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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 4 avril 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions
relatives à la concurrence faite par le travail des détenus dans les prisons (Verhaegen) et à la fixation du canton de Stavelot (Liedts, Lebeau)
2) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au
budget du département des travaux publics (de Brouckere)
Canaux de Deynze à Schipdonck et de Zelzaete à la mer du Nord
3) Projet accordant un crédit supplémentaire de neuf
millions de francs au budget du département de la guerre. Augmentation du
chiffre global du budget par suite des événements en France, garde civique,
démission en raison de convictions républicaines (Castiau),
vertus du régime politique belge (Rogier), réponse (Castiau), augmentation du chiffre global du budget par
suite des événements en France, garde civique (Chazal),
augmentation du chiffre global du budget par suite des événements en France (Pirson, d’Elhoungne, (+emploi de
la troupe pour le défrichement des bruyères de la Campine) Eenens,
(+chevaux de la cavalerie) (David, Chazal),
Delfosse, Destriveaux, Delehaye, Orban, Manilius)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1217)
M. T'Kint de Naeyer.
procède à l'appel nominal à deux heures un quart.
La séance est ouverte.
M. Troye. donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier,
dont la rédaction est approuvée.
M. T'Kint de Naeyer.
fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Quelques habitants
de Bruxelles demandent que les employés de l'Etat, qui demeurent dans les
faubourgs de Bruxelles, soient obligés de faire partie de la garde civique de
cette ville, et que le projet de loi sur la garde civique décrète un service
permanent.
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet
de loi.
________________
« M. Gobbaerts, préposé des douanes pensionné, demande
une augmentation de pension ou bien une gratification sur la caisse des secours
des douanes ou un emploi. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Le sieur Peemans présente des observations
relativement au projet de loi d'emprunt.
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le
projet de loi.
________________
« Le sieur Morant demande que le mandat des
conseillers communaux soit limité à 3 ans, qu'il soit incompatible avec
certaines professions, et qu'un membre du conseil qui, sans empêchement
légitime, ne se serait pas rendu aux convocations, soit considéré comme
démissionnaire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le
projet de loi sur le renouvellement des conseils communaux.
________________
« Le sieur d'Henry demande une loi sur la
responsabilité des ministres. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Les membres des comités de charité du bureau de
bienfaisance de la ville de Liège demandent que le projet de loi sur la garde
civique contienne une exemption en leur faveur. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet
de loi.
________________
« L'administration communale de Basse-Bodeux demande
que les électeurs du canton de Stavelot soient admis à voter au chef-lieu du
canton. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Les membres du conseil général d'administration des
hospices et secours de la ville de Louvain demandent que les établissements de
bienfaisance soient exemptés de contribuer dans l'emprunt proposé par le
gouvernement. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le
projet de loi d'emprunt.
________________
« Le sieur Verstratte, ancien sergent-fourrier, prie
la chambre d'autoriser M. le ministre des finances à l'admettre dans la douane,
bien qu'il n'ait point encore obtenu la naturalisation qu'il a demandée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« La compagnie des chasseurs éclaireurs de la garde
civique de Liège demande que le projet de loi sur la garde civique mentionne
l'institution des corps spéciaux et notamment celui des chasseurs éclaireurs. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet
de loi.
________________
« Le sieur Delporte, officier pensionné, demande que
le gouvernement statue sur les réclamations qui ont pour objet la restitution
des retenues opérées sur les appointements des officiers de la réserve. »
- Renvoi au ministre de ta guerre.
________________
« Les membres du conseil communal de Jodoigne
demandent que les élections générales de l'arrondissement de Nivelles aient
lieu à Wavre, ou bien qu'elles se fassent alternativement à Wavre et Jodoigne
pour les cantons de Wavre, Jodoigne et Perwez, ou qu'elles aient lieu à Wavre
pour les cantons de Wavre et de Jodoigne. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Plusieurs habitants du faubourg de Mariembourg
se plaignent de mesures militaires qui ont été prises par le commandant delà
place. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Plusieurs habitants de Braine-Lalleud
présentent des observations contre l'avis publié par le Moniteur portant que le
gouvernement exige l'exécution de l'arrêté du 27 prairial an IX, relatif au
transport frauduleux des lettres. »
- Même renvoi.
« Plusieurs industriels et ouvriers à Bruxelles
demandeur la suppression des ateliers de travail dans les prisons, les dépôts
de mendicité et les congrégations religieuses. »
M. Verhaegen. - J'appuie, et
avec empressement, la pétition dont on vient de vous donner l'analyse, et j'ose
espérer qu’elle ne restera pas sans résultat.
Il y a peu de temps, j'ai appuyé une pétition
semblable, et l'unanimité de cette assemblée en a ordonné le renvoi à tous les
ministres.
Un arrêté royal de date récente a nommé une commission
de six membres chargés d'examiner les graves questions qui se rattachent au
travail dans les prisons, et le Moniteur m'a appris que je fais partie, de
cette commission.
Depuis plusieurs- jours j'ai écrit à M. le ministre de
la justice pour le prier de convoquer et d'installer immédiatement la
commission à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.
Ne voulant pas assumer la responsabilité de
l'inaction, je viens ici renouveler ma prière, et j'ose espérer que je ne
l'aurai pas fait en vain.
Pour le moment, il ne me reste, aux termes du règlement,
qu'à demander le renvoi de la pétition à la commission des pétitions avec
prière d'un très prompt rapport.
- Cette
proposition est adoptée.
M. le président (M.
Liedts). -
M. le ministre de l’intérieur transmet des explications sur la pétition qui
demande la réunion du canton de Stavelot à l'arrondissement administratif de
Verviers. J'en propose le renvoi à la commission chargée de l'examen de la
proposition, faite en 1839 par M. David, sur le même objet, commission qui
devra être complétée par le bureau.
M. Lebeau. - Appuyé ! Il y a urgence, si l'on veut prendre une
décision dans un sens ou dans un autre.
- La proposition de M. le président est adoptée.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU
DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS
M. de Brouckere dépose le rapport de la section centrale qui a
examiné le projet de loi de crédit complémentaire à accorder au département des
travaux publics pour les canaux de Deynze à Schipdonck et de Zelzaete à la mer.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution
de ce rapport, et met ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE DE NEUF MILLIONS DE
FRANCS AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE
Discussion générale
M. Castiau. - Messieurs, j'ai voté hier avec empressement et bonheur,
je dois le dire, le crédit qu'on était venu nous demander dans l'intérêt des
classes ouvrières, pour leur procurer du travail et pour améliorer leur pénible
position.
Si le crédit qu'on réclame aujourd'hui devait avoir le
même objet, quelque considérable qu'il soit, je me sentirais disposé à le voter
encore avec le même empressement, car là est pour moi le principal élément de
l'ordre et le plus impérieux de nos devoirs.
Mais il s'agit maintenant de toute autre chose, d'un
crédit extraordinaire de 9 millions pour le département de la guerre.
Je n'ai certes pas, messieurs, la prétention de
combattre ce crédit et d'en empêcher l'adoption. Ce crédit sera, quoi que je
dise et que je fasse, voté par la chambre ; peut-être par l'unanimité de la
chambre.
Mais comme j'entends le repousser et me renfermer dans
ma position habituelle d'isolement, je prie la chambre de vouloir bien me
permettre d'expliquer, de justifier mon vote.
Messieurs, je suis de ceux qui ont toujours pensé et
souvent répété dans cette enceinte qu'une armée permanente considérable dans un
pays condamné à la neutralité, comme la Belgique, était une superfétation, une
véritable anomalie. J’ai toujours pensé que l’établissement d'un système de
recrutement démocratique, appelant les citoyens aux obligations communes du
service militaire et combiné avec une vigoureuse organisation de la garde
civique, suffirait pour protéger tout à la fois et l’ordre et notre
indépendance.
Aussi, ai-je attaqué fortement, la loi d'organisation
de l'armée vous vous le rappelez peut-être. Depuis que je siège dans cette
enceinte, j'ai constamment repoussé le budget de la guerre à cause, de son
exagération. Cent fois peut-être, j'ai exprimé le regret de voir consacrer les
principales ressources du pays à des dépenses inutiles, improductives et
ruineuses.
Messieurs, ce budget de la guerre, que nous trouvions
déjà trop élevé dans les années ordinaires, le voici maintenant qui prend des
proportions bien autrement vastes. On vient vous demander un premier crédit
supplémentaire de 9 millions. Mais ce premier crédit suffira-t-il ? Il ne
vous est demandé que pour satisfaire aux besoins du service jusqu'au 1er
septembre. Il est tellement douteux que ce premier crédit puisse suffire, que
d'abord on l'avait porté à la somme de 18 millions, c'était en tout 50
millions. Joignez à cette somme de 50 millions l'interruption des travaux pour
les miliciens appelés sous les drapeaux, la perte des salaires pour des
milliers d'ouvriers, la déperdition du capital, par suite de l'oisiveté de la
caserne, et vous arriverez à une charge qui, retombant à la fois sur le budget
et sur le pays, ne s'élèvera pas à moins de 80, de 90, de 100 millions
peut-être.
(page 1218)
Oh ! je comprends, messieurs, qu'on ne s'arrête pas devant l'énormité de ce
chiffre et devant les questions d'argent, quand il s'agit de l'indépendance du
pays, du maintien de la nationalité, quand la question posée enfin est celle
d'être on de n'être pas.
Mais, messieurs, de bonne fois, en sommes-nous là, je
vous le demande ? Pourquoi tous ces préparatifs ? Pourquoi ce luxe d'armement ?
Pourquoi cette armée portée au double de ce qu'elle était il y a quelques
semaines encore ? Est-ce pour maintenir l'ordre public ? Est-ce pour comprimer
l'émeute qui agite nos populations ? Mais, les événements ont assez prouvé que
les baïonnettes aujourd'hui soûl de faible garanties pour ce qu'on appelle
encore l'ordre public. Ce ne sont pas seulement les événements de Paris, ce
sont encore les événements de Berlin, les événements de Vienne, les événements
de Milan qui partout vous prouvent que les armées permanentes ne peuvent rien
aujourd'hui contre la souveraineté nationale, et la toute-puissance des
peuples.
Aussi, messieurs, est-ce sous la protection de la garde
civique avant tout que je voudrais placer cet ordre public dont ou est si
soucieux ; c’est là la véritable mission de nos soldats citoyens. La garde
civique c'est le pays, le pays tout entier, arme pour sa défense, armé aussi
bien pour la défense de l'ordre que pour la défense de son indépendance, de ses
libertés et de ses droits. Messieurs, si la garde civique avait été maintenue
dans ce pays autrement que sur le papier, si elle avait été fortement
organisée, si on ne l'avait pas laissée tomber misérablement en désuétude, nous
n'aurions pas eu à déplorer de malheureux conflits entre les soldats et le
peuple ; conflits cent fois douloureux qui ont fait couler le sang belge par
des mains belges.
Si l’ordre n'a pas besoin de nos soldats, pourquoi
donc, messieurs, ces préparatifs et tout ce luxe militaire ? Est-ce par crainte
de la guerre étrangère ? La guerre étrangère ! d'où viendrait-elle ? De la
France ? Mais n'avez-vous pas lu le noble manifeste de la France ? Et ne
connaissez-vous pas tous les éloquents commentaires de ce manifeste ? (Interruption.)
Je m'étonne, messieurs, des rumeurs qui viennent
d'accueillir mes paroles. Je désire que les honorables membres qui ont
l'habitude d'accompagner mes paroles de murmures, quand je parie de mes
sympathies pour la France et sa révolution, veuillent bien prendre la parole
pour me répondre. S'ils ont quelque accusation à élever contre la loyauté de la
France et de son gouvernement, qu'ils osent la produire dans cette enceinte,
hautement et franchement. et s'ils n’osent, qu'ils cessent de se réfugier
derrière des murmures houleux, dont personne, parmi eux, ne paraît disposé à prendre en ce moment la
responsabilité.
Je disais donc, messieurs, quand j'ai été interrompu,
que le manifeste de la France était là pour nous rassurer. Qu'est-ce, en effet,
que ce manifeste si ce n'est un brûlant appel à la liberté, à l’égalité, à la
fraternité des peuples ? Qu'a-t-il donc dans d'aussi nobles sentiments de
menaçant pour notre nationalité ? Mais tout le manifeste, c’est l'invitation
pressante aux nationalités opprimées de ressaisir leur indépendance. S'il est
question d'intervention dans ce document, c'est d’une intervention en faveur
des peuples, de leurs droits, de leur indépendance.
