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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 12 mai 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétitions relatives à la loi d’organisation du notariat (Osy, Dubus (aîné), Rodenbach,
Lebeau, Dubus (aîné), Osy, Malou), aux droits sur les sabots (de La Coste)
2) Motion d’ordre relative au
renchérissement de la viande. Droits sur le bétail, octrois communaux,
négociations commerciales avec les Pays Bas (Delfosse,
de Theux, Rodenbach, Delfosse, Dechamps, de Brouckere, Rodenbach, Delfosse, de Theux)
3) Projet de loi portant le
budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1846.
a) Discussion générale. Constitution
d’un gouvernement catholique homogène et antagonisme politique entre libéraux
et catholiques, organisation de l’enseignement moyen (Savart-Martel,
de Theux), droits des légionnaires de l’empire (de Garcia)
Discussion des articles.
a) Administration centrale.
Refus d’accorder de nouveaux crédits en l’absence de disposition organique sur
le personnel de l’Etat (Veydt, Osy, de Theux, Orban, Osy,
Orban, de Theux, Veydt, de Brouckere, de Theux, Osy, Orban,
de Brouckere), matériel (de
Theux, Orban), secours aux employés (de Theux, Orts)
b) Organisation d’un recensement
général de la population et impact électoral (adaptation du nombre des députés
et des sénateurs) (Lebeau, de Theux,
Lebeau, de Theux, de Brouckere, de Theux, Savart-Martel, Malou, Orban, Lebeau, Orban,
Rogier, de Theux, de La Coste, de Haerne, de Brouckere, Delfosse, de Mérode, de Theux)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1303) M. de Villegas procède à l'appel nominal à midi et quart.
M. Huveners lit le procès-verbal
de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Villegas présente
l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les sieurs Verhaegen,
Rommel et Vanderlinden prient la chambre de retarder momentanément l'examen du
projet de loi sur l’organisation du notariat. »
M. Osy. - Messieurs, la chambre a décidé que l'on mettrait à l'ordre du jour
des sections le projet de loi sur le notariat. Depuis, nous avons appris
qu'aucune chambre de notaires n'a été consultée. La réunion des notaires qui a
eu lieu dimanche dernier a résolu d'envoyer à la chambre des observations sur
le projet de loi. Je pense donc qu'il y a lieu de surseoir à l'examen du projet
de loi et d’attendre les observations qui seront envoyées par les notaires. Je
crois qu'un corps de six cents personnes mérite d'être consulté. Je demande
donc que momentanément on laisse de côté l'examen du projet de loi en sections
; je demande, en outre, que la pétition soit renvoyée à la commission des
pétitions.
M. Dubus (aîné). - Messieurs,
à entendre l'honorable préopinant, il semblerait que le projet de loi dont il
s'agit a un caractère de nouveauté ; il n'en est rien ; c'est une nouvelle
rédaction d'un projet de loi dont la chambre est saisie depuis 1834 et sur
lequel il y a déjà eu un rapport. La disposition du projet de loi, qui paraît
devoir surtout soulever certaines réclamations d'intérêt personnel ou de classe,
se trouve dans le projet que l'honorable M. Lebeau, alors ministre de la
justice, a présenté à la chambre ; il s'agit de la disposition qui met tous les
notaires sur la même ligne. Les sections ont, à cette époque, examiné le projet
; un rapport a été fait par (page 1304)
M. Schaetzen, qui n'est plus maintenant membre de la chambre ; les notaires qui
ont voulu réclamer, ont réclamé ; il y a eu même un grand nombre de
réclamations. Aujourd'hui une nouvelle rédaction est présentée, et tout à coup
on se plaindrait que les chambres de discipline n'ont pas été consultées ; et à
prétexte que nous devons attendre les lumières qui nous viendront de l'étude
nouvelle que les notaires vont faire du projet, nous retarderions l'examen qui
a déjà commencé en sections. Je pense que cela ne serait pas conforme à la
dignité de la chambre.
M. Rodenbach. - Je pense
aussi qu'il ne faut pas retarder l'examen de la loi dans les sections. Les
notaires forment la classe la plus active de la société ; s'ils ont des réclamations
à faire, ils ne manqueront pas de nous les adresser, avant même que l'examen en
sections soit terminé. Il y a trop longtemps que les notaires de canton sont
victimes d'une iniquité ; ne pas leur donner les mêmes droits qu'à leurs
collègues, c'est de l'antilibéralisme. Je demande donc qu'on s'occupe
promptement du projet de loi.
M. Lebeau. - Messieurs, je n'ai pas encore eu le loisir d'examiner le projet de
loi qui a été présenté par M. le ministre de la justice, je ne puis donc pas
savoir jusqu'à quel point les principes qui avaient servi de base au projet que
j'ai eu l'honneur de soumettre en 1834, ont été consacrés dans le nouveau
projet. Je me propose de faire une étude de ces deux documents ; mais je m'en
rapporte volontiers à ce que vient de dire l'honorable M. Dubus, qui s'est
probablement livré à ce double examen. Je veux seulement dire qu'il ne me
paraît pas qu'il y ait urgence, et les précédents de la chambre l’attestent
suffisamment ; car, depuis douze à treize ans, elle est saisie d'un projet
tendant à modifier l'organisation du notariat, et la chambre ne s'en est pas
occupée.
Ainsi, messieurs, cette urgence serait une révélation
subite dont la chambre ne s'est pas doutée pendant douze ans.
Si je ne me trompe, à l'appui de l'ajournement dont a été frappé le projet
de loi sur le notariat, on a toujours regardé l'organisation définitive du
notariat comme subordonnée à la circonscription cantonale ; eh bien, la circonscription
cantonale n'est pas faite ; si vous voulez rester conséquents, il faut prendre
une nouvelle résolution quelconque sur la circonscription cantonale ; alors la
chambre sera fidèle à ses précédents.
Je le répète, il n'y a pas d'urgence, et puisque le projet paraît avoir excité
une certaine émotion dans le corps du notariat, je croîs qu'il est juste d'entendre
les réclamations de ce corps. Quant à moi, on aurait beau faire un appel à mon
amour-propre, toutes les dispositions du projet de loi de 1834 fussent-elles
maintenues dans le nouveau projet, du moment que le projet aurait excité de
l'émotion dans le pays et notamment dans une classe très intéressante de
fonctionnaires, je regarderais comme un devoir d'écouter les réclamations des
intéressés ; c'est sous ce point de vue que j'appuie la motion de l'honorable
M. Osy.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, j'avais demandé la parole pour la seconde fois, lorsque
j'ai entendu l'honorable préopinant faire remarquer qu'il n'y avait pas
d'urgence, parce que le projet dont la chambre était saisie depuis 1834 n'avait
pas été discuté jusqu'ici. Je voulais faire observer précisément ce que
l'honorable membre a fait observer lui-même, en terminant : son discours :
c'est qu'il y a alors un motif particulier pour ne pas s'occuper du projet. Les
propositions faites étaient complètes ; elles s'occupaient de l'organisation du
notariat, et en même temps de la circonscription des cantons de justices de
paix. La discussion des lois relatives à cette circonscription a été retardée
jusqu'ici par différents motifs que la chambre connaît. Mais depuis, la chambre
a décidé, en adoptant les conclusions d'un rapport qui a été fait par
l'honorable M. Fallon, il n'y a pas longtemps, au nom de la commission qui
s'est occupée de cette circonscription cantonale ; la chambre a reconnu,
dis-je, qu'il y avait lieu de surseoir, d'une manière définitive, à se
prononcer sur cette loi de circonscription, sauf à faire des lois spéciales sur
les points à l'égard desquels il serait reconnu qu'il est urgent d'en faire.
Ainsi, la réorganisation des cantons se trouve abandonnée quant à
présent ; mais ce n'est pas un motif pour abandonner la loi d'organisation du
notariat. C'est aussi probablement par suite de cette résolution de la chambre
qu'elle aura été saisie du nouveau projet. Ce projet, je le répète, les
sections en sont saisies, elles s'en occupent, et je ne vois aucun motif pour
arrêter l'examen qui se fait dans les sections.
Les observations que
pourront faire les chambres des notaires arriveront toujours à temps pour
éclairer les délibérations de la section centrale et celles de la chambre ;
mais ne créons pas nous-mêmes des entraves à nos travaux. Ces questions, je le
répète, ne sont pas des questions nouvelles, ce sont des questions qui ont été
discutées et dans la presse et dans les pétitions, lorsque le projet de 1834
nous a été soumis. C'est une espèce de lieux communs que ces questions ; les
raisons qu'on produira seront des raisons qu'on a déjà produites ; il n’est
personne qui ne puisse, sans pétitions ultérieures, se faire une opinion sur
ces questions-là. J'insiste donc pour que l'examen du projet de loi soit
continué dans les sections.
M. Osy. - J'insiste, pour ma part, sur ce que l'examen soit différé dans les
sections, je demande qu'au moins cet examen soit retardé de 15 jours ; d'ici
là, les notaires pourront nous adresser leurs observations.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Messieurs, ce serait poser un mauvais précédent que de retarder le
travail des sections, à raison des réclamations qu'on annonce ; la chambre
procède dans ses travaux suivant l'intérêt de ses travaux même ; les
réclamations peuvent se produire à toutes les périodes de l'instruction. Il
faut rester dans ces principes ; il faut renvoyer à la section centrale les
pétitions qui pourront arriver à la chambre et qui seront, je pense, le
renouvellement de celles qui ont suivi la présentation du projet de 1834.
Il y a un motif de plus encore : si je suis bien informé, les sections
ont déjà terminé leur examen. (Dénégation.)
On me cite la cinquième section qui a terminé l'examen préparatoire du projet de
loi. Quant aux pétitions qu'on pourra adresser à la chambre, les enverra-t-on
aux sections ? Cela ne s'est jamais fait ; on les renvoie à la section centrale
et on les dépose sur le bureau. Le but que se propose l'honorable M. Osy sera
atteint par la force même des choses. La section centrale ne sera pas
constituée ou du moins elle n'aura pas terminé son examen avant quinze jours.
- Le renvoi à la commission des pétitions est mis aux voix et prononcé.
La proposition de surseoir à l'examen du projet de loi en sections est mise
aux voix ; elle n'est pas adoptée.
_______________
« Le sieur Gérard Gofflot, tanneur à Neufchâteau, demande une modification
aux droits d'entrée sur les cuirs secs et salés venant du Brésil et d'autres
pays transatlantiques. »
- Renvoi à la commission permanente d'industrie.
« Le sieur Kennis demande que les sabots des chevaux, des vaches et des veaux,
et les déchets de corne soient prohibés à la sortie, ou soumis à ; un droit de
10 fr. les 100 kil. »
M. de La Coste. - Messieurs, cette
pétition a beaucoup plus d'importance que vous ne pouvez lui en supposer au
simple énoncé qui vient de vous en être fait. Je demanderai donc la permission
de motiver la proposition que je vais avoir l'honneur de vous faire.
Cette pétition émane d'une fabrique que nous connaissons tous, que vous voyez
à peu de distance de Louvain quand vous allez à Liège ou que vous en revenez.
C'est une de celles qui ont introduit en Belgique une industrie nouvelle,
celle des produits chimiques, et ont rendu par là un très grand service au pays
; car non seulement elle a doté le pays des avantages attachés à cette
industrie en elle-même, mais elle est parvenue à fournir aux autres industries
des produits meilleurs et à meilleur marché que ceux qu'elles tiraient
autrefois de l'étranger. De ce nombre est le prussiate de potasse, sel cristallisé
qui remplace le bleu de Prusse avec beaucoup d'avantage, parce qu'il est
soluble ; joint à une dissolution de fer qu'on applique aux étoffes séparément
il produit les effets du bleu de Prusse qui était insoluble, et d'une
application moins facile.
La fabrique des réclamants ne suffit pas aux demandes de l'intérieur, elle
fournit en outre des produits à l'étranger ; mais elle est arrêtée dans sa marche
parce que certains déchets d'animaux, qui lui sont nécessaires, qui font la
base de sa fabrication, sont enlevés par l'étranger.
D'une part, nos produits du genre dont il s'agit sont exclus par les tarifs
de la plupart des pays voisins ; et de l'autre, ceux-ci viennent s'emparer chez
nous des matières indispensables à cette fabrication. Pour obvier à ce dernier
inconvénient, on ne vous demande pas d'introduire dans notre législation un
principe qui lui serait étranger, car il est appliqué aux drilles, aux os et à
différentes matières semblables. Ce qu'on vous demande c'est donc de venir au
secours d'une industrie qui a droit à tout votre intérêt, en lui accordant le
bénéfice de principes appliqués dans des cas analogues. Je prierai la chambre
de renvoyer la pétition dont il s'agit à la commission d'industrie, avec
invitation de faire un prompt rapport. Comme la situation de cette industrie
est telle qu'elle est arrêtée dans son activité, j'engagerai l'honorable
président de cette commission de ne pas tarder à nous convoquer.
- Cette proposition est adoptée.
________________
« Le conseil communal d'Eecke, en présentant des observations sur le
projet d'un canal de dérivation des eaux de la Lys, prie la chambre de décréter
d'abord, ou tout au moins en même temps, la construction d'un canal de décharge
qui relie le haut au bas Escaut, depuis Swynaerde jusque vers la commune de
Melle. »
« Même demande des conseils communaux de Peleghem, Elseghem, Syngem, Aspcr
et Heurne. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif au canal
de dérivation des eaux de la Lys.
________________
« Les membres du comité de Moorsele (arrondissement de Courtray) demandent
l'adoption du traité de commerce conclu avec la France. »
- Renvoi à la section centrale, chargée d'examiner le projet de loi relatif
à la convention, et insertion au Moniteur.
_________________
Par message du 9 mai, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet
de loi qui ouvre au département de la guerre un crédit provisoire de 5,000,000
de francs.
- Pris pour notification.
MOTION D’ORDRE
M. Delfosse. - Je désire appeler l'attention du gouvernement sur un fait très grave
qui s'est produit depuis quelque temps dans le pays, je veux parler de
l'augmentation rapide et excessive du prix de la viande.
Il y a peu de temps encore, le kilogramme de viande se vendait à Liège 1
fr. 20 c, c'était déjà un prix élevé, trop élevé surtout pour les classes ouvrières
; eh bien, ce prix si élevé a subi, en quelques semaines, une très forte
augmentation ; le kilogr. de viande qui se vendait à Liége 1 fr. 20 c. s'y vend
aujourd'hui 1 fr. 60 c., c'est une hausse de plus de 30 p. c ; une hausse
analogue s'est fait sentir dans les autres parties du pays et tout porte à
croire qu'elle sera bien plus forte encore, si l'on ne prend des mesures pour l'arrêter.
Cet état de choses préoccupe vivement les esprits ; la gêne, la misère qui
pesait sur les classes ouvrières, commence à gagner une partie des (page 1305) classes moyennes, il y a une
foule de personnes qui vivaient naguère dans une certaine aisance et qui doivent
s'imposer aujourd'hui les plus dures privations. Aussi fait-on circuler des
pétitions qui se couvrent de milliers de signatures et qui vous seront bientôt
adressées.
Lorsque nous avons discuté le projet de loi sur les subsistances, dans la
session extraordinaire du mois de septembre dernier, j'avais prévu ce qui arrive
et j'étais parvenu à faire introduire dans la loi un amendement qui donne au
gouvernement la faculté de réduire et même de supprimer les droits d'entrée sur
le bétail étranger.
Comment se fait-il que le gouvernement n'ait pas
encore usé de cette faculté ? Il est cependant de la dernière évidence que nous
nous trouvons dans les circonstances en vue desquelles l'amendement a été présenté
et adopté. En laissant l'amendement dans la loi, comme une lettre morte, le
gouvernement ne va pas seulement contre le vœu des populations, il méconnaît
les intentions des chambres.
Je conçois que dans des temps ordinaires,
lorsque les prix sont modérés, l'on montre de la sollicitude pour les
producteurs agricoles, comme pour les producteurs industriels ; je conçois que
l'on prenne des mesures en leur faveur. Mais dans les circonstances actuelles,
lorsque la famine menace un grand nombre de nos concitoyens, il faut penser,
pourvoir avant tout aux souffrances si vives, si douloureuses qu'ils endurent.
C'est un devoir, un devoir impérieux pour le gouvernement de recourir à tous
les moyens propres à arrêter la hausse toujours croissante du prix des denrées
alimentaires.
Je prie MM. les ministres de vouloir nous dire s'ils ont fait de ce point
important l'objet de leurs délibérations ; je les prie de faire connaître les
motifs de l'inaction dans laquelle ils sont restés jusqu'à ce jour.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne m'expliquerai pas longuement sur la motion qui vient d'être soulevée.
Je dirai qu'elle se rattache entièrement à la négociation actuellement pendante
avec la Hollande. L'honorable membre peut bien comprendre que les circonstances
survenues depuis la loi votée en septembre dernier ont pu exercer une grande
influence sur les déterminations que le gouvernement aurait pu prendre dans les
circonstances ordinaires.
La longue durée des circonstances particulières dans lesquelles le pays s'est
trouvé, par suite de la cherté des fourrages, ont influé sur le prix du bétail
qui nécessairement devra se modifier.
Il est encore une autre cause à laquelle on doit attribuer l'élévation du
prix de la viande, c'est le taux des droits d'octroi à l'entrée des villes ; c'est
là une question qui ne peut pas être immédiatement résolue.
Dans l'état de nos négociations, je crois qu'il ne faut pas insister plus
longtemps sur cette motion.
M. Rodenbach. - La viande
est en effet excessivement chère aujourd'hui. Tout porte à croire que quand le
traité pour lequel on négocie sera conclu, cet objet diminuera beaucoup. Mais
il est aussi de la plus haute importance que les villes montrent l'exemple en
diminuant les droits locaux. La ville de Bruxelles, par exemple, perçoit trois
impôts sur la viande avant qu'elle ne puisse être consommée. D'abord à la porte
on perçoit un droit d'octroi ; ensuite on perçoit un droit d'abattage, deuxième
droit ; enfin le droit de boucherie. Là les bouchers doivent louer un étal
plusieurs centaines de mille francs ; ils sont réunis et exercent une espèce de
monopole. C'est une des causes pour lesquelles la viande est extrêmement chère
; si les bouchers vendaient la viande dans leur domicile, il est incontestable
que la concurrence amènerait une réduction de l'impôt.
