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L'abolition des octrois communaux
DEMOULIN Robert - 1960

Robert DEMOULIN. L’abolition des octrois communaux

(Paru à Bruxelles en 1960, dans le Bulletin du Crédit communal de Belgique)

(page 3) L'abolition des octrois a été la transformation la plus radicale du régime fiscal et financier des communes au cours du XIX e siècle. Aujourd’hui on a perdu le souvenir de ce qu'était l’octroi et il n'en subsiste plus de traces qu’aux portes des villes. là où du moins le souci de conserver le cadre de la vie d'autrefois a inspiré les autorités communales. Si les bureaux d'octroi ont disparu, à un siècle de distance le nom de l'homme d'Etat qui a réalisé cette véritable révolution dans le régime financier communal n'est pas perdu. Sur les bancs de l’école primaire. tous les jeunes Belges apprennent que Frère-Orban a réalisé une grande réforme qui lui a valu la reconnaissance de ses compatriotes si même, à l'origine. la réforme fut âprement discutée.

La suppression des octrois donna lieu Ie 21 juillet 1860 dans les communes du pays à des festivités extraordinaires, que la presse du temps a racontées avec un grand luxe de détails. L'iconographie de cet événement est aussi abondante et ‘ans les collections d'estampes comme dans les histoires locales, parfois délicieusement illustrées, nous retrouvons aujourd’hui les vieilles portes aux enceintes des villes et les cortèges précédant la destruction symbolique des bureaux d'octroi le 21 juillet 1860.

Mais l'enthousiasme populaire ne doit pas dissimuler la complexité de la transformation réalisée à l'initiative de Frère-Orban. C’est dans l'ensemble de la politique du grand ministre liégeois qu’il faut situer l'abolition des octrois pour en comprendre toute la portée. Frère-Orban fut ministre des Finances pendant treize ans. de 1857 à 1870, dans une période de hausse de prix et de Iibération des échanges. alors que l'expansion des affaires était générale.

La prospérité de l’industrie et du commerce au cours de ces années est affirmée par multiples indices. il suffira d'indiquer ici que le commerce extérieur de la Belgique a quasi doublé si l'on compare les moyennes annuelles des années 1851-1800 et 1861-1870.

Frère-Orban a détruit des obstacles au commerce intérieur : les octrois communaux et les barrières sur les grandes routes. Il a abaissé les tarifs douaniers et poursuivi une habile politique de traités de commerce. Rappelons enfin ses réformes capitales dans le domaine du crédit. En déjà. il avait créé laBanque Nationale. en 1860. il crée l’institution dont nous fêtons le Centenaire. en 1863 la Caisse d'Epargne.

Passionné par les problèmes économiques, qu’il envisage avec réalisme, inspiré par la doctrine libéralisme économique mais toujours soucieux de la grandeur l'Etat, Frère-Orban s'attache à la suppression des octrois avec l'énergie intelligente qui a fait de lui un des grands hommes d'Etat de la Belgique indépendante. Les premiers projets

Les premiers projets

En vigueur sous l'Ancien Régime. ce mode de taxation des denrées alimentaires et de nombreux autres produits à l'entrée dans les villes du pays avait été supprimé lors de la réunion à la France, l'Assemblée Constituante les ayant aboli dès le 19 février 1791 dans sa haine des impôts indirects. Mais le Directoire par ses lois des 27 vendémiaire et 11 frimaire an VII les avait rétablis et Ie Consulat puis l'Empire les avaient renforcés (J. GODECHOR. Les Institutions de France sous la Révolution et l'Empire, passim ; voir aussi le Rapport adressé au ministre par Commission de révision instituée en vertu de royal du 9 novembre 1847, le 1er mai 1848).

Le despote éclairé qu'était Guillaume Ier avait le goût de la centralisation et il ne se souciait guère de l'autonomie communale. Il suffit pour s'en convaincre de relire la loi fondamentale du 24 août 1815 et le règlement 19 janvier 1824 pour l'administration des villes. Il avait, en 1821, espéré, mais bien vainement, diminuer la hauteur des droits d'octroi, en accordant aux villes des centimes additionnels sur certaines accises.

Mais les besoins pressants d'argent forcèrent le Roi-financier à maintenir un régime soulevant de très vives critiques et même à le renforcer en réservant à l'Etat les impositions les plus productives et les moins critiquées ct en contraignant les communes à renforcer leur propre fiscalité.