Quoiqu'on semble l'oublier aujourd'hui, je ne cesserai
de le rappeler : c'est la France, en 1831, qui a sauvé notre nationalité. En
bien, c'est elle encore qui, à l'heure qu'il est, et pour exécuter l'engagement
d'honneur pris dans son manifeste, si notre nationalité courait quelque risque,
s’empresserait de nous offrir l'appui de sa puissante épée.
Si vous n'avez rien à craindre de la France,
apercevez-vous, messieurs, quelque danger sur nos autres frontières, sur nos
frontières du nord, du côté de l’Allemagne ? Mais, rappelez-vous ce qui s'est passé
dans les pays soumis à l'absolutisme, à la suite de la révolution française.
N'avez-vous pas vu l'empressement avec lequel ces gouvernements, si
antipathiques à la liberté, ont reconnu la révolution française et ont
|protesté contre toute pensée d'intervention ? Ils s'étaient empressés,
effrayés par la violence de l'ébranlement révolutionnaire, de chercher à
conjurer l'orage qui grondait sur leur tête. Eh bien, ils n'y sont point
parvenus : les peuples d’Allemagne se sont soulevés, ils se sont soulevés comme
un seul homme au cri de liberté ; ils ont vaincu, ils ont abaissé ces royautés
orgueilleuses qui, si longtemps, les avaient impitoyablement foulés aux pieds,
et aujourd'hui cette sainte-alliance des rois est remplacée par la sainte
alliance des peuples.
Eh bien, la sainte alliance des peuples, c'est la
liberté, c'est l'égalité, c'est la fraternité ; c'est la paix, la paix
perpétuelle ; c'est la fin des horribles excès de la guerre et du despotisme,
c'est la suppression des armées permanentes ; c'est la réalisation enfin de
tous les progrès, de toutes les promesses de la civilisation.
Si tout annonce la paix et la liberté, messieurs, si
vous n'avez rien à craindre en réalité, ni du côté de la France, ni du côté de
l'Allemagne, pourquoi, je vous le demande une dernière fois, pourquoi ce luxe
d'armement qui doit imposer au pays, après deux années de gêne et de famine,
les charges les plus écrasantes ?
Serait-ce pour repousser ces bandes qui ont franchi
nos frontières et envahi le territoire à main année ? Veuillez le croire, je
vous prie : je déplore aussi vivement, plus vivement peut-être que personne
dans cette enceinte, ces fâcheux événements, mais il ne faut pas non plus
donner à ces expéditions irrégulières un caractère et une importance qu'elles
n'ont pas.
En effet, messieurs, qu'avez-vous vu dans cette
circonstance ? Deux expéditions sont parties de Paris ; la première, à son
départ, dit-on, prend le soin de laisser sa carte à l'ambassade de Belgique,
réclame des frais de voyage de l'ambassadeur belge ; puis elle monte en chemin
de fer, et elle appelle la rapidité de la vapeur à son secours pour venir se
remettre elle-même entre les mains de la police belge.
La seconde expédition avait un autre caractère sans
doute, mais elle affiche la même imprudence. Elle arrive en désordre sur notre
territoire, et elle vient se placer d'elle-même sous la gueule de vos canons.
Il a suffi de 200 hommes et de quelques coups de canon
pour mettre en fuite une bande indisciplinée. Y avait-il là un danger bien
grave pour notre nationalité ? En vérité, sans la désolante effusion de sang
qui a eu lieu dans cette circonstance, on aurait été tenté de supposer que ces
expéditions n'avaient d'autre but que de donner gain de cause à ce luxe
d'armement que je combats aujourd'hui, et de vous amener à voter de confiance
les crédits et les emprunts forcés qui vous sont demandés.
Messieurs, je l'ai dit : quel qu'ait été le caractère
de ces expéditions, je les regrette doublement ; je les regrette, parce
qu'elles ont froissé le pays dans ce qu'il avait de plus vif, et déterminé une
réaction passionnée du sentiment national contre ces violences. Je te regrette,
parce que si on avait voulu compromettre, perdre en quelque sorte la cause
républicaine, on n’aurait certes pas suivi une autre voie.
Plus que personne, j'en suis désolé, et je ne vous en
ai pas fait mystère ; tous, vous connaissez mes sympathies pour les
institutions républicaines. Je crois qu'après avoir traversé la monarchie
constitutionnelle, le seul gouvernement possible c'est le gouvernement
républicain, c'est-à-dire le gouvernement du pays par le pays, l'application la
plus large de la souveraineté nationale, la participation de la majorité des
citoyens aux droits politiques, le principe de l'élection remplaçant le
principe et les hasards de l'hérédité. Je crois que plus qu'aucun pays en
Europe, la Belgique est mûre pour la république ; je crois que les mêmes motifs
qui en 1830 ont fait admettre le régime monarchique, maintenant militent pour
faire admettre le régime républicain ; je crois enfin que si le régime
républicain était amené pacifiquement, légalement, constitutionnellement en
Belgique, il serait, à l’heure qu’il est, la meilleure garantie de l’ordre, de
la liberté, de l’indépendance et de la nationalité.
Mais, messieurs, si je désire l’adoption du régime
républicain, c'est à la condition que ce régime s'établira au nom de la
souveraineté nationale ; car si ce régime devait être imposé par la violence de
la minorité, croyez-bien que je serais le premier à protester contre de telles
oppressions.
Voilà, messieurs, toute ma conviction, et ma
profession de foi ; je vous la livre dans toute sa vérité, et j'espère que vous
voudrez bien m'en croire. Mais cette conviction, moi qui plaide les droits de
la liberté et de la souveraineté nationale, je n'ai certes pas la prétention de
l'imposer ni à la chambre, m au pays, ni surtout au collège électoral qui m'a
envoyé dans cette enceinte ; eh bien, je le reconnais avec toute loyauté, il y
a sur cette question un dissentiment et un dissentiment profond à l’heure qu'il
est entre mes opinions et celles de la majorité de la chambre, et je dois le
dire, entre mes opinions et celles de la majorité du pays et spécialement de la
majorité du collège électoral qui m'a confié mon mandat car l'on est partout
aujourd'hui en pleine réaction monarchique.
Or, quand un
dissentiment semblable éclate, sur une question de forme gouvernementale, qu'y
a-t-il à faire ? Déposer son mandat et se retirer. C'est le parti que je prends
et que j'exécuterai à la suite de la séance. Seulement veuillez le croire, dans
la vie privée comme dans la vie publique, tous mes vœux seront toujours pour le
bonheur de mon pays. Pour prix du sacrifice que je m'impose, je ne demande
qu’une chose, c'est que ma résolution soit appréciée avec la même loyauté que
je l'ai prise, et qu'elle ne m'enlève aucun des droits que je crois avoir à la
sympathies de mes amis et à l'estime de mes adversaires.
Un
grand nombre de voix. -
Non ! non !
M. le ministre de l’intérieur
(M. Rogier). -
Je n'ai pas à intervenir dans les résolutions personnelles de l'honorable
représentant de Tournay. Il vient de nous annoncer sa retraite prochaine du
parlement après avoir déposé dans cette séance une profession de foi ouvertement
républicaine. S'il m'était permis d'exprimer un regret, ce serait de voir
l'honorable M. Castiau, qui représente à la fois avec autant de talent que de
modération les opinions qu'il vient de manifester, ce serait de le voir
abandonner cette enceinte. Messieurs, nous ne redoutons par les discussions de
principe ; notre pays est arrivé à ce haut degré de liberté qu'il peut
affronter sans trouble, sans danger, je dirai presque sans inconvénient la
discussion régulière, pacifique, de toutes les institutions.
Pourquoi l'honorable préopinant abandonne-t-il le
parlement ? Est-ce parce qu'il y sent son opinion presque complètement isolée
et solitaire ? Pourquoi rentre-t-il dans la vie privée ? Pourquoi va-t-il se
mêler à ses concitoyens ? Est-ce parce qu'il espère y rencontrer d’autres
opinions, d’autres sentiments ? Eh bien, messieurs, je n'hésite pas à le dire,
je crois que là encore l'honorable M. Castiau rencontrera l'isolement, la
solitude. Je crois que le pays, s'il était aujourd'hui consulté suivant les formes
constitutionnelles, renverrait dans cette enceinte une immense majorité chargée
de défendre, de maintenir le système sous lequel nous avons l'avantage de
vivre.
L'honorable M. Castiau veut le gouvernement du pays
par le pays, nous le voulons aussi ; et ce mode de gouvernement non seulement
nous le voulons, mais nous le possédons, nous le pratiquons très sincèrement,
très efficacement, et il n'est pas une seule liberté désirée, enviée, rêvée par
les plus avancés démocratiques que la Constitution belge ne consacre.
Trop heureuses les nations qui viennent de se lancer
dans une mer toute pleine d'incertitudes et de tempêtes, si elles pouvaient un
jour aboutir à ce port si tranquille, si magnifique dans lequel la Belgique se
repose aujourd’hui, avec tant de dignité et de sécurité ! (Applaudissements.)
(page 1219)
Oui, messieurs, notre Constitution nous assure, je ne crains pas de le dire,
autant de libertés réelles, plus de libertés réelles que pourront en contenir
toutes les constitutions que se donneront d'ici à peu de temps les nations qui
se proclament aujourd'hui souveraines. C'est pour défendre ces précieuses
institutions, c'est pour défendre le gouvernement du pays par le pays, que la
nation belge a compris la nécessité de se tenir en garde et contre les dangers
qui peuvent venir de l'extérieur et contre les excitations qui peuvent venir de
l'intérieur.
C'est pour cela que de tout temps nous et nos amis
nous avons défendu, dans cette enceinte, la nécessité d'une armée respectable, capable
de faire face à l'un et à l'autre de ces dangers. C'est pour cela que dans la
dernière discussion du budget de la guerre, mon honorable ami qui occupe ce
département, j'ose le dire, avec une si haute distinction, vous annonçait d'une
voix presque prophétique la nécessité prochaine peut-être, pour le pays,
d’avoir une armée capable de faire respecter l'ordre à l'intérieur et
l'indépendance à l'extérieur.
L'honorable M. Castiau (et cette opinion a été
exprimée aussi en dehors de cette enceinte) traite, avec une sorte
d'indifférence et de dédain les rencontres qui ont eu lieu à nos frontières. Il
a même, contre son gré, sans doute, reproduit une insinuation odieuse qui a été
exprimée ailleurs que dans cette enceinte, relativement à je ne sais quelle provocation
machiavélique, pour amener aux frontières un conflit, qui fît comprendre au
pays la nécessité de maintenir son armée sur un pied respectable.
Je crois que le bon sens public a fait suffisamment
justice de pareilles insinuations. Les bandes armées qui se sont présentées sur
nos frontières n'étaient pas aussi inoffensives, aussi innocentes dans leurs
intentions qu'on a bien voulu le dire.
J'admets que, dans le nombre de ces hommes armés,
plusieurs étaient aveuglés, plusieurs entraînés, plusieurs même forcés. Mais il
n'est pas moins vrai qu'il y avait dans ces attaques contre le pays quelque
chose de très sérieux, et de graves dangers pour l'ordre public, si de
pareilles bandes n'avaient pas rencontré, dès leurs premiers pas sur le sol
belge, des soldats et des officiers décidés à leur tenir tête.
Les avantages qui ont été remportés à nos frontières
par nos soldats, certes nous n'en tirons pas vanité. Pas plus que l'honorable
préopinant, nous ne pouvons-nous empêcher de regretter de voir verser le sang humain,
à quelque nation qu'appartienne la victoire. Ce n'est pas non plus avec joie
que nous avons vu l'accident dont a été le théâtre une de nos principales
villes manufacturières.
Mais qu'est-ce à dire ? Les Belges que le sort désigne
pour le service de l'armée cessent-ils d'être Belges, du jour où ils ont revêtu
l'uniforme, du jour où ils sont préposés par la loi au maintien de l'ordre ?
Et si nous avons de la pitié pour les malheureux qui
tombent victimes de manœuvres anarchistes, n'y aura-t-il pas un mot de
compassion pour ces hommes, Belges aussi, qui tombent victimes sous les
projectiles de toute espèce de la mutinerie ?
Ce qu'on doit demander à l'armée, à tons les
fonctionnaires chargés de maintenir l'ordre public, c'est de la réserve, de la
modération, de la patience même. Mais il arrive un moment où le sentiment du
devoir et de la défense personnelle commande à tout homme de cœur des moyens
énergiques.
