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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 20 novembre 1846
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Rapport triennal sur l’exécution de la loi de l’enseignement primaire
3)
Projet d’adresse en réponse au discours du trône.
a) Discussion
politique générale. (A : Formation et programme du cabinet catholique
homogène ; B : organisation de l’instruction moyenne ; C :
réforme électorale ; D : divisions et vivacité de l’opinion libérale ;
E : défense faite aux fonctionnaires de faire partie de l’association
libérale l’Alliance ; F : antagonisme
libéraux-catholiques ; H : influence occulte du clergé (notamment en
matière d’enseignement), I : mesures de soutien en faveur de la population
ouvrière, situation sociale dans les Flandres, crise de l’industrie linière), J :
influence du libéralisme sur la démoralisation politique)
(C
(Lesoinne), B (de Garcia), B,
traité des 24 articles, A, F, E, D (Dolez), traité des 24
articles, B, H (convention de Tournay) (de Theux), B, A
(Mercier), F (de Corswarem),
éloge de la royauté, E, F, traité des 24 articles, B (Dumortier),
A, B (Liedts, de Theux))
b)
Discussion sur les paragraphes. Report de la discussion (Delehaye,
Dubus (aîné), Delfosse, de Tornaco), intervention de la Belgique dans les affaires
du Portugal, reconnaissance du gouvernement espagnol (Osy, Dechamps), relations commerciales avec le Zollverein (industrie
linière et cotonnière) et avec la France (houille) (d’Elhoungne,
Dechamps, Desmet, Dechamps)
(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 82) M. Huveners procède à l’appel nominal à
1 heure un quart.
M. de
Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la
rédaction en est approuvée.
M. Huveners
communique l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur
Léonard-Joseph Peiffer, garde forestier de la forêt domaniale d’Hertogenwltd,
demande exception du droit d’enregistrement auquel est assujettie la
naturalisation ordinaire qui lui a été accordée, et prie la chambre de le
relever de la déchéance de la naturalisation qu’il a encourue, en laissant
passer le délai fixé par la loi. »
- Renvoi à la
commission des pétitions.
________________
« Le sieur
Van Bouwel, avoué au tribunal de première instance de Turnhout et commissaire
de police, demande un traitement spécial du chef des fonctions de ministère
public qu’il remplit près le tribunal de simple police. »
- Renvoi à la
section centrale qui sera chargée de l’examen du budget de la justice.
________________
M. le ministre
de la justice (M. d’Anethan) transmet, avec les renseignements
relatifs à chacune d’elles, vingt demandes en obtention de la naturalisation
ordinaire.»
- Renvoi à la
commission des naturalisations.
RAPPORT TRIENNAL SUR L’EXECUTION DE LA LOI DE
L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux) dépose le
rapport triennal sur l’exécution de la loi de l’enseignement primaire.
- Ce rapport
sera imprimé et distribué.
PROJET D’ADRESSE EN REPONSE AU DISCOURS DU TRONE
Discussion
générale
M. le président. - La
parole est à M. Lesoinne.
M. Lesoinne. - Messieurs,
j’aurais dû demander la parole pour (page
83) un fait personnel, lorsque j’ai été interpellé par l’honorable M.
Delfosse, à la fin de son discours d’avant-hier, parce que les quelques mots
que j’ai à dire me sont en quelque sorte tout à fait personnels.
L’honorable
membre a invoqué mon témoignage pour me faire déclarer que l’irritation et le
mécontentement règnent dans l’Union libérale, comme ils règnent dans
l’association libérale dont il a l’honneur d’être président. Cette déclaration,
je la fais, parce qu’elle est conforme à la vérité, et le ministère, s’il en doute, est mal informé.
Mais en
m’interpellant comme président de l’Union libérale, l’honorable membre m’a en
quelque sorte invité à dessiner ma position vis-à- vis du ministère actuel. Je
pense cependant que le ministère sait à quoi s’en tenir sur le vote que
j’aurais à émettre, si son existence était mise en question, et je me plais à
croire qu’il n’a jamais existé aucun doute à cet égard dans l’esprit de
l’honorable M. Delfosse...
Un grand nombre de membres. - Dans
l’esprit de personne.
M. Lesoinne. -
Depuis que j’ai l’honneur de faire partie de cette chambre, lorsque, sous tous
les ministères qui se sont succédé, une question de cabinet a été posée, mon vote
a toujours été négatif, parce que la marche suivie par ces différents
ministères a été, selon moi, eN sens inverse de l’esprit du gouvernement
représentatif.
Je pense que
dans un gouvernement représentatif, le devoir du gouvernement comme des chambres
est de faire en sorte que le gouvernement soit, autant que possible,
l’expression de la volonté nationale, l’expression du plus grand nombre
d’intérêts ; enfin, je pense que le mot représentatif
doit être autant que possible une vérité.
Pour parvenir à ce
résultat on doit, selon moi, à mesure que les populations s’instruisent, que
l’éducation politique d’un peuple se fait, étendre le cercle des citoyens qui
sont appelés à nommer leurs mandataires ; en un mot, rattacher à l’ordre de
choses actuel le plus grand nombre d’intérêts possible, et appeler à concourir
à leur confection le plus grand nombre d’intelligences possible.
Ces opinions
étaient les miennes, lorsque j’ai eu l’honneur d’être choisi pour mandataire de
la province de Liége ; elles sont encore aujourd’hui ce qu’elles étaient. On
comprend qu’avec des opinions politiques pareilles je n’ai pu prêter mon appui
aux ministères qui se sont succédé, depuis que je fais partie de cette chambre.
Ce n’est pas moi
qui dirai aux électeurs : « Le droit de nommer vos mandataires est
votre propriété. Prenez garde que d’autres ne viennent partager ce droit avec
vous. »
Je blâme
l’égoïsme dans l’individu isolé. Mais ce sentiment qui dessèche le cœur ne peut
exercer qu’une influence minime sur le reste de la société et est plus
particulièrement nuisible à celui qui en est atteint. Mais l’égoïsme exploité
en association est plus dangereux. Dans tous les cas il est contraire à
l’esprit qui doit régner dans un gouvernement représentatif.
J’ai cru devoir faire cette déclaration sincère et
franche, pour que chacun pût apprécier mes opinions, et qu’on ne pût équivoquer
sur mua manière de voir.
Je laisse les
individus qui se disputent derrière leurs journaux se renvoyer mutuellement
l’accusation de coalition avec le parti catholique.
Quant à moi,
j’espère que mes adversaires, comme mes amis politiques, estiment assez mon
caractère pour n’avoir jamais eu aucun doute à cet égard.
M. de
Garcia. - Messieurs, en prenant la parole dans ce débat, mon
intention n’est pas d’imiter certains orateurs qui m’ont précédé, mon intention
n’est pas de les suivre sur le terrain brûlant des accusations, des
récriminations, des personnalités.
Je ne veux pas
davantage vous entretenir des commérages politiques qui se sont passés dans les
coulisses, ni faire des mercuriales ni des biographies sur des hommes vivants
qui ont rendu des services
incontestables à la nationalité du pays.
On a soulevé
aussi la question de l’orthodoxie des principes du pape actuel ; enfin on a
parlé des doctrines délétères et antisociales des jésuites ! Je dois le
reconnaître et le déclarer, ces matières me sont inconnues, et tout ce qui a
été dit à cet égard, n’est pas de nature à justifier les accusations.
Au surplus,
messieurs, ce vaste champ, ce champ sans horizon, dans lequel on s’est jeté
depuis le commencement de cette discussion,
n’est qu’un terrain stérile pour les vrais intérêts du pays.
On parle
d’irritation, ces discussions ne sont propres qu’à l’augmenter. J’ajouterai qu’à cette irritation on ajoute
l’indignation des gens sensés qui voudraient nous voir employer notre temps aux
intérêts matériels de la nation.
Ecartons donc de
nos discussions un terrain semblable, qui doit faire partie du domaine du moraliste
ou de l’historien ; mais qui ne peut appartenir aux questions politiques, ni
aux questions d’intérêts matériels actuels du pays.
La véritable
question politique du moment a été indiquée au début de cette discussion par
l’honorable M. Delfosse ; elle se trouve dans la loi sur l’enseignement moyen.
Prenez-y garde, messieurs ; à cette loi se rattachent tous les principes
politiques de liberté que s’est donnés la Belgique, principes de liberté qui,
dans notre patrie comme chez l’étranger, excitent l’admiration des hommes
sincèrement libéraux.
Ces principes
sont la liberté de la presse, la liberté religieuse, la liberté de
l’enseignement, l’indépendance du pouvoir ou de l’autorité civile.
J’ai épousé de
tout cœur ces libertés, et je les défendrai en toute circonstance avec la plus
grande énergie. C’est en présence de ces grands principes des libertés
constitutionnelles que nous devons envisager la loi sur l’enseignement moyen
qui nous est soumise. Je désire que la loi sur l’enseignement moyen laisse intactes
toutes ces libertés ; car si on touche à une seule pierre de cet édifice,
bientôt et indubitablement il s’écroulera tout entier.
La déclaration
que j’ai faite en abordant la question de la loi sur l’enseignement moyen, ne
doit laisser à personne aucun doute sur ce que je veux dans cette matière. Je
formulerai nettement ma pensée dans un amendement que je me propose d’avoir
l’honneur de soumettre à la chambre.
Je regrette que
l’amendement présenté par l’honorable M. Rogier, par suite des développements qu’il
lui a donnés, soit une censure contre l’épiscopat et contienne tout à la fois
une question de confiance dans le cabinet et une question de principe de loi.
Si l’honorable
M. Rogier veut discuter la question de confiance dans le cabinet, qu’il la pose
nettement, franchement, et nous l’examinerons. Mais s’il ne s’agit que des
principes sous l’influence desquels doit se faire la loi sur l’instruction
moyenne, qu’on la pose aussi nettement et franchement ; mais je repousse de
toutes mes forces un amendement qui a une portée complexe et qui, par cela
même, ne laisse pas une entière liberté dans le vote que nous sommes appelés à
émettre.
D’après ces
considérations, je désire proposer un amendement qui laisse entière à chacun de
nous sa liberté d’agir. Cet amendement a pour but de manifester le vœu de la
chambre en faveur de l’indépendance de l’autorité civile dans les principes qui
doivent présider à la loi d’instruction moyenne.
Je désire que le
gouvernement s’y rallie. Je l’espère d’autant plus qu’il n’est en réalité que
la reproduction de la pensée exprimée par le sénat dans sa réponse au discours
du Trône, et que dans cette assemblée il n’a été fait ni réserve, ni objection
par le cabinet.
Voici,
messieurs, l’amendement que j’ai l’honneur de vous soumettre:
Après cette
phrase : « Celle (la loi) sur l’instruction moyenne réclame une
solution définitive, et nous espérons que cette session ne s’écoulera pas sans
que cette grande question d’ordre moral n’ait été l’objet de nos
délibérations, » je propose d’ajouter: « En examinant ce projet, nous aurons à cœur de donner aux pères de
famille les garanties d’une éducation morale et religieuse, et de maintenir
l’action de l’autorité civile pour l’exercice de ses droits et pour
l’accomplissement de ses devoirs. »
Cet amendement,
au point de vue de la loi sur l’instruction, au point de vue de la véritable
question politique soumise à la représentation nationale, renferme la pensée de
l’honorable M. Rogier.
Si je le juge
préférable à celui qu’il a présenté, c’est parce que pour le vote il écarte
d’une question de principe les questions de blâme et de confiance qu’il a
déduites dans les développements de sa proposition.
Par les courtes
considérations que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre, je pense avoir
justifié l’amendement que je viens d’avoir
l’honneur de vous présenter.
En résumé,
messieurs, je le dis franchement, je veux l’indépendance du pouvoir civil ; et
si quelqu’un venait à répandre des soupçons sur mes intentions, je le déclare à
l’avance, je ne répondrai à ces inculpations que par le rappel au règlement,
par le dédain, par le mépris.
Je dirai
comme l’honorable M. Lesoinne : on me connaît assez pour savoir que je dis ce
que je pense. Mon dernier mot est celui-ci ; je veux l’indépendance du pouvoir
civil en matière d’instruction moyenne ; je désire de tout mon cœur, que le
clergé, enseigné par ce qui se passe autour de lui, prête son concours
bienveillant à l’instruction de la jeunesse pour la rendre morale et
religieuse.
D’un autre côté,
je déclare que je ne me reconnais pas le droit de censurer sa conduite, pas
plus que celui de censurer l’exercice de la liberté de la presse.
Plusieurs voix. -
L’amendement est-il appuyé ?
M. le président. - Je
n’avais pas non plus demandé si l’amendement de M. Rogier était appuyé. Je
comptais consulter la chambre lorsque nous en serions arrivés au paragraphe
premier. Puisqu’on paraît le désirer, je vais le faire.
- Les
amendements présentés par MM. Rogier et de Garcia sont appuyés.
M. Dolez. - Si je n’avais entrevu dans ce débat que la question de
confiance que le cabinet a cru devoir
poser, je me serais borné à émettre un vote silencieux. Il me semblait en effet
que sous ce rapport nous étions tous là où nous étions il y a quelques mois ;
il me semblait que ceux qui avaient voté contre le cabinet, devaient le
repousser encore, tandis que ceux qui avaient cru devoir le soutenir devaient
persévérer dans cette voie. Mais ce débat touche à des intérêts plus relevés, à
la défense desquels me convient le cri de ma conscience et mon dévouement aux
principes qui forment la base de ma foi politique. Ces intérêts je me hâte de
les préciser nettement.
C’est d’abord
l’indépendance du pouvoir civil en matière d’enseignement public ; c’est
ensuite la dignité de l’opposition parlementaire.
Si je n’avais
pas su depuis longtemps quelles étaient, quant à l’indépendance du pouvoir
civil, les tendances intimes du cabinet, je les aurais découvertes dans son
opposition à l’amendement proposé par l’honorable M. Rogier.
Que
demandons-nous en effet par cet amendement ? Nous demandons que la solution
définitive que réclame la loi sur l’instruction moyenne, mette obstacle à des prétentions inconciliables avec les droits et les devoirs
du pouvoir civil. Nous ne réclamons rien de plus.
Et c’est une
pareille prétention, exprimée dans des termes d’une incontestable convenance,
que le cabinet repousse, en attachant à son rejet l’existence du cabinet !
Et pourtant le
principe de l’indépendance du pouvoir civil, personne n’ose le contester, le
méconnaître ; mais le cabinet prétend qu’il est par cela même inutile de le
rappeler ; il repousse cette manifestation de notre pensée comme s’adressant à
une autorité qui doit rester étrangère à nos débats, puisqu’elle n’y est point
représentée.
Ces motifs, je
pourrais les admettre si l’amendement n’était qu’un vain rappel de principes,
sans aucune relation arec des faits actuels, avec de hautes nécessités de
situation.
Mais, messieurs,
cet amendement emprunte sa portée tout entière à des faits dont le souvenir me
faite considérer l’attitude prise dans ce débat par le cabinet comme dénotant
les plus déplorables symptômes pour ce que nous devons attendre de lui dans la
discussion de la loi de l’enseignement moyen, et surtout dans son application,
si, ce qu’à Dieu ne plaise, elle lui était un jour confiée.
Faut-il vous
rappeler que dans l’une de nos villes les plus importantes et les plus
éclairées, une administration communale, à la modération, à la prudence de
laquelle tous doivent rendre hommage, a eu à soutenir avec l’autorité
ecclésiastique une lutte que tous les amis du clergé, que tous les amis
sincères de la religion doivent déplorer de la manière la plus profonde ?
