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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 16 mars 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 844) M. Vermeire fait l'appel nominal à 2 heures et demie.

-La séance est ouverte.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire présente l'analyse des pièces adressées à la chambre

« Le conseil communal de Marcourt prie la chambre de voter, en faveur de la province de Luxembourg, un crédit de 700,000 francs à un million, à répartir entre les communes suivant leur population, pour être destiné en partie à la voirie vicinale et en partie à l'achat de pommes de terre pour la plantation »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant un crédit extraordinaire de 100,000 francs.


« Le conseil communal d'Hex prie la chambre de lui faire obtenir un subside pour le service de l'instruction primaire. »

-Renvoi à la commission des pétitions.


MM. Van Cleemputte, de Haerne et Boulez demandent des congés.

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi autorisant un transfert de crédit au sein du budget du ministère de la guerre

Discusion générale

M. Thiéfry, rapporteur. - Messieurs, le projet de loi qui nous occupe n'a d'autre but qu'un transfert de 355,000 francs au budget de la guerre de 1851 : cette proposition du ministre, envisagée sous son véritable point de vue, ne pouvait donner lieu à de grandes discussions ; aussi la section centrale, qui m'a fait l'honneur de me désigner pour vous en présenter le rapport, ne s'est-elle enquise que des motifs qui avaient nécessité un surcroit de dépenses.

Le ministre a répondu, et il vous l'a répété hier, que sur les deux seules classes de 1846 et 1847, il y a encore 9,100 hommes d'infanterie qui n'ont servi que cinq à huit mois. Personne ne niera que l'instruction de ces soldats ne soit incomplète : le ministre, en les rappelant en septembre dernier, a donc agi dans l'intérêt de l'armée et du pays. Je pensais que tous les membres de cette chambre auraient apprécié les raisons qui ont guidé le chef du département de la guerre, et qu'aucune discussion ne pouvait surgir à cette occasion. Puisqu'il en a été autrement, je suis obligé de répondre aux observations présentées dans la séance d'hier.

Je dirai d'abord que j'ai entendu avec excessivement de peine des orateurs demander où étaient les défenseurs de l'armée, et d'autres vouloir prouver que la droite ou la gauche lui portait plus d'intérêt. En vérité, messieurs, ces discussions sont déplorables, elles le sont d’autant plus qu’il n’y a pas un seul ennemi de l’armée dans cette assemblée, il ne saurait y en avoir, et cela parce qu’en Belgique l’armée et la nation sont étroitement unies, et que l'une et l'autre sont trop fortement attachées à leurs institutions.

Tous nous voulons une armée forte et bien constituée ; nous différons seulement sur les moyens de l'obtenir, et sur la somme que les ressources du pays permettent d'y consacrer.

Toutes les récriminations qu'on s'adresse réciproquement n'ont leur source que dans l'opposition que se font les partis ; eh bien, j'adjure chacun de vous à faire de l'organisation de l'armée une question purement nationale, et non un objet de division.

Du reste, le temps n'est pas éloigné où l'on rendra justice à ceux qui ont réclamé la nomination d'une commission ; on appréciera le service qu'ils auront rendu au pays.

L'honorable M. Osy, à propos des travaux qui s'exécutent à Anvers, a voulu savoir « si tout ce que l'on fait et ce qu'on veut faire est le résultat d'un système d'ensemble, et si ces travaux sont bien utiles. »

Le colonel Eenens est le premier, je pense, qui, en 1847, a appelé l'attention du ministre de la guerre sur cet important objet de la défense nationale ; il a désigné Anvers. Une commission, nommée à cette époque, a reconnu, à l'unanimité, la nécessité d'y former un camp retranché : d'autres commissions ont partagé également cette opinion ; des plans d'ensemble ont été formés ; cette question se trouve donc résolue.

L'honorable membre a encore annoncé que la commission militaire avait terminé ses travaux, et il a demandé, conjointement avec d'autres collègues, qu'un budget définitif fût présenté dans le courant de cette session, c'est-à-dire avant un mois ou six semaines.

Je ferai remarquer que la commission n'a pas encore examiné la proposition de l'honorable M. Jacques sur l'organisation de la force publique, et que son propre travail n'est pas encore entièrement achevé, en ce sens que le rapport, rédigé par le secrétaire, ne sera soumis a la commission que vers la fin de cette semaine ; il ne sera envoyé au ministre qu'après avoir été définitivement arrêté.

J'ajouterai que ce n'est là qu'un projet que tous les ministres devron examiner. Ce ne sera qu'après de mûres délibérations qu'ils pourront se fixer sur la loi à présenter aux chambres. Comment songer que le gouvernement irait, sans examen, déposer un budget, non pas de 30 millions, comme l'a dit M. le baron Osy, mais de 32 millions ?

La question d'argent n'est pas la seule qui donnera à réfléchir à nos hommes d'Etat ; il en est une autre non moins importante ; on me pardonnera de la citer : je ne voulais pas entretenir la chambre du travail de la commission, j'y suis cependant forcé pour indiquer les motifs pour lesquels les membres du cabinet ne sauraient pas présenter un travail définitif avant quelques mois. Je veux parler des changements à apporter à la loi sur la milice.

L'organisation de 1845 est basée sur six années de service des miliciens ; afin d'obtenir la quantité d'hommes que l'on devait encadrer, on a fixé en 1847 cette durée du service à 8 ans, et d'après le projet de la commission, il faudra encore l'augmenter de 2 années. Ne sont-ce pas là des questions excessivement graves ? Je ne les signale que pour faire voir l'impossibilité de les résoudre en quelques semaines, comme on l'exige des ministres.

Je me crois aussi obligé de répondre au reproche que l'honorable prince de Chimay a adressé à la section centrale. Il pense qu'il est injuste de rejeter sur la loi d'organisation le défaut d'instruction et l'insuffisance de l'effectif des bataillons. « La loi de 1845, a-t-il dit, n'a pas eu pour objet de déterminer le nombre d'hommes à maintenir sous les armes ; c'était une loi de cadres, pas autre chose. »

Je demanderai à l'honorable préopinant si l'annexe que je tiens à la main n'était pas jointe au projet de loi ! Si elle n'a pas été transcrite dans la loi elle-même, elle n'en à pas moins été déposée par le ministre pour faire connaître à la chambre tout le mécanisme de l'organisation ; cela est si vrai, que du jour où la loi a été adoptée, on a appliqué à tous les corps de l'armée les principes contenus dans l'annexe.

La force d'un bataillon de ligne y est fixée à 300 hommes en hiver et à 378 en été. Eh bien, la faiblesse de cet effectif et le renvoi des miliciens en hiver ont été unanimement reconnus comme des plus nuisibles pour la discipline et l'instruction ; ce sont deux défauts auxquels la commission propose d'obvier.

L'honorable prince de Chimay croit que le chiffre du budget devra être majoré. Les discussions qui surgiront nous l'apprendront ; si cela est nécessaire, nous voterons les sommes réclamées pour la défense nationale, nous avons trop de patriotisme pour qu'il soit permis d'en douter.

Je l'ai dit, je le répète, je mettrai toujours en première ligne la consistance, la force de l'armée ; mais bien entendu d'une armée sans exagération d'effectif. Les événements qui ont surgi n'ont pas changé mon opinion à ce sujet. Un petit pays ne peut pas, sans s'exposer à une ruine certaine, entretenir des armées assez considérables pour résister aux troupes d'une nation qui aurait une population 8 fois plus nombreuse. Aussi je ne voterai jamais des dépenses qui ne seraient pas en rapport avec nos ressources. Je croirais rendre un très mauvais service à l'armée, en contribuant à faire adopter un budget qui donnerait lieu à des attaques continuelles, chaque fois qu'il serait présenté à la législature. Ce que je désire, c'est une bonne organisation qui soit stable.

M. le ministre de la guerre (M. Anoul). - Je crois devoir relever quelques erreurs commises par l'honorable M. Osy, concernant les travaux de défense que l'on va exécuter à Anvers. Le gouvernement les a estimés à 600,000 francs environ, non pas d'une manière arbitraire, mais d'après les plans terriers et les devis estimatifs détaillés des travaux.

Les terrains nécessaires pour la construction des quatre forts du camp de Borgerhout, qui sont les seuls que le gouvernement se propose de construire, comprennent une superficie de 38 hectares et non de 40 à 48, comme l'a dit l'honorable M. Osy.

La dépense pour la construction des quatre forts s'élève, d'après les devis estimatifs détaillés, à environ 213,000 fr., la dépense totale ne dépassera donc pas 600,000 fr.

L'honorable représentant d'Anvers vous a également entretenus de casernes à l'épreuve de la bombe pour loger 600 hommes dans chacun de ces forts. Il serait certainement fort avantageux d'avoir dans chacun de ces forts des logements non pas pour 600 hommes, mais pour 2 à 300 hommes ; cependant comme ils ne sont pas rigoureusement indispensables, le gouvernement n'a pas, pour le moment, l'intention de les construire.

Quant à la durée des travaux, je suis fondé à croire qu'un délai de six semaines à deux mois sera suffisant pour l'exécution de ces travaux.