Le Congrès National, on le sait, laissa au législateur la mission de doter pays des institutions (page 4) provinciales et communales définissant les principes de décentralisation qu’il voulait voir appliquer. en réaction contre le régime déchu. L’on sait les restrictions apportées par loi à l’autonomie en matière de budget et de comptes. mais quant aux impositions, les communes avaient les coudées franches. (« En imposant l’inscription au budget d’une longue série de dépenses obligatoires, en interdisant toute dépense n’ayant pas fait l’objet d’un crédit approuvé par l’autorité supérieure, le législateur mettait les principes et les communes dans une situation ne différant pas sensiblement de celle qu’on avait connue précédemment. » C. MEES, «Les finances provinciales et communales, dans «Histoire des finances publiques en Belgique, t. III, p. 197. Sur le problème de l’autonomie nous renvoyons à l’article de M. le chanoine Simon).

L’octroi ne plaisait à personne, mais personne ne découvrait le moyen de remplacer cette source de recettes indispensables à l’équilibre des finances des villes, source plus appréciée qu'elle grossissait à mesure du développement économique des centres urbains.

L'opposition brutale, à travers le XIXème siècle. en Belgique entre les campagnes et les villes rendait malaisée la solution et donnait à la controverse un aspect politique. La Gauche avait ses bastions dans les villes. La Droite s’appuyait sur le Plat Pays. Aussi l’abolition des octrois risquait de diviser l’opinion. Nombre d'esprits ne se dissimulaient pas les inconvénients graves du système et les écrits ne manquent pas proposant des remèdes divers. D’autre part, en régime censitaire, le système d’impôts directes a une importance capitale. C’est presque un tabou. Toute modification au système de l'octroi pouvait avoir des répercussions sur les impôts directs si l’on avait de ce côté les compensations nécessaires. Cela rendait plus circonspects les hommes politiques.

En 1844. J.-B. Nothomb avait fait étudier la question mais s'il avait présenté au Parlement les résultats cl' une enquête administrative, il n'avait pas cru pouvoir faire des propositions. Dès sa prise de pouvoir. le Cabinet libéral de Charles Rogier. issu des élections de I847, constitua une Commission d’étude qui fit unanime à proposer un système de taxes « viciant notre organisation politique. financière et économique (Cf. E. Discailles, Charles Rogier. t. IV. p. 126). Mais Rogier n’avait pas accepté les moyens proposés par cette commission pour procurer aux communes les ressources équivalentes. L' abandon aux communes du produit de la contribution personnelle et des patentes eût obligé l'Etat à créer de nouvelles taxes (Cf. E. Discailles, Charles Rogier. t. IV. p. 126).

Frère-Orban

(page 5) Frère-Orban mit à profit son éloignement du pouvoir pour étudier la réforme souhaitée par nombreux Belges. Redevenu ministre des Finances dans le cabinet Rogier du 9 novembre 1857, Frère-Orban exerce une influence croissante dans la direction du gouvernement.

Il gère habilement le budget de I 'Etat et s’assure les coudées franches pour tenter une réforme dont il ne se dissimule pas qu'elle soulevait d'immenses difficultés, comme il le déclarait à la Chambre le 22 novembre 1859.

Une étude confiée à deux hauts fonctionnaires du ministère des Finances sur les taxes locales dans le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande n'aboutit qu'à de maigres conclusions « vu le peu de similitude dans la répartition des impôts généraux entre les deux pays. »

Au sortir d'un premier entretien avec le Roi. Frère-Orban avait l'impression d'avoir gagné l’accord du Souverain et le 15 février, il lui adressa le projet de suppression, précédé d'un solide exposé des motifs. Soixante-dix-huit communes sur 2.338 frappaient des droits d'octroi. En 1858 ils avaient produit net 10.876.000 francs (brut 12.376.083 francs). La diversité des droits était gênante : « droits d'entrée. droits d'expédition. droits de transit sous le nom de passe- debout, centimes additionnels aux droits d'octroi, droits d'entrepôt, droits sur a fabrication ou l'extraction de certains produits dans l'intérieur de la commune, droit de timbre. Certains ces droits pouvaient s'appliquer à 136 espèces de marchandises (Documents parlementaires. Chambre des représentants, session 1860 (n°84), séance du 10 mars 1860. Abolition des octrois communaux. Projet de loi. Exposé des Motifs). Ils soumettaient et consommateurs à des formalités et des vexations continuelles. La suppression des octrois devait accroître la consommation et ainsi ouvrir des débouchés aux produits nationaux, surtout agricoles. Les campagnes trouvaient ainsi des avantages à l'opération projetée. Au surplus les populations rurales lourdement grevées lors des achats qu'elles étaient amenées faire dans les villes se réjouissaient d'être libérées des formalités et des charges de l’octroi. Mais c’est évidemment la classe ouvrière urbaine qui souffrait le plus de ces impôts frappant les première nécessité.