Dois-je rappeler que dans cette ville on a vu l’autorité épiscopale, ne se
contentant point, pour prêter son concours à l’enseignement organisé par la
commune, de pouvoir y enseigner la religion et la morale avec une liberté sans
limites, ne se contentant point d’exercer un contrôle influent sur toutes les
autres parties de l’enseignement, vouloir
plus encore, vouloir s’y arroger une domination sans réserve ? Je me
trompe ; il était une réserve que l’autorité épiscopale admettait, c’était la
réserve des mots ; mais elle protestait contre la réserve des choses.
Eh bien,
messieurs, l’appréciation morale de la conduite de l’autorité communale de
Tournay qui, après avoir épuisé toutes les tentatives d’une désirable
conciliation, a refusé d’abdiquer les droits qui lui étaient confiés ; cette
appréciation, disons-nous, n’appartient-elle point à la juridiction de cette
chambre ?
La conduite de
cette autorité communale si prudente, si sage, si modérée dans son action sur
une question qui emprunte aux circonstances une vaste portée politique, ne
doit-elle pas être de notre part l’objet d’un acte d’adhésion qui, bien que
prudente et sage comme cette conduite elle-même, dise pourtant à quiconque
voudrait renouveler de pareils projets d’empiétement, que nous, représentants
du pouvoir civil, nous ne permettrons jamais qu’ils s’accomplissent !
Voilà,
messieurs, quelle est la véritable portée de l’amendement de l’honorable M.
Rogier. Voilà, messieurs, ce qui fait que cet amendement est, non point une
vaine proclamation de principes, mais un acte de politique éminemment utile,
essentiellement sérieux.
J’ai dit,
messieurs, que l’amendement justifié, par des faits dont je viens de vous
rappeler l’importance, l’était encore par de hautes exigences de la situation ;
et je vous dirai, à cet égard, toute l’étendue de ma pensée, en vous déclarant
que si cet amendement était repoussé, vous rendriez par-là l’adoption d’une
bonne loi sur l’enseignement moyen impossible pour longtemps parmi nous. (Interruption.) Je prie
l’honorable M. Dumortier, qui m’interrompt, de vouloir bien m’entendre ; je
vais prouver ce que j’avance.
Messieurs, si je
suis partisan de l’indépendance du pouvoir civil, je n’en proclame pas moins
qu’une loi véritablement utile, répondant aux désirs des amis de la jeunesse,
ne pourra que bien difficilement intervenir, si elle ne parvient pas satisfaire
tout à la fois et les vœux de l’opinion catholique et les vœux du l’opinion
libérale et, à certains égards, les vœux du clergé. Ces pensées, ce n’est pas
la première fois que j’ai l’honneur de les émettre dans cette chambre ; elles n’ont rien, je pense, qui ne soit
empreint de la tolérance la plus large, de la modération la plus étendue. Eh
bien, messieurs, pour atteindre ce but il est indispensable que les divers
intérêts qui s’y trouvent engagés se pénètrent de sentiments de modération et
de prudence.
Est-ce donc à de
tels sentiments que cède le cabinet, quand, en présence des faits que j’ai
rappelés, il s’oppose à une manifestation qui rappelle à ces pensées de
prudence et de modération l’un des éléments qui doivent concourir atteindre ce
but ?
Ne voit-il pas
que sa conduite est de nature à faire naître des prétentions auxquelles il sera
impossible de satisfaire ? Et qu’on ne dise pas que de telles prétentions ne
sont pas à craindre ; les faits qui ont eu lieu à Tournay ne nous les signalent
que trop !
Oh ! croyez-le
bien, messieurs, si vous voulez vous montrer amis véritables du clergé, si,
comme je n’en doute pas, vous vous préoccupez des intérêts religieux du pays,
donnez par votre vote d’utiles avertissements au clergé ; rappelez-lui que
quelque désireux que vous soyez de le voir concourir dans de justes bornes à
notre enseignement national, il est un prix auquel vous n:accepterez jamais ce
concours. Que si vous refusiez à lui donner cet enseignement, égarés par une
sympathie excessive peut-être, vous seriez et pour le clergé et pour la
religion des amis essentiellement dangereux, malgré toute votre sincérité.
Pour moi,
messieurs, je désire vivement que le clergé belge, qui doit connaître le sens
moral et religieux de nos populations, se pénètre bien de cette vérité que son
action moralisatrice serait d’autant plus active et plus puissante qu’elle se
produira de manière à dépouiller toute pensée de domination sous la seu1e
impulsion de sa mission divine.
J’ai dit,
messieurs, que le débat touchait, par les développements avait reçus, par la
direction que le cabinet lui-même lui avait imprimée, à la dignité, à la
moralité de l’opposition parlementaire. Et vous ne trouverez pas mauvais que
moi, homme d’ordre et d’une modération à laquelle on a souvent reproché d’être
excessive, mais qui depuis six ans me
trouve retenu par ma conviction dans les rangs de l’opposition, je m’émeuve au
nom d’un intérêt aussi grave que celui de sa dignité.
Et ici, messieurs,
j’aurai à m’occuper et des reproches que M. Dedecker a adressés à cette
opposition et de la situation qu’a prétendu lui faire l’un des principaux
membres du cabinet.
Si le pouvoir
s’affaiblit, s’il perd de sa considération, si tous les liens se relâchent, si
tous les ressorts de nos institutions s’énervent, le libéralisme seul en est la
cause ! Voilà l’accusation lancée contre nous par l’honorable député de
Termonde.
A cette
accusation j’oppose d’abord une considération générale, je la corroborerai ensuite
par l’invocation des faits.
On prétend que
c’est nous qui sommes coupables de la déconsidération du pouvoir ! Mais à qui
donc le dépôt sacré de cette considération avait-il été confié ? A qui
donc le soin de le défendre avait-il été remis ? Est-ce à nous, je vous le
demande, M. Dedecker ? Est-ce sur nos bancs que l’on a cherché la majorité qui
devait lui servir de garde ?
Ce dépôt,
n’est-ce pas aux amis de M. Dedecker qu’il a été remis ? N’est-ce pas sur les
bancs où siège cet honorable membre, qu’on a cherché ses défenseurs ? Et quand
le dépôt a été mal gardé, mal défendu, on vient nous dire, à nous : C’est
vous qui l’avait laissé perdre !
Et qu’avons-nous
fait pour cela ? Nous vous avons avertis, à chacune des nombreuses fautes que
vous ou vos amis avez commises ; nous vous avons avertis, en sentinelles
vigilantes, des dangers auxquels vous exposiez ce dépôt. Est-ce là notre crime
? Est-ce ce crime qui mérite l’anathème si violent que vous avez hier prononcé
contre nous ?
Si quelque jour
l’opinion à laquelle j’appartiens, après avoir, pendant de nombreuses années,
exercé le pouvoir, doit venir reconnaître dans cette enceinte que le
gouvernement s’est amoindri entre ses mains, que sa déconsidération s’est
accrue de jour en jour, oh ! alors, je m’humilierai au nom de mon opinion, et
j’avouerai que nous avons été coupables. Mais quand vous seuls aviez été
appelés à conserver intact ce dépôt que vous n’avez su ni garder ni défendre,
ne nous accusez pas des fautes qui n’appartiennent qu’à vous, n’appelez pas sur
nous une responsabilité qui ne peut atteindre que vous.
J’arrive
maintenant aux considérations puisées dans les faits, et je dois dire qu’appelé
sur ce terrain, ce n’est pas sans un sentiment de douleur profonde que je me
trouve reporté par l’honorable M. Dedecker aux événements de 1839. Il est de
ces douleurs de famille dont les fils pieux ensevelissent le souvenir au plus
profond de leur cœur et dont les mauvais frères révèlent les angoisses, afin
l’y trouver des éléments de discorde. M.
Dedecker a failli à son propre caractère en venant réveiller parmi nous
des douleurs de cette espèce.
J’aurais voulu
que chacun de nous gardant dans son cœur la douleur profonde qui a agité le
mien à l’époque des événements de 1839, l’on comprit qu’il était mal d’évoquer
le souvenir de ces tristes événements pour y puiser des arguments dans nos
luttes politiques intérieures. Mais puisqu’on en a parlé, permettez-moi,
messieurs, à moi qui ai été appelé à prendre une part de quelque importance à
ces événements, de relever en
quelques mots le gant qui nous a été jeté.
Messieurs, il y
a eu dans les événements de 1839 deux faits qu’il ne faut pas confondre :
l’adoption du traité, la situation qui avait été faite au pays avant cette
adoption. L’adoption du traité, qu’a-t-elle donc été pour ceux qui l’ont votée
? Je fais un appel aux souvenirs de tous ceux qui faisaient alors partie de
cette chambre l’acceptation du traité a été le résultat d’une cruelle
nécessité...
M. Dumortier. - Non
! non !
M. Dolez. - Je sais à merveille
que, dans son ardeur belliqueuse, l’honorable commandant de la garde civique de
Tournay niait cette nécessité... (Bruit ! interruption.) La chambre me rendra cette justice
que jamais je n’interromps les orateurs qui parlent de questions sérieuses,
L’honorable M. Dumortier n’a pas su respecter cette règle ; il m’a autorisé, je
le pense, à lui répliquer par une plaisanterie qui n’a rien malveillant.
M. Dumortier. - Je
vous répondrai.
M. Dolez. - Je vous écouterai avec beaucoup d’attention et
d’intérêt ; je vous prie seulement de vouloir m’écouter avec un peu
d’indulgence.
Je disais que, à part la conviction que pouvaient
avoir quelques-uns de nos collègues, il avait paru impossible à la Belgique de
résister aux décisions des grandes puissances, que tous ceux qui ont adopté le
traité, qu’ils fussent catholiques ou libéraux, pensaient que c’était là une
cruelle nécessité, mais une nécessité à laquelle nous ne pouvions pas nous
soustraire.
Si le pouvoir a,
dès cette époque, vu sa considération, recevoir une première atteinte, ce n’a
pas été par l’adoption du traité. Ce qui a porté une atteinte douloureuse à la
dignité du pouvoir, c’est l’attitude que le pouvoir avait prise avant
l’adoption du traité ; c’est surtout cette imprudence d’avoir mis dans la
bouche du plus auguste personnage des paroles destinées à devenir tristement
proverbiales. Et cet acte, qui devait peser d’une manière funeste sur le
pouvoir, sur sa (page 85) dignité,
est-ce nous qui l’avons posé, est-ce nous qui en sommes coupables ?
Est-ce nous qui,
quelques mois plus tard, remettions en honneur la trahison par la réintégration
du général Vandersmissen dans l’armée ? Cet acte si propre à déconsidérer le
pouvoir, n’est-ce pas nous, au contraire, qui l’avons le plus vivement flétri ?
Est-ce nous qui
en 1840 avons introduit dans cette enceinte des habitudes d’opposition tracassière
sans motifs ?
M. Dedecker. - Ce n’est pas moi non plus.
M. Dolez. - Mais, quand vous parlez d’un parti tout entier, c’est
sans doute par opposition à l’autre parti
que vous nous accusez.
Est-ce nous qui
en 1841 transformions en agents électoraux les fonctionnaires des finances ?
Est-ce nous qui les chargions de tâcher d’éliminer de la chambre les hommes qui
naguère étaient leurs chefs et de qui ils avaient reçu des bienfaits ?
Est-ce nous qui
dans la loi sur le jury d’examen avons fait descendre le pouvoir au rôle le
plus défavorable ? Est-ce nous qui, en matière d’enseignement, suspectons la
moralité de celui qui se donne au nom des institutions du pays ? Est-ce nous
qui avons donné au pays le triste exemple du mépris de la chose jugée,
l’exemple non moins triste de la mise en liberté d’un fonctionnaire
prévaricateur que la justice avait flétri ? Est-ce nous qui avons fait pénétrer
dans toutes les catégories de fonctionnaires, à quelque rang qu’ils
appartiennent, cette pensée délétère, qu’il ne faut espérer d’avancement, ni
obtention d’emploi, si la faveur ne vous protège ? Est-ce nous, enfin, qui
oublions qu’il est de ces choses qu’il tant
toujours tenir comme sacrées, qui avons enlevé au signe de l’honneur
tout son prestige en le distribuant à tous les genres de service avec une
prodigalité qui encombre chaque matin les colonnes du Moniteur ?
M. Dedecker. - Je désapprouve
tout cela comme vous !
M. Dolez. - Vous reconnaissez donc avec nous que les causes de
l’irritation qui inquiète le pays, bien que le ministère le nie, proviennent de
vos amis et non pas de nous qui les avons combattus avec toute la force de
notre conviction, et qui continuerons à les combattre parce que nous sommes
convaincus que leur présence aux affaires est fatale au pays.
Cet exposé que
j’aurais pu rendre plus long, vous signale les véritables causes de la
situation dangereuse que mon patriotisme déplore.
Mais n’avons-nous
pas tort de croire à une telle situation ? Est-ce que le calme et la quiétude
règnent autour de nous, comme l’a soutenu le cabinet ? Je sais qu’il est
difficile d’établir que le pays est calme ou que le pays est agité. Souvent
chacun le verra calme ou agité suivant que sa propension le porte vers le calme
ou vers l’agitation. Aussi n’entreprendrais-je pas de prouver que c’est se
faire une dangereuse illusion que de croire que le calme règne dans le pays,
que sa situation est régulière et normale, si je n’avais à emprunter mes preuves à des actes
posés par le ministère lui-même. La chambre me permettra de ne pas faire trêve
à mes habitudes, de lui parler avec la plus entière franchise ; je veux parler
des mesures prises à l’égard des fonctionnaires publics et de certaines
poursuites dont il a déjà été question dans ce débat.
Et d’abord je
m’occupe des poursuites judiciaires.
A l’époque où
des publications essentiellement blâmables, et la chambre comprendra
parfaitement pourquoi je me borne à les qualifier ainsi, à l’époque où de
pareilles publications parurent, le cabinet ne poursuivit pas, et je n’hésite
pas à dire qu’il a bien fait.
Un mois après,
messieurs, le cabinet a poursuivi, et je n’hésite pas à dire qu’il a encore
bien fait.
Mais pourquoi
a-t-il bien fait ? Pourquoi, un mois avant, ne fallait-il pas poursuivre ?
Pourquoi, un mois après, fallut-il le faire ? Messieurs, interrogez le passé ;
jetez un regard en arrière, et la réponse vous sera faite. Je vais vous la
signaler sans détours.
Messieurs, ce
n’est pas la première fois que des publications de ce genre ont paru dans notre
pays ; et cependant il n’a pas fallu les poursuivre, et pourquoi ? Messieurs,
je le dis avec douleur, c’est parce qu’alors toutes nos institutions étaient
entourées d’affection, de respect, de vénération ; c’est parce qu’alors
l’opinion publique seule suffisait à faire justice de ces turpitudes. Voilà
pourquoi vous avez bien fait d’abord de ne pas poursuivre, espérant que, dans
l’affection et le respect dont l’opinion publique entourait autrefois nos
institutions, des poursuites judiciaires étaient sans utilité.
Mais, messieurs,
quand le cabinet a dû reconnaître que l’opinion publique ne réagissait plus
avec la même force, quand le cabinet a compris qu’il fallait mettre nos
institutions les plus saintes sous la protection des lois, il a poursuivi, et
je le répète, il a bien fait. Mais, messieurs, n’est-ce pas un symptôme qui
vous effraye, n’est-ce pas un symptôme qui vous désole, que cette nécessité de
placer nos plus saintes institutions sous une protection dont elles n’avaient
jamais eu besoin jusqu’ici ?
Messieurs, la
mesure prise à l’égard des fonctionnaires publics est également le symptôme
d’une situation difficile, d’une situation dangereuse.
Je ne recule
pas, messieurs, devant l’expression de mes principes sur cette matière si
délicate ; je veux les exposer nettement à la chambre.
Je considère,
messieurs, qu’il est, en matière de droits politiques, une distinction
fondamentale qu’il ne faut pas perdre de vue. Il est des droits politiques dont
l’exercice est de simple faculté ; il en est d’autres dont l’exercice comporte
le caractère du devoir.