Je suis également d'avis qu'il y a quelque chose à faire dans notre tarif
; il est a espérer que la convention avec la Hollande permettra de le modifier
quant au droit sur le bétail.
Cette malheureuse année est aussi une des causes de la cherté de la viande,
un grand nombre de cultivateurs ont tué leur bétail maigre pour se nourrir à
défaut de pommes de terre. Avec une année prospère, comme nous pouvons
l'espérer, nous verrons l'état normal se rétablir en Belgique.
M. Delfosse. - Je serais désolé d'apporter le moindre retard, le moindre obstacle
aux négociations ouvertes avec un pays voisin. La province qui m'a envoyé dans
cette enceinte souffre plus que toute autre du différend qui a éclaté entre le
gouvernement de ce pays et le nôtre, elle a plus que toute autre à se plaindre
de l'acte de légèreté qui a amené des représailles si regrettables. Si mes
observations devaient avoir pour résultat de nuire au rétablissement de
relations amicales, je me serais bien gardé de les présenter à la chambre ;
mais je suis parfaitement tranquille sur ce point. Le gouvernement hollandais
n'a pas un bien grand intérêt à obtenir que nos droits d'entrée sur le bétail
étranger soient réduits ou supprimés en ce moment ; il a plutôt un intérêt
contraire ; le prix du bétail est assez élevé pour que le gouvernement
hollandais se préoccupe beaucoup plus des consommateurs que des producteurs.
L'abaissement actuel de notre tarif, en ce qui concerne le bétail étranger,
ne serait donc pas de nature à influer sur les dispositions du gouvernement
hollandais. Ce n'est pas à une réduction actuelle et temporaire que le
gouvernement hollandais doit tenir, c'est à une réduction permanente, c'est
pour le temps où le prix du bétail sera moins élevé que le besoin de cette réduction
se fait sentir en Hollande. Le gouvernement hollandais nous fera des
concessions pour obtenir une réduction permanente, et j'ai la conviction intime
que la mesure temporaire, exceptionnelle, que je convie le ministère à prendre,
dans l'intérêt de nos populations souffrantes, n'empêchera pas ces concessions
d'être faites. La Hollande comprend son intérêt tout aussi bien que nous
comprenons le nôtre, et elle a sans doute la même hâte que nous de mettre un
terme à cette folle guerre de tarifs qui cause tant de mal aux deux pays.
J’ai dit, tantôt, messieurs, que l'acte du précédent
ministère qui a provoqué des représailles de la part du gouvernement hollandais,
était un acte de légèreté ; quel a été, en effet, quel pouvait être le résultat
de la mesure qui a amené ces représailles ? C'était de faire payer le café un
peu plus cher aux consommateurs belges ; n'y avait-il pas de la légèreté à
exposer, pour une mesure comme celle-là, le commerce et l'industrie de notre
pays aux conséquences fâcheuses qui pouvaient en être la suite ? Je ne veux pas
justifier la Hollande, elle a été trop loin ; elle s'est fait du mal en voulant
nous en faire ; mais je ne puis m'empêcher de reconnaître que M. le ministre
des affaires étrangères a eu le tort de lui fournir au moins un prétexte ;
c'était une faute, c'était un acte de légèreté.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je dois repousser, pour ma part, le reproche de légèreté que l'honorable
M. Delfosse a adressé au ministère précédent. Je ne veux pas examiner
maintenant cette question. Elle sera traitée à fond et sérieusement, lorsque la
loi relative aux mesures de représailles sera discutée. J'ai cependant une
réponse immédiate à faire, c'est que la section centrale, dans le rapport qu'a
présenté en son nom l'honorable M. d'Elhoungne, bien loin d'avoir reproché au
gouvernement d'avoir agi avec légèreté, lui a reproché d'avoir agi avec trop de
condescendance. Ce reproche ne concorde guère avec celui qui est maintenant
adressé au gouvernement.
Je persiste à dire avec mon honorable collègue de l'intérieur que cette question
doit être traitée avec beaucoup de circonspection.
L'honorable membre ne peut avoir la prétention de connaître mieux que nous
l'influence que ces discussions peuvent avoir sur les négociations avec la Hollande.
Il est certain que si vous venez déclarer qu'une concession très importante est
dans l'intérêt belge, vous détruisez l'effet des concessions que nous pourrions
faire.
Cette question ne doit pas être
traitée exclusivement au point de vue de l'industrie. Je conçois que l'industrie
désire avoir les céréales et la viande au plus bas prix possible. Mais cette
question a un côté agricole qui intéresse plusieurs provinces et n'est pas
moins important que l'autre. Le gouvernement examine ces questions importantes
avec toute l'attention qu'elles méritent.
Mais ce n'est pas le moment de traiter cette question. Il doit suffire à
l'honorable membre de savoir que le gouvernement l'examine. Mais je prie
l'honorable membre d'être très circonspect et de réserver ses observations pour
le moment où l'on discutera la loi relative aux mesures de représailles envers
la Hollande.
M. de Brouckere. - Le fait cité par l'honorable M. Delfosse de la cherté excessive de la
viande et les conséquences fâcheuses de ce fait sont parfaitement exacts. Je
crois, cependant, avec M. le ministre, que le moment n'est pas arrivé de nous
occuper de cette question, qu'il nous serait maintenant impossible de discuter
à fond. Mais ce qui est plus impossible encore, c'est de discuter l'objection
lancée par l'honorable M. Rodenbach. A entendre cet honorable membre, la cause
principale de la cherté de la viande serait le droit perçu à l'entrée des
villes et surtout les mesures prises par l'administration communale de
Bruxelles.
Pour démontrer que ce qu'a dit M. Rodenbach n'est
pas exact, je lui dirai qu'il y a des villes où la viande se vend beaucoup plus
cher qu'à Bruxelles. Mais je n'ai pas envie de discuter cette question avec
l'honorable membre.
Je lui signale seulement ce fait que la viande est plus chère à Liège qu'à
Bruxelles. Ce ne sont donc pas les mesures prises par la ville de Bruxelles qui
sont la cause de la cherté de la viande. La cause en est ailleurs. J'espère
qu'elle viendra bientôt à cesser. Mais la chambre commettrait une grande
imprudence, si elle discutait cette question aujourd'hui. J'en demande
l'ajournement.
M. Rodenbach. - Je partage
l'opinion de l'honorable préopinant, que la chambre commettrait une grande
imprudence eu s'occupant de cette question. Je lui répondrai deux mots sur la
cherté de la viande à Bruxelles. Si la viande est plus chère à Liège qu'à
Bruxelles, c'est peut-être que l'octroi est plus élevé à Liège qu'à Bruxelles.
A Bruges, la viande est également fort chère par le même motif. Je ne dis pas
que le taux élevé des tarifs de l'octroi est la seule cause de la cherté de la
viande, mais je dis que c'est un des motifs de la cherté, c'est ce qui la rend
inaccessible à la classe bourgeoise. Dans les campagnes la viande est moins
chère, parce que la il n'y a pas d'octroi ; mais fût-elle moins chère encore,
elle ne serait pas accessible pour les classes ouvrières, parce que là la
misère est à son comble.
M. Delfosse. - Je demande pardon à la chambre de prendre une troisième fois la
parole, mais je dois une courte réponse à quelques-unes des observations qui
viennent d’être produites.
Je n'ai jamais eu l'intention, que l'honorable M. de Brouckere paraît m'avoir
prêtée, de provoquer en ce moment une discussion approfondie sur les questions
relatives à l'entrée du bétail étranger. Je sais fort bien qu'il faudrait
plusieurs séances pour une discussion aussi importante, et que la chambre ne
serait pas disposée â l'aborder au moment où la discussion du budget de
l'intérieur est prête à s'ouvrir.
J'ai seulement voulu fixer l'attention du gouvernement sur la situation grave
dans laquelle le pays se trouve ; j'ai voulu rappeler à MM. les ministres l'immense
responsabilité qui pèse sur eux et les devoirs qu'ils ont à remplir.
MM. les ministres n'ont qu'une excuse pour l'inaction dans laquelle ils sont
restés, pour l'espèce d'insensibilité qu'ils ont montrée à la vue des souffrances
de nos populations. Ils craignaient, disent-ils, de compromettre les
négociations avec la Hollande.
(page 1306) Mais, messieurs, j'ai
fait valoir tout à l’heure une considération qui est demeurée et qui demeure
sans répponse. C’est que la Hollande n'a pas un bien grand intérêt à obtenir
actuellement la réduction de ces droits d'entrée sur le bétail ; elle a plutôt
un intérêt contraire. La mesure temporaire, exceptionnelle que nous prendrions
dans le but de faire baisser le prix si élevé de la viande ou plutôt d'arrêter
la hausse n'empêcherait pas la Hollande de désirer vivement la réduction
permanente de ces mêmes droits d'entrée, réduction dont elle doit sentir le
besoin, surtout pour le temps où les prix seront plus bas ; cette mesure
temporaire n'empêcherait pas non plus la Hollande de désirer vivement un arrangement
qui serait favorable à l'entrée en Belgique de ses cafés et des produits de sa
pêche, et de nous faire, pour obtenir cet avantage, les concessions que nous sommes
fondés à réclamer. La Hollande doit d'ailleurs comprendre comme nous qu'il est
temps de mettre un terme à cette folle guerre de tarifs qui a déjà causé tant
de mal aux deux pays.
C'est une politique étroite, une politique à courte vue que celle qui est
basée sur cette idée que les gouvernements avec lesquels nous négocions ne connaissent
rien de ce qui se passe chez nous ; croyez-vous, messieurs, que parce qu'il ne
serait rien dit dans cette enceinte du prix élevé des denrées alimentaires et
de la profonde misère d'une grande partie de nos concitoyens, ces faits
resteraient ignorés du gouvernement hollandais ? Le gouvernement hollandais,
sachez-le bien, connaît ces faits tout aussi bien que nous ; et s'il pouvait
les ignorer, les pétitions que vous recevrez sous peu, et qui se couvrent en ce
moment de milliers de signatures, viendraient bientôt les lui apprendre.
L'honorable
M. Rodenbach paraît croire que l'élévation du prix de la viande provient des
octrois municipaux. Je lui ferai remarquer que ce n'est pas seulement dans les
villes qui ont des octrois que les plaintes se font entendre, c'est aussi dans
d'autres localités. Sans doute, les taxes municipales qui frappent la viande
dans quelques-unes de ces villes contribuent à l'élévation des prix, mais
beaucoup moins que le droit d'entrée à la frontière. Le droit d'entrée à la
frontière est de 10 centimes au kil., plus 16 centimes additionnels ; le droit
d'entrée dans les grandes villes n'est guère que de moitié ; à Liège, par
exemple, il est de 5 centimes pour certaines espèces de viande et de 4 pour
d'autres ; c'est encore trop, et je ne demanderais pas mieux que de voir les
villes trouver d'autres moyens de faire face à leurs dépenses ; mais le
gouvernement ferait bien de donner l'exemple. Le soulagement qu'il dépend de
lui d'opérer serait bien plus efficace que celui qui résulterait d'une
résolution émanée des conseils communaux.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Chacun
comprendra que quand il y a hostilité entre deux pays, les deux pays doivent en
souffrir. Mais ce que chacun doit comprendre, c'est que celui des deux pays qui
ferait une concession à l'autre serait la dupe d'une pareille mesure. Cela est
clair comme le jour.
_________________
M. de Villegas et
M. de Baillet
ajournent au commencement de la séance de demain une motion d'ordre qu'ils se
proposent de faire et qui concerne le département des travaux publics.
Discussion générale
M. Savart-Martel. - Les budgets des divers
départements ministériels nécessitent la contiance des chambres : mais le budget
de l'intérieur en a besoin plus que tout autre, car il embrasse plus spécialement
les intérêts matériels et même les intérêts moraux du pays.
Devons-nous, dans l'état actuel des choses, discuter le travail qui nous
est présenté ? Devons-nous l'adopter ? Ne faudrait-il pas au moins qu'il soit frappé
de réserves et entouré d'explications propres à convaincre la nation que ses
vœux, ses sympathies sont compris par ses mandataires ? Ne faut-il' pas, à l'approche
d'un danger, convaincre ceux qui auraient des projets insensés, qu'en restant
dans la légalité, nous pouvons facilement récupérer un état normal, et que sans
aucune secousse, sans aucune agitation, le pays, malgré la gravité des
circonstances, peut encore jouir de la paix intérieure ?
Je ne trancherai point ces questions ; je me bornerai à les soumettre à la
haute sagesse de la chambre.
C est un noble et très honorable mandat, sans doute, que celui qui nous a
été confié par le peuple pour le soutien et la défense de ses intérêts les plus
chers ; mais ce mandat impose des obligations qu'un députe loyal et fidèle doit
accomplir religieusement, quelque pénible que puisse être parfois ce devoir.
Rester neutre entre les deux grandes fractions qui divisent le pays, serait
esquiver ses obligations, abandonner lâchement son service, et s'exposer au
blâme, au mépris général. Chacun doit donc avoir ici le courage de son opinion.
J'appartiens (tout le monde en conviendra, je pense) à l'opinion libérale
modérée, à cette opinion tolérante qui veut l'application franche et sincère
des lois et de la constitution, si tant est qu'il puisse y avoir d'autre
libéralisme, ce que je n admets point.
Essentiellement conservateur de la liberté et des institutions qui en sont
la conséquence, je ne veux l'ostracisme d'aucune opinion ; je hais l'anarchie
autant que le despotisme ; mais je sens la vérité de ce que disait, il y a
quelques jours, l'un de nos honorables collègues, M. Dolez, que le propre de la
modération est de tenir à sa conviction.
Je n'hésite donc point à déclarer que si une circonstance indépendante de
ma volonté ne m'avait empêché d'assister à la séance du 28 avril, j’aurais voté
avec la minorité, j’aurai fait le 41ème ; je m’associe donc à son vote et
j’en accepte la responsabilité.
Je ne veux point raviver ici les débats qui ont précédé ce vote mémorable,
nécessité par le défi qu'un pouvoir occulte, dit-on, aurait jeté à la face de
la nation ; mais je crois sincèrement que le ministère, tel qu'il est composé
aujourd'hui, est antipathique à l'immense majorité de la population et pour
rendre toute ma pensée, je lui applique ce que disait une feuille belge, en
février dernier ; pareil ministère est peu capable de sauver la Belgique, mais
en revanche nous le croyons très capable de la perdre.
Loin de moi la pensée d'attaquer le personnel de ce cabinet ; mais pour gouverner
un pays libre et constitutionnel, un pays intelligent qu'anime l’esprit de
progrès, il ne suffit pas du talent, du patriotisme le plus pur et même de la
plus haute vertu ; il faut, avant tout, la confiance publique.
Or, la confiance n'est point une chose qu'on puisse commander. Des circonstances
heureuses la font naître parfois ; elle se perd facilement. Et chez les hommes
d'Etat elle se perd souvent à l'occasion de faits à propos d'actes qui auraient
dû la faire naître, ou l'affermir. Telle est l'instabilité des choses humaines
L’opportunité y entre pour beaucoup. En politique surtout, vouloir forcer la
confiance, c'est la rendre impossible ; c'est se mettre en position de ne
l'obtenir jamais. Les arrêts du public sont souverains en pareil cas ; résister
c'est irriter.
Le cabinet actuel n'est point un composé d'hommes nouveaux. La plupart ont
des antécédents, je ne dirai point hostiles, mais opposés à l'opinion politique
qui domine en ce moment ; en sorte que loin de se présenter avec l'appui de la
confiance, il se présente courbé sous le poids de préventions fâcheuses. Croire
que, dans cette position, ce ministère gagnera la confiance, serait méconnaître
le cœur humain et le cours habituel des choses
Dira-t-on qu'un gouvernement, assuré de quelques voix de majorité, peut braver
l'opinion publique et découvrir la royauté pour se couvrir lui-même ? Qu'il
peut se dispenser de popularité, se dispenser de la confiance des chambres et
du pays ? Ce serait confondre la Belgique avec les pays d'absolutisme.
Un cabinet qui aurait pareille pensée serait un ministère Polignac. On ne
gouverne point constitutionnellement avec un bras de fèr ; et le Belge ne paraît
guère disposé à courber la tête sans comprendre, et à se soumettre par pure
obéissance.
Quelques voix de majorité ne sauraient donner au gouvernement la force nécessaire
pour tenir les rênes de l'Etat. Chaque question politique, chaque question
ministérielle même, pour peu qu'elle soit ardue, animeront les partis, si elles
n'arrêtent même la marche du gouvernement. A défaut d'assentiment général, il
lui faudrait au moins l'appui d'une forte majorité ; sinon une défiance
journalière blâmera ses actes, et le bien même qu'il voudrait opérer ne sera point
apprécié parce qu'il subira l'influence des passions.
La Belgique jouit d'une grande liberté. Ce qu'il lui faut, c'est un pouvoir
respectable, un pouvoir fort, un pouvoir qui puisse maintenir ta tranquillité
avec la liberté ; c'est un pouvoir qui ail de l'avenir, qui puisse consolider
nos institutions et marcher avec le siècle.
Ces ministères éphémères qu'on fait, défait et refait à chaque renouvellement
de session, languissants, faibles et sans avenir, sont déplorables ; ils
déconsidèrent le pouvoir exécutif, et désolent le pays. Ils entravent les
affaires administratives ; ils entretiennent l'irritation ou du moins la
défiance. Ils nuisent aux intérêts moraux tout autant qu'aux intérêts matériels.
Ils ne laissent aucun instant pour ces hautes conceptions que nous sommes en
droit d'attendre des hommes d'Etat qui gouvernent le pays.
Aussi qu'avons-nous obtenu depuis les fallacieuses promesses de 1830 ?
Une seule conception hardie. L'introduction des chemins de fer, qui honore
toujours le ministère qui l'a conçue et exécutée dans les circonstances les
plus difficile ; mais ce ministère avait la confiance du pays.
On le dénierait en vain ; l'opinion libérale qui prédomine en ce moment grandira
nécessairement, car elle est la conséquence de nos institutions. Un ministère
hostile à cette opinion, ou si l'on veut même un ministère qu'on supposerait
hostile à cette opinion, appelé au gouvernement du pays ; c'est, on le dit avec
raison, un anachronisme.
Avec ses quelques voix dans la chambre, le ministère des dix pourra vivra
au jour le jour, et consommer le budget que vous lui accorderez. Mais n'attendez
de lui aucune amélioration notable. S'il ne fait aucun mal au pays, il ne lui
fera aucun bien.