L'armée est inutile, nous dit-on ; l'armée ne peut
rien contre le soulèvement du peuple, témoin les désastres qui viennent
d'accabler les années permanentes de la plupart des pays de l'Europe.
L'armée ne peut rien. Distinguons, s'il vous plaît !
L'année ne peut rien lorsqu'elle est appelée à
soutenir une politique qui ne vaut rien, un gouvernement qui ne vaut rien, qui
a pu devenir antipathique à une partie de la nation. Mais l'armée est bonne,
quand marchant d'accord avec l'opinion, elle est appelée à défendre une bonne
cause, une bonne politique, un bon gouvernement.
Sous ce rapport nous n'hésitons pas à le dire, l'armée
belge ne donnera pas le spectacle que donne ou que pourrait donner l'armée dans
d'autres pays. (Marques unanimes
d'adhésion.)
Il y a entre nos populations et notre armée un lien de
confiance réciproque qui doit assurer l'ordre et la sécurité.
Nous n'insistons pas, messieurs, sur ces accidents
malheureux auxquels il a été fait allusion. Nous serions trop heureux vraiment
si les excitations par lesquelles on cherche sans cesse à troubler l'esprit de
nos populations, les sortes d'appâts qu'on leur jette de toutes parts, ne
déterminaient, sur l'un ou l'autre point du royaume, quelqu'une de ces émeutes
partielles, de ces émotions populaires qui malheureusement ne peuvent pas
toujours être évitées.
L'armée, nous dit-on, inutile à l'intérieur, est
inutile contre les dangers extérieurs. Nous avons pour nous le manifeste d'une
nation voisine.
Messieurs, personnellement le gouvernement belge a une
confiance entière dans la loyauté des déclarations du gouvernement provisoire
de France. Le gouvernement belge n'a pas de raisons de mettre en doute les
déclarations si loyales qui lui ont été faites par l'honorable M. de Lamartine.
Mais, messieurs, le gouvernement belge doit tenir compte des circonstances au
milieu desquelles se trouve le gouvernement provisoire de France. Il y aurait
injustice à faire retomber sur ce gouvernement la responsabilité des actes si
regrettables qui se sont commis sur son territoire vis-à-vis de la Belgique. Si
je suis bien informé, en ce moment encore il se passe dans une de nos villes
frontières, vis-à-vis des sujets belges, des excès regrettables.
Mais après avoir fait cette part à la position du
gouvernement français et par cela même que nous lui faisons cette part,
n'est-ce pas pour nous un motif de plus de nous garder nous-mêmes de la manière
la plus vigilante et la plus ferme ? Et je fais un appel au bon sens de
l'honorable M. Castiau, lui qui ne veut devoir qu'au développement pacifique de
nos institutions le système qu'il croit le meilleur pour le bonheur de son pays ;
je lui demande si l'armée belge, dans cette circonstance, n'a pas rendu un
service signalé au système même qu'il défend ? Je lui demande si, dans l'état
actuel de l'organisation de la garde civique qui est spécialement destinée,
qu'on le remarque bien, à maintenir l'ordre dans chacune des localités à
laquelle elle appartient, je lui demande ce que serait devenu le pays à l'heure
qu'il est, s'il avait été livré sans défense aucune à l'invasion de ces bandes
que le gouvernement français lui-même n'a pas eu assez de puissance pour
maintenir dans l'ordre sur son propre territoire.
La nation belge est neutre. C'est là son droit ; c'est
là sa force. Mais à quelles conditions est-elle neutre ? A quelles conditions
peut-elle espérer d'être respectée comme neutre par les nations étrangères ?
C'est à la condition de pouvoir défendre d'abord elle-même cette neutralité. La
Belgique sans armée n'est plus un territoire neutre ; c'est un territoire
ouvert à toutes les invasions du nord, du midi ou de l'est. Qu'on soit bien persuadé
messieurs, de cette vérité : nous ne serons neutres, nous ne resterons neutres
qu'à la condition de pouvoir défendre nous-mêmes fortement, efficacement notre
neutralité.
Sans doute, messieurs, il en coûte quelque chose au
pays de mettre sur pied un plus grand nombre d'hommes. Mais veut-on bien
calculer ce qui lui en coûterait d'une invasion même passagère ? Veut-on bien
calculer ce qu'il lui en coûterait d'un désordre général qui ne durerait que
vingt-quatre heures ? Les dépenses que nous faisons aujourd'hui, ce sont de
sages, de prévoyantes économies. Voilà comment nous les envisageons et comment
le pays doit les envisager.
On enlève, dit-on, un
très grand nombre d'hommes à leurs travaux. C'est une perte de salaire, une
perte très considérable de profils pour le pays. Mais si ces hommes que nous
arrachons momentanément à leurs travaux, contribuent au maintien de l'ordre
dans leur pays, contribuent à maintenir la sécurité en faveur des autres
travailleurs, je dis, messieurs, que ce n'est pas une perte, que c'est encore
un bénéfice immense que nous assurons au pays. Chaque jour d'ordre qui est
assuré au pays lui vaut des sommes immenses. Chaque jour de désordre
entraînerait le pays dans des pertes incalculables. Le pays le comprend,
messieurs ; aussi nous ne doutons pas que tous les voies qui seront émis dans
cette enceinte pour fortifier nos moyens de défense, pour fortifier notre
système financiers, ne finissent par être considérés comme les actes les plus
populaires que la chambre aura posés.
J'ignore, messieurs, si j'aurai encore à prendre la
parole dans cette séance. J'ignore si, après la retraite de l'honorable M.
Castiau, l'occasion se présentera encore pour le gouvernement, pour les membres
de cette chambre, de défendre nos institutions telles qu'elles sont. Je dois le
répéter, ces institutions sont assez fortes, sont assez belles, pour supporter
toute discussion. Je dois le répéter aussi, nous ne pourrions désirer d'avoir
jamais dans cette enceinte des adversaires plus loyaux, plus distingués, plus
conservateurs au fond que l'honorable députe du district de Tournay.
M. Castiau. - Je remercierai d'abord M. le ministre de
l'intérieur de la justice qu'il a bien voulu rendre, en terminant, à la loyauté
de mon caractère ; car, en vérité, dans son discours, il s'était permis, à mon
égard, un reproche qui aurait pu faire croire qu'il suspectait cette loyauté,
et ce reproche, je ne l'aurais pas accepté. Il avait parlé, autant que je me le
rappelle, d'une insinuation odieuse que je m'étais permise et qui aurait eu
pour effet de faire planer sur le gouvernement un reproche ne complicité avec
les bandes qui ont envahi notre territoire.
Messieurs, je n'ai certes pas l'habitude de procéder
par insinuations, et quand j'attaque, je le fais franchement et parfois trop
durement peut-être.
Si donc une insinuation contre le ministère s'était
rencontrée dans ma bouche, et qu'elle eût été injuste et odieuse, j'aurais été
tout le premier à la désavouer. Non, messieurs, je n'ai pas prétendu que le
gouvernement eût été le complice des bandes qu'il a combattues ; et jamais
surtout je n'aurais eu la pensée d'adresser une telle accusation à l’honorable
ministre de la guerre. Il connaît assez mon caractère pour que je sois persuadé
qu'il n'a pas vu, lui, dans mes paroles, ni dans ma pensée, l'insinuation qu’on
me reproche.
Je n'ai pas non plus parlé avec un froid dédain des
malheureux événements arrivés à notre frontière. J'avais au contraire déploré
l'effusion du sang. Je ne la veux à aucun prix, et quelque attaché que je sois
à mes idées et à mes convictions, si leur triomphe devait entraîner la mort
d'un seul homme, je préférerais le voir ajourner à tout jamais. Car le triomphe
d'idées de justice et d’humanité ne doit pas être souillé par une tache de
sang. Qu'on cesse donc de me reprocher une insensibilité qui n'est pas plus
dans mon caractère que dans les paroles que j'ai prononcées.
J'arrive rapidement à une autre accusation : j'ai soutenu
que le crédit supplémentaire, demandé dans les circonstances actuelles, était
inutile et (page 1220) ruineux pour le pays ; s'en suit-il que parce que
j'ai déclaré que votre armée ordinaire, appuyée de la garde nationale, aurait
été suffisante pour parer à toutes les nécessités, s'ensuit-il, dis-je, que
j'aie voulu compromettre, sacrifier en quelque sorte l'indépendance du pays,
car, vous a dit l’honorable M. Rogier, une Belgique neutre et sans armée, c'est
une Belgique perdue ?
Mais, messieurs, quand je protestais, dans cette
enceinte, contre l'exagération de notre armée permanente et de la dépense
qu'elle faisait tomber sur le pays, je ne demandais pas le désarmement ; je
réclamais, au contraire, l'adoption d'un système militaire qui offrît plus de garantie
de force et de popularité.
Je ne voulais pas seulement que la défense du pays fût
le privilège exceptionnel de quelques mille soldats ; je voulais que la défense
du pays fût le droit du pays tout entier et de toutes les classes de la
population ; je voulais la défense du pays par le pays. L'on a donc dénaturé et
mes paroles et mes intentions en m'attribuant la pensée d'ouvrir nos frontières
à toutes les agressions. Je veux aussi énergiquement que nos ministres la
défense du pays ; seulement je la veux autrement et par des moyens plus
efficaces.
Je n'en dirai pas davantage, messieurs, sur cette
question, car je n'aime pas les débats inutiles et nous aurions beau prolonger
ces discussions, je ne pourrais certes convaincre ni le ministère ni la majorité
de la chambre, pas plus que M. Rogier n'a sans doute la prétention de me
convaincre moi-même. Restons donc, messieurs, chacun dans l'indépendance de nos
convictions ; seulement rendons mutuellement hommage à la loyauté de ces
convictions, quelque divergentes qu'elles soient.
Qu'il en soit de même, messieurs, de la question de
transformation gouvernementale. A quoi bon, je vous le demande, venir
froidement examiner dans cette enceinte la question de la république et de la
monarchie ? A quoi bon perdre un temps infini à discuter des questions dont la
solution, à l'heure qu'il est, est cachée dans les décrets de la Providence ?
N'imitons pas ces Grecs du Bas-Empire qui s'amusaient
à discuter des questions de métaphysique alors que la conquête abattait les murailles
de leurs villes et que les événements venaient ébranler et balayer leur
nationalité. Les événements sont aujourd'hui plus forts que les hommes. Il en
sera de cette question de république comme de toutes les redoutables questions
qui viennent de recevoir depuis quelques semaines une solution miraculeuse en
quelque sorte. Ce n'est pas seulement la main des hommes, c'est là main de Dieu
qu'il faut reconnaître dans ces événements. Vos faibles bras ne pourraient
certes pas enchaîner la foudre, et plus que jamais on peut reproduire
aujourd'hui cette grande parole de Bossuet : « Les hommes s'agitent, Dieu les
mène. »
Qu'avons-nous à désirer encore ? Nous avons, dit M. le
ministre de l'intérieur, le gouvernement du pays par le pays, nous avons dans
notre constitution la reconnaissance de toutes les libertés. Oui toutes les
libertés sont écrites dans notre constitution ; oui, ce gouvernement du pays
par le pays était également proclamé dans notre constitution, mais à quoi cela
avait-il abouti ? à une oligarchie de 45,000 électeurs, et qu'avait produit
pendant quinze ans cette oligarchie ? Un gouvernement odieux et réactionnaire
qui avait successivement porté atteinte à toutes nos libertés et à tous nos
droits. Et je n'ai pas besoin de vous rappeler dans quel intérêt avait lieu
cette odieuse réaction. C'est elle encore qui avait ruiné nos finances et qui
vous avait précipités dans des désordres et des dilapidations qui ont creusé ce
gouffre effrayant du déficit que vous ne savez comment combler.