Pour les droits
politiques de simple faculté, je reconnais au gouvernement le droit de dire ses
fonctionnaires qu’il ne consent pas à l’usage de cette faculté. Ainsi, par exemple, je reconnais au
gouvernement le droit d’interdire aux fonctionnaires de faire partie
d’associations politiques ; je reconnais au gouvernement le droit d’interdire
aux fonctionnaires d’accepter une candidature quelconque, parce que le droit de
faire partie d’une association politique, le droit d’accepter une élection,
tout cela n’est qu’une faculté de la part des citoyens.
Mais quand le
fonctionnaire est électeur, quand il est élu, alors le droit politique est un devoir
pour lui. Le fonctionnaire public doit donc être un électeur libre, il doit
être un député complétement indépendant, parce que dans l’un et l’autre cas, je
le répète, ce n’est pas une faculté qu’il exerce, c’est un devoir qu’il remplit
; et tous, messieurs, dans l’accomplissement des devoirs, nous ne devons
vouloir ni pour nous, ni pour les autres, d’autre guide que la conscience.
Mais la bonté de
notre caractère national, la quiétude de nos mœurs politiques, avaient fait que jusqu’ici on avait reconnu que
sans danger les fonctionnaires publics pouvaient prendre part à des
associations politiques, s’occuper de choses auxquelles en bonne règle ils auraient peut-être bien fait de ne point
prendre part.
Pourquoi donc aujourd’hui cette appréciation de conduite a-t-elle
dû changer ? Pourquoi le ministère a-t-il pensé que ce qu’on avait vu faire
sans danger, il fallait ne plus le laisser faire aujourd’hui ?
N’hésitons pas à
le dire, C’est parce que le ministère reconnaissait que le calme ne régnait pas
dans le pays, parce qu’il reconnaissait que la quiétude de nos mœurs politiques
a disparu sous l’influence
fatale que j’ai signalée tantôt.
Regardons donc,
messieurs, comme un fait acquis non seulement à ces débats, mais à nos
convictions, que la situation du pays, n’est pas calme, qu’elle n’est pas
rassurante, et qu’elle demande de la part de tous une grande prudence, un grand
dévouement aux intérêts de la chose publique.
L’honorable
ministre des finances vous a parlé à deux reprises différentes de la situation
de l’opposition parlementaire. Il est loin de ma pensée, messieurs, de vouloir
lui contester le droit de s’enquérir de cette situation.
Je pense avec
lui, que la situation de l’opposition appartient au parlement aussi bien que la
situation de la majorité, que la situation du cabinet.
M. le ministre
des finances en se livrant à cet examen en a tiré cette conséquence que
l’opinion libérale parlementaire s’était affaiblie.
Je veux admettre
par hypothèse ce prétendu affaiblissement. Croyez-vous que le gouvernement se
soit montré ami bien clairvoyant de son pays en venant s’en féliciter devant
vous ? Croyez-vous donc que cet affaiblissement, s’il existe, soit de nature à
améliorer cette situation que je vous ai signalée tout à l’heure ?
Quant à moi,
messieurs, je ne crains pas de le dire, s’il était vrai, comme le disait hier
M. Dedecker, que l’opposition parlementaire fût devenue aujourd’hui la minorité
de la minorité, je dirais que c’est un mal
profond, dangereux, qui appelle toutes vos méditations, toute votre prudence.
En effet,
messieurs, ne serait-ce pas un péril bien grave que de voir une opinion
puissante, active, se séparant de l’opposition parlementaire, se séparant
d’hommes qui ont donné à nos institutions des garanties profondes de dévouement
? Ne serait-ce pas un mal ? Ne serait-ce pas un danger ? Je gémis, messieurs,
quand je vois que ce danger, alors qu’on croit à sa réalité, n’arrache à l’un
des hommes les plus distingués que le cabinet et cette chambre comptent dans
leur sein, qu’un inutile cri de triomphe.
Je n’ignore pas,
messieurs, qu’au point de vue d’un intérêt du moment, la division de l’opinion
libérale peut présenter au ministère quelque chance de durée. Mais il me semble
que MM. les ministres doivent porter leurs regards, leurs préoccupations plus
loin ; et qu’à côté ou plutôt au-dessus de leur existence, ils doivent voir la
stabilité de nos institutions.
Est-il vrai,
d’ailleurs, que les faits qui se sont accomplis dans ces derniers temps aient
affaibli l’opinion libérale parlementaire ? Je puis parler, messieurs, de ces faits avec impartialité, puisque
je n’appartiens à aucune espèce d’association politique ; je suis donc simple
spectateur de certaines dissidences qui peuvent s’établir entre elles.
Eh bien,
messieurs, cet affaiblissement, je déclare que je n’y crois pas.
Je ne connais rien de plus propre à fortifier une
opinion politique, que de la voir donner des preuves irrévocables de sa
sincérité.
Pour combattre
l’opposition parlementaire, que lui reprochait-on d’ordinaire ?
On lui
reprochait de manquer de modération, de prudence.
Et il a suffi
aux hommes de cette opposition de croire que parmi ses alliés se manifestaient des symptômes d’idées qu’ils
considéraient comme peu sages, comme incapables d’affermir les institutions du
pays, pour qu’ils se séparent de ces auxiliaires.
Etait-il
possible de répondre d’une manière plus décisive aux accusations dont tant de
fois vous les avez rendus l’objet ? Etait-il possible de donner au pays des preuves
plus certaines de la prudence et de la modération qui leur servent de guide ?
Et ne croyez pas
que si, d’une part, l’opposition parlementaire perd peut-être par cette
conduite quelques alliés, d’autre part, elle appelle à elle une foule d’hommes prudents,
d’hommes sensés, qui sauront (page 86)
désormais ce qu’ils doivent penser des reproches d’exagération et d’imprudence
dont cette opposition avait été si souvent l’objet.
Il est désormais
établi que s’il est dans le pays une opinion essentiellement conservatrice, une
opinion conservatrice par le
progrès sage et prudent, par le jeu régulier de nos institutions ; cette
opinion, c’est l’opposition libérale parlementaire ; et je crois trop bien
connaître mon pays pour pouvoir croire qu’il y ait pour nous, dans une telle
situation, du symptôme d’affaiblissement.
Mais qu’on ne
s’y trompe pas. Ce que je dis en ce moment, ce n’est par une accusation contre
une autre fraction du libéralisme.
Je pense, et je
n’hésite pas à le dire, qu’au sein de cette nuance se trouvent des hommes dont
les principes seraient sous plus d’un rapport antipathiques aux miens.
Mais je sais
d’autre part qu’il y a, dans cette opinion, une foule d’hommes qui ne sont
séparés de nous que par l’ardeur généreuse de leur âge, une foule d’hommes qui,
en définitive, pensent comme nous, encore bien que sous l’influence de cette
ardeur ils soient tentés de trouver notre marche trop prudente et trop lente.
Au reste, M. le ministre des finances, soyez-en
sûr, votre cri de triomphe, vous l’avez poussé trop tôt. Il sera pour toutes
les nuances du libéralisme un avertissement qui ne sera pas perdu.
Mais enfin,
messieurs, le cabinet croit que nous sommes affaiblis, et parce qu’il croit que
nous sommes affaiblis il se hâte de jeter dans ces débats une question de
cabinet que rien ne justifiait. Savez-vous pourquoi ? Le ministère pense qu’au
sein de notre opinion, qu’au sein de cette minorité si considérable qui s’est
prononcée contre lui, il y a quelques mois, se trouvaient de ces hommes qui
saluaient le soleil levant de l’opinion libérale. Il pense que maintenant que
quelques nuages semblent obscurcir les rayons de ce soleil, il peut compter que
ces hommes déserteront son culte.
Cette conduite
du ministère est digne de tout notre blâme. Sans doute, il est légitime, de la
part du pouvoir, de chercher à appeler à lui des partisans nouveaux ; mais ces
conquêtes, c’est par sa conduite, c’est par la bonté de son administration, la
pureté de sa politique qu’il doit les tenter. Elles sont alors pour lui de véritables
éléments de force, elles honorent le pouvoir qui a su les réaliser par de
telles voies.
Mais telles ne seraient pas les conquêtes que vous
réaliseriez, si vous parveniez à enlever quelques voix à une opinion que vous
croyez momentanément affaiblie par un accident survenu au milieu de sa marche
progressive. Si, ce qu’à Dieu ne plaise, vos espérances pouvaient s’accomplir,
vous n’en seriez pas plus fort ; et nous, la douleur au cœur, nous aurions à
déplorer quelques réputations ternies, quelques belles et utiles influences
profondément affaiblies, et à accuser le ministère d’avoir porté une nouvelle
atteinte à la moralité, au respect des institutions du pays. (Très bien ! Applaudissements dans les
tribunes.)
M. le président. - Les tribunes sont prévenues que je
ne donnerai plus un nouvel avertissement.
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
s’il est une chose vraie dans le gouvernement représentatif, c’est que les ministres
doivent s’attendre, quelle que fût la nécessité des actes qu’ils ont posés,
quelle que soit leur utilité pour le pays, à les voir critiquer par ceux-là
mêmes qui les acceptent de leurs votes.
En effet,
messieurs, c’est ce que nous avons vu, particulièrement en ce qui concerne le
traité de 1839. Cet acte a été reconnu d’une nécessité indispensable, et
cependant il a été l’objet de vives critiques de la part de plusieurs hommes
qui l’ont accepté.
Sans doute,
messieurs, la critique peut être fondée quelquefois. Mais nous avons été
étonnés d’entendre émettre ces critiques par un honorable ex-ministre qui, dans
la séance d’hier, nous a en quelque sorte annoncé que s’il avait eu l’honneur
d’être ministre à cette époque, le traite n’eût pas été conclu, la Belgique eût
échappé au morcellement.
M. Lebeau. - Qui
a dit cela ?
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C’est
l’honorable M. Rogier ; c’est au moins ce que j’ai compris dans ses paroles.
L’honorable
membre, messieurs, qui nous a adressé ces critiques sévères, a sans doute perdu
la mémoire de celles dont il a été lui-même l’objet. Nous avons rappelé,
messieurs, ce qui s’était passé à l’égard de l’honorable M. Lebeau à l’époque
des 18 articles. Nous nous sommes rappelé, messieurs, deux autres circonstances
où l’honorable membre a été lui-même l’objet de critiques bien plus amères.
Vous n’avez pas oublié la mémorable discussion de l’adresse dans la session de
1832, alors que le ministère dont cet honorable membre faisait partie, avait
consenti à la remise de la moitié du Limbourg et du Luxembourg contre la remise
des forts de Lillo et de Liefkenshoek, sans que le traité fût même signé par le
roi des Pays-Bas.
Vous n’avez pas
oublié, messieurs, cette mémorable discussion de la session de 1833, qui a
amené de nouveau la retraite du ministère et la dissolution de la chambre, et
pourquoi encore ? Parce qu’on imputait à ce ministère un caractère de faiblesse
et l’inintelligence de nos intérêts. Vous n’avez pas non plus oublié,
messieurs, la discussion qui s’est élevée à la suite de la négociation de 1833.
Vous savez que dans cette négociation de 1833, la question du territoire n’a
pas même été soulevée par notre honorable contradicteur.
Et c’est,
messieurs, lorsqu’on a été en butte à de semblables attaques que l’on ne craint
point d’attaquer ses successeurs… ! Je m’arrête.
Nous ne
répéterons point ce que nous avons dit dans la séance d’hier sur le discours
d’ouverture ; ce que nous avons dit est encore présent à notre mémoire.
« Mais,
dit-on, après avoir fait passer le traité de 1839, le ministère a réhabilité la
trahison dans l’armée.’ Eh, messieurs, si l’on ne voulait point de l’amnistie pour les
militaires, il fallait alors rejeter la clause du traité qui consacrait
l’amnistie.
L’honorable
membre, messieurs, s’étonne que nous ayons fait une question de cabinet de
l’amendement proposé par l’honorable M. Rogier ; c’est dit-il, détourner
l’attention de la chambre de la véritable question qui était l’objet du débat.
Eh bien, messieurs, l’honorable M. Rogier lui-même a eu la bonne foi de reconnaître que son amendement
renfermait la question de cabinet, et l’honorable M. Lebeau a donné son
adhésion à la déclaration de M. Rogier.
En effet, messieurs,
il ne faudrait point avoir le sentiment de sa dignité pour accepter la
proposition qui a été la conséquence des développements donnés par l’orateur.
Les deux
opinions, dit l’honorable M. Dolez, doivent adhérer à cet amendement ; le
clergé lui-même doit y donner son assentiment ; sans doute, messieurs, il exige
aussi que le ministère souscrive en quelque sorte à sa condamnation.
Messieurs, la
question de cabinet a été nettement précisée ; elle a été motivée uniquement,
exclusivement sur le discours de l’honorable M. Rogier. Si, messieurs, nous
avions vu dans cet amendement une autre intention que celle de blâmer le
cabinet, une autre intention que celle de blâmer l’épiscopat (car je ne nie
point que cette double intention se trouve dans l’amendement), si l’intention
de l’honorable membre avait été seulement de provoquer l’expression de la
pensée à la chambre sur la nécessité de sauve garder les droits et
l’indépendance du pouvoir civil, ainsi que l’a fait le sénat, nous ne nous
serions pas opposés à une semblable proposition. Et, en effet, messieurs au
sein du sénat nous n’avons élevé en aucune manière la voix contre la rédaction
de l’adresse ; tout au contraire, nous y avons donné notre plein assentiment ;
nous avons déclaré que cette adresse ne renfermait rien autre chose que ce que
nous avions constamment mis en pratique et que nous regardions comme une vérité
incontestable.
Mais, messieurs,
faites-y bien attention ; les amendements sont rédigés d’une manière tout à
fait différente : dans l’adresse du sénat, on mettait en première ligne
les intérêts de la religion et de la morale comme base de l’éducation de la
jeunesse, et, à côté de ce grand principe, on plaçait celle de l’indépendance
du pouvoir civil. Est-ce à dessein que la religion et la morale sont écartées
de la proposition de l’honorable M. Rogier ?
M. Rogier. - Nous
rétablirons ces mots, si vous le voulez.
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je n’accepte
aucun amendement de votre part, parce qu’un amendement de votre part ne se
séparerait jamais des développements que vous avez donnés...
M. Rogier. - Et
que je maintiens.
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Vous avez
raison de le maintenir ; mais j’ai raison, moi, de les combattre.
Messieurs, les
hommes qui sont aujourd’hui mis en suspicion par l’honorable membre, ont été
mieux traités par lui lorsqu’il était au ministère de l’intérieur. C’est ainsi
que moi, en particulier, j’ai eu honneur d’être demandé par lui pour faire
partie de la commission chargé de rédiger le projet de loi sur l’enseignement,
et j’ai droit de réclamer quelque part des éloges que l’honorable membre
adressait à la commission, tant en présentant le projet de loi, que dans la
discussion de la loi sur l’instruction primaire, en 1842. Voulez-vous savoir,
messieurs, de quelle manière l’honorable membre s’exprimait encore en 1842 ?
Cependant, en 1842, nous étions aussi bien connus que nous le sommes
aujourd’hui ; rien n’est changé dans notre manière de faire ; rien n’a changé
dans notre opinion.