L’expansion des villes était gravement contrariée par les octrois. « La capitale pourrait se développer à la manière de Londres, et non de Paris, s’unir aux communes suburbaines en gardant son individualité (ces quatre mots ajoutés en surcharge) est entourée, pour les seules exigences de l’octroi, d’une ceinture de murailles et de fossés qui sont comme les derniers vestiges du moyen-âge au milieu de la civilisation moderne. » Frère reprenant le thème développé treize ans plus tôt insistait surtout sur les conséquences politiques détestables du système. 1860 1860.

(page 5) Le même jour, le projet fut déposé sur le bureau de Chambre qui décida de ne le présenter aux sections que le 18 avril afin de permettre à l'opinion de s’exprimer. La presse d’opposition critiqua vivement le projet. Elle attaqua la répartition trop favorable aux villes, l’uniformisation du régime fiscal et le renforcement du pouvoir central. Des critiques violentes furent énoncées par l' industrie sucrière : l'égalisation des droits sur le sucre de betterave et sur le sucre de canne ruinera des milliers d'agriculteurs. Quant à l’augmentation de l'accise sur la bière, elle fut considérée par certains comme anti-sociale.

La section centrale, où Ernest Vandenpeereboom fut rapporteur, ne modifia guère le projet sinon qu’elle substitua à la recette nette actuelle des Postes, 40% de la recette brute.

Les débats à la Chambre s’ouvrirent le 29 mai et la discussion souvent passionnée dura jusqu’au 22 juin. L’opposition de la Droite était quasi unanime. Lorsqu’on passa au vote, seuls deux députés catholiques émirent un vote affirmatif, tandis que deux s’abstenaient, parmi lesquels de Decker qui ne pouvait se résoudre à s’opposer « à une réforme qui est grande » et dont il appréciait « les immenses bienfaits ».

Pour triompher son projet, Frère-Orban déploya ses talents d’orateur. Grâce à sa réelle compétence reconnue par ses adversaires, il défendit ses vues avec une argumentation solide et à un siècle de distance la lecture de ces débats parlementaires ne lasse pas.

Si le principe de la liberté commerce intérieur est admis par tous, et si les octrois sont bien reconnus comme une entrave à la circulation des produits et un obstacle à la production, il a quelque peine à convaincre de l'équité d’une répartition qui accorde 11 millions à 78 communes comptant 1.200.000 habitants et 3 millions à 2,500 communes peuplées de 3,400,000 habitants. Le ministre trouve un argument dans le fait que la consommation des objets soumis aux taxes était plus considérable dans les villes que dans les campagnes. C'est au Zollverein allemand que Frère-Orban avait emprunté ce principe, en vertu duquel si un paysan comptait pour un 1, un habitant de Francfort comptait pour 4 2/5. (Cf. Lettre de Frère-Orban à Trasenster du 23 mars 1860 : « C’est le principe du Zollverein et cette idée féconde eût été impossible si l’on s’était mis à exiger pour l’appliquer que la répartition entre tous les Etats fût exactement la même pour tous. » Archives Générales du Royaume, Papiers, H.J.W. Frère-Orban, 1041). D’autre part les paysans supportent une part appréciable des impôts d’octroi, comme producteurs et consommateurs.

Quant à l'atteinte à l'autonomie communale, avec artifice, Frère-Orban déclare qu’elle sortira renforcée et non affaiblie. les communes assurées d'une recette certaine deviendraient en réalité plus indépendantes vis-à-vis du pouvoir central.

L'augmentation du droit d’accise sur la bière prévue dans le projet provoque, faut-il le dire, de vives réactions et un député de l’opposition, de Nayer, s'est empressé de déposer un amendement. Le ministre se défend en insistant sur la substitution à des droits sur des objets de première nécessité : le pain, la viande. le charbon. de droits sur des objets qui le sont moins comme le vin, la bière, le genièvre. Et il se fâche. « Des impositions que vous mettez en relief, c'est celle qui frappe la bière que vous m’offrez surtout, pour montrer que j'atteins des consommations populaires. Et c'est à moi que s’adressent cette imputation et ce reproche ! Il y a dix ans je vous ai proposé de me suivre sur d'autres terrains. [l y a dix ans je vous ai proposé de réformer la loi sur la contribution personnelle et il y a dix ans que cette loi reste faire ; il y a dix ans que je vous ai proposé d'établir un impôt sur les successions en ligne directe, de préférence à d'autres impôts, et un seul excepté, tous, tous, vous m’avez combattu. »

Frère-Orban s’indigne des critiques jetées aux villes de se ruiner par des constructions fastueuses. « Messieurs, nous sommes, il faut l’avouer, singulièrement faits. Lorsque nous nous promenons par nos villes, que nous rencontrons ces magnifiques cathédrales, ces splendides hôtels de ville. nous disons : Voilà de belles œuvres de nos ancêtres ! Quelle grandeur, quelle magnificence ! Il faut conserver ces monuments. il faut les restaurer avec amour.