Plusieurs orateurs ont entretenu la chambre de l'état d'incertitude où se trouverait l'armée sur son existence ; on a demandé, au nom de tout ce qu'il y a de plus sacré, au nom de la défense du territoire, au nom de l'amour de la patrie, que cette question fût résolue et qu'on ne laissât pas plus longtemps l'armée sous le coup qui semblerait la menacer.

Messieurs, je doute fort que les honorables membres qui ont parlé avec une aussi grande assurance de la situation morale de notre armée, puissent être bien informés de son état véritable.

Ce n'est pas sur quelques propos isolés dictes souvent par la légèreté ou l'étourderie, que l'on peut se fonder pour mettre en avant des assertions aussi graves. Il faut pour cela des faits positifs, et je ne pense pas qu'on en produise. Non, l'armée n'est pas dans l'état d'incertitude où (page 845) on la représente. Les documents officiels, les rapports des officiers généraux, l'opinion des chefs de corps sont unanimes à cet égard.

C'est, messieurs, sur ces opinions et es documents officiels que je m'appuie pour affirmer que l'état moral de l'armée est excellent, et que son avenir ne lui inspire aucune inquiétude. Je n'insisterai pas davantage sur cet objet, ce qui précède me paraissant suffisant pour rassurer entièrement la chambre.

Plusieurs honorables membres ont aussi pressé le gouvernement de présenter sans retard un projet de loi ayant pour but la constitution définitive de notre système militaire. J'ai fait connaître à la chambre que je n'ai pas même reçu jusqu'ici ni le rapport de la commission mixte, ni les procès-verbaux de ses nombreuses séances, ni les documents de toute espèce dont ils doivent être accompagnés. Je reconnais qu'il serait désirable que tout fût réglé au sujet de notre établissement militaire ; mais nos régiments et les autres corps de l'armée ne sont pas apparemment dépourvus d'organisation, et certes, ils pourraient opérer dans l'état où ils se trouvent, surtout dans celui où, au besoin, ils seraient mis en fort peu de temps.

Les modifications à apporter à notre organisation militaire ne peuvent être introduites sans avoir avoir été méditées avec soin. Je m'engage à étudier le plus promptement possible les projets de la commission mixte lorsqu'ils m'auront été envoyés, mais je ne saurais en ce moment préciser l'époque à laquelle le gouvernement sera en mesure de soumettre à la chambre un projet de loi définitif. Au surplus, l'empressement que le gouvernement a mis à se prononcer sur les propositions de la commission mixte relatives à notre système de défense, et à les exécuter doivent tranquilliser la chambre au sujet de l'organisation de l'armée et de toutes les questions qui en dépendent.

M. Lebeau. - Messieurs, je commencerai par exprimer un regret, c'est que dans les circonstances où le pays se trouve on ne soit pas resté fidèle à un antécédent qui avait été, selon moi, très heureusement posé il y a quelques jours, de ne discuter les questions relatives à notre organisation militaire qu'en comité général.

Dès qu'on a entendu les développements dans lesquels est entré l'honorable M. Osy, on a pu reconnaître qu'il pouvait y avoir de graves inconvénients à aborder dans ses détails une discussion sur telle ou telle branche de notre organisation militaire.

Vous avez pu voir, par l'extrême et louable réserve avec laquelle M. le ministre de la guerre vient de s'exprimer sur ce point, que la discussion n'est pas entière, n'est pas libre, qu'elle est circonscrite par la prudence même du gouvernement, prudence à laquelle je dois rendre hommage. C'est une raison pour moi, alors que j'obéis à une conviction profonde, en prenant part à un débat que j'eusse voulu ne point voir ouvrir, de me montrer aussi circonspect qu'il me sera possible.

L'honorable M. Thiéfry a dit tout à l'heure, avec cet accent de conviction qui ne permet pas l'ombre d'un doute, que la question relative à l'organisation militaire est une question essentiellement nationale. Je suis entièrement de l'avis de l'honorable membre. C'est une question nationale, qui domine de haut les questions de partis ; et si je suis loin de ne pas tenir grand compte de l'existence des partis et de la nécessité de leur discipline, je n'en reconnais pas moins qu'il y a des questions toutes nationales qui priment les questions de partis.

C'est là ce qui explique l'attitude de plusieurs de nos honorables collègues, partisans, comme moi, du cabinet actuel, et qui n'ont pas craint de se mettre ouvertement en dissidence avec lui, alors même que du maintien du chiffre du budget de la guerre, le ministère faisait dépendre son existence. Cela n'a pas empêché d'honorables et consciencieux amis du ministère de voter contre lui, au risque de le renverser, et cela dans l'intérêt du trésor public.

Eh bien ! dans un intérêt que je place bien au-dessus de l'intérêt du trésor public, la défense du pays, dans cette question qu'on vient encore à bon droit d'appeler nationale, je suis, moi, au moins en apparence, si l'on veut, car, à entendre certaines protestations, il semble maintenant que tout le monde est d'accord, je suis en dissentiment avec ce cabinet que j'ai l'habitude d'appuyer.

Pourquoi le suis-je ? Je le suis par les mêmes raisons, par les mêmes principes, par ces mêmes convictions qui me faisaient abandonner mon rôle d'opposant lorsque le budget de la guerre était présenté et défendu dans cette enceinte par des ministères qui n'avaient pas ma confiance, par des ministères contre lesquels je luttais chaque jour. Je m'associais à ces ministères contre quelques-uns de mes amis et contre une grande partie des leurs, qui les délaissaient dans la défense de ce grand intérêt national.

Dans une discussion aussi grave, il ne faut pas jouer sur les mots ; il ne faut pas d'équivoque. L'honorable M. Thiéfry ne le veut certainement pas plus que moi.

Il n'y a pas, dit-il, d'ennemis de l'armée dans cette enceinte. Expliquons-nous franchement. Pas de puérilités. Non, d'ennemis systématiques ; d'ennemis, dans le sens odieux du mot, il n'y en a pas.

Mais il y a dans cette enceinte des opinions, aussi consciencieuses, aussi sincères que les miennes ; il y a ici des personnes d'une probité aussi scrupuleuse à mes yeux que la mienne, qui croient moins que moi à la nécessité d'une armée. Il y a des hommes de cœur et de talent dans cette chambre qui croient que les guerres sont désormais impossibles, et qu'en tout cas, des guerres éclatassent-elles autour de nous, nous sommes suffisamment protégés par les traités et par la déclaration de notre neutralité, inscrite dans le droit public européen.

Il y a des hommes honorables, consciencieux, aussi honorables et aussi consciencieux pour moi que celui qui a l'honneur de porter la parole devant vous, qui croient que la Belgique, attaquée dans de certaines circonstances, ne peut pas se défendre.C'est une opinion avouable, que je tiens, moi. pour erronée, mais qui, après tout, est avouable et peut se concilier avec d'honorables caractères. Dans ces questions, d'ailleurs, il est peu utile, il est oiseux de rechercher les intentions ; c'est aux actes qu'il faut s'attacher, indépendamment des intentions dont nous n'avons que faire ici et pour lesquelles nous ne relevons que de notre conscience et de Dieu.

Messieurs, je n'eusse pas pris part à ce débat, pas plus que je n'ai pris part aux débats du précédent comité secret, sans la déclaration qui a été faite hier par des membres du cabinet sur l'impossibilité de discuter le budget de la guerre dans la session actuelle.

Je puis me tromper, mais je crois que cette opinion peut être combattue par d'assez bons arguments. Je respecte et les scrupules des membres du cabinet et les scrupules que vient d'exprimer l'honorable M. .Thiéfry sur la difficulté sinon l'impossibilité de discuter le budget de la guerre de 1853 dans la session actuelle, mais j'éprouve le besoin de présenter le plus brièvement qu'il me sera possible à la chambre les raisons d'une divergence d'opinion sur ce point.

Quelle a été l'opinion généralement exprimée dans cette chambre depuis l'avénement du cabinet actuel ? La voici : Il faut que les dissentiment qui éclatent pour ainsi dire chaque année à l'occasion du budget de la guerre viennent à cesser. La chambre ne doit plus, par de tels débats, inquiéter le pays, inquiéter l'armée ; il faut faire à l'armée une position stable et définitive ; le sort de l'armée doit être en dehors de nos débats ; plus d'incertitude. Pour arriver là, quel a été le moyen qui a fini par être accepté à peu près par tout le monde ? La nomination d'une commission, d'une grande commission mixte.

On s'est dit : Il n'y a pas d'institution qui puisse, sans souffrir de mortelles atteintes, supporter des discussions de la nature de celles que supporte annuellement, depuis bientôt cinq ou six années, notre organisation militaire.

Pour la royauté, ce couronnement de notre édifice politique, la législature constituante, dans un sage esprit de prévoyance, a voulu la soustraire à toute espèce de discussion, en déclarant que la liste civile resterait immuable pendant toute la durée du règne.

La Constitution n'a pas été aussi loin pour le clergé : nous sommes maîtres de discuter la dotation du clergé, en regard des besoins variables du culte, tous les ans. Nous ne le faisons pas ; nous nous en abstenons, en général, scrupuleusement. Pourquoi agissons-nous ainsi ? Parce que tous nous avons compris que, nonobstant ce que nous permet la Constitution, nous blesserions mortellement une institution qu'il ne faut pas cesser d'entourer de respect, si nous allions discuter les chiffres de son budget chaque année.