« J’ai eu
l’occasion de dire l’année dernière, dit M. Rogier, que, sous le point de vue
moral et religieux, la loi de 1834 n’était pas complète, et qu’il fut
nécessaire d’y introduire de nouvelles garanties dans l’intérêt de l’opinion
catholique ; je tenais le premier à m’associer aux propositions que l’on ferait à cet égard en
défendant le projet de loi de 1834, je démontrais que le projet de 1842 est
beaucoup plus incomplet que celui de 1834, et que si le ministre avait fait
sagement, il se serait renfermé dans le projet de loi primitif. D’ailleurs la
commission qui était composée d’hommes si honorables, d’hommes si éminents par
leur esprit de sagesse et de tolérance, n’a pas cru faire œuvre parfaite ; elle
offrait à la législature une œuvre susceptible d’être perfectionnée d’abord par
la discussion, ensuite par la pratique. »
Messieurs, les
critiques sévères que l’honorable membre a adressées dans cette discussion au
clergé, au sujet de l’enseignement, au sujet d’élections, il ne les lui
adressait point lorsqu’il était au banc des ministres. Cependant, messieurs, en
1835 le clergé a prêté à cet honorable membre un concours aussi actif qu’il
pouvait le désirer. Il ne niera point que plusieurs de ses amis ont provoqué
instamment le concours du clergé dans les élections. Non, messieurs, à aucune
époque de la carrière ministérielle de cet honorable membre, il n’a adressé au
clergé au blâme.
Messieurs, nous
avons déjà dit que les amendements que nous avons proposés à la loi
d’enseignement moyen donnent au pouvoir civil la plus complète garantie
d’indépendance. Ce que nous avons dit à cet égard, nous le maintenons :
aucune intervention dans les nominations, quant aux athénées, quant aux
collèges communaux, n’est permise aux termes du projet de loi.
Voilà,
messieurs, en quoi consiste la véritable indépendance du pouvoir civil, comme,
d’autre part, aucune contrainte ne peut être exercée à l’égard du clergé,
lorsqu’il juge convenable de s’abstenir.
Messieurs, la
convention de. Tournay semble devoir être l’objet du blâme que l’opposition
veut formuler.
Je ferai d’abord
remarquer que
cette œuvre, qui n’est pas même arrivée à maturité, échappe à nos débats. Nous
n’avons ni à louer le conseil communal, ni à blâmer l’évêque ; ce que nous
avons à faire, c’est d’élaborer une bonne loi sur l’enseignement moyen, c’est
de formuler d’une manière claire et précise les droits et les devoirs des autorités
publiques.
Mais qu’on ne
vienne pas, par une motion vague, indéfinie, en quelque sorte, préjuger la
discussion du projet. Vous avez déjà remarqué, messieurs, combien l’amendement
de l’honorable M. Rogier diffère de la proposition du sénat. Adopter cet
amendement, ce serait faire croire au pays que les deux chambres sont en
désaccord sur un des points capitaux. Mais, messieurs, cette convention de
Tournay ne pourra plus se reproduire sous l’empire de la loi que vous êtes
appelés à voter.
Cette convention,
messieurs, apprécions-la dans sa réalité. Quel article a excité tant de
susceptibilités ? C’est l’article par lequel le conseil communal s’engageait à
soumettre à l’évêque la liste des candidats ; l’évêque faisant ses
observations, le conseil communal devait y faire droit.
Nous avons dit,
messieurs, qu’évidemment, si l’on considérait dans cette convention un lien
quelconque, cette convention était incompatible avec la loi communale et avec
les amendements que nous avons présentés et qui tranchent nettement la
question. Mais, messieurs, tout en admettant cette circonstance, que la
convention imposait en quelque sorte à l’administration communale un lien
moral, soyons de bonne foi et convenons que la convention n’accordait
réellement à l’évêque aucune espèce de droit, le conseil communal demeurant
toujours libre de faire telles nominations qu’il lui aurait plu de faire. Dans
tous les cas, il suffisait d’une simple dénonciation pour se délier de la
convention. Mais si le conseil communal était lié, l’évêque de son côté était
lié à laisser à l’athénée le principal qu’il lui avait donné.
Toutefois une
chose qui a échappé à l’attention publique, c’est que la convention dont on a
fait tant de bruit, était pour l’évêque de Tournay la chose la plus mauvaise
qu’on pût imaginer. Peu de mots me suffiront pour le prouver.
En effet,
l’évêque s’engageait à faire des observations, quant à la religion et aux
mœurs, sur la liste de candidats que l’administration communale lui aurait
communiquée. Or, messieurs, pense-t-on que dans la pratique l’évêque eût jamais
pu se prévaloir de cette prérogative ? Que de haines, que d’immenses embarras
ne se serait-il pas attirés ? Ces objections, qui auraient dû être communiquées
au conseil communal, fussent venues nécessairement à la connaissance des
candidats ; dès lors, je dis que cette convention n’aurait pas été mise en
pratique deux fois de suite ; une seule
expérience l’aurait arrêtée tout court dans son exécution.
Il faut savoir
avec quelle prudence on émet les avis même confidentiels, en ce qui concerne
les candidats aux emplois, et alors que ceux qui formulent ces avis ont droit
de compter sur la discrétion des autorités supérieures et des bureaux. S’il est
une chose difficile à obtenir, ce sont des éclaircissements vrais sur les
diverses circonstances qui rendent un candidat inhabile à l’emploi qu’il
postule.
Je dis donc,
messieurs, que, d’une part, cette convention qu’on veut vous faire blâmer et
qui n’est pas arrivée seulement à l’état de vie, n’est plus possible, si vous
adoptiez les dispositions qui vous ont été proposées. Je dis, d’autre part,
qu’on a singulièrement exagéré la portée de la convention.
Ainsi, messieurs, abordons franchement la question.
Voulez-vous porter atteinte au cabinet ? Votez franchement la proposition de
l’honorable M. Rogier. Voulez-vous faire une espèce de profession de foi,
inutile, à la vérité, mais admissible, parce que tout le monde est d’accord sur
le principe qu’elle renferme, votez l’amendement de l’honorable M. de Garcia,
et vous serez d’accord avec le sénat.
Quant à nous,
messieurs, nous attendrons avec confiance le vote de la chambre. Notre
intention est de ne plus prendre part aux débats ; nous avons exposé notre
pensée tout entière, nous n’avons plus rien à y ajouter.
M. Mercier. - Mon
honorable ami M. Dolez, dans le discours si brillant qu’il vient de prononcer,
a oublié une chose, une chose essentielle, selon moi ; c’est de parler d’un
grand acte posé par le ministère depuis le vote politique auquel il a fait
allusion, d’un vote essentiellement libéral, la présentation du projet de loi
sur l’enseignement moyen, objet qui est pour ainsi dire exclusivement en cause
dans nos débats actuels.
?
Pour moi,
messieurs, je pense que c’est par ses
actes qu’il faut juger le ministère, et qu’il serait injuste de le condamner
par la seule raison qu’il existe tel que nous le voyons constitué.
Comme beaucoup
d’honorables membres de cette chambre, je regrette que l’opinion libérale ne
soit pas largement représentée dans le cabinet ; à cette cause doivent être
attribuées les défiances si vives qui à son avènement se sont révélées dans une
partie de cette chambre. Toutefois, rendant hommage à la vérité, je ne puis
passer sous silence qu’il est à ma connaissance et à celle de quelques-uns de
mes honorables collègues, que plusieurs membres du ministère ont fait de
nombreux efforts et ont offert sincèrement de se retirer pour amener une
combinaison dans laquelle les deux opinions fussent convenablement partagées.
Permettez-moi,
messieurs, de rappeler deux circonstances politiques qui, sous un rapport,
présentent de l’analogie avec la situation actuelle.
Le ministère,
formé en 1840, a proclamé que ses principes devaient convenir à tous les hommes
modérés, à quelque nuance d’opinions qu’ils appartinssent ; il a fait appel à
leur concours, il a cru que tous pouvaient honorablement le lui donner. La même
pensée doit avoir animé les honorables membres de cette chambre qui, en mars
dernier, s’étaient réunis pour former une administration libérale homogène ;
eux aussi comptaient sur l’impartialité et l’appui des hommes modérés de
l’opinion catholique, puisqu’ils
ne demandaient pas à la Couronne la dissolution immédiate et préalable des
chambres et qu’ils ne pouvaient gouverner sans quelques-unes de leurs voix.
Serait-il
conséquent, serait-il sage de faire preuve de moins de tolérance qu’on n’en
attendait naguère encore de la part de ceux qui n’appartiennent pas à la même
opinion ? Ne serait-ce pas montrer que l’on réclamait d’eux ce que l’on n’était
pas disposé à faire soi-même dans une semblable occurrence ?
Pour ma part,
messieurs, je ne commettrai pas cette inconséquence ; ma conduite vis-à-vis du
cabinet ne sera déterminée que par ses actes ses déclarations et ses
engagements. Depuis son avènement, nous l’avons vu agir ; voyons ce qu’il a
fait.
Je dirai d’abord
que dans l’ensemble des paroles prononcées par M. le ministre de l’intérieur, je trouve la déclaration explicite
qu’il entre dans la volonté du cabinet de faire respecter les droits du pouvoir
civil ; ceux qui se plaisent à rendre un éclatant hommage à la loyauté de M. de
Theux, ne peuvent révoquer en doute la sincérité de cette promesse.
Le cabinet prend
en outre l’engagement de faire droit à un vœu particulièrement exprimé par
l’opinion libérale, celui de mettre le nombre des membres de la représentation
nationale en rapport avec le chiffre de la population du royaume.
Enfin, la loi
sur l’instruction secondaire, qui nous est soumise, est un acte de complète
indépendance ; elle fait une large part à l’intervention directe de l’Etat ;
elle est libérale ; elle est gouvernementale.
Elle a reçu,
dans les sections, le plein assentiment de beaucoup de membres considérables de
l’opposition. Ce projet, dont le cabinet sollicite vivement la discussion,
interdit évidemment, tant pour les athénées que pour les collèges communaux,
des conventions de la nature de celle à laquelle il a été fait allusion dans le
cours de cette discussion. C’est d’ailleurs ce que vient de déclarer
formellement l’honorable ministre de l’intérieur.
Ce projet, il
faut bien en convenir, a été accueilli avec faveur par l’opinion publique ; il
a fait renaître la confiance et l’espoir chez un grand nombre de ceux qui,
depuis longtemps, appellent sincèrement de leurs vœux l’union et la
conciliation parmi les hommes modérés de différente nuance d’opinions ; chez
ceux qui apercevaient un danger pour l’Etat dans le profond dissentiment qui
semblait régner entre deux grandes fractions du pays, sur les plus hautes
questions sociales, et notamment à l’égard de l’organisation de l’enseignement
moyen.
L’appréciation
que je viens de faire des actes et des intentions du gouvernement me décide à
voter en faveur de l’adresse.
Quant à
l’amendement proposé par l’honorable député d’Anvers, ses termes sont en tout
point conformes aux principes qui servent de base au projet du gouvernement.
La déclaration
qu’a faite M. le ministre de
l’intérieur, il y a un instant, qu’une convention semblable à celle de Tournay
ne serait plus possible si le projet proposé était converti en loi ne plus
laisser subsister le moindre doute à cet égard.
Un
membre. - A-t-il fait
cette déclaration ?
M. Mercier. - Oui,
de la manière la plus explicite.
L’honorable M.
Dolez, dont je me vois à regret séparé dans le vote que je vais émettre, a pensé à tort que le
rejet de l’amendement présenté par M. Rogier rendait désormais impossible une
bonne loi sur l’enseignement moyen. C’est le contraire qui arrivera, puisque
l’application de cet amendement se trouve bien formellement dans le projet de
loi tel qu’il est présenté par le cabinet ; je repousse donc cet amendement,
puisqu’il me paraît injuste, inconséquent d’infliger un blâme au ministère
précisément à l’occasion d’un acte que nous désirions tous, et qui ne mérite
que des éloges.
En manifestant
cette intention, je respecte l’opinion contraire exprimée par plusieurs honorables
collègues, et j’espère que, de leur côté, ils voudront bien aussi n’attribuer à
ma conduite opposée à la leur qu’à une conviction sincère et consciencieuse.
Plusieurs voix. - La
clôture ! la clôture !
M. de
Corswarem. - Si la chambre veut clore la discussion,
je renoncerai à mon tour de
parole, mais j’en userai si la discussion continue.
M. Dumortier. - Mon intention n’était de
parler qu’à la fin des débats, je ne veux pas interrompre le tour de parole,
mais si l’intention la chambre était de clore la discussion, je demanderais à
être entendu comme rapporteur.
- La chambre
consultée continue la discussion.
M. de
Corswarem. - Messieurs, depuis que j’ai l’honneur
de siéger parmi vous, je me suis
constamment abstenu de prendre part aux discussions politiques soulevées chaque
année dans cette enceinte. J’aurais continué à garder cette réserve et à ne me
mêler que des discussions d’intérêts matériels, si un fait saillant et se reproduisant
constamment dans la discussion actuelle, ne fût venu me frapper.
Ce fait, c’est
la tactique de l’opposition de vouloir imputer tous les mauvais résultats,
produits ou provoqués par elle, à la ligne de conduite (page 88) suivie jusqu’à présent par le cabinet actuel et par
l’opinion conservatrice dont il est sorti.
C’est ainsi que
nous voyons l’opposition vouloir reprocher aux autres les atteintes portées à
l’esprit national, celles
portées au sentiment dynastique et celles portées à l’amour de nos institutions libres.
Elle sait
cependant parfaitement le contraire, et si elle ne le sait pas (je le déclare
sans hésiter), elle est complétement aveuglée sur tous les résultats qu’elle a
produits, qu’elle produit journellement et que, selon toutes les probabilités,
elle produira malheureusement encore pendant trop longtemps.
L’honorable M.
Dedecker vous a déjà signalé cette tactique sous le point de vue le plus relevé
; permettez-moi de vous le signaler, à mon tour, sous le point de vue de la
réalité la plus prosaïque.
Je dis donc que
c’est une tactique, de la part de l’opposition, d’imputer les résultats de ses
propres fautes aux autres ; et en disant que c’est une tactique, je crois me
servir d’un mot parlementaire pour signaler ce qu’elle fait.
Il n’est que
trop vrai, des atteintes journalières sont portées à l’esprit national. Mais
par qui le sont-elles principalement ? Par des journaux. A quelle opinion
appartiennent ces journaux ? A l’opinion conservatrice ou à l’opinion libérale ? Leur occupation principale, si pas
unique, étant de combattre et d’attaquer constamment l’opinion conservatrice,
ils n’appartiennent donc pas à cette opinion-là. Parmi eux, pas tous il est
vrai, mais du moins plusieurs, prêchent évidemment, les uns l’absorption de
notre nationalité par la France, les autres son absorption par la Hollande ;
ceux-là portent ouvertement et directement atteinte à notre esprit national, en
rapetissant, en ridiculisant notre nationalité, et les autres leur prêtent le
concours le plus efficace en décriant, en avilissant ceux qui ont fondé notre
nationalité ou qui sont chargés de sa conservation.
Qu’on cite un
seul journal de l’opinion conservatrice qui fasse l’une ou l’autre de ces
choses : on ne le peut, et on prouve par-là que c’est de l’opinion adverse
que sont parties toutes les atteintes qu’a reçues notre nationalité.
Les atteintes
portées au sentiment dynastique l’ont
été également et surtout par des journaux et autres publications, dont
l’infamie a déjà été signalée plusieurs fois dans le cours de cette discussion.
Qui oserait dire qu’un seul de ces journaux appartient à l’opinion conservatrice ? qu’une seule de ces publications ait
été émise par un homme de cette opinion ? Personne ne l’oserait, ni en dehors,
ni en dedans de cette enceinte ; mais des millions de voix signalent des hommes
et des journaux d’une opinion adverse comme les seuls et vrais coupables de ces
méfaits. Et les atteintes portées à l’amour de nos institutions libres, par qui
le sont-elles ? Est-ce l’opinion conservatrice ou une opinion adverse qui
pousse les cris de rage et de fureur que vous a déjà signalés l’honorable comte
de Mérode, lorsqu’à l’ombre des libertés garanties par notre Constitution
quelques hommes ou quelques filles se réunissent pour prier, pour étudier, pour
soigner des malades ou des infirmes, pour instruire les enfants des pauvres ou
leur apprendre un métier, métier au moyen duquel ils pourront dans la suite
gagner honorablement leur vie, se tirer de la misère dans laquelle croupissent
leurs parents, et de prolétaires dangereux, devenir des hommes honorables et
utiles à la société.
