait qu'il y eût eu une condamnation antérieure à six mois
d'emprisonnement.
Je ne pense pas
qu'il doive en être ainsi. En effet, dans ce système, un individu condamné à
trois mois de prison, n'encourrait pas une peine plus sévère, après cette première
condamnation. On trouvera peut-être l'article du projet du gouvernement un peu
sévère ; je proposerai donc de le remplacer par la disposition suivante :
« En cas de récidive,
la peine de l'emprisonnement sera prononcée pour six mois au moins. L'amende
sera de 100 francs au moins. »
Il y aura
ainsi une répression suffisante. Je pense que cette rédaction pourra rallier l'opinion
de l'honorable rapporteur.
- L'article est
adopté avec la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de la justice.
Article 4
« Art. 4.
En cas de contravention à la présente loi, les objets repris à l'article premier
seront confisqués. »
- Adopté.
Article 5
« Art. 5. Sont
abrogées les dispositions du huitième paragraphe de l'article premier de la loi
du 12 décembre 1817 '(Journal officiel, n°33.)
- Adopté.
Second vote des articles et vote sur l’ensemble du projet
La chambre décrète
l'urgence du projet de loi.
Les amendements
sont soumis à un deuxième vote et définitivement adoptés.
Il est procédé
au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi ; en voici le résultat.
Nombre des votants
49.
43 membres votent
pour l'adoption.
6 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour
l'adoption : MM. Dubus (Albéric), Eloy de Burdinne, Jonet, Kervyn, Lange, Lejeune,
Lesoinne, Loos, Lys, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Osy, Rodenbach,
Sigart, Simons, Troye, Thienpont, Van Cutsem, Verwilghen, Zoude, Anspach,
Biebuyck, Clep, d'Anethan, de Breyne, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de
Foere, de Haerne, de La Coste, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meester, de
Mérode, de Muelenaere, de Sécus, de Theux, de Villegas, Dolez et Liedts.
Ont voté contre
: MM. Castiau, de Tornaco, Henot, Savart, Scheyven et Vanden Eynde.
Fixation de l’ordre des travaux de la chambre
M. le président. - Il reste à
l'ordre du jour un projet de loi de séparation de communes.
M. le ministre des finances
(M. Malou). -L'intention
de mon honorable collègue, le ministre de l'intérieur, est de demander demain
un nouveau crédit provisoire. Je pense qu'on pourrait laisser à l'ordre du jour
de demain le projet dont parle M. le président, et qu'on pourrait y mettre
également les projets de loi relatifs aux comptes de 1833, 1834 et 1835, bien
qu'il s'y rattache une question que je désire examiner. Mais je tâcherai d'être
prêt pour demain. (Adhésion.)
M. le président. - On pourrait
aussi mettre à l'ordre du jour des naturalisations et un feuilleton de pétitions.
M. Lejeune. - Il est encore un autre objet que l'on
pourrait discuter utilement et qui ne prendrait que peu de temps à la chambre ;
ce sont les conclusions déposées par l'honorable M. Fallon sur la pétition de
Ruysselede, concernant la circonscription cantonale. Si la chambre se
prononçait sur ces conclusions, le gouvernement saurait à quoi s'en tenir, et
il pourrait enfin pourvoir à des places qui sont vacantes depuis douze ans dans
des cantons et des justices de paix.
Ces conclusions
sont fort simples ; je crois qu'elles ne rencontreront pas d'opposition.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'insiste également pour
qu'on mette à l'ordre du jour le rapport dont parle l'honorable M. Lejeune.
M. le président. - S'il n'y a
pas d'opposition, ce quatrième objet figurera à l'ordre du jour de demain.
- La chambre décide
qu'elle se réunira demain à une heure.
La séance est
levée à 4 1/2 heures.