Et la magistrature, est-ce que la Constitution elle-même, en exigeant que sa dotation soit réglée par une loi, n'a pas suffisamment fait comprendre à quelles atteintes fâcheuses on exposerait la considération, la dignité de notre magistrature, si nous allions discuter tous les ans le sort de nos magistrats ? et cependant la Constitution n'y fait pas obstacle.

L'armée, messieurs, est quelque chose d'aussi grand que les intérêts, que les institutions que je viens de passer en revue.

La royauté, c'est la tradition, c'est le symbole de la perpétuité nationale ; le clergé, c'est la religion ; la magistrature, c'est la justice ; l'armée, c'est la force. La force à côté de la perpétuité, de la justice, de la religion, voilà les colonnes visibles de notre édifice social. L'armée c'est la force, la force sans laquelle la justice resterait une lettre morte. Mais l'armée ne se compose pas seulement de forces matérielles, elle doit, comme toutes les institutions, être riche d'une force morale. L'armée a plus besoin encore de force morale que de force matérielle : quand vous aurez pourvu aux besoins matériels de l'armée, vous n'aurez rempli que la moitié, que la partie la plus facile de votre tâche.

Votre tâche la plus difficile et la plus délicate, comme la plus impérieuse, c'est de soigner le moral, la considération, la dignité de l'armée, toutes choses que l'armée elle-même place bien au-dessus de ses intérêts matériels.

C'est, messieurs, mù par les considérations que je viens de soumettre à l'attention impartiale et bienveillante de la chambre ; c'est, mù par ces considérations, que j'ai souscrit, quoique à regret (car ma confiance dans l'organisation antérieure est grande), que j'ai souscrit depuis longtemps à l'idée de la formation d'une grande commission mixte.

Je l'ai conseillée vivement à diverses reprises à mon honorable ami, le brave général Chazal, qui n'y était pas, je dois le dire, absolument contraire, et qui l'adoptait avec des modifications qu'il a eu occasion de faire connaitre à la chambre. Si j'ai voté contre l'institution de la commission, ce n'est pas parce que je n'étais pas dès lors partisan d'un examen nouveau. Il serait insensé de refuser des lumières nouvelles quand on vous convie à vous en entourer. Mais c'est parce que, et je dis ceci, non pour aigrir, pour passionner le débat, mais pour expliquer notre conduite ; mais c'est parce que, à côté de la nomination de cette commission, il y avait un fait fâcheux ; je demande pardon de cette expression, qui accentue pourtant le moins ma pensée ; il y avait la déclaration, que je ne sais comment caractériser, de vouloir ramener en trois ans le budget de la guerre à la somme de 25 millions... (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

(page 846) M. Lebeau. - Messieurs, je prie la chambre d'être convaincue que je ne cherche pas à aigrir le débat ; mais je dois dire qu'il m'a été difficile de concilier le fait de la nomination d'une commission, c'est à-dire la reconnaissance qu'il y avait lieu d'examiner, et le préjugé en quelque sorte du résultat de cet examen. Si ce n'est pas cela, alors la déclaration qui était faite avait quelque chose de si puéril et de si innocent, qu'il m'est difficile de la comprendre de la part d'hommes de talent et d'esprit qui nous ont habitués à les prendre toujours au sérieux. De la part d'un gouvernement tout paraît sérieux ; et il y a beaucoup de membres de cette chambre, parmi les meilleurs amis du cabinet, qui ont pris cette espèce de vœu, puisque ce n'était que cela, comme un engagement formel ; j'en pourrais nommer quelques-uns.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Personne n'a pris d'engagement.

M. Lebeau. - Messieurs, l'honorable général Anoul, qui est, je l'espère, mieux renseigné que moi, mais qui ne reçoit peut-être pas toutes les confidences qui peuvent être faites à d'autres, l'honorable général a dit que l'armée n'est pas inquiète. J'accepte avec bonheur la déclaration de l'honorable général ; mais que l'armée n'ait pas été inquiète, mais que le découragement n'ait pas été jeté dans une grande partie de l'armée, à la suite des pénibles débats et de la fâcheuse déclaration auxquels je viens de faire allusion, c'est, messieurs, contraire, formellement contraire à ce que d'honorables amis et moi-même avons personnellement appris dans de très nombreuses confidences qui nous ont été faites.

Certes, messieurs, cet incident, sur lequel je veux passer très vite, a été très heureusement expliqué. Je l'accepterai, si l'on veut, comme un malentendu ; mais enfin, on en conviendra, il avait besoin d'explications.

L'honorable ministre des finances a tenu à cet égard, au sénat, un langage auquel j'adhère pleinement et qui est véritablement le langage d'un homme d'Etat. Il a parlé de la guerre, de la possibilité de la guerre, en général, dans un magnifique langage où, à mon sens, éclatent à la fois la haute raison d'un philosophe et la sage prévoyance d'un homme d'Etat. Un tel langage n'a certainement pas été perdu pour l'armée : il était bien fait pour en relever le moral, le courage, le patriotisme.

Messieurs, tout le monde étant depuis longtemps d'accord pour nommer une commission, il est vivement regrettable qu'on ait perdu un temps précieux. Que voyons-nous ? M. le général Brialmont est appelé au ministère de la guerre le 12 août 1850 ; il en sort le 20 janvier 1851. Il dirige le département de la guerre pendant près de cinq mois, et, pendant ces cinq mois, bien que tout le monde fût d'accord pour la nomination d'une commission, la commission n'est pas nommée.

Le général Brialmont sort du ministère. L'honorable M. Rogier prend l'intérim le 20 janvier 1851 ; il l'occupe pendant cinq mois ; la grande commission ne sort pas davantage des carions ministériels. Je comprends jusqu'à un certain point les motifs de réserve et de délicatesse qui ont empêché un ministre n'ayant que l'intérim de poser un pareil acte. (Interruption.) On dit qu'il fallait préparer les matériaux. Le travail d'organisation de 1845, qui est très volumineux, très considérable, où toutes les questions sont abordées, ce travail formait déjà d'excellents éléments pour une commission mixte, chargée d'examiner notre organisation militaire.

Si c'étaient seulement des motifs de délicatesse qui arrêtaient l'honorable M. Rogier, je le comprendrais, bien que sa loyauté si notoire, appréciée de ses adversaires comme de ses amis, le mettait certainement à l'abri de tout soupçon de partialité.

L'honorable général Anoul estarrivé le 13 juin 1851, près d'un an après que le ministère avait annoncé à la chambre la formation d'une commission, et ce n'est que quatre mois après son installation à l'hôtel du ministère de la guerre, que l'honorable général Anoul procédait à la composition de cette commission.

. Cependant, messieurs, dès le milieu de l'année 1851, la préoccupation des événements de 1852 s'était déjà emparée à un très haut degré des membres du cabinet. Cette préoccupation avait amené les membres du cabinet à vous proposer une série d'impôts nouveaux et une série de travaux publics sur une très grande échelle, en vue des éventualités que semblait recéler dans son sein l'année 1852.

Eh bien, messieurs, est-ce que ces éventualités dont la perspective a amené M. le ministre des finances à pourvoir si heureusement aux besoins du trésor public, a amené le cabinet à organiser sur une large échelle un système de travaux publics ; est-ce que ces éventualités ne militaient pas avec une égale force pour hâter, pour presser les travaux préliminaires à l'organisation définitive de l'armée ?

Est-ce que de même que la vigilance du gouvernement l'avait porté à pourvoir, longtemps à l'avance, au maintien de l'ordre intérieur par le travail, elle ne devait pas l'amener à veiller d'aussi près au moins à la sûreté de l'ordre extérieur par la prompte et définitive organisation de l'armée ?

C'était là, messieurs, le but avoué de la nomination, malheureusement si tardive, de la grande commission mixte qui vient de terminer ses travaux. J'en trouve la preuve, non seulement dans toutes nos discussions antérieures ; je la trouve dans la lettre que M. le ministre de la guerre m'a fait l'honneur de m'adresser, pour m'offrir de siéger dans cette commission.

- Des membres. - Donnez lecture de cette lettre.

M. Lebeau. - Volontiers.

« Bruxelles, le 2 octobre 1851.

« Monsieur le représentant,

« Le gouvernement ayant pris l'engagement de faire examiner mûrement avant la discussion du budget de la guerre de 1852, les diverses questions relatives à notre établissement militaire, des comités spéciaux ont été chargés, etc., etc.

« Veuillez, toutefois, me faire connaître si rien ne s'oppose à ce que vous vous occupiez de cette grave affaire qu'il importe au plus haut degré de conduire, le plus tôt possible, à une solution définitive. » (Interruption).

Permettez, M. le ministre, si j'ai pris la parole, c'est dans le désir, peut-être un peu trop ambitieux, de vous dissuader de l'idée d'ajourner à l'année 1853 la discussion du budget de la guerre.