« Et puis sous prétexte que les villes élèvent des monuments. on les désigne au mépris public !

« Et encore sur quoi repose cette contradiction déplorable ? Sur une pure invention, sur une fantaisie des honorables membres. Où donc sont, dans nos villes, ces magnifiques monuments qui marqueront notre époque ? Où sont ces grandes œuvres qui rappelleront à nos descendants le siècle présent ?

« Je ne trouve rien, absolument rien, nulle part ; au contraire, il faut le dire, nous sommes sous ce rapport, villes et gouvernements. d'une désespérante impuissance. Quel homme parmi nous a entraîné le pays dans ces dépenses glorieuses qui faisaient transformer Athènes par Périclès. mais qui, il est vrai, exposaient Périclès, au rapport de Plutarque, à l’accusation de gaspiller les deniers publics, glorieux gaspillage qui a rendu Athènes et Périclès immortels ? Cet homme, le connaissez-vous ? »

La réforme modifiait le régime fiscal des sucres, objet de vives controverses. Si l'on ne parle pas encore de groupes de pression dans le jargon politique du temps, il n'empêche que l’industrie betteravière a des puissants. Henri de Brouckère avait proposé l’ajournement de toute modification au régime sucrier. Le ministre des Finances s’y opposa. Il insista sur les dangers graves d'une protection persistante pour la production du sucre de betterave. Celle-ci augmentait constamment et l'appel des (page 7 capitaux que la protection entrainait devait l'accroître encore. Cependant il dut bien accepter l'amendement de la section centrale échelonnant sur plusieurs années le nivellement des régimes différentiels des deux sucres. Au Sénat, ce fut aussi sur cette question des sucres que le gouvernement rencontra le plus gros obstacle. Il ne put d'ailleurs le surmonter et, pour faire aboutir le projet, Frère- Orban dut s'incliner devant la volonté la Haute Assemblée - on sait comment elle était composée avec un régime qui exigeait le paiement de 2.000 francs de cens. soit plus de 100,000 francs d’impôts directs de nos jours (et l’impôt sur les revenus était inconnu). L’amendement de Brouckere fut repris par les protecteurs du sucre indigène et le Sénat le vota par 34 voix contre 23. Pour sauver sa grande réforme, Frère-Orban ne s'obstina pas et accepta le vote par la Chambre le 18 juillet du texte amendé par le Sénat, qui satisfaisait l'industrie sucrière.

La suppression

L'enthousiasme dans les villes éclata à minuit le 20 juillet, date de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi (La loi fut promulguée le 18 juillet et un arrêté royal en fixa la mise en vigueur le 21 juillet) : le 29e anniversaire de l'inauguration Roi, par suite de la conjoncture internationale (la réunion de la Savoie à la France et une campagne d'une certaine presse française réclamant les frontières naturelles), donna lieu à des démonstrations patriotiques exceptionnelles dans tout le pays et il est assez malaisé aujourd'hui de distinguer dans l’enthousiasme populaire ce qui est dû à la suppression de l'octroi et ce qui résulte de la volonté, spontanée ou dirigée, des populations belges de donner un particulier éclat aux fêtes du 21 juillet 1860.

A Bruxelles, des corps de musique, fanfares et harmonies firent une entrée solennelle à minuit précis par les diverses portes de la ville.

« Au coup de minuit, les grilles principales tombent comme par enchantement aux bruyants et joyeux accords de l'air national et aux cris mille fois répétés de : Vive le Roi : Vive la Belgique ! A l'octroi ! Honneur à Frère-Orban ! »