Forcé de reconnaître qu'un gouvernement frappé d'impopularité ne saurait
convenir à la Belgique, je dois m'attendre qu'on contestera ma prémisse. L'on m'objectera
que ma thèse repose sur une pétition de principe, qu'à tort on dénie la
confiance et la popularité.
Mais si dans cette chambre qui, par une fiction de la loi, représente le
pays ; dans cette chambre, sur laquelle le cabinet devrait s'appuyer et dont ildoit
tirer toute sa force ; le ministère, en comptant ses propres suffrages, en se
constituant juge dans sa propre cause, trouve à peine une majorité de quelques
voix, l'autre chambre, qui représente aussi le pays, ne lui paraît guère plus
favorable. N'avons-nous pas vu au sénat, où toujours siège la modération,
n'avons-nous pas vu d’honorables membres, partisans même du ministère mixte, se
lever avec force contre le ministère des dix ? M. le baron de Stassart,
l'honorable M. Dumon-Dumortier, M. le baron de Royer, M. le baron de Macar,
l'honorable M. de Haussy, M. le comte de Renesse, ne l’ont-ils point condamné
par la force de leurs raisonnements logiques, empreints de dignité, compagne
ordinaire de la vérité ?
Si de la fiction nous passons à la réalité ; si nous comptons le nombre de
suffrages électoraux accordé à la minorité de la chambre des représentants, on
les trouve beaucoup plus considérables que les suffrages obtenus par la majorité
; les chiffres ici ont aussi leur mérite.
(page 1307) Si, abandonnant encore
cette base, nous parcourons les populations, on n'entend guère, dans les villes
comme dans les campagnes, qu'un cri de réprobation contre le malencontreux
ministère, là même où prédomine l'opinion catholique.
Et puis, les élections de juin et celles d'octobre ne sont-elles point significatives,
n'y voit-on pas à la dernière évidence le progrès et la prépondérance de
l'opinion libérale ? Le peuple veut avancer et vous lui donnez un ministère
rétrograde.
Enfin, y eût-il encore quelque doute, il existait un moyen légal, un moyen
constitutionnel de consulter la nation par la dissolution et le renouvellement
des chambres. L'abstention de ce mode de constater la vérité, n'autorise-t-elle
point à penser que le ministère même est convaincu de son impopularité ?
Quoi ! vous refusez de consulter le pays, même en disposant des avantages
de votre position au pouvoir pendant les élections, tandis que vos adversaires
feraient volontiers l'abandon de leur mandat s'il pouvait en résulter la
concorde et la conciliation ?
Je ne conteste, je le répète, ni la bonne volonté, ni la moralité, ni la
probité politique du ministère. Je lui crois trop d'esprit pour ne pas sentir la
nécessité de se rapprocher de l'opinion libérale, et de faire des concessions
d'ailleurs inévitables, mais le pourrait-il ?.. Et parce que tout à coup il
renierait ses précédents (ce qu'il ne fera point), obtiendrait-il cette confiance
nécessaire pour gouverner ? On n'y verrait qu'un acte à contrecœur, car les
hommes et les masses surtout n'abandonnent point facilement leurs préventions.
Qu'il me soit permis d'ajouter qu'il avait été convenu précédemment qu'on
ne discuterait le budget de l'intérieur qu'après que le ministère aurait soumis
à la chambre le projet de loi sur l'instruction secondaire On recule aujourd'hui
devant cette obligation ; car communiquer un projet qui remonte à douze ans,
avec la réserve d'y faire des amendements, sans vouloir communiquer ces
amendements mêmes, sur lesquels la chambre devra se prononcer, c'est méconnaître
le but de la communication et le rendre frustratoire.
Ce n'est point là de la franchise ; ce n'est pas le moyen de mériter la confiance
; c'est au contraire exciter la défiance, surtout lorsqu'à ce refus se joint la
circonstance qu'on ne veut même soumettre aucun programme.
Ces promesses d'administrer avec justice et impartialité n'emportent rien.
Tout homme qui vient au pouvoir en dit autant, et ne peut en dire moins. Nul ne
viendra jamais nous dire qu'il gouverne avec partialité, avec injustice.
Quant à moi, messieurs, je désire sincèrement pouvoir voter une bonne loi
sur l'instruction secondaire, mais je me méfie de ces amendements qui seraient
présentés incidemment, et que le ministère semble avoir en portefeuille. Il me
semble qu'une loi, de cette nature surtout, doit être étudiée dans son ensemble
et dans ses moindres parties.
On m'objectera sans doute que, par son vote du 29 avril, la chambre a décidé
qu'il n'y avait pas lieu de forcer le ministère à déposer les amendements dont
il a annoncé la présentation, afin que les sections puissent les examiner en
même temps que le projet de loi. Je sais qu'à cette question avait été attaché
le sort du cabinet actuel.
Aussi je ne me présente point en ce moment pour requérir ces amendements
; et je ne viens pas conclure ici à la dissolution du cabinet, bien que, dans mon
opinion, ces questions puissent se renouveler chaque jour, et à l'occasion de
chacun des actes du gouvernement. Mais prenant les choses dans l'état où elles
sont, je dis que si le ministère a le droit d'exister, s'il lui appartient de
gouverner per fas et nefas, il appartient à la chambre un droit sacré, un droit
imperceptible, le refus du budget ; moyen légal dont on peut user pour la
répression des griefs. L'ennemi est dans la place, il est en force, il ne veut
pas même capituler ; lui couper les vivres, le prendre par famine, c'est de
bonne guerre.
Je suis la majorité, dit le ministère, je gouverne suivant mes principes
; la minorité lui répondra que, quoique minorité, elle n'a ni perdu ni abdiqué son
droit de se défendre par tous les moyens légaux. Et si, comme on peut le prévoir,
quelques voix repoussaient ce moyen, la minorité aura fait son devoir, le pays
jugera.
Messieurs, j'admets que les honorables personnages qui se sont chargés du
fardeau de l'Etat, ont fait acte de patriotisme, et que le dévouement au pays
les a guidés. J'admets qu'ils ont en vue de ramener chez nous la concorde, l'union
et la conciliation ; mais quelque prévenu qu'on puisse être dans son propre
intérêt, la faible majorité qu'ils ont obtenue dans cette chambre, les explications
échangées au sénat, et surtout l'état du pays, doivent leur donner la
conviction maintenant, que s'ils ont fait acte de patriotisme en acceptant le
ministère, ils feront un acte de patriotisme plus méritoire encore en renonçant
aujourd'hui à cette haute position.
J'ai confiance, messieurs, dans le bon sens du peuple belge ; je ne crois
pas que dans aucune circonstance il veuille sortir de la légalité ; mais il est
bon de lui rappeler que s'il appartient au pouvoir exécutif de consulter le
pays par la dissolution et le renouvellement du parlement, les chambres ont aussi
un droit positif, celui de refuser le budget ; de part et d'autre il y a donc
garantie légale. :
Ce refus, j'en conviens, ne doit être prononcé que dans des circonstances
graves. La discussion m'éclairera, et je me trouverai heureux s'il m'est
démontré que ce refus n'est pas nécessaire.
En rappelant le droit du parlement, en recommandant
de se tenir dans la légalité, mes honorables collègues comprendront
parfaitement que je m'adresse moins à eux qu'au pays même : et que je réponds
ainsi à des craintes toujours, dont parfois on a entretenu les chambres.
En rappelant au peuple que la Constitution offre des moyens légaux de faire
droit aux griefs dont il aurait à se plaindre, je pense ne m'être point écarté
du libéralisme modéré et conservateur, auquel je désire appartenir convaincu
que la vérité ne se trouve point dans les extrêmes.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). -
Messieurs, je regrette que l'honorable M. Savart n'ait pas assisté à la
discussion politique. Mais la chambre comprendra qu'il ne peut entrer dans mes
intentions de le suivre immédiatement sur ce nouveau terrain. Toutes les
observations qu'il a présentées ont déjà été présentées dans cette discussion ;
il y a été répondu. Je crois que ce serait nous engager dans un cercle de
redites qui ne tournerait en aucune manière a l'avantage de l'administration du
pays.
M. Savart-Martel. - C'est précisément
parce que je connais ce qui s'est passé en mon absence, que j'appelle
l'attention de la chambre sur les moyens que lui donne la loi de réparer les
griefs. Ma thèse repose précisément sur les antécédents dont parle le ministère
; sans ces antécédents, il n'y aurait eu lieu à ce que j'ai dit.
Au surplus, je conçois que le ministère refuse de répondre en ce moment ;
la discussion le guidera, comme elle me guidera moi-même quant à la question s'il
faut ou non rejeter le budget ; je persiste donc.
M. de Garcia. - Je
profiterai de la discussion générale pour adresser au gouvernement une demande
d'explication relativement aux légionnaires de l'empire.
Plusieurs membres. - Il y a un article spécial.
M. de Garcia. -
Permettez, messieurs ; veuillez ne pas m'interrompre. Je profite de la
discussion générale afin de mettre le gouvernement à même de me répondre
lorsque l'on sera arrivé à l'article des légionnaires. Si pour lors le
gouvernement ne me donne une réponse satisfaisante, je présenterai un
amendement dans le genre de celui qui a été présenté l'année dernière par
l'honorable M. de Brouckere. Mais je pense qu'il est essentiel, avant d'arriver
à cet article, que le gouvernement nous fasse connaître quels sont les
légionnaires qui ne prennent pas part au subside accordé jusqu'à ce jour, et à
combien pourrait s'élever la somme nécessaire pour acquitter une dette sacrée.
Si je pose cette question à l'avance, c'est donc pour que, lorsque nous serons
arrivés à l'article spécial des légionnaires, le gouvernement soit mis à même
de nous donner une réponse nette à l'égard de ces braves et anciens serviteurs.
Depuis longtemps, messieurs, la chambre s'est occupée de cet intérêt important.
Les vieux serviteurs de l'empire, ceux qui ont défendu la patrie alors, ont
droit à notre gratitude. L'ingratitude est un vice pour les particuliers, un
vice honteux et vil ; mais pour le gouvernement, il y a quelque chose de plus,
il y a maladresse, il y a faute politique à ne pas rémunérer des services rendus,
des services acquis.
Je demande que le gouvernement fasse connaître la somme nécessaire pour satisfaire
à cette dette, que je considère comme sacrée. Si le gouvernement ne peut me
répondre aujourd’hui, j'espère que lorsque nous en viendrons à l'article
spécial, il sera à même de satisfaire à ma demande d'explications.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Je
répondrai à la question qui m'est faite par l'honorable M. de Garcia, lorsque
l'article relatif aux légionnaires sera en discussion.
- La discussion générale est close.
Discussion des articles
La chambre passe à la discussion des articles.
Chapitre I. -
Administration centrale
Article premier
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service :
fr. 128,000. »
La section centrale propose une réduction de 2,500 fr.
M. le ministre de l'intérieur propose de transférer à cet article :
A. Une somme de 6,200 fr. de l'article premier du chapitre III ;
B. Une somme de 2,400 fr. de l'article premier du chapitre VII.
Ce qui porterait le chiffre propose par le gouvernement à 136,600 fr.
M.
Veydt. - La section centrale a rejeté l'augmentation
de 2,500 fr. proposée au projet de budget. Elle en explique les motifs, dont le
principal est l'absence de toute organisation du personnel des administrations
centrales. Si la chambre persiste à refuser tout crédit nouveau, nous pouvons
espérer que cette lacune sera enfin comblée.
Messieurs, je suis de ceux qui veulent que la position des
fonctionnaires et employés soit garantie et que les services soient
récompensés. L'organisation, que nous appelons de tous nos vœux, servira les
ministres eux-mêmes. La responsabilité inhérente à leurs hautes fonctions
n'implique, pas le droit de disposer, en toute liberté, des emplois publics. Il
y a des règles hiérarchiques à suivre. Lorsqu'elles seront établies, nous ne
verrons plus la faveur et le népotisme se glisser dans les nominations.
L'organisation est une entrave, une garantie contre les abus, dont nous avons
eu un si déplorable exemple. Elle arme, elle fortifie les ministres contre les
obsessions, contre les influences illégitimes qui les assiègent, contre toutes
ces préférences qu'on leur demande d'avoir pour ceux qui partagent ou feignent
de partager certaines doctrines politiques.
Pour les fonctionnaires et employés, une organisation est de première nécessité.
Dans l'étal actuel des choses il y a des inégalités choquantes, des rapprochements
fâcheux, qui sont une source de découragement
Je comprends qu'un laisse une part à l'appréciation du pouvoir qui doit nommer,
et que l’on combine dans une proportion convenable les droits de l'ancienneté
et ceux du talent. Mais quand, en thèse générale, un employé a fait ce que
j'appellerai un noviciat, quand il a passé un temps déterminé dans un grade,
condition que je voudrais imposer pour monter dans un (page 1308) grade supérieur, l'avancement devient un droit, une
règle aussi salutaire que juste. Elle donne le meilleur moyen d'avoir des
employés expérimentés ; elle soutient le zèle, excite l'émulation, et, en
garantissant l'avenir, elle compense en partie la médiocrité des rétributions
accordées par l'Etat. Parmi les titulaires du même degré l'ancienneté doit
prévaloir, à mérite égal.
Il y a aussi des mesures à prendre contre un avancement trop rapide. Dans
ce but, il conviendrait de faire précéder toute promotion d'une présentation du
chef intermédiaire, appuyée sur des services déjà rendus. Il est bon que la
responsabilité de chacun soit ainsi engagée. En étendant le nombre de ceux qui
concourent à préparer les nominations, on augmente d'autant plus la garantie
que les droits légitimes seront respectés.
Au département de l'intérieur il semble que tous les chefs n'ont pas la même
manière de voir ; les uns sont disposés à faciliter l'avancement des employés
qui travaillent sous leurs ordres ; d'autres les laissent vieillir dans le
grade qu'ils ont obtenu, il y a dix ans.
En ce qui concerne les traitements, ils doivent être suffisants et proportionnés
au talent et aux travaux. Le contraire serait un mauvais calcul administratif.
Les hommes qui se sentent forts s'éloignent d'un service mal rétribué ; ils
portent leurs vues d'avenir ailleurs. Ceux qui entrent à l'administration pour
les remplacer n'y apportent que la médiocrité et le découragement, et en
définitive, il n'y a pas d'économie pour le trésor ; car je pense que toute la
besogne d'un ministère pourrait s'expédier avec bien moins d'employés, en les
rétribuant mieux.
Le troisième intérêt engagé dans cette question de règlements
d'organisation est celui du service public. Il serait superflu, messieurs, de
prouver que les mesures réclamées dans l'intérêt des fonctionnaires et employés
ont en même temps en vue le bien de l'administration elle-même. Il est
impossible de séparer ces deux intérêts.
Dans le discours qui précède les budgets qui
nous ont été présentés pour l'exercice de 1847, M. le ministre des finances a
indiqué les données générales du problème : fixation des traitements d'après la
nature et l'importance des fonctions ; amélioration du sort des employés
subalternes ; conditions d'admission et surnumérariat ; classification
hiérarchique de tous les emplois ; dispositions d'ordre et de discipline Les
réponses de M. Van de Weyer à la section centrale nous ont fait connaître qu'au
département de l'intérieur on s'occupait d'un projet pour l'organisation du
personnel ; que ce projet est même rédigé. Nous avons donc tout lieu de croire
que nous sommes à la veille de voir s'accomplir le vœu de la législature. Les
chefs des autres départements ministériels imiteront sans doute, si déjà ils ne
l'ont fait, l'exemple de leurs honorables collègues des finances et de
l'intérieur.
M. Osy. - M. le ministre
de l'intérieur nous a fait distribuer hier, messieurs, des amendements au
budget présenté par son prédécesseur ; je vois à l'article 2, qu'au lieu de se
rallier à la réduction de 2.500 fr. proposée par la section centrale, M. le ministre
demande 6,000 fr. de plus que ce qu'avait demandé l'honorable M. Van de Weyer.
Il est vrai qu'il trouve ces 6,000 fr. sur les chapitres III et VII, relatif à
la statistique générale et au service de santé ; mais cela me fait croire qu'on
a demandé trop à ces chapitres. La section centrale a rejeté, à l'unanimité, l'augmentation
de 2,500 fr., et les précédents de toute la session prouvent que nous voulons
tous opérer des économies, ou tout au moins arrêter les augmentations de
dépenses ; j'espère que dans ce budget-ci nous nous montrerons conséquents avec
les résolutions qne nous avons prises à l'égard d'autres budgets, et notamment
à l'égard des budgets des finances et de la justice. En ce qui me concerne, je
ne consentirai pas à l'augmentation de 2,500 fr. demandés par l'ancien
ministre, il encore moins à celle de 8,500 fr. demandés par M. le ministre
actuel, et lorsque nous en serons arrivés au chapitre III et au chapitre VII,
dont M. le ministre propose de distraire une somme de 6,000 fr., je demanderai
si quelque chose met obstacle à ce que nous économisions ces 6,000 fr.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). -
Messieurs, la somme de 8,600 francs dont je demande le transfert, ne constitue
en aucune manière une augmentation de dépense ; ce sont des traitements payés à
d'anciens employés depuis un grand nombre d'années. Ce que je propose est une
simple régularisation. Il est payé sur le chapitre de la statistique 23,420 fr.
de traitements, mais j'ai remarqué que quelque employés payés sur le fonds de
la statistique ne travaillent pas à la statistique, et j'ai cru devoir
régulariser cette position en proposant de reporter la somme de 6,200 fr. sur
l'article 2 du chapitre premier. Quant aux 2,400 fr. que je propose de
distraire de l'article premier du chapitre VII, les employés qui les reçoivent
travaillent à l'administration centrale et non pas dans les bureaux du
commissaire de service de santé, bien qu'ils s'occupent spécialement de ce
service. Dès lors, j'ai cru également que leur traitement devait être transféré
à l'article 2 du chapitre premier. De cette manière il y aura régularité
parfaite dans le budget.
L'honorable M. Veydt a réclamé un arrêté d'organisation du département de
l'intérieur. En effet, messieurs, un projet est rédigé, mais vous concevrez tous
qu'avant d'adopter définitivement ce projet il est nécessaire que je prenne
moi-même connaissance de la situation du département. II y aurait de l'imprudence
à arrêter des cadres qui pourraient léser des intérêts, faire naître des
espérances, et que l'on devrait plus tard modifier. Une telle mesure ne doit
être prise que lorsqu'on a recueilli les renseignements nécessaires pour la
prendre définitivement. Je m'en occuperai aussitôt qu'il me sera permis de le
faire, et j'espère que, pour la discussion du budget prochain, je pourrais
communiquer cette mesure aux chambres.