Je ne fais pas un acte d'opposition ; je suis convaincu, et j'en ai la preuve écrite encore ailleurs, que sur ce point je suis d'accord avec l'honorable général ; je suis convaincu que si l'organisation de l'armée doit être reportée à l'année 1853, ce sera au grand déplaisir de l'honorable général au moins autant que de ses collègues.

Eh bien, messieurs, c'est ainsi que j'ai entendu le mandat qu'on m'a fait l'honneur de m'offrir, et je déclare que, si je l'avais entendu autrement, je ne me fusse pas chargé de la grave responsabilité qui eût été attachée à un ajournement pour ainsi dire indéfini de la question militaire. J'ai accepté le mandat qui m'était offert, en vue d'arriver, comme le porte la lettre de M. le ministre de la guerre, en vue d'arriver à la solution des questions d'organisation militaire, et d'établir ce que j'appelle la charte de l'armée, avant la discussion du budget de 1852, qui, je l'ai supposé naturellement, ne pouvait être ni présenté ni discuté dans le temps normal prévu par la loi de comptabilité. Eh bien, messieurs, voyez ce qui arrive : le budget normal, le budget permanent, le budget du pied de paix, devait être, d'après le texte même de la lettre de M. le ministre de la guerre, et surtout en raison des circonstances, discuté pour èlre appliqué à l'exercice 1852, fût-ce rétrospectivement ; et si les ministres persistaient dans leurs déclarations, nous verrions même s'évanouir l'espoir de discuter et de voter, pour l'exercice 1853, ce budget normal si vivement désiré par la chambre, par le pays, par l'armée !

J'ai un mot à dire de la grande commission dont j'ai eu l'honneur de faire partie, que j'ai quittée pour des motifs que je prendrai la liberté d'exprimer très brièvement, ne voulant pas occuper la chambre de faits personnels.

Je dois dire tout d'abord, et c'est peut-être une précaution superflue, je dois dire que je n'ai jamais vu de commission plus libre, plus indépendante dans l'expression de ses opinions, que celle à laquelle j'ai eu l'honneur d'appartenir. Nulle trace d'une pression, d'une tentative même de pression extérieure ne s'y est fait, je ne dis pas apercevoir, mais soupçonner.

Je vais plus loin. Je dirai que s'il y avait un regret à exprimer, ce serait peut-être une abstention trop complète de l'action de M. le ministre de la guerre, en ce sens que, peut-être, si-M. le ministre de la guerre avait pu quelquefois faire marcher de front avec les occupations multipliées dont il est accablé, la surveillance de travaux de la commission ; s’il avait pu quelquefois les encourager de sa présence, peut-être serait-il parvenu à la convaincre mieux que moi de la nécessité de se hâter un peu plus ; peut-être aurait-il pu imprimer à ses travaux une marche un peu plus rapide.

La composition de la commission, qui nel aisse rien à désirer, comme je l'ai dit, sous le rapport de l'indépendane des opinions, se faisait remarquer aussi par un vif et général sentiment de patriotisme, par les lumières et la sagacité qu'y ont déployées les notabilités militaires qui avaient sur la plupart de nous, simples bourgeois, un grand avantage, celui des connaissances techniques. Je dirai même, en passant, pour tempérer un peu la sévérité de ces débats, que j'ai remarqué, avec une satisfaction assez vive, que l'antagonisme qu'on a quelquefois signalé ailleurs entre l'élément parlementaire et l'élément militaire n'existe en aucune façon dans notre pays. Je dirai même que le goût de la discussion et la facilité de prendre la parole vont assez loin dans notre armée, pour que nous autres, membres parlementaires de la commission, nous n'ayons pu revendiquer l'adage Cedant arma togœ. (Interruption.)

Je le déclare très sérieusement, je me suis souvent mis à regretter, en présence des remarquables discours que nous avons entendus dans le sein de la commission, une réforme parlementaire utile, mais poussée jusqu'à l'exagération, qui interdit l'entrée de cette chambre à d'honorables militaires qui feraient honneur au parlement belge, qui apporteraient dans nos discussions beaucoup de lumières, et dont l'absence fait que M. le ministre de la guerre n'a pas ici un seul contradicteur dont il ne puisse en quelque-sorte, et jusqu'à certain point, décliner la compétence.

Messieurs, si j'avais un reproche à faire à la commission, un seul, ce serait un excès de zèle, un désir de trop bien faire ; mon rôle s'y est borné à peu près à presser la marche des délibérations, à hâter la solution des débats.

C'est ainsi, pour ne citer qu'un exemple, je puis le faire sans indiscrétion, qu'il m'a fallu de grands efforts pour réussir, grâce à l'aide de quelques collègues non militaires, à écarter de l'ordre du jour de la (page 847) commission la nécessité d'examiner tous les articles qui constituent notre volumineux code de milice. (Interruption.)

Après des efforts moins heureux pour abréger, pour hâter les travaux de la commission, j'ai cru devoir prendre la résolution d'offrir ma démission.

J'ai cru que la commission, dans un excès de zèle et de patriotisme, je le répète, étendait outre mesure la tâche qui lui était confiée. J'ai pu assurément me tromper à cet égard. J'honore ceux qui ont pensé autrement ; mais j'ai lieu de croire que M. le ministre de la guerre, d'après la réponse qu'il m'a fait l'honneur de m'adresser pour m'engager à retenir sur ma résolution, était quelque peu de mon avis.

MM. les ministres et après eux M. le ministre de la guerre ont présenté, sinon comme impossible, au moins comme peu probable, la discussion du budget de la guerre de 1853, d'après les bases, d'après les travaux de la commission, dans la session actuelle. Je voudrais pouvoir convaincre MM. les ministres que cette discussion n'est pas impossible.

Il y a dans les questions que nous aurons à examiner une division toute naturelle : il y a les questions techniques et les questions relatives à la dépense. Les questions techniques, on voudra bien me l'accorder, sont surtout du ressort de l'autorité militaire ; les ministres civils y sont peu compétents. Eh bien, pour la partie technique, le département de la guerre n'a pas eu besoin d'attendre les travaux de la commission pour être environné des documents les plus nombreux ; il a tous les éléments de l'organisation de 1845 qu'en définitive, à quelques modifications près, la commission vous proposera, je crois, de sanctionner.

Le ministre de la guerre n'est pas étranger à la connaissance des travaux de la commission et de ses résolutions, puisque, si je ne me trompe, les procès-verbaux de chaque séance, à l'issue de la séance suivante et après avoir été approuvés par la commission, ont été journellement adressés en copie au ministère ; de manière que le ministre, sans être présent aux séances de la commission, a pu en quelque sorte y assister, grâce à une analyse très détaillée, très développée, faite avec talent par M. le secrétaire de la commission. Ce travail, accompagné souvent de notes et de mémoires, a été transmis journellement, je crois, au département de la guerre.

Messieurs, quant à la question de dépense, on sait déjà, il n'y a pas d'indiscrétion à le dire, que quant au pied de guerre, presque rien n'est changé.

M. Thiéfry. - Erreur !

M. Lebeau. - Presque rien n'est changé. Les cadres sont à compléter, les cadres institués par l'organisation de 1845 ne sont pas tous créés ; mais on peut avec l'organisation de 1845 se faire une idée de la dépense dans laquelle le complément de ces cadres doit entraîner le trésor public. L'effectif du pied de paix, le plus important, je dirai même le seul important, l'effectif du pied de paix sera augmenté, il doit l'être ; sous ce rapport l'honorable M. Thiéfry n'a pas eu de peine à faire adopter ses excellentes vues par la commission, de même que sur la durée de la présence des miliciens sous les armes. La dépense, de ces deux chefs, est facilement appréciable.

Il y a ensuite la question des forteresses. Elle a été examinée depuis dix ans ; tout ce qui est relatif aux frais d'entretien et à la démolition de certaines forteresses, tout cela est dans les cartons du ministère de la guerre depuis longtemps. Pour connaître la dépense à faire de ce chef, il suffit de savoir la décision de la grande commission sur les forteresses conservées, sur les forteresses à démolir.

Quant au matériel des différentes armes, les besoins sont également connus depuis longtemps au département de la guerre. La question est donc très simple ; qu'on avance les vacances et qu'on les prolonge un peu de manière à donner aux ministres un mois entier pour examiner les travaux de la commission mixte. Je croirais faire injure à leur intelligence, dès qu'ils veulent bien s'en rapporter un peu à l'autorité militaire pour la partie purement technique, si je n'étais convaincu que cet examen leur suffira pour apporter à la chambre un budget normal applicable à l'exercice 1853. Que, si on ne le peut, en raison de la brièveté forcée de la session actuelle, à cause des élections, eh bien, messieurs, ferait-ce demander un trop grand effort de dévouement que de réclamer une session extraordinaire ? Quant à moi, non remis encore des luttes de la dernière session, que j'ai cruellement expiées, je suis prêt à me rendre à mon poste au premier appel pour délibérer sur ce grave objet. Et pourquoi, messieurs, n'aurions-nous pas une session extraordinaire ? Mais, l'année dernière, pour un intérêt, grave si vous le voulez, mais qui, selon moi, est primé de haut par l'intérêt de l'organisation militaire, l'an passé, nous avons eu une session qui a commencé le 12 novembre et qui a fini le 3 septembre de l'année suivante, une session qui a duré près de dix mois. Et, messieurs, dans quel but la session a-t-elle été ainsi prolongée ? dans quel but a-t-elle été ainsi en dehors de toute proportion avec les sessions précédentes ? Dans le but très important, très prudent, très patriotique, je le reconnais, de rétablir l'équilibre financier, d'assurer la situation du trésor, afin de procurer par le travail et par la disparition du déficit, une sécurité dont nous manquions.