Et la réforme de
notre Constitution, qui la demande en l’attaquant sur tous les points et en
affaiblissant ainsi par tous les moyens l’amour des libertés qu’elle nous
garantit ? Sont-ce des écrivains de l’opinion conservatrice ? Evidemment non.
Ce n’est donc pas à elle, ce n’est donc pas au gouvernement sorti de son sein, que
l’on peut attribuer les atteintes portées à l’esprit national, au sentiment dynastique et à l’amour de nos
institutions libres.
L’opposition le
sait aussi bien que qui que ce soit, et sa tactique que je signale consiste à
faire prendre le change sur ce point.
L’honorable M.
Verhaegen a cependant été franc et sincère sur ce point, en disant que le
congrès libéral a été constituant, c’est-à-dire qu’il a tenté de faire une
nouvelle Constitution et par conséquent de supprimer, de renverser ouvertement
celle qui garantit toutes les libertés dont nous jouissons.
Il serait
cependant injuste d’attribuer toutes ces atteintes à l’opposition
parlementaire. Elle seule ne renferme pas toutes les variétés des opinions
adverses de l’opinion conservatrice, elle le sait aussi bien que nous.
Mais ce qui est
vrai, c’est qu’elle a fait éclore toutes les nuances, aujourd’hui si variées et
si tranchées, de l’opposition, ou qu’elle a été le noyau autour duquel elles se
sont groupées.
Et la liberté de
discussion dans le parlement, qui en use et en abuse, sans vouloir que ses
adversaires l’imitent ? Mais encore l’opposition.
N’avons-nous pas
vu hier quelle explosion elle a faite, lorsque M. Dedecker lui a tenir un
langage approchant de celui qu’elle tient habituellement à la majorité ? Ce
qu’elle appelle énergie chez elle, elle, appelle violence chez les autres.
C’est encore une
liberté à laquelle elle porte constamment atteinte en la traitant comme toutes
les autres, c’est-à-dire en la voulant pour elle seule, mais pas pour autrui.
L’opposition
cite constamment une foule de précédents historiques qu’elle trouve applicables
aux autres ; qu’elle me permette aussi de lui en citer un, qui lui est applicable en tous points et dont je lui
recommande l’étude sérieuse, car elle peut en tirer les enseignements les plus
utiles, non seulement pour la patrie commune, mais aussi pour elle-même.
Lorsqu’à la fin
du siècle dernier, le pouvoir et l’ordre commencèrent à s’affaiblir
successivement et à disparaître en France, il y avait dans ce pays un parti
politique, composé d’hommes à grands talents, à sentiments généreux, à idées
progressives outre mesure, comme sont à peu près les chefs de notre opposition
parlementaire ; ces hommes remarquables sous tant de rapports, travaillaient
constamment à affaiblir le pouvoir, en attaquant ceux qui en étaient les
dépositaires ; exactement comme font les chefs de notre opposition, avec cette
différence que ces derniers ont, plus que leurs devanciers, l’ambition de
remplacer ceux qu’ils veulent renverser.
Ces hommes
politiques français, les Girondins en un mot, avaient entrepris leur œuvre avec
certes bien plus de désintéressement que leurs imitateurs d’aujourd’hui ; mais,
avant de l’avoir conduite à fin, ils furent, encore exactement comme les chefs
de l’opposition actuelle, dépassés et débordés de toutes parts, non seulement
par ceux qui s’étaient réunis à eux pour combattre l’ennemi commun (ainsi qu’on
le disait alors comme aujourd’hui), mais aussi par leurs propres élèves, par
ceux qu’ils avaient dressés et formés de leurs propres mains.
Les Girondins du
siècle précèdent produisirent, malgré eux, les montagnards auxquels ils
servirent de marchepied pour parvenir, tout comme les Girondins du siècle
présent ont produit, aussi malgré eux, les radicaux auxquels ils servent aussi
de marchepied à leur tour ; les montagnards produisirent les terroristes ; nos
radicaux produiront les communistes, si nous ne donnons au pouvoir les forces
nécessaires pour l’empêcher, et si le pouvoir, mettant à profit, lui du moins,
cet enseignement de l’histoire, ne prend à temps les mesures nécessaires pour
préserver notre belle patrie d’un tel malheur.
Les Girondins du
XVIIIème siècle, malgré tous leurs talents, ne reconnurent l’immensité de leurs
fautes que lorsqu’il était trop tard pour les réparer. Ils ne reconnurent la
profondeur de l’abîme qu’ils avaient creusé que lorsque, entraînés vers le
fond, ils prédirent que la révolution, telle que Saturne, dévorerait ses
propres enfants... Vous savez tous jusqu’à quel point cette prédiction s’est
réalisée. C’est malheureusement la seule chose qu’ils aient eu le talent de
prédire !
Quand les
Girondins du XIXème siècle
reconnaîtront-ils l’immensité de leurs fautes ? Probablement aussi lorsqu’il
leur serait devenu impossible de les réparer.
Nous devons donc
faire en sorte que d’autres puissent les réparer, pendant qu’elles sont
réparables, en soutenant ceux qui ont encore le pouvoir de le faire.
Toutes les
discussions entre les opinions politiques ne sont que des escarmouches qui
précèdent la grande bataille. D’un côté ne combattent encore dans ces
escarmouches que les alliés, alliés à leur insu, j’en suis bien certain, de
l’une des parties ennemies. La grande lutte de l’époque actuelle n’est pas, ne
nous faisons point illusion à ce sujet, entre les opinions plus ou moins
conservatrices ou libérales qui ont aujourd’hui déployé leurs bannières.
La véritable
lutte (un de nos publicistes les plus distingués l’a signalée depuis plusieurs
années), la véritable lutte est entre ceux qui possèdent quelque chose, ou
cherchent à acquérir quelque chose par des moyens honnêtes et loyaux d’un côté,
et ceux qui ne possèdent rien, cherchent à acquérir par des moyens déshonnêtes
et déloyaux, par la violence et la spoliation, de l’autre côté.
Tous ceux qui
luttent aujourd’hui ne font que préparer les voies de la victoire à l’un ou
l’autre de ces grands et véritables ennemis, et pas autre chose. Malheur à ceux
qui ne le prévoient pas.
La très grande
majorité de ceux qui luttent d’un côté, se font complétement illusion à ce
sujet, je le sais, et je m’estimerais éternellement heureux si je pouvais
parvenir seulement à attirer l’attention de quelques-uns d’entre eux sur la
véritable position dans laquelle ils se trouvent si funestement engagés.
Nous avons
entendu plusieurs orateurs de l’opposition déclarer qu’ils réservaient leurs
griefs contre chacun des ministres personnellement, jusqu’au moment de la
discussion des budgets de chaque département. Cette déclaration nous prouve
clairement que, dès à présent, l’opposition est intimement convaincue qu’elle
échouera de nouveau sur la question de cabinet posée en ce moment. Elle est
bien assurée du triomphe du ministère, puisqu’elle se propose de l’attaquer
encore dans la suite. Elle convient ouvertement de la faiblesse de ses griefs,
malgré le talent avec lequel elle sait les exagérer, puisqu’elle veut les éparpiller
au lieu de les défouler à la fois pour en accabler le cabinet, le renverser et
recueillir sa succession, seul but de tous ses efforts.
La suite nous
apprendra si cet éparpillement de ses griefs n’est pas une autre tactique de
l’opposition, et si son plan de bataille, pour la campagne actuelle, n’est pas,
en soulevant une discussion politique à propos de chaque budget, d’absorber le
temps de la chambre au point de l’empêcher de se livrer à l’examen des lois qui
lui sont proposées, d’ôter ainsi au cabinet le mérite de les avoir proposées et
de pouvoir dire ensuite que le discours de la Couronne a promis beaucoup plus
qu’on ne voulait tenir.
L’aveu de son impuissance et de la faiblesse de ses
griefs, fait par l’opposition ; et sa conviction, également avouée par elle, de
la longévité du cabinet, sont des faits nouveaux et importants ; ils sont
encourageants pour le ministère qu’ils engagent chacun de ses membres à
travailler avec une nouvelle ardeur au perfectionnement de toutes nos
institutions, tant morales que matérielles, et le concours de tous les hommes
amis de l’ordre et du bien-être de la patrie ne leur fera pas défaut.
M. Dumortier. -
Messieurs, à la suite de cette longue discussion, il est du devoir du
rapporteur de vous présenter en quelque sorte un résumé succinct des débats, un
résumé des diverses opinions présentées. Je tâcherai de le faire de la manière
la brève possible.
Trois objections
principales ont été adressées au projet d’adresse que nous avons eu l’honneur
de vous présenter. La première porte sur le dernier paragraphe qu’on a taxé de
courtisanerie, d’adulation, de flatterie, que sais-je ? La deuxième porte sur
la question de savoir si le calme règne en Belgique. La phrase qui énonce ce
fait a donné lieu à de longues et vives discussions. La troisième est celle qui
a donné naissance aux amendements de MM. Rogier et de Garcia.
Pour ce qui
concerne la première attaque faite contre notre projet d’adresse, attaque
dirigée principalement par un honorable député de Liége, je le demande en
présence de tout ce qui se passe dans le pays, après la manifestation que
chacun de nous a hautement blâmée et qui s’est produite dans des écrits ct
d’autres publications que tout le monde déplore de toutes ses forces, n’était-ce
pas le devoir pour la commission d’adresse de rappeler au pays les services
signalés que le chef de l’Etat a tendus à la Belgique ? Il y a mène quelque
chose de plus sérieux encore, c’est pour beaucoup d’entre nous une conviction
profonde, que l’étranger n’est pas indifférent à ce qui se passe parmi, nous,
en sorte que dans ces circonstances une manifestation solennelle de l’assemblée
des représentants de la nation s’adresserait à tout prétendant qui songerait
encore à la couronne. C’est pourquoi la commission à l’unanimité a cru devoir
donner quelque développement à sa pensée.
M. de Tornaco. - Il n’y a pas de
prétendant.
M. Dumortier. - M.
de Tornaco n’en connaît pas, c’est curieux !
M. de Tornaco. - Non, je n’en
connais pas. C’est une insinuation sans portée.
M. Dumortier. - Pas
de prétendant ! Je suis charmé d’apprendre cela de la bouche de M. de Tornaco.
Au reste, le pays ne les redoute pas ; il saurait leur faire voir qu’ils ne
peuvent espérer de réaliser leurs projets insensés et que la Belgique saura
maintenir et faire respecter le roi qu’elle s’est choisi.
Voilà,
messieurs, les motifs, il faut bien le dire, qui ont dirigé la commission
d’adresse. Dans un pareil état de choses, ce que nous avons dit ressemble-t-il
à de la courtisanerie, de l’adulation, de la flagornerie ? Ce reproche, certes,
ne peut pas atteindre votre rapporteur ; il n’atteindra pas non plus votre commission
qui n’a fait que remplir un devoir patriotique, en exprimant des sentiments qui
sont communs à chacun de nous.
Par le deuxième
reproche on a prétendu que nous avions eu tort d’introduire dans le paragraphe
relatif au recensement et à l’augmentation du nombre des députés, une phrase
énonçant que la situation calme du pays permet de satisfaire à des besoins qui
se sont manifestés. On a voulu que le pays ne fût pas calme, qu’il fût dans une
grande agitation. Messieurs, si j’envisage le pays, non dans une localité, mais
dans son ensemble, les paroles prononcées à cet égard sont empreintes d’une
grande exagération.
Il y a dans
notre pays ce mouvement politique inséparable de tout Etat constitutionnel.
Mais quant au mouvement si vif qu’on vous a dépeint, à l’agitation dont on vous
parle, ils n’existent que dans l’imagination de ceux qui en ont parlé. Ce
mouvement n’existe pas, et tout ce qui se passe autour de nous ne décèle pas
l’agitation et encore moins l’irritation.
Il n’existe pas
d’agitation dans le pays pas plus qu’en Europe. Le vent du pays, comme le vent
de l’Europe aujourd’hui est au calme. Voilà la véritable situation de l’Europe
et du pays aujourd’hui, et cette agitation qu’on proclame si haut, comme si on
voulait la faire naître, n’existe, encore une fois, que dans la bouche des
orateurs qui en ont parlé.
M. Delehaye. - Et
dans les Flandres !
M. Dumortier. - Dans
les Flandres ? Il n’y a pas d’agitation dans les Flandres ; il y a de la
misère, et cette misère, nous ferons tous nos efforts pour la faire cesser.
Vous-même, mon honorable collègue, n’avez-vous pas rendu hommage à la sagesse,
au calme de ces populations ? Ces populations ne s’agitent pas ; je le répète,
elles demandent du pain et nous ferons tous nos efforts pour leur en donner. (Très bien !)
Messieurs, sans
doute il ne m’appartient pas et ce n’est pas mon intention, de venir louer ici
tous les actes du cabinet. Il en est un auquel, pour mon compte, je ne pourrai
donner mon approbation : c’est le système des destitutions.
L’heure avancée,
la longueur de ces débats ne me donnent pas le temps de développer cette
question ; mais je pense et j’ai toujours pensé que le gouvernement est
beaucoup plus fort sans employer les destitutions qu’en les employant. Je pense
et j’ai toujours pensé, et je suis convaincu, que les ministres actuels
auraient pu très bien, par des moyens sages et par la douceur, arriver à ce qu’ils
désiraient, à ce que l’honorable M. Dolez a jusqu’à un certain point justifié,
sans employer des moyens de violence qui répugnent toujours à mes affections et
à mon caractère.
Messieurs, on a
signalé comme un des principaux motifs de l’agitation actuelle dans le pays, ce
qu’on a appelé le classement des partis.
Qu’est-ce que ce
classement des partis, ou plutôt ce déclassement des partis ? C’est, messieurs,
il ne faut pas vous y tromper, c’est un retour à la situation de la Belgique
depuis 1830 jusqu’en 1839.
Depuis 1830
jusqu’en 1839 il y avait dans l’opinion libérale (et certes j’ai bien souvent,
presque toujours même j’ai combattu dans ses rangs), il y avait dans l’opinion
libérale deux opinions complétement différentes: l’une qui voulait la Constitution
dans toute son intégrité, l’autre qui prétendait que la Belgique avait trop de
libertés et avait besoin d’ordre.
Depuis, les deux
partis se sont fondus. A la suite des 24 articles, on a cherché à déplacer la
question ; de purement libérale qu’elle était, on a voulu en faire une lutte
religieuse ; on a voulu la porter sur le terrain exclusivement catholique,
terrain brûlant sur lequel on voudrait la placer encore pour rétablir cette
fusion qu’on regrette de voir disparaître. Pendant un moment ces grandes
questions sont disparues. Mais alors que s’est-il passé ? Les jeunes ont voulu
ce que les vieux avaient promis. Dès lors le déclassement des partis. Voilà
toute l’histoire de ce déclassement, qui, à proprement parler, est un
reclassement des partis ; c’est, je le répète, la situation de 1830 à 1839. Et
si vous en voulez la preuve, messieurs, voyez les hommes qui siègent dans les
deux fractions. Vous verrez que ce sont les mêmes hommes qui y siégeaient
depuis 1830 jusqu’en 1839.
Je ne viens pas
prétendre, messieurs, que par cette scission le parti libéral est affaibli.
C’est là ce que l’expérience nous dira. Je ne suis pas dans le secret des
affaires, et je doute encore que cet affaiblissement existe, au point de vue du
moins du vrai libéralisme. Mais toujours est-il que la situation, telle qu’elle
se présente aujourd’hui, n’est rien autre chose qu’un retour à ce qui existait
depuis 1830 jusqu’en 1839, et dès lors il n’y a pas lieu de s’en inquiéter
sérieusement pour la tranquillité du pays.