Toutefois, messieurs, je ne dissimule point que l'organisation que l'on réclame
donnera lieu, au moins temporairement, plutôt à des augmentations qu'à des
diminutions de dépenses. C'est ce que j'ai déjà fait remarquer dans d'autres
circonstances.
Ce qu'il y a à faire, messieurs, c'est de fixer par un arrêté d'administration
générale le cadre des employés et le traitement de chaque grade. On a parlé
aussi des règles de l'avancement, mais la chambre comprendra qu'il | y a ici de
très grandes difficultés. Ainsi, par exemple, des employés de l'expédition ont
souvent passé comme commis dans les divisions, mais si un emploi vient à vaquer
dans une division qui exige des connaissances spéciales, vous ne pouvez pas
demander que l'avancement ait lieu par rang d'ancienneté.
Cela est très bien dans l'armée, où il faut les mêmes connaissances pour
tous les officiers du grade de lieutenant ou de capitaine ; mais dans un département,
c'est tout autre chose ; là les spécialités des emplois sont essentiellement
différentes ; il est donc impossible d'y admettre l'avancement par rang
d'ancienneté.
Du reste, messieurs, il n'entre pas dans ma manière de voir d'admettre de
nouveaux employés ; loin de là ; la première mesure que j'ai prise en entrant
au ministère, c'est de défendre l'admission de surnuméraires jusqu'à ce que les
cadres soient déterminées par l'organisation et que les besoins du service me
soient parfaitement connus.
Les 2,400 fr. refusés par la section centrale
sont, comme l'a dit mon honorable prédécesseur, destinés à payer d'anciens surnuméraires
qui ont des titres à un traitement, et je pense que la chambre ne peut pas
reculer devant une aussi minime augmentation. Il est à remarquer que le travail
au département de l'intérieur a pris d'année en année de nouveaux développements.
C'est un fait constaté par la correspondance, et MM. les gouverneurs des
provinces peuvent, tout aussi bien que le ministre, apprécier cette
augmentation de travail, par leur correspondance journalière. Aussi avons-nous
vu dans les administrations provinciales différentes augmentations de traitement
depuis un certain nombre d'années.
D'ailleurs, messieurs, la somme est peu importante, les employés ont compté
que le crédit serait accordé, et j'espère que la chambre ne le refusera pas.
M.
Orban, rapporteur. - Il est très vrai, messieurs,
que la section centrale n'a pas cru pouvoir accorder la majoration de 2,400 fr.
proposée par M. le ministre de l'intérieur, mais je crois que les motifs mêmes
qui ont engagé la section centrale à repousser cette majoration et les
circonstances qui se sont passées depuis lors, me permettent de proposer aujourd'hui
l'adoption du chiffre du gouvernement.
En effet, messieurs, lorsque nous avons entamé la discussion des budgets,
nous étions sous l'influence des préoccupations nées de la disette ou au moins
de la rareté des substances alimentaires. On paraissait bien décidé alors à
n'admettre aucune majoration de dépenses. C'est particulièrement cette considération
qui a fait repousser différentes augmentations proposées aux autres budgets.
Depuis cette époque, messieurs, ces appréhensions se sont calmées, on a apprécié
les dépenses demandées à la chambre avec plus de calme et d'impartialité, et
les votes de crédits, d'augmentations de crédits, ont prouvé que la chambre
était disposée à faire face à toutes les dépenses utiles qui pouvaient être
proposées.
Il est vrai, messieurs, qu'il y aura de cette façon absence d'harmonie entre
la manière dont on a agi à l'égard des budgets des finances et de la justice et
la manière dont on traiterait les employés du département de l'intérieur, mais
je crois que MM. les ministres des finances et de la justice se consoleront
facilement de ce traitement inégal.
Il est une autre considération qui avait engagé la section centrale à repousser
la majoration, c'est l'absence d'une organisation des bureaux du ministère,
promise par M. le ministre de l'intérieur. Il est certain qu'en tout état de
cause ce serait agir avec beaucoup de rigueur que de refuser une augmentation
de traitement méritée par les employés d'un ministère pour une faute qui serait
personnelle au ministre ; ce serait, permettez-moi, messieurs, la trivialité de
l'expression, ce serait battre MM. les ministres sur le dos de leurs employés.
Mais il est une considération qui doit, il me semble, atténuer cette objection
faite à l'augmentation demandée, c'est que le ministre qui a présenté le budget
et celui qui le soutient maintenant devant nous sont autres que celui qui avait
pris l'engagement, et qui ne l'a pas tenu.
La chambre accueille généralement avec peu de faveur les augmentations de
traitement qui lui sont proposées en faveur d'employés de l'administration ; on
s'étonne de ces augmentations, mais il y aurait, ce me semble, lieu de s'étonner
bien plutôt si le traitement des employés restait toujours stationnaire.
Il est certain que l'augmentation considérable de la besogne dans les administrations
et surtout dans les administrations centrales, les progrès de la richesse
publique, les relations plus multipliées et particulièrement les lois nouvelles
que nouss votons sans cesse et qui donnent lieu à un travail d'autant plus
difficile qu'il est tout à fait nouveau, il est certain que toutes ces causes
doivent faire accueillir favorablement des propositions de ce genre.
Le traitement des employés ne peut pas rester stationnaire lorsque à
l'entour d'eux tout maiche, lorsque le prix des denrées alimentaires augmente
dans une forte proportion, lorsque les nécessités sociales deviennent de plus
en plus impérieuses. Autrefois il n'y avait, pour ainsi dire, d'autres
positions rétribuées que les places données par le gouvernement ; aujourd'hui
les sociétés des chemins de fer, les sociétés industrielles et commerciales de
toute nature créent des positions et des positions infiniment mieux rétribuées
que les emplois publics.
(page 1309) Si donc on ne
tient point compte de toutes ces considérations pour rétribuer les fonctions administratives,
il en résultera que les affaires publiques, qui demandent tant de talent, tant
de capacité, tant de zèle, seront abandonnées aux personnes les moins capables
et les moins aptes à les gérer.
Messieurs, l'augmentation que l'on nous propose
est extrêmement minime, et elle ne peut, par conséquent, pas contribuer beaucoup
à améliorer la position des employés ; mais c'est précisément parce que le
chiffre est minime que je crois devoir insister pour qu'il soit adopté. En
effet, messieurs, refuser une somme aussi minime, ce serait en quelque sorte donner
une preuve de mauvais vouloir aux employés en faveur desquels elle est demandée
; ce serait témoigner très peu d'intérêt pour leurs travaux si utiles, ce
serait montrer qu'on n'apprécie pas le zèle dont ils donnent tant de preuves.
Craignez, messieurs, qu'en agissant ainsi à l'égard d'hommes honorables,
et auxquels nous devons toutes nos sympathies, vous n'affaiblissiez le zèle dont
ils ont besoin pour remplir convenablement leurs fonctions.
M. Osy. - Messieurs, je déclare que je suis très étonné du langage de l'honorable
rapporteur. Pendant toute la session actuelle, l'honorable M. Orban a voté avec
nous les économies qui ont été proposées. Aujourd'hui, au lieu de soutenir
comme rapporteur les propositions de la section centrale, il vient les combattre.
Le rôle de M. le rapporteur, messieurs, est de soutenir les propositions
de la section centrale, et si son opinion est changée, il aurait dû nous dire que
c'était son opinion personnelle qu'il défendait. La section centrale n'a pas
été consultée sur la proposition qu'il nous fait de revenir sur sa décision.
Je le répète donc, je suis très étonné des paroles prononcées par l'honorable
M. Orban. Je dois les attribuer au changement d'hommes qui s'est opéré sur le
banc ministériel. L'honorable M. Orban a proposé avec nous des économies, la
section centrale propose à l'unanimité la réduction de 2,500 fr., et je dis que
le rôle de M. le rapporteur est de soutenir les mesures arrêtées en section
centrale. C'est là le rôle, je crois, que nous devons tous remplir, lorsque nous
recevons le mandat de rapporteur.
Quant au transfert de 8,600 fr. que nous propose aujourd'hui par amendement
M. le ministre de l'intérieur, il me paraît qu'on aurait dû consulter à cet
égard la section centrale.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Je l'ai
proposé hier.
M. Osy. - Les amendements ont été déposés hier, mais la section centrale n'a
pas été convoquée pour donner son opinion. M. le rapporteur ne doit pas seul
faire connaître son opinion.
Je crois, dans tous les cas, messieurs, que nous
devons maintenir la réduction de 2,500 fr. Qu'avons-nous dit pendant toute la
session ? C'est que nous ne voulions plus accorder d'augmentations de traitements,
jusqu'à ce que le gouvernement nous eût proposé une organisation définitive du
personnel des ministères. Si donc nous avons refusé les augmentations qui ont
été réclamées, ce n'est pas parce que nous étions préoccupés des calamités de
cet hiver, comme on l'a dit. Nous les avons refusées avec calme et impartialité
au mois de février comme au mois de décembre, et je crois que nous ne devons
pas changer d'opinion parce que les ministres changent. Nous devons être justes
envers tout le monde.
Quant à moi, je ne voterai pas l'augmentation de 2,500 francs, et je fais,
par motion d'ordre, la proposition de réserver le vote sur le transfert, jusqu'à
ce que la section centrale nous ait fait un rapport à cet égard.
M.
Orban (pour un fait personnel). - Je pense, messieurs,
que vous aurez tous jugé les reproches de l'honorable M. Osy parfaitement
immérités, et je suis étonné, je dois le dire, qu'un honorable membre qui siège
sur ces bancs depuis si longtemps, connaisse si peu quels sont les droits et
les devoirs des membres de la chambre...
M. de Brouckere. - Je demande la parole.
M.
Orban. - Il est de principe, messieurs, que les membres
d'une section ont le droit de s'éclairer par la discussion, de profiter des
bénéfices du temps et de voter dans un sens contraire à celui dans lequel ils
ont voté et parlé en section centrale. C'est un point sur lequel je me trouvais
encore tout à l'heure d'accord avec un membre de l'opposition.
Je suis par conséquent parfaitement dans mon droit en votant et en parlant
d'une manière contraire à mon vote ou à mes paroles à la section centrale.
Mais qui donc autorise l'honorable M. Osy à venir dire que je vote ou je
parle contrairement à ce que j'ai fait dans la section centrale ? Qui donc lui a
révélé les discussions de la section centrale ?
M. de Brouckere. - Votre rapport.
M. Osy. - La rédaction
a été votée à l'unanimité.
M. Orban. -
Comment l'honorable M. Osy sait-il de quelle manière les votes et les paroles
se sont répartis dans la section centrale ?
Messieurs, je vous dirai que j'ai été nommé rapporteur de la section
centrale avant l'examen du budget, il m'est arrivé fréquemment de me trouver
dans la minorité sur les questions qui ont été posées, et j'entends bien
maintenir mon droit de voter et de parler encore en ce sens, quoique rapporteur
de la section centrale.
Il me semble, messieurs, que ces explications doivent vous montrer la parfaite
inconvenance des reproches que m'a adressés l'honorable M. Osy.
(page 1316) M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). -
Messieurs, je ne fais qu'une seule observation ; c'est qu'il ne peut s'agir ici
d'une question de personnes. Il s'agit uniquement d'une question de justice
envers des employés.
Je conçois très bien que la section centrale ait pu demander à mon
prédécesseur d'avoir immédiatement l'arrêté d'organisation, parce qu'il avait
fait connaître à cette section que cet arrêté était préparé. Mais, aussi,
messieurs, j'en appelle aux lumières de la chambre, et je lui demande s'il
m'est possible d'improviser cette organisation ; s'il n'est pas nécessaire,
ainsi que je l'ai dit, que je prenne moi-même une connaissance personnelle de
toutes les attributions de chacun des employés et des grades qu'il convient de
leur assigner ?
Je crois, messieurs, que cette raison doit être complétement déterminante.
En refusant le crédit, ce n'est pas le ministre que vous atteignez, car
personne ne peut me faire un reproche de n'avoir pas promulgué un arrêté
d'organisation : ce seraient uniquement ces employés.
Je crois inutile de pousser plus avant cette discussion. Le principe qui
a détermine le vote de la section centrale ne peut être invoqué contre moi et je
prie la chambre de ne pas s'arrêter à ce motif qui me semble ne plus exister dans
les circonstances actuelles.
Ainsi que je l'ai dit, j'ai pris, à l'instant même et dès le second jour
de mon entrée au ministère, la décision de ne plus y admettre un seul surnuméraire.
Il ne s'agit donc pas de créer d’emplois nouveaux ou de faire naître des titres
pour qui que ce soit. Je n'admettrai personne dans mes bureaux avant que je
n’aie pris une détermination sur l'organisation définitive du personnel du
ministère.
Quant aux transferts, ainsi que je l'ai dit, ce sont des emplois existants
depuis très longtemps. Si la chambre le désire, je lui donnerai lecture de la
note que j'avais préparée à l'appui de ce transfert. Je n'ai eu en aucune
manière l'intention de prendre la chambre au dépourvu. Car j'ai déposé mes
amendements hier et j'ai même proposé d'en saisir la section centrale.
Voici la note :
« Transfert : 1° d'une somme de 6,200 fr. de l'art. 1er du chapitre III,
à l'art 2 du chapitre Ier ; 2° d'une somme de 2,400 fr., de l'art. 1er du chapitre
VII au même article. »
« Le chiffre porté pour traitement du personnel, au chapitre 1er du
budget de 1846, est de 128,000 fr, y compris l'augmentation de 2,500 fr.
demandée, mais contestée par la section centrale.
« En outre, des fonctionnaires, employés et gens de service sont rétribués
sur le fonds de la statistique générale ; leurs traitements montent à 23,450
fr.
« Ensuite, sur le fonds des brevets est payé tout le personnel de la
direction de l'industrie, et l'indemnité due à des membres du comité des
brevets ; leurs traitements montent à la somme de 17,000 fr.
« De même, sur les fonds du service de santé, on prélève les traitements
de l'inspecteur et de son adjoint.
« Ces traitements s'élèvent à la somme de 8,000 fr.
« Cet état de choses existe depuis longtemps : on peut le considérer
comme régulier, puisqu'il est connu de la chambre des représentants.
« Mais il y a lieu de remarquer que parmi les employés qui sont
rétribués sur l'allocation de la statistique, il en est quelques-uns qui ne
sont pas attachés aux branches de service auxquelles cette allocation est
affectée.
« Ces employés sont : M. Daillant, 1er commis, fr. 2,200 ; M. Despret,
2ème commis, fr. 1,700; M. Moriau, 3ème commis, fr 1,400; M. Férier, huissier
messager, fr. 900. Ensemble : fr. 6,200.
« C'est là une irrégularité qui provient de ce que, lors de la suppression
de la statistique commerciale, ces employés ont été attachés aux divisions dont
le personnel n'était pas suffisant ; cette irrégularité, il importe de la faire
cesser.
« Dans ce but, je crois devoir pétitionner en plus sur le fonds des
traitements du personnel, une somme de 6,200 francs, somme égale aux traitements
réunis des quatre employés précités.
« On diminuerait d'autant le chiffre de 47,500 francs alloué à la statistique
générale ; ce chiffre serait donc de 41,300 fr. »
« Ainsi, le chiffre des traitements du personnel,
chapitre premier, article 2 du budget de 1846, serait de 134,200 fr., mais on
pourrait demander, pour n'y plus revenir, la somme ronde de 135,000 fr., afin
de pouvoir compléter le traitement de quelques employés qui ne jouissent point
du taux normal de leur grade.
« 2° Dans le but de régulariser le payement des traitements,
d'après l'esprit de la note précédente, le ministre de l'intérieur propose (au
même article), le transfert d'une somme de 2,400 francs, attribuée à des
employés qui s'occupent du service de santé civil, dans les bureaux de l'une
des divisions du ministère, depuis que l'inspectorat de ce service en a été
détaché. »
Cette note, messieurs, était destinée à être communiquée à la section centrale.
cette section centrale n'ayant pas été réunie, je viens d'en donner connaissance
à la chambre, et je ne crois pas qu'il soit nécessaire de suspendre le vote.
(page 1309) M. Veydt. -M. le ministre ne
s'étant pas rallié à la réduction de 2,500 francs, il faut bien que je fasse
connaître les motifs qui ont déterminé la section centrale à proposer cette
réduction. Je pensais aussi que M. le rapporteur aurait pris ce soin.
Ces motifs sont parfaitement expliqués dans le rapport que vous a présenté
l'honorable M. Orban. Quand on a allégué, en faveur de l'augmentation demandée,
que les employés avaient plus de besogne qu'autrefois, l'honorable M. Orban a
objecté que l'expérience qu'ils avaient acquise leur rend, aujourd'hui, l'expédition
des affaires plus facile. Quand on a dit qu'il s'agissait de rémunérer des
surnuméraires, M. le rapporteur a répondu : Le travail gratuit est de l'essence
du surnumérariat. Voilà deux des raisons de la section centrale, développées
dans le travail de M. Orban.
Passant à une autre considération, la plus importante de toutes, la résolution
si clairement manifestée par la chambre de résister à toute augmentation, en
attendant que la promesse d'une organisation du personnel des ministères soit
accomplie, la section centrale a voulu en tenir compte, et elle a agi en
conséquence en proposant la réduction des 2,500 francs.
Or, messieurs, nous avons été
d'une rigueur extrême pour le budget de M. le ministre des finances ; nous nous
sommes montrés presque aussi sévères envers M. le ministre des affaires étrangères
; là, il n'y a eu d'exception que pour une allocation en faveur de son
secrétaire particulier, qui n'a été accordée qu'à une faible majorité. Quelle
serait aujourd'hui la position de la chambre, si nous allions nous déjuger, si
dois allions accorder à M. le ministre de l'intérieur ce que nous avons refusé
à deux de ses collègues en parfaite connaissance de cause, pour un motif
légitime ? Cela me paraît absolument impossible. La chambre, en posant un pareil
acte, porterait elle-même atteinte à la considération dont ses résolutions
doivent être entourées.
M. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable préopinant a taxé d'inconvenant le langage qui
a été tenu par honorable M. Osy ; je crois que la chambre ne sera pas de son
avis ; et quant à moi. je déclare que je n'ai rien trouvé d'inconvenant dans le
langage tenu par l’honorable M. Osy.