Or, la sécurité extérieure mérite-t-elle moins la sollicitude de cette chambre que la sécurité intérieure, à laquelle on nous conviait de pourvoir avec le gouvernement ? Et pourquoi ferions nous moins cette année pour assurer la bonne et solide organisation de notre armée, que nous n'avons fait en décrétant des travaux publics dans le but d'assurer l'ordre intérieur par le travail, en faces d'éventualités qui occupaient tous les esprits ?

Messieurs, après les objections matérielles, on fait des objections politiques. Dans ces objections, on ne peut guère procéder, je le reconnais, que par des allusions plus ou moins vagues. Aussi, je promets, pour ma part, de ne les aborder qu'avec une extrême prudence.

Celles-là, elles tombent devant la nécessité de n'agiter jamais des questions relatives à la défense du pays que dans un comité secret.

Il est impossible, et vous en aurez la conviction dès que vous aborderez cdte grande discussion, d'examiner en séance publique les questions relatives à notre organisation militaire, les questions relatives à la nécessité de conserver ou de démolir telle ou telle place forte, de pratiquer tels ou tels travaux, cela, messieurs, est impossible. Un grand pays, un seul par exception, un seul pays dans le monde européen, l'Angleterre, va (il n'y a pas bien longtemps de cela) jusqu'à examiner ces questions en séance publique. Mais il serait de la plus haute imprudence pour notre pays de donner de la publicité à de tels débats. C'est à huis clos, en comité général, non pas pour dérober nos opinions au pays, mais pour ne pas faire assister l'étranger à ces discussions délicates, intimes, et pour ne pas lui divulguer notre côté fort et notre côté faible, que de pareilles questions doivent être discutées en comité secret.

Eh bien, le huis-clos consacré aux délibérations de cette chambre répond en grande partie aux objections politiques présentées dans la dernière séance.

Messieurs, je ne sais si je m'abuse ; mais je crois que jamais moment plus opportun, n'est arrivé pour discuter le budget définitif, normal, de notre armée. En énonçant cette pensée, je blesse peut-être des convictions consciencieuses, mais ma conviction est fortement prononcée que jamais moment plus opportun n'est arrivé pour discuter le budget de la guerre.

Ceci a besoin d'être expliqué. Il y a, messieurs, deux situations également mauvaises pour la discussion des budgets de la guerre ; il peut y avoir tour à tour le budget de la panique,de l'exaltation militaire, de la peur exagérée, et le budget de la sécurité profonde, aveugle.

Il y a des circonstances intermédiaires également éloignées des deux excès que je viens de signaler, où l'intérêt militaire est parfaitement compris dans le pays tout entier, dans un pays qui chaque année fait des progrès marqués dans son éducation politique. Quand, messieurs, vous avez le budget de la peur, de l'exaltation, de l'exagération militaire comme en 1831 ou 1832, vous avez un budget de 73 ou de 75 millions. (Interruption.) C'est là ce que je puis appeler le budget de la peur ou le budget de l'exaltation politique, militaire, etc. Vous avez ensuite le budget de la sécurité profonde, excessive, dangereuse ; c'est peut-être le budget de 1849 descendu à 27 millions ; c'est peut-être le budget de 1850 descendu à 26,800,000 fr. Ce n'est pas du budget de la guerre, du budget du pied de guerre que je suis préoccupé : ah ! quand il y aura menace de guerre, de manière à convaincre les plus incrédules, je ne suis pas inquiet sur le sort de notre armée, s'il n'y a plus qu'à pourvoir à ses besoins d'argent ! Alors des millions sont votés par acclamation, et sortent, sans effort, avec empressement, nous l'avons vu en 1848, de toutes les poches ; mais, messieurs, ce dont je me défie, c'est de.l'appréciation, du budget dans l'état de sécurité, dans l'état de paix profonde, à ces époques où l'esprit de prévoyance, qui est aujourd'hui éveillé dans des Etats beaucoup plus puissants que la. Belgique, sommeille complètement et conduit à cette sécurité trompeuse, dangereuse, terrible, qui perd les Etats. Voilà ce dont je me préoccupe. Je n'ai pas peur que le patriotisme de mon pays fasse défaut à la défense extérieure, quand le danger est flagrant. Ce qui me fait peur, c'est qu'il y a beaucoup d'aveugles qui, lorsque le danger ne leur crève pas les yeux, nient le danger.

El si le danger se révèle, certes alors nous trouvons tout le monde d'accord ; il n'y a plus de dissidence. Mais à quoi reconnaître ce danger ? Quels signes doit-il revêtir pour être perceptible par les uns comme par les autres en même temps ? C'est bien difficile à définir, à apprécier. Ce qui est danger pour l'un est chimère pour l'autre ; ce qui est peur pour l'un est rêve pour l'autre.

Il me semble cependant, messieurs, qu'il y a une moyenne de bon sens dans tous les pays, qui doit vous dire assez clairement qu'il y a des dangers ou qu'il n'y en a pas.

Quand il arrive, à la suite de certains événements, que de grands pays, des pays puissants, des pays qui ont une diplomatie admirablement organisée, s'inquiètent, s'émeuvent, pourvoient largement à leur état militaire, est-ce que cet exemple n'est pas fait pour être médité par vous est-ce que cet exemple donné par de vieilles nations qui n'ont pas l'habitude de s'émouvoir facilement, est-ce que cet exemple doit être perdu pour vous ?

Je ne puis pas insister plus longtemps sur ce point ; la chambre me comprend.

Messieurs, je me hâte de clore cette trop longue digression. Je ne veux certainement pas dire le chiffre qui résultera des travaux de la commission. L'honorable M. Thierry en a déjà indiqué un. Mais il y a une chose sur laquelle nous devons être d'accord, l'honorable membre et moi c'est qu'il n'y a pas eu, dans la commission (et ceci n'est pas une indiscrétion), une seule notabilité militaire qui ait pris un instant au sérieux le chiffre de 25 millions.

Messieurs, les événements, les événements graves dont nous sommes témoins depuis quatre ans, ont amené en Belgique des notabilités politiques et militaires de différents pays.

(page 848) Eh bien,on m’a dit, je ne le sais pas (je parle, bien entendu, de personnages étrangers aux derniers événements), on m'a dit que, pressés de s'expliquer sur le chiffre d'une organisation militaire pour un pays comme le nôtre, malgré la réserve qu'ils se sont efforcés de garder, on a pu voir que, dans leur opinion, avec un budget de 25 millions, un Etat comme le nôtre ne ferait guère que les frais d'une grande gendarmerie un peu largement dotée. Ce sera une hyperbole si l'on veut, mais le sens est facile à saisir.

La chambre comprendra que je dois encore passer assez rapidement sur ces détails.

C'est donc, à peu près, de l'avis de tout le monde, un rêve que le chiffre de 25 millions.

Mais, messieurs, même avec un chiffre plus élevé, ne nous y trompons pas, qu'on ne se trompe pas sur le rôle que ceux qui défendraient ce chiffre, assignent à l'armée belge. Le rôle de l'armée belge, nous l'avons toujours pensé, nous qui avons défendu le ministère de la guerre contre les réductions dont son budget était l'objet, que ce ministre appartînt ou non à notre opinion, ce rôle est purement défensif.

C'est presque s'exposer au ridicule que se défendre de vouloir assigner à notre armée un autre rôle que celui-là.

Messieurs, ce rôle même purement défensif, nous n'avons, nous partisans d'un solide budget de la guerre, nous n'avons pas la prétention de l'exercer dans des proportions bien grandes. Nous sommes à cet égard extrêmement modestes. Ce que nous voulons, messieurs, c'est que le budget de la guerre puisse donner les moyens à notre armée d'opposer à une irruption, de quelque côté qu'elle vienne, un temps d'arrêt qui permette à nos voisins du Midi de venir nous défendre si nous sommes menacés par nos voisins du Nord, et qui donne à nos voisins du Nord le temps de venir à notre aide, dans l'hypothèse inverse.

Voilà, messieurs, tout ce que nous demandons, pas autre chose.

Ainsi, il ne faut pas qu'on prête aux partisans du budget qui pourra être sonmis aux délibérations de la chambre, des idées exagérées, ridicules, qui sont bien loin de leur pensée.

Messieurs, je ne vous ferai pas faire avec moi une excursion dans le passé pour vous montrer combien le patriotisme, combien le courage, combien l'amour sacré de la patrie peuvent enfanter d'héroïsme dans de petits pays.

Je ne me donnerai pas le facile avantage de vous rappeler la pauvre petite Suisse luttant, et luttant avec succès contre le puissant duc de Bourgogne.

Je ne vous rappellerai pas la Hollande luttant, et luttant avec succès contre Louis XIV et Charles II.