Eh bien, messieurs,
je ne reconnais pas, à de tels actes, le gouvernement du pays par le pays et
vous l'avez si peu reconnu vous-mêmes que pressés par l'opinion publique et les
événements de Paris, vous avez frappé d'une véritable indignité ce prétendu
gouvernement du pays par le pays en décrétant la réforme électorale. Attendez
donc, je vous prie, les résultats de cette réforme et si cet essai est aussi
malheureux que ceux que vous avez tentés jusqu'ici, si les réclamations du pays
ne sont pas mieux accueillies, si l'on n'admet pas, enfin, toutes ces économies
si urgentes, et toujours vainement sollicitées, si l'on continue à refuser ces
réductions demandées dans les dépenses de la diplomatie, de la marine
militaire, de l'armée et de toutes les administrations, si l'on ne fait pas
justice de tant de griefs et dé tant d'abus ; si enfin on ne met pas un terme à
ce système d'ostentation et de prodigalités qui a ruiné le pays, si on marche
toujours, comme on l'a fait d'expédients en expédients, de déficits en
déficits, si après avoir écrasé le peuple de charges et d'impôts, pour
alimenter les profusions gouvernementales, on l'achève aujourd'hui sous les
coups des emprunts forcés et du papier-monnaie, votre prétendu gouvernement du
pays par le pays est bien près de sa ruine ; vous aurez bientôt contre vous
toute la population, et je n'aurai pas longtemps, j'espère, à rester dans cet
isolement où je consens à me réfugier aujourd'hui, en attendant des jours
meilleurs.
M. le ministre de la guerre
(M. Chazal). - Messieurs,
j'éprouve le besoin de déclarer que je n'ai jamais douté de la loyauté du
caractère de l'honorable M. Castiau, ni de la sincérité de ses convictions. Si
les convictions de l'honorable M. Castiau sont sincères, les miennes le sont
également et elles sont très profondes. Eh bien, je le déclare à la chambre,
j'ai la conviction que si l'armée était restée sur le pied où elle se trouvait
au moment des événements de Paris, elle eût été insuffisante ; pour le maintien
de l'ordre et du repos public. J'ai eu l'honneur de déclarer à la chambre, dans
la discussion du budget de la guerre, que nous avions à peine le nombre
d'hommes nécessaire pour faire face aux besoins journaliers du service ; il est
évident que, les circonstances changeant, il devenait indispensable d'augmenter
l'armée, parce qu'elle ne pouvait plus suffire aux devoirs qu'elle avait à
remplir. Nous avons une étendue de frontières très considérable, qu'il faut
surveiller, qu'il faut garder sans cesse.
L'honorable M. Castiau prétend que la garde civique
suffirait pour maintenir l'ordre ; Je crois que si nous avions une garde
civique parfaitement organisée, elle pourrait venir en aide à l'armée, dans les
circonstances actuelles ; mais, messieurs, chacun de vous sait que la garde
civique n'existe pas, ou au moins qu'elle n'existe que dans certaines
localités, que dans toutes les villes des frontières, particulièrement, cette
garde n'est pas organisée et qu'elle n'existe que dans la capitale où je le
reconnais, elle rend les plus grands services.
C'est donc à l'armée qu'incombe le devoir du maintien
de l'ordre et de la défense du territoire. C'est l'armée qui préserve le pays
des désordres dont il est menacé et qui empêche de coupables tentatives de
réussir. Ce qui se passe en ce moment même dans le Hainaut, prouve l'utilité de
l'armée. Je parle de ce qui se passe dans le Hainaut parce que l'armée a eu le
bonheur d'empêcher, par sa présence, des collisions sanglantes entre les
ouvriers eux-mêmes. Je le disais encore, dans la discussion du budget, le plus
beau rôle de l'armée est un rôle préventif, mais elle ne peut prendre ce rôle
que lorsqu'elle est assez forte et assez bien organisée, pour imposer par sa
seule présence et pour enlever tout espoir aux ennemis du repos public et de
l'indépendance nationale.
Je le répète, messieurs, quand l'armée est forte, les
collisions sanglantes sont moins à craindre que quand elle est faible. C'est
donc dans un intérêt d'humanité autant que dans un intérêt de sécurité publique
que je demande de pouvoir mettre l'armée sur un pied respectable.
L'armée vous a donné des preuves de ce qu'elle pouvait
faire ; ce qu'elle a fait" déjà doit vous rassurer sur ce qu'elle
fera encore, et vous engager à voter le crédit que je demande. Si je puis me
dispenser de dépenser ce crédit en totalité, je serai heureux de faire toutes
les économies possibles. Mais, d'un autre côté, si les événements l'exigent, je
n'hésiterai pas à dépenser la totalité des 9 millions que je réclame.
L'honorable M.
Castiau demande si ces 9 millions suffiront ; j'ignore quels sont les
événements que l'avenir peut amener ; mais si les circonstances ne s'aggravent
pas, avec ces 9 millions, je pourrai faire face à toutes les éventualités
jusqu'au mois de septembre.
M. Castiau nous a parlé également de l'insuffisance de
l'armée pour maintenir l'ordre à l'intérieur. Il a cité l'exemple de ce
qui/s'est passé à Paris, à Berlin, à Milan. Je conçois que lorsque toute une
nation se prononce contre son gouvernement, les armées peuvent quelquefois être
insuffisantes à remplir leur mission ; mais lorsque l'armée marche avec le
sentiment national, quand on voit les populations s'armer pour la soutenir dans
sa tâche, alors une armée est toujours sûre de réussir, de maintenir l'ordre à
l'intérieur et de défendre victorieusement les frontières. Messieurs, vous
pouvez donc avoir une entière confiance dans l'armée ; elle saura remplir tous
ses devoirs, elle répondra noblement à tout ce que le pays attend de son
courage et de son patriotisme ;
M. Pirson.
- Après la déclaration que vient de faire un honorable député de Tournay, de
vouloir se retirer du corps législatif où, par la puissance de son talent, il
jetait un si vif éclat, ce n'est pas sans une certaine émotion, ce n'est pas
sans éprouver un sentiment pénible de regret que je prends la parole pour
combattre ses principes. Mais la même puissance qui détermine ses convictions
m'impose, à moi, le devoir de motiver mon opinion. Contrairement à la sienne,
je dois dire qu'il me paraît constant
que le gouvernement doit pourvoir à des dépenses extraordinaires dont seul, sur
sa responsabilité, il est en position d'établir le chiffre avec quelque
exactitude, pour ne pas, comme celui qui dirigeait les affaires dit pays en
1831, être accusé d'imprévoyance dans l'exécution des mesures que réclame la
sûreté de l'Etat.
Si, en 1851, le gouvernement avait demandé en temps
opportun quelques millions de plus pour le service de l'armée, il n'aurait pas
encouru le reproche fondé qui lui fut fait alors d'avoir exposé le pays à des
sacrifices bien autrement considérables, et à des désastres irréparables.
Certes, l'on doit plus que jamais éviter toute dépense
inutile, mais il ne faut pas perdre de vue cependant que des mesures d'économie
mal entendues pourraient non seulement augmenter l'anxiété et l'inquiétude qui
règnent dans le pays et qu'il est de notre devoir de tacher de faire
disparaître, mais encore compromettre l'avenir du pays lui-même. Il ne faut pas
qu'on puisse jamais reprocher à la Belgique d'avoir compromis sa cause, d'avoir
elle-même creusé sa tombe, eu se refusant aux sacrifices nécessaires pour la
consolidation de sa nationalité et la conservation de l'intégrité de son
territoire.
On a émis des doutes sur la nécessité de donner au
gouvernement les moyens de préparer nos moyens de défense, et de rendre
l'effectif de l'armée sous les armes plus élevé qu'il ne l'était avant les
événements du 24 février. Il me semble qu'à cet égard il ne devrait pas y avoir
de doute ; non pas que, quant à présent, je croie déjà à une conflagration
générale : aussi je ne voudrais pas, pour le moment, que notre armée fût portée
à son complet de guerre de 80,000 hommes.
Mais des préparatifs militaires, des armements de
sûreté dans nos forteresses, un effectif de 50.000 hommes me paraissent
indispensables pour parer aux événements imprévus. Dans des jours d'agitation
comme ceux au milieu desquels nous nous trouvons, personne n'oserait affirmer
que des mouvements irréguliers ne pussent se produire, que nos frontières ne
pussent être l'objet de tentatives déréglées, insensées, comme elles l'ont été
tout récemment, et contre lesquelles, il importe (page 1221) de se garantir. Eh bien, cette éventualité existant, la
prudence la plus vulgaire exige que le gouvernement se mette en mesure de pouvoir,
en toutes circonstances, défendre notre indépendance.
La condition d'existence pour la Belgique, c'est
qu'elle reste toujours libre et indépendante, c'est qu'elle n'affiche pas plus
de prédilection pour l'Allemagne que pour la France, pas plus de prédilection
pour la France que pour l'Allemagne, c'est qu'elle résiste à toute pression
extérieure, c'est qu'elle ne reçoive d'impulsion de personne et que chacun en
soit assuré.
La monarchie démocratique de la Belgique compte aujourd'hui
dix-huit années d'existence ; c'est plus que n'en compta l'empire français, qui
ne dura que dix ans ; c'est plus que n'en a compté le royaume des Pays-Bas tel
que l'avaient fait les traités de 1815, puisqu'il n'a duré que quinze ans.
C'est donc un grand fait accompli que ces dix-huit années d'existence.
Ne le compromettons pas, messieurs, je vous en
conjure, par défaut de prévoyance, par défiance dans nos ressources, par manque
d'énergie au moment critique, suprême peut-être.
Il n'entre certainement dans l'esprit de personne en
Belgique de vouloir troubler la paix de l'Europe. Malgré l'attaque déloyale
dont l'une de nos frontières a été récemment le théâtre, j'ai foi dans les
sentiments généreux de la nation française, qui, je n'en doute nullement,
désapprouve un pareil acte. J'ai foi également dans la sincérité des
déclarations du gouvernement provisoire de ce pays. Je me rappelle les services
que la France nous a rendus en 1831 et en 1832. Je ne crois pas que cette
France, si grande, si puissante, si magnanime, méconnaissant tous les principes
de liberté qu'elle proclame, se soit tout à coup transformée en une horde de
sauvages prêts à se ruer sur tous les peuples. Je ne pense donc pas que la
France songe à envahir les Etats voisins qu'ils tiennent ou ne tiennent pas à
leurs institutions et à leur nationalité. Maïs au milieu de la tourmente qui
agite presque tous les peuples, une guerre irrégulière, si pas une guerre
régulière, une guerre de frontières, étant chose possible, je le répète, la prudence
la plus vulgaire commande de se prémunir contre toute éventualité. Telle est
aussi la règle de conduite suivie dans tous les Etats ; et c'est ainsi qu'en
Angleterre, qu'en Hollande, qu'en Prusse, qu'en Allemagne, qu'en Autriche,
qu'en France même, tout en protestant des dispositions les plus pacifiques, on
arme activement.
Pas plus que dans ces Etats, il ne faut perdre de vue
qu'en cas d'agression, qu'en cas de guerre régulière ou irrégulière, la seule
chose respectable c'est la force, et qu'on foulerait sans pitié le sol de la
Belgique, et qu'on dévasterait notre belle patrie, qu'on la ferait peut-être
disparaître à tout jamais du rang des nations si, à un moment donné, elle
n'était en état de se défendre. Il faut que la Belgique, sous peine de déchoir,
sous peine de perdre sa nationalité, défende ses frontières si elles venaient à
être attaquées, il faut qu'elle soit mise à même de repousser toute agression,
de quelque manière ou de quelque côté qu'elle puisse se présenter.
Qu'on ne vienne pas nous dire, comme je l'ai entendu
exprimer dans les sections, que nous sommes trop faibles pour résister à nos
puissants voisins. La force, de quelque part qu'elle vienne, lorsqu'elle repose
sur le droit et la justice, impose toujours. Rappelez-vous ce qui s'est passé
en Suisse, il y a bien peu de temps. Rappelez-vous ce qui s'est passé dans le
même pays, il y a quelques années. Sommée de renvoyer de son territoire un de
ses concitoyens, la Suisse consultant moins ses forces que son honneur, se
présenta en armes à sa frontière, pour repousser l'injuste agression dont on la
menaçait. Osa-t-on l'attaquer ? Non, messieurs. Pourquoi ? Parce que la
manifestation d'un peuple qui se montre unanime à défendre ses droits et son
indépendance, qui ose faire acte de nation, qui fait acte de virilité et non de
lâcheté, impose même aux plus puissants. .
Qu'on ne vienne pas non plus, ainsi que cela a eu
lieu, invoquer notre neutralité comme devant nous dispenser de prendre des
précautions militaires. Neutralité ne signifie pas impuissance ; neutralité ne
signifie pas qu'on doive se livrer sans défense à la merci du premier
envahissant. Neutralité signifie l'état politique d'un peuple qui, en cas de
guerre entre deux ou plusieurs puissances, doit s'abstenir de toute
participation aux hostilités. Mais, ainsi qu'en maintes circonstances nous
l'avons déjà fait remarquer avec plusieurs honorables collègues et, entre
autres, avec l'honorable M. Lebeau, c'est principalement pour le cas de guerre
qu'une semblable stipulation est insérée dans les traités, et elle impose pour
devoir de posséder un établissement militaire tel que la neutralité puisse être
maintenue et défendue. Un peuple qui l'accepte doit savoir s'imposer les
sacrifices qui en sont la conséquence.