Mais dans la discussion qui s'est élevée entre ces deux membres, j'ai trouvé
quelque chose de très extraordinaire tout au moins, c'est que l'honorable M.
Orban, entré d'hier dans la chambre, rapporteur pour la première fois de la
section centrale, vienne nous apprendre quels sont les droits et les devoirs
d'un rapporteur. Libre à l'honorable M. Orban d'apprécier ses droits et ses
devoirs comme il le voudra ; mais je me permettrai de lui dire que la chambre
est habituée à voir le rapporteur de la section centrale défendre dans cette
enceinte l'opinion de la majorité ; je me permettrai de lui dire que jamais jusqu'aujourd'hui
la chambre n'avait vu un rapporteur venir renier la section centrale, quand la
section centrale a été unanime, et quand le rapporteur lui-même a exprimé son
opinion de ta manière la plus formelle. Je vais le prouver.
Voyons la différence du langage de M. Orban d'aujourd'hui et du langage de
M. Orban de la section centrale. Aujourd'hui, l'honorable M. Orban a dit que si
la chambre refusait l'augmentation de 2,500 fr., ce serait battre les ministres
sur le dos des employés. D'abord, je répondrai que nous ne voulons battre le
dos de personne, pas plus des ministres que des employés. Mais laissons la
figure de côté.
L'honorable M. Orban témoigne une grande surprise de ce qu'on ne demande
pas plus fréquemment à la chambre des augmentations de cette nature ; pourquoi ?
parce que la besogne va toujours croissant.
La besogne va toujours croissant ; cela est vrai ; mais quant à la surprise
de l'honorable M. Orban, voyons s'il était aussi surpris à la section centrale.
Voici le rapport, il est vraiment intéressant de le lire. C'est M. Orban qui parle :
« La section centrale a pensé que l’on ne pouvait pas se montrer trop sévère
dans l'admission des demandes de l'espèce, si l'on ne voulait s'exposer à les
voir se reproduire chaque année dans les différents départements ministériels.
La nécessité de l'augmentation de cet article de dépense ne lui a point paru
démontrée. S'il est vrai que le nombre des affaires va toujours croissant,
l'expérience acquise par les fonctionnaires de l'administration centrale doit
en rendre l'expédition plus simple et plus facile. C'est, au surplus, faire de
cette simplification, si désirable dans la marche et les rouages de
l'administration, une sorte de nécessité, que de ne point accroître facilement
le nombre des employés.
« La section centrale considère l'introduction d'employés surnuméraires,
en faveur desquels l'augmentation de crédit est demandée, comme étant d'une
utilité fort contestable. Quoi qu'il en soit, le travail gratuit est de
l'essence du surnumérariat. Le seul salaire auquel des employés travaillant en
qualité de surnuméraires puissent prétendre, consiste dans le droit d'occuper
les positions qui peuvent y devenir vacantes.
« Le retard apporté par le département de l'intérieur à satisfaire à
la promesse d'organisation faite à la chambre, a paru à la section centrale, comme
à la quatrième section, un motif pour ne pas admettre favorablement la majoration
proposée. La ferme volonté manifestée par la chambre de résister à toute
demande de crédit nouveau, jusqu'à ce que cet engagement ait été rempli, contribuera
à hâter l'adoption de cette mesure.
« L'obligation de répondre à certaines conditions de capacité pour être
admis dans le personnel des bureaux, sera l'une des dispositions les plus utiles
à introduire dans l'arrêté d'organisation.
« Comme il est à présumer que ce travail sera fait pour tous les départements
ministériels à la fois, l'on exprime le désir que les attributions des chefs de
division et des autres employés soient coordonnées de manière à faire disparaître
les inégalités que présentent les traitements dont jouissent ces
fonctionnaires. »
Je le répète, c'est là le langage de l'honorable M. Orban, et je le prouve
en lisant le dernier paragraphe que voici :
« La section centrale rejette la majoration de 2,500 francs et adopte,
à l'unanimité, le chiffre de l'article 2, réduit à la somme de 125,500 fr. »
Maintenant, voilà les choses réduites à leur véritable valeur, et cela est
(page 1310) toujours très important
dans une assemblée comme celle-ci. S'ensuit-il de ce que je viens de dire, que
je veuille refuser les 2,500 francs demandés Par M. le ministre de l'intérieur
? Non, messieurs, je sais par expérience que les affaires vont toujours
croissant, non pas seulement au département de l'intérieur, mais dans les
autres départements et même dans les administrations inférieures ; de cette manière,
je conçois très bien par la position où j'ai été si longtemps, que les chefs
des administrations viennent de temps à autre demander des augmentations pour
leur personnel ; je n'ai qu'un regret, c'est que M. le ministre de l'intérieur
nous ait demandé une augmentation, lorsqu'il est à la veille de régulariser son
administration.
En effet,
M. le ministre nous a promis, et je suis persuadé qu'il tiendra sa promesse ;
il nous a promis, dis-je, de nous communiquer un projet d'organisation de son
personnel pour le budget de l'année prochaine, c'est-à-dire dans 5 ou 6 mois.
Eh bien, M. le ministre de l'intérieur n'aurait-il pas pu attendre, pour
proposer une minime augmentation de 2,500 fr. que cette organisation eût été
faite, qu'elle nous eût été communiquée ? Je lui déclare, et il peut prendre
note de mes paroles ; je lui déclare que, quand il nous aura communiqué son
travail, s'il m'est démontré que, pour que son administration marche bien, il
lui faut une augmentation, non pas de 2,500 fr. mais du double, et même du
triple, je la voterai avec plaisir, parce que les affaires du pays ne s'en
feront que mieux. Je sais que les employés bin payés travaillent avec zèle ; la
besogne s'en ressent.
Mais, je le répète, je n'aime pas ces petites augmentations qu'on présente
chaque année ; je voudrais que M. le ministre de l'intérieur fît un travail
complet et nous dît avec quelle somme il peut faire marcher convenablement son
administration. Je voterai cette somme, je la défendrai même, s'il m'est
démontré qu'elle n'est pas exagérée.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l'honorable préopinant a montré beaucoup de bienveillance pour
les employés du département de l'intérieur ; pour ma part, je l'en remercie ;
mais je ferai remarquer à la chambre que j'ai suivi la marche que l'honorable
préopinant me conseille de suivre.
En effet, depuis que je suis entré au département de l'intérieur, on m'avait
proposé de demander une nouvelle augmentation, et je me suis refusé à cette
demande. Aujourd'hui, ce n'est pas une proposition faite par moi, que je défends
; mais c'est une proposition émanée de mon prédécesseur qui, lui, avait eu le
temps d’apprécier tous les besoins du service ; cette proposition a fait naître
de légitimes espérances qui, je l'espère, ne seront pas déçues.
M. Osy. - Je retire ma motion d'ordre, relative aux transferts, par suite des
explications que M. le ministre de l'intérieur vient de donner.
M.
Orban, rapporteur. - Je ferai remarquera l'honorable
M. de Brouckere qu'il n'a pas fait attention à l'explication que j'ai donnée à
la chambre, en lui apprenant que j'ai été nommé rapporteur avant que l'examen
du budget ne fût entamé.
Je me suis montré fidèle rapporteur de ce qui s'est passé dans ses délibérations
et en cela le langage du rapport est bien celui de la section centrale et non
pas le mien personnellement.
Il m'arrivera donc plusieurs fois de devoir soutenir ici des opinions différentes
de celles qui sont consignées dans le rapport. (Interruption )
L'honorable M. Osy me rappelle que l'honorable M. de Brouckere a trouvé dans
le rapport même la preuve que j'avais voté contre l'augmentation. Je me
permettrai de dire à l'honorable M de Brouckere qu'il a mal lu ou mal
interprète ce passage. Le rapport dit simplement que la majoration est rejetée,
et il ajoute que le chiffre de 125.500 francs est adopté à l'unanimité. C'est
l'adoption du chiffre primitif qui a eu lieu et non pas le rejet de la
majoration demandée.
Quant à ce qu'a dit l’honorable
M. de Brouckere, que l'observation faite par moi sur le rôle de rapporteur
n'était pas fondée, je déclare persister dans cette observation, avec d'autant
plus de raison, que la dernière loi sur laquelle la chambre a voté, a encore
présenté ce spectacle. Le rapporteur de la loi tendant à accorder la
restitution du sel employé dans la fabrication des fromages du Limbourg, a été
le principal adversaire de la loi qui a été rejetée vendredi dernier par la
chambre.
M. de Brouckere. - Messieurs, je n'ai pas la moindre envie de prolonger la discussion
sur le fait dont j'ai entretenu la chambre ; je viens seulement lui dire que si
je me suis pris à l'honorable M. Orban personnellement c'est qu'il a eu tort de
traiter d'inconvenant le langage de l'honorable M. Osy ; c'est là ce qui a
motivé mes paroles ; j'ai trouvé que la censure de l’'honorable M. Orban était
injuste, et je me suis permis de le censurer à mon tour.
- La discussion sur l'article 2 est close.
Le chiffre primitif de 128.000 fr. est mis aux voix et adopté.
La chambre adopte ensuite le transfert au même article :
1° D'une somme de 6,200 fr. de l'article premier du chapitre III ;
2° D'une somme de 2,400 fr. de l'article premier du chapitre VII.
Ce qui porte à 136,600 fr. le chiffre de l'article 2.
« Art. 3. Matériel : fr. 30.000.
La section centrale propose une réduction de 2,000 fr.
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur se rallie-t-il à cette réduction ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Je
regrette de ne pas pouvoir me rallier à la réduction proposée par la section
centrale ; j'en dirai les motifs.
Depuis plusieurs années il y a un déficit dans le matériel du ministère de
l'intérieur ; cela n'est pas étonnant. Le chiffre du matériel du département de
l'intérieur est hors de proportion avec celui accordé pour les autres départements.
Je dois faire connaître dès à présent qu'il y a un déficit arriéré de 18 mille
francs, pour lesquels je serai obligé de faire une demande de crédit
supplémentaire.
Je me suis fait rendre compte de la situation du crédit du matériel pour
la faire connaître à la chambre. Le déficit tient à plusieurs causes, il remonte
à un grand nombre d'années, il remonte surtout à 1840. Jusqu'à cette époque le
ministère était occupé par un ministre non marié ; il a fallu augmenter
l'ameublement ; et la dépense annuelle s'en est également ressentie ; les
changements d'attributions opérés à diverses époques ont aussi entraîné des
dépenses.
D'autre part, le nombre d'employés a également
augmenté. Autrefois tous les employés se trouvaient dans l'hôtel du ministère.
Aujourd'hui, il y a deux succursales dans lesquelles se trouvent un certain
nombre de bureaux ; tous les bureaux du ministère, quelque vaste que soit
l'hôtel, sont occupés ; j'en ai fait la visite, le mobilier est loin d'être
satisfaisant ; le chiffre actuel n'aurait pas été suffisant, si je n'avais pas
décidé d'ajourner autant que possible les dépenses ; la plus grande partie de
crédit est absorbée ; ce n'est qu'avec beaucoup d'économie que je pourrai
atteindre la fin de l'année. Pour l'avenir les 30 mille fr. seront encore
indispensables. Pour la fourniture du papier seul il faut 9 mille fr. ; vous
pouvez juger d'après cela combien l'allocation de 30 mille francs peut être
facilement employée.
M.
Orban, rapporteur. - Je viens appuyer le chiffre
proposé par le gouvernement, qui n'a été rejeté par la section centrale que par
le partage des voix, un membre s'étant abstenu, de manière que je pourrai cette
fois, sans m'exposer à des récriminations personnelles, exprimer ma manière de
voir. M. le ministre de l'intérieur a particulièrement insisté sur le mauvais
état du matériel pour demander la majoration de crédit qui figure au budget. Il
est peu croyable, en effet, que cette détérioration soit due à la négligence et
qu'elle eût eu lieu si les fonds nécessaires pour les réparations avaient été
accordés.
Mais il faut observer que le crédit est également relatif aux frais de bureau
; à cet égard, la majoration est justifiée de la manière la plus complète. En
effet, il résulte de l'état fourni par le ministre du mouvement des affaires
traitées dans ce département, qu'elles ont subi une progression extrêmement
marquée depuis plusieurs années.
En supposant que l'augmentation du travail ne nécessite pas l'augmentation
du nombre des employés, il est évident qu'il donne lieu à une dépense de
matériel plus considérable. Il est impossible, par exemple, d'expédier avec les
mêmes fournitures de bureau en plumes et papier, un nombre d'affaires double.
Il me semble qu'il ne peut pas y avoir d'hésitation à adopter l'augmentation
proposée.
- Le chiffre de 30,000 fr. est mis aux voix et adopté.
Article 4
« Art. 4. Frais de route et de séjour, courriers extraordinaires :
fr. 3,500. »
Chapitre II. Pensions
et secours
Articles 1 et 2
« Art. 1er. Pensions : fr. 150,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Secours à d'anciens employés belges aux Indes ou à leurs veuves :
fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Secours à des fonctionnaires ou veuves de fonctionnaires,
à des employés ou veuves d'employés qui, sans avoir droit à la pension, ont néanmoins
des titres à l'obtention d'un secours à raison de leur position malheureuse :
fr. 7,000
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - On m'a
assuré qu'au budget des travaux publics la chambre a raye ces mots :
« sans avoir droit à la pension », attendu qu'il existait de petits
pensionnaires qui étaient dans une position tellement malheureuse, qu'il était
encore utile et juste de leur accorder un léger secours. Je n'ai pas vérifié la
chose, mais on m'a assuré que telle avait été la décision de la chambre. Le
secrétaire général m'a déclaré que le cas se présentait où il était nécessaire
d’accorder des secours à des employés qui auraient une petite pension. Il
conviendrait de donner au département de l'intérieur la même latitude qu'au
département des travaux publics. Je m'en rapporterai, du reste, à la décision
de la chambre.
M. le président. - Voici le texte de l'article du budget des travaux publics : « Secours
à d'anciens employés, à des veuves ou à des familles d'employés qui sont dans
le besoin. »
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Je m'en
référerai au même libellé.
M. Orts. - Il me paraît que la section centrale a exprimé une opinion contraire.
Voici ce que j'ai lu dans le rapport :
« Cet article n'a donné lieu à aucune observation dans les
sections.
« La section centrale l'a également adopté, avec cette observation qu'il
devait élre bien entendu que les secours ne serviraient pas de suppléments de
traitements, mais seulement de secours à des fonctionnaires qui ont cessé
d'être employés avant d'avoir acquis des droits à la pension. »
Il semble donc qu'on restreint ces secours à ceux qui ont cessé d'être employés
avant d'avoir acquis des droits à la pension, et que ceux qui ont acquis des
droits à la pension, ne doivent pas avoir de secours. s
M. le ministre de l’intérieur
(M. de Theux). - Je ne tiens pas à
l'observation que j’ai faite, j'examinerai la chose pour l'année prochaine.
- L'article 3 est mis aux voix et adopté.
Chapitre III. -
Statistique générale
Article premier
« Art. 1er. Frais de publication des travaux de la statistique générale
de la commission centrale, ainsi que des commissions provinciales : fr.
41,300.
- Adopté.
Article 2
« Art 2. Première partie des frais auxquels donnera lieu le
recensement général comprenant la population, l'agriculture et
l'industrie : fr. 60,000. »
La section centrale propose de porter ce chiffre à 250,000 fr.
M. Lebeau. - Ce n'est pas la première fois que l'on voit figurer au budget de
l'intérieur une somme destinée à faire face aux frais que doit entraîner te
recensement général de la population du royaume. C'est au budget de 1845 que
les premiers fonds ont été demandés par le chef du département de l'intérieur.
Je vais rappeler en peu de mots ce qui s’est passé quand cette première
allocation, consentie par la chambre, a été présentée et examinée. Dans la
séance du 6 février 1845, voici ce qui s'est passé : lorsque M. le président a
mis en délibération l'article 2 du chapitre III, l'honorable M. Sigart a
demandé la parole et s'est exprimé de la manière suivante :
« Le recensement que va ordonner le gouvernement est à plusieurs fins.
« Un de ses résultats principaux doit être de mettre en mesure d'établir
le rapport, aujourd'hui rompu, entre la population de la Belgique et les chambres
qui la représentent.
« Ce rapport, à la rigueur, aurait pu être rétabli sans dénombrement. En
voulez-vous des preuves, messieurs ? Le gouvernement provisoire a pu réunir le congrès,
la loi électorale a pu être votée sans dénombrement.
« Pour ce motif, le public soupçonne que le recensement pourrait bien n'être
qu'une mesure dilatoire. M. le ministre de l'intérieur dissiperait des soupçons
que j'aime à croire sans fondement, en imprimant une grande activité aux
opérations de ses agents. Si j'en juge par quelques notes du budget, nous
serions assez éloignés du terme. Je demanderai combien on compte qu'il faudra
de temps pour y arriver ? »
M. le ministre de l'intérieur répondit en ces termes à l'interpellation de
M. Sigart :
« La somme qui est portée à l'article 12 du chapitre III n'est qu'une première
allocation nécessaire pour les opérations préparatoires ; le recensement ne
pourra être achevé que dans le cours de l'année prochaine. Une deuxième
allocation sera alors demandée. Je remercie l'honorable membre d'avoir repoussé
les soupçons dont il nous a fait part tout à l'heure. »
Le Moniteur ajoute seulement ces mots :
« L'article est mis aux voix et adopté. »
De là, messieurs, il est résulté bien évidemment que le ministre et la chambre
ont été d'accord pour vouloir que le dénombrement avec toutes les conséquences
qu'y attachait l'honorable M. Sigart fussent menés à bon terme avant la fin de
l'année 1840.
Avant d'aller plus loin, je demanderai à M. le
ministre de l'intérieur si c'est toujours là l'intention du gouvernement ; si
l'intention du gouvernement est de mettre dans le délai le plus rapproché la représentation
nationale en harmonie avec le chiffre de la population, conformément au vœu qui
a été manifesté plusieurs fois déjà, et notamment dans le sein du conseil
provincial de l'une des provinces les plus importantes et les plus intéressées
à ce changement.
Je demande de plus si M. le ministre croit pouvoir faire procéder au dénombrement
de la population dans un délai assez rapproché pour qu'une loi fixant, d'après
les résultats de ce dénombrement, le personnel des deux chambres, puisse être
votée avant les prochaines élections.