Je ne vous rappellerai pas la Prusse, la petite Prusse luttant avec le grand Frédéric chassé de sa capitale, contre l'Europe presque entière.

J'appellerai votre attention, je fixerai vos regards sur des exemples plus modernes qui sont sous nos yeux, dont nous avons été les témoins.

Je vous rappellerai le Danemark luttant contre les armées allemandes et luttant avec succès. Je vous rappellerai la Hongrie luttant contre l'Autriche, avec un tel succès, qu'il a fallu une armée russe pour lui barrer le passage vers la ville de Vienne.

Je vous rappellerai une pauvre ville en décadence, une ville de marchands, Venise, qui a soutenu pendant quatre mois un siège, qui a tenu longtemps en échec toute une armée autrichienne.

Je vous parlerai, messieurs, de la ville de Rome, une ville qui a à peine quelques bastions et qui, défendue par quelques volontaires seulement, a arrêté pendant trois mois une armée française.

Eh bien, messieurs, si l'on veut soutenir que nous ne pouvons pas plus, bien certainement on conviendra que nous ne pouvons pas moins que les Etats dout je viens de parler.

Messieurs, en 1831, quand le danger est apparu, on a prodigué les millions ; on a voté un budget de 75 millions de francs ; mais on n'avait pas pu pourvoir à l'organisation morale et matérielle de l'armée.

Il en est résulté le désastre dont vous connaissez les conséquences : deux provinces mutilées, une partie de la dette étrangère mise à notre charge ; sans compter, ce qui doit venir en premier ordre, la brèche faite à notre honneur.

Si en 1852, après 20 ans de paix, 20 ans de paisible possession de nous-mêmes, 20 ans de travaux d'organisation civile et militaire, si en 1852, ce qu'à Dieu ne plaise, il arrivait ce qui est arrivé alors, il y aurait de quoi mourir de honte ; on n'oserait plus dire qu'on est Belge, si même on laissait encore subsister une Belgique.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai retrouvé avec le plus grand plaisir dans les paroles de l'honorable préopinant les sentiments qui n'ont cessé de l'animer à l'égard de l'institution nationale de l'armée. Depuis longtemps il porte à l'armée un intérêt que j'ai toujours partagé. Dans cette question comme dans la plupart des autres, nous avons toujours marché complètement d'accord. Nous avons défendu l'armée dans l'opposition, contre la majorité qui voulait la réduire. Nous avons eu l'avantage peut-être de rendre alors des services à l'armée.

Je m'associe à tout ce que l'honorable membre vient d'exprimer de sympathique pour l'armée ; mais je me demande si les sentiments qui l'animent ne lui font pas voir l'état de choses actuel sous un jour quelque peu trompeur, sous un aspect qui ne serait pas le véritable.

L'honorable membre a parlé de panique et de sécurité, puis d'une situation intermédiaire entre la panique et la sécurité ; qu'il me permette de le lui dire, cette situation intermédiaire entre la panique et la sécurité, il ne semble pas s'y placer en ce moment. Il nous parle de l'armée comme si le sort de l'armée était compromis, comme si quelque chose était changé dans l'organisation de l'armée.

L'honorable préopinant est tellement dominé par la vivacité de ses sympathies pour l'armée, qu'il semble fermer les jeux à la réalité des choses. L'honorable préopinant, quand il s'est agi, dans cette enceinte, de faire examiner par une commission, l'organisation de l'armée, l'honorable préopinant s'est effrayé : non seulement il ne voulait pas qu'on touchât à l'organisation, mais il ne voulait pas qu'on y regardât, il ne voulait pas que l'organisation de l'armée devînt l'objet d'un examen.

Eh bien, que s'est-il passé depuis ? On a regardé à l'organisation de l'armée, mais on n'y a pas touché ; l'armée a conservé l'organisation qui, suivant l'honorable membre, faisait sa sûreté et la sûreté du pays.

Je ne comprends donc pas, messieurs, l'empressement que l'on mettrait aujourd'hui à vouloir faire sortir l’armée de cette organisation qui faisait sa force et dans laquelle elle est restée.

Elle y est restée ; et de quelle manière, messieurs ? Avec des accroissements de dépenses considérables, ayant pour but de la fortifier dans ses éléments essentiels, de la fortifier dans son personnel, de la fortifier dans le matériel, qui faisait en grande partie défaut.

Voilà, messieurs, tout ce qu'il y a eu de changé : des dépenses considérables faites pour fortifier le personnel et le matériel de l'armée. Hors de là, rien n'est changé dans l'état de l'armée, et je m'étonne que ceux-là même qui s'opposaient à la nomination d'une commission chargée d'examiner notre état militaire, pressent aujourd'hui le gouvernement d'apporter des modifications à une organisation qu'ils considéraient comme complète, comme parfaite.

M. de Chimay. - Et qu'ils regardent encore comme bonne.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pourquoi donc nous presser d'en sortir ? (Interruption.)

Messieurs, voici bien nettement la situation du gouvernement dans cette question, dont on ne parviendra pas à faire un embarras pour lui.

La question d'organisation a été examinée par une commission ; on a rendu hommage au zèle, aux lumières, à l'impartialité de cette commission, on a bien voulu reconnaître que le ministre n'avait fixé aucune espèce de limite financière à ses travaux, qu'il ne lui a imprimé aucune direction ; on en a même fait un reproche, jusqu'à certain point, au ministre de la guerre. Cette commission a donc agi en toute liberté, sans qu'aucune limite lui fût indiquée quant aux dépenses.

Voilà la situation que le gouvernement a prise en nommant la commission : liberté de tout examiner, liberté de tout proposer, le gouvernement se réservant son opinion.

Eh bien, messieurs, que peut-il sortir des travaux de cette commission ? Ecoutez bien ceci, je vous en prie, et retenez-le : que peut-il sortir des travaux de cette commission ? Ou le maintien de l'organisation actuelle qui, suivant nos adversaires, temporaires ou permanents, était la sûreté de l'armée, le nec plus ultra des organisations, ou le renforcement de cette organisation.

Eh bien, au minimum, au pis-aller, nous vous promettons le maintien de cette organisation ; êtes-vous contents, rassurés ?

M. de Chimay. - C'est déjà quelque chose.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je vous remercie de tant de bonté ; prenez note de nos déclarations : Au minimum vous aurez l'organisation actuelle ; que voulez-vous de plus ? Si nous modifions l'organisation actuelle, ce sera pour l'améliorer, pour la renforcer. Etes-vous satisfaits ? Croyez-vous qu'une pareille déclaration soit de nature à vous rassurer ? (Interruption.)

Je ne sais pas s'il est d'honorables membres qui voudront moins que l'organisation actuelle. Quant à nous, nous sommes bien résolus de ne pas faire moins, et nous désirons sincèrement pouvoir faire plus. Malgré le désir qu'on a exprimé de nous voir divisés, nous avons l'avantage d'être d'accord.

Maintenant est-il raisonnable, - je fais appel à la vieille expérience de mon honorable ami, - est-il parlementaire, - je fais appel au respect qu'il a toujours professé pour la prérogative du gouvernement, - est-il parlementaire d'exiger d'un ministère qui dit n'être pas prêt à déposer hic et nunc un système tout entier ; est-il parlementaire d'exiger en quelque sorte de lui ce dépôt immédiat ? (Interruption.)

Vous avez demandé que le gouvernement présentât un projet dans la session actuelle ; on vous a fait voir qu'il était matériellement impossible que, dans la session actuelle, qui touche à sa fin, de l'aveu de tout le monde, le gouvernement vous apportât un projet complet d'organisation.

La commission n'a pas encore entièrement terminé ses travaux ; son rapport définitif n'est pas encore entre les mains de M. le ministre de la guerre ; il faudra que M. le ministre de la guerre examine et étudie quelque peu les conclusions de la commission ; il faudra bien aussi que ses collègues qui s'associeront à lui pour présenter un projet de loi, s'il y a lieu d'en présenter un ; il faudra bien que ses collègues examinent aussi quelque peu les conclusions de la commission.

Que diriez-vous, si, après examen fait de toutes les questions d'organisation militaire, nous venions à reconnaître qu'en effet l'organisation actuelle est la meilleure et qu'il n'y a rien à y changer, que nous n'avons rien autre chose à faire que de maintenir le statu quo ? Que (page 849) deviendraient alors vos exigences, vos inquiétudes parfaitement sincères ? C'est là un résultat possible.

Je le répète, le moins qui sera fait, ce sera le maintien de l'organisation actuelle. Nous examinerons s'il y a lieu de fortifier l'organisation ; voilà ce qui sera examiné et voilà ce qui ne peut pas être abordé avant la fin de la session. Le projet serait présenté, qu'il serait encore impossible de le transformer en loi avant la fin de la session ; permettez donc au gouvernement d'examiner, de méditer toutes les questions.

Messieurs, on a parlé de la possibilité d'une session d'été ; eh bien, nous ne nous y refusons pas. Il nous importe à nous tout les premiers de terminer cette question, qu'on serait tenté d'appeler interminable.

Si la chambre se montre disposée, dans le cours de cet été, à se réunir extraordinairement, nous serons prêts à soumettre aux chambres les projets qui concernent l'armée. D'autres questions encore pourront nécessiter le rappel de la chambre. Nous voulons bien encore consacrer une partie de la bonne saison aux travaux parlementaires. Il nous importe que cet embarras qui pèse sur le gouvernement disparaisse.