Tout peuple qui ne sait pas s'imposer ces sacrifices,
qui, le cas échéant, ne sait pas souffrir pour maintenir son indépendance, qui
doute de soi, qui s'abandonne soi-même, qui se demande dans les moments
difficiles s'il vaut mieux d'être ou ne n'être pas, un tel peuple ne doit par
aspirer au titre de nation, il n'en est pas digne.
D'ailleurs, messieurs, pour ceux qui pourraient
éprouver certains scrupules, je leur rappellerai que la France elle-même, ayant
pris une part activé au traité nous imposant une neutralité perpétuelle, doit
voir avec satisfaction notre volonté ferme de rester fidèles à ce traité. Elle
doit nous savoir gré de l'altitude et des précautions militaires que nous avons
prises, parce que les armements que nous avons faits en vue de maintenir cette
neutralité, couvrent sa frontière la plus vulnérable. Si nous voulons vivre en
bonne harmonie avec nos voisins, si nous ne voulons pas disparaître de la carte
européenne comme nation, si nous voulons trouver au besoin de véritables
alliés, ne méconnaissons pas le traité qui nous a constitués en nation
indépendante. Remplissons fidèlement toutes les obligations qu'il nous impose,
et de même que, pour les questions intérieures, il ne doit y avoir en Belgique
ni Wallons, ni Flamands, ni Liégeois, ni Gantois, de même pour les questions
extérieures, il ne doit y avoir ni Allemands, ni Français, mais toujours des
Belges, de bons Belges, unis par des liens communs, par des liens nationaux,
disposés en toutes circonstances à se prêter un mutuel et énergique concours
pour consolider notre nationalité.
Veuillez d'ailleurs remarquer, messieurs, que la
plupart des dépenses qui vous sont demandées pour le service de l'armée ne sont
que temporaires. Elles cesseront aussi tôt que l'état de choses permettra de
ramener notre établissement militaire aux prévisions budgétaires. Tout en
voulant donc éviter qu'on ne fasse de dépense inutile, je crois que nos
armements, qui ne sont que de simples précautions militaires, sont
indispensables. Je pense que le gouvernement ne pourrait, dans les circonstances
actuelles, sans compromettre sa responsabilité, ne pas préparer nos moyens de
défense, et, dès lors, je ne puis, en conscience, lui refuser les allocations
qu'il demande à cet effet.
Je ne me dissimule pas, messieurs, que la situation du
pays, au point de vue financier, industriel et commercial, ne soit grave,
qu'elle mérite d'être profondément méditée, qu'elle présente des complications,
que beaucoup d'intérêts ne soient en présence et en souffrance. Mais il ne faut
pas tout à fois s'exagérer cette situation. Il n'y a pas lieu d'en désespérer.
Avec du cœur et de l'énergie, on peut faire sortir la patrie triomphante de
tous les embarras qu'elle présente. La position actuelle, quelque grave,
quelque critique qu'elle soit, ne m'apparaît nullement comme désespérée. Notre
salut est entre nos mains. Si nous faisons les efforts et les sacrifices
nécessaires, nous saurons nous dégager des écueils où nous a précipités le
courant des événements. D'ailleurs n'est-il pas dans la vie des nations, comme
dans celle des individus, des moments de crise, où il faut savoir supporter des
remèdes violents pour conserver l’existence ? Lorsqu'il s'agit de défendre
l'honneur national, lorsqu'il s'agit de maintenir son indépendance, doit-on
reculer devant des sacrifices momentanés, quelque grands qu'ils puissent être ?
De 1831 à 1834, la situation de la Belgique ne fut-elle pas aussi très grave ?
N'y eut-il pas à cette époque une stagnation complète dans les affaires ? La
Belgique a-t-elle péri pour cette raison ? Non, messieurs ; alors elle n'a pas
hésité à faire tous les sacrifices que réclamait la situation, et elle est
sortie de cette épreuve plus laborieuse et plus prospère que jamais.
Que le cœur ne lui manque pas aujourd'hui ! Qu'elle
sache supporter avec résignation les souffrances du moment ! Elle trouvera sa
récompense dans une considération justement méritée, et je l'espère aussi, dans
un avenir plus heureux. Je le dis avec une profonde conviction, si nous sommes
sages et unis, la Belgique vivra, je n'en forme aucun doute. Comme aussi, si
nous avons le malheur de nous diviser, hélas ! je le dis avec douleur, je le
dis avec effroi, je crains pour son indépendance.
En demandant la parole, messieurs, mon intention n'a
été que de motiver mon vote. Je ne prolongerai donc pas cette discussion,
considérant d'ailleurs comme inopportune et dangereuse celle qui aurait pour
objet de s'appesantir sur les détails du crédit qui nous est demandé. Mais
avant de terminer, qu'il me soit permis d'émettre un vœu et d'exprimer l'espoir
qu'il ne reste pas stérile.
Dans des questions comme celles qui nous occupent,
dans des questions ayant pour objet, comme toutes celles qui se rattachent à
l'emprunt proposé, d'engager les finances de l'Etat en imposant les
contribuables, l'unanimité des opinions n'est guère possible, je le reconnais.
Je respecte toutes celles qui se sont produites dans les sections, comme toutes
celles qui se produisent et qui pourront se produire dans cette enceinte en
séance publique. Je les crois toutes également consciencieuses, et loin de moi
la pensée d'en critiquer aucune. Mais, en présence de la gravité des circonstances, je supplie mes honorables collègues de les
produire avec réserve. Ne nous irritons pas, ainsi que je l'ai vu déjà ; ne
donnons pas le spectacle affligeant de perdre nous-mêmes notre cause, de
fournir des armes à ceux qui pourraient nous convoiter et voudraient nous
exploiter ; songeons que cette discussion prendra sa place dans l'une des pages
les plus importantes de notre histoire ; faisons en sorte que la Belgique n'ait
qu'à s'enorgueillir et à s'honorer des résultats qu'elle doit produire ;
entretenons et développons ces sentiments de patriotisme qui animent nos
populations, ces sentiments d'amour national et de dévouement à nos
institutions ; mettons en pratique la devise de notre drapeau, « l'union
fait la force », en renforçant l'action du gouvernement qui a besoin de
noire concours actif ; et, messieurs, par l'accord entre tous les pouvoirs,
faisons en sorte de conserver intact ce drapeau qui aujourd'hui fait
l'admiration de tous les peuples, qu'en 1830 nous avons conquis si
glorieusement et au prix de notre sang, et sur lequel se trouvent inscrites
toutes les libertés.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, si je me lève en ce moment, la chambre
comprendra que je n'essayerai même pas d'exprimer le sentiment de profonde
tristesse que j'ai éprouvé en entendant annoncer la retraite d'un homme, dont
me séparant sans doute des dissentiments politiques, mais qui a plus que
personne et mes plus vives sympathies et (page
1222) mon estime ; estime, messieurs, qui n'est qu'un faible hommage qu'une
longue intimité me fait payer au plus noble caractère.
Je ne viens pas non plus traiter la question de notre
politique extérieure, touchée en des termes si justes par l'honorable M.
Pirson. Je pense avec lui que l'attitude de la Belgique doit être modeste et
ferme. La Belgique doit se montrer vis-à-vis de toutes les nations sans
timidité, sans faiblesse, comme sans provocation.
Un pays libre peut regarder en face les peuples qui,
dans leur légitime colère, secouent le joug d'un gouvernement tyrannique.
Si j'ai pris la parole, messieurs, c'est seulement
pour motiver mon vote.
Je né cacherai pas à la chambre que j'ai été opposé au
crédit supplémentaire de 18 millions demandé pour les dépenses extraordinaires
du département de la guerre.
Dans ma section, j'ai voté contre ce crédit. Au sein
de la section centrale, j'ai combattu le principe d'une pareille dépense
extraordinaire, et lorsque la section a émis son vote, je me suis abstenu.
Je crois donc devoir à la chambre et me devoir à
moi-même de dire en quelques mots par quelles considérations je donnerai au
crédit un vote favorable.
Il n'est personne qui n'apprécie ce que les
circonstances ont de grave, et ce qu'elles laissent à l'imprévu. Et s'il ne
s'agissait que du but à atteindre, la discussion serait bientôt terminée ; ou
plutôt toute discussion serait impossible ; car tous, tous sans exception, nous
voulons que nos frontières soient efficacement protégées ; que l'ordre public
soit maintenu ; que les lois du pays soient respectées. Sur les moyens
d’atteindre ce but, il y a également accord, au moins dans certaines limites ;
car personne ne conteste que l'action de l'armée ne soit une nécessité pour
défendre nos frontières contre les irruptions anarchiques du dehors. Personne
non plus ne conteste que l'armée ne puisse être éminemment utile, en concourant
au maintien de l'ordre public à l'intérieur.
La discussion n'était donc possible et elle ne s'est
effectivement élevée que sur le chiffre de la dépense. Sur cette question, je
dois le dire, il s'est présenté des objections et j'ai eu les doutes les plus
graves. J'étais convaincu, en présence de la situation qui se développait si
rapidement sous nos yeux, que la demande d'un crédit de 18 millions formée par
M. le ministre de la guerre était empreinte d'exagération, et tout au moins
qu'elle dénotait de sa part un peu trop de laisser-aller dans les dépenses
extraordinaires de son département.
Je suis heureux de pouvoir déclarer que M. le ministre
de la guerre a fait disparaître en grande partie ces objections. Il a en effet
consenti à réduire le crédit de 18 à 9 millions. Par-là, il a non seulement
consenti à ce que le crédit se bornât à pourvoir aux dépenses jusqu'au 1er
septembre ; mais il a fait connaître à la section centrale qu'il s'agissait
d'une réduction bien positive sur tout le chiffre des dépenses extraordinaires
de l'armée, puisqu'il ne faudrait plus que 4 millions pour les 4 mois restants
de l'année, de septembre à décembre. C'est-à-dire, que toute la dépense
extraordinaire du 25 février au 31 décembre ne s'élèvera qu'à 13 millions, au
lieu de 18.
Et ce n'est pas tout. M. le ministre de la guerre a ajouté,
dans l'exposé des motifs du crédit même de 9 millions, qu'une partie des
dépenses n'était qu'éventuelle. Ces dépenses ne doivent donc pas absolument se
faire. M. le ministre consultera les circonstances ; il ne cédera qu'aux
nécessités les plus impérieuses de la situation, et il devra ne pas perdre de
vue que le premier devoir que la situation du pays lui impose, est de lui de
faire des économies partout où elles seront compatibles avec l'honneur, avec la
sécurité, avec la dignité du pays.
Indépendamment de cette réduction sur le chiffre de la
dépense, les circonstances extérieures sont telles, les faits que M. le
ministre de la .guerre a communiqués à la section centrale sont tels qu'ils
suffisent à déterminer de ma part un vote favorable et à ne point le faire
dépendre d'une réduction ultérieure sur quelques-uns des articles du tableau
annexé au projet.
Seulement, je recommanderai avec instance à M. le
ministre de la guerre de ne pas oublier que si la situation actuelle n'est pas
la paix, ce n'est pas non plus la guerre, que par conséquent le statu quo peut
se prolonger longtemps, et que le pays, qui a passé par deux années
calamiteuses, est bien près d'être épuisé. Or, si, la guerre venait à surgir de
l'état actuel de l'Europe, il faudrait que la Belgique eût assez de ressources
encore pour un héroïque effort.
Vient ensuite la question du maintien de l'ordre à
l'intérieur. Là, messieurs, je ne puis partager non plus complètement les vues
émises par M. le ministre de la guerre. Je crois, pour mon compte, qu'il faut
largement associer la bourgeoisie à la défense de l'ordre public.
Si la garde civique n'est pas généralement organisée,
c'est là une organisation qui doit se faire au plus tôt, et qu'en attendant on
doit tirer de la garde civique, telle qu'elle est, tous les services qu'elle
peut rendre si utilement pour le pays.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). -
C'est ce qu'on fait.
M. d’Elhoungne. - C'est ce qu'on ne fait
pas précisément partout, M. le ministre.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier). -
Il faut s'adresser aux communes.