M. le ministre
de l’intérieur (M. de Theux). -
J'accepte le crédit proposé par la section centrale, c'est-à-dire une
majoration pour faire accélérer les travaux de recensement. Ce travail, je
l'espère, sera terminé dans le délai indiqué au rapport et annonce par la
commission de statistique, dont l'avis a été communiqué à la section centrale.
Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour que la chambre soit saisie
le plus tôt possible des résultats du recensement.
Quant à l'augmentation du nombre des députés, je crois devoir m'abstenir
jusqu'à ce que l'on ait connaissance des faits. Le gouvernement aura à apprécier
ces faits et à voir s'il y a lieu de faire une proposition.
M. Lebeau. - D'après l'opinion qu'exprimait l'honorable M. Sigart, opinion qui
n'était pas contestée par M. le ministre de l'intérieur, prédécesseur de
l'honorable M. de Theux, la présentation d'une loi pour mettre le personnel des
chambres législatives en harmonie avec le chiffre de la population n'était pas
subordonnée à la confection d'un dénombrement. Je demande si c'est aussi
l'opinion de l'honorable M. de Theux, s'il regarde oui ou non le recensement
comme un préalable nécessaire de la présentation d'une loi de cette nature.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Sans
doute.
M. Lebeau. - Je ferai remarquer pourtant que déjà, d'après les renseignements
officiels qui nous sont distribués par le gouvernement, il y a lieu a augmenter
de dix à douze membres la chambre dans laquelle j'ai l’honneur de siéger, et de
six membres le sénat.
Déjà, vous le voyez, en partant des documents officiels, émanés du gouvernement,
il y aurait lieu, dès aujourd'hui, à augmenter le personnel des deux chambres.
Déjà, je l'ai dit, des réclamations ont été adressées au gouvernement ; déjà le
conseil provincial du Hainaut a fait une adresse au Roi, où il développe avec
beaucoup de logique et une grande connaissance des faits les raisons qui
militent en faveur de cette mesure.
Je désire que l'on fasse droit à ces réclamations, et je désire surtout que
la loi à intervenir soit en harmonie avec les dénombrement, s'il est possible
comme je le crois, de le terminer dans le courant même de la présente année.
Je crois que le dénombrement est possible, mais peut-être à une seule condition,
c'est qu'eu égard à l'urgence, au peu de temps qui nous reste pour procéder au
recensement et pour en faire passer les résultats dans la loi que je sollicite,
on se borne au dénombrement de la population.
C'est une chose inouïe qu'un pays reste pendant 18 ans sans un recensement
de population. Telle est la situation de
la Belgique. La situation de la Belgique est telle qu'elle diffère, sous ce
rapport, de presque tous les Etats de l'Europe où les recensements se font, au
plus long terme, tous les dix ans.
Par le fait du gouvernement, le recensement qui devait avoir lieu en 1839,
qui avait été prescrit par une disposition royale, a été ajourné.
Le ministère Nothomb voulait que le recensement fût terminé, au plus tard,
en 1846. Je crois que cela est encore très possible, mais à la condition qu'on
se borne au recensement de la population. On pourra faire plus tard,, si l'on
veut, la statistique industrielle et agricole, la continuer peut-être sans désemparer. Mais que l'on commence d'abord par constater et par
connaître en bloc les résultats de ce travail en ce qui concerne la population
; car pour arriver à la loi dont l'objet est de mettre en harmonie le personnel
de la représentation nationale avec le chiffre de la population nous n'avons
pas besoin de connaître tous les détails d'une bonne statistique ; par exemple
le sexe, l'âge, l'état de veuf, marie ou célibataire, la religion, la
profession, le langage parlé, etc., etc. Ce travail est très utile ; on pourra
le communiquer plus tard ; mais d'abord il faut se borner à faire connaître le
chiffre de la population eu bloc, sans autre distinction que celle des
régnicoles et des étrangers.
Si M. le ministre veut sincèrement le recensement de la population, cette
partie de programme de M. Rogier, qu'on regardait comme la plus inoffensive de
ses conditions, il faut s'en expliquer ouvertement, franchement, et ne pas
faire manquer le but, en suscitant des objections puisées dans la prétendue
difficulté des moyens.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il n'entre nullement dans ma pensée de susciter des objections à ce que
la chambre connaisse la population exacte du royaume et de chaque arrondissement
en particulier.
Je me réfère aux explications données par mon honorable prédécesseur et à
l'avis de la commission de statistique, communiqué dans le rapport de la section
centrale.
Du moment que le crédit sera alloué, j'en ferai usage suivant les intentions
de la section centrale. Je suis loin de vouloir susciter aucun obstacle au
travail que l'on désire.
M. de Brouckere. - La question n'est pas de savoir si l'honorable M. de Theux approuve
ou n'approuve pas qu'il soit procédé au dénombrement de la population, mais de
savoir si M. le ministre du l'intérieur fera tout ce qui sera en son pouvoir
pour que le dénombrement de la population soit fait dans le plus bref délai
possible....
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Je l'ai
déclaré !
M. de Brouckere. - … afin que la représentation nationale se compose d'un nombre de
membres qui réponde à la population. Voilà la question ; car que nous ayons un
dénombrement de la population, si le gouvernement n'admet pas cette
conséquence, c'est fort peu important pour nous. Or, vous avez entendu M. le
ministre de l'intérieur déclarer qu’il ne susciterait pas d'entraves, mais
qu'il ne prenait aucun engagement, quant à la présentation d'un projet de loi
qui serait la suite du dénombrement.
Le personnel des deux chambres ne répond pas au chiffre de la population.
C'est là un fait certain, incontestable. Je crois pouvoir dire que c'est un
fait incontesté.
D’après l'esprit de la Constitution, si les termes ne le prescrivent pas
d'une manière absolue, il faut que la chambre des représentants se compose d'un
nombre de membres répondant au chiffre de la population divisé par 40/000 :
Voilà quel est l'esprit de l'article de la Constitution.
M.
Orban. - Arrangé !
M. de Brouckere. - Comment « arrangé » !
Il est certain que ce qui ne m'arrange guère ce sont toutes ces interruptions
que j'entends à peine.
L'article 49 de la Constitution porte :
« An. 49. La loi électorale fixe le nombre des députés d'après la population
; ce nombre ne peut excéder la proportion d'un députe sur 40,000 habitants. »
Il résulte de cet article sainement interprété qu'il faut que le nombre de
représentants se rapproche autant que possible du chiffre de la population divisé
par 40,000 ; car si vous n'admettez pas cela, vous arriverez à avoir un député
par 60,000 ou 100,000 habitants.
Il est positif, il est incontestable, que la chambre et le sénat sont incomplets.
Quel est le devoir du gouvernement ? De faire tout ce qui sera en son pouvoir
pour que les deux chambres soient complétées.
Est-il possible que le gouvernement ait fait faire le dénombrement de la
population avant la fin de 1840 ? Oui, si le gouvernement le veut sincèrement, s'il
veut borner les opérations seulement à ce qui concerne le dénombrement de la
population, ce dénombrement pourra être fait avant la fin de cette année. Il dépendra
de lui qu'il nous présente, dès le commencement (page 1319) de la session prochaine un projet de loi qui mette le personnel
de la représentation nationale en harmonie avec la population. Le gouvernement
entend-il son devoir ainsi que je l'entends ? Je le voudrais. Mais le
langage qu'a tenu M. le ministre de l'intérieur me donne des craintes sérieuses
à cet égard.
En effet ses promesses se bornent à dire qu'il ne mettra pas d'obstacle
au dénombrement. Quant aux conséquences, il n'a pris pour ainsi dire aucune
espèce d'engagement.
Je regrette sincèrement que M. le ministre de
l'intérieur n'ait pas été plus explicite. J'avoue que j'attendais mieux de lui.
Je devais attendre mieux de lui, lorsque j'ai lu, dans le compte-rendu de la discussion
à laquelle une indisposition m'a empêché d'assister, qu'il se ralliait au
programme (après l'avoir beaucoup combattu, il est vrai), sauf en ce qui
concerne la dissolution. Or la question la plus simple du programme c'est la
mise du personnel des chambres en harmonie avec le chiffre de la population.
Puisque le gouvernement s'est rallié à cette partie du programme, pourquoi ne
met-il pas plus d'empressement à l'exécuter ?
Je crois que M. le ministre de l'intérieur, mieux conseillé, reviendra de
ses hésitations et fera tout ce qui est en son pouvoir pour que le dénombrement
soit terminé à la fin de 1846, afin que le projet de loi puisse être présenté
au commencement de 1847.
M. le ministre
de l’intérieur (M. de Theux). - Le
désir que l'honorable membre exprime a été suivi. Quant au second point, j'ai
pris l'engagement de prime-abord. Quant au premier point, j'ai l'habitude de ne
prendre d'engagements qu'avec la certitude de pouvoir les remplir.
Je ne veux pas prendre l'engagement de présenter un projet de loi avant de
connaître les résultats du recensement. Je n'ai pas déclaré que je n'en présenterais
pas un. C'est une question à examiner d'après les résultats connus du
recensement et sur laquelle je ne veux prendre, quant à présent, aucun engagement.
M. Savart-Martel. -
D'après ce que vient de dire l'honorable M. de Brouckere, il serait difficile de
vous présenter de nouveaux moyens.
La différence qui existe entre la France et nous, c'est que la recensement
se fera de suite, sans grande dépense ; tandis qu'en Belgique on nous demande
des sommes énormes pour agir très lentement.
Je pense, messieurs, que si on le veut, ce recensement pourrait être fixé
sous six mois ; surtout en en chargeant le bourgmestre de chaque localité, sauf
le contrôle administratif.
Sans doute, l'emploi des administrations municipales
présente des inconvénients, mais des étrangers que vous enverrez dans chaque
localité offriront d'autres inconvénients bien plus graves.
D'ailleurs, vous ne sauriez jamais vous dispenser de l'intervention des autorités
locales.
J'insiste pour que le recensement se fasse de suite ; et qu'on en charge
les bourgmestres. Quoi ! vous les chargez de la police, et vous n'avez pas confiance
suffisante pour les charger d'une simple opération matérielle, sur laquelle ils
ne pourraient même se tromper beaucoup sans se compromettre gravement.
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Les déclarations qu'a faites M. le ministre de l'intérieur ne laissent
aucun doute sur les intentions du gouvernement. En se ralliant à la proposition
de la section centrale, il témoigne assez de son intention de mener le plus tôt
possible à bonne fin l'importante opération du recensement.
Il n'est pas indifférent pour les résultats de cette opération, de savoir
comment elle est conduite.
J'avais l'honneur de faire partie de la commission centrale de
statistique, lorsqu'on a agité toutes les questions qui s'y rattachent. On a
examiné si le recensement devait être confié, en tout ou en partie, aux
administrations communales, et l'on a reconnu qu'un recensement de cette nature
serait mal fait, incomplet, et qu'on ne pourrait se fier à ses résultats.
Je n'en indiquerai qu'un seul motif.
On sait que plusieurs impôts ont une échelle proportionnelle à la population.
L'impôt le plus lourd, celui qu'on appelle l’impôt du sang, est réparti proportionnellement
à la population. Il en est de même de la contribution personnelle. Les communes
peuvent donc avoir intérêt à dissimuler le chiffre de leur population.
C'est une des principales causes de l'ignorance où nous sommes du véritable
chiffre de la population. Le recensement doit donc être fait à l'intervention
du gouvernement.
Cette question a été longuement agitée. On n'a même pas voulu poser le principe,
avant d'avoir fait l'expérience des meilleurs moyens d'exécution. C'est ainsi
qu'à Bruxelles on a fait un recensement avec le soin le plus minutieux, et l'on
a reconnu que la population réelle ne répond pas au chiffre officiel. Les
résultats de ce recensement ont fait l'objet d'un résumé remarquable du
président de la commission centrale de statistique, M. Quetelet.
Veut-on faire plus ? Veut-on fixer le terme auquel les opérations devront
être terminées ? Cela ne me paraît pas possible. Ce qui importe avant tout,
c'est que le recensement soit bien fait. Que l'on y consacre deux mois de plus,
qu'il soit terminé le 1er janvier, au lieu de l'être au mois de novembre, je
m'en consolerai facilement, si le recensement est fait convenablement.
Je n'ai pas l'intention de traiter l'autre question
qui a été agitée. Mais c'est faire au gouvernement une étrange position que de
l'engager d'avance à user de son initiative, d'après des faits qui ne sont pas
encore constatés.
On croit généralement que la population réelle est de beaucoup supérieure
à la population officielle. Mais parce que nous avons tous cette opinion,
faut-il que dès à présent le gouvernement s'engage à présenter un projet de loi
? Le gouvernement peut-il s'engager d'avance à user de son initiative d'après
les résultats inconnus du recensement ? Je crois qu'il ferait une grande
imprudence en prenant cet engagement.
M.
Orban, rapporteur. - L'honorable M. Lebeau a
insisté pour que le gouvernement prenne des mesures afin que l'on connaisse le plus
tôt possible les résultats du recensement. Il propose, pour accélérer les opérations,
d'ajourner la statistique industrielle et agricole. Quant à moi, j'attache
beaucoup d'importance à la mesure du recensement ; je désire qu'elle s'exécute
le plus tôt possible. Cependant je ne voudrais pas que l'on atteignît le but à
cette condition ; car l'honorable M. Lebeau a pu voir dans le mémoire de la
commission de statistique, communiqués la section centrale, que si on disjoignait
les deux opérations, il en résulterait une augmentation de dépense de 48,00 fr.
environ.
Or, je ne pense pas que l'on doive acheter à si haut prix l'avantage d'une
prompte solution. Dans tous les cas, on atteindra ce but nécessairement et
indépendamment du concours et de la bonne volonté du gouvernement, car c'est le
même jour, à une heure déterminée, c'est le 31 décembre que devra être constaté
le chiffre de la population. Il ne restera plus qu'à en faire le relevé et
cette opération marchera avec rapidité, si on la sépare de tous les accessoires
énumérés par M. Lebeau.
Mais une opinion contre laquelle je dois faire mes réserves, c'est celle
énoncée par plusieurs membres, qu'une conséquence obligée du recensement devrait
être de faire augmenter le chiffre de la représentation nationale ; qu'en
d'autres termes, il y aurait nécessité absolue de mettre le chiffre de la
représentation en rapport avec celui de la population constaté par les
résultats du recensement.
Si le chiffre de la représentation nationale devait être mis en rapport avec
celui de la population.lu royaume, il y a longtemps qu'un changement aurait dû
avoir lieu ; car depuis longtemps le chiffre de la population constatée par les
états présentés annuellement par M. le ministre de l'intérieur, ne correspond
plus au nombre de membres dont se composent les deux chambres. Maintenant une
pareille mesure législative doit-elle être adoptée ? C'est une question à
examiner, mais c'est une question de la plus haute gravité ; car elle
constitue, selon moi, une modification à la loi électorale...
C'est un point que j'ai voulu constater dès à présent, car il importe que
des assertions qui n'auraient pas été relevées ne puissent être considérées comme
des engagements pris auxquels il faille se conformer plus tard.
La disposition de la Constitution qu'on a invoquée a été entièrement faussée.
La Constitution a posé deux principes en matière électorale ; elle a dit qu'il
n'y aurait pas plus d'un représentant par 40,000 habitants. Elle a ajouta que
la loi électorale déterminerait, en conséquence de ce principe, quel devait
être le chiffre de la représentation nationale.
La loi électorale est intervenue ; elle a fixé, en conséquence de cet article
de la Constitution, le chiffre de la représentation nationale.
La Constitution a posé de la même manière le principe relatif au cens électoral.
Elle a dit que le cens ne serait pas supérieur à 100 florins ni inférieur à 20
florins. En même temps, elle a déclaré que la loi électorale fixerait le cens
conformément à cette base.
Ces deux principes établis par la Constitution, restait à la loi
électorale à les organiser. C'est ce qu'elle a fait en déterminant le nombre
des représentants par province, et le cens des électeurs des villes et des
campagnes conformément au tableau qui en fait partie intégrante.
Eh bien, messieurs, tout le monde conviendra assurément que si aujourd'hui
on venait changer le cens électoral, déclarer qu'il sera le même pour les
villes que pour les campagnes, et pour les différentes provinces entre elles,
que ce serait là une réforme de la loi électorale. Or, le chiffre de la représentation
nationale est fixé d'une manière définitive par l'application d'un principe
constitutionnel, tout aussi bien que le cens électoral.
Maintenant sera-t-il convenable d'augmenter le nombre des représentants et
des sénateurs ? C'est une question que je n'examine pas maintenant ; c'est, je
le répète, une question très grave ; j'ai seulement voulu constater que ce serait
une véritable réforme électorale et qu'en cette matière on doit procéder avec
une grande circonspection et une sage lenteur. Les questions de cette nature
sont toujours agitées dans le pays, dans la presse, longtemps avant d'être
examinées par la législature. C'est qu'en effet rien n'est plus important
qu'une pareille mesure, dont le résultat est de changer la position des partis
dans la représentation nationale.
J'ai cru devoir présenter ces observations pour que l'on ne considérât pas
comme résolue une question digne d'un long et sérieux examen.
Dans les pays les plus éclairés, où le libéralisme
est le plus prépondérant, on délibère longtemps avant d'adopter les réformes
les plus nécessaires. L'on voit souvent des existences politiques se consacrer
tout entières à les combattre ou à les faire adopter. Il a fallu un quart de
siècle avant que l'on fît triompher en Angleterre la fameuse réforme électorale.
Cependant il s'agissait là de tout autre chose que d'établir une relation
arithmétique momentanément dérangée entre la population et le nombre des
représentants. Il s'agissait de faire cesser les abus les plus graves, les plus
criants et les plus révoltants : il y avait là des cités populeuses qui
n'étaient pas représentées au parlement, tandis que des bourgs pourris,
dépourvus d'habitants, jouissaient de ce privilège.
M. Lebeau. - Il me semble, messieurs, que nous sommes destinés à marcher de
surprise en surprise à mesure que l'honorable M. Orban prend la parole. La
section centrale, en allouant la somme de 250,000 fr., a fait (page 1313) clairement sentir dans
plusieurs passages du rapport présenté par l'honorable M. Orban, que cette
allocation avait principalement pour objet de faire procéder au dénombrement de
la population et d'arriver ainsi à mettre en harmonie, pour les élections de
1847, le nombre des membres des deux chambres avec la population du royaume.