Messieurs, d’où
vient donc ce malaise que l’on a signalé ? D’où vient ce que beaucoup
d’orateurs nous ont indiqué, ce malaise de la situation, cette espèce
d’affaiblissement du pouvoir, cette espèce d’affaiblissement de l’opinion
publique ?
Cela tient,
messieurs, à beaucoup de causes. L’honorable M. Dolez vous en a signalé
plusieurs et il en est sur lesquelles je suis complétement d’accord avec lui.
Mais il ne les a pas énoncées toutes, il en est même qu’il a dissimulées.
Selon moi,
messieurs, ce qui a le plus affaibli l’opinion publique en Belgique, soit que
vous envisagiez cette question comme une dure nécessité, soit que vous la
considériez comme un acte qui ne devait pas être posé, c’est incontestablement
le malheureux traité qui nous a privés d’une partie du Limbourg et du
Luxembourg ; c’est ce traité qui a porté à l’esprit national le plus rude
atteinte.
Ici, messieurs,
permettez-moi de dire quelques mots, car j’ai été personnellement mis en cause.
J’ai
certainement pris une part très active à l’opposition qui s’est manifestée contre
ce traité, et je ne le regrette aucunement. J’ai la conviction la plus intime
que si la Belgique n’avait pas voulu consentir à ce traité, elle conserverait
encore aujourd’hui le Limbourg et le Luxembourg. Ce n’est là ni une ardeur de
colonel, ni une ardeur juvénile, comme le disait tantôt l’honorable M. Dolez,
c’est le fruit d’une profonde réflexion. Et d’ailleurs, si l’on avait eu besoin
du secours de la garde civique, non seulement de celle de Tournay et son
colonel, mais aussi de celle de cette capitale, qui s’est toujours montrée si
dévouée, soit lorsqu’il fallait expulser l’étranger de son territoire, soit
qu’il fallût le combattre hors de ses murs, je dis que notre brave armée, que
tous les citoyens auraient été prêts à prendre les armes pour empêcher que la
Belgique ne perdît une partie de ses enfants, une partie de son territoire. Le
peuple belge a prouvé en 1830, qu’il savait vaincre ou mourir pour
l’indépendance de la patrie et la liberté.
Mais, messieurs,
cela était-il nécessaire ? Sans doute personne n’aurait reculé devant un appel
aux armes ; mais le combat n’était pas même nécessaire. Si la Belgique avait
seulement déclaré ne pas vouloir accepter le traité, elle conserverait encore
le Limbourg et le Luxembourg ; et pourquoi, messieurs ? Parce qu’à cette époque
les embarras de l’Europe étaient immenses ; parce que lord Palmerston avait
déclaré qu’il ne consentirait point à renouveler contre la Belgique ce qui
avait été fait contre la Hollande, le blocus des côtes ; parce que la France
avait déclaré qu’elle ne consentirait pas à ce qu’un seul soldat prussien, à ce
qu’aucun soldat de la confédération germanique mît le pied sur le territoire
belge. Et c’était moins dans notre intérêt que par nécessité que ces puissances
avaient fait cette déclaration.
Si l’Angleterre
avait déclaré qu’elle ne consentirait pas à faire contre la Belgique le blocus
maritime qu’elle avait fait contre la Hollande, c’est qu’elle savait tout le
malaise que ce blocus avait fait éprouver à sa propre marine, à son commerce.
Si la France avait déclaré que pas un soldat allemand ne pourrait mettre le
pied sur le territoire belge, c’est qu’elle savait que toute la Lorraine, que
ces populations si patriotiques de Metz et des environs étaient prêtes à
marcher pour venir sur le territoire de la Belgique combattre l’invasion de
l’étranger.
En présence de
cette situation, en présence de pareilles déclarations, que restait-il à faire
? Il restait à dire : Nous n’acceptons pas le traité. Et s’il avait fallu
recourir aux armes, la Belgique, messieurs, aurait été victorieuse. J’en ai pour garant et le patriotisme du pays et
l’état de notre brave armée à cette époque. Rappelez-vous, messieurs, cette
admirable levée de 1836 ; je la vois encore entrer dans cette capitale entonnant
ses chants patriotiques ; lorsqu’elle est arrivée dans nos murs par la neige,
par le temps le plus affreux, pas un seul homme ne manquait à l’appel, parce
qu’on savait qu’il s’agissait de sauver la patrie, de conserver nos frères, de
ne pas les livrer à l’étranger.
Je dis donc que
l’honorable M. Dolez a eu tort, un grand tort sans doute, de donner un
caractère plaisant aux manifestations de cette époque. Il s’agissait de la plus
sainte des causes, de la question la plus grave (page 90) qui pouvait s’agiter dans notre pays. Il s’agissait pour
la Belgique de la conservation de son territoire, de la conservation de nos
frères du Limbourg et du Luxembourg, de la conservation de notre dignité
nationale que le vote du traité a offensée.
Voilà,
messieurs, à mes yeux, ce qui a porté la première et la plus rude atteinte à ce
sentiment, si vif de l’opinion publique ; voilà ce qui a été la première cause
de cet état de malaise que nous regrettons aujourd’hui.
Je ne prétends
toutefois pas qu’il faille déverser sur l’honorable chef du cabinet actuel plus
de blâme que sur ses prédécesseurs. Je dis que tous ont fait la même chose. Car
ses prédécesseurs nous venaient dire, quand ils étaient au pouvoir, que l’armée
n’était faite que pour appuyer la diplomatie ; ils ont été coupables en
acceptant les protocoles ; aucun d’eux, sous ce rapport, n’a de reproche à
faire à l’autre.
Messieurs, une
autre cause de l’affaiblissement du sentiment public en Belgique, ce sont, et
je le dis avec une vive douleur, ce sont les attaques incessantes auxquelles on
s’est livré et en dehors et même dans cette chambre contre un sentiment si
respectable, si national, contre tout ce qui touche indirectement à l’opinion
religieuse.
Messieurs, la
Belgique n’est pas un pays ni de bigoterie, ni de cagotisme ; mais la Belgique
est un pays religieux ; la Belgique est un pays de foi et de liberté. Voilà,
messieurs, ce qui constitue éminemment notre caractère national : la foi et la
liberté. On devait donc, messieurs, à quelque parti qu’on appartînt et par tous les moyens possibles, éviter
de porter atteinte ni à l’un ni à l’autre de ces sentiments.
Eh bien, on a
voulu porter atteinte à la foi du pays. On a cherché à représenter l’opinion
qui combattait cette atteinte, comme une opinion rétrograde inféodée au clergé.
On a cherché à présenter le
clergé comme voulant détruire l’ordre social en Belgique, comme voulant envahir
le pouvoir, comme occasionnant tous les maux possibles. A entendre certains
orateurs qui n’en croyaient rien, le pouvoir était en danger, le cardinal de
Malines était plus roi que le Roi de la Belgique.
Voilà,
messieurs, ce que l’on a fait croire à
tout le pays, et ce qui a singulièrement nui, ce qui a porté une
atteinte profonde au caractère national ; parce qu’encore une fois la Belgique
est un pays de foi et de liberté, et qu’il fallait faire marcher ensemble la
foi et la liberté, et défendre son opinion, son parti sans porter atteinte ni à l’un ni à l’autre.
Aujourd’hui
encore, messieurs, que vient-on nous dire ? Un honorable orateur n’est-il pas
venu, avant-hier encore, vous dire que nous étions les instruments serviles du
clergé ? Nous, messieurs, les instruments serviles du clergé ! Mais n’est-ce
pas celui qui vous parle, n’est-ce pas moi qui suis venu signaler aux nôtres
les fautes qu’ils commettaient, qui ai eu le courage de leur dire qu’ils se
trompaient ? Mais vous, avez-vous jamais, vis-à-vis de votre propre parti, fait
rien de semblable ? Avez-vous jamais osé dire à vos amis du haut de la tribune les fautes qu’ils commettaient
? Et vous venez nous
représenter comme des instruments serviles !
Où sont
d’ailleurs les envahissements du clergé que vous pouvez signaler ?
Un
membre. - Et la
convention de Tournay ?
M. Dumortier. - Vous
me citerez la convention de Tournay. Je reviendrai tout à l’heure sur ce point.
Aussi,
messieurs, on est tellement convaincu de la nécessité de conserver au pays, non
pas au point de vue purement religieux, mais au point de vue de la nationalité,
on est tellement convaincu, dis-je, de la nécessité de conserver dans toute sa
force ce caractère national, que ce même membre disait: « Le parti
libéral, loin d’étouffer le sentiment religieux du peuple, le respecte et cherche
à le développer. » Etrange
manière, vraiment, de développer le sentiment religieux du peuple que de
chercher constamment à lui représenter les chefs ecclésiastiques comme des
envahisseurs, comme des gens qu’il faut bannir ; que de chercher dans toutes les
circonstances à les flétrir ; que de représenter l’opinion qui combat ces
attaques incessantes contre le clergé, comme une opinion cléricale, que de nous
assimiler aux anciens serfs qui étaient attachés à la glèbe et qui réduits à
l’esclavage n’avaient pas la dignité d’hommes libres !
Pour moi,
messieurs, j’ai toujours professé ce principe qu’il était deux sentiments qu’il
fallait nourrir avec un soin égal dans le peuple : l’amour de la liberté, et le
caractère religieux qui fait sa plus grande force nationale, ce caractère
religieux qui nous sépare et du nord et du midi de l’Europe.
Il y a,
messieurs, quelque chose de triste dans la situation de notre pays, c’est le
peu de respect que ces attaques incessantes contre l’autorité et l’opinion
religieuse ont fait naître pour l’autorité et le pouvoir civil. Lorsque l’on a
habitué le peuple à ne pas
entourer de son respect ce qu’il est porté par son cœur à respecter, le respect
cesse bientôt de s’attacher à l’autorité et au pouvoir. Le grand mal de notre
pays, c’est que l’autorité n’est pas assez respectée, et c’est là un immense
malheur dans tout pays constitutionnel ; parce que lorsque l’autorité cesse
d’être entourée du respect auquel elle a droit, l’ordre social et ébranlé
jusque dans ses fondements.
Aujourd’hui, messieurs,
qu’est-ce qui nuit encore à la Belgique ? C’est le système d’exclusivisme que l’on a voulu préconiser. Ce
système d’exclusivisme, je regrette de le dire, est un immense malheur pour le
pays, en ce qu’il jette de toute nécessité la désunion, et en ce qu’il viole
par conséquent cette devise nationale : l’union fait la force.
Loin de
chercher, messieurs, à se combattre comme des ennemis en rase campagne, en
présence de tous les embarras de notre situation politique, en présence de
voisins, qui il ne faut pas se
le dissimuler, ne demanderaient pas mieux que de pouvoir nous absorber, ce qui
eût été à désirer, ce que j’ai toujours désiré et ce que je désire encore, ce
n’était pas une lutte entre les partis, c’était une fusion entre les hommes
sincères, les hommes modérés des deux opinions. Voilà ce qu’il fallait.
Eh bien !
qu’avons-vous vu ? Nous avons vu dans toutes les localités partout un système
d’exclusivisme déplorable, système que je blâme, de quelque côté qu’il vienne,
soit qu’il vienne des catholiques, soit qu’il vienne des libéraux.
Ce système
d’exclusivisme a été poussé jusqu’à ses dernières limites. On a été jusqu’à
prétendre qu’un cabinet, pour être national, devait être homogène, c’est-à-dire
exclusif, comme si l’intolérance politique devait être élevée au rang des
vertus civiques. Pour mon compte, j’ai toujours pensé que c’était dans la
réunion des hommes modérés des différentes opinions que le gouvernement devait
puiser sa force. Je suis loin de faire un grief au cabinet actuel de sa composition
homogène ; il est sorti d’une situation telle que toute autre combinaison était
impossible ; mais je dis qu’en principe, il est incontestable qu’un cabinet
formé des hommes raisonnables des deux opinions doit exercer sur l’opinion
publique une action beaucoup plus forte et beaucoup plus favorable à la
nationalité que tout cabinet homogène, catholique ou libéral.
J’arrive au
troisième grief articulé contre le projet d’adresse. On nous reproche de nous
être abstenus d’introduire dans l’adresse un paragraphe analogue à celui qui
figure dans l’adresse du sénat relativement à l’enseignement public. Messieurs,
la raison en est bien simple ; la commission d’adresse que vous avez nommée
n’était point chargée de donner à l’adresse un caractère agressif ; elle a
voulu faire une adresse qui pût être votée par tout le monde. C’est là le but
qu’elle a voulu atteindre, et l’honorable M. de Brouckere l’a parfaitement
saisi dès la première séance. Nous n’avions donc pas à introduire dans le
projet d’adresse un paragraphe incriminatif contre qui que ce fût.
Un honorable
membre a cru devoir présenter un amendement en ce qui concerne la question de
l’instruction moyenne. Je demanderais volontiers à cet honorable membre à qui
s’adresse un pareil amendement ? Est-ce à la Couronne ? Mais vous conviendrez,
messieurs, que la chambre des représentants manquerait à ses devoirs si elle
avait l’intention d’adresser une leçon à la Couronne, et certainement ce n’est
point là l’intention de mes honorables collègues ? Est-ce au ministère ? Mais
vous avez, messieurs, le projet de loi que le ministère vous a présenté ; vous
savez ce qu’il vous a demandé ; conséquemment l’injonction arriverait d’une
manière tardive. Si vous n’aviez pas été saisis par le gouvernement d’un projet
de loi, je concevrais une manifestation semblable ayant pour but de faire
connaître au ministère la volonté de la chambre ; mais lorsque le cabinet vous
a présenté un projet de loi, je ne conçois plus qu’on vienne lui dire dans quel
sens il doit rédiger ce projet.
Est-ce à la
chambre des représentants, par hasard, que l’injonction s’adresse ? Mais vos
collègues n’accepteront point cette injonction. A qui donc cette phrase
s’adresse-t-elle ? Eh bien, messieurs, je le dirai sans hésiter, sans biaiser,
cette phrase s’adresse à une autorité qui n’est pas soumise au contrôle de la
chambre.
Un
membre. - Ce n’est pas
une autorité.
M. Dumortier. - Ce
n’est pas une autorité, mais vous-mêmes vous lui donnez à chaque instant cette
qualification.
Eh bien,
messieurs, je le déclare nettement, je ne puis donner mon adhésion à une phrase
qui serait un soufflet donné à l’épiscopat. Ce n’est pas que j’entende le moins
du monde sacrifier l’indépendance du pouvoir civil à l’opinion religieuse ; au
clergé le droit de demander ce qu’il croit utile ; à nous d’apprécier ce qu’il
est possible d’accorder. Au besoin je dirais à l’épiscopat: « Soyez
prudent ; le temps exige de vous de la modération vis-à-vis du pouvoir civil,
beaucoup de modération, de circonspection et de réserve. » Voilà le conseil que
je donnerais aux évêques si la chose était nécessaire, mais je ne m’associerai
jamais à une proposition qui tend directement à jeter un blâme public sur une
autorité éminemment respectable et que tous nous voulons respecter.
L’honorable
orateur qui s’est exprimé d’une manière si éloquente dans la séance de ce jour,
l’honorable député de Mons a dit que l’amendement soulève deux questions :
celle de l’indépendance du pouvoir civil et en second lieu une question de dignité
et de moralité pour le parti libéral. Messieurs, l’indépendance du pouvoir
civil est-elle en jeu ? Nullement. On a parlé de la convention de Tournay, eh
bien, que s’est-il passé à Tournay ? Un projet a été mis en avant ; il a
d’abord été accepté, puis modifié, puis rejeté par l’autorité civile.
Est-ce que par
hasard l’autorité civile a manqué d’indépendance en ne l’acceptant pas ?