M. d’Elhoungne. - M. le ministre de
l'intérieur me dit : Il faut s'adresser aux communes Mais la chambre s'occupe
de faire une loi qui permettra, je pense, de forcer les communes à faire leur
devoir. Or, s'il y eut jamais une situation où tout le monde dût faire son
devoir, n'est-ce pas la situation où se trouve le pays ?
Je disais, messieurs, qu'il entrait dans les devoirs
les plus impérieux du gouvernement d'alléger autant que possible les charges
qui doivent grever actuellement le pays, et que dans ce but le gouvernement
devait nécessairement associer d'une manière plus large qu'il ne l'a fait
jusqu'à présent, la bourgeoisie au maintien de l'ordre public et à la défense
des institutions du pays. A cette occasion, qu'il me soit permis de dire à M.
le ministre de l'intérieur, qu'il aurait dû, dans son discours, surtout insister
sur la force d'une armée, qui a l'opinion du pays derrière elle. Il ne suffit
pas de dire, en effet, que l'armée est forte lorsqu'elle soutient un bon
gouvernement. Tous les gouvernements se croient les meilleurs possibles, et ne
manquent pas de le crier à leur armée ; mais il faut dire qu'une armée est
forte, lorsqu'elle a avec elle le sentiment du pays, tandis qu'elle est bientôt
balayée, lorsqu'elle a contre elle le sentiment du pays, lorsque le souffle du
pays l'étouffe en quelque sorte, et la paralyse.
Et revenant ici sur
un douloureux incident, auquel M. le ministre de l'intérieur a fait allusion,
et dont j'ai presque été le témoin, qu'il me soit permis d'insister
énergiquement pour que la légalité la plus stricte, la plus scrupuleuse, et,
pour répéter un mot de M. le ministre, la plus patiente, préside toujours à la
répression des désordres qui pourraient éclater dans le pays. J'espère que de
pareils désordres n'affligeront plus le pays ; et je dois le dire pour l'acquit
de ma conscience, je forme des vœux pour que ce triste accident, que cette
déplorable collision apprenne au peuple qu'il est toujours la première, qu'il
est presque toujours la seule victime de ceux qui le poussent à l'émeute. Je
fais des vœux pour qu'il sorte de là cette douloureuse leçon, que les maux que
la perturbation d'un pays entraîne retombent directement, nécessairement,
fatalement sur le peuple, qui, je le répète, en est souvent la seule et
toujours la première victime. (Très bien
! très bien !)
M. Eenens. - Je crois, messieurs, que la question des dépenses
pour l'armée est de la plus haute importance et qu'elle mérite d'être examinée
attentivement par la législature.
La situation politique, au point de vue extérieur,
peut se prolonger et se maintenir longtemps encore dans l'étal actuel.
Notre situation militaire, alors, serait analogue,
sinon identique, à ce qu'elle fut, pendant notre altitude de 1833 à 1839
vis-à-vis la Hollande, lors du statu quo.
En effet, que s'est-il passé durant cette période de
sacrifices ? La Hollande a tenu ses forces militaires au complet ; la Belgique
maintint sa cavalerie et son artillerie, mais elle renvoya en congé bon nombre
de miliciens de son infanterie, toujours prêts à rejoindre au premier appel.
Réduisant ainsi considérablement ses dépenses, elle ne s'épuisa point de
ressources, tandis que la Hollande tomba écrasée sous le fardeau de la lutte
financière qui s'éleva entre les deux Etats, et dut souscrire à des conditions
de paix jusqu'alors refusées.
Evitons, messieurs, de faire aujourd'hui ce que fit
alors la Hollande. Ne ruinons pas nos finances par des dépenses intempestives.
Conservons pour le moment décisif des ressources qui peut-être ne se
renouvelleraient plus.
L'armée belge peut se trouver en face de trois grandes
éventualités :
L'invasion du territoire par une forte armée
étrangère.
L'incursion de bandes armées plus ou moins nombreuses.
Les troubles intérieurs. Examinons ces trois
éventualités.
J'ai approuvé la mesure prise par le gouvernement
d'augmenter, dans une notable proportion, l'effectif de notre armée, à la
première nouvelle de l'avènement en France d'un gouvernement nouveau.
Nous ne savions quelles seraient ses intentions à
l'égard de la Belgique. Nous devions nous montrer envers lui, envers l'Europe,
fortement résolus à maintenir notre indépendance, fermement décidés à rester
toujours une digue de neutralité prête à résister aux tentatives
d'envahissement, de l'un comme de l'autre côté.
Mais depuis que la France et la Belgique ont échangé
entre elles des assurances pour le maintien de la paix, les armements coûteux
sur notre frontière du midi ne sont plus aussi nécessaires ; ils pourraient
être mal interprétés et donner à nos voisins des idées de méfiance qu'il est
d'une sage politique de ne pas laisser se former ; car, selon moi, elles
pourraient nous attirer un danger réel, et se traduire en tempêtes.
Le gouvernement provisoire de France paraît
aujourd'hui consolidé par l'assentiment général. L'armée, le clergé, le parti
légitimiste, nul ne s'oppose à lui. Tout, au contraire, fait présager qu'il
atteindra sans secousse l'époque de la réunion de l'assemblée nationale.
Celte première phase passera donc, on peut le dire,
sans que nous ayons à redouter les atteintes d'une guerre. La seconde phase, la
réunion des mandataires de la France, amènera probablement ces longues
discussions qui précèdent toute promulgation d'institutions politiques
nouvelles.
Nous trouvant ainsi à l'abri d'une guerre imminente,
nous traverserons plusieurs mois pendant lesquels nous pourrons économiser
plusieurs millions.
Mais s'il devait en être autrement ; si la nature des
événements faisait présager quelque danger, nous rappellerions sur-le-champ nos
miliciens d'infanterie, et la Belgique aurait, en quelques jours, remis son
armée sur le pied actuel, tout en réalisant une économie de sommes très
importantes.
(page 1223) Quant à la seconde éventualité : l'incursion
de bandes armées, elles ne seraient pas redoutables au point de ne pouvoir être
repoussées, sinon détruites, par les 25,000 hommes dont l'entretien a été
assuré déjà par le budget de 1848.
Mais il faut se hâter d'organiser la garde civique
pour profiter de son concours gratuit, pendant qu'une partie des troupes
opérerait en colonnes mobiles.
L'attitude de la garde civique de Bruxelles, la seule
qui soit organisée, nous prouve quels services elle est capable de rendre.
Pour les troublés intérieurs, ils ne sont réellement à
craindre que lorsque les malveillants trouvent de l'écho dans les masses.
Ils n'en trouveront point aussi longtemps que la
majeure partie de la population ouvrière aura du travail.
Le moyen de lui en fournir, c'est de venir en aide au
commerce et à l'industrie, c'est de raffermir le crédit pour empêcher que les
ateliers ne chôment, c'est de faciliter toutes les transactions par la
confiance dans l'avenir du pays.
Cette confiance ne saurait manquer de s'accroître, si
l'on voit le gouvernement économiser, en temps opportun, sur les dépenses de
l'armée, afin de n'être pas réduit à pressurer le pays par de lourdes charges
qui pourront se renouveler maintes fois avant le moment décisif où il importe
d'avoir l'armée dans toute sa force.
Sans doute il serait préférable d'avoir toujours sous
la main des forces militaires imposantes, pour parer à toutes les éventualités
; mais l'entretien de forces militaires imposantes exige des ressources
financières considérables, et on sait que, pour le moment, nos ressources
financières sont très limitées.
Un temps viendra, il est prochain peut-être, où le
gouvernement ne pourra plus rien prélever sur le pays sans l'obérer
entièrement.
Il serait donc d'une sage prévoyance de réserver,
comme je viens de le dire, le grand déploiement de forces pour le moment du
besoin bien réel et de s'écarter, en attendant, le moins possible des limites
du budget de la guerre pour 1848.
Renvoyons sans crainte les miliciens d'infanterie dans
les campagnes. Le travail y est assuré à cette époque de l'année ; et, quant à
ceux des villes, laissons-leur l'option de rester sous les drapeaux.
Messieurs, je ne sais si je me trompe, mais, d'après
moi, l'ennemi le plus pressant à combattre, le plus dangereux, pour le moment
du moins, c'est la crise financière, suite du défaut de confiance qui ébranle
le crédit.
Pour ramener la confiance qui rétablisse le crédit et
fasse cesser la crise financière, il faut que chacun sache que le gouvernement
procède avec la plus stricte économie, il faut que les petits contribuables
n'aient pas la crainte de voir épuiser leurs dernières ressources par les besoin
sans cesse, renaissants du trésor.
Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous dire que, de 1833
à 1839, la Belgique a tenu sur pied de guerre sa cavalerie et son artillerie.
L'artillerie comptait 17 batteries attelées de 3,000 chevaux.
L'emploi de ces 3,000 chevaux, pendant 6 années, eût
pu produire des sommes énormes, sans nuire à leur destination militaire ; mais
rien n'a été fait en dehors de cette destination.
Les événements récents peuvent nous remettre dans une
situation pareille à celle de 1833 à 1839.
Cette situation me
paraît normale, en quelque sorte, pour la Belgique, car elle est
inhérente au principe de sa neutralité qui, pour être respectable, a besoin de
s'appuyer sur la force autant que sur la loyauté.
Sa loyauté ne fera jamais défaut ; quant à sa force,
elle doit la perdre le jour où elle aura épuisé ses finances. Ce jour, elle
verra déchoir sa nationalité et péricliter son indépendance.
Je veux fermement l'indépendance de mon pays ; pour la
maintenir je ne reculerai devant aucun sacrifice personnel, mais, je la veux
par des moyens qui ne la ruinent point ; je tiens à éviter qu'on ne nous
reproche un jour d'avoir fait des dépenses d'une utilité contestable.
Un bon moyen de sauver la Belgique, le seul peut-être,
c'est d'entrer bien vite et sans hésitation dans une large voie d'économies, il
est des nécessités qu'hommes et nations doivent fatalement subir, et nous
sommes à un de ces moments-là.
Je le dis avec franchise : je crains de voir
s'épuiser, avant le temps du besoin réel, des ressources que nous ne saurons
sans doute plus renouveler.
Ne négligeons aucun moyen d'assurer notre marche au
milieu des difficultés qui nous environnent, mais craignons, en ouvrant une
trop large voie aux besoins du trésor, de nous réduire à l'impuissance avant
peu.
Dans le cas où la situation du statu quo de 1833 à
1839 se représenterait avec les dépenses qu'elle nécessite, je pense qu'il
importe, que le pays reçoive du gouvernement la déclaration qu'il est en mesure
d'utiliser la situation de manière que les dépenses devant se prolonger, elles
ne soient plus, comme elles le furent à cette époque des dépenses sans
compensation.
Si le gouvernement prend ce parti, il trouvera un
puissant auxiliaire dans les efforts qu'il fait pour ramener la confiance dans
les transactions financières.
Si, entrant dans la voie des essais de défrichement
qu'il a en quelque sorte annoncée déjà, il combine ces essais avec l'emploi de
la troupe, il peut créer au trésor des valeurs immenses, et je ne crains pas de
tomber dans l'exagération en disant que ces valeurs seront toutes trouvées pour
lui, dès l'instant où il pourra destiner aux travaux du défrichement une partie
de son artillerie montée.
Nul doute que la possibilité d'exécuter un pareil
projet ne contribue puissamment à ramener la confiance et à fortifier le crédit
public.
La chambre, je le sais, ne peut en ce moment mettre à
l'étude le projet dont il s'agit, mais les moyens de réalisation sont si
simples et si clairs, que le pays, je le crois du moins, s'en préoccupera en
attendant que la chambre puisse l'examiner.
C'est l'opinion publique qui soutient le crédit
public. Cette considération seule me détermine à prendre la parole, persuadé
qu'indiquer une source nouvelle de produits, c'est déjà y conduire les esprits,
les engager à sonder la voie, leur montrer qu'elle n'est pas stérile et partant
les ramener tous à la confiance.
Mais il ne suffit pas d'indiquer cette source. Pour
qu'elle réagisse favorablement sur le crédit, il faut que l'opinion publique l'admette
comme vraie.
Pour l'admettre il faut l'examiner, pour qu'on
l'examine il faut la lancer dans la discussion, afin que les hommes spéciaux en
fussent justice si elle est erronée, ou concourent à sa réalisation, si elle
est fondée sur des principes vrais.