Mais en attendant nous avertissons l'armée qu'aucune espèce d'inquiétude ne doit l'agiter ; que son organisation, si l'on y touche, sera améliorée et fortifiée ; nous avertissons les membres de la chambre qui ont des frayeurs sincères, que c'est à tort qu'ils s'effrayent et s'inquiètent ; qu'il ne sera pas porté atteinte à l'organisation de l'armée ; que si on y touche, je ne puis assez le répéter, ce sera pour la fortifier.

Il semble qu'après de telles déclarations, après le désir que vous devez nous supposer aussi ardent que le vôtre, de voir résoudre ces questions, vous ne pouvez pas insister pour nous demander une chose qui est d'ailleurs matériellement impossible.

Le gouvernement continuera de poser, avec mesure, avec une prudente énergie, comme il l'a fait jusqu'ici, de poser tous les actes que les circonstances commandent. Il faudrait, me semble-t-il, savoir quelque gré au gouvernement de l'empressement qu'il a mis, tout en conservant intacte l'organisation de l'armée, de l'empressement qu'il a mis à fortifier l'armée dans son effectif et dans son matériel ; à la fortifier moralement par les travaux de défense qui sont appelés à jouer le plus grand rôle, au point de vue militaire du pays.

Voilà des actes importants dont il faudrait nous tenir compte, des actes qui sont de nature à rassurer beaucoup le pays, à rassurer aussi complètement l'armée. Ces actes, je l'espère, serviront plus que nos paroles à répondre aux discours, soit bienveillants, soit autres, qui ont été prononcés dans cette enceinte à l'occasion de l'armée.

On reconnaît que, dans les circonstances actuelles, toutes les questions qui touchent à l'armée doivent être traitées avec une certaine réserve, avec discrétion ; on a été jusqu'à regretter la publicité de ces débats. Eh bien, messieurs, si l'on veut continuer à examiner les questions qui touchent à l'armée, je demanderai qu'on veuille bien y mettre une certaine réserve, qu'on ne donne pas à ce débat une étendue extraordinaire qui pourrait encore faire croire à l'armée que sa situation est menacée, tandis que tout le contraire résulte des déclarations que nous n'avons cessé de faire depuis deux ans.

Je regrette que, sous ce rapport, mon honorable ami se soit livré à une revue rétrospective. Il sait fort bien que pas plus que lui je n'ai jamais renoncé à soutenir la cause de l'armée, que je suis convaincu autant que lui de la nécessité d'avoir une armée très forte au point de vue matériel et moral. Mais je le préviens cependant, car il faut de la franchise des deux paris, je le préviens que je ne suis pas dans le camp des gens qui cèdent aux terreurs paniques, qu'avant d'engager le trésor public dans des dépenses considérables, j'entends y regarder de très près ; qu'il ne suffira pas, par exemple, qu'on me demande 32 millions pour l'armée, pour qu'immédiatement je vienne les proposer à cette chambre.

S'il en est qui pensent qu'il faut prodiguer aveuglément le trésor public à l'institution de l'armée, dépenser pour elle des sommes supérieures aux facultés financières du pays, ceux-là pourront se charger de faire la proposition. Nous donnerons à l'armée tout ce qui lui est nécessaire, mais nous examinerons avec soin aussi la situation du trésor public. Ce sont deux intérêts qui méritent un égal ménagement. Tout ce que je puis dire, c'est que nous sommes bien déterminés à ne pas porter le moindre affaiblissement à l'organisation actuelle de l'armée, que nous espérons, au contraire, raffermir et la renforcer.

- M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.

M. de La Coste. - Vous comprenez, messieurs, qu'après le discours de l'honorable minisire de l'intérieur j'abrégerai des observations devenues en partie sans objet.

Evidemment nous sommes maintenant sur un terrain tout à fait différent de celui où nous étions placés au commeucement de la discussion. Je me bornerai donc principalement à prendre acte de la déclaration dé l'honorable ministre de l'intérieur. Je constate qu'il s'est placé sur le terrain où nous étions placés nous-mêmes, qu'il s'est rapproché de nous, et je me félicite de ce que la part que nous avons prise à ces débats n'a pas été sans fruit pour le pays.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'y a rien de nouveau.

M. de La Coste. - Je n'ai, pour ma part, pas plus de prétention à l'infaillibilité qu'à l'éloquence ; je me borne, quand il le faut,et le plus rarement possible, à défendre mes opinions, qui ont au moins le mérite de la sincérité.

Je respecte toutes les opinions qui ont ce caractère. Je pense que nous sommes tous animés d'un même sentiment, que nous voulons tous, le plus consciencieusement possible, sauvegarder les grands intérêts qui se rattachent à l'objet de nos débats.

Mais si les diverses opinions sont respectables, elles ne sont pas également vraies, et ce que je ne puis admettre, c'est le oui et le non, c'est le pour et le contre sur les mêmes questions ; ce que je ne puis admettre, ce sont les tergiversations, les équivoques.

Je constate avec joie l'abandon de ce système où, je regrette de le dire, le cabinet était entré en laissant la chimère d'un budget de 25 millions se placer à côté de l'organisation de l'armée. Cette chimère est mise de côté ; j'en félicite le ministère. Nous sommes maintenant dans une position bien plus vraie, dans une position où, je dois le dire, j'aurais désiré que le ministère se fût placé dès l'abord.

Je ne contesterai pas à MM. les ministres des talents d'hommes d'Etat ; mais je dis que si c'était en hommes d'Etat qu'ils avaient envisagé la question, leur position eût été tout autre que celle qu'ils avaient prise et qu'ils abandonnent aujourd'hui ; je dis avec une pleine conviction et non point pour faire de l'opposition, qu'avant de toucher à l'organisation existante, avant de la mettre en question, ils devaient s'entourer de lumières et dire à la chambre : Voilà ce qu'il y a à changer à l'organisation militaire. MM. les ministres ne l'ont pas fait. Je ne veux pas revenir sur le passé ; mais je dirai quelques mots pour défendre le mien.

Je respecte, ai-je dit, toutes les opinions sincères ; je ne prétends pas à l'infaillibilité ; mais je n'en demeure pas moins convaincu que dans la position où nous étions il y a 8 ou 10 ans, lorsque l'indépendance de la Belgique avait été reconnue même de l'Etat dont elle s'était séparée, lorsque la situation de l'Europe offrait à la Belgique les garanties les plus fortes, lorsque de tout côté on invoquait un désarmement, je dis qu'alors je ne regrette nullement d'avoir désiré qu'on examinât sérieusement la question de savoir s'il n'y avait pas lieu, sans affaiblir notre état militaire, de trouver les moyens de ne pas augmenter, de diminuer même les charges de la nation.

Mais, messieurs, je le dis avec la même assurance, ce n'est pas là uniquement l'idée qui nous a guidée. Nous voulions, je voulais, pour ma part, et je pense que quand on affirme, on doit être cru, je pense qu'il n'y a rien à gagner pour cette chambre à s'y mettre en dehors de ce qui s'observe partout entre gens qui s'estiment ; j'affirme donc pour mon compte et je crois pouvoir affirmer pour mes honorables amis que nous liions à cette idée celle que nous avons toujours maintenue depuis, celle que nous poursuivons encore, d'obtenir une organisation stable, de mettre l'armée à l'abri des fluctuations de la politique intérieure, des débats toujours fâcheux qui allaient encore s'ouvrir.

La question n'était donc pas une question de chiffre, c'était une question de principe, mais elle a été traduite en un chiffre, et tout le monde entendait la chose ainsi. Un principe contraire prévalait dans les conseils du gouvernement, et l'honorable général qui avait accepté par dévouement une place au banc des ministres, avait ainsi à défendre un principe contraire à celui que nous nous étions crus obligés d'adopter dans l'intérêt public tel qu'il nous apparaissait et considéré à tous les points de vue. Notre opinion l'a emporté, et l'honorable général a déposé noblement son portefeuille, ne croyant pas qu'il fût l'homme indispensable aux situations les plus contraires. Il emporta notre estime et nos regrets ; mais il est vraiment surprenant que le cabinet ne cesse de rappeler ce souvenir, quand, en deux années, sa politique a écarté deux honorables généraux des bancs du ministère.

Messieurs, en constatant la part que mes honorables amis et moi nous avons eue à obtenir du ministère la déclaration qu'il vient de faire, je n'ai pas voulu flatter l'armée, ce serait la rabaisser et me rabaisser avec elle. La vocation de l'armée, c'est le sacrifice ; sa force, c'est l'obéissance ; sa vie, son âme, c'est l'honneur, la fidélité ; mais je craindrais de paraître flatter l'armée si je parlais de positions personnelles ; il lui faut, comme l'a très bien développé M. Lebeau, non uniquement des positions personnelles, mais de la consistance, de la confiance dans les pouvoirs publics, de la foi dans son avenir.

Je craindrais de paraître flatter l'armée si je disais que je voterai tous les impôts qui seraient présentés fussent-ils les plus odieux à la nation, dussent-ils être employés à toute autre chose qu'à l'armée.