Voilà, messieurs, ce qui résulte de plusieurs paragraphes du rapport présenté
par l'honorable M. Orban.
M.
Orban. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. Lebeau. - Je prévois que l'honorable membre aura assez souvent l'occasion de demander
la parole pour des faits personnels, s'il continue à remplir ainsi son office
de rapporteur.
Par le plus étrange renversement d'idées, on nous présente, messieurs, l'exécution
de la Constitution, le respect pour l'esprit de la Constitution interprété par
le congrès lui-même, on vous présente la mesure la plus naturelle, la plus
légitime, la plus légale, comme une espèce de coup d'Etat, comme une réforme
électorale ; c'est ainsi que naguère on nons parlait de la dissolution, mesure
qui ne fait trembler personne en France ni en Angleterre, comme d'un coup
d'Etat, comme d'une espèce de révolution.
Eh bien, messieurs, cette théorie n'est pas soutenable. Elle n'est pas soutenable
en présence des discussions qui ont eu lieu au congrès. J'y étais, au congrès,
et je sais un peu mieux que l'honorable M. Orban ce qui s'y est passé. Eh bien,
le rapport de l'honorable M. Raikem à la main, il me serait aisé de prouver que
M. Orban a fait le roman de la Constitution et de la loi électorale et qu'il
n'en a pas fait l'histoire.
Mais là, messieurs, n'est pas la question ; nous pourrons y revenir et,
certes, nous y reviendrons souvent ; mais voici pour le moment ce dont il
s'agit.
On paraît d'accord que le recensement de la population doit être fait le
plus tôt possible ; mais « le plus tôt possible », c'est tout ce qu'il
y a de plus vague au monde : le plus tôt possible, comme on l'entend sur nos
bancs, pourrait bien différer du tout au tout du plus tôt possible de l'honorable
M. Orban. Ainsi quand l'honorable membre s'attache à démontrer qu'il est
impossible de séparer l'opération du recensement agricole et industriel du
recensement de la population, savez-vous, messieurs, où il arrive ? Il arrive à
retarder peut-être de 4 ou 5 ans l'opération du recensement. Car, messieurs, ce
recensement de la population, surtout au point de vue du simple nombre, sans
entrer dans l'examen des différentes divisions qui doivent constituer la
statistique proprement dite, au point de vue scientifique, cette opération est
extrêmement simple, et si le gouvernement veut y apporter une entière bonne
volonté, je pense qu'il ne faut pas plus de deux mois pour que cette opération
soit faite et bien faite.
Quant à l'examen des moyens à employer, j'avoue que c'est ici de l'administration,
et j'entrerais plutôt, sous ce rapport, dans les voies de M. le ministre des
finances que dans celles de l'honorable M. Savart ; je crois que l'intervention
des agents du gouvernement est indispensable. Elle est indispensable parce
qu'il y a un intérêt fiscal qui pourrait porter assez naturellement quelques
administrations à chercher à dissimuler le chiffre de la population de leur
localité, non seulement en vue de la milice mais aussi en vue de l'impôt, et je
dois dire, en passant, que la mesure du recensement devrait être
particulièrement appuyée par le gouvernement et en particulier par le ministre
des finances, car l'intérêt du trésor public y est fortement engagé. Mais si
l'on ne veut pas commencer par procéder au dénombrement de la population et en
faire connaître le résultat au gouvernement et aux chambres sans faire marcher
de front avec cette opération les travaux relatifs à la statistique agricole et
industrielle, je dis qu'alors l'opération peut durer 5 ou 6 ans.
Pour vous en donner une idée, savez-vous, messieurs, combien de questions
comprend le bulletin relatif à la statistique industrielle, questions sur
lesquelles chaque chef de famille devra répondre ? Pour la statistique
industrielle, le bulletin comprend environ 30 questions. Pour la statistique
agricole, il y en a environ 70 par bulletin ; les états récapitulatifs de ces
bulletins se composent de 70 colonnes. Je le demande maintenant, en appliquant
à toutes les communes du royaume une opération de cette nature et en y
apportant la maturité nécessaire pour que cette opération soit bien faite, je
demande s'il est possible qu'elle soit terminée avant quatre ou cinq ans.
J'ai autant à cœur que qui que ce soit d'arriver à ce que nous ayons une
bonne statistique agricole et industrielle, et je crois que la chambre ne reculera
pas plus devant la dépense que nécessite cette opération, que ne l'a fait le
parlement anglais, qui a consacré, il y a peu d'années, 3 millions à la confection
d'une bonne statistique ; mais il ne faut pas que la statistique agricole et
industrielle serve de moyen pour retarder indéfiniment le dénombrement de la
population, lorsqu'on a attendu près de dix-huit ans après un tel dénombrement.
Il ne faut pas que la statistique agricole et industrielle cache le mauvais
vouloir du gouvernement qui ne voudrait pas arriver au dénombrement de la
population, et qui ne le voudrait pas surtout pour éviter de mettre le
personnel des chambres législatives en harmonie avec le texte et surtout avec
l'esprit de la Constitution.
Je regrette, je puis le dire, que le gouvernement
n'ait pas été plus explicite sur ce point. Nous apprendrons ainsi à connaître
la valeur de ces appels que l'on a faits aux lumières de l'opposition. Naguère
on nous disait : Mais que l'opposition indique les mesures utiles à prendre,
nous nous y associerons ; nous serons plus libéraux que l'opposition
elle-même ! Et quand se présente la première occasion de faire prendre au
sérieux ces paroles, on ne tient aucun compte des déclarations que l'on faisait
il n'y a que peu de jours. J'espère cependant que le ministère y réfléchira et
qu'il voudra bien faire connaître quelle est sa pensée et sur le dénombrement
de la population et sur l'augmentation du personnel des chambres législatives.
J'aime à ne pas penser que l'honorable M. Orban, qui paraît dans cette
circonstance plus ministériel que les ministres eux-mêmes, j'aime à ne pas
penser qu'il ait été l'organe du gouvernement dans cette question.
M. Orban (pour un fait
personnel). - Je regrette de me trouver dans l'obligation de prendre une seconde
fois la parole pour un fait personnel, mais j'obéirai à cette obligation aussi
souvent que je serai en butte à des accusations aussi peu fondées que celles
que vient do m'adresser l'honorable M. Lebeau.
Le chiffre de 250,000 a été voté par la section centrale, en vue d'arriver
promptement au recensement de la population. Mais ce vote, en ce qui me
concerne, n'impliquait nullement mon adhésion au principe de l'augmentation du
nombre des membres de la législature. J'ai même fait toutes réserves à cet égard,
pour le cas où la discussion publique montrerait que l'on voulût faire servir
ce recensement de la population de base à une telle mesure.
Je me crois donc en droit d'exprimer aujourd'hui à cet égard telle manière
de voir qui peut me paraître la plus convenable.
M. Rogier. - On a traité avec tant de sévérité la pensée si pacifique, si conciliatrice,
si conservatrice de mettre le nombre des représentants de la nation en harmonie
avec la population du pays ; on a, dis-je, traité cette pensée avec tant de
sévérité que je suis obligé, à mon tour, de prendre la parole, non pas
cependant pour un fait personnel.
Cette proposition, messieurs, de mettre la représentation en harmonie avec
la population du pays, cette proposition faisait partie d'un programme dont on
s'est beaucoup occupé dans ces derniers temps ; et malgré les accusations de
tout genre qu'on a cherché à faire ressortir des diverses dispositions de ce
programme, je n'avais pas entendu jusqu'ici un seul reproche partir d'aucune
bouche, partir d'aucun banc sur ce paragraphe du programme. Je croyais
naïvement que lorsque le ministère, tout en combattant violemment les moyens d'exécution,
nous disait qu'il adoptait les autres bases du programme ; je croyais, dis-je,
que c'était surtout cette base du programme qui lui avait par la plus
acceptable, la plus inoffensive. A entendre aujourd'hui l'un des soutiens du
ministère, cette partie même du programme renferme encore une espèce de
révolution ; il s'agirait encore là d'une de ces immenses mesures auxquelles,
dans les pays bien plus anciens que nous dans la vie constitutionnelle, en
Angleterre, en France, on prélude par des discussions de 20 a 30 ans. Je tiens
à cœur de dire que, dans mon opinion, cette mesure n'a pas la portée que lui a
donnée l'honorable préopinant et qu'elle ne mérite pas non plus les honneurs
d'une discussion demi-séculaire.
Pour moi, au point de vue pratique, je suis convaincu qu'il y a de très bonnes
raisons pour faire accepter cette mesure ; je ne mets pas en doute que le jour
où cette mesure sera convenablement présentée, son succès ne soit assuré dans
les deux chambres, le gouvernement et l'honorable M. Orban lui-même n'en
voulussent-ils pas. Voilà ce qui me donne une confiance pleine et entière dans
cette proposition ; voilà aussi pourquoi, si le ministère, revenant sur ses
promesses, ne voulait pas accepter ce paragraphe du programme, force nous serait,
à nous qui avons mis cette proposition en avant, d'en faire l'objet d'un projet
de loi ; je le répète, nous serions sans crainte aucune sur le résultat de
cette loi toute constitutionnelle, toute conservatrice, quoi qu'on en ait dit.
J'attends donc de la franchise de M. le ministre
de l'intérieur, et quelle que soit sa réponse, j'y aurai foi ; mais j'attends
de sa franchise qu'il veuille bien nous dire si son intention est de présenter
à la législature, avant les élections de 1847, un projet de loi ayant pour but
de mettre le nombre des représentants en harmonie avec la population du
royaume.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). -
Messieurs, je crois avoir répondu, sur cette question, avec la plus entière
bonne foi. J'ai dit qu'avant que le gouvernement resongeât à prendre une
résolution à cet égard, il devait connaître le résultat du recensement. Je
persiste dans cette déclaration, j'aime beaucoup mieux rester en deçà des
engagements qu'on exige de moi que de promettre au-delà de ce que je pourrais
tenir ; telle a toujours été ma manière d'agir, et je ne m'en départirai en
aucune circonstance.
Cette question n'est pas aussi insignifiante que le prétend l'honorable M.
Rogier ; je ne veux en aucune manière, préjuger sa solution, ni même mon opinion,
car j'avoue que je n'en ai pas encore sur cette question. Je veux seulement
faire remarquer l'importance de la mesure. C'est ici une question de prépondérance
de provinces.
Maintenant, ni la Constitution, ni la loi électorale ne fixent une époque
où l'on doit procéder à une nouvelle répartition des représentants et des
sénateurs entre les divers districts du royaume. S'il est vrai qu'un district,
chaque fois qu'il compte 40,000 habitants et plus, doit, en droit constitutionnel,
avoir un représentant de plus, ce ne serait pas seulement à la suite de ce
dénombrement et qu'il faudrait faire cette modification à la loi électorale,
mais il serait nécessaire d'introduire, le cas échéant, des modifications à la
suite de chaque recensement.
Il ne faut donc pas pousser trop loin l'argument constitutionnel, car il
serait aussi applicable au cas où il y aurait dans certains districts une diminution
de population.
Je n'admets donc pas un droit constitutionnel strict à obtenir
immédiatement une modification à la représentation nationale dans tel ou tel
district.
Messieurs, j'ai dit que cette question était très grave. En effet il pourrait
arriver, s'il y avait une différence entre les provinces à cet égard, qu’on
devrait même examiner si cette différence ne nécessiterait pas la dissolution
des deux chambres.
J'ai déclaré que jusqu'ici nous n'avions pas de parti à prendre, d'après
(page 1314) les états de population connus,
parce qu'il est généralement avéré que ces états ne donnent pas le chiffre vrai
: il y a des motifs très sérieux, dans les communes, de cacher le chiffre
véritable de la population, ; ces raisons de rattachent à la milice.
La Constitution défend, il est vrai, d'avoir un
plus grand nombre de représentants qu'il y a de fois 40.000 âmes dans le pays ;
mais elle ne dit pas que chaque fois qu'il y aura 40,000 âmes de plus dans un
district, il, y aura un représentant de plus.
Je tiens à rester dans les limites de la déclaration que j'ai faite, en réponse
à la première interpellation qui m'a été adressée. Cette question est d'une
importance telle qu'on ne peut douter que le gouvernement n'en fasse l'objet
d'un sérieux examen. Ainsi que j'ai eu l'honneur, de le dire, dès que le
recensement sera opéré, le gouvernement examinera mûrement la question en conseil
et il viendra faite part à la chambre de la détermination qu'il aura prise ;
nous communiquerons aussi à la chambre les documents nécessaires, pour que
chacun de vous puisse connaître le véritable état de la population.
M. de La Coste. - Messieurs,
l'honorable M. Orban qui était, comme moi, membre de la section centrale, et
qu'elle a chargé du rapport, a invoqué mon témoignage. Je n'étais pas à la
section centrale au moment du vote sur ce chapitre : j'ignore donc si
l’honorable rapporteur a fait quelques réserves, mais j'ai pris part au reste
de la discussion, et je ne pense pas qu'il ait pris aucun engagement
relativement à la question qui peut résulter du recensement ; il me semble, au
surplus,, que l'honorable M. Orban étant choisi pour rapporteur, et la majorité
de la section centrale n'ayant pas seulement désiré que le chiffre fût fixé au
taux où il a été porté, mais ayant paru pencher pour l'opinion que la
conséquence du recensement devait être telle que le désirent les honorables MM.
Lebeau et Rogier ; il me semble, dis-je, que l'honorable M. Orban remplissait
son devoir de rapporteur, en insérant dans son rapport les arguments des
membres qui avaient adopté cette opinion. Le rapporteur d'une section centrale
n'exprime pas uniquement son opinion, il exprime l'opinion de la section
centrale, c'est-à-dire l'opinion de la majorité.
Je crois, d'ailleurs, que si nous votons la proposition de la section centrale
telle qu'elle est faite, il n'y aura dans ce vote, comme il n'y avait dans
celui de l'année dernière, aucun engagement de la part des membres de cette
chambre ; car la chambre n'émet pas un vote motivé ; chacun peut tirer de la
discussion les inductions qu'il juge à propos ; mais chacun aussi peut avoir des
motifs différents pour voter un chiffre.
L'opinion de l'honorable M. Orban, sans vouloir l'examiner à fond maintenant,
prouve une chose que j'avais prévue : c'est que, quand cette question viendra à
l’ordre du jour, beaucoup d'autres questions s'y mêleront. Je ne dis pas qu'on
aura raison de les y mêler, mais je dis qu'on les y mêlera. C'est néanmoins une
question qu'il faudra tôt ou tard regarder en face, et ce que je dis, n'est pas
pour en éloigner l'examen.
Je pense avec M. le ministre des finances, et l'honorable M. Lebeau a admis
cette observation, que nous ne devons pas nous en rapporter aux administrations
locales ; les administrations locales, comme on l'a fait remarquer avec raison,
ont intérêt à dissimuler le chiffre de la population, et je pense que cette
tendance a prévalu plus encore dans les communes rurales que dans les villes.
Les résultats du recensement, s'il est bien fait, comme je désire qu'il le
soit, seront donc peut-être très différents de ce qu'on présume actuellement ;
peut-être n'auront-ils pas du moins toute la portée qu'on leur suppose Quoi qu'il
en soit, il est essentiel que l'opération se fasse bien, qu'elle ne soit pas
précipitée.
Maintenant qu'a fait la section centrale ? Elle s'est mise en rapport avec
l'honorable M. Van de Weyer ; elle lui a posé des questions ; elle a examiné
mûrement ce qu'il y a d'avantageux ou de défavorable à cumuler les différentes
opérations ; c'est après s'être livré à l'examen de toutes ces questions, et
parfaitement d'accord, je pense, avec M. Van de Weyer, que la section centrale,
dans laquelle dominait l'opinion défendue par les honorables MM. Lebeau et
Rogier, a admis le chiffre proposé.
Je pense donc, quant à moi, que rien ne s'oppose
à ce que la chambre adopte le chiffre. Je conçois, du reste, très bien que
l'honorable M. de Theux ne veuille prendre aucun engagement, car s'il est vrai
qu'à cette question doivent s'en mêler d'autres très importantes, s'il est vrai
qu'il y a là matière à des débats sérieux et qui préoccuperont le pays, alors,
messieurs, il faut convenir que c'est au gouvernement à choisir son temps. Dans
toutes les questions, il y a le fond et il y a la question d'opportunité ;
celle-ci appartient essentiellement au gouvernement.
M.
de Haerne. - Messieurs, il me semble
qu'on a donné des proportions trop grandes à la question qui s'agite en ce moment.
Il m'a paru qu'on voudrait en quelque sorte effrayer la chambre par ce grand
mot de réforme électorale.
Messieurs, il y a réforme électorale et réforme électorale ; s'il s'agissait
d'une réforme électorale qui fût plus ou moins contraire à la lettre ou à
l'esprit de la Constitution, je m'y opposerais de toutes mes forces ; mais lorsqu'il
s'agit d'une réforme à introduire dans la loi électorale et que cette réforme
me paraît conforme à la Constitution, alors, loin de m'y opposer, je dois
l'appeler de tous mes vœux.
Quant à la réforme dont il s'agit, si tant est qu'on puisse appeler réforme
l'extension d'un principe admis, je ne dirai pas qu'elle découle directement de
la lettre de la Constitution, mais je dois dire qu'il me semble qu'elle est
parfaitement conforme à l'esprit de la Constitution.
On vous a déjà dit qu'on n'avait qu'à se reporter à l'époque du congrès et
aux discussions qui ont eu lieu dans cette assemblée pour juger si la question
de la réforme dont il s'agit est conforme au vœu de la Constitution. Je pense
aussi, si je me rappelle bien ce qui s'est passé alors,, que c'est, dans cet
esprit qu'on a agi et qu'on s'est exprimé au congrès.
De quoi s'agit-il en effet, dans un gouvernement représentatif ? De représenter
toutes les localités du pays d'après la population. Tel est le but, le vœu,
l'esprit du régime représentatif et par conséquent du pacte fondamental qui
nous régit.
Pour faire une comparaison entre cette réforme et une autre réforme, dont
on a également parlé, je dirai que c'est surtout parce que le nombre doit être
représenté le plus exactement possible dans tout système électoral, qu'on a
établi dans la loi électorale une distinction entre le cens exigé dans les
grandes villes et celui qui est exigé pour les campagnes ; car si le cens était
le même pour les campagnes et pour les villes, si dans les campagnes on était
obligé de payer, un cens aussi élevé que dans les grandes villes, le grand
nombre ne serait pas représenté, vous n'auriez plus, une représentation calquée
sur la population des diverses localités.. C'est pour le même motif que je
demande, pour autant que la chose soit possible, que la représentation dans les
chambres soit mise en harmonie avec l'accroissement qu'a pris la population du
pays.