J'ai vu, messieurs, à la page 21 des documents qui
nous ont été distribués, comme annexes au n° 132, que le gouvernement ne serait
pas éloigné d'entreprendre lui-même, au besoin, des essais de colonisation, par
le défrichement des terres incultes, essais dont la faculté lui est donnée par
l'article 8 de la loi du 25 mars 1847.
J'applaudis d'autant plus fortement à cette idée, que
j'attache les plus grands bienfaits à sa réalisation. Non seulement je la
regarde comme un moyen puissant de bien-être pour les populations pauvres des
Flandres qu'on pourrait y transplanter dès que le sol aurait été préparé de
manière à pourvoir à leur subsistance et que les habitations destinées à les
recevoir auraient été construites ; mais je la considère encore comme susceptible
de devenir une source féconde de produits pour l'Etat.
Si au contraire, comme il se le propose, le
gouvernement se contentait de la construction des routes, des édifices du
culte, des écoles, etc., c'est à lui qu'incomberait toute la dépense, c'est aux
particuliers que reviendrait tout le profit de la plus-value que les travaux
faits dans ces localités donneraient à leurs propriétés, la situation du trésor
ne permet plus de semblables largesses.
Par le défrichement des bruyères de la Campine l'Etat
peut se créer une réserve financière s'élevant à un chiffre considérable. Que
doit-il faire pour cela ? Transformer en terres fertiles les bruyères de la
Campine, au moyen des troupes à cheval, les sillonner de routes nombreuses, les
garnir de plantations, de haies afin de préserver les récoltes de l'action
violente des vents, amender par une addition d'argile leur sol aujourd'hui
d'une nature trop sablonneuse, les ramener, en un mot, aux proportions des
bonnes terres, pour les remettre en vente, après leur avoir fait subir une
transformation complète, par quelques années de culture intelligente.
L'extraction, le transport de cette argile que recèle
en tant d'endroits le sous-sol de la Campine, s'élèveraient à des sommes
énormes pour des particuliers, tandis que ces mêmes travaux ne coûteraient rien
ou presque rien au gouvernement, par l'emploi des attelages et des soldats dont
l'entretien est assuré au budget.
Livrées à la culture par l'industrie particulière, les
landes de la Campine resteraient toujours, à peu d'exceptions près, à l'état de
terres trop légères, et en conserveraient tous les défauts. En effet, chaque
récolte, pour acquérir quelque valeur, y exige et absorbe une énorme quantité
de fumier, tandis que chaque année de sécheresse y fait un tort immense aux
produits, et détruit en grande partie les espérances, et parfois la fortune du
cultivateur.
Que la troupe les cultive, les amende, les sillonne de
routes pour le compte du gouvernement, et bientôt nous verrons ces mêmes landes
ramenées à la composition d'un sol fertile, par l'addition à la couche arable
d'un dixième d'argile. Alors le gouvernement les mettrait en vente, et les
livrerait à l'industrie particulière dans des conditions de fertilité qui leur
auraient fait acquérir une grande valeur, tandis qu'elles demeureraient
peut-être pour toujours à l'état de terres très médiocres, si les particuliers
entraient en possession, avant qu'elles eussent subi les opérations que je
riens d'indiquer.
L'Etat mettrait successivement en vente l'immense étendue
de terrain que l'armée, aurait fertilisée, au moyen d'une partie des 6,000
chevaux que va nourrir le trésor public.
Le rôle de ces chevaux sera d'aider à transformer le
sol de manière à lui faire produire la nourriture nécessaire au bétail ; le
rôle du bétail sera d'assurer par son fumier l'entretien de la culture du sol,
amendé au moyen de l'argile.
En d'autres termes, la culture du sol de la Campine
peut être entreprise et continuée avec succès, dès l'instant où le sol est à
même de produire la nourriture du bétail. Les chevaux de troupe que l'Etat fera
nourrir sur place par ses entrepreneurs, comme il le fait aujourd'hui,
contribueront à mettre le sol en état de produire le fourrage nécessaire à
l'entretien du bétail, et comme, de son côté, le bétail est destiné à produire
les engrais nécessaires à la culture, la fertilité du sol est assurée.
Il est superflu de dire que les engrais de nos chevaux
sont tout à fait insignifiants pour opérer sur une grande échelle ; mais le
sarrasin, cultivé pour être enfoui comme engrais, semble un don de la
Providence (page 1224) fait aux sols légers et stériles pour leur donner la
fertilité qui leur manque.
Nous voyons, dans le cours d'agriculture publié par
l'Institut de France, qu'il n'y a pas de plante qui fournisse un meilleur
engrais et qui se réduise plus tôt en terreau que le sarrasin.
Ce terreau, mêlé au sol de la Campine, lui donnera
promptement la fertilité voulue.
Les particuliers peuvent reculer devant ce moyen, parce
qu'il leur faut porter en compte, outre la semence, la main-d'œuvre du labour
et du hersage. Labour, hersage, main-d'œuvre ne coûteraient guère à l'Etat par
l'emploi qu'il ferait de ses hommes et de ses chevaux. Dès lors, n'ayant à
payer que le blé sarrasin pour semence, il peut produire l'engrais, en
enterrant la récolte et opérer sur une très vaste étendue.
Les chevaux de trait de notre artillerie sont d'une
construction légère, mais ils supportent bien le travail ; ils conviennent donc
éminemment aux travaux de culture d'un sol aussi léger que l'est celui de la
Campine. Actifs et bien nourris, ils seraient à l'occasion toujours prêts à
remplir parfaitement leur destination militaire, par le soin qu'on prendrait de
ne les faire travailler qu'à demi-charge.
En Angleterre, dans le comté de Norfolk où le sol,
quoique d'une nature analogue à celui de la Campine, a été porté au plus haut
degré de fertilité, par une culture si bien entendue qu'elle peut nous offrir
d'utiles leçons, dans le comté de Norfolk on attelle ordinairement cinq chevaux
au chariot sur les routes. Les chevaux trottent toujours quand les voitures
sont vides, soit sur les routes soit dans les charriages de la ferme.
C'est un exemple que suivraient nos attelages de six
d'artillerie, qui continueraient de former ainsi un tout complet, comme à la
manœuvre des pièces.
Un point d'une bien haute importance à prendre en
considération, c'est l'économie qui résulterait pour l'Etat d'une mortalité
bien moindre des chevaux de troupe. Tout influerait favorablement sur la santé
des chevaux, le grand air remplaçant l'air vicié des casernes dans l'intérieur
des villes, le travail modéré, la nourriture variée, le fourrage vert, qu'il
est si difficile de se procurer aujourd'hui, en abondance et de bonne qualité,
dans les garnisons.
Les routes, dont la construction absorberait de fortes
sommes, s'établiraient à bien peu de frais par l'emploi de la troupe. Pendant
l'hiver, lorsque les travaux de culture et les exercices militaires
laisseraient les attelages disponibles, on les occuperait au transport de pavés
que les pontonniers auraient transportés par eau des carrières de l’Ourthe au
canal de la Campine.
Un des prédécesseurs de l'honorable ministre de
l'intérieur, M. le comte de Theux, je pense, fit demander un rapport aux
conseils provinciaux pour connaître quelles causes retardaient le défrichement
des bruyères et quels seraient les moyens de l'activer. La commission
provinciale d'agriculture de la province d'Anvers signala le manque de
population comme la cause principale, et nous voyons à la page 29 de l'analyse
des documents relatifs au défrichement des bruyères, imprimés par ordre du
ministre de l'intérieur, que cette commission propose d'employer une partie de
la population surabondante des Flandres, par l'intervention du gouvernement ou
d'une société puissante, qui acquerrait 6,000 hectares de bruyères, destinés à
l'établissement de 2,000 familles flamandes.
Ces 2,000 familles s'installeraient bien plus
avantageusement, aves bien plus de certitude de succès, sur 6,000 hectares
défrichés par la troupe. Les membres composant ces familles seraient employés
comme journaliers par des fermiers que le gouvernement trouverait facilement à
installer sur ces terres défrichées, en les choisissant parmi les fis de bons
fermiers des Flandres, dont un seul peut succéder au père, tandis que les
autres ne trouvent point à s'établir, la ferme ne pouvant être divisée par le
propriétaire.
Que l'on compare la valeur des landes dans leur état
actuel, valeur qu'en donnerait l'Etat pour entrer en possession, avec celle
d'une toute autre proportion que les travaux exécutés, presque sans frais, leur
auraient fait atteindre, et l'on pourra juger des sommes énormes qui
rentreraient au trésor public, en opérant progressivement et graduellement sur
une plus grande échelle, à mesure que l'expérience aurait grandi, que
l'éducation agricole se serait complétée, à mesure que la pratique aurait rendu
plus sûre la marche des opérations.
Pour diminuer encore les avances à faire par l'Etat,
on pourrait hypothéquer, au profit des communes, le montant du prix d'achat des
bruyères et leur en payer l'intérêt annuel jusqu'au moment où on liquiderait
soit par la vente successive des terrains fertilisés, soit par des annuités, au
moyen du produit des récoltes.
Je livre à la
sagacité de mes collègues et du ministre l'appréciation des moyens que j'ai
l'honneur de leur proposer. Je crois qu'il est le seul qui nous offre la chance
d'alimenter, par de fortes sommes, le trésor public et de créer une réserve pour
les finances de l'Etat, réserve dont l'utilité, la nécessité même sont
incontestables et qui pourrait s'élever de 60 à 80 millions, d'après le nombre
d'hectares que le gouvernement jugerait convenable de faire mettre en culture
par ses troupes, pour les revendre ensuite fertilisées, plantées, traversées de
routes nombreuses.
Lorsque ma proposition aura été examinée par ceux qui
ont des connaissances en agriculture, (et ceux-là sont nombreux dans le pays,
quoique clairsemés sur nos bancs), elle sera comprise et obtiendra leur
assentiment, qui ne saurait manquer de réagir d'une manière favorable sur
l'opinion publique et sur le crédit et d'amener la conviction que les dépenses
pour l'armée, loin d'être faîtes en pure perte, peuvent produire au trésor des sommes
énormes.
M.
David. -
Hier déjà, messieurs, j'ai eu l'honneur de vous dire que je me trouvais forcé
de voter contre tous les crédits extraordinaires demandés et qu'un emprunt forcé
serait appelé à couvrir ; vous sentirez tout de suite que celui en discussion
doit subir le même refus de ma part.
Si donc je prends la parole, messieurs, c'est
uniquement dans le but de demander à M. le ministre de la guerre de s'engager à
faire faire tous les achats de chevaux dans le pays. Dans ce moment de crise,
de malaise, c'est un devoir pour le gouvernement de dépenser dans le pays les
fonds alloués pour cet objet et de ne point donner la, préférence aux chevaux
étrangers, si même par-ci par-là l'un ou l'autre cheval indigène laissait
quelque petite chose à désirer ; l'intérêt de l'agriculture réclame cette
mesure, et je suis convaincu que M. le ministre de la guerre la prendra
volontiers. Il y a 2,000 chevaux à acheter, ils sont évalués à près de
1,200,000 fr., somme qui ainsi restera dans le pays.
M.
le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, l'honorable M. David vient de me
demander de faire acheter dans le pays tous les chevaux nécessaires pour la
cavalerie et pour l'artillerie. Je lui répondrai que j'ai déjà donné l'ordre
d'acheter dans le pays tous les chevaux que l'on pourrait y trouver. Mais il
est certain que les chevaux qui sont aptes pour la cavalerie sont beaucoup plus
chers que ceux que je pourrais acheter à l'étranger, qu'il me faudrait par
conséquent un crédit beaucoup plus considérable que celui qui est demandé pour
faire exclusivement l'achat de chevaux du pays et que je ne trouverais pas même
le nombre de chevaux suffisants. Chaque année la commission de remonte parcourt
toutes les localités du pays pour acheter des chevaux de selle et elle n'en
trouve que 60 à 80 aptes à la cavalerie.
Quant aux chevaux de trait, ils sont tous achetés dans
le pays. Par conséquent, M. David a ses apaisements à cet égard.
M. Delfosse. - Dans les temps
calmes, j'ai constamment réclamé la réduction du budget de la guerre.
Il était alors permis d'espérer que la paix du monde
ne serait pas troublée ; les gouvernements avaient le plus grand intérêt à
éviter toute secousse ; les peuples ne demandaient qu'à se donner la main.