La presse rapporte nombre d’incidents comiques . « Ici, ce sont des employés de l’octroi qui, au dernier coup de l’heure fatale de minuit, décampent de leur aubette, le paquet au dos ou sous le bras, et qu’escorte une avalanche de gamins avec tous les glapissements de circonstance ; ailleurs, des chasseurs, fanfares de trompes en tête. Introduisent victorieusement en ville le premier lièvre affranchi de l'humiliation de la taxe : là, de bons vivants apparaissent au seuil de la porte supprimée, verres et bouteilles en main, et portent un joyeux toast à l' affranchissement du bourgogne et du bordeaux ; d’un autre côté c'est un cortège qui, en pleine nuit, (page 8) entre une et deux heures du matin, envahit houleux et retentissant, les rues et les places du centre de a ville : il promène en triomphe un des héros de la soirée, un employé de l'octroi, qui, juché debout dans sa guérite renversée et portée sur les épaules d'une demi-douzaine de ses plus robustes concitoyens, éclaire la marche de l'expédition des flammes vacillantes de deux torches qu’il secoue de chaque main et dont il fait pleuvoir des gerbes d’étincelles. »

(Note de bas de page : « Journal de Liége », 23 juillet 1830, première page, 5ème colonne. Le compte rendu de l’ « Indépendance belge » (22 juillet 1830, première page, colonnes 1-2) est un modèle du style de l’époque. « A une heure du soir, les boulevards présentaient l’aspect le plus animé : un rassemblement considérable s’était formé alentours de chaque barrière, regardant faire les serruriers et les forgerons occupés, à la lueur des torches, à démonter toutes les clôtures. L’animation la plus vive régnait partout : cette foule enthousiaste et impatiente, pittoresquement groupée sur la pente des boulevards, ces rudes travailleurs faisant retentir le fer sous les coups stridents de leurs marteaux, et qui semblaient accomplir une œuvre de démons plutôt qu’une œuvre de progrès, ces figues, éclaires par le reflet rougeâtre des torches, tout cet ensemble eût certainement été dignes du pinceau de Rembrandt, si l’on eût de son temps songé à supprimer les octrois communaux. De temps en temps le remous populaire s’arrêter pour livrer passage à quelque société chorale, à quelque musique d'harmonie précédée de ballons transparents et de lanternes de couleur et lançant joyeusement dans l'air les accords d’un pas redoublé ou les sons de la Brabançonne.

« Enfin, à minuit, les commis de l'octroi sont rentrés dans leurs aubettes. où ils ont déposé, pour le plus les reprendre, les insignes de leurs grandeurs éteintes. Les portes se sont ébranlées, aux acclamations enthousiastes de la multitude. Hier matin. il ne restait plus à toutes barrières de ville que les pavillons isolés de l’octroi. »)

Des adresses de félicitations furent votées au ministre des Finances, des souscriptions organisées. Le Conseil communal de Liège décida le 3 août 1860 de faire exécuter le buste de Frère-Orban par le sculpteur Simonis de le placer dans la Salle des pas perdus de l’Hôtel de Ville, en témoignage « de reconnaissance pour la haute intelligence et le zèle infatigable avec lesquels il a abordé et résolu le problème de l’abolition des octrois. » Un autre exemplaire du buste lui fut remis par une députation du Conseil en 1863. (Archives Générales du Royaume, Papiers H. J. W. Frère-Orban)

La joie des habitants des villes était réelle. Quant aux habitants des campagnes, ils s’apercevaient plus la suppression des formalités gênantes et des droits à payer que de la disproportion dans la répartition du Fonds communal. Au surplus l'expansion économique fournit des fonds qui répondirent aux prévisions optimistes du ministre des Finances. Dès 1861, la recette du Fonds communal dépasse les 15 millions prévus, en 1866 elle se montait à 18 millions, en 1896 elle se montant à 35 millions. L'abolition des octrois est une de ces réformes âprement combattues. qui à l'application se révèlent tellement bienfaisantes que les adversaires de bonne foi se plaisent à en reconnaître les mérites.

Depuis un siècle, nombreux sont les témoignages venus de tous les horizons qui rendent justice à I œuvre du ministre des Finances de l'époque. L’étude approfondie du problème, la préparation méticuleuse du projet de loi, la défense intelligente devant le Souverain témoignent des qualités de l'homme d'Etat. Au Parlement, Frère-Orban domina les débats, le chef du gouvernement, Charles Rogier, ministre de l’intérieur, n’intervenant guère, se faisant scrupule de joindre sa faible voix à celle ministre des Finances. comme il le déclara lui-même. (Archives Générales du Royaume, Papiers Rogier, 430)

Imprégné des idées du libéralisme économique. Frère-Orban veut faire sauter le carcan qui enserrait les villes. En les libérant. il a réduit le coût des denrées et ainsi amélioré la condition ouvrière, il a rendu plus commode les relations humaines et les échanges des biens. Dans une époque où la Belgique se sentait menacée il a renforcé le sens de sa nationalité. La suppression des octrois. réforme réalisée par un homme autoritaire et tenace, a fait passer sur tout le pays un grand souffle de liberté.