Evidemment elle a posé là un acte d’indépendance et lorsqu’à la suite de cette
rupture il s’est agi de nommer un nouveau principal, le nouveau principal a été
nommé à l’unanimité par les membres du conseil communal : catholiques et
libéraux, tous lui ont donné leur voix. L’indépendance du pouvoir civil n’est
donc pas en question dans cette affaire, puisque du moment où la convention ne
lui a pas semblé admissible, le pouvoir civil a refusé d’y souscrire et que,
par suite de ce refus, la convention est tombée.
Ah ! messieurs,
il eût été porté atteinte à l’indépendance du pouvoir civil, si par un moyen
quelconque il avait été possible d’imposer à la ville une convention de cette
nature alors qu’elle n’en voulait point ; mais puisque l’autorité communale a
été parfaitement libre de refuser son adhésion à la convention, qu’elle l’a
refusée en effet et que cela n’a pas empêché l’athénée de continuer à être
prospère comme il l’était (page 91)
auparavant, évidemment-vous ne pouvez pas venir dire que l’indépendance du
pouvoir civil est le moins du
monde en jeu dans cette affaire.
On a dit, en
second lieu, que l’amendement soulève une question de dignité et de moralité pour le parti libéral. Eh bien,
messieurs, je demande : qu’est-ce que le parti libéral gagnera en dignité
et en moralité lorsqu’il sera ainsi venu donner, je le répète, un soufflet au
corps épiscopal ? Aura-t-il gagné quelque chose ? Oui, s’il veut appuyer les
mauvaises passions. Mais, comme telle ne peut pas être l’intention de
l’honorable membre auquel je réponds, je dis que le parti libéral n’a rien à
gagner ni en dignité ni en moralité à l’adoption
d’un semblable amendement.
« Mais,
dit-on, il faut un triple concours ; il faut notamment l’adhésion du
clergé. » Et pour obtenir l’adhésion du clergé, on vient proposer
d’émettre un vote de blâme sur ce qu’on appelle les prétentions du clergé ! Singulière manière d’obtenir l’adhésion
d’un tiers que de commencer par prononcer contre lui un blâme public. Si vous
voulez éclairer le clergé, si vous voulez lui faire comprendre que la position
du pays lui impose beaucoup de ménagements, beaucoup de prudence, donnez-lui
des avis bienveillants à cet égard, mais ne venez pas jeter
sur lui un vote de blâme au moment où vous réclamez son intervention pour
assurer à la jeunesse le
bienfait d’une éducation morale et religieuse. L’honorable membre nous dit et
avec raison, que nous discutons en ce moment le point de savoir si nous
pourrons réaliser le triple concours dont il a parlé ; il exprime hautement le
désir d’obtenir ce triple concours, et cependant il veut que nous commencions
par émettre un vote qui tend à flétrir
une des parties auxquelles nous demandons ce concours, objet de tous nos vœux.
Je le demande à l’honorable
préopinant lui-même et je rends hommage à
la pureté de ses intentions, je le lui demande à lui-même, obtiendrons-nous le concours du clergé et le
concours de l’opinion catholique, en émettant un vote de blâme pour le corps
épiscopal et pour l’opinion catholique tout entière ?
Messieurs,
est-ce un acte d’adhésion à la
conduite de la régence de Tournay, qu’on nous propose de poser ? Mais la
régence de Tournay n’a pas besoin de cet acte d’adhésion. Elle a repoussé la
convention, elle a organisé son athénée, elle a nommé un nouveau principal ;
l’établissement marche et marche bien ; cet acte d’adhésion n’est donc
nécessaire ni pour la régence de Tournay, ni pour l’athénée de Tournay.
Encore une fois,
ce n’est point là ce qu’on veut ; ce qu’on veut, c’est de flétrir ce qu’on
appelle des prétentions inconciliables
avec l’indépendance du pouvoir civil. Eh bien, messieurs, je ne puis pas
donner mon assentiment à un
acte semblable qui n’aurait pour résultat que d’affaiblir encore ce respect
pour l’autorité dont j’ai signalé comme un malheur l’affaiblissement en
Belgique.
Adopterai-je
l’amendement de l’honorable M. de
Garcia ? Non, messieurs ; quelque purs que soient les sentiments bien connus de
mon honorable collègue, je ne saurais lui donner mon assentiment, par les mêmes
motifs qui me font repousser celui de l’honorable M. Rogier. Savez-vous quelle
différence il y a entre les deux propositions ? Pardonnez-moi cette
comparaison, mais je crains que dans le pays on ne puisse considérer l’un comme
un soufflet donné sur la joue des évêques, de la main gauche, et l’autre, comme
un soufflet donné sur la joue des évêques, de la main droite. (Hilarité.)
Or, mon intention
n’est point de donner à l’autorité
de soufflet, ni de la main gauche, ni de la main droite.
Messieurs, je
bornerai là mes observations ; l’heure avancée ne me permettra pas d’aller plus
loin. Je viens d’indiquer les motifs qui me porteront à voter l’adresse telle qu’elle est formulée par la commission.
Je désire vivement que nous puissions arriver, en matière d’enseignement, à cette solution qui est l’objet de
nos vœux à tous, c’est-à-dire
d’obtenir le concours du clergé en conservant au pouvoir civil la plénitude de
tous ses droits. Ce résultat, je suis convaincu que nous le réaliserons, et à ceux qui pourraient croire à des prétentions exagérées de le
part du clergé, je dirai que ce qui arrive en ce moment est pour le clergé un
immense avertissement, et qu’il saura en profiter sans qu’il soit nécessaire de
recourir è des moyens odieux.
Je pense donc qu’il est inutile de recourir à un moyen qui serait mal compris
par le pays, et qu’il vaut mieux obtenir le concours du clergé par des actes de
modération que d’émettre un vote qui serait évidemment
considéré comme un vote de blâme. Quant à
moi, je ne m’associerai jamais à
un vote semblable, bien persuadé que, dans un pays moral et religieux
comme le nôtre, l’opinion publique repousse des actes de violence contre ce que
le peuple belge a toujours regardé comme sacré, et que l’adoption de
l’amendement de M. Rogier, en déconsidérant l’autorité ecclésiastique,
porterait une rude atteinte au sentiment religieux qui forme l’une des
principales bases de notre nationalité.
M. Dumont
remplace M. Liedts au fauteuil.
M. Liedts. -
Messieurs, mon intention n’est pas d’ajouter un discours aux discours si remarquables
qui ont déjà été prononcés dans cette circonstance ; je viens simplement
demander au gouvernement une explication qui doit guider mon vote.
La session
actuelle, tout le monde en conviendra, n’est en quelque sorte qu’une continuation de la session précédente : celle-ci a
été close au mois de septembre, celle qui s’ouvre a commencé au mois de
novembre ; pendant ces deux mois, les actes posés ne sont assez nombreux, ni
assez importants pour modifier foncièrement les partis parlementaires, soit en
augmentant la majorité du ministère, soit en renforçant les rangs de
l’opposition.
D’une autre
part, nous sommes à la veille d’une élection quasi générale, et le ministère ne
peut pas ignorer que si, dans l’intervalle qui nous en sépare, il ne parvenait
pas à satisfaire à ce qu’il y a de légitime dans les prétentions de ses
adversaires, ces élections donneraient un démenti éclatant à sa politique.
Dans cette situation, la prudence la plus vulgaire ne commandait-elle pas,
aussi bien à l’opposition qu’au ministère, de ne pas renouveler à sept mois de
distance le vote du 29 avril ? L’opposition sait d’avance qu’en ce moment une
nouvelle question de cabinet ne peut avoir aucun résultat. C’est une faute
qu’on reconnaîtra plus tard. Le ministère, de son côté, doit comprendre qu’il
n’a pas assez fait pour dissiper toutes les préventions qui se sont élevées
contre lui à son avènement. Il existe, à la vérité, deux actes importants que
je me hâte de signaler ; d’abord le projet de loi sur l’enseignement moyen qui,
quoi qu’on en dise, est plus libéral qu’aucun de ceux qui nous ont été annoncés
ou présentés antérieurement ; en second lieu la loi qui nous est promise pour
augmenter le nombre des membres des deux chambres ; et bien que cette loi ne
contienne pas une grande concession, elle atteste tout au moins un esprit de
modération et de justice dont on doit tenir compte au gouvernement. Mais le
gouvernement reconnaîtra que ces actes isolés ne peuvent pas suffire, pour nous
faire abjurer notre vote du 29 avril ; tout ce qu’il peut espérer de nous,
c’est une attitude expectante jusqu’aux élections qui doivent avoir lieu dans
quelques mois.
Le ministère a
compris sa position. Dès le début de cette discussion, il s’est contenté de la
phrase finale de l’adresse, phrase qui n’exprime certes aucune méfiance à son
égard, mais qui n’impliquait pas non plus, d’une manière absolue, l’abandon de
nos convictions du 29 avril. Mais je n’hésite pas à le dire, si le gouvernement
avait voulu aller plus loin, si, au lieu de la phrase finale de l’adresse, il
avait formulé une question de confiance et qu’il eût ainsi fait en quelque
sorte violence à certaines convictions, on ne l’aurait pas suivi. Je dis donc que le ministère a compris
sa position et celle de ses adversaires.
Voici maintenant l’explication que je demande. Je désire
que le ministère me réponde franchement. Le cabinet, n’entend-il pas faire
indirectement, par l’amendement de l’honorable M. de Garcia, ce qu’il n’a pas
fait ouvertement ? J’ai assez de confiance dans la droiture de M. le ministre
de l’intérieur, pour croire que sa réponse ne laissera aucun doute dans mon
esprit sur ce point.
La déclaration
que M. le ministre va me guider dans mon vote. Si sa réponse est négative,
c’est-à-dire, si l’adoption de l’amendement de M. de Garcia n’implique pas un
vote indirect de confiance, je donnerai mon adhésion à cet amendement, parce
qu’il est la traduction fidèle de ma pensée, parce que c’est mon programme de
1840, parce que c’est la pensée de l’honorable M. Rogier, moins ses développements,
parce qu’en un mot, c’est l’amendement de cet honorable membre, moins la
question de cabinet, moins la question de confiance.
M. le
ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je remercie M. le président d’avoir
fait un appel à ma franchise. Eh bien, je n’hésite pas à déclarer qu’en me ralliant à l’amendement
proposé par l’honorable M. de Garcia, je n’ai entendu en aucune façon provoquer
un vote de confiance. Ce que j’ai demandé, c’est le rejet d’un vote de défiance,
formulé par l’honorable M. Rogier. Cet honorable membre, qui n’a pas moins de
franchise que moi, n’a pas nié que l’adoption de son amendement renfermait un
blâme implicite du cabinet. Voilà la position nette, telle qu’elle a été prise
dès le commencement et telle que nous l’admettons.
- La chambre,
consultée, ferme la discussion. Elle décide ensuite, qu’elle votera d’abord sur
le paragraphe 5 du projet d’adresse et sur les deux amendements de MM. Rogier
et de Garcia qui s’y rapportent ; elle décide finalement qu’elle donne la
priorité à l’amendement de M. Rogier.
(Après la
clôture de la discussion, M. Liedts avait repris place au fauteuil.)
M. le président. - Je
mets cet amendement aux voix.
Des membres. -
L’appel nominal !
M. Maertens. - Mais
il est bien entendu que si l’amendement de M. Rogier est rejeté, celui de M. de
Garcia sera mis aux voix. C’est à ce dernier que je me propose de donner mon
assentiment.
De toutes parts. - Oui
! oui !
- Il est procédé
à l’appel nominal.
Voici le
résultat de cette opération.
86 membres y
prennent part.
52 répondent
non.
34 répondent
oui.
En conséquence,
l’amendement n’est pas adopté.
Ont répondu
non : MM. Biebuyck, Brabant, Clep, Coppieters, d’Anethan, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de
la Vega, de la Coste, de Man d’Attenrode,
de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Naeyer, de Roo, de Saegher, de
Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Donny, Dubus aîné,
Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumortier, de Lannoy, Eloy de Burdinne,
Fallon, Henot, Huveners, Kervyn, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Mast de
Vries, Mercier, Orban, Pirmez,
Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Van den Eynde, Verwilghen,
Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.
Ont répondu oui : MM. Anspach, Cans, Castiau, David, de
Baillet, de Bonne, de Breyne, de
Brouckere, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Renesse, de Tornaco, Devaux,
de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Dumont, Fleussu, Goblet, Jonet, Lange,
Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys, Orts, Osy, Pirson, Rogier, Sigart, Thyrion,
Verhaegen et Veydt.
M. le président. - Nous passons au second
amendement, à celui présenté par M. de Garcia, qui est ainsi conçu :
« En
examinant ce projet, nous aurons à cœur de donner aux pères de famille les
garanties d’une éducation morale et religieuse et de maintenir l’action de
l’autorité civile pour l’exercice de ses droits et pour l’accomplissement de
ses devoirs. »
- Cet amendement
est mis aux voix et adopté.
Plusieurs voix. - A
demain ! à demain ! Nous avons des questions matérielles à traiter.
D’autres voix. -
Continuons ! continuons !
M. Delehaye. - On
avait annoncé que la discussion de l’adresse serait très brève, l’opposition
n’a suivi le ministère sur le terrain politique qu’après des provocations
réitérées. Je n’ai pas pris la parole dans cette discussion, me réservant de
m’exprimer sur les intérêts matériels du pays. Après quatre jours consécutifs
consacrés à la discussion politique, ne conviendrait-il pas qu’on laissât le
temps d’examiner les questions matérielles à ceux qui se sont proposé de le
faire. Je suis étonné que ce soit un membre du cabinet qui a pris plusieurs
fois la parole dans la discussion politique, qui demande qu’on continue le vote
de l’adresse sans laisser le temps de s’occuper des questions d’intérêt
matériel.
Je demande qu’on
fixe demain la séance à 11 heures ; on pourra terminer l’adresse et chacun aura
eu le temps de s’expliquer.
M. Dubus (aîné). - Je ferai
observer qu’aucune des raisons données par l’honorable préopinant ne doit nous engager
à abréger la séance d’aujourd’hui, à prétexte qu’il y aura séance demain. Il
n’est que quatre heures, continuons, et si la nécessité se révèle de remettre
suite de la discussion à demain, nous le ferons, et l’honorable membre pourra
présenter les observations qu’il a à communiquer à la chambre sur les intérêts
matériels du pays.
Il faut, dit-on,
qu’on se prépare à cette discussion. Mais le projet d’adresse est entre les
mains de tout le monde depuis dix jours, chacun a pu se préparer à en discuter les
différents paragraphes.
M. Delfosse. - Je
dois prévenir la chambre que les représentants de Liège ont un amendement à présenter sur le
paragraphe de l’adresse relatif aux travaux publics.
Si on le désire,
j’en donnerai lecture aujourd’hui, on pourra l’imprimer pour demain et chacun
aura le temps d’y réfléchir.
M. de Tornaco.- Si on veut se borner à présenter des amendements, je ne
demanderai pas la parole ; mais si on veut continuer la discussion, je
demanderai à faire connaître les motifs pour lesquels je demande qu’on la
renvoie à demain.
- La chambre,
consultée, décide que la séance continue.
Discussion des paragraphes
Paragraphe premier
On passe au
premier paragraphe.
« Sire,
« La chambre des
représentants est heureuse d’apprendre que nos relations avec les puissances
étrangères conservent un caractère pacifique et amical. »
M. Osy. - Messieurs,
mon opinion sur la formation du ministère actuel n’ayant pas changé depuis
notre dernière session, je n’ai pas pris la parole dans la discussion générale,
et je me bornerai à voler l’amendement qui vous est soumis ; mais je regrette
que le gouvernement, au lieu de s’expliquer franchement sur l’indépendance du
pouvoir civil, comme nous l’entendons, s’est borné à faire une question de
cabinet de la proposition qui vous est faite ; je trouve que c’est manquer de
franchise et violenter les consciences. Pour ma part, cet amendement n’est pas
une question de cabinet, mais une demande d’explication sur la position et la
situation d’un différend qui a eu par trop de retentissement ; tous les
pouvoirs sont obligés de s’en expliquer franchement.