Je croirais au contraire agir pour elle et pour le pays, en concourant à faire cesser l'incertitude qui planait sur elle.

Puisque enfin cette incertitude va disparaître, je ne m'appesantirai pas sur les effets qu'elle a produits, je ne rechercherai pas quels ils ont pu être ; je tournerai mes regards vers l'avenir, abandonnant le passé au jugement du pays.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne puis laisser passer en silence le discours que vous venez d'entendre.

L'honorable membre a pris acte des paroles de mon honorable collègue le ministre de l'intérieur, comme si dans ses déclarations il avait fait autre chose que de répéter le langage que nous n'avons pas cessé de faire entendre dans cette enceinte. (Interruption.)

M. le président. - Pas d'interruptions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est possible que vous soyez tout à coup illuminés, que vous voyiez enfin clair dans la position que le ministère a prise et qu'il garde.

Mais le ministère à toutes les époques a dit : Nous voulons une bonne et solide armée, nous ne ferons rien qui puisse porter atteinte à la force organique de l'armée, nous ne faisons pas de l'institution de l'armée une (page 850) misérable question d'argent. C'est là le langage que j'ai tenu. J'ai prouvé plus d'une fois, pendant ma carrière ministérielle, que cela je le voulais strictement ; je l'ai prouvé quand j'ai proposé de rétablir les finances de l’Etat, quand j'ai donné ainsi à l'armée sa première et plus essentielle base que vous lui avez toujours refusée.

M. de Man d'Attenrode. - C'était pour la dérivation de la Meuse.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne réponds pal à une pareille lâcheté.

M. Dumortier. - C'est une vérité.

M. le président. - J'engage de nouveau MM. les membres de la chambre à ne pas interrompre ; les interruptions amènent souvent des incidents fâcheux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment ! on ose lancer une interruption de ce genre ! Mais est-ce que je n'ai pas refusé, refusé formellement dans cette enceinte de faire connaître un seul des travaux publics projetés avant que la chambre eût voté les impôts destinés à rétablir la situation financière !

Il y avait deux natures d'impôt : les uns étaient destinés à rétablir l'équilibre dans les finances, à constituer une organisation financière forte, solide ; les autres étaient destinés à couvrir les dépenses résultant des travaux publics. J'ai refusé, malgré vos sommations, de faire connaître les travaux publics que le gouvernement se proposait de faire exécuter ; j'ai déclaré que lorsque la situation financière serait rétablie, nous pourrions nous occuper, mais alors seulement, des travaux publics, en mettant en regard le budget des dépenses et le budget des recettes.

J'ai proposé les ressources en même temps que les dépenses. Si j'avais été guidé par les indignes sentiments qu'on me suppose, j'aurais obtenu facilement ce qu'on prétend que je recherchais. Il m'eût été facile, en proposant quelques améliorations dans nos finances, de faire décréter des travaux publics pour des sommes considérables, et je suis bien convaincu qu'ils eussent été votés dans cette chambre à une immense majorité.

Voilà des faits qui répondent à vos odieuses imputations.

L'attitude que nous prenons sur la question qui s'agite en ce moment, nous l'avons prise à toutes les époques. Nous avons indiqué, je ne m'en défends pas, nous avons indiqué le désir d'introduire toutes les économies possibles dans un service important qui absorbe et doit absorber une grande partie des ressources de l'Etat.

Nous avons déclaré que, s'il était possible de ramener le budget à 25 millions, certes nous le ferions. Et croyez-vous que, s'il nous était démontré que cela fût possible, tout en maintenant une bonne et solide organisation de l'armée, croyez-vous que nous serions assez insensés pour ne pas le proposer ? Mais croyez-vous aussi que s'il nous est démontré qu'il faut, non pas 25 millions, mais 28 millions, mais 29 millions pour la défense du pays, croyez-vous que nous n'aurions pas le courage de venir les demander ?

Mais nous n'irions pas aveuglément, sans examen, trancher ces graves questions. Nous les avons confiées loyalement à une commission spéciale, et personne ne dira certes que nous avons pesé sur ses délibérations.

Nous avons voulu qu'elle pût, dégagée de toute contrainte, se prononcer librement. Certes je me suis réservé d'examiner, à mon tour, lorsque toutes les raisons seraient produites, ce qui me paraîtrait le plus convenable dans l'intérêt du pays. Nous demandons maintenant de pouvoir nous livrer à cet examen, et nous pouvons le faire sans que la sécurité de l'armée en soit le moins du monde troublée.

Cette commission, à laquelle vous rendez hommage, est composée, en immense majorité, des sommités militaires du pays. A-t-on prétendu qu'elle eût été entravée dans ses travaux ? Peut-on la soupçonner de retards calculés ? Si l'on nous reproche quelque lenteur, n'est-ce pas la commission même que l'on accuse ? Et qui pourrait croire qu'elle n'a pas suffisamment à cœur les intérêts de l'armée ? Eh bien, cette commission, conviée pourtant par quelques-uns de ses membres de hâter les résolutions, celle commission n'a pas encore terminé ses travaux.

M. de Mérode. - On a dit qu'ils étaient terminés.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ne faites donc pas de ces mauvaises équivoques. Ne le savez-vous pas, M. le ministre de la guerre ne l'a-t-il pas dit, les travaux sont à peu près achevés, mais le rapport n'est pas fait. L'honorable M. Thiéfry ne vient-il pas de vous déclarer que ce rapport sera soumis à la commission dans le courant de cette semaine et ensuite transmis à M. le ministre de la guerre ? J'ai demandé à l'instant pour la première fois, sur vos interpellations, à cet honorable collègue, comben de temps il lui faudrait pour examiner ce travail, il m'a répondu qu'il lui faut quinze jours à trois semaines pour formuler des propositions.

Faut-il que nous n'ayons pas une heure, pas une minute pour l'examiner à notre tour ?

On se plaint des retards que l'on a mis à instituer la commission ; c'est un reproche qui a été adressé tout à l'heure au ministère par l'honorable M. Lebeau ; mais l'honorable membre s'est trompé : avant la résolution de la chambre, il n'y avait rien à faire ; il a donc eu tort de compter le nombre de mois durant lesquels M. le général Brialmont s'est trouvé à la tête du département de la guerre, pour prétendre que, pendant ce temps, rien n'avait été fait. Après la sortie de M. le général Brialmont du ministère, c'est-à-dire au moment même de la résolution de la chambre qu'a fait le cabinet ? Mais il a institué quatre comités ; il a tracé le programme de leurs travaux.

Ces comités, composés aussi de la manière la plus impartiale, se sont mis à l'œuvre ; et dès qu'ils ont eu achevé leurs travaux, le résultat de leur examen a été remis à M. le ministre de la guerre actuel qui, lui, a nommé la grande commission militaire, et depuis, cette commission est saisie de toutes les questions ; elles les a examinées avec soin, dans un esprit qui ne sera pas suspect assurément à ceux qui se posent ici en défenseurs exclusifs de l'armée.

L'honorable préopinant nous a dit encore que, sur cette question de l'armée, deux ministres de la guerre avaient été renversés à nos côtés.

Encore une fois l'honorable membre se trompe. M. le général Chazal n'est point sorti du ministère à l'occasion d'un dissentiment avec nous sur la question de l'armée ; jamais, le Moniteur en fait foi, il n'y a eu de dissentiment entre nous sur la question de l'armée. (Interruption.) Je ne comprends pas...

M. Malou. - Je répondrai.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous répondrez ; les faits sont là ; c'est la vérité. M. le général Brialmont ! mais vous connaissez sa déclaration écrite ; elle vous a été communiquée. C'est dans cette chambre même qu'il a annoncé qu'il ne pouvait pas suivre le thème qu'il avait adopté et qui était celui du cabinet ; celui que le cabinet a toujours maintenu.

M. le ministre de la guerre actuel s'y est associé et il sait parfaitement qu'il ne sacrifie nullement l'armée ; et, en effet, n'y a-t-il pas folie à prétendre qu'un gouvernement veuille sacrifier ce grand élément de force, de puissance et de sécurité.

Le gouvernement persiste donc dans l'attitude qu'il a prise. (Interruption à droite.) Qu'y faire ? Cela peut vous contrarier ; mais c'est cependant ainsi. (Nouvel'e interruption à droite.)

M. Dumortier. - Mais relisez donc vos déclarations de décembre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'étonne vraiment de cette insistance. On nous a beaucoup parlé de modération, de conciliation et de patriotisme.

Supposez pour un instant qu'il y ait eu un changement quelconque dans l'attitude du cabinet sur cette question ; si vous aviez cette modération, cet esprit de conciliation, si vous étiez animé de ce patriotisme dont vous parlez, vous vous tairiez.

- Plusieurs voix. - A demain !

M. de Liedekerke. - Je demande formellement que la discussion soit continuée demain.

- Plusieurs membres. - A une heure.

Projet de loi autorisant un transfert de crédits au sein du budget du ministère des finances

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai l'honneur de présenter un projet de loi tendant à autoriser un transfert de 4,700 fr. au budget des finances.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de ce dépôt.

- La séance est levée à 4 heures et demie.