On a dit que ces principes avaient été agités dans d’autres pays, qu'en,
Angleterre les existences entières ont été consumées dans la lutte qu'a fait naître
la question qui nous occupe. Je ne crois pas, messieurs, que ce soient là des
exemples à suivre ; malgré l'ascendant qu'en fait d’esprit constitutionnel
l'Angleterre peut commander, il ne faut pas la suivre en toutes choses et
surtout dans l'appui qu elle a donné à ce qu'on a appelé des bourgs pourris.
Une veille nation vit de ses traditions, une jeune nation comme la nôtre vit
surtout de principes.
Je désire que le
gouvernement fasse tout ce qui sera possible pour réaliser le principe dont il
s'agit, et pour arriver au plus tôt à un recensement, qui permette de régler la
représentation nationale conformément à la population.
On pourra peut-être dire que je parle dans un intérêt de localité, parce
que l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter pourra peut-être y gagner.
Je ne sais pas si la localité que représente l'honorable M. Orban se trouve
dans le même cas, mais je fais abstraction de tout intérêt de clocher, je
soutiens l'intérêt général du pays par les principes que j'ai eu l'honneur d'énoncer,
principes qui s'appliqueront à différentes provinces, à différents districts Ce
sont ces provinces, ces districts qui d'après leurs populations respectives
doivent concourir à former une représentation nationale aussi' complète que
possible.
M. de Brouckere. - Messieurs, on me permettra de le rappeler, l'avènement du cabinet
actuel n'a pas été salué par d'unanimes acclamations. Le ministère sait fort
bien que les sympathies d'une partie du pays lui font ; défaut. Il y avait pour
lui un moyen de gagner plus ou moins ces sympathies qui mi manquent ; c'était
de présenter quelques-unes de ces. grandes ; mesures que le pays désire et
appelle à grands cris. Je m'attendais, a le voir entrer dans celle voie.
Depuis quelques années, nous avons vu plus d'une fois les affaires de la
droite parfaitement bien soignées par des ministres pris dans la gauche ; je m'attendais
à ce qu'une fois les ministres pris dans la droite eussent fait un peu les
affaires de la gauche.
Je vous le dis franchement, j'ai plus d'une fois entendu répéter, depuis
la composition du ministère, que l'honorable M. de Theux serait pour nous un véritable
Robert Peel. Moi qui suis whig pur sang, j'attendais beaucoup du tory. Je l'ai
dit ailleurs qu'ici, mais je crains bien que nous n'obtenions pas plus du
cabinet actuel que des cabinets précédents que la gauche a cru devoir combattre.
Aux demandes que nous lui adressons, il répond par des réticences, en disant
qu'il ne peut pas prendre d'engagement.
Quelques jours passés, on s'occupait de la loi de l'enseignement moyen, on
disait au ministère : Faites-nous connaître les amendements que vous voulez proposer
à la loi de 1834, pour que nous puissions les étudier. M. le ministre de
l’intérieur se levait pour nous dire : Je ne puis pas les faire connaître maintenant,
je vous les communiquerai quand le moment de le faire sera venu.
Aujourd'hui il s'agit du projet de recensement de la population et des suites
de ce recensement ; que demandons-nous ? Veuillez-nous dire quelles sont vos
internions à cet égard. Je crois que si le pays était admis à siéger dans cette
enceinte, il demanderait comme nous : Que vous proposez-vous de faire ? Quelle
que fût la réponse du ministère, elle pourrait être approuvée par les uns et
combattue par les autres ; mais le pays connaîtrait ses intentions, il saurait
quelle est la marche qu'il se propose de suivre. Mais il est décidé que nous ne
saurons rien. Je crois qu'il est décidé qu'on ne fera rien.
On demande pourtant une chose extrêmement simple, je suis d'accord avec l'honorable
M. de Haerne ; on demande l'exécution pure et simple de la Constitution, telle
que le congrès l'a entendue. Il est difficile d'opposer de bonnes raisons pour
combattre cette demande. Mais comment s'y prend-on ? On cherche à effrayer la
chambre ; on dit à la chambre : Tout en ayant l'air de demander l'exécution
pure et simple de la Constitution, savez-vous ce que l'on veut ? La réforme
électorale, cette réforme électorale à la suite de laquelle peut naître au
moins une révolution !
Messieurs, permettez-moi de vous dire d'abord que nous n'en sommes pas à
notre premier essai, en fait de réforme électorale, puisque c'est là le langage
qu'on est convenu d'employer. Quand nous avons été dans la douloureuse nécessité
d'abandonner une partie du Limbourg et du Luxembourg à un autre pays, qu'a-t-on
fait ? On a changé la loi électorale, par la (page 1315) loi du 3 juin 1839 ; on a décidé que le nombre des membres
de la chambre des représentants serait réduit de 102 membres a 95, et que le
nombre des sénateurs serait réduit de 51 à 48. Ainsi, vous voyez que quand il
est bien établi que la population a diminué, on diminue le nombre des membres
des deux chambres, sans que l'on voie dans une semblable mesure une réforme
électorale dangereuse sous aucun rapport ni qui présente des difficultés.
Il s'agit aujourd'hui de faire la même chose en sens contraire. En 1839,
par une circonstance malheureuse, la population était diminuée, on a diminué le
nombre des membres des deux chambres. Aujourd'hui, il est reconnu, le cabinet même
en convient, il ne pourrait le nier, que la population s'est augmentée dans une
très notable proportion. Mais, nous a dit un orateur, vous arrangez la Constitution
à votre caprice, vous l'interprétez dans un sens que le congrès ne lui a pas
donné ; car chaque année vous pourriez venir dire que tel district a éprouvé
une augmentation d'habitants, qu'il en compte deux fois 40 mille, qu'en conséquence
il faut changer la loi électorale et lui donner deux représentants au lieu
d'un.
L'honorable membre qui a fait cette objection a compris qu'il était impossible
de lui répondre ; en effet, la seule réponse qu'il y aurait à faire ne serait
pas très convenable ; aussi je ne réponds pas.
Je dis : il est établi que la population s'est augmentée dans une telle proportion
que chaque province aurait au moins un représentant de plus, il en est où la
progression est plus forte ; je demande si en présence d’un pareil état de
choses, on peut, pour combattre la demande qui est faite, objecter qu'on
devrait augmenter le nombre des membres des chambres tous les deux ou quatre
ans. La position est telle aujourd'hui que personne n'ose nier que le personnel
des deux chambres n'est plus en harmonie avec la population du pays ; que la
Constitution n'est plus observée dans son esprit telle que l'a entendu le
congrès et que vient de l'expliquer l'honorable M. de Haerne.
On croirait, en vérité, que quand la loi a fixé le nombre des membres d'un
corps électif, quel qu'il soit, ce nombre est fixé à tout jamais, qu'on n'y
peut plus toucher. Semblable idée n'est jamais entrée ni dans les intentions du
congrès, ni dans les intentions du pouvoir législatif qui a suivi le congrès.
Veuillez examiner la loi communale par exemple. J'ouvre, au hasard le manuel,
le premier chapitre de la loi communale fixe le nombre des membres dont seront
composées les diverses administrations des communes, vous lisez quoi ? article
19 :
« Tous les 12 ans dans la session qui précédera le renouvellement des
conseils communaux, le pouvoir législatif, d'après les états de la population,
déterminera les changements à apporter aux classifications précédentes. »
Vous voyez donc bien qu'il est dans l'esprit, non seulement de la Constitution,
mais en général de notre législation électorale, que le nombre des
représentants des communes et des provinces aussi bien que du pays entier, soit
maintenu autant que possible en harmonie avec la population.
Messieurs, quant au fond de la question, on objecte fort peu de chose, et
l'honorable M. de La Coste lui-même vient de déclarer que, dans son opinion aussi,
il paraissait évident que le nombre des membres des chambres devait être augmente.
Mais après nous avoir fait cette part, il fait celle du gouvernement, et il dit
que la question d'opportunité lui appartient tout entière, que c’est à lui de
la trancher.
Messieurs, il y a quelque chose de vrai dans l'attention de l'honorable M.
de La Coste. Mais si c'est au gouvernement qu'il appartient de trancher cette
question, c’est toujours sauf le contrôle des chambres. Or, nous ne disons pas
au gouvernement : Les chambres veulent que vous tranchiez cette question dans
trois mois, dans six mois. Nous demandons au gouvernement : Comptez-vous
trancher cette question et quand comptez-vous la trancher ? Et le ministère
nous répond : Je ne saurais rien vous dire ; je n'y ai pas encore réfléchi.
Messieurs, pouvons-nous admettre qu'un homme comme l'honorable M. de Theux
n'ait pas réfléchi à une question qui occupe le pays entier depuis quelque
temps, à une question qui a été débattue par tous les journaux, à une question
qui a fait l'objet des délibérations de plusieurs assemblées provinciales, à
une question enfin qui faisait partie d'un programme que l'honorable M. de
Theux a certainement bien étudié, car il s'est donné assez de peine pour
démontrer au pays que ce programme était inacceptable. Or la question dont nous
nous occupons était une de celles qui prenaient place dans ce programme sur
lequel, qu'il soit dit en passant, je reviendrai pour mon compte quand le
moment se présentera. Je n'ai pas eu occasion de prendre part à la discussion
politique ; je ne renouvellerai pas aujourd'hui cette question ; mais le moment
viendra où je m'expliquerai.
Quoi qu'il en soit, cette question faisait partie du programme que l'honorable
M. de Theux a combattu. Or l'honorable M. de Theux est un homme trop réfléchi
et trop sensé pour combattre une chose qu'il n'a pas étudiée ; avant de
combattre ce programme, il en a étudie toutes les parties, et il a étudié la
question électorale.
Il est donc bien étonnant que l'honorable M. de Theux ne veuille pas s'expliquer
avec plus de franchise et de sincérité. Et moi aussi, je croirai à la
déclaration qu'il nous fera, mais qu'il nous en fasse une, quelle qu'elle soit.
Car ce n'est pas répondre à une question que de dire : Je ne puis prendre d'engagement,
et plus tard nous verrons ce qu'il y a à faire.
Je suis persuadé qu'il n'est pas un membre de cette chambre qui n'ait étudié
la question électorale ; qu'il n'est pas un membre qui sache s'il désire que
cette question soit bientôt décidée ou soit retardée. Il paraît qu'il n'y a que
l'honorable M. de Theux seul qui n'ait pas une opinion formée relativement à
une question des plus importantes, à une question dont on s'est le plus occupé
et dont les journaux de toutes les couleurs entretiennent le pays depuis plusieurs
années.
Messieurs, je vous l'avoue, je regrette ; je regrette
sincèrement que l'on n'entre pas dans une voie plus franche, et si M. le
ministre de l'intérieur ne veut pas expliquer aujourd'hui, je l'adjure, puisque
tant est qu'il n'a pas assez étudié la question, je l'adjure de l'étudier de
manière qu'il la connaisse à fond avant la fin de cette session, et qu'avant la
fin de cette session il vienne nous dire si nous pouvons espérer de lui qu'il
nous présente au commencement de la session prochaine un projet de loi ayant
pour objet de mettre le personnel des deux chambres en harmonie avec la
population, c'est-à-dire s'il se dispose à exécuter la Constitution non pas d'après
sa lettre, non pas d'après l'interprétation forcée qu'on en a donnée tout à
l'heure, mais d'après son esprit, d'après l'esprit que lui donnent tous les
membres du congrès.
M. Delfosse. - L'honorable M. Orban a parlé de différentes choses qui se seraient passées
dans le sein de la section centrale. Bien que mes souvenirs ne fussent pas tout
à fait d'accord avec ceux de l'honorable membre, je m'étais abstenu jusqu'à ce
moment de relever ce que je trouvais d'inexact dans ses déclarations. Mais il
m'est impossible de laisser sans réponse ce que l'honorable membre vient de
vous dire de réserves formelles qu'il aurait faites au sujet de la question
d'augmentation du nombre des membres de la représentation nationale.
Je me rappelle fort bien ce qui s'est passé dans la section centrale au sujet
de cette question. L'honorable M. Van de Weyer, alors ministre de l'intérieur,
est venu y donner des explications sur les intentions du gouvernement. Il a
paru reconnaître que l'augmentation du nombre des membres de la représentation
nationale basée sur l'augmentation de la population, était une mesure de toute
justice, qui rentrait sinon dans la lettre, au moins dans l'esprit de l'article
49 de la Constitution. Je ne me souviens pas que l’honorable M. Orban ait
présenté la moindre objection contre cette doctrine qui était aussi celle de la
majorité de la section centrale.
L'honorable M. de La Coste, si mes souvenirs sont exacts, et je crois qu'ils
le sont, est le seul qui ait fait quelques observations, ou, si l'on veut,
quelques objections de la nature de celles qu'il a soumises tantôt à la chambre.
Mais je le repète, je ne me souviens nullement que l'honorable M. Orban ait
combattu ou même ait paru disposé à combattre la mesure ; je ne me souviens
nullememt des réserves qu'il prétend avoir faites.
Une observation bien simple vous prouvera, messieurs, que la mémoire de l'honorable
membre n'est pas fidèle ; car je ne veux pas, je ne puis pas supposer qu'il ait
voulu tromper la chambre. L'honorable membre vient de vous présenter la
question comme une question grosse de dangers, comme une de ces questions qui
peuvent remuer, bouleverser un pays ; croyez-vous, messieurs, que si telle
avait été l'opinion de l'honorable membre, lorsque la question a été examinée
dans le sein de la section centrale, croyez-vous que s'il eût fait alors des
réserves formelles, sur une question à laquelle il aurait attaché une si haute
importance, l'honorable membre, rapporteur de la section centrale, n'aurait pas
fait mention de ces réserves dans son rapport ?
Personne ne croira que l'honorable M. Orban, qui a rendu un compte si détaillé
de ce qui s'est passé dans la section centrale, qui a fait connaître en termes
si clairs l'opinion de la majorité de la section centrale, aurait gardé, dans
le rapport, un silence complet sur les réserves dont il veut nous parler
aujourd'hui, si ces réserves avaient réellement été faites.
Je n'entends pas soutenir que l'honorable membre
soit lié par ce qui s'est passé dans la section centrale, je n'entends pas
soutenir qu'il devra voter pour la mesure lorsqu'elle sera soumise à la chambre
; non, l'honorable membre sera, comme chacun de nous, libre de voter dans le
sens qui lui paraîtra le plus conforme aux intérêts du pays. Mais je ne puis
admettre qu'il ait fait des réserves à l'époque où M. Van de Weyer était ministre
; je dois du moins déclarer que je n'en ai pas le moindre souvenir.
Je regrette, messieurs, d'avoir dû faire cette déclaration ; mais l'honorable
M. Orban m'y a en quelque sorte forcé par son insistance à invoquer des faits
qui se seraient passés dans la section centrale pour expliquer le parti étrange
qu'il semble avoir pris de combattre son rapport au lieu de le défendre. Je le
regrette d'autant plus que l'honorable membre va probablement se croire obligé
à demander une troisième ou une quatrième fois la parole pour un fait
personnel.
M. de Mérode. - Le bon laboureur ne s'occupe pas constamment de changer la forme de
ses instruments aratoires ; il tâche de les employer et de faire de la besogne
utile.
Les lois qui tendent à régulariser la Constitution du gouvernement ont sans
doute leur utilité ; mais cependant, à force de manier et remanier, de polir et
repolir l’instrument, on oublie le travail ; et quand j'examine la quantité des
choses que nous avons à faire dans l'intérêt du peuple que nous représentons,
je ne puis voir ce qu'il y a de plus pressant dans la modification qui peut
résulter du recensement.
Non, messieurs, je ne désire pas qu'on soigne les affaires de la droite ou
celles de la gauche ; je souhaite que l'on s'inquiète partie incrément des nécessités
du grand nombre, des besoins urgents du pays.
Or, quand je considère quelles sont les nécessites,
quels sont les besoins, je ne les trouve pas dans l'objet dont on nous
entretient en ce moment.
Croyez-le bien cependant, messieurs, je ne m'oppose pas le moins du monde
à ce qu'on augmente ou diminue le nombre des sénateurs et représentants d'après
un recensèrent à opérer ; mais est-ce là pour nous l'occupation la plus urgente
? Ahl je le voudrais de tout mon cœur ; car cela prouverait que nous sommes
bien avancés dans les lois essentielles que tant d'intérêts divers réclament de
nous.
(page 1516) On vient de dire que
pas un membre de cette chambre n'a manqué d'étudier la question qui se débat.
Quant à moi, je dois avouer humblement que j'ai vu tant d'autres choses plus
pratiques à étudier que je les ai préférées à celle-ci.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Je n'ai
que deux mois à répondre à l'honorable M. de Brouckere. Sans doute, nous avons
lu et examiné attentivement le programme que le Roi n'a pas accepté. Mais, si l'honorable
membre a lu nos discussions, il a pu remarquer que ni aucun de mes collègues,
ni moi, n'avons parlé de cet article du programme.
M. de Brouckere. - Un de vos collègues l'a accepté.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Il n'en
a pas parlé.
Du reste, cette circonstance est tout à fait indifférente à la question qui
se débat et qui doit être résolue d'après son appréciation en elle-même.
L'honorable membre a raison de dire que je n'ai pas manqué de faire des réflexions
sur ce point. La meilleure preuve, c'est que j'ai signalé les suites de cette
mesure qu'aucun membre n'avait signalées, c'est qu'il pourrait en résulter une
prépondérance à l'égard de certaines provinces dans le renouvellement partiel,
qu'il serait possible qu'une conséquence de cette mesure dût être la
dissolution des deux chambres.
On demande au gouvernement de prendre une décision sur un recensement qui
n'est pas fait. Ce recensement peut avoir une importance plus ou moins grande.
C'est d'après les résultats du recensement et la situation du pays à cette
époque que le gouvernement aura à se déterminer.
Je ne pense pas que l'on puisse exiger davantage.
Je n'ai pas promis de présenter une loi. Je n'ai pas dit que je n'en présenterais
pas.
A cet égard, mon opinion n'est pas formée.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.