Je ne prévoyais pas, personne ne pouvait prévoir que
la royauté de juillet, oublieuse de son origine, travaillerait elle-même à sa
chute en manifestant des prétentions d'une autre époque.
Personne ne pouvait prévoir que la royauté, issue des
barricades, irait jusqu'à défendre aux citoyens de se réunir en un banquet.
Je dois bien le reconnaître, les événements qui
viennent de surgir en France et dans d'autres pays légitiment les précautions
que M. le ministre de la guerre a prises.
Une immense responsabilité pèse sur le gouvernement.
Il doit veiller sans cesse et partout à la défense du territoire et au maintien
de l'ordre ; de l’ordre qui est, avec la liberté, le bien le plus précieux
auquel un peuple puisse aspirer.
Je croirais faire
acte de mauvais citoyen, si, dans les circonstances actuelles, je refusais au
gouvernement les moyens d'accomplir sa mission.
Un seul jour d'invasion, de désordre ou d'anarchie,
pourrait amener la ruine du pays.
Je voterai donc les 9 millions qui nous sont demandés
; mais je persiste à penser qu'il eût été sage de mettre à profit les années de
paix, dont nous avons joui, pour opérer des économies sur le budget de la
guerre ; je reste convaincu qu'on aurait pu en opérer de notables, sans
désorganiser l'année et sans se mettre dans l'impossibilité d'appeler, au jour
du danger, tous nos miliciens sous les drapeaux.
M. Destriveaux. - Messieurs, vous
voudrez bien prêter quelque attention aux paroles par lesquelles je veux
motiver mon vole. Je serai très court. Je me trouve sous l'empire d'émotions de
toute espèce : des émotions de patriotisme, et je dois ajouter des émotions
d'amitié.
Dans cette grave question, messieurs, j'ai longtemps
hésité. Des opinions contraires se sont succédé dans mon esprit. Une seule
chose était immuable chez moi ; c'était la volonté d'être utile à mon pays, de
répondre dignement au mandat qui m'a été confié par mes concitoyens. Mais entre
des besoins financiers immenses, des demandes presque incessantes de moyens
pour y faire face, entre le trouble, l'inquiétude qui sont répandus dans le
pays et sous le rapport de l'industrie et sous le rapport du commerce, je me
suis demandé jusqu'à quel point le sentiment de l'ordre dans la dépense, qui
est la véritable économie, pouvait nous gouverner dans cet instant. D'un autre
côté, l'Europe en mouvement, dans un de ces mouvements convulsifs, je ne crains
pas de le dire, où les principes peuvent être purs, mais où les chocs sont
souvent désordonnés, j'ai dû être touché de la situation de mon pays. Seuls
nous restons en paix, en paix de sentiments, ajoutez même hardiment : en paix
de gouvernements.
Dans cette alternative, messieurs, la pensée de
m'abstenir, qui m'avait un instant saisi, a été repoussée par moi avec un
profond dédain ; ce n'est point dans des circonstances aussi solennelles qu'il
faut avoir recours à la négative de l'abstention. Qu'aurais-je donc pu dire,
si, rentrant chez moi, mes concitoyens m'avaient adressé ce reproche : Le pays
était en péril ; tu n'as pas osé dire : non ; tu as reculé devant la nécessité
de dire oui. Non, messieurs, je n'ai pu m’exposer à une semblable réception, et
je sentais déjà d'avance la rougeur me monter au front. Eh bien donc,
contemplant ce qui se passe en dehors de nous et partout, je me (page 1225) suis dit : C'est au nom de
principes bien purs que l'exagération se fait place et vient s'adresser à des
passions longtemps comprimées ; un gouvernement qui n'est point définitif, mais
à qui je me plais à reconnaître de la loyauté dans ses volontés, sera-t-il
toujours assez puissant et sur l'ensemble et sur les détails pour empêcher le
droit des gens d'être jamais violé, pour empêcher que la
liberté, qui doit être respectée, ne reçoive des atteintes plus ou moins
incessantes de la part de passions qui, trouvant trop étroit le terrain sur
lequel elles ont pris naissance, veulent le répandre au dehors ? Alors j'ai dit
: Mon pays veut qu'on soutienne son honneur, mon pays veut qu'on soutienne sa
liberté ; les questions d'argent que nous discuterions longtemps, que nous
discuterions pied à pied dans d'autres circonstances, ces questions doivent
disparaître. Quel est donc le citoyen belge, l'homme libre qui, trouvant que sa
liberté, sa dignité peuvent être compromises, viendrait en quelque sorte peser
l'or d'un côté et de l'autre peser sa liberté, au risque de trouver à ses yeux
celle-ci trop légère dans la balance ? Cet homme, messieurs, ce ne sera pas
moi.
Les observations que j'ai pu faire, les souvenirs qui
se sont représentés à ma mémoire, les enseignements du passé, tout cela a opéré
ma conviction. Je n'hésite plus, je dirai : Oui. Je dirai : Vous voulez un
crédit, vous l'aurez ! Mais je dirai en même temps aux ministres, je dirai au
gouvernement : Vos concitoyens placent leur confiance en vous ; votre devoir
maintenant, votre devoir sacré, votre devoir de patriotisme est de répondre par
la sagesse, par le zèle, par le courage, à la confiance qui vous est montrée,
et dont je me féliciterai peut-être un jour d'avoir lé l'organe.
M. Delehaye. - Messieurs, je me
serais abstenu peut-être de prendre la parole si je n'avais cru comprendre
qu'un de mes honorables amis, M. Delfosse, verrait un acte de mauvais citoyen
dans le refus d'un vote affirmatif sur la proposition du gouvernement.
(Interruption.)
Je remercie mon honorable ami d'avoir dissipé mes
doutes.
Je continue, messieurs. Jusqu'ici la nationalité belge
ne nous imposait pas les nouveaux devoirs que quelques honorables membres
veulent lui assigner.
Tous les ans j'ai combattu les allocations demandées,
parce que dans mon opinion notre nationalité trouvait sa garantie dans l'intérêt
des grandes puissances à conserver notre neutralité.
Si nous étions attaqués, disais-je, par le Midi, le
Nord viendrait à notre secours, et l'équilibre européen nous défendrait
suffisamment contre toute attaque. On me répondait : Pour que vous puissiez être
défendus par l'une ou l’autre puissance, vous devriez du moins pouvoir vous
défendre assez longtemps pour que l'on pût venir à votre secours.
Aujourd'hui ce n'est plus la même chose.
Nous pourrions être attaqués par une seule nation, par
la France ; mais qui donc pourrait venir à notre aide ?Ce ne sera plus
l'Allemagne, elle est assez occupée chez elle ; ce ne sera pas l'Angleterre, où
déjà malheureusement la question irlandaise inspire les appréhensions les plus
graves.
Nous serons donc, en cas d'attaque de la part de la
France, abandonnés à nos propres forces.
Mais, messieurs, croira-t-on jamais que les mesures
prises par le gouvernement soient suffisantes pour repousser une pareille
attaque ?
Pour nous opposer à la France, ce n'est pas 9 millions
qu'il faut pour justifier une pareille prétention, ce sont des sommes autrement
fortes qu’il faudrait imposer au pays. Aussi, pleins de confiance dans la
loyauté française, ne ferons-nous pas l'injure à nos voisins du Midi de croire
que jamais ils songent à porter la guerre au sein d'une nation faible qui n'a
jamais eu pour eux que des sentiments d'admiration et de bienveillance.
Ce ne peut donc être que pour repousser ces invasions,
qui ne sont pas de notre siècle, de ces hordes indisciplinées et désavouées de
tout le monde, dont nous venons de voir l'inutile tentative ; or, pour
repousser de pareilles atteintes, faut-il, messieurs, 9 millions de francs ? Je
ne puis le croire ; dans la sixième section à laquelle j'ai eu l’honneur
d'appartenir, un honorable membre, souvent rapporteur du budget de la guerre,
nous avait prouvé qu'en mettant à la disposition du gouvernement 6,500,000
francs nous lui fournissions les moyens d'augmenter l'armée de près de 20,000
hommes jusqu'au 1er mars prochain ; nous l'avions nommé rapporteur pour
défendre cette opinion à la section centrale ; je regrette que, dans le rapport
qui nous est soumis, il ne soit fait aucune mention de cette proposition.
Pour défendre le territoire belge contre une invasion
de troupes désavouées, ne suffit-il pas, messieurs, d'augmenter nos forces
militaires de 10,000 hommes ? Je ne ferai point l'injure à l'armée d'en douter.
Ce que je ne veux pas, c'est que l'on achète
aujourd'hui 2,000 chevaux qu'on arme nos places fortes, toutes dépenses
inutiles, et qui pèseraient trop lourdement sur l'ouvrier dont le ministère
n'apprécie pas assez bien la situation financière.
Nous avons passé une
double année de disette, toutes les économies sont épuisées. Le commerce,
l'industrie sont en stagnation, le propriétaire, le rentier ne perçoivent
qu'une partie de leurs fermages ou de leurs rentes. Ce n'est pas dans une
situation pareille qu'on peut songer à frapper les contribuables de trois
années et demie de contributions foncières, et de deux années de contributions
personnelles et d'autres charges encore, alors qu'en France on se contente de
45 centimes additionnels.
Je n'hésite pas à dire que l'emprunt proposé porterait
une atteinte grave à notre nationalité, au maintien du bon ordre, parce qu'un
grand nombre, le plus grand nombre des contribuables sont dans l'impossibilité
de l'acquitter.
J'entends dire qu'on le réduira ; mais, messieurs, si
vous adoptez les dépenses, force vous sera d'adopter aussi les moyens d'y faire
face. Je voterai pour la somme de 6,500,000 francs, je n'irai pas au-delà.
M. Orban, rapporteur. - Messieurs, le projet de loi qu'on discute en ce
moment a été envoyé à la section centrale chargée de l'examen du projet
d'emprunt, mais en considérant cette section centrale comme une commission
spéciale. Dans le rapport sur le projet d'emprunt, l'on fera sans doute mention
de l'observation qui a été faite par la sixième section. Nous n'avons pas pu
appeler l'honorable M. Brabant, parce qu'il n'était pas à Bruxelles ; nous
l'aurions volontiers entendu, mais je lui ai demandé quels motifs pouvaient
justifier la réduction, j'en ai conféré longuement avec lui, et c'est par suite
de ses observations qu'à mon tour j'ai posé à M. le ministre de la guerre
différentes questions, questions qui ont été résolues de telle manière que la
section centrale à l'unanimité, moins les deux abstentions, a cru pouvoir
proposer à la chambre l'adoption du crédit de 9 millions.
- La clôture de la discussion est demandée.
M. Manilius (sur la clôture). - Messieurs, pendant le discours de
l'honorable M. Delehaye, M. le ministre de l'intérieur l'a interrompu, et il a
demandé la parole. Je crois que l'on ne doit pas clôturer sans l'entendre.
D'ailleurs je désirerais moi-même motiver mon vote ; il n'y a pas péril dans la
demeure. Que l'on veuille continuer la discussion ; je m'oppose à la clôture.
- La chambre prononce la clôture de la discussion
générale. On passe aux articles.
Discussion des articles
« Art. 1er. Il est accordé au département de la guerre
un crédit de neuf millions de francs (fr. 9,000,000), pour les dépenses
extraordinaires et éventuelles dudit département, jusqu'au 1er septembre 1848.
»
- Adopté.
_____________
« Art. 2. Le Roi déterminera, par des arrêtés,
l'emploi de ce crédit entre les divers articles du budget de la guerre, selon
les besoins réels du service. »
- Adopté.
_______________
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le
lendemain de sa publication. »
- Adopté.
________________
Il est procédé au vote par appel nominal sur
l'ensemble du projet.
79 membres ont répondu à l'appel nominal.
74 ont répondu oui.
5 ont répondu non.
En conséquence le projet de loi est adopté et il sera
transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Vilain XIIII, Wallaert,
Zoude, Anspach, Biebuyck, Broquel-Goblet, Bruneau, Cans, Ceps, d'Anethan,
Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bonne, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, de
Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delfosse,
d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Sécus,
Destriveaux, de Terbecq, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane,
d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dumont, Eenens, Eloy de Burdinne, Fallon,
Frère-Orban, Gilson, Henot, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Le
Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries,
Mercier, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rogier, Scheyven, Sigart,
Simons, Tielemans, T Kint de Naeyer, Troye, Vanden Eynde, Van Huffel, Verhaegen
et Liedts.
Ont répondu non : MM. Castiau, David, Delehaye, Lys,
Moreau.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.