Comme dans la
discussion générale ou s’est beaucoup occupé des affaires intérieures,
permettez-moi, messieurs, de vous entretenir un instant des affaires
extérieures, que nous ne pouvons et ne devons pas négliger, dans les événements
qui pourront peut-être surgir dans quelque temps en Europe ; car, ne nous
faisons pas illusion ; si nos rapports avec toutes les puissances sont, comme
nous l’annonce le discours de la Couronne, d’un caractère pacifique et amical,
nous ne devons pas nous dissimuler que dans les pays qui nous environnent, ce
même caractère pacifique et amical n’existe plus et peut avoir pour les petits
Etats de graves conséquences ; plus que jamais ils doivent être prudents, et
nous, pour notre part, nous ne devons pas oublier notre neutralité, tant pendant
la paix que pendant la guerre, et si vous donniez à l’une ou à l’autre
puissance des griefs contre nous, cela pourrait, dans un temps donné, nuire
considérablement à notre indépendance et à la stabilité de notre jeune
nationalité.
Nous devons tous
déplorer les événements survenus en Portugal par suite des mesures prises par
la reine qui foule aux pieds la constitution et les institutions. La
conséquence de ces mesures est, comme nous devions le prévoir, une guerre
civile dont on ne peut calculer les suites.
Tout en
regrettant ces événements, je dois, pour l’honneur de notre gouvernement,
demander une explication.
Vous devez tous
avoir vu dans les journaux français et anglais l’accusation contre notre
gouvernement d’avoir donné des conseils au gouvernement portugais.
Pour moi, je ne
puis croire à des conseils pareils ; cependant pour l’honneur de la Belgique,
je veux donner l’occasion à notre gouvernement de démentir publiquement et
formellement ces accusations.
Nous devons
également regretter pour la paix et la tranquillité de l’Europe et même du
monde entier, la rupture de l’entente cordiale entre les deux plus puissants
gouvernements de l’Europe, à l’occasion d’un événement récent qui s’est passé
en Espagne.
Vous aurez vu,
messieurs, la distinction faite par l’ambassade anglaise, à Paris, entre une
présentation officielle de tout le corps diplomatique, pour présenter les
félicitations à l’infante d’Espagne et une présentation aux membres de la
famille royale de France.
Les journaux
français nous ont annoncé que les membres de notre ambassade ne s’étaient pas
joints au corps diplomatique, pour adresser ses félicitations, mais qu’on
s’était borné comme l’ambassadeur anglais, de se faire présenter aux divers
membres de la famille royale.
Je sais que
notre ambassadeur était absent comme celui de la Russie et de l’Autriche, mais
leurs chargés d’affaires se sont joints au corps diplomatique ; et je
désirerais savoir officiellement, si les journaux français ne nous ont pas
induits en erreur, et je serais charmé d’apprendre que nous ne nous somme pas
séparés des ambassadeurs de toutes les puissances, et que nous n’avons pas
suivi la politique de l’Angleterre, qui peut en avoir une différente des autres
puissances, à son point de vue.
Je demande une
explication catégorique à ce sujet, parce que nous avons un grand intérêt, pour
notre industrie linière, d’être bien avec l’Espagne, dans l’espoir d’obtenir
sous peu, par un traité, des avantages commerciaux et de navigation avec la
mère patrie et les colonies espagnole.
Je demanderai donc une explication franche et publique
pour nous rassurer à ce sujet et pour être persuadé qu’il n’existe pas
d’impossibilités diplomatiques de pouvoir renouer nos relations avec l’Espagne et
de voir sous peu ratifier un traité voté par nous depuis près de quatre ans.
Comme j’espère
que les journaux, et même des journaux ministériels, nous ont accusés à tort,
je ne dirai rien de plus sur nos relations avec le Portugal et l’Espagne ; mais
si les explications n’étaient pas franches et claires, je serais obligé de
solliciter encore la parole sur ces deux points pour démontrer que les intérêts
dynastiques ne doivent pas entraver nos relations amicales avec toutes les
puissances et que nous ne devons pas oublier la neutralité de la Belgique, tant
en cas de guerre que pendant la paix.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - L’honorable M. Osy vient de
m’adresser deux questions. La première consiste à demander si la Belgique a conservé une attitude de neutralité
complète dans les affaires du Portugal à l’époque du renversement du ministère
Palmella. L’on me permettra de dire à l’honorable préopinant que les membres
des chambres législatives ont aussi bien que le gouvernement des devoirs à remplir envers les gouvernements
étrangers. Or, l’honorable préopinant a oublié ce devoir en accusant à cette tribune la reine de Portugal
d’avoir foulé aux pieds la constitution de son royaume. Ce n’est pas ainsi que
l’honorable M. le baron Osy croit sans doute que nos devoirs de pays neutre
doivent être remplis.
Je ne sais si je
dois répondre d’une manière sérieuse à la question de savoir si le gouvernement
belge a donné, pendant les derniers événements, des conseils à la reine de
Portugal. A quel titre le gouvernement belge aurait-il donné des conseils au
gouvernement de la reine ? La question, en
vérité, n’est pas sérieuse ; la chambre ne peut pas demander que le
gouvernement vienne à la tribune répondre à des accusations aussi invraisemblables de journaux anglais ou
français.
L’honorable membre m’a adressé une deuxième question, il
m’a demandé s’il était vrai que lors de la réception qui a eu lieu récemment
aux Tuileries à l’occasion du mariage du duc de Montpensier, le chargé
d’affaires qui remplace notre ambassadeur absent, M. Firmin Rogïer n’avait pas
assisté à cette réception officielle. Je remercie l’honorable membre de me
fournir l’occasion de démentir le bruit qu’on avait répandu ; notre chargé
d’affaires a assisté à cette cérémonie, au nom de son gouvernement.
Le gouvernement
belge a observé en Espagne une complète neutralité dans les événements auxquels
on fait allusion ; il n’avait pas d’autre position à prendre ; j’ajouterai que précisément à cause de cette position
qu’il a pu conserver en Espagne, il ne rencontrera pas des obstacles que
d’autres nations pourraient rencontrer dans les négociations commerciales qui
sont poursuivies par le gouvernement avec tout l’intérêt que leur importance
exige.
M. d’Elhoungne. -
Messieurs, j’ai deux interpellations à
adresser à M. le ministre des affaires étrangères, à l’occasion du
paragraphe à l’adresse relatif à nos relations avec les puissances étrangères.
Par la mesure
récente que le Zollverein a adoptée, les résultats que j’avais prévu lors de la
discussion du traité du 1er septembre, et
qu’il était si facile de prévoir, se sont réalisés. Trois produits, qui
ont une grande importance pour les Flandres : les fils de lin, les toiles
et les tissus de lin, ainsi que les fils de coton, ont été frappés d’une
aggravation de droits.
Ce fait est
grave, messieurs. Les articles que je viens de citer ont, en 1845, présenté un
mouvement d’exportation, vers l’Allemagne, de 3,721,541 fr.
Or, nos exportations vers le même pays, en fer forgé, rails
et fontes, articles pour lesquels le traité du 1er septembre a été
principalement (page 93) conclu, n’ont
présenté qu’un mouvement de 3,875,620 fr., en 1845.
Ainsi, l’Allemagne
vient de frapper les Flandres à la fois dans leurs trois principaux articles
d’exportation, d’une manière aussi profonde, d’une manière aussi sensible que
la province de Liége avait été frappée dans son industrie métallurgique, avant
le traité du 1er septembre.
J’aime à croire
que les assurances que le gouvernement a données à la chambre, dans la
discussion de ce traité, sur les dispositions bienveillantes du Zollverein
envers la Belgique, recevront, dans cette occurrence, une confirmation satisfaisante,
et que M. le ministre pourra
bientôt nous dire que les négociations entre la Belgique et le Zollverein, à
l’effet d’obtenir des droits différentiels en faveur des articles que je viens
de nommer, seront couronnées d’un plein et entier succès.
La deuxième
interpellation que j’ai à adresser à M. le ministre des affaires étrangères
concerne l’exportation de nos fers et de nos houilles en France.
Je demanderai à
M. le ministre des affaires étrangères s’il est à la connaissance du
gouvernement belge qu’il se prépare au ministère du commerce de Paris un projet
de loi tendant à abolir le système des zones pour les fers et le charbon.
Je dois faire
remarquer, messieurs, que le mouvement commercial que ce système des zones
amène chez nous est de 25,000,000 par an.
Si la France,
pour renouer ses relations avec l’Angleterre sur un pied plus amical, pour
répondre aux avances que les journaux les plus influents et probablement les
agents de l’Angleterre font à son gouvernement, décrétait l’abolition des
zones, ce serait un coup très sensible pour la Belgique.
Ce serait, d’un
autre côté, une infraction aux pourparlers qui ont eu lieu dans les dernières
négociations avec la France. Car dans ces négociations (au moins M. le ministre
des affaires étrangères nous l’a déclaré) lorsque le gouvernement belge a
insisté pour faire insérer dans le traité du 13 décembre la garantie du
maintien des zones pour la houille et les fers, le gouvernement français a
répondu que cela était inutile ; qu’il était loin de vouloir supprimer les
droits différentiels en faveur de la Belgique, qu’il était plutôt disposé à
augmenter ces droits différentiels, en accordant une nouvelle réduction sur nos
houilles et sur nos fers.
Mais alors la France n’avait pas à faire sa paix avec
l’Angleterre.
J’appelle la
plus sérieuse attention de M. le ministre des affaires étrangères sur ce point.
Je dois lui dire que les informations qui me sont parvenues, viennent d’une
source respectable, et je pense que le projet dont j’entretiens la chambre en
ce moment, s’élabore effectivement dans les bureaux du ministre du commerce à
Paris.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l’honorable M. d’Elhoungne
m’a adressé deux interpellations ; je vais répondre d’abord à la dernière.
L’honorable
membre croit savoir qu’on élabore dans les bureaux du ministère du commerce, en
France, un projet de révision des tarifs dans lequel il s’agirait d’abolir le
système des zones pour la houille, ou tout au moins pour la fonte.
Messieurs, ma
réponse sera très courte et très simple. Le gouvernement n’a pas plus de
raisons aujourd’hui qu’il n’en avait lors de la discussion du traité du 13
décembre, de craindre que le système des zones soit compromis, et que le
gouvernement français songe à le
modifier.
L’honorable
membre m’a adressé une autre interpellation relativement aux mesures récentes
qui ont été prises par le Zollverein, mesures qui augmentent les droits sur les
fils de lin, sur les tissus de lin et sur les fils de coton.
Messieurs, le
gouvernement, depuis longtemps déjà, a entamé avec la Prusse une négociation
tendant à faire excepter la Belgique des augmentations de droits que l’on
projetait. Messieurs, cette négociation n’est pas terminée ; elle continue.
L’honorable membre comprend qu’il m’est impossible, dans l’état où se trouve
cette négociation, de pouvoir lui dire sur quelles bases elle repose et quels
peuvent en être les résultats. Le gouvernement lui-même l’ignore. Tout ce que
je puis dire, c’est que le gouvernement ne néglige aucun effort pour amener à
bien cette négociation dont les difficultés sont facilement appréciables.
Mais je
me permettrai de faire cette remarque à la chambre : c’est que dans les
négociations l’influence de la Belgique n’a pas été inutile. Dans les projets
de réforme des tarifs douaniers du Zollverein, il s’était agi, et sérieusement
agi pour les fils de lin, par exemple, d’admettre le système français,
l’établissement des droits nouveaux d’après une échelle ascendante, d’après le
numérotage. Or, l’honorable M. d’Elhoungne,
qui s’est occupé spécialement de ce genre de questions, sait que si au lieu
d’un droit uniforme qui a été admis récemment par le Zollverein, on avait
adopté des droits gradués d’après le numérotage des fils, la Belgique, qui
exporte surtout des fils fins, aurait été bien plus fortement frappée que par
les droits uniformes, qui ont été admis récemment dans le tarif du Zollverein.
Nous avons évité
un autre danger, c’est la restitution des droits à la sortie qui était réclamée
vivement par les intéressés.
Le gouvernement
a donc déjà exercé une influence utile dans les négociations. Je ne puis,
messieurs, en dire davantage, puisque la négociation est encore pendante.
M. Desmet. - Messieurs,
de la manière dont vient de parler M. le ministre des affaires étrangères, il
paraîtrait que les droits que le Zollverein vient d’établir sur les fils
simples et retors ne frapperont pas la Belgique. Messieurs, depuis
l’établissement de ces droits, les fils retors sont tellement frappés que je
puis dire que la fabrication de Ninove, celle d’Alost, celles de Tournay et de
Courtray sont frappées à mort. Ces fils sont frappés d’un véritable droit
prohibitif, comme ils ont été frappés en Hollande par le dernier traité.
Messieurs, cet objet est tellement important, qu’il
s’agit d’un mouvement commercial de 4 millions. Or, si le tarif nouveau du
Zollverein doit recevoir son exécution, toutes nos exportations seront
arrêtées.
Remarquez,
messieurs, que la fabrication des fils à coudre ou des fils retors procure des
moyens d’existence à 20 ou 25 mille fileuses. Le gouvernement ne voudra pas que
le district d’Alost, qui a déjà tant souffert, reçoive un coup mortel.
J’appelle sur ce
point toute l’attention du gouvernement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Il est assez difficile au gouvernement de suivre les orateurs dans la
discussion qu’ils soulèvent ; il doit craindre de dire trop ou trop peu, et il
est obligé d’user de réserve.
Mais l’honorable
membre vient de jeter des paroles qui sont destinées à alarmer des populations.
Or, le gouvernement est forcé, pour rassurer ces populations, de démontrer à l’honorable membre qu’il exagère la
portée immédiate du tarif du Zollverein relativement aux fils retors.
Les fils retors
constituent notre plus grande importation de fils dans le Zollverein. Eh bien !
d’après le tarif nouveau, notre industrie des fils retors sera moins frappée
que l’apparence ne l’indique.
En voici,
messieurs, la raison : en Allemagne, les fabricants de fils retors se servent
en grande partie de fils simples étrangers comme matière première. C’est un
fait connu et qui n’est pas nié. Or, messieurs, s’il en est ainsi, n’est-il pas
évident que les fils simples étrangers étant frappés par le nouveau tarif de
droits beaucoup plus élevés proportionnellement que les fils retors, qui ne
sont frappés que d’un droit de 4 thalers, n’est-il pas évident, dis-je, que la
protection que les fabricants le fils retors ont désormais en Allemagne est
moins forte depuis le nouveau tarif, qu’elle ne l’était auparavant ? En effet,
messieurs, cette protection était sous l’ancien tarif de plus de un thaler, et
sous le tarif nouveau elle ne sera plus que de 15 silbergros.
Ainsi je ne
crois pas que le tarif frappe d’un coup mortel les fils du pays d’Alost. Je
crois que leur position ne sera pas changée d’ici à quelques années du moins.
Mais il n’en est pas moins vrai que dans l’avenir une crainte est possible,
c’est de voir, à l’aide du tarif nouveau, les filatures à la mécanique
s’établir en plus grand nombre dans le Zollverein. Mais d’ici là j’espère que
le gouvernement sera parvenu par des négociations à prévenir le mal qui n’est pas à craindre dans l’état actuel des choses.
M. Mast de
Vries. - Messieurs, je demande que la séance de demain soit
fixée à 11 heures. Peut-être pourrons-nous terminer cette discussion.
- La chambre décide que la séance s’ouvrira demain à 11
heures.
La séance est levée à 4
heures et demie.